GARE !
Comédie
15 personnages *
Auteur : Philippe Laperrouse
*Sur les 15 personnages, 10 peuvent être indifféremment hommes ou femmes.
4 autres sont des hommes, 1 autre est une femme.
Philippe Laperrouse
5, allée de l’Ardelière
69290 Grézieu-la-Varenne
Note de mise en scène :
Décor
Le seul décor de la pièce est un hall de gare. La pièce peut être jouée sur une
scène quasiment nue, sauf certaines scènes qui nécessitent des chaises et une
table. Une sorte de « poubelle publique» est également nécessaire à l’acte 1.
Personnages
« L’ancien » chef de gare.
« Le nouveau » chef de gare.
Joséphine, l’employé à tout faire.
Un jeune homme (noté JH), voyageur un peu perdu.
Un journaliste.
Deux groupes de 5 personnes (une troupe de comédiens engagés pour ‘peupler’
une gare peu fréquentée) :
- Le groupe A qui observe le tableau des départs
- Le groupe B qui observe les arrivées de trains
Dans chaque groupe, les membres sont désignés par un numéro de 1 à 5 (A1,
A2…A5, B1B2… B5). Ils peuvent indifféremment hommes ou femmes.
Costumes modernes
AVERTISSEMENT
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règles entraîne des sanctions (financières entre autres) pour la
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Ceci n’est pas une recommandation, mais une
obligation, y compris pour les troupes amateurs.
Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le
public puissent toujours profiter de nouveaux textes.
Le cadre unique de la pièce est un hall de gare. Pas d’équipement (sauf mention du contraire)
Préambule.
(Au milieu de la gare, le chef de gare tourne en rond autour d’une table, la secrétaire est
assise sur une chaise - bloc-notes sur les genoux - en attente des instructions de son chef. La
secrétaire a un air nunuche durant toute la scène)
Le chef de gare : Vous savez ce que c’est qu’une gare Joséphine ? Je parle d’une vraie
gare !
Joséphine : Euh… oui, chef …c’est un endroit où on prend le train, chef…
Le chef : C’est un endroit où des trains arrivent et dont d’autres partent. C’est
donc un endroit où il y a donc des gens, beaucoup de gens avec plein
de bagages, certains reviennent chez eux, d’autre s’en vont en
vacances ou se déplacent pour travailler.
Joséphine : Oui, chef.
Le chef : Et une gare, Joséphine, voyez-vous… c’est un des derniers bastions de
la démocratie. Vous savez pourquoi, Joséphine ?
Joséphine : Euh… non, chef …
Le chef : Non, vous ne savez pas. Eh bien, je vais vous le dire. Dans une gare,
tous les voyageurs sont égaux entre eux avec leurs petites valises. Il n’y
a pas de voyageurs plus égaux que d’autres. Vous en connaissez
beaucoup des lieux comme ça ?
Joséphine : Euh… non, chef…
Le chef : Et ici, dans la gare de Filou-en-Artois, qu’est-ce que vous voyez
Joséphine ?
Joséphine : Rien. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de trains qui partent ou
arrivent.
Le chef (tape le poing sur la table) :
Eh bien, c’est ça qui n’est pas normal Joséphine ! Il n’y a peut-être pas
beaucoup de trains, mais il faut que cette gare vive. C’est pourquoi je
la remplis de voyageurs !
Joséphine : Ah ! J’ai compris, chef ! C’est pour ça que vous engagez une bande de
comédiens !
Le chef : Voilà ! On y est, Joséphine. Nous allons avoir deux groupes de 5
comédiens. L’un, que je vais appeler groupe A, au pied du tableau
d’affichage des départs. Ils joueront le rôle de voyageurs sur le départ.
Ce sont ceux qui regardent en l’air (il mime). Vous avez remarqué
Joséphine que dans toutes les gares, il y a toujours une partie de la
population qui regarde en l’air…
Joséphine : Oui, chef !
