Les sept piliers de l’économie de l’information et du document
(la baguette et le journal)1
Jean-Michel Salaün (version août 2015)
1 Ce texte fait l’objet de révisions avant chaque session de cours. Il importe donc de
vérifier la date de la version que l’on lit.
JM Salaün – Les sept piliers
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Sommaire
1. La conservation ..................................................................................... 5 Non-rivalité du contenu ......................................................................... 5 Rivalité de la lecture .............................................................................. 7 Résumé ................................................................................................. 8
2. La singularité ......................................................................................... 9 Droit d’auteur ....................................................................................... 11 Biens communs ................................................................................... 12 Résumé ............................................................................................... 14
3. L'interprétation .................................................................................... 15 Contrat de lecture ................................................................................ 16 Personnalisation .................................................................................. 17 Résumé ............................................................................................... 18
4. La plasticité ......................................................................................... 19 Redocumentarisation .......................................................................... 21 Web social et web de données ........................................................... 22 Résumé ............................................................................................... 22
5. La promesse ....................................................................................... 24 Bien d’expérience ................................................................................ 25 Consommation cumulative .................................................................. 26 Résumé ............................................................................................... 26
6. L'attention ............................................................................................ 28 Marché biface ...................................................................................... 29 Exploitation des traces ........................................................................ 31 Résumé ............................................................................................... 32
7. La résonance ...................................................................................... 33 Loi de puissance .................................................................................. 34 Temporalité .......................................................................................... 36 Résumé ............................................................................................... 36
Une économie particulière ...................................................................... 37 Exercice .................................................................................................. 41
Corrigé de l’exercice ............................................................................ 44
JM Salaün – Les sept piliers
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COURS SUR L’ÉCONOMIE DU WEB
Les sept piliers de l’économie de l’information et du document
(la baguette et le journal)
Les économistes mettent en avant les caractéristiques particulières de
l'information pour justifier à la fois l'intérêt et la difficulté de l'application
des outils de leur discipline sur un objet rétif. Elles sont souvent
présentées en désordre, sans hiérarchie, et parfois de façon incomplète
au fil du propos pour conforter un argument. De plus, les économistes
n’ont souvent qu’une connaissance limitée des sciences de l’information
évidemment essentielles ici.
Le raisonnement économique est parfois difficile à suivre pour un
non-initié. S'il est rendu complexe par la technicité de la discipline, les
notions de base sont pourtant toujours très concrètes et font partie de
l'expérience ordinaire de chacun. Nous faisons des choix économiques
dans notre vie de tous les jours, et développons ainsi une expertise
économique, raisonnée ou intuitive, tout comme monsieur Jourdain
faisait de la prose sans le savoir. Le rôle des économistes consiste
seulement à comprendre, au-delà du raisonnement et de l’intuition
individuels, les logiques générales qui régissent ces choix pour en tirer
des lois. Il est donc possible de présenter d’abord simplement les
notions économiques de bases dont chacun a l’expérience, pour, dans
un deuxième temps, leur donner une signification plus large qui nous
échapperait si on ne leur appliquait les outils propres à la science
économique. Ce qui est vrai en général dans nos gestes quotidiens l’est
aussi sur le terrain étudié ici car nous manipulons constamment des
documents souvent sans y prêter attention.
Pour éclairer mon propos sans entrer dans les modèles et équations
qui font les délices des économistes, je prendrai une illustration simple,
une parabole, dont chacun comprendra facilement la leçon : la baguette
et le journal ou la parabole du petit déjeuner (déjeuner au Québec).
Comme toute parabole, celle-ci a valeur d’exemplarité et pourra être
élargie à d'autres objets informationnels ou d'autres situations analogues,
à condition, bien sûr, d’en adapter le contexte.
JM Salaün – Les sept piliers
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Supposons donc que ce matin vous ayez acheté un journal, je parle
bien d’un journal imprimé sur du papier, et une baguette de pain pour
agrémenter votre petit déjeuner. Vous allez consommer ces deux objets :
manger la baguette, lire le journal - et ce sera l’occasion pour moi de
souligner les différences de ces deux activités, de ces deux types de
consommation.
J’ai regroupé ces différences en sept grands thèmes qui sont comme
les sept piliers de l’économie de l’information et du document et illustrent
les sept différences principales entre la consommation de la baguette de
pain, c'est-à-dire d’une marchandise ordinaire, et la consommation du
journal, autrement dit un document ou un bien informationnel : la
conservation, la singularité, l’interprétation, la plasticité, l’expérience,
l’attention et la résonance. Chacun de ces piliers présente une facette,
une caractéristique économique du document. Les facettes font appel à
des notions différentes mais elles ne sauraient être séparées les unes
des autres, c’est bien leur superposition qui définit l’économie
particulière de ce domaine. Ces piliers renvoient la plupart du temps à
des notions classiques plus complexes mises en avant par la science
économique que je rappellerai. Mais plusieurs sont encore ignorés ou
mal compris des économistes.
JM Salaün – Les sept piliers
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1. La conservation
Au fur et à mesure de l’avancement de votre petit déjeuner, le destin de
chacun des deux objets, la baguette et le journal, sera opposé. La
baguette disparaîtra bouchée après bouchée, le journal se maintiendra
dans son intégralité malgré votre lecture. Vous pouvez le lire et le relire,
tourner les pages, il se conservera et ne sera pas immédiatement détruit
par sa consommation. Mieux, vous pourrez même partager votre journal
avec celui ou celle qui vous accompagne dans votre repas et il ou elle
pourra encore vous le rendre, une fois lu. Le journal a en commun
quelques caractéristiques avec les biens dits durables ou semi-durables
comme l’électroménager ou encore la voiture, par exemple.
Le partage de la baguette est beaucoup plus altruiste. Elle risque de
vous être rendue sérieusement entamée ! La multiplication des pains
étant réservée à de rares élus, si vous proposez une tartine à votre
comparse, il est probable que vous n’obteniez rien en retour, sinon un
peu de reconnaissance.
Non-rivalité du contenu
Dans l’économie du document, consommation ne rime donc pas a
priori avec destruction. Les économistes parlent d’un bien non-rival,
JM Salaün – Les sept piliers
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c’est-à-dire que la consommation de ce bien par un individu ne prive pas
un autre individu de le consommer. À l’inverse, la baguette de pain est à
l’évidence un bien rival.
Pour un journal imprimé, qui est un bien matériel, la non-rivalité reste
néanmoins relative. Il est possible, par exemple, que le marchand de
journaux ait épuisé tous ses exemplaires avant votre arrivée. Il vous est
possible aussi de détruire, volontairement ou non, votre journal et ainsi
d’en priver un autre lecteur. Enfin, il est peu commode de lire le même
journal à plusieurs en même temps. En réalité la non-rivalité concerne le
contenu du journal, le texte et les images qu’on nomme souvent sans
grande rigueur « l’information » qui peut toujours être partagée, et non
sa matérialité, le support (le papier, l’encre) qui pourra lui toujours être
confisqué. Dans le vocabulaire économique, on dira qu’un journal est un
bien non-rival exclusif, l’adjectif « exclusif2 » signifiant qu’il est possible
d’exclure des consommateurs, ici des lecteurs qui n’auraient pas accès
aux exemplaires du journal. Cette caractéristique permet de construire
son économie, puisqu’on pourra vendre un exemplaire, comme n’importe
quel objet ou marchandise.
Dans l’univers numérique, l’articulation entre le support et le contenu
est différente, un même contenu peut être lu sur différents terminaux. De
plus, l’exclusivité tend à disparaître puisque le document peut être rendu
accessible en tout point par le réseau, même parfois contre la volonté de
ses producteurs. Cette caractéristique a été très souvent mise en avant
pour justifier le triomphe de l’offre gratuite sur le web. Puisque, une fois
les systèmes constitués, on peut indéfiniment partager un document
numérique, sans coût de production ni de distribution supplémentaire,
les économistes diront à coût marginal (c’est-à-dire le coût pour produire
un exemplaire supplémentaire) nul, alors il tendra naturellement à
devenir gratuit.
Ainsi pour nombre d’observateurs le journal rendu accessible sur le
web, comme tous les documents du réseau, serait devenu un bien non-
exclusif. Cette caractéristique est confortée par l’architecture du web qui,
en théorie, offre les mêmes possibilités de partage à tous les acteurs du
réseau, grands ou petits, par des protocoles communs. Bien des
controverses actuelles ont pour origine cette caractéristique. Les uns
défendent la légitimité à vendre de l’information, ici un journal, en
reconstruisant une exclusivité et une rivalité sur le web, par des
verrouillages (DRM, terminaux dédiés, mots de passe, etc.). Les autres,
insistant sur la valeur résultant du partage, prônent un accès sans
2 Certains emploient l’expression « excluable »,. Il s’agit de la même idée, mais j’essaie
de réduire le nombre de mes anglicismes.
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barrière à l’information, quitte à trouver d’autres sources de rémunération
pour les producteurs. Ces dernières restent encore souvent modestes et
aléatoires.
Rivalité de la lecture
Pourtant à bien y réfléchir, il n’est pas sûr que le raisonnement insistant
sur la non-rivalité et la non-exclusivité du document soit complet car sa
valeur dépend souvent de sa consommation sociale. Elle peut s’accroître
ou inversement se détruire en fonction de son lectorat.
Vous seriez fâché(e) que l’on vous vende le journal imprimé de la
veille plutôt que celui du jour. L’information de presse d’hier a perdu de
sa valeur car elle est périmée, du moins dans le contexte où vous vous
trouvez. Elle n’est pas périmée parce qu’elle est ancienne, mais bien
parce qu’elle est connue de la communauté à laquelle vous appartenez :
elle a été déjà lue, c’est-à-dire consommée par les lecteurs qui en ont
détruit la valeur en la partageant. Elle est remplacée par celle
d’aujourd’hui qui prend notamment sa valeur dans sa nouveauté, c’est-à-
dire son caractère inédit, dans le fait qu’elle n’est pas connue de votre
communauté parce qu’elle n’a pas encore été consommée et donc n’a
pu être partagée.
