-
Universit de Montral
Significations et perceptions en architecture dans luvre de Christian Norberg-Schulz
Par
Nazlie Michel Asso
cole dArchitecture
Facult de lAmnagement
Thse prsente La Facult des tudes suprieures En vue de lobtention du grade de Philosophi Doctor (Ph.D.)
en amnagement
Septembre, 2010
Nazlie Michel Asso, 2010
-
Universit de Montral Facult des tudes suprieures
Cette thse intitule :
Significations et perceptions en architecture dans luvre de Christian Norberg-Schulz
Prsente par :
Nazlie Michel Asso
A t value par un jury compos des personnes suivantes :
M. Georges Adamczyk Prsident du jury _____________________________________
M. Jacques Lachapelle Directeur de recherche _____________________________________ M. Pierre Boudon Membre du jury _____________________________________
M. Richardo Castro Examinateur externe _____________________________________
Mme. Tiiu Poldma _____________________________________
Reprsentante du doyen Thse accepte le : 6 fvrier 2009.
-
i
Rsum
Larchitecture au sens strict, qui renvoie la construction, nest pas indpendante des
dterminations mentales, des images et des valeurs esthtiques, comme rfrences,
amenes par divers champs dintrt au problme du sens. Elle est, de par ce fait, un objet
dinterprtation. Ce quon appelle communment signification architecturale , est un
univers vaste dans lequel sont constelles des constructions hypothtiques. En ce qui
nous concerne, il sagit non seulement de mouler la signification architecturale selon un
cadre et des matires spcifiques de rfrence, mais aussi, de voir de prs la relation de
cette question avec lattitude de perception de lhomme. Dans ltude de la signification
architecturale, on ne peut donc se dtacher du problme de la perception. Au fond, notre
travail montrera leur interaction, les moyens de sa mise en uvre et ce qui est en jeu
selon les pratiques thoriques qui la commandent.
En posant la question de lorigine de lacte de perception, qui nest ni un simple acte de
voir, ni un acte contemplatif, mais une forme dinteraction active avec la forme
architecturale ou la forme dart en gnral, on trouve dans les crits de lhistorien
Christian Norberg-Schulz deux types de travaux, et donc deux types de rponses dont
nous pouvons demble souligner le caractre antinomique lune par rapport lautre.
Cest quil traite, dans le premier livre quil a crit, Intentions in architecture (1962),
connu dans sa version franaise sous le titre Systme logique de larchitecture (1974, ci-
aprs SLA), de lexpression architecturale et des modes de vie en socit comme un
continuum, dfendant ainsi une approche culturelle de la question en jeu : la signification
architecturale et ses temporalits. SLA dsigne et reprsente un systme thorique
influenc, bien des gards, par les travaux de lpistmologie de Jean Piaget et par les
contributions de la smiotique au dveloppement de ltude de la signification
architecturale.
Le second type de rponse sur lorigine de lacte de perception que formule Norberg-
Schulz, bas sur sur les rflexions du philosophe Martin Heidegger, se rapporte un
-
ii
terrain dtude qui se situe la drive de la revendication du fondement social et culturel
du langage architectural. Il lie, plus prcisment, ltude de la signification ltude de
ltre. Reconnaissant ainsi la primaut, voire la prminence, dune recherche
ontologique, qui consiste soutenir les questionnements sur ltre en tant qutre, il
devrait amener avec rgularit, partir de son livre Existence, Space and Architecture
(1971), des questions sur le fondement universel et historique de lexpression
architecturale. Aux deux mouvements thoriques caractristiques de ses crits
correspond le mouvement que prend la construction de notre thse que nous sparons en
deux parties.
La premire partie sera ainsi consacre ltude de SLA avec lobjectif de dceler les
ambiguts qui entourent le cadre de son laboration et montrer les types de legs que
son auteur laisse la thorie architecturale. Notre tude va montrer laspect controvers
de ce livre, li aux influences quexerce la pragmatique sur ltude de la signification. Il
sagit dans cette premire partie de prsenter les modles thoriques dont il dbat et de
les mettre en relation avec les diffrentes chelles qui y sont proposes pour ltude du
langage architectural, notamment avec lchelle sociale. Celle-ci implique ltude de la
fonctionnalit de larchitecture et des moyens de recherche sur la typologie de la forme
architecturale et sur sa schmatisation. Notre approche critique de cet ouvrage prend le
point de vue de la recherche historique chez Manfredo Tafuri.
La seconde partie de notre thse porte, elle, sur les fondements de lintrt chez Norberg-
Schulz partager avec Heidegger la question de ltre qui contribuent fonder une forme
dinvestigation existentielle sur la signification architecturale et du problme de la
perception . Lclairage de ces fondements exige, toutefois, de montrer lenracinement de
la question de ltre dans lessence de la pratique hermneutique chez Heidegger, mais
aussi chez H. G. Gadamer, dont se rclame aussi directement Norberg-Schulz, et de
dvoiler, par consquent, la primaut tablie de limage comme champ permettant
dinstaurer la question de ltre au sein de la recherche architecturale. Sa recherche
consquente sur des valeurs esthtiques transculturelles a ainsi permis de rduire les
chelles dtude de la signification lunique chelle dtude de ltre. Cest en
-
iii
empruntant cette direction que Norberg-Schulz constitue, au fond, suivant Heidegger, une
approche qui a pour tche daborder l habiter et le btir titre de solutions au
problme existentiel de ltre.
Notre tude rvle, cependant, une interaction entre la question de ltre et la critique de
la technique moderne par laquelle larchitecture est directement concerne, centre sur
son attrait le plus marquant : la reproductibilit des formes. Entre les crits de Norberg-
Schulz et les analyses spcifiques de Heidegger sur le problme de lart, il existe un
contexte de rupture avec le langage de la thorie quil sagit pour nous de dgager et de
ramener aux exigences du travail hermneutique, une approche que nous avons nous-
mme adopte. Notre mthode est donc essentiellement qualitative. Elle sinspire
notamment des mthodes dinterprtation, de l aussi notre recours un corpus constitu
des travaux de Gilles Deleuze et de Jacques Derrida ainsi qu dautres travaux associs
ce type danalyse.
Notre recherche demeure cependant attentive des questions dordre pistmologique
concernant la relation entre la discipline architecturale et les sciences qui se prtent
ltude du langage architectural. Notre thse propose non seulement une comprhension
approfondie des rflexions de Norberg-Schulz, mais aussi une dmonstration de
lincompatibilit de la phnomnologie de Heidegger et des sciences du langage,
notamment la smiotique.
Mots cls : signification, perception, thorie, systme, signes, phnomnologie,
hermneutique, posie, image, tre, btir et habiter.
-
iv
Summary
Architecture, being strictly a means of construction, is not independent of mental
decisions, images, and esthetic values coming from various fields of references. It is in
fact, as a result of all that, subject to various interpretations. We commonly call the
universe where reside these hypothetical constructions: Architectural significance.
Talking about architectural significance does not only belong to a specific framework of
reference materials but also to its relationship with the attitude of man vis--vis
perception. Studying architectural significance could not therefore ignore the question
of perception and our research will demonstrate their interaction, and the theoretical
and practical means, which allow their realization.
In asking the question about the origin of perception, which is not a simple act, nor a
contemplative one, but rather a moment of an active interaction with the architectural
form or the form of art in general, we find in the writings of the historian, Christian
Norberg-Schluz two types if works; hence two types of responses that we underline the
antinomian character towards each others. It is that Norberg-Schluz leads a reflection in
the first book he wrote; Intentions in Architecture (1962), known in French as Systme
logique de larchitecture (1974), here after referred to as SLA, that treats significance as
if a continuum exists between architectural expression and modes de vie in society,
benefiting as a result a cultural approach to the question. His SLA consists of a
theoretical system, which seems to be influenced at many fronts, by works of the
epistemology of Jean Piaget and the contributions of semiotics to the development of the
studies on architectural significance.
The second type of response that formulates Norberg-Schulz regarding the origin of the
act of perception in which he aligns himself with the reflections of the Philosopher
Martin Heidegger, takes us to a new ground of study which lays the ground for the social
and cultural foundations of architectural language and which relates the study of
significance to the study of the human being.
-
v
The step is then ceded to an ontological research; Norberg Schulz would lead with
consistence starting with his book Existence, Space, and Architecture (1971) the question
about the historical and universal foundations of architectural expression. The
construction of this thesis, which we separate into two parts, corresponds to two
theoretical movements characterizing the writings of Norberg-Schulz.
The first part of this thesis will therefore; be devoted to studying the SLA of Norberg
Schulz. Our objective consists of unveiling the ambiguities surrounding the framework
of his work and the heritage he left to the architectural theory. Our study will
demonstrate the controversial aspect of his SLA related to influences that practice the
pragmatic on the study of significance. In this first part, it is suggested that we present
the theoretical models contained in the SLA and to put them in association with the
different dimensions, which are being proposed for the study of architectural language,
and especially the social dimension, as a result of formalizing the language of art,
initiated by the semiotics and psychology on the meaning of significance. This involves
studying the functionality of architecture and the research instruments of the typology of
the architectural form and its schematization. Our critical approach of the SLA is based on
evaluation that adopts the standpoint of the historical research of Manfredo Tafuri.
