epistemologia teoriei conspiratiei
DESCRIPTION
francezaTRANSCRIPT
1 / 16
Cogmaster M2 Pierre Bonnier ENS – EHESS – Paris V [email protected] Ministage bibliographique Sous la direction de Gloria Origgi (IJN)
Épistémologie des théories du complot À chaque catastrophe naturelle, à chaque décès d'une personnalité, à chaque attentat,
circulent sur la toile des rumeurs, qui, preuves à l'appui, prétendent expliquer ces événements
à la lumière d'une "théorie du complot". Que ce soit la NSA, la CIA, les Juifs ou les
Illuminati, à chaque fois c'est un petit groupe d'individus bien identifié qui serait secrètement
à l'oeuvre derrière les événements. Un des aspects les plus frappants de ces théories est sans
doute le contraste entre la bonne volonté épistémique de leurs partisans et leur caractère pour
le moins douteux ou fantaisiste. Pour tenter de rendre compte de ce phénomène, diverses
approches disciplinaires sont possibles : historiques, sociologiques, anthropologiques,
psychologiques, etc. Nous proposons de nous arrêter sur la question de leur épistémologie.
Etudier les caractéristiques formelles des théories du complot peut en effet nous informer sur
leur validité intrinsèque, mais c'est également un travail préparatoire indispensable pour
comprendre la dynamique des biais cognitifs qui les accompagnent : ceux-ci sont très
certainement à mettre en lien avec les caractéristiques épistémiques de ces théories. Aussi
nous a t-il semblé pertinent d'étudier la littérature philosophique qui depuis la fin des années
1990 s'est proposée de prendre comme objet d'études les théories du complot en se
demandant si celles-ci pouvaient être à rejeter prima facie – comme le voudrait la sagesse
populaire1.
Dans cette perspective, nous nous attacherons dans un premier temps à tenter de
donner une définition à ces théories. Nous étudierons les arguments que les philosophes ont
avancés pour tenter de les disqualifier, à la fois sur un plan logique et sur un plan plus
1 L'étiquette "théorie du complot" est même devenue une manière rhétorique de décrédibiliser une thèse
adverse. Par exemple Tony Blair, alors qu'il était mis en difficulté par la commission Chilcot qui enquête sur les
conditions du déclenchement de la guerre en Irak, a déclaré que les critiques à l'encontre de cette guerre
relevaient d'une obsession pour les théories du complot (Groves, 2010).
2 / 16
pragmatique. Nous terminerons en examinant comment certains auteurs ont ensuite essayé de
mettre en lien ces arguments avec la psychologie cognitive.
1. Définition
Un des premiers philosophes à avoir tenté de définir ce qu'est une théorie du complot
est Brian Keeley en 1999 :
« [A conspiracy theory is] proposed explanation of some historical event (or
events) in terms of the significant causal agency of a relatively small group of
persons – the conspirators – acting in secret »
De nombreux autres auteurs ont commenté cette définition et/ou ont proposé la leur
(Bashman, 2001, 2003 ; Clark, 2002, 2007 ; Coady, 2003 ; Dentith, 2012 ; Levy, 2007 ;
Mandik, 2006 ; Pigden, 1995). Quatre caractéristiques fondamentales des théories du complot
font notamment consensus :
(1) Ce sont des « théories » : elles proposent une explication, autrement dit elles exposent
des causes permettant de rendre compte de phénomènes.
(2) Ces théories portent sur des évènements historiques, c’est-à-dire passés et particuliers.
Mandik (2007) écrit ainsi que ce sont des tokens et non des types.
(3) Ces théories se réfèrent à des états mentaux d’agents afin de rendre compte de ces
évènements. Ceux-ci sont donc présentés comme la conséquence d’actions
intentionnellement menées par un groupe de personnes.
(4) Ce groupe doit avoir la volonté de garder secrets ses intentions et ses agissements. Il a
donc la volonté explicite de tromper ceux qui ne font pas partie du complot, autrement
dit de "faire croire quelque chose qui n’est pas vrai".
Si ces quatre points permettent déjà de cerner de manière relativement précise la nature des
théories du complot, certains auteurs ont proposé d'ajouter d'autres aspects, mais qui restent
controversés :
(5) Le groupe désigné comme complotiste est constitué d’un nombre restreint de
personnes. Cette caractéristique introduite par Keeley (1999) est contestée par Coady
(2003) qui avance qu'une théorie du complot paranoïaque, c'est-à-dire qui implique
3 / 16
quasiment l'ensemble de la population, est une théorie du complot "par excellence". Il
est vrai que rien n'interdit en soi cette possibilité. Tout ce que l'on peut dire c'est que
la probabilité qu'une théorie du complot soit vraie est inversement proportionnelle
avec le nombre de personnes impliquées qu'elle postule. De fait (et non de jure), la
plupart des théorie du complot postulent un groupe restreint de complotistes à
l'œuvre.
