Septembre 2007
Université catholique de Louvain Faculté des Sc iences Économiques, Soc ia les et Politiques
La gare ferroviaire de Parakou,
la détresse des machines,
la prière des hommes
Pascal LAVIOLETTE
Monographie présentée en vue de l’obtention du diplôme d’Études spécialisées en anthropologie (ANTR 3 DS)
Sous la direction du Pr. Pierre-Joseph LAURENT Lecteurs : Pr. Daniel BODSON, Mathieu HILGERS
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À Abdou Salam Fall, ami sénégalais qui en juillet 1992 à Porto-Novo, m’a initié à une Afrique africaine, même si « un long séjour dans l’eau
pour un tronc d’arbre n’en fera jamais un crocodile ».
À Régine, Sarah et Léa qui, en mars, juillet et août, ont fait preuve de compréhension, de patience et de soutien.
À Prospère Agbodouama (conducteur-mécanicien), Jules Agbomahena (chef de gare), Épiphane Akpoué (chef dépôt),
Marcel Capochichi (chef entretien), « Fous le camp ! » Abdoulkarim Garba (chef division trafic routier), Pierre Gandjo (chef manutention), Bio Gounou (agent de sécurité), M’Po Kouagou (chef amortissement),
Jean-Claude Kpodanho (secrétaire du directeur), Djibo Moutary (chef arrivage PV), Léandre Ondonyetan (chef section
frais de tonnage), Saley Yataga (directeur d’agence), Adrien Zannou (caissier)… et à tous leurs collègues cheminots.
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Remerciements
J’adresse mes plus profonds remerciements à Thierry Medjotin, traducteur
occasionnel, facilitateur attitré et compagnon de terrain toujours dévoué.
Je remercie chaleureusement les chercheurs du Lasdel1 (Laboratoire d'études et
de recherches sur les dynamiques sociales et le développement local) présents
lors de mon passage à Parakou pour leur sens de l’accueil et pour les
informations précieuses qu’ils m’ont transmises : le Dr Éric Komlavi Hanonou, le
Dr Abou-Bakari Imorou, les doctorants Aziz Chabi Imorou et Saï Soutima.
Je tiens à remercier le professeur Pierre-Joseph Laurent, directeur du présent
mémoire, pour les conseils éclairés mais aussi pour l’amabilité avec laquelle il a
dispensé ceux-ci, avant mon départ et durant la réalisation du mémoire.
Merci également à Mathieu Hilgers pour ses encouragements avisés.
Enfin, merci à Nadine Duriau pour son travail efficace de relecture et à Jean-
Michel Hayen pour l’apport graphique indispensable et créatif en cartes et
croquis.
1 Le présent mémoire respectera les règles typographiques énoncées dans le Manuel de typographie française élémentaire (Yves PERROUSSEAUX, Ateliers PERROUSSEAUX éditeur, 4e édition, 1995).
NB : toutes les photos ont été réalisées durant le terrain par l’étudiant.
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Table des matières
Introduction ........................................................................ 5
La crise du rail ..................................................................... 9
1. Nostalgie ............................................................................................. 10 2. Histoire d’un chemin de fer................................................................... 11 3. Les rails se reposent ............................................................................ 13
3.1. « Quand l’OCBN était l’OCBN » ............................................................................................13 3.2. Les raisons du déclin ...........................................................................................................15 3.3. L’agence OCBN....................................................................................................................17
La prière des hommes....................................................... 20
4. Parakou...............................................................................................21 4.1. Le peuplement ....................................................................................................................21 4.2. Ville de transit .....................................................................................................................22 4.3. Tensions latentes, violences sporadiques..............................................................................24 4.4. Le marché Arzèkè et l’élite locale .........................................................................................25
5. Le culte des aînés ................................................................................ 29 5.1. La grande grève historique .................................................................................................. 31 5.2. Le 59e anniversaire ..............................................................................................................33
6. Les cheminots...................................................................................... 34 6.1. Sirène et frémissements ......................................................................................................35 6.2. L’attente..............................................................................................................................37
7. Le malheur des uns… ........................................................................... 40 8. Sorties de crise .................................................................................... 43
8.1. Première lueur d’espoir : le port sec.....................................................................................45 8.2 Seconde lueur d’espoir : Africarail ........................................................................................47 8.3. La privatisation : le contre-exemple sénégalais .....................................................................48
Joies et difficultés épistémologiques ............................... 51
9. Le choix du terrain ............................................................................... 52 10. Le temps ........................................................................................... 54 11. Micro-terrain, macro-expérience .......................................................... 56
Conclusion......................................................................... 60
Bibliographie ..................................................................................64 Annexes..........................................................................................69
Annexe 1 - Carte du Bénin..........................................................................................................70 Annexe 2 - Exercices ethnologiques préparatoires au terrain .......................................................71 Annexe 3 - Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009 ..............................................................73 Annexe 4 - États des routes Cédéao............................................................................................75 Annexe 5 - Infrastructures de transports en Afrique de l’Ouest ....................................................76
p. 5
Admirons la louable franchise des chemins de fer qui,
pour nous mettre en garde, inscrivent au front
de toutes les stations le mot « gare » !
Albert Willemetz
Introduction
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Cotonou, lundi 12 mars 2007, premier jour d’un terrain ethnologique d’un mois,
à passer entre deux gares terminus, avec les passagers, les vendeurs, les
bricoleurs de toute sorte, lors des arrêts organisés et des haltes impromptues
sur les 438 km de la ligne ferroviaire Cotonou–Parakou. Quartier Joncquet : un
immense volet métallique barre l’entrée de la « grande gare ». Le calme qui
règne sur la placette contraste nettement avec l’agitation folle de la capitale
économique où des milliers de zem2 imposent leur rythme ; ici, pas de
vendeuse, pas de chaland. « Le train ne circule plus. La machine est en panne.
Les pièces sont commandées mais elles tardent à arriver. C’est depuis deux
mois » me confie un fonctionnaire dépité. Sentiment qui m’affecte sur le champ.
Pour un anthropologue, voir son terrain disparaître, c'est très tendance. Un
terrain fuyant peut encore s'observer, s'analyser, s'expliquer. En ce qui me
concerne, mon objet d'étude s'est dissout avant même que je ne le rencontre.
Le train voyageurs Cotonou–Parakou, lieu mobile d'échanges marchands et non
marchands, lieu (é)mouvant de rapports sociaux, le train donc s'était fait la
malle… Mon projet anthropologique prenait l'eau. Les banquettes pourpres de
l'autorail Soulé n'accueilleront plus mon postérieur, comme elles l'avaient fait en
1997 et 1999, lorsque je cheminais, en compagnie de quelques stagiaires
journalistes et photojournalistes, dans les départements du Borgou ou des
Collines3.
Mes exercices ethnologiques préparatoires au terrain, laborieux et hivernaux
(janvier dernier), dans le Louvain-la-Neuve–Université à destination de Bruxelles
et Binche de 7 h 45, ne serviront à rien4. Je pouvais définitivement ôter de mon
esprit mes observations, mes pistes de réflexions, mes ébauches d’hypothèses…
Au diable le postulat séduisant de Daniel Terrolle – le voyage en train est
structuré comme un rite de passage, avec trois périodes successives qui le
2 Ou zemidjan : moto-taxis, « Littéralement "prends-moi sans ménagement", "sans précaution". Dans le langage courant, zemijan désigne indistinctement le vélomoteur-taxi ou son conducteur ou encore les deux à la fois » ; lire « La diffusion des innovations : l’exemple des zemijan dans l’espace béninois » de Noukpo San Agossou in Cahiers de géographie du Québec, Volume 47, numéro 130, Avril 2003 consulté le 3 juillet 2007 sur http://www.erudit.org/revue/cgq/2003/v47/n130/007971ar.html#no1. 3 Voir, pour plus de précision, la carte du Bénin en annexe 1, p. 71. 4 Parce qu’il m’est difficile de réellement les détruire, maigre consolation, je les publie en annexe…
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rythment : la séparation, la marge et l'agrégation5 – que je ne pourrai tester en
situation réelle, hors laboratoire.
Mauvais départ, en somme. Novice, je connaissais déjà l'errance de
l'ethnologue, chercheur non pas privé des balises de ses prédécesseurs mais,
pire encore, dépossédé d'objet. J'étais hagard – « a » privatif « gare » ? –
désorienté à l'idée de rentrer avec un carnet de terrain vierge, avec un carnet de
terrain vague, résultat d'observations de remplacement, de second choix, non
préparées, mal appropriées.
Avant de fouler un terrain ethnologique, j’ai donc eu à en refouler un autre. Non
sans mal. Les coupures d’électricité fréquentes à Cotonou – les « délestages » –
rendant les connections Internet très difficiles et le voyage à l’étranger de mon
directeur de mémoire n’arrangeaient rien à l’affaire : perdu en haute mer sans
radio, sans gilet ni canot de sauvetage. La première journée se termine dans
l’inquiétude et la fatigue, perdu dans une capitale économique où l’on mange à
la lueur d’une bougie et où l’on s’endort sans « brasseur6 ». La tempête gagne
mon cerveau. Que faire ? Tout devient prétexte à un autre terrain – l’évaluation
d’un projet de coopération mené dix ans auparavant ?, les zémidjan de
Cotonou ?, le tourisme à Grand Popo ?, etc. – mais rien ne me semble
suffisamment digne, ou assez préparé, ou ceci, ou cela. Comment expliquerai-je
à mon épouse cet échec, elle qui là-bas s’occupe de nos deux enfants ?
Comment affronterai-je mes collègues et professeurs du DES qui m’ont tant dit
qu’ils trouvaient mon terrain intéressant ? Que vais-je faire ici durant un mois,
déçu, stressé, idiot ? À quoi bon un tel investissement financier, ces fonds
perdus ?
Après ces vingt-quatre heures d’interrogation (et parfois d’angoisse), une
intuition me fit quitter Cotonou pour Parakou, par la route RNIE 2, celle qui
longe (et traverse régulièrement) les rails durant tout le trajet. Destination : le
terminus de la voie ferrée. Et, par chance, les bureaux du Lasdel7, le laboratoire
d'études et de recherches sur les dynamiques sociales et le développement
local, où ma rencontre avec le Dr Éric Komlavi Hanonou, chercheur, socio-
anthropologue, sera déterminante pour la présente étude. Sur ses conseils,
5 « "Entre-Deux" » in Ferveurs contemporaines. Textes d'anthropologie urbaine offerts à Jacques Gutwirth, réunis par Colette Pétonnet et Yves Delaporte, Paris, L'Harmattan (collection Connaissance des Hommes), 1993. 6 Ventilateur. 7 Quartier Albarika, « ancien Kilombo », route de Djougou.
p. 8
j'entrepris de ne pas lâcher le train mais au contraire de m'intéresser de près à
son absence, d'en diagnostiquer les causes, d'envisager les impacts
économiques et sociaux pour les utilisateurs, de repérer les nouvelles stratégies
de déplacement, etc. Bref, de m'interroger sur la crise du rail, sur son caractère
momentané ou définitif, annonciateur ou non de changements plus profonds.
Coïncidence ? C’est un texte du Lasdel, parcouru une nouvelle fois dans le vol
AF 814 Charles de Gaule–Cotonou, qui va dessiner les contours de mon
approche méthodologique :
« Sociologie, anthropologie et histoire, bien que partageant une seule et même
épistémologie, se distinguent "malgré tout" par les formes d’investigation
empirique que chacune d’entre elles privilégie, à savoir les archives pour l’historien,
l’enquête par questionnaires pour la sociologie, et "le terrain" pour l’anthropologie.
On conviendra cependant volontiers qu'il ne s'agit là que de dominantes, et qu'il
n'est pas rare que l'on aille emprunter chez le voisin. En particulier, l'enquête de
terrain a acquis une place non négligeable en sociologie. De fait, il n'y a aucune
différence fondamentale quant au mode de production des données entre la
sociologie dite parfois "qualitative" et l'anthropologie. Deux traditions fondatrices
fusionnent d'ailleurs clairement : celle des premiers ethnologues de terrain (Boas,
et surtout Malinowski) et celle des sociologues de l'école de Chicago8. »
Mon approche sera donc résolument socio-anthropologique et urbaine puisque,
pour ancrer empiriquement mon analyse, la gare ferroviaire de Parakou m'a
semblé un choix judicieux. Un lieu pour poser mes bagages (intellectuels) et
partir à l'aventure (scientifique).
8 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, « L’enquête socio-anthropologique de terrain : synthèse méthodologique et recommandations à usage des étudiants » in Études et travaux, n°13, Lasdel, Niamey, octobre 2003, p. 30.
p. 9
Et si l’Histoire plaisantait ?
Milan Kundera (« La plaisanterie »)
Première partie
La crise du rail
p. 10
1. Nostalgie
À Parakou, la gare somnole, écrasée sous les 45 °C de ce mois de mars9.
Absence totale de mouvement. Le lieu se prêterait volontiers au tournage d’un
western, d’un film fantastique voire d’une œuvre surréaliste. Quelques agents
plaisantent, d’autres dégustent à l’ombre de l’akpan10, d’autres assis à leur
bureau regardent la télévision, d’autres encore ont allumé la radio… Il règne une
sorte d’ennui désabusé.
Pierre Gandjo, chef manutention : « Avant, quand le train roulait, il y avait de l’agitation partout. On aurait dit un marché permanent ici. Plein de gens vendaient à manger. C’était plein de monde partout. »
Léandre Odonyetan, chef section frais de tonnage : « Quand il y avait du fret, c’était parfois 40 camions par jour qui venaient charger. C’était du sérieux. Après, on est tombé sur la détresse des machines. Le trafic est tombé. »
C’était il y a quelques années encore. Quand chaque jour plus d’une centaine de
passagers se pressaient dès 7 h 30 pour embarquer à destination de Cotonou ou
de l’une des 37 gares intermédiaires. Quand Parakou accueillait trois à quatre
trains marchandises, « souvent en U.M., en unités multiples c'est-à-dire avec
deux locomotives tirant une charge maximale de 1.050 t11 ». Quand les
voyageurs en provenance de Cotonou débarquaient aux alentours de 20 h 30,
chargés de marchandises diverses achetées dans le Sud et encerclés de
vendeuses de yovo doko (beignets de blé), de ata (beignets de haricot) ou
encore d’akassa (pâte de maïs). Quand la ligne était « desservie par un parc
moteur effectif de trois12 autorails et d’une quinzaine de locomotives diesel13 ».
Aujourd’hui, avec une seule machine en état de service !, le chemin de fer
béninois n’est plus que l’ombre de lui-même…
9 Climat tropical sub-humide de type transitoire soudanien : la température moyenne annuelle est de 27,51 °C avec deux maxima en début et en fin de saison sèche (29,6 °C en mars et 31,11 °C en octobre). La pluviométrie annuelle varie de 1.100 à 1.200 mm. 10 Bouillie de maïs fermentée, légèrement acidulée, servie avec des glaçons et du lait concentré, vendue par une marchande ambulante. 11 Vincent Agossou, chef dépôt retraité. 12 Ou quatre selon les sources. 13 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, « L’arrière-pays international du port de Cotonou » in Bulletin de la Société belge d’Études géographiques, SOBEG, 1996, p. 105.
p. 11
2. Histoire d’un chemin de fer
« À l’arrivée des colonisateurs sur ce continent massif qu’est l’Afrique, les seules
voies de pénétration étaient les cours d’eau dont très peu étaient navigables. Si
l’on voulait transporter des marchandises autrement que par portage, la seule
technique envisageable était la voie ferrée. C’est ainsi que les réseaux d’Afrique
francophone ont été constitués de pénétrantes issues des ports et rejoignant les
pôles économiques de l’intérieur dans un triple but, stratégique, économique et de
lutte contre les famines14 ». L’état d’esprit qui prévaut en ce tout début du 20e
siècle place le développement du rail au cœur du projet politique ouest africain. En
1906, le Gouverneur général Roume affirme qu’« Aucun progrès matériel et moral
n’est possible sans voies ferrées dans les colonies d’Afrique » et Espitalier conclut
que « Construire le chemin de fer dès la première heure de la colonie, c’est créer le
meilleur instrument de pacification, car habituer les populations indigènes à
commercer, c’est leur faire tomber les armes des mains15 ».
C’est dans ce contexte colonial que s’inscrit le développement du chemin de fer
dahoméen16. À Cotonou, important comptoir français au 19e siècle, un wharf17
est érigé entre 1891 et 1899 afin d’optimaliser la sécurité et la rapidité des
opérations de transbordement des passagers et des marchandises. « Sa
destinée fut rapidement liée au chemin de fer, puisqu’il fit office à partir de 1902
d’origine (sic) d’une ligne de pénétration coloniale typique à écartement
métrique18 ». Les ingénieurs civils et militaires de l’Afrique occidentale française
(AOF) envisagent dès 1897 une ligne Dahomey–Niger, de Cotonou aux rives du
Niger, soit 760 km de rails et un millier de voies navigables. Outre les enjeux
économiques, c'est-à-dire le développement des échanges commerciaux et la
capacité de drainer vers la côte les ressources naturelles de l’arrière-pays, le
gouvernement de l’AOF19 voit dans ce projet « un intérêt stratégique certain. En
14 DUPRÉ LA TOUR, « Histoire des chemins de fer d’Afrique Noire francophone » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 20. 15 Tous deux cités par KIMBA Idrissa, « L’échec d’une politique d’intégration : les projets ferroviaires et le territoire du Niger (1880-1940) » in Réalités et héritages, sociétés ouest africaines et ordre colonial, 18895-1960, Dakar, Direction des archives du Sénégal, 1997, p. 455, consulté le 09/07/07 sur http://tekur-ucad.refer.sn/IMG/pdf/01E3KIMBA.pdf. 16 Depuis l’indépendance (1er août 1960), le pays s’est successivement appelé République du Dahomey, République populaire du Bénin (1974), République démocratique du Bénin (1990). 17 Plate-forme métallique avançant dans la mer perpendiculairement au rivage permettant aux navires de charger et de décharger. 18 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 95. 19 Protectorat français depuis 1892, le Dahomey intègre l’Afrique occidentale française en 1904 avant de devenir indépendant le 1er juin 1960.
p. 12
effet, par le fleuve Niger et le Soudan français, (la voie ferrée) mettra en
communication le Dahomey avec les possessions de l’Afrique occidentale20 ».