Le chef : Eh bien, moi, je veux avoir des voyageurs qui regardent en l’air. Et de
l’autre côté, nous aurons le groupe B, composé de cinq comédiens
dont le rôle sera d’attendre l’arrivée des trains en regardant au loin (il
mime). Il y en a aussi dans toutes les gares de ce nom.
Joséphine : Chef ! J’ai compris ! Nous créons comme qui dirait un petit monde où
vivraient deux populations : ceux qui regardent en l’air et ceux qui
regardent au loin !
Le chef : Parfait Joséphine ! Exécution !
(Rideau. On enlève la table et la chaise)
Acte 1.
(Côté cour 5 personnes se postent devant le tableau des départs. Ils regardent en l’air dans sa
direction. C’est le groupe A. Cinq autres personnages un par un entrent et se postent côté
jardin, devant le quai des arrivées. Ils regardent au loin. C’est le groupe B. Chaque membre
des groupes est nommé par une lettre et un chiffre. Exemple : A2 ou B4)
Scène 1
(Lumière sur le groupe A)
A1 : Encore en retard, évidemment !
A2 : Vous prenez le train pour Saint-Benoit ?
A1 : Oui, pas vous ?
A2 : Non, il est toujours en retard.
A3 : Vous ne prenez que des trains à l’heure ?
A2 : J’essaie, mais c’est compliqué.
A4 : On se demande pourquoi il n’y a jamais de trains qui partent en avance ?
A1 : Ça vous conviendrait vous, d’arriver un quart d’heure après le train qui est parti 20
minutes en avance ?
A5 : Moi, je ne sais pas encore quel train je vais prendre, j’hésite et vous ?
A3 : Moi, je préférerais l’avion, mais je n’en vois pas sur le tableau ?
A5 : C’est parce que c’est une gare … c’est pour les trains … ils sont mis les avions
ailleurs…
A3 : Ah bon ? Ce n’est pas très commode, ça pourrait être au même endroit.
A2 (à A3) : Vous faites quoi comme job ?
A3 : Oh pas grand-chose, c’est pour ça que j’ai le temps de prendre le train.
Scène 2.
(Une personne qui attend un voyageur –groupe B- se détache du groupe et se glisse dans le
groupe de ceux qui regardent en l’air, ceux-ci l’observent avec suspicion)
A1 : Qu’est-ce que vous faites là ?
B1 : J’attends Gérard, ça vous dérange ?
A2 : Vous voyez bien que vous n’êtes pas au bon endroit. Les voyageurs qui regardent au
loin en attendant quelqu’un, c’est là-bas !
A3 : Oui, ici, ce sont les gens qui regardent en l’air, en observant le tableau des départs.
A4 : C’est vrai ça, on ne peut pas à la fois regarder au loin et regarder en l’air.
A5 : Allez ouste du balai !
(B1 rejoint son groupe)
Scène 3.
(Lumière sur le groupe B)
(Les gens du groupe B papotent)
B2 (à son voisin)
Le train de Gatignolles est en retard.
B3 : Je m’en fous, moi j’attends celui de moins quart.
B2 : Il arrive d’où ?
B3 : Je ne sais pas, mais il y en a toujours un qui arrive à moins quart.
B4 : Vous pourriez attendre aussi le train de Gatignolles avec moi. Il arrive à moins cinq. Il
faut se montrer solidaire entre nous, sinon on ne va pas s’en sortir.
B3 (à B5) :
Et vous, qui attendez-vous ?
B5 : Moi, rien.
B4 : Alors, vous pourriez attendre ailleurs.
B3 : Ici, c’est très spécialisé, c’est l’attente de trains.
B5 : Vous êtes marrant… qu’est-ce que je peux attendre d’autre qu’un train ?
B4 : Moi, j’attends une promotion…
B2 (à B5) : Vous attendez tous les jours ?
B5 : Oui, mais pas le dimanche, je n’attends rien du dimanche.
