expédition au lac nipissing

2
Expédition au lac Nipissing François Castilloux La région du Nipissing était impliquée à la Guerre de 1812. Au mois de juillet 1814, une expédition armée a traversé en canot le lac Nipissing. Elle consistait de 325 hommes armés, 47 canots et une énorme quantité de fourrure. Le marchand de fourrure Gabriel Franchère a participé à cette expédition et écrit le passage suivant dans «Relation d’un voyage à la côte du Nord-Ouest de l’Amérique septentrionale, dans les années 1810» (éd. Montréal, 1820) : «Le 21, le canot sur lequel j’étais passager fut envoyé à l’entrée de la Rivière des Français, pour observer de là les mouvements de l’ennemi. Le 25, les canots, au nombre de 47, arrivèrent à l’entrée de cette rivière. La valeur des pelleteries que portait ces canots, ne pouvait pas être estimée à moins de £200,000 : prise importante pour les Américains, s’ils eussent eu mettre la main dessus. Nous nous trouvâmes au nombre de 325 hommes, tous bien armés : nous campâmes, et fîmes sentinelle toute la nuit. Le lendemain matin, nous commençâmes à remonter la Rivière des Français. Cette rivière vient du N. E. et se jette dans le Lac Huron, ou 40 lieues environ du Sault Ste. Marie. Nous campâmes le soir, sur les bords du lac Nipissingue. Nous traversâmes ce lac, le 27, fîmes ensuite plusieurs portages, et campâmes, non loin de Mataouan. Le 28, nous entrâmes, de bonne heure, dans la Rivière des Outawas. Et campâme, le soir, au Portage des deux Joachims.» Quel était cet événement? Pourquoi a t’il eut lieu? Pourquoi une expédition armée a traversé le lac Nipissing? Voici son histoire. Durant la Guerre de 1812, la Compagnie du Nord-Ouest devait transporter de riches cargaisons de fourrure de l’Ouest canadien à Montréal. Cette dernière forma une expédition armée qui transportera et protègera la fourrure. L’expédition devra pagayer vers l’est à travers les cours d’eau des Praires jusqu’au Fort William (aujourd’hui Thunder Bay) et ensuite traverser le lac Supérieur et trouver un moyen d’atteindre prudemment le fleuve St-Laurent et finalement Montréal. À ce temps, la Guerre de 1812 avait maintenant deux ans et les Grands Lacs étaient une dangereuse zone de combat. Les lacs, les rivières et les cours d’eau étaient très importants à l’époque. Les cours d’eau étaient les principales lignes de transportation, de ravitaillement et de communication alors que les chemins de fer ne s’étaient pas encore introduits au Canada à ce temps. À cet égard, les lacs et les rivières étaient véritablement les autoroutes de l’époque et le lac Nipissing n’en fait pas l’exception. Il y avait deux grandes routes qui branchaient les Grands Lacs à Montréal. L'une d'elles était la route de la rivière des Outaouais que l’expédition en question a utilisée. En fait, la route de la rivière des Outaouais traverse la rivière des Français, le lac Nipissing, la rivière des Outaouais, le fleuve St-Laurent jusqu’à Montréal. Par contre, elle n’était pas la route la plus populaire. La route la plus populaire était le corridor du lac Érié et du lac Ontario : une route en direction du sud-est partant du lac Huron et traversant le lac Érié et le lac Ontario jusqu’au fleuve St-Laurent. Elle était aussi plus large et convenait aux navires de grandes tailles. Alors,

Upload: francois-castilloux

Post on 13-Dec-2015

7 views

Category:

Documents


3 download

DESCRIPTION

Histoire du Nipissing

TRANSCRIPT

Page 1: Expédition au lac Nipissing

Expédition au lac Nipissing

François Castilloux

La région du

Nipissing était

impliquée à la

Guerre de 1812. Au

mois de juillet

1814, une

expédition armée a

traversé en canot le

lac Nipissing. Elle

consistait de 325 hommes armés, 47 canots et

une énorme quantité de fourrure. Le marchand

de fourrure Gabriel Franchère a participé à cette

expédition et écrit le passage suivant dans

«Relation d’un voyage à la côte du Nord-Ouest de

l’Amérique septentrionale, dans les années

1810» (éd. Montréal, 1820) :

«Le 21, le canot sur lequel j’étais passager fut

envoyé à l’entrée de la Rivière des Français, pour

observer de là les mouvements de l’ennemi. Le

25, les canots, au nombre de 47, arrivèrent à

l’entrée de cette rivière. La valeur des pelleteries

que portait ces canots, ne pouvait pas être

estimée à moins de £200,000 : prise importante

pour les Américains, s’ils eussent eu mettre la

main dessus. Nous nous trouvâmes au nombre

de 325 hommes, tous bien armés : nous

campâmes, et fîmes sentinelle toute la nuit. Le

lendemain matin, nous commençâmes à

remonter la Rivière des Français. Cette rivière

vient du N. E. et se jette dans le Lac Huron, ou 40

lieues environ du Sault Ste. Marie. Nous

campâmes le soir, sur les bords du lac

Nipissingue. Nous traversâmes ce lac, le 27, fîmes

ensuite plusieurs portages, et campâmes, non

loin de Mataouan. Le 28, nous entrâmes, de

bonne heure, dans la Rivière des Outawas. Et

campâme, le soir, au Portage des deux Joachims.»

