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THEME : ERELA DANS LA PROMOTION DE LA LANGUE MBO’O POUR UNE
INSERTION SOCIOPROFESSIONNELLE.
Ière PARTIE : INTRODUCTION GENERALE
1. BUT DE LA RECHERCHE
Notre projet voudrait introduire le locuteur de la langue mbo’o dans le phénomène de
communication avec l’outil informatique dans un contexte de mondialisation en cours dans la société.
Nous allons montrer comment l’usage de l’informatique dans le domaine des langues africaines
pourrait permettre à celles-ci d’avoir une plus grande visibilité sur la Toile d’Araignée Mondiale qu’est
Internet et par là permettre à la Communauté Diasporique de pouvoir apprendre à distance sans pour
autant se rendre au village. Enfin notre recherche vise à éveiller l'esprit scientifique de la population
mbo’o, en leur enseignant les concepts scientifiques de base et comment l’usage de cette langue
pourrait leur permettre s’intégrer dans le monde de l’emploi.
2. IMPORTANCE
Notre travail a ceci de particulier qu’il vise à faire comprendre à la population camerounaise et
africaine qu’on gagnerait à mettre en place une offensive médiatique pour convaincre ceux des nôtres
qui sont tombés sous l'hypnose des cultures importées au point d'en devenir esclaves. En effet, nous ne
jugeons nos cultures et langues qu’au prisme de la culture occidentale or nous oublions que toutes les
cultures se valent, aucune culture ou langue ne pourrait prétendre avoir la suprématie sur d’autres
comme on a longtemps voulu nous le faire comprendre. Dès lors la valorisation, à travers
l’ANACLAC1, de la langue mbo constitue donc une offensive à l’égard de cet impérialisme
linguistique. Afin qu’à travers l’usage de cette langue nous soyons « nous-mêmes » et non la parodie
imparfaite que nous faisons de l’autre car ce n’est pas en singeant le blanc que nous serons Blancs et
aussi parce que la sagesse ancestrale affirme que le long séjour d’un tronc d’arbre dans l’eau ne le
transformera jamais en crocodile.
3. PROBLEME ET PROBLEMATIQUES.
Notre thème pose le problème de la valorisation des langues maternelles car le Cameroun,
contrairement au Ghana où on dispose du Ghanean Institute of Language, est en net retard dans la
promotion de ses langues nationales. Tel est aussi le cas de la langue mbo’o dont la culture n’est pas
assez exploité. En effet, les autorités n’ont pas toujours pris conscience du fait que le développement
d’une nation passe aussi par la valorisation de ses richesses linguistiques. La présence des TIC est très
1 Association Nationale des Comités de Langues Camerounaises
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insuffisante dans tous les secteurs de la vie. La situation actuelle est caractérisée par une formation
humaine insuffisante, la présence insuffisante de l’outil informatique dans la gestion et
l’administration scolaire, l’absence de l’outil informatique comme matériel didactique à la disposition
des élèves, l’absence des langues africaines transfrontalières et/ou de grande communication sur la
toile.
Notre problématique consistera donc à démontrer dans quelle mesure on pourrait, à travers
ERELA, participer activement au développement du Cameroun. Autrement dit, comment pourrait-on
puiser dans la culture mbo’o, nos arts, traditions, des éléments importants pouvant favoriser
l’épanouissement intellectuel et moral de ses locuteurs. Bien plus, quelles sont les différentes
réalisations de l’ANACLAC à travers ERELA pour la promotion de cette langue ? Comment procéder
pour que le mbo’o passe du cadre restreint de la famille pour un cadre plus élargie qu’est la société ?
Enfin, quels sont les freins et défis que devraient relever la langue mbo’o ?
4. HYPOTHESES DE RECHERCHE
Etant donné que les prémisses de tout travail de recherche est la quête de données et
d’informations pouvant infirmer ou confirmer nos suppositions qui ne seront vraies qu’après un
passage au crible de l’expérimentation scientifique et empirique. Ainsi, la langue mbo’o pourrait
participer au bien être socioprofessionnel si elle venait à être intégrée dans le projet ERELA et dans le
système éducatif. En outre, elle ne pourrait être intégrée que si elle passait par un processus de
systématisation, de technicisation et de standardisation de ses signes endogènes. Aussi, si comme le
pensait Ferdinand de Saussure dans son Cours de Linguistique Générale, « Toute langue est
psychique », l’usage du mbo’o ne pourrait-il pas constituer un bien être mental pour ses locuteurs. En
plus, la promotion des langues camerounaises par l’ANACLAC est-elle progressive ou régressive ?
Enfin, pour éviter la « schizophrénie linguistique2 » ne serait-il pas judicieux d’officialiser l’usage de
nos langues maternelles notamment le mbo’o dans les lieux public afin de promouvoir effectivement la
coexistence pacifique entre les langues nationales et les langues officielles comme le désirait Son
Excellence le Président de la République Paul BIYA3.
