Download - Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
1/530
Gilles Deleuze
Courssur
SpinozaVincennes
2.12.1980 24.3.1981
transcription denregistrements audio
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
2/530
2
02.12.1980
...que javais comme esquiss et qui tait un problme comme a: ce
problme des vitesses de la pense et de limportance de ces vitesses chez
Spinoza du point de vue de Spinoza lui mme. Et je disais aprs tout, lintuition
intellectuelle ce que Spinoza prsentera comme lintuition du troisime genre
de connaissance, cest bien une espce de pense comme clair. Cest bien
une pense vitesse absolue. Cest dire qui va la fois le plus profond et qui
embrasse, qui a une amplitude maximum et qui procde comme en un clair. Il y
a un assez beau livre de Romain Roland qui sappelle Lclair de Spinoza, trsbien crit. Or je disais, quand vous lirez Lethique ou quand vous la relirez, il
faut que vous soyez sensible ou au moins que vous pensiez cette question que
je pose uniquement, savoir quil semble bien, comme je disais la dernire fois,
que le livre Cinq procde autrement. Cest dire que dans le dernier livre de
lEthique et surtout partir dun certain moment que Spinoza signale lui-mme,
le moment o il prtend entrer dans le troisime genre de connaissance, les
dmonstrations nont plus du tout le mme schma que dans les autres livres
parce que dans les autres livres, les dmonstrations taient et se dveloppaient
sous le second ordre de connaissance. Mais quand il accde au troisime genre ou
une exposition daprs le troisime genre de connaissance, le mode
dmonstratif change. Les dmonstrations subissent des contractions. Il y a de
toutes sortes, il y a des pans de dmonstration qui, mon avis, ont disparu. Tout
est contract. Tout va toute allure. Bon, cest possible. Mais a, ce nest quune
diffrence de vitesses entre le livre Cinq et les autres. La vitesse absolue du
troisime genre, cest dire du livre Cinq, par diffrence aux vitesses relatives
des quatre premiers livres.
Je disais aussi autre chose la dernire fois. Si je minstalle dans le
domaine des vitesses relatives de la pense, une pense qui va plus ou moins vite.
Je mexplique: vous comprenez ce problme jy tiens parce que cest une espcede problme pratique. Je ne veux pas dire quil faille mettre peu de temps la
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
3/530
3
pense. Bien sr la pense est une chose qui prend extraordinairement de temps.
Ca prend beaucoup de temps. Je veux parler des vitesses et des lenteurs produites
par la pense. Tout comme un corps a des effets de vitesse et de lenteur suivant
les mouvements quil entreprend. Et il y a des moments o il est bon pour le
corps dtre lent. Il y a mme des moments o il est bon pour le corps dtre
immobile. Cest pas des rapports de valeur. Et peut-tre que la vitesse absolue et
une immobilit absolue a se rejoint absolument. Sil est vrai que la philosophie
de Spinoza procde comme et par un talement sur une espce de plan fixe. Si il
y a bien cette espce de plan fixe spinoziste o toute sa philosophie sinscrit.
Cest vident que la limite limmobilit absolue et la vitesse absolue ne fontplus quun. Mais dans le domaine du relatif des quatre premiers livres, parfois il
faut que la pense produise de la lenteur, la lenteur de son propre dveloppement
et parfois, il faut quelle aille plus vite, la vitesse relative de son dveloppement
relatif tel ou tel concept, tel ou tel thme.
Or je disais, si vous regardez lensemble alors des quatre premiers livres,
il me semble nouveau, je fais je faisais une autre hypothse sur laquelle je ne
veux pas trop mtendre qui est que, dans lEthique, il y a cette chose insolite
que Spinoza appelle des scolies, ct, en plus des propositions
dmonstrations, corollaires. Il crit des scolies, cest dire des espces
daccompagnement des dmonstrations. Et je disais, si vous les lisez mme
haute voix il y a pas de raison de traiter un philosophe plus mal quon ne traite
un pote... si vous le lisez haute voix, vous serez immdiatement sensibles
ceci: cest que les scolies nont pas la mme tonalit, nont pas le mme timbre
que lensemble des propositions et dmonstrations. Et que l le timbre se fait,
comment dirais-je, pathos, passion. Et que Spinoza y rvle des espces
dagressivit, de violence auxquelles un philosophe aussi sobre, aussi sage, aussi
rserv nous avait pas forcment habitus. Et que il y a une vitesse des scolies
qui est vraiment une vitesse de laffect. Par diffrence avec la lenteur relative des
dmonstrations qui est une lenteur du concept. Comme si dans les scolies desaffects taient projets alors que dans les dmonstrations des concepts sont
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
4/530
4
dvelopps. Donc ce ton passionnel pratique peut-tre quun des secrets de
lEthique est dans les scolies et jopposais ce moment-l une espce de
chane continue des propositions et dmonstrations, continuit qui est celle du
concept, la discontinuit des scolies qui opre comme une espce de ligne
brise et qui est la discontinuit des affects. Bon, supposons... Tout a, cest
vous de cest des impressions de lecture. Comprenez que si jinsiste l-dessus
cest peut-tre que la forme aprs tout est tellement adquate au contenu mme
de la philosophie que la manire dont Spinoza procde formellement a dj
quelque chose nous dire sur les concepts du spinozisme.
Et enfin, je fais toujours dans cet ordre des vitesses et des lenteursrelatives, une dernire remarque. Cest que si je prends uniquement lordre des
dmonstrations dans leur dveloppement progressif, lordre des dmonstrations,
il ny a pas une vitesse relative uniforme. Tantt a stire et a se dveloppe.
Tantt a se contracte et a senveloppe plus ou moins. Il y a donc, dans la
succession des dmonstrations des quatre premiers livres, non seulement la
grande diffrence de rythme entre les dmonstrations et les scolies, mais des
diffrences de rythme dans le courant des dmonstrations successives. Elles ne
vont pas la mme allure. Et l, je voudrais alors retrouver en plein cest par
l que cest pas seulement des remarques formelles retrouver en plein, pour
finir avec ces remarques sur la vitesse, retrouver en plein le problme de... H
ben, presque, le problme de lontologie. Sous quelle forme?
Je prends le dbut de lEthique. Comment est-ce quon peut commencer
dans une ontologie? Dans une ontologie, du point de vue de limmanence o, la
lettre, lEtre est partout, partout o il y a de lEtre. Les existants, les tants sont
dans lEtre, cest ce qui nous a paru dfinir lontologie dans nos trucs prcdents.
Par quoi et comment peut-on commencer? Ce problme du commencement de la
philosophie qui a tran dans toute lhistoire de la philosophie et qui semble avoir
reu des rponses trs diffrentes. Par quoi commencer? Dune certaine manire,
l comme ailleurs, suivant lide toute faite o on se dit que les philosophes nesont pas daccord entre eux, chaque philosophe semble avoir sa rponse. Cest
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
5/530
5
vident que Hegel a une certaine ide sur par quoi et comment commencer en
philosophie, Kant en a une autre, Feuerbach en a une autre et prend partie
Hegel propos de a. Ben si lon applique ce problme Spinoza, lui, comment
il commence? Par quoi il commence? On semblerait avoir une rponse impose.
Dans une ontologie on ne peut commencer que par lEtre. Oui, peut-tre. Et
pourtant... Et pourtant, Spinoza le fait est ne commence pas par lEtre. Ca
devient important pour nous, a sera un problme. Comment se fait-il que dans
une ontologie pure, dans une ontologie radicale, on ne commence pas par l o
lon se serait attendu que le commencement se fasse, savoir par lEtre en tant
quEtre? On a vu que Spinoza dterminait lEtre en tant quEtre commesubstance absolument infinie et que cest a quil appelle Dieu. Or, le fait est que
Spinoza ne commence pas par la substance absolument infinie, il ne commence
pas par Dieu. Et pourtant, cest comme un proverbe tout fait, hein, de dire que
Spinoza commence par Dieu. Il y a mme une formule toute faite pour distinguer
Descartes et Spinoza: Descartes commence par le moi, Spinoza commence par
Dieu. H bien cest pas vrai.
Cest pas vrai. Du moins ce nest vrai que dun livre de Spinoza et cest
un livre qui, la lettre, nest pas de lui. En effet, Spinoza dans sa jeunesse faisait
dj, suivant la mthode que je vous ai dite la mthode des collgiants,
faisait des espces de cours privs des groupes de types. Et ces cours, on les a.
On les a sous forme de notes dauditeurs. Pas exclu que Spinoza ai rdig
certaines de ces notes. Trs obscur. Ltude du manuscrit est trs, trs
complique et a toute une histoire. Enfin, lensemble de ces notes existe sous le
titre de Le cours trait. Le cours trait. Or dansLe court trait, le chapitre Un
est ainsi intitul: Que Dieu est. Je peux dire, la lettre, Le court trait
commence par Dieu. Mais ensuite, pas du tout, ensuite pas du tout... Et l a pose
un problme. Parce que lon dit trs souvent que lthique commence par Dieu et
en effet, le livre Un est intitul De Deo. De Dieu, au sujet de Dieu. Mais si
vous regardez en dtail tout ceci tant des invites pour que vous fassiez trsattention la lettre du texte si vous regardez en dtail, vous verrez que Dieu
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
6/530
6
dans le livre Un, au niveau des dfinitions nest atteint qu la dfinition Six -
donc il a fallu cinq dfinitions et au niveau des dmonstrations nest atteint
que vers Neuf, Dix, propositions Neuf et Dix. Il a donc fallu cinq dfinitions
pralables et il a fallu huit propositions/dmonstrations pralables. Je peux en
conclure que, en gros, lEthique commence par Dieu, littralement, la lettre,
elle ne commence pas par Dieu. Et en effet, elle commence par quoi? Elle
commence par le statut des lments constituants de la substance, savoir, les
attributs.
Mais bien mieux. Avant lEthique, Spinoza avait crit un livre, Le traitde la rforme de lentendement. Dans ce trait, - ce trait, il ne la pas achev.
Pour des raisons mystrieuses dont on pourra parler plus tard, mais enfin l peu
importe, il ne la pas achev. Or je lis parce que jy attache beaucoup
dimportance vous allez voir, parce que je voudrais soulever certains problmes
de traduction trs rapidement: paragraphe 46: je lis la traduction - la meilleure
traduction du trait de la rforme cest la traduction de Colleret aux ditions Vrin
mais ceux qui ont la Pleade, vous vous contentez de ce que vous trouvez, cest
pas grave. paragraphe 46 dans toutes les ditions le numrotage des
paragraphes est le mme si par hasard quelquun demande pourquoi moi
mme, puisque la vrit se manifeste par elle mme, je nai pas tout dabord et
avant tout exposer dans lordre d, les vrits de la nature, je lui rponds - et l
dessus une srie de trois petits points indiquant une lacune je lui rponds et
en mme temps je lexhorte de ne pas rejeter comme fausses les choses que je
viens dexposer cause de paradoxes qui peut tre se trouvent a et l...