Vous-même n’allez pas, non plus, acheter un deuxième journal
identique. Il n’a aucune valeur pour vous puisque vous en connaissez le
contenu. Vous avez transformé l’information qu’il contient en
connaissance. Et une fois le journal lu et assimilé, il a perdu pour vous
sa valeur. Donc même pour vous, la consommation du journal a détruit
sa valeur. Étant au courant de l’actualité, vous pourrez aussi la relater à
votre comparse et la lecture du journal perdra de son intérêt pour lui et il
ou elle tournera son attention vers d’autres supports.
Dans le cas du journal quotidien, dont la valeur est construite sur la
nouveauté, la consommation, la lecture et le partage détruisent la valeur
du numéro du jour au fur et à mesure de sa diffusion. Inversement, pour
d’autres types de documents publiés, comme les livres, l’augmentation
du lectorat augmente sa notoriété et donc sa valeur comme nous le
verrons dans le pilier de la résonance.
Dans tous les cas, la consommation sociale modifie donc la valeur du
document. La consommation ne détruit pas le document physique, mais
en modifie la valeur signifiante. Ainsi de façon paradoxale, un document
peut-être à la fois un bien rival et un bien non-rival, car il s’agit d’un objet
multidimensionnel, un contenu sur un support (qui induit la rivalité) qui a,
de plus, une fonction, la connaissance (qui favorise la non-rivalité).
Inversement, vous pouvez être au courant d’une information avec
seulement quelques initiés, un secret. L’exclusivité de cette information,
JM Salaün – Les sept piliers
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comme on dit dans la presse, lui confèrera une valeur supplémentaire
que vous pourrez éventuellement vendre, par exemple à un journal.
C’est pourquoi les journalistes sont à la recherche de « scoops ». Mais la
valeur d’un scoop s’épuise rapidement après sa publication qui entraîne
son partage à la cantonade.
Lorsque le document devient non-exclusif comme dans le cas du web
le nombre de lecteurs est potentiellement infini. Le problème posé par le
numérique est alors au moins autant celui de la gratuité issue d’un
partage infini dû à la non-rivalité du contenu que celui de la lecture ou de
l’attention qui, confrontée à la surabondance de l’information, est finie et
rivale. Il s’opère ainsi un déplacement de valeur, dont une des
manifestations est ce qu’on appelle « le buzz », la rumeur qui, au
contraire du scoop, prend de la valeur en se multipliant, c’est-à-dire en
saturant l’attention. Nous lui consacrerons un développement particulier
dans le pilier consacré à l’attention et dans celui consacré à la
résonance.
Résumé
La consommation d’un document ou d’une information ne rime pas
avec sa destruction. Les économistes parlent de « non-exclusion »
et de « non-rivalité » de l’information.
Néanmoins si la consommation d’un document ne le détruit pas,
elle en modifie la valeur, car les connaissances qu’il contient
pourront être partagées.
Le numérique accentue et transforme les effets de ces
caractéristiques.
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2. La singularité
Il reste une façon sympathique et élégante de rassasier votre comparse
du petit déjeuner sans vous priver vous-même : acheter une seconde
baguette de pain. Vous pouvez, en vous procurant la quantité de pains
suffisante, combler l’ensemble des personnes qui partagent votre repas.
Mais, si vous achetez deux fois le même journal, la tablée ne sera pas
pour autant mieux informée, tout au plus vous aurez un meilleur confort
de lecture. Ainsi la valeur des baguettes s’additionne, pas celle du
journal. Alors que le journal a été reproduit à l’identique en un grand
nombre d’exemplaires, tout comme la baguette elle-même est reproduite,
celui-ci garde pour ses lecteurs une valeur singulière, celle du prototype,
celle du premier exemplaire ou de la matrice, celle de son contenu.
Cette singularité est aussi valable du côté de la production. Les
rédacteurs d'un quotidien conçoivent un journal et un seul par jour, si sa
maquette est inchangée, son contenu est entièrement renouvelé. Il est
ensuite reproduit par l’impression et les exemplaires sont distribués.
Chaque exemplaire a la même valeur et cette valeur ne peut
s’additionner avec celle de son homologue, contrairement à la baguette
de pain. Mieux, chaque exemplaire a lui aussi les qualités de singularité
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d’un prototype. Il peut être copié ou enregistré, et éventuellement
reproduit, prêté ou encore diffusé par électronique, et, pour chacune de
ces actions, la singularité pourra être maintenue : le destinataire lira
toujours le même journal du jour ou sa déclinaison éventuellement
simplifiée ou, au contraire, enrichie dans le cas du numérique.
Le boulanger est obligé de pétrir autant de baguettes qu'il veut en
produire et il les réalise chaque jour selon la même recette. Il y a bien
longtemps, en effet, que le prototype de la baguette de pain est au point.
Si chaque baguette est un objet différent, toutes sont homologues d’un
jour sur l’autre et s’additionnent sans difficulté. Il suffit d’avoir la matière
première, les outils et les compétences pour pétrir et cuire la pâte, sans
qu’il soit nécessaire de s’interroger chaque jour sur la composition du
produit à fabriquer.
La singularité du journal, c'est-à-dire son originalité, pèse très lourd
sur la structure de ses coûts. La première copie d’un journal est très
coûteuse à produire puisqu’il faut chaque jour inventer un nouveau
prototype, c’est-à-dire réunir des informations, les hiérarchiser, rédiger
des articles, les corriger et les mettre en page. La singularité exacerbe la
pression concurrentielle. Tout comme le boulanger, un journal doit se
démarquer de ses concurrents. Sans renoncer à la couverture d’une
actualité commune à tous les titres s’adressant à la même collectivité, il
doit préserver non seulement un tour de main, c'est-à-dire un style une
façon propre de présenter l’actualité, mais aussi proposer des
exclusivités qui se renouvelleront continuellement.
Même si la performance de la distribution compte, la valeur du journal
réside principalement dans la qualité de son prototype. La rationalisation
du travail dans la presse a progressivement organisé et autonomisé sa
réalisation, jusqu’à inventer un corps professionnel original : les
journalistes, qui s’est progressivement organisé et codifié au début du
20e siècle.
Dans sa version imprimée, le journal reste coûteux à reproduire et
distribuer pour son propriétaire puisqu’il lui faudra acheter le papier
nécessaire, faire tourner les rotatives et disposer d’un réseau solide pour
diffuser, sans retard ni faille, les exemplaires sur le territoire à couvrir.
Cet investissement lourd a constitué ce qu’on appelle en économie une
« barrière à l’entrée » pour de nouveaux concurrents. Mais avec le
numérique, la diffusion du prototype s’est libérée de cette chaîne de
distribution. C’est une opportunité pour les propriétaires de journaux
traditionnels qui peuvent diversifier leur offre à partir d’une même matrice,
d’un même contenu, mais c’est aussi un danger puisque, d’une part, la
barrière des coûts de distribution ne décourage plus la concurrence et
que, d’autre part, le prototype a perdu son caractère exclusif et peut être
JM Salaün – Les sept piliers
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copié. Ainsi, chacun peut faire son propre journal, soit en le rédigeant
(blog), soit en le récoltant (curation).
Droit d’auteur
La copie est aussi vieille que les documents eux-mêmes. La copie est
d’abord le vecteur de conservation et de diffusion de leur contenu. Mais
la copie fragilise la protection de la singularité, source de valeur
économique. Pour lever cette difficulté, on a inventé progressivement
depuis le 18e siècle une convention arbitraire pour protéger « les œuvres
de l’esprit » : la valeur du prototype est défendue par une propriété
particulière, dite « propriété intellectuelle », conférée à son premier
producteur. Il s’agit du droit d’auteur ou du copyright (littéralement « droit
de copie ») selon la tradition historique des pays. Depuis la fin du 19e
siècle, le droit d’auteur est défini par des traités internationaux3, ratifiés
par un très grand nombre d’Etats. S’il reste des différences sur leur
application locales, parfois sensibles comme sur la durée des droits
patrimoniaux ou encore sur l’interprétation des exceptions, les grands
principes sont respectés.
Une fois les principes posés, la répartition des droits entre les
différentes parties prenantes du système de création, production,
reproduction et distribution du journal, est l’objet de négociations et
remises en cause continuelles puisque la chaîne se modifie au cours des
années en raison de l’évolution des organisations ou des techniques.
Les débats sont souvent polémiques, car le système résulte d’une
convention qui, au-delà du principe général, se décline selon un calcul
arbitraire à géométrie variable. L’histoire des médias est truffée de
périodes favorables au verrouillage du côté des producteurs ou, au
contraire favorables à un partage légal ou illégal (contrefaçon ou
piratage) du fait de ruptures techniques ou de situations politiques
atypiques4. Les opportunités ouvertes par le numérique redistribuent les
cartes, et il n’est pas étonnant que les débats et questionnement
redoublent.
Le droit d’auteur est, pour sa partie patrimoniale, limité dans le temps.
Contrairement à ce qui est souvent dit, le monopole de propriété conféré
à l’auteur constitue une exception à l’échelle de l’Histoire, le temps de la
rémunération de la création, de la réalisation de la singularité. Comme
indiqué, celle-ci s’épuise dans le partage. Une fois la rémunération
3 Le plus important est la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires
et artistiques, ratifiée en 1886 et régulièrement complétée ou amendée depuis. 4 Parmi bien d’autres exemples : le livre à la Révolution américaine ou les radio-libres à
la fin des années soixante-dix en France. La situation nouvelle de partage créée par le web
n’est qu’un rebondissement d’une histoire ancienne.
JM Salaün – Les sept piliers
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acquise, les documents passent dans le « domaine public » qui constitue
la situation normale de la circulation documentaire.