-- carte manquante --
Si à la veille de la Première Guerre mondiale, la ligne atteint Savè, à 293 km de
Cotonou, jusqu’en 1923, les effets économiques de la guerre ne permettront
plus aucune construction de ligne ferroviaire.
Le projet d’atteindre le Niger par le train au départ de Cotonou refait surface
dans l’entre-deux guerres. D’abord parce que « certains coloniaux pensaient que
l’apport matériel de l’AOF à la France pendant la guerre (en matières premières)
eut été plus important si les moyens d’évacuation avaient été plus
performants21 ». Ensuite parce que règne dans la région une lutte d’influence
entre Français et Britanniques ; aussi en raison de l’achèvement de la voie ferrée
Kano–Lagos en 1911, « Les autorités coloniales françaises insistent dans leurs
rapports sur la nécessité de lutter contre l’envahissement économique par
l’Angleterre et placent la question du chemin de fer au centre des
préoccupations économiques : "À l'heure actuelle les bénéfices de l'exploitation
des richesses du territoire profitent exclusivement à la seule colonie anglaise du
Nigeria dotée d'un important réseau de voies ferrées qui poussent leurs
antennes jusqu'à 200 km de nos centres de production agricoles"22 ».
-- carte manquante --
Deux entités vont exploiter le réseau ferroviaire : d’une part, la Compagnie
française de chemin de fer du Dahomey, une société privée qui chapeautait les
lignes de Cotonou à Savè (c'est-à-dire vers Parakou) et de Cotonou à Segboroué
(32 km vers l’ouest), ouvertes respectivement en 1906 et 1910 et regroupées
sous le terme générique de Central Dahoméen ; d’autre part, l'autorité coloniale,
20 BONTIANTI Abdou, « Un chemin de fer au Niger : rêve ou réalité » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 60. 21 KIMBA Idrissa, op. cit., p. 460. 22 KIMBA Idrissa, op. cit., p. 461.
p. 13
qui avait construit en 1905-1913 l'Est Dahoméen destiné à relier le port
lagunaire de Porto-Novo à Pobé (108 km), son arrière-pays, puis avait assuré en
1930 la jonction entre Cotonou et Porto-Novo (30 km)23. Dès lors, il n’est pas
étonnant que les tout premiers salariés cotonois soient des travailleurs ou des
ouvriers du wharf ou du chemin de fer.
L'exploitation des différentes lignes fut confiée en décembre 1930 au Service
des voies ferrées d'intérêt général du Dahomey, chargé également de la gérance
du wharf de Cotonou. Peu avant la guerre, l'ensemble fut repris par la Régie du
réseau "Bénin–Niger" (Réseau BN).
Si, à son apogée, le réseau comptait 608 km de lignes à voie métrique et
110 km à voie de 0,60 m, il n’a jamais atteint Malanville sur la rive gauche du
Niger, s’arrêtant à Parakou en 1936, à 438 km au lieu des 760 escomptés.
-- carte manquante --
De nombreuses raisons expliquent l’échec et l’abandon du projet : une
rentabilité économique incertaine ; la pénibilité des conditions de travail24 ; « les
deux guerres mondiales, la crise économique de 1929, les conditions climatiques
difficiles et les famines qui ont sévi en AOF dans les années 1930. Enfin, en
1936, l’argument stratégico-militaire n’était plus d’actualité vu que la pénétration
coloniale est parfaitement réalisée ainsi que la pacification de l’AOF25 ».
3. Les rails se reposent
3.1. « Quand l’OCBN était l’OCBN »
En 1954, le Réseau BN déclenche « l’opération hirondelle ». Soutenue par le
Haut Commissariat à Dakar et par une subvention de la Caisse de Compensation
23 D’après CARRIÈRE Bruno, « Un peu d'histoire » in La vie du rail, 14/07/04, consulté le 10 juillet 2007 sur http://www.archive-host2.com/membres/up/1124645788/p242526.jpg 24 « Il a fallu deux ans [1929-1931] et 3.000 travailleurs péniblement recrutés, le dynamitage de 18.000 m³ et 650.000 m³ de terrassement pour relier Savè à Alafia, une section de 20 km ! » selon Idrissa KIMBA, op. cit., p. 464. 25 BONTIANTI Abdou, op. cit., p. 61.
p. 14
des arachides du Niger-Est26, cette opération visait à évacuer par la voie
dahoméenne une partie de la récolte nigérienne d’arachides traditionnellement
écoulée via le port de Lagos :
« L’encombrement des Nigerian Railways et la pénurie de devises pour payer le
transport en zone Sterling incitèrent à monter une véritable opération multimodale
avec préacheminement routier (…) jusque Parakou et acheminement ferroviaire
final jusque Cotonou. Un flux important, aujourd’hui tari suite à la forte baisse de
la production (…) est alors venu se superposer aux modestes échanges que l’Ouest
du Niger entretenait déjà via Cotonou 27». Cette opération a également permis
d’approvisionner le Niger, au départ du Dahomey, en produits pondéreux (ciment,
tôles, fer, etc.)28.
Et aujourd’hui encore, les bordereaux des feuilles de tonnage utilisées par
l’OCBN à Parakou porte le sigle « O.H. »…
L'Organisation commune Dahomey–Niger créée en 195929 connaît une première
crise financière d’importance dès 1965. Suite à la cessation des activités du
wharf de Cotonou, dont l’OCBN était gestionnaire, au profit du nouveau port en
eau profonde et de la société nouvellement créée (Port autonome de Cotonou),
la société de chemin de fer perd la gestion du trafic portuaire et d’importants
bénéfices. En outre, la fin du transport des enrochements destinés à la
construction du port et le différend frontalier30 qui opposait le pays à la
République sœur du Niger, provoquant le détournement d’une partie du trafic
vers Abidjan, expliquent l’important déficit.
Sans concurrence réelle – l’état médiocre des routes et des pistes offre même
un certain monopole du transport de voyageurs vers le nord – et grâce à l’essor
important du trafic du port de Cotonou (stagnant sous les 300.000 t avant 1965,
il atteint près de 500.000 t en 1968 et près de 700.000 t en 197331), l’OCBN
26 KOGUI N’DOURO Issifou, Le transit facteur d’urbanisation de la ville de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie, Université Nationale du Bénin, 1978, p. 76. 27 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 106. 28 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 76. 29 Deviendra, en 1975, l’OCBN, l’Organisation commune Bénin–Niger des chemins de fer et des transports, établissement public bi-étatique doté d’une personnalité civile et d’une autonomie financière. 30 Depuis 1960, un conflit politique oppose les deux pays à propos de l’île de Lété (32 km²) située sur le fleuve Niger, conflit tranché par la Cour internationale de justice le 14 juillet 2005 et dont la décision a été acceptée par les deux parties. 31 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 99.
p. 15
redresse sa situation financière au début des années 70. Le Bénin confirme son
statut d’espace corridor32, de couloir de transit vers les pays de l’hinterland, avec
toutefois des relations inter-côtières importantes notamment avec le Nigeria33.
Comme dans les autres républiques issues de l’indépendance, le chemin de fer
connaît son âge d’or et accuse une forte croissance avec une moyenne annuelle
de 8% sur l’ensemble des réseaux34.
3.2. Les raisons du déclin
Alors que plus aucun des quatre autorails Soulé ne circule35, les seuls passagers
qui empruntent la ligne sont des touristes blancs ! À bord du Train d’ébène36,
deux wagons coloniaux en bois de teck datant de 1922 joliment rénovés et
tractés par une draisienne louée tout comme son conducteur à l’OCBN, une
clientèle aisée profite paisiblement d’un paysage varié entre Abomey, Dassa et
Parakou. Avec la dernière locomotive Alsthom diesel en état de fonctionner sur
les huit du parc initial (la BB 618, exclusivement destinée au transport de
marchandises), le Train d’ébène empêche les rails de se reposer
définitivement37. Détail piquant : depuis mon arrivée à Parakou, cinq jours
auparavant, la gare n’avait accueilli aucune machine… Ce dimanche 18 mars,
deux trains – l’un public, l’autre privé – s’y croisent !
En ville, chacun sait pourquoi « l’OCBN n’est plus l’OCBN ». « La crise a
commencé quand l’import de véhicules d’occasion s’est développé », me confie
un journaliste. Pour ce chercheur du Lasdel, c’est parce que « le parlement du
Niger est l’un des moins intellectuels de la sous-région ; (qu’)il est composé de
35 à 40% de commerçants transporteurs qui font pression pour que le chemin
de fer n’aboutisse pas (jusqu’au Niger). » Un intellectuel, membre d’un cabinet 32 DEBRIE Jean, De la continentalité à l’État enclavé, circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs ouest africain, Thèse de doctorat en géographie, Université du Havre, 2001, p. 99, consulté le 6 juillet 2007 sur http://www.batir-rca.org/enclavementContinentalite.pdf. 33 Le Bénin est décrit comme un « État-entrepôt », tirant l’essentiel de ses revenus des activités d’entreposage et de transit, s’inscrivant dans un double circuit officiel vers l’hinterland et illicite vers le Nigeria, (cf. IGUE John, SOULE Bio. L’État-entrepôt au Bénin. Commerce informel ou solution à la crise ?, Paris, Karthala, 1992). 34 DUPRÉ la TOUR François, « Histoire du chemin de fer en Afrique noire francophone » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 25. 35 Le dernier en état de marche a cessé de circuler début novembre 2006. 36 Propriétaire : Guy Catherine, un français, patron de Voyageur SARL, 01 BP 3041 Cotonou. 37 Un courrier reçu le 8 août m’informe que « la BB 618 tient toujours tant bien que mal, la 615 l’a secondée après un bricolage ».
p. 16
ministériel me demande : « pourquoi les gens prendraient le train qui met dix
heures pour relier Cotonou alors qu’en taxi on met seulement quatre à cinq
heures ? »
Un document interne et confidentiel rédigé par un cabinet de comptables de
Cotonou38, pose un diagnostic précis d’une situation désastreuse : l’OCBN, qui a
connu de bonnes performances jusqu’en 1998, est actuellement en état de
cessation de payement avec une chute de son chiffre d’affaires de 90% en sept
ans et un tonnage qui est passé de 340.000 t en 1998 à 52.000 t en 2005. Le
transport de voyageurs, totalement à l’arrêt depuis novembre dernier (voir
supra), décroît depuis 1986 : de 1.502.000 clients, le trafic est tombé à 442.000
en 199339.
Trafic marchandise OCBN
0
100
200
300
400
500
1986 1993 2000 2003 2005
ton
ne
(x
1.0
00
)
D’après J. Charlier et J. Tossa et le Plan de redressement de l’OCBN.
Financièrement, l’OCBN se montre incapable à recouvrer ses créances
(1,9 milliards de Francs CFA [2,9 millions EUR] dont 79% concernent des
entreprises nigériennes), créances qui sur les trois derniers exercices sont
passées de 102% à 291% du chiffre d’affaires.
Sur le plan technique, le document pointe l’inadéquation des équipements par
rapport à la demande du marché, la vétusté des locomotives et des machines de
manœuvre qui datent de plus de 25 ans, l’acquisition en 1994 de matériel
inadapté, l’échec de la réhabilitation de certains matériels qui s’est avérée
38 Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009, décembre 2006. 39 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 102.
p. 17
coûteuse et inefficace, la dégradation progressive de la voie ferrée sur toute la
ligne et le manque criard de rails et de traverses de réserve.
D’un point de vue économique, les auditeurs relèvent l’insatisfaction de la
clientèle, la faible capacité de transport (2,5% du trafic du Port autonome de
Cotonou) et la fuite du trafic au profit du Togo et du Ghana.
Le personnel40 n’échappe pas à l’analyse : trop nombreux par rapport au trafic
actuel (inadéquation de l’organigramme) ; engendrant des charges salariales
importantes ; présentant un taux d’analphabétisme de 75% ; démotivé en
raison des arriérés de salaire41, de la morosité de l’activité et du manque de
matériel performant.
Enfin, le plan propose une sortie de crise, avec des solutions à court terme et
d’autres à long terme42 nécessitant entre autres plus de 10 milliards de F CFA
(plus de 15 millions EUR) pour les trois premières années (2007-2009). Et
d’insister sur la nécessité que les deux États interviennent financièrement (sous
forme de prêt) parce que dans l’état actuel de l’OCBN aucune banque
n’accepterait de s’engager.
« L’exemple de la ligne Cotonou/Parakou, support de l’ouverture nigérienne, synthétise les problèmes rencontrés sur les voies ferrées africaines. (…) Le support technique ferroviaire ne répond pas aux attentes des chargeurs, à tel point que l’OCBN est actuellement dans l’obligation de signer un nombre croissant de dérogations aux transitaires, leurs permettant d’utiliser sur l’ensemble du trajet, dès Cotonou, le transport routier, dérogations qu’elle avait cherché jusqu’ici à éviter43. »
3.3. L’agence OCBN
À environ 2 km à l’ouest du cœur historique de la ville où se trouve le marché
international Arzèkè, l’agence OCBN de Parakou prend place dans un vaste
domaine rectangulaire de quelque 40 hectares partiellement clôturés, jouxtant la
route de Malanville. Elle regroupe quatre unités : la gare ferroviaire (transport
de passagers et de marchandises), la gare routière (transport de marchandises), 40 Pour être précis : 928 agents dont 47 cadres, 148 agents de maîtrise et 669 en personnel d’exécution. 41 Quatre mois en décembre 2006. 42 Détaillées dans l’annexe 3, p. 74. 43 DEBRIE Jean, op. cit., p. 154.
p. 18
le 4e district (entretien des installations fixes jusqu’à 100 km) et le dépôt
(entretien et réparation du matériel roulant). Son étendue et les services qu’elle
offre, ou qu’elle offrait pour être précis, en font la seconde implantation
ferroviaire du pays après celle de Cotonou. Y officient entre 60 et 70 salariés, et
une trentaine de tâcherons lorsque l’activité le permet.
Aucun matériel informatique n’équipe les bureaux défraîchis voire vétustes de
l’agence. Des papiers jaunis par le temps s’entassent çà et là, donnant
l’impression d’un grand désordre. Pourtant, chaque procédure fait
minutieusement l’objet de notes manuscrites dans des cahiers A5 ou dans des
carnets de formulaires pré-imprimés sur papier carbone.
Le site comprend quelques maisons de fonction de type colonial avec jardin
privatif pour le logement des principaux directeurs ; une gare pour les
voyageurs avec une salle d’attente, deux guichets, un quai de débarquement et
d’embarquement ; un poste de police ; des bâtiments administratifs ; un poste
de télécommunication ; des ateliers et une fosse d’entretien ; sept entrepôts de
stockage dotés de 25 quais pour le chargement direct sur camion ; une zone de
3.000 m² entièrement pavée pour le stockage de conteneurs ; plusieurs grues :
deux fixes de 40 et 80 t et une mobile (une Caterpillar, la plus utilisée) de 40 t.
Plus à l’est, une zone à l’abandon accueillait naguère les installations de la Nitra,
société de transit nigérienne, où quelques hangars et engins motorisés
croupissent. Plus à l’est encore, un pont-rail accueille les wagons de soufre pour
le déchargement et un pont bascule attend les camions après le chargement.
Cet impressionnant dispositif témoigne d’une intense activité, développée en
mode mineur aujourd’hui, liée essentiellement à la fonction même de la gare de
Parakou : terminus et point de rupture de charge – « une plate-forme de
transfert railroute quelquefois avec stockage intermédiaire de plus ou moins
longue durée44 » – où les marchandises venant par train du port de Cotonou
sont déchargées pour être acheminées par camions gros porteurs, les « titans »,
vers les pays de l’hinterland ; Niger pour l’essentiel, Burkina Faso, Mali et Tchad
dans une nettement moindre mesure.
« Ici, en fait, la gare se présente comme le répondant du Port de Cotonou à
l’intérieur du Territoire National. On y observe les mêmes mouvements qu’au
Port de Cotonou : mouvements de grues, mouvements de fourchettes,
44 CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob, op. cit., p. 106.
p. 19
mouvements de camions – chargement, déchargement. Magasins géants,
entrepôts, camions-citernes, véhicules poids lourds avec ou sans remorque ; ce
sont autant d’éléments qui frappent à la gare de Parakou.45 » Hélas, ce
commentaire de l’actuel ministre de la Défense date d’une autre époque.
45 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 4.
p. 20
La vie se divise en deux catégories : l’horreur et le malheur.
Woody Allen (« Annie Hall »)
Deuxième partie
La prière des hommes
p. 21
4. Parakou
4.1. Le peuplement
Ce sont le commerce, l’échange, le voyage et la diversité ethnique que l’on
retrouve aux fondements de la création de la ville de Parakou. Les Haoussa
(ethnie du nord du Nigeria et de l’est du Niger) traversaient la savane en quête
d’esclaves, d’or et de noix de kola ; le commerce se tenait dans des
caravansérails sous la protection de chefs de la région. Une protection rendue
nécessaire par les attaques des guerriers wasangari qui pillaient les caravanes.
Ce sont ces razzias qui ont obligé les chefs de terre de la région soutenus par le
chef du caravansérail de Parakou à offrir l’hospitalité à Yaï, un prince yoruba de
Savè choisi pour régner à Parakou.
« La sécurité une fois assurée et les raids wasangari relativement écartés, les
populations qui fuyaient le pillage pouvaient désormais trouver un refuge sûr à
"Kparaklou" (veut dire "tous les pays" en dendi [langue des Haoussa])46 ». Ce
nom est attribué à Kassi, un chasseur haoussa, qui a fondé l’agglomération en
construisant le premier édifice à l’est du marché47/48. La ville va d’abord compter
deux quartiers : Guru, celui des Bariba autour de la maison du chef, et Maro,
celui des étrangers musulmans.