Quel était cet événement? Pourquoi a t’il eut

lieu? Pourquoi une expédition armée a traversé

le lac Nipissing? Voici son histoire. Durant la

Guerre de 1812, la Compagnie du Nord-Ouest

devait transporter de riches cargaisons de

fourrure de l’Ouest canadien à Montréal. Cette

dernière forma une expédition armée qui

transportera et protègera la fourrure.

L’expédition devra pagayer vers l’est à travers

les cours d’eau des Praires jusqu’au Fort William

(aujourd’hui Thunder Bay) et ensuite traverser

le lac Supérieur et trouver un moyen d’atteindre

prudemment le fleuve St-Laurent et finalement

Montréal. À ce temps, la Guerre de 1812 avait

maintenant deux ans et les Grands Lacs étaient

une dangereuse zone de combat. Les lacs, les

rivières et les cours d’eau étaient très importants

à l’époque. Les cours d’eau étaient les principales

lignes de transportation, de ravitaillement et de

communication alors que les chemins de fer ne

s’étaient pas encore introduits au Canada à ce

temps. À cet égard, les lacs et les rivières étaient

véritablement les autoroutes de l’époque et le lac

Nipissing n’en fait pas l’exception.

Il y avait deux grandes routes qui branchaient les

Grands Lacs à Montréal. L'une d'elles était la

route de la rivière des Outaouais que l’expédition

en question a utilisée. En fait, la route de la

rivière des Outaouais traverse la rivière des

Français, le lac Nipissing, la rivière des

Outaouais, le fleuve St-Laurent jusqu’à Montréal.

Par contre, elle n’était pas la route la plus

populaire. La route la plus populaire était le

corridor du lac Érié et du lac Ontario : une route

en direction du sud-est partant du lac Huron et

traversant le lac Érié et le lac Ontario jusqu’au

fleuve St-Laurent. Elle était aussi plus large et

convenait aux navires de grandes tailles. Alors,

Page 2: Expédition au lac Nipissing

pourquoi l’expédition a utilisé la route de la

rivière des Outaouais au lieu? Durant la Guerre

de 1812, les Américains contrôlaient le lac Érié et

donc une partie du corridor. D’une autre part, la

route de la rivière des Outaouais était plus sûre.

Cette dernière était plus isolée et traversait le

Territoire indien. De plus, elle va en direction

nord-est et se branche au fleuve St-Laurent en

contournant les lacs Huron, Érié et Ontario. Un

contemporain de la guerre, Thomas H. Palmer,

écrit : «The only practicable lines of

communication with the lower country, while

the Americans were masters of Lake Erie, was

with Montreal by Outawas [River], which is

connected by means of a portage or carrying-

place, with lake Nipissing, which latter empties

itself into Huron by means of French River.»

Pour la Compagnie du Nord-Ouest, la situation

dans les Grands Lacs était inquiétante. Les

Américains n’étaient pas loin et l’expédition

devait transporter de riches cargaisons de

fourrures qui, selon Gabriel Franchère,

représentaient une «prise importante pour les

Américains». C’est pourquoi la compagnie a

assigné des hommes armés pour entreprendre

l’expédition. Dans ce cas, c’était un contingent du

Corps canadien de Voyageur que Gabriel

Franchère précise plus loin dans son ouvrage.

Ces hommes étaient à la hauteur de la tâche : ils

étaient entrainés à manier la rame et les armes à

feu. De plus, ils connaissaient les cours d’eau et la

rigueur du voyage. Le 25 juillet 1814,

l’expédition se situait devant l’embouchure de la

rivière des Français et devait faire un choix.

Devraient-ils prendre la route de la rivière des

Outaouais ou le corridor du lac Érié et du lac

Ontario? Pour l’équipage, la route de la rivière

des Outaouais était évidemment le meilleur

choix. Le 26 juillet 1814, une expédition de 325

hommes et 47 canots pleins de fourrures entra

dans la rivière des Français en direction du lac

Nipissing.

Si nous suivons Gabriel Franchère, il nous est

permis d’imaginer le déroulement suivant. Le 26

juillet, l’expédition a traversé la rivière des

Français et atteint le lac Nipissing en fin de

journée pour ensuite monter un camp. Le souper

fut servi, la coque des canots fut lubrifiée et

ensuite l’équipage s’est endormi au bruit des

vagues. Tôt le lendemain matin le 27 juillet,

l’équipage s’est levé et a jugé les eaux. Il faut être

prudent sur le lac Nipissing. Ses vagues sont

rudes et particulièrement imprévisibles.

L’équipage décida d’entreprendre le périple. Le

déjeuner fut servi, le camp fut démonté, les

canots furent remis à l’eau et les cargaisons

furent rechargées. Sous un ciel d’été, l’expédition

a traversé le lac Nipissing. Le bruit rythmique

des rames et des chansons des voyageurs faisait

certainement écho sur le lac.

Cet événement est important pour l’histoire de la

région du Nipissing. Par contre, cette histoire

n’est pas complète et l’ouvrage de Gabriel

Franchère manque de précision. Selon lui, «Nous

campâmes le soir, sur les bords du lac

Nipissingue.», mais n’indique pas l’endroit exact

du camp. De plus, les fouilles archéologiques

autour du lac Nipissing n’ont rien dévoilé à ce

sujet. Malheureusement, l’endroit exact du camp

demeure un mystère. Comme nous pouvons le

constater, l’histoire de cette traversée est

incomplète. D’autres documents d’appui doivent

être trouvés. Il y a quelques hypothèses, mais le

sujet mérite plus de discussion. La région du

Nipissing était impliquée à la Guerre de 1812 et

cette expédition armée fait partie de son histoire.