Les investissements consacrés à la production du prototype dans ce
secteur pèsent lourds sur les raisonnements. Et il n’est pas étonnant que
les financiers cherchent à augmenter la durée du monopole de la
propriété intellectuelle. Françoise Benhamou indique à ce sujet :
La fonction du droit d’auteur est d’empêcher ces comportements de
« passagers clandestins » par la création d’un monopole de l’auteur (ou
des ayants-droit) sur sa création. Telle est la fonction d’incitation à la
création, à l’innovation, à la prise de risque du droit d’auteur. Mais ce
monopole a un revers : il implique une moindre diffusion, puisqu’il établit
un prix – éventuellement élevé – là où pouvait régner la gratuité ou la
quasi-gratuité. Le mode de résolution de cette tension entre incitation et
diffusion réside dans le caractère temporaire du droit conféré. Or
l’histoire du droit d’auteur montre que l’on assiste à un allongement
progressif de sa durée ; on peut en déduire que, dans le conflit entre
efficacité statique (rémunération de la création) et efficacité dynamique
(diffusion), c’est la première qui s’est montrée gagnante tout au long de
l’histoire.5
La citation est incluse dans un passage consacré au livre.
L’augmentation de la durée de protection des droits patrimoniaux va de
pair avec l’industrialisation de la culture, tout particulièrement dans le
domaine audio-visuel où les investissements sur les prototypes sont les
plus lourds. L’exemple le plus célèbre est celui de Walt Disney
réussissant à faire allonger la durée des droits patrimoniaux pour que
Mickey Mouse ne tombe pas dans le domaine public6.
En parallèle, divers efforts tentent de reconstruire l’exclusivité perdue
sur le numérique : Digital Right Management (DRM) incluant dans les
fichiers numériques des barrières techniques à la copie ou au partage,
systèmes d’abonnement incluant des mots de passe, lecture exclusive
sur un seul type de terminal.
Biens communs
Inversement, le web s’est construit sur une tradition documentaire plus
ancienne, bien connue des bibliothèques, celle du partage et son
architecture en rend compte. De ce point de vue, il est logique qu’il tende
à favoriser la mise en commun plus que la singularité. Un certain nombre
de ses acteurs ont ainsi revisité la théorie économique et, suivant
5 Cohen, Daniel, et Thierry Verdier. La mondialisation immatérielle. Paris: Conseil
d’Analyse Économique, août 2008, p.94. 6 Roland, Nicolas. Mickey Mouse en passe de révolutionner la durée de protection des
œuvres en droit américain, Droit & Technologies 12 décembre 2002.
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l’impulsion donnée par Elinor Olström, cherchent à montrer que les
« biens communs » ne sont pas nécessairement voués à disparaître du
fait du jeu des intérêts particuliers7. Pour éviter la « tragédie des biens
communs », figure célèbre de l’économie faisant référence à l’extinction
des pâturages communaux au profit des propriétaires fonciers, il faut que
les collectivités se munissent de règles strictes pour une exploitation
optimale du bien commun au profit de l’ensemble de ses membres et
d’une gouvernance pour les faire respecter. Selon l’extension de cette
analyse, il serait possible d’obtenir un résultat comparable sur le web
face aux tentatives de mises en place de barrières visant à en confisquer
la valeur, soit par une application radicale de la propriété intellectuelle,
soit par la captation de l’attention.
De plus, le web, comme toute innovation technique majeure, a permis
l’arrivée sur le marché de nouveaux joueurs, fournisseurs d’accès,
moteurs, plateformes d’échange, etc. qui ont exploité des activités
jusque là laissées de côté. Le web dit « web 2.0 » a ainsi tiré parti de la
propension des internautes à échanger des informations et des
documents, déjà existants ou produits pour l’occasion.
Une industrie entière s’est construite sur des dérogations, plus ou
moins assumées, au monopole du droit d’auteur, notamment selon la
doctrine étatsunienne du « fair use ». Les transactions dans cette
industrie ont laissé largement de côté la rémunération de la singularité,
c'est-à-dire de la création. Abonnements au réseau, ventes de terminaux
divers (micro-ordinateurs puis téléphones intelligents et tablettes) et
enfin ventes de publicité ont constitué les principales sources de revenus,
sans que ces derniers ne soient partagés avec les producteurs de
contenus sinon sous forme de promotion pour leurs produits.
Dès lors les polémiques, conflits et procès se sont multipliés entre
deux dynamiques portées par des logiques pour le moment antagonistes,
celle des ayant-droits et des industries culturelles versus celle des
militants du web et des industries de l’internet, même si progressivement
des transfuges et des compromis ont émergé. Pour ce qui concerne
notre exemple du journal, le conflit s’est principalement cristallisé autour
du service Google-news.
Ces discussions, polémiques et même conflits se sont élargis
aujourd’hui à d’autres domaines que celui de l’information et donc
7
Pour une actualisation de la pensée d’E. Oström aux bien communs de la
connaissance : Libres savoirs: les biens communs de la connaissance ; produire
collectivement, partager et diffuser les connaissances au XXIe siècle. 2011. Caen, France:
C&F éditions. Pour une première approche : (Biens) communs : Contours et repères.
SavoirsCom1. 6 mai 2013.
JM Salaün – Les sept piliers
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étrangers au droit d’auteur. Une « économie du partage » se développe
actuellement dans laquelle les plateformes servent d’intermédiaires aux
internautes qui s’échanges des services (voiture, logement, bricolage,
rencontres, etc.), induisant des nouvelles formes d’activités, jusqu’ici
exclues du champ économique, et venant concurrencer les professions
traditionnelles soumises à des contraintes et réglementations plus
strictes.
Résumé
Chaque document est un objet singulier. L’économie des
documents est donc une économie de prototypes.
Les coûts de la « première copie » et les facilités de reproduction
ont conduit à organiser une protection arbitraire (propriété
intellectuelle) ou fonctionnelle (barrières techniques ou
organisationnelles), pour réduire le caractère de « bien public » du
document et organiser son économie.
Le numérique facilite le partage et réduit la singularité. Dès lors,
de nouvelles valorisations apparaissent en rupture par rapport à
l’organisation précédente.
JM Salaün – Les sept piliers
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3. L'interprétation
Une baguette de pain est sans surprise. Elle a été fabriquée avec de la
farine, du levain, du sel et un peu d’eau. Elle a d’un jour sur l’autre le
même goût ou presque. Tout au plus, vous l’apprécierez diversement
selon votre condition physique ou votre humeur et, vraisemblablement,
votre appréciation ne variera pas beaucoup d’un matin à l’autre. Tous les
boulangers ne se valent pas et, selon son coup de main ou sa réputation,
vous préfèrerez l’un ou l’autre, pourvu qu’il reste accessible. Vous
demandez à celui-ci un service simple : combler votre faim matinale et
l'achat de deux baguettes a sans doute, largement résolu votre problème
alimentaire et celui de votre comparse.
L'achat de votre journal n'a résolu votre problème informationnel que
si vous avez le sentiment qu'il contient toutes les informations que vous
souhaitiez connaître en ce début de journée. Autrement dit, vous
demandez à votre journal d'avoir recueilli, trié, classé, organisé,
commenté les informations qui vous intéressent, vous personnellement.
En lisant, vous choisissez vos rubriques, vous portez plus d’attention
sur certains titres, certains articles, vous en sautez d’autres, vous faites,
vous aussi, un travail de repérage de tri, de combinaison, de classement,
JM Salaün – Les sept piliers
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d’interprétation, c’est-à-dire que vous donnez du sens à ce que vous
lisez. Cette interprétation vous est personnelle et il y a de grandes
chances qu’elle soit différente de celle que fera votre comparse avec sa
propre lecture du journal. Vous pourrez en discuter et réviser chacun
votre point de vue. Plus généralement, ce que l’on appelle
communément l’opinion publique (ou les opinions publiques) est, en
simplifiant et en restant sur notre exemple, le résultat de l’interprétation
des lectures des journaux par la population et des échanges sur ces
lectures des membres de cette population.
La fugacité des interprétations du journal rend aléatoire pour le
lecteur la valeur des informations qu’il contient. Selon le lecteur ou le
moment, certaines peuvent paraître essentielles, d’autres inutiles. Une
information peut acquérir un poids très important pour une personne
concernée au moment opportun. Elle peut, au contraire, perdre tout
intérêt pour cette même personne quand les circonstances auront
changé.
Contrat de lecture
L’interprétation est la valeur d’usage de l’information, ici du journal.
Celle-ci résulte d'un double processus : une interprétation des
évènements et de leur importance par les rédacteurs traduite dans les
articles du journal du jour ; représentation qui est, elle-même, interprétée
de nouveau par le lecteur, en fonction de ses intérêts, de ses goûts, de
son histoire personnelle.
Naturellement, les rédacteurs cherchent à intéresser leur lectorat, et
corollairement la lecture est « isotopique », c'est-à-dire que le lecteur
recherche le sens voulu par le rédacteur. Néanmoins, personne ne peut
avoir l'assurance que les interprétations soient homologues et que
rédacteurs et lecteurs attachent une importance comparable aux mêmes
évènements et aux mêmes représentations. Chacun interprète les
informations selon son propre contexte et ce contexte varie dans le
temps selon les histoires et les expériences individuelles et selon
l’histoire des collectivités, grandes ou petites auxquelles les individus
appartiennent. Autrement dit, le lecteur d’un journal reconstruit le sens
du journal sur la base du matériel qu’il a sous les yeux et grâce aux
compétences et au contexte qui lui sont propres.
Tout se passe comme s’il existait un « contrat de lecture8 » tacite
entre les producteurs d’un document et ses lecteurs potentiels. Les
lecteurs reconnaissent « leur » journal par sa forme, sa mise en page,
8 Eliseo Veron, L’analyse du contrat de lecture, Les médias : expériences et
recherches actuelles, IREP, 1985.
JM Salaün – Les sept piliers
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ses rubriques, et interprètent son contenu avec familiarité. La formation
et le talent des journalistes visent à faire coïncider le sens qu’ils donnent
aux évènements qu’ils retiennent avec l’interprétation que fera le lecteur
de leur article. Le journal multiplie les rubriques pour « couvrir
l’actualité » pour intéresser le maximum de lecteurs et ainsi réduire les
aléas de l’interprétation qui risque de valoriser différemment les
informations selon les lecteurs.
