Numéro 78 | mars 2016
Rapport sur le Conseil de paix et de sécurité
“ “ “Mogadiscio attire un trafic maritime de plus en plus important
Il existe une tendance à l’Addisisation au sein du CPS
L’UA ne peut pas être le gendarme
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Dans ce numéro
■ À l’ordre du jour Les réunions ouvertes du Conseil de paix et de
sécurité (CPS) pour le mois de février ont porté sur les
migrations, les ressources naturelles et le contrôle
des armements. Ces réunions ouvertes sont-elles
vraiment efficaces ?
■ Analyse de situation La Somalie connaît des changements prometteurs et
des milliers de visiteurs affluent dans le pays à bord de
vols commerciaux. Pourtant, les attaques terroristes
d’Al Shebab sont de plus en plus violentes.
■ Vues d’Addis La volte-face des chefs d’État des pays membres
du CPS concernant le déploiement d’une force
militaire au Burundi a déclenché un nouveau débat
sur le processus décisionnel au sein du CPS.
Quels enseignements peut-on tirer de cette saga
burundaise ?
■ Entretien avec le CPS
Le Rapport sur le CPS s’entretient avec le médiateur
et ancien représentant de l’ONU pour le Burundi,
Ahmedou Ould-Abdallah, du rôle de l’UA dans la
résolution de conflits.
2 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité • WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt
RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité
Président actuel du CPS
S.E.M. Mass Axi Gye
Ambassadeur de la Gambie en
Éthiopie et auprès de l’UA
Les membres actuels du CPS sont :
l’Afrique du Sud, l’Algérie, le Burundi,
l’Éthiopie, la Guinée équatoriale,
la Gambie, la Guinée, la Libye,
le Mozambique, la Namibie, le Niger,
le Nigeria, l’Ouganda, la Tanzanie et
le Tchad
À l’ordre du jourDiscussion sur les liens entre conflits et ressources naturelles
En février 2016, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) a tenu des réunions
ouvertes sur les migrations, les ressources naturelles et le contrôle des
armements. Ce type de réunions se trouve de temps à autre à l’ordre du
jour du Cps. Cependant, quels sont les impacts de ces séances ouvertes
sur les activités du Conseil ?
Une réunion ouverte est un événement assez rare lors duquel des acteurs extérieurs
peuvent interagir avec le CPS et contribuer à ses travaux dans des domaines
habituellement réservés aux États membres. Les récentes réunions qui ont porté sur
les migrations et les ressources naturelles illustrent l’interaction existant entre le CPS
et les organisations de la société civile ainsi que leurs partenaires internationaux.
Pourtant, force est de constater que ces séances ne laissent que peu de place à un
véritable dialogue.
La gestion transparente des ressources naturelles, un outil essentiel pour la prévention des conflitsLe 11 février 2016, le CPS a tenu une réunion sur le thème « Les ressources naturelles
et les conflits en Afrique ». Désiré Assogbavi, chef du bureau de liaison d’Oxfam
auprès de l’Union africaine (UA), a présenté un exposé soulignant le contraste
entre la richesse d’un continent doté de ressources naturelles telles que des terres
arables et des minéraux, et la pauvreté et les conflits qui le caractérisent. Si le lien
entre les ressources naturelles et les conflits n’a pas encore été pleinement accepté,
l’exposé en question a identifié de nombreux facteurs de conflits liés aux ressources
naturelles. Ces facteurs incluent la compétition pour le contrôle des ressources
naturelles, la corruption et la mauvaise gestion des revenus pétroliers et miniers et
le manque réel ou perçu d’avantages pour les communautés impliquées. Assogbavi
a lancé un appel pour la mise en place d’une réponse continentale sous la forme
d’une charte minière africaine. Il a insisté sur le fait que ce document devrait avoir
une portée contraignante et prévoir un cadre global pour la gestion des ressources
naturelles de l’Afrique.
Dans sa déclaration de presse publiée après la réunion, le CPS a relevé que « la
gestion équitable et démocratique des ressources naturelles est essentielle à la
prévention des conflits et à la promotion du développement durable en Afrique ».
Il a également demandé à la Commission de l’UA « d’intégrer la dimension de la
paix et de la sécurité des ressources naturelles dans ses politiques et programmes
existants pour la prévention des conflits, l’alerte rapide, ainsi que la gestion des
Assogbavi a lancé un appel pour la mise en place d’une réponse continentale sous la forme d’une charte minière africaine
3Numéro 78 • mars 2016
L’AfRIQUE EST DOTÉE DE
RESSOURCES NATURELLES
TELLES QUE DES TERRES
ARABLES ET DES MINÉRAUx
conflits et le maintien de la paix ». En ce qui concerne la suggestion de mettre en
place un cadre continental pour la gestion des ressources naturelles, le CPS n’a pas
retenu l’idée d’un instrument contraignant. Il a plutôt insisté sur le rôle des États dans
l’élaboration d’un « cadre juridique et réglementaire nécessaire, tel que demandé
par la VRMA [Vision du régime minier africain], en vue de promouvoir des politiques
des ressources naturelles qui contribuent à renforcer la cohésion nationale à travers
l’exploitation et la répartition justes et inclusives des ressources naturelles ». Le
Conseil a exhorté les partenaires internationaux et la Commission de l’UA à soutenir
les États membres dans cette démarche.
Le CPS favorable à une approche globale pour réduire la migration forcéeLors de la réunion ouverte dédiée à la thématique « La migration, la paix et la
sécurité en Afrique », laquelle s’est tenue le 16 février, Maureen Achieng, chef de
mission de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et Gary Quince,
chef de la délégation de l’Union européenne (UE) auprès de l’UA, ont chacun
présenté un exposé sur la crise actuelle des migrants. Achieng a demandé au CPS
d’évaluer non seulement l’impact de la paix et de la sécurité sur les migrations, mais
aussi l’impact des mouvements forcés de populations sur la paix et de la sécurité.