The second part of our thesis focuses on the foundations of Norberg-Schulz interest in
sharing with Heidegger the question of the human being, which contributes to the
foundations of an existentialist investigation on significance and architectural
perception. Throwing light on these foundations requires demonstrating the roots of the
question on the human being in the essence of the hermeneutic practice of Heidegger, and
also that of H. G. Gadamer, and it requires revealing the importance of image as a
foundation for the question of the human being. Research on trans-cultural esthetic
values allows reducing the study of significance to the only dimension that is of the
human being. Its by taking this direction that Norberg-Schulz along with Heidegger puts
the foundations of his approach; the dwell and the build as means or mediums of
manifestations of the question of the human being.
-
vi
Our study reveals in the meantime, the interaction between the question of the human
being and the critique of the technique in its present form being based on
reproducibility. Between the writings of Norberg-Schulz and the specific analysis of
Heidegger of the problem of art, there is a context of interruption with the language of the
theory that matters for us to clarify and bring closer to the requirements of the
hermeneutic, an approach which we also have adopted. Our method is essentially
qualitative. It is inspired by the methods of interpretation and works of Gilles Deleuze
and Jacques Derrida and also other works annexed to these types of analysis.
In the meantime, our research remains attentive to questions of epistemological order
concerning the relation between architectural discipline and sciences that study the
architectural language. Our thesis suggests not only a deep understanding of Norberg-
Schulzs reflections but also a demonstration of the incompatibility of the
phenomenology of Heidegger vis--vis the sciences of language, notably semiotics.
Key words: Significance, perception, theory, system, signs, phenomenology,
hermeneutic, poetry, image, being, build, and dwell.
-
vii
Table des matires
Rsum franais...i Rsum anglais..iv Table des matires....vii Liste des figures..x Liste des abrviations ...xi Ddicace...xii Remerciement..xiii Introduction.. ...................................................................................................................... 1 Partie I : Langages, modles et formes de reprsentation dans Systme logique de larchitecture........................................................................................................................ 11 Chapitre I : Introduction aux principaux enjeux thoriques de Systme logique de larchitecture........................................................................................................................ 12
I. Aperu sur le contexte de la naissance du Systme logique de larchitecture ......... 13 II. Objectifs de SLA...................................................................................................... 14
i. Le problme de la thorie .................................................................................... 14 II. Considrations thorico-systmiques pour ltude du langage architectural ........... 17
ii.i. Le fondement social du langage architectural ..................................................... 17 ii.ii. Larchitecture comme moyen de communication ................................................ 18 ii.iii. Fonctionnalit et communication ......................................................................... 20
III. Approfondissement de lide dune thorie comme un mta-systme .................... 21 i. Recherche historique la lumire dune thorie comme un mta-systme ............. 22
IV. Langage et schmatisation ....................................................................................... 27 CHAPITRE II : Communication, signes et fonctionnalit ..30
I. Introduction .............................................................................................................. 31 II. La thorie architecturale comme systme vide ........................................................ 32
i. Rapport entre thorie et pratique .......................................................................... 35 ii. La question de la praxis : la croise dune lecture du signe smiotique .......... 36 iii. La relation dichotomique entre un signe et une image ........................................ 40 III. Le code gomtrique comme signe et comme un mtalangage ........................... 42
IV. La fonctionnalit et ses chelles de communication ................................................ 46 i. Lchelle sociale de la fonctionnalit .................................................................. 46 ii. Lchelle urbaine de la fonctionnalit : le problme de la communication visuelle ......................................................................................................................... 49 iii. Lalternative de la critique typologique ............................................................... 55
Chapitre III: Schmatisation ................................................................................................ 64 et formes cognitives ............................................................................................................. 64
I. Introduction .............................................................................................................. 65 II. La schmatisation et ses fonctions ........................................................................... 66
i. Qu'est-ce quun schma ? .................................................................................... 66 ii. Le fondement culturel de la schmatisation ........................................................ 69 iii. La perception en fonction de lacquis pragmatique ................................................ 72 iii.ii La perception comme une simple vision : Quelques constatations ..................... 79 iv. Les formes de glissement du problme de la perception celui de la conception81
III. Conclusion ............................................................................................................... 87
-
viii
PARTIE II : tre et btir ...................................................................................................... 88 Introduction ...................................................................................................................... 89
CHAPITRE I : Enjeux aux mthodes de comprhension de limage architecturale ......... 106 I. Introduction ............................................................................................................ 107 II. Les fils conducteurs de la comprhension du langage architectural partir de limage ........................................................................................................................... 112
i. La nature comme une source pour limage architecturale ................................. 112 ii. Limage comme champ ouvrant la polmique culture-nature ........................... 114
III. Les formes de dngation du corpus thorico-systmique pour ltude de lexpression architecturale ............................................................................................. 117
i. La rponse lnonc de la fonction communicationnelle de larchitecture ..... 117 ii. Aperu critique sur la rciprocit entre les chemins de la thorie et de la technique moderne ..................................................................................................... 128 iii. Lanalyse figurative du langage et la question technique .................................. 134
IV. Le signe archtypal comme rponse lnonc du signe smiotique .................. 156 V. La principale donne initiatrice lide de ltre du btiment : Lambigut .. 164 i. Lambigut comme signe hermneutique ......................................................... 166 ii. Lambigut du collage : raisonnement sur la complexit de limage architecturale .............................................................................................................. 169
V. Conclusion ............................................................................................................. 180 CHAPITRE II. : Du problme phnomnologique du temps jusqu lide dune architecture comme forme de vie. ...................................................................................... 182
I. Introduction ............................................................................................................ 183 II. Les vises de la participation lalternative de Heidegger : tre et temps ........... 185
i. Orientations de la recherche historique dans le cadre de la problmatique du temps .......................................................................................................................... 186 ii. Ltre comme mouvement ................................................................................ 193 iii. Rapport du mouvement limage, ltre et au pluralisme architectural ......... 194
III. Le contexte phnomnologique de la valorisation du mouvement ........................ 197 i. Le problme de lerrance ou le concept de lhomo viator ................................. 197 ii. Formes de spatialit existentielle ....................................................................... 199
IV. Lecture phnomnologique de louverture de la faade ........................................ 204 i. Le mouvement par inflexion .............................................................................. 204
V. Larchitecture comme forme de vie : lments desthtique organique ................ 214 VI. lments de lecture de larchitecture vernaculaire ................................................ 221
i. Le souci du dtail ............................................................................................... 221 ii. Lexpression de la lumire : le clair et lobscur ................................................. 222 iii. Le symbolisme de la relation clair-obscur ......................................................... 224 iv. Rapport de la relation clair-obscur la perception ............................................ 226 vi. Le langage de lentrelacs : forme daccs larchitecture vernaculaire ............ 230 vii. cho de lexpression de lumire : Lecture du plan ouvert ................................. 233
Conclusion gnrale ........................................................................................................... 240 I. Synthse des rsultats de la recherche ................................................................... 241
i. La situation de SLA ................................................................................................ 241 ii. La situation des ouvrages postrieurs SLA ......................................................... 243
II. Suggestions pour des recherches futures ................................................................... 244
-
ix
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................. 247
-
x
Liste des figures
Page
Figure 1 : Lois de la Gestalt69
Figure 2 : Pietil, Bibliothque centrale de Tampere121
Figure 3 : Pietil, Bibliothque centrale de Tampere (croquis)..122
Figure 4 : Gyrgy Kepes, Visuel Fundamentals ..126
Figure 5 : Architecture figurative, Mario Botta, maison Viganello, icino..142
Figure 6 : A gauche, Krier, lments typologiques; droite, Graves : lments
figuratifs..............................................................................................................................145
Figure 7 : Jencks : Interprtation smiotique de Ronchamp de Le Corbusier....146
Figure 8 : Bhenrens, La maison de larchitecte...150
Figure 9 : Structures de lespace existentiel....201
Figure 10 : Borromini, S. Maria dei Sette Dolori...205
Figure 11 : Borromini, SantAndrea delle Fratte, dtail de la tour lanterne...205
Figure 12 : Portoghesi : Maison Pananice, Rome...207
Figure 13 : Portoghesi, Casa Baldi, mur inflchi....208
Figure 14 : Portoghesi, Espace avec systme de places..209
Figure 15 : Portoghesi, plan ouvert systme de places .....209
Figure 16 : croquis, plan ouvert, systme de places210
Figure 17 : Rain , de P. Klee..211
Figure 18 : Guariri, Lglise Oropa Pigrimage.......214
Figure 19 : Guarini, Cathdrale, Turin........215
Figure 20 : Guarini, Coupe de Sainte-Marie-de-la-Divine-Providence.216
Figure 21 : Kahn, Kimbelle Art Museum...............235
-
xi
Liste des abrviations
ABC Architecture baroque et classique.
A :MP Architecture : Meaning and Place
A:PLP Architecture : Presence, Language Place.
AL LArt du lieu, Architecture et paysage, permanence et mutations.
BA Baroque Architecture
ESA Existence, Space and Architecture
HAF Habiter, vers une architecture figurative.
IA Intentions in Architecture
GL Genius Loci, Paysage, Ambiance, Architecture.
MNA Modern Norwegian Architecture.
PMA Principles of Modern Architecture.
SA Scandinavie, Architecture 1965-1990.
SLA Systme logique de larchitecture
SAO La signification dans larchitecture occidentale.
