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Article
Fortunes de Ponge (1924-1980) : esquisse dun tat prsent Bernard Beugnot et Robert Mlanontudes franaises, vol. 17, n 1-2, 1981, p. 143-171.
Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :
URI: http://id.erudit.org/iderudit/036735ar
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Fortunes de Ponge
1924-1980)*
Esquisse d'un tat prsent
1
BERNARD BEUG NOT et
ROBERT MLANON
Ponge, qui est un guide lluminateur lorsqu'on
n'a pas d'autre ambition que de le suivre et de
s'merveiller, est d'un abord difficile au critique
parce que l'on ne peut essayer de rendre compte
de sa dmarche qu'il ne vous force (qui sait pour-
quoi?) l'emp run ter, et alors il vous montre bien
que son allure est inimitable, et que sur ses voies
vous irez toujours gauchement
A
PIEYRE
DEM A N D I A R G L E S (1956)
L 'igno ranc e mu tuelle dans laquelle se sont dveloppes beau-
coup des tudes consacres l 'uvre de Francis Ponge a plus
favoris que restreint la formation d'une vritable topique critique,
d'un rseau de lieux communs dont Philippe Sollers (1960)
*Francis Ponge et Ian Higgins (University of St.-Andrews) ont apport ces
pages prcisions et amliorations dont nous les remercions vivement
1 Afin de ne pas surcharger ces pages d'adresses b ibliograph iques, nous ren-
voyons, pour les rfrences commodment accessibles, aux instruments classiques,
de D W Alden French VII depuis 1949, devenueFrenchX X depuis 1969 et publi
N e w York) et de O Klapp
(Bibliographie derfranzosischen Literaturwissenschaft,
F r a n c -
fort, depuis 1957) O n se conte ntera donc le plus souvent d'un nom et d'u ne da te II
existe en outre dj plusieurs bibliographies se rapp ortan t Francis Ponge, m me si
l 'on ne dispose pas encore d'u n relev systmatique, complet et critique Le
meilleur inventaire d'ensemble reste, sa date, celui qu'a tabli Jean Thibaudeau
dans sa mon ographie de 1967 la reprise du catalogue de l ' uv re , dress en 1960
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dnonait, non sans raison, la strilit : innom brables dveloppements
sur la posie descriptive, objective, qui sont l'occasion de rap-
proch em ents avec la posie de Guillevic, de Je a n Follain (qu and ce
n'est pas avec celle de l'abb Delille) ou avec le Nouveau roman,
considrations qui t iennent souvent plus de la rcupration
idologique q ue de la critique littraire sur le matrialisme de
Pon ge, comparaisons avec
la
Nauseet le personnage de R oq uen tin,
vagues allusions un Ponge peintre de natures mortes parfois
tayes d'une rfrence Chardin ou Braque. Il y aurait un
florilge faire de ces clichs de la critique, ainsi que des textes de
Pong e les plus com m un m ent cits (la dfinition de
Yobjeu
dans Le
Soleil plac en abme; parti pris des choses gale compte tenu des
mots; prendre chaque soir un nouvel objet..., etc.) Ainsi il ne
serait pas malais de reconstituer un article type, avec son cortge
de variantes reprsentes par plusieurs comptes rendus et notes de
lecture qui paraissent avoir pour vertu essentielle de faire nombre
et de contr ibu er, pa r une sorte de bru it de fond, la diffusion d' un e
oeuvre difficile. Mais ces facilits de la critique entranent surtout
une rduction de l'oeuvre dont elles durcissent les contours et
simplifient les desseins.
La ncessit d'u ne tentative de pan oram a et de bilan
2
est ren-
due plus vive encore par le foisonnement et la diversit des textes
par F Ch apo n, pour le compte de la bibliothque Jac que s D oucet, est en effet jointe
une liste d'tudes critiques o se glanent des rfrences rarement donnes ailleurs et
s'ajoutent une phon ogra phie, une iconographie et une filmographie Pour l 'u vre
seule, si l'essentiel est trs aisment reprable grce au soin que prend Ponge lui-
mme runir ses textes en recueil, l'histoire dtaille du texte demande des en-
qutes bibliographiques qui ne sont encore qu'am orc es M ais les deux travau x
dj publis sont d'u ne prcision exemp laire il
s agit
duCatalogue des manuscritsde
F Ponge, tabli par F Chapon pour l 'exposition Ponge qui s est tenue au centre
Be aub ourg en 1977, et de la Bibliographie des textes de F Ponge pa rus en volume
(ma rs 1926 octobre 1976) due Claire B oaretto{Bulletin
du
b ibliophile, 1976), qui
annonce un travail similaire pour les publications en revues, la filmographie et les
trad uctio ns En ce qui concerne les tudes critiques , toutes les bibliogra phies
disponibles, la suite de certains articles ou dans les monographies, sont lacunaires
et slectives O n regrette que dans le tome VI et dern ier, rcem ment paru de l 'ex-
cellente
Critical Bibliography
o f
French Literature
(The X X th Centur y, edit par R A
Brooks and D W Alden, S yracuse, U P , 1980), Ia section consacre F Ponge (vol
II ,n 10368 10390) soit la fois grle et peu cohrente da ns ses choix, y m an qu en t
par exemple les monographies en langue franaise ou les travaux, pourtant fon-
dam entau x, de M Riffaterre
2 O n ne disposait jusq u'ici que de trois amorces d'ta t prsent D G Planck
(1965), R G reene (1974) et G Butters (1976) Q uan t la contribution de J
Onimus au Dizionano cntico
dlia letteratura francese
(dir F Sim one, Tu rin , 1972),
elle comporte diverses erreurs de fait et n'obit gure l'inspiration gnrale de
l'ouvrage qui voulait dresser un bilan critique et dessiner l 'histoire d'une fortune
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qui parlent de Ponge et de son oeuvre. D un ct, prolifrent les
tmoignages d amiti, d admiration ou d hostilit, les expressions
de solidarit littraire, les notules dont l intrt souvent ne va gure
au-del d un titre ou d une formule heureusement trouvs :
Camus (1943), Magny (1946), Jaccottet (1956), Perros (1973)...; il
y a la matire unCorpus pongianumqui serait pice essentielle pour
toute tude de rception. On pourrait y suivre les tapes par les-
quelles cette uvre d abord confidentielle a progressivement re-
joint le public des collections de poche. En effet, mme si ce n est
pas sans exagration que Thibaudeau (1967) crit que les tudes
qui ont t consacres Ponge doivent s entendre dans un contexte
gnralement hostile, il est vident que l uvre a d vaincre des
rsistances dont il serait intressant d analyser les formes : on lirait
sans peine dans les ractions d Estang (1949), de Saillet (1949), de
Onimus (1953), de Wahl (1958), de Lacte (1962), de Hallier
(1965) et alii une ide, souvent implicite, de la posie. Le dpla-
cement de cette ide n est pas un aspect ngligeable du retentisse-
ment d une uvre qui a d, comme toute uvre authentiquement
novatrice, crer les conditions de sa propre lisibilit.
D un autre ct, les tudes plus spcifiquement critiques, uni-
versitaires ou non, relvent de problmatiques diverses : tantt
elles vont quter du ct de la morale, de la philosophie, voire de la
mtaphysique les arrire-plans de la dmarche potique; tantt
elles amorcent une lecture discrtement psychanalytique
(Thibaudeau, 1967; Prigent, 1977) ou inventorient l arsenal potique,
procds d criture, processus d engendrement, modles formels.
A grands traits, l volution des tudes sur la posie de Ponge pour-
rait se rsumer comme la substitution progressive des travaux
d analyse aux simples tmoignages.
LESPIONNIERS
r> > J ,
Tout Ponge tait
donne
(sa pense,sonesprit,sa
mthode)
ds ses
premiers propos ,
ds ses
premiers crits
G AUDISIO, cit par
J
Thibaudeau (1967)
Deux brves notes de lecture de Hytier (1924) et Groethuysen
(NRF, avril 1927) composent un double prome toute la critique
pongienne dont elles anticipent les thmes fondamentaux. Hytier
avait fond avec Audisio la revue le Mouton blanc
3
(1920-1924), qui
3 Comme
on
sait, c'est
l le nom d un
cabaret
o la
tradition voulait
que La
Fontaine, Molire et Boileau se fussent rencontrs, son program me paradoxal
prfigure
le
titre
du
colloque
de
Censy , Ponge inventeuretclassique
II est
peut-tre
significatif que Pong ey ait publises prem iers textes,aumomentoDada prparait
la voie
au
surralisme
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franaises
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se dfinissait comme l'organe du classicisme moderne; Ponge y
avait publi ses premiers textes. En novembre, 1924, un peu press
par la disparition du
Mouton blanc,
sans atte nd re que F rancis
Ponge ait publi son premier livre, Hytier donne dans le dernier
numro de sa revue une Prface l'avenir dans laquelle, en ne
s'appuyant que sur quelques textes brefs publis en revue, il salue
un Ponge terriblement modeste devant son gnie, qui ne cre
pas par inspiration mais par conspiration, [...] sachant bien jouer
sur les mots sans tout p erdre au procd. M ais il y a plus dans cette
note qu'un beau portrait de l 'artiste en jeune homme, la descrip-
tion presque prophtique des deux formes essentielles que prendra
son oeuvre au cours du dem i-sicle qui suiv ra : sur les frontires de
l'art et, comme qui dirait, de la grammaire, un genre absolument
nouveau qui saisit les problmes du langage comme prtexte
posie, et des proses, les plus pas sionnes, les plus sau vage s, sans
autre contrle qu'ar tisti qu e, [...] d'u ne sagesse que n'e t jam ais at-
teinte la prcaution de son intelligence (voyez sonEsquisse
d unepa-
rabole,
o l'on viendra chercher plus tard les germes de Ponge...).En suggrant que c'est dans l'invention d'une fable moderne que
s'ouvre la vraie voie de Ponge, Hytier indiquait un champ de
recherches qui n'a commenc d'tre explor systmatiquement
q u' au cours des dix ou quinze dernires an nes . Qu an t la note de
Groethuysen surDouze petitscrits,elle m on tre d ans ces textes ellipti-
ques l'esquisse d'un drame de l'expression qui sera l'un des thmes
essentiels de Ponge, et l 'un de ceux auxquels les commentateurs
venir s'attarderont le plus volontiers : J'aime les douze petits
pom es de Francis Po ng e, qu e le silence unit : le mo t balbutie et la
pense s'agite. Ils se fuient et se disent : ce n'est pas toi. Balbutie-
ment encore et retours inquiets. Puis c'est la rencontre, l 'heureuse
rencontre. Une parole est ne dans le monde muet.
