duplications sagittales antérieures de l'urètre chez le garçon. À propos d'un cas

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Ann Urol 2002 ; 36 : 146-9 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003-4401(01)00088-2/FLA Urètre Duplications sagittales antérieures de l’urètre chez le garçon. À propos d’un cas A. Bouhafs , H. Abarchi, R. Belkacem, M. Barahioui Service de chirurgie pédiatrique urologique C, hôpital d’enfants de Rabat, Maroc RÉSUMÉ Les urètres surnuméraires chez le garçon constituent une entité anatomique très rare. Les duplications urétrales sagittales sont classées en quatre groupes : épispade, hypospade, fusiforme et les urètres en Y. Les duplications collatérales réalisant le diphallia ne sont pas étudiées. Nous rapportons un cas de duplicité sagittale hypospade antérieure et incomplète de l’urètre, opéré et suivi dans notre service. Le traitement a consisté en une résection du septum entre les deux urètres et la cure de l’hypospadias. L’évolution a été émaillée de certaines complications. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS duplication / hypospadias / urètre antérieur ABSTRACT Urethral anterior duplication in male. A case report. Urethra duplication is a rare anomaly with numerous anatomic variations. These fall into four main groups: epispadiac, hypospadiac, fusiform, and Y-type. We report on one case of sagittal incomplete hypospadiac anterior duplication of the urethra. Surgical repair consisted of incision of the septum between the two urethras and hypospadias repair at the same setting. Follow-up was characterized by the occurrence of some complications. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS anomaly / duplication / hypospadias / urethra (Reçu le 9 mars 2001 ; accepté le 2 mai 2001) Correspondance et tirés à part : A. Bouhafs, 15, lotissement Fanida et Leîla Souissi, Rabat 10000, Maroc. Adresse e-mail : [email protected] (A. Bouhafs). 1. INTRODUCTION La classification des urètres surnuméraires chez le garçon, longtemps confuse, a bénéficié dans un premier temps de la contribution de Bertin [1], dont le schéma très simple distinguait les duplicités, les bifidités et les canaux accessoires borgnes. On lui préfère actuellement la classification de Williams et Kenawi [2], plus complexe mais mieux structurée (Fig. 1). Un point commun à toutes ces classifications est que l’urètre vrai est toujours le plus ventral et c’est ce dernier qui doit être conservé ou reconstruit [3]. Les duplications postérieures ne seront pas dé- taillées dans cet article. 2. OBSERVATION Nous rapportons un cas de duplicité sagittale an- térieure de l’urètre chez un garçon de 14 ans. La malformation a été constatée par les parents lors de la circoncision à l’âge de sept ans, mais pour des raisons socioéconomiques et familiales, la première consultation n’a eu lieu qu’à l’âge de 13 ans. L’interrogatoire trouve une notion de jet urinaire filiforme qui s’est aggravé quelque temps avant la consultation et fait particulier, une érection incom- plète du quart distal de la verge. L’enfant présentait une miction en goutte à goutte par un orifice en position normale et une mic- tion de qualité médiocre par un deuxième orifice

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Page 1: Duplications sagittales antérieures de l'urètre chez le garçon. À propos d'un cas

Ann Urol 2002 ; 36 : 146-9 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0003-4401(01)00088-2/FLAUrètre

Duplications sagittales antérieures de l’urètre chez le garçon. À proposd’un cas

A. Bouhafs∗, H. Abarchi, R. Belkacem, M. Barahioui

Service de chirurgie pédiatrique urologique C, hôpital d’enfants de Rabat, Maroc

RÉSUMÉLes urètres surnuméraires chez le garçon constituent uneentité anatomique très rare. Les duplications urétralessagittales sont classées en quatre groupes : épispade,hypospade, fusiforme et les urètres en Y. Les duplicationscollatérales réalisant le diphallia ne sont pas étudiées.Nous rapportons un cas de duplicité sagittale hypospadeantérieure et incomplète de l’urètre, opéré et suivi dansnotre service. Le traitement a consisté en une résection duseptum entre les deux urètres et la cure de l’hypospadias.L’évolution a été émaillée de certaines complications. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