Comprenez je dis: cest quand mme marrant, les diteurs ils ne sont pas gens et
ils ont raison de ne pas tre gns - quand quelque chose ne leur convient pas, ils
flanquent une lacune. L il y a lindication dune lacune qui nest pas du tout
dans le manuscrit. et cest trs bizarre! est ce que vous sentez ce que je veux
dire? Supposez un diteur qui soit persuad que Spinoza, mme nerveusement
persuad - que Spinoza doit commencer par LEtre, cest dire par lasubstance absolument infinie cest dire par Dieu, il rencontre des textes o
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
7/530
7
Spinoza dit le contraire: quil ne va pas commencer par Dieu, lditeur ce
moment se trouve devant plusieurs possibilits:
Ou bien dire que cest un moment de la pense de Spinoza qui nest
pas encore au point cest dire que Spinoza na pas atteint sa vritable pense.
Ou bien conjecturer une lacune dans le texte qui changerait le sens de
la phrase.
Ou bien troisime possibilit, en un sens cest la meilleure, trafiquer
peine la traduction Dans ce texte 46 et je voudrais juste mtendre sur ce point
car cela fait partie de la critique interne des textes, dans ce paragraphe 46,
Spinoza nous dit formellement: il y a bien un ordre d cest lordre quicommence par Dieu mais je ne peux pas le suivre ds le dbut. Cest une pense
claire: il y a un ordre d, un ordre ncessaire cest celui qui va de la substance
aux modes, cest celui qui va de Dieu aux choses mais cet ordre ncessaire je ne
peux pas le suivre ds le dbut: cest une pense trs claire! on est tellement
persuads que Spinoza doit le suivre ds le dbut que quand on rencontre un
texte qui ne colle pas, on prsuppose une lacune, a va pas, cest pas bien.
paragraphe 49, je lis - l les diteurs nont pas oser corriger je lis: Ds le dbut
donc fin du pargraphe 49 ds le dbut donc il nous faudra veiller
principalement ce que nous arrivions le plus rapidement possible quanto
ocius ce que nous arrivions le plus rapidement possible la connaissance de
lEtre. Alors mon cur bondit de joie vous comprenez. Il le dit formellement. Il
sagit darriver le plus rapidement possible, le plus vite possible la position de
lEtre et la connaissance de lEtre. Mais pas ds le dbut. Lontologie aura un
dbut: comme lEtre est partout, il faut prcisment que lontologie ait un dbut
distinct de lEtre lui-mme. Si bien que vous comprenez que a devient un
problme technique pour moi. Parce que... ce dbut a ne peut pas tre quelque
chose de plus que lEtre, de suprieur lEtre. Il y a pas. Le grand Un suprieur
lEtre a nexiste pas du point dune ontologie, on la vu les autres fois. Quest-
ce que a va tre ce mystrieux dbut?
Je continue mon recensement du trait. Paragraphe 49, Non, a je viens
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
8/530
8
de le faire. Paragraphe 75. Non, il y a rien. Ah oui! Pour nous, au contraire, si
nous procdons de la faon aussi peu abstraite que possible et si nous
commenons aussi tt que faire se peut en latin, aussi tt que faire se peut...
quam primum fieri potest... aussi tt que faire se peut si nous commenons
aussi tt que faire se peut par les premiers lments, par les premiers lments,
cest dire par la source et lorigine de la nature. Voyez! Nous commenons par
les premiers lments, cest dire par la source et lorigine de la nature, la
substance absolument infinie avec tous les attributs, mais nous ne commenons
par l que aussitt que faire se peut. Bon... Il y a bien... On y arrivera le plus
vite possible. Cest lordre de la vitesse relative. Et enfin parce que cest le plus beau tas, paragraphe 99 o l, la
traduction est trafique, ce qui est il me semble, le pire! Voil ce que dit le texte
traduit par Colleret et les traducteurs l, suivent Colleret, je cite colleret parce
tait un homme trs prodigieux dune science immense - je lis la traduction de
Colleret Pour que toutes nos perceptions soient ordonnes et unifies il faut que
aussi rapidement que faire se peut - on le retrouve - il faut faire aussi
rapidement que faire se peut et Coilleret traduit: - la raison lexige - nous
recherchions sil y a un Etre et aussi quel Il est. Voyez la traduction Ciolleret
donne: il faut que aussi vite que possible - la raison lexige - nous recherchions
sil y a un Etre, en dautres termes il fait porter la raison lexige sur la ncssit
de rechercher sil y a un Etre. Cest bizarre pour un homme qui savait le latin
admirablement car le texte ne dit pas a du tout. je traduis le texte en mauvais
franais mais mot mot: il faut que, il est requis que aussi vite que possible et
que la raison lexige. Voyez cest pas grand chose mais cest norme a change
tout. En latin: quam primum fieri potest et ratio postulat: aussi vite quil est
possible et que la raison lexige, en dautres termes cest la raison qui exige que
nous ne commencions pas par lEtre mais que nous y arrivions le plus vite
possible. Or pourquoi a mimporte a. Cest qualors cette question daccord. Il
y a une vitesse relative. Aussi vite que possible cest les dix premires
dmonstrations de lEthique, du livre Un. Il va aussi vite que possible. Cest a lavitesse relative de la pense. La raison exige quil y ait un rythme de la pense.
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
9/530
9
Vous ne commencerez pas par lEtre, vous commencerez par ce qui vous donne
accs lEtre. Mais quest-ce qui peut me donner accs lEtre? Alors cest
quelque chose qui nest pas. Cest pas lUn. On a vu que a pouvait pas tre
lUn. Cest quoi? Cest un problme. Cest un problme. Je dirai ma conclusion:
si cest vrai que Spinoza cest un philosophe pour qui la pense est tellement
productrice de vitesses et de lenteurs et prise elle-mme dans un systme de
vitesses et de lenteurs. Cest bizarre a. Encore une fois, a va beaucoup plus loin
que de nous dire: La pense prend du temps. La pense prend du temps,
Descartes laurait dit, je lai rappel la dernire fois, Descartes laurait dit. Mais
la pense produit des vitesses et des lenteurs et elle-mme est insparable desvitesses et des lenteurs quelle produit.
- Il y a une vitesse du concept, il y a une lenteur du concept. Quest-ce
que cest que a? H ben, bon. De quoi dit-on vite ou lent dhabitude.
Cest trs libre ce que je dis l. Cest pour vous donner envie daller voir cet
auteur. Je sais pas si je russis, peut-tre que jobtiens le contraire. Donc je fais
pas encore du commentaire lettre lettre. Jen fais parfois comme je viens den
faire mais... Vous me comprenez... De quoi est-ce quon dit Ca va vite, a va
pas vite , Ca se ralentit, a se prcipite, a sacclre ? On dit a des corps.
On dit a des corps. Et je vous ai dit dj, quitte ne le commenter que plus tard,
que Spinoza se fait une conception trs extraordinaire des corps cest dire une
conception vraiment cintique. En effet, il dfinit le corps, chaque corps, et bien
plus, il en fait dpendre lindividualit du corps. Lindividualit du corps, pour
lui, de chaque corps, cest un rapport de vitesses et de lenteurs entre lments. Et
jinsistais: entre lments non forms. Pourquoi? Puisque lindividualit dun
corps cest sa forme, et sil nous dit la forme du corps - il emploiera lui-mme le
mot forme en ce sens - la forme du corps, cest un rapport de vitesses et de
lenteurs entre ses lments, il faut que les lments naient pas de forme, sinon la
dfinition naurait aucun sens. Donc il faut que ce soient des lments matriels
non forms, qui nont pas de forme par eux-mmes. Ce sera leur rapport de
vitesses ou de lenteurs qui constituera la forme du corps. Mais en eux-mmes,ces lments entre lesquels stablissent les rapports de vitesse et de lenteur sont
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
10/530
10
sans forme, non forms. Non forms et informels. Quest-ce que je peux vouloir
dire, on remet plus tard. Mais pour lui cest a un corps.
Et je vous disais une table, H ben cest a. Bon, pensez la physique.
La physique nous dira systme de molcules en mouvement les unes par rapport
aux autres, systme datomes. Cest le bureau dEdington, le bureau du
physicien. Bon. Or il a cette vision. Encore une fois, cest pas du tout quil
prcde la physique atomique ou lectronique. Cest pas a. Cest pas a! Cest
que, en tant que philosophe, il a un concept du corps tel que La philosophie
produit ce moment l une dtermination du corps que la physique avec de toutautres moyens retrouvera ou produira pour son propre compte. Ca arrive tout le
temps ces trucs l. Et donc, cest trs curieux. Car a me fait penser des textes
particulirement beaux de Spinoza. Vous trouverez par exemple au dbut du livre
du livre Trois de lEthique. Spinoza lance vraiment des choses qui ressemblent -
Lanne dernire javais essay de trouver ou dindiquer - pas de trouver, javais
pas trouv - un certain rapport entre les concepts dun philosophe et des espces
de cris - de cris de base, des espces de cris - de cris de la pense. H ben, il y a
comme a, de temps en temps, il y a des cris qui sortent de Spinoza. Cest
dautant plus intressant que encore une fois ce philosophe qui passe pour une
image de srnit, curieux, quand est-ce quil se met crier? Il crie beaucoup
justement dans les Scolies. Ou bien dans les introductions un livre. Il crie pas
dans les dmonstrations. La dmonstration cest pas un endroit ou un lieu o on
peut crier.
- Et quest-ce que cest les cris de Spinoza? Jen cite un. Il dit: il parle du
petit bb, du somnambule et de livrogne... Voil, voil... Ah! Le petit bb, le
somnambule. Le petit bb quatre pattes. Le somnambule qui se lve la nuit en
dormant et qui va massassiner. Et puis livrogne qui se lance dans un grand
discours. Bon. Et il dit - parfois il est trs comique, vous savez, il a lhumour juif,
Spinoza. - Il dit: Oh! Finalement, on ne sait pas ce que peut le corps. On ne
sait pas ce que peut le corps. Il faut dans votre lecture, quand vous tomberez surce genre de phrase chez Spinoza, il ne faut pas passer comme si... Dabord il faut
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
11/530
11
beaucoup rire, cest des moments comiques. Il ny a pas de raison que la
philosophie nait pas son comique elle. On ne sait pas ce que peut le corps.
Voyez... un bb l qui rampe. Voyez un alcoolique qui vous parle, qui est
compltement ivre. Et puis vous voyez un somnambule qui passe l. Oh oui!