Elle a identifié plusieurs défis, notamment l’élaboration d’une réponse efficace
aux mouvements actuels de migration forcée, la conciliation entre une régulation
efficace de la circulation des personnes et la libre circulation des personnes et des
biens, la recherche de cohésion dans les politiques nationales et la coopération
aux niveaux national, régional et mondial ainsi que la recherche de solutions
pour lutter contre le manque d’opportunités dans les pays sources et la difficile
intégration des migrants dans les pays d’accueil. Mme Achieng a proposé dans
sa présentation une solution clé, soit « la mise en place de politiques cohérentes
et interdépendantes qui tiennent pleinement compte des stratégies tant des pays
d’accueil que des pays sources ».
La pauvreté, les conflits et le manque d’opportunités jouent un rôle important dans la décision des individus et des groupes de migrer
Le CPS a souligné que « la pauvreté, les conflits et le manque d’opportunités
jouent un rôle important dans la décision des individus et de groupes de migrer ».
Il a également souligné le fait que les conflits sont l’une des principales causes de
la migration forcée et irrégulière, qui est elle-même une source de revenus pour
les passeurs, alors que les migrants sont des victimes potentielles des groupes
terroristes. Le Conseil a reconnu que les tendances actuelles concernant la migration
forcée pourraient contribuer à l’insécurité et à l’instabilité. Il a ainsi souligné que l’une
des priorités de l’Agenda 2063 est la création de « sociétés pacifiques inclusives [qui
représentent] le principal remède à l’immigration forcée et illégale ».
Cette réunion a permis de présenter les différents points de vue sur cette question-
clé du CPS et de certains partenaires de l’UA. Alors que la présentation de la
délégation de l’UE a porté sur les réponses immédiates à apporter face aux flux
migratoires actuels, elle a également reconnu que « [l]a crise des réfugiés ne se
terminera pas tant que ses causes profondes – l’instabilité, la guerre et le terrorisme,
y compris dans le voisinage immédiat de l’Europe – ne seront traitées de manière
4 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité • WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt
RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité
durable grâce à des efforts internationaux coordonnés et
à une action en partenariat ». Certains États membres de
l’UA tels que l’Algérie et le Tchad ont critiqué à demi-mot la
politique migratoire de l’UE qui, ont-ils estimé, repose trop sur
des réponses sécuritaires. Tout en reconnaissant l’impact de
la « migration forcée » sur la paix et la sécurité, de nombreux
États membres ont plaidé en faveur de réponses à ses causes
profondes telles que la pauvreté, le manque d’opportunités et
les problèmes de gouvernance.
Une opération de relations publiques sans grands résultats politiquesCompte tenu de ce qui précède, il est clair que le format
actuel des réunions ouvertes du CPS ne permet ni de
véritables échanges ni de débats entre les participants. Ces
séances commencent généralement par une introduction du
président en exercice du CPS et par une brève déclaration
du commissaire à la paix et à la sécurité ou du directeur
du département Paix et sécurité (DPS). S’ensuit l’allocution
principale donnée par un acteur externe. Du temps est
alors alloué aux membres du CPS et aux autres États
membres de l’UA pour réagir sur le sujet traité et ce n’est
qu’ensuite que les partenaires internationaux ont l’occasion
de partager leur opinion. Après ces interventions, les États
membres du CPS se réunissent à huis clos pour discuter
du contenu d’une déclaration de presse. Cette configuration
fait en sorte qu’il n’y a que peu d’échanges et de débats
réels entre le CPS et les autres acteurs. La plupart des
participants préfèrent présenter la position de leur institution
respective sur le thème traité plutôt que réagir aux propos de
l’orateur principal.
Cependant, contrairement à un communiqué de presse, ces
déclarations ne sont pas contraignantes pour le CPS, les
États membres ou la Commission de l’UA. Cette différence
cruciale peut expliquer pourquoi l’impact des acteurs
externes reste marginal.
L’opinion des acteurs extérieurs n’est entendue que sur des questions thématiquesSi les réunions ouvertes constituent une opportunité
d’interaction entre certains acteurs extérieurs pertinents et les
États membres, ces derniers restent les principaux décideurs.
Le fait que les séances ouvertes abordent des questions
thématiques pouvant sembler moins pertinentes que les
questions discutées quotidiennement par le CPS constitue
une autre limite à leur impact. Rares en effet sont les réunions
ouvertes traitant des dynamiques des crises en cours, comme
la Somalie ou le Burundi actuellement.
Dans cette perspective, une partie du défi pour le CPS réside
dans sa capacité à rendre ses débats plus accessibles au
public. Bien que le cœur du problème réside dans le fait que la
plupart des États africains sont centrés sur eux-mêmes et sont
souvent peu disposés à entendre les perspectives d’acteurs
extérieurs, une plus grande ouverture des réunions du CPS
pourrait constituer une première étape.
Selon un participant régulier à ces réunions ouvertes, « une
plus grande collaboration entre le CPS et les participants [aux
sessions ouvertes] aiderait le public en Afrique et au-delà à
mieux comprendre la valeur de cette institution. Une meilleure
compréhension du CPS et de ses faiblesses renforcerait le
soutien, tant dans les pays en question qu’en dehors, dont
bénéficient les opérations africaines de soutien à la paix et les
efforts plus larges en faveur de la sécurité collective ».
