Download - Inactivité - le corps au quotidien - Mémoire de fin d'étude DSAA design produit - École Boule - 2014
Inactivité
MALTA Benoît
Mémoire réalisé pour l’obtention
du D.S.A.A. Design produit
École Boulle.
Janvier 2014.
Le corps au quotidien
Sommaire
Préface 7
Introduction 16
I/ Rapport 19
contemporain au corps
a) L’avénement d’une société sédentaire, effet secondaire de l’industrialisation
b) Constitution d’un modèle véhiculé par la société
c) L’intrusion du sport dans l’habitat
d) De l’activité non sportive à une nouvelle activité domestique
II/ Pour une nouvelle perceptiondu corps 42
a) De l’inconfort naît le mouvement
b) Pratiquer son corps différemment
c) Nos usages et habitudes
III/ Vers le projet 64
a) L’enjeux du projet
b) Des objets adaptés à une nouvelle dynamique de vie
Conclusion 76
Annexes 80
Rencontre avec le Centre National de la Danse Rencontre avec Loïc Lauzis Kinésithérapeute
Bibliographie 92
19
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32
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42
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7
Inactivité Le corps au quotidien
Tout au long du siècle, la vision du corps dans notre
société n’a cessé d’être en perpétuelle mutation. Passant
de l’idée de l’aliénation la plus totale - celle du corps
machine que l’on trouve chez Zola dans Germinal ou
encore chez Chaplin dans Les temps modernes - à la
vision contemporaine que nous en avons, celle d’un
capital bien-être à entretenir, d’un corps glorifié et
sanctifié. Cette conception du corps en fait aujourd’hui le
point central de notre existence, comme nous l’explique
Yannis Constantinidès, philosophe français, dans Le nouveau culte du corps1. Le corps a gagné presque quarante
ans d’espérance de vie en un siècle, et cela n’est pas sans
effet sur les rapports que nous entretenons avec lui. Il
était le « tombeau de l’âme » pour Socrate, la source du
péché pour les chrétiens, ce dont il fallait apprendre à
se détacher parce qu’il nous vouait à la souffrance, à la
maladie et à la mort. Le corps n’est plus notre ennemi, il
est aujourd’hui l’objet de toutes nos convoitises et de nos
désirs. Nous demandons à la science et aux technologies,
mais aussi au droit et à la politique, de l’entretenir et de
le protéger, au sport d’augmenter sa puissance, à la mode
de l’embellir, au cinéma de le glorifier... Tant de choses
mises en œuvre dans le but de nous faire vivre le plus
longtemps possible dans des conditions idéales.
Néanmoins, à notre époque, les rapports que nous
entretenons avec le corps sont très paradoxaux.
Préface
1.Constantinidès Yannis, Le nouveau
culte du corps, Francois Bourin éditeur, Janvier
2013
8
Préf
ace
L’homme devient de plus en plus schizophrène, partagé
entre deux formes contemporaines d’hédonisme qui
tendent, d’un côté à faire disparaître toutes tâches
physiques de notre quotidien et de l’autre à entraîner le
corps dans un rythme frénétique d’activités physiques à
travers une quête permanente de performances pour son
bien-être. Nous avons d’une part l’idée qu’il faut se faire
plaisir à tout prix et cela passe donc, pour être heureux,
par la nécessite de s’affranchir de tout effort ou exercice
physique contraignant et imposé. D’autre part, nous
avons l’idée que le corps en pleine forme, performant
et compétitif, est une source de bien-être contribuant
au bonheur. Nous avons donc deux représentations du
bonheur à partir de la recherche du plaisir et du bien-être
mais à travers une quête commune nous en arrivons à
des attitudes opposées. Là est le problème. « Paressons en
toutes choses, hormis en aimant et en buvant, hormis en
paressant. »1 Ce faisant Paul Lafargue, sociologue français,
dénonçait l’idée de « l’amour du travail » et donc de la
souffrance qu’implique le capitalisme. Il soutenait l’idée
que nous devons jouir de notre corps, jouir de ne rien
faire et non de l’assujettir.
Plus que tout, l’évolution des technologies a
favorisé un rythme de vie où la place du corps a été
reconsidérée. Révolution industrielle, mécanisation,
automatisation, numérisation, domotique etc, nous
1. Lafargue Paul, Le droit à la
paresse, édition mille et une
nuits, mars 1994
Bay Michael, No pain No gain, Paramount, Sortie en Août 2013
1110
Inactivité Le corps au quotidienPr
éfac
e
ont permis de nous affranchir de nombreuses tâches
pénibles et ennuyeuses, de rendre nos conditions de
vie plus agréable en autorisant le corps à se reposer et
en substituant la technologie à la pénibilité physique de
tâches laborieuses. Avec la naissance d’un hédonisme
contemporain, l’abolition des tâches et la suppression du
déplaisir sont devenues une quête de notre existence :
il faut se faire plaisir et pour cela il faut éviter de
contraindre le corps à l’effort, à l’exercice physique
ou encore à la fatigue. Nous remarquons néanmoins
que si ces évolutions ont participé à l’amélioration
de notre cadre de vie, elles ont tout autant contribué
à la disparition d’une activité corporelle dans notre
quotidien. Jean Baudrillard1 dans Le système des objets définit cette révolution comme « le commencement
d’une vie de contemplation, contemplation de la
puissance et de la technologie, où le corps est spectateur
de ce qui lui arrive ». Le corps est peu à peu tombé
dans un sommeil musculaire. Il ne produit plus de
mouvement. Entre film de science- fiction et théorie
transhumaniste, on rêve de pouvoir tout piloter par la
pensée sans avoir à soulever le petit doigt. Les avancées
technologiques nous le permettront certainement un
jour mais qu’en sera-t-il alors du corps? La caricature
futuriste du monde que nous montre le film d’animation
Wall E des studios Pixar, sorti en 2010, ne serait-elle pas
finalement en train de nous arriver : un corps réduit à
être simplement l’enveloppe de notre esprit ? L’inactivité
serait-elle en phase de devenir l’un des syndromes de
notre époque ?
Dans le but de combattre la propagation de ces
comportements, les plus hautes instances nous poussent
aujourd’hui à pratiquer une activité sportive ou physique
quotidienne. Messages publicitaires omniprésents,
les médias
nous agressent
d’informations,
de chiffres et de
spots, préconisant
une « pratique sportive quotidienne pour notre santé ».
Les médecins prescrivent du sport ou de la gymnastique
pour guérir des maux que l’inactivité entraîne. De ce fait,
le sport prend aujourd’hui une toute autre tournure. Si
le sport pouvait nous apparaître comme un plaisir, le
jeu du défoulement du corps, il est devenu une activité
quasi-médicale, un remède contre le vieillissement, un
outil au service du bien-être. Mais même s’il est louable
d’avoir une activité sportive pour des raisons de santé,
« les trente minutes d’exercices par jour » préconisées
ne remédient en rien à l’inactivité au quotidien. Cette
injonction apparaît également comme quelque chose
d’impossible à suivre, au regard de nos modes de vie dans
L’inactivité serait-elle en phase de devenir l’un des syndromes de notre époque ?
1.Baudrillard Jean, Le système
des objets, édition Galimard, 1968,
p78
13
Inactivité Le corps au quotidien
la société contemporaine. Cette activité est simplement
une compensation, un substitut à court terme qui permet
durant un cours instant de prendre en considération
notre existence physique et, pour certains, de se donner
bonne conscience.
Nous pourrions aussi interpréter ces messages publici-
taires d’une manière complètement différente en nous
demandant pourquoi la société nous pousse réellement
aujourd’hui à faire du sport. On répondra que c’est
question de santé mais pas seulement.
En l’occurrence, la question du sport paraît aussi forte-
ment liée à une entreprise de valorisation du corps, non
en tant que réalité biologique, mais en tant qu’image, à
la fois image sociale et représentation de soi. Un corps
doit être musclé, sain et beau selon, bien sûr, les canons
en cours de la beauté, de la santé et du culte de la force :
il s’agit de véhiculer l’image même de la société perfor-
mante et de prôner une population en pleine forme
physique et donc compétitive sur tous les plans. L’image
que transmet d’elle-même une société passe par l’image
du corps qu’elle renvoie, l’un devant être le reflet de
l’autre. Dans la pratique du sport, il s’agit de construire
le corps de la conformité, de produire et reproduire des
archétypes idéologiquement avalisés. Aujourd’hui, par le
sport le corps se fait élément d’intégration et d’adhésion
à l’image qu’une société souhaite donner d’elle-même, Stud
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performante et compétitive.
L’être humain est alors partagé entre deux formes
contemporaines d’hédonisme avec d’un côté
l’hédonisme de l’oisiveté prônant un désinvestissement
du corps face à des activités physiques trop pénibles, et
de l’autre l’hédonisme de la «sportivisation» favorisant
un hyper-investissement de celui- ci pour notre bien-
être. Face à ces deux positionnements le design a-t-il
le pouvoir, ou les moyens, de proposer une pratique
du corps à mi-chemin de ces deux comportements
contemporains ?
L’être humain est alors partagé entre deux formes
contemporaines d’hédonisme
1716
Inactivité Le corps au quotidien
Introduction
L’environnement domestique actuel correspond à une
succession de situations statiques où l’activité physique
est très peu sollicitée. Le corps produit de moins en
moins de mouvements dans son environnement de vie.
Restreignant ses gestes à des gestes de commande ou à
des mouvements de la plus petite amplitude possible,
il reste le plus clair du temps statique et inactif. Notre
habitat est aujourd’hui construit autour de l’idée que le
corps doit être materné, protégé. Son environnement
de vie doit être conçu de manière à lui éviter la moindre
souffrance dans son quotidien. De ce fait, l’engagement
du corps dans toutes les activités domestiques, va en
diminuant jusqu’à certainement disparaître un jour. Le
point central de mon projet de recherche est d’envisager
le corps en mouvement dans son espace domestique afin
de proposer de nouvelles situations de vie et d’usages au
sein de l’habitat et donc de tenter d’engager de nouveaux
rapports avec notre corps au quotidien.
