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Géopolitique de l’eau 1 Mars 2014
Claire Bordes 2
Table des matières : I/ L’eau comme ressource stratégique ? ........................................................................................................................................ 2
1. Une ressource devient stratégique lorsqu’elle recoupe deux caractéristiques fondamentales : indispensable et rare ....................................................................................................................................................................... 2 2. Le contrôle d’une ressource stratégique dépend de trois facteurs : sa localisation, son acheminement, son industrie d’exploitation ......................................................................................................................................................... 3
II/ La rareté de l’eau tient de son inégale répartition géographique liée à la pression démographique .......... 4 III/ L’indispensable propreté de l’eau ............................................................................................................................................ 6
1. Lutter contre la pollution ......................................................................................................................................................... 6 2. Enjeu sanitaire : lutte contre les maladies hydriques : ................................................................................................ 7
III/ L’eau au cœur des conflits du XXIe siècle ? ........................................................................................................................ 10 1. Fleuves et bassins versants : la question du partage des eaux ............................................................................. 10 2. Le Nil : de l’hydro-‐hégémonie à l’hydro-‐diplomatie ? ............................................................................................... 11
IV/ le marché de l’eau, l’autre facette de la géopolitique de l’eau ................................................................................... 15 1. Enjeu politique : la rivalité entre les acteurs publics et privés ............................................................................. 16 2. Enjeu économique : les entreprises privées à la conquête du monde ? ............................................................ 16
V/ Conclusion : Le temps des utopies ? ....................................................................................................................................... 17 VI/ Bibliographie .................................................................................................................................................................................. 18 VII/ Annexes ........................................................................................................................................................................................... 19 Annexe 1 : L’année internationale de l’eau sonnera-‐t-‐elle le glas du Fleuve Columbia ? par P. da Costa et al. ............................................................................................................................................................................................................ 19 Annexe 2 : Annexe scientifique et technique sur l’eau, par D. Pareau et al. ........................................................... 21
1 Sixième séance du MOOC de Développement Durable (FUN), sous la responsabilité de Pascal da Costa (Ecole Centrale Paris). 2 Enseignante à l’INALCO et à l’ECP.
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Le début des années 2000 a été l’âge d’or d’une littérature florissante sur la thématique des conflits hydriques, présentés comme les nouvelles guerres du siècle à venir. On parlait alors de l’or bleu et on présentait sa possession comme LE nouvel enjeu stratégique d’un XXIe siècle naissant. Aujourd’hui, cette thématique s’est fondue dans une littérature beaucoup plus large, portant sur les défis du développement durable et les enjeux du changement climatique. Se pose actuellement plus volontiers la question des réfugiés climatiques et des nouveaux flux migratoires qui se dessineront dans le futur.
Est-‐ce pour autant que les conflits hydriques n’auront pas une place centrale au XXIème siècle ? L’eau devient-‐elle (à défaut de ne jamais l’avoir été jusqu’à lors) une ressource stratégique comme le pétrole ou l’uranium, dont l’appropriation peut devenir source de conflits entre deux pays ou deux régions du monde ? Au-‐delà de la seule question de l’appropriation des ressources hydriques, le XXIe siècle marquera sans doute une prise de conscience de la finitude des réserves terrestres et des conséquences souvent dramatiques de la stratégie de l’homme sur ces réserves exercées jusqu’à présent. L’humanité aura compris qu’elle habite un monde fini dont les ressources ne sont pas inépuisables et qu’il va falloir apprendre à partager de façon plus pérenne.
En attendant que cet âge de la sagesse soit atteint, comment l’humanité va-‐t-‐elle gérer la
pression croissante sur des ressources limitées ? L’enjeu que représente le partage de l’eau est une illustration exemplaire des différents scénarios qui nous attendent.
I/ L’eau comme ressource stratégique ?
1. Une ressource devient stratégique lorsqu’elle recoupe deux caractéristiques fondamentales : indispensable et rare
A/ Elle est indispensable à la survie du système qu’elle alimente Le pétrole en est la parfaite illustration. Dès la haute antiquité, le pétrole est connu et utilisé,
notamment comme combustible d’éclairage. Or, à partir 1859, vont avoir lieu trois événements contradictoires qui vont sonner le glas du pétrole en tant que combustible d’éclairage et le révéler comme ressource stratégique à l’origine de la nouvelle industrie pétrolière :
-‐ 1er temps : Le pétrole est devenu en 1859 le nouvel or noir qui attire les pionniers nord-‐américains en Pennsylvanie pour son exploitation : il doit remplacer l’huile de baleine, devenue trop chère pour s’éclairer ;
-‐ Or, 2e temps : L’essor de l’électricité au début du XXème siècle sonne progressivement le glas du pétrole lampant, alors même que Rockefeller a bâti tout un empire sur cette ressource, en définissant un standard et en distribuant des lampes à pétrole pour inciter les gens à acheter le pétrole lampant. Mais avec le développement de l’électricité, le pétrole lampant n’est plus indispensable au système qu’il alimente ;
-‐ Mais, 3e temps : L’empire de Rockefeller est sauvé par un autre empire naissant, pour lequel le pétrole va devenir indispensable, celui de Henry Ford qui sort au début du XXème siècle les premières voitures de série. La Standard Oil de Rockefeller se convertit à l’essence. Le bon produit rencontre le bon besoin.
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B/ Elle est rare Cette deuxième caractéristique est essentielle. Le meilleur contre-‐exemple est l’air que nous
respirons : c’est une ressource indispensable à la survie de l’espèce humaine, mais il n’est pas stratégique car l’air existe partout autour de nous : nous n’avons pas à l’acheter, à aller le chercher, à l’exporter, etc.
2. Le contrôle d’une ressource stratégique dépend de trois facteurs : sa localisation, son acheminement, son industrie d’exploitation
A/ La localisation d’une ressource est déterminante pour expliquer les relations entre les différents acteurs
En effet, si la ressource est exclusivement ou majoritairement sur un territoire (comme les terres rares : 50 % des réserves mondiales estimées sont en Chine, laquelle fournit 97 % des terres rares mondiales), ou si la ressource est partagée par deux ou plusieurs territoires, les relations entre les acteurs directs (où la ressource se situe) et indirects (qui vont exploiter ou consommer cette ressource) se définit de façon bien différente.
B/ L’acheminement d’une ressource nécessite la création d’un réseau, d’une infrastructure d’approvisionnement et de distribution
L’acteur qui contrôle ces réseaux peut parvenir à dominer le marché de cette ressource bien plus que le pays producteur. C’était la stratégie mise en place par l’URSS et poursuivie actuellement par la Russie concernant les hydrocarbures de sa région, à tel point que l’arme énergétique est devenue pour la Russie aussi importante que n’importe quel autre moyen de dissuasion et d’influence.
A ce propos, l’Europe en a pris conscience pendant l’hiver 2005-‐2006 : alors qu’une vague de froid venue de Sibérie frappe l’Europe orientale et occidentale, la Russie décide brusquement de réévaluer le tarif du gaz qu’elle pratique avec l’Ukraine qu’elle considère trop atlantiste. L’Ukraine doit payer 230 dollars les 1000 mètres cubes, alors qu’un accord antérieur les lui garantissait à 50 dollars jusqu’en 2009. Au 1er janvier 2006, alors que l’Ukraine rencontre des difficultés pour payer et cherche à diversifier ses fournisseurs, la Russie suspend ses approvisionnements. Tels des dominos qui tombent, la fermeture des robinets de gaz pour l’Ukraine entraine en premier lieu la chute de 40 % de l’approvisionnement de gaz en Hongrie puis en Pologne. L’Autriche, la Slovaquie, la France et l’Allemagne vont également être impactées.
C/ Une ressource n’est stratégique que si elle est exploitable et qu’il existe l’industrie pour la rendre exploitable
Le processus de transformation d’une ressource brute en une ressource consommable est fondamental. Si une telle industrie de transformation n’existe pas, l’exploitation de la ressource devient inutile. Ainsi, cette étape introduit un nouveau partage de l’importance stratégique de la ressource. Si l’on prend l’exemple de l’uranium, celui-‐ci doit être enrichi pour être utilisé comme combustible nucléaire ou encore comme arme nucléaire. C’est la maitrise de ces procédés, dont principalement celui d’usage militaire, qui inquiète la communauté internationale.
La réponse aux différentes questions soulevées par cette définition d’une ressource
stratégique va nous permettre de comprendre les enjeux liés à l’eau dans le contexte géopolitique actuel :
-‐ A quoi l’eau est-‐elle indispensable ? -‐ Est-‐elle rare ? -‐ Comment est-‐elle répartie à la surface du globe ? -‐ Comment est-‐elle distribuée ?
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Ces questions vont nous permettre d’esquisser une géopolitique de l’eau, d’identifier ses potentiels crisogènes, tout comme ses possibilités de collaboration et d’avenir commun.
II/ La rareté de l’eau tient de son inégale répartition géographique liée à la pression démographique
L’eau est la ressource de tous les paradoxes. Alors que la Terre est appelée planète bleue, l’eau potable (non salée) et accessible (qui n’est pas emprisonnée dans les glaciers par exemple) ne représente que 0,7 % de l’eau sur Terre. Ce chiffre semble confirmer le sentiment général de pénurie d’eau et de sa rareté. Or, il existe un second chiffre tout aussi déroutant sur la quantité d’eau globale exploitable par an par l’homme : une étude de 2002, réalisée dans le cadre de l’International Hydrological Programm de l’UNESCO, estime à 42700km3/an (soit une quantité moyenne par personne de 6500 m3/an) les ressources exploitables en eau potable. L’homme exploite actuellement un peu moins de 10 % du potentiel disponible, soit 650m3/personne/an3.
Que faut-‐il comprendre ? Actuellement, l’eau existe en moyenne en quantité suffisante pour les besoins tant agricole (70 % de l’utilisation mondiale de l’eau), industriel (22 %) que domestique (8 % restant). Mais derrière cette moyenne, se cache la réalité de l’inégale répartition de l’eau. Si elle existe en moyenne et actuellement de façon suffisante pour couvrir l’ensemble des besoins humains, l’eau est une ressource dont la rareté va dépendre du croisement de deux facteurs :
1. Sa répartition géographique ; 2. La densité humaine. Ainsi apparait l’un des premiers paradoxes qui tend à faire de l’eau une ressource rare pour
certaines populations : les zones arides ou semi-‐arides (donc en déficit d’eau) sont également des zones de forte concentration humaine.