Le caravansérail, au cours du 19e siècle, va donner naissance à une place
commerciale, sise sur l’emplacement du marché actuel Arzèkè, à partir de 46 OMER Thomas, Parakou et sa région, Thèse de géographie, Université d’Abomey-Calavi, 1983, p. 103. 47 CHABI IMOROU Aziz, Dynamique de l’habitat dans les quartiers périphériques de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie et aménagement du territoire, Université d’Abomey-Calavi, 2002, p 21. 48 Ce n’est pas la seule thèse en présence. Selon le géographe-aménagiste Mohamed Dramane Adam, dans « Toponymie de la ville de Parakou » in Parakou-Info spécial n°7 (mai 2005), pp. 16-17 : « D’autres, par contre, pensent que ce nom aurait pour origine le groupe de mots "Kpara-Kocou" ; de "Kpara" qui signifie en dendi ville (ou village) et "Kocou" qui vient du mot yorouba Ayé Kocou (qui signifie les hommes se refusent à mourir). D’autres encore, les Bariba pensent que le nom Parakou a pour origine le mot "Korokou" qui désignait une variété d’arbres que l’on retrouvait sur la route de Sinagourou (quartier royal). Enfin, selon une quatrième source, le mot Parakou serait venu de "Karouko" qui signifie en langue haoussa du Wangara (centre ville) : le nombril autrement dit le cœur, l’épicentre d’une grande cité ; d’une cité qui accueillera tout le monde. » Toutefois l’auteur soutient que seules deux hypothèses résistent à l’analyse : « Karouko » de résonance haoussa et « Korokou » de résonance bariba, tout en privilégiant la première : le Roi de Kpébié (quartier de Parakou) aurait demandé une prière pour que son royaume s’agrandisse à un marabout haoussa qui, au terme d’une cérémonie, aurait enterré une marmite sacrée à un endroit qu’il aurait appelé « Karouko », lieu d’où devait se développer une grande cité.
p. 22
laquelle se sont installées les vagues successives de migrants : dans un premier
temps les Bariba venus du Nigeria occidental, ensuite les Haoussa.
Avec la colonisation, Parakou accueille des Européens, fonctionnaires et
militaires, mais également des tirailleurs sénégalais et maliens dont certains
s’installent définitivement. Néanmoins, l’immigration la plus importante concerne
les Adja-Fon, populations des régions côtières et du sud du pays embauchées
comme porteurs, guides, interprètes, fonctionnaires et agents de commerce. Elle
va s’accentuer avec l’arrivée du rail en 1937 ; la ville compte alors 2.736
habitants…
Le dernier recensement de la population49 met en évidence l’accroissement de la
population urbaine (taux de croissance annuel de 3,76% pour une moyenne
nationale de 2,84%) et permet de dresser un portrait plus précis des 150.000
Parakois. Ville implantée dans l'aire culturelle musulmane, 56% de la population
y pratiquent l'Islam, pour 26% la religion catholique ; le reliquat étant constitué
des différentes formes de protestantisme, de sectes diverses et de cultes
traditionnels ; le tout dans une grande harmonie.
Population à Parakou
0
20.000
40.000
60.000
80.000
100.000
120.000
140.000
160.000
1937 1978 1980 1992 2002
No
mb
re d
'ha
bit
an
ts
Compilation de plusieurs sources.
4.2. Ville de transit
Troisième ville du pays, après Cotonou (première ville, capitale économique) et
Porto-Novo (deuxième ville, capitale politique), chef-lieu du Borgou, l'un des
douze départements béninois, Parakou est la plus grande métropole
49 Troisième recensement général de la population et de l'habitation, Institut National de la Statistique et de l'Analyse économique, octobre 2003.
p. 23
septentrionale. Ancienne ville étape pour les caravanes, elle a hérité de cette
époque de deux caractéristiques fondamentales : d'une part, celle d'une
importante ville de transit commercial ; d'autre part, celle d'une cité
extrêmement cosmopolite qui a accueilli depuis des générations nombre de
migrants. Dès ses origines, Parakou a développé un marché d’envergure
régionale sinon internationale, marché Arzèkè.
À mi-chemin entre l’océan Atlantique et le fleuve Niger, au carrefour de quatre
grands axes routiers50 (vers Cotonou, vers Kandi et le Niger, vers Natitingou et
le Burkina Faso, vers Nikki et Nigeria), Parakou bénéficie d’une situation
géographique particulière qui « confère à la ville une position stratégique
indéniable (…). Cet aspect fondamental n’a certainement pas échappé au
colonisateur, qui pour mieux contrôler les populations de la région
septentrionale et pour mieux drainer les produits, les ressources de l’arrière-
pays a voulu faire de Parakou le siège local d’un pouvoir politique, administratif
et militaire51 ». Au fil du temps, Parakou s’est imposée comme une importante
métropole économique et administrative.
Durant l’époque coloniale, l’économie de traite – l’échange de biens
manufacturés contre des produits bruts à destination de la métropole – se
développe. Parakou reste le passage obligé des produits et marchandises d’une
région à l’autre mais ce passage change d’orientation : l’axe sud/nord,
perpendiculaire à la côte, se substitue à l’axe sud-ouest/nord-est de l’époque
précoloniale et de l’économie traditionnelle, c'est-à-dire la voie caravanière
reliant Sokoto au Nigeria à Salaga au Ghana.
Comme l’a montré Issifou Kogui N’Douro52, l’urbanisation plus récente de
Parakou entretient un lien ténu avec l’arrivée du rail en 1936 et le
développement du transit. Deux quartiers portent le nom des infrastructures
ferroviaires : le quartier Alaga – déformation de « à la gare » – situé derrière les
installations de l’OCBN (à l’ouest) et le quartier Dépôt qui s’est développé face
au centre de dépôt (au nord-ouest). Le quartier Tranza doit lui son nom au fait
que la société Tranzafricaine, devenue SNTN (Société nationale des transports
nigériens), garait ses véhicules à cet endroit de la ville.
50 Depuis que la RNIE3 a été complètement goudronnée (2004 ?), Parakou n’est plus le passage obligé ni le plus rapide pour rejoindre Natitingou au départ de Cotonou. 51 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 6. 52 Op. cit.
p. 24
Angèle Atchoguedé, habitante du quartier Alaga : « Mon papa, Moïse Atchoguedé, était aiguilleur OCBN et aussi accrocheur de wagons. Il était originaire de Bohicon (à 130 km au nord de Cotonou). Il vendait des jarres à Parakou. Vers 63, on lui a proposé un travail OCBN. C’était la brousse. Il n’a pas acheté le terrain (une concession d’environ 500 m² avec cinq habitations). Il l’a défriché et a construit dessus ».
-- carte manquante --
Docteur Abou-Bakari Imorou, Parakois, socio-anthropologue : « Le train a joué un grand rôle en ce qui concerne l’installation et l’intégration des gens du Sud. Le quartier Alaga s’est créé parce que les gens du Sud avaient des difficultés à s’intégrer dans le centre de la ville. Les terrains appartenaient à des Bariba ; chez les Bariba, on ne vend pas la terre, on l’échange contre une bouteille de sodabi (alcool de palme) ou contre une amitié. Dans ce quartier, habitent surtout des gens qui ont un rapport économique avec l’OCBN. Les épouses des cheminots sont actives dans le commerce avec le Sud. Et au marché Dépôt en face de la gare (entre la gare et le quartier Dépôt), ce sont surtout des gens du Sud qui vendent des marchandises du Sud ».
Le transport par rail jusqu’à Parakou va aussi favoriser dans un premier temps
l’implantation d’entreprises commerciales dont beaucoup sont actives dans le
transit et, dans un second temps, le développement de l’industrie : usine
d’égrenage de coton (Sonapra, 1968), usine de textile (Ibetex, devenue Coteb,
1975), brasserie (Sobebra, 1981) pour ne citer que les plus importantes.
4.3. Tensions latentes, violences sporadiques
Si la ville demeure cosmopolite53 et accueillante, des tensions ethniques, parfois
violentes, apparaissent sporadiquement (mais sans commune mesure avec
certains pays voisins) comme notamment lors des élections présidentielles de
1991 qui ont vu le candidat Soglo, Fon originaire d’Abomey remporter le premier
tour face au « nordiste » Mathieu Kérékou, et durant lesquelles le quartier Alaga
s'est vidé par peur de représailles.
53 Bariba 39%, Fon 16%, Yoruba 14%, Dendi 12,5%, pour ne citer que les groupes dominants ; on y dénombre également une importante proportion d'étrangers (3,5%) : Nigériens, Nigérians, Togolais, Ghanéens, …
p. 25
« En fait, les "sudistes" venus nombreux à Parakou depuis les années 1930 pour
travailler dans les différents services administratifs et au chemin de fer étaient
généralement mieux éduqués et occupaient de meilleurs postes que les gens
immigrés des régions du Nord. Ceci a bien sûr engendré un ressentiment parmi les
paysans du Nord et cette situation a été adroitement exploitée par les politiciens
locaux (…). Dans cette "ville frontière", où nul n’a de racines locales au-delà de trois
générations, le discours ethnicisant qui trace une coupure nette entre "sudistes" et
"nordistes" constitue un trait constant de la politique locale depuis les temps
coloniaux (aucun politicien un tant soit peu ambitieux ne peut s’empêcher de jouer
sur ce thème) et il a suscité des violences occasionnelles de la part de la population
"autochtone" (c’est-à-dire "nordiste") contre des "immigrants du sud". En fait, les
Béninois du sud associent souvent Parakou à des poussées de violence à la fois
sporadiques et récurrentes, habituellement liées à une élection politique. De tels
événements sont des sortes de pogroms dirigés directement contre les membres de
la population originaire du sud.54 »
Thierry Medjotin, petit-fils de cheminot, quartier Alaga : « Les gens du Nord ne font
pas confiance à ceux du Sud parce qu’ils trouvent qu’ils dribblent vite, qu’ils sont
malins, rusés. Ce sentiment est encore plus fort à l’égard des Fon d’Abomey en
raison de l’histoire. Les rois ont vendu comme esclaves des populations du Nord, pas
seulement, mais en tous cas pas des Fon. »
Docteur Abou-Bakari Imorou, Parakois, socio-anthropologue : « Il y a une tension
qui ne s’exprime pas de façon violente. Le cliché de supériorité des gens du Sud est
une réalité. C’est dû à l’installation des colonisateurs d’abord sur la région côtière.
C’est là que les premières écoles se sont ouvertes, bénéficiant aux populations
locales avant les populations du Nord. L’école au Sud a reproduit les clivages sociaux
parce que ce sont les nobles, les riches qui y ont été. Alors qu’au Nord, c’est
l’inverse. Les nobles ont refusé d’envoyer leurs enfants à l’école des Blancs. Ce qui
induit une sorte de culpabilité aujourd’hui. Les gens du Nord estiment que ceux du
Sud sont des malicieux à qui on ne peut pas faire confiance. C’est sans doute
pourquoi on dit "les nordistes tiennent les cornes et les sudistes traient le lait", c'est-
à-dire que le pouvoir est à ceux du Nord, comme Kérékou ou Boni. »
4.4. Le marché Arzèkè et l’élite locale
Un second exemple de dissension ethnique, ou plutôt de dimension ethnique
dans un conflit politique, nous fournit un prétexte heureux pour aborder une 54 BIERSCHENK Thomas, L'appropriation locale de la démocratie : analyse des élections municipales à Parakou, République du Bénin, 2002/03, Working papers n°39b, Institut d'anthropologie et d'études africaines, Université Johannes Gutenberg de Mayence, 2005, pp. 12-13, consulté le 5 juillet 2007 sur http://www.ifeas.uni-mainz.de/workingpapers/AP39b.pdf.
p. 26
page intéressante et en cours d’écriture de l'histoire de Parakou : la
décentralisation.
Au Bénin, la décentralisation résulte du renouveau démocratique engagé en
1990 par les « Forces vives de la Nation »55. Il faudra néanmoins près de dix ans
pour que des textes législatifs (lois du 15 janvier 1999 et loi du 9 mars 2000)
traduisent en droit ce processus et que se mette en œuvre l'organisation
administrative du pays créant notamment 77 communes qui se gèrent librement
par des conseils élus au suffrage universel. Ces communes se voient doter de la
personnalité juridique, donc d'une autonomie, et se voient également attribuer
des compétences (développement économique, aménagement, habitat,
urbanisme ; infrastructures, équipements, transports ; environnement, hygiène,
salubrité) et des ressources financières. En d'autres termes, dorénavant, « l'État
exerce un contrôle de tutelle en lieu et place d'un contrôle hiérarchique56 ». En
outre, Parakou s'est vu attribuer, tout comme Cotonou et Porto-Novo, le statut
de commune à statut particulier57, un statut qui dote la « capitale du Nord » de
compétences élargies (enseignement et formation professionnelle, transport et
circulation) et de ressources financières – en principe – subséquentes.
L'enjeu de la décentralisation est triple : politique, administratif et financier. Il
s'agit de réussir, d'une part, le passage d'un système du tout à l'État à un
système de partage de pouvoir et de ressources entre l'État et les collectivités
locales et, d'autre part, le passage d'un système sans collectivités locales à un
système à 77 communes.
Sur le terrain, les nouvelles administrations communales disposent certes de
l'autonomie fiscale leur permettant de percevoir impôts directs et indirects afin
de mener leurs politiques mais elles se heurtent aux populations qui résistent à
55 Le régime de Kérékou, qui a pris le pouvoir par les armes en 1972, proclame en décembre 1989, de son plein gré !, l'abandon du marxisme-léninisme et annonce la tenue d'une Conférence nationale des Forces vives de la Nation. Celle-ci s'ouvre le 19 février 1990 et amorce l'installation pacifique et la gestion d'une démocratie réelle qui perdure toujours. On retiendra que le Bénin, avec sa Conférence nationale des Forces vives (durant laquelle Kérékou se confessera publiquement… et sera acclamé !) a, selon Philippe David (Le Bénin, Éditions Karthala, Paris, 1998, p. 69), « inventé une procédure politique originale qui va faire florès, qu'on lui enviera et qu'on se pressera d'imiter au sud du Sahara avec des fortunes diverses. » 56 SAWADOGO Raogo Antoine et SEBAHARA Pamphile, "Historique de la décentralisation au Burkina Faso" in Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso, Pierre-Joseph Laurent (éd.), Bruylant-Academia, Louvain-la-Neuve, 2004, p. 60. 57 Loi n°98-005 du 15 janvier 1999 ; pour être reconnue commune à statut particulier, il faut remplir trois conditions : avoir une population d'au moins 100.000 habitants ; s'étendre sur 10 km ; disposer de ressources budgétaires suffisantes pour faire face aux dépenses de fonctionnement et d'investissement.
p. 27
ce changement, provoquant nombre de difficultés budgétaires. En outre, les
transferts financiers de l'État aux collectivités locales ne leur garantissent pas un
appui suffisant pour le développement de leurs politiques. Enfin, les nouvelles
communes souffrent d'un manque de ressources humaines aptes à assumer les
missions nées de la décentralisation.
La décentralisation, nouveau credo des bailleurs de fonds58, repose sur le
postulat de l'effet démocratisant c'est-à-dire que les élites locales, jusqu'alors
écartées du pouvoir, une fois légitimement élues mobiliseront les ressources
locales et contribueront au développement économique de la commune par une
saine gouvernance. Comme l'écrit Thomas Bierschenk, « le petit nombre
d'études empiriques disponibles ne partagent pas exactement l'optimisme des
bailleurs quant au déclenchement d'un cycle vertueux entre démocratie,
gouvernance et développement à l'échelon local59 ».
Si le processus demeure inachevé, il n'en demeure pas moins qu'il a entamé une
transformation radicale du paysage politique, économique, social et administratif
du pays. Avec un enjeu énorme puisque le « Bénin (est) l'un des rares pays
d'Afrique que l'on puisse qualifier de démocratie modèle60 ». D'ailleurs, il n'est
pas un maquis (restaurant populaire) où, chaque jour, les Béninois ne
s'enorgueillissent pas d'une réelle culture de la démocratie en discutant, avec
passion parfois mais toujours librement, des aléas de la vie politique nationale
ou régionale, s'affichant clairement partisans ou opposants du président Boni.
C’est dans ce contexte totalement nouveau que le conflit va surgir. Il oppose
deux big men locaux61 : le maire élu aux élections communales de décembre
2002 (mars 2003 pour le second tour), Rachidi Gbadamassi, à son rival pour le
fauteuil mayoral, un dénommé Moutari. Le premier sera donc élu, tandis que le
second exerce la présidence de la SGMP, la société de gestion du marché rénové
Arzèkè dans laquelle la ville possède un quart des parts. La SGMP ne dispose
que de peu de manœuvre dans la mesure où le bailleur de fonds de la
rénovation, l’AFD (Agence française de développement) lui impose de fixer des
loyers suffisamment élevés pour couvrir ses frais ; « les commerçants taxèrent
la société de gestion d’exploiteuse, estimant que le prix exorbitant des loyers les
empêchait de faire de bonnes affaires, tandis que celle-ci s’abritait derrière les
58 Au Bénin, la décentralisation est essentiellement appuyée par l'Allemagne et la France. 59 BIERSCHENK Thomas, op. cit, p. 2. 60 BIERSCHENK Thomas, op. cit, p. 1. 61 Sur les big men, voir LAURENT Pierre-Joseph, « Le big man local où la "gestion coup d'État" de l'espace public » in Politique africaine, n°80, décembre 2000, pp. 169-181.
p. 28
contraintes imposées par le contrat et le fait que les actionnaires avaient
certainement investi dans ce projet afin d’en tirer un bénéfice. Relevons que
Gbadamassi, lors de la campagne avait promis de diminuer les tarifs de la
SGMP… Des manifestations houleuses, faisant circuler des slogans appelant à la
justice sociale, orchestrées par les commerçants mais conduites par des jeunes
hommes disponibles, furent l’une des expressions du conflit. On recourut à des
arguments ethniques (les commerçants dendi accusèrent à un moment la
société de gestion d’être dirigée par des Bariba)62. » Comme l’a montré Abou-
Bakari Imorou63 :
« Les lieux communs sur le caractère référentiel du mot étranger pour trancher
une dispute ou pour amener les acteurs à se positionner en faveur de telle ou telle
partie sont réguliers à Parakou (…). Il n'est pas toujours facile de dire qui est
autochtone à Parakou. » Néanmoins, in fine, l’option retenue quant à l’attribution
des places au nouveau marché a « donc été celle de ne pas opter pour un schéma
qui va avantager les étrangers. (…) Toujours est-il que les étrangers n'ont pas pu
avoir officiellement de place. Les Nigériens sont restés sur le site provisoire et les
ressortissants du Sud au marché Dépôt. (…) A ce niveau du jeu de l'autochtonie,
ce sont les traditionnels étrangers à savoir les sudistes et les expatriés qui ont été
victimes de la gestion en faveur des autochtones. (…) La ville est caractérisée par
la facilité qu'ont les leaders à mobiliser les populations autour d'arguments
ethniques. La situation apparaît telle qu'une fois l'argument ethnique caduc, il
devient presque impossible de mobiliser les acteurs autour d'une même cause. On
peut se demander quelle règle déterminera le jeu politique local.64 »
Revenons au conflit et à la nouvelle classe de dirigeants politiques amenée à
faire ses preuves en matière de bonne gouvernance. L’affaire va aboutir au
tribunal où, en première instance, Moutari obtiendra gain de cause… avant de
décéder mystérieusement – aucune mort n’est naturelle au Bénin… - quelques
jours seulement après l’issue du procès (septembre 2003). Toujours résolu à
faire baisser les taxes de la SGMP, le maire maintient ses pressions à l’égard de
la direction de la société de gestion allant jusqu’à s’approprier par la force les
clés du marché. Aussi, un arrêt de la cour d’appel de Parakou (février 2005)
condamne « la mairie de Parakou à payer à la SGMP la somme de soixante
millions de francs à titre de dommages intérêts et à la remise des clés du
62 BIERSCHENK Thomas, op. cit, p. 31. 63 «Dynamique des pouvoirs locaux liés à la gestion du Marché Central de Parakou», Le bulletin de l'APAD, n° 19, Les intéractions rural-urbain : circulation et mobilisation des ressources, mis en ligne le 24/07/06, consulté le 25 juillet 2007 sur http://apad.revues.org/document436.html. 64 IMOROU Abou-Bakari, op. cit.
p. 29
marché Arzèkè de Parakou à ladite société65. » La veille d’un nouveau procès (le
6 novembre 2005), le président de la Cour d’Appel de Parakou, le juge Coovi,
chargé de diriger les débats et par ailleurs menacé dans le cadre du dossier
Arzèkè, est retrouvé assassiné, « le corps à peine brûlé coincé dans la malle
arrière de son véhicule Terrano 4x4 de commandement, son sexe martyrisé, une
blessure à la nuque66. » Gbadamassi, principal suspect, sera incarcéré durant
plus de cinq mois67 et destitué ; un arrêté préfectoral nommera Adambi, premier
adjoint de Gbadamassi, maire de Parakou (25 janvier 2006).