Il faudra prs de vingt ans avant qu'on l'entende.
SA R TR E E T SES PIG ON ES (1944-1960)
Nous avons tous dcouvert Ponge en lisant
Situations I.
O. HAHN (1962)
M m e si les premires ractions auParti
pris
des
choses,
qui res-
tent rassembler, perm ettent Je an Paulhan d'crire Ponge,
On te fait prince et chef d'cole, la magistrale tude duParti
pris
des
choses que Sartre publie en 1944 marque non seulement le vrai
dbu t des travaux sur l' uv re trente-cinq ans aprs, sa consulta-
tion s'avre toujours indispensable mais aussi le dbut de sa dif-
fusion auprs d 'u n public plus large que quelqu es crivains et amis
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de l 'aute ur L 'homm e et les choses a jou , et continue djou er un
rle dterminant dans la lecture de Ponge, mme si certaines vues
de Sartre ont t depu is rejetes ou nuanc es Plus qu 'u n e analyse
de
Parti pris des choses,
le texte de S artre est u ne prsen tation
d'ensem ble de l ' uv re de Ponge o sont examines successivement
ses thories sur le langage et leur mise en oeuvre dans un ensemble
de pom es en prose M m e si, outre le Parti pris des choses, Sartre
avait eu accs grce Camus, divers manuscrits, il reste que les
limites relles de son tude tiennent, au moins autant qu' l 'orien-
tation qu'il lui a donne, au fait qu'il a eu connaissance surtout du
prem ier Po ng e, celui des textes brefs, boucls double tour da ns
ce que P au lha n appelait leur infaillibilit un peu courte Ainsi
s'expliquent les dveloppements sur la ptrification du langage,
qui peu ven t to nne r les lecteurs duPourun
M alherbe,
duSavonou de
laFabriquedupre L a suite de l ' uv re de Pong e a frapp de caducit
la thorie sartrienne du mot-chose et sa dfinition du pome
pong ien com me chose lui-mm e dan s sa structure synthtique
Par contre, l 'esquisse d'une mise en situation historique de l 'en-
treprise de Ponge dans une crise du langage caractristique de
l 'entre-deux-guerres malheureusement nglige par presque
tous les com m enta teurs ultrieurs et des pages pn trantes sur le
souci originel [ ] de nom ination d'u n Ponge venu aux choses
par le dto ur d 'u ne rflexion sur la parole indiqu ent des directions
de recherche toujours fcondes, de mme que toute la fin de la
premire partie o, sans parvenir toutefois dgager clairement le
concept de fable, Sartre note que le parti pris des choses conduit
la leon de choses, que le pome tend l 'apolog ue dans la m esure
o il cherch e con qurir des terres vierges nos sensibilits L a
seconde partie, qu'ouvre la virtuosit d'une analyse stylistique o
les pomes du Parti pris des choses sont dcrits com m e des
mosaques labores par juxtaposition, conclut la parent de
l ' uv re de Ponge et de la dm arche phnom nologique O n se rap -
pellera seu lem ent les rserves de Ponge d ans le colloque de 1977 sur
le commentaire des dtails typographiques
Pa ulh an m 'a d em an d si je l 'auto r isais corr iger les
preuve s II n 'a pas corrig cette faute, la phrase n'est pas
termine l 'endroit o Sartre croit qu'elle se termine, d'o
toute son exgse de la diffrence de mon style avec celui de
Pascal est base tout simplement sur une faute des typo-
grap hes (p 171-172)
II y a dans l 'hommage sartrien une tentative de rcupration
philosophique (plus subtile, certes, que la lecture par Camus du
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Parti
pris
(lettre du 27 janv ier 1943) comm e une uv re ab surde
l'tat pur, presque une paraphrase du Mythe de Sisyphe),qui
hypothquera longtemps la critique.
Bien des textes consacrs Ponge depuis seront en effet des
reprises ou des prolongements de Sartre. Si Alexandre Astruc
(1945) lui demande surtout une stimulation initiale pour un por-
trait de Ponge rvolutionnaire don t l 'entreprise potique rpond au
besoin de libration de l 'esprit et qu i, sur la base d'u n hum anisme
nouveau inspir de la grande tradition classique, cherche dans
l'attrait pou r les choses une technique de salut contre l 'absurd it du
monde, Champigny (1952) paraphrase vaguement l ' interprta-
tion de Sartre, laquelle il n'ajoute, de faon peu convaincante et
sans l 'exploiter, l 'occasion d 'un rapproc hem ent incongru avec le
Dickens des
Pickwick Papers
que l ' ide d'un humour involontaire.
De telles variations dureront, et mme au-del, jusqu' ce que la
revue
Tel
quel impose une autre image; ainsi en 1959, Douthat fait
du
Parti pris deschoses
le modle d'une posie existentialiste, et en
1963,
Denat croit encore y trouver un mouvement naturel de la
pense phnomnologique. On comprend mieux ds lors la rac-
tion de Ponge qui crit en dcembre 1947 (texte publi dans
Mthodes) :
En g nral, on a don n de mon oeuvre et de mo i-mme des ex-
plications d'ordre plutt philosophiques (mtaphysiques) et
non tellement esthtiques ou proprement parler littraires
(techniques). C'est cette statue philosophique que je don-
nerais d'abord volontiers quelques coups de pouce.
Il ne faudrait pas pourtant rduire la critique ces sous-
produ its de Sartre. Ds 1944, Je an To rtel, l 'un des com m entateu rs
les plus attentifs signe le premier d'une srie d'articles et de comptes
rendus dont la publication jalonnera les tudes sur Ponge jusqu'au
colloque de Cerisy. O n pe ut y suivre le chem inem ent d 'un e pense
critique nuance, qui n'hsite pas renoncer ce qu'elle avait pu
tenir pour acquis afin d'pouser le mouvement de l 'uvre telle
qu 'elle se livre progressivem ent la lecture . En 1949, propros de
Promes,
Tortel note, l 'un des tout premiers, que leParti
pris
n'est
pas un abou tissement mais un dbut et que le centre de l ' uv re se
trouve dans une rflexion sur la parole qui dfinit une thique.
Sensible au rythme pong ien, T ortel dcle dansPromesune brus-
querie (irrationnelle) du dpart de la pense qui tranche sur la
calme matrise du Parti pris. En 1953, commentant
l Araigne
etla
Rage del expression,
il dcrit plus en dtail cette coexistence dans
l 'oeuvre de Ponge de deux langages opposs : une parole
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travaille presque mallarmenne et des textes sans structure issus
d'une lutte rageuse contre un langage qu'il faut forcer, coexis-
tence o l' uv re se fait dan s une elucidation continue. E n 1961,
la publication du Grand Recueilest l'occasion de d passer ce
dualisme pour souligner l'tendue du registre pongien et l'unit
absolue de son oeuvre; fait souligner, Tortel est l'un des rares
critiques malgr la mise au point de Robbe-Grillet (1958), c'est
alors l'opinion com m une insister ds le dbut des annes 60 sur
tout ce qui spare P onge des recherches formelles qui sont celles du
nouveau roman. En 1975, enfin, au colloque de Cerisy, il consta-
tait l'impossibilit de recouvrir (de remplacer) la parole pongienne
par une autre, puisque son texte propose la figure d'un mouve-
ment perptuel. Ce retour tautologique l'uvre impossible
de parler de Ponge autrement qu'en parlant Ponge au terme
d'une si longue frquentation marque exemplairement l'aporie
dans laquelle s'enferme toute une critique qui semble condam ne
ne rendre compte des textes qu'en les rptant dans la paraphrase
ou la citation, mme si ce travail mimtique se rvle utile leur
diffusion.
S'il est lgitime de lire dans cette redite sinon une carence, du
moins une limite de certain discours critique, il faut aussi y saisir,
ngativement et comme en creux, un trait essentiel du texte
pongien qui occupe d'avance l'espace du commentaire en se glo-
sant lui-mme dans l'instant mme qu'il se formule : du premier
des Douze petits crits Comm ent une figue deparoleset pourquoi, l ' u v r e
de Ponge s'difie en effet dans un mouvement rflexif d'autocritique
et ne parat paradoxalement se dployer qu'en se repliant indfini-
ment sur elle-mme
4
. La crise du langage qui est son origine sans
cesse reprise a pour consquence une crise du m talangage qui rend
particulirement ardue la tche de la critique longtemps incapable
de prend re p ar rapp ort au discours pongien la distance ncessaire
son exercice. Je suis moi-mme le lecteur de ce que j ' c r i s ,
dclare Ponge Ristat en 1978.