3 Toutes les données chiffrées de cette partie proviennent de Jeanine & Samuel Assouline, Géopolitique de l’eau, Studyrama, 2012.
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Carte n°1 : Disponibilité en eau douce par Philippe Rekacewicz, 19 mars 2008 (Cartothèque du Monde Diplomatique)
Carte n°2 : Densité de population, cartothèque de Sciences Po, 2010
La superposition des deux cartes précédentes fait très clairement apparaitre les zones potentiellement crisogènes : l’Afrique Nord, le Moyen-‐Orient, le sous-‐continent indien et l’intérieur de la Chine. Dans ces régions, c’est bien la jonction des deux facteurs, pénurie d’eau et
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pression démographique, qui génère une situation potentiellement crisogène. Comme on le verra par la suite, le stress hydrique, s’il n’a que très rarement été un facteur déclenchant, est un facteur aggravant des conflits sous-‐jacents ou existants.
Par ailleurs, cette tension risque d’aller croissante puisque la population mondiale augmente, faisant peser de plus en plus sur cette réserve collective et limitée qu’est l’eau les besoins en irrigation, en consommation domestique et en production industrielle. Dans certaines zones, on constate déjà un déclin des volumes d’eau disponibles depuis les cinquante dernières années, en lien justement avec l’accroissement de la population et de ces besoins agricoles, domestiques et industriels. La moyenne mondiale est ainsi passée de 16800m3/personne/an à 6500m3/personne/an. A l’horizon 2025, ce volume sera passé à 5100m3/personne/an. Et cette diminution se fera sentir sur l’ensemble de la planète (exception faite des pays ayant une prédiction démographique négative : Allemagne, Japon, Danemark, Russie, etc.).
Rappelons-‐nous que l’homme n’exploite actuellement qu’un peu moins de 10 % du potentiel disponible, soit 650m3/personne/an. Or, l’augmentation générale du niveau de vie, l’urbanisation et donc la concentration des populations, ainsi que les besoins agricoles, domestiques et industriels, ne font que croitre avec l’augmentation du nombre d’êtres humains, si les modes de vie ne changent pas. Or, si l’on estime que l’exploitation de 10 % du potentiel disponible correspond à une faible pression sur les ressources en eau, 20 % est une forte pression et 40 %, une très forte pression. Dans une trentaine d’années, et s’il n’y a pas de changement significative dans notre consommation d’eau, notre utilisation de l’eau dépassera les 20 % du potentiel disponible et, en 2065, l’humanité atteindra les 40 % soit une croissance exponentielle en moins d’un siècle telle que l’humanité n’en a jamais connu. 4
III/ L’indispensable propreté de l’eau
La seconde caractéristique d’une ressource stratégique est son caractère indispensable. Il n’est pas question ici de démontrer l’indispensabilité de l’eau pour la survie de l’homme et des espèces vivantes en général, tant elle est évidente. En revanche, il ne s’agit pas seulement d’avoir accès à l’eau, encore faut-‐il qu’elle soit propre à la consommation. Cette propreté de l’eau est l’enjeu majeur des sociétés : il s’agit alors de lutter contre les maladies hydriques et contre la pollution.
1. Lutter contre la pollution On a pu voir à quel point le caractère stratégique de l’eau relevait de son inégale
répartition sur terre. A ces situations inégales vient s’ajouter un nouveau facteur, plus récent et directement lié à l’activité humaine : la pollution.
Cette pollution est issue de l’activité industrielle de l’homme et est liée au rejet dans la nature de l’excédent d’eau utilisée par ces activités, sans qu’il ait été traité avant. L’UNESCO estime que 70 % des effluents industriels dans les pays en développement sont déversés dans la nature sans traitement préalables5. Le secteur agricole est l’un des principaux utilisateurs de l’eau et contribue donc à la pollution des sols et des eaux, notamment via son usage d’engrais (nitrates et phosphates) et de pesticides. Le risque est d’accroitre la concentration de la pollution dans les eaux et de la rendre de plus en plus impropre à la consommation mais aussi à l’irrigation, questionnant ainsi la qualité des aliments qu’elle permet de produire et fermant le cercle vicieux.
4 Toutes les données chiffrées de ce paragraphe sur la rareté de l’eau sont issues de Jeanine & Samuel Assouline, Géopolitique de l’eau, Studyrama, 2012. 5 Jeanine & Samuel Assouline, Géopolitique de l’eau, Studyrama, 2012, p85
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2. Enjeu sanitaire : lutte contre les maladies hydriques : « Le Gange indien reçoit 1,1 million de litres par minute d’eaux d’égout à l’état brut,
chiffre alarmant quand on sait qu’un gramme d’excréments peut contenir 10 millions de virus, 1 million de bactéries, 1000 kystes parasitaires et 100 œufs de vers intestinaux »6 rappelle le rapport d’information sur la géopolitique de l’eau de l’assemblée nationale (voir encadré n°1 ci-‐dessous).
Le désastre sanitaire est à l’échelle mondiale : selon les chiffres de l’ONU, il meurt plus de personnes ayant bu de l’eau polluée à travers le monde que dans le cadre de conflits armés. L’enjeu est tel qu’il fait partie des objectifs du Millénaire de l’ONU (voir graphique n°1, objectif 7).
Encadré n°1 : les tristes records des maladies hydriques (Rapport d’information sur la géopolitique de l’eau de l’assemblée nationale, France)
« – 3,2 millions de personnes meurent chaque année par manque d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, soit environ 6 % des décès, et un enfant toutes les trois secondes ;
– 80 % des maladies mortelles en Afrique sont dues à des problèmes d’épuration et plus d’un tiers des décès dans les pays en développement sont dus à la consommation d’eau contaminée ;
– 4000 personnes meurent chaque jour de maladies associées au mauvais assainissement de l’eau ;
– 1,5 million d’enfants meurent chaque année de diarrhée. Un tiers de ces morts pourraient être évitées grâce à la mise en place de services adéquats d’assainissement. La diarrhée est la deuxième cause de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans après la pneumonie. Le simple lavage des mains divise le risque de diarrhée par deux ;
– plus de la moitié des lits d’hôpitaux dans le monde sont occupés par des personnes développant des maladies liées à l’usage d’une eau insalubre ;
– 100 millions de personnes souffrent en permanence de gastro-‐entérites hydriques ;
– les maladies liées à l’eau empêchent en moyenne chaque individu de travailler pendant un dixième de sa vie active ;
– 443 millions de jours d’école sont perdus chaque année du fait de maladies d’origine hydrique ou liées à l’absence de services d’assainissement ;
– 260 millions de personnes sont atteintes de bilharziose, près de 2 millions de décès sont observés chaque année parmi les personnes impaludées et 30 millions d’onchocercose sont dénombrées.7 »
L’enjeu est donc énorme, les inégalités aussi :
1. Tout d’abord, inégalités géographiques : entre les pays disposant de tout le réseau d’assainissement (l’ensemble des pays industriels) et ceux qui n’ont pas un assainissement de base (toilettes raccordées à un réseau d’égout, etc.). La carte qui se dessine (carte n°3, page suivante) reflète la fracture entre pays développés et pays en développement. Mais la situation n’est pas seulement inégalitaire au niveau mondial, elle l’est également au sein des pays ;
2. Entre villes et campagnes : la faible densité de population en milieu rural explique des réseaux très peu développés et des puits relativement peu nombreux ;
3. Entre centre et périphéries : certaines périphéries sont illégales (comme les bidonvilles) ou trop lointaines et leur approvisionnement dépend soit de sources non potabilisées (directement dans les rivières) soit de systèmes de distribution alternatifs très onéreux
6 La géopolitique de l’eau, Rapport d’information de l’Assemblée Nationale, 13 décembre 2011, N° 4070, p35 : http://www.assemblee-‐nationale.fr/13/pdf/rap-‐info/i4070.pdf 7 La géopolitique de l’eau, Rapport d’information de l’Assemblée Nationale, 13 décembre 2011, N° 4070, p35 : http://www.assemblee-‐nationale.fr/13/pdf/rap-‐info/i4070.pdf
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(le rapport sur l’eau de l’assemblée nationale rapporte l’exemple de l’Argentine où les périphéries pauvres sont dépendantes des porteurs d’eau, dont la qualité est moins bonne dans un rapport de 1 à 100, voire 1000, à celle des robinets des quartiers centraux riches8).
Carte n° 3 : Petite géographie des toilettes par Philippe Rekacewicz, 9 juin 2010, le Monde Diplomatique.
8 La géopolitique de l’eau, Rapport d’information de l’Assemblée Nationale, 13 décembre 2011, N° 4070, p32 : http://www.assemblee-‐nationale.fr/13/pdf/rap-‐info/i4070.pdf
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Graphique n°1 : Tableau du suivi des Objectifs pour le Millénaire de l’ONU, 2011 : http://unstats.un.org/unsd/mdg/Resources/Static/Products/Progress2011/11-‐31330 %20 %28F %29 %20MDG %20Report %202011_Progress %20chart %20LR.pdf
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III/ L’eau au cœur des conflits du XXIe siècle ?
1. Fleuves et bassins versants : la question du partage des eaux La pression démographique qui va peser sur cette ressource, couplée à son inégale
répartition, fait donc plus que jamais apparaitre le XXIe siècle comme le siècle de l’or bleu. Pour reprendre la définition de la ressource stratégique et vérifier si l’eau y répond ou non, il apparait bien que le caractère rare de l’eau est relatif (en fonction de la situation géographique des populations) mais tendra à se généraliser (compte tenu de la croissance démographique mondiale et de la pollution dégradant les réserves) si nos modes de vie et de consommation (agricole, domestique et industrielle) n’évoluent pas vers plus de durabilité. Or, l’eau propre à la consommation est d’une telle nécessité pour la survie des êtres vivants qu’il se pose la question de reconnaitre l’eau comme un droit pour tous et pas seulement comme un besoin ce qui, au niveau international, a une implication pour le règlement de tous les enjeux liés à l’eau.
