erri de luca relaxé sabotage

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Erri de Luca relaxé. Voilà une bonne nouvelle qu’on a apprise hier. Et le célèbre écrivain italien, accusé d’incitation au sabotage, risquait une peine assez lourde de huit mois de prison ferme. C’était la peine requise par le procureur, pour les positions qu’il avait prises face à la construction de la ligne de train à grande vitesse reliant Lyon à Turin. En effet l’écrivain est fortement opposé à la construction de cette ligne, jugée trop chère et dangereuse pour l’environnement. Il n’est pas seul d’ailleurs à avoir cette opinion. Alors on voit bien que cela concerne d’abord la politique et la langue italiennes. Mais c’est le mot sabotage qui est utilisé en français, pour exprimer qu’on détruit ou qu’on abîme quelque chose pour empêcher un projet de se réaliser. C’est ça le sens dans lequel on comprend le mot aujourd’hui. Le mot saboter dans ce sens existe depuis plus d’un siècle, mais il possède d’autres sens figurés : faire mal quelque chose, bâcler un travail, ne pas le soigner. Puis on passe de l’idée de gâcher un travail qu’on fait à celle de faire en sorte d’en faire échouer le résultat, de le « bousiller » comme on dit familièrement depuis longtemps – bousiller est un vieux verbe en français. Et puis, surtout pendant la dernière guerre le mot a pris un sens plus précis : il s’agissait, notamment dans le monde ferroviaire d’ailleurs, de rendre impraticables les communications pour gêner l’occupant allemand. Donc le mot n’a pas qu’une mémoire négative, il porte aussi des souvenirs héroïques. Mais son origine est compliquée et elle a beaucoup intrigué les spécialistes du langage. On sait tous ce que c’est qu’un sabot ! Eh bien saboter et sabotage viennent directement de ce mot… Comment ce drôle de détour a-t-il pu s’effectuer ? Le mot de départ se rattache peut-être à crapaud, et en tout cas, il est associé à l’idée de laideur : un objet mal fait, un peu grossier. Les crapauds n’ont pas très bonne réputation. Alors l’objet sabot depuis longtemps désigne cette chaussure taillée tant bien que mal dans un bloc de bois. On sait d’autre part que les paysans ont souvent été considérés d’un peu haut par ceux qui vivent en ville, censés être plus raffinés. Le sabot est souvent le symbole de cette prétendue lourdeur. On en tire quelques expressions : - avoir les deux pieds dans le même sabot, c’est à dire être un peu benêt, un peu empoté (mais précisons que l’expression est couramment utilisée à la négative, comme un compliment : « il n’a pas les deux pieds dans le même sabot »), - avoir du foin dans ses sabots, (et on dit plus couramment dans ses bottes) c’est avoir mis de l’argent de côté, - et puis dernière expression « vous ! Je vous vois venir, avec vos gros sabots ». Ça fait allusion à la lourdeur de celui qui voudrait être fin, qui veut amener subtilement une demande, mais qui se laisse tout de suite deviner.

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Page 1: Erri de Luca Relaxé Sabotage

Erri de Luca relaxé.

Voilà une bonne nouvelle qu’on a apprise hier. Et le célèbre écrivain italien, accusé d’incitation au sabotage, risquait une peine assez lourde de huit mois de prison ferme. C’était la peine requise par le procureur, pour les positions qu’il avait prises face à la construction de la ligne de train à grande vitesse reliant Lyon à Turin. En effet l’écrivain est fortement opposé à la construction de cette ligne, jugée trop chère et dangereuse pour l’environnement. Il n’est pas seul d’ailleurs à avoir cette opinion.

Alors on voit bien que cela concerne d’abord la politique et la langue italiennes. Mais c’est le mot sabotage qui est utilisé en français, pour exprimer qu’on détruit ou qu’on abîme quelque chose pour empêcher un projet de se réaliser. C’est ça le sens dans lequel on comprend le mot aujourd’hui.

Le mot saboter dans ce sens existe depuis plus d’un siècle, mais il possède d’autres sens figurés : faire mal quelque chose, bâcler un travail, ne pas le soigner. Puis on passe de l’idée de gâcher un travail qu’on fait à celle de faire en sorte d’en faire échouer le résultat, de le « bousiller » comme on dit familièrement depuis longtemps – bousiller est un vieux verbe en français. Et puis, surtout pendant la dernière guerre le mot a pris un sens plus précis : il s’agissait, notamment dans le monde ferroviaire d’ailleurs, de rendre impraticables les communications pour gêner l’occupant allemand. Donc le mot n’a pas qu’une mémoire négative, il porte aussi des souvenirs héroïques. Mais son origine est compliquée et elle a beaucoup intrigué les spécialistes du langage.

On sait tous ce que c’est qu’un sabot ! Eh bien saboter et sabotage viennent directement de ce mot… Comment ce drôle de détour a-t-il pu s’effectuer ?

Le mot de départ se rattache peut-être à crapaud, et en tout cas, il est associé à l’idée de laideur : un objet mal fait, un peu grossier. Les crapauds n’ont pas très bonne réputation. Alors l’objet sabot depuis longtemps désigne cette chaussure taillée tant bien que mal dans un bloc de bois. On sait d’autre part que les paysans ont souvent été considérés d’un peu haut par ceux qui vivent en ville, censés être plus raffinés. Le sabot est souvent le symbole de cette prétendue lourdeur.

On en tire quelques expressions : - avoir les deux pieds dans le même sabot, c’est à dire être un peu benêt, un peu empoté (mais précisons que l’expression est couramment utilisée à la négative, comme un compliment : « il n’a pas les deux pieds dans le même sabot »), - avoir du foin dans ses sabots, (et on dit plus couramment dans ses bottes) c’est avoir mis de l’argent de côté, - et puis dernière expression « vous ! Je  vous vois venir, avec vos gros sabots ». Ça fait allusion à la lourdeur de celui qui voudrait être fin, qui veut amener subtilement une demande, mais qui se laisse tout de suite deviner.

Avertissement ! Ce texte est le document préparatoire à la chronique Les Mots de l’Actualité. Les contraintes de l’antenne et la durée précise de la chronique rendent indispensables un aménagement qui explique les différences entre les versions écrite et orale.

Coproduction du réseau CANOPÉ.http://www.reseau-canope.fr/