Cest vrai, on ne sait pas ce que peut le corps. Aprs tout, a prpare
singulirement un autre cri qui retentira longtemps aprs et qui sera comme la
mme chose en plus contract lorsque Nietsche lance: Ltonnant cest le
corps. Ce qui veut dire quoi? Ce qui est une raction de certains philosophes
qui disent: coutez, arrtez avec lme, avec la conscience, etc. Vous devriez
plutt essayer de voir un peu dabord ce que peut le corps. Quest-ce que...Vous ne savez mme pas ce que cest le corps et vous venez nous parler de
lme. Alors non, il faut passer l. Bon quest-ce quil veut dire l? Ltonnant
cest le corps, dira lautre. Et Spinoza dit dj littralement: vous ne savez pas
encore ce que peut un corps. Ils ont bien une ide pour dire a. Cest curieux ils
nous proposent un modle du corps, evidemment cest dune grande
mchancet pour les autres philosophes qui encore une fois nont pas cess de
parler de la conscience et de lme. Eux ils disent et aprs a... - quand on traite
Spinoza de matrialiste, quon dit cest du matrialiste! - bien sr ce nest pas la
lettre, il cesse pas lui aussi de parler de lme mais comment il en parle de lme?
il en parle dune drle de faon et a se comprend trs bien
sur lme et ses rapports sur le corps il a une doctrine qui sera connue
sous le nom - le mot nest pas de lui - qui sera connue sous le nom de
parrallelisme. Or le parralllisme cest quoi? je dis cest curieux parce que le mot
il ne vient pas de lui, il vient de Leibnitz qui sen sert dans un tout autre contexte
et pourtant ce mot mme conviendrait trs bien Spinoza. revenons sa
proposition ontologique de base, cest lEtre - elle comporte plusieurs
articulations
- cest premirement: lEtre est substance mais substance absolument
infinie ayant, possdant - l je laisse un mot trs vague - tous les attributs.Substance absolue possdant tous les attributs infinis. Il se trouve pour des
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
12/530
12
raisons que lon verra plus tard que nous, qui ne sommes pas la substance
absolue, nous ne connaissons que deux attributs, nous navons connaissance que
de deux attributs:
ltendue
et la pense et en effet ce sont des attributs de Dieu. Il y a beaucoup
de pourquoi l dedans mais ce nest pas ce que je traite pour le moment, on
verra plus tard. Pourquoi ltendue et la pense sont-ils des attributs de Dieu? Je
vous en informe comme a mais ce nest pas ce que je traite aujourdhui. Ca
nempche pas que la substance absolue a une infinit dattributs, elle nen a pas
que deux, elle, nous nen connaissons que deux, mais elle, elle en a une infinit.Nous, quest ce que nous sommes? nous ne sommes pas substance. Pourquoi? l
on va retomber en plein dans un problme que jai dj essayer dagiter la
dernire fois. Si nous aussi nous tions substance, la substance se dirait en deux
sens au moins, elle se dirait en plusieurs sens: elle se dirait
- en un premier sens: Dieu, la substance infinie.
- elle se dirait en un second sens: Moi, tre fini. En effet au premier sens:
Dieu, la substance ce serait quelque chose comme ce qui existe par soi mme.
Mais si jtais une substance, ce serait en un sens trs diffrent puisque je
nexiste pas par moi mme etant une crature finie, tant un tre fini, jexiste
supposons par Dieu, je nexiste pas par moi mme. Donc je ne suis pas substance
au mme sens que Dieu est substance.
- troisime sens: si mon corps lui mme est substance cest encore en
un autre sens, puisque le corps est divisible tandis que lme nest cense pas
ltre. etc... En dautres termes, comprenez: si je suis substance, cest tout simple:
je ne suis substance que dans un sens du mot substance ds lors le mot
substance plusieurs sens, en dautres termes, le mot substance est
quivoque. Il est forcment quivoque. Substance se dira par analogie. Si
vous vous rappelez les notions que jai essay vaguement de dfinir les autres
fois, substance se dira par analogie puisque lanalogie cest le statut du concept
en tant quil a plusieurs sens: cest lquivocit. Substance sera un mot quivoqueayant plusieurs sens. Ces sens auront des rapports danalogie. De mme que
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
13/530
13
Dieu na besoin que de soi pour exister - premier sens de substance - moi, tre
fini je nai besoin que de Dieu pour exister - deuxime sens - il y a analogie
entre les sens et ce moment l substance est un mot quivoque. Voyez et en
effet Descartes le dit explicitement: Descartes reste au moins thomiste quelque
soit les ruptures de Descartes avec Saint Thomas - il reste absolument thomiste
sur un point fondamental savoir: ltre nest pas univoque. En dautres termes il
y a plusieurs sens du mot substance et comme dit Descartes qui reprend l le
vocabulaire du moyen ge, la substance se dit par analogie. Voyez ce que ces
termes mystrieux veulent dire en fait cela veut dire des choses trs rigoureuses.
On a vu et je ne reviens pas l dessus que, au contraire Spinoza
developpe, dploie le plan fixe de lunivocit de ltre, de ltre univoque. Si
ltre est substance cest la substance absolument infinie et il ny a rien dautre
que cette substance, cette substance est la seule! en dautres termes univocit de
la substance. Pas dautres substances que ltre absolument infini cest dire pas
dautre substance que ltre en tant qutre. Ltre en tant qutre est substance ce
qui implique immdiatement que rien dautre ne soit substance. Rien dautre?
quest ce quil y a dautre que ltre? On la vu les dernires fois et cest peut tre
a le point de dpart de lontologie quon cherchait. Donc on va peut tre avoir
une rponse possible notre question! Quest ce quil dautre que ltre, que
ltre en tant qutre du point de vue dune ontologie mme? On la vu depuis le
dbut; ce quil y a dautre que ltre en tant qutre, du point de vue de
lontologie mme cest ce dont ltre se dit cest dire ltant, lexistant. ltre se
dit de ce qui est, de ltant, de lexistant. Voyez la consquence immdiate ce
qui est: ltant nest pas substance. Evidemment cest scandaleux dun certain
point de vue, scandaleux pour Descartes, pour toute la pense chrtienne, pour
toute la pense de la cration. Alors cest quoi? on na mme plus le choix! ce
qui est nest ni substance ni attribut puisque la substance cest ltre, les
attributs cest les lments de ltre.
Tous les attributs sont gaux: il ny aura pas de supriorit dunattribut sur un autre. Et en effet vous voyez bien que Spinoza creuse au
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
14/530
14
maximum son opposition toute une tradition philosophique cest la tradition de
lUn suprieur ltre. Ce quil va faire - je crois que cest une caractristique de
Spinoza la philosophie la plus anti-hirarchique quon nait jamaisfait. Il y a peu
de philosophes qui dune manire ou dune autre, mais ou bien explicitement dit
ou bien suggr, au moins mais en gnral explicitement dit, que lme valait
mieux que le corps, que la pense valait mieux que ltendue et tout a, fait partie
des niveaux de ltre partir de lun. Cest insparable la diffrence hirarchique,
est insparable des thories ou des conceptions de lmanation, de la cause
emanative. je dois vous rappeler, les effets sortent de la cause, il a un ordre
hirarchique de la cause leffet.- LUn est suprieur ltre,
- ltre son tour, est suprieur lme,
- lme est suprieure au corps. Cest une descente. Le monde de Spinoza
est trs curieux, en effet. Cest vraiment le monde le plus anti-hirarchique quait
jamais produit la philosophie! En effet, sil y a univocit de ltre, si cest lun
qui dpend de ltre et pas ltre qui dpend de lun, qui dcoule de ltre, sil ny
a que ltre et ce dont ltre se dit et si ce dont ltre se dit, est dans ltre, si
ltre comprend ce dont elle se dit, le contient du point de vue de limmanence,
dune certaine manire quil faudra arriver dterminer, tous les tres sont
gaux. Simplement, je laisse en blanc, tous les tres sont gaux, en tant que quoi?
De quel point de vue? En tant que quoi? Quest ce que cela veut dire alors, une
pierre et un sage, un cochon et un philosophe a se vaut? Il suffit de dire en tant
que quoi. Bien sr, a se vaut. En tant quexistence, a se vaut; a se vaut. Et l,
Spinoza ne renoncera jamais a. Il le dira formellement, le sage et le dment, il
y a bien un point de vue, un en tant que, o lon voit de toute vidence que lun
nest pas suprieur lautre. Trs curieux, trs tonnant, a, ce truc l! Jessaierai
de lexpliquer, l, je ne prtends pas de lexpliquer encore, hein! Alors, bon,
ltre, ltre univoque, cest forcment un tre gal. Celles-l pas forcment que
tous les tants se valent mais que ltre, ltre se dit galement de tous les tants,
ltre se dit galement de tout ce qui est, que ce soit un caillot ou un philosophe,hein! De toute manire, ltre na quun seul sens. Une belle ide, hein! Mais il
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
15/530
15
ne suffit pas davoir lide. Il faut construire le paysage o elle fonctionne lide,
et a, il sait le faire, Spinoza!
- Et ltre univoque, cest forcment un tre gar. Jamais on a pouss
plus loin, la critique de toute hirarchie. Ltendue est comme la pense, cest un
attribut de la substance et vous ne pouvez pas dire quun attribut est suprieur
lautre: galit parfaite de tous les attributs.
Alors, simplement, sil y a galit parfaite, quest ce quil faut dire?
Quest cest le paralllisme? Nous sommes des modes, hein! Nous sommes des
modes, nous ne sommes pas des substances, cest--dire nous sommes desmanires dtre, nous sommes modes, a veut dire manires dtre, nous sommes
des manires dtre, nous sommes des modes, en dautres termes, ltre se dit, de
quoi? Il se dit de ltant, mais quest ce que ltant? Ltant, cest la manire
dtre, vous tes des manires dtre, cest bien a! Vous ntes pas des
personnes, vous tes des manires dtre, vous tes des modes. Est-ce que a veut
dire comme Leibniz fait semblant de le croire, comme beaucoup de
commentateurs ont dit que finalement Spinoza ne croyait pas lindividualit, au
contraire, je crois quil y a peu dauteurs qui ont autant cru et saisi lindividualit,
mais on a lindividualit dune manire dtre. Et vous vallez ce que vaut votre
manire dtre. Oh! Comme cest rigolo tout a! Alors, je suis une manire
dtre? Bein oui, je suis une manire dtre. a veut dire une manire de ltre,
un mode de ltre. Une manire dtre, cest un mode de ltre. Je ne suis pas une
substance. Vous comprenez, une substance, cest une personne. Eh bien, non, je
ne suis pas une substance. Je suis une manire dtre. Cest peut-tre bien
mieux...! On ne sait pas! Alors forcment, je suis dans ltre puisque je suis une
manire dtre. Forcment, il y a limmanence, il y a immanence de toutes les
manires ltre. Il est en train de faire une pense, mais on se dit la fois, mais
videmment, en fin on se dit, si vous avez le got de a on se dit, bien
videmment, il a raison mais cest tout biscornu, cette histoire; Cest tout
tonnant! Il nous introduit dans un truc tout fait bizarre! Essayez de penser uninstant comme a; il faut que vous le rptiez beaucoup. Non, non, je ne suis pas
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
16/530
16
une substance; je suis une manire dtre. Hein... ouais, Tiens! Ah bon! Une
manire de quoi? Bein ouais, une manire de ltre. Tiens...! Alors a dure une
manire dtre, a a une personnalit, une individualit? a ne peut tre pas de
personnalit, a une trs forte individualit, une manire de ltre, une manire
dtre. Alors, a engage quoi? Eh bein, a veut dire que je suis dedans. Je suis
dans quoi? Je suis dans ltre dont je suis la manire. Et lautre? Lautre aussi, il
est dans ltre dont il est la manire. Mais alors, si on se tape dessus, cest deux
manires dtre qui se battent? Oui, cest deux manires dtre qui se battent.
