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Master 2 CIAHPD Coopération internationale, Action Humanitaire et Politiques de Développement
Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne Année Universitaire 2008-2009
Un foyer féminin : une structure pertinente pour améliorer les conditions des femmes en zone rurale ? :
Etude de cas du foyer féminin de la vallée d’Ouneine,
Haut Atlas marocain
Marie BENOIST
Sous la direction de Monsieur Yves VILTARD Novembre 2009
La création d’un foyer féminin : une approche pertinente pour améliorer les conditions d’existence des femmes en zone rurale ?
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Avertissement
« L’Université Paris I n’entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les
mémoires. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs ».
Remerciements
Je tiens à remercier sincèrement ceux et celles qui m’ont accompagnée tout au long de ce
travail.
Merci à Yves VILTARD, mon directeur de mémoire ainsi qu’à Delphine DULONG de
m’avoir initiée à la problématique « Genre et Développement ».
Merci à Abdeslam DAHMAN SAIDI ainsi qu’à tous les collègues de TARGA pour m’avoir
accueillie, conseillée et suivie durant ce stage.
Un merci particulier à Zakaria, fils d’Ouneine, pour m’avoir introduite dans sa vallée, ainsi
qu’à la famille TAMIM pour m’avoir fait goûter au plaisir de boire le thé sur les toits du douar
d’Afourigh.
Un grand merci aux femmes d’Ouneine qui m’ont si souvent ouvert leurs portes et rempli
les poches d’amandes.
Ce travail n’aurait pas été possible sans la présence de celles qui m’ont permis d’entrer en
contact avec ces femmes, du français à l’arabe, de l’arabe au berbère : Jamila, Nour el Houda
ainsi que Siham et Khadija.
Un grand merci aux jeunes filles de Toug El Kheir pour m’avoir fait confiance et raconter
leurs rêves.
Merci à ma famille, mes amis de France et maintenant du Maroc qui m’ont soutenue durant
ce travail. Merci à Régis pour sa présence et son réconfort entre la terre et la mer.
3
« L’homme qui constitue la femme comme un Autre
rencontrera donc en elle de profondes complicités. Ainsi
la femme ne se revendique pas comme sujet parce
qu’elle éprouve le lien nécessaire qui la rattache à
l’homme sans en poser la réciprocité, et parce que
souvent elle se complaît dans son rôle d’Autre ».
Simone de BEAUVOIR, Le Deuxième Sexe, 19491
1 Simone de BEAUVOIR, Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949, p.24
4
Sommaire Remerciements......................................................................................................... 2
Sommaire ................................................................................................................. 4
Synthèse................................................................................................................... 5
Introduction ............................................................................................................. 6
Méthodologie ........................................................................................................... 8
PARTIE 1 ................................................................................................................. 13
Éléments de compréhension du contexte et de la population cible .......................... 13
1. Présentation du contexte général de l’étude ........................................................... 14
2. Diagnostic de la situation des femmes et essai d’analyse ......................................... 21
3. Division du travail et de l’espace selon le sexe ......................................................... 25
PARTIE 2 ................................................................................................................. 36
La création d’un espace social féminin, entre enjeux locaux, initiatives nationales et paradigmes internationaux .................................................................................... 36
1. A l’initiative du projet : l’association TARGA-Aide et son travail dans la vallée
d’Ouneine ...................................................................................................................... 37
2. De la naissance de la structure à la définition des objectifs de départ ...................... 41
3. La création du foyer : mise en perspective entre paradigmes internationaux et
initiatives nationales ...................................................................................................... 48
PARTIE 3 ................................................................................................................ 56
Un espace de transformation ou de « reproduction sociale » ? ................................ 56
Réflexions autour de l’impact et de la viabilité du projet auprès des femmes ........... 56
1. « Approche IFD » versus « approche Genre » : Impacts d’un espace dédié aux femmes
sans réelle préoccupation de genre ................................................................................ 58
2. Les « Activités Génératrices de Revenus » : outils d’émancipation des femmes ou
nouveau concept magique des « développeurs » ? ......................................................... 67
3. ONG d’appui cherche désespérément autonomisation de la structure locale… ......... 76
Conclusion .............................................................................................................. 82
Bibliographie .......................................................................................................... 84
Concepts clés .......................................................................................................... 87
Sigles ..................................................................................................................... 88
Table des tableaux et illustrations .......................................................................... 88
Table des annexes .................................................................................................. 89
Table des matières ................................................................................................. 96
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Synthèse
Depuis le milieu des années 1970, un nouvel intérêt des institutions internationales et des
acteurs du développement est porté aux femmes et à leur intégration dans le développement.
Pour contrecarrer la « féminisation de la pauvreté » ceux-ci élaborent de multiples discours et
projets visant à améliorer la situation des femmes. Ce mémoire de fin d’études propose de
revenir sur une expérience particulière, celle de la création d’un foyer destiné aux femmes, dans
une vallée enclavée du Haut Atlas marocain. L’étude a donc pour ambition de produire un
certain nombre d’éléments de compréhension de la situation des femmes dans ce contexte
particulier, de saisir les conditions d’émergence d’un foyer féminin leur étant destiné, et
d’analyser si la création de cet espace est pertinente pour améliorer leur situation. A travers ce
retour sur expérience, il est question de réfléchir plus largement aux mécanismes donnant
naissance à un projet de développement à destination des femmes. Enfin, il s’agit d’analyser les
obstacles et défis rencontrés par les acteurs du développement dans la mise en place d’un tel
processus de transformation sociale.
Mots-clés : Intégration des femmes, Développement, Empowerment, Genre, Rapports sociaux de sexe, Femmes rurales, Foyer féminin, ONG, Haut Atlas marocain, Activités Génératrices de Revenus
Synthesis
Since the middle of the 1970’s, international institutions and development actors have
renewed their interest in women and in their integration in the development scheme. In order to
pre-empt the ‘feminisation of poverty’, they produce numerous discourses and projects with the
aim of improving women’s situation. This master degree thesis proposes to reflect on a specific
experience, the creation of a women’s centre, in an isolated valley of the Moroccan High Atlas.
This study will produce a number of elements of understanding regarding the situation of these
women in this special context, to understand the required conditions for the creation of a
women’s centre and to analyse if the creation of this meeting space will improve their situation.
Through a reflection on this experience, this thesis will also address more generally the
mechanisms leading to the creation of a development project for women. Finally, this thesis will
examine the obstacles and challenges met by the development actors in the establishment of
such a process of social transformation.
Key words: Integration of women, Development, Empowerment, Gender, Social relations based on gender, Rural women, Women centre, NGO, Moroccan High Atlas, Income Generating Activities
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Introduction
Cinquième puissance économique d’Afrique et fort d’un taux de croissance de 6,5% en
2008, le Maroc stagne au 130ème rang dans le classement mondial en termes de développement
humain2. La pauvreté, les difficultés d’accès à certains services de base (eau, électricité,
santé…), l’analphabétisme d’une importante partie de la population prennent la forme d’un
véritable tabou national. Les femmes et en particulier les femmes rurales situées dans les zones
les plus enclavées du pays n’ont souvent pas accès à l’éducation, à la culture, à une formation et
à des services de base pour améliorer leur quotidien. Alors que la route et le réseau de
téléphonie mobile arrivent dans ces endroits les plus isolés, ces nombreux changements en
termes de communication ou d’infrastructures n’affectent en rien l’abondance des tâches qui
leurs sont assignées, leurs rapports et possibilités de négociation par rapport à l’autre sexe, ni
leur accès à l’éducation ou à une formation.
Ces dernières années, un certain nombre d’initiatives gouvernementales et de la société
civile ont cependant vu le jour pour impulser une dynamique de développement en faveur de ces
femmes. L’objectif de ce travail n’est pas de passer en revue l’ensemble de ces initiatives mais
de se focaliser sur une expérience particulière ; la création d’un foyer à destination des femmes
dans la vallée de l’Ouneine, dans le Haut Atlas marocain. Dans cette étude, il est question de
réfléchir à la pertinence3 d’une telle structure. Mais comment mesurer cette pertinence ? Nous
avons choisi de l’aborder selon trois axes principaux :
-« pertinence » par rapport à une aire géographique et une population: les femmes de la
vallée d’Ouneine.
-« pertinence » par rapport à l’histoire de l’intervention de l’ONG TARGA-Aide dans la
vallée d’Ouneine, par rapport à un contexte national et international de réflexion et d’actions
autour de l’intégration des femmes au développement
-« pertinence » par rapport à un objectif de départ : l’amélioration des conditions d’existence
et la renégociation du statut de la femme dans l’environnement local
Une telle étude servira dans un premier temps aux responsables de l’association pour se
positionner par rapport aux nouvelles orientations que devra prendre le foyer féminin
d’Ouneine, mais aussi par rapport aux moyens humains, et organisationnels à mobiliser pour
son bon fonctionnement. Elle pourra également servir d’éclairage et accompagner la
2 Rapport sur le développement humain 2009, site du PNUD
3 Pertinent : 1. Qui a rapport à la question, qui se rapport au fond même de la cause. 2. Qui convient
exactement à l’objet dont il s’agit. Qui dénote du bon sens, de la compétence in Nouveau Petit Robert.
Dictionnaire de la langue française.
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construction d’un regard critique chez ceux qui coordonnent des projets dans ce même champ
du développement, au Maghreb ou ailleurs dans le monde.
La première partie de ce mémoire vise à mettre en lumière l’aire de l’étude ainsi que la
population cible. L’analyse de la situation des femmes d’Ouneine y tiendra une part
prépondérante. Nous consacrerons la deuxième partie de ce travail à une réflexion sur les
conditions d’émergence d’une telle structure entre les enjeux d’une ONG, les attentes des
femmes, et la pénétration au Maroc des grands courants de pensée sur les femmes et le
développement. Enfin, dans une dernière partie, il s’agira d’évoquer l’impact de cet espace dans
la vie des femmes, ainsi que la viabilité du projet. Nous nous attarderons donc sur une analyse
plus précise des difficultés et enjeux auxquels le foyer féminin est aujourd’hui confronté.
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Méthodologie
Ce travail a été réalisé à partir de trois approches méthodologiques principales :
-l’observation participante
-l’utilisation de matériaux et données recueillies pendant le stage
-l’utilisation de matériaux produits pendant le stage : enquêtes par entretiens individuels,
entretiens collectifs, réalisation d’un atelier vidéo
Pour de meilleurs résultats par rapport aux objectifs de stage, nous avons pu mettre à profit
la méthode dite de « triangulation », méthode croisée entre observation directe, entretiens
individuels et focus groupe/ateliers collectifs. Le croisement de ces données doit apporter une
vision assez complète des problématiques abordées et peut permettre d’annuler certains biais.
1. Observation participante
Il est nécessaire de rappeler ici le lien entre notre stage et la thématique de cette étude. Notre
stage a consisté à compléter l’évaluation du projet « foyer féminin de la vallée d’Ouneine », à en
affiner les objectifs et à proposer une redynamisation de son fonctionnement, à partir de
rencontres auprès des femmes, du personnel du foyer, de partenaires potentiels, et de
l’observation des changements du contexte local. L’observation participante s’est déroulée de la
façon suivante :
-Une première mission de terrain du 8 au 20 août 2009
-Une deuxième mission du 8 au 14 septembre 2009
-Une troisième mission du 3 au 10 octobre 2009
-Entre ces missions des temps de travail au siège à Rabat
Les missions dans la vallée ont chaque fois été des occasions d’avoir une meilleure
compréhension du contexte, de discuter avec les femmes, les animatrices du foyer, et de nous
immerger dans le rythme et les habitudes de vie locale. Lors de la première mission nous avons
pu ainsi mettre à profit deux journées pour faire de l’observation en immersion dans un foyer du
douar d’Afourigh. Nous avons pu ainsi partager les repas des femmes, les observer pendant
leurs travaux quotidiens, prendre la mesure du type de tâches qu’elles réalisaient et du temps
qu’elles consacraient à chacune. Une femme de la famille parlant le français nous accompagnait
9
pour la traduction. Les temps passés au siège nous ont également permis de discuter avec les
différents chargés de projets ou techniciens, d’observer la vie de l’association, et son
organisation.
2. Utilisation de données recueillies pendant le stage et recherche
documentaire
La phase de recherche documentaire a débuté en amont du stage à travers principalement des
recherches de données portant sur la région du Haut Atlas, sur le développement rural, la
situation des femmes marocaines et sur les initiatives de développement impliquant les femmes.
Au fur et à mesure que la mission de stage se précisait, nous affinions nos recherches sur les
travaux portant plus particulièrement sur les problématiques « genre et développement » dans le
contexte marocain. Cette recherche documentaire s’est ensuite poursuivie pendant et après le
stage, d’une part à travers la consultation des matériaux, documents de projets, rapports de
stages disponibles au sein de l’association TARGA-Aide, d’autre part à travers des recherches
au sein de l’institut Jacques Berque de Rabat.
Au sein de TARGA-Aide et en relation avec les enseignants chercheurs fondateurs de
l’association, nous avons pu avoir accès aux matériaux suivants :
-Enquêtes RGPH : Recensement Général sur la Population et l’Habitat
-Entretiens réalisés par la stagiaire précédente sur le temps de travail des femmes et la
division du travail dans les foyers. De plus, l’Institut Jacques Berque de Rabat dédié à la
coopération franco-marocaine dans les domaines des sciences humaines et sociales a constitué
une source importante de documentation sur les thématiques suivantes : l’anthropologie sociale,
la condition féminine au Maroc, les questions de genre, le développement rural...
3. Utilisation des matériaux produits pendant le stage
Nous avons également réalisé des entretiens semi-ouverts. Cela nous permettait d’avoir une
grille de questions à suivre pour ne pas perdre le fil de l’entretien tout en menant la discussion
avec une très grande flexibilité pour que les personnes interrogées osent réellement s’exprimer.
Lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets aussi délicats que la perception de son identité ou les
relations hommes/femmes par exemple, il nous a semblé que cette méthode était la plus
appropriée. Revenons sur les entretiens réalisés :
-Entretiens auprès de jeunes filles fréquentant le foyer lors des missions du 8 au 20 août
2009 : Lors de cette mission, nous avons réalisé des entretiens auprès de six jeunes filles du
même douar. Cet échantillon nous a semblé intéressant car il représentait l’évolution de la
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fréquentation du foyer, originellement recevant des femmes entre 25 et 60 ans mais tendant ces
dernières années à recevoir un grand nombre de jeunes filles entre 14 et 25 ans. Lors de la
mission de septembre, nous n’avons pu rencontrer qu’une femme représentative de la tranche
d’âge 25/60 ans.
Figure 1 : Echantillon des femmes et jeunes filles enquêtées, provenant des douars aux
alentours du foyer féminin
Douars
Fréquentation
Mnab Toug
El
Kheir
Tagadir
N’Tafoukt
Agadir
N’ait
Nacer
Dou
Souk
Tiganzoui Total
Femmes
fréquentant le
foyer
5
2
7
Femmes ne
fréquentant
plus le foyer
2
2
2
2
8
Femmes ne
fréquentant
pas le foyer
2
1
2
5
Total
4
5
3
2
4
2
20
En regroupant nos entretiens avec l’important travail d’enquêtes effectué par la stagiaire
précédente, nous obtenons ainsi un échantillon d’une vingtaine de femmes et jeunes filles.
-Entretiens auprès du personnel du foyer lors de la mission du 9 au 14 septembre 2009 :
A cette occasion nous avons rencontré cinq personnes : la directrice, le secrétaire, les deux
animatrices ainsi que la femme de ménage du foyer. Il nous a semblé intéressant de recueillir les
perceptions du personnel du foyer sur ces questions. Côtoyant les femmes au quotidien, ce sont
des observateurs pertinents de la vie des ces femmes et des relations qu’elles entretiennent avec
les hommes.
-Ateliers collectifs et vidéo auprès des jeunes filles en septembre et octobre 2009 : Lors de
ces ateliers une dizaine de jeunes filles fréquentant l’atelier d’artisanat étaient présentes. Il
s’agissait, la première fois à partir de dessins, la deuxième fois à partir de la réalisation d’une
vidéo, de travailler sur les perceptions de l’identité et des fonctions de ces jeunes filles ainsi que
sur leurs projets personnels et projections dans des métiers.
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-Entretiens avec les hommes lors de la mission d’octobre 2009 : A l’ occasion de notre
dernière mission, nous avons rencontré une quinzaine d’hommes répartis suivant la
classification suivante :
-Hommes des douars de provenance des femmes : cinq hommes
-Hommes engagés au sein de la commune rurale et ayant un lien plus ou moins direct avec le
foyer dont: trois hommes représentants du personnel de la commune, l’infirmier du dispensaire,
deux directeurs d’écoles, deux représentants du secteur associatif, ainsi que deux élus locaux.
Alors que les principaux entretiens réalisés avaient toujours été effectués auprès des femmes, il
nous semblait intéressant de sonder en miroir les perceptions et conceptions des hommes,
qu’elles portent spécifiquement sur le foyer ou plus largement sur leurs relations avec les
femmes.
-Entretiens auprès des membres de l’association TARGA-Aide : Nous avons également
réalisé quatre entretiens auprès de salariés ou membres fondateurs de l’association TARGA-
Aide pour compléter notre compréhension du contexte de création de la structure, de la
définition des objectifs de départ et de leur perception des concepts de genre et d’intégration des
femmes au développement.
-Rencontres et discussions informelles : Lors de notre stage nous avons également rencontré
des personnes impliquées dans le secteur des foyers féminins au Maroc dont :
-une responsable de projets de l’Association Forum de Femmes au Rif
-la coordinatrice du foyer féminin d’Imilil, Haut Atlas
-une volontaire étrangère du centre multifonctionnel de Ouarzazate4
-deux responsables de l’Entraide Nationale à Rabat
4. Biais possibles concernant la méthode
-Restriction de l’échantillon
Premièrement nous devons remarquer qu’il nous a été impossible de réaliser des entretiens
auprès de l’ensemble des femmes fréquentant ou ayant fréquenté le foyer. Ceci aurait certes
servi à avoir une vision plus globale et plus représentative des difficultés du foyer féminin,
cependant cela n’a pas été possible principalement en raison de la courte durée du stage.
-Méthode d’enquête
Les limites de la méthodologie employée tiennent ensuite à la réalisation d’entretiens semi-
ouverts. Les informations recueillies sont qualitatives et n’ont pas vocation à représenter
4 Nous avons rencontré cette volontaire internationale lors du Forum « Quartiers du Monde » organisé
par l’association du même nom du 23 au 25 octobre 2009.
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parfaitement l’ensemble des femmes concernées par le foyer, ni à fournir des éléments
statistiques sur l’impact des activités du foyer auprès des femmes. De plus, ces entretiens ont
chaque fois nécessité la présence d’une personne pour la traduction. Nous pouvons largement
entrevoir les biais existants dans ce type de méthode. Souvent la traductrice sélectionne et
résume les propos de l’enquêteur, de même elle synthétise parfois démesurément les propos de
la personne interrogée. Or, certaines questions, notamment celles portant sur les notions
d’identité, de relations hommes/femmes, nécessitent de multiples relances pour recueillir des
informations intéressantes et précises. En outre, les femmes et jeunes filles n’ont pas l’habitude
d’exprimer leur point de vue, leur opinion… Dialoguer avec elles n’est donc pas chose si facile.
Nous avons parfois peine à distinguer si elles construisent un discours en leur propre nom, en
fonction de leurs perceptions et de leurs motivations, ou s’il s’agit d’un discours construit par
d’autres, reflétant ce que l’enquêteur a peut être envie d’entendre.
Enfin, enquêter et se questionner sur les femmes, amène nécessairement à poser les limites
de la subjectivité. Nous avons toujours prêté une attention particulière à ne pas projeter sur les
discours des femmes notre vision des choses, nos propres revendications, à ne pas penser à leur
place, à ne pas vouloir pour elles. Cependant nous sommes aussi issus d’une culture, d’une
éducation et d’une adhésion à des valeurs multiples qui induisent forcément des biais dans les
questions que nous posons et dans notre façon de les interpréter. Enfin, pour compléter cette
réflexion sur la méthode employée et la subjectivité de l’auteur, nous trouvons intéressant de
reprendre l’orientation proposée par Danielle LAFONTAINE à la « chercheure » :
« Elle considère que les recherches relatives aux femmes font l’objet d’une désarticulation
entre trois orientations : celle de la militante-qui accorde une grande place à sa militance
dans sa recherche, celle de la technicienne-qui apporte une information très riche mais
dont l’analyse restera limitée, descriptive, de peur d’une implication personnelle, et enfin
celle de la théoricienne- qui risque de conduire à des recherches « asexuées »…C’est
pourquoi elle va demander à la chercheure de se situer parmi ces trois orientations»5.
5 Danielle LAFONTAINE citée dans : Sophie CHARLIER, L’économie solidaire au féminin : quel apport
spécifique pour l’empoderamiento des femmes ? Une étude de cas dans les Andes boliviennes, Thèse,
Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2006, p.20
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PARTIE 1
Éléments de compréhension du contexte et de la population cible
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Dans notre introduction nous proposons de réfléchir à la pertinence de la création d’un
espace destiné aux femmes rurales du Haut Atlas. Il paraît donc indispensable d’analyser dans
un premier temps cette pertinence au regard d’un contexte, la vallée d’Ouneine, et d’une
population particulière, les habitants de cette vallée et plus précisément les femmes. Quels sont
les éléments qui font la particularité de cette zone géographique, de ses habitants ? Quel est le
quotidien des femmes et jeunes filles de cette zone ? Voici les questions auxquelles nous
souhaitons répondre.
1. Présentation du contexte général de l’étude
1.1 Aire de l’étude : milieu, population, identité
a. Situation géographique : caractéristiques d’une zone rurale
enclavée
La vallée de l’Ouneine est située dans le Haut Atlas marocain sur le versant Sud du
Toubkal, à une altitude moyenne de 1200m. Sur le plan physique, il s’agit d’un bassin interne
de forme quasi circulaire, délimité par une série de crêtes sur les 3/5 de sa périphérie, aux pentes
raides, entre 1400m et 2400 m. L’enclavement est la caractéristique principale de la vallée. En
effet, on l’atteint l’Ouneine en voiture après deux heures de piste depuis le Nord après
Marrakech, en partant d’Ijoukak et en passant par le col de Tizi n’Test. Depuis le Sud, on peut
également atteindre la vallée par les pistes forestières de Lkhmiss n’lmi n’Ouassif et d’Iguer
n’Tznar depuis la route reliant Taroudant et Agadir. Seulement 40 km séparent la vallée des
premières routes goudronnées mais il faut environ deux heures pour les atteindre. En hiver ou
par temps de pluie, lorsque les pistes deviennent impraticables, la vallée et ses habitants sont
complètement isolés pendant parfois plusieurs semaines.
Figure 2 : Vue de la vallée de l’Ouneine
Source : Photo personnelle juillet 2009
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Les altitudes médianes sont couvertes de forêts et de buissons, le bassin central est couvert
de touffes végétales de type steppique. Les ressources naturelles sont principalement de trois
ordres: les terres agricoles, l’eau ainsi que les milieux boisés. Un aperçu concernant quelques
éléments du milieu naturel tels que les ressources en eau, nous paraît important pour mieux
comprendre les contraintes vécues par les populations et particulièrement leurs conséquences
sur le travail des femmes dans le cadre de notre étude. Il convient de préciser que les ressources
en eau sont de trois types : des sources, de l’eau d’Assif (torrent) mobilisée à l’aide d’un
ouvrage de dérivation, ou des puits équipés d’une motopompe. L’équipement des douars varie
en fonction du relief dans lequel ils sont implantés et par conséquent, le temps passé par les
jeunes filles et les femmes à la recherche de l’eau n’est pas le même partout dans la vallée.
b. Données concernant la population
Sur le plan démographique, la commune rurale d’Ouneine compte 8417 habitants6, et
l’indice de fécondité est de 3,7 enfants par femme ce qui légèrement au-dessus de la moyenne
marocaine de 2,5 enfants par femme. Ses habitants sont répartis sur soixante et dix douars7,
1200 foyers, dont 1379 ménages sur une superficie totale d’environ 200 km². Le phénomène
d’émigration qui marque et refaçonne les zones rurales marocaines n’épargne pas non plus la
vallée d’Ouneine.
« On trouve ici le contexte d’un réservoir de population en hausse où l’émigration vers les
grandes villes marocaines est active mais où les liens avec la vallée restent forts en dépit de
l’enclavement de montagne du Haut Atlas »8.