5. Le culte des aînés
Au quartier Alaga, j’ai rendez-vous avec Marcel de Souza, 83 ans. Le « vieux »,
comme on dit ici avec respect, est président de la section de Parakou de l’ACR,
l’association des cheminots retraités. Après 32 années passées comme agent
comptable d’abord au Réseau Bénin–Niger, puis à l’OCBN, Marcel de Souza
regrette, comme tous, la situation actuelle. D’autant que lui, il a connu l’âge d’or
du chemin de fer.
Le lendemain, j’assiste à la réunion mensuelle de l’assemblée de l’ACR. Une
vingtaine d’hommes et quelques femmes y participent, à l’ombre des manguiers,
dans la cour du président de Souza. Debout, face aux membres assis sur de
petits bancs de bois, le « ségé68» Vincent Agossou, la mine sérieuse, alternant le
français et le fon, retrace durant de longues minutes l’histoire de l’OCBN et
dresse le bilan d’une situation morose. Ensuite, avec solennité, il entame
patiemment la longue lecture d’un document69 qui replonge ces anciens en
octobre 1947, quand a débuté « la grande grève historique de cinq mois et dix
jours70 » des cheminots noirs de l’AOF. Je découvre, à cette occasion, un
65 OLOWO Venceslas, « Affaire SGMP et mairie de Parakou : Le flou s’installe à nouveau » in Le Matin, consulté le 26 juillet 2007 sur http://www.sonangnon.net/actualites/2005/avril/intmatin0704_3.php. 66 KPOCHEME Franck, « Affaire assassinat du juge Séverin Coovi : Comment Gbadamassi a été libéré provisoirement » in Le Matinal du 24/04/06 consulté le 26 juillet sur http://www.africatime.com/Benin/nouvelle.asp?no_nouvelle=252226&no_categorie= 67 Aujourd'hui en liberté mais toujours prévenu. 68 Secrétaire général. 69 OCBN, Mémoire sur la grève historique de 5 mois 10 jours des cheminots africains de l’ex-AOF (10 octobre 1947 – 18 mars 1948). Commémoration du 50e anniversaire à Cotonou les 16 et 17 avril 1998. 70 « La grande grève historique de cinq mois [prononcer sin mois] et dix jours », cet ensemble de mots répété à l’envi et toujours avec solennité revêt un caractère incantatoire.
p. 30
épisode peu connu de l’histoire coloniale française, mais un épisode fondateur
de l’Afrique de l’Ouest moderne !
« Ainsi la grève s’installa à Thiès. Une grève illimitée qui, pour beaucoup, tout au long de la ligne, fut une occasion de souffrir, mais, pour beaucoup aussi, une occasion de réfléchir. Lorsque la fumée s’arrêta de flotter sur la savane, ils comprirent qu’un temps était révolu, le temps dont leur parlait les anciens, le temps où l’Afrique était un potager. C’était la machine qui maintenant régnait sur leur pays. En arrêtant sa marche sur plus de quinze cents kilomètres, ils prirent conscience de leur force, mais aussi conscience de leur dépendance. En vérité, la machine était en train de faire d’eux des hommes nouveaux. Elle ne leur appartenait pas, c’était eux qui lui appartenaient. En s’arrêtant, elle leur donna cette leçon.71 »
71 SEMBENE Ousmane, Les bouts de bois de Dieu, Pocket, Paris, 1971 (première édition en 1960), p. 63.
p. 31
5.1. La grande grève historique
La grève trouve son origine dans la frustration des auxiliaires ferroviaires de
l’AOF qui, à l’inverse des agents français, ne disposaient ni d’allocations
familiales ni de retraite « ni de sécurité d’emploi car leur décision ou note
d’embauche portait généralement la mention de "Situation précaire et
essentiellement révocable". Le leitmotiv était donc, à compétence égale salaire
égal72. »
Face à la direction de la Régie des Chemins de fer de l’AOF qui refuse les
revendications des cheminots auxiliaires (cadre unique à tous les agents,
revalorisation des salaires, paiement des allocations familiales, octroi de la
retraite) et adopte une attitude peu constructive, les leaders syndicalistes
décident après quelques mois de négociations infructueuses de cesser le travail.
Dès le 10 octobre 1947, plus aucune « fumée de la savane » ne va parcourir les
réseaux Dakar–Niger, Conakry–Niger, Abidjan–Niger et Bénin–Niger :
20.000 cheminots se croisent les bras.
« La guerre des œufs contre les cailloux73 » va s’éterniser. Non sans
conséquences. Dans les zones rurales, les grévistes et leur famille souffrent
d’isolement et de famine en raison de la rareté de l’approvisionnement en vivres
et en eau potable. Des meneurs syndicalistes sont arrêtés et jetés en prison. Les
populations se divisent sur la pertinence de la grève et ses effets dévastateurs.
Des bagarres éclatent, des règlements de compte s’organisent et endeuillent
nombre de familles. « Les gens eurent faim, certains grévistes virent même
leurs épouses s’en aller abandonnant le domicile conjugal74 ; ce fut la désolation
dans les foyers75 » mais ni cela ni « les intimidations des autorités ferroviaires,
les tracasseries policières et administratives, les arrestations et les
condamnations arbitraires, l’indifférence et les moqueries de certains
72 OCBN, op. cit., p. 6. 73 Comme l’une des protagonistes du roman de Ousmane Sembene qualifie la grève. 74 Dans son roman Les bouts de bois de Dieu, Ousmane Sembene insiste lui davantage sur le rôle émancipateur de la grève pour les femmes, pour la plupart soutien inconditionnel des grévistes : « Le retour des marcheuses a été bien accueilli, mais les hommes ont du mal à les dompter. Moi-même au début, elles venaient m’assaillir comme des lionnes, elles voulaient tout commander ! Enfin tout est rentré dans l’ordre (…) Mais à l’avenir il faudra compter avec elles. » (p. 348). 75 OCBN, op. cit., p. 21.
p. 32
fonctionnaires de l’administration locale ne désarmèrent pas les cheminots
grévistes76 ».
— Deune, ta femme te fait savoir que tout va bien. — Savez-vous ce qu’elle m’a dit, avant-hier ? … « Si tu reprends le travail sans les autres, je te coupe le machin ! »77
La France tentera une parade par l’envoi d’agents de la SNCF, mais « les
mécaniciens européens supportèrent très difficilement la chauffe de bois.
Quelques rares trains mis en circulation n’atteignirent Parakou que plusieurs
jours après leur départ de Cotonou. La circulation fut quasi nulle jusqu’à la fin
de la grève. Les voyageurs se solidarisèrent avec les grévistes car tous les trains
circulèrent sans voyageurs à bord78. »
Face à la détermination des cheminots de l’AOF et du soutien de leur famille,
l’administration coloniale cèdera le 18 mars, après cinq mois et dix jours d’une
grève historique, sur l’ensemble des revendications : salaires revalorisés avec
effet rétroactif, allocations familiales, gratuité des soins médicaux, retraite
garantie. « Dans tous les chemins de fer de l’AOF et même de l’AEF, le
Dahoméen n’était plus perçu comme le fidèle auxiliaire du colon mais désormais
comme un digne travailleur africain à parts entières et chez lui.79 » Ce nouveau
statut des cheminots noirs annonce celui d’un continent tout entier, affranchi de
sa tutelle coloniale80.
76 OCBN, op. cit., p. 19. 77 SEMBENE Ousmane, op. cit., p. 76. 78 OCBN, op. cit., p. 27. 79 Ibidem, p.34. 80 Sur le train comme outil politique, d’émancipation sociale ou de confrontation, on lira avec intérêt Michel Agier et sa description des trains des ghettos (inspirée de Gordon Pirie, « Travelling under Apartheid » in The Apartheid City and Beyond, Routledge, London, 1992) : « Niches d’apartheid en mouvement, les trains transportaient chaque jour un million et demi de voyageurs depuis les townships noirs vers les grandes villes d’Afrique du Sud. (...) Dans les années 1980, des comités de train se formèrent pour organiser les boycotts, des journées de protestation, et pour le soutien à des mouvements de grève. Lors des périodes d’état d’urgence, certains trains devinrent des lieux clandestins de réunion politiques. (...) Selon un syndicat, durant l’année 1989, la police aurait arrêté 450 voyageurs à la sortie des trains, coupables d’y avoir chanté des chants de liberté. (...) Par une remarquable perversion, les trains furent utilisés pour miner les bases de l’apartheid au lieu d’assurer simplement leur service et leur rôle de ségrégation. (...) C’est dans les structures de l’apartheid elle-même, matérielles (trains) et sociales (ségrégation résidentielle de la population noire) que sont nées la solidarité, la mobilisation et l’action politique qui contribuèrent amplement à l’élimination de l’apartheid. (...) Entrer dans le train pour un trajet d’une heure vers la ville, ce n’était plus tout à fait entrer dans une niche de l’apartheid
p. 33
5.2. Le 59e anniversaire
Le lundi 19 mars, l’ACR me convie à la fête de commémoration de la « grande
grève historique » qu’elle organise pour ses membres dans le jardin du vieux de
Souza. Près de la maison principale, des femmes s’activent autour de brasiers
sur lesquels bouillonnent de grandes marmites. Il est 8 h 00 et la température
commence déjà à grimper. Après la messe célébrée en ville tôt le matin81, la
cour s’agite. Une quarantaine de membres, majoritairement des hommes mais
je compte également une dizaine de veuves de cheminots, ont pris place sur les
bancs disposés en « U » face à la table présidentielle, nappée et garnie de fleurs
en papier, qui accueille les membres du bureau.
Le « ségé » prend la parole. Il rappelle – en fon – que tous ne sont pas en ordre
de cotisation, ce qui génère quelques réactions. Une voix grave et forte avertit
en français : « À votre attention, le président vous parle ! », entraînant dans
l’assemblée quelques vifs « Écoutez !, Écoutez ! ». Le vieux de Souza adresse
alors un mot de bienvenue, salue protocolairement ma présence tandis que trois
participants servent un apéritif : un sachet de biscuits pour chacun, du gin pour
les responsables, du sodabi pour tous les autres. Un photographe, mandé par
l’ACR, a rejoint la fête pour « prendre des vues ».
Acclamés par des « Alléluia ! », des applaudissements et des cris de joie
stridents, deux membres de l’ACR viennent déposer sur la table la maquette –
délicatement sortie des tissus protecteurs qui l’enrobaient – d’un autorail Soulé,
« une maquette réalisée par des enfants de cheminots » me confie le président.
L’assistance s’anime quelque peu. On sert des bières et des « sucreries »
(limonades). On remplit successivement les assiettes de viande, de riz au chou,
de poisson, d’akassa, d’amiowo (pâte rouge de maïs et d’huile de palme)… Les
circulant du township à la ville, c’était s’engager dans une situation d’anti-apartheid clandestin » (in L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Éditions des archives contemporaines, Paris, 1999, pp. 74-77.) 81 Une cérémonie musulmane eut lieu la veille mais les membres de l’ACR sont très majoritairement catholiques (environ 90%).
p. 34
appétits sont féroces malgré la chaleur et le manque d’air (ou serait-ce déjà
l’effet du gin ?). Plusieurs femmes, avec une relative discrétion, emballent une
partie du festin dans un sachet plastique noir pour l’emporter et le partager en
famille plus tard. Une maman plus âgée chahute davantage que les autres,
cherchant à se faire servir du gin, puis tentant de dérober une bière… tout en
rendant de Souza furieux.
Peu après 11 h 00, la fête arrive à son terme. Le président remercie l’assemblée
pour sa présence avant que tous, religieusement, n’entament une prière en fon,
suivie d’un Notre père et de deux Je vous salue Marie en français. Avant de
quitter les lieux, chacun serre la main des autres participants en leur souhaitant
« la paix du Christ ».
6. Les cheminots
« Dans le cadre de la mise en œuvre des instructions du Chef de l’État relatives à la
gestion optimale du temps de travail dans l’Administration Publique Béninoise, il est
rappelé aux agents qu’en dehors du respect strict des horaires de travail qui sont de
8 h 30 à 12 h 30 le matin et de 15 h 00 à 18 h 30 l’après-midi, les temps de visite de
leurs parents et amis sont fixés entre 11 h 30 et 12 h 30 le matin et 17 h 30 et
18 h 30 l’après-midi. » Ministère des Transports et des Travaux publics. Février
2007.
Cette note, collée au tableau d’affichage, à côté du bureau du chef frais de
tonnage, lieu de passage du personnel, n’a pas été lue par les agents que je
questionne et dont les bureaux se trouvent à quelques mètres à peine. Certains
même la découvrent. Dans une certaine mesure, elle éclaire sans doute les
propos du directeur de cabinet du même ministre : « le redressement de l’OCBN
n’est pas l’affaire du directeur général seul. Il dépend aussi des cheminots eux-
mêmes82 » ; ou ceux du directeur général de l’OCBN83 : « Pour redresser la
situation, la chose la plus importante, c’est la prise de conscience des cadres. »
Monsieur Saley Yataga, directeur de l’agence OCBN à Parakou, me reçoit chaque
jour près d’une heure, sans rendez-vous. Mes visites semblent le divertir.
82 SEWADE Bruno, « Changement à la tête de l’OCBN, objectif : remettre les trains sur les rails » in La Nation, 14/12/2006 consulté le 9 juillet 2007 sur http://beninhuzu.org/2007/spip.php?article451&var_recherche=OCBN. 83 Rencontré à Cotonou le 2 avril 2007 (voir infra).
p. 35
Nigérien, musulman, homme d’une cinquantaine d’années frisant les deux
mètres, toujours souriant, il me questionne plus qu’il ne répond à mes
questions. Un vendredi, je le surprends assis à son bureau lisant Marketing &
Management, bien qu’il m’affirme être venu mettre de l’ordre dans ses papiers ;
il prépare un bac+4 car « le projet de port sec sur Parakou m’incite à être
davantage diplômé ». Un autre jour, il m’emmène sur le site de l’agence et me
fait visiter les différentes installations (dont le poste radio, en charge du suivi
des camions) ou me demande de bien vouloir corriger un rapport de visite de
l’Inspection des Douanes… Un autre jour encore, je le retrouve studieux
parcourant une nouvelle fois son manuel de marketing et de management. Bien
que ma présence soit officieuse – il attend une réponse de Cotonou pour
m’autoriser à effectuer mon « stage » –, Saley Yataga me permet de lire
certains documents. Sa posture à elle seule révèle l’état de l’activité ferroviaire à
Parakou : nulle la plupart du temps, faible lorsqu’un train marchandises arrive
en gare.
6.1. Sirène et frémissements
Certes, lorsque la BB 618 s’annonce à grands coups de sirène en franchissant la
barrière métallique de l’entrée du domaine, la fourmilière s’agite un peu ; un
frémissement s’observe. La locomotive s’immobilise à hauteur du bureau du chef
de gare ; le machiniste descend quelques colis privés de la cabine ; deux
fonctionnaires s’attaquent aux vérifications d’usage : nombre de wagons,
tonnage et contenus. Rien d’anormal, rien ne manque : le convoi repart pour
une centaine de mètres. La locomotive se défait de ses wagons – trois wagons
« PV », pour petite vitesse c’est-à-dire des marchandises de détails, sept
wagons de sacs de riz et quatre citernes d’hydrocarbures à destination de la
Sonacop – pour se garer sur la fosse, au dépôt, où un mécanicien entame un
entretien sommaire.
L’« entretien » terminé, un conducteur-mécanicien, Prospère Agbodouama,
prend le relais et m’invite à bord pour le triage des wagons. Durant près d’une
heure, je participe à la mise en place des wagons à décharger et à l’agencement
du prochain convoi. Sur la passerelle latérale de la machine, à l’extérieur, un
assistant enclenche au signal du conducteur la marche avant ou la marche
arrière à l’aide d’un bâtonnet de fortune d’une cinquantaine de centimètres « car
la commande manuelle du poste de conduite ne fonctionne plus ». Accrochage.