4 L 'u vre est galement riche en textes prop rem ent rflexifs qui contribuent
clairer le projet potiqu e Aux textes bien connu s qui se trouve nt ru nis dans
Mthodes (1961), auxEntretiens avec Philippe Sollers (1971) s'ajoutent les interventions
dan s le colloque de Cerisy et les entrev ues accord es J Du ch (1950 ),
P Big ong ian(1 961 ), S G avronsky (1969 et 1974), A Rudolf (1974), J F Ch evn er
(1976),
J R istat (1978) et L Dah lin
{French
Review, 54, 1980) Les archives
radiopho niques reclent aussi des docum ents dont l 'inven taire systmatique reste
dresser pour R adio -C ana da, par exemp le, des entretiens avec A Pa nn au d (1966),
M M oineau (1967), M artine de Barsy (1972), Francine Vigneau (1978)
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Ds la fin des annes 40 toutefois un autre type de commen-
taire s'esquisse, qui met le texte de Ponge l 'preuve de concepts
critiques mieux dfinis et o la paraphrase cde l 'analyse. Dans
une prsentat ion d 'ensemble brve mais b ien centre , Magny
(1946) reconstitue la dm arche qui a conduit Pon ge au
Parti
pris
des
choses;
son article doit beaucoup Sartre, mais quelques ides im-
portantes et nouvelles l 'hum ou r, notam me nt, dont l 'Hom me et
les choses ne touche mot y font leur a ppa rition, ainsi q u 'u n rap -
prochement avec Mallarm. Mounin (1949), extrmement critique
l'gard de Sartre qui il reproche d'avoir t trop press de
changer
le
Parti pris des chosesen longue m taphore existentialiste in-
consquente, dcle dans l'oeuvre de Ponge une vision et une
dmarche antipascaliennes, et il en propose une des rares lectures
authentiquement poli t iques en la si tuant par rapport au com-
munisme. Carrouges (1952) tudie les rites d'homologation du
lyrisme de Ponge dans lequel il note un tellurisme baroque, et
s'interroge sur le sens du matrialisme dont se rclame l' uv re et
qui est de toutes parts pntr d'u n anthropomorph isme mythique.
Tout en dcelant les multiples chos d'une culture qui, de Lucrce
Mal larm, nourr issent toute la pos ie de Ponge, Garampon
(1952) lit l Araigne comme image de la solitude de l'crivain; la
description comme objet en gestation, la qualit oraculaire, le
rle dynam ique du lieu comm un, l 'archasme volontaire, autant de
points forts bien saisis pour conclure que C'est bien l 'homme
que , par la mdiation exemplaire de l'objet, Ponge s'adresse,
l'homme dont la perdition ou le salut dpend uniquement de lui-
mme. Partag entre la sduction et l 'irritation suscite chez lui
par la
Tentative orale,
Etiemble (1950) situe Ponge entre science et
mystique et voit dans la rhtorique l'unit de cette cosmogonie
dont l 'homme serait le dmiurge. Noulet (1953, 1954) signale, la
prem ire, une esthtique musicale de la variation do nt les critiques
ne s 'aviseront, en gnral, qu'aprs la publication des livres-
dossiers dans lesquels Ponge livrera tous les tats successifs d'un
texte : les meilleures pages de Francis Ponge, crit-elle dans une
formule qui sera maintes fois reprise ou amplifie par la suite, ont
tout de l'art classique de la fugue. Enfin, Schneider (1953) amorce
un bon inventaire des procds calligramm e, calembo ur , je-
tant les bases d'tudes rhtoriques venir.
De mm e qu 'en France des revues comme laNRFouCommerce
(publi par Valry , Fa rgue et L arb au d, 1925) avaient les prem ires
publi Ponge, ce sont des revues qui amorcent sa rputation
l 'tranger : Bottegha oscure,(qu i p ublie 1'Araigne en 1949 et
L'anthracite en 1951), Horizonde Cyrill C onno lly, Mesuresde
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Barbara Ch urch, Sur( Buenos A ires grce R og er C aillois),Tran-
sition
de Du thuit et Jola s,
Vient
de Pau l Bowles
5
. En Suisse, Fritz
M eyer (1947) analyse dans La bougie, le dialogue de l 'hom m e et
des choses, et Zeltner-Neukomm (1949), qui voit en Ponge le
matre achev de la nature morte, crit duParti
pris des
choses qu' i l
est un dialogue ininterrompu avec la langue. Dans des notes de
1950, publies en 1956, Franz Hellens, ancien directeur du Disque
vert,
clbre en Belgique la nou vea ut de F rancis Ponge avec des
accents aussi chaleureux que justes (Pote maudit ses dbuts, il
triomp he de toutes les maldictions, et ds aujo urd 'hui l ' uv re en-
core inacheve prend figure, malgr l 'auteur, malgr tout, de
classique), insistant sur la fconde confrontation avec les arts
(le
Peintre
l tude)
et sur l'humour intrieur de bien des textes. Les
relations de jeun esse et ce bref essai clairent l'hom m ag e rend u pa r
Ponge Hellens
{Lyres,
1961).
En Angleterre, Miller (1947) prsente Ponge comme un cri-
vain rvolutionnaire, tandis qu'en Italie, Bigongiari (1950) s'at-
tache mettre en lumire le caractre spcifique de son langage
dans les rapports qu'il entretient avec la tradition. L'essai de Bi-
gongiari qui sera traduit en franais, d 'abo rd partiellemen t dan s
la
NRF en
1956, puis intgralement dans lesCahiers
du Sud
en 1958
s'avre aprs trente ans une des prsentations d'ensemble les
plus pn tra nte s, et sa lecture reste aussi indispensable q ue celle des
textes plus connus de Sartre et de Sollers (1960).
En France mme, l'oeuvre de Ponge ne reoit pas alors un ac-
cueil un an im em ent favorable. Saillet (1949), par exem ple, dans un
article qui se signale par une gran de violence, s'en p rend aux pom-
posits, aux lourdaudes coquetteries du prote Ponge qu'il
juge la fois vulgaire et tarabiscot. Plus nuanc, Rolland de
Rnvi l le (1947) lu i reconna t la fanta is ie personne l le , la
singularit, l ' invention, qui permettent de le nommer un vrai
pote, mais seulement aprs avoir soulign qu'il refuse [...] cet
engagement total du pote dans sa recherche, sans lequel cette der-
nire ne peut apparatre qu'bauche, ce qui amne conclure
la ruine que porte en elle-mme la prmditation qu'il affiche.
5 Le rayonn em ent internationa l de la posie de Ponge peut se mesurer au
dveloppement des traductions dont l 'inventaire serait sans doute relativement ais
tablir partir des archives de G allimard En 1965, une anthologie est traduite en
allemand par G He nning er et K Sp ann , Hohnish (1977) fournit dans une note la
liste des traductions allemand es S Ra binovitch tradu it en anglais L'allumette et
L a t o r t u e
(Adam International Review,
1972) e t sous le t i t re de
The Power of Language
(1979), S G avronsky produit u ne slection de textes em prun ts divers recueils, en
mme temps qu'il donne les rfrences des recueils prcdemment traduits (1969,
1971, 1972)
-
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tudes
franaises 17,1 -2
Ces rsistances se prolongeront tout au long des annes 50, voire
au-del, par exemple chez un Onimus (1953) qui parle de dfigu-
ration de l 'homme ou chez un Wahl (1958) aux yeux de qui
Ponge n'est rien. Elles font alors toutefois figure de combats
d'arrire-garde : auprs d'un cercle largi de lecteurs avertis,
l 'uvre s est impose, comme en fait foi le numro d'hommage
que lui consacrela.NRFen septembre 1956. Ce num ro s'ouvre sur
une lettre de Cam us Francis Ponge, qui a aujou rd'hui essentiel-
lement valeur documentaire
6
; puis une brve prsentation de
Francis Ponge (dont le ton dit quel point Ponge avait alors en-
core besoin d'tre prsent) due Grenier paraphrase de loin
l'tude de Sartre et le dfinit comme le pote des objets; suivent
l 'hommage de deux jeunes potes, Philippe Jaccottet et Andr
Pieyre de Mandiargues, et la traduction de quatre tudes parues
hors de France de C ar ne r , M il ler , Bigongiar i et Z el tner-
Neukomm qui tmoignent d'un rayonnement dsormais inter-
national. A ussi, mme s'il apporte peu de nou veau t, ce nu m ro de
la
NRF
prend valeur de bilan provisoire.
Pour quelques annes, la figure de Ponge est fixe : il est,
selon les mots de Picon qui lui consacre un paragraphe aux cts
d'Henri Michaux et de Ren Char dansVHistoire deslittratures de
l'Encyclopdie de la Pliade (1958), le matre d'une rhtorique
raliste, qui attend du langag e une quivalence de l'objet.
Entre cet hommage de la NRF et l'impulsion nouvelle que
donnera en 1960 l'article de Sollers, on retiendra la publication
diffre d'une importante tude sur
Douze petits crits.
Ren de
Solier (1956) y rcuse la pertinence de la notion souvent invo-
que sans bienveillance de prciosit, et, dans des pages sug-
gestives o il reconstitue l'volution qui conduit Ponge du texte
bref une criture extrmement diverse, il propose la notion de
smantique acharne qui anticipe les lectures textuelles des
ann es 6 0; cet article s'avre difficile utiliser parce q u'i l tient p lus
de la mditation gnrale que de l'tude critique, mais il comporte
un substantiel appendice bibliographique, le plus complet cette
date.
Appuyes sur le
Parti pris des
choses
et les
Promes,
les pages
heureuses de Suzanne Bernard
[le
Pome
en prose,
1959) rattach ent
Pong e, par-del la phnomnologie sa rtrienne, M allarm et la
gnration des potes d'aprs-guerre, d'abord proccups par le
langage. Elle analyse to ur tou r 1'paisseur des mots et le travail
6. Sur les rapp orts de Ponge et de C am us, l 'entrev ue rcente avec Lois Dahlin
{FrenchReview,
54, 2 dce mb re 1980) app orte bien des prc isions, et des correctifs
ce qui est dit dans l'dition de la Pliade des
uvres
de Camus .
-
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Fortunes de Ponge 1924-1980) 153
de nom ination , la mim tique de l'objet d ans l'allure et la structure
de la phrase, souvent ptrifie, et l 'esthtique du discontinu dans
l'organisa tion du po m e. Elle mon tre enfin com me nt pa r le biais de
la mtaphore se rintroduit une vision dans cette posie des choses
o la menace de la prciosit est compense par une constante
grimace la grandiloquence.
