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Séquence élaborée par Mme et M. Guerpillon, IA-IPR de Lettres pour l’Académie d’Aix-Marseille
Eléments pour la lecture linéaire de la laisse CIV de la Chanson de Roland
La Chanson de Roland, début de la laisse CIV, vers 1320-1337
La bataille est merveilleuse, la bataille est une mêlée
Le comte Roland ne craint pas de s'exposer.
Il frappe de la lance tant que le bois lui dure ;
Mais voilà que quinze coups l'ont brisée et perdue.
Alors Roland tire Durendal, sa bonne épée nue,
Éperonne son cheval et va frapper Chernuble.
Il met en pièces le heaume du païen où les escarboucles étincellent,
Lui coupe en deux la coiffe et la chevelure,
Lui tranche les yeux et le visage,
Le blanc haubert aux mailles si fines,
Tout le corps jusqu'à l'enfourchure
Et jusque sur la selle, qui est couverte de lames d'or.
L'épée entre dans le corps du cheval,
Lui tranche l’ échine sans chercher le joint,
Et sur l'herbe drue abat morts le cheval et le cavalier :
« Misérable, » lui dit-il ensuite, « tu fus mal inspiré de venir ici ;
« Ton Mahomet ne te viendra point en aide,
«Et ce n'est pas par un tel glouton que cette victoire sera gagnée!»
Entrée dans le texte par la réception de ce texte. Réactions prévisibles des élèves surtout
horrifiés d’ailleurs par la crudité de l’évocation de la mort du cheval (plus que de celle de
Chernuble !). Mais est-ce que c’est l’horreur que cherche à susciter le texte chez le
lecteur/auditeur ?
Parcours de lecture :
Faire comprendre que la notion de héros évolue selon les époques et les valeurs de la société
dans laquelle il évolue : Roland n’est pas perçu par les élèves comme un héros
Le texte propose une valorisation du héros singulier qui incarne des valeurs collectivement
reconnues par ses contemporains
Un héros aux qualités exceptionnelles caractérisé par l’énergie, le mouvement, l’efficacité
de ses actions.
Un récit qui appartient à la littérature orale : le rôle du narrateur-conteur partial (marques de
sa présence) et admiratif (≠élèves) / les récepteurs du texte comme doubles du lecteur / les
modalités d’un récit dramatisé et sa fonction => tout est fait pour emporter le
lecteur/auditeur dans la représentation du narrateur-conteur
Celui-ci construit la figure héroïque par l’amplification dont toutes les figures parcourent le
texte (intensifs, anaphores, énumérations, accumulations, force du lexique, image …).
La transfiguration d’une scène de combat hyper-réaliste en une vision « merveilleuse » qui
transfigure le comte en héros.
Séquence élaborée par Mme et M. Guerpillon, IA-IPR de Lettres pour l’Académie d’Aix-Marseille
Projet de lecture : du « boucher » au héros : la construction d’un héros dans une
épopée du Moyen Âge
L'épopée est le genre littéraire le plus ancien qui consiste en un long poème racontant les
exploits de héros exceptionnels. Elle exalte les grandes actions, l'héroïsme, le sacrifice des
héros, les valeurs religieuses et patriotiques. Le réalisme et le merveilleux se mêlent.
L’écriture épique met souvent en scène un combat, à travers un récit spectaculaire orienté par
la présence partiale du narrateur et des procédés qui valorisent le caractère sublime du héros.
La bataille est merveilleuse, la bataille est une mêlée
La laisse s’ouvre sur la caractérisation de la bataille dont on remarque à la fois la dimension
surnaturelle qui échappe à toute raison, ce que montre l’emploi de l’attribut « merveilleuse »
qui renvoie le lecteur à une forme d’abstraction difficile à cerner et la dimension prosaïque,
dans une sorte d’hyper réalisme, ce que montre l’emploi du deuxième attribut « une mêlée »
qui suggère, tout au contraire, l’enchevêtrement des corps. La juxtaposition des deux
propositions équilibrées contribue à ouvrir le récit sur cette double représentation.
Le comte Roland ne craint pas de s'exposer.
De cette masse émerge une figure dont le caractère héroïque est immédiatement affirmé, par
la singularité même de la figure qui s’oppose au singulier collectif « la mêlée » et par la
tournure négative qui amplifie la valorisation d’un héros dont l’ethos est caractérisé par le
courage.
Il frappe de la lance tant que le bois lui dure ;
Mais voilà que quinze coups l'ont brisée et perdue.
Ce courage est d’abord le fruit d’un héros en actes comme l’exhibent l’emploi du verbe
d’action et la subordonnée circonstancielle de temps qui n’a d’autre fonction que de prolonger
l’acte de bravoure. Ni la violence de ses actions ni l’adversatif « mais » ne dégradent la figure
héroïque. La conjonction de coordination introduit l’opposition entre, d’un coté la figure
solitaire du héros et de l’autre, la multitude des adversaires, qui permet ainsi de préciser le
terme générique « la mêlée ». L’opposition entre le héros solitaire réduit au pronom « le » et
la multitude des adversaires que marque le pluriel « quinze coups » prépare la défaite de
Roland sans entacher son héroïsme. La parataxe qui se poursuit renforce l’intensité du combat
mené sur un rythme rapide. La structure présentative « voilà que » initie la dramatisation du
récit et construit la figure d’un lecteur/auditeur constitué en spectateur de la scène.
