SOCIOLOGIE DU GENRE 12/12/2012
SUJET D’ETUDE : L’appréhension du genre dans les crèches à travers les relations entre le personnel spécialisé et les enfants.
GROUPE : Manon JULLIEN, Gaston LAVAL, François MERESSE, Hélène TERZIAN
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Sommaire
Sommaire ................................................................................................................................ 2
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SYNTHÈSE DE DEUX CHAPITRES
D’OUVRAGES
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Introduction
Nous avons choisi de réaliser une enquête afin de comprendre le rôle des Educateurs de Jeunes
Enfants dans le processus d’apprentissage du genre dans les premiers mois de la vie des enfants. Pour
cela nous nous sommes appuyés sur deux ouvrages offrant une appréhension différente de la question :
d’abord le recueil d’articles intitulé La petite enfance, entre familles et crèches, entre sexe et genre
ordonné par N. Coulon et G. Cresson dans lequel nous nous centrerons exclusivement sur le chapitre
intitulé « Indicible mais omniprésent : le genre dans les lieux d’accueil de la petite enfance ».
L’autre chapitre est extrait de l’ouvrage collectif intitulé L’inversion du genre. Quand les métiers
masculins se conjuguent au féminin ... et réciproquement paru aux Presses Universitaires de Rennes et
plus particulièrement au chapitre écrit par le psychopédagogue N. Murcier « Petite enfance et rapports
sociaux de sexe : la formation de professionnel(le)s de la petite enfance, idéologies et représentations
sociales ».
La formation différente entre G. Cresson, sociologue de formation et N. Murcier, psychopédagogue
spécialiste en sciences de l’éducation, permet d’étudier la question sous un angle différent ce qui nous
a permis d’enrichir notre analyse mais aussi nos questionnaires d’entretien et d’aiguiser notre regard
au moment de observations sur le terrain.
Il convient de comprendre grâce à ces deux ouvrages comment se pose la question du genre dans les
lieux d’accueil de la petite enfance à travers la formation reçue par le personnel, la constitution des
équipes d’accueil, les activités proposées aux enfants etc.
Finalement on peut se poser de façon plus générale l’interrogation suivante : quel apprentissage du
genre est délivré aux jeunes enfants dans les crèches ?
Pour y répondre il convient de s’arrêter d’abord sur la constitution des éducateurs travaillant en
crèche avant d’analyser que celle-ci peut parfois être le vecteur de diffusion de stéréotypes encore très
marqués auprès des enfants.
I. Les Educateurs de Jeunes Enfants (EJE) : un monde de femmes
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Les rapports sociaux de sexe s’expriment dans tous les secteurs de la société, et la petite enfance ne
fait pas exception, au contraire, elle serait le moment le plus déterminant selon G. Cresson de
l’apprentissage du genre. C’est dans les premières années de la vie de l’enfant que les représentations
en terme de genre vont être déterminantes puisqu’elles vont conditionner les comportements futurs de
l’enfant. Pourtant dès l’entrée dans une crèche une observation est frappante : le personnel est presque
toujours essentiellement constitué de femmes.
Chiffres à l’appui G. Cresson montre ainsi que le secteur de la petite enfance emploie presque
exclusivement des femmes : 99,5% des puéricultrices et 98,5% des assistantes maternelles sont des
femmes. Pourtant, N. Murcier insiste sur la multiplication des politiques au niveau européen et
français afin de promouvoir l’égalité professionnelle entre hommes et femmes et la lutte contre les
stéréotypes. Malheureusement il note que ces politiques consistent le plus souvent à faciliter l’accès
des femmes à des métiers masculins tandis qu’à l’inverse on ne pense que peu ou pas du tout
l’intégration des hommes dans des métiers traditionnellement considérés comme féminins. Cela vaut
pour les métiers de la petite enfance dans lesquels les hommes restent très largement minoritaires.
Dans son étude G. Cresson cherche à comprendre par un détour historique ce qui a pu mener à cette
situation de « monopole féminin » et pour cela cite les travaux de C. Bouve qui explique qu’au
XIXème siècle le travail en crèche était encore interdit aux hommes. Aujourd’hui encore il existerait
une suspicion ancrée dans les représentations collective à l’égard du désir des hommes de travailler
avec de jeunes enfants. Cela mène à des discours contradictoires sur l’absence des hommes en crèche.
D’une part on développe des propos sur la nécessité de faire venir les hommes dans les crèches avec
l’idée qu’ils pourraient apporter notamment leurs qualités propres, au premier rang desquelles,
l’autorité et la bonne gestion d’équipe. G. Cresson explique que beaucoup de professionnelles qu’elle
interroge verraient notamment là une présence bénéfique pour les petits garçons élevés « sans père ».
D’autre part, à l’opposé, subsistent des méfiances et des stéréotypes comme l’idée d’une maladresse
naturelle de l’homme face aux bébés ou pire un risque de pédophilie. G. Cresson montre bien
comment ces discours tendent à réduire l’homme à sa virilité, les excluant de fait nécessairement de
ces emplois féminins.
Ces observations de G. Cresson sur le personnel de crèche peuvent de ce point de vue être enrichies
par l’analyse de N. Murcier sur le recrutement des hommes dans la formation d’Educateurs de Jeunes
Enfants. Dans son enquête N. Murcier interroge les professionnelles de quatre centres de formation
d’Île-de-France et réalise des entretiens avec dix garçons et dix filles qui suivaient alors la formation.
Il note lui aussi une profonde contradiction entre l’idéalisation de la présence masculine dans les
crèches et la réalité de l’arrivée de ces hommes dans ces métiers qui demeure très marginale. Pire
encore il note que pour beaucoup de praticiennes interrogées cette présence de l’homme dans les
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institutions de la petite enfance ne va pas de soi. Les jeunes hommes qu’il interroge affirment
d’ailleurs le plus souvent qu’au moment de l’entretien permettant d’intégrer la formation d’EJE il leur
faut être plus clair sur leur projet professionnel et sur leurs motivations, comme si finalement ils
avaient besoin de justifier plus que les femmes ce désir de travailler en crèche. N. Murcier note même
que la plupart de ces jeunes hommes, et même certaines jeunes femmes, affirment que la formation est
parfois plus difficile à intégrer pour les hommes. Il montre que les qualités attendues se réfèrent à des
aptitudes que les filles ont pu plus facilement développé du fait de leur socialisation. L’auteur fait donc
le constat d’une possible discrimination des hommes au sein des formations des Educateurs de Jeunes
Enfants.
La quasi absence des hommes dans les lieux d’accueil de la petite enfance s’explique donc en amont
par leur faible représentation dans les parcours de formation et par une orientation différenciée au
moment de leur adolescence en fonction des sexes. Il subsiste des stéréotypes selon lesquels
finalement une femme s’émancipe en adoptant les modèles masculins tandis qu’au contraire un
homme se déviriliserait en adoptant les modèles féminins. Du fait de cette hiérarchie des sexes
profondément ancrée dans la société la masculinisation d’un métier féminin n’est pas un phénomène
symétrique à la féminisation des métiers masculins.
Partant de ce constat d’une très faible présence des hommes dans la formation d’Educateurs de
Jeunes Enfants et donc également dans les crèches il convient de s’interroger, en s’appuyant sur ces
travaux, sur les conséquences quant à l’appréhension de la question de genre dans la formation mais
surtout dans les rapports entretenus avec les enfants au sein des crèches.
II. Une formation « matrifocalisée » qui limite l’appréhension du genre
chez les jeunes enfants
G. Cresson fait rapidement le constat lors des ses observations en crèche d’une faible ouverture à la
question du genre dans les pratiques quotidiennes des EJE. Pour comprendre cela il faut selon elle
explorer la façon dont ces professionnel-les sont formés pendant leurs études. C’est le contenu des
études qui explique ce manque manifeste d’intérêt pour le thème des différences sexuées très présentes
en crèche mais relativement peu discutées. Le personnel de crèche ne s’embarrasserait le plus souvent
pas de justification pour des phénomènes qui semblent aller de soi et notamment en ce qui concerne la
paternité. En effet la sociologue montre, en s’appuyant sur les travaux de S. Delforge, que l’on tend à
définir la mère essentiellement par sa maternité tandis que le père aurait le choix de s’investir plus ou
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moins fortement dans ses responsabilités éducatives. Il ressort des pratiques dans les crèches l’idée
d’un lien naturel entre la mère et l’enfant. A cet égard nous mêmes avons été surpris au cours de nos
recherches par ce constat assez révélateur de l’existence dans le dictionnaire du terme « materner »
tandis que le terme « paterner » n’est toujours pas entré dans la langue française. Cette observation est
assez révélatrice de cette opposition systématique largement répandue dans la société et que révèle G.
Cresson entre les fonctions symboliques (socialisation, sexuation et autorité) attachées au père et les
fonctions de maternage (sécurité affective, soin au quotidien) attachées à la mère.
Ce constat est celui même que développe N. Murcier lorsqu’il décrit la formation reçue par les EJE
comme un enseignement extrêmement « matrifocalisé ». L’auteur montre que l’enseignement s’appuie
sur une alternance entre théorie à l’école et pratique à travers différents stages dans lesquels les élèves
révèlent qu’il est difficile de réfléchir sur le terrain en terme de domination et de pouvoir ou difficile
de déconstruire certains stéréotypes parce que cela n’est pas forcément fait dans la formation. N.
Murcier reprend l’analyse de Daniel Verba et fait lui aussi le constat de la prédominance de références
d’auteurs du champ psychanalytique. Les auteurs les plus cités par les étudiants interrogés sont ainsi F.
Dolto, D. Winnicott ou encore R. Spitz qui travaillent essentiellement sur la relation entre la mère et
l’enfant. Ces discours tendent à diffuser notamment l’idée selon laquelle les dysfonctionnements que
l’on peut observer chez l’enfant proviendraient de carences chez la mère. N. Murcier explique que la
relation du père avec l’enfant a été occulté jusque très récemment dans la littérature psychanalytique et
reste aujourd’hui encore l’idée très prégnante selon laquelle un enfant n’est jamais mieux qu’avec sa
mère.
Nicolas Murcier montre que les centres de formations tendent à diffuser des idéologies comme celle
de la prédominance de la mère, ces élaborations théoriques constituent pour lui « des sortes de
dogmes, de croyances imposées comme des vérités incontournables » (Sellenet, 2005). Après avoir
observer quelques mémoires d’élèves en fin de formation il fait état de ces références permanentes à
ces auteurs du champ psychanalytique avec une concentration de la réflexion autour de la relation
entre la mère et l’enfant. Il extrait ainsi d’un mémoire la citation suivante assez révélatrice du contenu
de l’idéologie délivrée dans ces formations : « C’est la mère qui garantit un bon développement de
l’enfant dans ses premiers mois de vie. Elle est sans aucun doute la personne la plus adaptée pour cela
à condition qu’elle aille bien », ou encore « il est évident que la relation maternelle est unique et
irremplaçable » (extraits de mémoire d’EJE session de 2004).
De même N. Murcier note dans l’un des centres de formation que les étudiants reçoivent une
formation de 3h sur la paternité, soit à peine 0,25% du volume horaire total de la formation théorique.
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Il apparaît donc clairement dans l’analyse des projets éducatifs que les mutations sociales en cours
depuis quelques décennies dans l’institution familiale ne sont pas prises en compte : féminisation du
travail social, rapport de l’homme à l’enfant etc.
Finalement ce constat de la prédominance de la dyade mère/enfant par N. Murcier au sein de
formations permet de comprendre ce que G. Cresson observe au sein même des crèches, c’est à dire
l’enfermement de la femme dans sa maternité qui serait imposée alors que la paternité resterait pour
l’homme une alternative pour laquelle il peut opter ou non.
Il est nécessaire de comprendre maintenant les conséquences de telles perceptions sur les pratiques
concrètes réalisées quotidiennement par les EJE avec les enfants.
III. La crèche : un lieu de diffusion de certains stéréotypes
Nous l’avons dit, les stéréotypes entretenus dans la formation des éducateurs tendent à ne pas être
remis en cause au moment de la pratique avec les enfants mais, pire encore, ils mènent parfois à des
pratiques stéréotypées auprès des enfants conditionnant ainsi leur apprentissage du genre en perpétuant
ces représentations inégalitaires.
De ce point de vue G. Cresson analyse le lieu même de la crèche, dans sa dimension matérielle,
comme un lieu susceptible de diffuser des stéréotypes. Cela est le cas dans le choix des livres proposés
aux enfants. La sociologue cite ici l’enquête menée par Carole Brugeilles et Sylvie Cromer en 2002
qui avaient dépouillé un corpus de 537 albums pour enfants en bas âge et avaient montré une
surreprésentation masculine et une forte hiérarchisation des sexes. G. Cresson note que les livres pour
enfant des crèches qu’elle observe sont très traditionnels, la famille y est très présente et le père est
toujours représenté comme l’autorité tandis que la mère est plutôt vue comme le personnage qui
apporte de l’affection aux enfants et qui s’occupe de l’entretien du ménage. Dans le choix même de
ces livres la question de l’identité et des rôles sexués n’est jamais interrogée comme critère de choix
par les professionnelles qui mettent plutôt en avant les thématiques du livre (acquisition de la propreté,
de la motricité etc). Du point de vue des jeux les professionnelles affirment mettre tous les jeux à
disposition de tous les enfants mais la sociologue note, et c’est très important, que l’accessibilité n’est
pas forcément la garantie d’un usage semblable. Ce point sera vérifier dans notre étude notamment
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dans la comparaison des pratiques offertes aux enfants dans la crèche de l’Université Paris Dauphine
par rapport à celles de la crèche Bourdarias.
Finalement dans les entretiens réalisés par G. Cresson il ressort que d’après les professionnelles les
différences entre filles et garçons interviennent après l’âge de la crèche et que les tout petits sont
réputés pour avoir les mêmes besoins indépendamment de leur sexe. Il y a une tendance chez les EJE à
penser parfois que la question du genre n’est pas pertinente au sein de la crèche pourtant la sociologue
révèle des situations qui mettent à mal ces affirmations comme notamment le cas d’une directrice de
crèche qui explique que pour le Noel des enfants les garçons ont reçu un camion tandis que les filles
ont reçu un poupon.
Les stéréotypes sont finalement diffusés le plus souvent de façon inconsciente, à travers la façon de
regarder un enfant par exemple qui est nourrie des représentations sociales liées au genre. « La
préoccupation pour la motricité d’un petit garçon et tout aussi précoce que pour l’admiration de la
beauté des filles » observe ainsi la sociologue. Les circonstances exceptionnelles et festives est sont
souvent le théâtre d’un redoublement de ces différences faites en crèche. Un jour de carnaval on repère
ainsi très nettement la récurrence des stéréotypes de sexe avec des petites filles massivement en «
ange » ou « princesse ». G. Cresson à l’occasion d’une de ces fêtes observe la réaction très explicite
d’une EJE qui, s’adressant à un petit garçon voulant mettre une couronne de princesse, déclare « ce
n’est pas pour les garçons ». Finalement pour les petits dont l’identité de sexe est moins assurée et
évidente le Carnaval devient l’occasion d’une affirmation redoublée de l’appartenance de sexe ou de
genre et apparaît comme un véritable rite d’institution.
L’organisation des activités est aussi un révélateur des différences inconscientes faites en garçons et
filles par les pratiques professionnelles. De ce point de vue G. Cresson observe par exemple une
tendance des EJE à tempérer les jeunes filles lorsqu’elles prennent « trop de place » au détriment des
autres enfants. Pire encore les EJE organisent parfois une véritable division sexuée des activités en
organisant des moments lectures plus longs pour les garçons ou en séparant filles et garçons à la
cantine. Cette intervention des professionnelles conduit indéniablement à une homosociabilité future
des enfants qui accentue plus encore les inégalités entre les sexes.
N. Murcier observe pourtant un désir des étudiants, filles comme garçons, de parler et d’étudier plus
en profondeur la question de la paternité. On peut légitimement penser que, selon lui, cela permettrait
de réduire l’appréhension sexuellement différenciée des petites filles et des petits garçons en crèche
dont nous venons de citer de multiples observations chez G. Cresson. Il explique que les futurs EJE
sont amenés au cours de leur formation à rencontre des mères car selon les formatrices ce sont elles
qui sont amenées à conduire leurs enfants à la crèche. Il y a donc une exclusion d’entrée du père mais
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surtout il y a un accueil des parents pensés de fait seulement sous le regard de la mère. N. Murcier
rappelle le rôle déterminant des institutions de la petite enfance dans la perpétuation du partage inégal
des taches entres hommes et femmes. La formation matrifocalisée conduiraient les EJE à mener une
éducation différenciée au sein des crèches ce qui aurait pour conséquence de perpétuer les inégalités
entre hommes et femmes. Il explique qu’en accordant une place plus déterminante à la paternité dans
la formation cela pourrait mener à changer les représentations des éducateurs des jeunes enfants
restées très traditionnelles et à appréhender les nouvelles mutations sociales de l’institution familiale.
Conclusion
La question du genre se pose donc en crèche de façon à la fois forte et discrète. Le monopole des
femmes sur ces emplois est le résultat d’une formation au cœur de laquelle les hommes sont encore
largement marginaux et marginalisés. Par conséquent N. Murcier montre que cette formation reste
encore marquée par de nombreux stéréotypes de genre et G. Cresson observe sur le terrain les
conséquences d’une telle formation matricentrée sur les pratiques quotidiennes en crèche :
euphémisation ou naturalisation des caractéristiques associées au féminin et grande valorisation de
celles accordées au masculin. Il semblerait que les petites filles soient en effet moins encouragées dans
les activités collectives mais par contre leur apparence est davantage l’objet de l’attention des adultes.
Les préoccupations pour les capacités physiques sont plus prononcées quand il s’agit des garçons.
Si ces différences produites par les formateurs sont avérées, elles ne sont cependant pas le fruit de
comportements volontaires et conscients de la part des Educateurs de Jeunes Enfants. Du fait de la
formation qu’ils ont reçu qui n’interrogeait que très peu la question du genre ces adultes n’imaginent
même pas que celle-ci puisse se poser dès l’âge de la crèche. Finalement grâce à l’étude de ces deux
ouvrages on réalise que le décalage entre les propos tenus (certifie une indifférence au genre dans la
petite enfance) et les pratiques observées nettement dépendantes du genre est révélateur de la difficulté
à appréhender ces questions, de la ténacité des préjugées et de la persistance des rapports sociaux de
sexe qui se reproduisent. L’ancrage dans une sorte d’« habitus » professionnel de ces préjugés les rend
d’autant plus difficiles à combattre.
De ce point de vue notre étude comparative réalisée entre une crèche classique et une crèche non-
genrée pourra apporter des éléments de réponse à cette question de l’appréhension du genre dans les
crèches et la difficulté notamment pour les EJE à prendre conscience du caractère parfois stéréotypé de
leurs pratiques avec les enfants.
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REVUE DE PRESSE
- DEGUEN Florence, « A bas le sexisme… à la crèche ! », in Le Parisien, publié le 7 septembre
2012, [en ligne] < http://www.leparisien.fr/laparisienne/societe/a-bas-le-sexisme-a-la-creche-07-09-
2012-2154411.php>, page consultée le 5 décembre 2012.
- KERCHOUCHE Dalila, « EXIT les baby machos », in Madame le Figaro, publié le 10
septembre 2012, [en ligne] <http://madame.lefigaro.fr/societe/exit-baby-machos-110912-279062>,
page consultée le 5 décembre 2012.
- MAUGER Léna, « Immersion dans une crèche anti-sexiste », in ELLE, publié le 9 décembre
2011, [en ligne] <http://www.elle.fr/Maman/Mon-bebe/Questions-psy/Immersion-dans-une-creche-
anti-sexiste-1831016>, page consultée le 5 décembre 2012.
- MURCIER Nicolas, « La réalité de l’égalité entre les sexes à l’épreuve de la garde des jeunes
enfants », in Observatoire des inégalités, publié le 9 mars 2007, [en ligne]
<http://www.inegalites.fr/spip.php?article642&id_mot=27>, page consultée le 5 décembre 2012.
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Introduction
Les quatre articles que nous avons sélectionnés s’articulent autour de la thématique du « sexisme à la
crèche » et aux moyens d’y remédier. C’est d’ailleurs le titre que Florence Deguen a donné à son
papier paru dans Le Parisien le 7 septembre 2012 à propos de la crèche Bourdarias de St Ouen en
Seine-St-Denis. Plus descriptif qu’analytique, il relate du projet éducatif de cette crèche particulière
qui a par ailleurs été la première à faire l’objet d’une visite officielle de ministres à savoir la ministre
des Droits des Femmes et Porte-parole du Gouvernement Najat Vallaud-Berlkacem et Dominique
Bertinotti ministre déléguée à la Famille. C’est à cette occasion que l’article a été écrit, tout comme
celui de Dalila Kerchouche, « Exit les bébés machos » paru trois jours plus tard dans Madame le
Figaro. La crèche Bourdarias est également l’objet d’ « immersion dans une crèche antisexiste »,
article de Léna Mauger paru le 9 décembre 2011 dans le magazine Elle.
I. La relation du personnel avec les enfants
Les articles de Elle et du Parisien insistent sur une dimension particulière de la crèche à savoir son «
inspiration suédoise », ce dernier y consacre même un encadré en conclusion. « Le pays de la parité »
(Mauger) a « directement inspiré » le projet éducatif de la crèche Bourdarias selon Deguen. Elle
rappelle d’ailleurs qu’avec la coopération et la participation financière du Conseil Général de Seine-St-
Denis des intervenants suédois sont venus faire des formations à plusieurs reprises au personnel de la
crèche audonienne et qu’à partir de cette expérience le personnel a pu constater que même sans le
savoir, il véhiculait les stéréotypes d’une société sexiste.
C’est ce point précis qui est au centre du quatrième article que nous avons choisit à savoir « La
réalité de l’égalité entre les sexes à l’épreuve de la garde des jeunes enfants » de Nicolas Murcier
datant du 9 mars 2007. Il énonce très clairement dès le début de son article la problématique de la
perception de la « socialisation différenciée » par les professionnel-les, dont ils et elles n’ont en
général pas conscience. C’est d’ailleurs ce que dit clairement « Béatrice, trente-cinq ans de carrière, «
on pensait ne faire aucune différence et on se voyait […] agir distinctement avec les uns et les autres »
» que ce soit à l’accueil des enfants, pendant la journée au cours des activités ou au moment du départ.
A préciser que la question du rôle et de la relation avec les parents sera abordée ultérieurement.
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Mais en connaissance de ses difficultés et pour les combattre, l’équipe essaye de permettre aux
enfants de se développer sans appréhension, stigmatisation, sexualisation parce que c’est « entre 0 et 6
ans [que] les enfants intègrent des valeurs, des habitudes… » (Mauger). Geneviève Cresson et
Nathalie Coulon rejoignent ici Nicolas Murcier qui, sans le dire explicitement, fait comprendre au
travers de son texte que beaucoup se joue au moment de la petite enfance et qu’il ne faut en aucun cas
négliger cette période de la vie, de « socialisation primaire » (Mauger).
II. Les rôles des parents et du personnel
Murcier le décrit très bien dans son article, la cellule familiale constitue l’élément principal de la
socialisation primaire aussi il ne faut surtout pas négliger l’importance de celle-ci dans l’apprentissage
et la transmission des normes de genre aux jeunes enfants. Que la crèche porte ou non un projet
éducatif visant à remettre en cause les différenciations entre les sexes, si les comportements ne vont
pas dans la même direction à la maison, cela devient difficile voire impossible pour l’enfant de ne pas
s’imprégner de ces normes. Comme le relate l’article de Florence Deguen au travers de l’exemple
d’Arnaud dont le fils est à la crèche Bourdarias : « On ne voyait pas bien ce que le sexisme avait à
voir avec des petits bouts de moins de 3 ans. Et puis, on s’est rendu compte que nous-mêmes on
perpétuait plein de clichés. Notre Adrien était un gars, un grand, un costaud. Jamais on ne lui aurait
dit : T’es mignon…».