Personnalisation
Le numérique a, bien entendu, transformé le contrat de lecture du journal
et de l’ensemble des documents proposés. Un nouveau contrat se
construit par itération successive sous nos yeux dont les éléments se
reconfigurent aussi bien du côté des modalités d’écriture que de lecture.
On parle aujourd’hui « d’expérience utilisateur (contracté souvent en UX
pour User eXperience)9 », pour qualifier les méthodes de conception qui
prennent en compte le caractère actif et l’émotion de l’internaute, elles
sont très largement utilisée pour la mise au point des systèmes
d’information numérique les plus performants.
Les moteurs de recherche d’abord ont permis de répondre aux
questions, de trouver des références et de vérifier des informations dans
les limites de l’offre disponible en ligne. Puis les outils de partage du web
2.0 ont permis d’échanger informations, conseils ou coup de cœur et de
confronter les points de vue. Enfin les promesses du web de données
suggèrent la possibilité de réponses plus rapides et précises. Ces étapes
ont obligé et obligent encore les rédacteurs des journaux à adapter
chaque fois leurs pratiques d’écriture et de présentation. Comme
d’autres sur le web, ils tentent d’optimiser leur référencement pour être
repérés par les algorithmes et bien placés dans les recherches des
internautes. Le web modifie notre rapport au savoir en réduisant
l’autorité des producteurs de l’information au profit de la confrontation
d’éléments signifiants puisés dans le patrimoine documentaire disponible
et des échanges multipliés entre les lecteurs.
Tout bouge très vite sur le web et les services vedettes se succèdent
et s’enterrent en quelques années, parfois même quelques mois. Il est
difficile dans ces conditions de percevoir quel pourrait être le nouveau
contrat de lecture pérenne. Une tendance nettement perceptible est la
personnalisation des systèmes documentaires sur le web. Des
techniques, pilotées par l’internaute ou non, ont été mises en place afin
de s’approcher au plus près de ses besoins, de ses désirs ou
9 L’expression est due à Donald A. Norman.1998. The Design of Everyday things, MIT,
London.
JM Salaün – Les sept piliers
18
simplement de ses comportements. L’avantage est l’efficacité
informationnelle, l’amélioration du service rendu qui peut aussi se
traduire par des décisions d’achat. L’inconvénient est la réduction de la
sérendipité, le risque de l’enfermement de l’internaute dans une bulle
informationnelle10
avec d’autres qui lui ressemblent, réduisant les
découvertes et les échanges inattendus.
Les sociologues des médias savent depuis longtemps que les
informations des journaux confortent les opinions des personnes sans
les transformer par l'effet de gatekeepers11
. Mais par le jeu des
algorithmes, le web a tendance à personnaliser les informations sans
que le lecteur n'ait vraiment la maîtrise de ses choix. Dans un contexte
mouvant d’information omniprésente, multiplateformes, multiterminaux,
d’objets intelligents, il est difficile de mesurer aujourd’hui la réalité des
capacités interprétatives et donc la valeur d’usage d’une information
devenue omniprésente et ubiquitaire.
Résumé
L’homologie entre l’interprétation des producteurs et des lecteurs
n’est pas assurée. La valeur est incertaine, dépendant fortement du
contexte de la consommation.
Pour réduire l’incertitude, plusieurs mécanismes ont été inventés,
comme la fidélisation, l’activité de médiateurs, la multiplication
d’informations dans une seule offre, etc. dont l’objectif est de
conforter le contrat de lecture entre producteur et lecteurs.
Le Web transforme l’ancien contrat de lecture en « expérience
utilisateur » d’un environnement informationnel omniprésent et
ubiquitaire.
10
Pariser, Eli. 2011. The filter bubble: what the Internet is hiding from you. New York:
Penguin Press. 11
Voir les travaux de Paul Lazarsfeld après la seconde guerre mondiale. Lazarsfeld, P.F.,
Berelson, B. & Gaudet, H. (1944). The People’s Choice: How The Voter Makes Up His
Mind in a Presidential Campaign. New York: Columbia University Press. ou Katz, Elihu, &
Lazarsfeld, Paul (2008). Influence personnelle. Paris: Armand Colin (1955: Personal
Influence, New York: The Free Press).
JM Salaün – Les sept piliers
19
4. La plasticité
Le pain sec est plutôt fade et pour le relever il est probable que vous
aurez recours à quelques ajouts gustatifs, comme du beurre, de la
confiture, du miel, du sirop d’érable, du jambon, un œuf ou de la salade
selon votre culture gastronomique. Malgré tout, la combinaison restera
limitée et le résultat connu d’avance
Le journal, lui, se présente tout à fait différemment. Il est composé
d’un grand nombre d’articles classés et juxtaposés dans des rubriques.
Les articles eux-mêmes contiennent des informations, réunies,
hiérarchisées et transcrites par les journalistes. Les informations sont
multiples, hétérogènes. Elles se combinent entre elles et en se
combinant produisent alors de nouvelles informations.
Puisque votre interprétation est autonome, un fait trouvé dans le
journal ou un thème particulier pourra vous intéresser, vous passionner
même, et vous pourrez confronter les présentations et les points de vue
de différents journaux. Vous pourrez même rompre l’unité du journal en
découpant un ou plusieurs articles pour les réunir dans un dossier avec
d’autres, issus d’autres sources. Une personne extérieure, comme un
bibliothécaire, a peut-être déjà constitué un tel dossier que vous pourrez
JM Salaün – Les sept piliers
20
alors consulter. Découper une baguette de pain ne vous donnera jamais
plus que des tartines, découper un journal autorise une relecture de
l’actualité ou même, sur une longue période, de l’Histoire.
Peu d'objets ou de matières se déclinent à ce point, se remodèlent,
se découpent, fusionnent sans pour autant changer de nature.
L’organisation de la chaîne de fabrication du journal, elle-même,
s’appuie sur cette plasticité et a évolué avec celle des techniques de
transcription. Le journaliste aujourd’hui dactylographie son article dans
un fichier informatique et la combinaison des fichiers pilote directement
l’impression. Ces mêmes éléments peuvent être déclinés pour
différentes exploitations sur le web, y compris la diffusion des archives.
Inversement, le lecteur pourra lui-même réutiliser et recombiner les
unités documentaires en conformité ou non avec les règles de la
propriété intellectuelle. Et des intermédiaires sont apparus, proposant
des outils de curation qui sélectionnent pour vous les éléments
d’information qui vous intéressent, reconstruisant à partir des ressources
disponibles sur le web votre propre journal que vous pouvez aussi mettre
à la disposition des internautes.
Le bien informationnel est d'une plasticité exceptionnelle. Selon les
cas, le moment, le contexte, une information se découpe en plusieurs
autres, ou plusieurs se combinent pour n'en faire qu'une. De même, une
ou plusieurs informations peuvent accompagner un autre bien ou un
autre service. Enfin, une information se transfère sans difficulté d'un
support à un autre. Cette caractéristique est un gros avantage pour les
producteurs d’information mais en même temps un risque, car il n’est
pas facile de garder la maîtrise d’un objet aussi labile.
Les économistes ne se sont pas encore beaucoup penchés sur la
plasticité des documents. À les lire, on a parfois l’impression qu’ils
considèrent l’information comme insaisissable, un gaz, un liquide, un
fluide. Cette présentation est trompeuse. Une information n’existe que si
elle peut être transmise, sous forme d’un signal ou d’une inscription par
nature fini. Un journal, comme tout bien informationnel, est d’abord un
objet fini, constitué d’éléments finis. L’unité du journal, par exemple, est
donnée par l’objet lui-même avec son titre, sa marque, sa date, son
numéro d’édition, ses pages, sa structure répétée jour après jour. Il est
construit à partir d’articles strictement calibrés, qui comportent eux-
mêmes un titre, un chapeau et sont inclus dans une rubrique. Le texte
des articles est, lui aussi comme tout texte, composé d’unités discrètes
emboitées les unes dans les autres : parties, paragraphes, phrases,
mots, lettres et ponctuation. Ainsi s’il fallait trouver une métaphore, plutôt
qu’un fluide, des briques, qui s’emboitent comme un jeu de lego, seraient
plus appropriées.
JM Salaün – Les sept piliers
21
Redocumentarisation
Les processus et traditions d’organisation des documents imprimés à
tous les stades de leur cycle, depuis la production, la reproduction, la
distribution, le stockage, l’accès et même la conservation ont été révisés
par leur passage au numérique. Un des premiers apports est d’avoir
séparé la structure des documents de leur contenu facilitant leur
transport, leur découpage et leur réagencement, tout d’abord notamment
grâce au langage de balisage SGML dérivé des documents techniques,
très simplifié pour le web en HTML puis redéveloppé dans le
métalangage XML. Les possibilités de construction, déconstruction,
réagencement des briques ont été ainsi complètement renouvelées.
Parallèlement une « redocumentarisation » s’est engagée, au sens où
les outils d’organisation documentaire ont été eux aussi radicalement
transformés. La documentarisation, qui permettait grâce à un langage
documentaire de retrouver le document intéressant dans la masse de
plus en plus imposante ceux disponibles, a été systématisée à la fin du
19e siècle par les classifications, les répertoires bibliographiques, les
index et les catalogues. La redocumentarisation ouvre la voie à une
navigation beaucoup plus fluide dans la masse des documents
accessibles sur le web et aussi à une économie différente basée sur des
découpages et des agencements inédits.
Dans le numérique, les humains ne sont pas les seuls à lire, les
machines lisent aussi. Les journalistes qui s’intéressent au
référencement de leurs articles le savent bien. Ils écrivent pour deux
types de lecteurs, des humains, bien sûr, mais aussi des machines et
principalement les serveurs de Google qui les moissonnent et les
classent pour les mettre ou non à disposition des humains en fonction de
leurs requêtes. L’article de journal type est ainsi façonné pour faciliter un
meilleur référencement. Cela a des conséquences notamment sur les
titres et sous-titres et les premières lignes de l’article.