Alors Roland tire Durendal, sa bonne épée nue,
Éperonne son cheval et va frapper Chernuble.
L’adverbe « Alors » traduit la dimension très cinématographique du récit qui joue de la
dramatisation en faisant succéder au topos du combat collectif celui du combat singulier entre
deux adversaires. Roland, pourtant en mauvaise posture, loin de subir l’action en est
l’instigateur à travers trois verbes d’action scandant les actes attendus du guerrier. A la lance
rendue inopérante par le nombre des adversaires se substitue l’épée dont on devine la qualité
par l’emploi d’un nom qui l’humanise et qui contribue à associer la figure du héros à ses
exploits guerriers. La construction syntaxique qui allie ici juxtaposition et coordination
accentue la vaillance de Roland et, en renforçant la dramatisation du récit de combat, permet
de tenir le lecteur-spectateur en haleine.
Séquence élaborée par Mme et M. Guerpillon, IA-IPR de Lettres pour l’Académie d’Aix-Marseille
Il met en pièces le heaume du païen où les escarboucles étincellent,
Lui coupe en deux la coiffe et la chevelure,
Lui tranche les yeux et le visage,
Le blanc haubert aux mailles si fines,
Tout le corps jusqu'à l'enfourchure
Et jusque sur la selle, qui est couverte de lames d'or.
La scène est remarquable par son caractère spectaculaire qui nait de la crudité des détails et de
l’amplification rythmique de la phrase par la multiplication des COD (124). Cette
amplification est poussée à son paroxysme avec la répétition de la préposition intensive
« jusque ». Le spectacle est encore renforcé par les notations très visuelles des expansions
nominales qui soulignent la qualité exceptionnelle de l’adversaire ainsi abattu (« où les
escarboucles étincellent » », « aux mailles si fines », qui est couverte d’or »), rendant ainsi
plus éclatant l’exploit du héros. Les effets de la juxtaposition, de la double coordination, la
multiplication des intensifs continuent à construire chez le lecteur-spectateur la figure d’un
héros exceptionnel par l’énergie qu’il déploie et le courage qu’il exhibe.
L'épée entre dans le corps du cheval,
Lui tranche l’échine sans chercher le joint,
Et sur l'herbe drue abat morts le cheval et le cavalier :
L’amplification de la scène est encore accentuée par le déplacement du regard sur le cheval
qui permet de prolonger le réalisme du spectacle et de clore en apothéose le combat réunissant
dans le mort le cavalier et sa monture. Un effet de ralentissement est créé par un complément
circonstanciel placé en début de proposition, ce qui met en valeur, par l’attente qui est créée et
amplifiée par l’inversion du sujet, la chute de la proposition et l’efficacité redoutable du
héros.
« Misérable, » lui dit-il ensuite, « tu fus mal inspiré de venir ici ;
« Ton Mahomet ne te viendra point en aide,
«Et ce n'est pas par un tel glouton que cette victoire sera gagnée!» …
L’irruption du discours direct permet la théâtralisation du récit en le transformant en scène et
en transformant le lecteur en spectateur. On y voit la marque d’un récit écrit pour être écouté.
La parole de Roland acquiert ainsi un statut héroïque en faisant du combat singulier l’espace
où s’affrontent le Bien et le Mal, incarné par un personnage impie et réduit à son animalité et
à sa voracité. La parole de Roland permet de donner au combat le statut d’un exemplum que la
suite du récit confirmera en faisant surgir les manifestations merveilleuses comme nous
l’annonçait le premier vers de notre passage.
Ce passage est représentatif d’un des motifs habituels de l’épopée, celui du combat singulier.
Il a pour fonction d’exalter l’héroïsme du personnage qui incarne les valeurs de la société de
son temps. Il permet de mesurer les modalités et les effets de l’écriture épique dans sa
dimension spectaculaire et dans la crudité du réalisme de son écriture. Il souligne aussi la
prise en compte du lecteur-auditeur sollicité par le narrateur pour partager avec lui le regard
admiratif et partial qu’il porte sur celui qu’il voit comme un héros.
Séquence élaborée par Mme et M. Guerpillon, IA-IPR de Lettres pour l’Académie d’Aix-Marseille
Eléments pour la lecture cursive de l’extrait de la laisse CV
On fera aisément retrouver aux élèves
- la place du narrateur et sa fonction.
- les marques d’un texte narratif
- la crudité réaliste du combat
- les procédés multiples de l’amplification : intensifs (« bien », « grande »,
« tout »…), anaphores « « rouge(s) » « tous les Français… », amplification
sémantique, métaphore hyperbolique du sang qui devient fleuve
débordant…
Eléments pour réfléchir à une mise en voix comme trace du parcours mené
sur ces deux textes
Nécessité de rendre compte :
- d’un héros en mouvement
- d’un guerrier à l’efficacité redoutable
- de la parole admirative et exaltée du narrateur -conteur
- du rôle des récepteurs du récit dans la construction de la figure héroïque
- des figures de l’amplification : ex : un nouvel élève pour en rajouter « et… »,
la mise en valeur des intensifs, l’amplification du rythme par l’anaphore,
comment restituer l’image qui transforme le sang versé par Roland en fleuve qui
inonde ? (choix du drap rouge).
Chaque choix de mise en voix oblige à restituer les analyses menées et
l’interprétation qui a été faite de ces textes.
Voir proposition de mise en voix filmée.