Mais qu’est-ce qu’une activité domestique à notre
époque ? Peut-on envisager de nouvelles formes
d’activités physiques dans l’habitat alors que la
technologie se substitue de plus en plus aux tâches
domestiques, le corps étant de ce fait moins contraint ?
L’aménagement de l’espace domestique peut-il
influencer nos comportements au quotidien ? Les objets
qui nous entourent peuvent-ils être les vecteurs d’une
activité physique permettant de mettre le corps en
mouvement ? Le but du projet n’est pas de faire du sport
dans l’habitat mais d’envisager l’activité physique comme
vecteur d’innovation et moyen de définir un autre
schéma d’évolution dans notre espace de vie. Comment,
alors, faire évoluer notre rapport au corps en envisageant
nos relations avec lui différemment, sans être dans la
recherche de performances ou au contraire dans le
délaissement et l’oubli ? Comment plutôt, favoriser une
prise de conscience plus sereine et une attitude plus
maîtrisée à l’égard de notre existence corporelle?
Nous pourrons ainsi nous intéresser, dans un premier
temps, aux rapports contemporains que nous
entretenons avec notre corps afin d’analyser, par la suite,
des solutions différentes d’envisager notre existence
corporelle. Dans un troisième temps, nous pourrons
imaginer des pistes possibles susceptibles de répondre
à la problématique de l’inactivité quotidienne.
19
Inactivité Le corps au quotidien
I/ Rapport contemporainau corps
a) L’avènement d’une société sédentaire, effet secondaire de l’industrialisation
La sédentarité a été définie comme un mode de vie
comportant un faible niveau d’activité physique. Une
faible dépense énergétique et une faible sollicitation
des grandes fonctions physiologiques et métaboliques y
sont associées. L’inactivité physique, ou comportement
sédentaire, peut être définie comme « un état dans lequel
les mouvements corporels sont réduits au minimum et la
dépense énergétique proche de la dépense énergétique
de repos »1. L’inactivité ne correspond pas seulement
à une absence d’activité mais aussi à de nombreuses
occupations telles que regarder la télévision, travailler
sur son ordinateur, ainsi que toutes autres activités
intellectuelles. L’ère de l’industrialisation a engendré
une inactivité forcée, ainsi qu’une évolution de nos
comportements vers la sédentarité. C’est à dater de 1840 And
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1.Depiesse Fréderic,
Prescription des activités physiques:
en prévention et en thérapeutique,
édition Masson, 2009, p7
2120
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s
que l’usine et ses principes fonctionnels empruntés au
taylorisme deviennent le nouveau modèle incontesté
de la maison moderne notamment à partir des travaux
de Catherine Beecher, éducatrice américaine sur
« l’économie domestique »1 . Elle va ainsi transposer
l’organisation fonctionnelle du travail dans les usines
à l’espace domestique, permettant à la ménagère
d’économiser du temps et de s’épargner une fatigue
inutile. Une répartition rationnelle des éléments afin
de tout avoir à portée de main offre des espaces plus
pratiques soulageant l’effort dans un but de rentabilité.
Beecher a même l’utopie d’une maison conçue comme
un lieu totalement automatisé qui peut se passer de
domestiques. Notre époque n’aurait-elle pas exaucé son
vœu le plus cher ?
Nos activités domestiques sont de moins en moins
avides d’énergie et les occasions de se dépenser
physiquement sont devenues rares. La mécanisation des
outils de productions, le développement des transports,
les évolutions technologiques, ont supprimé la notion
de mouvement et de dépense énergétique dans notre
quotidien.
Ainsi, Baudrillard définit nos gestes quotidiens comme
« une succession de gestes pauvres […] dont le rythme
est effacé »2. Et même si l’on ne peut nier les bienfaits
pour l’homme de la mécanisation des outils permettant
1.Midal Alexandra,
Design introduction à l’histoire d’une
discipline, édition Pocket, 2009,
p 18
de dépasser l’usage pénible du corps dans des tâches
répétitives, la disparition totale du geste et de la nécessité
d’énergie physique pour le fonctionnement des objets
de notre environnement n’en sont pas moins un mal
aussi. Le problème fondamental, c’est qu’en étant dans
une quête d’amélioration de notre espace et de notre
confort domestiques, nous avons créé de nouveaux
maux. Apparaît alors en exergue la difficulté qu’il y a,
aujourd’hui, à dire ce qui paraît le mieux pour le corps.
Faire un choix entre la sédentarité et le dur labeur
semble donc difficile tant les deux apparaissent comme
tout aussi néfastes pour le corps. LePoint.fr3 a publié
notamment un article en janvier 2013 annonçant que
les personnes assises plus de 6 heures par jour ont un
taux de mortalité supérieur de 20 % pour les hommes,
et de 40 % pour les femmes, à celui des personnes qui
y passent moins de 3 heures. En tentant de soigner
le corps en le délestant de toutes ces tâches pénibles
qui lui ont longtemps incombé, un effet secondaire
est apparu. Le corps n’est certes plus contraint par les
travaux domestiques mais il est aujourd’hui atteint d’une
multitude de problèmes physiques non plus liés à l’effort
intense mais à un manque d’activité et d’implication
dans toutes les activités quotidiennes. L’engagement
corporel de l’homme n’a cessé de décliner, alors que « la
dimension sensible et physique de l’existence humaine
2.Baudrillard Jean, Le système
des objets, édition Galimard, 1968,
p 80
3.LE POINT, Article consultable
en ligne, Disponible sur http://
www.lepoint.fr/invites-du-
point, parue en janvier 2013
2322
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tend à rester en jachère au fur et à mesure que s’étend
le milieu technique »1. Le corps devient d’autant plus
pénible à assumer quand diminue la part de ses activités
propres sur l’environnement. Il en résulte une perte
de conscience de notre corps et de nos ressources
musculaires qui implique un oubli de l’ancrage corporel
de notre existence. Le film d’animation Wall E nous
donne à voir une caricature futuriste de l’homme, un
être de surconsommation, obèse et incapable de faire
le moindre geste. Nous serions devenus des humains
totalement assistés par les machines, incapables même
de marcher, se déplaçant sur des fauteuils volants , allant
jusqu’à substituer aux machines leurs gestes vitaux,
comme se nourrir ou boire. Dans le but de compenser
ce manque d’activité au quotidien, les pratiques
sportives apparaissent comme une solution afin de
rééquilibrer notre manque d’investissement corporel
au quotidien. Les médias ou les institutions médicales
montrent le sport comme un moyen d’augmenter notre
capital bien-être, une solution permettant d’entretenir
notre corps, d’améliorer notre forme physique, tout
en favorisant les rapports sociaux. Promouvoir les
activités sportives répond donc à un objectif médical
et social. Un corps tonifié, en pleine forme physique,
serait le reflet de l’homme actif socialement intégré. Nos
pratiques sportives ou physiques ne sont plus liées à
l’amusement ou au plaisir mais à une quête incessante de
bien-être et d’intégration sociale. Il suffit de voir l’essor
impressionnant des licences dans les salles de fitness2.
Il est bien évident que nous ne sommes pas, avec ces
pratiques, dans une démarche liée à l’amusement mais
dans une démarche de l’ordre de la quête du bien-être.
Avec une vision hygiéniste du corps, l’activité sportive est
perçue comme un moyen de prendre conscience d’une
existence corporelle destinée à favoriser une reconquête
cinétique, sensorielle ou physique. Elle induit une
activité physique régulière, dans le but de restaurer un
équilibre rompu.
Mais qu’entend-on, aujourd’hui, en parlant d’un
« corps en pleine forme » ? Le terme « forme » qui met
en évidence la dualité, l’ambivalence de nos pratiques
physiques contemporaines. Outre le fait que, lorsque
nous parlons de forme physique d’un corps, nous
pensons à son état de santé, nous ne pouvons écarter
l’idée qu’il s’agit aussi d’apparence physique, d’aspect,
en somme de ce qui est rendu visible à l’autre. Il y a
alors quelque chose de troublant dans cette abondance
de messages publicitaires tels que : « Pour votre santé
pratiquez une activité physique régulière », « manger,
bouger », « Pour rester en pleine forme, évitez de manger
trop gras, trop sucré, trop salé » etc. Sous couvert d’une
question de santé, ne parlerait-on pas ici tout autant de
Un corps tonifié, en pleine forme physique serait le reflet de l’homme actif socialement intégré
2.INSEE, Base de donnée de
documents, Disponible sur
http://www.insee.fr/fr/
ffc/docs_ffc/donsoc06zu.
pdf, 2006
1.Le BretonDavid, Anthro-pologie du corps
et modernité, Quartridge,
1990, p185
24
notre « forme » physique ?
Le but de ces messages n’est certainement pas
uniquement lié à des questions de santé, mais aussi à
l’image du corps que la société veut nous transmettre
comme étant le bon corps.
Valérie Belin, Bodybulders II,1999, Photogra-phie, Musée des Arts Décoratifs, Paris
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Inactivité Le corps au quotidien
b) Constitution d’un modèlevéhiculé par la société
« L’exercice physique n’est évidemment pas en cause ;
il reste essentiel et agréable. On peut en revanche
s’interroger sur la sportivisation de l’existence humaine
qui a débuté au XXe siècle et qui s’accélère aujourd’hui »1.
Malheur à celui qui laissera apparaître le moindre
surpoids ou une peau flasque. Il est essentiel, voire
obligatoire à notre époque de « préserver son capital le
plus précieux ».David Le Breton ajoute que nous allons
même jusqu’à nous sentir coupables d’avoir manqué à
un devoir capital lorsque nous n’avons pas fait notre part
d’exercices sportifs ! L’homme moderne est plus que
jamais préoccupé par son apparence et par l’image qu’il
renvoie aux autres : « on gère son corps, on l’aménage
comme un patrimoine, on le manipule comme un des
multiples signifiants de statut social »2.