Les moteurs de recherche traitent les journaux au niveau des articles,
cassant leur unité et permettant au lecteur de reconstruire une actualité
en réunissant des articles selon ses goûts ou ses intérêts,
indépendamment de leur publication d’origine et déplaçant la
récupération de la valeur du côté des agrégateurs. Mais, inversement un
même titre pourra se décliner sur plusieurs supports aux temporalités et
fonctionnalités différentes : tirage papier, site web, services d’alerte,
applications pour des terminaux mobiles, etc. valorisant sa singularité
sur chacun de ces supports. De plus, les journaux pourront valoriser
leurs archives en s’affranchissant de la contrainte du quotidien, grâce à
un accès facilité et un stockage économique.
JM Salaün – Les sept piliers
22
Web social et web de données
On a l’habitude de diviser la courte histoire du web en trois étapes : le
web des documents, puis le web social ou web 2.0 et (provisoirement)
enfin le web de données ou web sémantique. La première étape ne
modifie pas vraiment l’économie du domaine. Un journal se décline sur
le web en gardant la maîtrise de sa diffusion, même si sa structure peut
éclater en autonomisant les articles.
Mais le web social, en intégrant l’activité des internautes et en favorisant
la montée de plateformes d’intermédiations change déjà radicalement la
donne, puisque de nouveaux acteurs, et donc de nouvelles possibilités
de production et de demandes de rémunérations voient le jour. En amont,
les journalistes et les journaux sont concurrencés par de nouveaux
venus et parfois par les internautes eux-mêmes se trouvant au plus prêt
de l’information. En aval, les plateformes utilisent aussi bien l’activité des
internautes que celles des professionnels de la presse pour alimenter
des services de plus en plus personnalisés.
Enfin, le web sémantique ou web de données, tel qu’il a été popularisé
par T. Berners-Lee a l’ambition d’aller plus loin encore dans la
déconstruction documentaire. Il s’agit d’utiliser la puissance des
machines en leur permettant par des ontologies de relier entre elles
toutes sortes de données ou documents rendus accessibles sur le web
afin de reconstruire à la volée d’autres documents répondant aux
besoins des internautes. La plasticité de l’information est ainsi exploitée
de façon ultime. Un bon exemple de cette opportunité est l’utilisation de
la base DBpedia, qui reprend et structure les données de Wikipédia, par
Google pour afficher des fiches de présentation dans les réponses des
requêtes sur des noms propres.
Il est trop tôt pour mesurer réellement les conséquences économiques
de cette dernière étape. Mais elle a déjà donné lieu à un mouvement de
mise en ligne de données publiques dont plusieurs imaginent qu’elles
pourront donner naissance à des services d’information inédits.
Résumé
L’information est d’une plasticité exceptionnelle pouvant être
découpée, redécoupée, fusionnée... Bien des documents résultent
d’une combinaison d’unités documentaires plus petites.
Cette plasticité donne une grande fluidité à l’économie
informationnelle encore mal analysée.
JM Salaün – Les sept piliers
23
Le numérique ouvre la possibilité d’une combinaison par le collage
et le calcul beaucoup plus fine encore des unités documentaires.
On assiste aujourd’hui à une « redocumentarisation » de l’ensemble
de nos informations dont la dernière étape est la manipulation des
données.
JM Salaün – Les sept piliers
24
5. La promesse
Lorsque vous avez acheté une baguette chez votre boulanger, vous
n’aviez pas vraiment de doute sur l’objet. C’est un achat sans surprise.
Chaque matin toutes les baguettes se ressemblent, produisent le même
effet et une sensation similaire : combler votre estomac.
Inversement, le principe du journal est qu'il contient des « nouvelles ».
Quand vous l'achetez, vous n’avez qu’une idée vague de son contenu et,
si vous l’achetez, c’est bien, sinon pour être surpris, au moins pour
découvrir l’actualité du jour. Le journal est une promesse, son achat est
« aveugle ». Vous achetez le journal les yeux fermés, justement pour
qu’il vous ouvre les yeux sur le monde. Et, même si le journal vous est
familier et son traitement des nouvelles attendu, vous désirez être
surpris(e), apprendre quelque chose de nouveau. Pourtant, le résultat
est aléatoire. Certains matins, vous trouverez l’actualité fade, d’autres au
contraire, les nouvelles seront pour vous pimentées ou simplement
roboratives.
De plus, si vous désirez être parfaitement au courant de toute
l'actualité du jour et des commentaires qui l'accompagnent, il vous faudra
lire, ou au moins feuilleter, l'ensemble des rubriques très diverses du
JM Salaün – Les sept piliers
25
journal, acheter plusieurs titres différents, écouter les radios, allumer la
télévision, consulter l’ensemble des supports dédiés à la couverture de
l’actualité. Puisque vous ne pouvez connaître a priori leur contenu, vous
risquez de passer à côté d’une nouvelle non rapportée ailleurs. Ainsi,
vous êtes en « veille » et cette attente a même donné lieu pour des
domaines spécialisés à une activité économique.
Bien d’expérience
La baguette dont la qualité est largement connue à l’avance, même si
des nuances existent, fait partie des biens appelés en économie « biens
de recherche », il suffit au consommateur de les trouver à un prix
satisfaisant pour combler son besoin. Le journal lui appartient à celle des
« biens d’expérience ». Un bien d’expérience est un bien dont on ne
connaît pas a priori la qualité. Il faut l’essayer pour le connaître. Il est
donc plus coûteux de le choisir, car il faut non seulement se renseigner
sur les prix et son accessibilité, mais aussi, plus précisément que pour le
bien de recherche, sur le bien lui-même a priori inconnu pour faire un
choix éclairé.
Tous les biens mis sur le marché ont besoin de publicité pour se faire
connaître, mais les biens d’expérience y sont particulièrement sensibles.
Pour pallier ces difficultés et se rapprocher des biens de recherche en
rendant l’achat moins « aveugle », les responsables de journaux tentent
de fidéliser leur clientèle par la valeur de la marque (ici le titre du journal)
dont la notoriété, qui repose sur une relation forte entre le contenu et son
lectorat, est essentielle, par la régularité de la publication qui entraîne
une routine et aussi par une continuelle information sur l’information :
affichage dans les kiosques, citations dans les autres organes de presse,
métadonnées sur le web, etc. Toutes les critiques, commentaires,
retours de lecteurs joueront aussi un rôle important. Il faut donner envie
de lire, sans déflorer la lecture. Cette contrainte se retrouve dans tous
les documents publiés qui sont des promesses de lecture et donc des
biens d’expérience.
Sur le web, les liens hypertextes et les boutons multiplient les
promesses. Ils facilitent leur accomplissement par leur facilité d’utilisation
mais favorisent aussi l’éparpillement. La personnalisation et plus
largement les méthodes UX, déjà mentionnées, sont des moyens de
réduire les aléas. La promesse devrait alors répondre au plus prêt à
l’attente de l’internaute. Reste que le web favorise une navigation
aléatoire, source de découvertes inattendues ou de procrastination,
amenant d’autres défis pour l’organisation d’une économie des biens
d’expérience.
JM Salaün – Les sept piliers
26
Consommation cumulative
On a l'habitude de dire que « l'appétit vient en mangeant ». Cette
maxime s'applique certainement bien mieux au journal qu'à la baguette
de pain. Vous serez, en effet, rapidement rassasié avec quelques
tartines, tandis que la lecture d’un article pourra vous suggérer celle d’un
autre sans que votre curiosité ne soit épuisée. La culture et l'information
sont des consommations cumulatives : ceux qui en possèdent le plus en
demandent le plus, phénomène peu courant en économie où la situation
ordinaire est plutôt celle de la baguette de pain dont la demande décroît
avec la consommation. En raisonnant sur l’ensemble des journaux et
non sur un seul titre, les économistes diront que l’utilité marginale n’est
pas décroissante, c'est-à-dire que l’achat supplémentaire d’un journal
particulier ne réduit pas nécessairement l’envie d’en acheter un autre
d’un autre titre.
Cette accumulation a des limites. Si vous êtes un affamé, vous serez
en effet souvent déçus. Les journaux reproduisent les mêmes nouvelles,
s'alimentent aux mêmes sources et s'inspirent même très largement les
uns des autres. Sauf évènement exceptionnel, la couverture de
l’actualité par les journaux trouve rapidement ses limites dans la difficulté
à maintenir une singularité. Et alors, l’indigestion de pain et celle de
nouvelles même si elles n’ont pas les mêmes symptômes ont les mêmes
causes. On parle même aujourd’hui « d’infobésité ».
Pourtant d’une façon générale, l’évolution de l’économie et de la
société occidentale vers une organisation post-industrielle, parfois
baptisée « société de l’information » accroît l’importance de l’information
aussi bien pour les entreprises que pour les individus. Les premières
doivent organiser pour elles-mêmes une récolte et une gestion
d’informations efficace dans leur domaine d’intervention. Les seconds,
les individus, doivent faire des choix dans une offre de plus en plus large
de biens et de services.
La faim d’informations est de plus en plus forte. Le numérique et le
web arrivent à leur heure pour répondre à une demande d’informations
de plus en plus pressante.
Résumé
L’information est un « bien d’expérience », une promesse. On ne
connaît une information qu’une fois consommée. L’information sur
l’information est alors essentielle.
JM Salaün – Les sept piliers
27
Contrairement à une consommation ordinaire, cette expérience est
souvent cumulative... jusqu’à saturation.
Le numérique est en phase avec une société de plus en plus
dépendante des informations pour son activité.
JM Salaün – Les sept piliers
28
6. L'attention
Malgré tout, la lecture du journal reste facultative tandis que vous ne
pourrez longtemps vous passer de déjeuner car votre santé en dépend.