L’eau pourrait donc bien être une ressource stratégique tant au niveau régional que mondial dans le futur. Il existe d’ores et déjà à travers le monde de nombreuses situations de tension entre deux ou plusieurs pays qui se cristallisent sur des enjeux hydriques (carte n°4, page suivante). Les fleuves et le partage des bassins versants sont les principales raisons de ces crispations.
Un fleuve ne représente pas seulement une source d’eau (nécessaire à l’irrigation, au développement industriel, également urbain et social) mais aussi une manne économique pour toutes les raisons évoquées précédemment, auxquelles s’ajoute le développement de l’énergie hydraulique. Les tensions apparaissent donc entre pays en amont et pays en aval du fleuve et principalement lorsque le pays amont décide de mettre en place des infrastructures (barrages, centrales hydroélectriques…) pour stocker, dériver, canaliser, drainer les eaux ou produire de l’énergie. Le risque pour le pays en aval est la perte d’une partie conséquente du débit du fleuve, une dégradation de la qualité de son eau (avec une pollution liée aux activités humaines en amont), voire des catastrophes écologiques (comme la mer d’Aral) ou sociales (on peut citer, bien que ce cas n’implique pas un litige entre deux pays, le barrage des Trois Gorges, en Chine, qui a entrainé le déplacement de 2 à 4 millions de personnes).
La prévision du vice-‐président de la banque mondiale en 1995, Ismaël Serageldin, se confirme-‐t-‐elle : « les guerres du XXIe siècle auront l’eau pour enjeu » ? Fait-‐on la guerre pour l’eau ou l’eau est-‐elle un facteur aggravant des tensions ou conflits entre états ? La question est essentielle car d’elle dépend la possibilité de résolution de la crise. Deux états qui n’ont pas d’autres raisons de se faire la guerre gagneront plus à coopérer et à partager intelligemment leurs ressources hydriques (cf. le texte sur l’exemple nord américain repris dans la première Annexe de ce chapitre). Deux états en conflits ou ayant des tensions exacerbées auront les plus grandes difficultés à mettre en œuvre une volonté politique de coopération.
Il faut à ce niveau de notre réflexion prend un temps pour comprendre la dimension politique de l’eau, perception assez difficilement partagée en Europe où elle n’est pas en pénurie. Dans les zones semi-‐arides et arides, la problématique de l’eau est intimement liée au politique. Les Grands Fleuves (le Nil, l’Euphrate, Le Yang-‐Tsé…) sont les foyers des premières grandes civilisations agraires et urbaines. L’eau et sa maitrise a pesé sur les constructions politiques et a inspiré une analyse sur la nature des constructions politiques qui en découlèrent à de nombreux auteurs, de Montesquieu à Wittfogel, en passant par Hegel. Pour illustrer cette thèse, prenons l’exemple du pharaon qui tire son pouvoir du Nil. En effet, le contrôle de l’irrigation et de l’activité agricole concentrée sur la vallée du Nil pour assurer la survie du peuple égyptien imposa la mise en place d’un pouvoir centralisé fort dans la personne du pharaon.
Quelle peut être aujourd’hui la réalité de cette thèse de l’hydro-‐politique ? L’eau ne peut bien entendu pas être le seul critère expliquant la nature des régimes politiques en place actuellement dans les pays en zones arides ou semi-‐arides. Ces régimes sont le résultat de
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facteurs multiples et d’une longue évolution historique. Néanmoins, l’eau reste un enjeu de politique interne et régionale incontournable pour ces gouvernements.
Un fleuve cristallise ces problématiques ainsi que la charge symbolique qui est souvent
attachée à l’eau, surtout quand on en manque : c’est le Nil. Nous étudierons donc comment le partage du bassin versant plonge ses racines dans l’histoire et la géopolitique d’une région et comment le rééquilibrage des pouvoirs de cette région se concrétise dans une volonté nouvelle de gestion collective.
2. Le Nil : de l’hydro-‐hégémonie à l’hydro-‐diplomatie ? L’hydro-‐hégémonie égyptienne sur le Nil est bien révélatrice d’une réalité, c’est qu’il n’existe
pas de déterminisme géographique : en effet, l’Egypte est le pays en aval, située à la fin de la course du Nil, elle bénéficie depuis toujours des limons charriés depuis les hauts plateaux éthiopiens et qui ont fait de l’Egypte le grenier à blé de l’Antiquité romaine. Mais sa situation géographique aurait dû la mettre en position de dépendance vis-‐à-‐vis des pays amont, des pays où se situe la source du fleuve. Or, c’est tout l’inverse que les rapports de force et l’histoire de la région ont écrit.
L’hydro-‐hégémonie de l’Egypte n’est contestée que depuis 2010.
A/ La situation hydrique du Nil L’eau est une ressource stratégique de la région Le Nil a une lourde charge symbolique, dans la région mais aussi au-‐delà : symbole de
l’hydro-‐politique, incarné dans la personne de pharaon, celui-‐ci tire son pouvoir du fleuve nourricier. Le Nil représente dans l’imaginaire collectif le fleuve source de vie par excellence. Il est aussi source de puissance politique pour l’état égyptien et cette dépendance trouve encore son écho aujourd’hui dans l’attitude du gouvernement égyptien face aux revendications des autres pays du bassin du Nil.
Coulant dans la région de grande aridité mais pour autant de dense foyer de peuplement, le Nil est le fleuve nourricier, qui fertilise et irrigue les plaines égyptiennes. Or, nous verrons que cette fonction fertilisante a été perdue par une mauvaise anticipation des conséquences écologiques des grands travaux égyptiens d’aménagement du fleuve. Le grenier à blé s’est tari et l’Egypte est maintenant en situation de dépendance alimentaire.
Les droits historiques dont se réclame l’Egypte sont actés par les accords de 1929 et 1959 : la Grande-‐Bretagne et Egypte nouvellement indépendante signent en 1929 un accord très favorable à l’Egypte, qui reçoit un droit de prélèvement de 48 milliards de mètres cubes par an et l’assurance d’être consultée par la puissance coloniale britannique pour tous travaux d’aménagement du fleuve dans ses territoires, amont de l’Egypte. L’indépendance du Soudan en 1956 conduit à un amendement, signé en 1959, concédant à L’Egypte et au Soudan non seulement 90 % du débit annuel du fleuve (66 % pour l’Egypte, 22 % pour le Soudan), mais également un droit de veto sur tous les projets amont.
Or, ces pays amont sont aussi les pays où le Nil prend sa source : Ethiopie est aux sources du Nil Bleu qui fournissent plus de 70 % du débit annuel du Nil ; Rwanda, Burundi, Tanzanie et Kenya, du Nil Blanc (voir la carte n°4). Leur indépendance prise, les accords de 1929 et 1959 font grincer des dents, notamment en Ethiopie.
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B/ La marche vers la contestation et l’enjeu de la maitrise des infrastructures hydrauliques
La contestation de 2010 En mai 2010, l’Ethiopie lance une contestation des accords historiques de partage des eaux
du Nil. Elle s’appuie sur les autres pays amont du Nil, Kenya, Tanzanie, Rwanda, Burundi, Ouganda, et questionne l’hydro-‐hégémonie du Soudan, mais surtout de l’Egypte.
Le moment de cette contestation n’est pas fortuit : il est à la jonction de deux phénomènes : -‐ Tout d’abord, l’Ethiopie sort d’un cycle de violences et d’instabilités (Ogaden, Erythrée).
Elle affirme sa puissance militaire et sa stabilité. Elle peut alors faire face à ses importants besoins de développements : ses précipitations sont irrégulières, plongeant le pays dans l’insécurité alimentaire. Les besoins d’irrigation sont donc fondamentaux.
-‐ Au contraire, l’Egypte est elle frappée par l’instabilité politique et la menace de chaos (Printemps Arabes). Affaiblie sur le plan interne, la contestation de sa puissance sur le plan extérieur ne se fait donc pas attendre. Or, la population est la première frappée par le contexte d’insécurité interne. Elle n’est pas prête à entendre la contestation des pays amont sur son usage du fleuve nourricier. Ce qui explique un discours particulièrement virulent des autorités égyptiennes qui ne correspond pas forcément à la réalité des négociations engagées. Le projet de barrage éthiopien
Symptomatique du lien entre l’émergence d’une puissance régionale en devenir, l’Ethiopie, et des revendications sur le plan international sur la place qu’elle considère devoir lui revenir, le projet du Grand barrage de la Renaissance devrait voir le jour en 2016. Les travaux de détournement du Nil Bleu ont commencé fin mai 2013. Ce barrage a pour ambition d’être le plus grand d’Afrique avec une puissance de 6000 mégawatts (trois fois plus que le barrage d’Assouan, en Egypte).
Sa recherche de reconnaissance passe donc par la démonstration de sa maitrise industrielle, technologique et par la création d’une réalisation symbolique : il s’agit là de la même logique que celle que a mené l’Egypte de Nasser à construire le barrage d’Assouan (de 1960 à 1970), permettant à l’Egypte s’assoir sa souveraineté, assurée par sa sécurité alimentaire et énergétique. Le projet de barrage éthiopien apparait nécessairement à l’Egypte comme une menace potentielle pour son approvisionnement en eau et pour le maintien de sa position hégémonique, réelle ou symbolique, sur le Nil.
Par ailleurs, ce projet hydraulique est révélateur d’un rééquilibrage plus profond des puissances au niveau international. Si avant, l’accompagnement et l’expertise technique et financière étaient recherchés auprès des puissances occidentales, l’Ethiopie s’est aujourd’hui tournée vers la Chine pour ce faire. On voit donc s’affirmer non seulement la place et l’influence de la Chine en Afrique, mais également la maitrise technologique de la Chine, devenant, au même titre que les puissances occidentales, une référence dans ces domaines (et donc un concurrent).