SOUS LE SIGNE DE TEL QUEL (1960-1974)
Nul, avant Sollers, n'a su parler de Ponge hors
d'un discours protocolaire.
C . P R I G E N T ( 1 9 7 3 )
Si, seize ans aprs L'homme et les choses de Sartre, l'essai
de Philippe Sollers marque un tournant dans la rception critique
de l'uvre de Ponge, c'est la fois par ses mrites intrinsques,
cause de circonstances ditoriales et parce que la dcennie qui com-
mence d on ner a le jo u r des oeuvres majeures. D 'ab or d accueilli
dans les colonnes duMercurede France, l'tude de Sollers (1960) sera
repr i se , t ro i s ans p lus t a rd , dans l a co l lec t ion Potes
d'aujourd'hui, toffe d'une note biographique, d'un choix de
textes critiques, d'une anthologie et d'une bibliographie. Ainsi
s 'ouvrait en France en mm e temps qu'e n Allemagne (E. W alther,
1961) le temps des monographies. Le texte de Sollers issu de rap-
ports nous ds 1956 marque l'adoption de Ponge par Telquel{o il
publiera rgulirement aprs avoir particip la rdaction du
manifeste initial) et son inscription dans une avant-garde qui
privilgie les notions d'criture et de textualit. Quelles qu'en
soient les retombes, cet essai n'en constitue pas moins en soi une
lecture plusieurs gards remarquable. Aprs avoir not que
l'uvre de Ponge est complexe et justement difficile par sa
singulire clart, Sollers voque le problme que pose toute tude
critique de textes qui sont chaque instant leur propre commen-
taire dan s la mesure o cha cun devient une allgorie de la parole et
de la cra tion po tique : chez Pon ge , on ne trouve pas de spara-
tion bien nette entre prose et posie, thorie et pratique, si bien
que ses textes n'appartiennent aucun genre dfini, qu'ils dter-
minent une criture nouvelle au-del des anciennes rhtoriques.
Enfin, brossant un portrait de Ponge en an exemplaire, Sollers
conclut au non-dualisme entre matire et esprit dans son uvre,
dont l 'exigence est juge en mme temps que la plus
matrialiste, la plus spirituelle.
-
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154 tudes
franaises
17 1-2
titre de point de dpart, cet essai aura une influence dter-
minante sur les critiques qui vont aller se multipliant. titre de
point d 'arriv e, on peut le considrer com me la dernire et dcisive
dcouverte de Ponge; celui-ci aura d'autant moins dsormais
s'imposer aup rs de la critique et du pub lic que les trois volum es du
Grand Recueil
(1961 ), et le
Pour un Malherbe
(1965) publis pa r
G allimard, que la Fabriquedu pr dans la clbre co llection Les sen-
tiers de la cration chez Skira l'arrachent dfinitivement, par leurs
succs, au cercle un peu troit d'am ate urs et de collectionneurs q ue
visaient les plaquettes dites souvent l'tranger depuis les
Promes.
Dans le mme numro duMercure
de
France, un peu obscurci
parce qu'il fait preuve d'un moindre brio, paraissait un article de
Burgart que les commentateurs ultrieurs ont tort nglig; s'in-
terrogeant sur le statut potique des textes de Ponge, il propose ce
qui tait cette date une des meilleures lectures de l'volution qui
conduit de1checdes proses brves duParti pris des chosesaux textes
ouverts
{l Araign e, le Soleil plac en abme)
o u ne parole l ibre
suscite et dploie la libert du lecteur.
Le temps des monographies
1
Le petit livre de Sollers va rester le seul disponible jusqu' ce
que Jean Thibaudeau publie le sien (1967) et que Marcel Spada
vienne le remplacer dans la mme collection (1974). Mais le signal
tait don n et le besoin dsormais rel, en France comm e l'tran -
ger, de prsenter l'homme et son oeuvre l'ensemble des lecteurs
cultivs, voire un public scolaire.
Publie dans u ne collection la Bibliothque idale,
Gallimard d'une formule assez rigide dont elle doit adopter le
plan type, la mon ographie de Th ibau dea u, aprs un po rtrait et une
biograph ie succincte, aborde l' uv re : d'ab ord par thm es : le
silence, rhtorique, communication, liquides et solides, l 'enfance,
7 Jusqu' une date rcente bien des articles sont des survols gnraux, et
tiennent de la monographie en raccourci, faute de demeurer dans les limites d'un
texte ou de s'attach er un prob lme prcis, c'est ce qui souvent les rend difficiles
situer dans un mo ment ou une perspective critiques donns Aux mono graphies qui
sanctionnent la reconnaissance d'une oeuvre, il faut ajouter l'entre des recueils
dans les collections de poche, depuisMthodes(1961)jusqu ' Lyres(1980) et celle de
Ponge dans les manuels
La
littrature
en
France
depuis 1945
(J Bersani et au tres ,
P a n s , Bo rdas, 1970) le situe, en une dizaine de pages aux accents bien placs, parm i
les inventeurs et Thomas Aron, dans les pages qu'il a rdiges pour le dernier
volume deVHistoire littraire
de la
France (Paris, ditions sociales) cerne avec nettet
les problmes gnraux de l 'uvre
-
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Fo rtu ne s de Pon ge 1924-1980) 155
le livre, le texte, l'objeu, puis titre par titre : de Tome premier au
Savon,
en ad op tant plus ou m oins les points de vue proposs par
Sollers; cette tude s'ajoutent une substantielle anthologie (des
pages pui s, sous le titre phrases, un bref recueil de citatio ns), un
choix de textes critiques plus diversifi que ceux de Sollers
(1963) et de Spada (1974) , de remarquables bibliographies (textes
de Ponge, cr i t iques sur son oeuvre) a insi qu 'une abondante
iconographie. Somme toute, ce que les Anglo-Saxons appellent un
bon compagnon, qui russit prendre f igure de bilan sans
renoncer aux vues personnelles.
Quant au livre de Spada, il s agit d'une excellente introduc-
tion gnrale double d'une anthologie critique, d'un choix de textes
et d'une bibliographie (due Vulliamy) qui complte partir de
1965 celle de Thibaudeau. La collection populaire dans laquelle il
para t interdit tou te recherche trop difficile, mais l'tu de de S pad a,
plus prcise et nuance que celles de Sollers et Thibaudeau, va
beaucoup plus loin que la simple vulgarisation. Rattachant Ponge
au matrialisme picurien d'un Lucrce, Spada prsente suc-
cessivement une synthse intelligente des thories de Ponge et une
analyse prcise des procds mis en oeuvre dans ses textes.
Pub li en 1976, mais achev ds 1973 ava nt les trav aux de Rif-
faterre, le livre allemand de Butters, travers une prsentation
chronologique des recueils, dont leParti pris des chosesapparat comm e
le foyer, s' interroge sur l 'volution de la thorie potique, se
de m an da nt si les mtam orph oses des points de vue critiques ne cor-
respondent pas des changements dans la pratique textuelle de
Ponge lui-mme.
Enfin, tout rcemment, le petit volume de Ian Higgins, tenu
aussi par les normes d'une collection, mais inspir par une sym-
pathie active et une grande familiarit avec l'uvre, brosse une
rapide biographie intellectuelle, puis, sans s'astreindre la succes-
sion des recueils, propose des vues synth tiques
{Things,
Man; Man,
Things and
Poem),
assises sur des ob servatio ns stylistiques et rh to -
riques, dans un effort souvent russi pour dpasser les dilemmes
habituels de la critique et l'arracher ses plus communes ornires.
Mais ces monographies qui jalonnent depuis vingt ans la for-
tune de Ponge sont videmment tributaires des volutions de la
critique d ont elles enregistrent et condensent les acqu is, qua nd elles
ne lui donnent pas, dans les meil leurs cas, une st imulat ion
nouvelle.
-
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156 tudes franaises, 17 ,1 -2
En schmatisant quelque peu, on pourrait distinguer deux
types de critiques sur l'uvre de Ponge depuis vingt ans : d'une
part des lectures idologiques, inconciliables les unes avec les
autres, d'autant plus partielles et partiales qu'elles prtendent la
totalit par exemple, dans des registres opposs, Chappuis
(1972) et Prigent (1973) , d'autre part des travaux critiques plus
soucieux de dmonstrations, qui peuvent porter sur une question
particulire comme sur l'ensemble de l'uvre et dont la valeur
tient la contribution qu'ils apportent une connaissance objec-
tive de Ponge par exemple, ceux de Riffaterre (1974, 1977) ou
ceux de Higgins (1978, 1979) . On enregistre, titre de docu-
ment idologique, tel compte rendu de
la
Fabrique
du pr
Prigent
(1972) o force citations de Sade, Lautramont, Bataille, Pierre
Guyotat , Mao-Ts-Toung et al. sont censes mettre en vidence la
potique matrialiste de Ponge, mais son apport la con-
naissance de l'uvre est nul : sa thse n'est ni dmontrable, ni
refutable, elle s'affirme premptoirement sur le mode du slogan.
On opposerait ainsi une critique qui se sert de l'uvre qu'elle con-
sidre comme prtexte l'laboration de son propre discours, et
une critique qui sert cette uvre qu'elles est propose comm e ob-
jet de connaissance. Cette distinction n'a videmment rien d'ab-
solu, mais elle s'avre en pratique ncessaire.
cette difficult s'ajoute celle qu'entrane la trop frquente
autonomie des rflexions, que nous soulignions pour commencer.
Le peu de souci que manifestent bien des commentateurs, y com-
pris parfois universitaires, s'informer des travaux antrieurs, a
pour consquence au mieux une atomisation de la critique, les lec-
tures se jux tapo san t sans former un savoir ord on n , et au pire , de
pures et simples redites on s'en convaincra en lisant la suite la
dizaine d'ana lyses , sou vent brillantes et suggestives, auxquelles ont
donn l i eu le Savon e t la Fabrique du pr
8
.