Ce phénomène d’émigration, bien que moins poussé que dans certaines régions du Maroc
comme le Rif, qui ont vu partir un grand nombre des hommes vers l’Europe, n’est pas sans
conséquence sur la structure des foyers et l’organisation des tâches. Dans beaucoup de foyers,
alors que la plupart du temps les jeunes filles restent auprès de leurs parents, les garçons partent
à destination des villes vers l’âge de 15 ans, soit pour continuer leurs études, soit pour tenter
leur chance et gagner leur indépendance financière.
6 Données RGPH 2004
7 Cf. plus bas la définition d’un douar
8 Moussa Bakary CAMARA, Contribution au diagnostic pour l’établissement d’un programme de
développement communal articulé à un DRI-MVB à partir du cas de la commune rurale d’Ouneine (Haut
Atlas), Mémoire de troisième cycle, Diplôme d’études supérieures en aménagement et en urbanisme,
Institut national d’aménagement et d’urbanisme, Rabat, 2005, p. 61
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c. Organisation sociale et administrative
Nous donnons ici quelques éléments de compréhension de l’espace social et administratif
ainsi que des différents niveaux de solidarité. La localité ou commune est aujourd’hui l’unité de
base territoriale, une unité socio-économique de partage de la même localité. Ce niveau
d’appartenance a l’Ouneine était à l’origine tribal, du à l’histoire démographique de la zone et
aux migrations venant de l’extérieur. La notion de tribu aurait « peu à peu glissé vers celle
d’unité territoriale »9. La fraction est un groupement de douars identifiables géographiquement
issu de l’ancienne division de la tribu Ouneine. Ce niveau de découpage est à la fois lié à une
mémoire collective et aujourd’hui au partage d’une même zone irriguée (unité socio-
économique).
Le douar est composé de plusieurs foyers. Il se caractérise par une cohésion sociale due
généralement à plusieurs facteurs :
-la présence de certains équipements collectifs, comme la mosquée ou timzguida, la séguia10,
le réservoir, le hammam, le cimetière
-des sources d’eau communes et des secteurs de culture et pâturage
-des pratiques de solidarité dans les moments de mariage, de deuil ou de pénurie…
Chaque douar est constitué de plusieurs lignages. C’est l’ensemble des foyers de la même
famille, ayant des ancêtres communs. Chaque lignage possède généralement ses champs ainsi
que quelques équipements comme le moulin à blé, le moulin à huile…Le foyer ou kanoun est
composé de ménages. Littéralement, le kanoun désigne en berbère le feu du foyer, c'est-à-dire
l’endroit où l’on cuit le pain, et les repas. Par extension on l’utilise pour parler du foyer, c'est-à-
dire la cellule d’appartenance la plus petite.
d. Identité berbère
La population de l’Ouneine se définit également par son appartenance à la culture berbère et
plus particulièrement chleuh. Il s’agit d’une composante des Berbères du Maroc que l’on
retrouve dans le Haut et Moyen Atlas. Bien qu’il soit important de préciser cette appartenance,
elle n’apparaît que très rarement lors des entretiens que nous avons réalisés, que ce soit auprès
des jeunes filles ou des femmes. Lorsque nous leur demandons ce qui fait l’identité de la fille
d’Ouneine, si elles évoquent la langue, elles disent ne pas se sentir réellement différentes de
filles de la ville ou d’autres filles du Maroc. 9 Aziz DAHNA, Construction et équipement en milieu rural enclavé, Ecole nationale d’architecture, Rabat,
2001, p. 33 10
Il s’agit d’un canal d’irrigation à ciel ouvert
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Figure 3 : Populations berbères en Afrique du Nord
Source: Yves Jardin et Philippe Rekacewicz, « Les Berbères en Afrique du Nord », Le Monde
Diplomatique, décembre 1994
1.2 Données socio-économiques concernant la commune rurale d’Ouneine
Un autre élément de compréhension du contexte est l’observation de la structure économique
locale. La part de chaque activité dans le PIB de la commune rurale nous renseigne sur ce point.
Vallée
d’Ouneine
18
Figure 4: Structure du PIB de la commune rurale et part en pourcentage des activités
Activités % du PIB
Arboriculture 40,51
Elevage caprin-ovins 13,43
Foresterie 13,30
Céréaliculture 9,58
Services et commerces 6,98
Artisanat 5,04
Cultures fourragères 4,24
Services publics 2,69
Industrie alimentaire 2,42
Cultures maraîchères 1,46
Elevage bovin-équins 0,35
Autres industries 0,00
Industrie non alimentaire 0,00
Total 100,00
Source : Awatif AIT El Hai, Association TARGA-Aide, Institut Agronomique Hassan II, Rabat, 1994 11
La lecture de ce tableau nous fait prendre conscience de la part prépondérante de l’activité
agricole dans l’économie locale. Parmi cette activité nous trouvons essentiellement
l’arboriculture autour de l’olivier, de l’amandier et du noyer. Nous remarquons également la
très faible part des services publics ainsi que la quasi inexistence de l’industrie. Dans son travail
de thèse sur la vallée, M. B. CAMARA insiste sur la faible diversification de ressources
économiques qui dépendent très largement des conditions climatiques12. L’économie locale de
la vallée d’Ouneine doit donc souvent payer le tribut des aléas des conditions climatiques, les
périodes de sècheresse étant de plus en plus importantes dans la vallée. En outre, c’est une
économie tournée essentiellement vers la satisfaction des besoins des familles et
l’autoconsommation. Les principaux postes d’importation de la vallée concernent l’industrie
non alimentaire c'est-à-dire les biens de consommation qualifiés d’urbain et que les habitants de
la vallée peuvent venir trouver au Souk. Quant aux exportations, elles sont principalement liées
à l’agriculture et en particulier aux produits de l’arboriculture.
11
Nous pouvons remarquer que même si les dernières données datent de 1994, la structure du PIB n’a
pas réellement été bouleversée dans la vallée depuis cette date. 12
Moussa Bakary CAMARA, Contribution au diagnostic pour l’établissement d’un programme de
développement communal articulé à un DRI-MVB à partir du cas de la commune rurale d’Ouneine (Haut
Atlas), op. cit., p. 64
19
A ces données concernant l’économie locale, il convient d’ajouter des éléments de
description des conditions de vie des ménages. Plus de 90 % des ménages sont propriétaires. Ils
vivent dans des habitations de type traditionnel construites généralement en pierre, recouverte
d’argile ou de pisé pour les murs porteurs. Selon les données RGPH de 2004, si 96% des foyers
sont équipés d’une cuisine, seulement 35% ont des WC, 28 % ont l’eau potable et 16%
l’électricité. Cependant il convient de remarquer que ces données datent du dernier recensement
effectué en 2004. Depuis, un grand nombre de ménages ont été équipés en électricité. Le taux de
branchements au réseau électrique serait en effet passé à 38,49%13. Ces informations nous
permettent de mieux cerner les conditions de vie des ménages pour entr’apercevoir le type de
tâches et d’efforts engendrés par cette faiblesse en infrastructures et équipements.
Figure 4 : Type d’habitat caractéristique de la vallée d’Ouneine
Source : Photo personnelle, septembre 2009
Ces dernières années un certain nombre de changements ont bouleversé la vie dans la vallée.
Pour mieux saisir les évolutions du contexte, nous énonçons les principaux :
-l’adduction d’eau potable malgré la persistance de fréquentes coupures
-l’arrivée de l’électricité dans de nombreux douars de la vallée
-l’arrivée du réseau de téléphonie mobile
-l’ouverture d’une première année de collège
-la migration croissante des jeunes hommes
Il est intéressant de confronter ces éléments de changements aux perceptions des femmes
que nous avons rencontrées. Pour la plupart d’entre elles, les changements les plus importants
sont l’arrivée de la télévision, du réseau de téléphonie mobile, la lumière dans les habitations
ainsi que l’eau dans certains foyers. En termes de changements plus longs, les migrations des
jeunes hommes sont également évoquées. Cependant lorsque nous abordons avec elles la
13
Selon l’enquête menée dans le cadre du projet « Renforcement de capacités de la commune rurale »,
TARGA-Aide, IAV Hassan II, Rabat, 2009
20
question de l’impact de ces changements dans leur vie et surtout leurs tâches quotidiennes, il
semble que très peu de choses aient réellement changé pour elles. A Ouneine, on ressent au-delà
des changements sur le court terme, cette persistance sur le temps long, des tâches des femmes,
comme si elles continuaient à vivre en dehors de ces grands changements.
Après avoir abordé le contexte général de la vallée, qu’il soit géographique ou socio-
économique, nous allons tenter de mieux comprendre la situation particulière des femmes, ainsi
que les rapports sociaux dans ce contexte.
21
2. Diagnostic de la situation des femmes et essai
d’analyse
S’il n’est pas opportun de considérer les femmes rurales marocaines comme un bloc
uniforme, il semble que trois constantes caractérisent cependant leur situation :
-Des difficultés d’accès à l’éducation, à la formation et à la santé
-Une répartition sexuelle assez prononcée des tâches et des fonctions dans la société qui les
cantonne souvent à l’espace domestique
-Un travail non rémunéré et souvent peu valorisé
Nous partons de l’hypothèse que la situation des femmes d’Ouneine reflète l’ensemble de
ces caractéristiques.
2.1 Un faible accès à la scolarisation et à l’alphabétisation
Dans la vallée, parmi la population de dix ans et plus, nous remarquons que le niveau
d’études est faible. En effet, 3,7% de la population a eu accès au préscolaire14, et 34% au niveau
école/collège/secondaire, contre 49,5% pour la moyenne marocaine. Si l’on fait la distinction
hommes/femmes, il convient de noter que parmi cette population, 47% sont des hommes avec
un niveau collège/secondaire, et que 23% sont des femmes. Certes la scolarisation des jeunes
filles a progressé ces dernières années, notamment grâce aux politiques volontaristes du
Ministère de l’Education15, mais l’accès aux études supérieures et en premier lieu au collège
constitue toujours un goulot d’étranglement surtout en zone rurale. A Ouneine, le collège ouvert
depuis le mois d’octobre 2009 accueille aujourd’hui 96 élèves de première année dont 28% sont
des filles16. Lors de nos entretiens avec des jeunes filles fréquentant le foyer, sur six filles
interrogées, ayant entre 13 et 17 ans, cinq avaient arrêté l’école en fin de cycle primaire, et une
avait arrêté en première année de collège. Nous avons souvent abordé cette question de la
scolarisation. Parmi les réponses à la question : « Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous
n’avez-vous pas continué l’école ? »17, les personnes interrogées mettent en avant les facteurs
suivants :
14
Le préscolaire correspond à la maternelle en France, il n’est pas considéré comme faisant partie à part
entière du cursus scolaire marocain 15
Le directeur de l’école nous a présenté la nature de ces campagnes : distribution de blé, huile,
fournitures aux familles pour encourager la scolarisation 16
Données issues des enquêtes de diagnostic du projet « Renforcement des capacités locales », TARGA-
Aide, IAV Hassan II, Rabat, 2009 17
Cf. Annexe 1
22
-l’éloignement du collège par rapport aux douars
-la peur des parents d’envoyer leur fille loin de la maison
-l’échec scolaire
Essayons d’analyser ces différents obstacles à la scolarisation des filles d’Ouneine.
Concernant la rareté et l’éloignement des infrastructures scolaires, il faut souligner qu’avant la
rentrée 2009, les garçons et filles voulant aller au collège devaient se rendre à Tafingoult, situé à
environ 70 km du centre administratif de la commune rurale. Il existe certes un internat pour
filles mais qui d’après les personnes interrogées à ce sujet « a très mauvaise réputation ».
Fatem, une des jeunes filles interrogées évoque ce problème: « C’était loin pour les parents…ils
pensent à la sécurité de leur fille… » .Pour Amina, 15 ans, ce qui différencie les garçons des
filles d’ici c’est que : « Les garçons peuvent continuer l’école…il n’y a pas de dangers pour
eux… »18.
Parallèlement à la question de l’éloignement des infrastructures scolaires, nous rencontrons
donc l’évocation des dangers pour la fille et de « l’honneur » de la famille. Celui-ci peut être
compromis si la fille est victime d’un attentat à la pudeur, la virginité de la fille étant sacrée et
symbolisant cet honneur. Un rapport de l’Association Forum de femmes19 met en avant cette
même cristallisation autour de la question de l’honneur, dans une étude sur la situation des
femmes au Rif et leur participation au développement. D’après cette étude, c’est la rahya des
femmes (synonyme de pudeur), qui trace les limites entre honneur et déshonneur. La femme
dont la rahya est atteinte, signe la faiblesse de l’autorité de la famille et du père en particulier
dans le contexte rifain et par conséquent le déshonneur de la famille. Il ne s’agit pas ici de faire
l’amalgame entre ces deux contextes mais d’essayer de mieux saisir l’évocation du concept
d’honneur dans nos entretiens.
Au-delà de cette question, d’autres facteurs sont à prendre en compte (même s’ils ne sont pas
apparus directement dans les réponses lors de nos entretiens) comme : les faibles revenus des
ménages, et le manque d’internat pour les filles. Enfin, d’autres éléments peuvent être mis en
avant, résultant d’un syncrétisme entre représentations, traditions et croyances :
-l’éducation est un investissement à long terme dont le premier bénéficiaire doit être le
garçon
-au niveau des représentations liées à la répartition des tâches selon les sexes, la fille a pour
fonction d’aider sa mère dans les travaux domestiques, approvisionner la maison en eau, aller
aux champs, s’occuper des plus petits…Elle constitue donc une aide familiale non négligeable.
18
Entretiens réalisés auprès des jeunes filles fréquentant le foyer féminin lors de la première mission à
Ouneine, en août 2009 19
Association Forum de Femmes au Rif, « Etude sur la situation de la femme au Rif et sa participation au
développement », cas d’Al Hoceima, 2003
23
En outre, la conception dominante de la scolarisation est que l’école doit préparer les filles à
assurer convenablement les tâches domestiques qui leur incombent, ainsi que d’autres tâches
comme l’éducation et la santé des enfants. Pour résumer cette problématique des facteurs
empêchant l’accès des filles à la scolarisation, il convient de ne pas tomber dans la
simplification abusive mais plutôt de parler d’un enchevêtrement d’obstacles allant de l’ancrage
des stéréotypes liés aux rôles de chaque sexe, à la question d’honneur de la famille, en passant
par la rareté de l’infrastructure de l’enseignement.
Plus largement, l’analphabétisme est le reflet de l’accès à la scolarisation et de l’abandon
scolaire. Au niveau du contexte général marocain, nous pouvons observer un taux
d’analphabétisme de 43%20. Ce taux d’analphabétisme s’établit à 87,7% pour les femmes
rurales contre 56,2% pour les hommes du même milieu, et 47% pour les citadines. Au niveau de
la commune rurale d’Ouneine, le taux général d’analphabétisme est de 63,9% : 46,7% pour les
hommes et 78,4% pour les femmes. Nous retrouvons ces mêmes différences de l’accès à
l’éducation lorsque nous regardons de plus près la maîtrise des langues dans la commune
rurale. Si environ 33% des hommes lisent et écrivent l’arabe, seulement 13% des femmes
peuvent en dire autant.
Outre leur accès difficile à la scolarisation et au savoir, les femmes rurales pâtissent
fréquemment de la faiblesse des infrastructures de santé.
2.2 Un accès limité aux infrastructures de base et aux services de santé en particulier
Les conditions de travail difficiles, la rudesse des hivers, la sècheresse des étés, les obstacles
à la consultation liés au genre ainsi que la faiblesse des infrastructures et du personnel
disponibles, impactent sur l’état de santé des femmes rurales. Dans la commune rurale
d’Ouneine, le Ministère de la Santé a construit un dispensaire. Un infirmier y est présent et
assure la totalité des services de santé pour plus de 8000 habitants. Des médecins sont venus
s’installer mais ne sont jamais restés plus d’un an à cause de l’enclavement de la zone. Lors de
nos enquêtes, lorsque nous avons interrogé les hommes sur ce qu’ils identifient comment étant
les principaux problèmes des femmes d’Ouneine, la santé apparaît dans les réponses les plus
fréquentes.
Premièrement, le fait que les femmes doivent consulter du personnel de santé masculin est
considéré comme un obstacle pour les hommes. En effet, lors de nos entretiens, des femmes
20
Données RGPH 2004
24
nous ont expliqué devoir consulter leur mari avant de se rendre au dispensaire. Pour les
questions de santé reproductive ou gynécologique par exemple, certains sujets sont difficiles à
aborder directement auprès de l’infirmier. Aux obstacles liés à la distance et à la faiblesse des
structures de santé, viennent donc s’ajouter d’autres facteurs liés cette fois-ci aux perceptions de
genre, qui augmentent les risques pour les femmes.
En second lieu, les hommes évoquent le manque de disponibilité d’une salle d’accouchement
et d’une ambulance pour se rendre au centre de santé le plus proche. En effet, si des
complications se présentent lors de l’accouchement, il faut se rendre à l’hôpital le plus proche
c'est-à-dire à Taroudant, soit à environ trois à quatre heures de route en comptant au minimum
deux heures de piste. Comme dans la plupart des communes rurales, l’ambulance est à la charge
de la commune qui peine à s’investir dans les domaines sanitaires et sociaux. A Ouneine,
l’ambulance est très fréquemment en panne et les habitants doivent donc faire appel à leur
entourage pour se déplacer lorsqu’ils rencontrent des problèmes de santé nécessitant la
consultation de spécialistes ou l’hospitalisation. Il convient ici de remarquer que le taux de
mortalité maternelle au Maroc est considéré comme étant le plus élevé en Afrique du Nord avec
environ 228 décès maternels pour 100 000 naissances selon la dernière enquête PAPCHILD21.
21 Il faut noter ici que le taux de mortalité maternelle est trois fois moins important pour la Tunisie et la Lybie que pour le Maroc/ Source : Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, Livre Blanc, Secrétariat d’Etat chargé de la Famille, de l’Enfance et des Personnes Handicapées, 2005, p. 64
25
3. Division du travail et de l’espace selon le sexe
3.1 « Travail de femme » et « travail d’homme »
a. Un conditionnement aux rôles sociaux de sexe dès l’enfance
L’observation de ce tableau sur la participation des enfants à l’activité familiale nous
permet de mettre en lumière une socialisation autour des tâches et des fonctions dès
l’enfance, en particulier dans le monde rural.
Figure 6 : Participation des enfants, par milieu, à l’activité économique et domestique
Activités Urbain Rural
Garçon Fille Garçon Fille
Nettoyage intérieur et extérieur 1,6 29,0 0,5 36
Lessive 0,6 18,7 0,2 26,8
Réparation été entretien des
vêtements
0,1 7,8 0,1 10,2
Préparation et cuisson des aliments 0,2 8,4 0,1 16,3
Pétrissage 0,1 10,9 0,1 18,9
Vaisselle 1,4 40,8 0,5 47,1
Rangement des pièces 1,5 29,6 0,5 37,5
Soins aux plus jeunes enfants 0,7 13,6 0,1 22,5
Approvisionnement en eau 17,8 25,0 15,4 24,3
Approvisionnement en bois 9,5 9,5 9,4 16,3
Traite 10,0 0,2 6,4
Elevage des bovins, ovins et caprins 13,0 12,7 19,7
Cueillette 14,3 7,1 11,8 9,9
Aller au souk/
Faire le marché 7,7 3,5 8,3 1,1
Garde des troupeaux 15,8 5,2 24,1 18,2
Agriculture familiale 6,2 11,5 3,8
Conduites des jeunes enfants à
l’école
3,4 5,6 25,0 11,1
Source : Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, op. cit., p.3322
22 Direction de la statistique, Enquête nationale sur le budget temps des femmes, 1997-98, in Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, op. cit., p.33
26
Durant les séjours que nous avons effectués à Ouneine nous avons pu en effet constater cette
répartition des rôles. Dès l’enfance, la petite fille contribue aux activités domestiques du foyer et
constitue une aide non négligeable pour sa mère et les autres femmes du foyer. Elle s’occupe du
ménage, de la vaisselle, va chercher l’eau, amène les bêtes en pâture. Les petits garçons
partagent avec les filles certaines tâches comme l’approvisionnement en eau et en bois. Ils
apportent également leur appui au travail du père. Ils aident parfois pour l’irrigation et pour les
travaux agricoles. Ils sont également orientés vers les activités les plus lucratives. Cette
socialisation dès l’enfance ancre dans chaque individu une vision de ses fonctions, ses tâches et
son rôle dans la société, qui conditionnera toute son existence.
b. Journée de femmes
Lors d’une de nos missions à Ouneine, nous avons pu séjourner au sein d’un foyer du douar
d’Afourigh et nous proposons ici, le récit d’une journée de femmes, telle que nous avons pu
l’observer. Dans ce foyer, les femmes se réveillent vers six ou sept heures à tour de rôle pour
faire chauffer l’eau, préparer le thé, le café et faire le pain avant le petit déjeuner (lafdour)
composé généralement d’un café ou d’un thé et d’une soupe. Une femme prépare ensuite le
deuxième repas de la journée à base d’un tagine et de pain. Pendant ce temps une autre va
chercher de l’eau pour le repas, le lavage des mains et la vaisselle. Suite à ce deuxième repas,
pendant qu’une femme fait la vaisselle une autre s’assoit contre la meule pour en moudre le
grain qui servira à la préparation du troisième repas plus léger, entre 14h et 15h appelé Imkli
(généralement à base de céréales). Après ce troisième repas, les femmes se répartissent une fois
de plus les tâches. Pendant que les femmes plus âgées cassent les amandes, le dos collé aux
murs de pierre, et assises sur les sacs de graines de caroubier, une autre s’assied sur un tabouret,
la baratte entre les genoux pour séparer le petit lait du beurre. Les gestes sont précis, habituels,
naturels. Vient ensuite le temps de préparation du dernier repas de la journée ou Imsi, que l’on
prend après la dernière prière. Les soirées sont réservées aux discussions, souvent au repos
devant la télé. Ces différents travaux s’accompagnent d’autres tâches selon les saisons et
particulièrement pendant la période de moisson. Le temps s’égraine en fonction de ces tâches
quotidiennes. Chacun a sa place et ses fonctions, la structure familiale continue à tourner
comme la meule, et la femme paraît presque garante de cet ordre social.
Bien que les tâches et l’emploi du temps des femmes varient en fonction du nombre de
femmes habitant le foyer, ou de la possession d’animaux, la journée des femmes d’autres douars
d’Ouneine est sensiblement la même. L’utilisation d’enquêtes budget/ temps et la constitution
d’horloges journalières de travail des femmes ont permis ces dernières décennies de mettre en
27
valeur leur participation dans l’économie familiale23. Regardons ici un exemple de journée de
femme, mais cette fois-ci avec une estimation du temps consacré à chaque activité, pour
compléter notre récit.
Figure 7 : Horloge journalière de travail des femmes d’un foyer, douar d’Agadir N’aït Nacer
23 Ce n’est qu’en 1987 que les enquêtes sur l’emploi rural au Maroc ont commencé à donner une réelle image de l’activité économique non payée des femmes rurales.
Activités
journalières des
femmes
Femmes/filles
réalisant cette
activité
Fréquence de
l’activité
Temps
consacré
De zikk à
laffdour (du
réveil+petit
déjeuner à
environ 9h30)
- Feu
- nourrir les
bêtes
- préparation
p.déjeuner
- traire la
vache
- Tour de rôle
pour
toutes les
activités
j
j
j
j
15min
20min
30min
10min
Entre
laffdour et
imkli (entre
9-10h et
14h30-15h)
- ménage
- linge
- laffdour
- vaisselle
- laffdour
- vaisselle
- sieste
j
occasionelle
j
j
j
j
j
3h
2h
1h
30min
30min
30min
2h
Entre
imkli et tin
ouchchi (de
14h30-15h au
coucher du
soleil)
- préparation
déjeuner
- déjeuner
- bêtes aux
champs
- retour à la
maison
j
j
j
j
1h
30min
3h
30min
Entre tin
ouchchi
(coucher du
soleil) et
- préparation
dîner
- TV
- imnsi
j
j
j
2h
1h
30min
28
Source: Nadège OLLAGNIER, Nour El Houda HABIB, Foyer féminin d’Ouneine, TARGA -Aide, IAV Hassan
II, juillet 2009
En essayant d’analyser ce tableau nous pouvons dresser les constats suivants :
-Les femmes partagent leur temps entre les travaux domestiques, principalement la
préparation des repas, le ménage, la recherche de bois et les activités liées aux bêtes (traite des
vaches, recherche de nourriture…). Les travaux domestiques sont perçus par les femmes comme
prenant plus de temps que les travaux de l’extérieur.