C/ De la nécessité de négocier Vers une gestion commune de l’eau ?
Les situations de tensions liées à l’eau ont une charge symbolique très forte. C’est oublier que, dans la majeure partie des cas, la question de l’eau fait plutôt l’objet de coopération : en effet, on recense dans l’histoire plus de 3600 accords et traités signés pour un partage équitable de l’eau9. C’est aussi toute l’ambiguïté de l’eau, qui peut être à la fois facteur aggravant de conflit et à la fois moteur de coopération. Ainsi passe-‐t-‐on du concept d’hydro-‐hégémonie (pays ayant « suffisamment de pouvoir au sein d’un bassin versant pour assurer la direction du contrôle des
9 Cf. Jeanine & Samuel Assouline (Géopolitique de l’eau, Studyrama, 2012, p130) et texte 1 en Annexe de ce chapitre.
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ressources en eau et agir ainsi comme un leader vis-‐à-‐vis des autres pays riverains du bassin » 10 : Chine, Turquie par exemple) à celui de l’hydro-‐diplomatie : les pays ont plus intérêt à coopérer pour une gestion commune de l’eau, qui leur apportera plus qu’une gestion unilatéral.
Des travaux de l’Université de l’Oregon menés sur soixante ans et 2000 interactions (http://www.transboundarywaters.orst.edu/), montrent que les cas de coopération sont deux fois plus nombreux que les cas de conflits (graphique n°2).
Graphique n°2 : Les évènements lies aux cours d’eau transfrontaliers de 1948 à 1998, d’après A. Wolf.
Dans le cas de l’eau, trois conceptions juridiques s’affrontent : 1. La doctrine de la souveraineté territoriale absolue, permettant à l’Etat d’user comme bon
lui semble des eaux qui le traversent. Cette doctrine donne alors un avantage considérable à l’Etat amont ;
2. La doctrine de l’intégrité territoriale absolue : le fleuve doit s’écouler avec le même débit dans tous les Etats qu’il traverse. Cette doctrine est donc plus favorable aux Etats aval ;
3. La doctrine de gestion commune des eaux par les Etats d’un bassin versant.
Une quatrième doctrine est souvent utilisée pour justifier certains états de fait et éviter leur remise en cause, c’est celle du droit du premier utilisateur.
10 David Blanchon, dans « La question de l’eau en Afrique : de la variabilité climatique aux tensions hydropolitiques, à paraître, d’après la définition donnée par M. Zeitoun et J. Warner, Hydro-‐Hegemony : A framework for analysis of transboudary water conflicts, Water Policy 8, 2006, 435-‐460, cité par La géopolitique de l’eau, Rapport d’information de l’Assemblée Nationale, 13 décembre 2011, N° 4070, p.71 : http://www.assemblee-‐nationale.fr/13/pdf/rap-‐info/i4070.pdf
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Le fleuve comme une unité économique Le cas du Nil permet une bonne étude de l’évolution des mentalités vis-‐à-‐vis de la ressource
en eau. Longtemps utilisées dans une logique prédatrice et sans se soucier de leur durabilité, les ressources fluviales tendent de plus en plus à être appréhendées dans leur ensemble et continuité, et non plus seulement en fonction des frontières territoriales des pays d’elles traversent.
L’enjeu est donc majeur : il s’agit de dépasser l’intérêt individuel pour viser l’intérêt durable et collectif, sans rééditer les erreurs du passé. L’exemple du barrage d’Assouan permet d’illustrer les erreurs commises, inhérentes à l’époque et à la difficulté d’anticiper les conséquences écologiques. Sans avoir provoquer un désastre de l’ampleur de la mer d’Aral, le barrage d’Assouan a sapé les pratiques traditionnelles des paysans égyptiens et les a fait entrer dans une ère de la dépendance :
-‐ Les limons venus des hauts plateaux éthiopiens sont retenus par le barrage qui s’envase un peu plus d’année en année ;
-‐ Les terrains n’étant plus fertilisés par ce limon, l’agriculture égyptienne a recours à des engrais chimiques ;
-‐ On suspecte le recours à ces engrais d’être à l’origine du développement de certains cancers ;
-‐ La concentration saline en aval du lac Nasser s’élève et accroit la salinisation des sols ; -‐ Le barrage a contribué, avec les prélèvements massifs, à la quasi-‐disparition du poisson
du Nil. Les paysans dépendant maintenant de la pisciculture du lac Nasser et doivent payer pour une ressource alimentaire qu’avant ils péchaient.
A travers cet exemple, on cherche à démontrer la nécessité de considérer l’ensemble des services éco-‐systémiques d’un fleuve, et pas uniquement son potentiel hydro-‐électrique ou d’irrigation. L’initiative du bassin du Nil, créée en 1999, doit être le lieu privilégiée d’une telle réflexion, globale et englobante, visant à une gestion commune de l’ensemble des services naturels du fleuve (gestion naturelle des crues et des innondations, production de ressources renouvelables, de type halieutiques et d’eau pure, de paysages et d’activités récréatives, etc.) 11.
IV/ le marché de l’eau, l’autre facette de la géopolitique de l’eau
La maitrise de l’infrastructure est un enjeu clé de la géopolitique de l’eau. Pour des raisons stratégiques (comme l’illustre le cas israélo-‐palestinien), mais également politiques (rivalités entre acteurs privés et publics), économiques (rivalités entre les entreprises mondiales pour la conquête de nouveaux marchés), sanitaires et de santé publiques (lutte contre les maladies hydriques) et, bien sûr, écologiques (traitement des eaux usées, lutte contre la pollution liée à l’exploitation agricole et industrielle).
Enfin, le cumul de deux facteurs, l’accroissement démographique et l’accroissement de la pollution et de la dégradation des sources d’eau, pose un enjeu énorme à l’humanité : sa capacité à offrir de l’eau potable à tous dans le futur. Est-‐il possible d’initier une gestion durable de la ressource, qui passe nécessairement par des innovations technologiques (dessalement et recyclage des eaux usées notamment) ?
Or, la question centrale tient au statut de l’eau : Est-‐elle un bien monnayable ? Est-‐elle un droit ? Les débats actuels sur la part de l’acteur publique et la part de l’acteur privé dans le cycle complet de l’usage de l’eau sont intenses et relatifs à l’approvisionnement, la distribution, le traitement des eaux usées, etc.
11Au sujet des enjeux du bassin du Nil, lire l’article Egypte : une hydro-‐hégémonie contestée sur le Nil, p. 22 à 25 de la revue Diplomatie (juin-‐juillet 2013) et l’article Afrique, Guerre des eaux sur le cours du Nil du supplément géo&politique du Monde du 20 juin 2013 (références dans la bibliographie).
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1. Enjeu politique : la rivalité entre les acteurs publics et privés L'accès à l'eau potable est un droit universel reconnu désormais par les Nations Unies. Elle
est aussi devenue un marché. Si aujourd’hui seul 9 % de la population mondiale est desservie en eau par une entreprise privée, elle n’était que de 2 % il y a 20 ans.
Le modèle français du partenariat public-‐privé (PPP) s’est exporté et en est devenu la norme : ce sont les bailleurs de fonds, tels que la banque mondiale, le FMI ou encore l’OMC, qui ont poussé au développement de ces partenariats et sont apparus comme des instruments de la privatisation du secteur, généralement sans consultation de la population locale.
Le cas de la France est particulièrement emblématique de certaines dérives d’une délégation de service public, quelques fois mal contrôlée, à un acteur privé, de la disponibilité de l’eau. Les entreprises françaises sont les leaders mondiaux sur le marché de l’eau (Véolia, Suez, Saur) même si, on le verra plus loin, elles doivent faire face à une compétition internationale agressive dans ce secteur. Alors que, comme on l’a dit, seule 9 % de la population à l’échelle de la planète est desservie par des entreprises privées, en France le pourcentage monte à 80 %. Les collectivités publiques ont largement déléguées leur gestion de l’eau aux acteurs privés, or ces délégations se sont faites dans des conditions contractuelles largement déséquilibrées. Aussi assiste-‐t-‐on aujourd’hui à un mouvement de retour de la gestion dans le giron public. Ce mouvement de remunicipalisation de l’eau a lieu aussi bien au niveau français qu’international. Il s’appuie sur une dénonciation de la surfacturation des services. Les renouvellements de délégation de services publics aux sociétés privées sont l’occasion de renégocier les contrats. Les prix ont été revus à la baisse, ce qui indique que les termes de l’échange se rééquilibrent. Dans certaines villes françaises, la baisse de prix à qualité égale a pu atteindre jusqu’à 40 %.
Au niveau international, notamment pour les pays émergents, la problématique est la même. Les prix pratiqués par les acteurs privés se sont confrontés tout d’abord à l’absence de compréhension, de la part du consommateur, des raisons de payer son eau, et également au fait que la population n’avait financièrement pas les moyens de payer le prix demandé. L’acteur privé a souvent présenté une facture sans tenir compte de l’environnement socio-‐économique, pourtant primordial pour la réussite d’un tel projet.
Le discours au début des années 2000 a donc évolué du full cost recovery (recouvrement intégral) au sustainable cost recovery (recouvrement soutenable des coûts)12. De nombreux pays s’orientent donc vers une remunicipalisation de la distribution de l’eau (en Amérique du Nord comme du Sud notamment).
2. Enjeu économique : les entreprises privées à la conquête du monde ? Ainsi, la manne financière espérée dans les années 1980, initiée avec le mouvement
mondial de libéralisation du marché de l’eau, s’est révélée dans les années 2000, pour toutes les raisons évoquées précédemment et d’autres, assez décevante. Néanmoins, avec l’essor économique des pays émergents et les besoins criants de ces pays, le marché offre de belles perspectives. Si les entreprises françaises, Veolia en tête, sont leaders sur ce marché, elles n’en restent pas moins fortement concurrencées par les acteurs locaux qui se développent. Deux modèles s’affrontent : le modèle français, avec les capacités d’un grand groupe international qui peut ainsi avoir une approche globale de la gestion de l’eau, alors que les acteurs locaux tendent à se spécialiser sur un segment particulier, spécifique.