La crit ique met quelque temps prendre conscience des
modifications que subit la physionomie de l'uvre par la publica-
t ion en recue i l d 'une masse de tex tes dont la composi t ion
s'chelonne de 1920 1950. Un lecteur pourtant aussi subtil que
Jean-Pierre Richard (1964) s'en tient encore presque exclusive-
ment auParti
pris des choses;
au terme d'une longue et aujourd'hui
8 O utre les comptes rendus et com men taires du
Savon,
du
Malherbe
et du
Pre,
on se reportera pour l 'tude des brouillons de Ponge et du phnomne de la
rcnture S N Lawall (1970), R Jea n (1971), P Chap puis (1972), R Greene
(1974),
G G iordan (1976) R Stam elman (1978), I Higgins (1980)
-
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Fortunes de Ponge 1924-1980) 157
dcevante tude qui doit beaucoup Sartre, il conclut assez vague-
ment la transparence de l'criture de Ponge : nous voici ren-
dus,avec les choses, travers les choses, la limpid it d'u n m on de
vrai
9
. Deux ans plus tt pourtant, quelques comptes rendus du
Grand Recueilavaient pos les jalons d'u ne lecture renouvele.
Hahn (1962), dans un texte parfois hostile (un miettement
d'vidences vaines, une rudition vaine, du niveau du Petit
Larousse
illustr),
avait nanmoins not que le style tout en facettes
de Ponge trouve son unit dans la rhtorique. Dans un texte plus
substantiel, Clancier (1963) avait rattach Ponge une longue
tradition (Malherbe, les Prcieux, La Fontaine, Mallarm, Jules
Renard, Paulhan) et s'tait attard surtout M thodes, dont le titre
pourrait s'appliquer [. . .] toute l 'uvre de Ponge, puisque
celle-ci, de tous ses fragments, concourt difier un moderne
discours de la mthode; cette mthode, notait enfin Clancier,
aboutit une rhtorique toujours rinventer plus qu ' u n style,
mme si Ponge qui se dfend d'tre pote l'est [...] pleinement.
Tortel (1962) situait lui aussi Ponge dans une longue tradition
(Montaigne, Thophile, La Fontaine, Baudelaire, Lautramont,
Mallarm, Dada), et il dfinissait ultimement son oeuvre comme
une morale de l'expression, comme un discours anti-pascalien
qui rsonne la manire de Pascal. Chaque fois on tait bien au-
del des lieux com mun s rebrasss ju sq u' Jean-Pie rre R ichard.
Hors de France, au milieu des annes 60, d'importants tra-
vaux voient le jo ur , n otam m ent aux tats-Un is et en Allemagne;
une critique issue de milieux universitaires plus largement atteints
par l 'uvre de Ponge qu'aprs les annes 40, commence se
man ifester, p lus soucieuse de situer cette entreprise p otique l'in-
trieur de courants et de tendances. En Allemagne, le bref essai de
Max Bense (1966), esthticien et philosophe, est moins important
sans doute p ar ce qu 'il dit duMalherbeet de la posie avan t-gardiste
et nan m oins classique de Pon ge, que pa r le tmoignage qu 'il porte
et les rapports qui l'ont uni Ponge (lequel contribuera une An-
thologiefur M Bense,
publie Wiesbaden en 1970). Q ua nt au
travail de Walther (1961, et 1967 en extraits), d'inspiration gale-
men t esthtique, il part d 'un e analyse du vocabulaire critique p our
opposer au matrialisme ontologique de la lecture sartrienne, un
matrialisme smantique.
9 O n lira en revanch e avec intrt sa toute rcente analyse de la Figue (Cri-
tique,juin- juille t 1980) qui exploite habile me nt tout le dossier pour pouser la
rverie pongienne et ses pulsions erotiques
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158 Etudes franaises 17 1-2
Aux tats-Unis, Planck (1965) prend prtexte de la publica-
tion du
Grand Recueil
pou r bau cher u ne tude d'ensem ble de
l'oeuvre, plus prcisment de ses arrire-plans philosophiques U n
des grands m rites de son travail consiste tenir com pte de la critique
sur Ponge, dont il esquisse en quelques pages bien venues un tat
prsent Pre nan t ses distances par rappo rt aux interprta tions exis-
tentialistes de Sartre et de Camus, Planck met aussi en relief ce qui
distingue Ponge du Nouveau Roman malgr des ressemblances
techniques assez superficielles, et il dgage de son oeuvre
a new
humanism Ponge hereplacesm an in a world ofobjects [ ]he gives back
to man those powers lost in the Fall Wi l l a rd (1965) s i tue Ponge dans
un large contexte internatio nal et, co m paran t son oeuvre celles de
Rilke et de William Carlos Williams, il cherche dgager dans la
posie du XX
e
sicle une tendance gnralise se tourner vers les
choses, vers le monde
objectif,
une sorte d'antiro m antism e Cet ar
ticle peut-tre un peu rapide et qui laisse dsirer sur le plan
mthod ologique il relve de ce com paratism e un peu fruste qui
procde par citationsjuxtapo ses a nan m oins le m rite de situer
pou r la prem ire fois l' uv re de Ponge dans un contexte plus large
q u 'u n e tradition exclusivement franaise, ce titre, il pose un e im-
portante question, mme s'il ne lui apporte peut-tre pas de
rponse satisfaisante Cette rpo nse, on en trou vera les lments
dans la comparaison (limite certes la tradition franaise) avec
Cocteau et Breton, grce laquelle Oxenhandler (1974) met en
lumire le didactisme de la posie de Ponge (en raction contre a
state of mo ral and spiritual exhaustion after the ailure of all the great spiritual
attempts
o f
the last
fifty
years)et interpr te, de faon certes discu table,
sa recherche d'une objectivit potique comme un effort d'aboli-
tion du moi
Ho lher (1967), dans u n intressant essai de typologie, propose
de distinguer trois genres dans l'u vr e de Ponge les procla-
mations, textes critiques ou manifestes antrieurs aux pomes
(Promes, Lyres),
les textes achevs paradisiaques
(le Parti pris des
choses, Pieces),
et les checs mthodiques, brouillons, dossiers ou
journaux d'une criture qui se cherche (la Rage de l expression,
Mthodes)
Mme si ce classement est peut-tre trop rigide, il a le
mrite d'ouvrir quelques avenues de lecture dans le massif de
l 'uvre, et d ' indiquer un champ de recherches pratiquement
inexplor
Entre-temps a t publi leMalherbeAu cours de la dcenn ie
qui spare les fragments publis dans la NRF (1956) et le volume
(1965), seuls Tortel et Sollers, qui avaient eu communication du
-
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F or tun es de Pon ge 1924-1980) 159
manuscrit, soulignaient l 'intrt de la rencontre de Ponge avec
M alherbe M ais, de Th ibau dea u qui en amorce une lecture psy-
c h a n a ly t i q u e Ch e s t e r s ( 1 9 7 7 ,
Malherbe, Ponge and the revolutionary
classicism),conscience est prise de la position centra le de cet in-
tercesseur, du noeud de confidences que voilent les rcritures
multiples et de la valeur emblmatique pour la dmarche potique
de Ponge lui-mme que prend sa lecture des
Larmes de saint
Pierre
comme symbole rhtorique
Le
Malherbe
qui est vraim ent, je ne peux pas dire un e espce de
testament, mais enfin o il y a peu prs tout, sur le plan
biographique, existentiel
PO N G E, d a n s
Colloque de Censy
En 1970, Robert Greene, dans un article essentiel qui va au
cur des problmes et repose sur des analyses fines et prcises,
tudie les procds par lesquels se manifeste la conscience potique
d'un Ponge metapoet, et Lawall, qui explique la rsurgence de
Ponge dans les annes 60 par la caution qu'a cherche dans son
oeuvre une nouvelle posie franaise de nature essentiahste (Bon-
nefoy, Du pin ), assigne son oeuvre com me but dernie r la
connaissance de soi par l 'inter m dia ire de l'objet cet gard son
article prend place avec celui de Greene parmi ceux qui ragissent
contre l'ide d'objectivit descriptive dont on sait qu'elle constitue
un des clichs pers istants de la critique C 'est galem ent le sens
d'une tude de Stephani Smith (1971), centre sur le seulPartipris
deschoses,q ui conclut, en des formules qui vont souvent d irectemen t
contre celles de Sartre, que le propos de Ponge est de rintroduire
l'hom m e dan s le m onde des choses, non de l'en exclure Q ua nt
Raillon (1970), dans un article malheureusement dcousu, il pro-
pose une belle description du projet qui conduit Ponge une
rcup ration de toute valeur pa r la fabrique m me qui la produit
si Pon ge insiste sur 'labo ration textuelle l'im m ine nte
publication de la Fabriquedu previend ra confirmer cette analyse ,
c'est qu'il donne lire, non le rsultat gomm d'une production,
mais le spectacle mme de celle-ci
La parution presque simultane de deux numros de revues,
toutes deux proccupes par les problmes de textuaht, Substance
(Madison, Etats-Unis) et TXT (R enne s) en 1971, atteste d 'u n
rayo nne m ent continu L 'tu de de Steinm etz sur la fable diffren-
tielle, bien centre, sauve le numro de TXT, dcevant dans la
mesure o il tient autant de la rcupration idologique que la critique
littraire dan s le m atrialisme de l'cr iture , il m on tre le
passage de la fable morale de la tradition une fable rhtorique, le
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tudes
franaises 17,1 -2
glissement des genres la formulation generative (Chaque texte
pongien reste en perptuelle expansion) Les analyses de Rif-
faterre, les tudes sur les brouillons et dossiers, les travaux plus
rcents sur les modles formels peuvent app aratre comm e des pro-
longements et des approfondissements de ces pistes
C'est toutefois htivement qu'on concluerait, cause de la re-
lative convergence de quelques travaux novateurs, que l'accord se
fait sur l'oeuvre de Ponge ou q ue les perspectives critiques se tran s-forment en profondeur Te m m er (1968), qui jug e
very difficult to
evaluate the historical importance of Ponge s poetry, n 'y voit que suf-
fisance, prciosit, imitation Pa r contre L onard (1973) y trouv e le
retour un certain classicisme aprs les excs du surralisme,
tandis que Eigeldinger (1973) revient la lecture sartrienne d'une
posie objectale caractrise par la ptrification et la
dshumanisation du langage
Quoiqu'il en soit, Ponge
s est
dsormais impos Le nouv eau
pote salu par Sartre en 1944, l'an exemplaire revendiqu par
les fondateurs de
Tel quel
en 1960, fait dsormais figure d'a eul
norme L 'expression est de M ac (1974) dans un article qui
prsente Ponge comme le pre qui nous redonna le bonheur de
parler, mais pre qu'il faut bien enterrer, un classique tout com pte
fait un peu enco m brant dsormais Cette transformation de Ponge
en classique un auteur qu'on tudie dans les classes
trouvera confirmation dans la parution en 1979 d'une introduction
son oeuvre dans une collection scolaire des ditions Larousse,
Gleize et Veck y proposent un parcours thmatique sans prten-
tion, d'un ton juste
CO NS CRA TIO NS ( 1974- 1980)
Si le texte de La figue publi par
Tel
quelen 1960 s'tait dj
vu attribuer un prix italien de posie, c'est partir de 1974 que
l'uvre est dfinitivement consacre lorsque Francis Ponge, sur
prsentation de Michel Butor, est laurat du Books Abroad I
Neustadt International Prize for Literature et qu'il en est fait of-
ficiellement rcipiendaire le 14 ju in l'Univ ersit d'O kla ho m a
Trois ans plus tard, c'est la conjonction de
VEcritBeaubourg
com-
mand pour l ' inauguration du Centre Pompidou, de deux nou-
veaux recue i l s
{l Atelier contemporain, Com ment une figue de paroles et
pourquoi) et des actes du colloque de Cerisy Les sollicitations ds
lors affluent de toutes parts et, en 1980, Ponge est nomm membre
h o n o r a i r e d eY AmericanAcademy and Institute of Arts and Letters C o m -
ment cette situation nouvelle retentit-elle sur la critique?
