Penser géographiquement
l’Afrique
22e Festival International de Géographie
« L’Afrique plurielle : paradoxes et ambitions » Octobre 2011 – Saint-Dié-des-Vosges
Paul CLAVAL, université de Paris-Sorbonne,
Colette JOURDAIN ANNEQUIN, université de Grenoble 1
PLAN
Introduction : des images largement forgées
de l’extérieur
1- La vision grecque
2- Les Pères de l’Église et l’Afrique des fils
de Cham
3- Le voyage philosophique et les
conclusions de Hegel
4- De Reclus à l’art nègre
5- Des clichés qui persistent
1- La vision grecque
• L’Afrique n’existe pas
• Des peuples des confins : Pygmées et
Éthiopiens
• L’Éthiopie, terre d’élection des dieux
• Le problème de la couleur
La malédiction des fils de Cham
• « En attribuant le nom d’Afrique à la région
peuplée par les descendants de Cham, en
prenant en bloc les terres au Sud de la
Méditerranée, on chargea les Africains de la
malédiction de Canaan, le fils de Cham. »
« Le fait important est que le texte biblique
indique que Noé condamne par cette
malédiction une branche de ses descendants à
être les serviteurs des serviteurs de ses
frères. » (Grataloup, p. 52)
L’esclavage justifié
• « La justification de l’esclavage des
peuples noirs par ce passage biblique est
bien antérieure. On la trouve, dès le VIIe
siècle de notre ère, exprimée par des
communautés juives de Mésopotamie.
Elle a ultérieurement été reprise par des
musulmans pour justifier les traites
orientales. » (Grataloup)
3- Le voyage philosophique
• Rousseau, Discours sur l’inégalité, 1755.
• L’humanité a une préhistoire et une histoire.
• Pour comprendre ce qu’elle est, et les maux qui
la caractérisent, il faut éclairer ce parcours.
• Pour cela, un moyen, le voyage philosophique.
• Retentissement considérable : Bougainville,
Volney, l’Orientalisme.
• « En découvrant ainsi les routes oubliées et
perdues qui de l’état naturel ont dû conduire à l’état
civil ; en rétablissant, avec les positions
intermédiaires que je viens de marquer, celles que
le temps qui me presse m’a fait supprimer (…), tout
lecteur attentif ne pourra qu’être frappé par
l’espace immense qui sépare ces deux états. C’est
dans cette lente succession des choses qu’il verra
la solution d’une infinité de problèmes de morale et
de politique, que les philosophes ne peuvent
résoudre. Il sentira que le genre humain d’un âge
n’est pas le genre humain d’un autre âge »
(Rousseau, 1955)
« Supposons un Montesquieu, un Buffon…,
voyageant pour instruire leurs compatriotes,
observant et décrivant, comme ils savent le faire la
Turquie…, le pays des Cafres… : voyage le plus
important de tous ; supposons que ces nouveaux
Hercules, de retour de ces courses mémorables,
fissent à loisir l’histoire naturelle, morale et politique
de ce qu’ils auraient vu, nous verrions nous même
sortir un monde nouveau de dessous leur plume, et
nous apprendrions ainsi à connaître le nôtre. »
(Rousseau, 1955).
L’Afrique dans « La Raison dans
l’histoire » de Hegel
• Hegel : une vision des vicissitudes de
l’humanité proche de celle de
Rousseau.
• Même recours au voyage pour suivre
les progrès de la Raison.
• Sur l’Afrique, ses sources sont chez les
missionnaires qui commencent à
pénétrer dans le continent.
• « L’Afrique proprement dite [c’est-à-dire
subsaharienne] est la partie de ce continent qui
en fournit la caractéristique particulière. Ce
continent n’est pas intéressant du point de vue
de sa propre histoire, mais par le fait que nous
voyons l’homme dans un état de barbarie et de
sauvagerie qui l’empêche de faire partie
intégrante de la civilisation. » (La Raison dans
l’histoire universelle, p. 247).
• « D’une façon générale, nous devons dire que,
dans l’Afrique intérieure, la conscience n’est pas
encore arrivée à l’intuition de quelque chose de
solidement objectif, d’une objectivité. […] Les
Africains […] ne sont pas parvenus à cette
reconnaissance de l’universel. […] Ce que nous
appelons religion, Etat, réalité existant en soi et
pour soi, valable absolument, tout cela n’existe pas
encore pour eux » (ibidem, p. 250).
• « L’homme, en Afrique, c’est l’homme dans son
immédiateté. […] C’est un homme à l’état brut. […]
Le nègre représente l’homme naturel dans toute sa
barbarie et son absence de discipline » (ibid., p.
255).
• « Une telle dévalorisation de l’homme explique que
l’esclavage soit, en Afrique, le rapport de base de droit.
L’unique rapport essentiel que les nègres ont eu, et ont
encore, avec les Européens, est celui de l’esclavage. Les
nègres n’y voient rien de blâmable, et ils traitent en ennemis
les Anglais qui ont pourtant fait plus que tous les autres
peuples en faveur de l’abolition du commerce des esclaves et
de l’esclavage. » (ibid., p. 259).
• « Dans tous les royaumes africains connus des Européens,
l’esclavage est une institution indigène et domine
naturellement. » (ibid., p. 259-260).
• « La leçon que nous pouvons tirer de l’état d’esclavage qui
existe chez les nègres […] est […] que l’état de nature est,
par lui-même, l’état d’injustice absolue et complète. » (ibid.,
p. 260).
4- Des perspectives qui changent :
de Reclus à l’art nègre • Reclus : les 3 volumes de la G.U. : une vision
très informée de l’Afrique et de ses cultures
(grâce en partie à Elie).
• Les 5 tomes de L’Homme et la Terre :
pratiquement rien sur l’Afrique, qui n’a pas l’air
de participer au progrès de l’humanité.
• La culture africaine ne peut rentrer dans les
cadres que l’Occident lui imposent.
• La découverte de l’Art nègre, aux alentours de
1900, marque le début d’une autre perception.
5- Des clichés qui persistent
• Pour Cheikh Anta Diop, la place de
l’Afrique dans l’histoire vient de ce
qu’elle est le berceau de l’humanité, et
de ce qu’elle a inventé, en Égypte,
l’écriture.
• Cf. aussi les travaux de Martin Bernal :
« Black Africa »
• Cf. aussi le discours de Dakar.
• « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas
assez entré dans l'histoire. Le paysan africain […] ne
connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par
la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes
paroles. »
• « Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n'y a
de place ni pour l'aventure humaine, ni pour l'idée de
progrès. »
• « Dans cet univers […], l'homme reste immobile au milieu
d'un ordre immuable où tout semble être écrit d'avance. »
• « Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir. »
• « Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique
de le dire, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer
davantage dans l'histoire. C'est de puiser en elle l'énergie, la
force, l'envie, la volonté d'écouter et d'épouser sa propre
histoire » (Guaino/Sarkozy, 2007).