-
xii
Mikhael et ses quatre cadettes
-
xiii
Remerciements
Je tiens remercier mon directeur de recherche, Jacques Lachapelle qui a enrichi cette
thse par ses remarques et conseils. Je remercie galement M. Geroges Adamczyk,
prsident du jury, et les membres du jury, M. Richardo Castro et M. Pierre Boudon, pour
leurs recommandations et conseils. Je tiens remercier M. Pierre Boudon pour le
prcieux temps qui ma accord, en dehors du cadre de lexamen de cette thse, pour
discuter de la pense de Heidegger. Je souhaite aussi exprimer particulirment ma
reconnaissance Mme. Tiiu Poldma, reprsentante du doyen, vice-doyenne aux tudes
suprieures et la recherche, pour ses multiples supports, galement, M. Paul Lewis et
M. Jacques Blair, vice-doyen la Facult des tudes suprieures pour leur soutien.
Un grand merci aussi Madeleine Sofia et mes chres surs Joumana et Michle.
-
Introduction
-
2
Une rflexion pralable sur le choix de ce sujet de thse est ne chez nous dune
interrogation sur le sens du sacr et sur les causes de labsence de sa diaphanit dans la
ville nord-amricaine.
Le phnomne de lhomognit de lespace architectural moderne, qui marque sa
prgnance plus en Amrique du Nord quailleurs, tait pour nous un facteur de
formulation de nos premires approches sur la question de la signification architecturale.
Mais cet adjectif, homogne, revient souvent pour qualifier lespace moderne sans
quil soit ncessairement impuls par un dsir de rsoudre un problme (Maldonado,
1972 et 1983).
La question de la signification de larchitecture occupe, videmment, une position
centrale dans les dbats sur la post-modernit, une priode dans laquelle la critique induit
une volont de rflexion sur la situation thorique de larchitecture. lintrieur de la
discipline architecturale, une large diffusion de constats et de considrations sur la crise
de la signification caractrise les annes 70 et 80 (M. Tafuri, 1968; Th. Maldonado,
1972 et 1983; P. Portoghesi, (1981), elle concide avec une interrogation pose sur la
crise gnrale du langage (Lyotard, 1979).
Les connaissances labores chez Norberg-Schulz sur la question de la signification
architecturale nous semblaient porteuses de promesses. Elles ne sastreignent pas un
souci de rcupration de faits, mais se basent plutt sur une rflexion se revendiquant des
sources les plus varies, philosophiques, mythiques et psychologiques, parmi dautres,
pour authentifier la lgitimit de la question et rendre disponible un programme daction
qui na pas cess de stoffer et de se laisser porter par lobjectif dlaborer une
durabilit, aux sens strict et figur.
ce titre, les interrogations de Norberg-Schulz sur la crise de lespace architectural
moderne fournissent une vision historique sur la notion de durabilit, affecte par la
reprsentation phnomnologique de Martin Heidegger sur la signification de luvre
dart comme phnomne trait la lumire des problmes dexistence.
-
3
Une revue de littrature concise montre, dans la plupart des cas, un grand intrt son
concept de genius Loci (lesprit du lieu). Hilde Heynen (2003)1 sintresse ce concept,
et y voit une forme daction qui contient toutes les potentialits ncessaires pour rendre
actuelles des valeurs symboliques, temporelles et cosmiques, et pour reconstituer le
problme de la relation de lhomme avec lenvironnement naturel. Lauteur prend en
considration les phnomnes de changement, rythmique de la lumire, et cyclique du
couvert vgtal, prsents dans le concept de genius loci (Norberg-Schulz, 1980), et ce
partir de leur capacit de faire contre-poids la stabilit physique de la forme btie.
Lauteur sintresse ainsi non seulement la valorisation du paysage naturel, comprise
dans le genius loci, mais aussi la possibilit de traduire ces phnomnes en lments
architecturaux dynamiques. Considrant que la mthodologie propose par Norberg-
Schulz consiste dterminer trois critres pouvant tre appliqus la critique de lespace
bti : image, espace et caractre, lauteur prconise le dveloppement, partir de ces
critres, dun regard nouveau sur le problme de lenvironnement. De Felipe Hernandez
et al (2005)2 font une lecture diffrente du genius loci. Pour eux, ces regards multiples
que Norberg-Schulz (1979) jette sur des villes aux caractres culturel et temporel si
disparates, comme Rome, Prague, Khartoum, etc., connotent une vise prcise : le
caractre a-temporal de ces villes est le rsultat dun brassage culturel qui sest produit au
cours de diffrentes poques. partir de ce postulat, ils vont dvelopper une lecture des
Carabes et expliquer les mutations dans les caractristiques de leur environnement
considrant leurs liens culturels avec les Antilles.
De Arie Graafland et al (2006)3 voient dans le genius loci un rapprochement entre
lurbanisme et larchitecture du paysage. Selon eux, dans une perspective cologiste,
larchitecture du paysage peut se constituer, comme une stratgie urbaine. Linteraction
entre ces deux champs permet, selon les auteurs, de travailler sur la stabilit des
1 Heynen, Hilde, Architecture and Modernity: A Critique, Journal of Urban Design, no. 8, fv, 2003, pp. 67-81. 2 Hernandez, De Felipe, Transculturation Cities, Spaces and Architectures in Latin America, 2005. 3 Graafland, De Arie, Leslie Jaye Kavanough, George Baird, Crossoverarchitecture, Urbanism, Technology, 2006.
-
4
structures urbaines existantes. Pour De Warwick Fox (2000),4 le Genius loci est le
caractre spcifique ou typique de chaque tablissement humain. Lauteur fait un
rapprochement entre deux concepts chez Norberg-Schulz (1984, 1993) : le Genius loci et
lanthropomorphisme pour pouvoir dfendre lidentit particulire des lieux :
The problem of anthropomorphising is that it short-circuits the moral argument that it may be possible to respect places. It tends in the direction of saying that places are like people, and since people have moral standing, places should also have moral standing. 5
Nous constatons travers notre revue de littrature labsence dune recherche spcifie
par lintrt pour la signification de la forme ou de lespace architectural comme tel, do
limmdiatet de la nature de notre contribution dans la formation dune synthse des
connaissances centres sur la comprhension du langage du btiment que Norberg-Schulz
labore. Nous pensons bien qu partir de notre focalisation sur cette forme de
comprhension, il serait possible de revisiter toutes les voies que Norberg-Schulz pave
pour poser neuf la question de la relation de lhomme avec lenvironnement, et de
reformuler les proccupations environnementales.
De la question gnrale que nous formulons ainsi : Comment la thorie de Norberg-
Schulz aborde la question de la signification architecturale ? , nous faisons dcouler un
questionnement sur la place du problme de la perception comme paramtre qui aide
dterminer la signification et le rle et la vocation de luvre architecturale. Sachant que
les crits de Norberg-Schulz stalent sur une priode de trente ans, nous posons une
deuxime question qui se formule ainsi : est-ce quil y a une volution dans la manire
avec laquelle lhistorien btit sa rflexion sur la signification ? Si oui, quelle est la nature
des changements ?
Lintrt port par Norberg-Schulz la signification architecturale mane dune volont
dintroduire une nouvelle thorie, pouvant rendre ncessaire, voire urgente, l'interaction
interdisciplinaire. Cependant, Norberg-Schulz se pose comme un historien de
larchitecture; les problmatiques quil induit pour la recherche historique constituent
4 Fox, De Warwick, Ethics and the built Environment, 2000. 5 Idem.
-
5
donc un enjeu trs important. Cet aspect nous invite considrer la question suivante :
Comment sarticule chez lui le rapport entre la dmarche du thoricien et celle de
lhistorien ? Et est-ce que ses dmarches sont constantes dans leurs enjeux tant par
rapport la thorie qu ltude de lhistoire ?
La thorie architecturale, quant elle, nest pas une unit constitutive des deux
problmes selon lesquels la recherche est scinde, le problme de la perception et celui de
la conception. Par perception, cest lexprience du spectateur dans son contact avec une
forme architecturale qui est prise en compte, examine et tudie pour permettre de
dterminer les balises de la signification. Quant la recherche sur le problme de la
conception, elle consiste en une analyse multidimensionnelle, qui tient compte, des
aspects pratiques et fonctionnels, des pertinences techniques et conomiques et
symboliques.
Si, lpistmologie interne la discipline sintresse en premier lieu aux dfinitions de
larchitecture6, il existe un consensus autour de la disparit entre ces deux problmes
fondamentaux.7 lintrieur dune critique du problme de la perception sintercalent les
recherches philosophiques, celles qui appartiennent la thorie de lart ou la
psychologie empirique, alors que dans le problme de la conception, o il est question
dlaborer le Projet, ce qui incite la critique est un ensemble dlments, sociaux,
fonctionnels, pratiques et techniques. Ainsi, Dominique Raynaud, matre de confrence et
architecte de formation, fait remarquer en discutant de lapproche du thoricien du Projet
Philippe Boudon : Ayant plus cherch un appui dans la phnomnologie de la
perception de Merleau-Ponty, Boudon doit finalement renoncer cette filiation, dans la
mesure o son questionnement na pas pour objet la perception de ldifice mais sa
conception .8
6 Raynaud, Dominique Architectures compares, Essai sur la dynamique des formes, ditions Parenthse, 1998, p.15. Raynaud est matre de confrences lUniversit Pierre-Mends-France (Grenoble), et chercher associ au LAREA (Laboratoire dArchitecturologie et de recherches pistmologiques sur larchitecture, CNRS, Paris). 7 Idem, p. 8; voir aussi ce sujet, Boudon, Philippe, Conception et projet , dans Larchitecture et le philosophe, sous la direction dAntonia Soulez, ditions Maraca, Bruxelles, 1993, p. 47. 8 Idem, p. 7-8 ; renvoie Boudon, Ph, Architecture et architecturologie, iv, Paris, rapport de recherche DGRST-CEMPA, 1985, multig.