Une cartographie des marchés de l’eau s’est dessinée en fonction des déceptions des acteurs privés et de la solvabilité des clients : L’Amérique latine a réservé de bien mauvaises surprises13, l’Afrique n’enregistre que quelques contrats garantis par de l’argent public, l’Europe,
12 La marchandisation de l’eau s’accélère par Marc Laimé, mercredi 19 mars 2008, le monde diplomatique. 13 Le cas de Cochabamba, la troisième ville de Bolivie, en est le meilleur exemple : poussées par les bailleurs de fond internationaux, les autorités boliviennes délèguent la gestion de l’eau de Cochabamba à Aguas de Turani, un consortium mené par la multinationale américaine Bechtel. Face au doublement des prix, la mobilisation sociale entre janvier et avril 2000 va se conclure par l’annulation du contrat accordant pour 40 ans la concession de ce service public.
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bien qu’elle soit un marché mûr, a dégradé la qualité de sa ressource et a de gros besoins en dépollution, l’Asie, avec la Chine en tête et le sous-‐continent indien, sont des zones stratégiques pour le développement de nouveaux marchés14. Ainsi Veolia a annoncé, en mars 2012, la signature d’un premier contrat en Inde, avec la dixième ville du pays, Nagpur, pour une durée de 25 ans. Ce contrat, qui va générer 387 millions d'euros de chiffre d'affaires pour Veolia, a été remporté avec le groupe de BTP et de services indien Vishvaraj Environment15. L’un des objectifs est de couvrir les besoins non seulement de la classe moyenne mais également des bidonvilles jusque-‐là non desservis. Les travaux devraient coûter 60 millions d’euros, payés pour 70 % pour l’Etat indien, les 30 % restants étant à la charge de l’industriel.
V/ Conclusion : Le temps des utopies ?
Dans son article intitulé Une manipulation cauchemardesque, pour l’Atlas des utopies16, Stéphane Foucart écrit une fable qui dresse le tableau imaginaire de la Terre en 2082. Organisés en régions (fédération européenne, fédération américaine, fédération est-‐asiatique…) ayant adopté depuis 2038 la Convention des Nations Unies pour la gestion des rayonnements solaires (CCNUGRS), les pays de la planète ont préféré, suite à la multiplication de cataclysmes météorologiques liés au changement climatique, plutôt que de questionner et modifier leur modèle industriel et leur production de biens, injecter annuellement deux millions de tonnes d’hydrogène sulfuré (H2S) dans la stratosphère pour faire baisser les températures et réduire la fonte des glaces du Groenland. Les particules-‐aérosols injectées dans la stratosphère réfléchissent ainsi une partie du rayonnement solaire et contrebalancent le déséquilibre radiatif induit par les gaz à effet de serre. 17
Que nous apprend cette fable ? Qu’il y a urgence à faire face au problème, mais surtout à faire face au bon problème. Qu’il y a urgence également à modifier nos comportements pour préserver l’équilibre fragile des milieux dans lesquels nous vivons. Le seul progrès scientifique, s’il est indispensable (en matière d’eau : dessalement, lutte contre la pollution, etc.), n’est pas suffisant et doit s’accompagner d’innovations sociales et, surtout, d’un changement massif de mode de perception de nos ressources, notamment de l’eau. Cette fable nous interroge aussi sur la nécessité d’une gestion globale des ressources par une instance mondiale…
14 La marchandisation de l’eau s’accélère par Marc Laimé, mercredi 19 mars 2008, Le Monde diplomatique. 15 Veolia part à la conquête de l'Inde, latribune.fr (source AFP), 13/03/2012. 16 L’atlas des utopies, hors-‐série La Vie – Le Monde, p168. 17 Cf. à ce propos les critiques du GIEC sur cette méthode de géo-‐ingénierie, critiques exposées par Valérie Masson Delmotte (Univ. Paris Sud et CEA) pour le MOOC DD (FUN).
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VI/ Bibliographie
-‐ Pour une vision globale du sujet : La géopolitique de l’eau, Rapport d’information de l’Assemblée Nationale, 13 décembre 2011, N° 4070 : http://www.assemblee-‐nationale.fr/13/pdf/rap-‐info/i4070.pdf Assouline Jeanine & Samuel, Géopolitique de l’eau, Studyrama, 2012
-‐ Sur les aspects de géopolitique et de conflictualité : Revue Diplomatie, Géopolitique de l’eau, les enjeux de l’or bleu, juin-‐juillet 2013. Gabriel-‐Oyhamburu Kattalin, « Le retour d’une géopolitique des ressources ? », L'Espace Politique, 12 | 2010-‐3, mis en ligne le 11 février 2011, Consulté le 28 février 2013 : http://espacepolitique.revues.org/index1796.html Bozonnet Charlotte, Afrique, Guerre des eaux sur le cours du Nil, supplément géo&politique du Monde du 20 juin 2013 http://www.lemonde.fr/afrique/article/2013/06/19/guerre-‐des-‐eaux-‐sur-‐le-‐cours-‐du-‐nil_3432232_3212.html
-‐ Sur le marché de l’eau : Laimé Marc, La marchandisation de l’eau s’accélère, mercredi 19 mars 2008, le monde diplomatique. Water makes money : Comment les multinationales transforment l'eau en argent, documentaire réalisé par Leslie Franke, Herdolor Lorenz (Allemagne, 2010, 75mn), Arte, diffusé le 12 et 21 février 2013.
-‐ Pour accéder aux données : Le guide de l’eau de l’ONU permet d’accéder aux données de l’ONU sur la question : http://www.unwater.org/discover.html Par ailleurs, l’ONU a mis en place un outil très bien fait permettant d’accéder aux statistiques pays par pays mais également en vision globale à l’échelle planétaire, le Key Water Indicator Portal : www.unwater.org/statistics.html Pour les indicateurs sur les objectifs du Millénaire : http://unstats.un.org/unsd/mdg/Default.aspx L’Université de l’Oregon a réalisé un travail colossal de collecte et analyse géopolitique de l’eau et ses enjeux internationaux : http://www.transboundarywaters.orst.edu/database/
-‐ Pour une vision prospective : Horizons stratégiques, Délégation aux affaires stratégiques, mars 2012 : http://www.defense.gouv.fr/das/reflexion-‐strategique/prospective-‐de-‐defense/articles-‐prospective/horizons-‐strategiques Atlas des utopies, hors-‐série de La Vie et Le Monde.
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VII/ Annexes
Annexe 1 : L’année internationale de l’eau sonnera-‐t-‐elle le glas du Fleuve Columbia ?
Texte du 20 novembre 2013
par Marion Moneuse (étudiante ECP), Simon Bunieski (étudiant ECP), Pascal da Costa (ECP).
Pour quelques semaines encore, 2013 est « l'année internationale de la coopération dans le domaine de l'eau ». Force est de constater que les manifestations organisées par l’ONU et l’UNESCO18 ont été assez peu médiatisées. Pourtant, l’eau douce, ressource naturelle paradoxalement rare sur la planète bleue, reste fort menacée et très disputée.
Le fleuve nord-‐américain Columbia illustre parfaitement les enjeux contemporains liés à l’eau douce. Le renouvellement du Traité de 1964, lequel formalisait des accords très novateurs pour l’époque, passés entre le Canada et les Etats-‐Unis, fait pourtant débat aujourd’hui ! Les deux pays renégocient depuis plus d’un an déjà ce Traité, en tentant d’y inclure de nouvelles considérations relatives à la biodiversité et au changement climatique. Le nouveau Traité sera, s’il voit le jour, plus complexe, puisqu’il devra prendre en compte les stocks de ressources halieutiques pour la pêcherie et les autres activités économiques liées (tourisme), ainsi que les modifications du climat qui impacteront les infrastructures (barrages), lesquelles risquent de devenir obsolètes en cas de dérèglement climatique élevé.
Parcourant plus de 2000 km depuis sa source, dans les Rocheuses canadiennes de Colombie britannique, jusqu’à son embouchure dans le Pacifique américain, le Columbia est le quatrième plus grand fleuve des Etats-‐Unis en volume (son bassin versant s’étend sur l’équivalent de la superficie de la France). Plus de 250 retenues ont été construites le long de son cours pour le contrôle des inondations et, surtout, des projets d’irrigation ainsi que des exploitations hydroélectriques. Datant des années 1960 et 1970, ces infrastructures ont été dimensionnées sans vraiment tenir compte ni de l’évolution du fleuve, ni de l’hydrologie de la région.
Le fleuve Columbia représente près du tiers du potentiel hydroélectrique exploité à l'heure actuelle aux Etats-‐Unis. Le Traité a permis de coordonner les efforts de maîtrise des crues et d’optimiser la production d'énergie hydraulique, en créant des espaces de stockage en amont, dont les bénéfices sont redistribués équitablement entre le Canada et les Etats-‐Unis. Le Traité octroie au Canada la moitié des bénéfices engendrés par la production hydroélectrique en aval (article V) et l’indemnise pour son contrôle des crues (article VI).19
Il a aussi été prévu que le Canada et les Etats-‐Unis puissent mettre un terme à cet accord soixante ans après sa ratification (soit en 2024), si et seulement si l'une des entités avertit l'autre de ses intentions dix ans à l'avance. Cela correspond donc au 16 septembre 2014 très exactement, d'où le dynamisme actuel autour de la renégociation du Traité.
La construction de nombreux barrages le long du fleuve a une influence sur les écosystèmes locaux, via la pollution industrielle et les obstacles à la migration des poissons. A ce propos, le Columbia compte plusieurs espèces de poissons exceptionnelles, tels les saumons coho ou royaux qui migrent de l'océan Pacifique vers les affluents d'eau douce du fleuve pour se reproduire. A Astoria (où se jette le Columbia), a été observé un déclin fulgurant des saumons
18 Cf. http://www.unwater.org/water-‐cooperation-‐2013/events/milestone-‐events/en/ 19 Le calcul du montant de la compensation financière (Canadian Entitlement) est le résultat de longues études sur la capacité hydroélectrique du fleuve avec et sans barrages. Ce montant est variable selon des plans de production et de stockage annuels prévus cinq ans à l'avance, sauf demande exceptionnelle.