(6) Certains auteurs (Bashman, 2003 ; Coady, 2003 ; Levy, 2007) avancent que les
théories du complot se présentent comme des alternatives concurrentes à des
"versions officielles" ou des thèses communément admises (received views). Il est
vrai qu'il semble impropre de qualifier de théories du complot les complots dont
l'existence fait consensus aujourd'hui, comme l'Holocauste2 (Coady, 2003). Cette
restriction n'est peut-être qu'une question d'échelle temporelle. En effet, si l'on
suppose l'existence d'un complot au moins en partie réussi, alors on peut en déduire
que ce dernier a réussi, au moins dans un premier temps, à cacher le résultat de ses
actions. Autrement dit : les complotistes ont réussi pendant un certain temps à
tromper la version communément admise des faits. Ainsi, il est raisonnable de penser
que toute théorie d'un complot au moins en partie réussi doit dans un premier temps
affronter une version officielle avant de finir par s'imposer (ou non).
(7) D'autres auteurs (Pigden, 1995 ; Bashman, 2003) affirment par ailleurs que les
théories du complot font toujours l'hypothèse d'intentions malveillantes. De jure
pourtant, rien n'empêcherait que des complots bien intentionnés puissent exister. Mais
de facto, il n'existe pas à notre connaissance de théorie du complot qui postulerait un
groupe d'individus oeuvrant secrètement pour le bien de la population. Deux raisons
sans doute à cela. D'une part nous ne cherchons pas activement à démasquer ce type
de complot : il semble en effet que nous soyons plus enclins à chercher des causes aux
événements malheureux qui nous arrivent qu'à ceux qui sont heureux3. D'autre part,
les complots bienveillants doivent être très rares : garder secret ses actions est
2 Hannah Arendt (2000) raconte par exemple ne pas avoir entendu parler des camps avant 1943, et de n’avoir
commencé à y accorder crédit que six mois plus tard. 3 Voir à ce sujet la discussion ouverte par Dan Sperber à l'occasion d'un billet intitulé Why are human beings so
interested in explaining misfortune?! (http://www.cognitionandculture.net/home/blog/35-pascals-blog/821-why-
are-human-beings-so-interested-in-explaining-misfortune, consulté le 23 décembre 2013)
4 / 16
coûteux, pourquoi dès lors se donner cette peine sinon parce que l'on sait que notre
action peut déplaire ?
Il serait sans doute trop téméraire de prétendre que ces quatre ou même sept caractéristiques
constituent les conditions nécessaires et suffisantes pour définir ce qu'est une théorie du
complot. Néanmoins ils ont l'avantage de cerner de manière relativement précise le
phénomène, et de fournir une base opératoire pour en discuter les enjeux.
2. Les théories du complot sont-elles épistémiquement valides ?
Les philosophes qui ont travaillé sur les théories du complot ont voulu examiner leur
nature épistémique afin de déterminer si celle-ci contiendrait des erreurs qui permettraient de
rejeter l'ensemble de ces théories de manière a priori. Cette idée tire directement son
inspiration d'une démonstration de Hume (1748) qui s'attache à prouver que les explications
faisant appel à des miracles sont par définition à écarter. Le philosophe britannique a montré
en effet que la véracité des miracles dépend crucialement de témoignages, or ceux-ci ne sont
fiables qu'en vertu de la loi de l'expérience et ne sont donc jamais tout à fait certains. Il en
déduit que les témoignages ne peuvent jamais faire le poids face à une loi de la nature. Or,
comme par définition les miracles violent des lois de la nature, Hume en conclut qu'ils sont à
rejeter, du fait de leur nature même. Ainsi les philosophes contemporains se sont demandé si
un raisonnement analogue ne pourrait pas être tenu à propos théories du complot.
Il est vrai que le modèle humien semble bien fonctionner pour une certaine classe de
théories du complot : ceux qui sont si parfaitement réussies qu'elles sont indétectables
(Keeley, 2003). Ces théorie du complot sont donc atteignables uniquement par pur hasard :
aussi il est évident qu'elles ne doivent pas être crues. Mais la plupart des théories du complot
qui circulent actuellement prétendent posséder des preuves tangibles du complot, sous-
entendant ainsi que ce dernier a nécessairement failli en quelque endroit. Qui plus est, une
simple observation de l'histoire nous apprend que des théories du complot se sont déjà
révélées vraies par le passé. Or, jusqu'à ce jour aucun miracle n'a pu être prouvé : l'argument
de Hume semble ne pas pouvoir s'appliquer aux théories du complot, du moins en l'état.
Une stratégie possible pour contourner cet argument (Keeley, 1999 ; Coady, 2003 ;
Levy, 2007) a consisté à dire que les théories du complot auxquelles nous sommes confrontés
aujourd'hui sont d'une nature différente de celles qui se sont révélées vraies par le passé –
5 / 16
comme nous l'avons vu pour la caractéristique (6). Mais ce n'est faire que déplacer le
problème : si la définition des théories du complot ne s'applique plus à l'affaire du Watergate
telle qu'elle est aujourd'hui, elle s'applique néanmoins à la thèse que soutenaient Bernstein et
Woordward à leur début en 1974.