Bien qu’il serait intéressant et tout à fait légitime de continuer sur le rôle stricto sensu des parents et
de la cellule familiale, notre sujet porte sur les crèches, les "personnages (adultes) principaux" de notre
analyse sont donc les personnels de ces crèches. Et c’est d’ailleurs sur eux que Murcier centre son
article.
Pour ne pas nous déconnecter des parents si brusquement, autant parler de la relation entre ces
derniers et le personnel. Celui-ci a généralement des attentes quant aux rôles des parents comme le
rappelle Murcier, en se basant sur les travaux de Thierry Blöss et Sophie Odena, via la survalorisation
des mères qui sont les personnes attendues le matin et le soir pour amener et venir chercher les enfants,
les personnes auxquelles l’on fait référence si « le père fréquente la structure d’accueil ». Il va jusqu’à
appeler une des parties de son article « L’idéologie de la primauté maternelle portée par les
professionnelles » pour bien signifier que celles-ci, consciemment ou pas, contribuent à la perpétuation
de ce que Murcier appelle « la partition traditionnelle des rôles parentaux ». A tel point qu’au travers
des différents qu’il dit avoir mené il comprend un dénigrement par les personnels de l’institution dans
laquelle ils travaillent comme étant de seconde zone parce qu’éloignée de la figure maternelle.
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La profession d’Educateur de Jeunes Enfants (EJE) peut donc être auto-dévalorisée, et ce n’est pas
sans conséquence sur la profession. Après la mise à distance des hommes par soupçon, par potentiel
risque de pédophilie, Murcier montre l’importance du matricentrisme chez les personnels d’où selon
lui la nécessaire remise à plat des formations des EJE. Aussi la présence de David dans la crèche
Bourdarias est particulière non seulement parce que « c’est rare, un homme en crèche » comme il le dit
lui-même, mais dans ce projet précis « c’était important qu[’il] ne soit pas porté que par des femmes »
à tel point que selon Deguen « sa présence a balayé les derniers doutes parentaux ». La mixité serait
donc aussi importante entre les enfants dans leurs activités que dans le personnel.
III. L’importance des pouvoirs publics
C’est à l’occasion de la visite ministérielle officielle de septembre que les articles du Parisien et de
Madame le Figaro ont été écrits, faisant apparaître la question des pouvoirs publics comme centrale.
En effet, la création par François Hollande d’un véritable Ministère des Droit des Femmes est un
symbole fort en vue de l’égalité ou du moins de la lutte contre les inégalités. La visite d’une crèche qui
promeut le combat contre les inégalités de genre dès la petite enfance dans son projet éducatif était
donc un symbole fort.
Mais plus que le symbole, le sociologue Nicolas Murcier va argumenter sur des questions sur
lesquelles les pouvoirs publics peuvent agir telles que les congés parentaux où les allocations
familiales… Le premier point qu’il aborde est celui de la « nécessaire modification de la formation des
professionnel-le-s de la petite enfance » pour contrer le matricentrisme évoqué précédemment. Il parle
ensuite de l’importance du développement « des politiques d’égalité femmes/hommes efficientes » qui
dépassent les simples « engagements de principe ». Ceci devant se faire selon lui par la revalorisation
des politiques familiales (APE, PAJE, complément de libre choix d’activité, congé parental
d’éducation…) permettant aux parents, et notamment aux hommes, de placer leurs enfants en crèche
quand les deux travaillent plutôt qu’un système de garde ceci cumulé par la faiblesse des « taux
d’indemnisation qui ne permettent pas de pallier la cessation totale ou partielle de l’activité
professionnelle ». Une des problématiques majeures est celle de l’inadéquation « entre les offres et les
demandes de places en structure d’accueil » d’où sa proposition de « développer une offre publique de
garde » même si la problématique de la précarisation à outrance des femmes reste la contrainte
majeure de la structure du marché du travail française parce qu’influent sur l’adéquation entre vie
professionnelle et vie familiale.
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En suivant les explications, analyses et recommandations de Nicolas Murcier, il apparaît clairement
que c’est tout un fonctionnement institutionnel, tout un système de valeurs qui est à changer parce que
tout est lié autour de la question de la petite enfance : formation des professionnels, capacité d’accueil,
besoin des parents, emplois de ces derniers et égalité entre eux dans ce domaine, lutte contre les
discriminations de genre par toutes les sphères (publiques et privées, sociales et économiques,
familiales et socialisantes).
Si ces articles nous ont permis de prendre connaissance de l’existence de la crèche Bourdarias où
nous avons eu la chance de nous rendre, il convient de préciser que notre rencontre avec la crèche a
révélé les « lacunes » ou plutôt la vision très manichéenne de certains de ces articles (et
principalement l’article paru dans Elle et celui du Figaro Madame), critiques dont nous ferons part
dans la synthèse générale.
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Observation comparée des crèches de
Dauphine et de Bourdarias
Deux T-shirts d'une collection de la marque Petit Bateau qui avait fait beaucoup réagir parceque marquant clairement la différenciation fille/garçon.
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Introduction
Afin de nous rendre compte de l’influence des différences de traitement/pédagogie/mentalité et
relation, interaction quotidienne au sein des institutions de la petite enfance, nous avons décidé de
réaliser deux observations : une dans la crèche de Dauphine “classique” quant à son fonctionnement et
sa pédagogie, et une autre dans une crèche expérimentale située en Seine Saint-Denis, à Saint-Ouen
(Bourdarias) et qui tente, depuis 2009, de ne pas faire de différence de traitement, relationnelle entre
les enfants selon leur sexe et de ne pas véhiculer de stéréotypes masculins/féminins et de fait, de
rééquilibrer les rapports hommes/femmes dans la société et dans les représentations que s’en font les
enfants. Il nous semblait alors intéressant d’observer cet “ovni” de puériculture et d’éducation pour
comprendre et voir ce qui diffère objectivement. Or, au premier abord et d’un point de vue totalement
extérieur et vierge de toutes littératures et d’informations sur le sujet, l’observation dans les locaux de
la crèche de Bourdarias peut sembler décevante car tout semble peu ou prou similaire à une crèche
“classique”. Toutefois, en observant de plus près, certaines différences émergent et semblent avoir une
importance capitale.
C’est pourquoi il est judicieux de réaliser l’étude comparée des deux observations menées selon
plusieurs points : l’organisation des lieux et des temps de vie, la relation personnel/enfants et de ce fait
les comportements variant des enfants observés et les différences au sein du personnel. Il est toutefois
important de signaler avant le développement de cette comparaison que les observations réalisées ont
été assez différentes. En effet, nous avons pu réaliser une observation à la crèche de Dauphine durant
toute une matinée dans le groupe des moyens. Ce groupe était constitué de trois petites filles, Sophie1,
Christine et Hortense et un petit garçon Noé, géré par MATHILDE. Du fait de la présence d’un seul
garçon et de nos attentes de différenciation selon les sexes nous avons parfois eu l’impression de plus
se focaliser sur le comportement de ce dernier, toutefois, les faits relatés ici restent véridiques. Lors de
notre visite à la crèche de Bourdarias, les temps d’observation ont été plus restreints du fait de notre
besoin de s’entretenir avec l’équipe dirigeante de la crèche et les éducatrices de jeunes enfants.
Habituées à être sollicitées par des médias, elles nous ont beaucoup parlé durant l’observation, ce qui
n’a pas laissé la place à une observation participante comme à Dauphine, même si l’analyse des
différences de relation et comportements des professionnels a pu être réalisée.
1 Les prénoms ont été modifiés, et par souci de facilité de lecture, ceux des adultes sont en majuscules.
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I. Une organisation spatiale et quotidienne vectrice de différentiation
Il apparaît tout d’abord que l’organisation des espaces dans lesquels évoluent les enfants au cours de
la journée aient une influence flagrante quant à la reproduction des inégalités entre les enfants de sexe
différent et à la reproduction des stéréotypes.
Lors de l’observation dans la crèche de Dauphine, il nous a été proposé d’observer la matinée dans la
salle des moyens (15-16 mois). En effet, la crèche de Dauphine est divisée en différentes salles
d’activité et de vie selon les classes d’âge, les enfants ne se mélangent donc que lors des arrivées
matinales ou du temps d’attente des parents en soirée. Ainsi dans cette salle, le centre de la pièce est
occupé par un tapis sur lequel est posé une sorte de cage à poules, toboggan. En périphérie de la pièce
sont disposés des lits avec des poupées, une bibliothèque, un four, un coin dînette, une machine à
laver; une petite table pour faire les activités artistiques est placée dans un coin, tout comme le coin
change. Au mur sont affichés un tableau avec les prénoms des enfants, écrits en vert, et un “range-
doudou” avec une petite pochette pour chaque enfant, les prénoms étant écrits en orange.
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La salle principale de la crèche Bourdarias, au rez-de-chaussée, l'entrée se trouve dans le dos du photographe.
La crèche de Bourdarias possède une organisation qui peut paraître similaire mais diffère en
quelques points. Les enfants sont aussi séparés selon les niveaux d’âge mais les salles sont beaucoup
plus grandes et permettent une cohabitation d’un plus grand nombre d’enfants. Par ailleurs, les salles
dans lesquelles l’observation des activités nous a été proposée étaient organisées différemment. Dans
la salle, une table était disposée dans un coin pour faire les activités et plusieurs meubles étaient
disposés au centre de la pièce, dont une bibliothèque et à côté un grand coffre avec des jouets, la
plupart étant des poupées ou peluches. Dans une autre salle d’observation, la disposition des meubles
et jouets était somme toute similaire.
Les différences organisationnelles de l’espace peuvent paraître anodines, mais cela est d’une
importance à ne pas négliger. Effectivement, les jouets à dominante “jeu de rôle et d’imitation” sont, à
Dauphine, tous situés en périphérie de la salle, jeux vers lesquels les petites filles vont être plus
incitées à se tourner du fait de leur socialisation familiale ou des propositions des puéricultrices, alors
que les petits garçons sont plus enclins à jouer à des jeux de motricité et agilité. Ainsi, les petites filles
vont être envoyées en périphérie et dans un coin de la salle et les petits garçons vont potentiellement
occuper le centre de la pièce. Du fait de l’organisation de la salle différente à Bourdarias et la mise en
place des jeux d’imitation et de rôle au centre de pièce, la crèche tente de permettre aux petites filles
de s’affirmer et de ne pas être reléguées dans un coin.
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Par ailleurs, l’offre d’activités diffère également entres les deux crèches. Lors de notre visite à la
crèche de Dauphine, les enfants ont participé à une activité créative de dessin. Toutefois, cette activité
a été réalisée car un enfant a sollicité la puéricultrice MATHILDE pour dessiner. Celle-ci a donc
proposé aux autres enfants présents de suivre Noé et de participer. Au contraire, la crèche de
Bourdarias propose tous les jours différentes activités aux enfants qui sont incités à aller dans toutes
les activités quel que soit leur type : créative, manuelle, motrice... Ainsi, le jour de l’observation
étaient proposées aux enfants une activité de jeux aquatiques, une de bricolage et de peinture sur pot.
Cette différence dans les choix des activités et la manière dont elles sont présentées aux enfants est
déterminante. En effet, même si les enfants de la crèche de Dauphine sont encore assez jeunes le fait
de proposer des activités différentes tous les jours aux enfants et de les inciter quelque soit leur sexe à
choisir l’une ou l’autre permettrait à ces enfants de pouvoir participer à des activités auxquelles ils
n’auraient peut-être pas pris part car n’étant pas connotées selon leur sexe biologique, comme c’est le
cas à Bourdarias. Effectivement, lors de l’observation, plusieurs petites filles participaient à l’activité
bricolage, un petit garçon faisait de la peinture sur pot et la parité était respectée quant à l’activité
aquatique. Ainsi les stéréotypes et les comportements sexués qu’ils véhiculent sont mis à mal dans la
crèche de Saint-Ouen. Dans celle de Dauphine, et face à l’absence de propositions d’activités et
l’incitation à y participer, les enfants seront alors probablement plus enclins à se tourner vers des
activités correspondant aux attentes sociales de leur sexe biologique, même si lors de l’observation un
petit garçon a demandé à faire une activité typiquement plus “féminine”, les enfants ne sont pas incités
directement à faire cela.
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Une autre différence est observable au sein des deux institutions : les livres et supports pédagogiques
utilisés pour le temps calme. MATHILDE a tout d’abord utilisé des images auxquelles était associé le
son qui y correspondait. Les images qui représentent des instruments de musique (piano, guitare,
saxophone) sont toujours associées à des petits garçons, tout comme celles qui représentent un sport,
on voit par exemple des petits garçons jouer au basket ou en train de faire du vélo. Viennent ensuite
des images pour exprimer des sentiments, un petit garçon qui pleure, une petite fille qui fait un câlin
avec sa mère ou une petite fille qui hurle. D’autres images sont présentées aux enfants telles des
mixeurs, machines à laver, marteau, voiture.. Les enfants ont ensuite eu droit à une histoire enregistrée
sur un CD audio dont les protagonistes étaient des animaux mais dont les voix étaient essentiellement
masculines, notamment pour les personnages principaux.
Lors du temps calme observé dans la crèche de Bourdarias, le livre lu aux enfants était intitulé
“Monsieur Papa et ses 10 enfants”, histoire racontant le quotidien d’un père de famille au foyer
s’occupant de l’éducation de ses 10 enfants. De plus, l’auxiliaire de puériculture présente dans la salle
d’observation nous a expliqué que les livres lus, mais également les puzzles ou autres supports
éducatifs étaient choisis pour ne pas véhiculer des stéréotypes genrés aux enfants. Ainsi, il apparaît
que dans les choix qui peuvent sembler anodins de supports pédagogiques, les enjeux soient cruciaux:
à Dauphine, la prédominance et la valorisation se portent sur les individus de sexe masculin alors que
les livres ou autres jeux de Bourdarias tentent d’aller à l’encontre des standards stéréotypés et de
rééquilibrer les rapports entre sexes. Toutefois, même si cela peut avoir une influence, celle-ci est
démultipliée par les relations entre le personnel et l’enfant.
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Une "table musicale" dans la salle de musique de la crèche Bourdarias de St Ouen
II. La relation personnel/enfants : une différence de comportements et de
rapports selon les sexes
Lors de nos enquêtes de terrain, des différences de comportements et de réactions face aux enfants
ont été observées, mais des transmissions de stéréotypes sont aussi observables.
Tout d’abord, il semblerait que les auxiliaires de puériculture puissent avoir des influences sur la
socialisation genrée des enfants du fait de leurs réactions et comportements divergents selon le sexe de
ces derniers. En effet, lors de l’observation à la crèche de Dauphine il apparaît que la tolérance vis à
vis des comportements masculins est plus grande que face aux petites filles. Différents exemples
illustrent cela : l’accueil matinal des enfants se fait entre 9h et 9h30, les enfants pendant ce temps
évoluent tous ensemble dans le couloir. Pendant ce laps de temps, les petits garçons criaient et
empêchaient les filles de venir avec eux, sans aucune intervention des auxiliaires. Cependant, dès lors
qu’une des petites filles s’est mise à crier une des puéricultrices présentes lui a dit “arrête de crier, ça
ne sert à rien”. Par la suite, lors de l’observation dans la salle des moyens Noé le petit garçon vole le
jouet avec lequel jouait Hortense, celle-ci se met donc à crier, MATHILDE luit dit alors qu’il est
inutile de crier et invite Noé à prendre d’autres jouets. Cependant, dès que Christine essaye à son tour
de prendre le jouet d’une de ses camarades, MATHILDE lui fait alors directement les gros yeux et lui
montre sa réprobation. Ensuite, les petites filles jouent avec des jeux de construction, Christine
construit une tour et Noé arrive et décide de prendre la tour et de la détruire, personne ne dit rien. Plus
tard, l’activité lecture est un moment d’interaction entre les enfants et l’adulte, cependant MATHILDE
sollicite constamment Noé si celui-ci ne participe ou n’imite pas l’image présentée. Par ailleurs, quand
celle-ci baisse les images quelques secondes pour expliquer quelque chose à un des enfants, Noé hurle
alors et MATHILDE remontre directement les images en lui disant “oh pardon”. À table, MATHILDE
est assise à côté de Noé pendant tout le repas. Au bout d’un moment Hortense décide de ne plus
manger, MATHILDE lui dit alors que c’est tant pis pour elle et que c’est une vilaine fille. Noé ne
mange pas non plus, MATHILDE l’aide à manger, elle lui dit “je t’aide Noé parce que tu n’as pas
mangé grand chose”. Au moment du dessert, Hortense refuse de goûter la salade de fruits, personne ne
s’en occupe, Noé, lui, est incité voire forcé à goûter la salade de fruits. Cependant, les puéricultrices
semblent également avoir un comportement différent avec les petites filles, plus doux et dans la
valorisation esthétique de celles-ci. Lors du repas MATHILDE et la cuisinière qui aide à nourrir les
enfants demandent ensemble à Hortense si elle s’est coupée les cheveux, mais lui disent aussi qu’elle
est “coquinette”. De plus, lors des changes, MATHILDE fait des câlins et des chatouilles aux petites
filles. Enfin, lorsqu’arrive le moment du rangement, tous les enfants sont incités à ranger. Or Noé reste
de côté, MATHILDE le rappelle alors à l’ordre “Noé a le droit de venir aider à ranger aussi”. Ce
dernier se rapproche de MATHILDE et des filles mais n’aide pas à ranger et n’est pas repris par
22
MATHILDE. Néanmoins, les petites filles sont tout de même sollicitées et encouragées à se
débrouiller seules, lors de l’activité dessin: elles sont invitées à ouvrir leur feutre seule “essaye toute
seule, tire fort”, ou alors lorsqu’elles n’ont plus envie de faire une activité “tu peux y aller Sophie”, ou
sont félicitées “tu te débrouilles bien pour manger toute seule”. De plus, MATHILDE même
lorsqu’elle est occupée par Noé reste présente pour les petites filles.
Au contraire, à la crèche de Bourdarias les choses sont tout autres. En effet, les enfants sont
interpellés par leurs noms et sollicités à parler beaucoup d’eux et de leur ressenti. Zélie est ainsi
arrivée à l’activité peinture sur pot après avoir participé à l’activité aquatique et CLARISSE lui a posé
de nombreuses questions en lui demandant si elle avait eu moins peur que la fois précédente ou si elle
avait apprécié cette activité. Zélie répondait à toutes ces questions. En effet, les enfants sont incités
dans cette crèche à dire ce qu’ils pensent et ce dont ils n’ont pas envie. Ainsi lors de la lecture pendant
le temps calme, les enfants sont tous assis et participent à l’histoire, en faisant des commentaires, Zélie
ponctue chaque fin de page par “bah ouais”. Les puéricultrices de la crèche de Bourdarias tentent
d’établir un équilibre entre les garçons et les filles en ne permettant pas aux petits garçons de
s’imposer et de prendre plus de place, ce qu’ils font plus facilement et incitent les filles à s’exprimer.
Les institutions de la petite enfance peuvent également générer des stéréotypes dans la construction
des enfants du fait des interactions quotidiennes.
Tout d’abord, à la crèche de Dauphine, aucun professionnel homme n’est présent alors qu’un
éducateur est présent à la crèche de Bourdarias, même si celui-ci exerce un poste à autorité ce qui n’est
pas le meilleur exemple d’égalité sexuelle. De plus dans leurs interactions quotidiennes les
puéricultrices de Dauphine transfèrent ces stéréotypes. Ainsi, lors de l’observation à Dauphine, un
bruit de mixeur provenant des cuisines s’est fait entendre, Christine s’est alors écriée “Maman?”,
MATHILDE a eu pour réaction de demander à Christine “ c’est maman qui cuisine à la maison? Elle
cuisine maman à la maison?”. Lors du rangement MATHILDE a incité Sophie à coucher les poupées
pour “qu’elles fassent la sieste”. Le moment du temps calme a aussi apporté son lot de stéréotypes.
Une des images présentées représentait un aspirateur, MATHILDE a alors demandé aux enfants “qui
fait le ménage à la maison? C’est Maman?”, les enfants ont répondu oui, et MATHILDE a ensuite
demandé “c’est Papa?”. Un des enfants répond alors que son père fait le ménage, MATHILDE répond
alors “c’est bien si c’est papa, je dirai à ton papa que c’est très bien”. Par ailleurs, l’interprétation de
deux autres images est vectrice de différenciation genrée: lorsque la photographie d’un petit garçon en
train de pleurer apparaît MATHILDE explique que celui-ci pleure car “il a peut-être un bobo, ou il
s’est fait gronder”. Pour ce qui est de la petite fille en train de crier, celle-ci “nous casse les oreilles”.
23
L’observation dans la crèche de Bourdarias a été moins longue et n’a pas permis de relever des
stéréotypes transmis comme cela, la lecture du livre parlant par exemple d’un père au foyer ou les
auxiliaires tentant d’aborder au maximum les enfants comme des êtres et individus à part entière et
faisant un lourd travail sur eux-mêmes pour ne pas véhiculer des stéréotypes genrés. En effet le
personnel de Bourdarias est en perpétuelle remise en question quant à ses approches pédagogiques et
relationnelles avec les enfants. Les auxiliaires sont en constante observation mutuelle et se font des
remarques pour permettre de ne pas faire de différences entre les enfants.
Ainsi, dans la crèche “traditionnelle” et au terme de l’observation menée il apparaît que des
stéréotypes sont véhiculés tout au long de la journée, assignant les femmes aux tâches domestiques et
familiales et valorisant le caractère plus fort des petits garçons et des hommes en général. De plus les
relations entre collègues sont moins fréquentes dans cette crèche ce qui ne permet pas forcément
l’observation et les remises en question que réalise le personnel de la crèche de Saint-Ouen.
Or, toutes ces différences entraînent également des comportements variant selon le sexe des enfants.
A la crèche de Dauphine, les enfants ne se mélangent pas trop. Lors du temps d’accueil, les petits
garçons jouent majoritairement entre eux et rejettent les petites filles qui voudraient les rejoindre,
celles-ci jouant donc entre elles ou dans leur coin. En effet, une petite fille voulait rejoindre le fort que
s’étaient construit les garçons et leur emprunter un ballon, ceux-ci ont refusé. Par ailleurs, les enfants
n’ont cessé de vouloir se voler les jouets avec lesquels ils jouaient, se disputant et s’énervant ainsi
beaucoup entre eux. De plus, lors de l’observation, mis à part Noé, les enfants ont été très perturbés
par notre venue, ceux-ci étaient étonnés et méfiants de nous voir dans la salle. Malgré les
encouragements de MATHILDE aucun d’entre eux n’a osé venir nous voir, se rapprochant mais
restant toujours à une certaine distance ou en cherchant à attirer notre attention en jouant à cache-
cache de loin avec nous. Toutefois, aucun réel contact n’a été réalisé avec les enfants lors de cette
observation.
En revanche, lors de l’enquête de terrain menée à Bourdarias, les enfants n’ont pas semblé perturbés
par notre présence et sont même venus spontanément pour nous parler, nous donner des jouets. De
plus, il n’y a pas eu lors de notre visite de chamailleries entre les enfants quant à l’obtention de
certains jouets. Les enfants sont aussi incités à jouer tous ensemble et sont en réalité toujours mélangés
entre sexes pour les activités. Le but de cette crèche est de rééquilibrer les rapports entre sexes.
Ainsi, il semblerait que dans la crèche de Dauphine les relations intersexes mais également entre
enfants soient plus compliquées et que les enfants soient moins curieux ou aventureux. Les enfants
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évoluant au sein de la structure de Bourdarias sont beaucoup plus respectueux les uns des autres mais
également ont une meilleure confiance en eux qui leur permet d’appréhender les étrangers de manière
plus courageuse.
Conclusion
Les interactions et la vie quotidienne des crèches semblent avoir une importance quant à leur
influence sur la socialisation de l’enfant. En effet, les crèches “normales” sont vectrices de stéréotypes
et de dévalorisation féminine, incitant l’affirmation masculine, de par leur espace organisationnel,
leurs activités, mais également par les réflexions du personnel et le comportement de celui-ci qui
diffère selon les enfants et leur sexe. En revanche, dans une crèche tentant d’effacer toutes ces
différences, les références aux stéréotypes et attentes masculines/féminines semblent se dissiper. Cela
semble avoir une influence directe sur les enfants qui sont beaucoup plus respectueux et ont une
meilleure estime d’eux mêmes, ce qui peut conduire à des futurs adultes ayant une vision plus
équilibrée des rapports de sexe et faisant la guerre aux stéréotypes genrés.