-Le temps de travail des femmes par foyer semble varier entre 8h et 18h par jour, sans
compter les jours où elles s’occupent également du linge. De plus, comme nous l’avons annoncé
dans les limites de ce travail, les femmes ont souvent omis de compter le temps de recherche de
l’eau, ou encore le temps consacré à s’occuper des enfants.
-Le temps moyen de travail de la femme varie en fonction des types de foyers, en fonction de
leur niveau socio-économique (pauvre, moyen ou pourvu), et en fonction du nombre de couples
qu’ils contiennent (mononucléaire ou polynucléaire). En fonction du nombre de couples, la
femme pourra compter sur la présence d’autres femmes avec qui elle pourra partager les
différentes tâches du quotidien.
-Les tâches des femmes sont multipliées par rapport à la ville. Le manque d’équipement
ménager et électroménager, les problèmes d’adduction d’eau conduisent les femmes à décupler
les efforts physiques et le temps pour chaque tâche. Une illustration de ce temps de travail
décuplé en fonction du milieu, nous est donnée par un homme lors d’un entretien :
« Prenez par exemple la journée de hammam ici, la femme doit aller chercher le bois, faire
chauffer l’eau, entretenir le feu pour que toute sa famille puisse en profiter… cela lui prend
une journée complète… »24.
Cependant, il semble que certaines tâches aient été omises par les femmes lors de ces
entretiens. Par exemple, la question de l’eau n’apparaît que peu souvent alors que l’on sait que
c’est un problème dans de nombreux foyers et que cette activité représente du temps et un effort
physique très important. De plus, le temps passé à s’occuper des enfants n’apparaît que très 24
Entretiens auprès des hommes des douars de provenance des femmes, mission d’octobre 2009
imnsi (diner)
De imnsi
au coucher
- vaisselle
- TV
j
j
30min
2 à 3h
29
rarement. Nous sommes donc vraiment dans une approximation du temps réel de travail des
femmes. S’il ne s’agit là que de leur perception, cela nous donne cependant une idée du travail
qu’elles effectuent et cela permet de hiérarchiser les tâches prenant plus ou moins de temps à
leurs yeux.
Nous avons tenté de mieux saisir la réalité du temps de travail des femmes, regardons
maintenant de plus près comment les fonctions et les tâches se répartissent au sein d’un même
foyer.
c. Division des fonctions et du travail au sein du foyer
Figure 8 : Composition d’un foyer avec activité principale et secondaire pour chaque
membre, douar d’Agadir N’aït Nacer
Source: Travail d’enquête de Nadège Ollagnier et Nour el Houda Habib, Rabat, TARGA-Aide, IAV Hassan II,
juillet 2009
Prénom Sexe Âge
(en
années)
Etat
matrimonial
Niveau
d’instruction
Lien
avec
le chef
de
foyer
Activité
principale
Activité
secondaire
Hassan M 60 Marié Jamais été à
l’école
Lui-
même
champs -
Fadma F 50 Mariée Jamais été à
l’école
épouse Travaux à
la maison
champs
Mohamed M 40
Marié Jamais été à
l’école
fils Peintre -
Zaïna F 39 Mariée à
Mohamed
Jamais été à
l’école
Belle-
fille
Travaux à
la maison
champs
Zaïna F 32 C Jamais été à
l’école
fille Travaux à
la maison
champs
Souad F 16 C 6°année
primaire
Petite-
fille
Travaux à
la maison
champs
Samira F 5 C 1ère année
primaire
Petite-
fille
écolière -
Radouane M 9 C 3° année
primaire
Petit-
fils
écolier -
30
D’après l’observation des différents tableaux de ce type, nous pouvons dresser les constats
suivants concernant le travail des hommes25:
-Sur 29 masculins rencontrés lors des enquêtes, il y a 22 hommes ayant plus de 15 ans26. Si
la majorité de ces hommes de plus de 15 ans exerce une activité principale et une activité
secondaire, une dizaine d’entre eux n’exercent qu’une activité principale.
-Les activités principales répertoriées se rapportent aux domaines suivants : travaux des
champs, peinture, commerce, chauffeur routier, mosquée, emploi à la commune, maçonnerie…
-L’activité secondaire est le plus souvent le travail des champs/ travail agricole.
- Entre 10 et 15 ans, les garçons participent à certaines activités en rentrant de l’école comme
le jardinage, le commerce…
Concernant le travail des femmes nous pouvons relever que :
-Toutes les femmes rencontrées (42 féminins) ont deux activités : les travaux ménagers
comprenant l’entretien de la maison et la préparation des repas correspondant à l’activité
principale, et les travaux des champs surtout liés aux bêtes correspondant à l’activité secondaire.
-Certaines filles âgées de 15/ 16 ans pratiquent également la broderie comme
activité secondaire.
-A partir d’une dizaine d’années, les filles participent également aux travaux domestiques et
aux travaux des champs en rentrant de l’école.
Cette répartition des fonctions et des tâches est-elle figée ? Lors de nos entretiens, nous
avons demandé aux hommes s’il leur arrivait d’aider leurs femmes dans certaines tâches. De
manière générale, les hommes disent appuyer leurs femmes dans des moments particuliers, s’ils
jugent qu’il y a trop de travail par exemple, ou si la femme est malade et pour des tâches
spécifiques comme le soin du bétail ou parfois la cuisson des plats. Nous avons posé cette
même question aux femmes pour avoir leur avis en miroir. Une femme interrogée explique que
si l’homme s’arrête lorsqu’il juge sa tâche terminée, « le travail des femmes ne s’arrête
jamais…ce qu’elles font aujourd’hui, elles le répèteront demain… »27. Une autre ayant vécu de
longues années en ville, à Marrakech, nous explique que son mari l’aide régulièrement mais
qu’il est souvent le sujet de moqueries. Nous constatons donc que dans certains cas, un homme
qui sort de la répartition sexuelle des tâches, telle qu’elle est instaurée, est un homme étrange et
suspect pour la communauté environnante.
25
Si nous ne présentons qu’un tableau ici nous nous sommes basés, pour notre analyse, sur un
ensemble d’une dizaine de tableaux d’identification de foyers du même type 26
Nous avons choisi l’âge de 15 ans car cela correspond à peu près à la fin du collège pour les garçons
encore scolarisés 27
Entretiens réalisés auprès des jeunes filles fréquentant le foyer, douar de Toug El Kheir, lors de la
première mission d’août 2009
31
« Si mon mari m’aide ou apporte de l’eau, une partie des femmes peut accepter mais la
plupart ne comprennent pas…même les femmes ont cette jalousie, elles préfèrent que les
autres deviennent vieilles et laides comme elles… »28.
d. Une répartition des fonctions et du travail qui conditionne
l’accès aux ressources monétaires, à la gestion de la caisse et à la
prise de décision
Si les femmes constituent une force de travail considérable pour la vie sociale et économique
du foyer, leur travail d’aide familiale n’est pas rémunéré et donc que très faiblement valorisé. Il
faut ici noter que de 69% à 83,9% des femmes rurales sont des aides familiales29. Elles sont
intégrées dans de petits commerces (vente d’œufs, de lait…), mais ne tirent que de très faibles
revenus de ces activités, cela se traduisant par « une dépendance monétaire au moins partielle
des femmes vis-à vis de la famille ou de la communauté »30. La non reconnaissance de ce travail
gratuit n’est pas non plus sans conséquence lors des divorces. Bien que les dernières réformes
du code de la famille31 aient progressé en ce sens, les femmes éjectées du foyer sont souvent
encore laissées sans ressources. Cette répartition sexuelle du travail conditionne également la
prise de décision économique, ainsi que la gestion du panier et de la caisse.
Les hommes sont au contraire chargés de ramener les bénéfices de leur activité. Etant les
seuls à avoir une activité rémunérée officiellement, ils gèrent le plus souvent la caisse ainsi que
le panier. Ceux que nous avons rencontrés lors d’entretiens expliquent :
« Ici à Ouneine, nous demandons et faisons des crédits, le jour du souk comme nous n’avons
pas toujours de l’argent, nous prenons sous forme de marchandises…comme c’est moi qui
suis au courant et gère les crédits, c’est moi qui gère la caisse… »32.
28
Entretien réalisé auprès d’une femme fréquentant le foyer, douar de Dou Souk, lors de la deuxième
mission de septembre 2009 29
Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, op. cit. p. 42 30
Ibid. 31
Les dernières réformes du Code du statut personnel ou Moudawana, en 2004 sont censées aller vers
la reconnaissance de plus d’égalité entre hommes et femmes. Entre autres, après un divorce l’homme
doit désormais garantir l’apport d’un certain nombre de ressources à son ex-femme. Cependant, de
nombreuses associations remarquent que la pratique ne suit bien souvent pas la nouvelle loi. 32
Entretiens réalisé auprès des hommes des douars de provenance des femmes lors de la mission
d’octobre 2009
32
Il est cependant nécessaire de ne pas tomber dans le cliché de la femme rurale passive,
jamais consultée dans la prise de décision. Bien que la décision finale revienne généralement à
l’homme du foyer, d’après les entretiens réalisés, celui-ci consulte généralement sa femme pour
toutes les décisions importantes concernant la vie du foyer. De plus, il y a souvent de multiples
cas comme il y a de multiples foyers, suivant le niveau de pauvreté, d’instruction de chacun,
l’expérience de la ville, l’adhésion aux traditions…Enfin, le fait d’être garante de l’espace
domestique et de la fourniture des repas pour la famille confèrent aux femmes un certain
pouvoir.
« Du fait que l’unité domestique incarne dans cette société rurale la base fondamentale de
toute subsistance, et le cadre structurant autant les activités de reproduction que de
production, elle constitue bien l’acteur le plus important dans la vie du groupe…Or c’est la
femme qui en assure la responsabilité réelle et pratique… »33.
Enfin, il convient de noter que cette division des tâches et fonctions de chacun amène
nécessairement une division de l’espace domestique et extérieur.
3.2 Quand la répartition des fonctions contribue à diviser l’espace
a. Division de l’espace entre intérieur et extérieur
« L’espace privé ou le dedans est formé principalement par tout ce qui touche l’intime, le
caché, la maison, la famille, la vie en couple. Il intègre en lui tout le monde féminin avec ses
mystères, ses mythes….L’espace public ou le dehors est l’espace réservé aux hommes, le
champ des conflits et des savoirs. Il est organisé et géré par les hommes et pour les
hommes…L’institution du pouvoir patriarcal se maintient en gardant ces deux univers
séparés »34.
Premièrement, nous pouvons distinguer une sorte de division au sein même de l’espace
intérieur, du kanoum. Dans le foyer dans lequel nous avons séjourné, il semble y avoir les
espaces féminins et les espaces masculins. Lors de notre venue, hommes et femmes prennent les
repas dans des pièces séparées. Deux tagines sont préparés, deux services effectués. La cuisine
33
Mokhtar El HARRAS, « Féminité et masculinité dans la société rurale marocaine : le cas d’Andjra », in :
Femmes, culture et société au Maghreb, tome 1, Casablanca, Afrique Orient, 1996, p.48 34
Hakima LAALA HAFDANE, Les femmes marocaines, une société en mouvement, Paris, L’Harmattan,
2003, p.37
33
est le lieu où circulent et se concentrent les femmes. C’est le point névralgique. La terrasse sur
le toit avec la vue sur la vallée (considérée comme le plus bel endroit de la maison) est
traditionnellement réservée aux hommes le soir pour prendre le café et discuter. En deux jours
d’observation, nous n’avons pas distingué de réels espaces d’échanges entre les deux sexes
comme si les espaces étaient figés comme les fonctions de chacun. Cette division de l’espace est
peut être cependant à relativiser puisque la présence d’une étrangère a pu venir bousculer
l’organisation de la maison. Cette expérience d’observation témoigne néanmoins de la faiblesse
des interférences entre les sexes et du solide ancrage de la répartition des fonctions.
b. Division de l’espace et accès à la vie économique et politique
Cette séparation des espaces est encore plus visible entre extérieur et intérieur. Lorsque les
femmes sortent du foyer c’est principalement pour aller chercher de l’eau, nourrir les bêtes, ou
faire la lessive…Au-delà de leurs douars respectifs, elles ne se rendent que très rarement au
centre de la vallée, là où sont concentrés le dispensaire, l’école, le siège de la commune, les
quelques magasins et cafés. Elles ne sortent principalement que lors de grandes fêtes ou
cérémonies de mariage. Elles se regroupent alors pour des danses et des chants que l’on nomme
Ahouach. En outre, nous avons remarqué que si les hommes et jeunes garçons se déplacent le
plus souvent à dos d’âne, nous n’avons jamais croisé une femme se déplaçant ainsi. La division
de l’espace est ainsi confirmée par le très faible accès des femmes aux moyens de mobilité35.
Plus précisément, les femmes n’ont pas accès à l’espace d’échanges et de commerce que
constitue le souk. Deux fois par semaine, le mercredi et le dimanche, les hommes s’y rendent
pour échanger, commercer et approvisionner leur foyer. S’ils sont maîtres des décisions
concernant les dépenses, c’est cependant la femme qui leur indique le plus souvent les produits
à acheter pour entretenir le foyer et confectionner les différents repas. Lors de nos entretiens,
nous avons interrogé les hommes sur les facteurs qui ont fait du souk d’Ouneine un espace
seulement dédié aux hommes. La plupart des hommes interrogés expliquent que « c’est mal
vu », que « c’est la tradition ». Il nous a souvent été difficile d’aller bien au-delà de cette
première réponse comme si cela constituait une évidence qui ne demandait aucune explication
précise. Parmi les explications, certains nous disent « que les hommes ont l’expérience des
échanges ». D’autres que c’est une question d’éloignement, que « les hommes peuvent marcher
quatre heures pour venir au souk alors que les femmes ne peuvent pas »36.
35
Voir au sujet du contrôle de la mobilité féminine : Moktar EL HARRAS, « Féminité et masculinité dans
la société rurale marocaine : Les cas d’Anjra », op.cit., p. 42 36
L’ensemble de ces explications sont issues des entretiens réalisés auprès des hommes lors de la
mission d’octobre 2009. Cf. Annexe 2
34
En outre, l’accès des femmes au souk est tout à fait variable selon les régions du Maroc.
Dans le Nord du pays, dans la région de Tanger-Tétouan, chez les Jbalas, il est possible de
parler d’une quasi prédominance des femmes dans la vie économique. Au souk, ce sont elles qui
gèrent les restaurants et les points de vente. Ce sont également elles qui sont de ce fait en charge
du panier du ménage. Dans la région du Rif, il y a une longue tradition de souks de femmes.
D’après l’étude sur la situation des femmes au Rif37, bien qu’ils perpétuent la division sexuelle
de l’espace entre féminin et masculin, ces souks assurent pourtant une multitude de rôles.
Premièrement, ils ont un rôle dans la commercialisation des objets produits par les femmes et
dans l’approvisionnement en produits féminins. Deuxièmement, ils offrent un des seuls espaces
de communication et d’échanges d’informations entre familles (les femmes y négocient
également les mariages). Au-delà d’un lieu d’approvisionnement, le souk est effectivement un
espace de convivialité. A Ouneine, les hommes s’y rencontrent dans les « cafés du souk ». Il
s’agit généralement d’habitations du type de la région avec différentes pièces où les hommes
viennent boire du thé, fumer et échanger. Ceux-ci tiennent également les magasins et cafés à
l’extérieur du souk, au carrefour de la piste entre Taroudant et Marrakech. Ces espaces de
convivialité leur sont réservés et aucune femme ne semble s’y rendre.
Concernant l’accès à la vie politique et à la citoyenneté, nous n’avons pas pu recueillir de
données sur la participation des femmes de la commune rurale d’Ouneine aux élections. Nous
pouvons cependant faire remarquer que deux femmes siègent depuis ces dernières élections au
conseil de la commune (dont la directrice du foyer féminin de notre étude). Lorsque nous avons
interrogé les hommes à ce sujet, la plupart nous ont dit accepter et même dans certains cas,
encourager la participation des femmes à la vie politique. Il est intéressant de voir ici que bien
que les femmes ne participent que très peu à la vie politique et citoyenne, les hommes ont
construit un système de représentations faisant d’elles des « bienfaitrices du bien public ».
« Les hommes quand ils entrent dans la vie politique ont un but personnel et lucratif…les
femmes regardent plus le « maslaha aâma » (bien commun), elles ne sont pas corrompues
comme les hommes…leur présence pourrait limiter les abus et les sabotages du budget ».
« Les femmes ne trichent pas, elles aiment laisser des traces de leur passage et mettre en
avant des résultats positifs » 38.
37
Etude citée précédemment : Association Forum de Femmes au Rif, Etude sur la situation de la femme
au Rif et sa participation au développement, cas d’AL Hoceima, op. cit. 38 Entretien réalisé lors de la troisième mission à Ouneine, auprès des hommes des douars entourant le foyer
35
Au cours de cette première partie nous avons proposé une compréhension du contexte
d’intervention ainsi que du public cible pour lesquels a émergé l’idée d’un foyer féminin. La
vallée d’Ouneine est ainsi identifiée comme une région très enclavée, où les conditions
géographiques et climatiques n’offrent que de très faibles possibilités de production, où les
infrastructures sociales manquent pour assurer l’ensemble des besoins de la population. Comme
dans la plupart des zones rurales du Maroc, les femmes souffrent de ce contexte, d’un manque
d’équipements et d’infrastructures de base. A ce titre, la situation des femmes d’Ouneine est
assez caractéristique de celle des femmes rurales marocaines : faible taux de scolarisation et
d’alphabétisation, pénibilité des tâches, division sexuelle du travail, faible accès aux structures
sanitaires et sociales, travail non rémunéré…Cependant nous avons également remarqué que
leur situation pouvait différer de celle d’autres femmes du monde rural, notamment par rapport
à une division très marquée entre espace public et privé, illustrée par leur non accès au
commerce, et au souk en particulier.
Les projets de développement internationaux et nationaux ont longtemps démontré leur
incapacité à pénétrer le monde de ces femmes et à changer ce destin. Bien qu’elles soient
également bénéficiaires des projets d’électrification ou d’adduction d’eau, elles sont cependant
souvent écartées de la scolarisation, de la formation et des prises de décision. La création d’un
espace social féminin devait venir répondre à ces attentes des femmes et leur permettre une
meilleure insertion dans le développement de la vallée.
36
PARTIE 2
La création d’un espace social féminin, entre enjeux locaux, initiatives nationales et
paradigmes internationaux
37
Après avoir dressé le tableau de la population cible, et tenté de mieux cerner le quotidien des
femmes dans la vallée d’Ouneine, il s’agit de mieux saisir dans cette partie les conditions
d’émergence du foyer féminin. Nous formulons ici l’hypothèse que cet espace constitue une
sorte de point de rencontre entre une population cible, une association de développement ainsi
que des discours et actions dépassant largement le contexte local. Pour vérifier cette hypothèse,
nous nous attarderons sur une présentation des initiateurs du projet, l’association TARGA, ainsi
que sur les objectifs assignés au foyer au départ. Enfin, nous essaierons d’éclairer ces éléments
grâce à une compréhension plus large du contexte national et international de réflexion autour
des femmes et du développement, dans lequel est ancré le projet.
1. A l’initiative du projet : l’association TARGA-Aide et
son travail dans la vallée d’Ouneine
1.1 Une histoire associative fortement liée à la vallée d’Ouneine
Lorsque l’on tente de décrypter et d’analyser le fonctionnement et la portée d’un programme
ou projet de développement, il est indispensable de poser la question du « qui » ; Qui sont les
acteurs, porteurs de ces projets ? Quelle est l’histoire de la structure, la formation de ses
membres, la culture associative qui en a découlé ? Ceci appelle donc une rapide présentation de
l’association TARGA- Aide ainsi que de son travail, plus particulièrement dans la zone du foyer
féminin que nous étudions.
L’association TARGA39-Aide est née d’un regroupement d’enseignants chercheurs autour du
sociologue Paul PASCON40. Dans les années 1980, ce dernier s’intéresse particulièrement au
projet de voie ferrée reliant Marrakech à Agadir et par conséquent aux conditions de vie de la
population de l’Ouneine devant être touchée par ce projet41. Il rassemble une équipe
pluridisciplinaire de chercheurs, dont certains sont originaires de la vallée, en vue de travailler à
ses côtés sur les problématiques du développement des zones rurales enclavées, à écologie
fragile. C’est ainsi que se forme le premier noyau de personnes, issues de l’Institut
Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat, de l’Université Hassan II de Casablanca, ainsi
que de l’Institut National d’Aménagement Urbain de Rabat, qui constitueront plus tard
l’association TARGA-Aide.
39
Targa signifie le ruisseau 40
Paul PASCON, qualifié souvent de « père de la sociologie marocaine », est considéré comme un des
meilleurs spécialistes du Maroc rural. Fils de colon, il étudie au Maroc puis à Paris. Il réunit de
nombreux chercheurs pour réaliser des études innovantes sur le Maroc rural. 41
Cette entreprise de recherche fondamentale était financée par la coopération canadienne.
38
Bien qu’elle ne soit pas liée de manière directe à notre sujet, cette dimension nous semble
importante pour comprendre la culture de l’association, son mode d’organisation ainsi que les
projets qui en ont découlé. Sur le plan de la culture associative nous pouvons dire que
l’association se caractérise par les éléments suivants :
-une association créée avant tout par des amis et donc une ONG à taille humaine avec un réel
« esprit de famille »
-la revendication d’une autonomie et liberté d’action grâce aux financements internationaux
-l’ouverture sur l’étranger : l’appel à des ressources humaines venues de l’étranger
-une forte relation avec le monde universitaire et étudiant de part son ancrage dans
l’université au sein de l’Institut agronomique et de part la présence de nombreux stagiaires ou
jeunes récemment diplômés
Sur le plan organisationnel cela se manifeste par :
-une grande souplesse, flexibilité dans l’organisation
-une structure très peu hiérarchisée, cependant la figure du secrétaire général est très
importante, de plus les membres fondateurs sont très présents lors de toute prise de décision
-une gestion « familiale », pas de réel management d’équipe, ou d’esprit « management »
-pour certains projets cela peut se traduire par un manque de référent siège et donc une
certaine instabilité dans le suivi
Concernant l’approche méthodologique, l’association met en avant sa volonté de mettre en
place une réelle démarche participative, en privilégiant des phases de concertation avec la
population, ainsi que l’intégration des actions42 et le souci de leur pérennisation. Le désir des
membres fondateurs a longtemps été de mener des activités pilotes dans certains domaines et
régions dans lesquels l’Etat est totalement désinvesti. L’Ouneine en constitue un bon exemple.
En outre, l’association mène (ou a mené) des recherches et des projets dans diverses zones
rurales enclavées dont : les vallées et bassins versants du Haut Atlas ('Ouneine, Tifnout,
Tassaout et Oued Lakhdar…), le Rif occidental (Bni Idder, Tassift, Tanaqob), les oasis des pays
d’Afrique subsaharienne (Mauritanie et Nord Est du Mali). L’accumulation de leur expérience
et la reconnaissance de leur travail amènent peu à peu les fondateurs à doter leurs actions d’un
cadre institutionnel, pour faire face aux contraintes de terrain et à l’accroissement des actions
menées. C’est en 1998 qu’est véritablement créée l’association TARGA-Aide, Association
Interdisciplinaire pour le Développement et l’environnement, non lucrative.
Aujourd’hui l’association est également partenaire et maître d’ouvrage de projets
gouvernementaux ou royaux tels que l’APDN (Agence pour la Promotion et le Développement
42
Il s’agit d’essayer de mettre en œuvre des programmes complets de développement en intégrant au
maximum la dimension de développement durable.
39
Economique et Social des Préfectures et Provinces du Nord du Royaume) ou l’INDH (Initiative
royale Nationale pour le Développement Humain). TARGA-Aide connaît actuellement une
forte croissance en termes de budget et de programmes confiés, ce qui la conduit à être quelque
peu tiraillée entre de gros programmes et d’ancienne attaches dans des régions toujours très
isolées du reste du pays comme la vallée d’Ouneine. Cette nouvelle donne oriente peu à peu
l’association, vers une restructuration de son organisation, un passage progressif d’une petite
association à une structure plus hiérarchisée, et, ces temps-ci, à privilégier quelque peu l’action
par rapport à la recherche.