-
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Fo rtu ne s de Pon ge 1924-1980) 161
L'attribution du prix Neustadt est l 'occasion d'un substantiel
numro de la revue
Books Abroad
On peut y lire des textes de
Bigongian (sur
la
Fabrique du
pr),
de Brom bert (sur l 'eng endrem ent
du texte par les mots), de Butor, de Campos (sur la matrialit
graphique dans
UAraigne),
de Robert Greene (une prsentation
gnrale qui bauche un tat prsent de la critique), de Henninger
(sur le langage comme objet et matire du pome), de Ivask, de
Levin, de Morot-Sir (sur l'criture comme parabole), de Riffaterre
(sur l 'hu m ou r sm antique ), de Stamelm an (sur la naissance du tex-
te et le problm e des rcritures) Ce nu m ro , qui contient aussi
une entrevue de Ponge par Gavronsky, une chronologie et une
bibliographie, tablit un nouveau bilan prs de vingt ans aprs
l 'hommage de la NRF, et constitue aussi le plus riche ensemble
d'tu des run i ce jo ur les actes du colloque de Cerisy (1977),
malgr leur intrt vident, font un peu figure de fourre-tout par
comparaison et sa consultation est encore d'une grande utilit
C'est en cette mme anne que parat le livre d'Henri
M a l d i n e y
(le Legs des choses dans l uvre de Francis Ponge),
de ns e, dif-
ficile, mais fort estim de Pon ge pa rtir de la ph nom no logie de
Hegel (ZurSache selbst)et de concepts em pru nts Hu sserl et
Heidegger, Maldiney centre son analyse sur le rapport chose/cons-
cience et, dlaissant l'ide d'un art de l'expression, il ancre la
dmarche potique de Ponge dans une reprsentation du langage
comme fondation du monde, qui correspondrait un effondrement
du monde thique
En 1974 s'ajoute nt galem ent deux articles essentiels Riffa-
terre largit celui qu'il avait donn Books Abroad par la notion de
l'humour intertextuel, c'est--dire la prsence dans le texte de
P o n g e d ecodessemantically or ormally incom patible Ces tudes (qu ' i l
faut complter par sa communication Cerisy o ses prsupposs
mthodologiques sont le plus clairement dfinis) sont ranger par-
mi les analyses les plus prcises du fonctionnement du texte
po ngie n M m e si on peu t discu ter les postu lats de non -
rfrentiaht et de clture linguistique absolue qui les sous-tend ent,
on ne sa urait tro p louer ces dconstructions brillantes de la m achine
textuelle pongienne, quitte rvaluer leur porte pour les intgrer
une interprtation plus large de l 'opus pongien O n p ourrait
utiliser cette fin un bel article o Wanner (1974), aprs avoir
reconstitu l'inspiration initiale de Ponge et situ sa dmarche par
rapport celle d'autres potes contemporains (Supervielle, Saint-
John Perse, Michaux), dfinit le texte pongien comme la descrip-
tion d'une chose complte par unecommunication qui peut contenir
-
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162 tudes
franaises
17 1-2
un jugement, une valeur, une interprtation, et met l 'accent sur
son humanisme fondamental.
Dsormais deux interprtations vont presque continment
s'opposer ou altern er, celle d'u n Pong e enclos dans le seul jeu tex-
tuel, et celle d'u n Pong e pou r qui le m ond e extrieur et les homm es
existent, dont la posie n'est pas totalement separable d'une
morale. Deux articles de 1975 le montrent. Dans une perspective
proche de celle de Riffaterre reprenant un problme abord par
Lemichez (1973) en un article confus que quelques formules
heureuses ne russissent gure sauver , Genette tudie la sen-
sibilit aux mots chez Ponge, sensibilit historique ou tymolo-
gique, ainsi que visuelle et picturale, plus que sensibilit phontique.
G raham D . M artin, pour sa part, met en vidence toutes les marques
de pense et de sentiment q ui informent la description po ngien ne et
soutient que l ' ide d'un Ponge textualiste entrane une rduction
de l 'uvre, qui n'a pu s' imposer qu' l 'occasion du malentendu de
l'assimilation de Ponge Tel quel.
Cette o pposition traverse encore tout le colloque tenu Cerisy
du ran t l't 1975. Il faut dire d'em ble que ce colloque doit : trop
de communications n'apportent que des performances d'un got
douteux, et les discussions affirment des divergences ou affichent
des complicits plus souvent qu'elles ne nouent un authentique
dialogue qui pourrait contribuer l 'approfondissement de la
rflexion. L'oeuvre en ressort, plusieurs reprises, crase ou
estompe au profit d 'imp ratifs trang ers auxq uels elle semble ser-
vir de prtexte. Nanmoins, ce colloque offre, par ses manques
aussi bien que par l'apport rel de quelques contributions trs
remarquables, un vritable abrg des diverses lectures, per-
tinentes ou non. ce titre, il est une somme, mme si prs de la
moiti des communications tiennent de la paraphrase filandreuse
(Allen, Gavronsky, Steinmetz), de la tentative de rcupration
idologique coups de citations (Guglielmi, Prigent), quand ce
n'est pas de la simple confusion (le trio form par Berthet,
Chevrier, Thibaudeau, qui, de son propre aveu, a prsent un
travail inachev, peine bauch)
10
.
Quant aux variations, paraphrases et jeux de mots dont Der-
rida lie une gerbe autour du thme de la signature (Signponge,
dans Colloque
de Cnsy
etD igraphe, 8, 1976), fragments d'une tude
venir de plus vaste env ergu re, ils tmo ignent d 'u ne frquentation
10 Ces aute urs n'o nt pas cru devoir priver la postrit d'u ne suite de mm e
farine qu'ils ont publie dans
Digraphe
(1976)
-
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Fo rtu ne s de Po nge 1924-1980) 163
intime de l'ensemble de l'uvre de Ponge, mais prennent diffi-
cilement place dan s le paysage de la critique IIs agit en effet plutt
d'une illustration, sur un corpus particulier, des thories derridien-
nes du texte L a dissm ination du nom pr op re, guett dans tous ses
dguisements l ' intrieur d'un vaste rseau de signifiants o
s'crit le nom de Ponge, est une maniie de s'emparer de la
langue, de mettre la langue son propre service, de faire la loi de la
langue D ans cette qute cherche se dfinir un rapp ort spcifique
l 'criture et se dessine comme un mouvement de remonte vers
une source prem ire de ren on cia tion , vers le nom propre matriciel
partout crit
D 'aut res communica t ions reprennent le dba t dsormais
classique entre la vision d'un Ponge textuel, enclos l'intrieur
d'un langage qui exclut la rfrentialit, et celle d'un Ponge pein-
tre du rel, dont l'uvre serait un effort pour rendre compte du
monde R aym ond Je an , polmique et prend vivement parti contre
ce qu'il nomme le got reclus pour l'autarcie scripturale et pro-
pose de voir dans l'uvre de Ponge, qu'il rapproche de celle de
Brecht, un systme de reprsentation o le lecteur trouve une
sorte de satisfaction trs particulire qui dcoule d'un sentiment
d'extr m e exactitude dans la reproduction [ ], un sentiment de
ralisme Da ns un texte bea uco up plus labor, qui se signale par
la densit et la rigu eu r, M aldine y tudie les rap po rts entre la posie
et la langue de l 'u vre de Pong e, qu 'il considre comme une ex-
ception dan s l'art de notre temps [ ] parce qu'elle tente de nous
comm uniquer quelque
chose
et qu'elle s'loigne autant qu'elle peutde la langue potique contem poraine vers la langue de com mu nica-
tion Faras se, l'opp os , ht dan s
Pour un
Malherbeet dans
la
Fabri-
que du pre, une criture dont la logique est celle de la contradic-
tion,
qui fait silence, o le sens se disperse crire qu ivau t ne
rien dire ou plutt dire de telle faon que les significations soient
neutralises v oq uan t le redo ub lem ent de tout texte de Ponge en
allgorie scripturale qui se signifie elle-mme, Farasse soutient
que l'criture se rflchissant, telle est la ncessit pour qu'elle
puisse se poser et non pas disp aratre d ans la transpare nce qui livre-
rait les objets eux-mm es O n reconn at l une prob lm atiqu e et
un ton hrits de Blanchot qui avait voqu, au dtour d'une page
de la Partdufeu (1949), un Ponge qui surprend ce mo men t pathti-
que o se rencontrent, sur la lisire du monde, l'existence encore
m uette et cette parole, on le sait, m eurt rire de l'existence Chez
Farasse toutefois, le pathtique cde la jub ilation d'u ne inspi-
ration devenue anonyme, dont l 'anonymat fonde prcisment le
paradis du texte R iffaterre, d'u ne faon plus techn ique , dans le
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164 tudes franaises, 17,1-2
droit fil de ses articles de 1974, tudie le fonctionnement textuel
tautologique qui constitue l 'humour de Ponge non pas comme
ironie ou comique mais comme emploi ludique du langage
11
. Par
l'analyse prcise des procds de drivation, de surdtermination
smantique et de chevauchement lexical, Riffaterre entend mon-
trer qu'une prose de Ponge n'est jamais que l'expansion textuelle
d 'u n mo t-noyau et que la surd term inatio n de la mim esis [...] est
insparable d'un dfi la rfrentialit.