Les médias glorifient une image du corps parfait
devenant pour beaucoup un idéal à atteindre. Le corps
se doit d’être lisse et beau, jeune, conforme au modèle
implicite qui attire l’attention sur lui par la séduction. Un
idéal totalement fictif construit sur des manipulations
d’images à l’aide de logiciels de retouches tel que
Photoshop. La publicité, notamment, crée une image
de l’homme et de la femme quasi divine à travers des
images qui élèvent le corps des mannequins au statut
de Dieu ou Déesse. Cette sacralisation d’un corps
athlétique, complètement fictif, montée de toutes pièces,
2.Baudrillard Jean, La société
de consommation, édition Folio,
1970, p204
se fait élément de comparaison et précepteur d’une
pratique sportive intensive dans le but d’atteindre un
idéal corporel impossible. Constantinidés dénonce ce
« fétichisme de l’image »3qui n’est évidemment pas sans
conséquences sur le rapport que nous entretenons à
notre corps. Le corps désiré éclipse le corps réel et il
devient alors pénible pour nous de concevoir un corps
différent de celui que l’on envisage. La souffrance
devient donc paradoxalement un passage obligatoire
si l’on veut atteindre un certain niveau de bien-être
corporel et tenter de rivaliser avec ces nouvelles
divinités publicitaires. S’engage alors une compétition
quasiment perdue d’avance face à une représentation
fictive du corps.
La société du spectacle réduit le corps à une enveloppe
à magnifier, l’homme devant alors s’abstraire de son
corps véritable pour atteindre la représentation idéalisée.
L’homme se retrouve alors prisonnier de son propre
corps qui, par sa modification, bouleverse son identité
biologique et sociale. Le droit de disposer librement de
son corps est peu à peu devenu le devoir d’en faire un
corps parfait. Le bracelet Jawbone sorti en 2012 est l’un
des outils en vogue dans cette quête de modification. Ce
bracelet contient une technologie capable de quantifier
et stocker un maximum de données sur le corps, des
données qu’il récupère tout au long de la journée :
3.Constantinidès Yannis, Le nouveau
culte du corps, Francois Bourin éditeur, Janvier
2013, p21
1.Juvin Hervé, L’avènement du corps, édition
Galiamard, Mayenne, 2005
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nombre de calories dépensées, nombre de pas effectués,
nombre de calories ingérées, évolution du rythme
cardiaque, temps de sommeil… Cette technologie dresse
en fin de journée un constat sur la machine corporelle
humaine. Elle propose un autre schéma d’évolution
pour le lendemain, en conseillant par exemple un
sommeil moins long et une dépense énergétique plus
importante pour dépasser
les statistiques de la veille.
Un aspect délégateur voire
esclavagiste s’impose au
corps qui va alors subir les
« conseils » de l’objet : le corps est désormais réduit à un
simple mécanisme qui aura un meilleur fonctionnement
si ces modifications sont effectuées. La question qui se
pose est la suivante : mon corps est-il encore à moi ?
Suis-je encore maître de mon corps ? Le corps est devenu
un alter ego dont, il faut mériter la vitalité en se pliant à
sa volonté. « À défaut de contrôler sa vie, on contrôle au
moins son corps »1 comme l’affirme David Le Breton dans
Anthropologie et modernité du corps . L’homme doit
changer son corps, le transformer dans le but de s’ab-
straire de ce qu’il a été. L’esthétisation de la vie sociale
repose dorénavant sur la mise en scène du « beau » corps
pour s’intégrer et conjurer le temps qui passe. Ainsi
aujourd’hui, il devient fondamental de prendre son corps
Mon corps est-il encore à moi ? Suis-je encore maître de mon corps ?
Jawbone, Up, 2012
1.Le BretonDavid, Anthro-pologie du corps
et modernité, Quartridge,
1990, p192
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en main, d’en faire un objet personnalisé, pour avoir un
corps à soi. Mais cette démarche pose problème : dans
une volonté de personnalisation nous aboutissons à
une standardisation des corps. Dans cette volonté de
modification et de différenciation de son corps, à partir
de la chirurgie esthétique et/ou de pratiques sportives
intensives, l’homme se corrige et s’identifie au modèle
corporel idéalisé et fantasmé par la société. Il devient
alors difficile de parler de corps propre ; peut-on
réellement définir le corps modifié comme quelque
chose de personnel ? L’homme à travers les actions qu’il
impose à son corps ne se démarque pas. Il s’identifie et se
duplique.
Entre l’homme et son corps un jeu s’installe entre soi et
soi. Une certaine jouissance naît à l’idée de transformer
son apparence, en devenant le « bricoleur inventif et
inlassable »2 de son aspect. Entretenir son corps devient
même, pour certains, une occupation à part entière. Dans
la société du spectacle qui impose un culte de l’appar-
ence, il n’est plus question de se contenter du corps que
l’on a, il faut se construire ou plutôt se reconstruire.
« L’entretien et le façonnement du corps deviennent une
activité à plein temps »3 il faut rentabiliser au maximum
son temps libre et le mettre à profit avec des exercices
sportifs pour rester en forme. Il faut faire du sport
partout, tout le temps.
2. op. cit. p.228
3. op. cit. p.230
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Inactivité Le corps au quotidien
c) L’intrusion du sport dans l’habitat
Dans une société où tout va de plus en plus vite,
l’homme ne cesse de courir derrière le temps qui passe ;
les marques d’équipements sportifs l’ont bien compris.
Même si le temps nous manque, on se doit d’accorder
du temps à son corps, il faut rentabiliser le moindre
temps libre pour le mettre à profit pour s’entretenir.
« Récupéré comme un instrument de jouissance et
exposant le prestige, le corps est alors l’objet d’un
travail d’investissement »1. C’est dans cette volonté de
rentabilité que le sport s’est peu à peu introduit dans nos
foyers de manières diverses et variées : introduction de
matériel de fitness dans l’habitat, jeux vidéo, méthode de
musculation sans matériel... Si nos modes de travail sont
de plus en plus statiques, l’espace domestique est, lui,
en passe de devenir un nouveau terrain de sport. Mais
que doit-on en déduire ? Le corps n’étant plus aliéné par
les tâches domestiques ou par la pénibilité du travail, le
manque quotidien d’activité ayant de nombreux effets
néfastes sur notre organisme, l’activité sportive doit-elle,
pour autant, être définie comme la nouvelle activité
domestique ?
Lorsque nous parlons ici de sport dans l’habitat, il est
uniquement question de pratiques liées à l’entretien
physique, comme la musculation ou le fitness. Le sport
occidental est aujourd’hui « fondé sur la sculpture
du corps, le dépassement de soi, la décomposition
1.Baudrillard Jean, La société
de consommation, édition Folio,
1970, p204
2. Juvin Hervé, L’avènement du corps, édition
Galiamard, Mayenne, 2005
2.Eltchaninoff Michel, «Le
corps», Philos-ophie Magazine,
n°72, Novembre 2013, p51
analytique du corps et la compétition »3. Plus que le culte
du corps et sa plastique, c’est à travers la comparaison
avec autrui que prime l’amour du sport dans ces
pratiques. Le corps est en compétition avec lui-même, et
avec autrui avide de se dépasser, car il se doit de montrer
aux autres de quoi il est capable. Le sport représenterait
alors « l’acmé d’une société de compétition et de
comparaison »2 et plus que souffrir pour être beau, il
faut souffrir pour essayer d’être le plus beau. Toutes
ces activités sont présentées comme des vecteurs
d’émancipation alors qu’elles ne font qu’entretenir
notre soumission aux canons de beauté imposés. Le
fitness ou le bodybuilding deviendraient alors une
forme contemporaine de l’aliénation et de la servitude
volontaire. Envisager le sport comme un moyen de
reconquérir son corps, comme une source de bien-être
dans notre quête du bonheur apparaît ici comme une
simple illusion. En introduisant la pratique sportive dans
l’habitat, c’est l’introduction de la notion de compétition-
notion fondamentalement liée au sport-qui est introduite
dans notre espace domestique. Elle devient la source de
l’aliénation contemporaine de l’homme.
En 1934, la comtesse de Polignac, la fille de Mme
Lanvin, évoquait une série d’exercices à faire tout au
long de la journée, à des moments parfois inattendus,
afin d’avoir une pratique quasi invisible, pendant une
Le sport représenterait alors « l’acmé d’une société de compétition et de comparaison »
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Inactivité Le corps au quotidien
discussion, en voiture, en mangeant, en attendant le
bus ou dans le métro. Ces exercices étaient basés sur la
répétition de contractions musculaires permettant de les
fortifier. « Votre bonheur suggère en 1938 un programme
de gymnastique invisible»1. Mais au-delà d’une volonté
esthétique, ce programme demande aussi une concen-
tration mentale intense, car son efficacité passe par une
focalisation de l’esprit sur les différentes parties du corps.
« Il faut continuellement penser à son ventre et à la plat-
itude musclée qu’on lui souhaite »2. L’obsession du corps
n’est donc pas un fait contemporain. Pour autant, ce qui
paraît intéressant dans ces pratiques, c’est cette volonté
qu’il y avait à l’époque, ce souci de ne pas déconnecter
de notre quotidien les pratiques physiques. Si autrefois
la volonté était de créer des pratiques intégrées et
invisibles, il semble qu’aujourd’hui la société du spectacle
nous pousse à être dans une extériorisation de l’effort
et de l’exercice physique. Nos pratiques physiques se
doivent d’être les plus spectaculaires possibles et, de ce
fait, totalement déconnectées du quotidien. Le fait de les
intégrer dans l’habitat ne les rend pas plus connectées
à notre quotidien. Bien au contraire. Lorsqu’il ne s’agit
pas de musculation, c’est à travers les jeux vidéo que
nous introduisons des pratiques sportives dans l’habitat.