duplication / hypospadias / urètre antérieur

ABSTRACTUrethral anterior duplication in male. A case report.Urethra duplication is a rare anomaly with numerousanatomic variations. These fall into four main groups:epispadiac, hypospadiac, fusiform, and Y-type. We reporton one case of sagittal incomplete hypospadiac anteriorduplication of the urethra. Surgical repair consisted ofincision of the septum between the two urethras andhypospadias repair at the same setting. Follow-up wascharacterized by the occurrence of some complications. 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

anomaly / duplication / hypospadias / urethra

(Reçu le 9 mars 2001 ; accepté le 2 mai 2001)∗ Correspondance et tirés à part : A. Bouhafs, 15, lotissement Fanida et Leîla Souissi, Rabat 10000, Maroc.Adresse e-mail : [email protected] (A. Bouhafs).

1. INTRODUCTION

La classification des urètres surnuméraires chez legarçon, longtemps confuse, a bénéficié dans unpremier temps de la contribution de Bertin [1], dontle schéma très simple distinguait les duplicités, lesbifidités et les canaux accessoires borgnes.

On lui préfère actuellement la classification deWilliams et Kenawi [2], plus complexe mais mieuxstructurée (Fig. 1).

Un point commun à toutes ces classifications estque l’urètre vrai est toujours le plus ventral et c’estce dernier qui doit être conservé ou reconstruit [3].

Les duplications postérieures ne seront pas dé-taillées dans cet article.

2. OBSERVATION

Nous rapportons un cas de duplicité sagittale an-térieure de l’urètre chez un garçon de 14 ans. Lamalformation a été constatée par les parents lors dela circoncision à l’âge de sept ans, mais pour desraisons socioéconomiques et familiales, la premièreconsultation n’a eu lieu qu’à l’âge de 13 ans.

L’interrogatoire trouve une notion de jet urinairefiliforme qui s’est aggravé quelque temps avant laconsultation et fait particulier, une érection incom-plète du quart distal de la verge.

L’enfant présentait une miction en goutte à gouttepar un orifice en position normale et une mic-tion de qualité médiocre par un deuxième orifice

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Figure 1. Classification de Williams et Kenawi. I) Groupeépispade (méat accessoire dorsal) : a. forme complète : deuxcanaux quittent la vessie séparément ; b. forme incomplète :un canal quitte la vessie puis se divise ; c. sinus borgne. II)Groupe hypospade (les deux urètres sont situés sous les corpscaverneux) : a. forme complète : deux canaux quittent la vessie,un des méats est hypospade ; b. forme partielle : l’urètre sedivise en dessous de la vessie ; c. sinus borgne. III) Duplicationfusiforme (l’urètre se divise en deux canaux qui se réunissentplus loin). IV) Duplication en Y.

balanoprépucial. L’examen clinique a objectivé unméat urétral apical sténosé et un méat hypospadeperméable. Une fistule congénitale de l’urètre a étééliminée.

L’endoscopie a permis de réséquer des replis mu-queux au niveau de la jonction des deux urètres etune cystostomie de décharge a été réalisée. Un bilanradiologique (urographie intraveineuse et cystogra-

phie) a mis en évidence une vessie de lutte et unehypertrophie du trigone ainsi qu’une dilatation del’urètre postérieur en amont d’une duplication uré-trale sagittale antérieure partielle. Les deux urètresavaient des origines séparées au départ de l’urètrebulbaire et l’urètre hypospade présentait une par-tie proximale sténosée (Fig. 2). Le reste du bilanurologique était normal en dehors d’un reflux vésico-urétéral droit de grade I.

Une exérèse à ciel ouvert de la cloison séparant lesdeux urètres a été réalisée ainsi qu’une uréthroplastiedu méat hypospade selon la technique de Duplay,après avoir fendu l’urètre balanique hypoplasique.