Comme le souligne Keeley (2003), il faut donc composer avec ce fait : les théories du
complot sont logiquement possibles – sur un plan métaphysique rien ne s'oppose à leur
validité. Si l'on veut tenter des les discréditer prima facie, il va donc falloir s'aventurer sur le
terrain de leur épistémologie : examiner leur structure argumentative et vérifier qu'il n'y a pas
quelque chose de fondamentalement bancal. Trois hypothèses ont été avancées en ce sens.
(1) les théories du complot sont infalsifiables
Une première idée consiste à dire que les théories du complot sont infalsifiables : elles
semblent en effet pouvoir parer à toutes les critiques car elles ont toujours la possibilité de
dire que les reproches qui leur sont adressés émanent d'individus qui sont sous l'influence du
complot. Si tel est le cas, il semble alors qu'elles ne répondent pas aux critères de scientificité
de Popper, et donc que nous pouvons les écarter prima facie. C'est une thèse soutenue par
exemple par le sociologue Pierre-André Taguieff (2005). Keeley (1999) montre néanmoins
que cette accusation ne tient pas. En effet, d'une part nous ne pouvons pas considérer comme
ad hoc les réponses des théories du complot face aux attaques : bien au contraire, elles
prédisent exactement que les complotistes vont chercher à les discréditer pour tenter de
continuer à masquer leurs actions. D'autre part, et de manière plus décisive, le critère de
falsifiabilité ne peut s'appliquer qu'aux sciences naturelles et non à des théories ayant trait à
des phénomènes sociaux : contrairement aux neutrons, les complotistes cherchent activement
à masquer leur véritable nature. Keeley démontre ainsi que l'argument de l'infalsifiabilité ne
peut jouer pour les théories du complot.
(2) les théories du complot sont des programmes de recherche ayant dégénérés
Une autre tentative d'écarter les théories du complot en vertu de leur épistémologie a
été proposée par Clark (2002). Il s'appuie pour cela sur la théorie des programmes de
recherche développée par Lakatos (1975) à la suite des travaux de Kuhn (1963). Selon celle-
ci, un programme de recherche consiste en un jeu de propositions formant un noyau autour
duquel gravitent d'autres propositions moins centrales. Si le paradigme est valide, il doit
pouvoir faire des prédictions et rétrodictions correctes. Mais s'il dégénère, ces dernières ne
6 / 16
peuvent plus être produites, et des données entrant en contradiction avec le noyau du
programme de recherche sont évacuées via des hypothèses auxiliaires ad hoc afin de le
protéger. Clark reconnait que dans le domaine des sciences sociales, il n'est souvent pas
attendu des théories qu'elles puissent avoir un aspect prédictif et rétrodictif, mais il affirme
qu'il est néanmoins possible de s'attendre à certaines conséquences qu'implique la théorie. Or,
pour ce qui concerne les théories du complot, il serait raisonnable de s'attendre à ce qu'elles
impliquent que de fuites adviennent parmi les personnes impliquées dans le complot. La
probabilité qu'une indiscrétion finisse par advenir devrait même très fortement augmenter
dans les années qui suivent le complot. Mais bien que ces fuites n'arrivent toujours pas, les
partisans des thèses complotistes persistent dans leur croyance. Aussi Clark en conclut que
les théories du complot sont des programmes de recherche ayant dégénéré et qu'il faut
abandonner les hypothèses qu'elles soutiennent.
Ce raisonnement est néanmoins critiquable à deux titres. D'une part, il fait le postulat
contestable qu'un complot doit nécessairement fuiter un jour (Bashman, 2003). D'autre part, il
ne permet d'exclure qu'une certaine classe de théories du complot – celles qui auraient
dégénéré. D'autres sont donc valides ou en attente de validation. En outre, l'absence de
critères précis pour distinguer les théories ayant dégénéré des autres (à partir de quand
l'absence de fuite devient invraisemblable ?) rend d'autant plus difficile une application
pratique de la thèse de Clark.
(3) les théories du complot sont nihilistes
Certains auteurs avancent que les théories du complot nous engageraient sur une pente
glissante : y souscrire reviendrait in fine à souscrire à un scepticisme généralisé. Pour le
montrer Keeley (1999) met en avant la nature profondément sociale de notre savoir : la très
grande majorité de ce que nous savons, nous le tenons d'autrui – nous l'avons appris via les
institutions publiques, les médias, ou divers acteurs rencontrés. Or, souscrire à une théorie du
complot implique de s'opposer à la version officielle des faits, et donc de remettre en cause
une partie des institutions desquelles nous tirons ordinairement notre savoir. Si cette remise
en cause est localisée, nous pourrions la tolérer. Mais selon Keeley, à mesure qu'une théorie
du complot progresse dans le temps sans parvenir à s'imposer, elle est obligée de postuler
l'implication d'un nombre grandissant de personnes et d'institutions dans le complot, jusqu'à
remettre en question l'ensemble de notre savoir. Les théories du complot finiraient donc par
nous faire douter que « l'ornithorynque est un mamifère et l'or un élément atomique » (p.16).
