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F O L I O B I O G R A P H I E S

c o l l e c t i o n d i r i g é e p a r

GÉRARD DE CORTANZE

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Gandhi

par

Christine Jordis

Gallimard

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Crédits photographiques Gandhi

1 : Dinodia / Bridgeman-Giraudon. 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 12, 13 : Akg-Images / Archives Peter Rühe. 9, 10 : Harlingue / Roger-Viollet. 11 : M. Bourke-White / Time & Life Pictures / Getty Images. 14 : D.R. 15 : A. Jordis.

© Éditions Gallimard, 2006.

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Écrivain, critique, éditeur, Christine Jordis s’occupe du roman anglaisaux Éditions Gallimard et collabore au journal Le Monde. Son premieressai, De petits enfers variés, a été couronné par le prix Femina et le prixMarcel-Thiébaud. Gens de la Tamise, son cinquième livre, un panorama dela littérature anglaise au XXe siècle, a reçu le prix Médicis en 1999 et Unepassion excentrique, son dernier ouvrage, le prix Valery Larbaud en 2005.Très attirée par l’Asie, où elle a fréquemment voyagé, elle a égalementpublié Bali, Java, en rêvant et Promenades en terre bouddhiste, Birmanie.

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Le sort de l’espèce humaine est aujourd’hui plus quejamais dépendant de sa force morale. La voie vers unétat joyeux et heureux passe par la renonciation etl’autolimitation, où que ce soit.

A L B E R T E I N S T E I N

Frank Kafka me dit : « Il est évident que désormais lemouvement de Gandhi vaincra. L’incarcération deGandhi aura pour seul effet de donner à son parti uneimpulsion plus grande encore. Car, sans martyrs, toutmouvement dégénère en communauté d’intérêts,regroupant des gens qui spéculent bassement sur leursuccès. Le fleuve devient une mare, où pourrissenttoutes les idées d’avenir. Car les idées — commed’ailleurs tout ce qui dans ce monde a une valeursupra-personnelle — ne vivent que de sacrifices per-sonnels. »

G U S T A V J A N O U C H

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Avant-propos

À l’orée du XXe siècle, l’impérialisme britanniqueest toujours dans sa plus grande vitalité. L’Inde, se-lon Nehru — un leader nationaliste, il est vrai —,est enfoncée dans un « bourbier de pauvreté et dedéfaitisme qui l’aspire vers le fond » ; depuis desgénérations, elle a offert « son sang, son labeur, seslarmes, sa sueur » et ce processus a rongé son corpset son âme, empoisonné tous les aspects de sa viecollective, comme une maladie fatale qui ronge lestissus et tue à petit feu.

Vint Gandhi.

Il fut comme une puissante bouffée d’air frais qui nous pous-sait à nous étirer… un faisceau de lumière qui trouait l’obscu-rité ; comme un tourbillon qui bouscula bien des choses, maissurtout la façon de fonctionner de notre esprit. Il ne venait pasd’en haut ; il semblait surgir des multitudes de l’Inde, parlaitleur langage et attira constamment l’attention sur eux, sur leureffroyable condition (D I *, 407).

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* Nous donnons les références des ouvrages les plus fréquemment cités sousforme d’abréviations (suivies du numéro de la page). Le lecteur trouvera p. 359 unebibliographie dans laquelle sont explicitées ces abréviations, avec les références com-plètes des ouvrages.

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Rien que d’insignifiant dans l’apparence de cepersonnage qui allait changer la destinée d’un pays.« Un petit homme au piètre physique », mais avecen lui la force de l’acier, ou du roc. « En dépit deses traits effacés, de son pagne et de sa nudité, il yavait en lui un quelque chose de royal qui com-mandait l’obéissance… Ses yeux calmes et gravesvous tenaient sous leur regard, vous sondaient jus-qu’au plus profond de l’âme ; sa voix, nette etlimpide, pénétrait, s’insinuait jusqu’au cœur etremuait les entrailles… Le charme et le magnétismepassaient… » (VP, 127) Avec lui, chacun avait le« sentiment de communier ». D’où provenait-il, cet« ensorcellement » ? Certes pas de la raison, bienque l’appel à la raison ne fût pas ignoré ; pas nonplus de l’art oratoire ni de l’hypnotisme desphrases : elles étaient simples et économes, sansun mot superflu. « C’était l’absolue sincérité del’homme et de sa personnalité qui vous empoi-gnait ; il donnait l’impression de posséder d’im-menses réserves de force intérieure » (VP, 128).