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pêchés, témoin de l’impact de la construction des barrages sur la fraye (le cycle de reproduction) des poissons. Alors qu’en 1800, 20 millions de kg de saumons étaient pêchés par an, on est aujourd'hui à moins de 900 000 kg.
Pour pallier cela (et la baisse d’activité économique dans le secteur de la pêche), des échelles à poissons, qui se sont avérées peu efficaces, ont été installées sur certains barrages du fleuve pour en assurer la continuité piscicole. Mais le ralentissement des courants fluviaux induit par les barrages, même équipés de ces échelles, allonge le voyage migratoire des poissons, passant de quelques semaines à plusieurs mois, augmentant ainsi fortement leur taux de mortalité.
En 1994, le démantèlement de plusieurs barrages nuisibles à la migration des saumons fut donc proposé par des écologistes locaux. En 2007, le premier d'entre eux fut démantelé : le barrage Marmot sur la rivière Sandy. Depuis, vu le succès engendré pour la pêche, de nombreux autres démantèlements ont suivi.
Du côté du climat, la température a déjà augmenté de 0,8°C, depuis la fin du XIXème siècle, dans la région où s’écoule le fleuve Columbia. De façon globale, une augmentation de la teneur en vapeur d’eau dans la basse troposphère a été constatée (partie de l’atmosphère terrestre au plus proche de la surface du globe), ainsi que des précipitations aux moyennes et aux hautes latitudes de l’hémisphère Nord, avec une recrudescence des événements extrêmes.
Parmi les scénarii proposés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), le scénario dit A2 a été retenu dans le cadre de la renégociation actuelle du Traité du Fleuve Columbia.20 Dans cette région, il est prévu une augmentation de 3 à 4°C, d’ici 2090, qui provoquerait un recul important des manteaux neigeux et glaciaires. Les climatologues prévoient également une diminution des précipitations en été, avec, le restant de l’année, une importante augmentation de la fréquence des précipitations extrêmes. Cela entraînerait une augmentation des risques de crue et de sécheresse qui aurait des impacts certains sur les ouvrages hydroélectriques.
Ces barrages, conçus il y a cinquante ans, ne seront peut-‐être plus suffisants pour gérer les inondations, de même que les réserves d’eau pour l’irrigation manqueront, et les turbines des centrales hydroélectriques subiront des pressions trop fortes, ou trop faibles, selon les saisons. En outre, la production électrique sera au plus bas en été, au moment même où la demande est au plus haut (les américains étant les premiers utilisateurs de climatiseurs au monde). L'augmentation de température ne fera donc qu'aggraver les choses.
Au final, la mise à jour du Traité constitue une opportunité unique pour prendre en compte et anticiper les effets du changement climatique. Les débats autour du prochain Traité font donc largement appel aux modélisations des climatologues, bien que des incertitudes soient inhérentes à leurs travaux. Ceci soulève un point primordial et absent dans le Traité actuel : le futur Traité Columbia devra être adaptable au cours de son application, afin de suivre au mieux l'évolution effective du climat.
Que ce soit du côté du climat ou de la biodiversité (et des activités humaines qui sont liées), il faut donc espérer un succès du prochain Traité, pour le Fleuve Columbia lui-‐même et ses riverains bien entendu, et également pour tous les autres fleuves transfrontaliers dans le monde qui souffrent des mésententes des pays qu’ils traversent… et dont les riverains doivent attendre avec impatience que leur gouvernements copient un jour les avancées politiques, juridiques et économiques du Traité Columbia.
20 A2 considère une très rapide croissance démographique au cours de laquelle la population mondiale atteindrait un maximum en milieu de siècle. Ce scénario prévoit des convergences dans les politiques régionales et un renforcement des interactions culturelles et sociales. Il estime qu’en conséquence le taux de C02 dans l’atmosphère doublerait d’ici la fin du siècle.
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Annexe 2 : Annexe scientifique et technique sur l’eau
Cette deuxième Annexe a été réalisée à partir : du cours de Dominique Pareau (ECP) et de synthèses réalisés par Noémie Blaise (étudiante à l’ECP). I/ Qu’est-‐ce que la ressource en eau ?
Qu’est-‐ce que l’eau ? Du point de vue chimique, il s’agit de la molécule bien connue H2O, que l’on trouve dans la nature sous trois états: l’état gazeux, l’état liquide et l’état solide. L’eau est très répandue sur la terre. En effet, 70 % de la surface de la terre, soit 1 360 000 000 km², est recouverte d’eau, c’est pourquoi on l’appelle la « planète bleue ». Son abondance et sa qualité varient très fortement en fonction du lieu et de la saison. Par exemple l’index de montant d’eau annuel par habitant est très variable, il varie ainsi entre 19 m3 à Djibouti et 660 000m³ en Islande.
Le stock d’eau actuel total sur la planète est de 1,4 milliards de km³, réparti entre les mers et océans (97,5 %), l’eau douce (2,5 %) et l’eau de surface et atmosphérique (0,4 %).
Deux types d’eau douce peuvent être distingués, comme l’a proposé le professeur suédois Malin Falkenberg en 1995:
-‐ L’eau bleue : il s’agit de l’eau de surface (lacs, fleuves, rivières), de l’eau souterraine (aquifères et nappes) et des glaciers. Les aquifères sont des couches de terrain ou de roche contenant de l’eau douce relativement libre, sous forme de nappes. Les nappes phréatiques (water table en anglais) sont peu profondes et permettent d’alimenter les puits et forages. Les nappes captives beaucoup plus profondes contiennent de l’eau sous pression et peuvent donner lieu à des puits artésiens. L’eau de surface et l’eau souterraine sont connectées naturellement: le flux de la rivière vers l’aquifère s’inverse selon le niveau de la nappe phréatique. Il apparaît donc que pomper de l’eau en grande quantité dans une rivière peut abaisser significativement le niveau de la nappe phréatique et assécher certains puits.
-‐ L’eau verte : il s’agit de l’eau emprisonnée dans les sols et accessible par les plantes. Lors des précipitations 40 % de l’eau atteignant le sol contribue à alimenter l’eau bleue (par ruissellement superficiel et par percolation à travers le sol vers les nappes d’eau souterraines) ; le reste constitue l’eau verte. Il y a bien sûr des échanges constants entre ces types d’eau. L’eau bleue est transformée en eau verte par l’irrigation des cultures; l’eau verte est transformée en eau bleue par le drainage des sols. L’eau bleue peut être transportée, contrairement à l’eau verte qui ne peut être récupérée que par le biais des plantes. L’eau verte est un réservoir d’eau majeur, encore mal connu et probablement sous-‐évalué.
II/ Le cycle de l’eau Le cycle de l'eau (ou cycle hydrologique) est un modèle qui décrit le parcours de l’eau
entre les grands réservoirs que sont l’atmosphère, les océans et mers, les lacs, les cours d'eau, les nappes d'eaux souterraines et les glaciers. Ce cycle est entretenu par l’évaporation de l’eau grâce à l’énergie solaire.
L’évaporation est le phénomène de passage de l’eau liquide surfacique (océans, cours d’eau, lacs) à l’eau vapeur. L’évapotranspiration est une évaporation d’eau à partir de sources solides : la végétation (on parle alors de transpiration) et les sols. La sublimation est le passage direct de l’état solide à l’état gazeux, des neiges et glaciers vers l’atmosphère. Durant son cycle, l’eau va donc constamment s’échanger entre ces différentes sources par le biais des précipitations et des évaporations.
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III/ Les usages de l’eau L’eau est vitale pour les êtres humains, les animaux et les plantes. Elle compose le corps
des êtres humains à 65 %, celui des animaux à 60 % et intervient dans la constitution des végétaux à hauteur de 75 %.
L’eau est une ressource limitée. Cette limitation est d’autant plus problématique que c’est une ressource unique comme l’air: il n’existe pas de sources alternatives. Notons à titre de comparaison que d’autres types de ressources peuvent être remplacés, comme l’énergie (remplacement du pétrole par le nucléaire et/ou les énergies renouvelables) ou les ressources alimentaires (remplacement du blé par le riz…).
L’eau est utilisée partout et pour tout : survie des êtres vivants, plantes et industrie. L’agriculture intensive aujourd’hui conduit à des sur-‐consommations d’eau liées à l’irrigation massive des terres. L’eau est également très employée dans l’industrie, notamment pour le refroidissement des centrales de production d’énergie ; elle sert également de source d’énergie renouvelable (énergie hydraulique), dont l’exploitation permet de lutter contre l’émission de CO2, mais qui peut entraîner des dégâts environnementaux majeurs (grands barrages…). En 2050 la planète comptera 9 milliards d’êtres humains qui devront vivre, se nourrir, cultiver, produire des biens et services… On est donc confronté à une continuelle croissance de la demande en eau, les solutions doivent être trouvées dès à présent.
Ainsi, le principal problème soulevé par le fait que l’eau, que nous pouvons considérer comme le « sang de la biosphère », est une ressource unique, consiste donc en l’accès à une eau de qualité. Il est alors essentiel de s’interroger sur la consommation de l’eau, liée directement à son accès, ainsi qu’à sa purification, en lien direct avec sa qualité.
1. La consommation d’eau L’homme consomme l’eau douce, puisée dans les ressources naturelles, essentiellement pour
trois usages qui sont l’agriculture, l’industrie et l’usage domestique (figure 1 de cette Annexe).
Figure 1 : La consommation d’eau de source mondiale selon les secteurs d’activités
Toutefois cette répartition entre les secteurs consommateurs est très inégale selon le degré de développement des pays. Les Etats-‐Unis prélèvent l’eau dans les ressources naturelles essentiellement pour l’industrie (45 %) ; l’Europe l’utilise à hauteur de 50 % dans l’industrie, majoritairement pour l’énergie. Quant à l’Afrique et l’Asie, au contraire des pays précédents, la consommation industrielle est réduite (environ 5 %), la majeure partie étant réservée à l’agriculture (environ 80 %).
