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Déontologie
Les internesseront-ils bientôt
inscrits à l’Ordre ?Depuis plusieurs années, les structures
représentatives des jeunes médecins, des internes et des
étudiants en médecine travaillent en partenariat avec le
Conseil National de l’Ordre des Médecins pour réfléchir
aux aspects déontologiques liés à notre formation et à
l’exercice futur de notre profession.
C es travaux, souvent très riches, donnent lieu
chaque année à l’édition d’un rapport officiel
validé par la session plénière du Conseil National.
Cette année, j’ai eu l’honneur de présenter ce rapport
au nom de l’ISNIH et le Président de l’Ordre National,
le Dr. Michel Legmann, a pris le ferme engagement de
suivre un certain nombre des préconisations que nous
y avançons.
C’est ainsi que nous devrions connaitre prochainement
une modification du Code de Déontologie médicale
(et donc du code de la santé publique qui le contient),
et que nous nous verrons certainement bientôt proposer
une adhésion symbolique à l’Ordre à titre probatoire
comme c’est déjà le cas au Canada par exemple.
L’intérêt de ces mesures sera important pour nous au
quotidien puisqu’elles vont permettre une protection
renforcée lors de notre exercice quotidien, une
clarification de nos autorisations d’exercer la médecine
« sous la responsabilité » d’un tiers et surtout, une
possibilité de recourir à l’Ordre pour régler les
problèmes qu’il nous arrive de rencontrer avec nos
« seniors » en cas de manquement déontologique
de leur part à notre endroit (refus de formation,
pressions, harcèlement, chantage, non respect de notre
statut,…).
Vous pouvez lire plus en détail ci-dessous les conclu-
sions de ce rapport relatif à ce que nous avons choisi
d’appeler « la déontologie du compagnonnage »
Conclusions
Session CNOM jeunes médecins
2008-2009
« […] Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre […] »
Serment d’Hippocrate, IVème siècle avant JC, traduc�on par E. Li�ré
Malgré les siècles nous séparant de cette version originelle du serment d’Hippocrate, les préceptes qui y sont
énoncés sont plus que jamais d’actualité aux yeux des jeunes médecins.
En effet, les étudiants et internes en médecine d’aujourd’hui sont très attachés à cette notion de « compagnonnage »
dans l’apprentissage de l’Art Médical.
L’excellence de la formation médicale française s’explique en partie par cette logique d’accompagnement qui est
mise en œuvre au cours de nos études, par cette formation professionnalisante, à nulle autre comparable, réalisée
directement au lit du malade.
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Déontologie
Pourtant, depuis quelques années, les jeunes médecins
ne peuvent que déplorer un recul de cette démarche de
compagnonnage.
Plusieurs causes à ce fléchissement peuvent être
évoquées au premier rang desquelles l’inadéquation
numérique entre formateurs et formés au regard de
l’augmentation récente du nombre d’étudiants en
médecine. Pour cette première cause, peu de
remèdes peuvent être suggérés sinon de conseiller à
nos dirigeants la prudence et le discernement lors de
l’établissement des numerus clausus.
Le manque de terrains de stage pour les plus jeunes
d’entre nous est également générateur de difficultés
avec des services hospitaliers qui accueillent parfois
plus d’une dizaine d’externes simultanément, situation
regrettable et délétère et surtout peu propice au déve-
loppement d’un réel compagnonnage (sans parler du
problème évident posé pour l’intimité des malades).
Le même problème est rencontré par les internes de
certaines régions françaises (celles considérées comme
médicalement « sous dotées ») dans lesquelles on les a
affectés en trop grand nombre sans évaluation préala-
ble des capacités de formation et d’encadrement. C’est
dans ce cadre que les internes ont demandé et obtenu
récemment un rééquilibrage dans les lieux d’affectation
et la possibilité de faire des stages en milieu libéral.
Enfin, une certaine individualisation des comportements
est à déplorer depuis quelques années et les jeunes se
heurtent de plus en plus souvent au refus de certains
praticiens de prendre une part active dans cette
transmission des savoirs au prétexte que cela ne re-
lève pas de leur statut, au prétexte qu’ils ne sont pas
« universitaires ». S’il est logique que cette mission
d’enseignement incombe en premier lieu à ceux qui
en ont reçu mission de par leur statut, il nous semble
important aujourd’hui que le CNOM rappelle à tous les
médecins, libéraux comme salariés, universitaires ou
non, qu’il s’agit là d’un vrai devoir incombant à tout
médecin.
A cet effet, la commission a réfléchi à plusieurs
moyens :
Le plus important à nos yeux passe par une proposition
de modification du code de déontologie médicale
pour y réintégrer explicitement la notion de « devoir
de compagnonnage » qui a malheureusement disparu
de la rédaction actuelle du serment d’Hippocrate et
ne figure plus dans le code.