Du vivant de Gandhi déjà, on s’est pourtant faitfort de le critiquer. Soit que l’idée de chef, de saintou de héros, ait rebuté certains ; ceux-là préféraientvoir en lui un homme ordinaire obéissant à desmobiles ordinaires (intérêt personnel, défense deson pouvoir, simple vanité : « la conscience de soien tant que vieil homme humble et nu, assis sur sontapis de prière et faisant trembler les empires parla seule force de son pouvoir spirituel * 1 ») — bref,

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* Toutes les notes bibliographiques sont regroupées en fin de volume, p. 363.

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sous la grande figure, un personnage calculateur,manœuvrier, épris de son prestige et, finalement,vaincu (tel qu’il apparaissait à nombre de Britan-niques, ses ennemis, à l’époque). Soit qu’on aittrouvé irritantes, voire inacceptables, son approcheémotionnelle de problèmes économiques ousociaux et son insistance sur une religion (en fait,une éthique) dont on admettait mal qu’elle puissemêler ses principes et son langage à ceux de la poli-tique — une discipline qui appelle la raison, alorsque Gandhi agissait par la « magie » et cherchait àcapter l’imagination du peuple pour mieux le diri-ger. Le problème se posait du lien entre spiritualitéet politique. Un rapport qui causait douleurs,incompréhension, secousses : « À quoi bon tenterde changer l’ordre existant ? » écrivait Nehru, quifut son disciple et ami, « Non, il suffisait de chan-ger le cœur des hommes ! C’est ce qu’on appellel’attitude religieuse, dans toute sa pureté, face à lavie et à ses problèmes. Une attitude qui n’a rien àvoir avec la politique, l’économie ou la sociologie.Et pourtant, Dieu sait si, dans le domaine politique,Gandhi pouvait aller loin ! » (VP, 372). S’il avaitvraiment des objectifs si élevés, pourquoi, disaientses critiques, les compromettre en entrant dans lavie politique qui, par nature, comme chacun sait,se situe assez loin de la recherche de la vérité ? Bref,on ne pouvait comprendre ce mélange paradoxalde « saint catholique médiéval » et de « chef poli-tique à l’esprit pratique ».

À tout le moins l’homme était suspect : sous lafigure d’ascète, on ne pouvait douter que se cachât

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un individu rusé, compétent, habile à louvoyer —apte à trouver un compromis entre les extrêmes,entre les classes et les partis, capable de rigiditédans la théorie mais aussi de souplesse dans lesapplications, susceptible de changer d’avis de façonradicale, cela sans se soucier de cohérence avec sesaffirmations antérieures ; bref, un homme « extrê-mement complexe, un mélange de grandeur et depetitesses, une haute personnalité politique, troppolitique, et entachant de cette marque ses concep-tions morales et religieuses » (R J, 135), tel quele voyait « le Poète », c’est-à-dire RabindranathTagore, en 1926, avant qu’il ne se rallie totalementà Gandhi ; et Tagore d’insister sur les compromisacceptés, sur « cette sorte de mauvaise foi secrètequi le fait se prouver par des raisonnements sophis-tiqués que le parti qu’il accepte est celui de la vertuet de la loi divine, même quand c’est le contraireet qu’il ne peut l’ignorer » (R J, 135). Un politi-cien plutôt qu’un saint, donc, et d’autant plusrusé, d’autant plus indéchiffrable, qu’il ne cessede confesser publiquement ses doutes, ses hésita-tions, ses erreurs et revirements, travaillant dansla « transparence » la plus grande, dirions-nousaujourd’hui. La moralité, l’amour, le vocabulairereligieux — était-ce donc une pose, un abus degrands mots et de sentiments destinés à entraînerles foules et impressionner l’ennemi ?