Deux années plus tard, la dysurie s’est aggravéeau point de nécessiter une urétrostomie périnéale. Unpremier rétablissement de continuité six mois après,s’est soldée par une sténose fibreuse de l’urètre.La résection de la zone fibreuse associée à uneurétroplastie de type Duplay a permis de rétablir lacontinuité. L’évolution a été satisfaisante ; la mictionest devenue normale et le reflux vésico-urétéral adisparu. Cependant, le patient gardait toujours sontrouble de l’érection.

3. DISCUSSION

Les duplications sagittales antérieures comportentles formes épispades, les formes hypospades et lesformes fusiformes. Les formes en Y sont des formespostérieures et ne sont pas discutées.

3.1. Les duplications sagittales épispades

Embryologiquement, les duplications sagittales del’urètre résultent sans doute d’une perturbation ana-logue à l’exstrophie vésicale et à l’épispadias, bienqu’atténuée. La théorie de Solère [3] paraît la plusattrayante : le cloisonnement du cloaque aboutiraitjuste en avant de la membrane cloacale sans divisionde celle-ci, qui deviendrait la membrane anale.

La partie basse du sinus urogénital se formeraitdans le tubercule génital par vacuolisation d’unelame entoblastique cloacale. L’extension anormalede cette lame dans l’épaisseur du tubercule génital,voire l’apparition d’une double vacuolisation, pour-rait alors expliquer tous les degrés de malformation,type exstrophie, épispade ou même duplication [3].

L’urètre accessoire est situé en position supérieureau-dessus du plan des corps caverneux, l’urètre vraiest normal normotopique.

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Figure 2. Urétrocystographie mictionnelle réalisée à travers la cystostomie et montrant la duplicité hypospade antérieure incomplète.

L’ouverture de l’urètre accessoire peut se faireà n’importe quel niveau de la face dorsale de laverge, depuis la fossette naviculaire jusqu’à la basedu pénis. Cette anomalie est fréquemment associée àune courbure dorsale de la verge et à une diastasisdu pubis [4]. L’extension de l’urètre en aval del’orifice pénien est variable et permet de distinguerles duplicités, les bifidités et les sinus borgnes.

La majorité des duplicités complètes appartien-nent au type épispade [5]. L’abouchement vésical del’urètre accessoire se fait au-dessus et en avant ducol, puis il chemine en avant de l’urètre normal pourse terminer souvent au voisinage du gland.

La symptomatologie est variable et le patient peutprésenter une miction normale à deux jets, voire uneincontinence d’effort si l’orifice vésical et la lumièreurétrale sont suffisants. Parfois, seule est notée uneincurvation dorsale de la verge et le méat ectopiquedoit alors être cherché.

Le traitement consiste en l’exérèse chirurgicale del’urètre accessoire par une double voie pénienne etsus-rétrosymphysaire [6].

Les bifidités urétrales peuvent être externes ouinternes. Les bifidités externes sont très rares. Ilexiste un seul orifice urétral vésical qui se diviseensuite, l’urètre accessoire passant au-dessus descorps caverneux. Le traitement consiste en uneexérèse de l’urètre épispade.

Dans les bifidités internes, il existe deux orificesvésicaux, puis l’urètre accessoire supérieur rejointl’urètre normal à un niveau variable. L’incontinenceurinaire est souvent au premier plan de la sympto-matologie. Le diagnostic est radiologique. En endo-scopie, l’urètre normal est celui qui présente le verumontanum.

Les sinus borgnes peuvent être externes ou in-ternes. La forme externe est la plus fréquente. Au-delà de l’orifice pénien épispade s’étend un canalborgne plus ou moins long en direction de la régionpubienne. Ils peuvent se révéler par des déchargespurulentes motivant leur exérèse chirurgicale.

Les sinus borgnes internes ne communiquentqu’avec l’urètre ou la vessie et sont le siège d’unestagnation urinaire.