La Nintendo Wii© ou encore La Xbox© et sa Kinect©
proposent de recréer virtuellement des activités sportives
tels le volley-ball, le golf, le tennis etc. Nos mouvements
sont alors reproduits à l’identique par un avatar qui
devient notre double virtuel à travers l’écran, grâce à des
caméras qui captent tous nos gestes et déplacements.
L’espace domestique passe alors en un instant, du terrain
de tennis, au ring de boxe, et devient plus que tout un
cocon protecteur. Si Baudrillard présentait l’évolution
des technologies comme l’avènement d’une vie de
contemplation, nous entrons aujourd’hui sans transition
dans une vie faite de fiction et d’illusion. Faire semblant
de jouer au volley, au tennis, de tirer à l’arc, faire
semblant de vivre en quelque sorte. L’habitat est alors
l’endroit sécurisé où l’on peut pratiquer virtuellement
des sports sans risquer de se faire mal. Mais peut-on
qualifier ces pratiques, de pratiques sportives ? Simuler
la gestuelle sportive du volley-ball par exemple, grâce à la
Kinect©, ne fait pas pour autant de nous de bons joueurs
de volley-ball, mais simplement de bons joueurs de jeux
vidéo. Au-delà même de la définition de leur statut, ces
pratiques suscitent en nous, par leurs aspects fictionnels,
de moins en moins d’intérêt et finissent par nous lasser.
À travers des projets plus manifestes que réellement
fonctionnels, de nombreux designers s’interrogant sur
cette invasion sportive de l’espace domestique, ont
poussé le raisonnement au maximum : faire de l’habitat
une salle de sport. Les premiers à s’intéresser à ce
1.Courtine Jean-Jacques, Histoire du corps: tome III,
les mutations du regard, le XX esiècle,
Points, Janvier 2006, p186
2. ibid. p.186
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Inactivité Le corps au quotidien
phénomène sont les membres du collectif Lucette1 avec
le projet Domus Gymnazium qui consiste à détourner les
objets du quotidien pour en faire des outils ou machines
de sport. Ouvrir un placard revient alors à faire du
rameur, tout comme attraper un livre sur une étagère
constituerait d’une réelle performance physique. Ils
créent alors un espace où il devient impossible de vivre
sans faire du sport.
Lucette, Domus Gymazium, Ensci les Ateliers, Paris, 1999
1.Collectif composé de
Gilles Belley, Martial Prévert,
Mathias Poisson, Alexandre
Chinon, Jean-Marc Adolphe .
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Inactivité Le corps au quotidien
d) De l’activité non sportive à une nouvelle activité domestique
Qu’en est-il de l’activité non sportive ? Car si le sport
est aujourd’hui hyper-présent dans notre société, il
est bien évident qu’il n’est pas l’unique moyen d’avoir
une activité physique. Comment définir l’activité non
sportive ? Si nous tentions d’en écrire une définition,
elle pourrait ressembler à cela : activité correspondant
à toute activité physique favorisant une dépense
énergétique, en marge d’une démarche de compétition
ou de performance. Une activité non-sportive est une
activité physique en son sens le plus simple. Elle permet
de mettre le corps en mouvement, sans rechercher un
résultat montrable.
Se promener, marcher, faire des courses, jardiner, monter
des escaliers… toutes ces activités ne peuvent être
définies comme des exercices physiques ou encore du
sport dans la mesure où le corps apparaît plus comme un
moyen qu’une finalité en soi. Ces usages ne cherchent
en aucun cas à avoir un effet visible sur le corps, mais
engagent néanmoins une activité physique bénéfique
pour celui-ci. Elles sollicitent quotidiennement nos
muscles bien que ces usages restent, pour la plupart,
non quantifiables. Toutes ces activités ont un impact sur
notre organisme sans même que nous nous en rendions
compte, ni même que nous en soyons conscients. Elles
s’intègrent dans notre schéma corporel habituel et devi-
ennent quasi-inconscientes. Elles peuvent être définies
comme des activités non sportives, tout comme nos
activités de loisirs. La révolution des congés payés-arrivés
en France dans les années 30-et l’avènement du Front
Populaire ont marqué le commencement d’une société
des loisirs et la création d’un nouveau corps, le corps en
vacances. Il s’agit alors d’envisager les vacances comme
un moyen de se désinvestir de son corps trop éprouvé
pendant l’année. « Il s’agit de faire peau neuve pour faci-
liter les retrouvailles avec soi »1. Le corps trop investi dans
un travail de force tout au long de l’année va s’adonner
au « laisser-aller des vacances ». Il faut se reposer pour
reprendre possession de son corps. Ce qui est paradoxal,
c’est qu’aujourd’hui la visée des vacances est restée la
même (les retrouvailles avec son corps) mais les moyens
sont totalement différents. Si, autrefois, il était essentiel
de ne plus rien faire pour retrouver son corps pendant
les vacances, le chemin inverse se dessine de nos jours :
il faut pratiquer des activités pendant les vacances pour
se réconcilier avec un corps trop peu investi durant
toute l’année. Les vacances sont aujourd’hui un moyen
de reprendre conscience de son existence corporelle
par l’activité non sportive, avant de retomber dans nos
modes de vie sédentaires. « En un paradoxe qui n’est
qu’apparent, l’impératif social d’oubli du corps est
concomitant de celui de sa pleine conscience. Se trace ici
un complexe état d’esprit du corps en vacances. »2.
1.Cairn.fr, Base de donnée de docu-
ments, Disponible sur http://www.
cairn.info/revue-hypoth-
eses-2002-1-page-59.htm,
2002
2. ibid.
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Massage, relaxation, excursion, randonnée, visite, etc,
une multitude d’activités sont proposées au vacancier,
des activités qui engagent le corps pour ce qu’il est,
dans sa forme réelle, et non pour celui qui est idéalisé.
L’activité non sportive apparaît donc comme un moyen
de faire renaître notre corps réel trop souvent effacé par
un corps parfait, fantasmé.
À partir de ce point précis, la visée de mon projet
commence à se dessiner. Comment envisager une
nouvelle forme d’activité non sportive dans l’habitat ?
Mon objectif est de déterminer quelle peut être cette
nouvelle activité domestique intégrée dans notre
quotidien et nos habitudes. Quel type d’activités
non sportives peut être envisagé dans notre espace
domestique, afin de mettre notre corps en activité et le
sortir de l’état statique dans lequel il est aujourd’hui ?
Le sport n’étant évidemment pas la solution face à
l’inactivité quotidienne dans l’habitat, comment donner
du sens à une activité physique dans celui ci, à notre
époque ?
Comment envisager une nouvelle forme d’activité non
sportive dans l’habitat ?
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Inactivité Le corps au quotidien
II/ Pour une nouvelle perception du corps
a) De l’inconfort naît le mouvement
La recherche toujours plus évoluée du confort, d’un
confort toujours plus adapté dans l’ameublement, est
devenue l’un des éléments essentiels de l’innovation.
Le design cherche aujourd’hui à offrir aux usagers un
maximum de confort, centré autour d’une ergonomie
statique et posturale du corps. De ce fait nous avons
continuellement tendance à associer les termes de
confort et d’ergonomie ; et même si ces deux termes
ont des points communs, ils ne signifient pas du tout la
même chose.
En son sens le plus simple, l’ergonomie définit le rapport
anatomique que nous entretenons avec les objets. Sa
pratique est basée sur des données anthropométriques.
L’ergonomie prend en charge la qualité de la relation
physique existant entre l’objet et l’utilisateur : couleur,
forme, matériaux, disposition des éléments. Plus que
l’adaptation de l’objet au corps, l’ergonomie tente
d’adapter l’objet au mode de vie et habitudes de
l’utilisateur et, de ce fait, elle répond aux problématiques
de son époque. Aujourd’hui, l’enjeu de l’ergonomie n’est
pas le même qu’il y a dix ans et ne sera pas le même dans
dix ans. Mais restreindre l’ergonomie à cette définition
serait trop réducteur. Elle doit être envisagée, comme
« la relation globale de l’homme à son environnement,
relation complexe assurée par l’ensemble de ses
équipements sensoriels »1. L’évolution permanente
de notre cadre de vie nous amène à reconsidérer
l’ergonomie telle que nous la percevons.
Tenter de définir la notion de confort, par contre, s’avère
être une tâche très complexe, car cette notion apparaît
comme l’une des moins objectives et rationnelles,
tant elle varie selon le temps, l’espace et l’affectivité de
chacun. Néanmoins, nous pouvons constater que notre
perception actuelle du confort est fortement liée à la
relaxation : « (la) société se signale par ses innovations
du point de vue de la relaxation »2. C’est en ce sens que
nous avons tendance à assimiler confort et ergonomie,
lorsqu’il est question de relaxation et de « posture liée au
bien être »3. La méprise qui est de considérer les notions
d’ergonomie et de confort comme des synonymes nous a
conduits à envisager l’espace domestique comme un lieu
statique où le corps est à l’arrêt, au repos.
1.Colin Christine,
Confort et inconfort, Industries
Françaises de l’ameublement,
1999, p 46
2. ibid. p 77
L’ergonomie tente d’adapter l’objet au mode de vie et habitudes de l’utilisateur
3. ibid. p 58
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Si nous envisagions d’avoir une réflexion inverse que
deviendrait l’espace domestique ?
Si l’inconfort devenait le point central de notre réflexion
dans l’aménagement de nos espaces domestiques, la
maison de retraite conçue par Shusaku Arakawa et
Madeleine Gins, architectes japonais (Reversible destiny
lofts, Tokyo 2005) est le fruit
de cette réflexion : comment
créer une habitation
totalement inconfortable ?