Marche arrière. Marche avant. Décrochage. Etc.
p. 36
Le train quitte Parakou à destination de Cotonou environ cinq heures après son
arrivée, non sans être passé à la Sonapra pour y accrocher quelques wagons de
coton.
À la gare durant ce temps, les particuliers entament les démarches de douane
pour récupérer leurs colis auprès du chef « arrivage PV ». Une douzaine de
porteurs OCBN s’activent sur le quai afin de charger les marchandises des
particuliers – bidons de sodabi, nattes en bois, fûts de lubrifiants, caisses
diverses… – dans des « taxis-ville » (des R4 ou des 504 bâchées), sur des
charrettes tirées par des « pousse-pousse man » ou sur des zems qui durant
plusieurs heures offrent un agréable ballet. Les clients patientent, s’organisent,
râlent ou se laissent tenter par une boisson fraîche, un akpan ou des beignets
proposés par les quelques vendeuses ambulantes qui se sont installées pour la
journée.
Isidore Dagbeji, chauffeur à la gare des taxis-ville dans l’enceinte de l’OCBN :
« Aucun autre taxi ne peut venir charger à la gare. Avant, il y a avait 20 taxis-ville
ici, maintenant c’est à peine six ou sept. Aujourd’hui, c’est une très bonne journée,
j’ai fait cinq voyages. Parfois, c’est zéro voyage même si c’est rare fois. Quand c’est
trois, c’est bien. Certains taxis ont fait un ou deux voyages seulement aujourd’hui.
Les trois wagons sont vides mais il y a des propriétaires qui ne sont pas encore
venus chercher leurs marchandises. La gare est foutue. Rien ne marche et ils sont
en train de dire que tout va marcher. »
Coïncidence en ce jour d’activités ferroviaires, le client nigérien, les
établissements Moussa Larabou qui importe du riz thaïlandais, a payé à l’OCBN
un important montant afin que lui soit livré 300 t stockées dans le magasin H.
L’opération hirondelle s’est remise en branle : dix camions, inscrits en ordre utile
auprès du chef frais de tonnage ont été sélectionnés pour se rendre à Niamey ;
sept « RB » et trois « RN » selon une règle internationale de transit. Trois
« titans » se sont présentés au quai de chargement où, sous la double
surveillance d’un agent de l’OCBN et du transporteur, au pas de course, charge
sur la tête, pieds nus ou en sandalettes, par plus de 40 °C, des tâcherons
alignent sur le camion 15 rangées de 40 sacs de 50 kg en moins d’une heure.
Trois autres « titans » viennent alors se placer pour un second chargement.
Ainsi de suite.
p. 37
6.2. L’attente
Mais dans l’intervalle, durant les trois à cinq jours sans train, que faire ? Au
guichet n°2, celui où l’on vend les billets pour les passagers en « 1ère classe
toute destination et en 2e pour Cotonou uniquement », un homme, la
cinquantaine, m’intrigue. À son poste chaque jour malgré l’absence de l’autorail
depuis des mois. Généralement recroquevillé sur sa chaise, derrière son bureau,
il écoute un minuscule transistor, un stylo bille à la main et tripote sans cesse la
couverture d’un grand registre devenu inutile. « Les bons jours la recette
pouvait monter jusqu’à un million de F CFA (1.500 EUR), mais ça peut aussi être
500 ou 600.000. Ça va reprendre. Tu viens ici, tu ne fais rien. Faut être triste »,
me dit-il.
Ce sentiment, « l’OCBN va redevenir l’OCBN », est partagé par tous les agents.
Attitude somme toute normale de la part de fonctionnaires parmi les mieux
payés du pays. À l’apparence seulement… Les traitements ne sont plus versés
depuis quatre mois. Mais, comme l’affirme avec force Pierre Gandjo, chef
manutention, « comme nous sommes à notre poste, les salaires seront versés ».
Premier paradoxe : ouvriers et employés prestent (mais sans réellement
travailler la plupart du temps) afin de percevoir un salaire… qu’ils ne touchent
pas ! Second paradoxe : aucun ne montre l’envie de se révolter ou de mener
des actions syndicales « parce que de toute façon il n’y a plus rien dans la
marmite », « on sait qu’il n’y a pas d’argent pour nous payer ».
Pierre Gandjo, chef manutention, sur l’impact familial et économique du non
versement des salaires : « Ça dépend d’une personne à l’autre. Chacun se
débrouille à sa manière. Soit en faisant un petit quelque chose en dehors du
service comme ceux qui ont un diplôme de soudeur. D’autres ont un petit capital
qu’ils gèrent avec leur femme. Moi je suis fils de paysan, donc je me donne aux
activités champêtres durant la saison des pluies. À des autochtones (lui est
originaire de la région de Bohicon), j’ai reçu une parcelle sur laquelle je peux
cultiver. C’est à 4 km de chez moi. Je ne paye pas mais quand la récolte est
terminée, je fais un cadeau au propriétaire en donnant soit de l’arachide, du maïs,
de l’haricot ou du manioc. Si je me donne à ces activités, c’est parce que j’ai une
grande famille : deux femmes et dix enfants. Je n’y vais pas en semaine mais je
paye parfois des manœuvres. À ce jour, j’ai plus de six mois de repos à cause des
heures supplémentaires. L’an dernier, on m’a donné cinq mois de repos (payés). Je
suis resté à la maison et toute la saison des pluies je me suis occupé des
champs. »
p. 38
Pierre Gandjo habite le quartier Gannon (6 km au sud-ouest du centre) : « Ceux
qui habitent à Alaga, c’est parce qu’ils ont des parents cheminots qui habitaient là-
bas. Autour de la maison, on cultive également le piment, le gombo, la tomate.
Une femme s’occupe des enfants et vend les légumes devant la maison. L’autre fait
un petit commerce en ville. Elle vend de l’essence frelatée venant du Nigeria qu’elle
achète à un grossiste à Parakou. Pour la viande, je peux compter sur un petit
élevage domestique : environ vingt coqs, une quarantaine de pigeons, très peu de
moutons, huit environ. Et quand j’ai besoin d’argent en poche, je vends un
mouton. Avant, quand il y avait le salaire, je n’avais pas de problème. Parfois, je
suis obligé d’emprunter quand un enfant est malade ou qu’il y a un décès. Je me
débrouille en attendant que la situation soit meilleure. »84
Le marasme que connaît l’OCBN aurait entraîné une recrudescence des vols à
l’intérieur même de l’agence. Au point que le directeur, Saley Yataga, ait dû
réagir en imposant de nouvelles procédures85 notamment en ce qui concerne les
magasins de stockage : un agent de la police doit être présent à chaque
ouverture et fermeture de porte et signer un court procès verbal ; les clés étant
consignées au poste de sécurité dans un coffre métallique et accessibles
uniquement en présence du chef transit. Mais « les vols continuent, m’affirme
un cheminot, il y en a encore beaucoup. La pompe qui servait à extraire le
gazole de la citerne a été volée. C’est une machine qui coûte des millions. Je
pense que c’est un agent de l’OCBN car la machine était enfermée et qu’il fallait
connaître le terrain. Le « titan » qui est à l’entrée de la gare tout près du poste
de police, il n’était pas là avant. Il était au dépôt mais on a volé un alternateur
complet ». Un cadre me confirme : « Les vols au dépôt, c’est forcément des
gens de l’intérieur puisque c’est dans des locaux fermés. »
Dans l’enceinte OCBN, aux abords du petit rond-point qui fait face à la gare,
trois établissements privés se sont installés : une cabine téléphonique, où une
vendeuse propose également de l’eau Alafia, fraîche et saine, en pochette
plastique de 50 cl et des cartes prépayées pour GSM, un maquis et un atelier de
tournage, ajustage et soudure. Ces trois commerces ont pour propriétaires des
agents de l’OCBN. La présence de l’atelier, elle, n’est pas sans poser problème.
Sis à moins de 100 mètres des installations du district (qui, pour rappel, gère
l’entretien des installations fixes, donc dispose d’outillage) et propriété du chef
84 Début août, Pierre Gandjo m’a adressé un courrier : « Nous sommes à cinq mois d’arriérés de salaire. (…) Quant à mes activités champêtres, rien n’a marché cette année. La saison des pluies a été entrecoupée par une saison sèche qui a évidemment séché toutes les cultures. Je traverse actuellement les moments les plus difficiles de mon existence. » 85 Il a adressé le PV de la réunion ainsi qu’une lettre au directeur général à Cotonou, le 27 février, restée sans réponse.
p. 39
district lui-même, il enquiquine jusqu’au directeur d’agence qui ne sait trop
comment mettre un terme à une situation que lui-même juge ambiguë.
La rumeur veut que l’OCBN soit une entreprise où la pratique du vodoun (culte
vaudou) a toujours excellé. Il se raconte nombre d’histoires d’envoûtement qui
trouvent leur origine dans la jalousie entre collègues.
Marcel Soumenou, journaliste : « Il y avait beaucoup de jalousie. C’est connu.
Quand quelqu’un réussissait, il était victime d’envoûtement, on sabotait sa
machine, on volait des pièces importantes. Un oncle qui travaillait à l’OCBN disait
qu’il fallait mettre de côté la moitié de son salaire pour payer les gris-gris et les
protections. »
En tout état de cause, l’oisiveté et la précarité engendrées par « la misère des
machines » pourraient raviver les tensions et exacerber les rites occultes. Sujet
délicat… Je rencontre un mécanicien bientôt « dégagé » (à la retraite), Justin
Amoussou, un parent de mon informateur, « apeuré qui craint beaucoup les
envoûtements » :
« La pratique de la magie est fort développée ici. Il y a beaucoup de jalousie. Si tu
es bien dans ton travail, on peut chercher à te faire du mal. » À propos d’un
collègue : « Il a été envoûté quand il a voulu quitter sa femme, c’est la mère de sa
femme qui a fait ça. C’est une sorcière. Il a pris des congés pour se soigner à
l’hôpital mais ça n’a servi à rien. Même les médicaments traditionnels n’ont rien
donné. » À propos d’un autre collègue : « Parfois, il ne se sent pas bien, sa tête
gonfle, son corps change, il attrape des boutons. La maladie est provoquée par la
belle-mère. Cette femme a dérangé (envoûté) sa propre fille parce qu’elle ne
voulait pas qu’elle épouse cet homme. »
Il m’explique que, pour éviter tout problème pour lui, sa femme et ses enfants, il
ne dit rien s’il voit des vols ou des membres du personnel qui ne travaillent pas
correctement, en ajoutant que « c’est ça aussi qui a contribué à ce que l’OCBN
soit dans cet état ».
Un cadre me confie qu’« en 22 ans, je n’ai jamais vécu la situation. C’est plutôt
la vieille génération. Et puis qui voudrait ma place ? Avec plus de travail et plus
de responsabilités alors que les salaires ne suivent pas ! », reconnaissant
implicitement qu’il connaît les motivations des pratiques vodoun.
« On n'a pas besoin d'une loupe pour constater [que] 800 agents ploient sous le
poids de l'âge. Parfois payés en retard ou du tout pas. La plupart s'en sont remis à
p. 40
l'alcool. Et il est un secret de polichinelle qu'il y a assez de médisances, de coups
bas et surtout comme nous sommes en Afrique, notamment au Bénin, des
pratiques occultes qui ont cours dans cette structure. Des décès mystérieux sont
souvent enregistrés.86 »
Je n’en saurai pas davantage.
7. Le malheur des uns…
« Pour qui a voyagé une fois en train, connaît la sensation ; des couples, des
amitiés se sont nouées dans les Wagons, puisque, c'était des heures de voyage,
assis côte à côte, ou l'un face à l'autre87. » Pour autant, l’amour des Béninois
pour leur train n’a rien de… gratuit. Au contraire, un trajet en seconde classe fut
bien souvent l’occasion d’une modeste épargne. Une épargne légale pour les
bénéficiaires de « permis », c'est-à-dire les agents et leur famille mais
également les retraités et leur famille. Une épargne illégale pour les fraudeurs
de toutes sortes : « Il a été accordé à tout le personnel de voyager et de faire
voyager leur famille, notamment les enfants qui n'ont pas 18 ans sans frais.
Mais très tôt, la faveur a pris d'autres tournures ; les neveux, les nièces, les
cousins, les cousines et même les amis ont commencé par en bénéficier. Du
directeur au tickettier, le code était connu. "Telle personne assise dans le
2e wagon non loin des toilettes, ne lui demande rien, c'est un proche, on se
verra après. Est venue ensuite, la période des faux voyageurs et enfin la goutte
d'eau qui a fait déborder le vase, fut la magouille au niveau des responsables au
sommet. Ainsi, des amis de familles d'agents travaillant à l'OCBN ont voyagé
pendant plusieurs années sans rien payer88". »
Saley Yataga, directeur de l’agence OCBN à Parakou : « Les retraités ont droit à
douze permis (gratuité), les femmes aussi douze permis et les enfants ont douze
permis également. Quand les douze permis sont épuisés, il y a encore douze
permis à demi-tarif. »
Vincent Agossou, secrétaire général de l'ACR : « Nous, cheminots, avons de la
peine parce que nous avons des coupons pour le train. Mais maintenant on doit
86 AMOUSSOU Arnaud, « Renouveler le personnel de l’Ocbn avant même l’achat d’autres Wagons » in Fraternité, 11/07/07, consulté le 15 juillet 2007 sur http://fr.allafrica.com/stories/200707110417.html. 87 Ibidem. 88 AMOUSSOU Arnaud, op. cit.
p. 41
prendre les cars et nos femmes aussi souffrent. On n’a pas d’argent pour aller à
Cotonou. »
Dieudonné Hountondji, commerçant, petit-fils d’un chef menuisier de l’OCBN : « Tu
sais, un contrôleur peut avoir quatre femmes… »
S’il m’est impossible d’analyser avec précision le manque à gagner dû à
l’absence de train, tous les témoignages récoltés à Parakou convergent sur un
point : le commerce souffre.
Madame Eulalie Ogoubiyi, vendeuse au marché Dépôt depuis 30 ans : « Avant, les
marchandises arrivaient en grande quantité. Pour le transport des marchandises, le
train était moins cher que les occasions (taxis). Aujourd’hui, il y a moins de clients.
Et je vends les produits plus chers parce que je les achète chez un grossiste.
Quand il y avait le train, je commandais moi-même, sans passer par le grossiste.
L’échange était plus facile, l’argent circulait plus à cette époque. Il y avait
beaucoup plus de marchandes parce que certaines arrivaient avec le train pour
venir vendre de façon ponctuelle puis repartaient le soir même ou le lendemain.
Moi je prenais souvent le train voyageurs pour aller chercher de l’huile rouge (de
palme) à Allada. [Quand sa commande était prête, un jour ou deux plus tard] Je
chargeais ma commande, entre 25 et 50 bidons de 25 litres, dans un wagon du
train marchandises et je remontais à Parakou, cela environ une fois par mois. Si le
train reprend, cela va reprendre pour tout le monde. »
Vestige d'une période plus faste, dans l’enceinte OCBN, à quelques dizaines de
mètres de la salle d’attente et des guichets, le maquis – propriété d’un agent du
chemin de fer mais exploité par sa femme – a fermé ses portes, « depuis un an
ou deux parce que le train ne vient plus » comme le précise la jeune vendeuse
voisine.
Tous ne se désolent pas de cette situation. Des rails agonisants, une population
contrainte d’emprunter la route, certains y ont vu l’occasion de développer un
business prometteur : le transport routier de passagers89. Certes deux
compagnies existaient déjà sur la place depuis longtemps mais uniquement pour
assurer une liaison Parakou–Niger, en l’absence de liaison ferrée. Depuis 2005,
six sociétés90 ont vu le jour créant une concurrence plus que sérieuse91 : le
89 Sur le développement des routes en Afrique de l’Ouest, voir l’annexe 4, p. 76. 90 Bénin Routes, Pax Express, NTS (Nationale des transports et services), Confort Lines, AÏR Transport, RTV (Rimbo Transport Voyageurs). 91 Ce qui nuance l’argumentation selon laquelle la concurrence de la route a eu raison du transport voyageurs par rail.
p. 42
trajet Parakou-Cotonou s’effectue en six heures, avec un départ garanti sans
retard, dans un confort appréciable (un siège par personne) pour un montant de
5.000 à 6.000 F CFA (7 à 9 EUR). Même les « occasions », ces taxis-brousse
Peugeot 504 ou 505 qui, aux gares routières, attendent de charger six
passagers (deux à l’avant, quatre à l’arrière) avant de démarrer, « ce qui peut
durer un peu », souffrent d’une telle concurrence ; le même trajet coûte
7.000 F CFA, soit de 1.000 à 2.000 F CFA de plus, sans aucune garantie d’être
plus rapide.
La route, d’autres se l’ont appropriée : les « titans », ces camions poids lourds
surchargés, de deuxième ou de troisième génération, dégageant d’épaisses
fumées noires à chaque accélération, peinant même dans les côtes de faibles
intensités. Parakou en vit depuis que l’OH, l’opération hirondelle, fut créée en
1954 (voir supra) : dans le tissu urbain, « une conception architecturale nouvelle
a vu le jour jumelant le garage et l’habitat dans les zones nouvellement
occupées. (…) Le transit a apporté à Parakou des changements quantitatifs et
qualitatifs plus stables que l’industrie92. » Et de fait, dès que l’on s’écarte du
centre urbain historique, l’on croise partout en ville des parcelles où stationnent
des camions et sur les « trottoirs » des mécaniciens affairés à réparer une
panne ; des carcasses de « titans » errent çà et là…
Actuellement, on dénombrerait 400 transporteurs routiers à Parakou, regroupés
au sein de cinq syndicats, totalisant une flotte de mille camions et constituant
une couche sociologique plutôt aisée. Dans la proche banlieue parakoise, à
environ deux kilomètres du centre, je rencontre le représentant d’un
transporteur parakois, en d'autres termes le coordinateur de la flotte, des
ouvriers et des missions de chargements et déchargements pour le compte d'un
patron. Âgé d'à peine trente ans, s'exprimant dans un français peu
compréhensible stigmate d'une très faible scolarité, Salifou Issiakou-Chabi vit
dans une somptueuse villa construite récemment où l'immense antenne
parabolique, les équipements hi-fi et le mobilier intérieur témoignent d'une
certaine opulence ; « le transport, ça donne » me chuchote l'amie interprète qui
m'accompagne.
