www.atilf.fr et www.stih.paris-sorbonne.fr
Plaidoyer pour la désolidarisation des notions de pragmaticalisation et de grammaticalisation
Claire Badiou-Monferran (EA STIH, Université de Paris-Sorbonne)Éva Buchi (UMR ATILF, CNRS & Université de Lorraine)
3e CMLF (Lyon, 4-7 juillet 2012)
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
2
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
3
Protohistoire de cette communication
1er colloque de laSociété internationale de diachronie du français(Nancy, 6-8 septembre 2011)
« Grammaticalisation vs. pragmaticalisation.Bref retour sur les éléments d’un débat »(Badiou-Monferran à paraître a)
Fondée lors du 1er CMLF !
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
4
Contexte de recherche (1/2)
Claire Badiou-Monferran :
• HDR : Les marqueurs d’inférence en français moderne (XVIe-XXIe siècles). Donc, alors, partant, par conséquent et quelques autres (à paraître b)
• ains (2007)
• alors que (2011a)
• donque(s) (2011b)
• ne/ni [...] aussi/non plus (2006)
• Réflexion théorique (2008, à paraître a, b)
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
5
Contexte de recherche (2/2)
Éva Buchi :
• enfin (Buchi & Städtler 2008)
• quoi (2000)
• toujours (2007a)
• « Un autre aspect, plus embryonnaire encore, mais de grand intérêt théorique, de ce qu’on pourrait appeler la pragma-étymologie (l’étymologie des unités lexicales à contenu pragmatique) est en voie de développement grâce à Éva Buchi. » (Chambon à paraître : 5)
• déjà (2007b)
• encore (2008)
• finalement (Benzitoun, Buchi & Polguère en préparation)
Plénière CILPR 2010 :
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
6
Pragmaticalisation ?
« Développement, par une unité lexicale ou grammaticale, d’un emploi stabilisé où elle ne participe plus à la construction d’un sens référentiel, mais marque une prise de position métadiscursive du locuteur. » (cf. Dostie 2004 : 27 ; Buchi 2007b : 252)
« [...] it is generally agreed that these items [= discourse markers] do not operate in the referential (or truth-functional) domain, i.e., they do not display lexical semantics in the narrow sense and therefore cannot be used to denote elements of the propositional content of the sentence [...] » (Diewald 2006 : 404)
Définition largement partagée :
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
7
La communication s’insère dans un débat en cours
1ère approche : pragmaticalisation = cas particulier de grammaticalisation(Traugott 1995, Brinton 1996, Traugott & Dasher 2002, Dostie 2004, Brinton & Traugott 2005, Diewald 2006, Marchello-Nizia 2006, Prévost 2011)
2e approche : pragmaticalisation et grammaticalisation = deux types de figements linguistiques(Waltereit 2006, Hansen 2008, Claridge & Arnovick 2010)
Question de catégorisation
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
8
Grammaticalisation ?
Grammaticalisation1 :cadre morphosyntaxiqueCritères : (1) perte de poids (phonologique, accentuelle, de portée), (2) perte d’autonomie (cohésion, agglutination, cliticisation), (3) perte de variabilité (caractère obligatoire, perte de flexion)
Grammaticalisation2 :focalisation sur le cadre cognitivo-communicationnelCritères supplémentaires :(4) passage concret > abstrait,(5) subjectivation/intersubjectivation
Renouveler le débat :plaidoyer pour une désolidarisation des deux notions à l’intérieur du cadre de la grammaticalisation2
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
9
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
10
Chronologie des processus ?
« Une unité lexicale/grammaticale peut développer des emplois où elle ne joue pas un rôle sur le plan référentiel, mais bien, sur le plan conversationnel : elle sera alors le résultat d’un processus de “pragmaticalisation”. Ce parcours peut être illustré en français avec le mot bien. Celui-ci passe des catégories substantivale/adjectivale à celle, notamment, de quantificateur nominal (Il y avait ben du monde [...] = ‘beaucoup’), puis de MD (Ben, je pense qu’il vaudrait mieux laisser tomber).» (Dostie 2004 : 27)
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
11
Contre-exemple : alors
Cet adverbe connaît une multitude d’emplois grammaticaux ainsi que quelques emplois pragmatiques
Les emplois grammaticaux se sont développés selon une chaîne de grammaticalisation progressive
Toutefois, les emplois pragmatiques ne se situent pas, historiquement, dans la continuité de cette chaîne de grammaticalisation : le mouvement de pragmaticalisation de alors est très largement antérieur à sa grammaticalisation
Enquête sur corpus
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
12
Antériorité de la pragmaticalisation
Alors pragmatème (ponctuant de l’exclamation : ça alors !)
Première attestation :Ils ne s’accordent au contraire presque jamais. Il y a peu de questions où vous ne trouviez que l’un dit oui, l’autre dit non. [...]. Mais, mon père, lui dis-je, on doit être bien embarrassé à choisir alors !
(1657, Pascal, Les Provinciales)
Alors dans son emploi grammatical le plus abouti (inférentiel : Les volets sont fermés, alors ils sont partis.)
Première attestation :Le sieur Hubaut jeune réveilla le général Bedeau. – Général, vous êtes prisonnier. – Je suis inviolable. – Hors le cas de flagrant délit. – Alors, dit Bedeau, flagrant délit de sommeil.