Des questions qui n’entamaient pas la confiancede l’Inde en sa sincérité. En dépit de son voca-bulaire, « d’une obscurité presque totale pourl’homme moyen de notre temps » disait Nehru, en

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dépit de ses volte-face déroutantes, ses amis letenaient pour « un grand homme, un hommeunique, auquel on ne pouvait appliquer ni leséchelles de valeur courantes ni les canons de lalogique habituelle » (VP, 288). Ayant placé leur foien lui, ils le suivaient. Jamais aucun d’eux, à l’in-verse de ceux qui parlaient « un langage différent »— esprits ennemis de sa pensée ou, plus simple-ment, mal équipés pour le comprendre —, ne sup-posa de lui mensonge ou imposture : « Pour desmillions d’Indiens, il est l’incarnation de la vérité,et tous ceux qui le connaissent mesurent le sérieuxpassionné avec lequel il cherche sans relâche à agirde façon juste » (VP, 289). Appliquer à cette per-sonnalité extraordinaire les raisonnements banals,les phrases éculées, les théories toutes faites donton se sert pour le politicien moyen relève de la cri-tique superficielle, souligne Nehru, et lui-mêmes’efforce à maintes reprises de définir Gandhi, pas-sant de l’affection à la colère, de la surprise à l’ad-miration, corrigeant sans cesse un portrait que sonmodèle ne cesse de déborder.

Plus convaincant peut-être, ce jugement d’unadversaire, lord Reading, vice-roi des Indes, qui,arrivé en poste le 2 avril 1921, eut avec Gandhi sixinterminables conversations : « Ses vues religieusessont, je crois, sincères, et il est convaincu, presquejusqu’au fanatisme, que la non-violence et l’amourassureront à l’Inde son indépendance et lui per-mettront de résister au gouvernement britan-nique. »

Depuis lors, la distance du temps aidant, cher-

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cheurs et spécialistes se sont efforcés de garder,sans toujours y parvenir, une distance critique,voire une rigueur scientifique, comme de tenircompte de ce qui a été écrit avant eux. Au Gandhichrétien, saint et martyr des premiers ouvrages asuccédé un « Gandhi sécularisé, dont les méthodesde lutte politique et le leadership intéressent davan-tage que les idées religieuses 2 » ; plus récemmentencore, on s’est efforcé à « une appréciation plusréaliste du bilan » de son œuvre et à « une concen-tration plus grande sur la richesse de sa personna-lité 3 ». « Chaque époque a réinventé son Gandhi. »On pourrait ajouter, chaque biographe, chaquehistorien. L’interprétation de ce personnage infini-ment complexe dépend étroitement de la person-nalité de celui qui écrit — telle est la conclusion quiressort de la lecture de quelques-uns des milliers delivres qui lui sont consacrés dans des centaines delangues. « On transmet forcément dans ce que l’onécrit notre propre vision du monde 4 », avoueRobert Payne, l’un de ses biographes. Alors, autantadmettre dès le départ que l’objectivité est iciillusoire. « Le recul du temps fait défaut pour lejuger objectivement » écrivait Nehru, qui fut siproche de lui, « À ceux d’entre nous, étroitementliés à lui, ayant subi l’influence de cette personna-lité dominatrice et si éminemment attachante, ilmanque terriblement… De ce fait, le facteur per-sonnel joue chez nous un rôle trop grand pour nepas peser sur nos jugements et risquer de les faus-ser » (PT, 225). Soit. Mais l’« objectivité » conféréepar la distance pourrait bien passer à côté, elle

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aussi, de l’essentiel : ce « feu intérieur » inépuisable,cet « extraordinaire pouvoir de rendre possiblel’improbable », en lequel tous avaient foi. « Ceuxqui ne l’ont pas connu aussi intimement doiventavoir du mal à imaginer de quel feu intérieur brû-lait cet homme de paix et d’humilité. En sorte,conclut Nehru, que les uns comme les autres nesauraient évaluer ou connaître la situation dans savérité. » N’étant pas une spécialiste de l’Inde ni deGandhi, seulement une amatrice passionnée, fami-lière de l’Asie, je me sens, par un tel jugement,autorisée à approcher d’un sujet déjà indéfinimentexploré, débattu et commenté, assurée qu’on nepeut rien y apporter d’inédit, désireuse, pourtant,de l’aborder de façon personnelle, puisqu’il doitrester indéfiniment ouvert, sans conclusion pos-sible. « Tout en lui est extraordinaire paradoxe »(Nehru).