Il faut nanmoins signaler aussi quelques communications im-
portantes qui ne s'inscrivent pas tout fait dans ce dbat. Adam,
dans la perspective d'une potique generative, soutient que le texte
pongien ne cesse de subvertir le contexte culturel de la littrature et
de dsacraliser la posie parce que sa pratique implique une
nouvelle lecture elle-mme productrice. Spada oppose Bataille
Ponge, chez qui l'criture n'est ni le dtour d'ros qui place la
violence et la m ort derrire u n m asque sduisan t, ni un travail com-
pensatoire et sublim de la sexualit, mais l'activit et le triom ph e
d' u n ros qui se situe non dans les thmes m ais dans la pratiqu e
de la littrature. To rtel, enfin, livre, malgr quelqu e dcousu d ans
l'expos, d'intressantes remarques sur l 'volution de l 'uvre de
Ponge.
Aprs ce colloque et l 'exposition de 1977 au centre
Beaubourg, les travaux ne cessent de se multiplier, et ce n'est pas
sans prouver parfois quelque sentiment de dj lu qu'on les
aborde : notamment ceux de Formentelli (1978) qui analyse les
rapports d'exclusion entre le texte et l'histoire (seule histoire qu'il
admette, l'histoire d'crire et de dcrire ses propres modes de
surgissement), de Henninger (1978) sur le rapport entre la langue
et les choses, de Prigent (1978) sur l'humanisme de Ponge et le
caractre m oral de ses dclarations politiques, de G avronsk y (1979)
sur les affinits de la dmarche de Ponge avec la pense contem-
poraine.
D'autres toutefois ouvrent des voies nouvelles, soit en abor-
dant l'tude de textes ngligs par les commentateurs prcdents,
notam m ent l ' im po rtant ensemble des textes sur
l art,
soit en proje-
tant sur l 'uvre l 'clairage de problmatiques renouveles.
Dans l'inventaire des modles formels du pome pongien
l'loge et le blason (Robert Greene, 1970), le sapate et le momon
11. Le texte en est publi nouveau dans la Production du texte,Paris, Seuil,
Potique, 1979.
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Fortunes de Ponge 1924-1980) 165
(Gleize et Veck, 1979), l'inscription et le proverbe (Higgins,
1979) , la fable tend occuper une place privilgie, et pas seu-
lement parce que Ponge lui-mme se dfinit, dans une page sou-
vent cite de
M thodes,
par rappo rt La Fontaine En m ettant l 'ac-
cent sur l'Esquisse d'une parabole (publie dans le Mouton blanc,
puis reprise dans Liasse et dan s le Nouveau recueil), Jean Hytier
faisait en 1924 figure de pionn ier En suite il faut atte nd re des in-
dications parses de M agny (1946), Jean -Pierr e R ichard (1964),
W alter (1965), To rtel (Dans une large me sure , Ponge compose les
Fables
de notre temps, 1962), et de R aible (1968) pou r q u 'a p -
paraisse autour de cette notion un certain foyer de convergence
Quant l'analyse plus approfondie des implications de cette
situation dans l'histoire d'un genre traditionnel, elle se dveloppe
avec le numro spcial de Brooks Abroad (Butor , M orot-Sir ,
S tam elm an), avec l'article de S teinm etz, et le livre allemand rcent
de Ewald sur la fable franaise du XX
e
sicle (Schaub le V erlag ,
1977, p 118-167 et 235-258 po ur les notes) Cette tude est la plus
fouille, elle s'attache chacun des textes de Ponge portant le titre
de fable, d'apologue pour mettre en vidence la double porte
rhtoriq ue et politique p ar laquelle Ponge contam ine le genre tradi-
tionnel, laborant une fable mtapotique Ponge n'em pru nte
pas la structu re de fable, m ais travaille avec elle II tend en suite le
regard au
Parti pris des
choses pour esquisser un Ponge et La Fon-
taine, marquer l ' influence de Paulhan {Experience
du
proverbe, 1925)
et montrer qu'en cet avatar de la parabole ancienne, chaque texte
est une fable sur la fable
Tout n'est pas encore dit pourtant, et il resterait tudier de
prs les marques textuelles de cette structure, voir aussi le rle
qu'elle joue dans la gense des textes, c'est--dire dterminer le
m om en t o cessent les rcritures don t les dossiers de notes nous of-
frent tout le dploiement
Stamelman (1978) entreprend une analyse compare de la
posie de Ponge et de la peinture de Picasso o on peut lire des
pages pntrantes sur la structure allgo nqu
a
et la rhtorique de la
reprise, fait signaler, cet article ne se lin ite pas aux textes de
Ponge sur Picasso, mais pren d en considration p lusieurs de ses textes
sur l'art qui restent trop ngligs mme s ils forment une part es-
sentielle de l'oeuvre
Thomas Aron (1980) dans une dmarche d'inspiration smio-
tique bien v enue pou r exorciser les dm ons de la rverie analog ique
ou du calembour mimtique, caractristiques de tant de travaux
-
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166 tudes franaises, 17,1-2
sur Ponge,
s est
donn pour tche l'examen dtaill de
la Chvre,
une pice centrale, contemporaine du Pour un
Malherbe,
de la
Figue,
d 'u n faisceau d'crits sur
l art
12
.
Q ua nt H iggin s, en trois ann es, avec ses articles et ses livres,
il
s est
impos comme l'un des exgtes les mieux informs et les
plus scrupuleux de la posie de Pong e. L es notions de tension et de
relation dy nam ique entre les mo ts tenten t la fois de surm on ter les
trops frquents dilemmes de la critique et de rendre compte de
l'emploi que fait Ponge du paradoxe et de l'oxymore. Les deux
tudes de 1979 conjoignent aussi l'analyse minutieuse des textes et
la sensibilit tout ce qu'ils reclent d'humanisme latent, pour
d'une part montrer que l 'usage potique du langage exclut son
emploi satirique ou politique, d'autre part que le proverbe est chez
Ponge un modle fondamental de la profration potique :
The
proverb
exemplifies the
essence
of
language,
which is itself the only
essence
of man the
dialectic
o f self and world
experienced
as an oscilla-
tion
between
finished and unfinished, fixity and fluidity, desire for iden-
tity and ear of identity
11 fau t auss i s a luer de la par t d e Hig gin s l a pre m ire en t repr i se
d ' d i t i o n c r i t i q u e , m m e s ' i l s agit p l u t t , dans l a r i gueur des
t e r m e s , d ' u n e d i t i o n c o m m e n t e {le Parti pris des choses, A t h l o n e
Press , 1979)
1 3
.
Il faut constamment se dsaffubler, non seule-
ment des affublements qu'on a tendance se
former soi-mme, car enfin les potes, comme
on dit, sont les prem iers s'affubler, mais des
affublements que vous inflige, par exemple, la
critique littraire
Entretiens avec Sollers
(1970) , PONGE
Au terme de ce parco urs qui a ses lacunes et ses omissions
14
, il
serait doublement vain de vouloir tenter une synthse
15
: d 'une
part, l 'oeuvre mme de Ponge n'est ni entirement connue, ni
12 Voir compte rendu de B Beugnot dans
Revued histoirelittrairede laFrance
( paratre)
13 Voir le compte rendu de B Beugnot,
ibid
14 No s silences ne sont pas des ostracisme s dlibrs qu i im pliqu eraie nt un
jugement dfavorable, ils tiennent ou une bibliographie incomplte, ou l 'im-
possibilit laquelle nous nous sommes heurts d'accd er certains travaux C'est
pou rqu oi, p ar exem ple, nous avons laiss de ct les nom breuses thses qui, de puis
1952, Paris, Zurich, Fribourg, Exeter ou dans les universits amricaines ont
trait de questions comme Ponge et Giacometti, la rhtorique ou l 'imagerie de la
naissance
15 En dehors des pages qui se donnent pour fin premire le commentaire
d'un texte (voir la liste donne en appendice), le caractre d'essai que prennent
-
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Fo rtun es de Pon ge 1924-1980) 167
acheve; d'autre part, le recul manque pour juger vraiment des
travaux appels demeurer dcisifs. Mais l'exprience, passion-
nante par la richesse et la rsistance des textes pongiens, dcevante
souvent par les redites de la critique, laisse quelques impressions
dominantes .