3.2. Les duplications sagittales hypospades

Les deux urètres se situent en dessous du plan descorps caverneux. L’urètre accessoire est toujours leplus dorsal, son méat siège dans le gland ou enposition légèrement plus dorsale. L’urètre normal aun méat hypospade.

Aucune explication embryologique n’a fait l’una-nimité. Une bifurcation de la plaque urétrale, sacanalisation anormale, une croissance inégale descomposants normaux de l’urètre, une anomalie ducloisonnement cloacal ont été invoqués [7].

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La duplication complète hypospade est très rare.Dans les bifidités, la bifurcation urétrale se fait àun niveau variable de l’urètre membraneux, bulbaireou pénien. Il n’y a généralement ni incontinence nicourbure de verge.

Les sinus borgnes dans leur forme externe sonttrès fréquents et le plus souvent asymptomatiques.Dans la forme interne, ils sont souvent considéréscomme des glandes de Cowper. Leur existence estdiscutée.

Dans le cas rapporté par Boissonat [7], il existaitune obstruction valvulaire dans la région membra-neuse de l’urètre le plus antérieur, alors que dans lecas de Williams [7] des valves du segment postérieurde l’urètre principal étaient responsables d’un reten-tissement rénal sévère. Notre patient présentait desreplis muqueux et une sténose au niveau du point dedépart des deux urètres. Ces mêmes lésions sont rap-portées par Mollard [7].

En ce qui concerne le traitement de ces formes,Atherton [8] et Goldsteïn [9] préconisent de section-ner la cloison qui sépare les deux conduits par voieendoscopique. Cependant, Fellows et Johnston [10]préfèrent ouvrir l’urètre principal hypospade, ré-séquer la cloison séparant les deux canaux à cielouvert et dans un deuxième temps refermer la gout-tière urétrale ainsi créée à la face inférieure de laverge.

La forme en fuseau ou « Spindle urethra » deWilliams correspond à une division de l’urètre endeux canaux sous le col vésical puis leur réunion enun seul canal au niveau pénoscrotal.

4. CONCLUSION

La duplicité sagittale antérieure de l’urètre est uneanomalie rare. Sa gravité est variable, allant de l’ab-sence de symptôme jusqu’au retentissement rénalsévère. Le traitement est chirurgical, et dans toutesles formes, l’urètre le plus ventral est toujours demeilleure qualité et donc celui à conserver.

RÉFÉRENCES

1 Bertin P. Remarques à propos des bifidités urétrales. AnnUrol 1969 ; 111 : 51-3.

2 Williams DI, Kenawi MM. Urethral duplications in themale. Eur Urol 1975 ; 1 : 209-15.

3 Jehanin B. Les urètres surnuméraires chez le garçon. In : Pa-thologie urologique. Séminaire d’enseignement de chirurgiepédiatrique viscérale. Caen : 1991 ; 35-48.

4 Baskin IS, Kogan BA. Urethral anomalies and obstruction.In : King LR, editor. Urologic Surgery in infants andchildren. New York : Saunders company ; 1998, p. 217-21.

5 Pellerin D, Harouchi A, Otte JB, Claus D, Hennebert P. Lesfistules recto-urétrales congénitales, 2 cas sans malforma-tion ano-rectale associée. Ann Chir Inf 1975 ; 16 : 5-11.

6 Cendron J, Desgrez JP. Urètres surnuméraires chez legarçon. À propos de 14 cas personnels. Ann Chir Inf 1975 ;16 : 28-31.

7 Mollard P. Précis d’urologie de l’enfant. Paris : Masson ;1984. pp. 257-62.

8 Atherton L, Atherton LD, Sexter M. A method of correctingdouble urethra in a man. J Urol 1967 ; 98 : 99-103.

9 Goldsteïn HR, Hensle TW. Visual urethrotomy in manage-ment of male urethra duplication. Urology 1981 ; 18 : 373-6.

10 Fellows CJ, Johnston JH. Incomplete urethral duplicationand urinary retention. Br J Urol 1974 ; 46 : 449-56.