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8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996
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SOMM IRE
Préface,
par
Jean-Claude
FREDOUILLE
.... .. ............ .... .. ... .. ... ................. .. ....... .
J.-C.
FREDOUILLE
Latin chrétien ou latin
tardif»
? ........... ........ .......... .
O. GARCÏA DE LA FUENTE
Latin
bfblico y latin cristiano :
coincidencias
y
discrepancias . ............ ....... ...... ... ..... ............. ................... ......... .. ..... ............. .
M. FRUYT , La syntaxe
de
l infinitif en latin tardif:
Réflexions
sur la
nature
des processus évolutifs
...... ............. ........ ......... ................................
..
...... .. ... .
F. CHAPOT , La préverbation en
prae
chez
Tertullien
.....................
..
.. .. ......... .
S.
DELÉANI
La
syntaxe des
titres
dans
les recueils
scripturaires de saint
Cyprien ............. .. .............. .. ..... .... ........ ...... ........... ............. .. .... .. ...... .... ......... .
C.
INGREM
E
AU Faits de
langue
tardive, effets de style,
ou problèmes
textuels ? (Quelques
exemples chez Commodien
; bilan sur le livre
VI
des
Institutions divines
de Lactance) .. .......... ...... .... .......................... ..... ............. .
M.-G.
GUÉRARD
, Éléments de romanesque
dans
le Commentaire
sur
le
Cantique
de
Nil d Ancyre ............................
..
.... .. ........................................ .
COMITÉ DE DIRECTION
Jean-Claude
FREDOUILLE
François DOLBEAU Georges FOLLIET
Jacques FONTAINE ,
Claude LEPELLEY
André
WARTELL
E
CONSEIL
SCIENTIFIQUE
3
5- 23
25- 41
43- 73
75- 89
91-112
113-125
127-139
lrena
BACKUS
Anne
DAGUET-GAGEY
Jean
DOIGNON
Martine
DULAEY
Yves-Marie
DUVAL
,
Alain LE
BOULLUEC
Goulven
MAD
EC, Pierre PETITMENGIN Hervé SAVON
Le secrétariat des Recherches est assuré
par Anne
DAGUET-GAGEY
; l administration par
Jean-Denis
BERGER. Les manuscrits
doivent
être envoyés à l Institut d
Études
Augustiniennes, 3, rue del Abbaye, 75006 Paris.
DIFFUSION
Éditions Brépols
pour la France : 23 ,
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1996 - 29
ECHERCHES
AUGUST IEN ES
ISSN 0484-0887
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Les
Recherches augustiniennes
ont été créées en 1958 comme un complément
la
Revue des Études augustiniennes
De conception plus souple, sans
périodicité fixe (29 volumes en 38 ans , elles permettent de publier des études
qui dépassent/ ampleur habituelle d un article de revue ou encore
de
répondre
plus commodément l actualité scientifique immédiate.
Nous avons pensé qu il serait utile aussi de leur donner à / occasion une
unité thématique.C est le cas
de
la présente livraison, qui rassemble des études
de caractère linguistique et littéraire présentées, s uf une, au dernier congrès
d Oxford (1995).
J. C.F.
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«
Latin chrétien
»
ou
«
latin tardif
»
?
Les réflexions que nous proposons sont suggérées par les recherches
entreprises en vue de la refonte du Manuel du latin chrétien d'Albert Blaise,
par
une équipe de l'Université de Paris-Sorbonne .
S il
convient, en effet,
d'apprécier à leur juste valeur les mérites de ce
Manuel
surtout si l on tient
compte de la date de sa parution (1955),
l
est tout aussi clair que ses mérites
mêmes invitent à une nécessaire révision.
Ces réflexions
n ont
pas la prétention d'apporter une réponse définitive aux
multiples questions que pose la langue des auteurs chrétiens, eux-mêmes si
divers2. Organisées assez librement autour de trois notions - celles de sermo
uulgaris3 de norme et de variantes, d'originalité linguistique - elles
voudraient seulement aborder ces problèmes sous des angles un peu différents
de ceux auxquels on est le plus généralement habitué et contribuer ainsi à
mieux comprendre et situer historiquement la langue des textes chrétiens.
Pour prendre la mesure des difficultés rencontrées, il ne sera pas inutile, en
commençant, de
jeter
un regard sur les diverses époques de la latinité
distinguées par les linguistes. Ces périodisations appellent, en effet, trois
observations.
Tout d'abord, sauf exception, elles ne sont guère justifiées par leurs auteurs.
Tout au plus ceux-ci se contentent-ils de prévenir le lecteur qu'elles sont
Texte de
la
Lecture
présentée au cours de la
Twelfth International Conference on Patristic
Studies
(Oxford, 21- 26 August 1995).
1
Plusieurs collègues participant
à
ce Séminaire (F. Chapot, S. Deléani, M. Fruyt, Chr.
Ingremeau) ont d'ailleurs présenté des communications à cette
Conference.
Elles sont publiées
dans ce volume.
2.
On complètera ces réflexions par l'exposé de S.
DELÉANI, «Le
latin des Pères: un domaine
encore mal exploré» (à paraître dans les
Actes u Cinquantenaire
des "Sources Chrétiennes",
Paris, 1997).
3. Par commodité, cet adjectif sera pris ici avec la valeur qui lui est couramment donnée
aujourd'hui (et souvent associée à la notion de "latin tardif') , mais qui
n est
pas, on le sait,
le
sens qu'i l a dans la langue "classique".
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JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
"approximatives" ou "relatives" - pure précaution oratoire quand on constate
l'extrême précision des dates parfois proposées: de
43
a.
C.
à 14 p.
C.
ou de
40 a.C. à 20 p.C.); de
14
à
68
(ou de 20 à 120); de 193 à 337 (ou de 195 à
335); etc.
D'autre part, mais ce qui précède le laisse pressentir, ces périodisations ne
coïncident pas. Une brève enquête empirique, portant sur celles qui ont été
proposées au cours de ces trente dernières années, souvent par des spécialistes
de la langue latine, fait apparaître une grande diversité dans le découpage
chronologique : trois, quatre, cinq, six, huit, dix et onze époques sont ainsi
distinguées dans l'histoire
du
latin selon les auteurs4.
Dernière remarque, concernant les datations de
l
langue des auteurs tardifs
qui nous intéresse plus directement :
Dans les périodisations courtes - calquées arbitrairement, en général, sur la
succession des dynasties impériales ou sur les crises qui ont secoué l'Empire
tel linguiste inclut, contre toute vraisemblance, dans la même tranche
chronologique, Tertullien, Lactance et même 'Histoire Auguste, sans
se
douter
du
piège que lui tendait le progrès de l'érudition, en situant cette œuvre à
l'extrême fin
du
ive s.; tel autre, qui adopte une périodisation sénaire,
subdivise en trois sous-périodes le "latin postclassique" (de
14
à 200 env.),
confondant ainsi langue et courants littéraires
ou
esthétiques.
Dans les périodisations plus longues, la tendance est de considérer comme
formant un ensemble linguistique homogène cinq siècles de l'histoire du latin -
des Vieilles latines à Boèce et Isidore de Séville, comme si la latinité s'était
alors figée, immobilisée. On n'hésite pas non plus à définir cette longue
période comme celle du "bas latin", caractérisée par un "processus de
dégradation'', lui-même conséquence de "'écroulement progressif de
l'enseignement classique". A vrai dire (mais ce n'est pas une excuse), cette
conception d'une langue évoluant inexorablement vers la corruption après un
"âge d'or" est ancienne: suggérée déjà par Cicéron5, elle est exposée plus
explicitement par Isidore
de
Séville désignant par l'expression
Latinitas mixta
le latin postérieur à Cicéron et Virgile6. Mais on pouvait penser que la
linguistique contemporaine aurait permis de faire justice de ces vues
pessimistes.
4.
Trois
périodes : J.
COLLART,
Histoire de l langue latine, Paris, 1967, p. 6.
Quatre
périodes: M.
L.
PoDVIN, Grammaire latine, Paris, 1957, p. 1; V. VAANÂNEN, Introduction au
latin vulgaire,
Paris,
1986
3
, p. 11
sq ;
A. CART, P.
GRIMAL, J.
LAMAISON, R.
NOIVILLE,
Grammaire latine, Paris, s.d., p. 5.
Cinq
périodes : J. GASON, E. BAUDIFFIER,
A.
THOMAS,
Précis de grammaire des Lettres latines,
Paris,
1963,
p.
5;
O.
LEGGEWIE
(hg.),
Die Welt der
Ramer, Münster Westf., 19875, p. 63. Six périodes: J. PERROT, Les dérivés latins en -men et
-mentum, Paris, 1961,
p.
33 ; X. MIGNOT, Les verbes dénominatifs latins, Paris, 1969,
p.
17 ;
J. DANGEL, Histoire de l langue latine, Paris, 1995,
p.
7 sq. Huit périodes: H. QUELLET, «Les
dérivés latins en -tudo», M 48, 1991,
p.
281. Dix périodes: J. ANDRÉ, Emprunts et suffixes
nominaux en latin, Genève - Paris, 1971, p. 3 sq. Onze périodes : P. FLOBERT, Les verbes
déponents latins des origines à Charlemagne, Paris, 1975,
p.
39.
5. Brutus, 258 (CUF p. 93).
6. Étymologies, IX, 7 (ALMA p. 36-37).
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«LATIN CHRÉTIEN» OU «L TIN TARDIF»
En
fait, même si
l on
admet que le système de la langue latine a été
relativement stable tout au long de son histoire, appliquées à nos auteurs
tardifs, ni les unes ni les autres e ces périodisations ne sont véritablement
satisfaisantes ni même
e
quelque utilité.