1.2 Les projets de TARGA à Ouneine : les femmes oubliées ?
Comme nous venons de le voir, l’histoire de TARGA est inextricablement liée à la vallée
d’Ouneine. Si la première intervention dans la vallée date de 1982, ce n’est qu’en 1991 que
débute véritablement le projet TARGA-Ouneine. Ce projet est composé de trois phases de 1991
à 1999, sous coopération autrichienne, avec pour objectif général l’appui à la réhabilitation de
cette zone à écologie socio-économique fragile43. Les actions menées dans la vallée d’Ouneine
depuis le début des années 90 peuvent ainsi se décomposer en quatre domaines principaux :
l’augmentation et la diversification des revenus, l’amélioration des conditions de vie de la
population, la sauvegarde et rationalisation des ressources naturelles ainsi que le renforcement
des capacités locales.
Conscients que les sources de revenus de la vallée sont essentiellement dues à l’agriculture
de montagne et à l’élevage, les acteurs du développement axent leurs actions sur l’amélioration
du système de production végétale et animale : projets de renforcement du secteur agricole,
projets d’irrigation, élevage, apiculture… Les femmes sont particulièrement la cible de petits
projets concernant la basse-cour et la pisciculture. Ainsi en 1997, 400 poussins sont affectés
dans quatre douars. Cette distribution concerne la moitié des femmes de chaque douar. Malgré
l’introduction réussie des animaux et la demande de généralisation de la population cette
expérience ne connaît pas de suite. Concernant la pisciculture, quatre campagnes d’élevage de
truite sont conduites dans des bassins du douar de Tawrirt. Les femmes doivent être en charge
de la gestion de cette activité et reçoivent parallèlement une formation sur les techniques
culinaires pour préparer ces nouveaux aliments. Cependant, ce projet n’est pas non plus
poursuivi44.
43
L’accord de partenariat entre la coopération autrichienne et l’IAV Hassan II a été signé à Rabat en
janvier 1991. 44
Nous reviendrons précisément sur les facteurs d’échec de ce projet dans le chapitre 2 de notre
troisième partie consacré aux activités génératrices de revenus.
40
Ce renforcement dans les secteurs de production de la vallée s’accompagne de recherches et
de projets autour de l’amélioration des conditions de vie de la population. Sont privilégiées des
actions en faveur de l’accès à l’eau potable (équipement individuel de 18 douars entre 91 et 99),
de l’assainissement, de l’électrification (réalisation d’une micro centrale hydroélectrique, d’un
réseau de transport et distribution, formation de techniciens responsables de la maintenance) et
de l’aide à la scolarisation (construction de classes, écoles satellites et logements pour les
instituteurs). L’ensemble de ces actions s’accompagne d’une importante préoccupation pour la
sauvegarde des ressources naturelles. Un projet de recherches sur la « gestion durable des
ressources naturelles dans un écosystème montagnard » débute en 1998 visant au diagnostic
des ressources naturelles. Des actions sont également menées comme l’introduction
expérimentale de variétés arboricoles, la plantation de caroubiers et d’amandiers…Cependant, la
rudesse des conditions climatiques et en particulier la sécheresse ne permettent pas la
pérennisation de ces actions. Enfin, TARGA appuyée par la coopération autrichienne participe
au renforcement des capacités des acteurs locaux à travers un appui à la commune rurale et
l’organisation de la société civile. Plusieurs associations sont impulsées par TARGA à Ouneine.
Ce sont pour la plupart des associations de développement local dont l’objectif est
d’accompagner la gestion des équipements d’électrification ou d’eau potable…Cependant nous
pouvons remarquer que les femmes ne sont pas représentées dans ces associations destinées
principalement à prendre en charge les nouvelles installations. De même, aucune association
féminine ne voit le jour pendant cette période.
Durant les phases d’identification et d’élaboration de tous ces projets, les hommes de la
vallée sont souvent mis à contribution en tant que techniciens et co-acteurs des projets, ils sont
de plus les interlocuteurs privilégiés des acteurs du développement à TARGA, l’équipe étant
majoritairement constituée d’hommes. A la lumière de ce retour sur expérience nous ne pouvons
dire que les femmes ont été complètement oubliées. Quelques actions ponctuelles ont été
menées auprès d’elles dont particulièrement les projets d’élevage de basse-cour ainsi que la
pisciculture. Cependant, faute d’organisation, d’emploi du temps trop chargé ou de concurrence
avec les hommes, ces actions sont restées sans lendemain. Cette dimension est importante pour
comprendre les raisons qui ont pu peu à peu faire mûrir dans les esprits des femmes mais aussi
des acteurs du développement l’idée d’un centre féminin. La proposition de création de cette
structure s’ancre donc dans une histoire de recherches et d’actions de coopération entre TARGA
et la vallée d’Ouneine que l’on ne pouvait négliger. Tentons maintenant de présenter
l’historique de ce centre féminin ainsi que les objectifs qui lui ont été assignés à ses débuts.
41
2. De la naissance de la structure à la définition des
objectifs de départ
2.1 Historique du foyer, entre désirs des femmes et choix stratégiques de l’association
Il nous a semblé intéressant de rassembler quelques explications concernant les conditions
d’émergence de l’idée de foyer féminin. Pour cela, nous nous sommes basés sur des rapports
d’état d’avancement de projets ainsi que sur des entretiens réalisés auprès des membres de
l’association TARGA-Aide. Selon les personnes rencontrées, différents éléments déterminants
sont mis en avant ; les revendications des femmes d’être consultées et intégrées aux projets de
développement, la volonté des acteurs de développement de faire passer des messages de
sensibilisation, ainsi que la volonté de contrecarrer la perte progressive du lieu et moment
d’échanges que constituait la recherche de l’eau, en proposant un nouvel espace de socialisation
pour les femmes.
Une première explication donnée est la revendication des femmes de pouvoir être intégrées
aux actions de développement au même titre que les hommes, au-delà des petites activités
génératrices de revenus et d’avoir un espace pour elles.
« Les femmes réclamaient des AGR…elles voulaient aussi un espace…petit à petit, on a
évolué des AGR vers l’idée de création d’espace… »
« TARGA travaillait avec les hommes pour les projets d’électrification, ils étaient mis à
contribution pour la main d’œuvre, les femmes se sont senties exclues, elles voulaient
s’impliquer et être impliquées »45.
Un des membres de TARGA nous parle également d’une volonté des acteurs du
développement de pouvoir toucher les femmes dans le cadre des projets de développement en
cours, et en particulier dans le cadre des projets d’assainissement.
« Au niveau des lessives, de l’hygiène des enfants, on avait besoin d’accompagner un
changement des pratiques, or ce sont les femmes qui s’occupent de ces tâches…la création
d’un centre pour les femmes devait permettre de faire passer des messages aux femmes… »
45
Entretiens réalisés auprès de membres et salariés de TARGA-Aide en octobre 2009
42
Outre la question de la sensibilisation des femmes, le besoin d’un espace de rencontres est
également identifié par l’équipe de projet lors des premières réalisations d’adduction d’eau
potable et lors d’enquêtes auprès des femmes en 1993. Cette tâche incombant généralement aux
femmes, l’arrivée de l’eau dans les maisons allaient les priver de ce temps de rencontres et
d’échanges que privilégiait la recherche de l’eau. Selon les acteurs présents à ce moment là sur
le terrain, c’est pour cette raison qu’il fallait ouvrir un lieu pour les femmes.
Au-delà des activités, il y avait donc chez les acteurs du développement la volonté de les
ancrer dans un lieu précis, la nécessité de créer un espace social pour les femmes. Comme nous
avons vu dans la première partie de notre étude, l’espace de la femme existe à Ouneine mais il
se limite le plus souvent à l’espace domestique. La construction d’un centre féminin devait
donc constituer un réinvestissement de l’espace par les femmes, un lieu de prise de parole et de
décision individuelle ou collective. Pour la sociologue Michèle WILHELM, chargée d’identifier
les attentes des femmes, le choix du mot « foyer » n’est peut être pas étranger au sens premier
du mot, le foyer comme lieu du feu, le feu devant lequel on élabore la pensée et la décision46.
« Elles (les femmes) existeraient en tant qu’éléments constitutifs du foyer. Et ceci d’autant
plus que la gestion et les décisions y afférentes seraient sous leur responsabilité. Elles ne
seraient plus uniquement des êtres appartenant à des foyers dispersés mais des actrices de
l’existence et du développement de ce foyer implanté physiquement, et donc visible, dans un
système social donné ».
Nous pouvons avancer que les conditions d’émergence de l’idée de foyer féminin ne se
situent pas dans telle ou telle explication en particulier mais plutôt au croisement de ces diverses
explications ainsi que d’autres facteurs que nous développerons par la suite, liés sûrement à la
pénétration progressive au Maroc, et chez les acteurs du développement, des discours sur
l’intégration des femmes au développement. En outre, les entretiens avec des membres de
l’association concernant la naissance du projet sont intéressants car ils nous permettent de
mieux saisir les discours, les représentations et les concepts mobilisés par les acteurs du
développement, autour de la création de ce foyer féminin.
Plus concrètement, c’est au cours des mois d’été 1997, lors d’une mission conjointe de deux
actrices du développement dans le cadre des projets TARGA-Ouneine, et suite à des enquêtes et
phases de concertation auprès de la population, que la construction d’un centre polyvalent de
formation est réellement identifiée. Ce qu’il peut être important de relever ici, c’est que la
décision de créer un espace social dédié aux femmes ne peut sans doute pas se détacher de la
46
Michèle WILHELM, Propositions de travail pour un foyer féminin dans l’Ouneine, TARGA-Aide, IAV
Hassan II, Rabat, 2001, p. 11
43
présence d’actrices du développement sur le terrain. Celles-ci avaient établi beaucoup de
relations avec la population féminine et souhaitaient se faire l’écho de leurs difficultés et de
leurs besoins.
Lors de ces phases d’entretiens auprès des femmes, un groupe de douars est retenu et un lieu
choisi. Le groupe de douars est jugé intéressant à deux niveaux : d’une part par sa situation
géographique parce qu’il a une position centrale dans la vallée, proche de l’école, du souk et du
dispensaire, d’autre part, parce qu’il rassemble un grand nombre de jeunes filles âgées d’entre
13 et 19 ans. Le groupement identifié rassemble environ six douars de la « fraction Adouz » :
Tagadir N’Tafought, Agadir N’Ait Nacer, Tough El Kheir, Tigenziou, Dou Souk et Mnab.
Concernant le lieu, il s’agit du centre de la vallée où s’amorce déjà à l’époque une certaine
concentration des infrastructures collectives dont le dispensaire, l’école, le siège de la commune
et le souk. Les financements ainsi que les autorisations obtenues, la construction du centre
débute au mois de mai 1999 et durera jusqu’en 2002, entrecoupée de périodes d’arrêts dues au
manque de fonds. L’inauguration a lieu en mai 2002 en présence du nouveau bailleur suisse (la
Fondation INFANTIA) ainsi que du caïd47, du président de la commune et de l’équipe de projet.
Cependant, nous pouvons dire que les activités ne débutent à temps plein qu’en mars 2004.
2.2 Vers un choix d’objectifs « politiquement et socialement corrects » ?
Parallèlement à la construction du centre, un travail auprès des femmes est entrepris en 2001
par une sociologue, indépendante de l’association, pour établir une meilleure définition des
objectifs et des activités à mettre en place. Cette phase permet de saisir avec plus de précisions,
d’une part les attentes des membres de l’association TARGA concernant l’ouverture de cet
espace, et d’autre part la perception que les femmes ont d’elles même à l’époque, leur situation
ainsi que leurs attentes par rapport au foyer féminin.
Pour les membres et salariés de TARGA, les objectifs du foyer sont les suivants 48:
« L’objectif de la structure était l’amélioration des conditions de vie des femmes, leur
autonomisation, leur conférer une certaine indépendance, un accès à la lecture, à
l’écriture, leur donner les moyens de se spécialiser dans une activité et de revaloriser leur
image… ».
47
Le caïd est le chef de circonscription administrative 48
Entretiens réalisés auprès de membres et salariés de l’association TARGA-Aide à Rabat, en octobre
2009
44
« L’objectif du foyer était de restaurer la citoyenneté de la femme, de la repositionner dans
le processus de décision en faisant des activités alibi…dès le départ, l’équipe imaginait
l’alphabétisation sur la situation de la femme, sur la planification… ».
« Le foyer visait à faire sortir les femmes de leur coquille, leur permettre de prendre du
temps pour s’exprimer, s’épanouir…il y a aussi l’idée qu’elles peuvent apporter de
nouvelles choses à leur foyer et à leurs enfants…à travers le foyer, tu peux investir dans
d’autres domaines comme la santé ou l’éducation… ».
Une plaquette d’information sur le foyer féminin présente ainsi les objectifs de la
structure49 :
« Les activités qu’il propose…sont autant une réponse à des préoccupations actuelles et
réelles qu’un alibi pour des observations et des négociations futures sur le statut de la
femme dans la société locale et sur les mécanismes d’amélioration de sa citoyenneté ».
D’après les propos de l’équipe de TARGA, nous pouvons mettre en évidence deux missions
principales allouées au foyer : d’une part un accent est mis sur le volet de l’amélioration des
conditions de vie des femmes, et par leur biais, sur l’amélioration de l’éducation et de la santé
dans les familles, d’autre part, les différents membres de l’équipe insistent sur les notions
d’autonomisation, de négociation sur le statut de la femme et d’accès à la citoyenneté. Suivant
les personnes interrogées, l’un ou l’autre de ces deux angles d’approche est prédominant.
D’un autre côté, les attentes des femmes concernent particulièrement la mise en place
d’ateliers de couture, de broderie, de tissage, c’est-à dire des activités artisanales et
traditionnellement féminines, des activités qui permettent d’améliorer le confort de la famille.
Elles veulent également apprendre à cuisiner de nouveaux plats. En outre, les femmes disent
vouloir à apprendre à lire et écrire, pour comprendre le Coran mais aussi pour se débrouiller,
savoir composer un numéro de téléphone, lire une lettre… Au-delà de ce désir de pouvoir
simplement lire une lettre ou composer un numéro, nous pouvons noter à quel point les femmes
sont ici demandeuses de formations qui les confortent dans leur rôle de mère ou d’épouse, qui
prend soin de la maison en l’agrémentant de tapis, de broderies, en cuisinant…La question de la
vente des produits n’est par exemple pas explicitement abordée car cela mettrait les femmes en
contradiction avec les règles coutumières et les interdits sociaux ayant fait du souk un espace
49
Document de communication et d’information sur l’action de l’association intitulé « Expertise et
Compétences au service du Développement durable », TARGA-Aide, IAV Hassan II.
45
essentiellement réservé aux hommes50. De même, les femmes ne se projettent pas à travers des
métiers, des objectifs professionnels, elles disent vouloir « faire de la broderie » mais aucune ne
dit vouloir « devenir brodeuse ». D’après la sociologue ayant rencontré les femmes en 200151,
les attentes sont toujours formulées en termes de besoins mais jamais en termes de désir ou de
réalisation personnelle ou professionnelle. Ces remarques sont intéressantes, dans la mesure où
comme les personnes interrogées ont pour la plupart complètement intériorisées la division
sexuelle des fonctions et du travail dans la société, l’on ne peut s’attendre à ce que leurs
propositions remettent complètement en cause les normes établies.
Enfin, nous pouvons nous demander si les femmes n’expriment pas leurs attentes,
concernant le foyer, en fonction de ce qu’elles savent de l’offre de développement existante.
D’une part, les femmes se réfèrent à ce qu’elles connaissent déjà, ce qui ne leur fait pas peur,
d’autre part à ce qu’elles pensent que l’acteur de développement va leur proposer. Selon Jean
Pierre Olivier de SARDAN, il est nécessaire de réaliser que le plus souvent, les demandes des
personnes reflètent en grande partie au-delà de leurs véritables attentes, leurs projections sur
l’offre de développement52. Il critique en ce sens l’utilisation abusive et le flou entourant le mot
« besoins » dont les acteurs du développement semblent friands. D’un côté ce terme de
« besoins » offre une « connotation sociologique », car il appelle à l’enquête auprès des
populations. De l’autre, il offre une « connotation morale », car il s’agit de satisfaire les
besoins, toujours dans l’intérêt des populations, et surtout de pouvoir dire qu’elles sont
impliquées dans la définition de ceux-ci53.
« Les villageois interrogés par les experts cadres et autres consultants venus « enquêter sur
le terrain », expriment des « besoins » ou des « demandes », qui sont largement déterminées
par ce qu’ils pensent que les dits experts…sont prêts à offrir. L’identification des besoins
n’est dès lors qu’une procédure faisant légitimer par des « propos paysans» sous formes de
besoins recueillis lors des enquêtes hâtives, les projets que de toute façon les opérateurs de
développement avaient déjà plus ou moins dans leurs cartons sous forme d’ « offres » ».
Nous avons en effet été confrontés à cette question lors de nos entretiens avec des jeunes
filles fréquentant le foyer54. Nous leur avons demandé par exemple s’il y avait des sujets
qu’elles souhaiteraient aborder dans le cadre des activités. Certaines jeunes filles ont par
50
Voir à ce sujet dans la première partie de notre étude le chapitre réservé à la division sexuelle de
l’espace à Ouneine et à la faible participation des femmes à la vie économique locale. 51
Il s’agit de Michèle WHILELM, sociologue belge appelée par l’équipe de TARGA pour préciser les
objectifs et activités du foyer en rassemblant les attentes de l’équipe associative et des femmes 52
Jean-Pierre OLIVIER DE SARDAN, Anthropologie et développement : essai en socio-anthropologie du
changement social, Paris, Apad, Karthala, 1995, p. 74 53
Ibid. 54
Entretiens réalisés auprès des jeunes filles du douar de Toug El Kheir, fréquentant le foyer.
46
exemple parlé d’ateliers sur l’hygiène. Or, s’il ne s’agit pas de remettre leurs propos en
questions, nous nous sommes fortement demandés sur le moment si cette réponse n’était pas
une façon de donner à l’enquêteur ce que l’on pense qu’il attend. L’hygiène n’est ce pas en
effet un bon thème politiquement correct pour le « développeur »55 ?
A la croisée des attentes des femmes et des conceptions de l’équipe de l’association, les
objectifs retenus sont finalement les suivants :
1. Permettre aux femmes d’acquérir des compétences dans les activités manuelles, afin
d’améliorer leur confort de vie et répondre aux besoins familiaux tels que la cuisine,
couture, broderie, tricot, crochet, tissage, tapis.
2. Apprendre à lire, écrire, compter, calculer, mesures et système métrique.
3. Acquérir des habitudes liées à l’hygiène, la diététique et l’équilibre alimentaire.
4. Se situer dans le temps, dans l’espace et définir son identité, ses fonctions et ses
tâches.
5. Apprentissage de compétences transversales :
- analyse et résolution de problèmes
- capacité d’expression
- négociation et communication
- connaissance de ces processus personnels d’apprentissage et de travail.
6. Réinvestir des apprentissages individuels dans la vie quotidienne
7. Diffuser au sein des foyers de nouvelles pratiques de gestion familiale, de
nouvelles compétences sociales.
8. Réaliser une étude marketing sur les demandes du marché en produits artisanaux :
marché local, régional, national voir international.
Dès lors nous pouvons émettre un certain nombre de remarques concernant le choix de ces
objectifs :
-les activités choisies sont des activités traditionnellement féminines telle que la broderie, le
tissage, le tricot ou encore la cuisine
-un des objectifs récurrents semble être, par le biais des femmes, d’améliorer le confort de la
famille
-un focus est également mis sur les questions de santé et d’hygiène
55
Nous empruntons ici la distinction « Développeurs »/ « Développés » à Jean-Pierre OLIVIER DE
SARDAN, Anthropologie et développement : essai en socio-anthropologie du changement social, op.cit.,
p. 8. L’auteur explique qu’une opposition aussi générale sert avant tout à souligner le clivage entre deux
mondes, « deux univers de vie et de sens ». Cependant il souligne également que ces deux catégories
sont loin d’être homogènes.
47
-les objectifs pouvant concerner la dimension citoyenne évoquée par un des membres de
l’association sont flous et semblent peu « opérationnalisables »
-il n’est fait aucune mention d’une sensibilisation en matière d’égalité, de droits des femmes
ou de droits de la famille
-la place de l’homme ainsi que les relations hommes/ femmes ne sont jamais mentionnées
Ces remarques nous amènent à nous questionner sur la tension existante, l’équilibre presque
impossible à trouver entre une démarche dite « participative » visant à recueillir les attentes des
personnes et des objectifs de transformation de la réalité sociale, que visent généralement les
acteurs du développement. D’une part, comme nous l’avons vu, les personnes rencontrées
semblent adapter leurs demandes à l’image qu’elles ont de ce que les acteurs du développement
peuvent leur proposer. D’autre part, pour éviter un risque de phénomène de « backclash »56 face
aux communautés rencontrées, les acteurs du développement sont parfois obligés de passer par
une réadaptation de leurs objectifs de départ aux attentes spécifiques des femmes pour que
celles-ci, ainsi que leur entourage, acceptent la démarche. Parfois, la mise en place d’ateliers
classiques tels que la broderie, tissage apparaissent comme des outils stratégiques pour faire
sortir les femmes de l’espace domestique et rendre acceptable et légitime auprès de la
communauté cette ouverture sur le monde.
56
Un effet « backlash » signifie une réaction antagoniste à l’effet ou l’impact recherché par le projet.
48
3. La création du foyer : mise en perspective entre
paradigmes internationaux et initiatives nationales
3.1 Au niveau international : des objectifs qui reflètent les grands courants de pensée liant femmes et développement ?
Pour mieux comprendre les conditions d’émergence du foyer ainsi que le type d’activités
proposées, il nous semble important de le resituer dans un contexte international de réflexion sur
les femmes et le développement. En effet, la question du lien entre femmes et développement
est marquée par différentes approches et discours qui se sont succédés, voire juxtaposés dans le
temps (l’apparition d’une approche n’entraînant pas à chaque fois la complète disparition de la
précédente57) et ont façonné les représentations, les manières de penser le développement et les
projets, qu’ils soient gouvernementaux ou qu’ils émanent de la société civile.
La première approche liant femmes et développement (appelée parfois Bien-Etre ou Welfare
approach) est surtout mobilisée de l’après Seconde Guerre mondiale à la Conférence de l’ONU
sur les femmes en 1975. Les femmes des pays du Sud sont principalement étudiées sous l’angle
de leur rôle de mères, garantes du bien-être de la famille. Elles sont considérées comme celles
qui protègent, soignent et s’occupent de confectionner les repas pour la famille alors que le chef
de famille doit assurer les revenus du ménage. Cette conception se traduit dans le champ du
développement par des projets de soins, de nutrition infantile, d’hygiène. On vise également les
femmes par des programmes de planification familiale pour le contrôle démographique.
« Ainsi, les femmes agricultrices, qui représentaient une proportion majoritaire de femmes
dans les différents continents asiatique, africain et latino-américain dans les années 1960,
sont principalement envisagées à travers leurs besoins pratiques de mères : elles ne sont
pas prises en compte dans les grands projets agricoles. Elles ne sont pas non plus visées
par les projets de vulgarisation agricole qui ne ciblent que l’homme, chef d’exploitation »58.
Ce sont les travaux de l’économiste Esther BOSERUP parus au début des années 70, qui
mettent en lumière la contribution des femmes aux productions agricoles et paradoxalement leur
57
Voir à ce sujet l’ouvrage de Florence DEGAVRE, Enjeux du développement dans les contextes Nord, Le
rôle des femmes dans le care et la reproduction du lien social, Thèse, Louvain, Université catholique de
Louvain, 2005, p.90 58
Aurélie DAMAMME, Le genre à l’épreuve du développement au Maroc, Discours et pratiques
concernant la place de la femme dans les projets, Orléans, Université d’Orléans, 2005, p. 172 et 173
49
non prise en compte dans tout programme ou projet de développement59. Elle stipule notamment
que l’aide au développement s’est fondée sur une vision ethnocentriste, occidentale, reflet d’une
vision particulière des rapports sociaux de sexe et occultant la forte participation des femmes au
processus de production. Suite à ces travaux, les organisations de développement réagissent et
se mettent à commander de multiples études et enquêtes sur la participation des femmes.