Dans le titre I du Code de déontologie sur les
devoirs généraux des médecins, nous proposons
ainsi de rajouter un article prévoyant pour tout
médecin, qu’il soit universitaire ou non, un devoir de
formation de ses pairs et en particulier de ses jeunes
confrères. Nous pourrions suggérer la rédaction
d’un nouvel article qui préciserait par exemple:
“Dans la juste et sincère mesure de sa disponibilité, un médecin a le devoir moral de former à l’intégralité de son art les étudiants ou internes en médecine et les confrères qui le sollicitent”
Pour une bonne pratique de la part de l’ensemble des
formateurs, il convient de fixer un cadre à cet article
avec quelques règles simples concernant la transmis-
sion des connaissances. Ce cadre pourrait prendre la
forme d’une « charte du médecin formateur » que nous
pourrions rédiger ainsi :
CHARTE DU MEDECIN-FORMATEUR
1) Quel que soit mon mode d’exercice, quelle que soit ma spécialité, que je sois ou non universitaire, parce que je suis médecin, je suis aussi formateur.
2) En tant que médecin, j’accueillerai ainsi avec bienveillance les demandes de formation de mes pairs ou de mes futurs confrères.
3) Conformément aux préceptes édictés par le serment d’Hippocrate, j’ai le devoir de transmettre à ceux qui m’en feront la demande l’intégralité de mon savoir dans la juste et sincère mesure de ma disponibilité.
4) Je m’engage à m’inscrire tout au long de ma carrière dans une dynamique de compagnonnage indispensable à l’apprentissage de l’art médical tant en formation initiale qu’en formation continue.
5) Quel que soit leur statut, je considèrerai toujours avec respect et bienveillance ceux qui seront mes élèves.
6) Je ferai preuve à leur égard de considération, d’équité et de dévouement et m’assurerai du respect de leur statut et de leur condition.
7) Je définirai à l’avance avec eux des objectifs clairs de formation et accepterai le principe d’être évalué.
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Si les médecins formateurs se doivent de se plier à ces
quelques recommandations comme à un devoir, et si le
droit à la formation des futurs médecins apparaît comme
incontestable, il n’en demeure pas moins que ces futurs
médecins ont aussi des devoirs et des obligations.
En l’état actuel des choses, le statut particulier des
internes, médecins sans être encore docteurs, qui
exercent la médecine « sous la responsabilité d’un
praticien responsable », ne les assujettit pas, sur le
papier, aux devoirs et obligations de confraternité
prévues par le Code de Déontologie.
En particulier, rien dans le code de déontologie ne
précise les rapports qu’ils doivent entretenir avec les
médecins séniors, rien n’est précisé non plus concernant
les règles déontologiques de cet exercice médical de la
part d’un médecin étant en situation de subordination.
Pourtant, à l’instar de ce qu’on peut parfois tristement
déplorer dans les rapports entre médecins seniors, les
rapports internes/seniors ne sont pas épargnés par des
situations conflictuelles toujours préjudiciables tant aux
patients qu’à l’image et à l’honneur de la profession.
La difficulté de l’apprentissage de la médecine, la
pression et les rythmes de travail imposés à tous
par l’hôpital, la compétition parfois malsaine pour
obtenir des gratifications universitaires sont autant
d’ingrédients à un mélange pouvant être détonnant et
les représentants des jeunes médecins connaissent mal-
heureusement tous dans leur ville des services hospita-
liers où la problématique n’est pas le respect du devoir
de compagnonnage mais le simple respect des droits
fondamentaux des individus !
Le code de déontologie précise pourtant de manière très
extensive dans son titre III non seulement les rapports
que doivent entretenir les médecins entre eux (article
56)1, mais aussi ceux qu’ils doivent entretenir avec les
1 Article 56 (article R.4127-56 du code de la santé publique) : « Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l'inter-médiaire du conseil départemental de l'ordre. Les médecins se doivent assistance dans l'adversité. »
autres professions médicales (article 68)2. Il serait peut-
être souhaitable de préciser aussi ce que doivent être
leurs rapports avec les internes en médecine qui, même
s’ils sont encore en formation, n’en demeurent pas
moins de réels praticiens de l’art médical au quotidien.
A cet effet, deux possibilités ont pu être envisagées par
notre groupe :
1- Un alinéa pourrait être ajouté à la suite de l’article 56
du code de déontologie pour le compléter en impliquant
les internes. Une rédaction de ce type pourrait être
proposée :
« Les devoirs et obligations prévus entre confrères dans le présent code sont également opposables entre médecins et internes en médecine. »
De ce fait, les premiers seraient tenus au respect des
seconds, dans la limite de leur savoir, en faisant preuve
à leur égard de considération, d’équité, de dévouement
et en s’assurant du respect de leur statut. Les seconds
seraient réciproquement tenus au respect et à la
considération des premiers et au respect des missions
qui leur sont par eux raisonnablement confiées.
2- Une deuxième alternative, plus simple bien que
plus novatrice, serait d’intégrer tout simplement les
internes en médecine à l’Ordre des Médecins selon des
modalités à définir. L’ensemble des droits et des devoirs
des médecins incomberaient dès lors très logiquement
à tous ceux qui pratiquent effectivement la médecine
qu’ils soient diplômés ou non.
Philippe CATHALA
Président de l’Union des Internes du Languedoc-Roussillon
Secrétaire Général de l’ISNIH
Chargé des
rela�ons avec le
Conseil
Na�onal de
l’Ordre des
Médecins
2Article 68 (article R.4127-68 du code de la santé publique) : « Dans l'intérêt des malades, les médecins doivent entretenir de bons rapports avec les membres des professions de santé. Ils doivent respecter l'indépendance professionnelle de ceux-ci et le libre choix du patient. »
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