Pour respecter la réalité linguistique de ces textes - qui sont, pour la plupart
d entre
eux, des textes
littéraires
l faudrait, en effet, pouvoir suivre
l'évolution de sous-systèmes ou de micro-structures: les cas, les pronoms, les
interro-relatives, les hypothétiques, etc. (sans omettre l'ordre des mots), car
l évolution, pour s en tenir au domaine syntaxique (les phénomènes
phonétiques et même morphologiques, dans ces textes, nous échappent
en
grande partie) ne se fait pas de front, comme
une
armée progressant en ligne :
certains domaines subsistent ou résistent, d'autres sont plus fragiles
et
moins
stables. Il faudrait donc pouvoir opérer des dénombrements, calculer les
fréquences de tous les faits de langue chez les différents auteurs, comme cela a
été
fait presque systématiquement pour Cicéron et a abouti à édicter les
règles de la langue classique et à en dénoncer les exceptions . Car
c est
la
notion de fréquence qui renseigne sur un état de la langue
et
donc,
indirectement, sur la conscience linguistique et le style d un auteur.
Le constat s impose: même les linguistes les plus nuancés ou les mieux
disposés
à
l'égard des auteurs chrétiens n'échappent pas au préjugé selon lequel
leur langue ne possède plus les qualités de celle des âges précédents et qu'elle a
une coloration facilement vulgaire .
Le
cas échéant, pour conforter objecti
vement cette appréciation, on fait appel au témoignage des écrivains chrétiens
eux-mêmes.
Par exemple, aux déclarations délibérément provocantes
d
Arnobe, reven
diquant le droit aux solécismes et aux barbarismes :
«Mais [vos] récits [nous objecte-t-on] ont été écrits par des hommes ignorants et
incultes, et par conséquent on ne doit pas leur prêter une oreille complaisante. -
Prends garde: ne serait-ce pas plutôt une bonne raison pour qu'ils ne soient pas
entachés
de
mensonge, étant l'œuvre d'esprits simples, qui ne savent pas les
rehausser de vaines séductions? -
Le
style en est vulgaire et bas. -
C est
que la vérité
n a jamais cherché à se farder et que ce qui est prouvé et certain ne souffre pas les
circonlocutions de trop longues périodes. Syllogismes, enthymèmes, définitions, et
tous ces ornements par lesquels on cherche à rendre croyable une affirmation, tout
cela est une aide pour qui forme des conjectures, mais ne révèle pas nettement les
traits de la vérité .. Vos livres, nous dit-on, sont pleins de barbarismes et de
solécismes, et gâtés par des fautes grossières. - Critique puérile, assurément, et qui
révèle un esprit étroit... Comment une affirmation serait-elle moins vraie,
si
elle
contient une faute de nombre ou de cas,
de
préposition,
de
participe, de
conjonction? Que ce langage pompeux, cette éloquence soumise aux règles, soient
réservés aux assemblées, aux procès, au forum, aux tribunaux, et qu on les offre
bien plutôt à ceux qui sont sensibles à la séduction des plaisirs et ne se passionnent
que pour le brillant du style. Mais quand l s'agit de questions étrangères à toute
ostentation, l faut examiner ce qui est dit, et non pas avec quel agrément cela est dit ;
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JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
non pas
ce
qui charme les oreilles, mais quel profit
en
tirent les auditeurs ..
»
(trad.
Le Bonniec)?.
Naturellement, la revendication d Arnobe est démentie par sa prose: non
seulement on y chercherait vainement un solécisme ou un barbarisme, mais sa
puissance et son éloquence sont bien éloignées d'une esthétique de la simplicité.
Ayant déjà eu l'occasion de commenter cette pages, nous nous attarderons
davantage sur certains propos d'Augustin, plus souvent encore sollicités par les
les linguistes en faveur
de
leur thèse, propos dans lesquels l proclame, lui
aussi, son indifférence à l'égard
de
la grammaire.
Mais ces formules ne signifient pas (contrairement à ce que
l on
prétend9)
qu'Augustin s'écarte
de
la norme grammaticale pour assurer la compréhension
de la foule, qu'il privilégie la communication aux dépens de la correction. Au
demeurant, a-t-on jamais vu
qu une
incorrection grammaticale facilitait
l'intelligence d'un texte ou d'un discours ?10 Ce qui rend plus accessible un
texte ou un discours, ce ne sont pas des infractions
au
bon usage ; ce sont des
phrases courtes, un vocabulaire courant, une syntaxe simple accordant la
préférence à la coordination ou à la juxtaposition plutôt qu'à la subordination
et
au
style périodique.
Ainsi, paradoxalement, ces déclarations d'Augustin doivent-elles être
interprétées presque à rebours
du
sens qu'on leur donne communément. Elles
visent non pas des foules incultes, à la portée desquelles l souhaiterait se
mettre, mais un public cultivé. Elles portent toutes, sauf erreur, sur des
7. Aduersus nationes I, 58, 1-59, 5
CUF
p. 183-184) : «Sed ab indoctis hominibus
et
rudibus scripta sunt
et
idcirco non sunt facili auditione credenda. - Vide ne magis haec fortior
causa sit
cur
illa sint nullis coinquinata mendaciis, mente simplici prodita
et
ignara lenociniis
ampliare. - Triuialis
et
sordidus sermo est. - Numquam enim ueritas sectata est fucum nec quod
exploratum
et
certum est circumduci se pati tur orationis per ambitum longiorem. Collectiones,
enthymemata, definitiones omniaque illa ornamenta quibus fides quaeritur adsertionis
suspicantes adiuuant, non ueritatis liniamenta demonstrant .. Barbarismis, soloecismis obsitae
sunt, inquit, res uestrae et uitiorum deformitate pollutae. - Puerilis sane atque angusti pectoris
reprehensio ... Aut qui minus id quod dicitur uerum est, si in numero peccetur aut casu,
praepositione, participio, coniunctione ? Pompa ista sermonis et oratio missa
per
regulas
contionibus, litibus, foro iudiciisque seruetur deturque illis immo qui, uoluptatum delinimenta
quaerentes, omne suum studium uerborum in lumina contulerunt. Cum
de
rebus agitur ab
ostentatione summotis, quid dicatur spectandum est, non quali cum amoenitate dicatur nec quid
aures commulceat, sed quas adferat audientibus utilitates .. »
8. «Les écrits patristiques latins comme corpus littéraire»
(à
paraître dans les Actes du
cinquantenaire des Sources Chrétiennes )
9. Ainsi R.A.
HAADSMA
J.
NUCHELMANS
Précis de latin vulgaire
Groningen, 1966, p.
8;
V.
VAi\NANEN
op. cit p. 18. Approche différente, mais appréciations finalement voisines des
leurs dans M. BANNIARD Viva voce. Communication écrite
et
communication orale du Ve au
X• siècle en Occident latin Paris, 1992, p. 73, 102.
10. Quoi
qu ait
pu penser J.-J. ROUSSEAU : «Ma première règle, à moi qui ne me soucie
nullement de ce qu on pensera de mon style, est de me faire entendre. Toutes les fois
qu à
l aide de dix solécismes je pourrai m exprimer plus fortement ou plus clairement, je ne
balancerai jamais» (cité
par
R.
GILLET SC
32bis,
p.
134. On trouvera dans cette même note
d'autres références à des déclarations des Pères de l'Église proches de celles d'Augustin).
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«LATIN CHRÉTIEN»
OU
«LATIN TARDIF»?
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problèmes de traduction (morphologiques, syntaxiques ou lexicaux) posés par
les Vieilles latines - dont Augustin se sent solidaire des traducteurs - et comme
telles, ces remarques
ne
peuvent intéresser,
par
définition, que des lettrésll, et
elles n'ont
de
sens que pour eux.
Soit ce passage du Commentaire sur le Psaume 6 (iii, 6), à propos du verset
26:
"Tout le jour le juste a pitié, i l prête" - Tota die miseretur et feneratur =
&xvclÇu). Personnellement, Augustin préfèrerait, parce qu'elle serait plus
claire12, la
formefenerat
(qui est d'ailleurs celle d'autres
Vieilles latines).
Et
i l
ajoute: «Mais que nous importent les grammairiens? Il est préférable que
vous nous compreniez même avec un barbarisme, plutôt que vous entendiez le
langage
d un
homme disert qui vous laisserait comme dans un
désert>>.
(On
aura noté au passage le jeu paronymique desertus-disertitudo)13.
Mais, en l occurence, quel est l usage ? Quoique plus rare, la forme
déponente feneror
a,
dans toute la latinité, concurrencé la forme active fenero :
on relève même cinq occurrences de feneror chez Cicéronl4. Peut-être,
probablement même, le traducteur latin avait-il choisi cette forme pour
l'assonance et l'isosyllabie qu'elle offrait avec le déponent miseretur. Scrupule
ou réflexe de puriste donc
de
la part d'Augustin, dont la remarque, comme
toutes les questions qui alimentent les discussions grammaticales, ne
se
justifie
qu'auprès d'un public averti. Scrupule ou réflexe
au
demeurant traditionnel
chez les écrivains et les orateurs, aussi bien païens que chrétiens, souvent
hantés, ou feignant de l'être, par la crainte de commettre une incorrection :
nous avons, par exemple, sur
de
telles craintes, des anecdotes de SuétoneIS,
"'appréhension" d Apulée ("Qui me pardonnerait le moindre solécisme
? 16),
les précautions oratoires
de
Sulpice Sévère ?, et bien d'autres témoignages.
Inversement, nous voyons Augustin exposer ses préférences pour la
substitution d ossum,i
à
os,ossis, susceptible d'être confondu avec os, oris, et
cela d'autant plus facilement que, comme il
le
fait observert8, le vocalisme
des
11. C'est-à-dire, pour reprendre
la
distinction en trois catégories de fidèles, proposée
par
AUGUSTIN
lui-même (De cat. rud., 8, 12 - 9,
13
BA 11/1 p. 84 sq.) les liberalibus doctrinis
exculti et, peut-être aussi, ceux qui sont issus de scholis usitatissimis grammaticorum
oratorumque, mais en aucun cas les idiotae, naturellement de loin les plus nombreux.
12. Feneratur peut être interprété comme étant le passif defenero ou ayant le sens actif de
feneror (Cf. n. suiv.).