7 / 16
Dans la même perspective, Levy (2007) insiste sur le fait que non seulement le témoignage
joue un rôle central dans la justification de nos connaissances, mais les techniques mêmes de
justification qui sont les nôtres nous viennent d'autrui. Aussi, en vertu d'une nécessaire
humilité épistémique il faudrait selon lui rejeter les théories du complot car y souscrire
impliquerait de se couper de nos outils de connaissance, et donc la ruine de tout notre savoir :
« cutting ourselves off from the networks and means of knowledge production is not
merely cutting ourselves off from testimony, and it does not merely breed scepticism
and distrust. It is, far more radically, cutting ourselves off from our own best
epistemic techniques and resources »
Ainsi il vaudrait toujours mieux selon lui se fier aux "autorités épistémiques pertinentes",
même s'il leur arrive parfois de se tromper, le risque étant sinon d'être obligé de devenir
nihiliste.
Bashman (2003) montre cependant que les arguments de Keeley et de Levy ne sont
pas décisifs pour réfuter les théories du complot : qui sait si nos institutions sont si fiables que
cela ? – elles ont aussi leurs propres intérêts à défendre. Quand bien même une théorie du
complot impliquerait de remettre en cause l'ensemble des institutions officielles, cela ne
constitue pas une raison suffisante pour l'écarter – rien ne l'interdit d'un point de vue
métaphysique. Mais le fait même que les théories du complot impliqueraient une forme de
scepticisme est déjà une idée fausse : le but des théories du complot n'est pas de jeter le doute
sur nos connaissances, mais de proposer une véritable explication alternative du monde
(Coady, 2003). Autrement dit, si les théories du complot peuvent détruire certains de nos
systèmes de croyance, c'est pour mieux les remplacer : cela ne saurait aboutir à une
quelconque forme de nihilisme. Plus fondamentalement encore, il est également possible de
remettre en question l'idée que les théories du complot auraient une tendance intrinsèque à
jeter le discrédit sur des pans toujours plus vastes de notre connaissance. Si de fait un certain
nombre d'entre elles le font, rien dans la nature de ce qu'est une théorie du complot ne
l'implique de droit (Clark, 2002). Pour expliquer par exemple pourquoi la presse ne dénonce
pas un complot, il y a en effet toujours au moins deux hypothèses possibles : c'est parce
qu'elle fait partie du complot... ou bien parce qu'elle se fait involontairement leurrer encore
par ce dernier. Qui plus est, il est dans l'intérêt des complotistes de tromper minimalement
l'opinion publique (Clark, 2002) : ils limitent de cette manière les coûts ainsi que les risques
8 / 16
d'être découverts. Au contraire, ils ont tout intérêt à ce que la vérité soit le plus possible
préservée afin de mieux dissimuler leurs intentions et leurs actions.
3. Les théories du complot sont-elles invraisemblables ?
Ces trois arguments pour rejeter les théories du complot sur la seule base de leur
épistémologie ne semblent donc pas être concluants. Un autre angle d'approche qui a souvent
été pris par les philosophes est de montrer, étant donné la manière dont le monde fonctionne,
que la probabilité qu'un complot réussisse est très faible, et qu'il ne soit pas rapidement
découvert encore plus plus faible. Nous avons recensé deux arguments de ce type.
(1) Nos volontés sont faites... toujours approximativement
Karl Popper écrit en 1965 :
« [..] it is one of the striking things about social life that nothing ever comes off
exactly as intended. Things always turn out a little bit differently. We hardly ever
produce in social life precisely the effect that we wish to produce, and we usually get
things that we do not want into the bargain »
Le résultat de nos volontés n'étant jamais tout à fait identique à celui escompté, il en
découlerait que les théories du complot feraient des hypothèses peu réalistes. Pigden (1995)
montre cependant que même si aucun complot ne parvient exactement à ses fins, cela ne les
empêche pas de pouvoir exister, et même d'influencer significativement le cours de l'histoire.
Qui plus est, il n'est pas contradictoire pour une théorie du complot d'accorder une place à
l'imprévu dans ses explications. Sans doute que certaines théories du complot surestiment les
capacités de planification des agents, mais il ne semble pas que cet argument soit décisif
contre les théories du complot.
(2) Les fuites sont inévitables
Keeley (1999) affirme que les théories du complot supposent des capacités de
contrôle des agents peu vraisemblables. En particulier, la probabilité que le secret finisse par
être dévoilé est très élevé, et il s'accroît même rapidement d'année en année jusqu'à rendre
l'hypothèse du complot quasiment impossible si rien de tangible ne fuite. Il ajoute que si
certes une absence de preuve ne constitue généralement pas une preuve en soi, lorsque cette
9 / 16
preuve est activement cherchée mais qu'elle demeure introuvable alors il est légitime de
considérer cet état de fait comme une preuve à part entière contre les théories du complot. Le
problème avec cette thèse est le même que pour celle du programme de recherche dégénéré
de Clark : il est difficile de déterminer à partir de quel lapse de temps il est légitime de
considérer que l'absence de fuite n'est plus suffisamment réaliste par rapport à l'hypothèse
complotiste.