Un bâtiment fait de sols
pentus, de portes rondes et
de toutes sortes d’embûches
disséminées dans la maison
afin de rendre les retraités attentifs au maximum,
augmenter les déplacements dans l’espace permettant
d’éviter les atrophies musculaires. Il n’est bien sûr pas
non plus question de créer un parcours du combattant
pour atteindre la cuisine, mais simplement d’introduire
dans l’espace de légers inconforts acceptables qui
vont nécessiter l’attention et l’activité de l’habitant. Un
inconfort qui devient donc ergonomique car pensé
par le corps et pour le corps. Le siège Sella des frères
Castiglioni est le résultat d’une réflexion sur l’inconfort.
En questionnant la fonctionnalité même d’un siège, ils
introduisent la dimension de temporalité d’usage de Shusaku Arakawa et Madeleine Gins, Reversible destiny lofts, Tokyo, 2005
Si l’inconfort devenait le point central de notre réflexion dans l’aménagement de nos espaces domestiques
47
Inactivité Le corps au quotidien
cellui-ci. Un siège non pas pour se relaxer ou se prélasser
mais simplement pour se poser un instant.
« Cet objet incarne sans doute aux yeux de la grande
majorité la notion même d’inconfort à ceci d’extraordi-
naire qu’il introduit la dimension d’inconfort volontaire
qui rejoint la notion d’ergonomie dynamique : l’inconfort
mobilise l’énergie, le dynamisme, l’attention »1.
Une ergonomie dynamique est ainsi créée par un incon-
fort volontaire et acceptable par l’utilisateur. L’habitation
de l’homme contemporain n’est plus seulement un lieu
de repos, mais aussi un vaste terrain d’activité adapté
aux différentes temporalités d’une journée. Dans cette
situation le rôle
du designer, serait
alors de concevoir
des produits pour
la maison non plus
seulement pour y habiter, mais pour stimuler le corps et
l’esprit en redéfinissant les usages et les rapports que
nous entretenons avec ces objets du quotidien. La chaise
Singer de Bruno Munari peut, elle aussi, entrer dans cette
famille d’objets inconfortables qui impliquent le déplace-
ment : avec son assise à 45° vers l’avant, peut-on la définir
comme une assise, ou est-ce un reposoir d’un instant,
avant de partir vers de meilleures occupations?
Sella et Singer pourraient être les symboles d’une époque
Une ergonomie dynamique est ainsi créée par un inconfort volontaire
Achille Castiglioni, Sella, Zanotta, 1957
1. op. cit. p 25
48
où « la position assise relève de plus en plus de la voltige,
tandis que l’instabilité et la précarité deviennent l’une des
règles du jeu pour un nombre de plus en plus grand »2.2. op. cit. p 27
Bruno Munari, Singer, Zanotta, 1945
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b) Pratiquer son corps différemment
À travers cette volonté d’imaginer de nouveaux
scenarios de vie pour l’espace domestique où le corps
serait en activité, de nombreuses pratiques corporelles,
sportives ou artistiques offrent une autre perception
du corps. Certaines pratiques comme la danse, le
skateboard ou encore le tai chi établissent un rapport
au corps différent de celui que la société tente de nous
faire entretenir. Ces pratiques offrent une perception
du corps plus sensible. Elles valorisent les sensations et
la compréhension de la matière corporelle, plus qu’une
transformation physique inscrite dans une volonté de
conformation du corps aux canons de beauté en cours.
« La danse, ce n’est pas simplement d’impliquer le corps,
c’est de l’impliquer sur un mode tel qu’autre chose puisse
prendre corps au- delà du corps impliqué » 1.
La définition la plus simple que nous puissions trouver
sur la danse est celle-ci: « Dans son acception la plus
générale, la danse est l’art de mouvoir le corps humain
constitué d’une suite de mouvements ordonnés, souvent
rythmés par de la musique »2.
« Mouvoir le corps humain ». La danse représente
notamment une source inépuisable de gestes et de
mouvements qui, dans une quête d’harmonie visuelle,
nécessite une pleine conscience de toutes les parties
de son corps. La danse contemporaine interpelle le
corps dans son état le plus naturel pour transmettre au
1.Sibony Daniel, Le corps et sa
danse, éditeur Seuil, 1995
2.Wikipédia, Base de donnée de documents, Disponible surl, http://
fr.wikipedia.org/wiki/Danse
spectateur une interprétation la plus véritable possible.
Elle transcende notre existence corporelle et interpelle la
partie sensible de l’être, ignorée par la plupart. La danse
a cette capacité de « déloger (le corps) de là où il est, de
là où il en est, pour se porter ou se jeter vers d’autres
ressourcements de l’être »3. Néanmoins, pour atteindre
ce niveau de maîtrise du corps, à la fois dans ses gestes
et dans ses postures, la danse implique une discipline,
une ascèse. La notion de répétition y est centrale ; il
faut répéter encore et toujours pour atteindre le niveau
voulu de grâce dans les gestes, et cela n’est pas possible
sans efforts. C’est par la répétition que le danseur va
arriver, peu à peu, à introduire une dimension sensible
dans ses gestes.
L’exposition Danser sa vie, présentée en Novembre
2011 au Centre Pompidou, montrait l’intérêt commun
entre l’art et la danse pour le corps en mouvement,
ainsi que l’importance majeure qu’a eue la danse pour
les mouvements d’avant-garde comme le Bauhaus ou
De stijl. Les travaux de Théo Van Doesburg ou Wassily
Kadinsky, notamment, montrent cette préoccupation
constante à capter et à retranscrire les mouvements
du corps pour en dégager de nouvelles grammaires
plastiques. En tant que designer, c’est dans cette optique
que la danse m’interpelle à travers ce projet.
Danser sa vie, danser son quotidien. C’est dans cette
3. ibid. p 30
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Inactivité Le corps au quotidien
volonté de donner du sens et un nouvel intérêt à
nos gestes quotidiens, que la danse apparaît comme
une bonne source d’inspiration afin de proposer une
perception plus sensible de nos mouvements. Le
quotidien est basé sur la notion de répétition, une trame
de gestes et de mouvements qui se répètent jour après
jour. Peut-on imaginer de nouvelles gestuelles favorisant
une autre perception du corps, intégrer dans nos
activités et usages quotidiens ? Se mouvoir différemment
dans l’espace implique donc une autre dynamique de vie.
Le skateboard est basé, lui, sur l’équilibre du corps.
Le skateur cherche à atteindre le point critique avant la
chute, ce moment précis où son corps n’a plus le contrôle
et où la planche devient un prolongement de lui-même,
lui permettant de tenir en équilibre. Au-delà de la notion
d’équilibre qu’implique le skate, la notion d’adaptation
est ancrée dans la culture du skateboard. Le skateur doit
s’adapter au terrain de jeux qui lui est offert : la ville. Il
porte ainsi un regard différent sur la ville et détourne les
éléments qui la structurent pour que ceux-ci lui offrent
des possibilités. C’est ainsi que la rampe d’escalier va
devenir une barre de slide, ou encore tous les plans
inclinés ou trottoirs deviennent des opportunités. Les
interventions du chorégraphe Willi Dorner et de sa
troupe lors des représentations « Bodies in urban space »
s’inspirent de cette vision de la ville, en créant avec ses
Peut-on imaginer de nouvelles gestuelles favorisant une autre perception du corps
Willi Dorner, Bodies in urban space ,2012, Paris
54
danseurs des figures figées dans des espaces, recoins et
lieux insolites. Ne pourrait-on pas utiliser la maison au
même titre que le skateur utilise la ville ? Ne pourrait-on
pas détourner les éléments qui nous entourent, les reliefs
de l’espace domestique, en les considérants comme
autant d’opportunités pour activer son corps ? C’est à
travers ces partis pris que les designers Xavier Moulin et
Aldo Cibic ont créé la collection de mobilier Smart home fitness, une gamme de mobilier multi-usage permettant de
pratiquer des exercices de gymnastique dans l’habitat.
Lorsque le skateur trouve les limites de la ville, il n’a
d’autre solution que de tenter de la modifier par des
actions minimes afin de s’offrir de nouvelles opportu-
nités. Le travail de Pontus Alv, DIY skatepark est la matéri-
alisation de cette pensée. Le skateur va alors modifier
des éléments de la ville qu’il définit comme des « erreurs
architecturales »1, afin de créer de nouveaux spots de
skate qui ne seront alors visibles que par des personnes
averties et qui n’interféreront pas dans la vie citadine.
Plus que la pratique du skateboard, c’est la pensée du
skateboard qui m’intéresse. Peut on envisager l’espace
domestique comme une ville à exploiter afin de générer
de nouvelles situations ou activités dans l’habitat? Plus
que d’exploiter l’espace, c’est en intégrant de légères
perturbations au sein de celui-ci que vont apparaître
de nouvelles opportunités dans le but de générer des
Xavier Moulin et Aldo Cibic, Smart home fitness, croquis de recherches, 2001, Paris
1.Lallier Thomas, Skateboard stories,
Arte, 16 juin 2011
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activités physiques, ce sont ces légères perturbations
qui vont offrir au corps une manière différente de se
mouvoir. (cf. Arakawa et Gins)
Dérivé des arts martiaux, le tai-chi est une discipline
corporelle d’origine chinoise comportant un ensemble
de mouvements continus et circulaires exécutés
avec lenteur et précision, dans un ordre préétabli.
Cette discipline met aussi l’accent sur la maîtrise de la
respiration. Elle vise, entre autres fins, à améliorer la
souplesse, à renforcer le système musculo-squelettique
en combinant pratique physique, mentale et spirituelle.
Le projet des Yuan
Yuan Tai chi chair A
et B s’empare de cette
pratique en proposant
un siège au service de
cette discipline permettant de réaliser certains mouve-
ments. La lenteur des mouvements exécutés entraîne
des tensions musculaires à travers des mouvements
simples. Là encore, cette discipline implique une certaine
considération du corps pour être réellement efficace et
bénéfique pour l’organisme.
A travers cette pratique, se révèle une considération plus
sensible du corps, basée sur l’écoute et la compréhension
de celui-ci, afin de donner toute son importance et son
sens au geste exécuté.