Salifou Issiakou-Chabi : « Ça travaille un peu bien. Le patron a 13 camions, bientôt
deux supplémentaires. Tous roulent pour le moment. Des "RB" qui font le tronçon
Cotonou – Niger à partir du port. En saison, les camions vont aussi à Cotonou avec
92 KOGUI N’DOURO Issifou, op. cit., p. 129.
p. 43
des balles de coton. Depuis un an ou deux, il n'y a pas de camions qui restent
parqués à attendre, pas besoin d'aller à l'appel de l'OCBN où le travail manque
alors qu'il y a assez de travail à Cotonou. »
L’entretien terminé, nous reprenons les mobylettes. Salifou Issiakou-Chabi nous
conduit au garage de son patron non sans faire une escale devant une parcelle
longue d’environ 60 mètres et large d’une quarantaine de mètres, clôturée d’une
solide palissade en béton, où ce jeune représentant envisage prochainement de
débuter des activités à son propre compte, dans le transport cela va sans dire.
Faute de train, je redescends à Cotonou à bord d’un minibus Mercedes d’une
trentaine de places. Lorsqu’il s’arrête comme à son habitude à Bohicon, en plein
centre d’un petit marché, je dénombre autant de vendeuses ambulantes que de
passagers, agitées, attroupées à l’entrée du car, interpellant chacun des
voyageurs pour lui vendre des boissons fraîches, des biscuits, des beignets, de
la pâte et de la sauce, du poisson séché, de la viande, du pain, des fruits ou
encore des mouchoirs en papier ou des lunettes de soleil… Voilà, en modèle
réduit, à quoi ressemblait chacune des 37 haltes de l’autorail le long des 438 km
de la ligne : un marché informel, dynamique, vivant ; indispensable lieu
d’échanges économiques93.
Vincent Agossou, secrétaire général de l'ACR : « Depuis les problèmes, le pays est
malade parce que les villages qui sont éloignées du goudron ne peuvent plus
envoyer les marchandises. »
8. Sorties de crise
Au siège central de l’OCBN à Cotonou, je termine mon périple par un entretien
avec Monsieur Rigobert Azon, le nouveau directeur général de la société de
chemin de fer. Nommé en décembre dernier, il a pour délicate mission de
remettre les trains sur les rails. Nous sommes plusieurs à patienter ; l’agenda du
« dégé » lui impose un conseil d’entreprise qui s’éternise.
93 À propos du « commerce féminin ferroviaire », lire le très intéressant article d’Agnès Lambert, « Les commerçantes maliennes du chemin de fer Dakar-Bamako », qui décrit l’intense circulation des marchandises, de l’argent et des privilèges accordés entre les agents de l’État et les commerçantes formant un système unique, (in Grands commerçants d'Afrique de l'Ouest : logiques et pratiques d'un groupe d'hommes d'affaires contemporains, GRÉGOIRE Emmanuel et LABAZÉE Pascal (éds), Paris, Karthala-ORSTOM, Paris, 1993 consulté en ligne le 20 juillet sur http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/b_fdi_03_05/40024.pdf.)
p. 44
En complet veston, cravate joliment assortie, l’homme courtois mais fermé qui
me reçoit en cette fin d’après-midi est fatigué et, il le sait, pas au bout de ses
peines. Son vaste bureau, la moquette, les larges fauteuils, la table basse vitrée,
l’équipement informatique, l’air conditionné, les documents rangés tranchent
radicalement avec les installations du directeur d’agence de Parakou et avec
l’atmosphère qui y règne. Sur l’écran de l’ordinateur, un intriguant message de
veille défile : « Jusqu’où irez-vous ? ».
« Ça va repartir. On est en train d’intervenir sur les machines. Nous avons
beaucoup de créances et nous avons décidé de mener une politique de
recouvrement de celles-ci. La volonté des deux États est la même, théoriquement.
Nous sommes en attente d’une réaction de ces deux États qui doivent décider
d’injecter des fonds. On va attendre le conseil d’administration dans trois jours
pour vérifier cela. De plus, la Cédéao a décidé de travailler à l’interconnexion du
rail. L’Inde va financer 250 millions de dollars pour l’étude faisabilité. L’OCBN va
décoller. C’est très sûr. » Rigobert Azon.
Cet optimisme (ou cette foi ?) n’a guère trouvé d’écho à ce jour. « Le vent du
changement qui a soufflé dans ce service par le renouvellement de la direction
générale semble ne rien avoir apporté (…). Le chef de l’État, le docteur Boni
Yayi, le seul habilité à décanter la situation au sein de cette institution doit se
pencher sur cette déplorable situation que vivent les cheminots94 » pouvait-on
lire récemment dans la presse.
La réaction présidentielle tient dans une visite récente, le 9 juillet dernier, dans
les locaux même de l’OCBN à Cotonou. « L'équipe du président Boni Yayi a
retrouvé des BB en pleine rouille, des locomotives bonnes pour une exposition
au musée Quai Branly95 » sans toutefois annoncer de mesures radicales qui
pourraient sauver une société moribonde. Le chef de l'État devrait analyser tout
prochainement les propositions de dons de locomotives du gouvernement
indien… Peut-être de quoi faire circuler des trains, mais pas davantage.
94 « Crise à l’OCBN : Les cheminots appellent le docteur Boni Yayi au secours » in Le Béninois libéré du 16/05/07 consulté le 9 juin 2007 sur http://beninhuzu.org/2007/spip.php?article1469. 95 AMOUSSOU Arnaud, op. cit.
p. 45
Il me revient à l’esprit cette phrase de Prospère Agbodouama, le conducteur-
mécanicien qui m’avait invité à bord le la BB 618 à Parakou :
« Le nouveau gouvernement dit que ça va aller mais, depuis dix mois, il ne fait que
conjuguer le futur ».
8.1. Première lueur d’espoir : le port sec
Avec une augmentation importante du trafic ces dernières années (2 millions de
tonnes en 1993 à près du double en 200496), le port de Cotonou se trouve
aujourd’hui dans une situation de congestion considérable, mais limité dans son
développement terrestre en raison de l’urbanisation de la ville. Le port sec, dont
l’implantation a été décidée à Parakou, est une infrastructure spécialisée dans le
transbordement de marchandises entre différents modes de transports (en
l’occurrence ici, chemin de fer et camions), développant également d’autres
activités telles que le stockage intérimaire, notamment de conteneurs vides,
l’entretien de conteneurs, l’accomplissement des procédures douanières, etc.
On comprend facilement les avantages du projet tant pour le port (gain
d’espace, réduction des délais de passage, amélioration de la qualité du service)
que pour la ville de Cotonou (diminution des problèmes de circulation et
réduction de la pollution) ou pour celle de Parakou (confirmation comme nœud
central de transport à destination de l’hinterland, création d’emplois).
Cela étant, le succès du développement du port sec dépendra de
l’accomplissement de certaines conditions, et l’étude de faisabilité de citer en
premier lieu : « La disponibilité d’un système de transport ferroviaire97 ». Aussi,
le succès de l’un semble dépendre du succès de l’autre : l’OCBN gagnerait
beaucoup à voir se développer le port sec mais celui-ci a besoin d’un chemin de
fer performant. Paralysie ?
Le directeur de l’agence OCBN de Parakou, Saley Yataga, avait bien perçu les
enjeux. Le 12 décembre 2006, il écrivait au directeur général à Cotonou pour lui
rappeler qu’il avait fait procéder au déguerpissement des populations installées
sur le site parce que « le projet de port sec était à mon humble avis une raison
96 Royal Haskoning, Étude de faisabilité pour la construction d’un port sec à Parakou, mai 2006, p. 5. 97 Op. cit., p. 7.
p. 46
convaincante pour faire taire toute velléité de réclamation ou de réoccupation
des entreprises ». À la même époque, il écrivait au maire de Parakou pour lui
réaffirmer que « son » site dispose des atouts nécessaires pour développer le
port sec (un domaine de 40 ha, des grues fixes et mobiles, des magasins de
stockage, des capacités d’accueil de conteneurs, etc.).
Mais le port ne s’implantera pas sur le site de l’OCBN. En août 2006, à Gannon,
quartier rural situé à quelque six ou sept kilomètres au sud-ouest de la ville, le
long de la ligne de chemin de fer et non loin de l’usine de la Sobebra, une
délégation ministérielle a posé la première pierre du Port sec de Parakou. Le site
existe bel et bien ; il est le fruit d’un projet de coopération entre le Bénin et la
Malaisie, que le Parti du Renouveau démocratique, parti d’opposition, aurait
qualifié « d’éléphants blancs98 ». Huit mois s’étaient écoulés lors de mon
passage sur le site le 27 mars. Hormis la stèle inauguratrice, rien ne laissait à
cet instant présager l’installation d’une activité portuaire dans cette partie de
brousse : pas la moindre infrastructure, aucune délimitation de l’espace, aucun
travaux de génie, …
98 Promesses en l’air, gestes qui ne seront pas suivis d’effets.
p. 47
8.2 Seconde lueur d’espoir : Africarail
En janvier 1999, un accord entre les gouvernements du Bénin, du Burkina Faso,
du Niger et du Togo a permis de confier à la société concessionnaire Africarail,
créée en 2002, la gestion du programme d’interconnexions et d’extension du
réseau ferroviaire de la sous-région99. L’interconnexion relierait Cotonou à Lomé
en passant par Parakou, Kandi, Mallanville, Dosso, Niamey, Téra, Dori,
Ouagadougou, Tenkodogo, Dapango, Lama-Kara, Sokodé, Blita. Un autre
tronçon, Porto Novo–Lomé, fermerait la boucle. Le coût du projet qui
nécessitera la construction de 2.000 km de nouveaux rails est provisoirement
estimé à deux milliards de dollars.
-- carte manquante --
« Ce tracé, explique Hamadou Kaffa, administrateur général d’Africarail, permettra
ainsi de former une boucle économique entre les ports autonomes de Cotonou et
de Lomé de manière à ce que les Etats enclavés ne soient pas tributaires d’un seul
port. Le projet a pour objectif la réduction de la pauvreté et de la fracture
énergétique entre les pays, d’assurer la survie et la viabilité des réseaux existants,
d’adapter la capacité globale des transports aux besoins, de désenclaver les
régions et de favoriser la mise en valeur des potentialités agropastorales,
touristiques, industrielles et minières. (…) Nous y voyons des avantages énormes
et multiples, notamment en matière d’échanges, de communication, de création
d’emplois (plus de 2.000 emplois pendant et après les travaux) mais aussi
d’activités collatérales génératrices de revenus100. »
Ce programme a reçu le soutien de la Communauté des États sahélo-sahariens
(CEN-SAD, 18 États), de l'Union économique et monétaire ouest-africaine
(Uémoa) et est intégré dans le Plan d'action pour l'interconnexion ferroviaire des
États membres de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique
de l'Ouest). Enfin, Africarail fait partie des 21 projets prioritaires retenus dans le
99 BONTIANTI Abdou, op. cit., p. 64. 100 NANA Bachirou, « Hamadou Kaffa, administrateur général du Projet AFRICARAIL : "Nous avons 2000 km de rails à réaliser" » in Sidwaya du 01/03/07 consulté le 25 juillet 2007 sur http://www.lefaso.net/article.php3?id_article=19466.
p. 48
Plan d'action à court terme du Nepad (Nouveau partenariat pour le
développement de l'Afrique)101.
La critique d’Abou Bonanti qui explique pourquoi la ligne n’a jamais dépassé
Parakou102 (« aucune étude précise n’a été faite : les bases de calcul des coûts
estimatifs n’ont pas été élucidées. En dépit de l’accord de principe de certains
bailleurs de fonds ou institutions financières, cette lacune ne serait pas de
nature à convaincre les milieux financiers à investir dans une entreprise dont on
ne connaît pas la rentabilité économique ») semblerait cette fois rencontrée
puisque, selon l’administrateur général d’Africarail, la DAB, la Banque africaine
de développement, a marqué son accord pour un financement des études à un
peu plus de trois millions de dollars. Un groupement international103 a été
chargé de la réalisation des études dont les résultats sont attendus en juin 2008.
S’il ne s’agit pas d’éléphants blancs, les rails béninois atteindraient le Niger un
peu plus d’un siècle après les premiers plans. Mais, rappelons-nous ce qu’écrivait
déjà en 1978 Issifou Kogui N’Douro104 : « À des niveaux plus élevés, le
prolongement de cette voie jusqu’au Niger est à l’étude. Cette étude, selon les
rapports des travaux Bénino-Nigériens, paraît très avancée. »
8.3. La privatisation : le contre-exemple sénégalais
L’État béninois a tenté à maintes reprises de trouver le salut de l’entreprise
ferroviaire dans sa mise en concession, mais à ce jour l’appel d’offre n’a connu
aucun succès. Au Sénégal, l’expérience de la privatisation date de 2003 dans un
contexte semblable à celui du Bénin : à partir des années 80, le rail souffre
d’une dégradation progressive du matériel, d’un sous-investissement massif et
d’une concurrence accrue des camions.
Le groupe franco-canadien Canac-Getma qui remporte la concession d’une
durée de 25 ans, avec obligation d’assurer un service pour les passagers, confie
l’exploitation de la mythique ligne Dakar-Niger105 reliant Dakar à Bamako à une
101 http://www.africarail.org/ consulté le 25 juillet 2007. 102 Op. cit. 103 CIMA international (Canada) et UMA-AECOM (États-Unis). 104 Op. cit., p. 87. 105 Cf. Les bouts de bois de Dieu.
p. 49
nouvelle société, Transrail106. Espoirs de jours meilleurs, donc. « Pourtant, les
trains n’ont jamais aussi mal roulé. Les rails ont cessé d’être remplacés. Le
ballast n’en peut plus, les tire-fond ont disparu, des traverses se sectionnent et,
surtout, les rails flambent : leur dilatation sous l’effet de la chaleur est telle qu’ils
se gondolent, échappant à leurs écrous de jonction. Alors, les trains
déraillent.107 »
Des Blancs, des Canadiens cette fois, occupent à nouveau les bâtiments de la
direction à Thiès, haut lieu du syndicalisme sénégalais. Les fantômes des
grévistes de 1948 conseillent sans doute les cheminots maliens et sénégalais qui
n’acceptent pas l’abandon du trafic voyageurs108 au profit du fret, la baisse des
salaires, le licenciement de plus de 600 postes ou l’absence des investissements
promis… malgré les profits colossaux de Transrail (un milliard par mois, selon
Cocidirail, le Collectif citoyen pour le développement intégré et la restitution du
rail malien109). Aussi, les grèves ont repris en juin et juillet 2006 à l’initiative de
l’alliance entre Fetrail (Fédération des travailleurs du rail, Sénégal) et Sytrail
(Syndicat des travailleurs du rail, Mali).
Le collectif citoyen Cocidirail, soutenu par les usagers et les cheminots de la
ligne mais aussi de la sous-région, exige la renationalisation du chemin de fer, et
dénonce « la démission nationale et totale des dirigeants maliens, c'est-à-dire
une volonté politique au profit des multinationales et d'eux-mêmes les
dirigeants, contre les intérêts de la patrie et sous la pression du FMI et de la
Banque Mondiale110 ».
106 MUNIÉ Vincent, « L’Afrique de l’Ouest sous tensions. Bataille syndicale autour du rail sénégalais » in Le Monde diplomatique, février 2007, pp. 10 et 11, consulté le 9 juillet 2007 sur http://www.monde-diplomatique.fr/2007/02/MUNIE/14405. 107 Ibidem. 108 Selon le quotidien L’essor (« Trafic voyageurs sur les rails : le nouveau matériel aiguise les appétits », 16/04/07, consulté le 28 juillet 2007 sur http://www.essor.gov.ml/), l'État a acquis du nouveau matériel roulant : 38 voitures et trois locomotives d'une valeur de plus de 13 milliards… créant une polémique. La direction générale de Transrail se dit disposée à présenter un plan de transport des voyageurs performant avec les nouveaux matériels acquis mais le conseiller technique au ministère de l'Équipement et des Transports chargé du trafic ferroviaire est, lui, formel : « Transrail n'aura pas la gestion des trains voyageurs. L'État ne peut pas acheter du matériel roulant pour plus de 13 milliards F CFA (19.800 EUR) pour le confier à une société privée étrangère. Il n'en est pas question ». 109 http://www.cocidirail.info consulté le 20 juillet 2007. 110 « Déclaration du Cocidirail à l'issue du Forum Social Mondial Polycentrique de Bamako », http://www.cocidirail.info.
p. 50
Dans un contexte de privatisation où la rentabilité est assurée avec peu
d’investissement grâce à une politique sociale ultra-libérale, Africarail, le projet
d’interconnexion des rails africains, intéresse, outre Transrail, les multinationales
déjà actives dans le chemin de fer : Sitarail au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire
(groupe Bolloré), Camrail au Cameroun (groupe Bolloré), Setrag au Gabon
(groupe Eramet), Togorail au Togo (goupe West African Cement).
Un réseau ferré ouest-africain verra sans doute le jour. Privé ? Public ? Au
bénéfice des populations ? Rien n’est moins certain.
p. 51
Troisième partie
Joies et difficultés épistémologiques
p. 52
« Le terrain représente l’alpha et l’omega de tout exercice ethnologique » nous
enseigne Michaël Singleton111. Aussi, il me paraît utile, après avoir jusqu’ici laissé
autant que faire se peut la parole aux observés, de m’exprimer sur ma pratique,
ses forces et ses faiblesses, de poser un regard critique, sans pour autant
tomber dans le mythe du terrain « lorsque l’anthropologue s’en autoproclame le
héros en dramatisant ses propres difficultés112 ».
Sans doute vais-je réécrire ce que d’autres apprentis anthropologues ont déjà
exprimé – qu’importe puisque « chaque terrain est un cas à part113 »… – mais
l’enjeu m’apparaît d’importance : un mémoire doit sa valeur, à mon sens, autant
à la manière dont il a été réalisé qu’au produit final.