- Pourquoi? Sans doute quelles ne sont pas compatibles.
- Pour quoi? Peut-tre quil y a une incompatibilit de la vitesse et de lalenteur. Tiens!
- Pour quoi je ramne de la vitesse et des lenteurs? Parce que manire
dtre ou manire de ltre, mode dtre... Cest a...! Cest a...! Cest un rapport
de vitesse et de lenteur; cest des rapports de vitesse et de lenteur sur le plan fixe
de la substance absolument infinie.
Bon, alors, si cest dune manire dtre, daccord, on avance un peu, l,
et je ne suis rien dautre! Je suis un rapport de vitesse et de lenteur entre les
molcules qui me composent. Quel monde! Je pensais quvidemment, tout
croyant, tout chrtien, bondissait quand il lisait du Spinoza, il se disait mais cest
quoi a? Mme tout juif, je ne sais pas... tout homme de religion... lui, il
continuait... il sen faisait pas! Il continuait... Alors donc, quelle manire de
ltre, dtre, je suis, si je suis une manire dtre? On va dire, ce nest pas
compliqu! Voil, vous comprenez... Jai un corps et une me; l, il semble dire...
il semble retomber en plus, sur le pied de tout le monde... Jai un corps et une
me; enfin, on sy trouvera enfin, il dit quelque chose comme tout le monde, a
ne va pas durer longtemps. Il dit cest trs vrai a, Jai un corps et une me et
mme Je nai que a! Et l, dun certain ct, cest embtant. Cest embtant
puisquil y a une infinit dattributs de la substance absolue; et moi, jai
simplement un corps et une me; et en effet quest ce cest un corps? Un corps, cest un mode de ltendue;
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
17/530
17
Une me, cest un mode de la pense.
Peut tre ici, il y a dj, une rponse ou une premire rponse la
question pour quoi de tous les attributs de la substance absolue je nen connais
que deux? a, cest un fait. Cest le fait de ma limitation. Je suis ainsi fait. Vous
me direz: si tes fait tu es une substance. Non, je suis fait comme une manire. Eh
bein, je suis fait la manire suivante: Corps et me, cest dire je suis la fois
un mode de ltendue par mon corps et un mode de la pense par mon me, cest
dire mon me, cest une manire de penser; mon corps, cest une manire
dtendre, dtre tendu. Alors, dans les attributs que je ne connais pas, dont je ne
peux mme pas dire le nom, puisquil y en a une infinit; il y a dautres maniresdtre; L, il y a tout le domaine dune large science fiction spinoziste: quest ce
qui se passe dans les autres attributs quon ne connat pas? mais daccord, il est
trs discret l-dessus. Il dit en dehors de a, on ne peut rien dire. Il y a un fait de
la limitation de la connaissance. Je nen connais que deux attributs, parce que,
moi-mme, je suis un mode de ltendue et de la pense, un point, cest tout.
Mais les attributs sont strictement gaux. Cest par-l, vous voyez que peine il a
dit, comme tout le monde: jai un corps et une me, il a dj dit autre chose que
tout le monde: je suis le double mode des deux attributs que je connais.
- Je suis un corps,
- je suis une me mais tous les attributs sont gaux, aucune supriorit
dun attribut sur un autre. Donc, jamais on ne pourra dire mon corps, cest moins
bien que mon me; Non. Bien plus, cest strictement pareil, cest la mme
manire dtre. Mon corps et mon me sont la mme manire dtre. Pourquoi?
L, je vais trop vite mais je vais prciser... l, vous pouvez avoir en un clair, la
vision de pense la plus profonde, une des penses la plus profonde de Spinoza
savoir que... oui, comment se distinguent mon corps et mon me? Ils se
distinguent par lattribut quils impliquent:
- le corps est le mode de ltendue,
- lme est mode de la pense; cest a, la distinction de lme et du
corps. Ils se distinguent par lattribut quils impliquent. Ce sont deux modes,deux manires dtre dattributs diffrents mais les attributs sont strictement
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
18/530
18
gaux, si bien quau moment mme o je dis jai une me et jai un corps qui se
distinguent par lattribut auxquels ils renvoient, je dis aussi bien je suis un.
Pourquoi je suis un? Parce que je suis un par la substance unique,
puisque, tous les attributs gaux sont les attributs dune seule et mme substance
absolument infinie. Donc, je suis deux modes de deux attributs, corps: mode de
ltendue, me: mode de la pense mais je suis une seule et mme modification
de la substance. Je suis une seule et mme modification de la substance qui
sexprime dans deux attributs, dans lattribut tendue comme corps, dans
lattribut pense comme me. Je suis deux par les attributs que jimplique, je suis
un par la substance qui menveloppe. En dautres termes, Je suis une modification de la substance, en tant
quexprime, cest--dire une manire dtre, une manire dtre de ltre... Je
suis une modification de la substance, cest--dire, une manire dtre de ltre en
tant que cette modification est exprime comme corps dans lattribut tendue et
exprim comme me dans lattribut pense; si bien que lme et le corps, cest la
mme chose. Cest une seule et mme chose, non pas une substance, cest une
seule et mme manire ou modification rapporte deux attributs distincts qui
donc apparat comme corps et est corps dans lattribut tendue et me dans
lattribut pense. Quelle curieuse vision! Alors a supprime tout privilge
possible de lme sur le corps ou inversement, et l, en un sens, cest la premire
fois que lon peut comprendre en quoi une thique, ce nest pas la mme chose
quune morale. Ce nest pas du tout la mme chose quune morale, forcment,
pour une raison trs simple, il y a quelque chose qui appartient
fondamentalement la morale; cest lide dune raison inverse, une rgle
inverse dans le rapport de lme et le corps.
- Forcment, puisque la morale, elle est insparable dune espce de
hirarchie, ne serait ce que la hirarchie des valeurs. Il faut que quelque chose...
il ny pas de morale si quelque chose ne vaut pas mieux quautre chose. Il ny a
pas de morale de tout se vaut; il ny a pas la morale de tout est gal.
Bizarrement, je dirais, il y a une thique de tout est gal. Et l, on le verra bienaprs. Il dit il ny a pas la morale de tout se vaut, de tout est gal. Il faut une
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
19/530
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
20/530
20
qui semble riger un modle du corps...? Vous ne savez mme pas ce que peut
un corps! Quest ce qui peut... vous ne savez mme pas a! On ne sait pas! En
effet, les choses prodigieuses quun bb, un alcoolique ou un somnambule
peuvent faire quand leur raison est assoupie, quand leur conscience est
endormie... vous ne savez mme pas ce que peut un corps! a ne va pas!... avec
tout ce qui prcde! Si, a va videment trs bien! Il est en train de nous dire,
vous voyez, quelque chose de trs important, il est en train de nous dire: le corps
dpasse la connaissance que vous croyez en avoir. Votre corps dpasse
infiniment la connaissance que vous croyez en avoir... videmment, puisque vous
ne savez mme pas que le corps est une manire dtre de ltendue... et qu titrede manire dtre de ltendue, il est constitu par toutes sortes de rapports de
vitesses et de lenteurs transformables les uns dans les autres et vous ne savez rien
de tout a, on ne sait rien de tout a, dit-il.
On peut le dire encore aujourdhui quon ne sait rien de tout a. On fait
des progrs... cest curieux, je suis frapp que la biologie actuelle va tellement
dans un certain spinozisme mais a, on verra, on verra plus tard. Eh bein, eh bein,
eh bein... Il dit: votre corps dpasse la connaissance que vous en avez et de mme
- cest a quil faut ajouter- et de mme - essayons puisquil y a le paralllisme,
puisque le corps et lme cest la mme chose et bien - de mme votre me
dpasse infiniment la conscience que vous en avez; tout a, cest dirig tout droit
contre Descartes, videmment. De mme que votre corps, il fallait passer par le
corps pour comprendre ce quil va dire, do la phrase: ltonnant, cest le corps
qui... on ne sait mme pas ce que peut un corps, vous voyez, ce quil veut dire
compltement cest: de mme que votre corps dpasse la conscience que vous
en avez, votre me et votre pense dpassent la conscience que vous en avez, si
bien que la tche de la philosophie comme thique, a sera quoi? a sera accder
cette connaissance de lme et cette conscience du corps... non! Zut alors!...
cette connaissance du corps et cette conscience de lme qui dpassent la
connaissance dite naturelle que nous avons de notre corps et la consciencenaturelle que nous ayons de notre me. Il faudra aller jusqu dcouvrir cette
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
21/530
21
inconscience de la pense et cette inconnue du corps et les deux ne font quun.
Linconnue du corps...
Et linconnu du corps et linconscient de la pense. Vous tes une
manire, vous tes une manire dtre. Ca veut dire, vous tes un ensemble de
rapports de vitesse et de lenteur entre molcules pensantes, vous tes un
ensemble de rapports de vitesse et de lenteur entre molcules tendues. Et tout a
cest linconnu du corps et cest linconscient de la pense. Alors bon, comment
il va sen tirer lui?
- Do je peux passer un second problme. A oui, parce qu il simposemon second problme, cest videmment, il senchane. Cest mais aprs tout
pourquoi il appelle a thique et pas ontologie? Son grand livre pourquoi il
lappelle thique au lieu de lappeler Ontologie? Il devrait lappeler
ontologie! Non, il devrait lappeller lthique, il a srement bien fait. Il savait ce
quil faisait, quoi. Il avait une raison pour appeler a Ethique. Donc, si vous
voulez, a va tre le mme problme. Je vous soulage, on rpart zero. On a fini
l tout un pan les deux dernires fois et l, on vient de finir tout un premier pan
sur lOntologie, Passe un second pan, pourquoi est-ce que cette Ontologie
Spinoza lappelle-t-il thique? Bon, et l aussi vous sentez quon va tomber en
plein dans le problme: est-ce quune thique est la mme chose quune morale?