L’approche Femme et Développement (FED) ou Intégration des Femmes au Développement
(IFD) domine alors à partir de la décennie 75-85. Elle met en exergue des concepts affirmant la
participation des femmes tels que « le triple rôle des femmes » défini par Caroline MOSER60. Il
s’agit du rôle productif, désignant les activités rémunérées, du rôle reproductif qui désignant les
soins aux enfants et le travail domestique, et du rôle de gestion communautaire, désignant la
fourniture de produits à gestion collective. Cette période est également marquée par l’intérêt
accru des Nations Unies pour les femmes, et la naissance des grandes conférences sur les
femmes, à l’image de celle de Mexico en 197561, puis de Copenhague en 1980 et enfin de
Nairobi en 1985, qui encourageront l’adoption de la Convention pour l’élimination de toutes les
formes de discriminations envers les femmes (CEDAW). La décennie 75-85 est proclamée
« Décennie des Nations Unies pour les femmes »62. En outre, cette approche part de l’idée que
le développement doit se faire avant tout par l’accès des femmes à la sphère économique,
considérée comme la voie royale pour l’équité entre les sexes. Les activités génératrices de
revenus sont donc privilégiées.
« Il y eut apparemment comme une heureuse conjonction entre la découverte que les femmes
pouvaient constituer la force de travail de ce nouveau marché industriel surgissant dans
différentes parties du Tiers Monde et la nouvelle politique Femmes et Développement
identifiant l’emploi salarié comme le chemin le plus efficace à l’intégration des femmes »63.
Les années 90, période pendant laquelle a été pensée et décidée la création du foyer féminin,
signent un renouveau des projets pour la place de la femme dans le développement suite à la
période d’ajustement structurel des années 80. Les nouveaux concepts dominants sont alors
entérinés par la Conférence de Pékin en 1995. D’après Jules FALQUET64, ces nouveaux
paradigmes sont entre autres le mainstreaming, l’empowerment ainsi que les micro-crédits.
59
Il s’agit précisément de l’ouvrage d’Esther BOSERUP paru en 1970 et intitulé Women’s role in
economic development 60
Aurélie DAMAMME, Le genre à l’épreuve du développement au Maroc, op.cit., p. 13 et 14 61
L’année 1975 a également été déclarée : Année internationale de la Femme 62
Ce plan définit des directives à suivre et des jalons pour les pays membres afin d’incorporer les
femmes en tant que groupe cible spécifique dans les initiatives de développement. 63
Jeanne BISILLAT, Regards de femmes sur la globalisation, Paris, Karthala, 2003, p.212 64
Jules FALQUET, « Genre et développement : une analyse critique des politiques des institutions
internationales depuis la Conférence de Pékin » pp.59-90, In : Fenneke REYSOO, Christine VERSCHUUR,
50
Dans son épigraphe 13, la Déclaration de Pékin présente l’empowerment comme la nouvelle clé
du développement :
« L’empowerment des femmes et leur participation dans de pleines conditions d’égalité,
dans toutes les sphères de la société, incluant la participation aux processus de décision et
l’accès au pouvoir, sont fondamentaux pour l’obtention de l’égalité, du développement et de
la paix »
Mais que signifie exactement « empowerment des femmes »? Ce concept vise à répondre aux
représentations antérieures qui faisaient des femmes des êtres victimes et passifs. Cet
empowerment se baserait sur un meilleur contrôle des ressources matérielles et non matérielles.
Les femmes doivent « acquérir la force nécessaire sur tous les plans pour pouvoir s’extraire de
la pauvreté »65. Pour Jules FALQUET cependant, « il ressemble moins à une prise de pouvoir
collective par les femmes…qu’à un octroi d’en haut de certaines parcelles du pouvoir… ». La
politique de mainstreaming viserait quant à elle, à intégrer une réflexion sur les femmes et les
hommes, de façon transversale, à tous les projets de développement, de façon à anticiper sur ce
qui pourrait bénéficier aux uns au détriment des autres. Quant aux micro-crédits, ils
« s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre la pauvreté qui, dans sa forme discursive, a pris le
tour d’une véritable croisade morale »66. Cette approche se traduit donc en termes de projets par
des initiatives ayant une forte dimension économique, à travers la mise en valeur de micro-
crédits ou micro-projets.
Enfin, c’est l’approche Genre et Développement (GED) qui est venue peu à peu compléter et
se juxtaposer aux approches précédentes67. Celle-ci met en avant les faiblesses des approches
antérieures démesurément concentrées sur les femmes et passant à côté des origines des
inégalités : d’une part la construction sociale de la différenciation des sexes, et d’autre part la
notion de pouvoir et de hiérarchisation au sein de ces rapports sociaux. Nous nous attarderons
sur la notion de « genre » dans la dernière partie de notre étude lorsque nous aborderons les
limites de l’approche « Intégration des Femmes au Développement » dans le cas du foyer
féminin d’Ouneine.
On m’appelle à régner. Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre, Genève, Les colloques genre de
l’IUED, 2003 65
Voir la définition de l’empowerment in Bruno LAUTIER, « Pourquoi faut-il aider les pauvres ? Une
étude critique du discours de la Banque Mondiale sur la pauvreté », Revue Tiers Monde, n° 169, 2002, p.
158 66
Jules FALQUET, op. cit. 67
Même si on ne commence à l’employer qu’au milieu des années 90, il faut cependant souligner que le
terme « Genre » apparaît dès l’année 1972 sous la plume d’Ann OAKLEY, dans son ouvrage : Gender, Sex
and Society.
51
« L’approche genre et développement offre l’avantage d’inclure dans l’analyse les hommes
et les femmes pour comprendre la situation de chacun des sexes, et la possibilité d’en tirer
des solutions qui concernent toute la société dans tous les domaines de la vie publique, et
de la vie privée »68.
Il s’agit d’apercevoir désormais si ces grands courants de pensée et discours internationaux
ont pénétré les acteurs du développement marocain, autrement dit, si le temps des discours
internationaux est également celui du contexte marocain.
3.2 Au niveau national, entre plan d’action d’intégration des femmes au développement et initiatives similaires de foyers féminins
Si l’on met de côté l’ouverture du pays à des programmes comme ceux de l’UNICEF ou de
Catholic Relief portant sur la santé des femmes et des enfants, ou encore quelques initiatives du
Ministère de l’Agriculture dans les années 8069, la pénétration des discours internationaux sur
les femmes et le développement reste faible au Maroc, contrairement à de nombreux pays
latino-américains. Il faut attendre la période du gouvernement d’alternance en 199870 pour que
le pays s’intéresse de plus près à la question des femmes71.
A la fin des années 90, contexte de la création du centre féminin, le Maroc, conscient de la
faiblesse de ses actions antérieures en faveur des femmes, et des grandes orientations
internationales, opte pour la mise en œuvre d’un « Plan d’action national d’intégration des
femmes au développement » (PANIFD 1999-2000) qui va mobiliser un certain nombre
d’associations féminines nouvellement créées72. D’après Michèle WILHELM, les femmes
d’Ouneine s’inscrivent dans cet élan national73.
« L’existence de cette volonté nationale et des actions qui en découlent dans l’ensemble du
pays est connu des femmes d’Ouneine. Elles revendiquent très clairement leur intégration
dans ces actions par l’intermédiaire de la réalisation du foyer ».
68
Haut Commissariat au Plan, Prospective Maroc 2030, Dynamique sociale et évolution des statuts des
femmes au Maroc, Rabat, Haut Commissariat au Plan, 2006, p.9 69
En 1984 est créé le bureau national de la promotion socio-économique de la femme rurale mais les
restrictions économiques empêchent le bon déroulement des actions prévues. 70
En 1998, le roi Hassan II nomme le leader socialiste de l’opposition premier ministre. Celui-ci forme
alors le premier gouvernement composé principalement des partis d’opposition depuis plusieurs
décennies. 71
Aurélie DAMAMME, Le genre à l’épreuve du développement au Maroc, op. cit., p. 193 72
L’ADFM est la première association féminine autonome créée en 1985 73
Michèle WHILELM, Propositions de travail pour un foyer féminin dans l’Ouneine, op.cit., p.3
52
Bien que nous ne puissions affirmer que les femmes d’Ouneine connaissent précisément
cette volonté politique nationale, nous pouvons cependant émettre l’hypothèse que celles-ci
perçoivent en effet, malgré leur isolement, les initiatives en faveur des femmes qui commencent
à émerger dans le pays. Le projet du plan d’action national d’intégration des femmes au
développement était basé sur une logique visant la diminution des inégalités de droits. Il était
constitué de 200 mesures en matière de lutte contre l’analphabétisme, lutte contre la violence
faite aux femmes, protection de la santé reproductive, réforme du statut juridique de la femme,
protection des droits de la femme au travail. Suite à de violents débats, le projet initial doit
abandonner son volet juridique qui fera l’objet d’une commission spéciale chargée de la
révision du code du statut personnel74.
Parallèlement à l’initiative de ce plan d’action, c’est l’approche IFD qui domine au Maroc et
qui est largement adoptée dans les programmes de promotion de la femme rurale. Les
programmes visent alors l’amélioration de la condition de la femme à travers des activités
économiques notamment des activités génératrices de revenus et certains projets relatifs à
l’éducation en matière de population (planification familiale, hygiène) ainsi que des actions
d’alphabétisation. De son côté, le Ministère de l’Artisanat et des Affaires Sociales mène des
campagnes d’alphabétisation, de sensibilisation à l’hygiène auprès de la population féminine
rurale. Cependant, cette volonté se traduit la plupart du temps par des projets à caractère social
sans souci de prendre en compte les difficultés d’accès des femmes à la sphère publique, qu’elle
soit économique ou politique. Nous voyons ici comment le foyer féminin s’inscrit
inévitablement dans la pénétration de l’approche IFD dans le contexte marocain, même si les
porteurs du projet ne revendiquent pas cette « appartenance ».
Cette préoccupation pour l’intégration des femmes au développement se reflète également
dans l’existence d’expériences et de conception de foyers ou centres féminins dans le pays,
qu’ils soient issus d’initiatives gouvernementales ou de la société civile. Le foyer féminin
d’Ouneine, bien qu’il soit considéré comme une expérience pilote dans la vallée, et que ses
initiateurs aient marqué leur volonté de se détacher des foyers existants, n’est pas un cas isolé
dans le contexte marocain. Au moment où elle travaille sur la définition d’objectifs pour le foyer
féminin d’Ouneine, M. WILHELM identifie en effet deux types de foyers75 :
74
Ce projet suscite de multiples réactions et subit les critiques acerbes des autorités religieuses. Pour
mettre fin aux controverses, une demande est faite au roi Mohamed VI de trancher sur ce sujet en tant
que commandeur des croyants. Il décide la mise en place d’une commission consultative chargée de
préparer un projet visant la révision du Code du statut personnel, projet qui aboutit en 2003/2004 à un
nouveau Code de la famille contenant une grande majorité des revendications des mouvements de
femmes. 75
Rapport de Michèle WHILELM en 2001, op. cit. p. 4
53
« Des foyers qui font penser à des maisons du peuple, ce que je me permets de traduire par
un lieu de propagande idéologique, centré sur une idée prédéfinie du développement et de
l’émancipation féminine ».
« Des foyers dont l’objectif relève d’une vision technocratique du développement. Il s’agit de
réaliser une unité de production rentable, une petite entreprise ».
Tentons d’expliquer cette catégorisation. D’après nos recherches, il existe en effet au Maroc
dans les années 90-2000 plusieurs sortes de structures pouvant être appelés foyers ou centres
féminins :
-des structures dépendant du Ministère de la Jeunesse et des Sports
-des structures de l’Entraide Nationale, appelés centres d’éducation et de formation
-des centres correspondant plutôt à des coopératives féminines
-des centres gérés par des associations féminines militantes
-des centres créés/ appuyés par des ONG et/ou par la coopération technique étrangère
Les foyers féminins du Ministère de la Jeunesse et des Sports sont créés dans les années 60
sous la tutelle de la DAF (Direction des Affaires Féminines). On trouverait aujourd’hui au
Maroc, 286 structures de ce type dans lesquelles s’exerceraient quatre types d’activités :
l’initiation professionnelle (broderie manuelle et mécanique, coiffure, décoration…), des
activités de sensibilisation (santé de la femme et de l’enfant, planification familiale, éducation
nutritive, lutte contre les MST, Code de la famille et du travail…), la lutte contre
l’analphabétisme ainsi que des activités dites « de rayonnement et de conscience » (organisation
de campagnes de sensibilisation auprès des femmes)76.
Quant à l’Entraide Nationale, il s’agit d’une institution privée à l’origine, devenue publique
au début des années 70. Depuis 1998, elle est sous la tutelle du Ministère des Affaires Sociales.
Si l’EN revendique son rôle de premier filet de sécurité créé en faveur des populations les plus
vulnérables, certaines la voient comme une institution ayant été créée à l’époque, pour encadrer
et contenir l’émergence associative que connaît alors le pays. Elle concentre ses efforts sur les
femmes et jeunes filles pauvres. Par le biais de centres d’éducation et de formation (CEF) elle
mène des programmes de formation de base surtout en artisanat, alphabétisation, et préscolaire.
Bien qu’elle comptabilise environ 1900 structures de ce type77, elle semble aujourd’hui faire
face à une forte baisse de la fréquentation de ses centres et à une profonde remise en question.
76
L’ensemble de ces informations sont issues du site du Ministère marocain de la Jeunesse et des
Sports : http://www.mjs.gov.ma/actualites/news.php 77
Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, op.cit., p.78
54
« L’Entraide Nationale est un bateau créé par l’Etat pour contenir le tissu
associatif….beaucoup de gens y ont été intégrés, sans expérience, sans aucune formation ou
sensibilité sociale…les foyers sont aujourd’hui presque vides… »78.
Autre type de structure à destination des femmes, la coopérative féminine est un domaine qui
a connu un essor particulier dans le monde rural marocain. Le nombre de coopératives
féminines est en effet passé de 57 unités avec 972 adhérentes en 1986 à 106 unités avec 4557
adhérentes en 199679. Ces coopératives touchent principalement les domaines de l’artisanat, de
l’aviculture, de l’élevage et de l’apiculture. Nous pouvons en effet parler à ce sujet de petites
« entreprises du développement ». Cette forme d’organisation permet notamment l’accès des
femmes aux micro-crédits.
De plus, des associations militantes œuvrant pour l’empowerment des femmes marocaines,
ont également appuyé la construction de centres féminins. Ceux-ci proposent généralement des
ateliers fondés sur une meilleure connaissance des droits, tels que l’alphabétisation juridique ou
des ateliers autour du nouveau Code de la famille. C’est le cas notamment de l’association
Forum de Femmes Au Rif, qui a initié la construction et l’ouverture de nombreux foyers au
début des années 2000, au moment même où le foyer féminin d’Ouneine était en construction80.
Enfin, le début des années 2000 voit également naître des structures appuyées par la
coopération technique extérieure, dont l’espace multifonctionnel de femmes de Ouarzazate,
financé en grande partie par la coopération belge. La mission de ce centre, créé en 2003, affirme
s’inscrire clairement dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale d’intégration de
la femme au développement. Diverses activités sont menées en faveur des femmes dont la mise
en place de caravanes et ateliers de sensibilisation sur des thématiques d’ordre national
(violences faites aux femmes, lutte contre le sida) ou plus local (scolarisation des filles, travail
des enfants…). Le centre se veut également lieu d’études et de recherches sur la condition des
femmes et les questions de genre.
A travers ces divers exemples issus d’initiatives et de porteurs de projets très différents,
Ministères ou société civile, nous voyons à quel point le foyer féminin d’Ouneine, bien qu’isolé
78
Discussions avec une volontaire internationale chargé de projet dans un foyer féminin au Maroc lors
du Forum « Quartiers du Monde » en octobre 2009 79
Moussa KERZAZI et Taoufik AGOUMY, « Structures sociales et Femme rurale au Maroc », Essai et
Etudes n°39, Rabat, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2004, p. 27 80
Le centre d’émancipation des femmes d’Imzouren en 2001, le Centre d’intégration socioculturel et
laboral des femmes d’Ait Hicham, le Centre de développement humain intégré des petites paysannes de
la région de Souani en 2002, le Centre de promotion et de capacitation des femmes de Mnoud en 2003,
le Club de femmes à Al-Hoceima ou encore le Centre d’orientation et d’accompagnement social et
juridique des femmes en situation difficile.
55
dans sa vallée, s’insère dans une toile d’expériences multiples, constituant autant de reflets de
la pénétration au Maroc, des grands discours sur l’intégration des femmes au développement.
Dans ce chapitre nous avons vu comment la création de l’espace féminin d’Ouneine
s’inscrivait dans un contexte particulier :
-contexte d’un engagement de l’association TARGA dans la vallée depuis plus d’une
vingtaine d’années, et de négociations entre les attentes des femmes et les attentes de l’équipe
-contexte international de questionnement sur l’intégration des femmes au développement
-contexte national de pénétration au Maroc de l’approche « Intégration des Femmes au
Développement », illustrée par la mise en place de nombreux foyers féminins dans les années
90-2000
Tous ces éléments sont autant de clés pour nous permettre de comprendre les conditions
d’émergence de la structure et le fondement des objectifs fixés pour le foyer à son origine.
Essayons maintenant de cerner les impacts mais aussi les difficultés principales que le foyer
féminin d’Ouneine rencontre aujourd’hui, en proposant un regard critique sur les activités et le
fonctionnement du foyer.
56
PARTIE 3
Un espace de transformation ou de « reproduction sociale » ?
Réflexions autour de l’impact et de la viabilité
du projet auprès des femmes
57
Dans cette dernière partie, le cheminement de notre étude nous conduit à la construction d’un
regard critique sur l’impact et les modalités de fonctionnement d’une telle structure. Doit-on
considérer le foyer féminin de la vallée d’Ouneine comme un véritable espace de changements,
un lieu de promotion féminine ? Et si oui, à quelles conditions ? Quels sont les obstacles ou les
moyens que nous pouvons imaginer mettre en œuvre pour la réalisation de ce processus de
changement ?
Pour répondre à ces questions, nous n’avons pas prétention à embrasser la multiplicité des
dimensions que recouvre le fonctionnement d’un foyer féminin. Nous avons plutôt choisi de
nous focaliser sur trois axes principaux, qui constituent autant d’éléments critiques vis-à-vis de
l’expérience locale, et autant de clés de compréhension des difficultés que connaissent de
nombreux foyers féminins aujourd’hui, dans le contexte marocain :
-la question de l’impact de la création d’un espace et du contenu des activités dans la vie des
femmes et par extension dans leur rapport avec les hommes
-la question de la mise en place d’activités génératrices de revenus comme outils au service
de l’autonomisation des femmes
-enfin la question de la pérennisation de la structure
58
1. « Approche IFD » versus « approche Genre » : Impacts
d’un espace dédié aux femmes sans réelle
préoccupation de genre
Pour comprendre l’impact de l’ouverture du foyer ainsi que de ses activités sur la vie des
femmes, nous avons été confrontés au manque d’indicateurs définis préalablement. De plus,
mesurer l’impact d’une telle structure sur l’amélioration des conditions de vie des femmes, sur
des rapports aussi intimes que les relations de genre n’est pas chose aisée. Il est en outre souvent
difficile de faire la différence entre les éléments internes au foyer, et d’autres éléments de
changement intervenus dans le contexte. Cependant, nous pensons que la réalisation d’entretiens
qualitatifs auprès de femmes ayant fréquenté le foyer ainsi qu’auprès des hommes nous fournit
des éléments de compréhension sur les dynamiques complexes de changement social, qui
échappent souvent aux enquêtes quantitatives.
1.1 Impacts d’un espace dédié aux femmes : entre développement de l’estime de soi, ouverture sur l’autre, et constructions de projets personnels…
a. Changement du rapport à l’espace et de l’image de soi
L’installation du foyer a tout d’abord entraîné un changement du rapport des femmes à
l’espace. Nous avons vu dans notre première partie que celui-ci se découpait assez strictement
entre public et privé, et que les femmes, au-delà des temps de discussions dans les douars
n’entraient que très occasionnellement dans l’espace public. Le foyer ayant été construit au
centre de la vallée, les femmes ont peu à peu entrepris de se mouvoir vers ce centre. A côté de
l’école, du dispensaire et du siège de la commune rurale, elles ont désormais leur place, un
espace reconnu socialement, au-delà de l’espace domestique. Le regard des hommes n’était pas
facile au début commentent-elles souvent, lors des entretiens, pourtant, les réticences de ceux-ci
semblent s’estomper avec le temps, et surtout les femmes semblent « oser plus » d’après les
témoignages des animatrices81.
« Les femmes sont beaucoup moins complexées qu’avant…elles osent passer devant les
hommes dans la rue… ».
81
Entretiens auprès des animatrices du foyer réalisés lors de la mission terrain de septembre 2009
59
« Les femmes ont plus de liberté, de mobilité… avant il était impossible que les femmes
se rendent à des mariages à l’extérieur de la vallée, maintenant elles le peuvent… ».
En outre, l’arrivée des femmes au foyer a permis un certain contact avec le monde extérieur
notamment avec les étrangers venant dans le cadre des projets de TARGA82. Pour certaines
personnes interrogées, et notamment le directeur de l’école d’Adouz83, les femmes qui
fréquentent le foyer sont maintenant assez différentes des femmes d’autres douars. Cette
perception est également reprise par un président d’association résident dans un douar éloigné
du foyer.
« Elles n’ont pas peur des étrangers, elles osent parler ».
« Je voudrais qu’un foyer soit implanté dans mon douar car je vois que les femmes chez moi
sont très différentes…plus timides… ».
Au-delà d’une ouverture de l’espace, le foyer a donc également contribué à donner à
certaines femmes une meilleure image d’elles-mêmes. Il est intéressant à ce sujet de voir
comment les femmes se perçoivent entre-elles en effet miroir. Les jeunes filles interrogées
pensent par exemple que les femmes du douar de Dou Souk sont plus autonomes, qu’elles
savent plus de choses car elles se rendent très régulièrement au foyer. De plus, l’ouverture d’un
lieu identifié comme féminin leur donne un sentiment de confiance, et leur donne l’occasion
d’une prise de parole. Une animatrice nous explique que les jeunes filles abordent au cours de
l’atelier d’artisanat divers sujets jugés tabous, dont elles ne peuvent parler avec leurs parents.
Les propos de Sophie CHARLIER84, qui a travaillé sur l’empowerment des femmes en
Amérique Latine dans le cadre de projets d’économie solidaire, vont dans le même sens. Selon
elle, ces espaces doivent permettre aux femmes de partager et débattre sur les questions taboues,
de se renforcer collectivement, avant de porter leurs revendications vers des lieux mixtes.
« Nos enquêtes montrent que pour atteindre un changement sur des enjeux liés aux
relations hommes/femmes inégalitaires, il importe que puisse exister des espaces
spécifiquement féminins, où les femmes se sentent en confiance. Espaces où elles peuvent
partager et débattre des questions taboues, où de manière critique, elles prennent
conscience du mode historique des relations et rôles de genre au sein de leur société. Et
82
Venue de groupes de jeunes lors des mois d’été, venue de stagiaires, étudiants ou volontaires
étrangers dans le cadre des projets de TARGA 83
Nous rappelons que la fraction Adouz regroupe l’ensemble des douars entourant le foyer féminin
d’Ouneine. 84
Sophie CHARLIER, L’économie solidaire au féminin : Quel apport spécifique pour l’empoderamiento des
femmes ? Une étude de cas dans les Andes bolviennes, op. cit., p. 233
60
c’est alors que, sur base de cette prise de conscience critique, elles vont élaborer des
stratégies collectives de changements, et porter ces questions dans d’autres lieux, officiels,
mixtes ».
b. L’alphabétisation comme voix d’émancipation
Cette meilleure image de soi résulte également pour certaines femmes de l’apprentissage de
la lecture et de l’écriture. Nous l’avons vu dans la première partie de cette étude, le taux
d’analphabétisme est approximativement de 78,4% pour les femmes de la commune rurale
d’Ouneine. L’alphabétisation apparaît donc comme un enjeu primordial d’ouverture et
d’émancipation pour ces femmes berbères. Les femmes fréquentant le foyer disent avoir appris
à lire et à écrire l’arabe et ont l’impression d’être plus autonomes notamment dans l’accès aux
moyens de communication85. Elles peuvent désormais mieux utiliser le téléphone ou décrypter
les émissions de télévision. Cette perception est également celle de certains hommes interrogés
à ce sujet. Un commerçant d’Adouz nous a expliqué que les femmes parvenaient à se
débrouiller pour utiliser le téléphone des téléboutiques par exemple, chose qui présentait de
nombreuses difficultés pour elles auparavant86. De même, pour une des animatrices, l’accès des
femmes à l’alphabétisation a changé leurs relations avec leurs enfants. Elles peuvent désormais
aider ceux-ci pour les devoirs du soir87.
c. La formation professionnelle comme opportunité de
formuler des projets de vie
Enfin, cette meilleure image de soi peut résulter de l’apprentissage d’un savoir-faire. Avec
les machines, la réalisation d’articles pour l’artisanat, les femmes ont selon une des animatrices
« pris conscience qu’elles pouvaient être productives dans un sens artistique…qu’elles ne sont
pas justes capables d’apporter de l’eau, ou de faire du pain… ». De plus, l’artisanat est perçu
comme chance pour les filles déscolarisées depuis la fin du primaire. En effet, avant l’existence
du foyer, aucune structure n’était capable d’offrir un espace susceptible d’accueillir ces filles
ayant quitté l’école à la fin du cycle primaire88. Bien que les discours de ces jeunes reflètent leur
faible marge de manœuvre par rapport à l’autorité des parents ou à celle d’un futur mari, la
fréquentation de l’atelier d’artisanat leur donne également l’occasion d’exprimer leurs désirs,
au-delà de l’apprentissage d’une technique. Les jeunes filles essaient de se projeter dans le futur.