13.
Enarr. in Ps. 36, iii 6 (CCL 38, p. 371) : «Tata die miseretur et feneratur. Feneratur
quidem latine dicitur et qui dat mutuum et qui accipit ; planius hoc autem dicitur, si dicamus
f enerat.
Quid
ad
nos quid grammatici uelint
?
Me
i
us in barbarismo nostro uos intelligitis, quam
in nostra disertitudine uos deserti eritis».
14. Cf. TLL s.
u
"fenero", col. 475, 83.
15.De gram.
et
rhet., 22 (CUF p. 22
).
16. Florides, 9, 7 (CUF p. 135).
17. Vie de saint Martin, ep. ded.
l,
3 : «id a lectoribus postulabis, ut res potius quam uerba
perpendant, et aequo animo ferant si aures eorum uitiosus forsitan sermo perculerit...» (SC
133, p. 248 et Comm.
SC
134, p. 380 sq.).
18. De doctr. Chr., Ill, 3, 7 (BA 11,
p.
346).
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10
JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
deux homographes tendait à ne plus être distingué dans
la
prononciation.
«Mieux vaut, dit-il, nous faire reprendre par les grammairiens que de ne pas
nous faire comprendre par la foule» -
Metius est reprehendant nos grammatici
quam non intellegant popuii19.
Ce disant, Augustin ne défendait ni
un
vulgarisme ni un néologisme :
ossum,i
est attesté chez des écrivains du ne s. a. C. (Accius, Cnaeus Gellius), chez
Celse, le "Cicéron
de la
médecine'', chez Apulée20.
Et c est
avec toute l'autorité
de
l homme
de culture21
qu il
est, qu'Augustin
veut
imposer définitivement
dans l'usage ce doublet dépourvu de toute ambiguïté.
Nous pourrions multiplier ce type d'exemples. En fait, Augustin n'affiche
(ou ne donne l'impression d'afficher) du mépris pour la grammaire que
lorsqu'il veut justifier ou expliquer une expression des Vieilles latines que
pourraient éventuellement blâmer des grammairiens sourcilleux22.
Ce
faisant,
il pensait moins aux fidèles peu cultivés qu'aux lettrés, chrétiens et païens.
Le
monde auquel nous renvoient ces discussions n est pas un public populaire;
c est
plutôt celui du "cercle de Symmaque" dont, à la même époque, Macrobe
mettait en scène les conversations dans ses
Saturnales.
On ne mesurera d'ailleurs l'exacte portée de ce genre de discussions
qu à
condition de se représenter avec réalisme le niveau socioculturel des popula
tions de l Antiquité. On ne possède pas -
et
on ne peut établir - de statistiques.
Mais on connaît des scribes du ne s.
p.
C. qui ne savaient ni lire ni écrire23, et
l on
aura sans doute une vision moins idéalisée du développement de la culture
dans l Antiquité, si
l on
se rappelle que, au milieu du x1xe s., selon les
estimations actuelles, le taux de la population sachant lire
et
écrire était de
l'ordre de 5 à 10
%
en Russie, de 20 à
25 %
en Italie, de 50
% en
France24.
Ces pourcentages devraient permettre
de
situer dans une plus juste perspective
l'apparent dédain d'Augustin envers les grammairiens dans ses observations
sur le texte des
Vieilles latines
(dont les traducteurs, pour le dire en passant, ne
serait-ce que parce qu'ils savaient le grec, n'étaient pas ces chrétiens incultes
19.
Enarr. in Ps.138
20, sur
lev. 15 CCL
40, p. 2004).
20.
Cf. TLL
s.u.
"os", col. 1094, 6.
21. Sur sa culture grammaticale en particulier,
G.BELLISIMA
«Sant' Agostino grammatico»,
Augustinus Magister,
I, Paris, 1954, p. 35-42 ; J. CoLLART «Saint Augustin grammairien dans
le
De Magistro», RÉAug
17, 1971, p. 279-292 (influence de Varron).
22. H. I.
MARROU Saint Augustin et /afin
de
la culture antique,
Paris, 19584, p. 79, 537.
23. Cf. H. C. YülmE, «Pétaus, fils de Pétaus, ou le scribe qui ne savait pas écrire», CE 41,
1966, p. 127-143
= Scriptiunculae,
II, Amsterdam, 1973, p. 677-693). Je remercie Béatrice
Meyer (Institut de Papyrologie de la Sorbonne) d'avoir bien voulu attirer mon attention sur cet
article.
24. Cf. W. V. HARRIS, «Literacy and Epigraphy, »,
ZPE
52, 1983, p. 87-111; Io.,
Ancient Literacy,
Cambridge MA.-London, 1989, p. 299 : «The illusion that Christianity was
spread mainly by means of the written word is possible only for those who exaggerate the
literacy of the high Empire» ; p. 305 : «Christians en masse, like the rest of the population,
included a high proportion of illiterates».
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«LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»?
que
l on
nous décrit complaisamment). Seule une élite était en mesure
de
comprendre l'intérêt et les raisons de telles observations.
Cela dit, que l on rencontre chez Augustin des mots, des tours, des
expressions, étrangers à la langue littéraire, empruntés à la langue courante,
c est le contraire qui serait surprenant. Quel est l'auteur qui, à des fins
diverses, ne recourt à des locutions, des termes, peu ou non littéraires, qui ne
reproduit les propos d'individus ou
de
personnages peu lettrés, voire illettrés?
Mais l'interprétation exige, en chaque cas, l'examen du contexte.
Un exemple, parmi d'autres, emprunté encore aux
Sermons
d'Augustin et
souvent cité comme un "trait vulgaire":
Facit frigus,
("il
fait froid"). «Tous
les ans, écrit Augustin, nous disons souvent, quand nous ressentons le froid:
'jamais l
n a
fait aussi froid' -
numquam fe it tale frigus».
Mais cette
expression de la langue parlée courante est ici rapportée dans un dessein bien
précis:
elle offre à Augustin l'avantage
de
pouvoir rappeler que Dieu est
l'auteur des variations climatiques, car il ne fait pas
de
doute à ses yeux que le
sujet de
facit frigus
est
Deus25.
Trait "vulgaire" donc, si l'on veut,
ou
plutôt
pré-roman, qu'Augustin se borne à rappeler, mais qui lui permet, comme
l avait
fait un Tertullien, de découvrir
jusque
dans la langue parlée
quotidienne, le signe
de
la présence et de la toute-puissance divine26. (Mais on
sait que, en l'espèce,
de
façon comparable, Grecs et Latins avaient pourvu d'un
agent "divin" certains verbes impersonnels désignant des phénomènes
atmosphériques27.)
Les Anciens le soulignaient déjà: le propre d'un grand écrivain est d'être
capable de pratiquer plusieurs niveaux
de
langue et de style28. Après avoir loué
la pureté de la langue de Lysias, Denys d'Halicarnasse souligne cette autre
qualité
de
l'orateur: l savait toujours «mettre ses paroles en parfaite harmonie
avec l'auditoire, ne s'adressant pas de la même manière à un juge, à une
assemblée
du
peuple, à une foule en
fête»29.
Et Quintilien, à la suite de Denys
d'Halicarnasse et dans la même ligne de pensée, formulait cette règle: «Un
25. Sermones de VT, 25, 3 CCL 41,
p.
336).
26. Apol. 17, 5-6 CUF
p.
40).
27.
P. CHANTRAINE,
«Le divin et les dieux chez Homère», Entretiens sur
l
Antiquité
classique,
I
Vandoeuvres-Genève, 1952, p. 56-57: «Le fait que chez Homère le sujet Zeus est
toujours exprimé [dans les tours primitivement impersonnels désignant des phénomènes
atmosphériques] résulte d un effort de l esprit pour 'mythologiser', c'est-à-dire pour
rationaliser un phénomène obscur et inquiétant» ; E.T., Synt. lat., p. 209,
§
230a.
28. Le cas-limite est sans doute celui du "roman populaire" : ainsi a-t-on vraisemblablement
tort de prendre pour le parler fidèlement transcrit des affranchis celui que Pétrone leur prête,
alors que, dans une certaine mesure, il le recrée. L'écrit ne pouvant reproduire exactement un
langage essentiellement oral, l'auteur se voit contraint de recourir à un langage de convention.
Si, naturellement, la démonstration est difficile, voire impossible, à apporter pour le Satiricon,
les études linguistiques sur le roman populaire contemporain sont particulièrement révélatrices à
cet égard (Cf. Grammaire des fautes et français non conventionnel, Paris, Presses de 'ENS,
1992, en particulier p. 117-149).
29. Lys. 9, 1 CUF p. 83).
-
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12
JEAN CLAUDE FREDOUILLE
discours ne pèche pas moins par défaut d'appropriation à la personne [à
laquelle i l s'adresse] qu'au sujet auquel
l
aurait dû être adapté»; et
i l
ajoutait,
pour illustrer positivement ce
précepte:
«C est pourquoi, comme on le
constate, Lysias a parfaitement réussi à conserver un accent de vérité dans les
discours
qu il
écrivait pour des gens sans culture»3o.
De cette nécessité de la convenance rhétorique dans le respect obligé de la
correction grammaticale, les auteurs chrétiens étaient pleinement persuadés.
Augustin, par exemple,
s en
explique très clairement dans le préambule du e
Genesi contra Manichaeos (I, 1): i l se rangera, écrit-il, à l'avis des chrétiens
lettrés qui lui ont conseillé de ne pas s'écarter, cette fois,
d une
manière
commune de parler ( communis loquendi consuetudo ) afin que ses arguments
fussent accessibles à toutes les catégories de lecteurs, cultivés ou non; l ornatus
politusque sermo, en effet, n est intelligible
qu aux
docti;
en
revanche, le
sermo usitatus et simplex l'est à tout le monde, y compris les indocti31.
Mais simplicité du discours ne signifie pas entorse aux normes du langage.