9. Le choix du terrain
Ai-je été tenté, dans le choix du terrain, par l’exotisme, la recherche d’un
ailleurs, d’un lointain différent ? Absolument. Même si l’Afrique et le Bénin plus
particulièrement ne m’étaient pas totalement étrangers puisque, dans un cadre
associatif ou professionnel, j’ai eu l’occasion, lors de séjours relativement
courts114 de deux à quatre semaines, de m’y rendre et d’y apprécier des
hommes et des femmes, à l’écart et à l’abri de certains stéréotypes.
Cette modeste connaissance aura probablement sauvé mon entreprise, ce qui
n’est pas rien : « privé » de train voyageurs, ma capacité à rebondir aurait
probablement été nulle en terre inconnue. Elle m’aura aussi permis, je crois, de
réussir mon entrée sur le terrain ethnologique finalement retenu, la gare de
Parakou : en effet, quel précieux temps ai-je économisé en prenant le soin, dès
mon arrivée et cela chaque jour, de rencontrer le directeur de l’agence et de
discuter de tout et de rien (sa femme, mes études et les siennes, la Belgique,
l’anthropologie, Dieu, etc.)… mais pratiquement jamais du chemin de fer ! Ce
sens du protocole, du contact et de la plaisanterie m’aidera grandement. Tout
comme, détails techniques, l’achat d’une puce Areeba (avec un numéro de
portable béninois) et la réalisation sur place de cartes de visite.
111 Amateurs de chiens à Dakar, Plaidoyer pour un interprétariat anthropologique, L’Harmattan/Academia, Paris/Louvain-la-Neuve, 2006, p. 11. 112 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, op. cit., p. 30. 113 SINGLETON Michaël, op. cit., p. 40. 114 Bénin (1992, 1997, 1999), Côte-d’Ivoire (1993), Gabon (1995), Congo (2001).
p. 53
Une certaine pratique de l’Afrique m’avait aussi poussé à demander avant mon
départ une attestation de mission « officielle » au professeur Olivier Servais,
responsable des programmes. Ce merveilleux sésame m’aura été des plus utiles
pour accéder aux bibliothèques et centres de documentation, ou pour être pris
au sérieux par le directeur d’agence à Parakou. Le poids des mots, le choc du
logo…
Mais, sans m’alourdir sur ma mésaventure, force est de constater que je me suis
retrouvé en position de faiblesse, improvisant tout en sachant que « partir sur le
terrain sans idée préconçue, sans théorie, relève de la fantaisie115 ».
Parti pour m’immiscer dans un non-lieu cher à Marc Augé, une voiture de train
voyageurs116, soit « un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni
comme relationnel, ni comme historique117 », j’ai découvert un lieu mort,
sociologiquement asséché, vidé de ses acteurs, privé de ses logiques
fondatrices ; un espace clos et statique mais éloigné de toute surmodernité (et
de ses excès) : la gare africaine – lorsqu’elle vit – n’est pas un lieu d’errance,
mais un endroit investi de sens, ancré dans le passé. Bref, un lieu collectif (et
non anonyme ou impersonnel), un « vrai lieu » anthropologique, « espace de
relations, de mémoire et d’identification relativement stabilisées118 ».
À défaut de savoir ce que je cherchais, pour paraphraser Robert Cresswell119, j’ai
essayé d’en trouver davantage. Au risque de me perdre. Mon observation
participante a, par appétit de recherche, porté sur tout (les métiers et les
procédures de travail, les rapports entre collègues, les postures des travailleurs,
les enjeux socio-économiques, le magico-religieux sur le lieu de travail, etc.) et
me laisse, in fine, le sentiment de n'avoir porté sur rien parce qu’aucun des
sous-thèmes n'a pu être exploré en profondeur.
115 CRESSWELL Robert et GODELIER Maurice, « La problématique en anthropologie » in Outils d’enquête et d’analyses anthropologiques, Maspéro, Paris, 1976, p. 24. 116 Mais à tort, car le train voyageurs au Bénin ne connaît pas les excès de la surmodernité, c'est-à-dire, comme l’écrit Michel Agier « le rétrécissement de l’espace à l’échelle planétaire grâce au développement des moyens de transport et de communication, le resserrement du temps et de l’histoire par l’omniprésence des informations médiatiques, et la prédominance de l’individu comme modèle d’action et de communication » (op. cit., p. 53.) 117 AUGÉ Marc, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992, p. 100. 118 AGIER Michel, op. cit., p. 53. 119 CRESSWELL Robert et GODELIER Maurice, op. cit., p. 22.
p. 54
10. Le temps
Comment gérer le temps ? Cette question me semble être au cœur d’un projet
de recherche anthropologique a fortiori quand il est de courte durée et mené
sous d’autres cieux. L’obsession participante impose la présence sur le terrain
mais la recherche de données requiert parfois de s’en distancer. Les rares et
indispensables documents sur Parakou se consultent… à Cotonou ! Comment
comprendre le rôle de la gare sans déambuler dans la ville ? Fallait-il
manœuvrer la locomotive pour gérer le triage ou en descendre pour interroger
les passagers du Train d’ébène ? Devais-je délaisser Parakou quelques jours
pour m’installer le long de la ligne, dans un village privé du train120 ?
L’entrée même sur le terrain est extrêmement chronophage. Il convient
d’installer rapidement une relation de confiance, afin de récolter par la suite
autre chose que des informations de convenance ou de surface, c'est-à-dire de
perdre du temps à en gagner.
S’il faut « avoir perdu du temps, beaucoup de temps, énormément de temps,
pour comprendre que ces temps morts étaient des temps nécessaires121 », il
faut aussi reconnaître que beaucoup de temps morts… tuent l’enquête : trouver
une thèse au centre de documentation de la Flash122 puis, le cas échéant, la
faire photocopier coûte une journée (ou deux si la responsable du centre a un
tracas de mobylette...). Obtenir un rendez-vous, retrouver l’interprète, patienter
longtemps pour enfin réaliser un entretien inutile, voilà une après-midi fichue !
Truisme assumé : une observation participante de quatre semaines à l’étranger
me semble inévitablement aboutir à un produit inachevé, imparfait ; au mieux, il
s’agira d’un excellent travail de repérage. Au terme de celle-ci seulement, on sait
qui doit encore être interviewé ou réinterrogé, quels pans entiers de
l’observation peuvent être abandonnés au profit de quels autres… Où être, où
ne pas être. C’est que « le premier objet de l’enquête n’est pas de répondre à
des questions mais de découvrir celles que l’on va se poser, et il faut, pour cette
120 Ne pas l’avoir fait est l’un de mes regrets ethnologiques, mais coincé par le temps, le nez dans mon terrain parakois… 121 OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre, op. cit., p. 32. 122 Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l’Université d’Abomey-Clavi.
p. 55
simple découverte, du temps : le temps de comprendre où sont, dans l’univers
des enquêtés, les problèmes et les enjeux (…)123 ».
Le mémoire ne peut donc se lire que comme un exercice, un entraînement, une
répétition parce que « la qualité ethnographique [ne] peut s’appliquer [qu’] à
tout type d’enquête qui repose sur une insertion personnelle et de longue durée
du sociologue dans le groupe qu’il étudie124 ». Le mémoire, lui, repose sur une
micro-immersion, indispensable expérience ethnographique certes mais sans
aucune mesure avec le credo anthropologique, la longue durée, condition sine
qua non d’un terrain de qualité : « Toutes les enquêtes ont en commun de faire
un pari sur le temps. N’insistons pas sur le plus évident : la familiarisation et le
repérage dans un univers étranger, la diversification des situations observées,
de contacts et des sources d’information, la possibilité de profiter des "heureux
hasards", ceux qui font que l’on est là "au bon moment", tout cela suppose une
durée : là se trouve le principal gisement des quelques découvertes de
l'ethnographie.125 »
Un terrain exotique de courte durée représente aussi une prise de risques qu'il
convient de ne pas sous-évaluer. Qu’advient la recherche quand l’étudiant
souffre de paludisme (à P. falciparum, pénible souvenir de 1999 !) ou de
diarrhée bactérienne, ou encore est victime d’un accident (les déplacements en
zemidjan ou en « occasion » sont réellement périlleux)126 ou de « coupeurs de
têtes », ces bandits qui depuis quelques années braquent les taxis sur les routes
béninoises ? Cette question m’a plus d’une fois traversé l’esprit, me rappelant les
conséquences d’un échec : un dérapage budgétaire (profitons-en pour rappeler
l’investissement que nécessite un terrain exotique s’il n’est pas subsidié :
vaccins, visa, traitement antipaludique, passeport, avion, séjour …), sans parler
du blâme social qu’imposeront au retour les proches puisque « l’enquête
ethnologique est rarement une activité culturellement reconnue et socialement
utile (même dans nos sociétés !).127 »
123 SCHWARTZ Olivier, « L’empirisme irréductible » in ANDERSON Nels, Le Hobo. Sociologie du sans-abri, Nathan, Paris, 1993, p. 281. 124 SCHWARTZ Olivier, op. cit., p. 267. 125 Ibidem, p. 268. 126 Aussi, je comprends mieux Michaël Singleton (op. cit., p. 36) quand il écrit que « La simple démarche d’observer et de participer ne semble pas toujours aller de soi pour tout le monde. J’ai eu à suivre des anthropologues en herbe sur le terrain au Sénégal : un tiers se faisait rapatrier sanitairement dans les vingt-quatre heures (…). » 127 COPANS Jean, L’enquête ethnologique de terrain, Armand Colin, Paris, 2005, p. 9.
p. 56
Aussi, l’apprenti ethnologue sur le terrain devra en partie compter sur le facteur
chance. Comment, dans la courte durée, rechercher et trouver et convaincre un
« local » de traduire des entretiens, d’aider dans certaines démarches,
d’expliquer les tenants et aboutissants de quelque situation sinon en s’appuyant
sur un heureux hasard ? N’aurais-je pas demandé à ce jeune serveur, ce
premier matin à Parakou pour entamer une discussion et me sentir moins perdu,
d’où il était originaire et mon enquête aurait pris une autre direction : Thierry,
comme je l’ai déjà écrit, petit-fils de cheminot habitant Alaga, m’a guidé, m’a
épaulé dans mes recherches, a traduit plusieurs entretiens. Sérieux, dévoué,
intéressant. Au bon moment, au bon endroit…
11. Micro-terrain, macro-expérience
Dans le même temps, cet exercice, cet entraînement, cette répétition sur place
se sont révélées être d’une indispensable nécessité épistémologique. Dans un
décor où chacun croit en une reprise du service voyageurs pour le lendemain,
personne n’ose affirmer que le train ne circule plus. Seule une présence, une
confrontation in situ contraint les interlocuteurs à admettre une réalité, peut-
être momentanée mais vérifiable : le-train-voyageurs-ne-circule-pas. Autrement
dit, seule cette présence permet de mesurer la « souffrance sociale128 » d’une
partie de la population.
Toutefois, cette confrontation directe n’enlève pas toutes les incompréhensions.
Cartésien, rigoureux, précis, combien de fois n’ai-je pas reçu comme réponse à
une question quantifiable des « bientôt », « non loin », « avant », « il va
arriver », « ça va durer un peu », etc. ? Dans ce contexte, il n’est pas toujours
aisé de mesurer les données…
Thomas Omer, 129 à propos de sa quête d’informations sur sa ville : « À défaut de
la pratique de l’écriture, la tradition orale perpétue dans la mesure des capacités
humaines de mémorisation, les faits essentiels. "En Afrique, dit Hampaté Ba un
sage malien, chaque vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle". Il a donc
128 Et l’une des nombreuses pistes d’approfondissement de cette recherche devrait aller dans ce sens (cf. HILGERS Mathieu, à propos des opérations de lotissements urbains et de leurs conséquences : « peu de travaux se sont intéressés de façon systématique à la souffrance sociale que de tels modes de gestion engendrent chez les populations les plus fragiles » in Une ethnographie à l’échelle de la ville. Urbanité, histoire et reconnaissance à Koudougou (Burkina Faso), Thèse de doctorat en anthropologie, UCL, Louvain-la-Neuve, 2007, p. 23.) 129 Op. cit., p. 22.
p. 57
fallu retrouver les bibliothèques épargnées par l'incendie de la mort pour recueillir
les données sur l'histoire de Parakou. (…) L'hospitalité ne pose pas de problème ;
on reçoit toujours un étranger, mais il obtient rarement ce qu'il cherche, soit on le
renvoie chez un autre censé mieux informé, soit on lui raconte des contre vérités.
L'enquêteur a donc subi toutes ces épreuves croyant que la communauté de
langue était une "carte de bibliothèque" valable. »
L’épreuve de l’autre dans son contexte est riche d’enseignement : l’entretien d’une vendeuse au marché Dépôt est révélateur d’autres difficultés liées à la situation elle-même. Voici, ce que de manière brute, j’ai pu noter à chaud à Parakou :
L'entretien s'est déroulé au marché, vers 17h00, durant l'activité professionnelle de la vendeuse ; la raison de ce choix tenait dans la volonté de mettre le plus en confiance la personne interrogée mais également dans la possibilité de mener, si nécessaire, plusieurs entretiens.
Feed-back :
1. Ne pas maîtriser la langue constitue un handicap. Mais en même temps, le décalage (le temps de la réponse avant la traduction) m'a permis de rester "accroché" à ma conduite d'entretien, de reposer ou de repréciser les questions sans réponse ou esquivées ;
2. J'ai bien perçu le désir de l'interviewée de ne pas répondre à mes questions mais sans oser dire qu'elle ne voulait pas répondre. Ce n'est qu'après un travail de mise en confiance, avec patience, en acceptant toutes les réponses avec enthousiasme, en plaisantant avec elle, et en lui achetant quelques denrées que l'interviewée aura répondu à l'ensemble de mes questions avec une certaine pertinence ;
3. Le rythme était lent : chaque simple question était traduite par des phrases quatre à cinq fois plus longues (en tout cas, ce fut mon impression) et il fallait souvent poser la même question trois fois, de façons différentes et non pas de manière répétitive mais bien "çà et là" dans l'interview avant d'obtenir une réponse ;
4. Non négligeables, en termes de difficultés périphériques mais bien réelles : les jeunes enfants qui viennent chahuter ; les autres vendeuses, moqueuses ou jalouses, qui interviennent, interpellent… ; les odeurs, la chaleur, les mouches…
Autre enseignement mais grande frustration : immergé dans un milieu –
masculin – de fonctionnaires, mon observation participante dépendait des
horaires de travail, m’écartant de la sphère privée des agents et des auxiliaires
de l’OCBN, lesquels d’ailleurs n’envisageaient pas que, m’intéressant au chemin
de fer, je puisse m’intéresser également à eux et à leurs proches. Seule sans
doute la durée…
p. 58
Enfin, la pauvreté des sources (dans la communauté scientifique, qui se soucie
de Parakou ? qui se soucie du rail béninois ?) a pu être partiellement mais
heureusement contournée grâce aux travaux universitaires disponibles à
Abomey-Calavi, grâce également à des documents de travail, des courriers, des
brochures diverses ou à un audit officiel transmis à titre confidentiel que seuls
des rapports personnels directs ont pu permettre.
Cela dit, même la recherche d’un mémoire à la Flash de l’Université d’Abomey-
Calavi (en l’occurrence le travail de Issifou Kogui N’Douro) a valeur heuristique
pour le novice. L’expérience met le chercheur en contact avec la plus grande
université du pays, soit 45.000 étudiants, et l’autorise à assister à un cours ex-
cathedra dans la pénombre – coupure d’électricité oblige, le fameux
« délestage » – d’un auditoire saturé. Il y découvre un centre de documentation
d’à peine 20 m² (toujours dans la pénombre) où cinq à six étudiants tout au
plus peuvent profiter d’un banc et partager une étroite table de travail, le long
des étagères de rangement ; où s’asseoir et se croiser relève parfois de la
prouesse gymnique ; où « faute de place » des dizaines de mémoires s’empilent
à même le sol en dehors de tout classement ; où, pour seul support de
recherche, l’assistant bibliothécaire dispose de feuilles manuscrites et
dactylographiées, parfois volantes, parfois agrafées, jaunies par les années et
les nombreuses manipulations. Et où, pour trouver, « il faut fouiller un peu »…
Mais surtout, bénéficier (à nouveau) d’une chance énorme ! Il ne s’agit
nullement d’y voir une expérience dépaysante mais bien une façon de vivre le
quotidien, de le bricoler faute de mieux ; d’y lire les stigmates des rapports
asymétriques entre le Nord et le Sud ; d’y déceler le maillon d’un système qui
explique en partie la quête d’un ailleurs, au péril de sa vie, mais ceci nous égare.
En tout cas, cette courte (mais intensive) présence parmi la communauté des
cheminots de Parakou m’aura permis d’appréhender l’immense détresse
d’hommes condamnés à attendre, écrasés sous le poids de l’inactivité, témoins
de l’agonie de ce qui jadis faisait leur fierté. Aucun échange d’e-mail, aucune
« administration » de questionnaires n’y seraient jamais parvenus.
Alea jacta est… Modestement, avec les données recueillies sur place et en
articulation avec d’autres sources, j’ai essayé de comprendre autrui, de lui
p. 59
donner la parole, de faire sens avec lui. Artisan plutôt qu’artiste (statut
qu’accorde Evans-Pritchard à l’anthropologue130), j’ai pu – autre enseignement –
me tester en situation réelle, à l’image d’un jeune musicien à qui un virtuose
propose de jouer un bref moment devant son public. Ai-je réussi ? Ai-je, malgré
les contraintes et les opportunités ci-dessus énoncées, réalisé un inventaire du
lieu d’autrui, « une topographie, en long et en large, des institutions et des
idéologies qui influencent les mœurs et les mentalités des individus du milieu où
on a choisi de s’implanter en anthropologue prospectif131 » ? Suis-je parvenu,
grâce notamment aux exigences méthodologiques glanées çà et là, à bricoler un
objet anthropologique digne des sciences sociales empiriques et non « une
forme savante de journalisme, de chronique ou d’auto-biographie exotique » ?
La réponse ne m’appartient plus.