Plus généralement, la critique qui peut être adressée à ces deux arguments est qu'il est
toujours difficile d'évaluer concrètement les probabilités qu'ils avancent. Aussi il est aisé pour
Bashman (2003) d'avancer que nous ne savons en réalité pas quel est le degré de transparence
(openness) de nos sociétés. Au contraire pour lui, il y a de sérieuses raisons de penser que la
probabilité a priori qu'il existe des complots dans notre société est très élevée. En témoigne
par exemple d'après lui l'existence des institutions aux activités ouvertement secrètes (type
NSA). Le fait qu'il existe des cas d'infidélités conjugales où plusieurs personnes sont au
courant mais se taisent, les nombreux cas d'espionnage industriel, de fausses rumeurs
délibérément répandues, les trucages de votes... sont tout autant de faits qui devraient, selon
Bashman, nous incliner à croire que les complots sont beaucoup plus courants que nous
pourrions le penser. Certes, ces arguments sont contestables ; par exemple, comme le
souligne Keeley (2003) il y a un hiatus évident entre une infidélité conjugale et organiser une
fausse mission lunaire. Mais Bashman a le mérite de montrer qu'il est difficile, en l'absence
de données plus précises, de se prononcer sur la vraisemblence ou non des complots supposés
par les théories. Tout juste pouvons-nous spéculer sur des probabilités, mais ce n'est sans
doute pas suffisant pour discréditer l'ensemble des théories du complot.
4. Se tourner vers les partisans des théories du complot : perspectives psychologiques
C'est face au peu de succès des arguments pour rejeter de manière a priori les théories
du complot que certains philosophes se sont intéressés à la psychologie des partisans des
théories du complot pour rendre compte de ce qui nous semble suspect chez ces dernières.
(1) L'erreur fondamentale d'attribution
Clark (2002) est le premier à s'être aventuré dans cette voie, en se réfèrant à une série
de travaux effectués à partir de la fin des années 60 (Jones & Harris, 1967 ; Darley & Batson,
10 / 16
1973 ; Nisbett & Ross, 1980, 1991; Ross & Anderson, 1982 ; Gilbert & Malone, 1995) sur un
biais cognitif nommé "erreur fondamentale d'attribution". D'après celui-ci, un individu serait
davantage enclin à expliquer un comportement par des facteurs dispositionnels (liés aux états
mentaux de l'individu) plutôt que situationnels (liés à des facteurs externes). Plus grave, il
semblerait que même lorsque les individus sont conscients de ce biais, il ne parviennent pas
pour autant à corriger leur raisonnement (Pietromonaco & Nisbett, 1982). Or, Clark remarque
que les théories du complot font toujours référence à des explications dispositionnelles tandis
que les versions officielles sont très souvent de type situationnelles. Il en conclut que les
théoriciens du complot doivent constituer un groupe de la population particulièrement enclin
à ce biais cognitif. En conséquence, les théories du complot ne pourraient se révéler vraies
que par simple chance, car le processus épistémique qui conduit à les formuler ne serait pas
rationnel.
Plusieurs critiques ont été adressées à cette thèse. D'une part, les expériences de
psychologie sur lesquelles elle s'appuie ne sont pas exemptes de critiques, comme le montre
Coady (2003) et comme le reconnaît Clark lui-même (2006). D'autre part, Coady (2003)
avance qu'il est paradoxal de faire appel à l'erreur fondamentale d'attribution pour expliquer
les théories du complot car c'est alors soi-même tomber dans ce biais. Mais il commet ici un
sophisme : un biais cognitif ne peut pas s'appliquer à une proposition comme on applique un
théorème. Cela a néanmoins le mérite de pointer du doigt certaines ambiguïtés du
raisonnement de Clark, qui peut notamment être perçu comme une pétition de principe : les
théories du complot seraient nécessairement fausses... parce qu'elles font de mauvaises
attributions de causalité. Un biais cognitif est toujours statistique : il ne signifie pas que
systématiquement les individus tombent sous son coup. Aussi est-il très certainement
possible que des individus puissent formuler des théories du complot de manière tout à fait
rationnelle – sans être sujets à ce biais. En outre, affirmer qu'une frange de la population
serait davantage sujette à celui-ci relève de la pure spéculation. Bien au contraire, le fait que
les théories du complot soient soutenues par de nombreux individus issus de milieux très
variés incite plutôt à écarter les hypothèses qui les pathologisent (Jolley, 2013).
L'échec de Clark tient sans doute à sa méconnaissance de la psychologie cognitive. Il
montre néanmoins que la stratégie consistant à reléguer entièrement le problème des théories
du complot à cette discipline conduit à une impasse. Les travaux de Boudry et Braeckman
(2012) vont prouver que l'emploi de la psychologie cognitive doit en réalité se nourrir de
l'épistémologie des théories du complot pour être pertinente.