-
6
Notre lecture des crits de Norberg-Schulz a induit la ncessit de mettre en vidence la
scission de son uvre. Il y a un mouvement dvolution qui a probablement rapport avec
la critique acerbe de lhistorien de larchitecture Manfredo Tafuri, dont les points de vue
orientent largement notre analyse. Considrant la disparit entre les deux objets de
recherche que nous venons de souligner, la perception et la conception, il est selon nous
ncessaire dinsister sur le statut pistmologique distinct du premier ouvrage crit par
Norberg-Schulz, Intention in Architecture (1963)9, dont ldition de langue franaise est
intitule Systme logique de larchitecture (1971) (ci-aprs SLA), et de l avancer une
hypothse sur sa manire de travailler la dichotomie perception-conception que son
approche dinspiration systmique illustrera les moyens et les rsultats. Norberg-Schulz
continue de travailler cette dichotomie, aprs SLA, mais pour se situer loppos des
sciences de la conception. Cette inflexion dans sa dmarche et ses objectifs, qui implique
un changement paradigmatique, est conditionne de fond en comble par une nouvelle
question quil pose, suivant Heidegger, sur la situation de ltre-au-monde pour
dterminer partir de l comment aborder la signification architecturale.
Lobjet de notre recherche est donc bien prcis. Il porte sur la question de la signification
architecturale. Cependant, cette question nest jamais indpendante des interactions
interdisciplinaires que cre Norberg-Schulz dans SLA et la priode suivante. Il ne sagit
donc pas dune tude historiographique de son uvre, bien que nous soyons dans
lobligation de consacrer la premire partie de notre travail ltude de SLA.
Une tude historiographique de son uvre impliquerait la ncessit de relever les
variantes dune dition lautre, selon les pays et la langue de traduction. Mais ce nest
pas le propos de notre recherche. Comme nous venons de le souligner ci-haut, notre
recherche est prcisment dtermine par une tude historiographique du concept de
signification chez lui, cest ce qui nous a amen rpartir son uvre sur deux priodes,
celle de SLA, et celle des ouvrages qui lui succdent.
9 Norberg-Schulz, Ch., Intention in Architecture, dition, Grndahl & Sn, Oslo, 1963.
-
7
Nous avons aussi choisi de travailler avec les ditions de langue franaise pour plus de
commodit.
Notre travail comporte cinq chapitres. Une premire partie sera consacre SLA et nous
y ferons ressortir les principales influences thoriques exerces sur llaboration du
concept de langage.
Nous mettrons ainsi laccent dans le premier chapitre sur les principaux enjeux thoriques
de SLA et nous ferons ressortir les thmatiques qui animent ltude de la signification
architecturale. Nous rvlerons en premier temps ce que Norberg-Schulz entend par
thorie et comment il justifie le besoin dune recherche interdisciplinaire sur la question
de la signification du langage architectural. Nous mettrons laccent sur les principaux
volets de sa thorie, telle quelle sest dveloppe dans SLA : i ) Larchitecture comme
moyen de communication ; 2) La fonctionnalit de larchitecture ;3) Lide dune thorie
comme un mta-systme; 4) Langage et schmatisation.
Dans le deuxime chapitre de cette partie, nous approfondirons les interactions entre le
type des thories proposes par Norberg-Schulz et la question qui concerne
lpistmologie interne de la discipline, savoir celle des rapports entre thorie et
pratique architecturale. Ensuite, nous montrerons comment Norberg-Schulz perce une
voie de recherche sur la signification architecturale partir de son adoption du concept de
signe smiotique pour thoriser son ide selon laquelle larchitecture a une fonction
communicative, et de l, un rle pour assurer la cohsion sociale. Nous tiendrons compte
dans ce chapitre, comme dailleurs dans le prcdent, de la critique de Tafuri qui aspire
affronter la thorisation du langage architectural, et notamment la thorie linguistique,
avec son concept de signe. Un aspect important sur lequel nous travaillerons concerne la
manire dont Norberg-Schulz fait le lien entre sa dmarche comme thoricien et celle
comme historien de larchitecture. Ensuite, nous mettrons laccent sur la relation
dichotomique entre le signe smiotique et limage architecturale.
Dans la section consacre ltude de la fonctionnalit de larchitecture, nous dclerons
les rapports entre les deux noncs : communication et fonctionnalit, pour en dgager
-
8
lintrt de Norberg-Schulz pour la question de lorganisation visuelle de
lenvironnement que larchitecture est capable dassurer. En dernier, nous montrerons les
consquences de son optimisation du modle danalyse smiotique lorsquil le prend
comme base pour tablir une mthode de recherche typologique.
Dans le troisime chapitre de cette partie, consacr lexamen des mthodes employes
pour mettre la schmatisation de larchitecture en rapport avec le problme de la
perception, comme une exprience qui explique la nature du contact avec une forme
architecturale. Il y a l la question des fondements de la perception qui entre en jeu.
Parmi ces fondements, il y a lexprience dans un environnement social, dont soccupe la
pragmatique qui est elle-mme mi-chemin entre la smiotique et les thories
behavioristes, avec notamment sa manipulation de la condition cognitive. Nous
adopterons une approche critique qui prend part de la thorie de Rudolf Arnheim, qui
propose des matriaux danalyse de la perception permettant dexplorer la dimension de
limage. Au sein de ce chapitre, nous tenterons de rsoudre un dilemme : le rapport de
subordination du problme de la perception celui de la conception du projet, avec les
implications que cet aspect suggre chez Norberg-Schulz.
Dans une introduction de la seconde partie, nous montrerons les changements
paradigmatiques chez Norberg-Schulz. Nous mettrons le point sur le concept dimage,
qui vient compromettre lquilibre cr dans SLA entre la signification dun projet de
conception architecturale et llment social et sur le dynamisme de son interaction avec
une analyse des formes de spatialit existentielle. Cest cette leon de philosophie
existentielle, concordant avec les vues de Norberg-Schulz sur le caractre pluraliste de la
socit moderne, qui retient la ncessit dintroduire, suivant Heidegger, le concept
dtre-au-monde. Nous exposerons dans cette introduction le concept gnral dtre,
pour relever demble lobstacle quil cre lanalyse du langage architectural sous
langle des sciences sociales. De lidentification du concept dtre, nous passerons
lexamen prliminaire de lquilibre que cre Norberg-Schulz partir de son livre
Existence, Space and Architecture (ci-aprs ESA, 1971) entre la question de ltre et le
paradigme de lorganicit de larchitecture. Constatant quESA met sur pied les lments
-
9
fondamentaux de la rflexion sur la signification architecturale, nous avons jug
ncessaire dy consacrer une attention particulire lintrieur de cette introduction, afin
de montrer que cest l que se trouve le noyau du changement paradigmatique chez
Norberg-Schulz.
Dans le premier chapitre de la seconde partie, nous viserons montrer comment se
traduit chez Norberg-Schulz la dstabilisation de lide dun fondement social de la
signification architecturale. Nous accorderons une place importante la mobilisation
gnrale quil opre de lintrt aux images lies la nature, et montrerons comment le
paradigme de Nature prend place dans larc du dbat moderne-postmoderne. Nous
mettons ainsi en lumire sa valorisation de la relation de larchitecture avec la nature et
nous montrerons comment il en tire parti pour affronter les noncs thorico-systmiques
sur le langage architectural. Une des proccupations majeures qui dfinissent notre
dmarche dans ce chapitre concerne lclairage de ses multiples parcours qui lui
permettent de faire face au langage de la thorie, qui nous exige de rvler les restrictions
quil opre la reproductibilit de la forme architecturale.
Cependant, notre approche critique est base sur un corpus de travaux hermneutiques,
qui aide comprendre le rapport que Norberg-Schulz cre entre la pense architecturale
et lhermneutique dans son attrait lactivit de limage. En reconnaissant les fonds de
cette approche, Norberg-Schulz met, en fait, sur pied un cadre dune certaine complexit,
vou affronter les mthodes que la smiotique fonde et met la disposition de la
discipline architecturale pour rsoudre le problme de la signification. Nous nous
donnerons la tche de dgager de lombre les composantes de ce cadre et de les
systmatiser. Il y a un niveau gnral dtude que nous centrons sur son analyse
figurative du langage architectural. Il y a lintrieur de ce niveau des donnes sur la
dfinition du signe hermneutique, qui contraste avec le signe smiotique, que nous nous
attribuons la tche de les mettre en lumire, notamment en fonction du concept dtre et
de la proccupation chez Norberg-Schulz concernant la question de ltre d btiment.
-
10
Dans notre dernier chapitre, nous approfondirons les donnes de lapproche
hermneutique sur lesquelles travaille Norberg-Schulz. Nous aborderons la question du
temps quil hrite de Heidegger, et nous montrerons comment il parvient former les
bases dune architecture mobilise par limage du mouvement. Le temps
hermneutique est une question de mthode, non seulement pour former la base dun
langage esthtique, mais aussi pour inciter larchitecture, partir des problmes
dexistence, garder lil sur son histoire. partir dun corpus des travaux
hermneutiques, nous dgagerons du paradigme de lorganicit de larchitecture que
Norberg-Schulz travaille, les balises fondamentales de sa volont de retourner des
lments danalyse pr-thoriques. cet gard, comme pour ce qui concerne lorganicit,
partir de la thmatique de la lumire, nous montrerons les obstacles que Norberg-Schulz
cre au langage de la thorie, nous exposerons la manire avec laquelle il nourrit la
dichotomie moderne-postmoderne.