25
Introduction
La recherche d’articles en rapport avec notre sujet nous a rapidement menés sur l’initiative
départementale d’une crèche de la Seine-Saint-Denis, la crèche Bourdarias. Décrite comme une crèche
luttant pour l’égalité et la parité à travers les activités proposées aux enfants, nous avons décidé d’en
contacter la direction afin d’y mener notre enquête de terrain, en comparaison de l’observation menée
à la crèche « traditionnelle » de Dauphine.
Nous voilà donc sur le chemin de la crèche, désormais trop vieux pour y emporter notre doudou, mais
encore trop jeunes pour y déposer non sans pincement au cœur notre bambin. C’est avec notre
dictaphone et notre grille d’enquête que nous avons frappé à la porte de la crèche. Nous avions hâte
d’observer de nos propres yeux cette crèche pour l’égalité.
I. Approche ethnographique pré-entretien
A peine mettons-nous un pied dans le bureau de la direction que nous apercevons une « Charte de
l’Egalité », grand kakémono érigé à la vue de tous les visiteurs. Application directe oblige (ou simple
coïncidence ?), la direction de la crèche est composée d’une directrice, Madame Aude Constantin et
d’un directeur adjoint, M. David Helbecque. Bureaux identiques, l’un face à l’autre, il semblait que
tout était réuni pour pouvoir parler sereinement d’égalité et de genre.
« Il y a des parcours où l’on ne sait pas trop pourquoi on y arrive ; puis on y arrive, on y va… Et puis
on y reste »
A. Une équipe dirigeante qui a suivi sa trajectoire, et surtout ses convictions
Madame Constantin, 43 ans et maman d’une petite fille, se refuse immédiatement de parler de «
vocation » en évoquant son métier et préfère parler tout simplement de «formation». Si cela ne fait que
12 ans qu’elle travaille dans les métiers de la petite enfance, notre enquêtée exerçait dans un premier
temps en maternité. Quelque temps après avoir été auxiliaire de puéricultrice, puis éducatrice de
jeunes enfants (EJE) pendant 7 ans, Mme Constantin a par la suite souhaité accéder à des
27
responsabilités d’encadrement en obtenant un Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et
de Responsable d’Unité d’Intervention Sociale. Après avoir également obtenu un master 1, la
directrice poursuit sa formation aujourd’hui en master 2 en « Intervention Sociale et Education
Familiale » à Paris X Nanterre, son sujet de mémoire portant sur la question du genre. Elle précise
enfin que son arrivée dans cette crèche est un hasard : la directrice précédente avait en effet déjà
enclenché le processus, et Madame Constantin y a tout de suite adhéré, en souhaitant porter ce projet
très prometteur, et répondant à ses propres convictions.
Monsieur Helbecque, 36 ans, se destinait quant à lui à des études scientifiques, comme beaucoup de
ses camarades masculins. Mais une rencontre amicale de jeunesse le rapprochant du monde du
scoutisme et de valeurs telles que la prise de responsabilités et l’ouverture aux autres, ainsi que le
passage par le service militaire en gendarmerie dont il a préféré la dimension préventive au détriment
du côté trop « militaire » lui ont révélé son primat pour le rapport humain. C’est alors que de retour de
son service militaire, M. Helbecque entre dans le milieu associatif de l’éducation populaire pour
développer une pédagogie au sein de ces quartiers. Fort de nombreuses rencontres, il se lance dans des
études d’Educateur de Jeunes Enfants (EJE), et se rend compte qu’il y a trouvé sa « voie ». A la
question de la réaction de son entourage quant à cette décision, le sous-directeur répond
immédiatement qu’ « il faut savoir que dans ma famille les hommes s’occupent beaucoup des enfants
», avant d’évoquer un oncle ayant arrêté de travailler pour s’occuper de ses enfants, ou encore de son
père s’occupant de lui et de ses frères les week-ends où leur mère travaillait.
Aux côtés de M. Helbecque, seul un autre homme (ensuite devenu éducateur spécialisé) suivait cette
formation sur une promotion de 60 étudiants, illustration de l’ancrage féminin (évident ?) de ce métier,
et de la plus forte aspiration des hommes d’accéder à des postes de pouvoir. Du fait même que M.
Helbecque soit à cette époque le seul homme, et de fait plus âgé que les autres (car déjà passé par
d’autres formations antérieures), il fut rapidement associé à cette « double casquette : expérience
+homme, on m’a dit que c’était facile d’accéder à des responsabilités ». Mais il assure que c’est de
par sa personnalité qu’il en est arrivé là. Après avoir exercé en tant qu’éducateur de terrain, il aspire à
plus de responsabilités et souhaite accompagner des projets. C’est alors qu’il frappe à la porte de cette
crèche dont il apprend le projet genre pour l’égalité fille-garçon. Et entre immédiatement dans la
dynamique de la crèche.
« La directrice précédente avait déjà fait un gros travail quant à la place de l’homme dans les
crèches. »
28
B. Une pédagogie suédoise adaptée à la française : de la pédagogie «
compensatoire », à la pédagogie « active »
La naissance de ce projet est un long processus et ne s’est pas fait du jour au lendemain. Depuis
2005, le département de la Seine Saint-Denis s’intéresse à l’identité sexuée de l’enfant mais aussi à la
violence faite aux femmes. Suite à une journée professionnelle organisée à l’attention de tous les
agents de service de la petite enfance durant laquelle étaient présentes des personnalités parmi
lesquelles Françoise Héritier, l’Observatoire des inégalités de la Seine Saint-Denis a souhaité
rapprocher ces questionnements sur la petite enfance au pan de la violence faite aux femmes et a
organisé, en 2007, un voyage d’études en Suède. De fait, il s’agissait d’y découvrir les écoles
préscolaires où les questions de genre sont parties prenantes de leur pédagogie dite « compensatoire »,
sans oublier que les pays nordiques et en particulier la Suède, sont les meilleurs élèves dans le champ
de l’égalité au niveau mondial. Revenue enchantée, l’équipe a décidé de s’inspirer de cette expérience
pour proposer d’expérimenter une pédagogie similaire dans une crèche du département, adaptée au
système français. C’est alors qu’en 2007, la crèche Bourdarias est choisie (la directrice de l’époque,
Marie-Françoise Belammy souhaitant déjà depuis longtemps y faire entrer des hommes en tant
qu’éducateurs) pour expérimenter une pédagogie qualifiée d’ « active » (terme préféré à celui de «
compensatoire »).
Si l’on préfère ici parler de pédagogie « active », c’est parce qu’il n’est pas question de faire un «
copier-coller » de la pédagogie suédoise. Dans un premier temps parce que cela n’a pas de sens, mais
surtout parce que les deux pays ne sont pas situés sur le même plan au niveau de l’avancée égalitaire.
En Suède, les deux parents ont droit à des congés parentaux de même durée, les crèches n’existent pas
(on parle d’ « écoles préscolaires »), et enfin, le niveau d’étude des éducateurs suédois est beaucoup
plus élevé du fait même qu’ils soient des universitaires. C’est donc un tout autre paradigme qu’il est
nécessaire d’avoir à l’esprit pour légitimer cette adaptation à la pédagogie suédoise.
La démarche enclenchée dans la crèche est donc le produit de plusieurs étapes, dont l’adhésion des
acteurs de la crèche a constitué le moteur fondamental : « En fait quand on a commencé à faire ce
travail, on l’a fait sans de chemin tracé. On l’a vraiment fait avec notre sensibilité, voilà, ce qu’on
avait en nous ».
« Faire émerger une pensée n’est pas forcément très facile, surtout auprès de cette tranche d’âge
d’enfant, car ça réveille beaucoup de sa propre histoire, de ses propres pulsions »
29
C. Un travail réflexif qui fait partie d’un processus
Le point central qu’il faut avoir à l’esprit et que nous avons compris à l’aide cette enquête est que ce
travail vers l’égalité est un véritable processus, qui se fait au quotidien, et qui paraît même presque
imperceptible lors de nos observations. Il ne suffit pas en effet de tendre un marteau à une petite fille et
un poupon à un petit garçon pour marcher vers l’égalité. Cela passe tout d’abord par un long travail
réflexif sur le personnel-même de la crèche et sur leur propre attitude envers les enfants. « Tout cela
passe par l’attitude des adultes » déclare la directrice, « parce que les enfants imitent les adultes ».
L’ensemble des acteurs de la crèche a dû par exemple se poser la question du genre, de l’inégalité, et
du sens que ces termes pouvaient avoir pour chacun d’entre eux. Puis elle précise que « tout ce qu’on
vous dit là, c’est un long cheminement de réflexion, d’observation, car ce qu’on peut arriver à dire
aujourd’hui c’est parce qu’on a énormément observé les enfants et nos propres attitudes à nous
aussi». Avant d’avouer que souvent « le naturel » les rattrape lorsqu’il leur arrive encore
inconsciemment de dire qu’une petite fille a une jolie robe ou qu’un petit garçon est très courageux...
Mais le fait même de s’interroger sur leurs propres comportements est une étape du projet, et cela
continue toujours aujourd’hui. «On n’a pas encore fini de travailler sur nous » rajoute le directeur
adjoint.
Pour donner un exemple parmi tant d’autres, un des apports de la pédagogie suédoise a été de
réfléchir sur l’attribution des adjectifs attribués généralement aux petites filles et aux petits garçons.
En traduisant ainsi des adjectifs suédois en français, et en les réadaptant au contexte, une grille
d’adjectifs (qui est en annexe de notre dossier) a été construite et mise à la disposition des éducateurs
ainsi que des parents afin de cocher les adjectifs qu’ils étaient habitués, sans en avoir conscience, à
attribuer aux enfants selon leur genre. Dans les stéréotypes, « le garçon doit être courageux, qu’il soit
fort et qu’il ne pleure pas et il faut que la petite fille soit belle. Belle et tais-toi » ajoute enfin la
directrice. Le travail sur soi passe donc également par la parole, fort vecteur de clichés et stéréotypes.
« C’est un vrai travail en commun. Ce n’est pas juste une équipe pensante (la direction) et les autres
au travail »
D. Plus qu’une simple crèche : une équipe
Pendant l’entretien, la direction a longuement insisté sur le travail mené collectivement par
l’ensemble des acteurs de la crèche, de la lingère à la direction, en passant par les auxiliaires de
puéricultrices et le cuisinier. Ainsi, le travail réflexif s’est effectué dans tous les « corps » de métiers
30
de la crèche, parce que chacun est en contact avec l’enfant et lui transmet son vécu, sa vision des
choses. Tous participent à la vie de la crèche : les auxiliaires de puéricultrices sont présentes au
quotidien, la direction, mais aussi la lingère qui anime les activités de jeux d’eau par exemple, ou
encore le cuisinier qui encadre les ateliers cuisine du jeudi. En plus de la démarche en elle-même, ce
projet a d’ailleurs la particularité de fédérer l’ensemble de la crèche.
Si nous avons insisté sur le travail réflexif effectué par le personnel de la crèche, il faut savoir que
les parents sont aussi partie intégrante de ce projet. « On ne peut pas mener un tel projet sans eux non
plus. Les premiers éducateurs de leurs enfants ce sont eux ! ». Outre les réunions d’information ou
autres conférences sur le genre auxquelles ils sont vivement conviés, ces derniers sont également
amenés à réfléchir sur leurs propres pratiques. Pour la direction, « l’idée est de travailler main dans la
main ». La grille d’adjectifs précédemment évoquée leur a par exemple été soumise, en complément
d’un questionnaire sur la répartition des tâches ménagères dans leurs foyers. De plus, les parents sont
toujours fortement invités à visiter la crèche, à participer à des ateliers avec leurs enfants et les
éducateurs, et notamment les pères. Si la directrice avoue avoir observé une évolution quant à
l’implication des pères dans l’investissement de l’éducation de leurs enfants, il arrive encore parfois
que le père ne soit jamais venu chercher son enfant. C’est aussi contre ce phénomène que le projet
mérite d’être mené : la direction invite ces papas à se rendre dans la crèche, donnant parfois même lieu
à des situations amusantes à l’image d’ un papa très « robuste » (sans vouloir attribuer d’adjectif
masculinisant !) qui paraît tout timide au milieu de l’univers des enfants. La directrice déclare
observer relativement un plus grand investissement du père dans les jeunes familles appartenant à un
statut social élevé.
Mais l’implication des parents au sein de cette crèche va bien au-delà. Conscients du fort potentiel
de ce projet, certains parents ont eux-mêmes décidé de monter une association (« Graines d’égalité »)
afin de défendre et développer ce projet au-delà même des frontières de la crèche pour que ce
processus égalitaire se poursuive à l’école. Une maman (journaliste travaillant au planning familial et
faisant depuis longtemps partie d’organisations féministes) que nous avons eu la chance d’interroger et
qui a accepté de répondre à nos questions nous a justement confié que « ce qu’il y a d’intéressant ici,
c’est que les professionnels ont mené une réflexion d’analyse de leurs propres pratiques et de leurs
propres représentations », et que les parents essayent « de faire franchir le ‘projet genre’ des murs
vers la maternelle et la primaire ».
« On fait un travail important et on caricature négativement notre travail, et on souffre de cela»
31
E. C’est un chemin vers l’égalité, pas un renversement des stéréotypes.
En allant à la rencontre de cette crèche, il faut avouer que nous nous attendions à voir de nos propres
yeux ce qui est majoritairement décrit dans les articles de presse, à savoir les petites filles avec un
marteau et les petits garçons en train de changer des couches à leur poupon. Mais nous avons
rapidement pris conscience que le chemin vers l’égalité se faisait de façon beaucoup plus
imperceptible, presque invisible, mais surtout au quotidien. « C’est de l’attitude, c’est des
comportements, c’est des paroles. Vous pouvez sortir de là en vous disant que finalement c’est une
crèche comme une autre, avec des activités comme une autre, pas plus ni moins. Mais c’est beaucoup
dans la pensée, dans les attitudes et dans les personnes aussi », précise la direction.
Car il s’agit en effet d’une crèche comme une autre, de l’arrivée des enfants, à la sieste, en passant
par les activités proposées aux enfants ou encore aux règles fixées par le personnel d’encadrement.
Certes à la différence des autres crèches, des activités telles que le bricolage, la cuisine, ou encore
l’atelier « émotions » sont proposées à tous, mais il ne s’agit là qu’une étape du projet, participant à la
démarche complète. Le but n’est pas de forcer les petits garçons à pouponner mais plutôt de leur
laisser le choix, et également pour les petites filles. « On invente tout le temps, on est tout le temps
dans la créativité, l’inventivité, l’innovation… », ajoute la directrice, avant que le directeur adjoint
complète : « c’est un travail de fourmi, minutieux, invisible, dans le temps, en cohérence d’équipe…
Des choses longues! ». Ce travail minutieux ne passe donc pas forcément que par les activités mais
surtout par l’ensemble des images, des comportements, que les enfants ont tendance à enregistrer.
C’est pour cette raison qu’un grand travail, avec l’aide d’une association, a été effectué entre autres
sur la lecture faite aux enfants de façon à supprimer tout ouvrage trop stéréotypé, reléguant la mère
aux fourneaux et le père au travail. Il a été également observé que les animaux connus pour être forts,
courageux, tels le lion, incarnent des personnages masculins ; tandis que les animaux frêles, peureux,
nécessitant une protection, tels les petits oiseaux, incarnent des personnages féminins. La direction
banni ainsi la littérature jeunesse vecteur de schémas stéréotypés, et promeut au contraire des ouvrages
tels « Je veux un zizi » de Laetitia Lesaffre aux éditions Talons hauts. Et c’est surtout le fait que la
direction ait un « œil critique sur ce qu’ (ils) proposent aux enfants (…) et la façon dont (ils)
accompagnent l’histoire » qui est important dans la démarche. M. Helbecque évoque à ce titre une
anecdote autour d’un moment de lecture aux enfants, mettant en scène un animal dont on ne
connaissait au départ pas le sexe, en train de prendre dans ses bras son enfant qui n’arrive à dormir.
Instinctivement, les enfants ont attribué ce rôle à la maman. Si M. Helbecque n’a pas imposé
d’attribuer au contraire ce rôle au papa, il a tout de même « suggéré » aux enfants d’avoir le choix. Si
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le choix s’est porté, pour les enfants, sur le fait qu’il s’agisse d’une maman, l’important est de retenir
que l’adulte a simplement proposé un choix, une alternative.
Car il ne s’agit en aucun cas d’inverser les stéréotypes : « On ne va pas non plus tout bannir »
déclare la directrice, « ce serait ridicule, et on tomberait dans des excès » continue-t-elle. C’est ce que
condamne les acteurs de cette crèche à propose de ce qui a pu être décrit par de nombreux
journalistes : « On a rencontré pas mal de médias, et ce n’est pas forcément bien compris ! », avant de
nous avouer désormais refuser tout interview de journalistes.
L’objectif n’est pas de gommer les différences entre filles et garçons mais bien plutôt de leur
apprendre à vivre harmonieusement, en leur donnant accès à tout, de façon égalitaire, et surtout les
aider à acquérir une estime de soi. Les enfants sont invités à s’exprimer, à exprimer leur sensibilité,
leur personnalité, et ce sans complexe de genre, et c’est pour cette raison qu’il peut arriver que filles et
garçons soient parfois séparés, pour que par exemple les filles apprennent à crier fort, mais pas pour
les forcer à agir « comme un garçon ». Le but étant « qu’ils s’autorisent à exprimer leur personnalité
telle qu’elle est et pas telle qu’on voudrait qu’elle soit. C’est pour éviter de les enfermer dans des
stéréotypes justement on les sépare un tout petit peu ; on leur propose, ce sont des propositions en fait
», ajoute la direction.
Si les effets d’un tel projet sont encore difficilement perceptibles, ils semblent néanmoins
prometteurs si l’échelle de cette initiative se voit élargie tant sur un plus grand espace que dans les
échelons scolaires supérieurs. La cour de récréation de la maternelle qui se situe en face de la crèche
Bourdarias permet aux éducateurs de reconnaître les anciens enfants de la crèche qui semblent plus
affirmés que les autres, et occuper l’espace de façon égale pour les filles et les garçons. Enfin, à une
tout autre échelle, deux jeunes étudiants suédois de 20 ans qui sont passés par les écoles dites «
préscolaires » ont été interrogés et déclarent avoir acquis une grande estime de soi, une confiance qui
leur permet d’entreprendre sans complexe leur avenir.
« On essaye de maintenir ce projet quand même dans une réalité de terrain qui est complexe »
F. Un immobilisme des pouvoirs publics
Si le projet de cette crèche est porteur d’un fort potentiel, et suscite l’adhésion tant du personnel de
la crèche que des parents, il semble néanmoins qu’il rencontre une forte résistance de la part des
institutions et notamment du Conseil Général. Le cas est justement bien différent en Suède où les
initiatives viennent du gouvernement lui-même. « On est un peu seuls dans cette histoire quand même
», avoue la directrice. Car si le Conseil Général a financé la formation de 12 jours en Suède, les
33
réflexions qui ont suivi ne sont que le fruit du personnel de la crèche et des parents, et cette institution
« s’est sentie dépassée par notre travail », pense Mme Constantin qui dénonce le manque de marge de
manœuvre accordée à la crèche.
C’est notamment face à cette inertie politique que les parents se sont montés en association. L’idée
est de poursuivre ce projet, de le développer, et le transporter au-delà des frontières de la crèche, car
peu d’initiatives semblent être mises en œuvre dans ce sens. Et la direction souligne fièrement cette
implication des parents, soulignant une fois de plus la dimension fédératrice du projet, « c’est grâce
aux parents que les choses vont bouger ! S’il se passe quelque chose c’est grâce à eux » insiste la
directrice. Pour les mêmes raisons, il semble que l’équipe dirigeante désire également exporter et
développer ce projet ailleurs, là où les conditions seront davantage favorables et moins soumises à une
résistance financière ou idéologique : « Nous on n’a pas les moyens (…), On ne peut pas faire ce
qu’on veut, on ne peut pas dire ce qu’on veut, diffuser ce qu’on veut… » insiste la directrice. Avant
d’ajouter que la résistance à la diffusion de ce projet à l’ensemble des crèches du département vient
d’une incapacité du Conseil Général à fédérer et à trouver des équipes suffisamment motivées pour
mener à bien un tel projet. La priorité ne semble donc pas à ce type de dossiers, en addition aux
restrictions budgétaires. La direction parle ainsi de « forces contraires »… même si elle tente de rester
optimiste pour les années à venir.
II. Réflexions post-entretien
En plus d’avoir très fortement contribué à notre étude, cet entretien nous a appris énormément sur les
aléas de la recherche. On peut dans un premier temps évoquer la relation enquêteurs-enquêtés qui,
même si peu perceptible dans notre analyse, s’est « détendue » tout au long de l’entretien. Si les
premières questions sont assez neutres et ne nécessitent pas de parler de soi ou d’anecdotes plus
personnelles, cela vient plus « naturellement » au bout d’un temps nécessaire pour instaurer une
confiance, peut-être en voyant que notre démarche n’est pas la même que celle des journalistes…
Par ailleurs, afin de préparer au mieux notre entretien et du fait de suivre le cours de sociologie du
genre, nous étions, avant-même de mener notre enquête, relativement informés sur la question du
genre dans la crèche et plus particulièrement de l’initiative de Bourdarias. Il est important d’avouer
que nous « appréhendions» certaines réponses, voire même que nous étions avides de clichés (que
nous n’avons bien sûr pas observés ni entendus) relatés dans la presse et justement dénoncés par la
crèche. Inversement, nos enquêtés très avertis sur le sujet également, comprenaient la démarche
34
sociologique derrière nos questions, à l’image de la réponse que donne Mme Constantin : « vous avez
une vision trop schématique dans votre tête ! (Rires) » à l’une de nos questions.
En complément des remarques précédentes, on peut ajouter que le simple fait d’étudier la sociologie
du genre est un « risque » de voir des stéréotypes partout ; la difficulté a donc été de s’en détacher et
de prendre du recul.
Le FILM
Le Genre idéal : film réalisé collectivement par le personnel de la crèche Bourdarias dans le cadre des
Observatoires des Inégalités. Diffusion à l’Espace 1789 de Saint-Ouen en présence des élus du Conseil
Général. Avant-première suivie d’une discussion.
A la suite de notre entretien, la
direction nous a invités à la
projection en avant-première du
film réalisé par le personnel de
la crèche que nous avons
rencontré. Ce film permet de
retracer la démarche de la crèche
que nous avons retracée, un peu
comme « pour rendre visible ce
qui paraît invisible ». A travers l’intervention de tous les acteurs de la crèche, et en découvrant les
travaux menés quotidiennement au sein de la crèche, le film dévoile la capacité permanente du
personnel et des parents à remettre en question leur comportement, ce qui est tout à fait cohérent avec
nos propres observations sur le terrain. Afin de témoigner de la forte réflexivité dont fait preuve le
personnel, on peut y voir chacun d’entre eux s’exprimer sur une photo de leur enfance illustrant pour
eux ce que signifie le « genre », ou encore en train de visionner des images d’eux-mêmes en activité
avec les enfants et donc se donner la capacité de se remettre en question.
Finalement, ce documentaire constitue une parfaite conclusion à notre propre enquête de terrain,
mais il ne s’agit en aucun cas de l’aboutissement de la démarche de cette crèche : ce n’est qu’une étape
dans le processus. Et les parents, largement présents lors de cette projection (dont certains avaient
accepté de répondre à notre micro-trottoir), l’ont bien compris. Certains, très engagés dans
l’association évoquée précédemment, n’ont pas hésité à faire part de leur désir de porter ce projet dans
35
Des élus du Conseil Général de Seine-St-Denis après la diffusion du film
les écoles et ont questionné les élus sur les initiatives prévues à cet objet, avant de se heurter à une
inertie flagrante dont nous faisait part la direction.