Il convient toutefois de distinguer entre prélèvement brut et consommation nette d’eau. Le terme prélèvement (intake) indique le flux total d’eau entrant utilisé par le secteur d’activité considéré ; le terme consommation est relatif à la différence entre l’eau entrante et l’eau
Agriculture (l'agriculture irriguée représente 17% des terres mais 40% de la produc<on agricole
mondiale) 70%
Industrie ( des efforts récents pour économiser et recycler une
consomma<on en forte hausse depuis
1950) 20%
Domes<que (usages indivuels et
quo<dien: hygiéne, boisson, cuisine … )
10%
CONSOMMATION MONDIALE D'EAU DE SOURCE
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sortante, par exemple pour une usine entre l’eau pompée dans la nappe phréatique et l’eau purifiée rejetée dans un cours d’eau. Selon l’indicateur que l’on choisit, le poids relatif des secteurs peut varier.
Selon l’industrie concernée, l’eau peut servir à produire de l’énergie mécanique et/ou de la vapeur, elle peut être utilisée comme fluide de refroidissement ; elle peut servir de réactif dans le procédé de production considéré. A la sortie du procédé, l’eau liquide peut être polluée ; elle est donc traitée avant d’être recyclée, valorisée ou rejetée dans le milieu naturel. Dans le cas des aéro-‐réfrigérants qui permettent le refroidissement de l’eau chaude issue d’échangeurs de chaleur, il y a production et rejet de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Une des sources les plus importantes de consommation d’eau dans l’industrie est le refroidissement des industries productrices d’énergie. Dans ce cas, la majeure partie de la consommation d’eau se fait par évaporation et transfert vers l’atmosphère. On observe des différences fortes entre les différents secteurs d’activité, mais aussi pour un même secteur en fonction du temps. On voit que les prélèvements bruts dans le domaine de l’agriculture ont augmenté de façon considérable par rapport aux prélèvements dans les autres domaines. On observe des tendances analogues en ce qui concerne la consommation nette mondiale. Toutefois, la consommation mondiale est une moyenne de valeurs très disparates. En effet, pour la consommation domestique en 2002, alors que les Emirats Arabes Unis consommaient 500L/jour/personne d’eau, le Canada un peu plus de 300, les Etats-‐Unis 300, et le Japon un peu moins de 300, cette même consommation était inférieure à 100 en Pologne et République Tchèque, et bien inférieure à 50 en Inde.
2. Notion d’eau virtuelle ou empreinte eau L'empreinte eau (Water footprint) est le volume total d'eau virtuelle nécessaire pour
produire un produit ou un service, c’est un indicateur qui permet d’évaluer l’impact d’une industrie ou d’une activité sur la ressource en eau. Cet indicateur a été créé en 2002 par A. Y. Hoekstra de l’UNESCO-‐IHE, puis développé par le Water Footprint Network.
On distingue trois types d’empreinte eau : • Empreinte eau bleue : eau virtuelle nécessaire à la production considérée, issue de
ressources d’eau bleu (eaux de surface et souterraines) • Empreinte eau verte : eau virtuelle nécessaire à la production considérée, issue de
ressources végétales et sols • Empreinte eau grise : eau polluée générée par la production considérée
On ne se rend souvent pas compte de l’eau nécessaire pour toutes sortes de consommations journalières habituelles et l’empreinte eau est un outil précieux pour la prise de conscience des consommateurs. Elle permet également d’évaluer l’impact de différentes filières socio-‐économiques, de pointer les problèmes et d’envisager des alternatives aux postes les plus consommateurs.
D’après J. Gebel, S. Yüce (Pollutech 2007), on trouve des empreintes très variées dans l’industrie et l’agriculture, confirmant l’influence considérable de ce dernier secteur (entre 10 et 100 fois plus prégnant que l’industrie) (figure 2 de cette Annexe) :
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Figure 2 : Empreinte eau de différents produits industriels et alimentaires
3. La purification de l’eau Sous le vocable purification de l’eau on regroupe l’ensemble des procédés permettant de
préparer l’eau pour un usage donné, notamment la production d’eau potable ou son recyclage dans le procédé industriel considéré. On distingue alors différents procédés comme les procédés physiques (filtration ou sédimentation), les procédés chimiques (chloration, floculation ou ozonation), les procédés biotechnologiques et les procédés avec rayonnement UV.
a. Procédé de potabilisation de l’eau à partir d’eau douce Une eau est considérée comme potable si elle satisfait une certaine qualité. Ainsi, l’OMS
annonce plusieurs critères pour qu’une eau puisse être considérée comme potable. L’eau doit d’abord être saine (qualité microbiologique) ; ses caractéristiques physiques doivent satisfaire à certaines exigences : limpidité, odeur, teneur en matières en suspension (MES) ; enfin elle doit posséder des caractéristiques chimiques particulières en termes de salinité (salinité inférieure à 1000 mg/L), de teneur en chlorure (chlorure inférieur à 250 mg/L), de pH….
Le procédé de potabilisation de l’eau se compose de plusieurs étapes : Etape 1 : Dégrillage et tamisage L'eau est d'abord filtrée à travers une simple grille, afin d'arrêter les plus gros déchets présents dans l'eau (feuilles, insectes, particules de plus de 1 mm…). Elle passe ensuite dans des tamis à mailles fines retenant les déchets les plus petits. Etapes 2 à 4 : Floculation et décantation Un coagulant est ajouté à l'eau pour rassembler en flocs les déchets encore présents dans l'eau (poussières, particules de terre, oeufs de poissons, etc…). Ces flocs, plus lourds que l'eau, se déposent au fond du bassin de décantation et 90 % des matières en suspension sont ainsi éliminées. Etape 5 : Filtration L'eau traverse un filtre, lit de sable fin et/ou filtre à charbon actif. La filtration sur sable élimine les matières encore visibles à l'oeil nu. Les filtres à charbon actif retiennent les
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micro-‐polluants comme les pesticides. NB : Il existe des procédés de filtration encore plus poussés comme la filtration sur membranes (ultra et nanofiltration). Etape 6 : Ozonation L'eau est désinfectée grâce à l'ozone qui a une action bactéricide et antivirus. Ce gaz, mélangé à l'eau, agit aussi sur les matières organiques en les cassant en petites molécules. Il améliore également la couleur et la saveur de l'eau. L'ozone est un gaz légèrement bleuté résultant de la transformation de l'oxygène contenu dans l'air sous l'action de décharges électriques (ou de rayons ultra-‐violets). Il est fabriqué dans des ozoneurs. Etape 7 Filtration sur charbon actif Une grande partie de la matière organique détruite par l'ozone est adsorbée sur le charbon actif. Etape 8 : Chloration On ajoute du chlore à la sortie de l'usine de production et sur différents points du réseau de distribution afin d'éviter le développement de bactéries et maintenir la qualité de l'eau tout au long de son parcours dans les canalisations.
Les traitements à réaliser sur l’eau « naturelle » pour la rendre potable sont à adapter selon la source dans laquelle on puise l’eau. En effet, si l’eau est souterraine, donc si elle provient de sources, de puits ou d’aquifères, elle sera généralement très pure sur le plan bactériologique, mais elle pourra être polluée chimiquement (nitrate par exemple).
Si l’eau provient de lacs et de barrages, situés en amont des zones à approvisionner, elle se trouvera en général peu contaminée car issue d’une zone protégée. Cette eau se caractérise essentiellement par la présence d’algues, mais aussi par un taux de bactéries faible et un pH souvent acide. En revanche, si l’eau est issue de rivières et de fleuves, les bactéries seront souvent présentes en quantité significative. On y trouvera également des algues, des solides en suspension, ou des constituants dissous.
De nouvelles sources d’eau sont aujourd’hui exploitées, comme la vapeur d’eau atmosphérique qui permet de récupérer de l’eau par condensation, les eaux de pluie, ou l’eau de mer après dessalement. Ces sources d’eau, qui sont utilisées pour produire l’eau que nous buvons, peuvent être affectées par les médicaments que l’homme ingère. En effet, par exemple, les personnes suivant une chimiothérapie anticancereuse reçoivent de puissants médicaments à l’hôpital. Lors de leur rejet par le corps, ces médicaments sont solubilisés dans les eaux urbaines usées et les contaminent. Le traitement des eaux usées est souvent insuffisant pour les ,éliminer en totalité avant rejet dans le milieu naturel dans lequel on observe une accumulation préoccupante de ces molécules. De nombreuses études sont en cours pour remédier à ce problème qui devient de plus en plus prégnant dans nos pays industrialisés.
b. Le dessalement de l’eau de mer On a vu que 97,5 % de l’eau de la planète était salée. C’est donc une ressource
considérable que l’on commence à exploiter à grande échelle dans des pays pauvres en ressources d’eau douce. Mais pour faire de l’eau potable à partir d’eau de mer, il convient d’éliminer une grande partie du sel : l’eau de mer contient 35 à 50 g/L de chlorure de sodium selon la localisation par rapport aux pôles. Cette eau se caractérise aussi par sa température variable selon les zones, les courants et la profondeur (elle varie de quelques degrés à 35°C dans le golfe persique), ainsi que sa teneur des matières en suspension (matières minérales, organismes vivants microscopiques, sable).
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Il est alors nécessaire de mettre au point des procédés de dessalement efficaces et applicables dans les différentes conditions rencontrées. Nous consacrerons un paragraphe à ces procédés très importants car ils représentent l’avenir pour nombre de régions arides ; l’enjeu est surtout économique car il convient de développer des procédés les moins coûteux possible.
Le principe du dessalement est donc d’obtenir à partir d’eau salée, de l’eau pure pour la consommation, l’agriculture, l’assainissement, les centrales thermiques, etc. Pour y parvenir, plusieurs procédés sont envisageables, mais nous trouvons principalement deux procédés développés industriellement, qui sont la distillation (évaporation d’eau pure) et l’osmose inverse (passage d’eau pure à travers une membrane qui retient les sels). La distillation consiste à chauffer l’eau salée pour évaporer de l’eau pure que l’on condense ensuite. Elle peut être mise en œuvre de diverses façons : distillation à un étage ou simple effet et distillation multi étagée ou multiple effet. Cette dernière permet une utilisation plus méthodique de l’énergie grâce à plusieurs étages de distillation et une économie d’énergie totale par rapport au simple effet. Cependant le fonctionnement est beaucoup plus complexe et l’investissement plus important.