B1 : Laissez-le ! Il a le droit de ne pas travailler le dimanche ! Un peu de tolérance !
B4 : Oh, vous ! Ce n’est pas parce que vous attendez Gérard que vous êtes plus important
que les autres !
B2 : B1 a raison, il s’est fait virer de la population de ceux qui regarde en l’air, soi-disant
parce qu’il ne sait pas lever les yeux. Soyons plus tolérants que ceux qui regardent en
l’air.
B3 : Oui, moi je me méfie d’eux. Ce sont des gens bizarres, pas très civils, regardez-les, il
passe leur temps à se marrer.
B2 : Non, ils ne rigolent pas. C’est une espèce de rictus… le rictus agacé des gens dont le
train n’est pas encore affiché au départ.
Scène 4
(Lumière sur le groupe A)
(Les gens qui attendent les départs discutent entre eux)
A4 (à A3) :
Pourquoi rigolez-vous ? Vous trouvez ça marrant de regarder le tableau des départs ?
A3 : J’aime bien quand les lettres défilent à toute vitesse. On a tous un petit frisson. On se
demande sur quoi ça va s’arrêter.
A2 : Chut ! Un peu de sérieux, on n’est pas au tirage du loto !
A1 : Pourquoi ils ne mettent pas le numéro des voies ?
A5 : C’est comme ça ! Ça dépend des jours ! Certains jours, ils n’ont pas envie que l’on
prenne le train !
A4 : Vous restez quand même à regarder en l’air, même quand rien n’est affiché ?
A5 : Oui, parce que parfois, ils mettent un numéro de voie furtivement, il faut être rapide
pour l’apercevoir. C’est un vrai métier. Vous avez un pro devant vous.
A4 : Observateur de panneaux en gare ! Je ne savais pas que ça existait.
A1 : A5 a raison. Regarder en l’air ne s’improvise pas. Tenez regardez A2, il n’y parvient
pas. Je me demande même si ce n’est pas un espion.
A3 : C’est fréquent, les autres nous envoient des espions, un de ceux qui regardent au
loin… On en a déjà viré un, tout à l’heure ! ….. Tiens en voilà un autre qui s’approche,
prenons l’air de rien.
A4 (à B4, l’espion supposé) :
Qu’est-ce que vous attendez, vous ?
B4 : La diligence pour Orléans.
A3 (se tourne vers son groupe) : Qu’est-ce que je disais ? Un espion !
A5 : La dernière diligence est partie il y a un siècle et demi, vous n’avez pas de chance !
A1 : Allez, ouste de l’autre côté !
Scène 5
(Lumière sur le groupe B)
(B4 revient dans son groupe)
B1 (à B4):
Ils vous ont chassé vous aussi ?
B4 : Oui, mais je m’en fous, je vais continuer à attendre Georgette ici.
B2 : Votre belle-sœur ? Celle qui est décédée l’an dernier ?
B5 : Laissez-le attendre Georgette, moi je n’attends personne, on sera au moins deux à
attendre pour rien !
B4 : Tiens, ils nous ont encore envoyé un espion à leur tour.
(A4 arrive, il regarde de manière ostentatoire en l’air)
B1 : À quoi vous voyez ça ?
B4 : Il marche en canard.
B2 : On le fusille tout de suite ?
B4 : Non, on va jouer le coup plus finement. Laissez-moi faire (il se tourne vers A4)
B4 : Bonjour ! Qu’est-ce que vous attendez ?
A4 : Madeleine.
B4 : Et toc ! Je vous ai piégé ! Il n’y a pas de Madeleine à attendre. Avouez plutôt que vous
êtes quelqu’un qui attend le départ d’un train.
A4 : Vous vous méprenez. Je prie le ciel de me la renvoyer.
B2 : Elle est partie ?
A4 : L’an dernier, on était en train d’attendre le train pour Boudinot-les-Bains et d’un seul
coup, elle s’est enfuie avec un type qui partait pour Saint-Robert-les- Boulloches.