-
Partie I : Langages, modles et
formes de reprsentation dans
Systme logique de larchitecture
-
Chapitre I : Introduction aux
principaux enjeux thoriques de
Systme logique de larchitecture
-
13
I. Aperu sur le contexte de la naissance du Systme logique de larchitecture
Le titre de cet ouvrage dit dj clairement que Norberg-Schulz considre que la
pense architecturale a pour rfrence la rencontre de formes de logique et de rationalit
et quil situe cette rencontre dans le cadre de la pense systmique, il suggre : Le
systme est la norme, toujours logique, de larchitecture. dit dix ans environ aprs
ldition originale intitule Intentions in Architecture (1963), on est en droit de se
demander pourquoi ldition de langue franaise se voit attribuer ce titre, alors que les
termes systme et logique ntaient pas suggrs initialement pour ldition de langue
anglaise.
Au plan du contenu, notre lecture na pas relev de diffrences entre les deux ditions. La
seule variante qui distingue SLA est labondance des photographies, en tant
quinstrument critique visuel, ayant une grande valeur de conviction; ce qui y est
principalement perceptible, est quil y a une surutilisation de la rfrence des solutions
et des formes historiques. Le problme qui se prsente alors avec cet ouvrage est sa
disposition au niveau du contenu une critique qui se situe, principalement, dans larc de
lapproche systmique, que nous aurons loccasion de rvler ses composantes, alors
quau niveau de linstrument visuel, il y a une utilisation, trs abondante, de luvre
historique, ce qui laisse entendre quil sagit dune recherche historique. Norberg-Schulz
diffuse donc au fond des problmatiques systmiques et il les gnralise comme
paramtres pour une lecture de la signification de la forme historique.
Lambigut caractristique du statut de la mthode applique dans SLA peut tre ainsi
attribue essentiellement la superposition des objectifs, systmiques de linstrument
critique textuel et de lintrt exihib tenir pour objet de recherche la forme historique
que justifie le recours linstrument visuel.
La parution des deux ouvrages, ESA (1971) et BA (dit en langue italienne en 1971),
qui suggrent avec force une lecture phnomnologique du concept de signification
architecturale peut constituer un lment de rponse la question par rapport au choix du
-
14
titre de ldition de langue franaise de SLA, qui spcifie clairement sur la valeur quil de
lapproche systmique.
Pour des raisons de commodit, nous avons choisi de travailler avec ldition de langue
franaise.
II. Objectifs de SLA
i. Le problme de la thorie
SLA se veut dabord une mise en ordre, au sein de la multiplicit des choix esthtiques et
des solutions architecturales que les architectes de la modernit de laprs-guerre
proposent. Les opinions et les postulats formuls autour desquels se rangeaient les
architectes de la seconde modernit posent ainsi aux yeux de Norberg-Schulz un
problme : ils ne refltent pas, voire mme ils empchent, une coordination unitaire tant
au niveau de lespace thorique de larchitecture quau niveau des pratiques.
Lhtrognit de larchitecture lui parassait comme une vrit nouvelle, trs distante
vis--vis du caractre homogne de la modernit des annes vingt. Norberg-Schulz crit :
Aprs 1945, la situation est devenue plus confuse. Le mouvement moderne ne possdait plus un caractre homogne des annes vingt. Ses problmes non rsolus ont suscit une insatisfaction suivie dune certaine raction au cours des annes immdiatement postrieures la Seconde Guerre mondiale. Mais la raction naboutit nulle part. 10
Par vocation, Norberg-Schulz fait ressortir la faiblesse et les incertitudes des problmes
formuls dans ces foules de rflexion par rapport la tche de larchitecture :
Quant aux architectes, ils ont des avis discordants sur des questions tellement fondamentales que leur discussion doit tre interprte comme lexpression dune incertitude ttonnante. Ce dsaccord ne touche pas seulement les problmes considrs comme esthtiques, mais encore les questions fondamentales qui sattachent la manire dont lhomme devrait vivre et travailler dans les btiments et les villes. 11
10 Norberg-Schulz, Ch., SLA, 1974, p. 319. 11 Idem, p. 11
-
15
Le mcontentement que Norberg-Schulz exprime vis--vis des bifurcations dans les
terminologies que les architectes utilisent pour dcrire des problmes architecturaux :
Notre discussion confuse sur les sujets architecturaux donne lexemple de lusage
imprcis du langage et de formules vides de sens. Cette terminologie vague sajoute au
dsordre et rend difficile la discussion parmi les architectes eux-mmes 12, tout comme
ce prsum besoin, quil a exprim dune thorie scientifique, : Une thorie scientifique
de larchitecture est, plus que jamais, instamment requise 13, visent supprimer le
pluralisme architectural et le dbat dides de la priode de laprs-guerre pour leur
substituer une opinion intransigeante, et de l enfermer la thorie architecturale dans un
monolithisme. Nous ressentons sa polmique ds les premires pages de SLA qui
exprime aussitt une volont de rsistance aux orientations esthtiques et aux
programmes du courant organique, mis jour et travaill par Alvar Aalto et Frank Lloyd
Wright, et aux proccupations constructives et techniques de Mies Van der Rohe.14 Il
assimile ainsi la multiplicit des courants architecturaux une situation thorique fige
dont il est exclu le dsir de progresser vers des connaissances externes la discipline
architecturale.
Ainsi, pour lui, lexpression architecturale ne doit pas tre dtermine par des critres de
choix arbitraires. Protagoniste de la thorie, le langage quil prne prolifrer doit en
porter la marque; larchitecture doit tre runie conceptuellement. Il crit : Il nous faut
donc dvelopper un schma conceptuel qui permet de rpondre la question suivante :
Que signifie la forme architecturale? 15
Le dveloppement de SLA fait aussi sentir lurgence dun changement dans la relation
entre les diffrents domaines des activits spcifiques larchitecture, la recherche,
lenseignement et la pratique, suivant une primaut accorde demble au discours
thorique. La runion de larchitecte, du critique et de lenseignant nest donc
revendique et mise en place que pour empcher les distorsions pouvant paratre entre
12 Idem, p. 20. 13 Idem, p. 9. 14 Idem, p. 319. 15 Idem, p. 24.
-
16
les expriences individuelles au niveau de la pratique et le langage de la thorie. Norberg-
Schulz rvle cet aspect central de son SLA :
La thorie apporte aussi la base ncessaire la recherche architecturale en signalant les problmes et en ordonnant les rsultats. La recherche prive de fondement thorique nest quune activit aveugle menant tout au plus une connaissance fragmentaire. La thorie indique enfin ce que devrait apprendre le soi-disant architecte, de mme quelle organise les matires spciales enseignes par les coles darchitecture de manire constituer un ensemble utile la fois ltudiant et au professeur. 16
Par ailleurs, avec son SLA, Norberg-Schulz marque le dbut dun cheminement qui
symbolise la cassure de lautonomie de la discipline et lengagement dans une culture de
recherche interdisciplinaire. Au sein de cette dmarche, le concept de langage
architectural devrait traduire un quilibre entre le discours thorique de larchitecture sur
elle-mme et le discours naissant dans la grande famille des sciences humaines sur le
problme du langage. Il crit :
Il sagit dtudier les relations entre les structures correspondantes mais appartenant des domaines diffrents. Nous devrions dabord traduire en architecture une situation pratique, psychologique et socioculturelle et, subsquemment traduire larchitecture en termes descriptifs. 17
Nous pouvons distinguer dans cette orientation, qui vise attribuer au concept
architectural une valeur transdisciplinaire, des lments de rponse une demande
pressante dinterdisciplinarit, en rapport avec le dveloppement du design urbain, qui
propose, sous lgide de lcole de Harvard ds la fin des annes cinquante, de runir,
dans sa forme la plus immdiate, les mthodologies de larchitecture, de larchitecture du
paysage et de la planification dans un mouvement de composition avec des problmes
relevant du domaine de lurbanisme. Richard Marshall crit au sujet de cette spcificit
du design urbain :
By the Third Urban Design Conference in April 1959, the terms of Urban Design seem to have been sufficiently developed so that the first case study of projects was attempted. [] The common ground on which architecture, landscape architecture, and planning would come together to deal with the
16 Idem, p. 305. 17 Idem, p. 24.
-
17
problem of urbanism quickly gives way to a narrow architectural conception of Urban Designs role in the world. 18
Tel que la bien exprim, aussi, Alex Krieger, lorientation des interventions du CIAM,
prcisment dans la confrence de 1956, organise par Jos Louis Sert, portait sur la
complmentarit entre le changement dans les mthodes durbanisme devant ouvrir
largement sur linterdisciplinarit et la prtention qui caractrise le Design urbain de
fournir le modle autour duquel sont invits se ranger les architectes du mouvement
moderne :
The 1956 conference was organized by Jos Louis Sert as a way of advocating greater professional and pedagogic attention to cities and a continued shift of discourse about modern design and planning from Europe and the near-exhausted CIAM to America and Harvard. [] Nonetheless, and for all of the naivet expressed during that conference about gaining control over the process of urbanization, reading the summery of the proceeding (partially reproduced here) remains poignant. One sees a determination to engage urban conditions, to affirm the interdisciplinary collaboration needed to do so, and to imagine a disciplinary vehicle with which to effectively proceeded. Harvards Urban Design programs, precursor and model for most of the determination. 19
Sur cette relation entre la demande pressante dinterdisciplinarit et lmergence du
Design urbain, notre analyse de SLA vont se greffer les contributions du ralisme de
Norberg-Schulz. Si larchitecture se trouve ainsi oblige, avec lui, davancer sur les voies
de linterdisciplinarit, il faudrait quelle subisse quelques remaniements internes et
montrer une disponibilit rigoureuse et contrle de la dimension de louverture
thorique impose de faon pralable.