85
Rappelons ici que la langue maternelle de ses femmes est le tachelhit langue berbère des Chleuhs du
Moyen et Haut-Atlas 86
Entretiens auprès des hommes réalisés lors de la mission d’octobre 2009 87
Entretiens auprès des animatrices du foyer réalisés lors de la mission de septembre 2009 88
Cf Partie 1 Chapitre 2 sur les facteurs de déscolarisation des jeunes filles
61
Un atelier vidéo réalisé auprès de ces jeunes filles montre comment la fréquentation du foyer
rythme leur quotidien en dehors des tâches qui leur sont normalement assignées, et comment
cette ouverture leur a permis de se projeter un peu plus dans le futur en formulant des idées de
métiers. Safae voudrait apprendre à fabriquer des tapis pour continuer à travailler à la maison et
les vendre. Fatem aimerait « faire de la couture, créer des habits traditionnels et ouvrir un petit
commerce ». Les sœurs K. évoquent l’idée de faire de la coupe leur métier. Une des sœurs
précise cependant qu’elle attend de pouvoir se marier, suivant l’accord de son mari, elle
voudrait faire de la couture ou de la broderie son métier…89
Ainsi, le foyer a permis une ouverture de l’espace pour les femmes, un frottement avec
l’extérieur. Cependant nous pouvons nous demander si cela ne s’est pas fait jusqu’à maintenant,
au détriment d’un questionnement plus profond sur l’organisation de la société et des rapports
sociaux de sexe.
1.2 …au prix du maintien d’une vision sexuée des fonctions et des tâches dans la société locale ?
a. Des objectifs initiaux détournés ?
Comme nous l’avons vu précédemment, le foyer féminin d’Ouneine illustre assez bien la
pénétration au Maroc de l’approche « Femmes et Développement » ou « Femmes dans le
Développement ». Sont privilégiées des activités d’alphabétisation, de sensibilisation ainsi que
de formation. Bien qu’elle ait été mise en avant au début, par les initiateurs du projet, la
dimension politique et citoyenne a été détournée au profit de la formation artisanale ou de la
demande d’activités génératrices de revenus. Les activités qui devaient être alibis ont pris le pas
sur la renégociation du statut de la femme dans la société. Ce détournement des objectifs est
évoqué par le secrétaire général de l’association TARGA-Aide :
« Les objectifs du foyer c’était de restaurer la citoyenneté de la femme, de la repositionner
dans les processus de décision en faisant des activités alibis, or ces activités alibis sont
devenues le fondement »90.
Nous constatons en effet, dans le foyer féminin d’Ouneine, comme dans de nombreux
centres au Maroc, un certain manque d’innovations, de questionnements sur l’organisation de la
société et les rapports sociaux de sexe. Cette reproduction est le fruit des villageois eux-mêmes,
elle est aussi celui des acteurs du développement, qui par peur de résistances ou par
89
Entretiens réalisés auprès des jeunes filles fréquentant le foyer lors de la mission d’août 2009 90
Entretien réalisé à TARGA à Rabat en octobre 2009
62
connaissance d’échecs précédents préfèrent réadapter leur approche et proposer des activités
plus acceptables socialement91.
b. A la recherche d’un véritable sens à donner à
l’alphabétisation
Prenons l’alphabétisation par exemple. On rencontre cette activité dans la plupart des centres
ou foyers féminins du Maroc. C’est l’activité féminine par excellence, bien qu’il existe un grand
nombre d’hommes confrontés à ce même problème. A Ouneine comme ailleurs, on privilégie la
plupart du temps des méthodes traditionnelles et non participatives, centrées sur l’apprentissage
du Coran, et émanant du Ministère de l’Education. D’après une volontaire ayant travaillé dans
un foyer féminin au Maroc, ces méthodes traditionnelles sont dépassées.
« Elles ne prennent pas du tout en compte la réalité des femmes…on fait répéter les femmes,
on fait de l’alphabétisation pour l’alphabétisation…d’ailleurs les classes d’alphabétisation
se vident de plus en plus… ».
La femme y est souvent pensée comme une bénéficiaire, une enfant à qui l’on doit inculquer
un savoir. Pour que l’alphabétisation ait un réel impact dans la vie quotidienne des femmes, et
que celles-ci l’utilisent comme un outil d’émancipation et d’ouverture sur le monde, certaines
associations ont commencé à se tourner vers des méthodes d’éducation populaire fréquemment
utilisées en Amérique Latine auprès des femmes, et qui semblent commencer à porter leur fruit
au Maroc. Cependant ces initiatives semblent encore très rares et les cours d’alphabétisation
traditionnels mobilisent de moins en moins les femmes92.
c. Des ateliers de formation « très féminins »
De même, les ateliers d’artisanat proposés dans la plupart des foyers sont très féminins,
centrés généralement autour de la couture, de la broderie, du tissage. Aucun atelier n’est
proposé sur des thèmes dits techniques et destinés généralement aux hommes comme la gestion
de l’eau, de l’énergie, l’irrigation…Or il faut remarquer que les femmes sont elles aussi
concernées par la maintenance des infrastructures et nouveaux équipements améliorant le
91
Nous avons notamment évoqué cette tendance dans notre deuxième partie concernant la définition
des objectifs du foyer féminin 92
Voir à ce sujet les travaux de Paolo FREIRE sur la question de l’alphabétisation in Henri DORVIL, Problèmes sociaux, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007, 455p, p. 325
63
confort de vie93. Dans d’autres foyers féminins, des associatifs ont essayé de mettre en avant des
activités jugées moins féminines, comme la ferronnerie, mais cela n’est pas chose facile. La
plupart des acteurs de développement remarquent qu’il faut avant tout proposer des activités qui
intéressent les femmes, même si elles ne semblent pas dans un premier temps, interpeler la
division sexuelle du travail existante. Certains présentent cela comme une sorte de stratégie pour
que les femmes acceptent la démarche et pour éviter trop de résistances de la part de la
communauté locale. Cependant, nous remarquons que ce qui devait être stratégie de départ,
s’ancre dans le temps et devient très souvent le fondement du projet.
d. Les femmes et le « care » : une sensibilisation centrée sur la
santé et l’hygiène
La sensibilisation, telle qu’elle est conçue au sein du foyer, met l’accent sur les rôles et
qualités généralement associés à la femme dans la société, les qualités liées au « care »: la
santé, l’hygiène, la nutrition. Ce mot dérive d’un anglicisme qui a fait son entrée dans les
sciences humaines et qui désigne « la sollicitude à l’égard d’autrui et les soins qu’on lui
donne »94. Cela dénote au-delà de l’approche Femmes et Développement, la persistance de
l’approche « Welfare » ou « Bien-Etre » au Maroc. Les femmes sont avant tout des mères, des
sœurs, des épouses. Cependant, nous pouvons nous demander si ces sujets n’ont pas vocation à
être abordés et pris en charge par les deux sexes progressivement. Cela ne peut à l’évidence se
faire de façon brutale, sans susciter aucune résistance, car les rapports sociaux de sexe sont
intériorisés aussi bien par les hommes que par les femmes, et cela depuis toujours. Cela pose
aussi la question de la possible ingérence de l’acteur de développement au cœur de relations
aussi intimes que les relations hommes/femmes. Comme si une certaine « schizophrénie »
habitait les acteurs du développement, d’un côté ceux-ci parlent de l’autonomisation des
femmes, de la renégociation de leur statut, d’un autre, la plupart des projets de développement
liés aux femmes entérinent une division sexuelle des responsabilités de chacun dans la société,
et continuent à faire peser sur les seules épaules des femmes la santé des enfants et de la famille,
la planification familiale, ainsi que l’éducation.
93
Selon le travail de Paola TABET, de tout temps, l’homme s’est saisi des techniques et des outils, et par
ce biais a maintenu son pouvoir et sa domination dans la société, in : Paola TABET, La Construction
sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps, Paris, L’Harmattan, 1998, 206p. 94
Voir au sujet du care l’article de : Catherien HALPERN, « L’Ere du care », Revue Sciences Humaines,
n°200, janvier 2009
64
e. Pertinence d’un espace coupé de son environnement ?
Enfin, cette expérience nous amène à questionner la pertinence d’un espace certes dédié aux
femmes mais quelque peu coupé de son environnement. En effet, la création du foyer n’a pas eu
pour conséquence une plus grande implication des femmes dans les projets de développement
en cours dans la vallée. Généralement, on continue à les cantonner aux thèmes sociaux, sans les
intégrer aux questionnements sur une vision globale du village, sans les faire participer aux
discussions ou aux prises de décisions concernant les affaires publiques. Nous pouvons nous
demander en effet si ce type de structure ne doit pas permettre de renforcer les femmes pour
qu’elles puissent à terme, discuter avec les hommes des projets de développement en cours. En
outre, les acteurs du développement travaillant auprès des femmes doivent se demander si un
foyer féminin peut faire l’impasse d’un travail de sensibilisation, de concertation avec les
hommes, et de recherches pour mieux comprendre la division sexuelle du travail ainsi que les
relations hommes/ femmes. Faire le point sur le temps de travail des femmes, sur la répartition
des responsabilités au sein du ménage, comme nous l’avons fait dans la première partie de notre
étude, permet aux acteurs de développement de mieux adapter les projets aux difficultés et
besoins des femmes et des hommes, et de mieux agir sur les leviers susceptibles d’aller dans le
sens de plus d’égalité.
« Dans les projets récents de développement, on s’est rendu compte que l’efficacité d’un
projet conçu à l’origine pour accroître l’autonomie des femmes s’est notablement
améliorée lorsque l’on a inclus les hommes dans le programme de sensibilisation, car on a
pu tirer parti de la division du travail, et des modalités de coopération existant entre
femmes et hommes »95.
1.3 Représentations et discours des acteurs du développement autour du concept de genre ; la persistance de confusions entre projets « genre » et « femmes »
Pour mieux comprendre cette faible prise en compte du genre, il nous semble intéressant de
nous attarder un instant sur les différentes visions concernant ces approches au sein de
l’association TARGA. Les éléments discursifs nous permettent ainsi de mieux comprendre cette
fois-ci, non le monde des « développés », mais celui des « développeurs » et la réalité des
projets que ceux-ci mettent en place96. Nous avons demandé à quelques salariés et membres de
95
Anne-Marie GRANIE, Hélène GUETAT-BERNARD, Empreintes et inventivité des femmes dans le
développement rural, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2006, p. 55 96
Voir à ce sujet le travail de Laetitia ATLANI DUAULT, Au bonheur des autres, Anthropologie de l’aide
humanitaire, Paris, Société d’ethnologie, 2005, 200p.
65
l’association ce qu’ils pensaient de l’intégration des femmes au développement, et de l’approche
genre97.
« Dans le contexte marocain, je pense que c’est important d’impliquer les femmes au
développement…mais il ne faut pas oublier que c’est quelque chose qui se met en place tout
seul…On a une image un peu faussée, on pense que la femme est écrasée et soumise…mais
dans l’intimité, elle a sa part des choses à dire…le genre, c’est un « bling bling », les
bailleurs de fonds demandent toujours comment sont intégrées les femmes, ils imposent une
vision occidentale des choses…en milieu urbain cela peut être un outil mais dans le monde
rural, le choc culturel est trop important pour mener cette approche correctement… je
pense que le fait de s’être concentré sur les femmes a étouffé le foyer».
« Notre association se préoccupe d’intégrer les femmes au développement…dans les phases
de diagnostic, la place des femmes est prise en compte à travers des focus groupe et des
enquêtes…quand on dit genre, c’est redonner la place aux femmes dans leur
environnement…c’est comme leur dire : « on se rend compte de l’effort que vous
faites »…si les inégalités existent il faut un rééquilibrage même si c’est difficile au niveau
biologique … ».
« Dans chaque action, nous essayons d’intégrer les femmes en prenant en compte le
contexte socio-économique….mais on a l’impression qu’il faut forcer la dose avec les
bailleurs…c’est une sorte de mode, il y a presque des mots clé à mettre…pour qu’un projet
soit politiquement correct, il faut qu’il mette en évidence l’action envers les femmes…selon
les bailleurs aujourd’hui, l’approche genre c’est essayer de mettre en évidence des actions
spécifiques aux femmes, ou faire une discrimination positive…or je pense que l’approche
genre devrait contribuer à repositionner les femmes dans le processus de développement, je
peux avoir un projet dans l’intérêt des femmes qui se fasse avec les hommes… ».
Le premier point que nous avons remarqué est que les personnes interrogées ne font pas
toujours la différence entre une approche « intégration des femmes au développement » et une
approche « genre ». Genre signifie pour la plupart, ou du moins pour les bailleurs, se focaliser
sur les femmes. Selon eux, cette vision émane des bailleurs de fonds qui insistent dans chaque
projet sur la place accordée à la femme. Point de financement sans intégration du mot genre ou
femme pourrait-on dire…Pour les personnes interrogées cela conduit à intégrer ce concept à la
façon d’un mot de passe pour les financements. Jeanne BISILLIAT parle à ce sujet d’un
détournement, d’une neutralisation du genre. Florence DEGAVRE évoque un « concept
97
Entretiens réalisés à TARGA à Rabat auprès de salariés et membres de l’association, octobre 2009
66
compromis » 98. Les bailleurs et acteurs du développement désigneraient ainsi tous les projets
liés aux femmes.
« Le mot est à la mode, cependant sa définition devient protéiforme, change et se
transforme. Le plus souvent il est tout simplement utilisé à la place du mot femme/ sexe, ce
qui lui confère un avantage certain sur le plan de la bienséance....double esquive, on
remplace le mot femme/sexe, qui ne fait pas très sérieux par le mot genre qui, à son tour,
perd sa signification profonde liée au pouvoir, à l’égalité… »99.
Enfin, il aurait été intéressant de faire le même travail auprès des animatrices qui sont le
relais entre l’association et les femmes sur le terrain. Faute de temps, et de traduction, nous
n’avons pas pu réaliser ce même entretien auprès d’elles. Pourtant, nous devons remarquer que
lors de discussions informelles, une des animatrices a expliqué que sa définition de la femme
était le foyer, c'est-à-dire l’espace domestique. Cette remarque pose la question de la formation
de ces relais, entre l’association et les femmes, que sont les animatrices. Comment mener à bien
un projet visant la négociation du statut de la femme lorsque certaines animatrices ne sont pas
formées, et n’ont pas été amenées à se questionner sur les rapports sociaux de sexe existants ?
98
Voir également au sujet du détournement du concept « Genre » le travail de Florence DEGAVRE,
Enjeux du développement dans les contextes Nord, Le rôle des femmes dans le care et la reproduction du
lien social, op.cit., p.91 99
Jeanne BISILLIAT, Regards de femmes sur la globalisation, Paris, Karthala, 2003, p.156
67
2. Les « Activités Génératrices de Revenus » : outils
d’émancipation des femmes ou nouveau concept
magique des « développeurs » ?
A la fin des années 90, lorsque la construction du foyer débute, les discours sur
l’émancipation des femmes par l’accès à la sphère économique sont loin d’être dépassés. On
brandit souvent les activités génératrices de revenus ainsi que les micro-crédits comme de
nouveaux étendards de la promotion féminine dans les pays du Sud. Il faut souligner que la mise
en place d’une activité génératrice de revenus n’était pas le but premier du foyer féminin à son
origine. Pourtant, il a vite été décidé que le foyer devait proposer une AGR, d’une part pour
motiver les femmes, d’autre part pour que le foyer puisse assurer une partie de son financement.
Dans ce chapitre, en partant de l’expérience locale du foyer, nous essayons d’analyser les
origines, les difficultés de mise en place, et l’impact que peuvent avoir des activités génératrices
de revenus auprès de la population féminine.
2.1 Du bien fondé des AGR : entre discours internationaux et désirs de femmes
a. Quand les institutions internationales prônent l’activité
économique des femmes du Sud
Dans les années 90, les institutions internationales et les grands discours sur les femmes et le
développement ne manquent pas de rappeler que l’insertion économique est l’avenir de la
femme. D’après Annie VEZINA, ces discours vont de pair avec la notion de
« responsabilisation des pauvres» 100. Selon ce paradigme, ce sont les pauvres eux-mêmes qui
doivent se sortir de leur situation de pauvreté.
« Cette logique est devenue, depuis 1993, la pierre angulaire des programmes de la Banque
Mondiale. Selon cette perspective, le développement est appréhendé sous le seul angle
économique, autrement dit, les individus sont considérés en fonction de leur contribution
productive à la société »101.
Nous pouvons trouver tout un discours moral autour des femmes et de leur gestion de
l’argent, ainsi qu’un discours autour de « bons pauvres » et de « mauvais pauvres ».
100
Annie VEZINA, « La micro-entreprise, une technique d’assujettisement des femmes dans le dispositif
de développement », Altérités, n° 3, janvier 2002, p.9 101
Ibid.
68
« …les bons pauvres sont ceux qui feront tous leurs efforts pour mériter ce qu’on met à leur
disposition pour accéder au marché salvateur : crédit, formation technique, et même droits
de propriété dont, dans les années 90, la Banque Mondiale a souligné l’importance »102.
Les femmes pauvres se prêteraient plus particulièrement à ce type d’activités car elles sont
jugées plus responsables que les hommes, plus enclines à rembourser dans le cas des micro-
crédits.
« Le paradigme de la viabilité financière, où les femmes sont un groupe cible en raison de
l’efficacité des remboursements s’articule autour de l’empowerment économique à savoir
un élargissement des possibilités des choix individuels et une indépendance financière
accrue »103.
Au-delà de la notion de responsabilisation des pauvres, il y a donc également l’idée
d’empowerment. Par les activités économiques, les femmes pourraient prendre une partie du
pouvoir et parvenir par ce biais à transformer peu à peu la réalité sociale et la division du travail
qui les encadrent. Dans le cas d’AGR ou micro-projets, s’il n’est pas question de mettre en
évidence l’efficacité des remboursements, nous pouvons également trouver un discours sur
l’indépendance financière des femmes comme condition de leur émancipation, d’accès à un
meilleur statut et à plus grand pouvoir de décision au sein de la communauté. Par la femme,
garante du bien être familial, on souhaite également améliorer les conditions de vie des familles
pauvres.
b. Les discours et désirs des femmes : « Montre moi la terre dont je puisse extraire de l’argent ».
Les femmes ont complètement intégré ces discours et revendiquent leur droit d’avoir une
activité rémunérée. « Montre-moi la terre dont je puisse extraire de l’argent »104 fut la réponse
d’une femme africaine à une question posée sur la réalité de sa vie et les difficultés qu’elle
rencontrait. Au Maroc, nous pouvons dire que le discours des femmes est très souvent le même.
A Ouneine, nous avons interrogé quelques femmes et jeunes filles à ce sujet : « Selon vous est-il
important que les femmes aient une activité rémunérée ? »105.Toutes disent vouloir exercer une
102
Bruno LAUTIER, « Pourquoi faut-il aider les pauvres ? Une étude critique du discours de la Banque
mondiale sur la pauvreté », Revue Tiers Monde, n° 169, pp.137-165, 2002, p.151 103
Bérangère MARQUES PEREIRA et Florence RAES, « Genre, Femmes et Développement », In Firouzeh
NAHAVANDI, Repenser le développement et la coopération internationale, Paris, Karthala, 2003, p. 154 104
Jeanne BISILLIAT, Christine VERSCHUUR, Genre et économie, un premier éclairage, Cahiers Genre et
Développement, 2001, p.25 105
Entretiens réalisés auprès des jeunes filles fréquentant le foyer durant la première mission à Ouneine
en août 2009
69
activité rémunérée pour être plus autonomes et pouvoir effectuer leurs propres achats. Selon
Fatem, jeune fille de 15 ans, avoir une activité rémunérée lui permettrait « d’avoir un avenir
meilleur »106. Quant aux sœurs K. elles se disent motivées par tout type d’activités qui
pourraient leur procurer un peu d’argent pour pouvoir acheter ce qu’elles veulent. Amina de son
côté voudrait devenir couturière pour travailler avec une machine à coudre à la maison et gagner
un peu d’argent. Dans les entretiens avec les femmes plus âgées, la question des AGR revient
également très souvent. Fadma voudrait gagner de l’argent pour « aider ses filles qui font leurs
études à Marrakech »107. Enfin, la plupart des femmes disent avoir été très déçues par l’échec
du projet apicole108. La principale motivation des femmes pour se rendre au foyer serait, selon
elles, une nouvelle activité génératrice de revenus109.
2.2 Les contraintes de mise en place et de fonctionnement
a. Contraintes et sanctions sociales
A travers l’expérience locale, revenons sur les contraintes auxquelles doivent faire face les
femmes dans la mise en place d’AGR. Nous avons identifié plusieurs types d’obstacles : les
obligations familiales, les résistances des hommes, un certain manque d’investissement ou
d’anticipation de l’ONG d’appui et enfin la concurrence du marché national et international.
Dans un premier temps, il est nécessaire de remarquer que les contraintes familiales sont très
importantes. Très souvent, lorsqu’elles veulent s’investir dans des AGR les femmes manquent
de temps à cause de la multiplicité des tâches qu’elles effectuent déjà dans l’espace domestique
ou à l’extérieur. Le déroulement de la journée de travail des femmes dans le contexte
d’Ouneine, dans notre première partie, nous donne une idée du temps très court qui peut être
imparti à d’autres activités, bien que cela varie, comme nous l’avons précisé, en fonction de la
composition des foyers. Ce manque de temps est renforcé par la quasi inexistence de services
sociaux dans ces régions isolées. En effet, le manque de crèches, la faiblesse des structures de
santé, le manque de service de gérontologie, pèsent en premier lieu sur les épaules des femmes,
et les empêchent souvent de dégager du temps pour s’investir dans d’autres activités. En
témoignent ces paroles de femmes.
« Les activités des hommes sont plus prospères, car ils disposent de plus de temps. Ils
peuvent vendre des marchandises partout dans la rue. J’ai des contraintes. Je ne peux pas
106
Entretiens réalisés lors de la première mission à Ouneine en août 2009 107
Entretien réalisé auprès d’une habitante du douar de Dou Souk lors de la mission de septembre 2009 108
Nous reviendrons sur ce projet dans les paragraphes suivants 109
D’après la lecture des entretiens réalisés par Nour el Houda HABIB et Nadège OLLAGNIER en juillet
2009
70
voyager ou partir de la maison pendant longtemps : je ne peux pas vendre de la
marchandise n’importe où »110.
A ces obligations familiales peuvent s’ajouter un certain nombre de résistances ou de
sanctions sociales. D’un côté, la perception par les femmes de ce qui est faisable et socialement
acceptable les limite elles-mêmes dans ce qu’elles décident d’entreprendre, d’un autre, elles
peuvent parfois rencontrer la résistance des hommes. Pour illustrer ce point, prenons l’exemple
du projet piscicole destiné aux femmes d’Ouneine. Cette expérience est intéressante même si
elle ne concerne pas directement les femmes se rendant au foyer féminin. L’activité piscicole a
démarré à la fin des années 90, par la construction d’un bassin d’élevage de poissons. Est alors
prévue la constitution d’un groupe de femmes, responsable de cette unité et leur formation à la
gestion et l’élevage de cette production. La mise en place de cette activité suscite cependant très
vite les réticences des hommes. Ceux-ci émettent en effet certaines réserves à voir leurs femmes
s’occuper directement de cette unité. De plus, ils estiment que la gestion revient de droit aux
chefs de foyer car ce sont eux qui ont le droit sur l’eau111 et par conséquent la propriété des
bassins. La gestion de l’unité de production des truites devient donc problématique. Finalement,
les femmes sont mises à part et l’activité est abandonnée.