Est-ce que a revient au mme? Si a revient pas au mme dune certaine
manire, est-ce que lthique ce ne serait pas la seule manire dont lOntologie a
quelque chose nous dire sur comment vivre, que faire?
- Tandis que la morale cest pas a. La morale, peut-tre, a implique
toujours mais il faudrait voir pourquoi. Peut-tre est-ce que la morale a implique
toujours la position de quelquechose de superieur ltre. Peut-tre quune
morale cest indissociable de la position de lUn superieur ltre. Au point que
si on croit, ou si on fait de lontologie, ltre en tant que tre ou lUn loin dtre
superieur ltre est au contraire un driv de ltre. Il ne peut plus avoirexactement de morale. Mais en quoi? Voil, je voudrais commencer par une
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
22/530
22
histoire qui nest pas difficile mais je voudrais la considrer rapidement pour
elle- mme. Toute la morale, il me semble, toute la morale du 17 mesicle - Non
je dirais de Platon au 17me. Quest-ce qui a pu se passer aprs? On verra tout a,
mes formules, vous les corrigez de vous- mme. Depuis longtemps, la morale
consistait, dune certaine manire, nous dire quoi? Eh bien, le mal nest rien!
Le mal nest rien. Et pourquoi ctait a la morale? On nous ne disait pas, avant
tout: fais le bien. On nous disait dabord: le mal nest rien. Curieux! Quest-ce
que cest cet optimisme? Est-ce que cest de loptimisme? Quoi alors? Voil que
les philosophes taient des espces doptimistes bats pour dire: le mal nest
rien? Quest-ce quils voulaient dire il y avait tous les malheurs du monde? Etvoil, ces types qui continuaient dire le mal nest rien. Je voudrais donc
rflchir l. Vous voyez, on repart zro.
- Quest-ce quils voulaient dire tous ces gens qui disaient le mal nest
rien? Depuis Socrate qui passe son temps dire a. Alors que oui, le malheur
tait l. Le mal il a toujours eu deux formes.
- Le malheur
- et la mchancet. Le mal du malheureux et le mal du mchant. Ca
manquait pas ds les grecs, des mchants et des malheureux. Et en plus, quest-ce
qui fait quil y a du mal premire vue? Cest que les mchants et les
malheureux cest pas les mmes. Tiens, si les mchants et les malheureux
ctaient les mmes, en effet le mal ne serait rien, il se dtruirait lui-mme. Le
scandale cest que les mchants ne soient pas forcment malheureux et les
malheureux pas forcment mchants. Ca arrive de temps en temps mais pas assez
souvent. En dautres termes, si les mchants taient malheureux et les
malheureux mchants, le mal se dtruirait, il y aurait une auto-suppression du
mal. Cest formidable a.
- Il y a un auteur qui a beaucoup jou de a tardivement. Il a dit: non,
vous ne pouvez pas faire autrement, la loi du monde cest que les mchantssoient heureux en tant que mchants et que les malheureux soient innocents. Il a
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
23/530
23
dit: et cest a le mal. Et perdu dans cette vision il crit o? cest le marquis de
Sade. Do les deux grandes titres, nest-ce pas, de deux grands romans de de
Sade cest Les malheurs de la vertu et Les prosperits du vice. Il ny aurait
pas de problme du mal sil ny avait pas une irrductibilit entre le mchant par
lui-mme heureux et linnocent, par lui-mme, malheureux. Car cest sa vertu qui
ne cesse de rendre Juliette (cest Juliette la gentille?), qui ne cesse de rendre
Juliette malheureuse. (Cest Justine, non cest la mchante Justine.) Ce nest pas
par hasard que Socrate lui, dj dans les dialogues platoniciens, ne cesse de se
lancer dans une srie de propositions qui premire vue, nous paraissent dbiles
et qui consistent dire: dans le fond des choses, le mchant estfondamentalement malheureux et le vertueux est fondamentalement heureux.
Bien sr, a ne se voit pas. Ca ne se voit pas mais il dit: je vais vous le
dmontrer. Il va le dmontrer. Je prcise pourquoi je fais cette longue
parenthse, alors aussi un peu dbile: cest pour vous faire sentir que dune
certaine manire il ne faut pas prendre les gens pour des crtins. Ce serait a mon
appel. Et que quand les philosophes trs srieux disent: le mal nest rien, seul le
mchant est malheureux, ils ont peut-tre une ide trs bizarre derrire la tte et
une ide telle quils sont ravis si on leur dit: mais tes un rveur! Peut-tre
quon se trompe sur leur entreprise. Peut-tre au moment mme o ils disent a
ils sont trs singulirement diaboliques. Parce quon ne peut pas penser que
Socrate croit son truc. Il ne croit pas comme a. Il ne croit pas que les mchants
sont malheureux en tant que mchants. Il sait bien que a ne se passe pas comme
a.
- Donc, ma question cest - cest pour a que je dis si on ne prend pas
Socrate pour un idiot - on va se dire mais pourquoi il nous dit a? Dans quelle
entreprise il est pour nous dire a? Alors que manifestement ce nest pas comme
a. Il ne faut simaginer Socrate tellement perdu dans les ides et dans les nuages
quil croit que les mchants sont malheureux. La cit grecque abonde de
mchants trs heureux. Alors est-ce quil veut dire quils seront punis aprs? Oui,
il le dit comme a. Il le dit splendidement, comme a il invente mme desmythes. Mais non, cest pas a. Quest-ce quil veut? Quest-ce quil cherche?
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
24/530
24
Vous sentez dj?
Cest une espce de cri: alors le mal nest rien. Mais il lance une
espce de provocation telle que le sort de la philosophie est en jeu l-dedans. A la
lettre, je dirais: ils font les idiots. Faire lidiot. Faire lidiot a a toujours t une
fonction de la philosophie. Lidiot en quel sens? En un sens qui va vraiment du
Moyen-ge. o le thme de lidiot est constant aux Russes, je veux dire
Dostoievski, un successeur de Dostoievski qui est mort il ny a pas trs
longtemps, savoir Chestov. Ca ne forme pas pourtant une tradition, Chestov ne
se reconnat pas dans Descartes. Mais jessaie de marquer trs vite cette tradition,Je la rpre pas au dbut, (si quelquun avait des ides l dessus, ce serait trs
bien mme au hasard des lectures, il y a srement des travaux faits mais je nai
pas eu le temps.) Je rpre au hasard Nicolas de Cuses, un philosophe trs, trs
important, il tait Cardinal en plus. Nicolas de Cuses est un homme trs trs
important de la Renaissance. Un trs grand philosophe. Le Cardinal de Cuses
lance le thme de lidiot. Et a a quel sens? Ca a un sens trs simple. Cest lide
que le philosophe cest celui qui ne dispose daucun savoir et qui na quune
facult, la raison naturelle. Lidiot cest lhomme de la raison naturelle. Il na rien
quune espce de raison naturelle, de lumire naturelle. Voyez par opposition la
lumire du savoir et aussi par opposition la lumire revle. Lidiot cest
lhomme de la lumire naturelle. Ca commence donc tre Nicolas de Cuses.
Descartes crira un petit texte qui est dailleurs peu connu mais qui est dans les
oeuvres compltes o il y a lidiot dans le titre et qui est un expos du cogito.
Et en effet, lorsque Descartes lance sa grande formule je pense donc
je suis, en quoi cest la formule de lidiot? Elle est presente par Descartes
comme la formule de lidiot parce que cest lhomme rduit la raison naturelle.
Et en effet quest-ce que Descartes nous dit la lettre? Il nous dit: moi, je ne
peux mme pas dire lhomme est un animal raisonnable. Il le dit textuellement,
je ninterprte pas. Il nous dit: Je ne peux mme pas dire lhomme est un animalraisonnable, comme Aristote le disait, parce que pour pouvoir dire lhomme est
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
25/530
25
un animal raisonnable, il faudrait dabord savoir ce que veut dire animal et ce
que veut dire raisonable. En dautres termes la formule animal raisonnable a
des prsupposs explicites quil faudrait dgager. Or je suis incapable de le
faire. Et Descartes ajoute: je dis, je pense donc je suis. Ah bon? Le
contradicteur serait tout prt dire: eh bien dis, tes pas gn toi parce que
quand tu dis je pense donc je suis, il faut savoir ce que veut dire penser, ce que
veut dire tre. Je pense, je suis. Ce que veut dire: je. L Descartes devient trs
trs curieux, mais ce sont les meilleures pages de Descartes, il me semble. Il
devient trs subtil. Il dit: non, ce nest pas pareil du tout. Voil pourquoi ce
nest pas pareil: cest que dans le cas: animal raisonnable il y a des prsuppossexplicites. A savoir, vous ntes pas forc de savoir ce que veut dire: animal et
raisonnable. Tandis que lorsque je dis Je pense donc je suis, prtend Descartes,
cest tout fait diffrent. Il y a bien des prsupposs mais l ils sont implicites. A
savoir, vous ne pouvez pas penser sans savoir ce que veut dire penser. Vous ne
pouvez pas tre sans savoir au moins confusment ce que veut dire penser,
vous ne pouvez pas tre sans savoir au moins confusment ce que veut dire
tre. Vous le sentez dun sentiment qui serait le sentiment de la pense. En
dautres termes, animal raisonnable renvoie des prsupposs explicites de
lordre du concept; je pense donc je suis ne renvoie qu des prsupposs
implicites de lordre du sentiment. Du sentiment intrieur
Cest trs trs curieux son intrt dautant plus que la linguistique
moderne retrouve cette distinction des prsupposs explicites et des prsupposs
implicites. Ils sont cartsiens sans le savoir, cest trs trs curieux. Il y a un
linguiste qui sappelle Ducrot aujourdhui qui fait toute une thorie partir de la
distinction des prsupposs explicites et des prsupposs implicites. Peu importe,
voyez lIdiot, cest lhomme des prsupposs implicites. Cest a: la raison
comme fonction naturelle. La raison naturelle. Vous ne pouvez pas penser sans
savoir ce que veut dire penser, mme confusment. Donc vous navez pas vous
expliquer. Descartes disait: je nai pas expliquer ce que veut dire je pense doncje suis chacun lexprimente en lui-mme. Tandis que ce que veut dire: animal
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
26/530
26
raisonnable, a cest crit dans les livres. Lidiot soppose lhomme des livres.
Lhomme de la raison naturelle soppose lhomme de la raison savante.