Dans cette perspective, certaines options pourraient être
envisagées pour améliorer l’impact des réunions ouvertes :
• Rendre l’allocution principale disponible avant la session
afin d’allouer plus de temps aux échanges entre les
participants;
• Convoquer des réunions ouvertes mensuelles sur les crises
et les conflits en cours lors desquelles le CPS effectuerait
une présentation des situations et de ses réponses;
• Permettre aux participants d’interroger les responsables de
l’UA sur les thématiques discutées;
• Inclure une disposition contraignante dans les déclarations
de presse requérant la Commission de l’UA d’effectuer
un suivi auprès du CPS et de ses partenaires sur une
base semestrielle.
Cette configuration fait en sorte qu’il n’y a que peu d’échanges et de débats réels entre le CPS et les autres acteurs
En conséquence, les réunions ouvertes pourraient être
vues comme des opérations de relations publiques lors
desquelles le CPS reconnaît la contribution des acteurs
extérieurs, alors que les ambassades peuvent démontrer
leur implication au sein de l’UA à leur capitale respective et
que les organisations de la société civile ont la possibilité
d’influencer le CPS.
L’impact politique de ces réunions est difficile à évaluer.
Contrairement aux réunions « normales » du CPS, les
réunions ouvertes donnent lieu à une déclaration de presse
reflétant les délibérations, et non à un communiqué de
presse. Cette manière de rapporter les débats peut fournir
des lignes directrices quant aux actions futures de l’UA.
5Numéro 78 • mars 2016
analyse de situationCombler les lacunes réglementaires en Somalie dans la lutte contre Al-Shebab
après 25 ans de conflits claniques, la somalie entrevoit enfin des
changements positifs. le pays était devenu un état failli après la chute, en
1991, du régime dictatorial de l’ancien président siad Barré. dans les années
qui ont suivi ce renversement, la dynamique du conflit avait changé de
manière importante. les insurrections motivées par des griefs avaient alors
cédé le pas à une économie de guerre et à une généralisation des pillages. la
violence s’était ensuite intensifiée avec l’émergence de groupes extrémistes
tels que l’union des tribunaux islamiques, groupe dont est issue al-shebab.
L’Institut d’études de sécurité (ISS) a effectué des visites de terrain dans la capitale
somalienne Mogadiscio début 2014 et fin 2015. Lors de sa seconde visite, l’ISS
a observé des différences notables laissant entrevoir un développement social et
économique dans le pays.
De nouveaux magasins avaient ouvert et des bâtiments avaient été construits et
rénovés. Les gens se déplaçaient librement, les voitures étaient à nouveau présentes
en grand nombre dans les rues et sur la plage se prélassaient de nombreuses
personnes. On pouvait voir des hommes en uniforme patrouillant les rues,
mitrailleuses au poing et avec des véhicules blindés.
1500LE NOMBRE DE VOyAGEURS ENTRANT
EN SOMALIE ChAQUE jOUR
Des sources locales ont affirmé à l’ISS que la vie nocturne et le climat social général se sont grandement améliorés
Des sources locales ont affirmé à l’ISS que la vie nocturne et le climat social général
se sont grandement améliorés. Une certaine effervescence régnait à l’aéroport
international Aden Adde de Mogadiscio avec le départ et l’arrivée de plusieurs
vols commerciaux intérieurs et internationaux. Selon une source, environ 1 500
voyageurs par jour transitent en moyenne par l’aéroport, la plupart appartenant à la
diaspora somalienne.
La chaîne Télévision centrale de Chine (CCTV) a rapporté que le port de Mogadiscio
« attire un trafic maritime de plus en plus important ainsi qu’un nombre croissant
d’investisseurs étrangers », tandis que la chaîne kenyane de nouvelles KTN a
récemment décrit Mogadiscio comme étant « la toute nouvelle destination d’affaires
en Afrique de l’Est ».
Ces changements sont visibles non seulement à Mogadiscio, mais aussi dans
d’autres zones du pays, y compris à Kismayo, à Beletweyne et à Baidoa.
La situation sécuritaire s’est également améliorée dans le pays. L’envoyé des
Nations Unies, Nicholas Kay, a affirmé tout récemment que la Somalie était en
6 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité • WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt
RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité
convalescence : « La Somalie est enfin confrontée aux problèmes d’un pays en
devenir plutôt qu’aux problèmes d’un pays en déliquescence », s’est-il réjoui.
Le Premier ministre somalien, Omar Abdirashid Ali Sharmarke, a déclaré à la chaîne
CCTV Afrique qu’« après s’être sentis pendant 25 ans dans l’impossibilité de revenir
[en Somalie], les améliorations qu’a connues le pays ont redonné de l’espoir [aux
membres de la diaspora] et ils veulent revenir pour aider à refaire de la Somalie une
nation prospère ».
1,3milliard USD
MONTANT DES TRANSfERTS
D’ARGENT ENVOyÉS ChAQUE ANNÉE
EN SOMALIE PAR LA DIASPORA
Les améliorations qu’a connues le pays ont redonné de l’espoir aux membres de la diaspora
Cependant, les facteurs à l’origine de ces améliorations restent flous. Certains
analystes évoquent l’évolution du conflit entre sunnites et chiites dans le Golfe
persique, arguant que, selon divers rapports, la Somalie recevrait une aide financière
pour se joindre à la coalition militaire menée par l’Arabie Saoudite contre le groupe
chiite houthi au yémen.