B3 : C’est ballot !
B5 : Vous feriez mieux de retourner chez ceux qui regardent en l’air, le train suivant pour
Saint-Robert est peut-être annoncé au départ. Vous pourriez la rejoindre.
A4 : Oui, mais à Saint-Robert, ils ont pu prendre une correspondance pour n’importe où.
Si vous voyez un train qui arrive de n’importe où, je compte sur vous.
Scène 6
(Lumière sur le groupe A)
A1 : Tiens ! Le train pour Tarporon a un quart d’heure de retard.
A3 : Comme on ne sait pas à quelle heure il devait partir, on n’est pas très avancé !
A4 : De toute façon, je crois qu’ils sont en train de chercher un volontaire pour le
conduire. Personne ne veut aller à Tarporon.
A5 : Je vous demande pardon ! J’aurais besoin d’une poubelle pour jeter mon papier. Je
n’en vois qu’une et elle est squattée par ceux qui regardent au loin.
A4 : J’en étais sûr. Ils s’approprient tout le terrain.
A1 : Bientôt, il nous faudra aller attendre le départ des trains, ailleurs.
A2 : Oh ! Vous avez vu, ils ont mis un train avec un horaire de départ.
A3 : Pas de panique, c’est celui qui est parti hier.
A5 : Bon, je vais négocier pour la poubelle !
A1 : Je vais avec vous !
A4 : Soyez ferme !
Scène 7.
(Lumière sur le groupe A)
B1 (A5 se positionne devant lui) :
Vous voyez bien que vous me gênez pour regarder au loin!
A1 : C’est pour la poubelle, il n’y en a qu’une pour toute la gare. Il faudrait partager.
B1 : Non.
A5 : C’est injuste, la poubelle est près de vous alors ceux qui regardent en l’air mangent
beaucoup plus que ceux qui regardent au loin.
B1 : Et alors ?
A1 : Nous produisons donc plus de papiers d’emballage !
B4 : Qu’est-ce qu’ils font là, ceux-là ? Qu’est-ce qu’ils attendent ?
B1 : La poubelle.
B5 : Ils ont de la chance, moi je n’attends rien. Une poubelle, c’est mieux que rien.
B1 (regarde au loin): Ah voilà, Gérard !
B5 : Non ! Là-bas, c’est la femme du chef de gare !
B2 : Qu’est-ce qu’elle fait ?
B5 : Elle attend Julien, son amant.
B3 : Elle pourrait attendre avec tout le monde.
B4 : Non, elle a une dispense.
B3 : De qui ?
B4 : Du chef de gare.
A1 : Alors… pour la poubelle, on fait comment ?
B3 : On pourrait instaurer un tour de rôle. Nous l’aurions de 8 heures à minuit. Et vous de
minuit à 8 heures.
A4 : Euh… non, il n’y a pas de trains qui partent la nuit ! Donc on n’est pas là.
B2 : Vous n’avez qu’à être là ! Instituez un tour de garde nocturne, chacun prendrait un
quart. Vous auriez alors accès à la poubelle !
B3 : Ou alors, cessez de grignoter des barres de chocolat, ce sera profitable pour votre
santé.
A1 (à A4) :
Venez, il n’y a rien à en tirer.
Scène 8.
(La lumière revient sur le groupe A)
A2 (à A4) :
Alors ?
A4 : Ils ne veulent rien savoir.
A3 : J’ai une idée : on va se mettre à attendre le départ des trains à l’arrivée des trains,
comme ça on pourra utiliser la poubelle.
A2 : Vous trouvez ça commode de regarder au loin en regardant en l’air ?
A4 : Il faut trouver autre chose pour les emmerder.
A1 : J’ai encore une idée : on va prendre un train qui arrive. On passera forcément devant
eux et on pourra donc utiliser la poubelle.
A5 : Euh… Oui, mais pour prendre un train qui arrive, il faudrait commencer par prendre
un train qui part.