Si bien que le cogito sera lenonc de lIdiot. Donc, ce thme de
lIdiot est trs fond dans une tradition chrtienne, philosophique qui est la
tradition de la raison naturelle. Alors par quel biais? puis il a continu dans tout
lOccident. Il appartient bien la tradition occidentale. Par quel biais est ce quil
migre en Russie pour tre pouss au paroxysme? Et pour prendre une nouvelle
allure. Une nouvelle allure videmment favorise par lorthodoxie russe, par le
christianisme russe. L donc jai toutes sortes de maillons qui me manquent sur
la comparaison entre le thme de lidiot russe puisque lidiot est une figurefondamentale de la littrature russe, pas seulement chez Dostoievski. Et l aussi,
dune certaine manire, le personnage de Dostoievski, que Dostoievski appellera
lIdiot, prcisement lui, il est beaucoup plus dramatique que lidiot de
Descartes bien sr, sa maladie etc. Mais il a gard quelque chose de a. La
puissance de la raison naturelle rduite soi. Tellement rduite soi quelle est
malade. Et pourtant elle a gard des clairs. Le prince, lidiot il ne sait rien. Mais
cest lhomme des prsupposs implicites. Il comprend tout. Cette figure de
lidiot continue dire:je pense donc je suis au moment mme ou il est comme
fou ou bien distrait, ou bien un peu dbile. Mais dj Descartes acceptait de
passer pour le dbile. Quest-ce quils ont ces philosophes vouloir tre le
dbile? Cest trs curieux comme entreprise dj. Ils opposent cette dbilit
philosophique la philosophie. Puisque Descartes, il oppose a Aristote. Il dit:
Non non, moi je ne suis pas lhomme du savoir, moi je ne sais rien etc. Socrate
le disait dj: je ne sais rien, je suis lidiot et que lidiot de service. Pourquoi?
Quest-ce quils ont la tte?
Bon alors, quest-ce quil veut? Je recommence, quest-ce quil veut
Socrate quand il dit: Ah, vous savez... mais si regardez bien, il ny a que le
mchant qui soit malheureux. Il pose un espce de paradoxe, de lauto-
suppression du mal. Il faut voir si les mchants sont malheureux, il ny a plus demal. Mais pourquoi il ny aurait pas de mal ou plus de mal? Le mal nest rien! Ca
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
27/530
27
veut dire quoi? Voil, a veut dire: vous vous croyez malin, vous. Vous parlez du
mal, mais vous ne pouvez pas penser le mal. Si les philosophes voulaient dire a,
a serait intressant. Pourquoi un philosophe aurait besoin de dire a: vous ne
pouvez pas penser le mal? Et je vais vous montrer que vous ne pouvez pas penser
le mal. Le mal nest rien, a ne voudrait pas dire que le mal nest rien; a
voudrait dire le mal nest rien du point de vue de la pense. Vous ne pouvez pas
le penser. Cest un nant. Autant essayer de penser le nant. Dans les textes de
Socrate, ou plutt de Platon, le thme:le mal nest rien parcourt deux niveaux.
Un niveau grandiose objectif et un niveau subjectif. Le mal nest rien
objectivement, a veut dire quoi? Ca veut dire: tout mal se ramne uneprivation et la privation se ramne une ngation.
Donc le mal ce nest rien, cest une pure ngation. Le mal nest pas.
En effet il ny a pas dtre du ngatif. Voil cest trs simple. Cest trs simple et
trs difficile en mme temps. Cette rduction, vous comprenez, du mal ou de la
contradiction, si vous voulez, la privation et de la privation la simple
ngation. Supposons quil fasse a, il developpe sa thse. Et subjectivement le
mal nest rien, a veut dire quoi? Subjectivement, a veut dire - Et l Socrate
developpe tout son talent, il dit: Ecoutez je vais vous le montrer par le
dialogue. Il fait venir un mchant. Il lui dit: Tu veux assassiner, non? Lautre
dit: Oui, oui je veux assassiner. Je veux tuer tout le monde. Ah, dit Socrate,
tu veux tuer tout le monde. Mais pourquoi tu veux tuer tout le monde? Alors le
mchant dit: Parce que a me fait plaisir. Comme a, Socrate, a me fait plaisir.
Mais le plaisir, dis-moi, cest un bien ou cest un mal? Alors le mchant dit:
Evidemment cest un bien, a fait du bien. Et Socrate dit: Mais tu te contredis!
Parce que ce que tu veux, ce nest pas tuer tout le monde. Tuer tout le monde,
cest un moyen. Ce que tu veux cest ton plaisir. Il se trouve que ton plaisir cest
de tuer tout le monde. Mais ce que tu veux cest ton plaisir. Et tu mas dit toi-
mme, le plaisir est un bien, donc tu veux le bien. Simplement tu te trompes sur
la nature du bien. Alors le mchant dit: Socrate, on ne peut pas parler avectoi! Voyez cest extrmement simple.
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
28/530
28
Le mchant, subjectivement, cest quelquun qui se trompe. Et a va
tre trs important pour nous cette formule, le mchant. Do la formule de
Socrate: Nul nest mchant volontairement. Ce qui veut dire par dfinition:
toute volont est volont dun bien. Simplement il y en a qui se trompent sur la
nature du bien donc ils ne sont pas mchants volontairement. Ils cherchent le
bien. Il dit: Je cherche mon bien. Mais Socrate dit: Tas raison. Il faut
chercher ton bien. Evidemment cest ton bien. Alors toi, cest assassiner, trs
bien, mais cest toujours un bien, ton bien. Alors tu ne peux pas chercher le mal.
Alors le mchant devient fou. Socrate espre quil va par l mme se dtruire lui-mme. Cela marche un certain niveau. Donc, vous voyez quest-ce que jen
retire?
Cest que cette philosophie-l, qui nous dit: le mal nest rien, qui nous le
dit sur deux modes, sur deux registres;
objectivement le mal est pure ngation, il ny a pas dtre du ngatif.
Et qui nous le dit subjectivement:
vous ne pourrez pas vouloir le mal parce que cest contradictoire.
Vous ne pouvez vouloir quun bien. Nul nest mchant volontairement. Quest-ce
quils font? Ils pataugent dj dans quoi ces philosophes? Non pas pataugent, ils
sont dj dans quel lment? Ils sont dans llment du jugement.
En effet, le mchant cest celui qui juge mal. Toute la philosophie va
tre apporte au systme du jugement. Cest peut-tre a que la philosophie a
invent dabord. Mme si a va tre ruineux, catastrophique, je ne sais pas l. Je
ne fais aucun jugement de valeur. Je crois que la philosophie est ne avec un
systme de jugement.
Et lhomme mchant cest celui qui juge mal. Et le philosophe il est
peut-tre idiot mais il est bon parce quil prtend juger bien. Supposons (jen suis
loin encore darriver dire ce que je voudrais vous faire sentir, il faut tellement
de mots pour arriver un petit sentiment minuscule), bon quest-ce que aveut dire que la philosophie serait et se confondrait avec la constitution dun
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
29/530
29
systme du jugement? a t peut-tre pour le meilleur et pour le pire. Cest peut-
tre a que, ensuite, certains philosophes ont essay de secouer, et dy chapper
la philosophie comme systme de jugement. Un jugement sans sanction. La
philosophie na jamais fait mal personne, mais cest vrai que les philosophes
nont pas cesser de juger. Quest-ce qui les autorisait? Sans doute, ctait eux qui
avaient invent le systme du jugement. Ils avaient fait du jugement un systme.
Pourquoi et comment? Quest-ce que a veut dire? L je vous dis presque le fond
parce que ce sont des choses extrmement simples. Mais je suis tellement
mcontent, je suis tellement peu satisfait de ce que lon dit gnralement sur
lorigine de la philsophie et y compris les hllenistes, les heideggeriens etc, quejessaie de me dbrouiller l pour mon compte.
Voil ce que je voudrais dire: il me semble que la philosophie, elle a
toujours commenc en prenant une forme trs curieuse quelle nabandonnera
jamais, savoir le paradoxe. Le philosophe est un type qui arrive en un sens cest
un bon rien, cest vrai: imaginer, dans la cit grecque, le philosophe: il se
ballade sur la place publique, il est toujours prt, il est toujours prt causer. Ah
bon, Socrate qui commence: o tu vas? Quest-ce qui tarrives? et puis la
conversation sengage. Mais ce nest pas nimporte quelle conversation: on
appellera la conversation philosophique celle o surgit le paradoxe qui dsigne
une certaine puissance. Une certaine puissance ou une certaine impuissance? Et
quest-ce que cest le paradoxe au niveau le plus simple? Vraiment, l je dis des
choses rudimentaires, je ne me demande pas ce quest le paradoxe, je cherche un
petit fil conducteur.
Et je crois que le paradoxe au niveau le plus simple a consiste vous
dire: il y a quelque chose qui est et en mme temps vous ne pouvez pas le
penser. Dbrouillez-vous avec a. X est, et pourtant merveille admirez a: Cest
impensable.
En termes techniques je dirais: le paradoxe, cest une proposition quiconsiste poser limpensabilit dun tant. Ce serait une bonne dfinition du
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
30/530
30
paradoxe. a le philosophe ne le dit pas: ce nest pas. Il faut tre l, les
commentateurs sont vraiment lamentables. Je prends un exemple, un exemple en
apparence diffrent de ce dont je parle mais cest la mme chose. Par exemple, il
y a un paradoxe fameux dun des premiers philosophes qui sappelle philosophe,
bien plus il est considr comme linventeur de la dialectique, cest Zenon. Il y a
deux Zenon, il y a Zenon le stocien et Zenon dle. Je parle de Zenon dLe,
disciple de Parmenide celui qui disait: lEtre est. Voil, donc le fondateur de
lontologie. Zenon fait de fameux paradoxes qui concernent le mouvement. Et il
explique quAchille par exemple ne peut pas rattrapper la tortue. Il explique que
la flche ne peut pas atteindre la cible. En dautres termes, Zenon est un idiot.Cest a tre un idiot. Il explique donc: la flche ne peut pas attraper la cible, ne
peut pas joindre la cible, ni Achille rattraper la tortue. Vous vous rappellez
comment il fait pour lexpliquer: il divise le parcours dAchille ou le parcours de
la flche en deux. La seconde moiti, il la divise en deux etc. etc. linfini. Et il y
aura toujours une distance si petite quelle soit, entre la flche et la cible. De
mme, Achille fait un bond et il couvre la moiti de sa diffrence avec la tortue,
il faudra quil couvre encore la moiti de ce qui reste, la moit du reste du reste,
linfini: il ne rattrapera jamais la tortue. Vous me direz, ah bon, quand mme
Zenon a une forte culture mathmatique grecque. Cest trs intressant. Cest trs
intressant parce que a fait intervenir ce que les Grecs avaient mont comme
mthode dexhaustion cest dire de lanalyse de linfiniment petit. Cest moins
pitrerie quil ne semblerait mais en quoi cest de la philosophie a? Vous
comprenez, Zenon nest pas idiot. Socrate non plus. Il est idiot dune autre
manire. Mais pas la manire dont on penserait parce quil sait bien que les
choses bougent. Il sait bien quAchille ratrappe la tortue. Il sait bien que la flche
touche la cible. Il sait tout a. De mme Socrate sait bien quil y a des mchants
Donc ce quils veulent nous dire cest tout fait autre chose: le mal ou le
mouvement sont des tants. Seulement le probme cest comment penser ltant?