Pontus Alv, DIY Skateparks ,2009, Berlin
À travers cette pratique, se révèle une considération plus sensible du corps
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Inactivité Le corps au quotidien
À travers toutes ces conduites, ce ne sont pas les
pratiques en elles-mêmes qui attirent mon attention,
mais plutôt les différentes manières dont elles impliquent
le corps et le mettent en mouvement.
Chacune donne une dimension différente au corps,
au-delà de sa représentation et de l’image de lui-même
qu’il donne à voir. Le corps n’est alors qu’un moyen et
non un but ou une finalité.
Yuan Yuan, Tai chi Chair A, 2010
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Inactivité Le corps au quotidien
c) Nos usages et habitudes
Mais comment envisager d’intégrer de nouvelles
pratiques corporelles dans l’habitat, sachant que notre
quotidien est basé sur une trame de mouvements
ancrés en nous depuis l’enfance ? Des gestes qui
sont pour nous, aujourd’hui, systématiques voire
inconscients. Ouvrir un robinet, éteindre la lumière,
suspendre sa veste... toutes ces activités sont intégrées
dans un schéma postural construit par « tous nos
gestes fondamentaux »1 emmagasinés depuis notre
plus jeune âge, que l’on appelle « habitus ». Le corps
tend à refuser les changements de postures habituelles
privilégiées. Merleau Ponty souligne notamment que
nos postures répondent aux situations, que le monde
qui nous entoure tente de nous offrir. Notre schéma
corporel dépend essentiellement de notre adaptation à
l’environnement dans lequel nous évoluons. En d’autres
termes, le corps doit s’adapter en vue de certaines tâches
ou activités qui s’offrent a lui. Il est encré, enraciné
dans certaines situations qui polarisent toutes nos
actions. Selon Merleau Ponty, le schéma postural est
finalement une manière d’exprimer que notre corps est
au monde. Il est donc significatif de notre mode de vie
et de notre perception des choses (le phénomène de
la perception, Merleau Ponty)2. Serait-il donc possible
d’imaginer un bouleversement de notre schéma postural
si celui-ci implique un nouveau mode de vie avalisé par
l’utilisateur ? Si l’on en croit Les origines du caractère chez l’enfant de H.Wallon notre espace postural s’enracine
presque au sens littéral du mot dans celui de notre
mère ou de la personne qui a assumé notre charge.
La modification marquerait donc une rupture avec le
cocon maternel et une émancipation du corps face au
code préétabli. Néanmoins, une rupture totale avec
notre schéma postural actuel serait préjudiciable, selon
Merleau Ponty, et donc difficilement acceptable. Il est
donc impératif d’envisager une déclinaison sensible du
schéma postural, pour intégrer ces nouvelles pratiques
corporelles dans notre quotidien. Le travail du designer
serait donc d’envisager une modification du rapport
fonction/usage des objets afin de décliner sensiblement
le schéma postural établi.
« Apprendre un nouveau mouvement suppose, en effet,
le pouvoir que nous avons de dilater notre corps comme
être au monde ou de changer son mode d’existence en
lui annexant de nouveaux instruments »3 . Et le rôle du
designer n’est-il pas ici ? Le designer peut-il être précep-
teur de nouveaux modes de vie ? Les objets qu’il crée
peuvent-ils modifier nos habitudes et proposer ainsi un
nouveau quotidien ?
Nous changeons perpétuellement de posture, de position
et nous construisons un certain nombre de possibilités
posturales que nous emmagasinons. La pratique répétée
1.Bernard Michel, Le corps,
éditions du Seuil, Novembre
1995, p 125
3. ibid. p 50
Le designer peut-il être précepteur de nouveaux modes de vie ?
2. ibid. p 50
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Inactivité Le corps au quotidien
de ces nouvelles postures permet de les intégrer dans
notre schéma postural. Il s’ensuit une connaissance
immédiate de la posture dès que cette relation est alors
établie entre le corps et l’activité à exécuter. Grâce
à de tels schémas nous pouvons « prolonger notre
connaissance de la posture, du mouvement […] au-delà
des limites du corps »1.
L’apprentissage de nouveaux gestes, de nouvelles
pratiques physiques ou d’un sport, par exemple,
passe par la répétition afin d’assimiler de nouveaux
mouvements et de les inscrire dans le panel de notre
schéma postural. « Apprendre à faire du ski consiste
précisément à conquérir un nouvel équilibre en
réadaptant notre corps à une situation insolite »2 .
La pratique du ski bouscule notre schéma postural
proposant une autre façon de se déplacer, non plus
en marchant mais en glissant. Le corps va alors devoir
s’adapter et retrouver un nouvel équilibre qu’il va
assimiler à force de persévérance donnant naissance à
un nouveau schéma de déplacement, créant ainsi une
relation entre le corps et l’activité. En suivant cette même
logique d’apprentissage, nous pouvons imaginer que
le designer, par ses créations, peut avoir une influence
sur notre schéma postural, en modifiant des habitudes
et proposant de nouvelles situations d’usage, si celles-ci
correspondent à un mode vie que l’on souhaite, bien
sûr. Notre quotidien étant constitué d’une multitude
de répétitions, l’introduction d’un bouleversement
acceptable de certaines de nos activités pourrait de ce
fait rapidement être assimilée. Au moyen de l’objet qui
s’inscrit dans nos usages et nos habitudes, il est donc
légitime d’envisager le design comme une réponce à la
problématique de l’inactivité et de la sédentarisation de
la population.
1. op. cit. p 26
2. op. cit. p 17
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Inactivité Le corps au quotidien
III/ Vers le projet
a) L’enjeux du projet
L’enjeu du projet est d’étudier la mise en œuvre de
nouveaux dispositifs permettant de générer des activités
physiques non sportives dans l’espace domestique. Je ne
veux plus penser l’espace domestique comme un espace
uniquement de « détente » mais placer le mouvement
et l’activité au centre de ma recherche. Il faut pour cela
élaborer de nouveaux scénarios d’activités domestiques
(au sens dynamique du terme activité) pour conduire
à la proposition de produits hybrides ou dédiés qui
mettent le corps en mouvement et/ou stimuleront une
activité musculaire. Il s’agit en fait d’arriver à engager
un nouveau dialogue entre le corps et l’objet pour
reconsidérer notre enveloppe corporelle non pas en
tant qu’image modifiable, mais simplement en prenant
conscience de son existence réelle.
Tout l’enjeu du projet est d’arriver à intégrer de nouvelles
activités physiques dans l’espace domestique afin de
sortir le corps du sommeil musculaire dans lequel
l’inactivité et la sédentarité l’ont plongé. Si l’espace
domestique est aujourd’hui centré autour de la notion de
confort, source d’une succession de situations statiques,
la visée du projet est d’introduire dans l’habitat l’idée
d’un « inconfort tolérable », créateur de nouvelles situ-
ations dynamiques. Il faut, dans ce but, mettre en place
des objets véhiculant une pratique physique intégrée à
notre quotidien et à nos usages. Il ne s’agit donc plus de
les isoler comme peuvent l’être les pratiques sportives
mais bel et bien d’une intégration assumée et réfléchie.
Dans le but d’approfondir ma démarche, il devient
désormais nécessaire à ce stade de ma réflexion
d’imaginer/d’anticiper les lieux ou directions
hypothétiques pouvant induire ces pratiques dans notre
vie quotidienne. Mon rôle face aux scénarios envisagés,
est donc de proposer différentes hypothèses de réponses
afin de générer, sur les lieux de vie, des activités ou des
stimulations physiques.
La visée du projet est d’introduire dans l’habitat l’idée d’un « inconfort tolérable »
66
b) Des objets adaptés à une nouvelle dynamique de vie
Ver
s le
pro
jet
Pour sortir le corps de sa léthargie, j’envisage
d’intervenir à différents moments ou situations de la
journée quand le corps est encore peu, voire pas du tout,
sollicité ou valorisé. L’idée est d’envisager de nouveaux
processus du quotidien, du réveil jusqu’au départ de la
maison, et du retour jusqu’au sommeil. Cette démarche
a pour ambition de mettre le corps en activité, mais
pas seulement. Le but fondamental du projet est de
faire évoluer les rapports que nous entretenons avec
notre corps. Au delà même de la notion d’activité, cette
démarche met en jeu différentes notions qui vont aider
à concrétiser mes axes de recherche pour proposer
plusieurs angles d’attaque afin de répondre au mieux
à la problématique posée : TÉMOIGNER-DIALOGUER-
PERTURBER-ADAPTER-REDÉFINIR-MODIFIER.
Image page de gauche: Munari
Bruno, Ricerca della comodità
in una poltrona scomoda, 1945
69
Inactivité Le corps au quotidien
SITUATION 1 : Regarder la télévision
Un des éléments de l’habitat, incontestable vecteur
d’inactivité, s’avère être la télévision. Nous pourrions
même parler de dépendance au petit écran.
Si l’on en croit les chiffres révélés par l’enquête « Une
année de télévision dans le Monde », chaque habitant
regarderait quotidiennement la télévision, en moyenne,
trois heures et vingt minutes. Un temps durant lequel le
corps est totalement inactif.
Pourrait-on imaginer un élément signal TÉMOIGNANT
de l’inactivité constatée ? Un objet qui serait en quelque
sorte le reflet du corps et transmettrait un message
à la personne scotchée dans son canapé pour tenter
d’engager avec elle un DIALOGUE. Ce serait un signal
d’alarme visant à le sortir de son sommeil musculaire. En
quelque sorte un dédoublement du corps à travers l’objet
qui communiquerait sur son état.
.
« C’est le médicament qui est dépendant du patient »
Mathieu Lehanneur
Lehanneur Mathieu, Objets thérapeutiques, Troisième poumon, Ensci les Ateliers, Paris, 2001
70
SITUATION 2 : Les gestes de contrôles
Aujourd’hui, comme le dit Baudrillard, nous n’utilisons
plus les objets au sens physique du terme, mais nous
les contrôlons. Nos gestes sont devenus pauvres et
dénués de sens. Interrupteurs, mitigeurs, robinets,
télécommandes en sont les preuves. Je souhaite
intervenir sur ces objets usuels de l’espace domestique
qui ont de plus en plus tendance à se dématérialiser.