A4 : Il y a bien celui de Trouffignon-sur-Bedaine, ça fait trois jours qu’il est affiché comme
partant dans une demi-heure.
A2 : Certes, mais peut-on un jour revenir de Trouffignon-sur-Bedaine ?
A4 : Attendez, je crois qu’il envoie un émissaire.
B2 : Si je comprends bien, vous voudriez l’accès à la poubelle ?
A1 : Et comment !
B2 : Bon ! Les copains sont d’accord, vous venez nous aider à attendre trois heures par
jour et vous avez droit à la poubelle pendant le même temps : trois heures par jour.
A3 : C’est un peu délicat, nous ne sommes pas conformés pour regarder au loin. Les
syndicats vont râler !
B2 : Mais si, mais si ! Vous faites des histoires ! Penchez-vous un peu… Eh bien, vous
voyez, ce n’est pas difficile, il suffit de se conformer à nos coutumes pour vivre avec
nous. Envoyez-nous un volontaire.
A2 : Bon, c’est d’accord ! A5 dévouez-vous ! Vous, vous penchez bien !
(A5 part en se penchant en avant.)
Scène 9.
(Lumière sur le groupe B)
B1 : Bienvenu étranger ! Ne craignez rien. Nous, nous savons accueillir les étrangers !
B2 : Oui, vous verrez ! Attendre des arrivées, on s’en fait un monde, mais ce n’est pas
tellement difficile !
A5 : L’ennui, c’est que je n’attends personne. Moi, j’étais parti pour prendre le train pour
Borglou-les-trois-Rivières.
B3 : Ce n’est pas grave, moi non plus, je n’attends personne. Ce n’est pas comme B3, il
attend Melanie Dugenou depuis trois jours.
B4 : Oui, mais il parait qu’elle a changé de nom. Si ça se trouve, elle est déjà passée.
B1 : Bon ? Il est sympa A5, on pourrait lui trouver quelqu’un à attendre.
B5 : Moi, je peux proposer l’oncle Bernard, il arrive deux fois par an.
A5 : J’étais surtout venu pour la poubelle.
B2 : C’est vrai qu’on n’en a pas tellement besoin.
B1 : Oui, mais c’est symbolique. On ne peut pas rendre un symbole. Il faudrait faire un
débat.
B5 : Bon, si vous pouviez vous taire, moi j’aime bien attendre en silence.
A5 (Toujours penché ) : Euh… je me sens mal !
Scène 10
(Lumière sur le groupe A)
A2 : Je me demande si c’est une bonne idée de leur avoir envoyé quelqu’un.
A4 : Il y a des dangers à se mélanger entre groupes. L’an dernier, il y a une voyageuse qui
regarde au loin qui est tombée amoureuse d’un type qui regarde en l’air.
A3 : On se demande où regardent les enfants.
A1 : Tiens ! Voilà notre compatriote qui revient.
A3 : Alors ?
A5 : Eh bien, à force de marcher penché en avant, j’ai vomi. Dans leur poubelle. Du coup,
ils veulent bien nous la céder.
A1 : Charmant ! Vous auriez pu vous retenir !
A4 : Regardez tous, ils ont mis un train qui arrive parmi les trains qui partent !
A1 : Quelle bande de nuls !
A3 : On ne va pas le dire aux autres, ça leur ferait trop plaisir !
Scène 11.
(La lumière se reporte sur le groupe B)
B2 : Tiens un train arrive qui n’était pas annoncé !
B3 : C’est normal, c’est le train de Mouzinot.
B4 : Ce n’est pas grave, personne ne le prend jamais. Donc personne n’attend le train de
Mouzinot.
B6 : Il le garde quand même ?
B1 : Oui, c’est pour Marius, le conducteur qui est de Mouzinot. Il vient faire ses courses
par ici.
B3 : S’ils suppriment la ligne, Marius va se mettre en grève.