La Somalie serait l’un des trois États d’Afrique de l’Est (avec le Soudan et l’Érythrée)
à s’être joints à cette coalition pour combattre au yémen. Le Soudan et l’Érythrée
auraient reçu plusieurs milliards de dollars pour faire partie de la coalition anti-
houthi et la Somalie pourrait avoir bénéficié d’une aide financière similaire
notamment pour permettre à la coalition d’utiliser son espace aérien, son territoire
et ses eaux territoriales. Par ailleurs, le gouvernement fédéral somalien (GfS) a
récemment décidé de rompre ses liens diplomatiques avec l’Iran, qui soutiendrait
les houthi.
D’autres analystes font un lien entre les améliorations observées dans le pays,
le système fédéral de gouvernement et les élections devant avoir lieu en 2016.
historiquement un État fédéral, la Somalie a renoué avec le fédéralisme en
approuvant la Constitution provisoire de 2012. Conformément au document Vision
2016, l’objectif est de fédéraliser entièrement le pays d’ici la fin du mandat du
gouvernement actuel.
Peu importe que l’amélioration de la situation soit causée par les facteurs
susmentionnés ou par d’autres éléments : les effets semblent encourageants.
Cependant, une certaine incertitude entoure la régulation de ces améliorations.
La Somalie ne dispose pas encore d’institutions publiques efficaces pour orienter
et réglementer les activités dans le pays. Dans un récent ouvrage intitulé The Real
Politics of the Horn of Africa, l’auteur Alex de Waal indique qu’« à aucun moment
de son histoire, depuis 1991, la vie politique somalienne n’a été gouvernée par
des institutions formelles; elle a toutefois été réglementée par des éléments de
consensus social ».
Selon de Waal, l’économie en Somalie est en grande partie basée sur les salaires
perçus à l’étranger (les transferts d’argent), le commerce et les services (en particulier
le secteur des télécommunications), trois éléments qui ne sont pas réglementés par
le GfS. Un rapport datant de 2013 analyse les effets de l’absence d’une banque
centrale efficace au pays depuis la chute du régime de Barré. Cette institution a
depuis été rétablie, mais elle ne fonctionne toujours pas de manière efficace. Les
institutions financières privées, lesquelles ne sont pas contrôlées par le GfS, sont
donc les principaux acteurs de l’économie. Beaucoup de ces institutions financières
opèrent selon un schéma calqué sur le système clanique qui prévaut en Somalie.
7Numéro 78 • mars 2016
Ce rapport de 2013, rédigé par Victor Owuor, a identifié les moyens utilisés par
les investisseurs pour importer des ressources – y compris l’argent – en Somalie.
La principale méthode utilisée est celle d’un système de transfert informel de
fonds appelé « hawala », qui fonctionne grâce à des institutions ou à des banques
spécialisées dans les transferts de fonds telles que Dababshiil, Amal Express,
Mustaqbal et Kaah Express.
Une fiche d’information officielle portant sur les transferts de fonds envoyés en
Somalie depuis le Royaume-Uni et publiée en mars 2015 estimait qu’au minimum 1,3
milliard USD est transféré chaque année par les membres de la diaspora somalienne.
Cette somme représente environ la moitié du revenu national brut de la Somalie et
80% des investissements au pays.
Ces transferts ne sont pas répertoriés et les transactions sont basées sur la
confiance. Un client dépose de l’argent dans une institution financière à l’étranger et
son destinataire reçoit l’argent d’un marchand en réseau en Somalie. Selon Owuor, le
système de hawala est « rentable, efficace, sans bureaucratie et fiable et pourtant il
ne laisse aucune trace papier ».
La Somalie ne dispose pas actuellement d’institutions ou de systèmes pour
permettre des protocoles financiers classiques, dans lesquels l’argent est accessible
via des banques ou des institutions financières établies, lesquelles sont à leur tour
contrôlées par une banque centrale par le biais de mécanismes établis. L’argent
circule principalement grâce aux systèmes de téléphonie mobile.
Une estimation fiable indique qu’au moins 70% des Somaliens ont accès à des
services de téléphonie mobile pouvant être utilisés pour les transferts d’argent. La
téléphonie mobile offre non seulement un moyen bon marché de communication,
mais elle sert aussi de bouée de sauvetage financière aux habitants. Selon le rapport
rédigé par Owuor, les individus peuvent transférer jusqu’à 1220 USD par transaction
à un autre utilisateur mobile, et ce même si le destinataire n’utilise pas le même
opérateur de téléphonie mobile.
70%LE POURCENTAGE DE SOMALIENS
AyANT UN TÉLÉPhONE PORTABLE
L’économie en Somalie est en grande partie basée sur les salaires percus à l’étranger, le commerce et les services
Considérant le manque de régulation des transactions et des flux financiers en
Somalie, il est facile de voir comment les extrémistes et d’autres criminels peuvent
exploiter ces lacunes. Les finances des groupes tels qu’Al-Shebab reposent sur
l’utilisation de systèmes de transfert d’argent non réglementés pour recevoir et
transférer leurs fonds. Certains affirment qu’Al-Shebab bénéficie d’un soutien
important parmi les membres de la diaspora et plusieurs s’entendent pour dire que la
structure bureaucratique d’Al-Shebab est encore plus profondément ancrée dans le
système clanique que l’appareil d’État somalien.
En un sens, les améliorations sociales et économiques que connaît la Somalie
pourraient avoir pour effet de renforcer les capacités financières et la base sociale
d’Al-Shebab. Afin de lutter contre cela, le GfS doit adopter de manière prioritaire
des mesures pour réglementer les changements observés. La Mission de l’Union
africaine en Somalie (AMISOM), dont le mandat est de prendre toutes les mesures
nécessaires pour réduire la menace posée par Al-Shebab et d’aider le GfS à établir
des structures efficaces et légitimes de gouvernance, pourrait également être mise à
contribution à cette fin.