II. Considrations thorico-systmiques pour ltude du langage architectural
ii.i. Le fondement social du langage architectural
Norberg-Schulz veut prcisment spcifier sur la tche de la construction : La
thorie de larchitecture devrait rendre compte des dimensions caractristiques des
18 Marshall, Richard, The Elusiveness of Urban Design , in Harvard Design Magazine, spring/Summer 2006, pp.28-30. 19 Krieger, Alex, Toward an Urbanistic Frame of Mind letter dauditeur, Harvard Design Magazine, spring/Summer 2006, p.3.
-
18
tches de la construction 20, nnonant son projet de faire de la signification
architecturale un problme pistmologique. En cela, il ne parle pas dune thorie qui a
pour proccupation le problme de la rception dune uvre architecturale par un
spectateur, bien que lintrt y soit de toute faon, mais dune thorie se prtant valider
des valeurs pratiques et symboliques en rapport avec un milieu social : Les tches de la
construction qui sont lies des concrtisations aussi fondamentales sont dune
importance socioculturelle dcisive et rclament une ralisation formelle riche et
articule .21 Pour Norberg-Schulz, quand on a compris les formes de symbolisations
sociales, larchitecture peut donc sintresser la question de la signification
architecturale : Lart symbolise des objets culturels. Si larchitecture est un art, elle doit
rpondre ce critre.22 De l, la ncessit quil voyait de tracer dans la foule des
disciplines uvrant sur le dveloppement de linteraction entre le langage et le champ
social, un mode de comprhension du problme du langage architectural et met en place
un rseau conceptuel dune extrme complexit.
ii.ii. Larchitecture comme moyen de communication
Parti dune ide globale qui aborde la communication en un sens aigu du
dveloppement de la cohsion sociale : La communication rend possible la vritable vie
en socit, la communication signifie organisation. La communication a favoris le
dveloppement de lentit sociale du village la ville ou la cit [] 23, Norberg-
Schulz systmatise lanalogie entre le langage architectural et la langue parle : La
communication non verbale est tout aussi dpendante dun systme de symboles
structurs que la communication verbale []. Cest pourquoi Cherry considre la forme
comme le principal dnominateur commun de lart et de la science .24
20 Norberg-Schulz, 1974, p. 107. 21 Idem, p. 285. 22 Idem, p. 164. 23 Idem, p. 99, note no. 37. 24 Idem, p. 74; (*) renvoie Cherry, C., On Human Communication; New York, Londres, 1957, p. 56 et p. 248; p. 71.
-
19
Le problme du langage architectural peru ainsi, comme un vecteur des messages mis
par la socit, porte les caractristiques du signe dit smiotique, c..d un signe qui
informe sur le modle social de symbolisation. Par le choix de lapproche smiotique, qui
incite instaurer cette forme de langage architectural, Norberg-Schulz ouvre sur
linterdisciplinarit. Il dcrit ce quil hrite de Charles Morris de lcole anglosaxonne de
Peirce :
La smiotique rassemble les efforts de la science dans une formule simple et Morris conclu : De fait, il me semble pas extravagant de croire que le concept du signe peut se rvler aussi fondamental pour les sciences humaines que celui de latome lait t pour les sciences physiques ou celui de la cellule pour les sciences biologiques (*).25 Cohrent sur le plan de la dmarche, Norberg-Schulz forme aussi par-l la base
de son mtalangage. Il rvle le critre pour ltude du langage architectural :
Le terme smantique dsigne la relation entre un signe et ce quil reprsente, quand nous employons ce terme par rapport larchitecture, cest pour affirmer que les dimensions de la tche de la construction, la forme et la technique sont lies entre elles. 26
Pour confirmer ladhrence de sa thorie lapproche smiotique : Comme point de
dpart, nous devons considrer luvre dart comme un symbole concrtisant qui doit
tre dcrit par un examen smiotique complet des objets qui construisent son systme des
ples 27, et pouvoir prner la ncessit de se reporter manifestement au problme du
signe smiotique pour traiter de la signification architecturale, Norberg-Schulz soutient
que la smiotique ne repose pas sur une thorie de la signification, cest plutt le terme
signification qui se dfinit en termes smiotiques .28 Cest cette affirmation qui
exprime lexigence de voir dans la signification dune uvre architecturale une
expression immdiate des pratiques symboliques et physiques du milieu social, quil
faudrait se reporter pour comprendre la dfinition que Norberg-Schulz donne la
fonctionnalit de larchitecture.
25 Idem, p. 72; (*) renvoie Morris, C., Foundation of the Theory of Science, Chicago, 1938, p. 42. 26 Idem, p. 276. 27 Idem, p. 47. 28Idem, p. 99, note no. 32; renvoie Morris, C., Esthetics and the Theory of Signs dans Journal of Unified Science, vol. 8, 1939, p.44.
-
20
ii.iii. Fonctionnalit et communication
Pour rvler labstraction de la signification architecturale du contexte culturel,
Norberg-Schulz se rapproprie du problme de la fonctionnalit : Si ltude de la
fonctionnalit a chou, cest parce quelle a nglig les relations smantiques .29 C'est
pourquoi le slogan de la forme suit la fonction , lanc par Louis Sullivan, lui paraissait
comme une dngation de lengagement de larchitecture dans une dmarche qui permet
laffermissement de lidentit smantique de ses instruments de langage :
Les concepts smantiques, capables de saisir le rapport entre la tche et les moyens, nexistent gure. On se contente gnralement de discuter le slogan la forme suit la fonction . La question de savoir comment une forme architecturale peut servir un objectif particulier nest pas rsolue par cette formule qui souligne seulement lexistence dun rapport gnral entre les deux aspects. 30
Selon le smioticien Umberto Eco31, dfinir la fonctionnalit de larchitecture comme
un systme de communication32, constitue un des dfis que la smiotique sest fixs.
Lhypothse dune architecture comme moyen de communication rpond, selon lui, la
premire des questions que la smiotique sest pose, savoir si elle peut envisager
larchitecture comme champ cl pour ltude du phnomne culturel, et si, par
consquent, il est possible dinterprter la fonction comme ayant un rapport quelconque
avec la communication.
Eco envisage ainsi la thorie de Norberg-Schulz, se rfrant Intention in architecture,
comme tant indicative du rle croissant que la smiotique a jou dans le champ de la
thorisation du langage architectural, justement travers sa capacit de renouveler et de
rinterprter la fonctionnalit de larchitecture.33 Il en tmoigne dans la toute premire
29 Idem, note no 95, p. 143. 30 Idem, p.108, renvoi Sullivan dans note no. 16. Il sinterroge, si Mies van der Rohe, voulant dpasser cette formule forme gale fonction, croyant ainsi introduire une nouvelle approche plus fructueuse, nest-il pas rest lui-mme victime dune coupure systmatique avec laspect smantique, Idem, p. 136. 31 Eco, U., Architecture and Communication, (1.1) Semiotic and Architecture, in Function and Sign: The Semiotics of Architecture, in, Signs, Symbols, and Architecture, 1980, p. 12. 32 Idem, p. 12. 33 Idem, p. 12, note no. 1, renvoi Norberg-Schulz, Intentions in Architecture, 1963.
-
21
partie de son texte intitul Architecture and Communication, (1.1) Semiotic and
Architecture.34
III. Approfondissement de lide dune thorie comme un mta-systme
Le chemin spcifique que Norberg-Schulz forge pour accder la notion mme de
thorie ouvre amplement les paramtres de sa dfinition : Notre thorie est un mta-
systme, cest--dire un langage permettant de parler du langage architectural.35
Ce modle de thorie trs spcifique, qui procde dune relation troitement tablie avec
le systme refltant ainsi une proccupation mthodique douvrir une mtathorie,
borne limmdiatet de la notion de structure en architecture, comme aspect ayant un
rapport avec la construction. La structure acquiert une valeur hypothtique propose par
le systme. Norberg-Schulz crit : La forme en tant que structure. Ce point de vue
appartient encore lavenir. 36
lintrieur de sa proccupation mthodologique douvrir une mtathorie, il y a chez
Norberg-Schulz, tel que Boudon le souligne bien, le problme de labsence dun sens
prcis attribu la notion de systme, entranant, toujours selon lui, lintroduction dun
certain nombre de termes cls, tels que, ordre, structure et forme, dnus dun sens clair.
Boudon crit :
La prcision requise par une logique et que Norberg-Schulz assigne juste titre une thorie de larchitecture nest pas toujours atteinte (mme quand des synonymes ne sont pas clairement noncs par lauteur lui-mme : les mots ordre, structure et forme sont utiliss comme synonymes). Si une certaine souplesse est sans doute ncessaire au travail des mots, il est cependant regrettable que ce soit le terme mme de systme qui ne bnficie pas dun sens prcis. Dautant que lauteur vise encore une thorie scientifique de larchitecture.37
34 Idem, p. 12, note no. 1, p. 61; renvoie Intention in Architecture (1963), chapitre. 5. Voir aussi Eco, pp. 66 et 72. 35 Norberg-Schulz, Ch. SLA, 1974, p. 304, note 35. 36 Idem, p. 130. 37 Boudon, Philippe, Introduction lArchitectorologie, Srie Sciences de la conception, Dunod Paris, 1992, 78.