(1883, Hugo, Histoire d’un crime : Déposition d’un témoin)
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
13
Valide hypothèse d’Erman & Kotsinas
« It is possible [...] for a lexical element to develop directly into a discourse marker without an intermediate stage of grammaticalization. As a consequence, we suggest that lexical items on their way to becoming function words may follow two different paths, one of them resulting in the creation of grammatical markers, functioning mainly sentence internally, the other resulting in discourse markers mainly serving as textstructuring devices [...]. We reserve the term grammaticalization for the first of these two paths, while we propose the term pragmaticalization for the second one. » (Erman & Kotsinas 1993 : 79)
Mais attention : cet argument est inopérant pour réfuter d’autres formes d’inclusion de la pragmaticalisation dans la grammaticalisation !
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
14
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
15
Mode d’institutionnalisation
Processus de grammaticalisation = unidirectionnel et progressif (Marchello-Nizia 2006 : 30-34)
Progressif dans le sens où dans un premier temps, il met en jeu des « grammaires en compétition» (Kroch 1994)
Donc pragmatème (ponctuant d’opération de parcours) :- interrogation (Où veulent-elles donc en venir?)- injonction (Taisez-vous donc !)- exclamation (Que ce papier est donc ennuyeux !)Donc valide ou renforce le type phrastique requis
Pragmatème sans concurrence dans toute l’histoire du français (Ponchon 2004 ; Badiou-Monferran à paraître b)
Non pas progressif, mais catastrophique !
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
16
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
17
Modèle quadriphasé de la grammaticalisation
Heine 2002 :
I. Stade initial : sens1
II. Contexte de transition : ambiguïté sens1/sens2
III. Contexte de passage : sens2
IV. Conventionalisation : sens2 généralisé
Marchello-Nizia 2006 : 181-198 :
Subjectivation
Ø
Ø
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
18
↔ pragmaticalisation !
Heine 2002 :
I. Stade initial : sens1
II. Contexte de transition : ambiguïté sens1/sens2
III. Contexte de passage : sens2
IV. Conventionalisation : sens2 généralisé
Exemple alors :
Subjectivation
Ø
Subjectivation accrue
Définitoire du pragmatème !
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
19
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
20
Au-delà de la « vérité terrain »
Étymologie :grammaticalisation : création française (Meillet 1912)pragmaticalisation : emprunt à l’anglais (Dostie 2001)
[↔ création française pragmatisation † (Büchi 1998)]
En synchronie, compositionnalité sémantique :
grammatical -is- -ation/grammaire/ /transformation/ /action/
pragmatic -al- -is- -ation/pragmatique/ Ø /transformation/ /action/
Si la définition de la pragmatique fait débat au sein des pragmaticiens (synchroniciens), elle n’est jamais conçue par eux comme une partie de la grammaire (Ducrot & Schaeffer 1995 : 111-114)
?
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
21
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
22
Types de transferts entre catégories linguistiques
Morphosyntaxe(grammèmes)
Lexique(lexèmes)
Pragmatique(pragmatèmes)
Onomastique(noms propres)
Discours(énoncés)
Grammaticalisation :protorom. */'mɛnt-e/ s.f.
« manière » frm. -ment
(suffixe adverbial)
Pragmaticalisation :frm. déjà adv. aspectuel
« dès maintenant » marqueurdiscursif déjà
(C'est quoison nom, déjà ?)
Lexicalisation :afr. garz CS/garçon CR
frm. gars s.m. « type »/garçon « enfant mâle »
Délocutivité :Énoncé Cessez le feu !
frm. cessez-le-feu s.m. « trêve »Déonomastique :
nom propreMentor
frm. mentor s.m. « conseiller sage »
Fixation desnoms propres :afr. et picard viez
adj. « vieux » nom de famille
picard ViezPragmaticalisation :frm. écouter v.tr. « s'appliquer à
entendre » marqueur discursif écoute !(Je vais lui parler. Écoute, c'est
mon frère.)
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
23
Classification de ces types de transferts ?
Délocutivité occupe une place à part :énoncé > unité de première articulation
↔ lexicalisation, déonomastique, fixation des noms propres, grammaticalisation, pragmaticalisation
Critère le plus général pour les départager :sens référentiel ↔ procéduralCf. Diewald 2006 : « it is generally agreed... »
Écoute, il s’agit bien d’une sorte de cessez-le-feu : son mentor M. Viez lui a formellement interdit de s’approcher des deux garçons avec qui il s’était chamaillé.
Grammaires de construction : rapprochement entre grammaticalisation et lexicalisation
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
24
Plan
1. Introduction
2. Argument chronologique
3. Argument cognitif
5. Argument sémantico-terminologique
7. Conclusion
6. Argument systémique
4. Argument communicationnel
Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française
25
En guise de conclusion
C’est le point de vue qui crée les objets...
... ainsi que leur classification !
Légitimité du point de vue qui considère la pragmaticalisation comme logiquement indépendante de la grammaticalisation
Claire Badiou-Monferran vient d’être nommée professeur à l’Université de Lorraine
XXVIIe Congrès international de linguistique et de philologie romanesNancy, 15-20 juillet 2013