8 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité • WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt
RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité
Vues d’AddisRétrospective : les enseignements politiques des efforts du Cps au Burundi
lors du sommet du Cps, qui s’est tenu le 29 janvier 2016 à addis-abeba,
les 15 chefs d’état et de gouvernement des pays membres du Cps ont
suspendu la décision prise par ce même organe un mois plus tôt de
déployer une force militaire au Burundi pour mettre fin à la détérioration
de la situation sécuritaire dans le pays. Cette décision a soulevé de
nombreuses questions. Certains enseignements sont également à tirer
concernant le processus décisionnel au sein du Cps. de toute évidence,
les chefs d’état de l’ua ne sont pas prêts à intervenir dans un état
membre sans le consentement de celui-ci.
Que s’est-il passé entre la décision de décembre 2015 prise par les ambassadeurs
de l’UA d’envoyer une force militaire au Burundi et la suspension un mois plus tard de
ce déploiement par les chefs d’État du CPS ? La décision initiale n’avait-elle pas été
mûrement réfléchie ? Les ambassadeurs du CPS savaient-ils si les chefs d’État de
l’UA étaient prêts à aller de l’avant avec cette décision, même sans le consentement
de Bujumbura ? Et que doit-on désormais penser de l’utilisation de mesures
drastiques, telles que l’article 4 (h) de l’Acte constitutif de l’UA, pour intervenir dans un
État membre ?
La délégation de haut niveau s’est rendue au Burundi le 26 février et aucune mention n’a été faite de la MAPROBU
Bien que le CPS ait appelé le 17 décembre 2015 au déploiement de la Mission
africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), et ce sans le
consentement du gouvernement hôte, les chefs d’État ont fait machine arrière face à
cette décision audacieuse. Le communiqué publié par le CPS, après deux semaines
de négociations à l’UA, inclut les décisions suivantes :
• « [N]e pas déployer la MAPROBU, considérant que l’envoi d’une telle force au
Burundi est prématuré et qu’il convient de privilégier le dialogue politique inclusif
sous les auspices du président de la République de l’Ouganda ».
• «[D]épêcher une délégation de très haut niveau de l’UA au Burundi, pour
rencontrer les plus hautes autorités de la République du Burundi ».
Le sort de la MAPROBU reste incertain. Le communiqué de presse annonçant
la composition de la délégation de haut niveau (les présidents de la Mauritanie,
du Sénégal, du Gabon et de l’Afrique du Sud, et le Premier ministre de l’Éthiopie)
indique que le mandat de cette dernière est « de consulter le gouvernement, ainsi
que d’autres acteurs burundais, sur le dialogue inclusif et le déploiement de la
MAPROBULA MISSION AfRICAINE
DE PRÉVENTION ET DE
PROTECTION AU BURUNDI
9Numéro 78 • mars 2016
Mission africaine de prévention et de protection au Burundi (MAPROBU), si elle est
acceptée par le gouvernement du Burundi ». La délégation de haut niveau s’est
rendue au Burundi le 26 février et aucune mention n’a été faite de la MAPROBU.
Une mission de terrain des membres du CPS, prévue du 20 au 22 février, a
été annulée.
Un retrait tactiqueOutre l’envoi d’une délégation de haut niveau, la seule autre tâche de l’UA est d’aider la
Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) concernant le dialogue interburundais et de rallier
le soutien de la communauté internationale en faveur de cette initiative. Cette nouvelle
position est en rupture avec celle adoptée ces derniers mois lorsque l’UA avait assumé
le leadership en faveur d’une action internationale plus ferme au Burundi, avec entre
autres le déploiement d’un envoyé spécial du président de la Commission de l’UA et
l’envoi d’une équipe d’observateurs des droits de l’homme et d’experts militaires.
Cette nouvelle position est en rupture avec celle adoptée ces derniers mois lorsque l’UA avait assumé le leadership
Malgré la confusion entourant les actions de l’UA dans le dossier burundais, plusieurs
enseignements peuvent être tirés de cet épisode. Cette crise a mis à l’épreuve divers
principes et instruments de l’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS). Le
dernier sommet du CPS a mis en évidence quatre défis : la mise en œuvre de l’article
4 (h); le principe de subsidiarité; le processus décisionnel au sein du CPS; et la lutte
entre les intérêts continentaux et les préférences nationales.
Article 4(h) : le glas de l’effet dissuasifDepuis la création de l’UA, l’article 4(h) a été considéré comme l’illustration de la
rupture entre la nouvelle organisation continentale et l’Organisation de l’unité africaine
et sa tradition de non-intervention, y compris dans des situations telles que celle
du Rwanda en 1994. L’invocation indirecte de l’article 4(h) a contribué à la nature
spécifique de la décision de décembre du CPS. En mettant le CPS au pied du mur
et en ralliant assez de chefs d’État hésitants, le gouvernement burundais a mis à nu
les défis de la mise en œuvre de cet article. Tel que l’a déclaré l’Institut d’études de
sécurité, le déploiement d’une force de maintien de la paix sans le consentement du
gouvernement hôte soulevait plus de questions qu’il n’apportait de réponses.
Pour de nombreux chefs d’État, ce projet de déploiement constituait une ligne
rouge parce qu’il était assimilé à un changement de régime. En outre, la situation
au Burundi n’était pas considérée comme étant aussi grave qu’en Somalie, en
Libye ou au Soudan du Sud. À cet égard, il est possible d’avancer l’idée que la
décision adoptée le 17 décembre par le CPS comportait une contradiction. Même
si le document faisait référence à l’article 4(h) pour imposer le déploiement de la
MAPROBU, la force militaire en question avait un mandat préventif correspondant au
scénario 4 de la force africaine en attente plutôt qu’au scénario 6, lequel est conçu
pour mettre fin à un génocide et à des crimes contre l’humanité.