36
Le personnel de la crèche Bourdarias déployant une banderole confectionnée avec des T-shirts d'enfants sur lesquels est écrit "UNIES POUR L'EGALITE"
SYNTHÈSE GÉNÉRALE DE L’ENQUÊTE
SUJET D’ETUDE : L’appréhension du genre dans les crèches
à travers les relations entre le personnel spécialisé et les enfants.
37
Introduction générale et projet d’étude
Lorsqu’en classe le format final de l’examen sous forme d’enquête de terrain autour de la question
du genre a été expliqué notre groupe s’est assez rapidement formé car nous avions tous les quatre pour
projet de travailler sur la petite enfance. Il était clair dans l’esprit de chacun de nous que l’enfance, et
plus précisément les premiers mois de la vie du nouveau né, est un moment charnière dans
l’apprentissage du genre. En effet comme nous l’avons appris en classe à travers le corpus de textes
proposé, l’enfant n’a pas conscience de son identité sexuelle avant l’âge de 2-3 ans, ce sont donc les
représentations transmises avant cet âge qui vont déterminer en partie les représentations des futurs
adultes quant à l’identité sexuelle de chacun.
Si la population de notre étude, les enfants en bas âge, était alors déterminée la question du terrain
d’étude s’est ensuite posée. Il apparaissait nécessaire à chacun de travailler sur l’une des instances de
socialisation primaire de l’enfant. Dans ce cadre nous avons choisi les institutions d’accueil de la
petite enfance plutôt que la famille notamment car il nous semblait intéressant d’analyser ces
institutions qui transmettent de la même façon à des enfants de différentes origines sociales des
représentations sociales du genre. Le choix de la crèche comme terrain d’étude est alors paru comme
une évidence du point de vue théorique et il est vrai que l’idée de réaliser un travail empirique dans cet
univers à part nous enthousiasmait tous beaucoup.
Avant de commencer toute recherche sur les travaux scientifiques réalisés sur ce sujet il nous fallait
cerner une problématique bien précise. Comment comprendre le genre dans une institution telle que la
crèche ? Par quel angle était-il judicieux de l’aborder ? Fallait-il s’intéresser aux seules interactions
entre les enfants ? Autant de questions que chacun de nous s’est posé. Une fois cette réflexion menée
de façon individuelle nous avons collectivement décidé d’aborder la crèche comme un lieu susceptible
de diffuser des stéréotypes sur les relations entre hommes et femmes à travers la transmission d’une
éducation genrée, c’est à dire n’offrant pas les mêmes perspectives d’épanouissement aux petites filles
et aux petits garçons. Cependant, c’est notre première approche avec la littérature sur le sujet qui a
terminé de construire le cheminement de notre enquête.
En effet, dans un premier temps nous avons découvert différents travaux sociologiques comme ceux
de G. Cresson qui s’intéresse explicitement au lieu de la crèche analysé comme vecteur de stéréotypes
à travers les objets ou activités proposés aux enfants. Ces études entraient parfaitement en résonnance
avec la vision que nous avions de notre enquête à ce moment. Nous nous sommes ensuite tournés un
peu par hasard au cours de nos recherches sur les travaux du psychopédagogue Nicolas Murcier et la
confrontation à ses idées a donné un sens beaucoup plus large à notre étude et nous a permis de
38
redéfinir notre problématique. En effet N. Murcier s’intéresse à la formation des professionnel-le-s de
la petite enfance, les Educateurs de Jeunes Enfants (EJE). Les analyses qu’il offre de cette formation
presque exclusivement chasse gardée des femmes nous a permis de prendre conscience de
l’élargissement qu’il convenait d’apporter à notre problématique. Il fallait comprendre les
représentations genrées diffusées en crèche comme résultat d’une formation antérieure des EJE
imprégnée elle même des très nombreux stéréotypes. Notre enquête s’appuierait donc non seulement
sur l’analyse de la formation reçue par le personnel des crèches mais aussi sur la transmission de
stéréotypes auprès des enfants. Ces deux objets ne sont pas séparés dans notre analyse puisqu’il forme
un tout, les deux s’expliquant et s’éclairant mutuellement. C’est du fait de la formation des EJE que
des stéréotypes sont nourries au sein des crèches.
Le point d’orgue à la définition de notre projet d’enquête a été mis lorsque nous avons réalisé la
chance que nous offrait notre environnement de pouvoir réaliser une enquête comparative.
En effet, l’Université Paris-Dauphine possède une crèche ouverte aux enfants du personnel de
l’établissement. Cela représentait pour nous un terrain idéal, car implanté sur le lieu même de nos
études et donc il nous serait possible d’y mener de nombreuses analyses ou questionnaires. Dans le
même temps, dès le début de nos recherches, de nombreux articles de presse nous ont permis de
découvrir l’existence d’une crèche non genrée à Saint Ouen. La crèche Bourdarias devenait alors un
matériau exceptionnel afin de comprendre comment lutter contre la transmission de stéréotypes liés au
sexe dans les crèches. Nous avions donc le terrain idéal à disposition et nous avons jugé que notre
enquête ressortirait enrichie par cette analyse comparative.
Voici donc le cheminement de notre pensée, une pensée qui grâce à nos recherches et aux
opportunités offertes par notre environnement proche nous a permis de nous arrêter sur une
problématique définitive qui suit :
L’appréhension du genre dans les relations entre les professionnels et les jeunes enfants à travers
l’étude comparative entre la crèche dite classique de l’Université Paris-Dauphine et la crèche de
Bourdarias qui promeut une éducation non genrée. La question du genre sera donc appréhendée dans
cette étude au détour de l’éducation et l’éveil des jeunes enfants.
Afin de comprendre donc comment les crèches peuvent être un lieu de transmission implicite de
stéréotypes du genre il convient de relater de nos observations selon une organisation en trois parties
qui recoupent des points essentiels de nos analyses à la fois théoriques et empiriques. Dans la
première, il conviendra de comprendre le parcours des professionnels de la petite enfance en montrant
que cette formation peut parfois être elle-même porteuse de stéréotypes d’autant plus difficiles à
combattre qu’ils sont intériorisés par ces éducateurs. Dans un second temps nous nous arrêterons plus
promptement sur la vie au cœur de la crèche dans son entière matérialité en expliquant que les objets,
les activités, les lectures etc proposés aux enfants peuvent être porteurs d’inégalités de genre entre les
39
petites filles et les petits garçons. La troisième partie fera plutôt office d’ouverture en tant que nous
aborderons l’émergence de la question du genre dans les crèches au plan politique ce qui nous
conduira à parler plus largement des moyens mis en œuvre au plan étatique pour permettre des
initiatives telles que celle née à Saint Ouen.
I. La source des stéréotypes : retour sur la formation des professionnels de la
petite enfance
Cette question de la formation des professionnels des la petite enfance n’était au départ qu’un
élément d’importance relative que nous voulions évoquer dans notre étude mais nous ne pensions pas
immédiatement qu’il s’agirait là du point d’ancrage des stéréotypes retrouvés en crèche.
Comme rappelé en introduction c’est la lecture de différentes études de spécialistes et en particulier
du psychopédagogue N. Murcier qui nous a permis de nous rendre compte de l’importance de porter
un regard sur la carrière même des professionnels et notamment sur la formation des Educateurs de
Jeunes Enfants (EJE) présents à la crèche de l’Université Paris-Dauphine et la crèche Bourdarias de
Saint-Ouen. Nous nous sommes particulièrement appuyés sur le chapitre intitulé « Petite enfance et
rapports sociaux de sexe : la formation des professionnel(le)s de la petit enfance, idéologies et
représentations sociales » extrait de l’ouvrage collectif L’inversion du genre. Quand les métiers du
masculin se conjuguent au féminin... et réciproquement. Nous ne nous attarderons pas ici sur le détail
de l’analyse de Murcier que vous trouverez en annexe dans l’étude comparative de ce chapitre avec un
autre réalisé par G. Cresson, rappelons simplement quelques conclusions importantes.
Dans ce chapitre N. Murcier démontre que la formation d’EJE est une formation de femmes et même
réservée aux femmes. Les hommes y sont largement minoritaires et ceci s’explique notamment par
l’idée solidement ancrée dans la société selon laquelle les métiers de l’enfance seraient réservés aux
femmes. Des jeunes hommes de la formation interrogés par le chercheur déclarent ainsi qu’au moment
de l’entretien d’entrée dans la formation ils doivent justifier ce désir de travailler avec des enfants en
bas âge alors que cela paraît parfaitement naturel pour une jeune fille. En plus de ce constat, N.
Murcier explique que la formation délivrée est extrêmement « matrifocalisée » du fait notamment des
auteurs mis auxquels les professeurs (essentiellement des femmes par ailleurs) font référence. Ces
auteurs appartiennent souvent au champ de la psychologie et insistent dans leurs ouvrages sur la dyade
mère/enfant qui serait au cœur de la construction de ce dernier. Ainsi on transmet aux futurs EJE l’idée
selon laquelle les troubles du comportement d’un enfant ne peuvent provenir que de problèmes chez la
mère. La figure paternelle est exclue ou presque de l’enseignement, à tort selon les témoignages de
certains élèves. Finalement l’élément déterminant de l’analyse de Murcier relève de cette critique de la
formation qui ferait de la prédominance de la mère dans l’épanouissement de l’enfant une sorte de
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dogme. Ce constat a permis d’aiguiser notre œil d’observateurs et d’éclairer certains des
comportements ou témoignages d’EJE que nous avons récoltés dans les deux crèches.
En effet, on a pu très vite remarquer chez les EJE interviewés une difficulté à se placer dans une
posture critique vis à vis de leur formation. Très souvent au cours des questions posées nous tentions
d’aborder la question de la discrimination des hommes, la question de l’absence du père dans les
représentations transmises de la relation parents / enfants. Toutefois, nous nous heurtions souvent à des
négations nettes dès nos premières questions, et ceci notamment à la crèche de l’Université-Paris
Dauphine. De ce point de vue l’analyse comparative permet parfaitement de comprendre la posture
différente entre les EJE des deux crèches vis à vis de la formation et des pratiques. Ainsi nous avons
eu la chance à Dauphine d’interviewer différentes professionnelles possédant un diplôme d’EJE mais
qui avaient un regard différent quant à la question de la représentation des hommes dans ces
formations : « Je ne sais pas expliquer la faible présence des hommes et je n’ai jamais rencontré
d’hommes qui s’occupent de tout petit, mis à part à l’école maternelle (...) On pousse les hommes à
faire des métiers moins féminins que ces métiers là. Après moi ce qui me rassure c’est que depuis que
j’ai fini ma formation il y en a de plus en plus » (une EJE à la crèche de l’Université Paris Dauphine).
Les EJE sont donc souvent conscientes de l’absence d’hommes qui ne peut être niée mais elles ne se
questionnent que très peu à ce sujet. La réalité du caractère presque exclusivement féminin de la
formation d’EJE semble presque acceptée comme telle. Lorsqu’on leur demande par exemple
comment agir pour attirer des hommes plus nombreux l’une des EJE de la crèche de Dauphine nous
apporte cette réponse : « Euuuuuh (blanc de plusieurs secondes) je pense que oui, oui oui, oui il y a
des choses faites mais ce sont des choses qui datent d’il y a tellement longtemps (elle parle de la
suprématie des femmes dans ces métiers) que les choses doivent être surement faites avant la
formation, dans les lycées par exemple. Une fois dans la formation les gens ont accepté donc c’est
trop tard ». Il y a donc l’idée qu’une remise en question de l’extrême féminisation de ces métiers ne
peut venir des étudiants ou des professeurs de la formation même mais pour elle il devrait y avoir
plutôt une sensibilisation en amont dans les collèges et lycées.
Les représentations stéréotypées sont ressorties de façon explicite lorsque nous avons commencé à
nous questionner sur les représentations hommes / femmes chez les EJE. Ainsi nous interrogions les
professionnels sur le bienfait et l’apport d’une présence masculine en crèche parmi les EJE et les
réponses apportées sont très intéressantes. « Les hommes sont plutôt dans les faits que dans la
réflexion. Ils agissent et se posent souvent des questions mais après l’action seulement ». (Bérénice,
jeune EJE à la crèche Paris Dauphine). Parfois des stéréotypes ressortent clairement des réponses :
«On a eu un homme pendant deux ans, Bryan. Il nous apportait quelque chose de différent, un autre
regard. Quand un homme est là, qu’il fronçait les sourcils et haussait le ton les enfants avaient
tendance à être plus réceptifs. Il apportait une approche différente, je ne sais pas. Il se mettait plus en
41
retrait et puis voilà nous ici on est toutes des femmes avec nos caractères, il avait le côté un peu moins
frivole que la femme ». (EJE de la crèche Paris Dauphine). Il y a donc une tendance nette dans les
représentations des EJE à enfermer l’homme dans sa virilité, il serait la figure autoritaire, même au
sein de la crèche. Ici à l’inverse les femmes sont réduites à leur « frivolité » comme si la gravité était
un registre réservé à l’homme tandis que la douceur et la légèreté seraient le domaine réservé des
femmes. Il y a donc l’idée implicite que le travail avec les enfants en crèche requiert certaines qualités
plutôt féminines tandis que les hommes seraient eux plus naturellement faits pour des postes où leur
autorité peut s’exprimer. Il semblerait donc que les représentations des EJE sur leur propre formation
et sur le métier soient teintées de nombreux stéréotypes, et il est visible bien souvent que ces
représentations influencent leurs relations avec les enfants et engendrent un risque de diffusion des ces
stéréotypes auprès des plus petits. Porter un regard critique sur leurs pratiques semble pourtant une
opération très compliquée pour les EJE, ce qui rend la lutte contre une appréhension genrée de la
réalité d’autant plus compliquée.
En effet, lorsqu’on questionne les EJE sur le caractère égalitaire de leurs formations et donc de leurs
pratiques on s’attaque ici à des vérités qui sont souvent niées en bloc. Il est difficile pour elles de
remettre en question leur savoir. Avec leur formation elles se sont constituées une sorte d’habitus
professionnel dont elles ont incorporé les représentations et qui leur permet d’agir et de donner un sens
à chacune des situations qui s’offrent à elle dans toutes les circonstances. Dans la crèche de
l’Université Paris-Dauphine non sensibilisée à la question du genre nous avons ainsi observé une
tendance au rejet de nos questions sur ce sujet.
Par exemple lorsqu’on nous posons la question suivante « Y a t-il dans certaines activités un
traitement distinct des garçons et des filles ? Des moments réservés plutôt pour les uns ou les
autres ? » la réponse montre cette négation en bloc puisqu’à peine fini la formulation une EJE de
l’Université nous dit « Ah non, non non non, on fait tout pareil avec tout le monde, pas de différence ».
Cette EJE qui nous répond est la plus ancienne, elle a quarante années de métiers et dans son interview
de 6 minutes il est intéressant de voir que l’expression « pas de différence » revient 11 fois. Elle
perçoit dans nos questions que nous tentons de mettre en question le caractère égalitaire entre filles et
garçons de certaines pratiques et cela est nié en bloc pour deux raisons. Tout d’abord cette inégalité
n’est pas perçue comme telle par les EJE qui agissent selon les critères reçus dans leur formation. Mais
plus encore, il est difficile pour les EJE de remettre en cause ces pratiques puisqu’elles sont
constitutives de leur propre identité professionnelle. Finalement seul un point de vue extérieur semble
pouvoir faire prendre conscience aux EJE des stéréotypes pouvant être diffusés à travers leurs
pratiques, c’est ce qui a eu lieu à la crèche Bourdarias.
En effet, c’est grâce à l’intervention de professionnels suédois que la crèche Bourdarias de Saint
Ouen a décidé de monter un projet d’éducation non genrée des petits enfants. Ceux-ci sont intervenus
durant un stage organisé en 2007 et par la suite l’équipe s’est constituée et a travaillé dans le but de
mener ce que les Suédois nomment une « pédagogie compensatoire », expression à laquelle la
42
directrice de la crèche Bourdarias préfère celle de « pédagogie active ». Derrière cette expression on
perçoit que ce projet est avant tout un projet d’action, le personnel le qualifie même de militant,
puisqu’il s’agit à proprement parlé d’une lutte contre les inégalités hommes / femmes dès le plus jeune
âge. Pourtant, ce projet a connu des réticences et ce notamment du fait de la difficulté pour les
professionnelles de la crèche de faire l’autocritique de leur pratique. Nous avons eu la chance là encore
de pouvoir rencontrer le personnel, et notamment Béatrice qui travaille à la crèche depuis plus de
trente ans et qui a donc pu attester des changements observés. Elle explique qu’elle même était
quelque peu réticente à l’égard de cette pédagogie nouvelle au départ et notamment parce qu’elle avait
l’impression qu’on lui montrait que la pratique qu’elle développait depuis 30 ans pouvait être
stéréotypée. Ici encore on touche à l’identité professionnelle, cependant Béatrice, contrairement à la
professionnelle de Dauphine citée plus haut, a eu la chance d’avoir des explications et des
éclaircissements quant à l’origine et la diffusion de ces stéréotypes ce qui a permis chez elle une prise
de conscience.
Elle explique d’ailleurs : « Finalement c’est avant tout un travail sur soi, sur nos propres
perceptions, c’est ce que je trouve bien dans cette pédagogie active car elle nous fait changer autant
qu’elle peut changer le rapport entre les enfants ». La pédagogie active consiste donc en un double
travail, à la fois avec soi même et aussi avec les enfants. Ceci explique qu’il s’agisse d’un processus
long et jamais achevé de déconstruction des représentations par les EJE et de création d’une identité
professionnelle nouvelle. Contrairement à ce que pensent beaucoup d’individus ou notamment la
presse qui grossit le trait, la pédagogie active ne consiste pas à donner des marteaux aux filles et des
poupons aux garçons. Béatrice, au cours d’une activité bricolage avec un groupe de deux filles et deux
garçons nous explique ainsi : « Le but n’est pas de mettre les poupées dans les mains des garçons. On
essaye plutôt de les faire jouer ensemble, de créer une certaine égalité entre filles et garçons dans
différents activités comme ici le bricolage » et ajoute ensuite « il s’agit de permettre aux petites filles
de s’exprimer plus ouvertement, et il ne faut pas rabaisser le petit garçon mais plutôt lui donner
l’occasion d’exprimer ses émotions par des mots ». D’après elle qui a une grande expérience les
résultats sont très visibles, les petits garçons seraient beaucoup moins violents tandis que les petites
filles parviendraient à plus imposer leur voix. Pour elle les plus grandes transformations observables
concernent « le respect de l’autre et l’estime de soi ».
Une autre EJE récemment diplômée que nous interrogeons nous a elle aussi offert un point de vue
intéressant puisqu’elle a expliqué qu’elle a très vite appris à déconstruire en arrivant à Bourdarias
certaines des représentations stéréotypées acquises au cours de sa formation. Elle montre comment
derrière certaines petites expériences du quotidien des différences entre petites filles et petits garçons
étaient faites : « je ne savais pas au moment de l’accueil des enfants que lorsque je disais à une petite
fille qu’elle est belle ou bien habillée j’avais tendance à lui donner une certaine représentation d’elle
43
même ». Pourtant l’accueil des enfants et des parents est bien le moment où les stéréotypes ressortent
le plus selon nos observations. N. Murcier montre ainsi que la primauté de la femme dans la relation
avec l’enfant s’y fait sentir plus que n’importe quand. A ce sujet on a pu noter dans nos observations à
Dauphine certaines résurgences de ces inégalités. L’une des EJE que l’on interroge sur l’accueil des
parents nous dit ainsi : « Ils posent souvent les mêmes questions, si leurs enfants ont bien joué et
mangé etc et par exemple moi j’explique aux mères quels légumes faire manger à leurs enfants à
différents âges ». A travers l’habitus professionnel la mère est encore conçue, de façon inconsciente,
comme la personne responsable de faire manger les enfants.
Le processus mené avec la pédagogie active demande donc un travail de chaque instant mené non
seulement par les EJE de la crèche Bourdarias, mais aussi par l’ensemble des acteurs de la crèche, de
la lingère, à la direction, en passant par le cuisinier et les parents. Aussi, lors de nos observations nous
avons été surpris nous-même par le caractère semblable de la crèche à toutes les autres. Les EJE nous
explique que la pédagogie active passe avant tout par la parole, la façon de s’adresser à un enfant
quelque soit son sexe. « On avait tendance avant à parler plus doucement aux petites filles et à dire
aux garçons de ne pas pleurer, ca jouait surement sur leurs représentations de l’homme et de la
femme » reconnaît ainsi Béatrice.
De par la formation des EJE qui divulgue une image stéréotypée des rôles des hommes et des
femmes la crèche devient un lieu où le genre est appréhendé à travers des pratiques inégalitaires. La
perception des rôles au sein même des équipes entre hommes et femmes témoignent de cette vision
archaïque de l’homme comme être viril et de la femme protectrice et bienveillante. La pédagogie
active entend contrer ces idées très ancrées dans le social. Mais il ne s’agit pas de faire des petits
garçons des petites filles comme cela est parfois grossièrement présenté. Il s’agit de combattre es
stéréotypes qui avancent toujours cachés derrière des pratiques quotidienne et donc difficiles à déceler
d’autant qu’ils sont intériorisés par les EJE au cours de leur formation. Il s’agit avant tout d’un travail
d’équipe, solidaire, avec une appréciation et une remise en cause collective et des pratiques de chacun
au sein de la crèche. Il s’agit avant tout donc d’un travail sur soi autant qu’avec les enfants.
Si nous avons étudié ici en quoi consistait ce travail chez les professionnel(le)s, il convient
désormais de comprendre comment, à travers différentes pratiques quotidiennes la crèches peut
concrètement devenir un lieu vecteur d’inégalités hommes / femmes. Pour cela il convient notamment
de montrer que le genre est en permanence au cœur des pratiques avec les petits enfants.
II. La vie quotidienne dans les crèches : le genre en action
C’est une des questions centrales que nous posions lors de nos entretiens : « faîtes-vous une
différence entre garçons et filles ? / Agissez-vous différemment ? ». La réponse que nous avons eue que
44
cela soit à Dauphine ou à Bourdarias a été « non » comme l’on pouvait s’y attendre à ceci près que les
compléments de réponse où celles aux questions suivantes ainsi que nos observations sur le terrain
nous indiquaient de grandes divergences. En effet alors que les EJE de Bourdarias nous parlaient du
projet éducatif voire même des différences avec leurs expériences passées, celles de Dauphine
pouvaient infirmer ce qu’elles nous disaient auparavant par leurs attitudes ou même des phrases
directes comme Bérénice « les garçons sont plus indépendants, autonomes, je les laisse se
débrouiller ». Nicolas Murcier l’écrivait d’ailleurs dans son article, les personnels de crèche n’ont pas
conscience de la différenciation qu’ils introduisent. En effet, ceux-ci dans leurs interactions
quotidiennes avec les enfants, mais également avec les parents sont vecteurs de nombreuses
discriminations genrées et autres stéréotypes. Comme l'explicite bien l'article de Geneviève Cresson,
mais l'ont aussi bien illustré nos observations sur le terrain, la relation directe avec l'enfant diffère
selon le sexe de ce dernier. Ainsi, les EJE sont beaucoup plus douces avec les petites filles, dans la
valorisation esthétique et l'incitation à être plus en retrait et discrètes et tempérées avec ces dernières.