Notre siècle débutant pourrait bien favoriserle penseur d’une modernité alternative, ou lechercheur de vérité, autrement dit l’homme « reli-gieux », éloigné du saint chrétien des premiersadmirateurs occidentaux, et proche, comme lesuggère Martin Green (qui le place aux côtés deTolstoï), des prophètes d’un âge nouveau. Deshommes dont la vision a marqué une fin de sièclecaractérisée, comme la nôtre, par un certainnombre de signes récurrents parmi lesquels seraientle souci de la préservation de la nature, la révolteantimatérialiste, l’insistance sur la dimension spiri-tuelle. À beaucoup, Gandhi apparaît comme le pro-phète de l’âge à venir, de ce qu’une culture

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post-religieuse a appelé « l’esprit 5 ». L’esprit, lepouvoir de l’esprit, incarné par lui au plus hautpoint — ce qui donne son sens au mot d’humanité.

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Débuts

Porbandar, le nom fait rêver. Un monde depêcheurs, d’armateurs, des navires qui croisententre l’Inde, l’Arabie, la côte Est de l’Afrique,s’aventurent jusqu’en Afrique du Sud, là où Gandhiallait un jour découvrir sa vocation… Au momentoù naquit Gandhi, le 2 octobre 1869, ce n’étaitpourtant qu’un petit port de pêche assoupi sur lacôte du Goujarat.

La ville de Porbandar, « avec ses ruelles étroiteset ses bazars encombrés, avec ses murs massifs,depuis lors en grande partie démolis, se trouve àtrois pas de la mer d’Arabie. Ses bâtiments, dépour-vus de grandeur architecturale, sont construitsdans une pierre blanche qui durcit avec les années,brille doucement au coucher du soleil et valut à laville l’appellation romantique de “Cité blanche”.Les temples y occupent une place d’importance ; lamaison ancestrale des Gandhi était elle-mêmeconstruite près de deux temples. Et pourtant,toute la vie était, est toujours, centrée sur la mer »(MG, 9).

À la fin du XIXe encore, nombre de familles

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avaient des relations d’affaires de l’autre côté desocéans, ce fut d’ailleurs un contact de ce genrequi permit le départ de Gandhi pour l’Afrique duSud.

À l’époque, Porbandar n’était que l’un desquelque trois cents principautés et territoires quecomportait le Goujarat, gouvernés par des princesque l’accident de leur naissance et le soutien d’unsouverain maintenaient sur leur trône. En dépit dece morcellement et du régime féodal, la région avaitsu évoluer ; elle avait même donné à l’Inde quelqueshommes d’affaires entreprenants, quelques réfor-mateurs religieux et sociaux. Ténacité, sens d’unemission, ces traits n’étaient pas rares, certains his-toriens indiens ont même avancé que ce n’était pasun hasard si les deux hommes qui, de façon oppo-sée, avaient le plus influencé l’histoire de l’Inde auXXe siècle, Gandhi et Jinnah, étaient originaires decet État *.

Chaque région de l’Inde a sa spécificité, gravéeen elle par les millénaires. Il y a cinq mille ans, sug-gère un biographe de Gandhi, « le Goujarat étaitdéjà un nœud d’échange entre l’Occident etl’Orient. On connaît même le nom des populationscommerçantes de cette région 1… ». Si l’on aimel’idée d’influences profondes et lointaines, de voca-tions déposées en soi comme un sédiment à traversles générations et les siècles, il est séduisant de pen-ser que Gandhi descendait de cette ancienne oli-

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* Gandhi, dans son autobiographie, affirme en effet que Jinnah était du Goujarat,se référant sans doute aux attaches que ce dernier avait dans cet État, bien que, enréalité, Jinnah fût né à Karachi.

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garchie marchande et qu’il en avait conservé en luila ruse et la sagesse.