Outre ces éléments circonstanciels, de nombreuses questions ont été soulevées
au cours du sommet du CPS sur les conséquences d’un déploiement sans le
consentement du gouvernement hôte. Comment est-il possible d’intervenir dans un
pays où le gouvernement en place a encore une large base politique ? Ses partisans
10 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité • WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt
RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité
17 décembre
2015LE CPS DÉCIDE DE DÉPLOyER UNE
fORCE MILITAIRE AU BURUNDI
doivent-ils être considérés comme des ennemis de la paix et de la sécurité ?
Comment peut-on assurer la sécurité de l’opposition pendant le déploiement ? La
suspension de la MAPROBU est l’occasion parfaite pour réfléchir aux modalités
d’application de l’article 4(h). Il semble que la plupart des chefs d’État considèrent cet
article comme un élément dissuasif et un outil de dernier recours. En l’absence de
consensus quant à la gravité de la situation au Burundi, l’invocation de l’article 4(h) n’a
donc pas été considérée comme crédible.
Les limites de la subsidiaritéAu fil des ans, certains mécanismes régionaux (MR) ont joué un rôle de premier plan
dans la gestion des crises secouant le continent. Le problème avec cette approche
réside dans la proximité des mécanismes régionaux avec les théâtres de conflits :
cette proximité renforce la légitimité des interventions des mécanismes régionaux,
mais elle rend aussi ceux-ci plus méfiants face aux dynamiques des conflits. Par
conséquent, l’UA se voit forcée de soutenir des efforts régionaux visant à résoudre
différentes crises. Au Burundi, la subsidiarité n’a donné que de maigres résultats. Les
dirigeants de la CAE n’ont pas été en mesure de suspendre le processus électoral qui
a mené aux élections présidentielles si controversées l’année dernière.
La médiation menée par le président ougandais n’a pas abouti à un dialogue inclusif
Par ailleurs, la médiation menée par le président ougandais n’a pas abouti à un
dialogue inclusif entre les parties. Lors d’une retraite à Abuja l’année dernière, le CPS et
les communautés économiques régionales (CER) ont décidé que « [d]ans les cas où les
CER/ MR concernés n’ont pas une approche commune quant à la manière de régler
la situation en question, la responsabilité de rétablir la paix revient au CPS ». Cette
approche ne tient pas compte de la possibilité qu’un organisme régional échoue dans
ses efforts. Dans un tel contexte, l’UA n’a pas la possibilité de reprendre en charge
le processus de médiation sans renier le principe de subsidiarité. De plus, le facteur
de proximité – qui soi-disant constitue un atout – peut devenir un désavantage. Par
exemple, le déploiement hypothétique d’un contingent rwandais dans le cadre de la
MAPROBU aurait été très controversé en raison des tensions entre Bujumbura et Kigali.
Le processus décisionnel au sein du CPS : consensus ou unanimité
Traditionnellement, le fonctionnement du CPS repose sur une prise de décision
consensuelle. Le principe sur lequel est basée cette méthode est celui de la
préséance de l’intérêt continental par rapport aux calculs plus étroits de politique
étrangère des pays membres. Ainsi, toute hésitation de la part d’un État membre
entrave la prise de décision au sein du CPS. Les réserves émises publiquement par
la Tanzanie au sujet de la décision adoptée en décembre ont ainsi préparé le terrain
pour la suspension de la MAPROBU un mois plus tard.
D’une certaine manière, la pratique du consensus au sein du CPS tend plus vers celle
de l’unanimité. Dans cette perspective, une voix discordante est plus susceptible
d’être entendue qu’un acquiescement. Au cours des derniers mois, ceux opposés
ou réticents au déploiement de la MAPROBU se sont fait plus entendre que ceux en
faveur. D’où la question de savoir si le CPS devrait voter plus régulièrement. En effet,
l’état actuel des choses au CPS – qui est caractérisé par une dépendance excessive
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au consensus – dilue la responsabilité des pays pour des
décisions souvent motivées par des préoccupations qui sont,
elles, bel et bien d’ordre national. Passer au vote de manière
plus fréquente accroîtrait la responsabilité des États membres
par rapport à leurs décisions prises au niveau continental.
Un tel changement permettrait également de réduire le
phénomène de volte-face des États membres.
Une tentative de faire prévaloir les intérêts du continent plutôt que les préférences nationalesLa suspension de la MAPROBU par les chefs d’État pourrait
s’expliquer par une tendance à l’« Addisisation ». Ce que nous
appelons l’« Addisisation » est le phénomène qui fait en sorte
que les décisions prises au niveau de l’UA à Addis-Abeba
tendent de plus en plus à défendre les intérêts continentaux –
définis par les valeurs incluses dans l’Acte constitutif de l’Union
africaine et la Charte africaine de la démocratie, des élections
et de la gouvernance – plutôt que les préférences nationales.
les capitales et leurs représentants diplomatiques auprès de
l’UA. Bien que la décision adoptée le 17 décembre reflétait un
consensus entre les États membres à Addis-Abeba, elle ne
faisait pas consensus dans de nombreuses capitales. À Addis-
Abeba, la création d’une mission de prévention représentait
une étape logique après avoir dépêché un envoyé spécial et
déployé une équipe d’experts militaires et d’observateurs des
droits de l’homme alors même que la situation au Burundi se
détériorait début décembre.
D’une certaine façon, la décision a été prise pour des raisons
techniques et les aspects politiques ont été sous-estimés.