Revendique pa r le s d ive r ses avan t -ga rdes qu i se son t
succdes en France depuis la Libration (de l'existentialisme de
Sartre et de l'absurde de Camus, la conception de la mort de
l'criture chez Blanchot
(la Part dufeu)
et aux thories de
Telquel
ou
de Derrida), l 'oeuvre de Ponge a fait l 'objet de plusieurs tentatives
de rcupration plus ou moins avoues
16
. cet gard, une tude
dtaille de sa fortune critique apporterait de prcieux lments
une histoire intellectuelle de la France contemporaine : presque
tous les grands dbats qui ont agit la culture franaise depuis la
guerre y trouvent leur cho, et on peut y apercevoir, comme trac
en filigrane, le portra it de trois gnrations d 'intellectuels et d'cri-
vains. Si les com m entateurs de Ponge ne nous perm ettent pas tou-
jours, il s'en faut, d'approfondir notre connaissance de son oeuvre,
ils nous disent presque tous, volontairement ou non, quelque chose
d'eux-mmes et de leur temps. Sous ce rapport, il n'en est quasi
aucun qui ne porte tmoignage.
Rien ne montrerait mieux par ailleurs les ambivalences, am-
biguts ou glissements smantiques que les avatars du terme
matrialisme,
si souvent invoqu depuis Sartre. Ds la conclusion de
l'Homme et les choses, celui-ci reconnaissait en Ponge penseur
un matrialiste , mais i l a joutait qu'un vritable matrialiste
n'crir a jam ais lePartiprisdes chosescar il s'ap pu iera sur la Science.
Quant Sollers, sa pense va varier sur ce point, et le non-
dualisme d'une exigence la fois matrialiste et spirituelle
de son essai de 1960 cdera progressivement, du compte rendu de
Pour unMalherbe (1965) auxEntretiens (1970), un matrialisme
beaucoup d'articles, dcourage tout effort de classement systmatique selon les
mtho des ou les thories critiques, les points de vue se chevauch ent, comm e les no-
tions les plus diverses peuven t voisiner On so uhaiterait d'au tan t plus vivement un e
bibliographie critique et analytique, dote d'un substantiel index rerum,qui permet-
trait de retrouv er par exemple ce qui concerne l 'anim isme (M Ca rrou ges, 1952,
G E Clan cier, 1963), le classicisme (A L on ard, 1973, G Ch esters, 1977),
l ' rot isme (J G ug hem i, 1968 e t 1977, R Je an , 1977, M Sp ada, 1977,
J P R icha rd, 1980), l 'tym ologie (J L L emichez, 1973, G G enette , 1975), l 'in-
tertextu aht (M Riffaterre, 1974, S Allen, 1977), la prciosit (G M ou nin , 1949,
P Schneider , 1956, M J Tem mer, 1 9 6 8 ,J M Tixier , 1975)
16 II faudra trente ans avant que Un gar (1974) mo ntre qu ' travers Ponge,
Sartre laborait une critique de Husserl
-
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168 tudes franaises, 17,1-2
plus exclusif et de plus en plus nettement teint par des prises de
position politiques. Il sera suivi en cela par de n om breu x com men -
tate urs , da ns le sillage de Telquel;citons, titre d'exem ple, Prigent
(1973) qu i, sous le titre Ponge et le m atrialism e, offre l'exem ple
type de l'essai de rcupration idologique. D'autres critiques
Carrouges (1952) ou Clancier (1963) avaient mis en lumire
l'anim ism e qui compose chez Pon ge avec le m atrialism e. Il semble
que Spada (1974), en faisant de Ponge l'hritier du matrialisme
picurien d'un Lucrce soit plus prs de la pense de Ponge lui-
mme. Quoiqu' i l en soit , une tude approfondie de la fortune
littraire de Pon ge devrait s'interro ger sur les variation s de sens du
mot de matrialisme dan s la critique p ong ienne et dan s les textes
de Ponge lui-mm e.
Ce tte plasticit ou cette docilit d'u ne oeuvre po urt an t si forte-
ment unifie autour d'un projet original et si constamment fidle
elle-mme sur un demi-sicle, est un phnomne paradoxal qui
m riterait analyse. S 'il y a bien , de recueil en recueil, un e courbe et
un e efflorescence de l' uv re , les m tamo rphos es y sont mo ins sen-
sibles, et en tout cas moins brutales, que dans les lectures aux-
quelles elle prte. La fortune de Ponge obit ainsi un double
rythme, scande la fois par une suite de dcouvertes ou de
rvlations, et par des moments ditoriaux importants qui ne cor-
respondent pas des pousses cratrices, puisque la chronologie
des pices rvle au contraire un m ouve men t inin terrom pu de pro-
duction, mais plutt des cristallisations.
Toute tude de fortune li t traire s 'clairerait enfin d'une
analyse socio-gographique pralable des lieux de publication. Le
caractre longtemps secret de l'oeuvre de Francis Ponge tient sans
nul doute la diffusion restreinte des textes de commande, des
catalogues d'exposition ou des ditions rares et insolites comme ce
Ici haut
(Clerm ont re prod uction s, 1971) const i tu de q uara nte
petites pages plies dans une bote d'allumettes (BN Rs Nains
500). Il tient aussi la nature des priodiques qui ont accueilli ses
textes, souvent phmres ou rservs des cnacles, au moins
avan t les annes 50. De mm e, il faut qu e l'tran ge r do nn e le signal
(Tnvium
(1947) en Allemagne, French
Review
(1952) aux Etats-
U n i s , Revue de l Universit libre de Bruxelles
( 1 9 5 4 ) ,
French Studies
(1959) en A ngleterre) po ur q ue des revues spcialises franaises
s'ouvrent, et nettement plus tard, des travaux critiques :
Com-
munications
( 1972) ,
Revue des
sciences
humaines
( 1973) ,
Potique
( 1976) ;
-
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Fortunes de Ponge 1924-1980) 169
mais Ponge ne se glisse encore dans la
Revue
d histoirelittraire
de la
Franceque par le biais des comptes rendus. Une telle histoire serait
insparable de la vie mme de Ponge
17
.
Tout tat prsent devrait jalonner les pistes pour la recherche
venir; nous ne l'avons fait qu'implicitement, suggrant a et l des
travaux faire, marquant surtout les limites de plusieurs de ceux dont
nous disposons dj. Souhaitons que les lecteurs fascins par les
pomes pongiens et soucieux de les mieux connatre et les mieux com-
prend re mesu rent l'acquis avant de livrer le rcit de leur rencon tre.
17 Malgr tout ce que fournissent les ouvrages de Sollers, Thibaudeau et
S pad a, qui ont bnfici de la collaboration de Po nge, m algr tout ce qui s 'app rend
dans le
M alherbe,
dans les
Entretiens
de 1971 et dans les fragments de mmoires qui
commencent a voir le jour (NRF, 1979), il manque une biographie intellectuelle
dtaille N ul doute qu 'un e connaissance plus approfondie des relations de Ponge
avec son temps , des milieux qu'il a frquents, des imprg nations q u'il a pu subir ne
jetterait sur l 'uv re de nouvelles lum ires, sans en rduire l 'originalit cet
gard , les lettres conserves dans le fonds Jacq ue s Dou cet, et la correspon dance avec
Jean Paulhan (1923-1968) que devrait publier prochainement la maison Gallimard
d'aprs la thse de Claire Boaretto (Paris, janvier 1981), apporteront srement
beaucoup, en particulier sur tous ceux qui ont travaill faire connatre Ponge en
France comme l 'tranger
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170 tudes franaises, 17,1 -2
A P P E N D I C E
Liste des textes de Ponge qui ont fait l objet de comm entaires*
L 'A B R IC O T (P), E Walther (1965), G Farasse (1972), G D M artin (1975),
G Butters (1976)
L 'APPA RE IL DU T L P HO N E (P) , M Ri ffate rre (1974)
L 'AR A IG N E (P), G G aram pon (1952), J Tortel (1953), E W alther (1961), Ph
Bonnefis (1073), H De Cam pos (1974), C Ried hn-D econinck (1974),
G Butters (1976)
BORDS DE MER (PPC), E Hohnish (1972)
LE CH EV AL (P) , G But ters (1976)
LA C H V R E (P), M Douthat (1959), T Aron (1980)
LA C R EV ET TE (P) , J Lemichez (1973)
DO UZ E PET IT S C R IT S , B Groethuysen (1927), R de Solier (1956)
F A B L E ( P R )
5
R G reene (1970), D Ewald (1977)
FABLES LO G IQU ES (M ) , D Ewald (1977)
L E FEU ( P P C )
1
E W alther (1965)
LA FIG UE (S C HE ) (P), V Godel (1978), J M Gleize et B Veck (1979),
J P Richard (1980)
L 'H U T R E (PP C), N Willard (1970), W Raible (1972), J M Gleize et
B Veck (1979) C'est aussi le texte le plus volon tiers com m ent pa r Ponge lui-
m m e {Entretiens avec
So
lier s, Colloque)
J O C A S E R I A ( A C ) , J B e r t h e t , J F C h e v n e r e t J T h ib au d ea u (1976)
LE L ZA R D (P), Ph Bonnefis (1973), G Butters (1976), J M Adam (1977)
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*Les sigles suivan ts indiq uen t quels recueils ap pa rtien nen t ces textes A C ,
l Atelier contemporain
( 1 9 7 7 ) , D P E ,
Douze petits crits
( 1 9 2 6 ), M ,
Mthodes
( 1 96 1 ) , N R ,
Nouieau Recueil
(1967) , P ,
Pices
( 1 9 6 1 ) , P P C ,
le Parti pris des choses
( 1 9 4 2 ), P R ,
Promes, T P , 7
orne
premier ( 1 9 6 5 )
-
7/23/2019 Fortunes de Ponge
30/30
Fortunes
de
Ponge 1924-1980)
7
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EN
A B M E
(P), Ph
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