Elle est sans doute souhaitable, mais pas indispensable. Sauf situation
extrême, vous trouverez facilement ailleurs les renseignements
minimaux nécessaires à votre survie quotidienne. Votre « faim » de
journal dépendra de votre position sociale, professionnelle,
géographique, politique... et de votre histoire personnelle ou encore de
votre humeur du jour. La lecture du journal accapare un temps que vous
souhaiterez peut-être consacrer à autre chose puisqu’elle n’est pas
indispensable. Contrairement au pain, qui fait partie des consommations
primaires, de base, nécessaires et limitées, l'information appartient à la
catégorie des biens secondaires dont les limites, tant en réduction qu'en
croissance, restent floues.
De plus, la baguette est destinée à votre estomac, tandis que le
journal s’adresse à votre cerveau, deux organes aux fonctions bien
différentes : l’un est plutôt passif, il digère ; l’autre pilote votre
comportement. Lorsque vous consommez un bien informationnel (vous
lisez, vous écoutez, vous regardez, etc.), vous focalisez votre attention
JM Salaün – Les sept piliers
29
sur un message qui est lui-même une injonction ou une suggestion. Une
lecture modifie votre comportement. Même si, nous le savons
maintenant, les interprétations varient selon les personnes,
l’interprétation que vous ferez d’un message vous transforme.
Chacun reste libre sans doute, pourtant les techniques de persuasion
se sont perfectionnées depuis les débuts de l’organisation des hommes
en société, et tout particulièrement depuis une centaine d’années.
Monopoliser votre attention est le rêve du propagandiste, mais sans
arriver à ces excès vous influencer en captant une partie de votre
attention est bien l’objectif de tout annonceur. Il ne manque pas d'acteurs
très intéressés à ce que vous lisiez leur message : politiciens, militants,
responsables d'organisation ou d'association, artistes, commerçants.
Tous ont des idées qu'ils voudraient vous voir partager, et prônent des
comportements qu'ils voudraient bien vous voir adopter. Celui qui est
capable de capter l’attention du lecteur pourra alors la vendre à tous ces
« annonceurs ».
Aujourd’hui nous sommes bombardés d’informations et Herbert
Simon a montré le premier que la rareté ne réside plus dans le nombre
d’informations disponibles, mais dans notre capacité à les traiter. Il a
proposé la notion de « rationalité limitée » pour signifier que nos choix ne
sont rationnels qu’à l’intérieur des limites de notre capacité à trouver et
traiter les informations qui peuvent les éclairer12
. Cette capacité est
justement l’attention que l‘on porte aux informations. L’attention au sens
d’H. Simon est donc un bien de plus en plus rare, et en général en
économie ce qui est rare peut se vendre.
Marché biface
Il s’est ainsi construit ce que l’on a appelé une « économie de
l’attention », sans que ce terme fasse toujours référence à un concept
très rigoureux. Cette économie est une économie dite « biface », c’est-à-
dire qu’elle articule deux marchés, celui des lecteurs qui achètent le
journal et celui des annonceurs qui achètent des espaces publicitaires
destinés être lus par les lecteurs du journal. Chacun des marchés
s’adresse à des clients différents, propose des marchandises différentes,
mais influe fortement sur l’autre. Le marché des lecteurs permet de
capter une attention, et donc de valoriser le bien qui sera proposé aux
annonceurs : l’espace publicitaire qui accueillera son message. Par les
revenus générés, le marché des annonceurs permettra à son tour
12
Sur l’abondante œuvre de H. Simon, voir : Claude Parthenay, “Herbert Simon :
rationalité limitée, théorie des organisations et sciences de l'artificiel,” Document de Travail
CEPN (Paris XIII et Université de Cergy-Pontoise), 2009.
JM Salaün – Les sept piliers
30
d’abaisser le prix proposé au lecteur et d’augmenter le lectorat. Par un
effet de boucle, l’augmentation du lectorat valorisera le prix de l’espace
publicitaire. On dira en économie que les deux marchés ont des
externalités croisées.
Mais, nous l’avons vu l’information n’est qu’un bien secondaire, on
peut s’en passer et dès lors exploiter au mieux la valeur et la fragilité de
l’attention humaine est un équilibre délicat : il faut trouver le juste prix
que le lecteur est susceptible de dépenser en argent ou en énergie pour
accéder à l’information qui servira à capter son attention sans la saturer
ni la décourager par des messages publicitaires trop ostensibles,
parasites puisque non-souhaités. Ce défi du parasitage de l’attention par
la publicité est tout aussi fort sur le web. Ainsi l’inventeur des pop-up a
publié un article dénonçant lui-même ces excès13
. Il faut, par ailleurs,
vendre aux annonceurs un bien par nature évanescent, à l’utilité difficile
à appréhender, et donc trouver un moyen simple pour le représenter et
le mesurer.
Il est impossible d’être certain d’attirer l’attention d’un lecteur précis
sur un message donné et plus encore d’être assuré de modifier son
comportement, mais en proposant ce même message à un très grand
nombre de lecteurs préalablement ciblés selon des caractéristiques
communes, il est probable qu’il en accroche quelques uns. Il restera une
proportion de lecteurs touchés, peut-être faible mais dont la quantité
sera appréciable si le nombre global de lecteurs touchés est très grand.
Ainsi, le marché des annonceurs est un marché statistique et sa mesure
est le nombre de lecteurs potentiels et non le nombre de lecteurs
effectifs. L'effet sur un lecteur individuel est aléatoire, mais l’effet global
peut devenir sensible si le nombre de lecteurs augmente.
Un journal est donc vendu deux fois : une fois aux lecteurs et une
autre fois aux annonceurs. Cette opportunité permet de réduire le prix
proposé aux lecteurs et donc d’augmenter l’attractivité du journal. Le
modèle économique du journal populaire n’a guère évolué depuis sa
fondation en France par Émile de Girardin qui affirmait déjà dans le
premier numéro de La Presse, le 1er
juillet 1836 : « Les annonces
doivent payer le journal ». La même logique a été reprise dans un sens
plus radical encore pour la radio et la télévision commerciales dont les
programmes, financés par la publicité, sont proposés gratuitement aux
auditeurs. Inversement, le livre s’inscrit dans un rapport au lecteur et une
temporalité différents qui rendent difficile la construction d’un marché de
l’attention.
13
Ethan Zuckerman, The Internet’s Original Sin, The Atlantic, 14 août 2014.
JM Salaün – Les sept piliers
31
Exploitation des traces
Nous avons vu que le web permettait d’autres modalités de recherche
d’informations plus larges et plus personnalisées. Un nouvel espace
pour la publicité s’est ouvert alors sur des bases différentes. Plutôt que
de s’attacher au support de l’information, le média, il privilégie la cible, le
lecteur. Apparemment la logique de captation est la même, pourtant le
changement est, encore une fois, radical.
En effet, le lecteur en navigant sur le web laisse des traces qu’il est
possible de suivre et d’étudier. L’interconnexion et les capacités de
gestion et de calcul sur les grands nombres aidant, on pourra ainsi
raffiner le placement des messages publicitaires en les mettant en phase
avec les intentions de la cible, connues par son profilage. Mieux, en plus
de mettre de la publicité sur l’aboutissement du processus, c'est-à-dire le
document final, le média, on pourra disposer de la publicité le long du
chemin emprunté par le lecteur : les résultats de la recherche sur les
moteurs, les échanges entre internautes sur les réseaux sociaux, etc.
Enfin, sur le web, l'internaute est plus actif et son attention est plus
orientée sur ses objectifs propres. Ainsi si ses objectifs débouchent sur
une prise de décision, celle-ci pourra être éclairée par des messages
d’autant plus efficaces qu’ils correspondront à l’état d’esprit de
l’internaute.
On mesure encore mal les conséquences de ces changements,
même s’ils ont déjà donné lieu au développement ultra-rapide de firmes
entièrement fondées sur l’exploitation de ces nouvelles perspectives
comme Google, Facebook, Twitter, etc. Les mots, qui représentent sur le
web la base de la redocumentarisation, sont devenus la source d’un
marché publicitaire très florissant, faisant la fortune de Google qui les
vend aux enchères pour attacher des publicités aux pages qui leur
correspondent sur les sites qu’il contrôle ou qui lui sont affiliés. Par
ailleurs, il s’est développé une forte ingénierie des traces au sein
d’entreprises spécialisées dans le traitement statistique des données
qu’elles récupèrent auprès de divers opérateurs et dont l’objectif est de
permettre aux entrepreneurs de proposer des services de plus en plus
ciblés.
Il s’agit là de l’exploitation d’un autre type de données que celles
publiées dans le web de données. Les traces peuvent être laissées
intentionnellement, dans des messages ou sur des formulaires, mais la
plus grande part est récupérée à l’aide de mouchards déposés sur les
machines à l’insu de l’internaute, les cookies. Ces traces sont porteuses
de nombreuses informations pour qui sait les interpréter, faisant rêver
autant les commerçants branchés que ceux dont l’objectif ou la vocation
JM Salaün – Les sept piliers
32
est de surveiller ou orienter les comportements sociaux, non sans poser
questions sur la protection de la vie privée14
.
D’une façon plus générale, le croisement de l’interprétation des traces
avec la sophistication de plus en plus poussée des algorithmes
rapproche l’économie de l’information d’un autre courant économique,
celui de l’économie comportementale où l’on cherche à orienter les choix
et comportements des consommateurs ou des citoyens par la façon
d’organiser et présenter les opportunités qui se présentent à eux, ce que
certains appellent un « paternalisme libertarien15
».
Résumé
L’abondance de l’information conduit à la rareté de l’attention.
L’attention est un bien fragile, mais valorisable. Ainsi une
« économie de l’attention » a pu se construire.
Cette économie est « bi-face », elle capte l’attention d’un lectorat,
vendue à des annonceurs.
Le numérique par l’exploitation des traces de navigation des
internautes a ouvert un nouvelle dimension à cette économie,
centrée sur l’activité du lecteur ou du consommateur et non sur le
producteur d’informations.