L'observation réalisée dans la crèche de Dauphine illustre bien ce comportement lorsque la petite
Christine tente de voler le jouet d'une de ses camarades et est immédiatement réprimandée alors que
Noé quelques minutes auparavant n'a subit aucune réprobation. L'histoire de Camille à la crèche est
aussi un bon exemple, face à la tristesse d'Agathe, Martine, l'EJE décide de lui faire un câlin et de la
cajoler. La caricature de cette attitude a également été faite dans l'histoire lorsque Martine dit à Léa
qu'elle est coquette et qu'elle a une jolie robe. En revanche, l'attente face aux petits garçons est tout
autre, avec une valorisation de l'agilité, de l'affirmation et de la force de ces derniers. Le petit garçon
est le plus souvent le centre d'attention des EJE. Lors de notre observation, Noé est surveillé durant
tout le repas et est incité à finir son assiette et à manger plus, alors qu'Héloïse dans la même situation,
ne reçoit pas cette incitation. L'illustration est aussi donnée par l'histoire de Camille va à la crèche,
lorsque Gustave arrive et qu'il est félicité pour sa force, et non réprimandé lorsqu'il se lève lors de la
lecture et empêche les autres enfants de voir les images. Toutefois, les transmissions de stéréotypes
genrées sont aussi réalisées par l'intermédiaire des réflexions faites par les EJE lors de la journée. La
réponse spontanée de Mathilde face à l'étonnement de Christine d'entendre un mixeur qui lui rappelait
sa maman en est une parfaite illustration. Mathilde lui demande alors si sa maman cuisine chez elle. Il
n'est aucune fois fait allusion au père pour la réalisation de cette tâche ménagère. Ce constat est quasi
le même lorsque les enfants se trouvent confrontés à l'image d'un aspirateur pendant le temps calme.
Mathilde leur demande qui fait le ménage chez eux, face aux réponses incluant en majorité les mères
de famille, l'EJE fait alors référence au père pour l'exécution de cette tâche domestique en exprimant
toutefois l'admiration et la surprise « tu lui diras que je le félicite ».
Les fonctionnements observés entre les deux crèches par nos soins lors des observations ne montrent
pas de différences majeures dans les fonctionnements des crèches au niveau de l’organisation générale.
45
La directrice de Bourdarias nous disait justement que ce n’est pas tant dans les activités en elles-
mêmes que dans l’attitude qu’il y aurait une différence. C’est en faisant attention à ce que l’on dit,
comment on le dit et comment l’enfant le réceptionne que les valeurs se transmettent. En effet, la
crèche de Saint-Ouen suite à ce constat et après une formation auprès d'une équipe suédoise a mis en
place une pédagogie toute autre quant à son établissement. Le but des EJE de Bourdarias est de ne plus
faire de différence entre les enfants et de rééquilibrer les rapports entre les sexes notamment en
incitant les petites filles à s'affirmer et s'exprimer ouvertement et proposant aux petits garçons de faire
part de leurs émotions et de mieux les canaliser. Comme nous l’avons évoqué précédemment, cette
pédagogie passe tout d’abord par une partie réflexive effectuée par le personnel, puis par un travail
quotidien, minutieux, mené auprès des enfants. Cette pédagogie est un processus, et pas un
aboutissement.
Ainsi, la petite Zélie est beaucoup sollicitée lors de son retour de l'activité aquatique afin de savoir si
elle a apprécié et comment elle se sent. Nous avons essayé de traduire cette pédagogie dans l'histoire
créée lorsque par exemple Hans demande à tous les enfants si l'activité leur plait et qu'ils peuvent
s'exprimer. Certes l’une des EJE de Bourdarias qui avait travaillé dans plusieurs autres crèches
auparavant nous disait qu’au cours de ses trente ans d’expérience elle avait vu une véritable évolution
dans le temps mais au niveau de l’éducation des jeunes enfants en général. L’exemple frappant des
promenades où les bambins étaient attachés par une corde pour ne pas qu’ils s’écartent semble
aujourd’hui archaïque alors même que c’était il y a « seulement vingt ans » disait-elle pendant que
cinq enfants (deux garçons, trois filles) faisaient des « jeux d’eau ». La deuxième EJE qui surveillait
l’activité avec elle, beaucoup plus jeune, nous disait être à Bourdarias depuis deux ans et avait travaillé
trois ans dans une première crèche et voyait une vraie différence pour elle parce que les enfants « sont
beaucoup plus calmes, ils prennent plus leur temps, nous on est moins dedans, on a plus le temps de
se poser, d’observer. […] C’est une structure qui donne le temps de prendre le temps ».
La journée type des deux crèches que nous avons observées est dans son organisation sensiblement
la même à savoir :
- 8h30-9h30 : accueil des enfants
- 9h30-11h : activités
- 11h-12h : déjeuner
- 12-14h : sieste ou activités
- 14h-16h : activités
- A partir de 15h30 : départ des enfants
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La différence est particulièrement visible dans le contenu des activités et les comportements des
enfants. Les activités à Dauphine ne sont pas prévues par avance et sont proposées aux enfants de
manière spontanée. Les enfants font donc des dessins suite à la demande de Noé. Au contraire à
Bourdarias, plusieurs activités sont proposées chaque jour aux enfants, en faisant toujours preuve de
« créativité, d’innovation… » insiste la direction qui veut surtout que les enfants aient le choix. Ceux-
ci sont incités à aller dans n'importe laquelle d'entre elles, quel que soit leur sexe. Ainsi, des petites
filles peuvent faire du bricolage et des petits garçons des activités plus créatives. Lors de notre
observation, deux petites filles bricolaient alors qu'un petit garçon faisait de la peinture sur pot
(comme vu lors de l'analyse comparée des deux crèches). L'offre d'activité et la manière dont elles sont
présentées aux enfants est donc un déterminant de la diffusion ou non des stéréotypes genrés. De plus,
à Bourdarias, les EJE ont la volonté de respecter une mixité dans les activités des enfants et dans la vie
quotidienne. La constante mixité à Bourdarias permettrait selon les EJE d’avoir des enfants moins
perturbés, plus à l’écoute. Il est vrai que, à part pour les activités nécessitant la production de bruits, le
volume sonore entre les deux crèches n’était pas comparable (ceci dit rappelons que les observations
n’ont chacune duré qu’une matinée, elles ne sont donc pas nécessairement représentatives). Toutefois,
il apparaît que les enfants sont beaucoup plus respectueux les uns des autres et plus sereins. C'est ce
que nous avons essayé de démontrer dans l'histoire en soulignant les différences entre le premier et le
deuxième jour de Camille à la crèche, lors du deuxième jour, peu d'incidents se passent entre les
enfants, ils jouent ensemble et sont plus respectueux du reste du groupe, notamment lors de la lecture.
Les institutions de la petite enfance ont également une influence sur les stéréotypes genrés et leur
transmission du fait de leurs supports pédagogiques et de l'organisation de la pièce, ce que la crèche
de Bourdarias a bien compris et tente d'être vigilante quant à ces choses, même si une EJE présente
lors de l'observation nous expliquait qu'il était très difficile de trouver des supports qui ne véhiculaient
pas de stéréotypes sexués. L’exemple de la sieste et des moments lectures est intéressant parce que les
choix de livre, fait l’objet d’une attention toute particulière. Les histoires qui sont lues aux enfants
font très souvent l’apologie de la distinction : papa qui travaille et est dans son fauteuil tandis que
maman reste à la maison, fait la cuisine et la vaisselle ; que ce soit au travers de figures animales ou
réelles. Les livres lus lors du temps calme de l'observation à Dauphine par exemple présentent des
protagonistes masculins ou des images valorisant le sexe masculin (les garçons font du sport, jouent
d'un instrument, sont forts alors que les petites filles crient et sont insupportables). A Bourdarias, au
contraire, les enfants ont pu écouter l'histoire de Monsieur Papa et ses dix enfants, père au foyer qui
supporte toutes les tâches domestiques. C’est ici que les distinctions de genre sont le plus et en même
temps le moins visible parce que cela fait plusieurs générations que sont lues les mêmes histoires donc
il n’y a pas d’interrogations des parents ou des personnels de crèche sur ce qu’elles transmettent.
Comme nous le disions dans la revue de presse à propos de l’article du Parisien, c’est « entre 0 et 6
ans [que] les enfants intègrent des valeurs, des habitudes… ». Mais là encore, il convient de rappeler
47
que la volonté n’est pas d’inverser les stéréotypes. C’est en allant à la rencontre de la crèche que nous
avons pu prendre du recul quant à la vision manichéenne trop souvent décrite par les journalistes.
« Ici, les filles bricolent et les garçons cuisinent » dans le chapeau de l’article paru dans Elle ; « On
encourage les filles à manier le marteau à l’atelier bricolage, et les garçons à s’exprimer à l’atelier
émotions » enchaîne l’article de Madame Le Figaro. Ces assertions brutes et dénuées de sens étaient
justement fustigées par la direction de la crèche Bourdarias qui refuse désormais de recevoir des
journalistes. L’article du Parisien semble, quant à lui, avoir saisi la subtilité de la démarche en prenant
soin de décrire la pédagogie suédoise à l’œuvre et en citant les mots justes de la directrice : « La lutte
contre les stéréotypes sexués n’est pas quelque chose qui se voit ».
Mais ce qui est aussi important de prendre en considération en plus des supports pédagogiques, c'est
l'organisation mobilière de la crèche. En effet, dans les crèches traditionnelles, comme c'est le cas à
Dauphine (cf. analyse comparée des crèches), les jouets d'imitation, le plus souvent utilisés par les
petites filles sont situés en périphérie du point central de la salle, ce qui va indéniablement entrainer
les petites filles à se retrouver dans les coins, alors que les petits garçons plus enclins à jouer à des
jeux d'agilité, vont occuper le centre des pièces. Cela véhicule donc encore une différenciation genrée,
les petits garçons étant centraux et plus importants que les petites filles rejetées dans les coins des
pièces. En revanche, dans la crèche de Bourdarias, les jeux d'imitation sont situés au centre de la pièce,
laissant le loisir aux petites filles mais également aux petits garçons de pouvoir jouer à ces jeux tout en
restant au centre de la pièce et s'affirmant. (Cf. l’article de G. Cresson)
Les deux bornes de la journée à savoir l’accueil et le départ des enfants sont également de bons
terrains de l’analyse et de l’observation des transmissions des discriminations de genre. Nicolas
Murcier analyse le rôle des parents dans la socialisation primaire et montre que les EJE sont tout
autant responsables sur certaines dimensions. De plus, les EJE sont aussi porteuses de différenciation
genrée du fait de la matrifocalisation qu'elles réalisent. En effet, les mères sont au centre de l'attention
des EJE et considérées comme le parent responsable des enfants. Les EJE attendent « naturellement »
que ce soient elles qui viennent chercher leur enfant à la crèche et de dialoguer avec elles pour tous
problèmes concernant l'enfant et cherchent à trouver des excuses et des raisons pour lesquelles les
mères ne peuvent pas effectivement s'occuper de leur enfant. Nous avions délibérément caricaturé
cette phase lors de notre mini pièce de théâtre lorsque Martine, l’EJE du premier jour : « Monsieur,
pensez à dire à votre femme de donner un doudou à Camille pour la sieste » ; « Ta maman ne peut pas
venir? ».
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III. Les politiques publiques
La crèche Bourdarias et son projet de pédagogie active ne semble pas confinée au rang
d’expérience puisque ces derniers temps des personnalités politiques semblent s’y intéresser de près.
Dans cette perspective, la visite de Najat Vallaud-Belkacem et de Dominique Bertinotti a été un
moment fort de la rentrée pour le monde de la petite enfance. Deux des articles que nous avons
sélectionnés parlent de cette visite. La dimension politique est d’une importance capitale. L’entretien
que nous avons mené avec la directrice de la crèche le révélait. La présence de la Ministre des Droits
de Femmes et de la Ministre déléguée à la Famille montre bien la volonté politique du gouvernement
d’encourager l’initiative qui réside dans le projet éducatif de la crèche Bourdarias.
Nicolas Murcier annonçait clairement des principes afin de revaloriser le système de crèche, la
formation des EJE, l’augmentation des allocations familiales… Mais plus encore, comme nous le
disait la directrice de la crèche Bourdarias, il faut maintenant des actes concrets du gouvernement mais
également des collectivités. Il convient de rappeler que le système de crèches dépend principalement
des municipalités et des conseils généraux ; d’ailleurs le Président du Conseil Général de Seine-St-
Denis Stéphane Troussel s’était joint aux deux ministres lors de la visite de la crèche. Le Conseil
Général est d’ailleurs à l’initiative d’un des points majeurs dans l’apprentissage par les personnels de
la crèche Bourdarias à savoir l’organisation de stages de formation à St Ouen par des suédois. Cette
initiative est rappelée dans un encadré à la fin de l’article du Parisien de notre revue de presse.
La problématique qui s’impose aux pouvoirs publics est celui des moyens parce que pour permettre
de lutter efficacement contre les transmissions de valeurs sexistes, discriminantes il faut permettre à
d’autres établissements portant un tel projet éducatif de voir le jour mais également continuer dans la
durée parce que si l’apprentissage d’une égalité est faite en crèche mais défaite dès la maternelle puis
continuée à l’école primaire cela ne servirait pas à grand-chose. Cet avertissement était clairement
exposé par la directrice de la crèche de St Ouen. Mais c’est aussi une problématique qui touche toute
la société parce que peu d’enfants sont accueillis en crèche faute premièrement de places suffisantes il
faut donc en construire et les faire vivre, deuxièmement la formation des personnels de ces structures
afin que l’appréhension face au plus grand risque de pédophilie d’hommes travaillant avec de jeunes
enfants disparaissent et qu’au contraire ce ne soit plus un monde « réservé » aux femmes, que la
diversité et la mixité soit plus présente parmi les EJE semble selon celles de Bourdarias plutôt positive
tout comme l’est la mixité garçons-filles pour les enfants, troisièmement la capacité des parents
notamment financières de les placer dans ces établissements et enfin une contrainte temporelle pour
eux parce que ne réussissant pas à joindre correctement congés parentaux pris à 98% par les mères, qui
sont elles-mêmes très majoritairement représentées parmi les salariés à temps partiels.
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Les mères doivent en effet régulièrement quitter le monde du travail un certains temps pour élever
leurs enfants parce que ne pouvant assurer la charge financière d’une garde quand celles-ci sont à mi-
temps, au SMIC : « Parmi les 3,2 millions de salariés qui gagnent moins que le Smic, 80 % sont des
femmes »2.
Toutefois le personnel de la crèche Bourdarias entend étendre la pédagogie active à d’autres horizons
et pour cela il peut compter sur le soutien actif de nombreux parents motivés et organisés pour faire en
sorte que l’éducation non genrée reçue à la crèche ne soit pas qu’une brève parenthèse dans la vie de
leurs enfants. Pour avoir un sens concret et agir en profondeur sur les représentations de leurs enfants
les parents ont conscience de l’importance de lui donner une suite, non seulement chez eux mais aussi
dans l’institution scolaire. C’est d’ailleurs en ce sens qu’une intervention des pouvoirs publics se fait
attendre. Si les élus du Conseil Général de Seine-Saint-Denis reconnaissent les bienfaits de cette
expérience beaucoup attendent désormais d’eux qu’ils agissent en montrant un réel désir de faire de
cette expérience une norme à suivre pour l’ensemble des institutions relatives à l’éducation des
enfants, de la crèche à l’école maternelle et primaire. C’est peut être sur ce point que nos observations
nous laisse d’ailleurs le plus sceptique. Nous avons été invités à participer à la diffusion à L’espace
1789 d’un documentaire réalisé sur la crèche Bourdarias en présence de certains des élus concernés
par la question. Durant cette soirée de nombreux parents ont pris la parole pour faire part de leur
enthousiasme au sujet de ce projet en interrogeant directement les élus quant à sa poursuite aux
échelons scolaire supérieurs. Il était frappant de voir qu’à travers de longues réponses, détournant
parfois presque le sujet, les élus n’ont pour l’instant pas de réelle conception d’un quelconque
prolongement de l’éducation active à la fois dans d’autres crèches mais aussi et surtout dans les écoles.
Il serait de notre point de vue pourtant dommage de faire de la crèche Bourdarias une simple vitrine
sur laquelle s’enorgueillir sans penser à faire de cet exemple une norme à suivre au niveau local afin
d’impulser un élan au niveau régional puis national. Nous avons d’ailleurs appris à cette occasion que
d’autres projets de la sorte étaient nés à Toulouse notamment, c’est dire si Bourdarias peut constituer
un exemple. Reste maintenant à savoir si les pouvoirs publics agiront dans cette direction. Face à une
multitude de volontaires et un projet humain d’une telle richesse pour les enfants il serait
dommageable que le projet Bourdarias s’arrête aux portes de la crèche. S’il est important au plan
politique de se demander quel monde nous laisserons à nos enfants, la question de savoir quels enfants
nous laisserons à la société future l’est peut-être plus encore. En ce sens, la crèche Bourdarias en
élevant les enfants dans le respect mutuel ne réalise pas seulement un acte militant mais prépare aussi
le « vivre ensemble » et assure en un sens la cohésion sociale de demain en cherchant des solutions
aux inégalités entre hommes et femmes encore à l’origine de violences nombreuses et invisibles.
2 Maurin Louis, « "Hommes-femmes : en finir avec la discrimination", entretien avec Margaret Maruani, sociologue », in Observatoire des inégalités, 5 juin 2011 [en ligne] <http://www.inegalites.fr/spip/IMG/xls/newsletter/spip. php?article211&id_mot=27>, page consultée le 11 décembre 2012.
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Au travers de notre problématique, il faut souligner l’importance des conséquences et du nombre de
domaines sur lesquels les pouvoirs publics doivent agir. La transmission des discriminations de genre
se fait certes dans la crèche d’où l’importance de changer le formatage sociétal des personnels, des
parents, des entreprises et des pouvoirs publics eux-mêmes.
Conclusion
Nous n'étions pas partis avec des a priori très fondés, juste l'envie de découvrir un monde qu'aucun
de nous en connaissais vraiment et dont nous pensions l'importance dans la thématique qui est la nôtre
à savoir la transmission des normes et discriminations de genre dans les crèches.
Après avoir lu, observé, interviewé, comparé des terrains et des écrits il nous est apparu de
l'importance de cet espace.
De part les relations qu'entretiennent les enfants, que les personnels et les parents leurs font
entretenir entre eux, qu'eux-mêmes entretiennent entre eux. De part la formation des éducateurs de
jeunes enfants, le manque d'offre de places en crèche (voire même le manque d'établissement tout
court) et les contraintes auxquelles sont astreintes les familles et notamment les mères; objets d'un
"matricentrisme" (Murcier) puissant de la part des personnels et des institutions qu'elles émanent des
pouvoirs publics ou des médias qui caricaturent toute initiative allant à l'encontre de "l'establishment"
moral discriminatoire.
Des solutions sont envisagées par des sociologues tels que Nicolas Murcier ou Geneviève Cresson,
par des initiatives politiques comme les aides du Conseil Général de Seine-St-Denis, la visite officielle
des deux ministres et par les personnels eux-mêmes qui montent des projets, essayent de les faire
vivre, de les développer et de les exporter horizontalement c'est-à-dire à d'autres crèches et
verticalement pour que le système scolaire suive.
C'est un long chemin qui essaye de s'engager vers la diminution et à terme la fin de cette
discrimination, qui commence par la petite enfance et qui continue et doit se mener dans toutes les
sphères de la société
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ANNEXES
- Entretien avec la directrice et le directeur-adjoint de la crèche Bourdarias
- « Camille va à la crèche »
- Retranscriptions de micro-trottoirs réalisés auprès de parents déposant leurs enfants à la crèche Bourdarias.
- Grille d’entretien pour la crèche de Dauphine.
- Grille d’entretien pour la crèche Bourdarias.
- Grille d’adjectifs utilisée à la crèche Bourdarias.
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-
Annexe 1 : Entretien avec la directrice et le directeur-adjoint de la crèche Bourdarias
Dans le cadre d'un dossier concernant le rôle éducatif des institutions de la petite enfance pour un Master 1 en sciences de la société à Paris Dauphine nous allons vous poser quelques questions.
Remarques préalables à la lecture de l’entretien
Dans la retranscription, il sera précisé, lorsque les paroles sont prononcées par la directrice Madame
Constantin, ou par le directeur adjoint, Monsieur Helbecque. Notre entretien s’est fait conjointement,
mais il est arrivé que l’un des deux enquêtés soit sorti du bureau pour continuer le fonctionnement
« normal » de la crèche.
Certaines questions prévues dans la grille n’ont pas été posées (nous les avons néanmoins
volontairement laissées apparaître) soit parce que la réponse a été donnée précédemment, soit parce
que la question nous a finalement parue maladroite dans le contexte, après avoir eu une meilleure
connaissance du terrain au fil des questions.
Inversement, certaines questions sont nées spontanément parmi notre groupe d’étudiants : elles sont
donc précédées par la simple indication « Etudiants » au fil de la grille. Il peut s’agir également de
demandes de précisions.
Enfin, les indications en italiques auront la même fonction que les didascalies dans les pièces de
théâtre.
53
I. LE PERSONNEL : FORMATION, CONVICTIONS
1) Comment est née votre vocation ? Pourquoi avoir choisi cette profession? (simple trajectoire
professionnelle ou vocation ?)
La directrice, Madame Constantin : Je déteste le terme de vocation. C’est une formation dans un
domaine. C’est mon avis. Je ne supporte pas ce terme. J’ai fait une formation d’éducateur de jeunes
enfants mais pas nécessairement en crèche. Cela fait 7 ans que je travaille en crèche en tant
qu’éducatrice de jeunes enfants et aujourd’hui je suis directrice de cette structure. Ce projet qui tourne
autour de l’égalité fille-garçon dès le jeune âge on le traite depuis 2006. C’est donc une réflexion très
longue qui ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a toute une partie réflexive où nous avons été
formés par une pédagogue suédoise. Revenons à la base. Ici dans le département, ils s’intéressent à la
sexualité de l’enfant depuis 2005 où ils ont monté une journée professionnelle pour tous les agents de
service de la petite enfance pour essayer de comprendre le sexe, l’identité sexuée, et de savoir
comment on pouvait s’adresser aux enfants dès tout petit dans la crèche et comment on pouvait
répondre à peut-être des questionnements que les uns les autres avaient et du coup le titre de cette
journée c’était : « le rose c’est pour les filles, le bleu pour les garçons, Arthur 3 ans », un petit garçon
d’une crèche qui posait cette question. Donc on a rencontré des gens comme Françoise Héritier, des
linguistes, plusieurs personnes qui ont fait une journée très intéressante. Et après, il y avait un autre
chapeau : la lutte contre les violences faites aux femmes. Il y a un observatoire dans le département du
93 et la responsable de cet observatoire voulait rapprocher et comprendre comment on arrivait aux
violences et savoir si ce n’était pas non plus à traiter dès la petite enfance. Du coup, le service des
crèches qui s’intéressait au service des crèches et à la sexualité et l’observatoire qui s’intéressait aux
violences se sont rapprochés et ils sont partis faire un voyage d’étude en suède pour découvrir les
écoles préscolaires car avaient aussi entendu dire qu’ils travaillaient depuis très longtemps sur ces
questions, aussi sur les violences donc sont partis pendant une semaine en 2007 pour voir ce qui se
faisait là-bas. Par la suite quand sont revenus, ont rassemblé de nouveaux tous les agents du
département au niveau du service des crèches voire plus pour nous relater leur séjour et nous ont
ramené un film et ont été extrêmement enthousiastes de ce qu’ils avaient pu voir là-bas et à partir de
là, donc c’était juin 2007, ils ont proposé d’expérimenter une pédagogie « égalitaire », un travail sur
l’égalité et ont choisi cette crèche en 2007 pour plusieurs raisons. Déjà il y avait un travail de fait
auprès des hommes, c’est-à-dire qu’il y a avait déjà des hommes dans la crèche, et le souhait de la
directrice précédente était de faire rentrer des hommes : le cuisinier était un homme et l’éducateur
aussi. C’était quand même rare d’avoir 2 hommes dans une structure très féminine.
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Etudiants : Donc la crèche était « normale » avant et elle existait ?
Mme Constantin : Elle est toujours normale et existe depuis très longtemps, mais l’ancienne directrice
qui est arrivée sur le poste et sur cette crèche en 2000 a fait un gros travail autour de la place de
l’homme dans la crèche. C’est pour ça qu’elle a réussi à obtenir qu’un éducateur prenne le poste, tout
comme le cuisinier. Après il y a eu cette proposition, et la crèche a été fermée en même temps pour
rénovation. Donc ça nous a laissé le temps de réfléchir à comment retravailler dans une crèche
rénovée. Il y a donc eu au moins ces 2 paramètres là. En avril 2009 la crèche a ré ouvert avec ces
locaux-là et à partir de là, il y avait eu toute la réflexion au préalable. On a donc reposé les conditions
de base car on ne peut se lancer dans un projet innovant comme celui-ci si l’on n’a pas un projet de
base solide et c’est pour cela qu’on nous l’a aussi proposé parce qu’il y a des crèches qui vont plus ou
moins bien, avec plus ou moins de difficultés. Là c’était une équipe qui marchait bien, qui travaillait
dans le bon sens, dynamique, qui avait beaucoup réfléchi à l’éveil de l’enfant, à la place des parents.