130 SINGLETON Michaël, « De l’épaississement empirique à l’interpellation interprétative en passant par l’ampliation analogique : une méthode pour l’Anthropologie Prospective » in Recherches sociologiques, vol. 32, 2001, p. 17. 131 SINGLETON Michaël, op. cit., p. 21.
p. 60
La lente désaffection d’un train, qu’il parcoure la plus
lointaine des vallées pyrénéennes, le fin fond des villages
perdus de l’Oural ou les plaines arachidières de l’Afrique,
est toujours le signe d’un renoncement.
Vincent Munié (op.cit.)
Conclusion
p. 61
Parakou m’a accueilli durant un mois en mars/avril 2007. Il m’a semblé courtois
de lui faire honneur (don, contre-don… on n’en sera jamais quitte) et de profiter
de ma recherche pour la présenter. Pas uniquement par plaisir ou esprit altruiste
mais surtout en raison de la pauvreté des sources disponibles sur la troisième
ville du Bénin132 et de l’intérêt de celle-ci dans l’approche du sujet.
Une question m’a longtemps hanté : pourquoi diable personne parmi mes
contacts béninois, ni aucun des nombreux sites web consultés avant mon
départ, n’évoquait la crise du rail et l’absence de trafic passager133 ? Ce travail,
fruit d’un micro mais très enrichissant terrain ethnologique, y répond au moins
partiellement. Les « ça va repartir » entendus moult fois traduisent l’état d’esprit
d’une population face à une situation pour elle inadmissible ; un espoir, une
forme de croyance en dehors de toute objectivité.
C’est que le train béninois, tout comme d’autres trains d’Afrique de l’Ouest, n’est
pas seulement un moyen de transport en commun gratuit – qui bénéficie de
« permis gratuits » ou de coupons demi-tarif, qui s’arrange avec le contrôleur,
qui encore fraude tout simplement… Mis en chantier durant la période coloniale,
le chemin de fer a charpenté physiquement et socialement le pays ; il a été
l’épine dorsale du transport voyageurs et marchandises, contribué au
développement du port de Cotonou, permis de sceller une étroite collaboration
avec un État voisin. Le rail a également contribué à l’expansion démographique,
économique et géographique de la troisième ville du pays, point de rupture de
charge indétrônable, siège stratégique de l’opération hirondelle. Plus encore,
grâce à la « grande grève historique de cinq mois et dix jours », le chemin de
132 À titre illustratif, on notera que Les villes secondaires d'Afrique noire 1970-1997, bibliographie analytique et commentée, ne comporte que deux références "Parakou"… sur 1.200 (BERTRAND Monique, CEAN, 1997). 133 À la vérité, un ami béninois m’a envoyé un mail quelques jours avant mon départ pour me faire part de ses doutes, mais je n’y ai guère prêté attention pensant que son statut de conseiller ministériel l’invitait davantage à emprunter des 4X4 officiels que le train. Grossière erreur, je le confesse !
p. 62
fer fut l’outil de l’émancipation des travailleurs noirs, prémices
d’indépendance134.
Cet imposant héritage social et culturel plombe le moral béninois. Hier société
prestigieuse où chacun rêvait de faire carrière, source de fierté nationale (une
équipe de football de première division se nomme « Cheminots OCBN FC »…),
l’entreprise ferroviaire est aujourd’hui à vendre, en faillite virtuelle.
Élément central de l’économie de subsistance, formelle ou informelle, de milliers
de petites gens et moyen de transport économique et sûr (à défaut d’être
rapide), le train passagers est légitimement attendu et espéré par une
population socio-économiquement modeste.
Quant aux tonnes de marchandises à destination de l’hinterland, elles
parcourent le trajet Cotonou–Parakou, autrefois exclusivement réservé au rail, à
bord de camions gros porteurs entraînant une multitude de problèmes. Les
centaines de « titans » qui chargent au Port autonome de Cotonou
congestionnent la ville, rajoutant d’importants ennuis de circulation dans le
centre et en périphérie, paralysant un peu plus le tronçon routier jusqu’au-delà
d’Abomey-Calavi. Jamais neufs et circulant sur des routes à l’état incertain,
nombre de ces poids lourds connaissent des tracas mécaniques les obligeant à
se garer sur la voie ou engendrent des accidents provoquant un sentiment
d’insécurité auprès des utilisateurs du « goudron ». Enfin, même si « le manque
actuel de ressources financières des pays africains conduit à l’absence de
considération environnementales dans les choix de politiques et les
comportements relatifs aux transports135 », il n’en demeure pas moins que le
transport ferré est quatre fois moins polluant que le transport routier.
Les arguments ne manquent pourtant pas pour ressusciter le train. Et si
quelques portes de sortie de crise semblent entrouvertes, rien n’autorise
aujourd’hui ni d’affirmer que in fine l’OCBN ou la voie ferrée plus généralement
seront sauvés ni qu’en cas de succès pour le chemin de fer, à l’instar du cas
sénégalais, celui-ci bénéficie aux populations rurales et urbaines.
134 Au programme officiel de l’enseignement secondaire béninois, le roman historique de Ousmane Sembene contribue à entretenir la mémoire. 135 RIZET Christophe e. a., « Effet de serre et financement du chemin de fer en Afrique » in Le chemin de fer en Afrique, op. cit., p. 381.
p. 63
Étrangement, cette problématique – l’agonie du rail béninois, les impacts socio-
économiques et humains – semble largement ignorée ici et absente de la
recherche en sciences sociales alors que « La qualité de la circulation des
hommes et des biens est depuis longtemps connue comme une clef importante
du développement de l’Afrique. Pierre Gourou faisait déjà, voici plus de
cinquante ans, du désenclavement et de l’ouverture aux échanges, une des clefs
du développement de l’Afrique136 ». Cette monographie, bien que trop
modestement, contribue, je le souhaite, à combler une lacune.
136 LESOURD Michel et NINOT Olivier, « Un divorce au Sénégal. Le chemin de fer "Dakar-Niger" et la route nationale » in Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006, p. 123.
p. 64
Bibliographie
p. 65
Ouvrages scientifiques
AGIER Michel L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Éditions des archives contemporaines, Paris, 1999.
AUGÉ Marc Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Éditions du Seuil, Paris, 1992.
BERTRAND Monique Les villes secondaires d'Afrique noire 1970-1997, bibliographie analytique et commentée, CEAN, 1997.
BIERSCHENK Thomas L'appropriation locale de la démocratie : analyse des élections municipales à Parakou, République du Bénin, 2002/03, Working papers n°39b, Institut d'anthropologie et d'études africaines, Université Johannes Gutenberg de Mayence, 2005, consultable en ligne sur http://www.ifeas.uni-mainz.de/workingpapers/AP39b.pdf.
CHALÉARD Jean-Louis, CHANSON-JABEUR Chantal (éds) Le chemin de fer en Afrique, Karthala, Paris, 2006.
CHARLIER Jacques et TOSSA Jacob « L’arrière-pays international du port de Cotonou » in Bulletin de la Société belge d’Études géographiques, SOBEG, 1996.
COPANS Jean L’enquête ethnologique de terrain, Armand Colin, Paris, 2005.
CRESSWELL Robert et GODELIER Maurice « La problématique en anthropologie » in Outils d’enquête et d’analyses anthropologiques, Maspéro, Paris, 1976.
DAVID Philippe Le Bénin, Éditions Karthala, Paris, 1998.
DEBRIE Jean De la continentalité à l’État enclavé, circulation et ouvertures littorales des territoires intérieurs ouest africain, Thèse de doctorat en géographie, Université du Havre, 2001, consultable en ligne sur http://www.batir-rca.org/enclavementContinentalite.pdf.
HILGERS Mathieu Une ethnographie à l’échelle de la ville. Urbanité, histoire et reconnaissance à Koudougou (Burkina Faso), Thèse de doctorat en anthropologie, UCL, Louvain-la-Neuve, 2007.
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IGUE John, SOULE Bio. L’État-entrepôt au Bénin. Commerce informel ou solution à la crise ?, Karthala, Paris, 1992.
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LAURENT Pierre-Joseph « Le big man local où la "gestion coup d'État" de l'espace public » in Politique africaine, n°80, décembre 2000.
OLIVIER DE SARDAN Jean-Pierre « L’enquête socio-anthropologique de terrain : synthèse méthodologique et recommandations à usage des étudiants » in Études et travaux, n°13, LASDEL, Niamey, octobre 2003. [Ce texte reprend « La politique de terrain. Sur la production des données en anthropologie » paru in Enquête, numéro 1, 1995.]
OMER Thomas Parakou et sa région, Thèse de géographie, Université d’Abomey-Calavi, 1983.
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SAWADOGO Raogo Antoine et SEBAHARA Pamphile « Historique de la décentralisation au Burkina Faso » in Décentralisation et citoyenneté au Burkina Faso, Pierre-Joseph Laurent (éd.), Bruylant-Academia, Louvain-la-Neuve, 2004.
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TERROLLE Daniel « "Entre-Deux" » in Ferveurs contemporaines. Textes d'anthropologie urbaine offerts à Jacques Gutwirth, réunis par Colette Pétonnet et Yves Delaporte, Paris, L'Harmattan (collection Connaissance des Hommes), 1993.
Littérature grise et mémoire
CHABI IMOROU Aziz Dynamique de l’habitat dans les quartiers périphériques de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie et aménagement du territoire, Université d’Abomey-Calavi, 2002.
KOGUI N’DOURO Issifou Le transit facteur d’urbanisation de la ville de Parakou, Mémoire de maîtrise en géographie, Université Nationale du Bénin, 1978.
OCBN Mémoire sur la grève historique de 5 mois 10 jours des cheminots africains de l’ex-AOF (10 octobre 1947 – 18 mars 1948). Commémoration du 50e anniversaire à Cotonou les 16 et 17 avril 1998.
Non renseigné Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009, décembre 2006.
Royal Haskoning Étude de faisabilité pour la construction d’un port sec à Parakou, mai 2006.
SEMBENE Ousmane Les bouts de bois de Dieu, Pocket, Paris, 1971 (première édition en 1960).
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Sites Internet
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Codicirail http://www.cocidirail.info
L’atlas Web de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest http://www.atlas-westafrica.org/spip.php?rubrique5
p. 68
Article de presse
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AMOUSSOU Arnaud « Renouveler le personnel de l’Ocbn avant même l’achat d’autres Wagons » in Fraternité, 11/07/07, consultable en ligne sur http://fr.allafrica.com/stories/200707110417.html.
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KPOCHEME Franck « Affaire assassinat du juge Séverin Coovi : Comment Gbadamassi a été libéré provisoirement » in Le Matinal du 24/04/06 consultable en ligne sur http://www.africatime.com/Benin/nouvelle.asp?no_nouvelle=252226&no_categorie=.
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OLOWO Venceslas « Affaire SGMP et mairie de Parakou : Le flou s’installe à nouveau » in Le Matin, consultable en ligne sur http://www.sonangnon.net/actualites/2005/avril/intmatin0704_3.php.
SEWADE Bruno « Changement à la tête de l’OCBN, objectif : remettre les trains sur les rails » in La Nation, 14/12/2006 consultable en ligne sur http://beninhuzu.org/2007/spip.php?article451&var_recherche=OCBN.
p. 69
Annexes
p. 70
Annexe 1 – Carte du Bénin
-- carte manquante --
Depuis 2000, le Bénin compte 12 départements : Alibori, Atacora, Atlantique, Borgou, Collines, Couffo, Donga, Littoral, Mono, Ouémé, Plateau, Zou.
p. 71
Annexe 2 – Exercices ethnologiques préparatoires au terrain
Train IR 07h45 Louvain-la-Neuve – Bruxelles – Binche. Arrêts à Ottignies, Rixensart, Genval, La Hulpe,
Observations entre LLN et Bruxelles Central. Toujours à la même place.
Dates : 15, 16, 17, 22, 23, 24 et 29 janvier.
(+ quelques observations dans d'autres trains, à d'autres heures) L'observation porte sur les voyageurs dans le train ; pas sur le quai avant ni après.
Type de train à banquettes en skaï (trois places ou deux places) >< fauteuil, accoudoir, tissu137.
Difficultés à observer parce que :
proximité avec les passagers, essayer qu'ils ne modifient pas leurs comportements à cause de moi ; sentiment d'être un flic, sentiment aussi d'être moi-même observé à cause de mon comportement (quelques prises de note pour ne pas oublier) ça me renvoie à deux expériences antérieures : Shell (espionnage commercial) et Palais d'été ;
en raison de la configuration du train, à part ma banquette, celle en face et les deux de l'autre côté du couloir, je ne vois pas grand-chose d'autre, quelques gens debout quand il y a du monde ; qu'est-ce que je cherche ? y a-t-il quelque chose à trouver ?
Résultats bruts des observations : les gens chuchotent, les conversations mêmes proches ne sont pas audibles en raison du bruit du train + du bruit ambiant des chuchotements + du faible volume des conversations ; globalement, il y a abstinence de communication :
- seuls ceux qui se connaissent discutent ;
- certains rompent cette abstinence : un enfant ou deux jeunes adultes trisomiques ou un groupe de sept étudiantes qui se rendent à un examen (elles forment une sorte de communauté) ;
- un élément hors du quotidien banal (observé une seule fois) permet de rompre cette abstinence [une dame plus âgée utilise un titre de transport interdit avant 9h00 ; le contrôleur lui fait payer un voyage et une taxe, soit 5,9 € au lieu de 2,9 € ; une autre dame intervient pour s'offusquer de la réaction du contrôleur tandis qu'un homme d'une trentaine d'années explique que lorsque les contrôleurs sont à deux, ce qui est le cas ici, ils sont moins compréhensifs] ;
la plupart des gens voyagent en solitaire ;
certains se connaissent avant la montée dans le train (étudiants en stage, un père et sa fille) 137 Tous les voyageurs ne sont pas égaux… Il y a des trains de gammes différentes (siège individuel, confort sonore, informations digitales sur écran, …), mais les voyageurs n'ont pas réellement le choix.
p. 72
beaucoup lisent "Métro" (~40 à 60%) ;
certains lisent un roman (~5 à 10%), certains lisent un quotidien DH ou LS ou LLB (~5 à 10%) ; beaucoup écoutent MP3 ou lecteur CD (~30 à 40%) ;
- et tous doivent écouter le même requiem…
à partir d'Ottignies, du monde, toutes les places assises occupées, des gens debout ;
les mines sont sérieuses, presque tristes, songeuses ; les habits sont plutôt sombres ;
pratiquement personne ne mange ou ne boit durant le voyage ;
très très faible utilisation pour ne pas dire quasi nulle des porte-bagages métalliques (alors que chaque voyageur a un sac à dos ou un cartable) ; idem en ce qui concerne les crochets pour les vêtements (chacun garde son manteau, sa veste… alors que la température permettrait de le retirer) ; il y a une logique d'installation138 dans le train à LLN où celui-ci est à quai une dizaine de minutes avant le départ :
- le voyageur s'assied sur une banquette libre (sans vis-à-vis) ; - dans le sens de la marche ;
- près de la fenêtre ;
- quand ces places sont occupées, le voyageur s'assied en vis-à-vis, sens inverse de la marche, près de la fenêtre ou en oblique ;
certains voyageurs s'asseyent à la même place tous les jours (où cette place est libre) :
- deux étudiants en stage (facile pour se retrouver et converser) ;
- d'autres voyageurs solitaires ;
certains voyageurs adoptent chaque jour la même posture ;
on passe de l'espace à la promiscuité entre Ottignies et Schuman et de la promiscuité à l'espace entre Schuman et Bxl Central : il y a une "chorégraphie" dans le train, certains voyageurs se lèvent et se repositionnent selon les critères énoncés plus haut ;
le contrôle des billets a lieu une fois sur cinq ; aucun retard à signaler ;
il n'y a guère d'imprévu, sorte de banalité du quotidien.
138 Sauf quand le voyageur connaît quelqu'un ou monte dans le train avec une connaissance.
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Annexe 3 – Plan de redressement de l’OCBN 2007-2009
Solutions proposées
Au niveau organisationnel :
nouvel organigramme ; moins de directions techniques ;
rationaliser l’effectif et le personnel.
Au niveau technique :
afin de désengorger le Port autonome de Cotonou, de faciliter l’accès aux pays de l’hinterland et de réduire les coûts et les délais : acquisition et exploitation de locomotives de type CC (en exploitation au Sénégal et au Togo), moins chères, plus robustes, plus puissantes ;
remplacement des rails 22 kg par des rails 36 kg ;
remplacement des rails usés ou défectueux ;
à long terme, modernisation de tout le réseau, renouvellement du matériel d’exploitation actuel (dont nouvel écartement des voies et acquisition de locomotives neuves afin de s’adapter aux normes internationales dans le domaine ferroviaire).
Au niveau social :
dynamiser le service commercial afin de répondre au marché qui existe et qui s’accroît ;
engagement de quatre techniciens supérieurs et organisation de recyclages pour augmenter le niveau de compétence ;
épurer les arriérés de salaires pour motiver le personnel.
Au niveau financier :
respect scrupuleux des procédures en vigueur ;
renforcer les contrôles financiers, administratifs et techniques ;
maîtriser les charges (personnel, voyages et déplacements, communications téléphoniques, eau, électricité, carburant) ;
procéder à la restructuration du pool routier à Parakou.
Impacts financiers
1. Actions à mener à court terme :
exploitation de quatre machines BB 600 et d’un autorail :
• entretien : 50 millions
• entretien des wagons : 20 millions
• entretien des voies et des télécommunications : 125 millions
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apurement partiel des arriérés de salaire : 110 millions
commande de deux locomotives rénovées : 630 millions
935 millions
2. Actions à mener durant la mise en service du nouveau matériel
investissement et réfection des voies, travaux de génie civil, acquisition de matériel de télécommunication : 190 millions
lancement de la commande du nouveau matériel pour la mise en service en 2008 : 2,8 milliards
2,99 milliards
3. Actions à mener durant l’exercice 2008-2009
investissements (réfection des voies, génie civil) : 1,9 milliards
commande matériel de traction neuf : 3,2 milliards
5,1 milliards
4. Investissements exercice 2009 1,7 milliards
Prévisions
Tableau de prévision des recettes (en milliards) des charges (en milliards)
2007 8 2007 6,4 2008 10,1 2008 8,3 2009 10,3 2009 8,5
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Annexe 4 – États des routes Cédéao
-- carte manquante --
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Annexe 5 – Infrastructures de transports en Afrique de l’Ouest
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