Et nous aurions tort de confondre sermo simplex et sermo uulgaris. De fait,
Augustin recourt dans son ouvrage
à
une syntaxe sans recherche, des phrases
brèves, un vocabulaire usuel. Ce qui est vrai de cet ouvrage d'exégèse et de
polémique est également vrai, globalement, de ses
Sermons.
La même préoccupation se retrouve encore, au siècle suivant, chez un
Césaire d'Arles. Certes moins doué et moins cultivé que son illustre prédé
cesseur, dont il utilisa, adapta ou transcrivit l œuvre homilétique, Césaire
reprend cependant à son compte cet officium praedicatoris.:
«Si
nous voulons exposer à vos oreilles, à vous qui nous êtes chers,
l'explication des Saintes Ecritures selon la manière et avec
le
style des Pères
vénérables, l'aliment de la doctrine
ne
pourra parvenir
qu à
quelques lettrés
(scholastici) et le reste de la foule, la multitude, restera affamée. C'est pourquoi je
demande humblement que les oreilles érudites (eruditae aures) acceptent de tolérer
sans agacement des expressions rustiques
(uerba rustica),
pourvu que tout le
troupeau du Seigneur puisse recevoir la nourriture spirituelle dans une langue
simple et, pour ainsi dire, terre à terre
(simplex et, ut ita dixerim3
2
,
pedester
sermo).
Et parce que les gens sans culture et simples ne peuvent s'élever à la
hauteur des lettrés, i l faut que les savants acceptent de se mettre au niveau des
ignorants; parce que, ce que l'on dira aux simples peut être compris aussi des
30. Inst. or. III, 8, 51 (CUF p. 209).
31.
PL
34, col. 173.
32. La précaution oratoire de Césaire, dans ce contexte, est tout à fait révélatrice: celui-ci
feint d'innover, en utilisant métaphoriquement cet adjectif pour désigner le style simple ; mais
on lit déjà pedester oratio chez JÉRÔME Lettre 36, 14 (CUF p. 61) ; pedester sermo en SHA
Prob. 21, 1 et pedestre adloquium, Ibid. Trig. tyr. 1, 1
éd.
Hohl3,
p.
219, 100). Césaire lui
même l'avait utilisé
(Serm. l, 13,
20
CCL
103,
p. 10,
16;
SC
175, p. 250, 272) sans
le
faire
précéder de cette formule. Mais i l
est vrai que, depuis Horace, le sens usuel de
pedester
dans
cette acception métaphorique était prosaïque,
en
prose . Plus proches de
nos
préoccupations
présentes, les remarques de GRÉGOIRE LE
GRAND
Morales sur Job, lettre-déd. 2 (SC 32bis, p.
120) sur les difficultés rencontrées par
le
prédicateur mettant par écrit ses homélies orales.
-
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«LATIN CHRÉTIEN»
OU
«LATIN
TARDIF»
lettrés;
mais
ce que
l on
aura prêché
aux
savants restera complètement
incompréhensible aux simples»33.
13
Être compris de tous, en utilisant des mots de tous les jours communia
uerba
34 , telle est donc, exposée non sans talent, l'ambition de notre évêque:
des phrases simples, des comparaisons empruntées à la vie quotidienne et
rurale, des répétitions "pédagogiques", des concessions dans l'emploi de
vocables locaux ou régionaux, cette éloquence familière, mais non "vulgaire",
est consciente et délibérée. Pour le reste, la langue de Césaire reflète celle de
son temps35.
Ordinairement, un ouvrage consacré à la langue de Proust ou de Malraux ne
prend guère pour référence la langue de La Bruyère ou celle de Voltaire
traditionnellement considérées comme des modèles de pureté et de clarté. Or
ce n'est pas ce parti raisonnable qu'adoptent la plupart des études faites sur la
langue des auteurs chrétiens et, plus généralement, des auteurs tardifs. Avec
des nuances ou des différences dans la mise en œuvre, la présentation et
l'interprétation des faits, elles sont généralement conçues, dans leur principe,
comme des catalogues de dérogations, plus ou moins pardonnables, à l aurea
Latinitas
- c'est-à-dire, en réalité, la langue de Cicéron, encore limitée à celle
des discours et des traités.
Le
prestige de cette langue est certainement fondé;
les écrivains latins chrétiens eux-mêmes le reconnaissaient sans arrière pensée,
et déjà, chronologiquement, le premier d'entre eux: Quis eloquentior Tullio?
demandait Tertullien
36
•
Mais pour respectable et motivée que soit l'admiration
portée à la prose cicéronienne, elle ne justifie pas la méthode appliquée à la
langue des écrivains tardifs. Elle revient, en effet, à poser comme norme une
langue littéraire élaborée et étudiée - artificielle, au sens latin de l'adjectif-, et
de toute manière antérieure de plusieurs siècles.
Si donc l on devait étudier les écarts de la langue des auteurs chrétiens, ces
écarts devraient être évalués, en bonne méthode, par rapport à la norme
de
l'époque, c'est-à-dire l'usage grammatical contemporain, tel par exemple qu'on
l'entrevoit chez les écrivains païens, lorsque la comparaison est possible et, à
défaut, en l'absence de référents païens contemporains, par rapport à l'état de
langue connu chronologiquement le plus proche, pratiquement celui que nous
appréhendons chez les auteurs du
n
siècle.
On constate alors (laissant provisoirement de côté le lexique) que ces écarts
sont souvent minimes - si
l on
met naturellement à part les "biblismes'', c'est
à-dire, en dehors des citations scripturaires textuelles, les expressions, les
tours, les syntagmes, dont on admettra que 'écrivain chrétien a clairement
conscience de l'origine et du caractère bibliques :
33. Serm. 86, 1 CCL 103,
p.
353).
34. Serm.
l,
13 (CCL 103, p. 10, SC 175, p. 250).
35. Cf. M.-J. DELAGE, SC 175, p. 180 sq.
36. Apol. 11, 16 CUF p. 30).
-
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14
JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
De ce latin biblique on a tenté récemment de dresser le catalogue des
principales particularités syntaxiques (et lexicales)37. Mais il n'est pas rare que
le caractère allogène de cette syntaxe du
latin biblique soit dissous ou, en tout
cas, atténué dans l'écriture des écrivains chrétiens, dans la mesure où la langue
était préparée à l'accueillir,- faute de quoi, d'ailleurs, ces traductions seraient
restées peu intelligibles
Certains tours, étiquetés comme bibliques , étaient, en effet, quoique plus
rarement attestés, déjà employés dans la langue, parfois la langue non
littéraire, parfois la langue littéraire - archaïque ou plus récente
- ,
de sorte
que ces tours ont trouvé,
de
ce fait, une nouvelle vitalité.
Qu'il
s'agisse de l'emploi de certaines prépositions, comme in abl. avec
valeur instrumentale ou in + ace. avec valeur prédicative, du génitif de
renchérissement, du génitif de
qualité en
fonction adjectivale, de la
construction du complément du comparatif avec ab
, du
tour dico quod
,
etc.
Même le recours au fameux et biblique comme substitut de la subordination
n'était pas sans antécédent dans la latinité38.
Du reste parfois,
i l conviendrait de dissocier, dans ces formulations, l'idée
exprimée de son support syntaxique. Dans uanitas uanitatum
,
ce qui est
proprement biblique, ce n'est certainement pas le génitif, pas plus que dans
odor suauitatis Gen.
8, 21,
etc. 39,
au demeurant attesté, avec une construction
très voisine (dans un tout autre contexte, cela va sans dire), chez Pline
l'Ancien40.
Si donc, compte tenu de quelques prudences et de quelques nuances, il est
utile et même nécessaire de distinguer un latin biblique , l'une des difficultés
de la langue des auteurs chrétiens et, plus généralement, de la langue dite
tardive, et peut-être la principale difficulté, réside dans le
fait
que, tout en
évoluant, elle a souvent maintenu les anciennes constructions syntaxiques. De
sorte que la situation devant laquelle se trouvent ces écrivains est celle d'une
potentialité plus développée de variantes concurrentes, dont les nuances et, par
suite, les motivations du choix des écrivains, nous échappent souvent.
On peut estimer que l'existence de ces variantes est un signe de décadence de
la
langue ; on peut tout aussi bien la considérer comme un enrichissement.
Ainsi, pourquoi telle tournure, tel emploi, seraient-ils nécessairement un signe
37. Cf.
O. GARCfADELA
FuENTE, Introducci6n
al
Latfn bîblico y cristiano, Madrid, 1990, p.
81-144; ID., «Latfn bfblico y latin cristiano: coincidencias y discrepancias»,
infra,
p. 25-41.
38. Cf. TLL s.u. et'', col. 895, 81 sq.; LHS, p. 482.
39.
Le
génitif en fonction adjectivale se rencontre déjà dans la langue classique (cf.
LHS
p.64;
E.T.
Synt. lat.,
p. 46
§
59
. Odor suauitatis
=
oaµÎ\
eùoootw;) alterne d'ail leurs avec
suauis -issimus) odor dans les Vieilles latines et dans la Vulgate.
40. Hist. nat. VI, 198 (éd. Mayhoff, p. 513) : destillante arboribus odore mirae suauitatis;
XXXVII, 185
Ibid. p.
466) :
lentescere odore magnae suauitatis.
Dans ces deux passages, le
génitif, accompagné conformément à l'usage classique
d'un
adjectif, est un génit if dit
de
qualité (mais le génitif de qualité non accompagné d'un adjectif est attesté à l'époque impériale,
indépendamment de toute influence hébraïque [cf. LHS p. 70] et ne se distingue plus guère, dès
lors, du génitif en fonction adjectivale).
-
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«LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»
15
de dégénérescence sous prétexte que, avec le recul de l'histoire, ils sont perçus
comme des préromanismes ?
Mais nous
ne
pouvons prendre que quelques exemples, extrêmement
simples. Pour exprimer
l idée
de relation au moyen d un syntagme nominal, la
préposition de abl. se maintient (on sait, du reste, l extension de ses
emplois); mais elle est désormais concurrencée par
circa
acc.(attesté depuis
Quintilien et Tacite) et par super abl.(attesté depuis Plaute, avec, chez
Cicéron, une limitation de ses emplois au syntagme scribere super aliqua re).