-
22
En fait, il y a chez Norbrg-Schulz une relation dgalit, abstraite de leur relation au
systme, tablie entre les termes, mots, ordre, structure et forme38 que lon pourrait
confirmer lorsque nous observons chez Jean Piaget qui Norberg-Schulz emprunte aussi
le fondement de sa thorie. Dun point de vue structural, Piaget argue quun objet, une
ide quelconque ou une logique symbolique, peuvent raliser une structure, ceci toujours
en vue dune dmarche ascendante vers la constitution dun systme.39
laide de Piaget, Norberg-Schulz semble avoir souhait rendre utile lide dun
systme architectural, pour que ses significations soient prises en tant que totalits. Il
crit : Nous appelons systme architectural une forme dorganisation typique de la
totalit architecturale40, et le confirme de nouveau : Un systme architectural doit tre
considr comme une collection ordonne de totalits architecturales. On peut classer les
totalits et dcrire les classes daprs les dimensions de la tche et des moyens.41
Lesprit qui prside cette affirmation est le mme qui anime la recherche
pistmologique chez Piaget, il ne sagit pas de simple analogie de style ou de notion,
mais bien dune volont dautoriser percevoir, voire confirmer, le changement
constant de la signification architecturale. Ainsi, on pourra invoquer le particularisme des
conditions sous lesquelles Piaget travaille la notion de totalit : Dans un point de vue
largi, llment structurant constitue une structure en vertu dun systme de relation
puisquil comporte les trois caractres de totalit, de transformation et
dautorglage.42 Si Piaget introduit et consolide le concept structural de totalit, cest
quil considre que toutes les formes concernant la socit, si varies soient-elles,
conduisent des structures; les phnomnes sociaux simposent demble, selon lui, en
tant que totalits structures.43
i. Recherche historique la lumire dune thorie comme un mta-systme 38 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 98, note no. 3. 39 Piaget, Le structuralisme 1968, op. cit , p. 26. 40 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 133. 41Idem, p. 299 42 Piaget, Le structuralisme, op. cit p. 6 et 7. 43 Idem, p. 27 et suiv.
-
23
Norberg-Schulz motive larchitecte la connaissance de lhistoire, mais il
prconise la ncessit de saligner sur les connaissances apportes par le champ des
sciences sociales : Linformation des sciences auxiliaires telles que la psychologie et la
sociologie est ncessaire pour organiser les expriences et interprter le matriau
historique .44 Chez lui, la perspective de lhistoire consiste approfondir une question
primordiale : Comment une forme architecturale peut tre associe lhistoire sociale de
la priode qui la engendre ? Le problme de lHistoire devient ainsi chez lui loutil
ncessaire pour poser nouveau la question la plus cruciale dans la modernit, soit celle
de la reprsentativit du social. La possibilit de transcender lHistoire se forme ainsi sur
la base dune comprhension dune uvre historique, suggre davance comme une
expression impulse par la ncessit de reprsenter un contexte social. Norberg-Schulz
crit :
Nous admettons que le but de larchitecture nest pas seulement de donner une protection physique, mais aussi dapporter un cadre aux actions et aux structures sociales et de reprsenter une culture. Notre recherche ultrieure vrifiera cette hypothse ou tablira si la relation fonctionnelle est plus limite et montre des variations historiques. 45
Tafuri fait remarquer que lacclamation par le mouvement moderne dun symbolisme
driv de lintrt au social carte systmatiquement lintrt lhistoire.46 Refusant de
dfinir le symbolisme architectural dans un cadre prtabli dune culture dtermine,
pour Tafuri, la non-transparence de larchitecture au cadre culturel constitue llan pour
la recherche sur la dimension historique de son langage. Selon lui, le regard sur luvre
historique, sil y en a dans le mouvement moderne, procde dune dmarche qui va
lencontre de la recherche historique; au lieu de considrer la valeur dune uvre
historique coupe de son contexte ce qui permet sa rintgration dans les systmes de
symbolisation modernes le mouvement moderne montre sa valeur partir des
motivations socioculturelles et du contexte dans lequel il a t cr.47
44 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 326- 327. 45 Idem, p. 134. 46 Tafuri, op. Cit, p. 271. 47 Idem, p. 271.
-
24
Il serait intressant, voire utile, dans le contexte de largument formul par Tafuri, de
revenir sur linvestigation thorique de Norberg-Schulz sur les notions de totalit
architecturale et de systme architectural, qui sont le produit de lide dune architecture
bien enracine dans la trame des phnomnes sociaux, et voir leur application dans
ltude dune priode historique spcifique. Norberg-Schulz crit : Nous appellerons
systme architectural une forme dorganisation typique de la totalit architecturale.
Nous pouvons parler du systme architectural de la Pr-Renaissance ou du systme
architectural de Brunelleschi.48 Cette volont chez Norberg-Schulz de rendre
oprantes les deux notions de systme architectural et de totalit architecturale va dans le
mme sens de son appel la comprhension de la smanticit de la forme historique, en
loccurrence celle de la Renaissance. Il crit : La smantique se demande en gnral ce
que signifie une certaine forme un certain moment [] Des formes particulires
reoivent, des poques dtermines, une signification par des relations smantiques
particulires. 49
Norberg-Schulz confirme effectivement quil est primordial de rvler, partir de ses
rapports avec son contexte, les valeurs et les contenus symboliques de luvre qui
appartient une priode historique; chaque uvre historique aide ainsi la lecture de son
poque. Il crit :
Les formes se dvaluent quand la dimension smantique est nglige. La dvaluation nest pas un problme formel, mais a un caractre smantique et elle signifie quune forme est utilise sans la correspondance adquate avec la tche de la construction. 50
Tafuri semble vouloir former une rplique Norberg-Schulz, il prend son compte et
cite laffirmation dEco: Nous ne trouverons jamais dans lhistoire, une uvre
pleinement romane, gothique, classique, moderne ou ouverte.51 La critique de
48 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 134. 49 Idem, p. 286. 50 Idem, p. 286. 51 Tafuri, M., Thories et histoire de larchitecture 1976 (1968), p. 287; renvoi U. Eco, Modelli e strutture, in Il Verri, 1966, no. 20, pp. 11 et suiv. Thories et histoire de larchitecture, de Tafuri, ouvrage dit en 1968 (dition originale italienne Laterza, Bari), quelques annes aprs la version originale de Systme logique de larchitecture, intitule Intentions in architecture, 1963, peut tre peru comme la rplique la plus ordonne SLA.
-
25
Tafuri attire notre attention sur le besoin chez Norberg-Schulz dutiliser la notion de code
de construction lorsque ce dernier crit : Le code de la construction devrait faciliter la
cration de totalits architecturales [] les rglements doivent en principe tre variables
et interdpendants, suivant la structure du systme architectural daujourdhui .52
Tafuri jete une lumire sur les motivations du besoin de codifier larchitecture. Pour lui,
ce nest pas par hasard que la notion de code architectural est ne, il ny a pas un code
architectural que dans la mesure o il comprend un code linguistique. Il fait remonter sa
naissance la Renaissance o les problmes de la socit commencent, notamment avec
Alberti, intresser larchitecture. la lumire de Michel Foucault il raisonne :
Larchologie des sciences humaines tente par Foucault, pourrait se vrifier dans lhistoire de larchitecture. Dune synthse entre code architectural et fonctions collectives (symboliques et pratiques en mme temps), on passe une grammaire gnrale, entre la fin du XVIe sicle et la fin du sicle suivant nous nous rfrons aux grands systmes linguistiques de Blondel, de Perrault ou, plus tard de Campbell ou de Lord Burlington pour en arriver, entre le dbut et la fin du XVIIIe sicle, une recherche sur ce qui rend possible larchitecture. Cest--dire, sur la relation qui existe entre son systme de significations et ceux qui les ont tablies. 53
Norberg-Schulz, quant lui, ne fournit pas une vue complte sur le systme de la
Renaissance ou celui de Brunelleschi pour faire comprendre la relation entre les notions
de systme et de totalit dune part et la smanticit de la forme historique Renaissante
quil dfend comme valeur pour la recherche architecturale, dautre part. Nous nous
sommes tourn de nouveau du ct de Tafuri qui a consacr, la toute premire section
son ouvrage Thories et histoire de larchitecture (1976), plusieurs pages larchitecture
de Brunelleschi. Selon lui, Brunelleschi ne sest jamais satisfait de ses inventions
(lespace perspectif) que dans la mesure o il a souhait quelles demeurent inscrites dans
un code linguistique quil a institutionnalis.54 Le code linguistique ntait pas pour
Brunelleschi une simple exigence pour le dveloppement dun style, mais explicite bel et
bien :
[] lintroduction dun nouveau code de lecture sappliquant galement la ville en tant que structure. Ce qui auparavant tait la rgle la superposition
52 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 330. 53 Tafuri, M., op. cit., p. 10. 54 Idem, p. 26.