11 / 16
(2) Bâtir un pont entre épistémologie et psychologie cognitive
Boudry et Braeckman (2012) ont en effet proposé un modèle articulant des éléments
de psychologie cognitive, d'épidémiologie des croyances et d'épistémologie pour rendre
compte de la propagation de croyances "déviantes" comme la parapsychologie ou la
pseudoscience. Leur argument général peut être résumé comme suit : certaines croyances,
notamment parce qu'elles ont pour caractéristique épistémique de s'auto-valider (self-
validating), ont une plus grande chance d'être adoptées et de se diffuser (succès
épidémiologique) du fait d'un certain nombre de biais cognitifs auxquels les individus sont
sujets. Leur entreprise consiste dès lors à repérer les interactions qui existent entre les
caractéristiques épistémiques d'une théorie et des biais cognitifs. Les propos de Boudry et
Braeckman ne portent pas spécifiquement sur les théories du complot, même si celles-ci sont
parfois prises en exemple, mais nous allons tenter de voir comment leur modèle peut s'y
appliquer.
Les deux auteurs relèvent par exemple tout au long de leur article un certain nombre
de biais cognitifs qui ont pour effet de nous faire persévérer dans notre croyance. Il y a certes
le biais de confirmation : cette tendance que nous avons à éviter de nous retrouver confrontés
à des arguments ou des preuves entrant en contradiction avec nos croyances (Nickerson,
1998), voire à ne pas vouloir remarquer qu'il y a contradiction (Benassi, Singer & Reynolds,
1980). Mais plus spécifiquement, Boudry et Braeckman évoquent la tendance que nous avons
à vouloir préserver nos croyances tout en restant rationnels (Kunda, 1990 ; Tavris &
Aronson, 2008 ; Von Hippel & Trivers, 2011). Nous essayons en effet de réduire au
maximum la dissonance cognitive qu'exercent les preuves ou arguments contre nos croyances
en faisant appel à des hypothèses ad hoc – plusieurs études montrent que nous sommes
particulièrement doués pour en produire (Ross, Lepper, Strack & Steinmetz, 1977 ; Gilovich,
1991 ; Tumminia, 1998). Cette volonté de préserver une illusion d'objectivité pourrait
s'expliquer d'ailleurs par la volonté de garder une bonne image de soi : nous aimerions à
penser que nous sommes cohérents et impartiaux (Aronson, 1992).
Le problème des théories du complot proviendrait dès lors de leur tendance à s'auto-
valider qui rendrait le processus de rationalisation face aux critiques très facile pour leurs
partisans. Boudry et Braeckman remarquent en effet que toute preuve avancée contre une
théorie du complot peut en effet être retournée à son avantage, car elle prédit justement que
les complotistes tentent de maquiller les preuves de leurs actions. Qui plus est, lorsqu'elles
12 / 16
sont confrontées à un certain scepticisme les théories du complot peuvent toujours balayer les
arguments de leurs adversaires en les accusant de faire précisément partie du complot. Ces
mécanismes de défense épistémique permettent donc de parer très facilement à toute critique,
et incitent fortement les partisans des théories du complot à persévérer dans leur croyance, en
dépit même du bon sens parfois. Non pas que ces derniers utiliseraient délibérément ces
outils rhétoriques, précisent les deux auteurs, mais ce serait plutôt la logique épistémique
même des théories du complot qui conduit à leur emploi. Ainsi s'expliquerait le relatif succès
culturel qu'elles connaissent.
L'article de Boudry et Braeckman suggère également qu'il existe un autre type de biais
cognitifs qui sont susceptibles d'interagir avec des caractéristiques des théories du complot et
de rendre ces dernières particulièrement attractives. Il s'agit de la tendance de certains de nos
modules de détection à produire des faux-positifs (la présence de leur objet est une
connaissance si utile qu'il est plus avantageux de la surestimer que de risquer de la manquer).
Par exemple, notre mécanisme de détection d'agent nous incline à voir des causes
intentionnelles là où il n'y en a pas (Guthrie, 1993 ; Barrett, 2000 ; Atran, 2002 ; Barrett,
2004). Or, les théories du complot ont justement cette propriété d'attribuer la cause d'un
événement aux intentions d'un groupe d'individus : aussi sommes-nous susceptibles d'y
souscrire davantage que de raison (ceci rejoint l'argument Clark, mais avec une formulation
plus rigoureuse). De la même manière, notre système de prévention contre le danger (hazard-
precaution system) a tendance à produire des faux-positifs pour reconnaître des situations à
risque (Lienard & Boyer, 2006). Cela s'applique aux théories du complot : détecter le
complot qu'elles postulent nous préserve d'un danger car elles sont généralement
malveillantes. Enfin, notre capacité à reconnaitre des schémas récurrents (pattern detection)
qui nous permet notamment d'inférer des causes (Gilovich, 1991) explique sans doute notre
difficulté à accepter la part de contingence due au hasard. Or, les théories du complot ont
justement cette tendance à chercher des causes là où il faudrait accepter qu'il s'agit seulement
de l'oeuvre du hasard ("Shit happens" pour reprendre le titre de l'article de Mandik). En
activant ces trois modules de détection les théories du complot sont donc plus attractives à
notre esprit que ne le seraient d'autres, ce qui accroît leurs chances de succès, mais le risque
qu'il s'agisse de faux-positifs est non négligeable.