Sauf à vouloir percer les mystères de l écriture dans des contextes donnés,
l'historien de la langue se contentera de constater que la fréquence de circa et
super
dans des emplois autres que le sens local est plus grande que
par
le passé
et, peut-être, variable d un siècle à l'autre,
d un
auteur à l'autre.
Lorsque la préposition absque se détache du syntagme ancien quasi figé
absque me (te
)
esset (''en mon ton, absence , sans moi, sans toi ) pour
acquérir
son
autonomie,
l origine
de cette autonomie est sans doute à
rechercher dans la langue parlée, mais son attestation chez Fronton, Aulu Gelle
ou Apulée, montre à l'évidence
qu absque
a changé entre-temps de niveau de
langue et que l'infraction au bon usage d'hier est devenu la norme.
Quand un écrivain tardif utilise à quelques lignes d intervalle l ablatif
(instrumental) du gérondif
et
le participe accordé, nous ne sommes pas
en
mesure, en général, de préciser la différence de sens ou de valeur; mais cet
emploi du gérondif
en
fonction participiale, rare chez Cicéron,
s est
ensuite
répandu : nous observons, par exemple dans telle phrase de Tacite, la même
alternance, la même variation41.
Lorsque Philosophie s'adresse à Boèce pour lui rappeler que le caractère de
Fortune est
d être
constante dans son inconstance même, elle lui dit: Tel
est
depuis toujours son comportement, telle est sa nature - Hi semper eius mores
sunt, ista natura42. Ce
changement
de
démonstratif
(hic
-
iste), sans
modification sémantique perceptible, doit être analysé, sous la plume de cet
érudit styliste, non comme
un
trait de langue vulgaire, mais bien comme un
effet de
uariatio
(lui-même suscité, peut-être,
par
des motifs subjectifs
d'euphonie, d'eurythmie, ou autres); il est au demeurant attesté, par exemple,
chez Frontin43 ou Apulée44.
Dans certains cas plus complexes, quand deux ou plusieurs tours étaient
devenus concurrents, il
est
vraisemblable que les auteurs avaient une
conscience plus claire de leur histoire respective. Ainsi de dico prop. inf.
alternant avec
dico quod
chez un grand écrivain: la première construction ne
pouvait pas ne pas être sentie
par
lui comme plus classique , la seconde
41. Ann. XV, 38, 3 (CUF p.
165;
E. T. Synt. lat., p. 267, § 279c).
42.
Consol.
II,
1
10 (CCL 94, p. 18).
43. Aqueducs, 89, 4 (CUF p. 43).
44.
De deo Socr.
23, 174-175
(CUF
p. 44);
Métam.
I, 23, 3
(CUF
p.
24): « ..
de
ista
corporis speciosa habitudine deque
hac
uirginali prorsus uerecundia».
-
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16
JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
comme plus moderne , mais l'une et l'autre comme appartenant désormais
au
même niveau de langue45.
Nous n'avons pu évoquer que quelques exemples de micro-structures ou de
micro-syntaxe. D'autres systèmes (comme celui des hypothétiques) exigeraient
des analyses beaucoup plus approfondies. Les conclusions qui s'en dégageraient
ne seraient pas, croyons-nous, divergentes.
Pour
s en
tenir aux grands écrivains
et
réserver la situation de textes plus ou
moins erratiques, en tout cas plus problématiques (tels ceux de Commodien ou
de Lucifer de Cagliari) ou ne possédant pas un statut proprement littéraire (par
exemple l l inéraire d Égérie), l serait donc judicieux de prendre en
considération des notions étroitement associées, certes éclairantes pour
n importe
quel état de langue, mais dont
l application
au latin tardif
permettrait de dissiper des malentendus : celles d'écart, de norme, de variation,
de fréquence46, - à condition, une fois encore, de ne pas prendre pour
référence
l usage
classique , encore moins
ce
que certaine philologie
considère comme les règles du bon usage classique.
Une langue évolue progressivement et insensiblement, jusqu au point
critique qui fait basculer le système. En
l absence
d études
et
de
dénombrements précis et exhaustifs qui permettraient de décrire objectivement
les différents temps de la langue dite tardive (car l'état de la langue à l'époque
de Boèce ne peut plus être exactement celui qu il était à l époque de
Tertullien), la seule approche raisonnable serait de prendre pour point de
départ - si flou et si mouvant que soit ce seuil - les faits de syntaxe observés
chez les auteurs du ne s. En cela nous rejoignons les vues d'Einar Lofstedt, se
bornant, avec une grande circonspection, à distinguer dans l'histoire du latin
deux grandes périodes, dont la charnière se situe au ne siècle47.
En effet, quand nous étudions de près la langue des auteurs de notre époque,
une constatation s'impose, comme les quelques exemples cités plus haut
permettent de nous
en
rendre compte: la plupart de leurs constructions non
classiques sont déjà attestées chez Tacite, Fronton, et surtout Aulu-Gelle ou
Apulée, dont on nous accordera qu'ils n'écrivaient pas une langue vulgaire.
Mais ces constructions, qui après leur occultation pendant la parenthèse cicé
ronienne remontent parfois à la période archaïque, se rencontrent chez nos
auteurs avec une fréquence croissante. Les écarts par rapport aux règles anté
rieures sont entrés désormais dans la norme; plus exactement, ils étendent ou
45. Cf. J.-C. FREDOUILLE «Niveau de langue et niveau de style : note sur l'alternance A.c.I.
/ quod dans Cyprien, Ad Demetrianum», Mélanges J Fontaine,
I
Paris, 1992, p. 517-523.
46.
Sur
ces notions, cf.
par
exemple A.
BERRENDONNER M.
LE GUERN G. PUECH Principes
de
grammaire polylectale
Lyon, 1983, p. 9-28 ; P. GARDE,
«Pour une méthode
bisynchronique», La règle et l· exception (Cercle linguistique d'Aix-en-Provence, Travaux 6),
Aix-en-Provence, 1988, p. 63-77 ; M.-J. REICHLER-BÉGUELIN «Faits déviants et
tri
des
observables», Le traitement des données linguistiques non standard (Actes des rencontres
Besançon-Neuchâtel, 29-30 janvier 1993), Neuchâtel, 1993, p. 89-112.
47. Late latin, Oslo, 1959, p.
1.
-
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«LATIN CHRÉTIEN»
OU
«LATIN
TARDIF»
17
élargissent la norme. Car la norme ancienne ne devient pas pour autant ca
duque. Les usages classiques ne sont pas frappés d'exclusion (volontairement
ou involontairement). Ils se maintiennent souvent, coexistent à côté d'usages
qui les concurrencent - tout
au
moins, nous le soulignons une nouvelle fois,
dans la langue littéraire (et écrite) des grands écrivains. Et ces variantes dis
ponibles, désormais offertes, leur permettaient d'insuffler un dynamisme nou
veau à une figure de style souvent mise à l'honneur dans l'esthétique des écri
vains à partir, précisément, du
ne
s.: la
uariatio sermonis
et
l inconcinnitas.
Les réflexions précédentes, certainement à la fois trop générales et
partielles, ont laissé de côté un aspect essentiel de la langue des auteurs
chrétiens: leur lexique. Car si ceux-ci ont contribué au renouvellement de la
langue latine, c'est, par excellence, dans le domaine du vocabulaire48. Cet
enrichissement a fait l'objet, depuis plus
d un
demi siècle, des travaux
de
l'École de Nimègue, dont l'apport à notre connaissance de la langue des
auteurs chrétiens a été considérable, en dépit
de
certains excès classificatoires
contestés.
Ce vocabulaire chrétien est tributaire, pour une part,
du
grec chrétien ,
mais, pour une autre part, il est original, endogène, tiré du fonds latin. D'une
manière générale, pour désigner les institutions et les réalités concrètes du
christianisme, les écrivains ont emprunté les termes grecs par transcription du
signifiant
(ecclesia, baptisma, episcopus,
etc.); pour désigner les notions
abstraites de la doctrine chrétienne, ils ont recouru à des calques morpho
logiques
(resurrectio
en face d'
civacrta.mç, reuelatio
correspondant à ciitoKa-
Àu\jflç, etc.); pour exprimer enfin les concepts scripturaires déjà transposés en
grec, ils ont utilisé des calques sémantiques
(/ides prenant le sens de mcrnç ,
sa/us
celui de crrotripia., etc.).
Le recours à ces trois types
de
procédés n'était nullement, du reste, une
innovation dans l'histoire
du
lexique latin. On les retrouve par exemple dans la
constitution
de
son vocabulaire philosophique:
philosophia
est une création
lexicale par transcription du signifiant,
spectrum
un calque morphologique
d' ::i.oroÀov
et
sapiens
a hérité du sens
de
cptÀocro j>aç .
L'influence grecque est donc bien marquée dans le domaine du donné révélé
entendu au sens large; en revanche, celui de la réflexion proprement dite et
de
la conceptualisation échappe largement à cet empire du grec. Comme avant eux
Cicéron, Lucrèce ou Sénèque dans
le
cadre de la philosophie, les Pères latins
ont utilisé et développé toutes les potentialités que leur offrait leur langue - la
langue philosophique sans doute, mais aussi la langue courante
(condicio,
persona, regula,
etc.). Ils ont ainsi créé un langage autonome, indépendant des
modes de pensée et d'expression du monde grec. On sait le rôle joué par
Tertullien dans cette entreprise
de
renouvellement, poursuivie
au
cours des
48. Cf. J.-C.
FREDOUILLE,
«Langue philosophique et théologie d'expression latine (ne_iue
siècles.)», a langue latine langue de la philosophie, Rome, 1992,
p.
187-199.
-
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18
JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
siècles
par
ses successeurs49. Un Marius Victorinus ou
un
Boèce créeront
même
une
sorte d'algèbre intellectuelle (J. Perret) dont hériteront les
scolastiques et, au-delà, Descartes et Spinoza.