À cet égard, suite à l’adoption de la décision du CPS, le
commissaire Smaïl Chergui soulignait que l’objectif de la force
était de protéger la population burundaise, minimisant ainsi
les implications politiques. Cependant, ces considérations
ont prévalu dans la manière dont de nombreuses capitales
ont perçu un déploiement hypothétique au Burundi sans le
consentement du gouvernement.
Il est important de se rappeler que ces facteurs (l’existence
d’une communauté normative et le fait que chaque crise
soit vue comme une opportunité) jouent aussi un rôle dans
l’opérationnalisation de la politique de sécurité et de défense
de l’Union européenne (UE) et qu’ils ont donné lieu à des
interventions militaires en République démocratique du Congo
et au Tchad.
Cela ne pouvait toutefois pas se produire à l’UA pour deux
raisons. La première réside dans l’exigence de l’unanimité
dans les décisions prises par le CPS. Dans le cas de l’UE,
la réticence de l’Allemagne n’a pas empêché le déploiement
d’une force au Tchad et en République centrafricaine en
2008, puisque de nombreux pays y étaient en faveur. À l’UA,
l’hésitation de certains chefs d’État a conduit à la suspension
de la MAPROBU.
La deuxième raison porte sur la régionalisation de la
force africaine en attente, qui constitue une contrainte
supplémentaire dans une situation où il n’y a pas de
consensus entre les États membres. Les désaccords entre
les États de la CAE rendent le déploiement d’une force peu
probable sans le consentement du Burundi. Si la Capacité
africaine de réponse immédiate aux crises avait été le
concept dominant de l’AAPS, une telle option aurait été
plausible, car elle repose sur des contributions volontaires
et sur le principe d’une nation-chef de file dotée d’une forte
volonté d’intervenir.
La suspension de la MAPROBU par les chefs d’État pourrait s’expliquer par une tendance à l’ « Addisisation »
Le processus de prise de décision au sein du CPS contribue
à cette tendance. Le département Paix et Sécurité a la
prééminence dans l’élaboration de solutions aux crises,
alors que les représentants nationaux ne disposent pas des
ressources institutionnelles et humaines pour remplir ce rôle.
Même si les décisions rédigées sont modifiées par les États
membres, la Commission de l’UA encadre les débats et
choisit les options politiques en conformité avec les intérêts
continentaux susmentionnés. Les liens sociaux qui existent
entre les responsables de l’UA et les membres des délégations
contribuent à créer une communauté très unie partageant
le même ensemble de croyances et de valeurs et la même
conception des instruments nécessaires pour faire face aux
crises qui secouent le continent.
En outre, étant donné que cette soi-disant communauté se
considère investie d’une mission, chaque crise est vue comme
une occasion de renforcer l’AAPS. Cette tendance est encore
plus visible depuis que les organisations régionales contestent
toute prééminence de l’UA dans la résolution des crises sur
le continent.
Le fossé entre les capitales et les diplomates à AddisLa tendance à l’« Addisisation » peut expliquer le fossé observé
au cours des deux derniers mois au sujet du Burundi entre
La régionalisation de la Force africaine en attente constitue une autre contrainte
12 RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité • WWW.issaFRiCa.oRG/psCRepoRt
RappoRt suR le Conseil de paix et de séCuRité
Entretien avec le CPS« nous demandons trop à l’ua »
Le médiateur mauritanien chevronné Ahmedou Ould-Abdallah a été
le représentant spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) au
Burundi (au début des années 1990), au soudan et en somalie. il a
également dirigé le Bureau des nations unies pour l’afrique de l’ouest.
le Rapport sur le Cps lui a demandé dans quelle mesure l’union
africaine (ua) parvenait selon lui à lutter contre les conflits en afrique.
Il y a un certain nombre de conflits sur le continent dans lesquels l’UA tente d’intervenir. Est-ce que l’UA a les capacités pour résoudre ces conflits ?Le principal problème est le suivant : bien que l’UA ait de très bonnes intentions
pour résoudre les conflits, elle n’a pas les capacités pour le faire. C’est ce à quoi
nous faisons face au Burundi, par exemple. À mon avis, nous parlons beaucoup
de prévention [des conflits], mais cela est plus facile à dire qu’à faire. Pour prévenir
un conflit, vous devez avoir une forte autorité morale et les capacités matérielles et
financières. L’exemple du Burundi est flagrant, car il s’agit d’un problème ancien.
j’étais représentant au Burundi lors des accords de 1994, qui ont abouti à l’Accord
d’Arusha de 2005. Mais pour que les pays mettent en œuvre ces accords, il faut un
gendarme. Sinon cela ne fonctionne pas.
Nous parlons beaucoup de prévention [des conflits], mais cela est plus facile à dire qu’à faire
L’UA peut-elle jouer ce rôle de gendarme ?L’UA ne peut pas résoudre ce problème [au Burundi], de la même manière que
l’Union des nations sud-américaines n’est pas en mesure de résoudre les problèmes
en Amérique latine, comme en Colombie, par exemple. La Ligue arabe ne peut pas
non plus résoudre les problèmes entre les pays arabes. Nous demandons à l’UA
de faire des choses qui ne correspondent pas à la réalité mondiale. Nous avons
donné à l’UA un mandat et des responsabilités qui n’existent pas dans les relations
internationales. Ce que je dis est très sérieux.
L’UA ne peut résoudre ces problèmes, en partie parce qu’elle n’en a pas les
capacités matérielles et financières – l’organisation a certes la capacité morale,
ce qui est bon –, mais il est nécessaire de trouver un moyen de renforcer ces
capacités. Toutefois, l’UA ne peut pas jouer le rôle de gendarme, car elle n’a pas les
moyens de le faire.