14
Pour approfondir : Kessous, Emmanuel. L’attention au monde. Sociologie des données
personnelles à l’ère numérique, 2012. Paris, France: Armand Collin
15 Richard Thaler et Cass Sunstein, Nudge : improving decisions about health, wealth,
and happiness, Yale University Press, 2008, New Haven.
JM Salaün – Les sept piliers
33
7. La résonance
Le pain s’achète chez le boulanger et se partage chez soi. Il suit en
amont un circuit qui part de la matière première, le blé, et, de
transformation en transformation, finit par du pain sur votre table. C’est
un circuit linéaire à sens unique.
Le journal apparemment suit le même cheminement, pourtant son
contenu est le résultat de nombreux échanges préliminaires, beaucoup
plus nombreux que ceux qu'entretient le boulanger, et il alimentera bien
d’autres échanges ultérieurs : les articles des journalistes font référence
à d’autres articles ; les journalistes ont leur réseau d’informateurs ; les
lecteurs discutent du contenu de leurs lectures.
Les documents eux-mêmes, sont liés les uns aux autres par des
citations, des références ou de simples allusions, chacun est une sorte
de tête de réseau. Les individus, auteurs et lecteurs, ont leurs réseaux
sociaux, leurs amis, leurs connaissances, leurs partenaires avec qui ils
échangent. Certains écrivent dans les journaux, d’autres ou les mêmes
lisent les journaux. Les journaux parlent des individus et les individus
utilisent leurs lectures pour faire des choix.
JM Salaün – Les sept piliers
34
La plasticité de l’information aidant, le journal est à la fois le produit
de cette agora et un de ses éléments constitutifs. Tout cela forme une
sorte d’alchimie qu’on appelle parfois « l’espace public16
». Cet espace
est parcouru de courants qui ne sont pas toujours maitrisables, mais
dont certaines régularités ont pu être mises à jour.
Loi de puissance
Votre boulanger a sans doute bonne réputation et ainsi une clientèle
nombreuse et fidèle qui lui permet de développer une production
importante et donc de négocier des prix chez ses fournisseurs, d’élargir
son offre, d’envisager des emprunts s’il souhaite s’agrandir, d’augmenter
son chiffre d’affaires etc. Si sa stratégie est bonne, son développement
s’en ressent. Comme on dit, la richesse appelle la richesse.
Dans le monde de l’information du fait de toutes les relations croisées
entre documents et personnes que nous venons d’évoquer, la loi
classique en sociologie dite des « avantages cumulés » ou « effet
Mathieu »17
prend un relief très accusé non sans d'importantes
conséquences économiques. Plus un document est connu, plus il sera lu
et vice-versa. Un effet de résonance s'enclenche alors qui concentre les
demandes sur quelques documents.
Cette résonance a aussi son envers ou plutôt son complément : tous
les documents sont publiés intentionnellement, ils concernent toujours
une situation et intéressent toujours un lectorat, même marginal.
Réciproquement les demandes se dispersent donc sur un très grand
nombre de documents. Ce qui est remarquable, c’est qu’il n’existe que
peu de situation moyenne. D’un point de vue statistique, on dira que la
distribution des documents suit une loi de puissance et non une courbe
de Gauss en cloche, plus courante en sociologie, où la situation
majoritaire est la moyenne.
La structure de la demande documentaire, partagée en deux parts
radicalement opposées : concentration et éclatement, est moins
étonnante qu'il n'y parait si on la rapporte à notre comportement cognitif :
nous sommes tous d'un côté conformistes, de l'autre curieux. Ces deux
facettes sont aussi indispensables à notre humanité : la première
marque l'appartenance à une communauté et concentre les demandes
16
Le concept a été proposé par E. Kant, repris par H. Arendt, mais ce sont les travaux
de Jürgen Habermas qui lui ont donné la plus forte visibilité. Voir J. Habermas, «L'espace
public», 30 après, Quaderni 18 (1992): 161-191, Persée. 17
Pour une recension de ces lois : Thomas A. DiPrete et Gregory M. Eirich, Cumulative
Advantage as a Mechanism for Inequality: A Review of Theoretical and Empirical
Developments, Annual Revue of Sociology 32 (Mai 18, 2006): 271-97,
http://www.columbia.edu/~tad61/CA_AR112205.pdf.
JM Salaün – Les sept piliers
35
et les échanges sur ses marqueurs, la seconde ouvre la porte à la
diversité, aux croisements, au risque, à la nouveauté, et permet un
enrichissement impossible à assurer si nous avions tous la même
expérience cognitive.
Un bibliothécaire, S.C. Bradford, a constaté dès 1934 cet effet de
façon statistique en comptant les demandes d’articles scientifiques dans
sa collection de revue. Depuis, toutes les études bibliométriques ont
confirmé le phénomène. Par analogie avec la distribution mise en
évidence par W. Pareto, qui a étudié à la fin du XIXème siècle la
distribution des revenus en Suisse, on l’appelle parfois cette loi, la loi des
20/80 : 80% de la demande se concentre sur 20% des documents, mais
pour satisfaire les 20% de demandes résiduelles, on a besoin de tous les
documents restants tant celles-là sont disparates.
Cette structure a d’importantes conséquences économiques pour les
biens culturels et informationnels. Ainsi, dans une situation de marché
les revenus se concentrent fortement sur les biens les plus demandés et
cette concentration se répercute en s’amplifiant sur les responsables de
la production. La structure des rémunérations dans l’industrie de
l’information et de la culture est très inégalitaire, beaucoup plus sans
doute que dans la plupart des autres secteurs. Les succès commerciaux
spectaculaires permettent de compenser les échecs beaucoup plus
nombreux. Cette structure pilote aussi l’économie des revues
scientifiques, classées par leur « facteur d’impact » ou encore est à
l’origine du Pagerank de Google.
Inversement, l’éclatement de la demande justifie le maintien du plus
ancien des médias : les bibliothèques. Il est bien difficile, en effet, de
construire une économie marchande pour une demande aussi dispersée.
La solution réside dans la mutualisation des coûts de collecte et de
stockage pour proposer un service d’accès global à la collection réunie
en faveur d’une communauté donnée.
Une nouvelle fois, le numérique et le Web ont accentué la tendance
en facilitant les échanges communicationnels et transformant la structure
des coûts de distribution et de transaction. Plus exactement, ils ont
souligné la concentration par les effets de « buzz » et facilité la
rentabilisation des éléments les moins demandés par la fluidification des
échanges. C. Anderson a proposé d’appeler ce phénomène « la longue
traîne » (The Long Tail)18
. Il imaginait grâce à l’élargissement des
marchés de niches une rentabilisation possible. Les études empiriques
ultérieures ont montré que cet espoir était rarement couronné de succès.
18
Chris Anderson, La Longue traîne, Village Mondial, 2009 (2e édition, édition anglaise
2006)
JM Salaün – Les sept piliers
36
Temporalité
Les conséquences économiques de la concentration que nous venons
de décrire sont plus fortes pour le modèle éditorial où les biens
informationnels sont vendus individuellement (les livres, les disques,
etc.) que pour la presse dont la parution régulière fidélise le lectorat.
La gestion du temps joue en effet un rôle important dans la
résonance. Pour bien le comprendre, il faut d’abord se rendre compte
qu’un document est au sens propre une machine à remonter le temps.
C’est une trace d’un évènement passé transmis aux lecteurs futurs. Ce
rapport au temps peut se lire dans les nombreux titres de journaux qui y
font référence : Le Temps, The Times, etc. L’histoire même des médias
témoigne de l’accélération des sociétés. Après les bibliothèques qui
visent l’éternité, sont apparus successivement l’édition de livres au
rythme annuel, puis les journaux vite quotidiens et enfin le direct à la
télévision. Ainsi la résonance entre les médias peut aussi se comprendre
comme une déclinaison du temps documentaire. Le passage d’un même
contenu ou d’une même thématique d’un média à l’autre est courant,
mais représente une relation différente au temps documentaire.
Le web une nouvelle fois modifie notre rapport au temps
documentaire. Il l’accélère et l’élargit. L’accélération est une évidence
pour qui navigue sur le réseau. On ne peut plus attendre la publication
du journal, il nous faut l’information immédiate. Mais le web autorise
aussi des retours temporels plus simples, par exemple par la
consultation des archives des journaux. Cette question du temps
documentaire n’a fait l’objet que de très peu d’investigations du côté des
économistes alors qu’elle modifie profondément la résonance entre les
documents et donc la mesure de leur valeur.
Résumé
Sous l’effet de la résonance qui relie entre eux aussi bien les
documents que les lecteurs, la demande de documents se
concentre sur un très petit nombre et se disperse sur un très grand
nombre.
La résonance produit des « externalités » qui verrouillent les
marchés et donnent au leader une position écrasante.
La résonance est le résultat d’une déclinaison du temps
documentaire. Le web est un puissant vecteur de résonance et
d’accélération documentaire.
JM Salaün – Les sept piliers
37
Une économie particulière
Chacun de ces sept piliers souligne une particularité forte du document
qui trouve sa traduction en économie et se renouvelle dans le numérique
et sur le web. Les piliers ne sont pas indépendants les uns des autres et
leur présentation individuelle et leur ordre ne sont ici qu’une contingence
d’écriture. Leur regroupement en sept éléments comprend une part
d’arbitraire. Un autre auteur aurait sans doute choisi un autre découpage.
Mon objectif n’était pas de faire œuvre théorique mais de souligner les
principaux points de la manière la plus parlante possible pour un non-
initié.
De plus l’illustration par l’exemple du journal a tendance à resserrer le
propos sur ses spécificités. Si j’avais privilégié le livre ou un média
audiovisuel comme la radio, la télévision, le disque ou le cinéma,
l’éclairage aurait estompé des aspects différents et fait ressortir plus
nettement d’autres. Néanmoins le propos général n’en aurait pas été
modifié.
Malgré ces limites, je crois la parabole suffisamment démonstrative
pour être convaincante et généralisable mutatis mutandis. Celle-ci
dessine une économie pour l’information et le document sensiblement
différente de celle des biens ou services ordinaires. Pour en montrer la
pertinence, on peut classer les différents piliers selon les trois
dimensions du document19
: la forme, le texte et le médium.