Au nom du progrès, on tend à les supprimer en les
remplaçant par des capteurs,
parfois pour des raisons
hygiéniques ou simplement pour
ne pas avoir à lever le petit doigt
pour les actionner. Je souhaite
réattribuer une existence tangible à ces objets. J’envisage
donc de réintroduire une dimension sensible dans nos
gestes. Pour cela, je souhaite réinvestir le corps dans tous
les gestes basiques de commandes.
Avec la redécouverte de gestes effacés par la modernité,
le but est de solliciter et remettre en marche certaines
parties du corps devenues inertes/inopérantes en
REDEFINISSANT nos usages. Je souhaite questionner
le rapport établi/existant entre l’usage et la fonction, en
recentrant l’usage autour de l’activité corporelle.
A titre de contre-exemple, le projet Myo Brassard
Ver
s le
pro
jet
Thalm
ic Lab, Myo brassard, C
anada, 2013Réinvestir le corps dans tous les gestes de commandes
7372
Inactivité Le corps au quotidien
restreint tous les gestes de commande à l’avant- bras ; ce
faisant, il n’engage pas le corps dans sa globalité.
SITUATION 3 : S’asseoir
« Bref, rester assis tue tout autant que la cigarette
ou l’alcool », sans aller jusqu’à avaliser cette vision
volontairement provocante parue dans LePoint.fr le 4
janvier 2013, on doit admettre que la sédentarisation
du travail a favorisé la posture assise. Sans recenser
les heures de travail où nous restons le plus clair de
notre temps assis, il faut prendre en compte le temps
passé à manger, regarder la télévision, lire, aller sur
internet. Le rôle du design est, ici, de proposer des
solutions permettant de sortir le corps de son état de
repos en MODIFIANT ses postures. Introduire une
notion d’inconfort réduirait le temps durant lequel nous
restons assis. Je souhaite donc travailler sur cette notion
d’inconfort. L’objet créé devrait permettre de solliciter
le corps lorsqu’il est au repos afin de modifier ses
comportements dans l’espace domestique.
Dans cette situation, le but revient à questionner la
fonction de l’objet en introduisant une dimension de
temporalité dans son usage pour générer une activité
physique.
SITUATION 4 : Les déplacements
Nos déplacement dans l’espace domestique sont
restreints, pauvres ; ils se résument parfois à quelques
pas pour passer d’une pièce à l’autre. Ne pourrait-on
pas envisager d’introduire des PERTURBATIONS
ou des contraintes qui modifieraient nos modes de
déplacements. L’idée est d’investir des zones libres
de l’espace (sols, plafonds, murs), et d’intégrer des
difformités qui créeraient une rupture avec l’aspect lisse
de ces surfaces. Proposer une façon différente de se
mouvoir, en s’adaptant aux difficultés crées contribuerait
alors à réveiller le corps.
SITUATION 5 : Ouvertures et rangements
La trame de nos habitudes est conditionnée par tous les
outils, les objets que constituent notre environnement
de vie. Or nos espaces domestiques sont constitués d’une
multitude de rangements (placards, tiroirs) sur lesquels
on peut agir. A partir d’actions banales et quotidiennes
revisitées, j’envisage d’amplifier nos mouvements pour
remotiver certaines zones du corps. Ainsi, ouvrir une
porte, refermer un tiroir, suspendre une veste, ranger
ses affaires, tous ces gestes inconscients deviendraient
étirements des muscles et mise du corps en tension. Ainsi
Questionner la fonction de l’objet en introduisant une
dimension de temporalité
Cf. p45 Shusaku
Arakawa et Madeleine
Gines.
Cf. p46-49Sella et Singer
Ver
s le
pro
jet
74
pourraient disparaître peu à peu des habitudes inscrites
en nous depuis notre plus jeune âge.Je souhaiterais
donc pouvoir MODIFIER notre façon de percevoir
ces objets en mettant au point d’autres façons de les
utiliser. J’envisage de REDEFINIR l’architecture même de
ces éléments de l’habitat pour en proposer des usages
différents.
À travers ce projet, et en questionnant nos usages
quotidiens et habituels, je souhaite mettre en place un
processus de création basé sur l’activité physique. Ma
démarche tend à remettre en question notre perception
de l’espace domestique en bousculant les codes établis
de la maison. Étant bien entendu que ce processus
considère les mouvements du corps et l’activité
musculaire comme matières premières. Le but ultime est
de générer de nouvelles dynamiques de vie.
Ver
s le
pro
jet
7776
Inactivité Le corps au quotidien
Conclusion
L’un des objectifs du design est d’offrir de meilleures
conditions de vie à l’homme, par ses créations ou ses
interventions. À travers cette volonté, le designer tente
d’offrir un maximum de bien-être et de plaisir aux
consommateurs grâce aux objets qu’il créé. Comme
nous avons pu le constater précédemment, le confort
est devenu l’élément central dans notre perception
de l’espace domestique. Aujourd’hui le designer a
tendance à être dans une vision protectrice de l’usager,
en offrant toujours plus de confort et en tentant de
supprimer toute dépense énergétique ou souffrance
infligé au corps. Par cette démarche il devient donc le
créateur d’environnement de vie propice à des postures
quotidiennes sédentaires et donc à l’inactivité. Il a une
volonté de supprimer toute souffrance infligée au corps,
la plus infime soit-elle, car elle serait synonyme de
déplaisir et donc opposée à notre quête du bonheur.
Mais nous savons aussi que le bien-être passe par un
certain degré de souffrance pour envisager un résultat
tangible sur notre organisme, comme par exemple dans
le cas du sport, afin d’accéder au bonheur. Pour autant
il est bien évident que la pratique sportive ne peut être
envisagée comme un moyen de dynamiser notre espace
domestique, car elle implique la notion de compétition,
incompatible avec notre environnement domestique.
Par ma démarche de design, j’envisage de déterminer
de nouvelles activités domestiques dans l’habitat afin
de mettre le corps en mouvement ou de stimuler une
activité musculaire. De ce fait, je ne peux pas occulter
l’idée que toutes sollicitations corporelles, impliquera
forcement un effort, peut être même douloureux. Mais le
designer doit-il pour autant toujours chercher à protéger
le corps, à le materner par cette abondance de confort
qui l’entoure ?
Je soutiens l’idée que l’inconfort peut être envisagé
dans l’environnement domestique, afin de créer une
ergonomie dynamique dans celui-ci. Cet inconfort peut
être le vecteur de nouvelles
situations actives dans
l’habitat et pourrait modifier
nos comportement et nos
modes de vie. Mon parti
pris est d’imaginer de
nouvelles activités physiques intégrées à notre quotidien,
afin de proposer une solution alternative pour le corps,
face au deux formes contemporaines d’hédonisme qui
s’offrent à lui (hédonisme de l’oisiveté et hédonisme de la
«sportivisation»).
Je souhaite manipuler des perturbations dans notre envi-
ronnement quotidien, qui puissent être non seulement
acceptées mais finalement désirées, afin d’interpeller
le corps, dans le but de faire évoluer les rapports que
Je soutiens l’idée que l’inconfort peut être envisagé dans l’habitat
78
Con
clus
ion
nous entretenons avec lui. L’idée est de réinvestir une
activité corporelle dans nos usages quotidiens afin de le
sortir de l’état statique dans lequel l’inactivité l’a plongé.
Considérer le corps en mouvement comme élément
central de ma recherche remettrait en considération
notre perception de l’espace domestique et viendrait
bousculer la vision actuelle que nous avons de l’habitat.
Inactivité Le corps au quotidien
8180
Annexes
Les étudiants en BTS Design de Produit de l’école
Boulle, travaillant avec le Centre National de la Danse et
plus particulièrement le Chorégraphe Fabrice Lambert,
Vaïana Le Coustumer m’a invité à venir découvrir les
pratiques contemporaines de la danse, dans le but de
nourrir mon projet.
Je me rends alors au CND, afin de participer à un cours
de danse contemporaine orchestré par le chorégraphe.
Je dois l’avouer j’étais un peu sceptique, n’ayant aucune
idée de ce qu’il allait m’arriver ni de ce que j’allais être
amené à faire. N’ayant aucune connaissance de la
danse contemporaine, ni de la danse en général j’arrive
alors dans cet endroit avec une posture assez naïve. Je
rencontre alors les autres étudiants, pour qui ce n’était
pas la première séance et Fabrice Lambert.
Je rentre alors dans la salle de danse et la séance
commence. Une succession d’exercices qui va durée
plus de trois heures et qui ne s’apparente pas à tous les a
priori que je pouvais avoir sur la danse contemporaine.
Tous ces exercices ne requièrent pas une connaissance
particulière de gestes chorégraphiés et ne convoquent
Rencontre avec le Centre National de la Danse
aucun style de danse. Tout est basé sur la compréhension
du corps et de la matière qui le constitue: ossature,
muscles, articulations, peau …
« Le Tonus est l’ensemble des muscles que l’on ne
contrôle pas. L’espace a une conséquence sur moi, donc
réciproquement j’ai aussi une conséquence sur lui. Pour
arriver à mieux appréhender son corps il faut d’abord
arriver à s’en détacher et l’envisager comme une matière
extérieure à manipuler ». Fabrice Lambert nous incite
à prendre conscience de notre matière corporelle dans
sa globalité et nous explique que l’élément principal de
son travail de chorégraphe, est la compréhension du
fonctionnement de toutes les parties du corps. Le corps
parle et se manifeste différemment selon l’élément que
l’on souhaite solliciter. Le chorégraphe définit quatre
types de mouvements, afin de constituer ses chorégra-
phies. Celles -ci sont fondées sur les différentes manières
de solliciter son corps : les mouvements de la peau, des
muscles, des articulations et du squelette. Danser avec
ses muscles ne produit pas les mêmes gestes que danser
avec ses articulations ou son squelette. Chacune de ces
danses demandent une concentration sur son corps pour
arriver à retranscrire au spectateur quel type de danse
je pratique, et quel élément de mon corps je convoque.