Le vocabulaire contribue donc
à
donner aux textes chrétiens une
physionomie propre. Mais ce vocabulaire n'évite pas pour autant la polysémie:
de sorte que
l'on
retrouve dans ce domaine, sur
un
autre plan, une situation de
concurrence
et
de variabilité, grosse d'effets de sens
et
de style. Il con
viendrait, en effet, de distinguer à cet égard deux catégories de vocables, deux
sous-ensembles lexicaux.
D'une
part, les termes qui sont des innovations lexicales (quel que soit leur
mode de formation) forgées spécialement pour les besoins
de
la communauté
chrétienne et de la réflexion théologique: ils sont généralement monosémiques
ou tendent vers la monosémie
baptisma, resurrectio, praefiguro,
etc.).
En
revanche, les mots désignant des notions et des concepts qui préexistaient dans
la langue voient souvent leur polysémie en quelque sorte accrue. Généralement
monosémiques ou quasi monosémiques en contexte spécifiquement chrétien
(mais i l y a des exceptions notoires: sacramentum par exemple), ils conservent
le cas échéant, sous la plume des écrivains chrétiens, le
ou
les sens, anciens ou
récents,
qu'ils
ont sous la plume des écrivains païens. Leur signification
chrétienne n'évacue pas
ipso facto
la signification profane: ces termes ne sont
pas univoques.
Fides maintient toutes ses nuances antérieures ( loyauté , fidélité , bonne
foi , etc.); saeculum continue à pouvoir signifier, (une) génération , (un)
siècle ; oratio ne veut pas dire exclusivement prière ni pr edic tio
homélie ;
gloria
désigne encore la renommée ou la gloriole des hommes;
etc. Les auteurs chrétiens sont même parfois de bons témoins des fluctuations
sémantiques du vocabulaire commun. Si gratia revêt une valeur nouvelle,
théologique ( la faveur gratuite de Dieu pour l'homme et les effets de cette
faveur ), avec des spécifications dérivées de ce sens fondamental, les chrétiens
emploient également
gratia
avec ses significations traditionnelles, ou plus
récentes (comme terme d'esthétique: charme'', agrément ); et si le sens
socio-politique du mot ( influence , popularité ) se fait rare dans leurs écrits,
cette exclusion sémantique ne leur est pas propre : on constate une égale rareté
de ce sens chez les écrivains païens à la même époqueso.
A vrai dire, plus qu'une terminologie propre ( théoriquement absente des
textes païens) ou que les emplois spécifiques du lexique commun (théologiques,
institutionnels, spirituels, exégétiques), - et plus que les hellénismes syntaxi
ques ou sémitismes indirects
-,
l'élément qui, à première lecture, distingue
un texte chrétien
et
lui confère son originalité est, le plus souvent, son tissu
d'images, de métaphores et de symboles d'origine scripturaire.
49. En dernier lieu, R
BRAUN
«Tertullien et le renouvellement
du
latin» (à paraître dans les
Actes du Cinquantenaire
des Sources chrétiennes ).
50. c MOUSSY, GRAT/A
et
s
famille,
Paris, 1966, p. 376, 390, 477.
-
8/20/2019 Recherches Augustiniennes Volume XXIX - 1996
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«LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»
19
Prenons
l
début de
la
Lettre 15 que Jérôme écrivit
en
376
au Pape Damase
pour solliciter son avis sur la formulation du dogme trinitaire:
«L'Orient, dont les peuples s'entrechoquent
d une
antique fureur, déchire en
mille morceaux la tunique du Seigneur qui est d une seule pièce et tissée depuis le
haut
jusqu en
bas: des renards dévastent la
vigne
du Christ; parmi les vasques
abîmées qui sont
à
sec,
l
est malaisé de deviner
où
peuvent être la source scellée et
le jardin clos
del
Écriture. Aussi me suis-je décidé à consulter la chaire de Pierre et
la
foi qu'une bouche apostolique a louée: je sollicite à présent une nourriture pour
mon âme, à l'endroit où jadis j ai reçu les vêtements du Christ» (trad. Labourt
)51.
Analysant ce passage qui contient peu de traits linguistiques spécifiquement
chrétiens,
R.
Braun52 a bien montré comment
un
païen devait être déconcerté
à
sa lecture. Les souvenirs bibliques, les images et les expressions liées au
christianisme et
à
l'interprétation mystique de
l Ancien
Testament lui
confèrent, en effet, un caractère allogène quasi impénétrable à une mentalité
peu instruite de la culture chrétienne.
Cette phraséologie a fortement contribué à donner et entretenir le sentiment
que le latin des chrétiens constituait un domaine
à
part confondant ainsi ce
qui relève de la langue proprement dite et ce qui relève de l'expression d'une
idéologie, d'une pensée, d'une institution.
Ne rencontre-t-on pas d'ailleurs, mutatis mutandis, dans la littérature latine
païenne même, au moins un cas de confusion comparable des deux domaines ?
Nous pensons aux Métamorphoses d Apulée. L'inspiration
du
livre XI - le
livre d'Isis - rompt manifestement avec celle des livres précédents, et cette
différence se retrouve naturellement dans l'écriture, accordée
à
cette
inspiration, avec en particulier son vocabulaire propre. Mais quoi que laissent
penser parfois les études consacrées à ce roman, le livre XI ne rompt pas son
unité linguistique et même stylistique. Si les païens étaient désorientés par la
tonalité de beaucoup de textes chrétiens, l est permis de supposer qu un
Romain fermé
à
cette forme de religiosité, voire de mysticisme, qui imprègne
le livre XI, pouvait être presque aussi déconcerté par celle-ci ou, en tout cas, y
être imperméable. Pourtant habile à manier
le
symbole et l'allégorie quand l
lit Cicéron et Virgile, Macrobe se contente de rapprocher le roman d Apulée
de celui de Pétrone, pour leur commun dessein d'amuser et de distraire53. Si
donc, et
a fortiori, beaucoup de textes chrétiens possèdent une tonalité -
déconcertante ou, aussi bien, à l'inverse, séduisante - qui fait croire, à tort,
que l on a affaire à une autre langue, il est, de toute manière, injustifié de
procéder à des généralisations : pour ne rien dire de nombreuses pages
d Augustin
lui-même, on ne retrouve guère cette même étrangeté chez
51. Lettre 15, l CUF
p.
45-46) : «Quoniam uetusto Oriens inter se populorum furore
conlisus indiscissam Domini tunicam et desuper textam minutatim per frusta discerpit et Christi
uineam exterminant uulpes ut, inter lacus contritos qui aquam non habent, difficile ubi fons
signatus
et
hortus ille conclusus sit possit intellegi, ideo mihi cathedram Petri et fidem
apostolico ore laudatam censui consulendam, inde nunc meae animae postulans cibum unde
olim Christi uestimenta suscepi».
52. Approches e Tertullien, Paris, 1992, p. 253 sq.
53. Comm. Scip.
I
2, 8
(éd.
J.
WILLIS, p.
5).
-
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20
JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
Minucius Felix, Arnobe, Lactance ou Boèce ; et des poètes comme Ausone ou
Dracontius composent aussi bien des pièces païennes que des pièces
chrétiennes, sans
qu il
soit possible de les distinguer
d un point
de vue
strictement linguistique.
Nous citions, plus haut, quelques lignes de Jérôme. A titre de contre
exemple, en quelque sorte, nous voudrions proposer une comparaison entre
deux pages sur le même thème - l une de Cicéron, la seconde de Novatien54:
-Tusculanes I, 68-70 (trad. J. Humbert):
«
...
quand nous voyons
l
beauté resplendissante
du
ciel, ensuite la rapidité,
si
grande qu'elle dépasse notre entendement, de ses révolutions, puis l'alternance des
jours
et
des nuits, le partage du temps en quatre saisons, dont le changement est
combiné de façon à mener à maturité les récoltes
et
à maintenir l'équilibre de
l'organisme, le soleil régulateur
et
guide de tous ces mouvements,
la
lune dont la
lumière s'accroît et décroît comme
pour
marquer et signaler les jours du calendrier,
puis les cinq planètes qui se déplacent avec rapidité
sur
un même cercle réparti en
douze compartiments et fournissent invariablement la même carrière, bien que leurs
mouvements soient inégaux, le cadre
du
ciel des nuits paré d'astres de toutes parts;
quand nous voyons le globe de la terre dressé au-dessus de la mer, fixe au point
central du monde entier, habitable et cultivé,
..
le
ciel briller les arbres se couvrir
de
feuillage la vigne enchanteresse épandre ses pampres les branches se courber
sous le fardeau des fruits les guérets prodiguer les céréales tout fleurir les
fontaines jaillir les près se tapisser de gazon .
Quand nous voyons une multitude
d'animaux, les uns faits pour nous nourrir, les autres pour cultiver nos champs,
d'autres pour nous traîner, d'autres pour nous vêtir, et enfin l'homme lui-même
dont
la
fonction, pour ainsi dire, est
de
contempler le ciel... tandis que les terres
et
les mers sont au service
de
ses besoins; quand, dis-je, on voit de ses yeux ces
merveilles et mille autres spectacles semblables, peut-on douter de l'existence
d un
être dont la direction s'étend à touces choses et qui est...le créateur .. , tu ne vois
pas Dieu, cependant .. tu reconnais Dieu à ses oeuvres»55.
54. Les quelques coupures que nous avons opérées, à des fins pédagogiques , dans
la
traduction
de
ces deux passages, n'ôtent rien, pensons-nous, au caractère probant de la
démonstration. Nous reproduisons d'ailleurs l'intégralité des textes originaux.