19
Vu, lu, su. Les architectes de l’information face au monopole du web, Jean-Michel
Salaün, La Découverte 2012.
JM Salaün – Les sept piliers
38
Suivant sa première dimension, la forme (vu) un document
est une promesse (pilier 5). Sans connaître son contenu,
nous savons déjà que c’est un document et nous
pressentons qu’il sera pour nous utile, intéressant, distrayant
ou à l’inverse sans attrait. C’est la définition même du bien
d’expérience en économie. Cette dimension qui privilégie
l’objet permet de souligner une autre caractéristique très
importante pour son économie : sa plasticité (4). Un
document est un objet fini, constitué d’éléments finis. Il est
portable, transférable. Il peut être facilement découpé,
réagencé pour devenir autre.
De la deuxième dimension, celle du contenu ou du texte (lu),
découle d’abord la variabilité de la valeur d’un document qui
dépend de son interprétation (3), par définition changeante
selon les contextes. Autre facteur important pour l’économie,
le contenu d’un document est singulier (2). Enfin, le contenu
a la potentialité d’un bien non rival et non excluable, il se
conserve (1), il n’est pas détruit par sa consommation.
Enfin, la troisième dimension, celle du médium, qui insiste sur
sa portabilité dans le temps et dans l’espace, suggère de
fortes externalités. Des effets de résonance (7) se mettent
alors en place, concentrant l’attention (6), dont nous avons vu
les limites, sur un petit nombre de documents.
Cette présentation nous permettra d’éclairer le chemin pris par les
différents modèles de médias pour se mettre progressivement en place
au cours de l’histoire et aussi les stratégies des groupes et des
entreprises qui se déploient aujourd’hui dans le numérique et sur le web.
Comme bien d’autres activités d’une économie dite post-industrielle,
la presse en ligne passe progressivement d’une production de biens, les
journaux, à la production d’un service, l’accès continu à des articles.
Grâce à la plasticité de l’information et aux applications qui ont été
développées, les internautes peuvent construire leur journal à la carte, ils
peuvent même intervenir, en envoyant par exemple des commentaires.
Comme dans tout service, ils participent activement à l’activité de
production. Dans le même temps, la valeur économique créée par
l’activité des lecteurs échappe de plus en plus aux propriétaires de
journaux pour être captée par les nouveaux acteurs du web, opérateurs
de réseau et moteurs qui sont en contact direct avec les internautes.
Enfin les terminaux mobiles (tablettes, téléphones 3 ou 4G) autorise une
lecture selon une posture de loisir, enfoncé dans un fauteuil ou sur un
siège en concurrence avec une autre activité, debout en déplacement,
contrairement à l’ordinateur qui suggère une posture de travail, assis à
JM Salaün – Les sept piliers
39
un bureau au travail. La posture de loisir est celle de la lecture ordinaire
du travail.
Le modèle du journal imprimé est donc largement concurrencé par le
numérique. Il est probable qu’il n’accompagnera plus très longtemps
votre petit déjeuner ou peut-être avez-vous, comme ce blogueur, déjà
décidé d’y renoncer : Année après année, j’ai renoncé à mes
abonnements aux journaux papier, mais il m’était difficile de me séparer
du Times. La qualité était élevée, le papier tombant sur le trottoir rendait
un son agréable pour se réveiller le matin, j’aimais la sérendipité de la
balade entre les rubriques, et me sentais obligé de payer pour mon
exemplaire papier au moment où les abonnés devenaient une espèce en
voie de disparition. Mais après des années de tergiversations, c’est fini.
La préservation de l’environnement aurait pu être un argument déjà
suffisant, mais tout simplement ma lecture se fait de plus en plus sur
écran (seules résistent la fiction et la poésie). Et nombre de ces lectures
viennent du Times. Ce qui m’a amené à l’inévitable est d’avoir réalisé un
matin blême, lorsque je lisais le journal sur la table de la cuisine, que j’en
avais déjà lu beaucoup (la plupart ?) en ligne. Même pour tout le plaisir
du toucher et de l’impression, le Times sur papier arrive trop tard. Le
journal du jour, ce sont les nouvelles de la veille20
.
La baguette de pain pendant ce temps n’a pas vraiment bougé. Elle
reste toujours une valeur sûre pour votre petit déjeuner !
20
Jimmy GUTERMAN, « Goodbye, New York Times », O’Reilly Radar, 24 mars 2008.
(traduction personnelle).
JM Salaün – Les sept piliers
40
Jean-Michel Salaün
octobre 2012
révisé janvier 2013
août 2013
août 2014
août 2015
JM Salaün – Les sept piliers
41
Exercice
Exposer les particularités de l’information et du document, comme nous
venons de le faire, paraît assez simple. Les différents piliers se
succèdent et on comprend bien leur logique de façon isolée.
Dans la réalité, ces particularités se superposent et sont intriquées
les unes dans les autres et elles sont toutes peu ou prou concernées.
Dès lors, il est souvent difficile de repérer les principales logiques
économiques qui conduisent à telle ou telle situation, telle ou telle
évolution, telle ou telle décision. Pourtant pour analyser lucidement
l’économie du web, il est bien utile de repérer quelle particularité, quel
pilier est principalement à l’origine d’une situation.
Pour vous aider à acquérir cette expertise, voici un petit exercice. Il
s’agit de repérer à quels piliers se rattachent les trois citations ci-
dessous. Je vous en ai indiqué le nombre, essayez de trouver lesquelles
sont concernées. Les réponses sont à la dernière page.
Citation 1
Le fait de partager plus, même simplement avec ses amis proches ou sa famille, crée une culture plus ouverte et conduit à une meilleure compréhension de la vie et des perspectives des autres. Nous croyons que cela crée un plus grand nombre et de plus solides relations entre les gens, et que cela aide les gens à être exposés à un plus grand nombre de points de vue différents. En aidant les gens à réaliser ces connexions, nous espérons réorienter la façon dont les gens diffusent et consomment l'information. Nous pensons que l'infrastructure informationnelle du monde devrait ressembler à un graphe social, un réseau construit à partir de la base ou pair à pair plutôt que la structure monolithique descendante qui existe aujourd'hui. Nous croyons aussi que donner aux gens le contrôle sur ce qu'ils échangent est un principe fondamental de cette réorientation.
Marc Zuckerberg Form S-1 REGISTRATION STATEMENT, Facebook 1er février 2012.
Trois piliers sont directement concernés par cette citation et,
secondairement un quatrième. Saurez-vous les repérer ?
JM Salaün – Les sept piliers
42
Citation 2
Les livres numériques sont une menace aux libertés traditionnelles des lecteurs. Le meilleur exemple en est le Kindle, qui attaque les libertés traditionnelles. Pour acquérir une copie d’une œuvre, le droit à l'anonymat, par le paiement en liquide par exemple, est impossible. Amazon garde trace de tout ce que les utilisateurs ont lu. Il y a aussi la liberté de donner, prêter ou vendre les livres à quelqu'un d'autre. Mais Amazon élimine ces libertés par les menottes numériques du Kindle et par son mépris de la propriété privée. (..) Il y a aussi la liberté de garder les livres et de les transmettre à ses héritiers. Mais là encore, Amazon élimine cette possibilité par une porte dérobée dans le Kindle, qui a été utilisée en 2009 pour supprimer des milliers d'exemplaires de copies autorisées du 1984 d'Orwell. (..) La menace à la liberté est le problème principal. Donc les autres bienfaits possibles sont sans importance.
Stallman : 'Je redoute les menottes numériques de l'ebook' ActuaLitté, 9 juillet 2011.
Cette citation fait prioritairement référence à un pilier et,
secondairement, à un autre. Saurez-vous les repérer ?
Citation 3
Je crois que le pouvoir des Bib Data c'est qu'elles renseignent sur les
gens plutôt que sur leurs croyance. Il s'agit du comportement des
consommateurs, des employés et des prospects pour vos nouvelles
affaires. Contrairement à ce que la plupart des gens croient, il ne s'agit
pas des choses que vous postez sur Facebook, il ne s'agit pas de vos
recherches sur Google, et ce ne sont pas non plus les données tirées du
fonctionnement interne de l'entreprise et des RFID. Les Big Data
proviennent de choses comme les données de localisation de votre
téléphone mobile ou de votre carte de crédit. Ce sont les petites miettes
de données que vous laissez derrière vous quand vous vous déplacez
sur terre.
Ce que ces miettes racontent, c'est l'histoire de votre vie. Elles disent ce
que vous avez choisi de faire. C'est très différent de ce que vous mettez
sur Facebook. Ce que vous mettez sur Facebook, c'est ce que vous
voudriez dire aux gens, rédigé selon les normes d'aujourd'hui. (...)
JM Salaün – Les sept piliers
43
Alex Pentland « Reinventing Society In The Wake Of Big Data ». Edge,
août 30, 2012.
Cette citation renvoie principalement à trois piliers, saurez-vous les
repérer ?
JM Salaün – Les sept piliers
44
Corrigé de l’exercice
Citation 1
La résonance : c’est le principe même de l’idée de graphe social.
L’interprétation : la diversité des points de vue auxquels nous serions
confrontés
L’attention : Il s’agit de soulager ou d’orienter notre attention en nous
proposant des messages qui nous intéresse, pour, par la suite, la
proposer à des annonceurs.
La singularité : Secondairement, par l’idée de culture ouverte et donc
de bien commun.
Citation 2
La conservation : Les « menottes numériques » (DRM) transforment les
fichiers sur le Kindle en biens rivaux.
L’attention : Les traces de lectures sont enregistrées par Amazon.
La singularité : Secondairement, dans la mesure où la suppression du
1984 a été réalisée au nom du droit d’auteur.
Citation 3
L’interprétation : L’agrégation des traces constitue une sorte de
néodocument permettant d’interpréter votre comportement
La plasticité : Le calcul sur les données.
L’attention : Le ciblage par l’exploitation des traces.