« Il faut se focaliser uniquement sur l’élément du corps
que je veux solliciter, il faut penser « peau » pour danser
« L’espace a une conséquence sur moi, donc réciproquement j’ai aussi une conséquence sur lui »
82 83
Ann
exes
avec sa peau, il ne faut penser qu’à cela pour être le plus
démonstratif possible ». Plus facile à dire qu’à faire … Et
lorsqu’il est temps de passer à la pratique, l’affaire s’avère
être beaucoup plus difficile que prévue. Il y a un léger
flottement pendant une quinzaine de minutes, durant
lesquelles je n’ose pas trop bouger. Voyant que tous les
autres participants s’exécutent sans gène, je commence
alors à tenter des choses. Heureusement le ridicule
ne tue pas...Et je dois avouer que les élèves sont très
tolérants face à mon niveau et me mettent rapidement en
confiance. Dans cette débauche d’énergie, je me prends
alors réellement au
jeu et c’est assez
plaisant. Chacun
de mes gestes ne
recherche pas une
signification mais
tente seulement de
solliciter l’élément de mon corps que je souhaite
réveiller. L’aspect esthétique n’est pas du tout pris en
compte, seule la finalité est importante. Les muscles se
détendent, le corps se relâche, et chaque partie de mon
corps devient une matière malléable que j’active à mon
souhait, sans rechercher la séduction ou la grâce dans
mes gestes. L’esthétique se créait alors toute seule.
Certes, devenir vraiment gracieux dans ses gestes
Les muscles se détendent, le corps se relâche, et chaque partie de mon corps devient une matière malléable
Inactivité Le corps au quotidien
84
Ann
exes
requiert des années de pratique, une connaissance des
bases de la danse classique et relève d’une ascèse et
d’une implication totale, cela est évident. Mais ce qui
attire mon attention ce sont les sensations que de telles
pratiques procurent. Le corps est relâché, détendu et le
dialogue qui s’installe entre l’esprit et le corps est assez
fascinant.
L’étape finale de la journée est d’arriver à retranscrire, par
la danse, l’idée principale de mon projet en convoquant
les éléments du corps les plus aptes à faire comprendre
au spectateur de quoi il est question. Il m’est alors
demandé de choisir un terme significatif du projet et de
tenter de le danser...
Je ne pense pas avoir un grand avenir dans la danse,
néanmoins la manière qu’a cette pratique d’impliquer le
corps m’interpelle et me paraît être une porte d’entrée
intéressante pour mon projet. La danse permet de
donner toute son importance au corps réel et de
l’aborder d’une manière plus sereine. Elle donne du sens
à nos mouvements et implique une dimension sensible
très peu investie dans notre quotidien. Danser sa vie ?
Pourquoi pas ?
Danser sa vie ? Pourquoi pas ?
8786
Rencontre avec Loïc Lauziskinésithérapeute
Loïc Lauzis est kinésithérapeute en région parisienne,
il exerce au sein d’un cabinet médical et suit également
une équipe professionnelle féminine de handball. Il
fait donc face à tous types de cas auxquels le corps est
confronté. Cet entretien m’a permis de recueillir de
nombreuses données techniques d’ordre physiologique
qui me permettront par la suite de développer mes pistes
de recherche d’une manière plus précise. Il a accepté
de répondre à quelques unes de mes questions afin de
m’aider à faire évoluer mon projet.
Quels sont les cas fréquents auxquels vous êtes confronté lorsque vous exercez dans votre cabinet ?
L.Lauzis: Cela dépend des personnes, de leur métier et
de leurs activités. Par exemple les personnes exerçant
un métier assis, sans généraliser, ont le plus souvent des
troubles musculo-squelettiques focalisés sur les parties
extérieures du corps, c’est à dire le dos. Il va y avoir
deux types de problème, tout d’abord au niveau de ce
que nous appelons la structure active, muscles, tendons
et ensuite au niveau de la structure passive, ligaments
et articulations. Ce sont des personnes qui vont être
exposées par exemple à des problèmes d’hernies
car leurs muscles du dos sont très peu développés,
comme chez la plupart des gens, et de ce fait la colonne
vertébrale n’est pas tenue. Cela a pour effet de voûter le
corps vers l’avant. Ils adoptent peu à peu des postures qui
vont déclencher ce type de complication.
Comment prévenir de ces maux avant qu’ils n’apparaissent ?
L.Lauzis: Dans notre société, les gens valorisent leurs
muscles antérieurs car ce sont les muscles que l’on va
voir dans le reflet du miroir. Ils constituent notre façade,
donc nous avons tendance à muscler ces parties du corps
pour des raisons sociales ou de beauté. Les muscles
extérieurs ne sont pas valorisés car ils sont invisibles et ils
ne participent pas à la construction de l’image du corps
que nous souhaitons montrer.
Néanmoins ces muscles participent au maintien du corps.
Le renforcement de ces muscles permettrait d’augmenter
d’une part notre puissance mais aussi de structurer
notre posture en alignant la colonne vertébrale. Le
développement des muscles extérieurs va permettre
d’ouvrir la cage thoracique. La masse corporelle est
essentiellement basée sur l’avant du corps, nous avons
donc une tendance naturelle à adopter des postures
voûtées. Tonifier les muscles du dos permettrait de
Ann
exes
Inactivité Le corps au quotidien
88 89
redresser le corps et ainsi de prévenir, par exemple, des
problèmes d’hernie.
Je souhaite à travers mon projet, introduire de nouvelles activités domestiques dans l’habitat afin de stimuler les muscles et le corps au quotidien, quel type de mouvements je dois préconiser ou bannir de mon champ de recherche ?
L.Lauzis: Les mouvements de rééducation peuvent
être une bonne base de départ. Mais il faut néanmoins
faire attention à ne pas générer de rhumatisme à
travers de nouvelles gestuelles dans l’habitat. Les
rhumatismes entrainent la rupture des tendons, lorsque
la structure du tendon n’est plus capable de répondre
aux contraintes auxquelles elle est soumise, elle s’use et
finit par rompre. La rééducation permet de réhabiliter
un corps infranormal, accidenté, malade, ou ayant
subit une opération, afin qu’il retrouve son état normal.
Elle est fondée sur des principes gymniques et va petit
à petit ré-impliquer le corps et les muscles dans des
activités physiques. Envisager qu’une personne n’ayant
aucun problème physique pratique des exercices de
rééducation ne peut être que bénéfique pour son corps,
cela aurait pour effet de tonifier ses muscles. Mais nous
ne sommes pas ici dans une démarche de musculation
qui tend à faire passer un corps normal à un état
super normal, impliqué par de nombreuses atrophies
musculaires. Tonifier le corps ou muscler le corps ne sont
radicalement pas les mêmes choses.
La difficulté, je pense, qu’il va y avoir dans ton projet,
est que le corps va naturellement au plus simple. Une
approche théorique est souvent à mille lieux du résultat
pratique, il ne faut pas imaginer que telle ou telle
gestuelle ou posture va impliquer une certaine chaine
musculaire, car la réalité n’est pas souvent comme
on l’imagine. C’est toute la difficulté de l’ergonomie,
nous pouvons imaginer des usages bénéfiques pour le
corps mais ce que nous ne pouvons pas prévoir c’est
la façon dont l’utilisateur va s’emparer du produit.
D’où l’importance de passer rapidement à la phase
d’expérimentation pour valider les effets sur les chaines
musculaires que nous souhaitons solliciter.
Ann
exes
Inactivité Le corps au quotidien
92
Inactivité Le corps au quotidien
93
Bibliographie
Ouvrages
BERNARD Michel, Le corps, éditions Points, Paris, 1995
BAUDRILLARD Jean, Le systeme des objets, éditions Galimard,
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COURTINES Jean Jacques, Histoire du corps “tome 3” , Édition du
Seuil, janvier 2006
DEPIESSE Fréderic, Prescription des activités physiques: en prévention et en thérapeutique, édition Masson, 2009
JUVIN Hervé, L’avénement du corps , édition Galimard, octobre
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Films et documentaires
BAY Michael, No pain No gain, Paramount, sortie en août 2013CHAPLIN Charlie, Modern times, , sortie en septembre 1936GORDON-LEWITT Joseph, Don Jon, Mars distribution, sortie en décembre 2013LALLIER Thomas, Skateboard stories, Arte, diffusé le 16 Juin 2011LUDSRÖM Lars, Real Humans, Arte, série diffusé depuis 2012NICCOL Andrew, Gattaca, Columbia Picture, sortie en Octobre 1997PIXAR Studio, Wall E, Disney studio, Sortie en Juillet 2008
Bibl
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Remerciments
Je remercie l’ensemble de l’équipe pédagogique de DSAA
pour leur confiance et leur soutien: Vincent Rossin, Sophie Breuil, Bertrand Vieillard, Dominique Robert, Vaïana Le Coustumer, Antoine Fermey, Rolland Lemoine, Jean- pierre Queffeulou et François Boissonnet
Je remercie ma famille pour m’avoir encouragé et
plus particulièrement ma mére pour ses nombreuses
relectures et corrections.
Je remercie Mr. Guigou pour m’avoir accordé de son
temps et fait en sorte que mon français soit correct.
Je remercie l’ensemble de mes camarades de classe de
DSAA qui m’ont permis d’évoluer au cours de ces deux
années.
Je remercie Marine pour son écoute, son soutien et sa
patience au quotidien.
InactivitéLe corps au quotidien
Direction du mémoire: BREUIL Sophie, ROSSIN Vincent,
VIEILLARD Bertrand
Soutenance le 4 mars 2014