« D’un point de vue technique, cette expérience est une réussite, mais sur le plan
organisation et gestion de cette unité de production, c’est une impasse. Les hommes de la
Jmaa112 ont mis leur véto quant à la création d’une coopérative féminine pour la charge de
cette activité »113.
Cet exemple n’a pas vocation à désigner les « bons » et les « mauvais » de l’histoire, ni à
faire des femmes des victimes incessantes de l’oppression masculine. Elle illustre cependant la
nécessité pour les acteurs du développement de se pencher plus profondément, dès la phase
d’identification d’un projet d’AGR, sur les rapports sociaux régissant la société, sur les
questions des fonctions, responsabilités, droits alloués à chaque sexe, pour se donner les moyens
d’agir graduellement sur ces données.
110
Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, op.cit., p 67 111
Projet TARGA-Ouneine, Rapport d’Etat d’avancement n°10, janvier à juillet 1999, Rabat, IAV Hassan
II, p.10 112
La Jmaa correspond à l’assemblée locale des habitants d’un douar ou d’une collectivité gérant une
terre commune 113
Ibid.
71
b. Un certain manque d’investissement et d’anticipation de la
part des acteurs de développement
Il est assez fréquent que les ONG appuyant ce type de projets mettent de côté un travail
essentiel d’identification, d’étude de faisabilité en amont. Dans le cadre du foyer féminin,
l’échec du projet apicole illustre à notre avis ce phénomène. Des ruches ont été achetées pour
que les femmes puissent développer une AGR autour de l’apiculture, d’une part pour acquérir
des revenus, d’autre part pour le financement du foyer féminin. Cependant, la question de la
nécessité de la transhumance liée aux conditions climatiques de la vallée n’avait pas réellement
été envisagée dès le départ. Le problème de la transhumance rejoint alors celui du manque de
mobilité des femmes. En effet, peu de femmes auraient été assez disponibles et susceptibles de
se déplacer régulièrement à l’extérieur de la vallée, du moins dans un premier temps.
Cette expérience pointe également la problématique de la formation aux AGR, que ce soit
pour les femmes ainsi que pour les animatrices. Pour le projet apicole, les femmes du foyer
n’ont reçu qu’une courte formation de quelques jours. Dès lors, il est impossible d’imaginer que
les femmes puissent prendre en main la totalité du processus. Cette activité demande en effet de
vraies connaissances et compétences techniques. De plus, c’est une activité généralement
réservée aux hommes dans la vallée. En outre, il faut noter le flou, en matière de gestion et de
rémunérations, qui accompagne parfois ce type de projets. Les acteurs du développement
conçoivent généralement ces projets non pour le simple but économique, mais pour que les
femmes par ce biais se réinvestissent d’un pouvoir de décision, de gestion collective. Cette
intention est certainement louable, cependant elle nuit souvent aux femmes, qui, faute d’avoir
été suffisamment accompagnées dans les projets, perçoivent souvent les échecs comme autant
de signes de la fatalité. Nous l’avons vu lors de nos entretiens, beaucoup de femmes se disaient
déçues de l’échec du projet apicole qui avait suscité en elles de nombreuses attentes.
c. La concurrence du marché national et international
Au-delà de la question de l’accompagnement, il y a celle de la commercialisation des
produits. A Ouneine, les femmes fréquentant l’artisanat ont ouvert une boutique pour
commercialiser quelques produits localement et ainsi générer des revenus pour les réinvestir
dans d’autres activités. Elles avaient ainsi confectionné des tapis, vêtements, et articles de
broderie. Au bout de quelques mois, l’expérience s’est soldée par une fermeture du magasin car
les habitants de la vallée n’achetaient pas. Dans un grand nombre de foyers féminins, il semble
que l’on retrouve ce problème de la difficulté d’écoulement des articles, en particulier
concernant les productions artisanales. En effet, ces produits se retrouvent en concurrence
directe avec d’autres produits issus du marché national ou international et souvent à bien
moindre coût. Il faut donc réfléchir à d’autres productions, ou d’autres moyens de les écouler à
72
l’extérieur, mais cela demande du temps et surtout un investissement très important en termes
d’études de marché, d’étude de faisabilité et d’accompagnement de la part des acteurs du
développement qui entourent ces projets.
2.3 Un impact contesté
Enfin, lorsque les femmes ont dépassé ces nombreux obstacles, il est nécessaire de se
demander quel peut être le véritable impact de ces activités génératrices de revenus. Le travail
des femmes s’accompagnerait-il d’une transformation de la division du travail et de la
distribution du pouvoir au sein du ménage ?
Concernant les impacts positifs que pouvait avoir la mise en place d’espaces féminins , nous
avons cité la construction d’une image positive de soi, la possibilité de partager collectivement
les problématiques liées aux femmes et de pouvoir les porter sur la scène publique, celle de
pouvoir remettre en cause progressivement l’organisation traditionnelle du travail, ou encore
celle de pouvoir augmenter le niveau de vie de la famille à travers une contribution monétaire.
Cependant, il nous semble important de relativiser cet impact. Il n’est pas forcément évident, en
effet, que le travail des femmes ait nécessairement pour conséquence un nouveau partage des
tâches ou des décisions au sein du ménage.
a. L’émancipation au prix d’une double journée?
Pour relativiser cet impact, nous pouvons aborder dans un premier temps la question du
double travail des femmes. En effet, il n’est pas sûr que la participation des femmes aux AGR
s’accompagne d’une redistribution des tâches au sein de leur foyer. Les hommes que nous avons
rencontré disent qu’ils sont prêts à aider leur femme, si celle-ci à trop de travail ou si celle-ci est
malade. De leur côté, les femmes nous disent qu’elles sont prêtes à s’investir dans des activités
économiques tout en continuant à remplir toutes leurs tâches. Une des femmes rencontrées nous
explique qu’elle pourrait se rendre libre tous les après-midi et s’occuper des tâches domestiques
« la nuit s’il le faut »114. Or, il est légitime de se demander si la mise en place d’une AGR peut
être jugée pertinente lorsqu’elle s’accompagne d’une double journée de travail pour les femmes.
L’acteur de développement se demande alors quel est le prix à payer pour l’émancipation
économique des femmes. S’agit-il d’un double travail momentané qui s’accompagnera
progressivement d’une redistribution des tâches ou s’agit-il au final d’un nouvel
assujettissement de la femme comme le suggère Annie VEZINA115 ?
114
Entretiens auprès des femmes réalisés lors de la deuxième mission à Ouneine en septembre 2009 115
Annie VEZINA,«La micro-entreprise : une technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif
de développement »,op. cit.
73
b. Peut-on parler d’amélioration de la situation économique ?
De plus, il est nécessaire de questionner le véritable impact de ces activités en termes
d’amélioration de la situation économique. En effet, une évaluation de l’agence américaine pour
le développement (USAID), effectuée à la fin des années 90, démontre que les projets
générateurs de revenus pour les femmes (en général des micro-entreprises) parviennent
rarement à améliorer la situation économique des participantes116. En effet, d’autres questions
entrent en compte lorsque l’on parle d’amélioration de la situation économique. Le personnel
des ONG qui appuient ces initiatives doit en effet se demander qui commercialise, qui prend les
décisions et qui contrôle les ressources.
A Ouneine par exemple, si une nouvelle AGR est mise en place dans le cadre du foyer
féminin, les femmes ne peuvent commercialiser leurs produits au souk. Nous avons vu dans
notre première partie que seules les femmes veuves avaient accès à cet espace d’échanges et de
commerce. Les femmes ont donc toujours besoin d’un intermédiaire homme pour vendre les
produits ou acheter la matière première. Cette question ne se pose pas partout au Maroc. Nous
avons notamment évoqué les souks féminins du Rif central ou encore les souks mixtes où la
présence des femmes est prédominante. Cela démontre cependant qu’il est impossible de
« copier- coller » des projets de développement ou des structures, indifféremment des contextes,
même au sein d’un même pays.
De même, au-delà de la commercialisation, il paraît important de poser la question du
contrôle des ressources. Dans le cas où une AGR fonctionne ; Qui a droit à la parole et à la prise
de décision ? Qui va détenir l’argent ? Qui sera susceptible de gérer le panier ? De nombreuses
enquêtes montrent que dans le cas des projets de micro-finance, les femmes ne contrôlent pas
toujours l’utilisation des bénéfices obtenus et que les hommes de la famille influencent
fortement celle-ci117. Une enquête sur le micro-crédit au Bangladesh a montré que 22% des
femmes investies dans des projets de micro-finance n’avaient aucun contrôle sur les bénéfices
engendrés, et que 18% de celles-ci contrôlaient complètement cet argent, laissant environ 60%
des femmes à des degrés de contrôle divers118.
116
Travaux de la chercheuse Eva RATHGEBER cités in Aurélie DAMAMME, Le genre à l’épreuve du
développement au Maroc, discours et pratiques concernant la place de la femme dans les projets, op.cit.,
p. 296 117
Au sujet de l’impact du micro-crédit sur les femmes, voir également l’article d’Elisabeth HOFMANN et
Kamala MARIUS-GNANOU, « Le micro-crédit pour les femmes pauvres, solution miracle ou cheval de
Troie de la mondialisation ? », in Jeanne BISILLIAT (dir.), Regards de femmes sur la globalisation :
approches critiques sur la mondialisation, op.cit., p.8 et p.14 118
Naima CHIKHAOUI, Reducing the Gender dimensions of Poverty. Microfinance: Policies and Practices,
United Nations and MAEC, Rabat, p.10
74
c. Quels effets sur les rapports sociaux de sexe ?
Plus largement, nous devons nous interroger au sujet des multiples effets de l’insertion
économique des femmes sur les rapports sociaux de sexe. Annie VEZINA présente ainsi
l’expérience d’une femme dominicaine, chef d’une micro-entreprise qui décide de céder son
travail à son mari pour se consacrer à son foyer119. Elle montre comment pour ces femmes, la
position dans les rapports familiaux, la préoccupation pour l’amélioration de l’habitat ou pour la
consommation alimentaire de la famille, continue à primer sur la maximisation des bénéfices de
leur entreprise. Finalement, céder son entreprise à son mari apparaît comme le seul moyen de ne
pas compromettre son rôle de mère et de conserver l’image de chef de famille de son mari.
D’autres femmes élaborent des stratégies pour sous-évaluer leur travail et ne pas heurter
l’image du chef de famille, pourvoyeur des revenus du ménage. Meriem RODARY a observé ce
phénomène de « camouflage des revenus » chez des femmes de Marrakech120. Enfin, dans
certains contextes, il a été observé que « l’argent des femmes » peut être la source de conflits au
sein du ménage. A l’origine de ces conflits ou violences, il y a souvent la remise en cause des
statuts inhérents au sexe dans la société. Des études menées dans des foyers où les femmes sont
bénéficiaires de micro-crédits font parfois état de violences physiques ou psychologiques vécues
par les femmes121. Ces quelques exemples mettent bien en lumière la nécessité pour les acteurs
de développement non de renoncer à la mise en place de tout type d’activités génératrices de
revenus, mais d’intégrer les stratégies de genre ainsi que la compréhension des représentations
sociales dans leurs réflexions et leurs projets, en particulier lorsqu’il est question d’argent.
Comment renforcer une forme de coopération conjugale pour éviter les conflits liés à la
gestion de l’argent, tout en ne détournant pas les revenus des femmes ? Comment transformer
peu à peu les représentations liées à la division sexuelle du travail et permettre aux femmes
d’accéder à la prise de décision économique sans engendrer de conflits au sein des ménages ?
Telles sont les questions que peuvent se poser ceux et celles qui accompagnent les femmes sur
ce terrain des activités économiques. Enfin, nous voudrions souligner que le développement
d’une activité économique ne s’accompagne pas pour autant d’un accès à la prise de décision, et
à l’intégration politique des femmes. Or, actuellement, dans de nombreux foyers ou centres
féminins au Maroc, nous avons l’impression que cette quête difficile de l’autonomisation
économique ne s’accompagne pas d’une autre quête parallèle, basée sur les droits, sur
119
Annie VEZINA, « La micro-entreprise : une technique d'assujettissement des femmes dans le
dispositif de développement », op. cit., p.12 120
M. RODARY, « Argent des femmes et honneur des hommes au Maroc : un quartier de
Marrakech», pp. 117-130, in A.GESTIN, R-M LAGRAVE, E.LEPINARD, G.PRUVOST(dir.), Dissemblances-
jeux et enjeux du genre, L'Harmattan, Paris, 2002,238 p. 121
Naima CHIKHAOUI, Reducing the Gender dimensions of Poverty. Microfinance: Policies and Practices,
Ibid., p.10
75
l’apprentissage de la citoyenneté et un renforcement de l’accès à la vie politique.
76
3. ONG d’appui cherche désespérément autonomisation
de la structure locale…
Cette question de l’autonomisation nous est apparue cruciale par rapport à l’expérience du
foyer féminin d’Ouneine. Cela fait maintenant presque six ans que le foyer féminin est en
activité et le financement se termine. Cette expérience locale pose la question de
l’autonomisation et de la pérennisation de ce type de structures. L’ONG de développement n’a-
t-elle pas vocation à se retirer pour ne plus « faire à la place de », mais former pour laisser-faire,
et surtout préparer son retrait ? Dans ce type de contexte, cette autonomisation est-elle
possible ? Et à quelles conditions ?
Selon nous, cette question de l’autonomisation peut être liée à de multiples enjeux dont :
-celui de la participation des femmes
-celui de la gestion locale de la structure et de l’accompagnement vers l’autonomisation par
l’ONG d’appui
-celui du financement et de la possibilité de pouvoir trouver des relais institutionnels, qu’ils
soient territoriaux ou nationaux
3.1 La « participation des femmes » : entre leurre des « développeurs » et idéal à atteindre
La participation des femmes nous paraît être un élément important à atteindre pour la
viabilité d’un projet comme celui du foyer féminin. Les discours des institutions internationales
et des acteurs du développement sont aujourd’hui plus que jamais friands de l’emploi de ce
concept ; Un développement durable ne peut se faire sans la participation des hommes et des
femmes, on évoque les termes de « démarche participative », de « diagnostic participatif »,
d’ « évaluation participative »… La participation des populations est la « garantie de l’efficacité
d’un projet »…Nous nous demandons ici ce que recouvre ce concept, et surtout dans quelle
mesure peut-il être pertinent et applicable à l’expérience que nous proposons d’étudier.
Pour certains chercheurs et analystes du développement, ce concept est galvaudé et peut
parfois prendre les traits d’un mot vide de sens, ou d’un garant de la bonne conscience des
acteurs du développement. Parmi les préjugés véhiculés par les intervenants des organisations
77
de développement, J. P. OLIVIER DE SARDAN évoque en effet celui de la « communauté
villageoise consensuelle »122.
« L’idéologie du consensus villageois masque les multiples divisions et antagonismes qui
structurent les paysanneries africaines et les organisations collectives qui en sont
issues…contradictions de type statutaire…compétitions liées aux facteurs de
production…ou aux enjeux de pouvoir…voire rivalités plus fluides, interpersonnelles, ou
mettant en jeu des réseaux formels ou informels… »123.
Comme il existerait l’esprit collectif des villages africains, il y aurait le Maroc des
communautés berbères où la vision collective primerait sur l’individuel, où les femmes, parce
qu’elles sont femmes se sentent d’emblée liées par une même communauté d’intérêts. Selon cet
anthropologue du développement, cette vision est issue d’une culture occidentale où se
confondent une tradition chrétienne et socialiste. Or, cette notion du collectif n’est pas si
évidente. Une femme rencontrée à Ouneine évoque notamment l’échec d’une initiative de
création d’une association féminine. Il s’agissait de donner une somme pour créer une sorte
d’entraide entre les femmes et pour payer un instituteur. Cependant, selon Fadma, ce projet n’a
pas fonctionné car « il est difficile de trouver un accord entre les femmes…il n’y a pas de
conscience de groupe… »124.
Soizick CROCHET évoque cet « obscur objet du désir, la participation communautaire »125.
Ce concept serait trop largement employé et prôné, sans prise en compte de la réalité des
sociétés locales. Elle évoque notamment une forme de leurre des acteurs humanitaires à
solliciter la participation communautaire dans des territoires où la famille nucléaire et l’individu
prime sur le collectif126. Nous avons également souvent entendu dire qu’il est difficile de
mobiliser les femmes, que c’était un problème de mentalité, de tradition, qu’elles ne prennent
pas d’initiatives. Cependant, nous pensons que derrière ces discours simplificateurs, il y a de
multiples freins à leur participation sur lesquels il convient de revenir. Dans un premier temps,
nous évoquons la problématique du temps des femmes. Comme nous l’avons vu dans la
première partie de notre étude, en fonction du nombre de femmes présentes dans le foyer,
celles-ci peuvent travailler entre 8h et 18h par jour ce qui laisse à beaucoup d’entre elles, peu de
temps pour une réelle participation à la gestion du foyer féminin. A cela il faut, à notre avis,
122
J. P. OLIVIER DE SARDAN, Anthropologie du développement : Essai en socio-anthropologie du
changement, op. cit., p.60 123
Ibid. p.62 124
Entretien réalisé auprès d’une femme du douar de Dou Souk en septembre 2009 125
Soizick CROCHET, « La participation communautaire », in Rauny BRAUMAN, Utopies sanitaires, Paris,
Fayard/ Le Pommier, 2000, p.47 126
Soizick CROCHET évoque le cas des interventions de MSF au Cambodge, pays où l’approche
« communautaire » est loin d’être évidente.
78
ajouter le problème de leur « autolimitation », leur autocensure pour effectuer certaines tâches
ou endosser des responsabilités. En effet, les femmes ont plus fréquemment tendance à se
concevoir comme bénéficiaires que comme possibles actrices des projets.
En outre, pour compléter la question de l’autocensure, nous ajoutons celle de la faible offre
de formation. Certes, la plupart des foyers proposent des cours d’alphabétisation, des ateliers de
d’artisanat, mais nous ne trouvons que très rarement des ateliers sur le renforcement
d’associations ou de groupements féminins, sur la création d’associations, sur le leadership
féminin…autant d’éléments qui sont susceptibles d’accompagner les femmes qui le souhaitent
et qui le peuvent dans une démarche pérenne de reprise en main de la structure. Enfin, nous
devons noter parfois la faiblesse de leur réelle prise en compte tout au long des différentes
phases du projet. Durant les phases d’identification, les femmes sont souvent interrogées, à
travers de multiples entretiens. Cependant les objectifs et les indicateurs de résultats sont le plus
souvent définis par les acteurs de développement. En cours de projet, les femmes ne sont pas
forcément consultées. Lorsque l’on arrive à la phase d’évaluation, le fait de ne pas avoir
réellement défini les indicateurs avec les femmes rend cette évaluation limitée en termes de
participation. Finalement, nous avons le sentiment que les femmes sont consultées au début,
mais qu’on ne les sollicite que très rarement au cours du projet pour en réadapter les objectifs ou
le contenu, si le besoin s’en fait sentir. Dans le cas particulier de notre étude, nous pouvons
imputer ce faible suivi dans la prise en compte des femmes à un manque de référent stable pour
le foyer féminin, au siège de l’association.
A travers cet exemple, nous pouvons remarquer que même s’il existe un espace dédié aux
femmes, et que les acteurs du développement souhaitent idéalement que celles-ci prennent
progressivement en main la gestion de la structure pour la rendre pérenne dans le temps, cette
participation féminine ne peut être décrétée. D’une part, le sentiment communautaire ne va pas
de soi, d’autre part, les femmes sont confrontées à de multiples obstacles qui freinent cette
participation.
3.2 Gestion locale, ressources humaines et accompagnement vers l’autonomisation
Outre la problématique de la participation des femmes pour répondre à l’objectif
d’autonomisation et de viabilité d’un foyer féminin, se pose également celle de l’organisation de
la structure, de la régulation du pouvoir en son sein, ainsi que du suivi-évaluation par
l’organisme d’appui. Qui dirige ? Comment ? Ces personnes sont-elles qualifiées ?
Formées pour prendre le relais ?
79
A Ouneine, nous devons noter que le foyer féminin fonctionne sous la responsabilité d’une
directrice qui est aussi animatrice auprès des femmes. Cependant, nous observons, comme dans
de multiples cas nous ayant été relatés au Maroc, une récupération du pouvoir par cette direction
fréquemment au détriment des femmes. Les personnes ayant un niveau d’éducation au-dessus
de la moyenne locale ont en effet parfois tendance à instaurer une gestion autoritaire sans souci
de gestion d’équipe ou de consultation régulière des femmes fréquentant la structure. Ce
pouvoir donné doit pouvoir être contrebalancé par un suivi régulier par l’ONG d’appui et
surtout par une série de formations en gestion d’équipe et travail de coordination. Le problème
se pose dans une moindre mesure lorsque la structure dédiée aux femmes émerge d’une
association créée auparavant. Dans ce cas, le pouvoir de direction au sein du centre peut être
rééquilibré par la présence de cette association de femmes. Nous voyons ici l’importance pour
l’ONG d’appui de travailler en amont d’un tel projet sur une structuration des femmes entre
elles et non sur le renforcement de la seule personne déjà qualifiée.
L’autre problème repéré parallèlement est celui de la disponibilité des compétences et de la
formation des ressources humaines pour faire fonctionner une telle structure en se détachant peu
à peu de l’ONG de départ. Nous remarquons en effet un très faible niveau d’instruction du
personnel dans de nombreuses structures comme celle du foyer féminin. En milieu urbain, ces
foyers destinés aux femmes peuvent fonctionner sur l’apport du volontariat. Au contraire, dans
les zones rurales, il est difficile de trouver du personnel qualifié et volontaire pour s’engager
durablement dans ces zones si enclavées du pays. Ce personnel n’est parfois pas formé au
management d’équipe, à la gestion du cycle de projet et moins encore à l’informatique et à la
comptabilité. Or, il paraît évident que pour assurer la continuité de ces structures, ce type de
compétences soit indispensable. Les organisations de développement accompagnant ces projets
doivent donc se montrer vigilantes et penser les modalités de leur retrait dès le début du projet.
Elles doivent en effet porter une attention particulière à la préparation de leur départ, en
prévoyant, au-delà des activités proposées, d’accompagner les responsables locaux ainsi que les
femmes à travers une série de formations visant au renforcement de leurs capacités : gestion,
cycle de projet, management d’équipe…Ceci peut en effet se faire dans le cadre d’un travail en
réseau et d’un partage d’expériences et de formations entre plusieurs foyers ou centres féminins.
3.3 La problématique du financement et des relais institutionnels
Enfin, il convient de remarquer que la préparation du retrait de l’ONG ne peut faire
l’impasse d’un questionnement sur le financement futur de la structure ainsi que sur la
possibilité de trouver des relais du côté des structures publiques : délégations des ministères
concernés, collectivités locales…En effet, n’est ce pas le rôle de l’ONG que d’être vecteur
80
d’une expérience pilote, laboratoire d’expériences, avant de pouvoir passer le relais lorsque cela
devient possible ?
Du côté du financement, de nombreuses organisations de développement ont tendance à se
focaliser sur la mise en place d’activités génératrices de revenus comme condition de
l’autofinancement de la structure. Or, comme nous l’avons vu, ces AGR subissent de
nombreuses contraintes et ne permettent pas forcément de dégager des bénéfices importants. De
plus, lors de nos rencontres avec des coordinatrices d’autres foyers ou centres féminins, nous
avons pu remarquer que les centres féminins s’autofinançant entièrement étaient très rares. A
titre d’exemple, parmi les centres féminins appuyés par l’association Forum de Femmes au Rif,
seul un centre est aujourd’hui entièrement financé par les bénéfices d’une coopérative de
couture montée par des femmes. Il faut cependant noter que le contexte est tout à fait différent
de la vallée d’Ouneine, puisqu’il s’agit une zone périurbaine où les difficultés de
commercialisation sont tout à fait moindres. A Ouneine, il est par conséquent très difficile
d’imaginer dans un futur proche que les activités des femmes puissent participer à
l’autofinancement complet de la structure.
Finalement, au cours de notre expérience, nous avons eu tendance à nous demander si la
recherche d’autonomisation financière de telles structures étaient réellement possible, voire
souhaitable. Difficilement possible, car il semble que les projets économiques portés par les
femmes soient toujours de faible ampleur et productivité étant donné la prédominance de leur
rôle de mère et d’épouse et les difficultés de commercialisation ; Pas toujours souhaitable, dans
le sens où il ne s’agit pas de surcharger les femmes de travail et de leur faire endosser, au-delà
des charges familiales, la responsabilité totale de l’autofinancement d’une structure censée
pouvoir les accompagner vers plus d’émancipation. A partir de ce constat, certaines ONG ont
pris l’option de ne fonctionner pour leurs centres féminins que sur la base de financements
internationaux. Or, nous devons souligner le caractère fragile à terme d’un tel choix.