Ce que Zenon tente de montrer cest que le mouvement en tant que mouvementest impensable. Ce nest pas que le mouvement en tant que mouvement nest
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
31/530
31
pas comme le font dire beaucoup de commentateurs. Cest idiot a. Cest que le
mouvement en tant que mouvement ne peut pas tre pens. Ce que Socrate veut
montrer cest que le mal en tant que mal ne peut pas tre pens. Bon voil a
devient plus intrressant, cest a un paradoxe.
Un paradoxe nonce limpensabilit dun tant. Mais pourquoi est-ce
que a leur donne un plaisir intense, ces paradoxes? Ils sont ravis. Plus on leur
dit: Mais tu es dbile de dire a: le mouvement nexiste pas, quest-ce que tu
veux dire?. Ils disent:Ah bon, comme tu peux toi. alors comment tu te
dbrouilles de mon paradoxe? Do la rputation que les philosophes onttoujours eu dtre des bavards. Ce ne sont pas des bavards, ce sont des hommes
les plus silencieux du monde puisquils pensent que finalement la limite ltant
est fondamentalement impensable. Ca peut tre consolant parce que si ltant est
impensable ce nest peut-tre pas que ltre est pensable lui, mais penser ltre ce
nest pas facile. Et a serait a la philosophie alors. Mais peu importe, voil.
Pourquoi ils disent a? Pourquoi ils sont tellement contents? A premire vue ce
nest pas un triomphe pour la pense, ce nest pas une victoire pour la pense.
Loin de l. Elle ne peut pas penser le mouvement, elle ne peut pas penser le mal,
elle ne peut rien penser.
Quest-ce quelle peut penser alors, la pense?
Elle va penser ltre est: Parmenide.
Seule la justice est juste. Les hommes justes sont justes quen second,
ce qui est vraiment et totalement juste, cest la justice. La justice est juste, on
peut faire des lithanies.
La vertu est vertueuse,
la sagesse est sage. Cest ce que Socrate fait dans une srie de
dialogues blouissants mais qui exaspre tout le monde. On discute trs
longtemps pour arriver la rvlation: la justice est juste et il ny a que la justice
qui est juste. Il ny a que ltre qui est. On a envie de dire: il ne fallait quandmme pas 40 pages, mais si, il fallait 40 pages. Parce quil fallait 40 pages
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
32/530
32
puisque et cest insparable de ceci, ltant est impensable. Quest-ce qui est
pensable? La pure idalit, lide. Mais enfin cest parfaitement brillant,
pourquoi est-ce que les philosophes se rejouissent, moins ils arrivent penser
ltant, plus ils sont contents, plus ils rigolent leur manire. Ils embtent tout le
monde et puis ils expliquent quon ne peut rien penser, on ne peut pas penser le
mouvement, on ne peut pas penser ltre, non, on ne peut pas penser le mal, on
ne peut penser le devenir, on ne peut pas penser tout ce qui fait objet de
paradoxe. Et ils arrivent en disant: oui, on peut penser: la justice est juste, ltre
est, etc... Quest-ce quils ont en train de faire? comprenez! Ils accomplissent
vraiment le destin de la philosophie dans son surgissement il me semble originel, savoir constituer un systme de jugement.
Il sagit de juger tout ce qui est. Et la possiblit de juger tout ce qui est
cest quoi? Cest, la limite, slever la position de quelque chose qui est au-
del de ltre. On jugera ce qui est et on jugera ltre lui-mme en fonction de
quelque chose qui est au-dessus de ltre. On retombe sur lUn au dessus de
ltre. En dautres termes lide de fond de toute cette philosophie, cest seul le
Bien avec un grand B et cest par l quelle a cette apparence optimiste.
Seul le Bien fait tre et fait agir. Seul le Bien fait tre objectivement et fait agir
subjectivement. Donc le Bien est au-dessus de ltre. Le Bien cest lUn. Ds lors
on peut juger tout ce qui est. Il saggissait moins de dcrter le mouvement, le
devenir impensable que de les soumettre au systme du jugement. En fonction de
critres qui eux ne deviennent pas, qui sont les critres du Bien, qui ne sont pas
en mouvement etc. Donc le Bien est la fois raison dtre et raison dagir. En
latin a deviendra le Bien comme: ratio esandi et ratio agendi. Le Mal nest
rien forcment. Et cest a quils veulent dire, le Mal nest rien forcment.
Puisque seul le Bien fait tre et fait agir. Le Bien est au-dessus de ltre. Cest la
condition du systme de jugement. Alors finalement, si vous voulez, ce nest pas
au nom dun optimisme niais, cest au nom dune logique, dun logos pouss
lextrme.
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
33/530
33
La puissance du paradoxe cest le logos. Ce nest pas le philosophe
qui est optimiste, cest la logique qui lest. Elle ne peut pas penser le Mal, elle ne
peut pas penser le mouvement, elle ne peut pas penser le devenir. Cest bien plus
tard, bien plus tard que la logique va faire un mouvement considrable sur soi-
mme pour essayer de penser le mal, le mouvement et le devenir. Et la
rconciliation du mal, du mouvement et du devenir avec la logique et avec la
puissance de la logique marquera un tournant pour la philosophie.
Faudrait la fermer cette porte. Quest ce que jai fais de ma montre?
Quelle heure il est? midi et quart a marquera une date trs importante... En groson peut dire que la rconciliation de la logique avec ltant comme tel, avec le
mal, le devenir, le mouvement, ce sera quoi? Ceseralegrand romantisme
allemand. Ce sera Hegel. A ce moment-l la logique trouvera le moyen
daccorder un tre au ngatif. Il y a un tre du ngatif. Ce sera la rconciliation
du logique si vous voulez, et du tragique. Jusque-l la logique avait t
incurablement optimiste et au service du bien. Bon, voil ce que je voudraisdire
et je voudrais terminer vite parce que vous en avez assez. Voil ce que je
voudrais dire enfin: Jai eu lair dabandonner compltement Spinoza. Le
moment ou jamais dy revenir cest ceci. Je vais vous dire, comment il sinsre
l-dedans? jai lair de faire une histoire de la philosophie qui sen va par tous les
bouts. Et cest trs curieux parce que Spinoza ne cesse pas de nous dire comme
tout le monde lpoque: le mal nest rien. Il cesse pas. Tout le temps, il nous dit
le mal nest rien. Objectivement et subjectivement.
Objectivement parce que lopposition se ramne la privation et la
privation se ramne la ngation. Il ny pas dtre du ngatif. Subjectivement
parce que le mchant cest une erreur, la mchancet cest une erreur, le mchant
cest quelquun qui se trompe. Donc il narrte pas de nous dire a. Bien plus, le
problme du mal, il le traite pour lui-mme dans un texte passionnant dont jai
parl la dernire fois, savoir son change des lettres avec Blyenberg et qui porte
uniquement sur la question du mal. A la premire lecture alors on se dit: Oui, ildit ce que nous disait dj des sicles avant Socrate, ce que beaucoup dautres ont
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
34/530
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
35/530
35
ngatif. Donc il y a beaucoup de varit. Mais je mintresse la seconde
bifurcation. Une race des philosophes tranges nous disent quoi? Ils nous disent:
Oui, oui, daccord le mal nest rien. Ils ajoutent trs vite, pour ne pas trop se
faire entendre, ils ajoutent: parce que le bien non plus. (rires) En dautres
termes, le mal nest rien, bien sr puisquil ny a ni bien ni mal. a rebondit.
Quest-ce quils veulent dire? Cest des fous complets. Il ny a pas de bien ni de
mal? Alors quoi, assassiner les gens on peut y aller... nimporte quoi! il ny a
pas de bien ni de mal. Cest lgalit de ltre, quoi? Bon, daccord! Est-ce quon
peut faire nimporte quoi? Ah non, ils disent on ne peut pas faire nimporte quoi.
On leur rpond: Tais toi, a revient au mme. Non, a ne revient pas au mme,ce ne sont pas les mmes choses que moi je vais dfendre et que les autres vont
dfendre. Ce ne sont pas les mmes choses. Et l a devient plus intressant.
Mais dfendre pourquoi? Ca veut dire quoi dfendre? Cest un systme de
jugement. Ah, daccord, jai dit un mot de trop, ce nest pas dfendre quil faut
dire. Alors cest quoi? On va voir, cest compltement diffrent. Le mal nest rien
qui signifie ni bien ni mal. Donc Spinoza se sert, il est trs sournois Spinoza,
vous voyez dans sa loyaut philosophique, dans sa grandeur. Il parle comme tout
le monde pour dire quelque chose de compltement diffrent: le mal nest rien,
oui, mais moi je suis lhomme qui vous annonce quil ny a ni bien ni mal et cest
pour a que le mal nest rien. Et l encore, longtemps aprs ce sera repris par
quelquun qui intitule un de ses livres principaux: Par del le bien et le mal. Et
celui qui intitule ce livre principal: Par del le bien et le mal est si mal compris,
tout comme Spinoza, quil prouve le besoin dcrire un autre livre principal
intitul:La gnalogie de la morale, o il montre que la morale est une chose
selon lui immonde mais quon a quand mme mal compris son prcdent livre:
Par del le bien et le mal. Et il lance cette formule qui pourrait, je vous jure la
lettre, qui pourrait tre signe par Spinoza, qui rpond la lettre du spinozisme
qui est: par del le bien et le mal, comprenez: quil ny ait ni bien ni mal, quil
ny ait pas plus de bien quil y a de mal, cela du moins ne veut pas dire par del
le bon et le mauvais. Ca veut dire, daccord: il ny a ni bien ni mal, mais il y a dubon et du mauvais. Il vaut mieux, si cest pour dire a, donnez-moi toujours le
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
36/530
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
37/530
37
les tants, entre les existants. Ce qui revient au mme, quantitative, mais quelle
quantit, quelle quantit bizarre? Lthique est fondamentalement quantitative.