55. UF p. 42-44 : «Vt
cum
uidemus speciem primum candoremque caeli,
dein
conuersionis celeritatem tantam quantam cogitare non possumus, tum uicissitudines dierum ac
noctium commutationesque temporum quadrupertitas ad maturitatem frugum
et ad
temperationem corporum aptas eorumque omnium moderatorem et ducem solem lunamque
adcretione
et
deminutione luminis quasi fastorum notantem et significantem dies, tum in eodem
orbe in duodecim partes distributo quinque stellas ferri eosdem cursus constantissime seruantis
disparibus inter se motibus nocturnamque caeli formam undique sideribus ornatam,
tum
globum terrae eminentem e mari, fixum in medio mundi uniuersi loco, duabus oris distantibus
habitabilem et cultum, quarum altera quam nos incolimus,
Sub
xe
posita ad ste/las septem unde horrifer
Aquilonis stridor gelidas molitur niues a
altera australis, ignota nobis, quam uocant Graeci
àvnxeova,
ceteras partis incultas, quod aut
frigore rigeant aut urantur calore ; hic autem, ubi habitamus, non intermittit suo tempore
Cae/um nitescere arboresfrondescere
-
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«LATIN
CHRÉTIEN» OU «LATIN TARDIF»
-
De Trinitate
1
1-5:
« ...
Dieu ... créateur pleinement parfait de toutes choses .. a suspendu le ciel dans
les hauteurs altières, a précipité et affermi la masse de la terre, a répandu les eaux et
étendu les mers, et a réalisé toutes ces choses belles et abondantes, en les munissant
d éléments propres
et
adaptés. En effet, dans le rmnament du ciel, il a fait surgir les
levers lumineux du soleil, pour secourir la nuit
l
a fait grandir le globe brillant
de la
lune
jusqu à
sa plénitude au cours
de
phases mensuelles, il a illuminé aussi les
rayons des étoiles qui brillent de leur scintillement. Et il a voulu que tous
ces
éléments parcourent la totalité du monde en suivant des orbites fixes, pour indiquer
au genre humain jours, mois, années, signes zodiacaux, saisons
et
tout ce qui lui est
utile. Sur
la
terre aussi il a soulevé dans les hauteurs les montagnes altières, creusé
au fond les vallées, nivelé uniformément les plaines ;
l
a créé les troupeaux
d animaux à l intention des hommes pour satisfaire leurs besoins variés; l a aussi
donné leur robustesse aux chênes des forêts
pour
l usage des hommes, produit des
fruits pour leur nourriture, ouvert les sources
et
empli les cours d eau. Après quoi,
craignant de ne pas pourvoir au plaisir des yeux, l a tout revêtu de fleurs aux
couleurs variées pour satisfaire le regard. Dans
la
mer aussi, quelque admirable
qu elle fût par son étendue
et
son utilité, il façonna des créatures vivantes de toute
espèce, de taille tantôt modérée, tantôt immense, témoignant par cette variété de
créatures de l intelligence de leur auteur. Mais ce n était pas suffisant pour lui.
Pour
éviter que les eaux, dans leur cours mugissant, n empiètent sur un élément qui leur
est étranger, au détriment de son possesseur humain,
l
les enferma dans les limites
des rivages; ainsi quand les flots mugissants
et l eau
écumante, jaillissant des
profondeurs, arriveraient, ils retourneraient en arrière, sans franchir les limites
permises, respectant les règles fixées, afin que l homme observât d autant plus les
lois divines, que même les éléments les respecteraient. Après quoi, il plaça aussi
l homme
à la tête du monde ..
Il
le dota de l intelligence,
de la
raison, de la
prudence ..»56
Vites /aetificae pampinis pubescere
Rami bacarum ubertate
incuruescere
Segetes largirifruges fiorere omnia
Fontes
scatere herbis
prata
conuestirierb
21
tum multitudinem pecudum partim ad uescendum, partim ad cultus agrorum, partim ad
uehendum, partim ad corpora uestienda, hominemque ipsum quasi contemplatorem caeli ac
deorum cultorem atque hominis utilitati agros omnis et maria parentia - haec igitur et alia
innumerabilia cum cernimus, possumusne dubitare, quin iis praesit aliquis uel effector, si haec
nata sunt, ut Platoni uidetur, uel,
si
semper fuerunt, ut Aristoteli placet, moderator tanti operis
et
muneris Sic mentem hominis, quamuis
eam
non uideas, ut deum non uides, tamen, ut
deum adgnoscis ex operibus eius, sic ex memoria rerum et inuentione et celeritate motus
omnique pulchritudine uirtutis uim diuinam mentis adgnoscito».
a. Accius, Philoctète ( W trag. 571). b. Ennius, Euménides ( W trag. 157).
56. Éd. V. LOI (1975), p. 52-54 : « Regula exigit ueritatis, ut primo omnium credamus in
Deum pattern et dominum omnipotentem,
id
est rerum omnium perfectissirnum conditorem : qui
caelum alta sublimitate suspenderit, terram deiecta mole solidauerit, maria soluto liquore
diffuderit, et haec omnia propriis et condignis instrumentis et ornata e t plena digesserit. Nam et
in solidamento caeli luciferos solis ortus excitauit, lunae candentem globum ad solacium noctis
mensurnis incrementis orbis impleuit, astrorum etiam radios uariis fulgoribus micantis lucis
accendit. Et haec omnia legitimis meatibus circumire totum mundi ambitum uoluit, humano
-
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22 JEAN-CLAUDE FREDOUILLE
Deux hymnes à la création donc, montrant, avec un égal enthousiasme, que
la beauté du monde révèle l'existence de Dieu. Certes, la doctrine de la
création est différente ici et là, même si l'influence stoïcienne cette page de
Novatien est manifeste; la composition de celle-ci, dans la mesure où elle suit
le récit de la Genèse est également plus systématique; sans doute, enfin, le
texte de Novatien contient-il quelques "christianismes": par exemple, le
syntagme credere n Deum , le verbe instituere , pour désigner l'acte créateur
divin (encore que l'abondance de verbes expressifs pour suggérer les divers
aspects de cette activité créatrice en atténue
la
spécificité). En revanche,
certains tours syntaxiques s'expliquent par l'usage de la langue du
mes.
et sont,
du reste, antérieurement attestés (ainsi l'emploi du participe futur accordé à
valeur finale).
En fait, du point
de
vue linguistique, la seule différence importante entre ces
deux pages (que séparent trois siècles), dans la formulation des idées et la
description de la beauté du monde, réside dans
la
construction de la phrase :
dans le premier cas, plus périodique, bâtie sur la corrélation cum ..tum dans
le second cas, oratoire également, mais
d une
éloquence plus linéaire,
accordant la préférence à la coordination ou à la juxtaposition. Mais l n est
guère douteux qu'un lecteur païen
de
Cicéron
n ait
été en mesure, cette fois, de
comprendre et d'apprécier, sans difficulté aucune, cette page de Novatien:
l
n'aurait pas eu l'impression d'être projeté dans un autre univers intellectuel
et
linguistique. Lorsque le tissu scripturaire d un texte chrétien est absent ou
discret, son étrangeté s'estompe ou même disparaît. Les faits de langue ne sont
plus que ceux de son époque.
Que conclure ou, plutôt, que retenir de ces réflexions? Par leur précision,
les périodisations courtes, qui s'appuient, en réalité, sur la chronologie de
l'histoire politique et institutionnellle, sont le plus souvent arbitraires
et
illusoires. Autant adopter, dans ces conditions, un découpage par siècles
L idéal,
sans doute inaccessible à vue humaine, consisterait à étudier
l'évolution de domaines particuliers. En attendant, et sans méconnaître ni la
generi dies, menses, annos, signa, tempora utilitatesque factura. In terris quoque altissimos
montes n uerticem sustulit, ualles in ima deiecit, campos aequaliter strauit, animalium greges ad
uarias hominum seruitutes utiliter instituit, siluarum quoque robora humanis usibus profutura
solidauit, fruges in cibum elicuit, fontium ora reserauit et lapsuris fluminibus infudit. Post
quae, ne non etiam ipsis quoque deliciis procurasset oculorum, uariis florum coloribus ad
uoluptatem spectantium cuncta uestiuit. n ipso quoque mari, quamuis esset et magnitudine et
utilitate mirabile, multimoda animalia nunc mediocris, nunc uasti corporis finxit, ingenium
artificis de institutionis uarietate testantia. Quibus non contentus, ne forte fremitus et cursus
aquarum
cum
dispendio possessoris humani alienum occuparet elementum, fines litoribus
inclusit; quo cum fremens fluctus et ex alto sinu spumans unda uenisset, rursum in se rediret
nec terminos concessos excederet seruans iura praescripta, ut diuinas leges tanto magis homo
custodiret, quanto illas etiam elementa seruassent. Post quae hominem quoque mundo
praeposuit, et quidem ad imaginem Dei factum : cui mentem et rationem indidit et prudentiam,
ut Deum posset imitari. Cuius etsi corporis terrena primordia, caelestis tamen et diuini halitus
inspirata substantia.»
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«LATIN CHRÉTIEN» OU «LATIN
TARDIF»
23
relative stabilité du système latin ni son inévitable évolution, on placera un
seuil approximatif au ne s de notre ère. L'une des caractéristiques de la langue
à partir de cette époque et, à notre sens, la principale - est, en effet, l'abon
dance des potentialités syntaxiques et lexicales, des variantes concurrentes,
qu elle
offre désormais aux écrivains
et
que ceux-ci utilisent avec une
fréquence croissante, dans le respect
d une
norme élargie: cette situation
linguistique leur permet des jeux de variation certainement plus nombreux
et
plus souples que
par
le passé,
et
suscite chez chaque auteur les effets
stylistiques les plus divers, des plus traditionnels et des plus classiques aux plus
baroques et aux plus maniérés. Faits
d ordre
linguistique, stylistique
et
esthétique,
s interpénètrent:
encore
faut-il
ne pas négliger cette
interpénétration, en dépit des difficultés que présente son analyse.
Les traductions de
l
Bible
Vieilles latines, Vulgate,
versions personnelles)
constituant une catégorie à part, nos textes chrétiens sont, pour la majorité
d'entre eux, des textes littéraires, offrant d'ailleurs comme tels assez peu de
matière à l'étude des évolutions phonétiques et même morphologiques (la
littérature écrite étant, en ces domaines, presque naturellement conservatrice).