B1 : Ça dégraderait le climat social. Ce serait dommage.
B2 : La poubelle commence à sentir ! Je vais la remettre au milieu de la gare !
(Il s’exécute)
Scène 12.
(La lumière se reporte sur le groupe A)
A1 : Ah, tiens voilà, le train consensuel !
A4 : Qu’est-ce que c’est que ça ?
A2 : C’est le train qui va jusqu’au bout du quai, puis qui revient tout de suite.
A3 : Oui, c’est nouveau ! Comme ça, tout le monde est content, ceux qui attendent des
départs et ceux qui attendent des arrivées.
A2 : Moi, je le prends jamais, il ne fait pas d’arrêt devant le distributeur de boissons.
A4 : Bon, moi, je vais peut-être rentrer, ma femme m’attend !
A1 : Elle attend les départs aussi ?
A4 : Elle vient de temps en temps.
A3 : C’est le grand amour entre vous ?
A4 : Oui, puisque nous regardons ensemble dans la même direction, mais si je rentre trop
tard, elle va lever les yeux au ciel !
Scène 13.
(Lumière sur groupe B)
B3 (au téléphone) : Salut, Norbert ! Non… c’est vrai ???? C’est incroyable ! Il faut que j’en
parle autour de moi. (Il clôt la conversation)
B1 : Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
B3 : C’est mon cousin Norbert ! Il attend les trains à la gare de Gaffouilles- les-Deux-
Clochers. Le train de Romignon vient d’arriver chez eux au lieu d’arriver ici. Il dit que
ce n’est pas la peine de l’attendre.
B2 : Ce n’est pas possible ! Ils se sont gourés ? Quelle bande de cons !
B5 : C’est nul ! Ça me rappelle le coup de Troussi-les-Bains, le chauffeur de la locomotive
avait oublié les wagons. Il n’a jamais osé retourner les chercher.
B4 : C’est un cas très rare de train qui ne part pas et qui n’arrive pas non plus.
B1 : En même temps, personne n’attendait quelqu’un du train de Romignon.
Scène 14 :
(Lumière sur groupe B. Joséphine entre)
B2 : Voilà Joséphine ! Elle a sûrement un message du chef de gare.
Joséphine :
Le chef veut plus d’animation. Je dois annoncer un grand train en provenance de
Barcelone et il dit qu’il faut que vous vous remuiez les fesses pour donner
l’impression d’accueillir du monde.
(Joséphine prend une voix de haut-parleur)
Joséphine :
Votre attention, s’il vous plait. Le train en provenance de Düsseldorf… euh non…je
me suis gourée… de Barcelone est annoncée voie B. Veuillez reculer du bord du
quai !
B3 : Pourquoi elle dit ‘voie B’, de toute façon, il n’y a qu’une voie.
B2 : Tais-toi et fais comme moi !
(Le groupe B accueille les « voyageurs »s virtuels en trépignant avec de grands gestes de la
main. Le groupe se précipite avec de grands cris de joie vers les « voyageurs » arrivant en
disparaissant en coulisse. Pendant ce temps, Joséphine est allée vers le groupe A)
Joséphine :
Le chef a dit que vous dormiez. Je dois annoncer un grand train au départ. Préparez-
vous.
A3 : Mais, il n’y a jamais de train qui part…
A5 : Tais-toi, on va en faire partir un !
Joséphine (voix de haut-parleur)
Attention ! Attention ! Le train en partance pour New-York est prêt à partir sur la voie
B. Les voyageurs sans billet ne peuvent monter dans les wagons.
B4 : Vite ! Vite ! Tous à New-York ( Tout le groupe disparait en coulisse !)
(Rideau)
ACTE 2
(Au lever de rideau, seuls sont présents ceux qui attendent les départs)
Scène 1
A1 : Ou ils sont passés les autres ?
A3 : Ils ne viendront pas puisqu’aucun train n’arrive aujourd’hui, à part celui de Marius
évidemment.