-
26
historique des vnements et la juxtaposition des espaces devient lexception, vue la lumire du nouveau code linguistique humaniste. 55
Selon Tafuri, le postulat de base de Brunelleschi tait dabord la runion de deux entits,
jusque-l gnralement spares : lobjet architectural et la structure urbaine. Tafuri
confirme ainsi ce qui est au centre des intentions du grand architecte : Ainsi,
Brunelleschi accomplit sa rvolution urbanistique en partant des objets architecturaux
56 la lumire de Tafuri, nous pouvons placer la valeur que le systme architectural de
Brunelleschi acquiert chez Norberg-Schulz sous le signe de runion entre architecture et
urbanisme et de l indiquer sur ce quil a voulu effectivement travailler, c..d,
lopposition formes contemporaines / formes historiques.
Le volet smantique de larchitecture de Brunelleschi correspond tant selon Norberg-
Schulz que selon Tafuri, une mthodologie qui se plaait en dehors de lhistoire. Ce que
le premier a voulu articuler implicitement, le second la explicit et dnonc. lintrieur
de cette dichotomie entre leurs respectives dmarches que saffirme chez Norberg-
Schulz, contrairement ce quon rencontre chez Tafuri, la volont de rcuser la ncessit
de maintenir un fil ininterrompu de significations architecturales, et de l lutilit pour lui
de considrer le matriel historique, mais pour en slectionner des parties et les utiliser au
besoin. Nous pouvons observer avec intrt cet nonc o il discute du langage
stylistique, qui semble dfendre les mmes valeurs de recherche quil tire de
lenseignement de Brunelleschi. :
Lexpression langage formel exprime que les formes sont donnes avec des significations. Si nous combinons les lments dun langage formel (style) de faon nouvelle, nous ne crons une forme significative qu la condition que la combinaison sadapte une tche de la construction actuelle. 57
Il est justement important de comprendre dans ce contexte les rapports que Norberg-
Schulz tablit entre histoire et thorie, car cest l le principal enjeu. En fait, il est
remarquer quil ne parle pas de lhistoire de larchitecture, bien quil nen soit pas
indiffrent, mais dune thorie base sur des connaissances empiriques et qui dicte 55 Idem, p. 29. 56 Idem, p. 29. 57 Norberg-Schulz, Ch., 1974, p. 295.
-
27
comment aborder lhistoire : La thorie doit se baser sur la connaissance empirique
(lhistoire de larchitecture) mais elle vise aider larchitecte crateur concevoir,
prvoir, comparer et critiquer.58 Si Norberg-Schulz tire la conclusion que seule
linstrumentalisation dune enqute thorique permet de remdier la crise du langage
architectural, et de l, selon lui, la crise de la recherche architecturale, cest quil situe la
recherche historique dans une mtathorie : Linformation des sciences auxiliaires
telles que la psychologie et la sociologie est ncessaire pour organiser les expriences
et interprter le matriau historique.59 Tafuri a dailleurs soulev la question de la
crise de la recherche historique laquelle lie directement la crise du langage moderne.60
Selon lui : Runir histoire et thorie signifiait, en effet, considrer lhistoire elle-mme
comme un instrument de raisonnement thorique et lui attribuer dsormais un rle de
guide pour le projet. 61 Il avait dailleurs attir lattention sur la responsabilit de
Norberg-Schulz de la scission entre histoire et critique de larchitecture. 62
IV. Langage et schmatisation
Norberg-Schulz va introduire, partir de son adhrence lapproche smiotique,
visant franchir lobstacle que pose la forme historique rendre active le rle de
larchitecture comme moyen de communication, une critique qui doit absorber toute
qualit esthtique divergente par rapport la tche de la construction , cest--dire, par
rapport au besoin de reflter et de dynamiser la communication sociale. Sa critique
concentre ainsi lattention sur la ncessit de tourner la question de la forme vers la
formulation dun programme architectural, reconnaissant dans la schmatisation une
proposition qui permet didentifier un terrain commun par rapport auquel se dfinissent
les activits architecturales. Norberg-Schulz rcupre une situation quil dcrit ainsi :
Qui risquerait dfendre le chaos de la mtropole moderne, la destruction du paysage
par les btiments sans caractre ou la cassure entre les opinions divergentes en ce qui 58 Idem, p. 107. 59 Idem, p. 326. 60 Tafuri, M., 1968 (1971), op. cit. p. 39 et suiv. 61 Idem, p. 202. 62 Idem, p. 230, note no. 7. 62 Idem, p. 238, note no. 15.
-
28
concerne les problmes fondamentaux de larchitecture 63, et invite, par consquent,
larchitecture agir en regard dune priorit : organiser lenvironnement visuellement.
Sous des prtextes esthtiques, il formule une demande dunifier les choix en matire de
conception. Il crit :
Nous sommes ici confronts avec des problmes fondamentaux qui exigent la rvision de la dimension esthtique de larchitecture. Comment larchitecture peut-elle redevenir un moyen dexpression sensible, capable denregistrer les variations dterminantes dans les tches de la construction et de maintenir en mme temps un certain ordre visuel ? Une nouvelle orientation esthtique dpassant le jeu arbitraire avec des formes est, coup sr, ncessaire. 64
Eco a fait directement le lien entre la dfinition quattribue la smiotique larchitecture,
comme systme de communication, et limportance quacquiert le processus de
conception dun langage visuel pour la communication.65 Tafuri voque galement le
glissement, sous la responsabilit de la smiotique, que font subir les thoriciens du
langage vers une thorie de design visuel66, selon lui : La constatation de la disparition
dans larchitecture des significations publiques; disparition enregistre en particulier au
niveau de la communication linguistique. 67 Tafuri ajoute : ce thme qui est au centre
de louvrage de V. Gregotti, Il territorio dellarchitettura [] et des Intentions de
Norberg-Schulz [] 68, est un critre pour faire pression pour structurer
larchitecture et lurbanisme , dj prsent dans les tudes de Lynch, Kepes, Gregotti,
Rossi.69 Il identifie, partir de ces proccupations, une mthode de contrle du
projet70, aprs avoir dress le bilan du travail que mne Norberg-Schulz dans son SLA :
[] lauteur [Norberg-Schulz] met en relation la crise de larchitecture moderne
comme systme de communication avec le manque dune Thorie de la projetation. 71
Dans la prsentation de Norberg-Schulz du schma, pse un processus dexplication que
lon retrouve identifi comme sil sagissait de pattern social : Nous assimilons les
63 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 20. 64Idem, p. 18. 65 Eco, U, 1980, op. Cit, p. 37-38. 66 Tafuri, 1976, op. cit. p. 229-230. 67 Idem, p. 230. 68 Idem, p. 230, note, no. 8. 69 Idem, p. 231. 70 Idem. p.231. 71 Idem, p. 230, note no. 7.
-
29
expriences grce aux schmas et ceux-ci prennent vie quand nous avons une exprience
qui convient.72 Il y a selon Norberg-Schulz une conscience schmatique qui ne pourra
jamais dpasser le stade de lactivit cognitive : Lattitude cognitive consiste essayer
de classifier et de dcrire les objets; elle correspond ce que nous avons appel
science. 73 Il y a par l une question de tradition et de conventions sociales qui sont
soumises lautorit de la psychologie de la forme qui se proccupe de rythmer la
relation entre les attentes cognitives du percepteur et lattitude esthtique de larchitecte
ou du concepteur : Piaget montre que la reproduction prsuppose des schmatisations
qui se dveloppent dune manire analogue aux schmas de perception. 74
72 Norberg-Schulz, Ch., SLA, p. 47. 73 Idem, p. 78. 74 Idem, p. 89.
-
CHAPITRE II : Communication,
signes et fonctionnalit
-
31
I. Introduction
Tel que nous lavons soulign dans le chapitre prcdent, SLA procde dun
postulat tir de lapproche smiotique, selon laquelle larchitecture a une fonction
communicative; le concept du signe dit signe smiotique pave le chemin ce terrain
mthodique.
Selon Ferdinand de Saussure, pre de la linguistique moderne dont drive la smiotique,
un signe, ayant rapport au phnomne de langage, ne se situe pas dans nimporte quel
espace de rfrence, il nest jamais trait indpendamment du milieu social.75 Pour le
smioticien, le signe vhicule donc des contenus symboliques transmis par le contexte
socioculturel lequel il en fait usage.
En assimilant le problme de la signification architecturale celui du signe smiotique,
Norberg-Schulz entend traiter, tel que nous lavons soulign dans le chapitre prcdent, la
fonctionnalit de larchitecture, dans sa pure valeur de relation avec llment social.
Norberg-Schulz ninvente pas une comprhension de la fonctionnalit de larchitecture, il
ne fait que se procurer un outil smiotique pour aborder le problme du langage
architectural. Ainsi, la fonctionnalit veut dire que larchitecture a comme fonction
dassurer la communication sociale, dont il rvlerait lorganisation travers une critique
typologique architecturale. Cest donc en analysant la smiotique et son concept de signe
quil prend acte de deux activits critiques : une fonctionnaliste et une typologique.
Quels que soient les concepts utiliss pour jeter une lumire nouvelle sur la fonctionnalit
de larchitecture, il est vident pour Norberg-Schulz que cest au dveloppement du
Projet quil donne, de faon bien ordonne, la priorit. Il arrive que cest au sein mme de
cette primaut accorde au Projet quintervient lobstacle motiver une tude du langage
architectural en la centrant sur le problme de la perception, problme ainsi pos au
75 Dascal, Marcelo, La smiologie de Leibniz, Aubier Montaigne, Collection Analyse et raisons, 1978. 22, 2