5. APPROCHES THEORIQUES
Afin de mesurer l’effectivité et la faisabilité de nos hypothèses, nous emprunterons deux
approches à savoir la didactique et la sociolinguistique. La didactique4 est « l’étude des questions
2 Expression du Pr Kum’a Ndumbè 3 Dans Pour le Libéralisme Communautaire (1987).
4 www.wikipedia.org/wiki/didactique
3
posées par l’enseignement et l’acquisition des connaissances dans les différentes disciplines
scolaires ». Nous avons choisi la didactique, d’une part parce que nous aurons affaire à une étude
empirique à travers le projet ERELA qui est une approche didactique dans l’apprentissage de
l’informatique et de leur application effective dans nos langues africaines. D’autre part, nous allons
davantage privilégié l’analyse des difficultés des élèves et étudiants dans leurs apprentissages
conceptuels. Or puisqu’il s’agira d’un processus graduel et que les locuteurs de la langue mbo’o auront
déjà dans la plupart des cas une langue, nous emprunterons les méthodes du Constructivisme du
psychologue Jean Piaget pour qui « il importe de tenir compte de ce que l’esprit de l’élève n’est pas
vierge et n’est pas un récepteur passif d’un savoir qui serait donné par l’enseignant ». Il sera donc
nécessaire pour nous de prendre en compte les conceptions personnelles des apprenants, qui
constituent autant d’obstacles à l’élaboration de nouvelles connaissances.
Nous empiéterons également sur les champs de la sociolinguistique de terrain puisque l’usage
de la langue ne saurait être détaché du contexte dans lequel il a été produit, de l’émetteur et du
récepteur. En effet, les analyses démontrent que c’est dans le milieu rural qu’on parle plus les langues
nationales contrairement au milieu urbain où c’est davantage les langues officielles qui y sont utilisées,
notamment dans le commerce et les situations de communications officielles. Le sociolinguiste
français William LABOV, à travers la linguistique variationniste, nous permettra d’éclairer les raisons
pour lesquelles les locuteurs de la langue mbo’o se comporte ainsi vis-à-vis de leur langue.
6. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Etant donné que la recherche a un caractère scientifique et vu le peu de ressource disponible sur
le sujet, nous avons eu recours à une méthode qualitative. C’est-à-dire nous avons eu recours aux
représentants du projet ERELA à l’Université de Dschang ainsi que les structures et écrivains qui
publient en langue maternelle. Grâce à l’aimable contribution du Professeur de Linguistique,
Emmanuel NFORBI qui a eu l’amabilité de nous orienter vers les spécialistes et expert dans le
domaine du projet ERELA. C’est ainsi qu’à travers nos téléphones nous avons pu interviewé le Dr.
Jean Romain Kouesseu afin qu’il nous donne des informations détaillées et actuelles par rapport à
l’Etat d’avancement du Projet ERELA, les différents objectifs, motivations et obstacles auxquelles font
face les chercheurs dans le domaine de l’enseignement de l’informatique en langues africaines,
camerounaises et plus précisément du mbo’o. Ensuite nous nous sommes orientés vers Mr
AKEMBOM et Mme KOUESSEU afin d’avoir d’amples informations par rapport au projet suscité. En
outre, nous avons eu recours au Pr Charles Robert DIMI, pour les difficultés que rencontrent les
écrivains camerounais qui ont osé s’aventurer dans la publication d’ouvrages et de romans en langue
maternelle.
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Pour ce qui de l’analyse des données, nous avons été une fois de plus aidé par l’auteur de Back
to Mother Tongue5, qui au fil de nos avancées dans la recherche nous a orienté et conseillé et a validé
les instruments que nous avions utilisés. Les données quant à elles ont été analysées minutieusement
grâce à des logiciels informatiques comme Microsoft Word et Voice Analyser.
II- REVUE DE LA LITTERATURE
De nombreux auteurs camerounais et africains ont écrit sur la question du rôle de
l’informatique dans la promotion des langues africaines pour le développement. Néanmoins, nous
sommes centrés sur ceux qui étaient à notre disposition, notamment les enseignants du département
d’Etudes Africaines de l’Université de Dschang, le Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences
Humaines ainsi que les pensées d’auteurs de littérature camerounaises que nous avions lu.