Le modèle de Boudry et Braeckman permet donc de penser les théories du complot
dans leur interaction avec nos biais cognitifs et ainsi d'expliquer à la fois leur succès relatif et
pourquoi leurs partisans persistent dans leur croyance en dépit du bon sens. Il reste sans doute
13 / 16
à compléter. L'aspect "thèse unificatrice" (explanatory completeness) des théories du complot
(elles proposent une cause unique pour expliquer une pluralité de faits) évoquée par Keeley
(1999) et Bashman (2001) est sans doute une première piste.
En passant en revu la littérature philosophique de ces quinze dernières années sur les
théories du complot, il semble manifeste qu'il n'y ait rien à redire quant à leur épistémologie :
aucun élément ne semble pouvoir les disqualifier prima facie. C'est déjà un résultat
intéressant en soi, mais ces travaux ouvrent également d'autres perspectives. Comme le
montrent Boudry et Braeckman, l'étude des caractéristiques épistémiques des théories du
complot peut également être utilisée pour montrer comment celles-ci intéragissent avec
certains de nos biais cognitifs. Les deux auteurs proposent en effet de mettre en rapport des
résultats connus de psychologie cognitive avec certains traits des théories du complot. Si leur
modèle semble prometteur, il reste néanmoins à réaliser des expériences qui porteraient
spécifiquement sur les théories du complot. Est-ce que faire varier le nombre de complotistes
impliqués modifie l'effet du module de détection d'agent ? Tel est par exemple le type de
questions auxquelles nous pourrions ainsi répondre.
14 / 16
Bibliographie :
‣ Arendt, H. (2000). What Remains? The Language Remains. In P. Baehr (ed.), The
Portable Hannah Arendt, pp. 3–22. Harmondsworth: Penguin.
‣ Aronson, E. (1992). The return of the repressed: Dissonance theory makes a comeback. Psychological Inquiry, 3, 303–311.
‣ Atran, S. (2002). In gods we trust: The evolutionary landscape of religion. Oxford: Oxford University Press.
‣ Barrett, J. L. (2000). Exploring the natural foundations of religion. Trends in Cognitive
Sciences, 4, 29–34.
‣ Barrett, J. L. (2004). Why would anyone believe in God?. Walnut Creek, CA: AltaMira Press.
‣ Basham, L. (2001). Living with the Conspiracy. The Philosophical Forum, 32(3), 265-280. Blackwell Publishers Inc..
‣ Basham, L. (2003). Malevolent global conspiracy. Journal of social philosophy, 34(1), 91-103.
‣ Basham, L. (2006). Afterthoughts on conspiracy theory: Resilience and ubiquity. Conspiracy Theories: The Philosophical Debate, 133-8.
‣ Benassi, V. A., Singer, B., & Reynolds, C. B. (1980). Occult belief: Seeing is believing. Journal for the Scientific Study of Religion, 19, 337–349.
‣ Boudry, M., & Braeckman, J. (2011). Immunizing strategies and epistemic defense mechanisms. Philosophia, 39(1), 145-161.
‣ Boudry, M., & Braeckman, J. (2012). How convenient! The epistemic rationale of self-validating belief systems. Philosophical Psychology, 25(3), 341-364.
‣ Clarke, S. (2002). Conspiracy theories and conspiracy theorizing. Philosophy of the Social
Sciences, 32(2), 131-150.
‣ Clarke, S. (2006). Appealing to the Fundamental Attribution Error: Was it All a Big Mistake?. Conspiracy Theories: the Philosophical Debate, 135-40.
‣ Clarke, S. (2007). Conspiracy theories and the Internet: Controlled demolition and arrested development. Episteme: A journal of social epistemology, 4(2), 167-180.
‣ Coady, D. (2003). Conspiracy theories and official stories. International Journal of
Applied Philosophy, 17(2), 197-209.
‣ Coady, D. (2006). The Pragmatic Rejection of Conspiracy Theories. Conspiracy Theories:
The Philosophical Debate, 167.
‣ Coady, D. (2007). Conspiracy theories. Episteme: A Journal of Social Epistemology, 4(2), 131-134.
15 / 16
‣ Coady, D. (2010). Conspiracy theories and official stories. International Journal of
Applied Philosophy, 17(2), 197-209.
‣ Darley, J. M., & Batson, C. D. (1973). " From Jerusalem to Jericho": A study of situational and dispositional variables in helping behavior. Journal of Personality and Social
Psychology, 27(1), 100.
‣ Dentith, M. R. (2012). In defence of conspiracy theories (thèse de doctorat non publiée).