En fait c’est une crèche qui a toujours beaucoup réfléchi ! C’est très important parce qu’on considère
que les auxiliaires de puériculture ont des petits niveaux d’étude ; puisque c’est une formation qui se
fait après la 3ème, et que de plus en plus le niveau baisse puisqu’on accueille maintenant des CAP petite
enfance, voire que des BEP sanitaires et social… Le niveau baisse beaucoup. Après c’est un autre sujet
la professionnalisation des agents. Donc du coup faire émerger une pensée n’est pas forcément très
facile, surtout auprès de cette tranche d’âge d’enfant, car ça réveille beaucoup de sa propre histoire, de
ses propres pulsions… Voilà donc il y a un côté psy qui apparaît, mais on ne va pas refaire le monde
non plus ! A ce moment-là, des années 2000 jusqu’à aujourd’hui, certes l’équipe a changé, mais on a
quand même des piliers, des personnes qui étaient vraiment là depuis l’origine et qui ont vécu tout le
projet. En 2000, il y avait un éducateur homme, moi je suis arrivée en janvier 2007 en tant
qu’éducateur. Au bout de 6 mois, la crèche a fermé et quand elle a ré ouvert, je suis devenue adjointe
et David (M. Helbecque) est arrivé. David est arrivé par choix par rapport au projet, c’est-à-dire que
quand il y a eu le recrutement, il était stipulé que cette crèche travaillait sur l’égalité fille-garçon. Donc
un choix de sa part, et pour ma part un choix aussi de continuer à travailler sur ce sujet avec l’ancienne
directrice qui est partie il y a très peu de temps.
Etudiants : Vous aviez choisi à la base de faire ce métier parce que vous vouliez travailler avec les
enfants ?
Mme Constantin : Non, il y a des parcours où l’on ne sait pas trop pourquoi on y arrive ; puis on y
arrive et puis on y va et puis on y reste. J’ai commencé à travailler dans la petite enfance par la toute
55
petite porte : j’étais auxiliaire de puéricultrice pendant 3 ans, puis j’ai passé le diplôme d’éducateur de
jeunes enfants, et j’ai eu une progression assez rapide car c’est vrai que je préférais la conduite de
projet, l’encadrement d’une équipe, je me voyais plus là-dedans que tout le temps sur le terrain.
Le directeur-adjoint, Monsieur Helbecque : C’est compliqué. Moi j’ai eu une formation à la base
scientifique, bac S et je me destinais à la base à faire des études plutôt scientifiques. Jusqu’à 18-20
ans, je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire. J’avais juste des facilités en sciences. Après mon
Bac, c’était un peu compliqué, parce que je cherchais vraiment une orientation qui s’est plutôt orientée
vers un DUT, pour pourquoi pas travailler dans la police scientifique. C’était plutôt mon idée. Donc je
suis passé en physique, mais ça ne s’est pas forcément bien passé. Moi j’ai besoin de cadres, et le DUT
ça fonctionnait bien et finalement j’ai fait une année, puis pour la 2nde année j’étais sur liste d’attente et
je me suis mis sur le marché du travail et parallèlement à ça, à 16 ans, il y a un ami que je connais
depuis longtemps qui était avec moi au collège qui faisait du scoutisme et finalement le côté de
prendre des responsabilités, d’être ouvert aux autres, de filer un coup de main… Le rapport humain,
c’est vraiment ça qui m’a plu. Si la formation scientifique m’a structuré, c’est plutôt le rapport humain
qui a pris le dessus sur la suite, et après mes études un peu « foirées », je suis allé faire mon service
militaire dans la gendarmerie, toujours dans l’esprit rapport humain, rendre service… Sauf que la
gendarmerie ce n’est pas que ça. C’est le côté prévention qui m’attirait mais le côté militaire ne m’a
pas plu ! Et à la fin de mon service militaire, je suis rentré dans le milieu associatif de l’éducation
populaire, avec les emplois-jeunes où ils proposaient des postes justement pour développer cette
pédagogie au sein des quartiers. Sauf que les dispositifs emplois-jeunes n’aboutissaient à rien à
l’époque. Mais ça m’a permis de faire de nombreuses rencontres avec des professionnels de
l’éducation, qui étaient très ouverts sur la prévention, sur l’accompagnement des enfants, et j’ai un
jour rencontré un jour l’instit’ de maternelle qui m’a demandé si je connaissais la profession
d’éducateur de jeunes enfants. Educateur oui ça me disait quelque chose, mais plutôt les éducateurs
spécialisés, mais pas les EJE. J’ai été à la rencontre d’EJE, très peu d’hommes, il n’y en a quasiment
pas, alors qu’un homme qui veut accompagner les enfants pour grandir ça peut se faire aussi. Ils
peuvent avoir les mêmes qualités. Donc je suis parti pour faire ma profession. Et c’est vraiment en
engageant ma formation d’EJE que je me suis rendu compte que c’était ça que je voulais faire. C’est
alambiqué mais c’est cohérent.
Etudiants : Quelle a été la réaction de votre entourage lorsque vous avez annoncé vouloir devenir
EJE ?
M. Helbecque : Ils ne savaient pas forcément ce que c’était non plus, donc je leur ai expliqué un peu
en quoi ça consistait. Mails faut savoir que dans ma famille les hommes s’occupent beaucoup des
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enfants. Mon oncle a arrêté de bosser pour s’occuper de ses enfants et a repris un peu les études pour
être prof.
Mes parents sont mariés et je suis l’aîné de 3 garçons. Et il est arrivé que ma mère bosse le week-end
donc c’est mon père qui s’occupait de nous. J’ai grandi dans cette ouverture. Moi je me souviens
m’être battu avec ma cousine pour donner le biberon à mon petit frère .
Dans ma formation d’EJE, on était une promo de 60, on était 2 hommes, le deuxième est parti en cours
de formation pour devenir éducateur spécialisé. La chance que j’ai eu aussi, (si c’est une chance), la
première personne qui m’a aidé au sein de la formation c’était un homme EJE qui exerçait au sein
d’un jardin d’enfants. Ce qui s’est passé aussi, c’est que du fait de mon passé, moi j’avais déjà 30 ans
(la plupart des étudiantes en avaient 20-25), j’avais de l’expérience professionnelle, des responsabilités
auparavant, et tout de suite, double casquette : expérience +homme, on m’a dit que c’était facile
d’accéder à des responsabilités. Mais c’était beaucoup en fonction de mes compétences. Je n’ai pas
profité de mon statut d’homme. Pendant 5 ans j’ai été éducateur de terrain comme a pu l’être Claire, et
puis rapidement, je me suis dit que ce qui m’intéressait c’était que c’est bien d’être auprès des enfants
mais aussi la conduite des projets, de mener des projets un peu novateurs comme celui-ci, faire des
partenariats, un peu moins le contact avec les enfants et un peu plus dans l’encadrement des adultes,
dans leur accompagnement. Les quelques temps que l’on passe avec les enfants c’est un grand plaisir
et ils le ressentent, mais j’ai un peu de distance et j’aspire à prendre des responsabilités de crèches, à
accompagner des équipes… Mais ce n’est pas du fait que je sois un homme, c’est du fait de ma
personnalité.
J’ai frappé à la porte de cette crèche parce que je me suis demandé ce que je faisais tout seul au sein
de ma formation et quelle était la place des hommes dans les structures de la petite enfance. J’exerçais
auparavant dans une autre crèche dans le département, et j’ai vu un petit encart «pour Bourdarias,
projet sur le genre l’égalité fille-garçon ». Je me suis présenté à Marie-Françoise (la directrice
précédente) et Haude (Mme Constantin, l’actuelle directrice), et j’ai pris le chemin en même temps
que mes collègues, et j’étais dans le dynamisme d’équipe.
Je suis arrivé ici en avril 2009 lorsqu’elle a ré ouvert. Donc je suis arrivé concrètement sur le terrain
quand le projet a commencé, sachant que la crèche essayait déjà de faire rentrer les hommes dans la
crèche en préalable. Aussi une volonté d’inviter les pères à venir. Les enfants se construisent dans le
concubinage. Il faut qu’il y ait un rôle d’homme. Et c’est notre responsabilité aussi. Un enfant se fait à
2 en général, et c’est la responsabilité du père comme de la mère.
J’ai 36 ans, je vis en couple, pas marié pas pacsé, je vis en couple avec ma meilleure amie qui est la
maman d’un enfant de 5 ans. J’ai 2 petits frères.
Etudiants : Avant d’arriver ici, vous vous sentiez à l’aise dans votre profession ou c’était compliqué au
début ?
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M. Helbecque : C’était compliqué au début, parce que je me demandais quel regard avaient les parents
sur la présence d’un homme dans la petite enfance, et s’il n’y avait pas de regard accusateur etc. J’en
ai discuté avec mes collègues qui m’ont regardé avec des grands yeux. Vous savez, c’est le phénomène
de la rumeur, si tu fais un truc mal, est-ce qu’on ne va pas me mettre une étiquette… ? J’étais
tranquille avec mes aspirations d’accompagner les enfants, mais j’en ai beaucoup parlé avec mes
collègues et ça m’a aidé de travailler en équipe pour y voir plus clair, et puis d’en discuter avec les
parents, de voir qu’ils me faisaient confiance. Si on se pose la question ça peut tout de suite nous
miner. Il y a toujours ce risque : pourquoi un homme dans la petite enfance ? N’aurait-il pas des
tendances à vouloir faire du mal aux enfants… ? Certes certains profitent de leur puissance d’adulte
pour faire du mal aux enfants, et il faut bien sûr être prudent pour voir ce qui se cache derrière.
Etudiants : Dans votre formation, est-ce-que vous avez eu l’impression que vos éducateurs avaient
d’autres attentes de vous par rapport aux femmes ?
M. Helbecque : Par rapport aux résultats et à ce que l’on devait produire c’étaient les mêmes. En
centre de formation c’est facile parce qu’il y a nos noms et au niveau de l’examen, c’est anonyme, et
j’espère qu’ils évaluaient les étudiants en fonction de ce qu’ils produisaient. J’ai juste senti l’attente au
niveau de mon expérience.
Etudiants : Y a-t-il des enfants de familles homoparentales dans la crèche ?
M. Helbecque : Alors s’il y en a on n’est pas au courant. On était intervenu à l’Institut du Châtelet 3et
j’avais été interpelé par une professionnelle de Suisse, et qui m’a demandé si l’on avait des enfants
« transgenres » à la crèche… A à peine 3 ans ! Alors que c’est l’âge où ils se découvrent, et ne sont pas
encore dans ce choix à faire !
Etudiants : Claire (une des éducatrices de la crèche) disait justement qu’il faut arrêter de penser qu’on
(la crèche) veut transformer les petites filles en petits garçons et l’inverse ; ce n’est pas réduit à ça !
M. Helbecque : Oui, on souffre de ça, parce qu’on fait un travail important et on caricature
négativement notre travail.
3 L'Institut Émilie du Châtelet (IEC) a été créé en 2006 sous l’impulsion du Conseil régional d’Île-de-France et pilote depuis 2012 le pôle Genre du Domaine d’intérêt majeur (DIM), labellisé par la Région Île-de-France, « Genre, Inégalités, Discriminations ». (http://www.institutemilieduchatelet.org/)
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2) Quel type de formation avez-vous suivi ? (traditionnelle, spécialisation…)
Mme Constantin : J’ai commencé par auxiliaire de puéricultrice, ensuite EJE, puis diplôme de niveau
2 : Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention
Sociale, en même temps j’ai fait un master 1 et je suis en train de faire un master 2 en Intervention
Sociale et Education Familiale donc je fais mon mémoire sur le genre, à Paris X Nanterre.
3) Quelle a été votre perception, votre avis, votre critique vis-à-vis de cette formation ?
(enseignement neutre, volontairement stéréotypé, involontairement stéréotypé, vecteur de clichés…)
Avez-vous remarqué, au cours de votre formation, des différences faites entre filles et garçons ?
Mme Constantin : (elle évoque sa formation en cours) Justement, « j’utilise » ce travail dans mes
réflexions pour un travail universitaire et de recherche. En fait quand on a commencé à faire ce travail,
on l’a fait sans chemin tracé. On l’a vraiment fait avec notre sensibilité, voilà, ce qu’on avait en nous.
On n’a pas suivi… La pédagogie en Suède, on s’en est inspiré, mais on n’a surtout pas voulu faire un
copier-coller parce que de toute façon on n’est pas dans les mêmes registres : les femmes et hommes y
ont des congés maternité et paternité de presque 1 ans, les crèches n’existent pas, les formations de
ceux qui s’occupent des enfants sont des universitaires donc ils sont beaucoup plus diplômés pour
s’occuper des enfants, alors qu’en France on considère que savoir changer une couche ça ne demande
pas d’avoir un niveau d’étude important !
Etudiants : Donc finalement pensez-vous que votre formation était peut-être stéréotypée ?
Mme Constantin : Une fois qu’on a fait ce travail, des stéréotypes on en voit partout. Du coup les
formations et toute la société sont faits de préjugés… On s’en rend compte parce qu’on y a réfléchit.
Aujourd’hui ce n’est donc plus inconscient justement, c’est bien l’inverse. On est conscient alors
qu’avant non. On ne se posait que très peu la question pour savoir pourquoi il n’y avait qu’1 ou 2
hommes dans une formation d’éducateur de jeunes enfants.
4) Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
Mme Constantin : Je suis arrivée dans la petite enfance tardivement ; j’ai fait d’autres choses avant.
Donc j’ai été diplômée d’auxiliaire en 1998 ou 1999 et j’ai réellement exercé mon métier en 1999 en
petite enfance. Mon premier job était à l’hôpital, en maternité. Donc cela ne fait que 12-13 ans que je
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travaille dans ce milieu.
5) Y a-t-il eu un élément déclencheur dans votre volonté de travailler dans une crèche « non
genrée » ?
Mme Constantin : Lorsque je suis arrivée dans cette crèche, ce projet n’était pas encore mis en place et
je ne savais pas encore tout ce qui s’y passait, que déjà l’ancienne directrice avait ce projet. J’y suis
arrivée plutôt par hasard, et j’ai tout à fait adhérer au projet, et c’est pour cela que j’y suis encore
(j’habite très loin). Mais je reste parce que c’est intéressant. L’idée est sinon de l’amener, de le
développer ailleurs…
Etudiants: Oui, les parents semblaient dire qu’ils voulaient exporter ce projet au-delà de la simple
crèche (en maternelle, primaire, collège…) ?
Mme Constantin : Tout à fait, je pense qu’à force ça va se faire, mais c’est toujours compliqué
d’intervenir dans l’éducation nationale. Nous on est Conseil Général, l’éducation nationale c’est
encore un autre chapitre, une autre entité, une autre institution, et rassembler des gens de plusieurs
institutions n’est pas forcément très simple !
6) Quelle explication feriez-vous à l’observation du faible taux d’hommes dans les lieux
d’accueil pour les jeunes enfants ? Seriez-vous pour une parité dans le personnel ?
Mme Constantin : Les hommes font des études pour accéder à des études à hautes responsabilités, le
pouvoir, et puisque c’est un métier de femme dans les représentations des gens et puis, de s’occuper
d’enfants pour un homme (même si ça va mieux maintenant)… Les hommes il y a quelques décennies
ne s’occupaient pas de leurs propres enfants, alors aller s’occuper des enfants des autres dans les
structures d’accueil petite enfance ça paraît complètement absurde (Rires)! Aujourd’hui on en trouve
un tout petit peu, mais pas énormément ! Moi à l’époque où je faisais ma formation, ce n’est pas très
vieux, en 2005 (EJE), on était 120 étudiants, et dans ma promo il n’y en avait pas, et dans la promo d’à
côté il n’y en n’avait qu’un.
Au niveau des auxiliaires on n’en trouve pas sur le département. Si, il y a peut-être 3 ou 4 auxiliaires
hommes. Il y en a peut-être davantage au niveau des éducateurs, mais simplement les éducateurs ne
restent pas très longtemps sur le terrain parce que justement, ils vont aller accéder à des postes à
responsabilité, et vont plus rapidement la hiérarchie. Ceux sur le terrain restent juste « le temps de… ».
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7) Présentation personnelle de la personne interrogée : Age, sexe, nb d’enfants, situation maritale,
ordre dans la propre fratrie
Mme Constantin : 43 ans, pacsée, un enfant (fille qui n’est pas la fille de l’homme auquel je suis
pacsé), je suis l’aînée de 4 enfants (3 filles 1 garçon, dans l’ordre : fille, fille, garçon, fille) dans un
couple marié.
II. PERSONNEL ET RELATION AVEC L’ENFANT
1) Racontez une journée type à la crèche.
Mme Constantin : Les enfants arrivent avec leurs parents, ou un seul ou les 2. Au passage, les parents
sont très investis dans la crèche. Donc la crèche est complètement ouverte, et l’on tente de l’ouvrir de
plus en plus, en ouvrant des ateliers pour ceux qui seraient disponibles. L’idée est de travailler main
dans la main.
Donc les enfants arrivent. Entre 9h30 et 10h se mettent en place un certain nombre d’ateliers. Divers
ateliers, certains sont plutôt statués dans la semaine comme l’atelier cuisine car il demande plus de
manipulation, d’adultes, donc c’est tous les jeudis matins. A côté de ça, tous les autres ateliers :
bricolage, musique, jeux d’eaux, émotions… On essaye tous les matins d’en mettre 2-3 en place.
Après le repas arrive très rapidement, 11h. 2 services pour qu’ils soient moins nombreux et pour qu’on
puisse avoir une relation plus individuelle avec les enfants. Puis déshabillage, petit temps de jeux. Ils
vont se coucher, chez les tous petits c’est à la demande, et quand ils grandissent, de 12h45-13h jusqu’à
15h-15h30. Puis goûter, on se réveille on se change, on s’habille. Suivant les tranches d’âge,
autonomie plus ou moins importante. Les parents commencent à arriver, puis mise en place de temps
calme, de lecture.
2) Quelles sont les activités proposées aux enfants ?
Mme Constantin : Quelques-unes ont déjà été citées. Les plus courantes : la cuisine, le bricolage, mise
en place du jardinage, la lecture (partenariat avec la bibliothèque ; on est en train de créer un
partenariat avec la ludothèque pour faire des temps avec la ludothèque qui est juste à côté), atelier
poupées (garçons/filles), des choses autour des émotions avec des petites histoires/diapositives, sur les
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murs, du jeu libre (pas que des choses bien cadrées comme ça), tous les jeux de construction, de
transvasement (semoule, sable), psychomotricité développée pour chaque tranche d’âge (ramper, etc).
On invente tout le temps, on est tout le temps dans la créativité, l’inventivité, l’innovation… Tout le
monde participe. On est vraiment une équipe. Par exemple, le jeu d’eau en ce moment se fait avec la
lingère. L’atelier cuisine, c’est le cuisinier qui est présent, avec certes une auxiliaire, mais il est
présent. Donc tous les corps de métiers sont présents ! David (M. Helbecque) est à la fois aussi avec
moi, il est aussi un peu dans les services. Nous soutenons tous les ateliers.
3) De quels types de jeux disposez-vous ?
4) Sont-ils accessibles à tous les enfants de la même façon ?
Mme Constantin : Oui, les enfants sont séparés durant certaines activités. Pourquoi cette question ?
(rires)
Etudiants : Je pense que vous savez ! Je ne veux pas vous influencer… (Rires)
Mme Constantin : C’est en effet ici l’influence de la pédagogie suédoise où dans leur réflexion ils ont
jugé bon à un moment donné de séparer filles et garçons pour leur permettre entre pairs de pouvoir
peut-être être différents. C’est-à-dire que peut-être les filles ensemble, sans le regard de l’autre, le
masculin, pourront être, faire ou dire des choses différentes, et entre garçons aussi. Et donc ce qu’on
nous avait montré la première fois, c’est qu’on apprenait à des petites filles ensemble à crier fort.
S’autoriser à crier fort. Est-ce-que dans un groupe mixte, la fille va pouvoir élever la voix de la même
manière que si elle est tout de seule et si on ne l’invite à le faire ? Et pour les garçons, si un garçon est
avec les filles, il va pouvoir s’autoriser à libérer ses émotions ? C’est dans ce but-là. Ce sont des temps
donnés pour s’exprimer. Parce que l’on reste des filles ou garçon et qu’on n’est pas là pour changer les
identités de chacun. Chacun a son identité, qu’elle soit féminine ou masculine. On veut juste leur
donner la possibilité d’accéder à tout.
Etudiants : Donc la séparation des activités ne se fera pas forcément pour les jeux mais plutôt pour
l’expression personnelle ?
Mme Constantin : Alors, ce n’est pas comme ça… (Rires). Vous restez trop dans votre question et dans
votre schéma que vous avez dans la tête, vous n’arrivez pas à ouvrir.
62
M. Helbecque (il essaye de nous faire comprendre) : C’est ça l’idée avec les enfants. Même si on ne
les sépare plus beaucoup, il y a certains moments où on les sépare pour leur permettre de les laisser
s’exprimer dans un contexte différent que celui de la mixité, mais ça ne passe pas forcément par un
jeu, pas forcément sur des temps donnés. Ça peut être sur des temps d’expression corporelle,
lorsqu’ on leur raconte des histoires, sur les temps de cuisine (l’autre jour en cuisine j’ai pris le groupe
des filles par exemple), et en fait on observe vraiment ce qui se passe avec comme objectif de ne pas
les séparer tout le temps mais quand ils sont ensemble, qu’ils soient les plus « naturels » possibles.
C’est vraiment l’idée que quand ils sont ensemble qu’ils soient eux-mêmes et qu’ils s’autorisent à
exprimer leur personnalité telle qu’elle est et pas telle qu’on voudrait qu’elle soit. C’est pour éviter de
les enfermer dans des stéréotypes justement qu’on les sépare un tout petit peu.
Mme Constantin : On leur propose, ce sont des propositions en fait !
Le directeur-adjoint : Voilà, on leur propose de s’exprimer dans des temps un peu différents. Notre
idéal, et c’est ce qui se passe en ce moment, c’est qu’ils soient ensemble tout le temps et qu’ils
expriment leur propre personnalité tout le temps, leur propre sensibilité. Un garçon qui est sensible, il
peut aussi l’exprimer quand il est en groupe mixte…
Mme Constantin : c’est UNE étape, de les séparer, ça fait partie de tout le projet, de la démarche et du
processus sur les 3 ans. C’est pour ça qu’on dit qu’on ne le fait plus beaucoup parce que pour les
enfants qui sont « grands » aujourd’hui, filles et garçons, ensemble, s’autorisent complètement à être
eux-mêmes filles ou garçons. Le but étant qu’ils aient confiance en eux, qu’ils aient de l’estime et
qu’ils n’aient pas peur du monde ! (Rires).
5) Quel type de lecture faites-vous aux enfants ?
Mme Constantin : Alors là David je te laisse la parole ! (Rires) Parce qu’on a beaucoup travaillé sur les
stéréotypes dans les livres, et on a des partenariats avec des personnes qui traitent de ce sujet-là. On
fait très attention, on a enlevé tout ce qui était très stéréotypé…
Etudiants (Nous tentons ici implicitement d’évoquer le fait que la crèche ait retiré Petit Ours Brun de
sa bibliothèque car trop stéréotypé, ce qui est souvent repris par les médias lorsqu’ils évoquent cette
crèche) : Petit ours brun… ?