Comme tout procédé, la distillation a des avantages et des inconvénients. Ainsi, elle permet d’obtenir une qualité de production très correcte avec une salinité résiduelle de l’ordre de 20 à 80 mg/L. L’énergie thermique peut être de différents types : moteur Diesel, turbine à gaz, centrale thermique (turbine à vapeur..., ce qui représente une souplesse intéressante. Cependant l’énergie nécessaire est considérable, il s’agit d’évaporer des quantités très importantes d’eau ; par ailleurs les matériaux employés doivent résister à une très forte corrosion (eau salée à forte température), ils sont donc onéreux. Il est enfin nécessaire de dégazer dans chaque cellule et de prétraiter l’eau en termes de désinfection (chloration), d’élimination de particules solides et de prévention de formation de tartre. On trouve des usines de distillation gigantesques comme celle d’Al Khobar-‐2 qui compte dix unités de 26700 m3/jour combinées à cinq centrales thermique (Sidem).
Le procédé d’osmose inverse quant à lui s’inspire du phénomène d’osmose bien connu. Ces procédés comportent deux compartiments : un avec de l’eau de mer ou de la saumure (brine) et l’autre avec de l’eau pure. Lors de l’osmose naturelle, l’eau passe à travers la membrane (qui retient le sel), du compartiment eau pure vers le compartiment eau salée ; ce transfert de matière a lieu dans le sens classique, des zones de faible concentration de sel vers les zones de forte concentration, pour équilibrer le système en terme de concentration de sel et d’activité d’eau. Pour ralentir ce flux d’eau ou même l’arrêter, il est nécessaire d’appliquer une surpression sur le compartiment eau de mer. La pression nécessaire pour stopper le flux d’eau est appelée pression osmotique .Afin d’avoir un flux d’eau inverse, à savoir du compartiment eau de mer vers le compartiment eau pure, il est nécessaire d’appliquer au premier une pression strictement supérieure à la pression osmotique.
Les membranes d’osmose inverse sont coûteuses car très complexes, de plus étant soumises à de très fortes différences de pression (quelques dizaines de bars), elles ont une durée de vie assez limitée. Par ailleurs le procédé en lui-‐même est également gourmand en énergie. On trouve des usines d’osmose inverse de très grande taille comme celle d’Ol-‐ Ashkelon en Israël, où sont produits 330 000 m3/jour, dont 13 % pour la consommation domestique, grâce à un investissement de 212 M$. Elles sont constituées d’un très grand nombre de modules en série et parallèle.
D’autres procédés de dessalement existent, comme l’électrodialyse (ED/ EDR) ; son principe est basé sur le transfert d’ions sous l’effet d’un champ électrique et à l’aide d’une succession de membranes sélectives : membranes échangeuses de cations (ne laissant passer que les cations) et membranes échangeuses d’anions (ne laissant passer que les anions). Ainsi le sel NaCl est séparé en ses deux ions: Na+ migre d’un côté et Cl-‐. Choix d’un procédé de dessalement
Le facteur coût est évidemment très important, mais il évolue grandement avec le temps. On peut comparer les procédés de distillation et d’osmose inverse pour l’eau de mer en fonction du coût. La technique d’osmose inverse a été privilégiée depuis 1972 et son coût a constamment
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diminué avec le temps. Il en est de même pour le coût de distillation qui a également baissé par suite des économies d’énergie notamment, les coûts des deux techniques sont à peu près comparable aujourd’hui, mais avec une tendance à la baisse plus forte pour l’osmose inverse.
On construit par ailleurs beaucoup plus d’unités d’osmose inverse, toujours plus grandes, ce qui permet des économies d’échelle. Ainsi en Israël, l’usine d’Ashkelon fut une des premières très grosses unités à voir le jour en 2005, avec une capacité de 120 millions m3/an et un coût de 0,7$ par m3 ; le coût était le même en 2009 avec l’usine d’Hadera dont la capacité est de 127 millions m3/an. En 2013, une autre usine ouvrira avec un coût plus bas de 0,58 $ par m3.
Afin de réaliser l’intérêt de l’investissement d’une usine de dessalement, il est intéressant
de comparer son coût avec celui du transport d’eau douce depuis un point de pompage :
Figure 3 : comparaison des coûts entre dessalement et aqueducs pour une ville littorale (source cours Ecole Centrale Paris, J. Labre)
On constate qu’au-‐delà d’une certaine distance, le dessalement est toujours moins cher que le réseau d’aqueducs. Par ailleurs le coût du dessalement dépend peu de la capacité à produire, alors que le coût du transport dépend fortement de la quantité d’eau à véhiculer (économie d’échelle).
4. Le recyclage des eaux usées industrielles Face au constat actuel en terme de diminution des ressources hydriques, il devient urgent de
cesser de les gaspiller. Mais comment faire pour continuer à produire avec les mêmes rendements sans changer fondamentalement les procédés? Une réponse se trouve dans la valorisation et le recyclage des eaux usées, qui est aujourd’hui un enjeu majeur au niveau industriel.
Par exemple, le secteur de l'agro-‐alimentaire doit faire face aux énormes quantités d'eau utilisées et au problème majeur qu’elles créent dans les usines. L'eau est utilisée comme un ingrédient, un agent nettoyant, pour chauffer et refroidir, pour le transport et le conditionnement de matières premières... C’est pourquoi on observe aujourd’hui un fort développement du recyclage d'eaux usées retraitées, en particulier dans les pays arides (Australie, Israël, etc.), de 25 à 60 % selon les régions concernées depuis quelques années. Aujourd'hui, plus de 40 millions de mètres cubes d'eau usées municipales sont recyclées par jour dans le monde. Les avantages principaux de cette solution sont au nombre de deux : elle permet non seulement d'améliorer la disponibilité des ressources, notamment en cas de sécheresse
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dans certaines régions du monde, mais aussi de réduire les rejets dans l'environnement. Elle peut être mise en œuvre pour satisfaire de nombreux besoins, en particulier non domestiques : irrigation, substitution de l'eau potable pour les usages industriels, réinfiltration et stockage d'eau dans les nappes souterraines après un traitement complémentaire, etc.
Concrètement, les industriels comme Veolia, Suez ou la SAUR, valorisent les eaux usées
récupérées en sortie de station d'épuration après leur avoir appliqué un traitement adapté. Le niveau de traitement est défini en fonction de la qualité requise par le type d'usage des eaux usées recyclées.
Les techniques ainsi employées pour recycler l’eau sont diverses, voici les principales avec leurs utilisations:
-‐ l’ultrafiltration (technique de filtration sur membrane): Désinfection des eaux, Recyclage d’eau de lavage, Valorisation des eaux d’ateliers de couchage en cartonnerie, Valorisation des «eaux blanches» en laiterie, Traitement des eaux de lavage d’atelier d’encres, Traitement des eaux de conserverie de Poissons
-‐ la nanofiltration (technique de filtration sur membrane): Fabrication d’eaux de procédés, Elimination des nitrates de l’eau, Adoucissement des eaux de surface ou souterraines, d’eaux potables avec élimination d’ions multivalents et/ou de petites molécules toxiques
-‐ la pervaporation (vaporisation à travers une membrane): Traitement des effluents, dépollution des effluents aqueux, Séparation des solvants organiques pour la récupération et le recyclage des eaux qui contiennent des solvants
-‐ l’électrodialyse (électrolyse à membranes): Recyclage des eaux usées industrielles, Recyclage de l’eau de rinçage.
5. Assainissement Pour finir, étudions le traitement des effluents liquides domestiques (toilettes, douches,
cuisine…) qui sont collectés dans les égouts. Ce traitement est appelé assainissement, et ne s’applique pas uniquement à l’eau domestique, mais aussi aux effluents des commerces et des petites industries. L’assainissement concerne très souvent également les eaux de pluie qui sont recueillies avec les eaux usées dans les égouts.
Les eaux à traiter sont l’eau grise qui est l’eau usée savonneuse et l’eau noire, eau usée provenant des toilettes et devant subir un traitement plus fort.
Après un dégrillage pour enlever les solides, l’eau usée subit une élimination des matières organiques par voie biologique aérobie ; des filtres biologiques achèvent la destruction de la matière organique et permettent une dénitrification. Après clarification, les eaux traitées sont contrôlées et renvoyées dans le milieu naturel. Les boues humides peuvent être valorisées de diverses façons : méthanisation, épandage agricole après séchage…
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Sources et lectures complémentaires pour l’Annexe : Atlas mondial de l’eau. De l’eau pour tous ?, David Blanchon, Autrement, 2009 FAO. 2011. The state of the world's land and water resources for food and agriculture (SOLAW) -‐ Managing systems at risk; Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rome and Earthscan, London. Facing the Challenge. World Water Development Report 3, Unesco, 2009. Disponible sur : www.unesco.org/water/wwap/wwdr/wwdr3/case_studies/index.shtml Municipal water reuse markets 2010, Global Water Intelligence http://www.globalwaterintel.com/home/
Rapport mondial sur le développement humain 2006, PNUD, Economica, 2006. Disponible sur : http://hdr.undp.org/fr/rapports/mondial/rmdh2006/
Technologies propres et eau dans l’industrie », ARIST Bourgogne, 2004, disponible sur http://www.technologies-‐propres.com/pdf/livret_fiches_papier.pdf
Virtual Water, disponible sur http://www.fao.org/nr/water/docs/VirtualWater.pdf
Water: a shared responsibility; rapport ONU 2006, disponible sur: http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001444/144409e.pdf Water: facts and trends 2009, World Business Council for Sustainable Development, 2nd edition, 2009, disponible sur: http://commdev.org/content/document/detail/2676/ A new approach to meet the growing demand of professional training for the operating and management staff of desalination plants, J. Gebel, S. Yüce, Desalination 220 (2008) 150–164, disponible sur http://www.desline.com/articoli/8896.pdf