Et ma seconde ide cest que le bon et le mauvais dsignent une
opposition entre une opposition qualitative entre des modes dexistence.
Distinction quantitative entre les tants, opposition qualitative entre des modes
dexistence. Quest-ce que a veut dire? Du point de vue de lthique, le mauvais,
je dirais cest quoi? Je voudrais juste vous faire sentir en finisant des choses trs
concrtes pas du tout mises au point philosophiquement. On nous disait tout
lheure, du point de vue de la morale, le mchant cest quelquun qui se trompe,
cest--dire qui juge mal. Il se trompe sur la nature du bien. Il juge mal, il fait unfaux jugement. Du point de vue de lthique je crois que le mauvais, ce que lon
appelle le mauvais cest aussi du faux. Mais voil ce nest pas du tout la mme
conception du faux. Parce que dans le cas prcdent, le faux ctait une
dtermination du jugement et en effet un jugement est faux lorsquil prend ce qui
nest pas pour tre pour ce qui est. Cette table nest pas rouge, je dis: la table est
rouge, je le prends pour linverse. Ca cest le faux comme qualification du
jugement. Est-ce quil ny a pas un autre sens du mot faux? Et en un sens cest
trs compliqu parce que tous les sens se mlangent. Je dis par exemple: Tiens
on me rend une pice dor - et je dis: voyez le premier sens du mot faux: Faux
dsigne quoi? Linadquation de la chose et de lide dans le jugement. Je dirais:
un jugement est faux quand il ny a pas adquation de lide de la chose et le
faux a t trs souvent dans toutes les philosophies de jugement, a t dfini
comme a: le vrai cest ladquation de lide et de la chose, le faux cest
linadquation de lide et de la chose.
- Je dis il y a un tout autre sens du mot faux. Qui prcisment ne
concerne plus le jugement. On me donne une pice dor et je la touche, je la
mords comme dans les films, je la mords, elle se plie ou bien je prends ma petite
bouteille dacide et je dis, elle est fausse. Cette pice est fausse. Cest du toc.
Vous me direz cest li au jugement. Ca veut dire, cette pice a une telle
apparence quelle va susciter en moi le jugement:cest de lor alors que ce nenest pas. Mais ce que je viens de dire linstant cest la faon dont le systme du
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
38/530
38
jugement interprte la fausset de la pice. Car pour que la pice dor fausse
suscite un jugement daprs laquelle elle serait vraie, donc pour que faux signifie
ici une adquation de lobjet et de lide, il faut quil y ait eu un faux pralable:
cest en elle- mme que la pice dor est fausse. Ce nest pas simplement par
rapport au jugement, elle ne suscite un jugement erron que parce quelle se tient
fausse en elle-mme. Elle est fausse.
- Faux nest plus la qualification dun jugement sur la chose, cest une
manire dtre de la chose. Je ne prtend rien dire de philosophique, je prtend
indiquer, vraiment cest du sentiment ce que je dis: je dis de quelquun mais cetype l il est faux ce nest pas du vrai. Curieux, vous me direz que cest encore
du jugement. Bizarre parce que cest une espce de jugement de got. Je pse la
chose, je dis: a, a va pas! jai parfois cette impression devant un mensonge, je
sens quelque chose va pas l-dedans. Pensez aux pages prodigeuses de Proust, la
manire dont il value un mensonge dAlbertine, quelque chose qui cloche. Cest
bizarre, quest-ce quelle vient de dire? Il ne se rappelle mme plus ce quelle a
dit. Il y a un rien qui fait quil se dit: Mais elle est en train de mentir, cest
abominable. Quest-ce quelle raconte? Il ne peut pas lassigner. Alors, on peut
dire toujours cest du domaine du jugement ou du prjugement. Sentez que a
peut se dire, oui un philosophe du jugement ramnera a au jugement, cest--
dire au rapport de lide et de la chose. Mais je dis cest autre chose aussi. Cest
en elle mme que la chose est vraie ou fausse. Vrai ne designe plus, vrai et faux
ne dsignent plus un rapport de lide de la chose mais vraie et fausse dsignent
une manire dtre de la chose. Une manire dtre de la chose en elle-mme.
Cest compltement diffrent. Pourquoi on risque de confondre les deux?
- Le vrai et le faux comme qualification du jugement sur la chose
- et le vrai et le faux comme qualification de la manire dtre de la
chose. On risque de les confondre forcment. Je dirais que le second sens de vrai
et faux cest le sens le plus profond, il me semble. Le vrai et faux comme
manire dtre de la chose. La manire de la chose est ltre. Elle peut trevraiment ou faussement. Ca nous intresse pour lthique. Etre vrai ltre. Ce
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
39/530
39
nest pas juger vrai, a. Cest vraiment un mode dexistence. Etre vrai ltre.
Trs compliqu. Ou tre faux ltre. Je dirais a cest le sens ou vrai et du faux,
a veut dire authentique et inauthentique.
- Lauthentique a vient dun mot grec compliqu, cest vraiment: celui
qui se tient en lui-mme de manire tre vraiment ltre. Bon, jai comme a
limpression, devant des existences: elles ne sont pas authentiques. a veut pas
dire avoir une personnalit, encore une fois, cest une manire dtre
lauthentique et linauthentique. Par exemple, sentir que quelquun se force.
Vous me direz sentir cest un jugement. Non on va essayer de dire un peu plusque a. Ce nest pas un jugement, cest exactement comme vous soupesez une
lettre. Vous faites sauter dans votre main une pice: trop legre, trop lourde,
quoi? Peut-tre quon rejoint le thme de la vitesse et de la lenteur. Tiens, il a
parl trop vite. Il ment srement. Ou bien il trane, il cherche ce quil veut dire.
Ca va pas, a va pas: trop lent, l. Ca ne marche pas aujourdhui: il ne va pas
bien. Quest-ce que cette valuation? Cest comme si on pesait le poids des
choses. Ce nest pas juger a. Ce nest pas confronter lide et la chose. Cest
peser la chose en elle-mme. Cest quoi?
- Je dirais cest quelque chose qui est le contraire du systme du
jugement. Cest une espce de monde dpreuves. Dpreuve quoi? reprenons le
modle du corps: ltonnant cest le corps. Ce sont des preuves comme
physico-chimiques. Et on nprouve pas quelquun, cest le quelquun qui ne
cesse pas de se mettre lpreuve: il rate sa vitesse, il rate ses lenteurs. Cest
inauthentique. Au contraire, vous savez, les jours o tout est malheur pour nous,
ds le moment o on se lve on se cogne, on se cogne, on tombe, on glisse, on se
fait engueuler partout; alors on devient de plus en plus mchant soi-mme. On est
toujours en discordance. Ltre en discordance cest une manire dtre nos jours
de malheur, rien ne marche. Ca a commenc ds le matin, oh l l, quand est-ce
que a va finir? quelle journe! Cest les journes de linauthentique. Chaque foisque je vais trop vite, je me cogne, chaque fois que je vais lentement, je glisse, Il
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
40/530
40
ny rien faire. Vaut mieux se recoucher, mais en me couchant je ne sais pas ce
qui se passe. Cest affreux aussi. Rien ne va, cest la longue plainte, la longue
plainte de linauthentique. Oh l l, je suis malheureux. Rien ne va, bon. Comme
la pice dor: vous lui foutez la goutte dacide, ah! Cest lpreuve! Ce nest pas
un jugement, cest lpreuve. Quest-ce que peut la pice dor? On ne sait pas ce
que peut le corps. Quest-ce quelle peut la pice dor quon vient de me
remettre? Elle supporte lpreuve de lacide, si elle est de lor authentique, elle
supporte.
- Voyez, lpreuve physico-chimique soppose au jugement moral. Et je
dirais vous reconnaissez - finalement ceux qui pensent dans ce sens, on les atoujours appels les immoralistes - Ils font passer une distinction entre
authentique et inauthentique. Ca ne recouvre pas du tout la distinction du bien et
du mal. Pas du tout. Cest une toute autre distinction. Cest trs diffrent. Et vous
les reconnaissez quoi ces auteurs?
09.12.1980
Jen suis donc autour de ce point qui est: Spinoza fait une tentative qui
est srement une des tentatives les plus audacieuses en ce sens qui vont le plus
loin, savoir le projet dune ontologie pure. Mais ma question cest toujours:
comment a se fait que cette ontologie pure, il lappelle une thique? il ne
lappelle pas ontologie, il lappelle thique. Et on a commenc - et je voudraisque cette question on la garde un peu comme une question qui nous revient tout
le temps.
Alors il ny a pas de rponse dfinitive. Ce serait plutt par
laccumulation de traits que simposerait petit petit: ah oui ctait trs bien quil
appelle a une thique.
On a vu latmosphre gnrale de ce lien entre une Ontologie et une
Ethique avec le soupon quune thique cest quelque chose qui na rien voir
avec une morale. Et pourquoi est ce quon a un soupon du lien, qui fait que cette
-
7/22/2019 Gilles Deleuze - Cours Sur Spinoza
41/530
41
Ontologie pure prend le nom dthique? On la vu. Cest que lOntologie pure de
Spinoza se prsente comme la position unique absolument infinie. Ds lors, les
tants, cette substance unique absolument infinie, cest ltre. Ltre en tant
qutre. les tants ds lors ne seront pas des tres, ce seront quoi? ce seront ce
que Spinoza appelle des modes, des modes de la substance absolument infinie. Et
un mode cest quoi? Cest pas un tre, cest une manire dtre. Les tants, les
existants ne sont pas des tres, il ny a comme tre que la substance absolument
infinie. Ds lors, nous qui sommes des tants, nous qui sommes des existants,
nous ne serons pas des tres, nous serons des manires dtre de cette substance.
Et si je me demande quel est le premier sens le plus immdiat du mot thique, enquoi cest dj autre chose que de la morale? et bien je dirais lthique nous est
plus connue aujourdhui sous un autre nom, qui a pris un developpement et qui a
eu un certain succs: cest le mot thologie.
Lorsquon parle dune thologie propos des animaux, ou mme dune
ethologie propos de lhomme, il sagit de quoi? Lthologie au sens le plus
rudimentaire cest une science pratique, de quoi? Une science pratique des
manires dtre.
Alors je dirais: la manire dtre cest prcisment le statut des tants,
des existants, du point de vue dune ontologie pure. En quoi cest dj diffrent
dune morale? Vous prenez tout a dans une atmosphre de rve veill, on
attache pas une importance fondamental chaque proposition. On essaie de
composer unes espce de paysage qui serait le paysage de lontologie. On est des
manires dtre dans ltre, cest a lobjet dune thique, cest dire dune
thologie. Dans une morale, au contraire, il sagit de quoi? Il sagit de deux
choses qui sont fondamentalement soudes. Il sagit
- de lessence
-