63
Mme Constantin : Ca va me poursuivre ! Petite anecdote justement : on a eu un appel de Bayard
Presse qui édite Petit Ours Brun. En effet on en a parlé dans je ne sais plus quel canard. Quelque temps
après, Bayard Presse m’appelle en me disant « on a lu que Petit Ours Brun était très stéréotypé et que
vous ne vouliez plus le lire aux enfants et tout ça ». Ils m’ont proposé de leur renvoyer quelques
exemplaires pour me montrer qu’ils avaient fait des efforts (rires). On a cherché un peu où étaient les
efforts, mais ils tentent un petit peu de gommer les stéréotypes mais il y en a presque toujours autant
quand même !
Etudiants : Du coup vous l’avez supprimé de votre bibliothèque… ?
Mme Constantin : De toute façon on n’en a jamais vraiment eus ! C’était comme si je vous parlais des
« Martines » ! Ces livres sont terrifiants !
M. Helbecque : Pour compléter, par rapport à la littérature jeunesse, on s’est aperçus que dans
littérature de la petite enfance il y avait énormément de schémas stéréotypés avec des images du père
dans la sphère professionnelle…
Mme Constantin : Et représentés par des animaux ! Parce que les animaux sont très représentés dans la
littérature jeunesse et on va représenter le masculin par des gros ours, des lions, et il y a beaucoup plus
d’animaux représentant la masculinité, l’homme… Il n’y a pas de petites tourterelles, hirondelles, des
tous petits chatons… En fait il y a 90% qui sont des animaux forts et qui représentent le garçon. Et
quand on représente le garçon, comme dans « Petit Ours Brun », c’est avec la pipe dans son fauteuil
avec son journal et la maman ours avec son tablier en train de faire la cuisine ! On a banni tout ça. On
a analysé les livres, les ouvrages, avec justement des partenaires qui font ça. Une association travaille
beaucoup là-dessus.
M. Helbecque : ce qu’on fait maintenant par rapport aux titres, donc on travaille beaucoup avec la
bibliothèque d’à côté, on a vraiment un œil critique sur ce que l’on propose aux enfants. Alors ça nous
arrive de proposer des livres ; mais le choix est assez limité, et même parfois contre stéréotypés parce
qu’il y a des livres qui sont contre stéréotypés mais qui tombent dans l’inverse dans d’autres
stéréotypes ! C’est la difficulté. Et on essaye de porter le regard critique des enfants sur le livre. Par
exemple, le livre de B. Barton « Sur le chantier », on le lisait aux enfants, on y voit des ouvriers qui
travaillent sur un chantier. Et depuis pas longtemps, je me suis aperçu qu’il y avait des ouvrières
représentées également. Et cela ne m’a pas sauté aux yeux parce que j’étais moi-même dans ce propre
schéma, et j’étais agréablement surpris qu’il y ait une présence féminine, parce qu’il y a certaines
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femmes qui arrivent dans le BTP. Donc les livres qu’on a parlent de tous les sujets, mais on veille
vraiment à ce qu’ils ne soient pas stéréotypés et qu’ils ne véhiculent pas des choses trop fortes.
(La directrice nous montre des livres de l’édition « talons hauts »).
Mme Constantin : Eux (les éditeurs) ont vraiment cherché à éditer des livres qui soient les moins
stéréotypés possibles. Après on les trie quand même parce qu’on peut retomber dans d’autres
stéréotypes, mais c’est un puits sans fond cette histoire !
M. Helbecque : Tout est aussi dans la façon dont on accompagne le livre.
6) Pourquoi avoir décidé de supprimer les livres « Petit Ours Brun » de votre bibliothèque ?
7) Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?
8) Y a-t-il des questions ou remarques particulières de la part des enfants par rapport aux activités
que vous leur proposez ici ?
Etudiants : bien évidemment, la plupart ne parle pas encore, ou encore trop peu…
Mme Constantin : Ils sont trop petits. Ils apprécient. Ils ont des émotions de contentement, mais ne
vont pas dire « à la maison on fait comme ça, on fait ci… ». Ce sont les parents qui disent ça « elle
aime bien la cuisine par exemple ». Je pense qu’il y a des choses qu’ils font ici et qu’ils font chez eux
aussi, mais ce n’est pas l’enfant qui va dire ou qui va pouvoir exprimer à 2 ans ou 2ans ½ … C’est un
peu compliqué !
M. Helbecque : Juste peut-être par rapport aux limites que l’on pose à la crèche. Les enfants sont
autorisés à faire certaines choses à la maison qu’ils ne sont pas autorisés à faire à la crèche parce que
c’est la collectivité, que les parents acceptent mais ici ce n’est pas acceptable… Les enfants arrivent
bien à faire la différence et ça ils le verbalisent, mais pas tant sur les activités ou sur ce qu’on leur
propose.
Nous essayons ici de rediriger notre question…
Etudiants: Une fille ne va pas vous dire par exemple «je ne veux pas utiliser le marteau parce que
c’est mon père qui utilise ça à la maison » ?
M. Helbecque : Ils sont beaucoup trop petits ici.
65
9) C’est carnaval. Quels sont les déguisements proposés/confectionnés aux enfants
Mme Constantin : C’est tous les jours carnaval ici ! C’est tous les jours que les enfants se déguisent. Il
y a tout plein de sortes de tissus, de sacs, des robes, des chapeaux, d’adultes, vraiment plein de choses
qui nous ont été apportées ou que la lingère a confectionnés, ou que nous même avons apportés,
l’équipe, de chez nous. Et donc ils se déguisent. S’ils ont envie ils se déguisent, s’ils n’ont pas envie
ils ne se déguisent pas. Il y a une année où un petit garçon tous les matins mettait une robe de la crèche
et toute la journée il restait avec la robe. Ils ont le choix. C’est ça notre objectif : leur laisser le choix,
et le plus large choix possible. Tout en même temps mettre un cadre, des limites… Mais dans
l’expression d’eux-mêmes, l’idée c’est qu’ils s’expriment et qu’ils expriment leurs peines, colères,
désaccords… Des colères de filles ça existe, des pleurs de petits garçons aussi. Moi je suis assez
satisfaite de la façon dont ils peuvent exprimer les choses. Du coup il y a même un coup de revers ! Ils
s’expriment beaucoup ! On ne peut pas les oublier (rires). En tout cas c’est très très vivant !
M. Helbecque : Ce qui est dommage, c’est que ce cadre-là est complètement permis à la crèche où l’on
va les encourager à s’exprimer ; et ce qui risque de se passer et c’est pour ça que l’on souhaite que le
projet continue ailleurs à l’école, c’est qu’ils soient freinés dès qu’ils expriment leur accord ou
désaccord, du fait qu’ils doivent « rentrer dans le moule ».
Mme Constantin : Tout ce qu’on vous dit là, c’est un long cheminement de réflexion, d’observation,
car ce qu’on peut dire aujourd’hui c’est parce qu’on a énormément observé les enfants et nos propres
attitudes à nous aussi. Tout cela passe principalement par l’attitude des adultes. Et c’est un long
cheminement. Car de temps en temps, quand une petite fille a une jolie robe, on a encore tendance à
lui dire qu’elle est magnifique ! Qu’est-ce-que vous (elle nous interroge), vous dites d’un garçon et
dites d’une fille ? Le garçon doit être courageux, qu’il soit fort et qu’il ne pleure pas et il faut que la
petite fille soit belle. Belle et tais-toi. C’est nous même qui luttons contre notre propre comportement.
On a dû faire notre propre critique et on continue toujours. On ne peut pas avancer si nous même ne
sommes pas toujours dans ce questionnement, sur ce qu’on leur donne à voir. Parce que les enfants
imitent les adultes.
10) Un petit garçon pleure. Quel est votre premier réflexe ? (idem pour les filles)
11) Si un enfant vient vers vous, quel jouet allez-vous lui proposer ? Selon quel critère ?
12) Citez les qualificatifs les plus attribués selon vous aux petits garçons. (idem pour les petites
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filles).
La directrice et le directeur adjoint nous fournissent alors une grille d’adjectifs qui fait partie du
travail effectué par la pédagogie suédoise à travers des qualificatifs à cocher selon qu’ils sont
attribués aux garçons ou aux filles. (Voir en annexe).
M. Helbecque : On était en formation avec les pédagogues suédois et ils nous ont posé ce genre de
questions. C’est la traduction des termes du suédois puis adaptés. C’est un questionnaire qu’ils nous
ont posé en formation et on a posé par la suite la question aux parents, au sein d’un questionnaire qui
les interrogeait sur la question des tâches à la maison.
Etudiants : Les parents ont donc dû travailler sur eux-mêmes ?
Mme Constantin : Quand je vous dis que l’on est une équipe, du cuisinier, en passant par la lingère,
jusqu’à l’équipe de direction… ! Et les parents sont complètement parties prenantes de ce projet !
Parce qu’on ne peut pas mener un tel projet sans eux non plus. Les premiers éducateurs de leurs
enfants c’est eux !
(L’un de nous fait alors le test, en attribuant les adjectifs de la grille plutôt aux filles ou aux garçons,
et cela vient tout « naturellement » !)
Etudiants : Du coup, vous faites désormais beaucoup plus attention à ce que vous dites ?
Mme Constantin : On fait attention, mais on fourche toujours ! On dit « oh t’as une belle robe ! »…
Mince ! (Rires)
M. Helbecque : En même temps si c’est vrai !
Mme Constantin : On ne va pas non plus tout bannir, ce serait ridicule, et on tomberait dans des excès.
On a rencontré pas mal de médias, et ce n’est pas forcément bien compris ! Je ne sais pas ce que vous,
vous en comprendrez de ce qu’on vous aura raconté ! Mais c’est une sacrée question.
Etudiants : En fait je pense que tout est dans l’équilibre, qu’il y a un vrai projet de changer les
comportements, mais sans tomber dans des stéréotypes inverses comme vous le disiez, et c’est là toute
67
la tension. Parce que les journalistes ont tendance à présenter votre projet comme « ils donnent des
marteaux aux filles et des poupées aux garçons »…
Mme Constantin : Et c’est pour ça que l’on arrête de voir les journalistes, parce qu’on en a marre des
journalistes ! Parce qu’ils ne comprennent rien ! Il y en a 1 parmi 10 ou 20 qui effectivement fait
l’effort de comprendre. On a eu un article dans Ouest France qui était très bien fait. Le journaliste est
allé discuter avec Serge Hefez4 par exemple. Donc il a bien compris le processus. Mais tous les autres
ne comprennent rien du tout. Et du coup, comme on est un peu tous seuls dans cette démarche, on est
forcément n’importe quoi ! « Qu’est-ce-qu’on fait faire à nos enfants aujourd’hui ! Ils sont fous » !
13) Quels enfants s'imposent le plus?
M. Helbecque : C’est délicat à observer. Mais je dirais que les garçons occupent plus l’espace. C’est
un constat que l’on a fait au début. Mais finalement ça dépend. Au point où l’on en est arrivé, on a
constaté qu’il y avait autant de différences entre une fille et un garçon qu’entre deux filles ou deux
garçons. Chacun est unique. Certains garçons prennent plus de place, d’autres sont plus posés.
14) Comment faire concrètement pour ne pas avoir une relation et un comportement influencé par
le genre de l'enfant? Pensez-vous que vous ne faites vraiment aucune différence?
Etudiants : Etes-vous quand même rattrapés à chaque fois ?
M. Helbecque : On est rattrapé à chaque fois. On ne peut pas se dire que l’on est nous complètement
égalitaires. On vise à l’être, mais il y a forcément des choses qui nous rattrapent ! On n’a pas encore
fini de travailler sur nous. Comme le premier travail s’effectue sur nous, il faut qu’on continue à
travailler sur nous-même, on fait super attention, on se reprend, mais l’intérêt est de travailler en
équipe. Petite anecdote qui me vient à l’esprit : à un moment on a fait un atelier sur les émotions, avec
projections de diapositives auprès des enfants, et une histoire d’un petit chat qui a peur, qui se réveille,
et qui dort auprès d’un de ses deux parents. Il entend un bruit dans la nuit se réveille et se demande ce
que c’est. La première image, on voit le petit chat allongé près d’une forme d’un adulte. On demande
aux enfants ce qu’ils voient sur l’image : certains disent une chaise, la lune, un petit chat, et d’autres
enfants on dit « une maman ». On ne leur avait jamais raconté l’histoire, et pour eux le petit chat
dormait auprès de sa maman. Et nous on leur dit « pourquoi ce ne serait pas le papa ? » Et on
4 Psychiatre et psychanalyste, responsable de l'unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière de Paris. Il écrit régulièrement pour la revue Psychologies.
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enchaîne comme ça. Du coup on se met d’accord au début, et on se dit que c’est papa. Et finalement je
me dis mais finalement, est-ce-que je n’ai pas induit autre chose auprès des enfants en leur imposant
que c’est le papa… ? Au final, s’ils ont envie que ce soit la maman, et bien ce sera la maman ! Je leur
offre la possibilité que ce soit le papa (car bien sûr des enfants dorment auprès de leur papa aussi !),
mais là on s’est mis d’accord.
Etudiants : Le simple fait de leur avoir proposé déjà que ça puisse être le papa est déjà une ouverture…
M. Helbecque : Bien sûr. Après c’est un travail de fourmi, minutieux, invisible, dans le temps, en
cohérence d’équipe… Des choses longues!
III. PERSONNEL ET PARENTS
1) Quelles sont les premières questions des parents lorsqu’ils viennent chercher leur enfant (voir
si cas différent selon fils ou fille) ?
Mme Constantin : Déjà, il y a 10 ans, le père qui venait chercher son enfant à la crèche, l’auxiliaire lui
disait « vous direz à votre femme que… ». Aujourd’hui, on a quand même énormément de pères
investis dans la crèche et même beaucoup ! Alors c’est marrant parce que la nouveauté, c’est que les
pères prennent plus de place que les mères ! On fait des accueils du 1er jour et tout ça et on le fait
ensemble pour se présenter. Et il y a 2 fois de suite où il y avait le père et la mère et l’enfant. L’enfant
est dans les bras du père et le père parle tout le temps ! Il présente son enfant, et la mère ne peux
presque plus rien dire ! C’était flagrant la dernière fois ! Ceci-dit ce sont des exemples…
Etudiants : Mais c’est peut-être soit que c’est encore une fois l’homme qui va s’imposer, ou alors c’est
le fait qu’on va regarder qui va agir et du coup on va davantage s’intéresser au fait que là c’est un
homme qui va prendre la place de la femme donc on s’y intéresse. Alors que d’habitude ce sont les
femmes, mais on ne pas le souligner… ?
M. Helbecque : La question est bonne ! Question qu’on s’est posés. Je trouve déjà que c’est un progrès
énorme que ce soient les deux parents qui viennent, qui puissent venir à la crèche tous les deux, même
quand ils bossent tous les deux. Ça montre qu’ils sont investis dans l’éducation de leur enfant. Ça c’est
un progrès énorme.
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Mme Constantin : C’est aussi la société qui parvient à évoluer aussi quand même, qui tente de laisser
la place aux femmes… Après il faut que les hommes parviennent à retrouver leur équilibre à eux,
parce qu’il y a eu de grands bouleversements dans la place de chacun, la place du père en l’occurrence
dans la sphère familiale. En tout cas on trouve que pour les jeunes parents, il y a un équilibre qui se
fait entre le père et la mère, les jeunes cadres dynamiques premier enfant.
Etudiants : Vous voyez une différence par rapport au milieu social ?
Mme Constantin : Oui, bien évidemment. Même au niveau culturel. Les cultures d’Afrique restent
quand même très traditionnalistes. On s’amuse à chercher les pères, on les invite ! Dernièrement, il y
avait un couple où je n’avais jamais vu le père. Et du coup j’ai dit à la maman que ce serait bien que
votre mari soit disponible, il n’a jamais vu la crèche. Il est venu, il est rentré, et il a visité. Du coup il y
a un petit déclic qui s’est fait. Mais il faut aller les chercher ! Mais il n’était pas à l’aise, alors que
c’était une grosse « baraque » ! (rires)
Etudiants : Du coup, y a-t-il des questions différentes selon que les parents viennent chercher leur
petite fille ou petit garçon ?
Mme Constantin : Nous on n’est pas dans la transmission auprès des parents lorsqu’ils viennent
chercher les enfants le soir, donc on n’a pas forcément ce regard. Les auxiliaires sont plus concernés.
2) Ont-ils des attentes particulières selon le sexe de l’enfant ?
Mme Constantin : Je pense qu’ils sont encore petits pour qu’ils aient des attentes particulières. Si par
exemple, la maman de Zélie disait « Si elle veut être cuisinière pourquoi pas, mais.. » Mais on sentait
quand même que bon… Les parents accepteraient mais quand même… ! (Rires)
3) Pour quelles raisons pensez-vous qu’ils aient choisi ce type de crèche et pas une crèche
traditionnelle ?
Etudiants : Même si après avoir discuté avec les parents, on a bien compris qu’à la base ce n’était pas
un choix de mettre les enfants dans cette crèche. (Nous avons en effet effectué un micro-trottoir à
lorsque les parents déposaient leurs enfants le matin ; voir en annexe).
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Mme Constantin : Ce n’est pas un choix à la base. Maintenant, il y a du bouche à oreille, entre les
voisins, qui parlent de cette crèche. Certains vont dire « on a la chance d’habiter dans le quartier où
est implanté cette crèche ». Mais après, on n’est pas une crèche miraculeuse non plus hein ! Dans ce
que vous avez vu, vous n’avez peut-être pas forcément vu quoique ce soit. C’est presque de l’invisible.
C’est de l’attitude, c’est des comportements, c’est des paroles. Après, c’est aussi ce que l’adulte va
poser comme question, la discussion qu’il va avoir avec l’enfant, comment il va le reprendre ou pas en
cas de débordements… On peut faire 3 ou 4 fois le même atelier vous n’aurez absolument pas la
même chose ! Et puis il y a des auxiliaires qui sont peut-être plus investies, ou qui ont peut-être plus
compris… Il y a plein de niveaux différents et donc là vous pouvez sortir de là en vous disant que
finalement c’est une crèche comme une autre, avec des activités comme une autre, pas plus ni moins.
Mais c’est beaucoup dans la pensée, dans les attitudes et dans les personnes aussi. C’est un long
processus, qui dure depuis 2007. On est en 2012, et on a vraiment mis des ateliers en place, « genrés »,
depuis réellement 6-8 mois. C’est une vraie recherche sociologique que l’on fait, mais sans forcément
s’en rendre compte. En équipe, on a cherché tous les mots qui étaient en concordance avec le genre :
stéréotype, parentalité, transmissions générationnelles, égalité… On a balayé plein de termes. Chacun
dans l’équipe a cherché, pour voir ce que ça voulait dire. Donc le temps de compréhension est déjà
long. C’est-à-dire que l’on n’a pas l’habitude de réfléchir de cette manière-là, donc c’est un très long
processus.
Etudiants : Et d’ailleurs, comment se passe le recrutement ?
Mme Constantin : Malheureusement on n’y peut rien. C’est le choix du conseil Général, les gens
arrivent ici. Sauf David, lors de l’ouverture de la crèche, qui est venu POUR le projet.
Etudiants : Ils doivent alors s’acclimater ? Comment réagissent-ils ?
Mme Constantin : Ça fédère. Ça a fédéré l’équipe. Il y a une reconnaissance de la profession de
chacun, de leur travail, qui est très difficile ! S’occuper d’enfants de 0 à 3 ans pendant des années…
Ce n’est pas facile ! Donc du coup ça donne une respiration, on a présenté notre projet, et pas que
nous, les auxiliaires, les lingères, parfois on se déplace… On parle de notre projet toujours ensemble.
C’est un vrai travail en commun. Ce n’est pas juste une équipe pensante (la direction) et les autres au
travail. Donc le fait de travailler ensemble, certes ça prend beaucoup plus de temps, mais c’est plus
riche dans les échanges. Mais ça n’empêche que ça reste une crèche avec toutes les difficultés que ça
comporte, les creux de vagues, les périodes où l’on en a ras-le-bol, toujours plus d’enfants, avec les
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logiques financières…On essaye de maintenir ce projet quand même dans une réalité de terrain qui est
complexe.
4) Ressentez-vous un désir mutuel de la mère et du père ou bien une divergence plus ou moins
exprimée selon le lien de parenté ?
Mme Constantin : Les derniers parents sont très heureux d’arriver dans cette crèche. Ils tapent un peu
sur internet et il y a pas mal de choses, et sont contents. Maintenant, nous on est parfois en difficulté
car entre ce qui est écrit et ce qui se passe réellement…. On ne fait pas de la représentation ! Il y a des
jours où ça fonctionne bien puis il y a des jours où ce sont des activités comme dans n’importe quelle
crèche. Donc les parents sont forcément dans une attente maintenant ! Mais on a beaucoup changé
dans ce que l’on apporte aux autres. On a beaucoup évolué dans notre réflexion. On est un accueil
pour les filles et garçons et on essaye de lui apporter le plus d’ouverture possible dans sa construction
identitaire que ce soit une fille ou un garçon. Il n’y a pas de grands miracles ! Il faudrait ensuite voir ce
qui se passe dans 10-15-20 ans, ce que sont devenus ces enfants. C’est ce qui a été fait en Suède. Ils
ont retrouvé deux enfants, à 20 ans, qui étaient passés dans ces structures à pédagogie égalitaire. Une
fille et un garçon à l’université. Ils disaient que pour eux, la plus grande chose qu’ils ont acquis, c’est
le fait d’avoir confiance en eux, d’être sur leurs 2 pattes, ils dirigent leurs vies, avec beaucoup
d’ouverture vers les autres avec beaucoup de confiance en soi et d’estime de soi. Ce qui n’est pas
négligeable !
Etudiants (nous essayons de rediriger la question): Voyez-vous une différence entre le père et la mère,
un désir moins évident du père par exemple de mettre son enfant dans cette crèche… ? (Nous
évoquons alors le témoignage d’un papa qui nous avouait avoir été un peu réticent au départ mais qui
est aujourd’hui ravi)
Mme Constantin : Je ne savais pas qu’il y avait des pères réticents à mettre leurs enfants. J’ai plutôt
entendu l’inverse ! Mais je pense qu’on n’a encore pas assez de recul. Et comme on n’a pas encore de
lien avec la maternelle, on espère que les choses se fassent par les parents. Mais on est un peu seuls
dans cette histoire quand même.
Etudiants : Oui, un papa nous confiait que « le problème c’est que derrière ça ne suit pas ! ». Donc
avez-vous des déceptions de base par rapport à ça ?
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Mme Constantin : On a la chance de voir la cour de récréation de la maternelle juste à côté. Et on a le
sentiment que le fait d’être passé à la crèche leur a permis d’être plus confiant… Dans les recherches
qui ont été faites dans les maternelles, on a toujours dit que les garçons prenaient l’espace et que les
filles étaient en petits groupes. Là on a vu les filles qui se bagarraient, qui s’affirmaient, ou des
garçons qui discutaient avec des plus grands qu’eux. On a peut-être transmis quelque chose, mais on
n’a pas assez de recul. Nous on espère juste apporter un petit plus aux enfants et aux parents, et on
espère que dans les formations il y ait une formation au genre, dans les formations du social ou même
à l’école.
Etudiants : Justement, des parents nous parlaient de leur volonté de faire bouger ce projet à l’extérieur
de la crèche. Participez-vous à ce projet ?
Mme Constantin : Ce sont les parents ! Et c’est grâce aux parents que les choses vont bouger ! S’il se
passe quelque chose c’est grâce à eux. Donc eux se sont montés en association pour travailler sur le
genre, pour diffuser. On a aussi rencontré certains inspecteurs qui font un rapport et une recherche sur
les 0-3 ans, donc on attend aussi que des choses ressortent. On attend aussi beaucoup du
gouvernement, des moyens… Parce qu’en Suède c’est une volonté du gouvernement à la base qui a
fait qu’il y ait eu plusieurs lois sur les congés de maternités, et des moyens ! Nous on n’a pas les
moyens ! On a juste nos petits cerveaux et nos petites mains, notre créativité ! Donc le rôle des
institutions, de plein de choses… On ne peut pas faire ce qu’on veut, on ne peut pas dire ce qu’on
veut, diffuser ce qu’on veut…
Etudiants : Nous sommes ici dans une crèche départementale. Est-ce-que le Conseil général a financé
le projet, c’est lui qui l’a lancé… ?