Chaque fois qu’un conflit émerge, nous voyons une multitude d’envoyés spéciaux de l’ONU, l’Union africaine, des organisations régionales. Il y a aussi le Groupe des Sages de l’UA. Quelle est l’efficacité de ces émissaires?
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La médiation est devenue un problème, mais ce n’est pas
la faute de l’UA. Il y a une multitude d’acteurs externes dans
tous les conflits – certains sont indépendants et d’autres
représentent des gouvernements et des organisations. Cette
prolifération des acteurs est devenue si grave que nous avons
besoin d’un médiateur pour servir d’intermédiaire entre les
médiateurs. Mais il y a aussi un avantage à cela, car chacun de
ces acteurs apporte sa propre sensibilité, sa propre approche.
Cela reste toutefois un problème qui doit être réglé.
L’un des effets pervers de ces sanctions est que lorsqu’un
dirigeant arrive au pouvoir à travers des élections truquées,
vous lui dites : vous êtes en sécurité, quoiqu’il arrive, il n’y aura
pas de coup d’État parce que dans ce cas nous imposerons
des sanctions. Il s’agit d’un bon principe, mais les sanctions
doivent être imposées en cas de coup d’État contre un
gouvernement qui a été élu de manière libre et honnête. Mais
quand vous volez une élection et que les gens disent que vous
pouvez continuer à gouverner, ce n’est pas bien. La position de
l’UA est bonne, mais elle doit être nuancée.
Plusieurs affirment que la nature des conflits en Afrique a changé et qu’une nouvelle approche est nécessaire. Qu’en pensez-vous ?Chaque région, chaque pays fait face à des problèmes qui lui
sont propres mais il ne faut pas pousser cette logique trop loin
et faire de l’Afrique un cas à part. Les Africains, tout comme
les habitants des autres continents, se défendent lorsque
leurs intérêts vitaux, matériels, spirituels, moraux ou politiques
sont menacés. Ensuite, certains politiciens irresponsables et
populistes exploitent ces mêmes considérations politiques
et ethniques. Et certains présidents n’ayant pas de vision
pour leur pays font la même chose afin de marginaliser des
régions ou des communautés. La nature des conflits est la
même partout. En fait, le conflit fait partie intégrante de la vie
quotidienne. Seuls les conflits violents et sanglants ne font pas
partie de la vie.
Nous avons désormais besoin d’un médiateur pour servir d’intermédiaire entre les médiateurs
En ce qui concerne l’intervention dans les conflits, il semble que ce soit les organisations régionales qui ont le dernier mot, comme nous le voyons au Burundi. Cette manière de faire est-elle efficace?La question des relations entre l’UA et les organisations
régionales est très complexe. Prenons le cas du Burkina faso.
Il était très difficile pour la CÉDÉAO [Communauté économique
des États de l’Afrique de l’Ouest], une organisation très
respectée, d’intervenir. En fin de compte, la population et
l’armée ont fait front commun pour résoudre le problème. La
Communauté d’Afrique de l’Est, dont le Burundi est membre,
a une vaste expertise, mais nous revenons toujours au
même problème, à savoir les intérêts nationaux des États : la
Tanzanie, le Rwanda, l’Ouganda et d’autres.
Y a-t-il actuellement un pays africain qui possède une autorité morale et des moyens suffisants pour intervenir avec succès dans les conflits ?
Les pays voisins peuvent jouer un rôle important, mais
le problème est qu’au sein de nombreux pays africains,
l’intégration est loin d’être satisfaisante. Il est donc difficile de
donner des leçons de morale et d’éthique alors que vous avez
des problèmes dans votre propre pays. Vous devez donner
l’exemple. Il doit y avoir un modèle reconnu par tous. Entre
le désir [de faire la paix] et la capacité à y parvenir, il y a un
écart énorme.
La question des sanctions vient à l’esprit. L’UA fait un bon
travail et elle cherche des moyens de convaincre les pays à
faire les bonnes choses, sans avoir recours à des sanctions.
L’UA impose des sanctions contre les régimes mis en place par un coup d’État. Cette manière de faire est-elle efficace ?
Certains politiciens irresponsables et populistes exploitent ces considérations politiques et ethniques
La spécificité en ce qui concerne l’Afrique réside dans le niveau
d’exclusion. Quand un groupe prend le pouvoir, il ne veut
tout simplement pas le partager ou bien appliquer les règles
qu’il a contribué à forger. D’autre part, il ne contribue pas au
développement du pays. Le pays reste pauvre, donc il n’y a
pas assez de richesse pour tout le monde. En outre, l’explosion
démographique en Afrique est une bombe à retardement. je
sais que certains disent que cela pourrait être un avantage
pour l’Afrique, mais cela reste quelque chose que nous ne
pouvons pas contrôler.
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À propos de l’ISSL’Institut d’Études de Sécurité est une organisation africaine œuvrant au
renforcement de la sécurité humaine sur le continent. Elle effectue de la
recherche indépendante et reconnue, fournit des analyses et conseils sur
les politiques provenant d’experts, tout en menant des formations pratiques
et de l’assistance technique.
Les personnes qui ont contribué à ce numéroyann Bedzigui, Chercheur, ISS Addis Abeba
Liesl Louw-Vaudran, Consultante
Meressa Kahsu, Chercheur et coordonnateur de la formation, ISS Addis Abeba
Damien Larramendy, Traducteur
Anne-Claire Gayet, Réviseure
ContactLiesl Louw-Vaudran
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Ce rapport est publié grâce au soutien de la Confédération suisse, du
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et du hanns Seidel Stiftung. L’ ISS souhaite également remercier pour
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