Il appartenait à la caste des banian, c’est-à-direcelle des marchands du Goujarat, « des épiciers »dit-il dans son autobiographie, qui peuplaient doncdepuis toujours la région — des commerçants paci-fiques, fort éloignés par l’esprit des ksatriya, c’est-à-dire des guerriers, la deuxième des quatre castes,très répandue dans d’autres parties de l’Inde. Lesbanian faisaient partie de la troisième grandecaste *, celle des vaisya.

Ces marchands étaient imprégnés de la doctrinejaïn ** de non-violence. Il est certain qu’elle mar-qua fortement Gandhi. Nehru le souligne : il était« en partie tributaire des conceptions dont il s’étaitimprégné pendant ses jeunes années passées auGoujarat… Gandhiji portait un regard éclectiquesur le développement de la pensée et de l’histoireindiennes. Il pensait que la non-violence était leprincipe sous-jacent à ce développement… Sansremettre en cause les mérites de la non-violence austade actuel de l’existence humaine, on peut direque cette vision révélait un préjugé historique de lapart de Gandhi » (DI, 516). Ainsi, selon Nehru, lanon-violence ne serait-elle pas un élément domi-

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* Il existe quatre grandes castes : brahmana, ksatriya, vaisya et sudra, ou brah-manes, rois (ou seigneurs), marchands et plébéiens. Gandhi était contre la casteconsidérée comme hiérarchisée (son action contre l’intouchabilité sapa l’hindouismeorthodoxe jusque dans ses fondements), mais favorable à la varna idéale, commefonction héréditaire qui rend tout homme égal à tout autre : « les quatre divisionsde la société, chacune complémentaire de l’autre, aucune n’étant inférieure ni supé-rieure, chacune aussi nécessaire que l’autre au corps entier de l’hindouisme ».

** Jaïnisme : système religieux et philosophique de l’Inde qui insiste sur la non-violence.

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nant de la pensée indienne, telle qu’elle a évolué,mais bien du jaïnisme qui s’était implanté dans leGoujarat et qui influa sur les jeunes années deGandhi (les nationalistes hindous fondamentalistes— qui résistèrent au charisme de Gandhi — seréclameront, eux, d’un passé différent, guerriercelui-là, où les ancêtres hindous s’illustrèrent parleur virilité, leurs combats, leur recours à la force).

« Des moines jaïns rendaient souvent visite àmon père, et s’écartaient même de leur cheminpour accepter de manger à notre table… » (Maisson père recevait également des amis musulmans etparsis qui lui parlaient aussi de leur religion. Il lesécoutait avec respect et le jeune Gandhi avait ainsil’occasion d’assister à ces conversations — ce quicontribua, dit-il, à lui inculquer une large tolérancereligieuse.) Quoi qu’il en soit, la non-violence était,chez Gandhi, un principe implanté dès l’origine.À côté de cette valeur, revêtue d’une importanceparticulière, on cultivait, dans ce milieu tradition-nellement commerçant, les vertus d’honnêteté,d’économie, d’intégrité. Du passé marchand de safamille, Gandhi garda l’habitude des comptesbien tenus et de l’épargne, étant « attentif à réduireles dépenses, habile dans la gestion des comités,chasseur infatigable de souscriptions » ; bref, desqualités qui révèlent, selon Orwell, « les solideshommes d’affaires de la classe moyenne qu’étaientses ancêtres ». Bon sens, réalisme, esprit pratique.Dans sa lutte contre l’Empire, il aurait tout natu-rellement découvert le nerf de la guerre : la ques-tion commerciale, inaugurant en 1920 son boycott

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Le martyr 322

La « grande tuerie » 322

Le miracle de Calcutta 332

Le dernier jeûne 337

Penseur d’une modernité alternative ? 348

A N N E X E S

Cartes 354

Repères chronologiques 357

Références bibliographiques 361

Notes 365

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Gandhi Christine Jordis

Cette édition électronique du livre Gandhi de Christine Jordis

a été réalisée le 23 octobre 2012 par les Éditions Gallimard.

Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782070306732 - Numéro d’édition : 180823).

Code Sodis : N53957 - ISBN : 9782072479595 Numéro d’édition : 247216.

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