Mme Constantin : C’est le Conseil Général qui a financé la formation de 12 jours avec les suédois.
Après, toutes nos réflexions sont les nôtres. C’est pour cela qu’on se sent seuls dans cette histoire.
L’idée était que ça puisse prendre dans les 55 crèches du département. Sauf que c’est une grosse
institution, et je pense qu’elle s’est sentie dépassée par notre travail et donc du coup, on est pieds et
poings liés. Ils ne supportent pas qu’on soit invités dans des colloques, séminaires, donc jusqu’à
présent, l’ancienne directrice mettait sa casquette syndicale pour aller dans les colloques. On a très peu
de marges de manœuvre. Et on n’arrive pas non plus à aller dans les autres crèches. On ne nous aide
pas. On a rencontré les ministres début septembre, et depuis rien ! La dernière fois qu’on a eu la
formation suédoise c’était en mai 2011, depuis, plus rien. Donc nous on en est à se dire que les parents
font leur travail pour essayer de semer à l’école et essayer que ça prenne, mais nous si on veut
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vraiment continuer à travailler sur ce sujet, il faut qu’on aille ailleurs. On a l’impression d’être allés au
bout. Et du coup ça engendre des jalousies au niveau des autres directrices de crèche, « pourquoi cette
mise en avant de cette crèche, nous aussi on fait des choses… ! »… Il y a une incompréhension de la
part du politique, de l’institution… Enfin du Conseil Général dans tous les cas. Et le fait qu’on soit
rattrapés, par le ministère, les ministres, tout ça… Pour eux (le Conseil Général) c’est compliqué, et
nous on est un peu coincés là-dedans…
Etudiants : Vous pensez que les autres crèches sont réticentes ?
Je pense que c’est l’employeur qui n’arrive pas à faire que ce projet se diffuse normalement et
simplement aux autres structures. Et puis c’est un énorme travail, il faut que les gens se mobilisent.
C’est une question qui demande un investissement, une réflexion pour emmener une équipe dans le
bateau… David et moi on est à se dire qu’on en a marre, on a envie d’aller le faire vivre ailleurs
puisqu’on n’y arrive pas là. Enfin, on y arrive, mais c’est seulement à l’échelle de la crèche.
Etudiants : Quels seraient alors vos projets ?
Mme Constantin : Il y d’autres communes, voir plutôt Conseil général ou régions qui se sont emparés
du sujet en le traitant dans leur département, et qui le traitent de façon « normale », en se posant moins
de questions, ils sont moins fébriles… La directrice qui vient de partir est en train de former des
directrices dans des communes, en répondant à des appels à projet. Donc tout le monde d’intéresse à
ce sujet. Et nous on est là, et on est coincés ! C’est politique. Il y a des forces contraires… On a
changé de président du Conseil en 2012. La première rencontre qu’il a faite c’était à la crèche en
septembre. On s’est dit « super !», parce qu’on attend toujours d’être pris en compte !
M. Helbecque : Il y a toujours des dossiers qui semblent plus importants que le nôtre. Et puis « il n’y a
plus d’argent… »
Mme Constantin : Ils avaient l’opportunité de se saisir d’une équipe qui a travaillé, et auraient pu en
faire quelque chose. Mais c’est l’inverse qui se passe. On a fait une superbe charte… (Elle montre le
kakémono de la « Charte de l’égalité » dans le bureau). Il y a l’association qui diffuse et qui va former
ailleurs, donc je pense qu’à un moment ou à un autre on va faire la même chose ! Ou aller former dans
les écoles aussi. Si jamais il y avait quelque chose au niveau de la sensibilisation dans les écoles, ou
dans les facs… Je crois que des choses se font mais il n’y a pas de cohésion. Mais je pense que ça
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viendra (dans 10-15-20 ans).
Il y a des choses qui ont bougé quand même, l’évolution de la femme. Mais c’est long. Ce genre de
projet fonctionne dans les pays nordiques, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont moins nombreux, ne
suivent pas les mêmes études dans la formation des professionnels de la petite enfance… On est dans
le pays où la formation des jeunes éducateurs est la moins reconnue. Partout ailleurs, les gens passent
par l’Université, et ne peuvent être professionnels sans avoir un Master 2. Il y a en ce moment des
réflexions pour faire que des formations sociales soient inclues dans les universités. Donc ça
commence un petit peu, avec des conventions entres les facs et les écoles, mais les écoles veulent
garder tout ça pour eux, les Universités sont frileuses également. Tout ça c’est compliqué. Et comme
on est dans une époque où l’on « déprofessionnalise » les métiers de la petite enfance...
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Annexe 2 : « Camille va à la crèche »
Aujourd'hui Camille va à la crèche pour la première fois. Camille est ravi(e) mais sa maman est un
peu inquiète. Il faut dire que depuis sa naissance c'est elle qui s'occupe de Camille. Son papa voulait
bien rester à la maison mais il n'aurait pas gagné assez d'argent. Camille doit maintenant aller à la
crèche car sa maman retourne au travail. Camille ne sait pas trop ce que fait sa maman. Elle est le chef
de pleins de gens, un peu comme la mère Noël et ses lutins, ou quelque chose comme ça. Son papa,
lui, c'est facile de s'en souvenir, il fait naître les bébés.
Camille finit de prendre son petit déjeuner pendant que tout le monde s'agite autour : sa maman fait la
vaisselle et son papa passe le balai.
« Allez Camille, je te mets ton manteau et on y va » lui dit sa maman.
Après avoir marché dans le froid, Camille et sa maman arrivent enfin à la crèche.
« C'est pas trop tôt » s 'exclame Camille. Une dame les accueille :
« Bonjour Madame. Ah voilà Camille, ne vous inquiétez pas, nous allons en prendre bien soin avec
mes collègues. Camille est dans le groupe de Martine, vous allez voir, c'est une vraie petite maman
avec les enfants ».
« Alors, c'est un bien joli prénom ça Camille.. Tu es une petite fille ou un petit garçon? »
« Moi je suis un bébé » répond Camille énervé(e).
« Hum, d'accord » répond la dame.
La maman de Camille l'aide à enlever son manteau et lui met ses chaussons. Elle lui fait un bisou,
Camille voit qu'elle a les yeux tout rouges.
« Amuse toi bien et sois sage mon cœur, à ce soir », elle s'en va.
« Allez viens jouer avec nous Camille » lui dit Martine. Mais Camille n'a pas envie et va s'asseoir dans
un coin. Léa arrive :
« Bonjour Léa. Oh comme tu as une belle robe aujourd'hui, tu es très coquette » lui dit Martine. Une
fois prête Léa va jouer à la poupée.
« Oh, comme il est fort le petit Gustave, il porte son sac tout seul comme un grand » s'écrie Martine.
Camille continue à bouder dans son coin et est agacé(e) par Gustave et Lélio qui courent et crient
partout. Camille décide de se rapprocher de Léa et Agathe qui sont beaucoup plus calmes. Mais
Martine arrive :
« Allez les enfants, on va dessiner ».
Tant pis, Camille jouera avec elles plus tard.
Tout le monde s'assoit autour de la table. Camille décide de dessiner un lion. Soudain, Lélio pique le
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feutre d'Agathe. Elle pleure et mord Lélio. Lélio pleure aussi. Martine intervient :
« Ca ne sert à rien de s'énerver Agathe. Lélio arrête de pleurer. Un grand garçon comme toi, ça ne
pleure pas. » Agathe continue de pleurer.
« Elle nous casse les oreilles » pense Camille. Martine prend Agathe dans ses bras et lui fait un câlin.
Agathe se calme enfin.
« Allez on range, on va lire une histoire maintenant » dit Martine. Camille s'assoit avec Agathe et Léa,
derrière Gustave et Lélio qui se sont mis tout devant. Mais Camille ne voit rien pendant la lecture,
Gustave n'arrête pas de se mettre devant le livre et Martine ne dit rien. Camille est énervé(e).
Voilà qu'arrive l'heure de manger. Camille fait la grimace, aujourd'hui au menu c'est carottes et
poisson. Martine demande aux enfants :
« Maman cuisine des carottes des fois à la maison? ». Personne ne répond, tout le monde est trop
occupé à manger.
C'est ensuite l'heure d'aller faire la sieste.
« C'est pas trop tôt » pense Camille.
Vers 15h, Martine réveille Camille.
« Maintenant, tu peux aller jouer jusqu'à ce que ta maman vienne te chercher ».
« Mais moi c'est mon papa qui vient me chercher » répond Camille.
« Ah bon, ta maman n'a pas le temps de venir te chercher? »
« Elle travaille, et puis j'aime bien quand c'est papa qui vient ».
Camille va faire un puzzle dans son coin. Au bout d'un moment Martine arrive :
« Ton papa est là Camille ».
« C'est pas trop tôt » pense Camille.
Camille saute dans les bras de son papa :
« Allez, vite, on s'en va » dit Camille.
Mais Martine les retient :
« Monsieur, pensez à dire à votre femme de donner un doudou à Camille pour la sieste ».
« D'accord, je vais m'en occuper » répond le papa de Camille.
« Alors, c'était bien Camille? »
« Non, c'était nul ».
Le lendemain matin, Camille n'a pas du tout envie de retourner à la crèche. Sa maman est obligée de
se fâcher :
« Arrête de trainer des pieds Camille ».
Arrivés à la crèche, un homme ouvre la porte.
« Bonjour Camille, je suis Hans et je remplace Martine aujourd'hui. » Camille est impressionné(e),
Hans est gigantesque. Sa maman lui explique qu'il vient d'un pays où il fait très froid et où habite le
père noël.
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« Oh tiens, voilà Léa, bonjour Léa comment vas-tu? Oh Bonjour Gustave! »
Camille entend la mère de Léa dire inquiète :
« Mais, vous êtes-sûr que vous allez savoir vous occupez d'eux? »
«Allez les enfants, on va faire une activité » dit Hans.
« Asseyez-vous et prenez tous un outil, on va faire du bricolage ». Camille est ravi(e).
Camille tape de toutes ses forces .
« C'est bien Gustave, mais fais bien attention de viser le clou » lui dit Hans.
« C'est bien Léa, tu peux taper encore plus fort si tu veux ».
«Elle vous plait cette activité? » demande Hans.
« Tu aimes bien faire du bricolage Camille? »
« Oui » répond Camille.
« Et toi, ça te plait Lélio? Tu peux le dire si tu n'aimes pas l'activité. »
« Moi je voudrais lire un livre » répond Lélio.
« D'accord, nous allons lire l'histoire de Monsieur Papa et ses dix enfants » répond Hans. Camille est
de bonne humeur. L'histoire lui plait et aujourd'hui tout le monde peut voir les images car tout le
monde est assis et écoute l'histoire.
Ensuite Camille et ses amis mangent et font la sieste. Hans les réveille et leur propose de jouer tous
ensemble à la poupée en attendant que les parents arrivent. Camille aime bien jouer avec tous ses
camarades. Lélio essaye de prendre la poupée de Léa :
« Non c'est ma poupée, prends en une autre » lui dit Léa
« Oui, il y a en pleins d'autres, regarde » lui dit Hans.
À 17h Hans dit à Camille :
« C'est l'heure de partir, ton papa est là Camille ».
« Oh non, c'est trop tôt » répond Camille.
Le papa de Camille l'emmitoufle dans son manteau, « vivement demain » pense Camille.
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Annexe 3 : Retranscription de micros-trottoirs réalisés au près de parents déposant leurs enfants à la crèche Bourdarias
Maman 1
1) Pourquoi avoir choisir la crèche Bourdarias pour vos enfants ?
Cette crèche car de bouche à oreille. Déjà dans le 93 pas facile de trouver une bonne crèche. Ma sœur
est à Epinay sur seine et apparemment là-bas ce n’est pas très bien. C’est une crèche très propre,
niveau cuisine, tout, même par rapport aux employés. Rien à dire.
2) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement qui prétend éduquer sans genre ?
Sur la parité, j’en pense que c’est très bien. Moi aussi j’ai commencé à lui acheter des poupées pour
vous dire !
Maman 2 (journaliste travaillant au planning familial, mariée, 2 fils)
1) Pourquoi avoir choisir la crèche Bourdarias pour vos enfants ?
On ne choisit pas de mettre ses enfants dans cette crèche-là précisément, parce qu’il y a aussi des
questions de secteurs. Il se trouve aussi que cette crèche m’intéressait parce que j’étais au courant du
projet genre avant même la conception et la naissance de mon premier gamin. Je n’avais aucune idée
qu’elle était à côté. Quand j’ai appris que c’était ma crèche de secteur, j’étais aussi super contente.
C’est aussi les aléas de la géographie.
2) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement qui prétend éduquer sans genre ?
Moi j’attends qu’on sorte un peu du stéréotype... Toutes les crèches, tous les professionnels ont envie
de traiter filles et garçons de la même manière. Ce n’est pas qu’ici. Simplement, ce qu’il y a
d’intéressant ici, c’est que les pros ont mené une réflexion d’analyse de leurs propres pratiques et de
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leurs propres représentations, pour essayer de débusquer ce qui faisait obstacle à ça, et de se rendre
compte que « j’ai bien envie de les éduquer de la même façon, n’empêche je ne vais pas leur parler
pareil, leur dire la même chose, les encourager à faire la même chose. » Moi ce qui m’intéresse, c’est
d’arriver à cet équilibre-là. Il se trouve que moi j’ai 2 garçons, alors que je m’étais toujours posée la
question de l’éducation des filles. Et j’ai un parcours de militante féministe, cela fait bien 10-15 ans
que je suis dans des associations. Voilà donc c’est une thématique qui me parle beaucoup. Et j’avais
toujours beaucoup pensé au féminin, et là pour le coup, je réfléchis aussi au masculin, et en tant que
mère ça m’interpelle vachement : est-ce-qu’en même temps je ne laisse pas mon enfant parler très fort,
est-ce-que si c’était une fille je ne le restreindrais pas… Malgré ma trajectoire féministe, parce que je
suis comme les autres, j’ai été élevée comme les autres. Simplement moi je pense que par rapport à
d’autres, je vais me poser la question.
Etudiants : Du coup, sentez-vous de nouveaux comportements ?
On nous a déjà posé cette question, le seul problème c’est que moi je n’ai pas de point de
comparaison : le 1er (enfant) est rentré à 1 an à la crèche, et le 2ème y est rentré à 2 mois et demi, donc
ils se sont construits comme ça. Il y a un certain nombre de choses qui sont pour eux très claires mais
je ne sais pas si ce serait clair autrement.
3) Quelle vision des rapports hommes/femmes souhaitez-vous transmettre à vos enfants par le
biais de leur éducation dans cet établissement ?
Moi je pense que ces histoires de jouets pour filles, garçons, c’est plus tard que ça se fige. Ou en tout
cas, j’espère qu’on va planter d’autres racines. On essaye aussi d’essayer de faire franchir le projet
genre des murs vers la maternelle et la primaire. (qui sont juste à côté). Les parents n’ont pas envie que
cette aventure s’arrête, et ça profiterait à plein d’autres gamins.
Papa 1 (intermittent du spectacle, fils de 20 mois)
1) Pourquoi avoir choisir la crèche Bourdarias pour vos enfants ?
Dans le 93 on ne choisit pas vraiment, la plus proche de la maison, et notre choix premier donc très
contents d’avoir été pris. On a appris par surcroit le projet de cette crèche, quand on s’est inscrits.
Dans un 1er temps, on ne savait pas trop de quoi il s’agissait, puis il y a eu des réunions, des
conférences, et on a trouvé ça absolument passionnant, on s’en réjouit, c’est bien pensé, et dans le long
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terme, je pense que c’est quelque chose à développer le plus possible, et en dehors des crèches.
Etudiants : Il paraît que certains parents se sont montés en association ?
Quelques parents et une partie de l’équipe pédagogique s’est formée en association, mais pour le
moment elle en est à ses balbutiements, mais c’est en effet pour essayer de faire tâche d’huile, que ça
se répande un peu ailleurs, parce que si ça en reste là, c’est un peu un coup d’épée dans l’eau. Donc ils
ont commencé c’est bien, mais i faut un peu l’emmener ailleurs.
2) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement qui prétend éduquer sans genre ?
Des attentes particulières il ne fait pas en avoir trop parce que encore une fois c’est limité dans le
temps (celui de la crèche), et eux le font très sérieusement : ils ( le personnel de crèche) ne sont pas
dogmatiques ou manichéens, ils travaillent, essayent d’adapter ce projet genre aux activités proposées
aux petits, donc sont en recherche, y vont lentement et ont raison, n’assènent pas des choses qu’ils
auraient ramené d’ailleurs. Ça se construit et c’est très bien comme ça, sinon ce serait tendre un bâton
pour se faire battre. Car ce genre de projet rencontre des résistances énormes auprès d’une certaine
partie de la population, car c’est très mal compris.
Etudiants : Ressentez-vous du coup un comportement qui se modifie ?
Mon fils y est entré très petit, 6 mois, et les enfants évoluent très vite, alors faire la part des choses
ente ce qu’ils auraient pu devenir s’il n’était pas là, etc, c’est impossible. C’est surtout dans la 2ème
année que les fruits sont à récolter. Pour le moment il est encore un peu petit. Mais c’est vrai qu’il s’est
attaché à une poupée, du coup on lui a acheté la même à la maison, tout en ayant des petites voitures et
des marteaux !
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Annexe 4 : Grille d’entretien pour la crèche de Dauphine
LE PERSONNEL : FORMATION, CONVICTION1) Comment est née votre vocation ? Pourquoi avoir choisi cette profession? (simple trajectoire
professionnelle ou vocation ?)
2) Quel type de formation avez-vous suivi ? (traditionnelle, spécialisation…)
3) Quelle a été votre perception, votre avis, votre critique vis-à-vis de cette formation ? (enseignement neutre, volontairement stéréotypé, involontairement stéréotypé, vecteur de clichés…)
4) Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
5) Aimeriez-vous avoir des collègues masculins et pensez-vous que cela puisse être bénéfique?
6) Quelle explication feriez-vous à l’observation du faible taux d’hommes dans les lieux d’accueil pour les jeunes enfants ? Seriez-vous pour une parité dans le personnel ?
7) Présentation personnelle de la personne interrogée : Age, sexe, nb d’enfants, situation maritale, ordre dans la propre fratrie
PERSONNEL ET RELATION AVEC L’ENFANT1) Racontez une journée type à la crèche.
2) Quelles sont les activités proposées aux enfants ? Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?
3) De quels types de jeux disposez-vous?
4) Sont-ils accessibles à tous les enfants de la même façon ?
5) Quel type de lecture faites-vous aux enfants?
6) Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?
7) Y a-t-il des questions ou remarques particulières de la part des enfants par rapport aux activités que vous leur proposé ici ?
8) C’est carnaval. Quels sont les déguisements proposés/confectionnés aux enfants ?
9) Un petit garçon pleure. Quel est votre premier réflexe ? (idem pour les filles)
10) Si un enfant vient vers vous, quel jouet allez-vous lui proposer ? Selon quel critère ?
11) Citez les qualificatifs les plus attribués selon vous aux petits garçons. (idem pour les petites filles)
12) Quels enfants s'imposent le plus?
13) Préférez-vous travailler avec des petits garçons ou des petites filles? Pourquoi?
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PERSONNEL ET PARENTS1) Quelles sont les premières questions des parents lorsqu’ils viennent chercher leur enfant (voir
si cas différent selon fils ou fille) ?
2) Ont-ils des attentes particulières selon le sexe de l’enfant ?
QUESTIONS AUX PARENTS1) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement ?
2) Sont-ils satisfaits de l'établissement et de l'influence qu'il a en tant que relai dans l'éducation de leurs enfants?
3) Quelle vision des rapports hommes/femmes souhaitez-vous transmettre à vos enfants par le biais de leur éducation dans cet établissement ?
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Annexe 5 : Grille d’entretien pour la crèche Bourdarias
LE PERSONNEL : FORMATION, CONVICTION1) Comment est née votre vocation ? Pourquoi avoir choisi cette profession? (simple trajectoire
professionnelle ou vocation ?)
2) Quel type de formation avez-vous suivi ? (traditionnelle, spécialisation…)
3) Quelle a été votre perception, votre avis, votre critique vis-à-vis de cette formation ? (enseignement neutre, volontairement stéréotypé, involontairement stéréotypé, vecteur de clichés…)
4) Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
5) Aimeriez-vous avoir des collègues masculins et pensez-vous que cela puisse être bénéfique?
6) Quelle explication feriez-vous à l’observation du faible taux d’hommes dans les lieux d’accueil pour les jeunes enfants ? Seriez-vous pour une parité dans le personnel ?
7) Présentation personnelle de la personne interrogée : Age, sexe, nb d’enfants, situation maritale, ordre dans la propre fratrie
PERSONNEL ET RELATION AVEC L’ENFANT1) Racontez une journée type à la crèche.
2) Quelles sont les activités proposées aux enfants ? Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?
3) De quels types de jeux disposez-vous?
4) Sont-ils accessibles à tous les enfants de la même façon ?
5) Quel type de lecture faites-vous aux enfants?
6) Y a-t-il un moment où garçons et filles sont séparés pendant un moment ou une activité ?
7) Y a-t-il des questions ou remarques particulières de la part des enfants par rapport aux activités que vous leur proposé ici ?
8) C’est carnaval. Quels sont les déguisements proposés/confectionnés aux enfants ?
9) Un petit garçon pleure. Quel est votre premier réflexe ? (idem pour les filles)
10) Si un enfant vient vers vous, quel jouet allez-vous lui proposer ? Selon quel critère ?
11) Citez les qualificatifs les plus attribués selon vous aux petits garçons. (idem pour les petites filles)
12) Quels enfants s'imposent le plus?
13) Préférez-vous travailler avec des petits garçons ou des petites filles? Pourquoi?
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PERSONNEL ET PARENTS1) Quelles sont les premières questions des parents lorsqu’ils viennent chercher leur enfant (voir
si cas différent selon fils ou fille) ?
2) Ont-ils des attentes particulières selon le sexe de l’enfant ?
QUESTIONS AUX PARENTS1) Quelles sont vos attentes vis à vis de cet établissement ?
2) Sont-ils satisfaits de l'établissement et de l'influence qu'il a en tant que relai dans l'éducation de leurs enfants?
3) Quelle vision des rapports hommes/femmes souhaitez-vous transmettre à vos enfants par le biais de leur éducation dans cet établissement ?
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Annexe 6 : Grille d’adjectifs utilisée à la crèche Bourdarias
Quelles qualités sont attribuées aux filles et aux garçons ?
Qualités Filles GarçonsElégant(e)Brusque
Aventurier(e)Sentimental(e)
Courageux(euse)Indépendant(e)Entreprenant(e)Déterminé(e)
SensibleBricoleur(euse)
Beau(belle)Rapporteur(euse)
ColériqueTêtu(e)
EnergiquePleurnichard(cheuse)
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L'original de la grille que nous avons reproduite.
Nous tenons à remercier l’ensemble des personnes ayant accepté de contribuer à cette enquête :
- Le personnel de la crèche de Dauphine : Anne, Bérénice, Stéphanie, Margaux,La directrice, Mme Cécile Urbini-Morin
- Le personnel de la crèche Bourdarias : Béatrice, Claire, Marlène,Le directeur adjoint, M. David Helbecque,La directrice, Mme Haude Constantin
- Les parents pressés déposant leurs enfants et arrivés en retard au travail parce que nous étions trop curieux,Les moins pressés,
- Madame Tania Angeloff, Maître de Conférences en sociologie, qui a encadré notre enquête, et qui, à travers l’enseignement de la sociologie du genre a su nous apprendre à « déconstruire les stéréotypes »,
Mais aussi :
- Les journalistes, dont les articles nous ont menés à Bourdarias, avant de pouvoir les critiquer en retour pour leur vision parfois trop manichéenne,
- La Suède, pays égalitaire et dont on a encore beaucoup à apprendre,
- Le Conseil Général de la Seine Saint-Denis pour cette belle initiative qui n’attend qu’à être développée…
Et bien sûr, un grand merci à tous les enfants de la crèche de Dauphine et de Bourdarias, sans qui cette expérience n’aurait pu voir le jour.
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