Les faits linguistiques doivent y être appréciés en fonction de ce caractère,
c'est-à-dire en tenant compte de l'intentionnalité de l'auteur, du genre
littéraire, des choix stylistiques et de leur contextualisation. Si les allusions ou
les références, explicites ou implicites, à l'Écriture leur confèrent souvent une
originalité propre, celle-ci n'autorise à parler d un
"latin chrétien" ou
d un
"latin des chrétiens" que dans cette acception stricte et limitée.
Quant au
sermo humilis
ou
simplex,
souvent revendiqué par les écrivains
chrétiens comme un idéal accordé à l'expression de la Vérité, et qu'ils ont tout
aussi souvent transgressé - délibérément même à partir de Lactance
- ,
l ne
saurait être confondu avec le sermo uulgaris. Nos grands écrivains apparte
naient, pour la plupart d'entre eux,
à
une élite intellectuelle, une élite très
minoritaire. Mais ils savaient, d'instinct ou pour
l avoir
appris auprès des
rhéteurs, que
s il
est nécessaire d'adapter son discours aux diverses catégories
de lecteurs ou d'auditeurs, cette adaptation, quand on s'adresse au plus grand
nombre, n'implique pas de le truffer de vulgarismes et d'incorrections; ils
n'ignoraient pas que commettre intentionnellement une faute de grammaire,
c'est, souvent, commettre une erreur
de
psychologie
Jean-Claude FRE OUILLE
Université Paris IV-Sorbonne
Institut d'Études Augustiniennes
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Latfn bfblico
y
latin cristiano :
coincidencias y discrepancias
I
-
lNTRODUCCIÔN
El
tema general que voy a tratar aqufl tiene por objeto estudiar las relaciones
entre el
latin biblico
y
el latin cristiano.
Se trata de saber si existe un latin
bfblico como fen6meno lingüfstico especial
en
el marco del latfn tardio. Si
existe, cual es su naturaleza y su influencia en
el
latfn cristiano, y cuales son, en
definitiva, sus rasgos esenciales.
El tema, evidentemente, implica aspectos discutibles. La Hamada escuela de
Nimega ,
por
ejemplo, no distingue entre
latin bfblico y latin cristiano. Y
ademas, ni siquiera se plantea el problema de su posible diferencia. Para esta
escuela,
el
latfn de las versiones bfblicas
es
un
ingrediente mas del latin
cristiano. Esta misma posici6n defienden otros investigadores de otras escuelas.
Corno intentaré demostrar, esta postura va contra
l
antigua tradici6n cristiana
sobre el latin bfblico, representada sobre todo por San Agustin y San Jer6nimo,
y va en contra de los datos concretos. De hecho, el latfn bfblico constituye una
entidad lingüfstica propia, que puede
y
debe estudiarse como algo propio
y
distinto del latfn cristiano. Y sus diferencias respecto al latin cristiano van desde
el dominio sintactico hasta el dominio léxico
y
semantico, sin olvidar el dominio
estilistico, tan novedoso para la mentalidad latina,
y
que refleja la mentalidad
semftica de los autores de la Biblia.
1
Texto, refundido y retocado, de una conferencia pronunciada en la Universidad de la
Sorbona (Paris) el 25-11-1993, encuadrada en el
Séminaire d histoire du Christianisme et
civilisation
e
l antiquité tardive.
Aprovecho la ocasi6n para dar las gracias una vez mas al
Cat. Prof. Jean-Claude Fredouille y a la Cat. Prof. Michèle Fruyt, que me concedieron
el
honor de hablar en la Sorbona.
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26
OLEGARIO GARCIA
DE
LA FUENTE
II
CONCEPTO
Y DEFINICIÔN DEL LA
TÎN
CRISTIANO
No voy a ocuparrne aqui del viejo problema, ya superado, del latin cristiano
como
lengua especial.
Es ésta una cuesti6n estéril, porque para decidir algo en
favor o
en
contra, habrfa que ponerse de acuerdo en los elementos que
constituyen una
lengua especial y
nadie lo ha hecho hasta ahora. Y o parto
6nicamente del hecho de que el latin cristiano se consideraba como algo especial
en el latin de la época. Era una variedad o modalidad del latin hablado y escrito,
que no debfan comprender, o por lo menos no debfan comprender fâcilmente los
contemporâneos paganos sin alguna explicaci6n previa.
Para conforrnar esta tesis - que para mi es un hecho cierto - voy a citar
in
extenso
el texto de una carta de San Jer6nimo
al
Papa Damaso, citado por R.
Braun en un trabajo reciente sobre
L influence de la Bible sur la langue latine2.
Es un texto que considero muy apropiado para mostrar al mas escéptico la
singularidad de la lengua latina llamada cristiana. El texto
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L TÎN BÎBLICO Y L TÎN CRISTJANO
9
No
se insistirâ lo bastante sobre la importancia del
latin biblico
para explicar
el
latin cristiano.
Esta importancia va hasta el
punto
de que el latin cristiano no
tiene novedades con respecto al latfn profana de
la
época si se quitan las
novedades aportadas por el latin biblico. Estas
son
realmente las que constituyen
la verdadera novedad del latin cristiano. Pero no
son
novedades del latin
cristiano en cuanto tal sino del latin biblico como lengua especial de traducci6n
de unos textos semiticos y griegos éstos ultimos traducidos por autores
semiticos.
IV
ELLATÏNBÎBLICO
Esto que acabo de decir y que podrfa parecer
una
gran novedad es la
ensefianza tradicional de los grandes escritores cristianos de la antigüedad
Jer6nimo y Agustin que le
han
dado las denominaciones de
consuetudo
scripturarum mos scripturarum idioma scripturarum
con las que se referian a
la lengua de
la
Biblia latina como lengua distinta del latin clasico por una parte
y de
la
lengua hablada pagana o cristiana por otra. Corno lo subrayan bien los
dos grandes escritores mencionados las innovaciones que supone la lengua de la
Biblia no se cifien al dominio léxico o semântico sino que se extienden también
al dominio sintactico y estilistico como vamos a ver.
4.1.- Novedades del latin biblico
Las novedades que voy a sefialar se refieren evidentemente al
latin biblico
en
relaci6n con el
latin cristiano y
no directamente al latîn biblico en relaci6n al
latin clasico o profano en general aunque es claro que todos los datos siguientes
suponen también novedades con respecto al latin profano sea clasico o tardfo.
4 .1.1.
-
Campo sintactico
Aunque algunas o varias de las caracterfsticas que voy a mencionar aquf
pueden no ser especfficas del latin biblico y algunas incluso hayan podido ser
preparadas
por
ciertos usos del latin arcaico o del latin popular o hayan podido
ser innovaciones aisladas del latin clasico algunas de las cuales han podido
pasar esporadicamente al latin cristiano
en
sentido estricto tomadas todas ellas
en conjunto favorecidas sin duda por el influjo semîtico a través del griego dan
al latin biblico un colorido especial extraordinariamente original y llamativo.
4.1.1.1.- Jnfluencia semitica
Sin pretender ser exhaustivo voy a dar ciertas caracteristicas del latin bîblico
derivadas de las lenguas semfticas originales de
la
Biblia el hebreo y el
-
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30
OLEGARIO GARCIA
DE LA
FUENTE
arameo9. Estas caracteristicas se encuentran en
el
latin cristiano tinicamente bajo
la fonna de citas biblicas, o en contextos muy concretos.
1
El genitivo superlativo del tipo vanitas vanitatum vanidad suprema . El
latin cristiano lo toma
de
la BiblialO.
2)
El genitivo de cualidad en sustituci6n de un adjetivo, como odor suavitatis
olor
suave ll o virga virtutis tuae
tu
cetro poderoso , y no el cetro
de
tu
poder 12 o el genitivo inverso como abundantia gaudii gozo abundante 13 o la
metafora genealôgica como filius iniquitatis hombre malvado 14. El latin
cristiano toma estos giros del latin bfblico.
3)
n
con ablativo con valor instrumental15, como
percutere in virga
golpear
con la vara ; in nomine Domini con
el
poder del Senor . Aqui hay un doble
hebrafsmo,
el
in con
el
ablativo instrumental, y el sentido especial de nomen que
designa la esencia de la persona, y, por derivaci6n, poder . La frase
ha
pasado
a todas las lenguas romanicas y gennanicas a través de la Biblia y la liturgia. El
latin cristiano toma este uso de la Biblia.
4)
In con acusativo con valor predicativo, como accipere in uxorem tomar
por mujer, casarse 16.
5)
Varios empleos especiales de super a) en lugar de de murmurare super
me
munnurar de
mi ; admirari super rem
admirarse de una cosa ; b) en
lugar de un comparativo: melior super me mejor que yo 17. El latin cristiano
toma este giro ultimo de la Biblia.
6) A con ablativo con valor comparativo, como minus ab angelis menos que
los angeles I8. El latin cristiano toma este uso del latin bfblico.
7)
Afirmaci6n introducida
por
un juramento, como vivit Deus quia
-
expresi6n que se conserva literalmente en espafiol - vive Dios que' 19.
8) Ut con valor causal después de una interrogaci6n, como quis sum ego ut
vadam ad Pharaonem ?
l
quién soy yo para ir al Fara6n ?' 20.
9. Remito de una manera general a O.
GARCfA
DE LA
FUENTE,
Latfn bfblico y lattn
cristiano
(2a
ed. corregida y aumentada de la obra : lntroducci6n al lat[n bfblico y cristiano
Ediciones Clâsicas, Madrid, 1990), Madrid, Ediciones CEES, 1994, 588 p. ; el tema se trata
en las p. 170-268.
10. lbid. p. 188 con ejemplos.
11. lbid. p.177 con ejemplos.
12. lbid. p. 178 con ejemplos.
13. lbid. p. 178-179 con ejemplos.
14. lbid. p. 179-180 con