‣ Gilbert, D. T., & Malone, P. S. (1995). The correspondence bias. Psychological
bulletin, 117(1), 21.
‣ Gilovich, T. (1991). How we know what isn’t so: The fallibility of human reason in
everyday life. New York: Free Press.
‣ Groves, Jason (2010). Tony Blair attacks Iraq Inquiry as part of Britain's 'obsession with conspiracy theories. Mailonline [en ligne]. http://www.dailymail.co.uk/news/article-1249450/Iraq-War-Inquiry-Tony-Blair-attacks-conspiracy-theories.html. [consulté le 31 décembre 2013]
‣ Guthrie, S. (1993). Faces in the clouds: A new theory of religion. New York: Oxford University Press.
‣ Hume, D. (1748/1983). Enquête sur l'entendement humain. Flammarion.
‣ Jolley, D. (2013). Are conspiracy theories just harmless fun?. Psychologist, 26(1), 60-62.
‣ Jones, E. E. & Harris, V. A. (1967). The Attribution of Attitudes. Journal of Experimental
Social Psychology, 3(1), 1-24.
‣ Keeley, B. L. (1999). Of conspiracy theories. The Journal of Philosophy, 96(3), 109-126.
‣ Keeley, B. L. (2003). Nobody expects the Spanish inquisition! More thoughts on conspiracy theory. Journal of social philosophy, 34(1), 104-110.
‣ Keeley, B. L. (2007). God as the Ultimate Conspiracy Theory. Episteme: A Journal of
Social Epistemology, 4(2), 135-149.
‣ Kuhn, T. S. (1963). The Structure of Scientific Revolutions. University of Chicago Press.
‣ Kunda, Z. (1990). The case for motivated reasoning. Psychological Bulletin, 108, 480–498.
‣ Lakatos, I. (1975). Falsification and the methodology of scientific research programmes. In Can Theories be Refuted? (pp. 205-259). Springer Netherlands.
‣ Levy, N. (2007). Radically Socialized Knowledge and Conspiracy Theories. Episteme: A
Journal of Social Epistemology, 4(2), 181-192.
‣ Liénard, P., & Boyer, P. (2006). Whence collective rituals? A cultural selection model of ritualized behavior. American Anthropologist, 108, 814–827.
‣ Mandik, P. (2006). Shit Happens. Conspiracy Theories: The Philosophical Debate, 139-66.
16 / 16
‣ Nickerson, R. S. (1998). Confirmation bias: A ubiquitous phenomenon in many guises. Review of General Psychology, 2, 175–220.
‣ Nisbett, R. & Ross, L. (1980). Human Inference: Strategies and Shortcomings of Social
Judgement. Englewood Cliffs: Prentice Hall.
‣ Nisbett, R. & Ross, L. (1991). The Person and the Situation. New York: McGraw-Hill.
‣ Pietromonaco, P. & Nisbett, R. (1982). Swimming Upstream Against the Fundamental Attribution Error: Subjects’ Weak Generalizations from the Darley and Batson Study. Social Behaviour and Personality, 10, 1-4.
‣ Pigden, C. (1995). Popper revisited, or what is wrong with conspiracy theories?. Philosophy of the Social Sciences, 25(1), 3-34.
‣ Pigden, C. (2006). Complots of mischief. Conspiracy Theories: The Philosophical Debate, 139-66.
‣ Pigden, C. R. (2007). Conspiracy theories and the conventional wisdom. Episteme: A
Journal of Social Epistemology, 4(2), 219-232.
‣ Popper, K. R. (1965). Conjectures and refutations: The growth of scientific knowledge. London: Routledge & Kegan Paul.
‣ Ross, L. & Anderson, C. A. (1982). Shortcomings in the Attribution Process: On the Origins and Maintenance of Erroneous Social Assessments. In Judgement Under
Uncertainty: Heuristics and Biases, edited by D. Kahneman, P. Slovic and A. Tversky, 129-52. Cambridge: Cambridge University Press.
‣ Ross, L., Lepper, M. R., Strack, F., & Steinmetz, J. (1977). Social explanation and social expectation: Effects of real and hypothetical explanations on subjective likelihood. Journal
of Personality, 35, 817–829.
‣ Sunstein, C. R., & Vermeule, A. (2009). Conspiracy Theories: Causes and Cures. Journal
of Political Philosophy, 17(2), 202-227.
‣ Tavris, C., & Aronson, E. (2008). Mistakes were made (but not by me): Why we justify
foolish beliefs, bad decisions, and hurtful acts. London: Pinter and Martin.
‣ Taguieff, P.-A. (2005). La Foire aux Illuminés, Esotérisme, théorie du complot,
extrémisme. Mille et une nuits.
‣ Tumminia, D. (1998). How prophecy never fails: Interpretive reason in a flying-saucer group. Sociology of Religion, 59, 157–170.
‣ von Hippel, W., & Trivers, R. (2011). The evolution and psychology of self-deception. Behavioral and Brain Sciences, 34, 1–16.