A2 : On va être tranquilles puisqu’aucun train ne part non plus.
A1 : Bon, alors qu’est-ce qu’on vient faire ici ?
A5 : On regarde le tableau, c’est le job ! La mission doit primer sur toute autre
considération !
A3 : Je crois quand même que le train de Fousses-sur-Pignon va passer, mais il ne
s’arrêtera pas. On peut l’attendre si vous voulez !
A4 : C’est vrai ça, il y a des gens pour attendre les trains qui partent, des gens qui
attendent les trains qui arrivent, mais personne pour attendre ceux qui ne font que
passer.
A2 : Quand même, les autres pourraient venir, on ne va tout de même pas faire leur non-
job à leur place !
A5 : Tiens, voilà le train de Marius.
A1 : Il arrive tôt aujourd’hui.
A4 : Remarque, comme il ne prend aucun voyageur, il fait un peu ce qu’il veut.
A5 : Ce n’est pas possible ! Il y a un type qui descend du train de Marius ! Merde alors. Je
croyais que c’était interdit. Il a l’air bizarre.
A3 : Et il n’y a personne pour l’attendre !
A2 : J’appelle les autres ! Allez le bloquer !
A5 : J’y vais.
A1 : Je viens de voir Marius. Il dit que c’est un sénégalais.
A4 : Un sénégalais ? Restons unis. On ne sait jamais.
A3 : Jamais quoi ?
A4 : Je ne sais pas
Scène 2
(Le groupe B arrive, certains sont encore ensommeillés)
B1 : Je n’y crois pas, Marius a transporté quelqu’un !
(A5 arrive avec l’individu)
A1 : Je croyais que c’était un sénégalais.
Le journaliste:
Blanc. Je suis un sénégalais blanc.
B3 : Et qu’est-ce qui nous vaut le plaisir de votre visite ?
Le journaliste :
Je suis journaliste, je rédige un article sur les gens qui attendent le départ ou
l’arrivée des trains. Vous voulez bien m’aider ? J’ai quelques questions à vous
poser.
B4 : Pour un journal sénégalais ?
Le journaliste :Non, ça n’a rien à voir.
B5 : Bon, je suis le plus ancien. Installons-nous dans la salle d’attente.
(Le groupe des A et des B disparaissent, le journaliste et B5 s’installent autour d’une table au
milieu de la scène)
Le journaliste : Alors cher … cher… Comment doit-on vous appeler au fait ?
B5 : B5… On s’appelle tous par une lettre et un chiffre.
Le journaliste : Ah bon ! Vous pourriez adopter votre nom de famille, c’est pratique. C’est
comme ça qu’on fait au Sénégal.
B5 : Non ! Le quai d’une gare, c’est un des derniers endroits où chacun est égal à
chacun. Il ne faut pas rompre cette harmonie. Donc, il faut s’appeler pareil.
Le journaliste : Très bien. Alors, cher B5. D’où tenez-vous cette passion pour l’attente des
trains ?
B5 : Figurez-vous que mon grand-père figure déjà dans le film des frères Lumière
sur l‘arrivée d’un train en gare de la Ciotat, ça vous crée une solide vocation.
Le journaliste : Tiens donc ! Ma grand-mère y figurait aussi.
B5 : Une gare, finalement, c’est le seul endroit où on sait encore attendre
convenablement. D’ailleurs nous sommes dans la salle réservée à cette
activité. Nous avons ici des spécialistes de haut niveau. Tenez, je vais vous
montrer quelqu’un. (Il appelle) : B4 ! Viens voir !
(B4 arrive)
B5 : Regardez B4… Une de nos recrues de l’hiver. Il a une expérience folle : dix ans
d’attente dans les bureaux de la CAF, six ans dans ceux de Pôle Emploi…. Ça
vous forge une compétence. C’est notre vedette. Notre avant de pointe !
Le journaliste : Très impressionnant !