Qu’adviendra t-il de ces structures lorsque les fonds internationaux ne seront plus là, ou
lorsqu’ils se seront déplacés vers d’autres problématiques peut-être plus en vogue dans le futur ?
Selon nous, l’objectif de pérennisation de ces structures doit susciter un vrai travail de
capitalisation d’expériences, d’échanges de connaissances, de mise en réseau, d’une part avec
les acteurs associatifs travaillant sur les mêmes thématiques, d’autre part avec les acteurs
institutionnels. Une structure comme celle-ci doit en effet pouvoir compter sur un travail de
concertation et un appui financier de la commune par exemple, ainsi que sur l’aide des
ministères concernés. Nous avons vu l’enchevêtrement existant au Maroc entre structures du
Ministère de la Jeunesse et des Sports, structures de l’Entraide Nationale sous la responsabilité
du Ministère des Affaires sociales, structures mises en place par des ONG, ou associations
81
féminines militantes. Au regard de notre expérience, nous avons eu parfois l’impression que les
foyers ou centres à destination des femmes étaient le fruit d’une forme de course concurrentielle
entre ces diverses entités, sans penser le temps de l’évaluation, du retour sur expérience, de la
compréhension des échecs. Or, presque 10 ans après l’ouverture de ces structures, il est temps
de se demander comment les adapter, comment les pérenniser et les moderniser, à la lumière des
expériences multiples, qu’elles soient étiquetées « échec » ou « réussite ».
82
Conclusion
A travers cette étude nous avons dans un premier temps essayé d’analyser la pertinence d’un
espace social féminin au regard d’une aire géographique, et d’une population particulière. Il
nous a paru intéressant de nous concentrer sur la situation des femmes, leur rythme de travail
ainsi que sur leur difficulté d’accès à la sphère publique, qu’elle soit économique ou politique.
Au regard de ce territoire, de ce public particulier et des relations sociales décrites, la création
d’un foyer permettant la reconnaissance d’un d’espace social féminin paraissait dés lors une
approche assez pertinente. En outre, nous avons tenté de comprendre quels pouvaient être les
points d’ancrage de cette structure, ses conditions d’émergence. Nous avons vu que la création
de ce centre féminin se situait à la rencontre des attentes d’une équipe associative, des désirs
exprimés par les femmes, des initiatives d’autres foyers féminins dans le pays ainsi que de la
pénétration au Maroc des grands courants de pensée liant les femmes et le développement. A cet
égard, il nous a semblé important de relever que le foyer féminin d’Ouneine était assez
représentatif d’une approche « Intégration des Femmes au Développement » se concentrant sur
les femmes à travers des projets axés sur les activités génératrices de revenus, la formation
professionnelle, l’alphabétisation. L’approche « Bien Etre », mettant en avant les questions
d’hygiène, de santé, de nutrition, semblait également continuer à imprégner ce type de projet.
Nous avons vu qu’une telle structure avait de multiples impacts et contribuait à changer peu
à peu la vie quotidienne des jeunes filles et des femmes qui la fréquentaient. En effet, la création
d’un espace leur étant dédié leur permettait d’accroître quelque peu leur mobilité, de se rendre
visibles, de prendre progressivement possession d’une espace jusque là entièrement réservé aux
hommes. Le choix du lieu proche de l’école, du siège de la commune ainsi que du dispensaire
leur permettait également de se rapprocher des centres de décisions. En outre, l’alphabétisation
ainsi que la formation aux techniques d’artisanat contribuaient à modifier l’image que ces
femmes avaient d’elles-mêmes. Cependant certaines limites nous sont également apparues quant
au fondement et au fonctionnement de cette structure. Il nous semble en effet que le foyer
féminin d’Ouneine comme de multiples foyers féminins au Maroc porte en lui aujourd’hui les
limites d’une approche seulement axée sur les femmes, une approche frileuse de s’ouvrir sur
l’extérieur et de questionner les rapports sociaux de sexe. Comment, en effet, répondre à un
objectif de renégociation du statut des femmes dans la société locale sans travailler au contact
des hommes ou des plus jeunes? De plus, très souvent, ces approches mettent en avant des
activités économiques comme condition de l’émancipation des femmes, en laissant de côté toute
dimension politique ou citoyenne.
83
Enfin, pour conclure notre propos, nous pensons que la modernisation, la réadaptation, voire
la reconversion des foyers féminins marocains, se trouve aujourd’hui à la croisée de multiples
enjeux et engagements :
-Une meilleure prise en compte des rapports sociaux de sexe, de la division du travail dans la
société locale, de l’approche genre dans toutes les étapes du processus d’avancement d’un tel
projet
-La nécessité d’une réflexion plus globale sur la mise en place d’aménagements permettant
de réduire le temps de travail des femmes : adduction d’eau, aménagements sanitaires et
sociaux, crèches collectives
-Un accompagnement et un suivi renforcés de la part des ONG ou structures d’appui dans la
formation et le renforcement des capacités des femmes et du personnel d’animation notamment
lorsqu’il est question d’AGR
-Une réflexion approfondie sur les possibilités de mettre en œuvre une véritable insertion
politique et citoyenne des femmes en parallèle à la dimension économique généralement
privilégiée
-Enfin, une meilleure diffusion et partage d’expériences, et une volonté de travail en réseau
entre structures publiques de différents ministères, projets de la société civile ou de la
coopération étrangère
84
Bibliographie Ouvrages/ Articles127 Laetitia ATLANI DUAULT, Au bonheur des autres, Anthropologie de l’aide humanitaire,
Paris, Société d’ethnologie, 2005, 200p.
Nadira BARKALLIL, Genre et activités économiques au Maroc, Livre Blanc, Secrétariat d’Etat chargé de la Famille, de l’Enfance et des Personnes Handicapées, 2005.
Aïcha BELARBI (dir.), Femmes rurales, Casablanca, Editions Le Fennec, 1995. Driss BEN SAID et Mokhtar EL HARRAS, Les Mutations sociales et culturelles dans la
campagne marocaine, Rabat, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 2002, 351p. Jeanne BISILLIAT, Regards de femmes sur la globalisation : approches critiques sur la
mondialisation, Paris, Karthala, 2003, 316p. Jeanne BISILLIAT, Christine VERSCHUUR, Genre et économie, un premier éclairage,
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Henry DORVIL, Problèmes sociaux, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007,
455p. Mokhtar El HARRAS, « Féminité et masculinité dans la société rurale marocaine : le cas
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127
Nous avons également mis dans cette catégorie les thèses publiées.
85
Elisabeth HOFMANN, Kamala MARIUS-GNANOU, « Le micro-crédit pour les femmes
pauvres, solution miracle ou cheval de Troie de la mondialisation ? », in Jeanne BISILLIAT (dir.), Etat du débat Regards de femmes sur la globalisation : approches critiques sur la mondialisation, Karthala, 2003, 316p.
Moussa KERZAZI et Taoufik AGOUMY, « Structure sociale et femme rurale au Maroc »,
Essai et Etudes n°39, Rabat, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 2004, 118p. H. LAALA HAFDANE, Les femmes marocaines. Une société en mouvement, Paris,
L’Harmattan, 2003, 267p. Bruno LAUTIER, « Pourquoi faut-il aider les pauvres ? Une étude critique du discours de la
Banque mondiale sur la pauvreté », Revue Tiers Monde, n° 169, pp.137-165, 2002. B. MARQUES-PEREIRA, F. RAES, « Genre, femmes et développement », pp. 141-159, in
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Jean Pierre OLIVIER DE SARDAN, « Anthropologie et développement. Essai en socio
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86
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Document de communication et d’information sur l’action de l’association TARGA-Aide
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Diplomatique, 1994 : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/berberes1994 Ministère de la Jeunesse et des Sports : http://www.mjs.gov.ma/actualites/news.php PNUD : http://hdr.undp.org Tanmia/ Portail du développement marocain : http://www.tanmia.ma/
87
Concepts clés
Approche spécifique « Women Empowerment » : cette approche spécifique cherche à
répondre de manière ciblée aux besoins particuliers des femmes en vue d’améliorer leurs
conditions de vie et leur donner un meilleur pouvoir et contrôle des ressources matérielles ou
immatérielles.
Intégration des Femmes au Développement : désigne un courant liant femme et
développement, reconnaissant la part importante jouée par les femmes dans le développement.
Les projets qui en découlent mettent l’accent sur les activités économiques des femmes, et ce
qui peut améliorer leurs conditions d’existence : santé, alphabétisation…
Genre : à la différence du mot sexe qui procède d’une identité biologique, ce mot renvoie à
la définition des rôles assignés par la société aux hommes et aux femmes. Dans le domaine du
développement, l’approche genre doit permettre la prise en compte de ces rapports sociaux de
sexe pour mieux adapter les projets à la réalité et aux besoins de chaque individu en vue de plus
d’égalité.
Mainstreaming: signifie littéralement « Intégration au courant principal » ou « approche
intégrée ». Cette approche vise à intégrer dans toutes les étapes du projet un questionnement sur
l’impact de celui-ci aussi bien chez les hommes que chez les femmes, et sur leurs relations.
Welfare Approach: cette approche se concentre sur la femme avant tout comme mère et
épouse. Elle privilégie des projets axés sur la santé, l’éducation des enfants, la nutrition…
88
Sigles
ADMF: Association Démocratique des Femmes du Maroc AGR : Activités Génératrices de revenus CEDAW: Committee of the Elimination of Discrimination Against Women EN : Entraide Nationale GED: Genre et Développement IFD/ FED: Intégration des Femmes au Développement/ Femmes et Développement ONU: Organisation des Nations Unies ONG: Organisation Non Gouvernementale RGPH : Recensement Général Population et Habitat
Table des tableaux et illustrations
Figure 1- Echantillon de femmes et jeunes filles enquêtées Figure 2- Vue de la Vallée d’Ouneine Figure 3- Populations berbères en Afrique du Nord Figure 4- Structure du PIB de la commune rurale et part en pourcentage des activités Figure 5- Type d’habitat caractéristique de la vallée d’Ouneine Figure 6- Participation des enfants, par milieu, à l’activité économique et domestique Figure 7- Horloge journalière de travail des femmes d’un foyer, douar d’Agadir N’aït Nacer Figure 8- Composition d’un foyer avec activité principale et secondaire pour chaque
membre, douar d’Agadir N’aït Nacer
89
Table des annexes
Annexe 1- Guide des entretiens à l’usage des femmes et jeunes filles fréquentant le foyer
Annexe 2- Guide d’entretien à l’usage des hommes des douars de provenance des femmes
Annexe 3- Guide d’entretien à l’usage du personnel et membres fondateurs de TARGA
90
Annexe 1
Entretiens auprès de jeunes filles fréquentant le foyer féminin
Objectif : mieux saisir l’impact des activités du foyer dans la vie quotidienne des jeunes
filles en fonction des objectifs initiaux définis pour le foyer féminin
1. Questions générales sur les changements du contexte et les principales
difficultés dont souffrent les femmes et jeunes filles d’Ouneine
1.1Quels sont pour vous les changements les plus importants qui ont changé la vie dans la
vallée ces cinq dernières années ?
1.2Cela a-t-il changé votre quotidien ?
1.3Cela a-t-il changé le quotidien des hommes ?
1.4Quels sont selon vous les principaux problèmes et besoins fondamentaux des femmes de
la vallée ?
1.5Au-delà de la question du foyer quels progrès de base pourraient diminuer leur charge de
travail et améliorer leurs conditions de vie ?
2. Objectif 1 : Acquérir des compétences dans les activités manuelles : tissage,
broderie, tapis, cuisine…
2.1Quelles sont les innovations culinaires, en termes de couture...introduites ayant un lien
avec les apprentissages reçus?
2.2En quoi la formation reçue au foyer a changé les pratiques habituelles de la jeune fille au
douar et dans sa maison?
2.3Désireriez-vous en faire un métier par exemple ?
2.4Avez-vous un projet personnel ?
2.5Voudriez-vous apprendre d’autres techniques ?
3. Objectif 2 : Apprendre à lire, écrire, compter, calculer
3.1Etes-vous encore à l’école ? Si non pourquoi avez-vous arrêté ? …
3.2Qu'est ce que le fait de savoir, lire, écrire, compter a changé dans votre vie quotidienne?
Lire un journal, suivre les informations à la TV, participé au calcul des dépenses du ménage… ?
3.3Qu’aimeriez-vous apprendre en complément de l’enseignement reçu à l’école ?
91
4. Objectif 3 : Acquisition d’habitudes liées à l’hygiène, la diététique, et
l’équilibre alimentaire
4.1Avez-vous des notions d'hygiène, de diététique, d'équilibre alimentaire? Cuisinez-vous
différemment?
4.2 Y’a-t-il des thèmes qui sont difficiles à aborder avec vos parents, que vous voudriez
aborder au sein des activités du foyer ?
5. Objectif 4 : Se situer dans le temps et l’espace, définir son identité, ses
fonctions et ses tâches
5.1Se définir par rapport aux autres femmes :
Qu’est ce qui différencie les femmes d’Ouneine des femmes du reste du Maroc ? Des
femmes de la ville ? Qu’est ce qui les différencie en positif ? En négatif ?
5.2Se définir par rapport aux hommes :
Croyez-vous en l’égalité des sexes ? Pensez-vous qu’elle existe réellement ? Cette égalité
concerne t-elle tous les domaines ? Par quoi peut-elle être limitée ? Sentiment de domination ?
D’exploitation ? Quelle est l’origine de cette domination selon vous ?
5.3Se définir par rapport à sa place et ses fonctions dans la société :
Comment qualifier votre place dans la société locale ? (importante ? pas importante ? en
quoi ? par rapport à qui ? fonctions, tâches…) Êtes-vous fière de vous ? Est-il important
d’exercer une activité rémunérée ? Laquelle ?
6. Objectif 5 : Apprentissage de compétences transversales : Négociation,
Communication, Expression
6.1Négociation :
Lorsque vous rencontrez un problème d’injustice comment le résolvez-vous ? Possibilité de
recours à la médiation, à la justice, de s'organiser collectivement pour défendre sa position ?
Exemple du divorce, d’un problème de violence…
Les ateliers que vous avez suivis au foyer vous ont-ils appris quelque chose dans ce
domaine ? Seriez-vous intéressée par des formations sur les droits des femmes ? La réforme de
la moudawana par exemple ?
6.2Communication :
Pensez-vous que vous ayez accès aux moyens de communication? Est-il facile pour vous de
communiquer avec l'extérieur?
92
Seriez-vous intéressée par un travail en réseau avec d’autres foyers féminins par exemple ?
Échanges ? Rencontres ?
6.3Expression :
Le foyer féminin vous a-t-il permis de participer à des spectacles, des expositions, des
ateliers radio, vidéo, des ateliers artistiques ?
Seriez-vous intéressée par ce type d’activités ?
93
Annexe 2
Entretiens auprès des hommes des douars de provenance des femmes
Objectif : Mieux saisir la perception des hommes ainsi que la division sexuelle du
travail et de l’espace
Info
rmat
ions
gené
rale
s
Age
Lieu de résidence
Niveau d’instruction
Situation familiale
Activité principale/ Place dans l’activité principale et activité secondaire
1.Id
entit
é,
perc
eptio
n,
imag
e de
la
fe
mm
e et
de
l’hom
me
Comment décrivez-vous la femme d’Ouneine ? Par rapport à d’autres zones
rurales du Maroc ? par rapport aux femmes de la ville ? en positif ? en négatif ?
Y’a-t-il des problèmes dont souffre la femme d’Ouneine ? des besoins
particuliers ? en matière de santé ? d’éducation ? de travail ?
Quels sont vos besoins à vous ?
Pour vous quelles sont les fonctions et les tâches de la femme ?
Le foyer féminin a-t-il changé l’image que les femmes ont d’elles
mêmes ?ou que vous avez des femmes ? En quoi? Comment ?
2.P
erce
ptio
ns
rapp
orts
ho
mm
es
fem
mes
Que signifie pour vous l’égalité hommes/ femmes ? Croyez-vous en l’égalité
hommes/ femmes ?
Si vous croyez en l’égalité doit-elle concerner tous les domaines ? Sinon
pourquoi?
Existe-t-elle au quotidien ?
Le foyer féminin a-t-il changé la relation avec votre femme ? comment ?
3.D
ivis
ion
sexu
elle
du
trav
ail
Quel travail les femmes accomplissent-elles ? les hommes ? Y a-t-il des
tâches que les femmes ne peuvent pas faire, pourquoi ?
Aidez-vous votre femme pour certaines tâches ? lesquelles ?
Le travail des femmes est-il rémunéré ? lorsque vous percevez des bénéfices
de votre activité qui gère la caisse ?
Serait-il important selon vous que les femmes aient une activité rémunérée ?
qu’elles puissent disposer de l’argent qu’elles gagnent ?
Si votre femme exerce une activité rémunérée vous organiseriez-vous pour
partager certaines tâches ? lesquelles ?
Le foyer féminin a-t-il changé la participation des femmes à la maison ?
94
4.E
duca
tion/
san
té
Pour vous est-il important que votre femme, vos filles sachent lire, écrire ?
Pourquoi?
Vos filles sont-elles allées au collège ? Pourquoi ? avez-vous encouragé la
scolarisation de vos filles ?
Si la femme a suivi les cours d’alphabétisation, le fait que votre femme
sache lire ou écrire a-t-il changé vos relations ?
Quels sont les problèmes de santé dont peut souffrir votre femme ? Y’a-t-il
des problèmes de santé dont elle n’ose pas parler avec l’infirmier ?
5.
Cito
yenn
eté
/ E
xpre
ssio
n /
Pris
e de
déc
isio
n
Que pensez-vous des femmes qui participent à la vie économique ? qui se
rendent aux souks ? Accepteriez-vous que votre femme se rende au souk pour
vendre ses productions ? Qui s’occupe du panier?
Comment voyez-vous la participation des femmes au conseil communal ?
Selon les domaines, qui prend les décisions au sein de votre foyer ?
S’il y a avait une activité de théâtre au foyer, seriez-vous d’accord pour que
votre femme/ fille participe ?
Que penseriez-vous d’ateliers organisés au foyer portant sur la prise de
décision, la citoyenneté ?
6. C
once
rnan
t spé
cifiq
uem
ent l
e fo
yer
Selon vous quel est le rôle du foyer ? ses objectifs ? Pensez-vous qu’il soit
important qu’il existe un espace dédié aux femmes ? Que pensez-vous de la
présence des enfants au foyer ?
Pensez-vous qu’il contribue à améliorer la situation des femmes ?
Comment ? Percevez-vous des changements dans la vie de votre femme ? Dans
vos relations avec elle ? Est-ce que vous communiquez plus ?
Pourquoi certaines femmes ne participent pas ? Pensez-vous que les
hommes ont des réticences par rapport au foyer ?
Comment pourrait-on améliorer le fonctionnement du foyer ? Quelles
activités ? quelle gestion ? Faudrait-il le fermer pendant quelques temps pour ré
impulser une dynamique ? Quelle serait votre perception par rapport à la
fermeture du foyer ?
Avez-vous des propositions pour l’autofinancement du foyer ?
Pensez-vous que cet espace puisse être ouvert aux hommes ?
Seriez-vous intéressé pour participer à certaines activités ? lesquelles ?
Exemple de l’alphabétisation ? Quel moment de la journée ?
Seriez- vous intéressé par des ateliers de formation en agriculture ? Ou par
des ateliers de sensibilisation sur le code de la famille… ? Sur la santé ?
95
Annexe 3
Entretiens auprès du personnel et membres fondateurs de l’association TARGA-Aide
Objectif : Compléter notre compréhension des conditions d’émergence du foyer
féminin, de ses difficultés, et saisir les perceptions des personnes interrogées par rapport à
l’intégration des femmes au développement et aux questions de genre.
1. Quels sont selon vous les éléments déclencheurs qui ont conduit à l’idée de
foyer féminin ?
2. Selon vous s’agit-il d’une expérience innovante au Maroc ? Y’avait-il d’autres
foyers féminins au Maroc dont vous vouliez vous démarquer ?
3. Quel était selon vous l’objectif du foyer au départ ?
4. Y’a-t-il eu détournement de ces objectifs et si oui pourquoi ?
5. Pourquoi selon vous les différentes AGR n’ont pas fonctionné ?
6. Que signifie selon vous, « intégrer les femmes au développement » ?
7. Que signifie selon vous, « l’approche genre » ?
8. Pensez-vous que ce soit un outil utile/pertinent pour les projets de
développement ?
96
Table des matières Remerciements......................................................................................................... 2
Sommaire ................................................................................................................. 4
Synthèse................................................................................................................... 5
Introduction ............................................................................................................. 6
Méthodologie ........................................................................................................... 8
PARTIE 1 ................................................................................................................. 13
Éléments de compréhension du contexte et de la population cible .......................... 13
1. Présentation du contexte général de l’étude ........................................................... 14
1.1 Aire de l’étude : milieu, population, identité ....................................................................... 14 1.2 Données socio-économiques concernant la commune rurale d’Ouneine .......................... 17
2. Diagnostic de la situation des femmes et essai d’analyse ......................................... 21
2.1 Un faible accès à la scolarisation et à l’alphabétisation ....................................................... 21 2.2 Un accès limité aux infrastructures de base et aux services de santé en particulier ........... 23
3. Division du travail et de l’espace selon le sexe ......................................................... 25
3.1 « Travail de femme » et « travail d’homme » ...................................................................... 25 3.2 Quand la répartition des fonctions contribue à diviser l’espace .......................................... 32
PARTIE 2 ................................................................................................................. 36
La création d’un espace social féminin, entre enjeux locaux, initiatives nationales et paradigmes internationaux .................................................................................... 36
1. A l’initiative du projet : l’association TARGA-Aide et son travail dans la vallée
d’Ouneine ...................................................................................................................... 37
1.1 Une histoire associative fortement liée à la vallée d’Ouneine ............................................. 37 1.2 Les projets de TARGA à Ouneine : les femmes oubliées ? .................................................... 39
2. De la naissance de la structure à la définition des objectifs de départ ...................... 41
2.1 Historique du foyer, entre désirs des femmes et choix stratégiques de l’association ......... 41 2.2 Vers un choix d’objectifs « politiquement et socialement corrects » ?................................ 43
3. La création du foyer : mise en perspective entre paradigmes internationaux et
initiatives nationales ...................................................................................................... 48
3.1 Au niveau international : des objectifs qui reflètent les grands courants de pensée liant
femmes et développement ? ............................................................................................................. 48 3.2 Au niveau national, entre plan d’action d’intégration des femmes au développement et
initiatives similaires de foyers féminins ............................................................................................. 51
PARTIE 3 ................................................................................................................ 56
Un espace de transformation ou de « reproduction sociale » ? ................................ 56
Réflexions autour de l’impact et de la viabilité du projet auprès des femmes ........... 56
1. « Approche IFD » versus « approche Genre » : Impacts d’un espace dédié aux femmes
sans réelle préoccupation de genre ................................................................................ 58
1.1 Impacts d’un espace dédié aux femmes : entre développement de l’estime de soi,
ouverture sur l’autre, et constructions de projets personnels… ...................................................... 58 1.2 …au prix du maintien d’une vision sexuée des fonctions et des tâches dans la société
locale ? 61 1.3 Représentations et discours des acteurs du développement autour du concept de genre ;
la persistance de confusions entre projets « genre » et « femmes » ................................................ 64
97
2. Les « Activités Génératrices de Revenus » : outils d’émancipation des femmes ou
nouveau concept magique des « développeurs » ? ......................................................... 67
2.1 Du bien fondé des AGR : entre discours internationaux et désirs de femmes ..................... 67 2.2 Les contraintes de mise en place et de fonctionnement...................................................... 69 2.3 Un impact contesté .............................................................................................................. 72
3. ONG d’appui cherche désespérément autonomisation de la structure locale… ......... 76
3.1 La « participation des femmes » : entre leurre des « développeurs » et idéal à atteindre 76 3.2 Gestion locale, ressources humaines et accompagnement vers l’autonomisation ............. 78 3.3 La problématique du financement et des relais institutionnels ........................................... 79
Conclusion .............................................................................................................. 82
Bibliographie .......................................................................................................... 84
Concepts clés .......................................................................................................... 87
Sigles ..................................................................................................................... 88
Table des tableaux et illustrations .......................................................................... 88
Table des annexes .................................................................................................. 89
Table des matières ................................................................................................. 96