B5 : Nous avons des échecs malheureusement. Par exemple, le petit B26 qui est
parti avec sa mère dès qu’elle est descendue du train.
B4 : Mais nous avons aussi nos héros : B0, mort d’émotion, l’an dernier, dans les
bras du chef de gare, la première fois qu’il a vu un TGV s’arrêter le long du
quai.
(B1 arrive à son tour)
Le journaliste: Et qu’est-ce qui vous a fait choisir l’arrivée des trains plutôt que le départ ?
B1 : Ce n’est pas du tout la même chose. Lorsqu’un train entre en gare, c’est la fin
de quelque chose. C’est comme Noël. Quand vous étiez enfant, vous
l’attendiez impatiemment et le 26 décembre vous sentiez comme un grand
vide. Comme un fantasme qui se réalise. La seule manière de s’en tirer, c’est
d’attendre le train suivant.
(A2, A4 et A3 entrent)
A3 : Euh… Désolé, mais on a aussi des trucs à dire au journaliste. !
A4 : Moi, j’ai préféré observer les départs. Il y a plus d’émotion : des gens qui
pleurent, qui s’embrassent, se reverront-ils un jour ? C’est une vraie
dramaturgie.
A2 : Moi, j’aime bien les jeunes qui partent à la neige, skis sur l’épaule en
éborgnant tout le monde.
A3 : Moi, j’observe la mine dépitée de ceux qui arrivent en courant pour voir leur
train s’éloigner sans eux. J’aime les réconforter en les berçant doucement
dans mes bras.
A4 : Bref, c’est la vie. Parfois triste, parfois joyeuse, parfois fuyante !
Le journaliste : Mais quand vous voyez tous ces trains prêts à partir, n’avez-vous jamais eu
envie de vous embarquer ?
A3 : Non, de toute façon, les informations du tableau d’affichage sont toutes
fausses.
Le journaliste : Comment ça : toutes fausses ?
A2 : Vous êtes à Filou-en-Artois. Ici, le chef de gare fait ce qu’il veut. On n’est pas à
la gare de Lyon.
Le journaliste : Qu’est-ce que c’est que ce fonctionnaire qui n’obéit à personne ?
A3 : Il fait exprès de tromper les voyageurs pour qu’ils lui parlent. Chez lui, sa
femme ne lui parle plus… depuis qu’elle connait Julien… Vous comprenez…
Le journaliste : Donc, le chef de gare est …
A5 : Non, on n’emploie pas ce mot ici.
Le journaliste : C’est curieux, je n’ai jamais vu un fonctionnement pareil. Et comment fait-on
pour bosser avec vous ?
B1 : Vous pensez bien qu’il y a des tests. Attendre, ça s’apprend. Taper du pied ou
regarder sa montre comme un imbécile en espérant que le temps passera plus
vite, tout ça, c’est sévèrement sanctionné.
Le journaliste : Comment est-on affecté du côté des départs ou des arrivées ?
B3 : C’est comme dans une équipe de foot. Il faut adapter le joueur en fonction de
sa morphologie. Pour jouer du côté des départs, il faut être plutôt grand pour
déchiffrer le tableau des trains.
A4 : Pour jouer dans la cour des arrivées, il faut être physionomiste pour
reconnaitre éventuellement un voyageur qui descend d’un train.
Le journaliste : Et ça sert à quoi de reconnaître un voyageur ?
A4 : À rien, mais ce n’est pas le problème. Quand vous attendez un train, il faut
vous attendre à tout. C’est professionnel. J’ai même reconnu Johny Halliday
un jour.
A2 : Oui, enfin sauf que ce n’était pas lui.
(Le chef de gare entre)
Le chef : Qu’est-ce que vous faites tous là ? Et pendant que vous papotez… qui c’est qui
attend les trains ? À quoi elle ressemble ma gare, si personne n’attend les
trains ! Allez ouste ! Au boulot ! Vous le journaliste, suivez-les sur le terrain.
Désormais, je vous nomme stagiaire.