Tout d’abord, le Pr Charles Robert DIMI6, interviewé dans le cadre de la rédaction de ce
travail de recherche, déclare, «Nous sommes des sociétés sans écritures », ce constat amer mais
pourtant vrai trahit l’urgence qu’il y a à développer des systèmes d’écriture de l’ensemble de nos
langues nationales car l’instrument par lequel les occidentaux nous ont transmis leur vision du monde,
leur idéologie fut à travers ce livre qu’est la Bible. Il attire ainsi l’importance de la standardisation des
langues africaines non-écrites dans la mesure où l’écriture est éternelle alors que la parole est
temporelle car l’homme est appelé un jour ou l’autre à mourir. Ainsi la conservation de nos langues
africaines ne saurait passer sans l’écriture. Si nous voulons rétablir la place de l’Afrique sur la balance
internationale, il faudrait que nous développions suffisamment des littératures africaines non pas
d’expression française mais d’expression africaine. Autrement dit, il faudrait que les africains et plus
précisément les camerounais arrêtent de percevoir leur culture et leurs langues comme des entités
dénuées de sens, exotiques et incapables de participer au développement. Nous devrions prendre
conscience des ressources inexploitées dont regorgent nos langues qui n’attendent qu’à être
découvertes puis exploitées afin de favoriser le développement notamment à travers leur présence sur
Internet.
En plus, « Une langue est comme une plante » a déclaré le Pr DIMI. Autrement dit, elle nait,
grandit et peut mourir si jamais ses locuteurs ne font pas attention. C’est le cas du latin et du Grec qui
sont aujourd’hui des langues mortes. Or nous savons tous très bien que la langue est un marqueur
identitaire qui permet à l’individu de se repérer, se situer dans ce vaste champ qu’est la mondialisation.
Elle fait partir intégrante de la culture d’un peuple. Donc la mort ou la disparition de nos langues
entrainerait la mort de notre culture. Toutefois on ne saurait vivre sans appartenir à une culture. Par
subséquent une vie sans langue maternelle ne mériterait pas d’être vécu car on ne saurait connaitre où
l’on va si l’on ne sait d’où l’on vient. Donc, « la langue c’est ce par quoi un peuple existe ». Nous
5 Pr Emmanuel NFORBI
6 Interview réalisée le 5 mars 2014
5
comprenons ainsi mieux les craintes exprimées par l’auteur de Historicité et Rationalité de la
Démocratie africaine : Essai de philosophie politique, qui déclare que si « rien n’est fait, nous
courons à la disparition des langues africaines. »
En outre, l’acquisition de la langue mbo’o facilite celui de la langue étrangère. Certaines
expériences ont prouvé que plus on avait la faculté de maîtriser sa propre langue maternelle, mieux on
pouvait assimiler une langue étrangère. M. TADADJEU7, linguiste camerounais, a toujours milité
pour l’introduction et l’enseignement des langues nationales camerounaises dès l’école maternelle, ce
qui rendrait selon lui plus facile l’acquisition des langues étrangères par les apprenants, un peu plus
tard. On peut facilement expliquer ce phénomène : c’est dans la confrontation de deux réalités
différentes qu’on peut mieux aiguillonner son esprit critique et développer le sens du comparatisme. À
travers la langue, chaque groupe linguistique exprime sa vision du monde, découpe l’univers de la
réalité de sa façon, et c’est ce qui fait à juste titre toute la diversité des cultures. Le contact des langues
ne peut donc pas être envisagé comme nous l’avons souligné du seul point de vue unilatéral, mais
bilatéral ou multilatéral, sinon l’idée même de l’interculturalité resterait un mythe.
Aussi, avec la transformation du monde en un village planétaire suite à la globalisation,
n’oublions pas que demain, il pourrait être nécessaire d’enseigner la langue mbo’o non seulement aux
camerounais, africains mais aussi aux étrangers car si nous avons appris leur langue par nécessité
pendant des millénaires, ils pourraient aussi le faire pour nos langues à condition qu’ils ressentent cette
nécessité de faire usage de nos langues. Ceci dépendra bien évidemment de la place qu’occupera
l’Afrique dans les années à venir, place qui devra être confortable vu les efforts menés par les
intellectuels africains notamment le Prince Kum’a Ndumbè III, professeur à l’Université de Yaoundé,
qui par le biais de sa fondation AfricAvenir, mène une campagne, une lutte pour la promotion et la
sauvegarde des langues du Manengouba, mbo’o, duala et de l’ensemble des langues nationales à
travers des compétitions de sketchs, contes, jeux interactifs dans notre langue. D’après le Pr Kum’a la
langue que nous utilisons nous permet d’articuler notre pensée, nos sentiments, notre foi, nos rêves,
notre vision du monde. C’est la langue qui nous permet de dire notre quotidien, d’interpeller notre
passé, de projeter notre futur, c’est elle qui nous permet d’articuler la pensée créée. Or la pensée est
porteuse de développement ou de régression.
Revenant à TADADJEU, lauréat du prix Linguapax de l’année 2005, il propose pour le cas du
Cameroun l’idée d’un « trilinguisme extensif »8 (1984), qui prendrait le relais du bilinguisme
camerounais, qui est loin de favoriser la prise de conscience identitaire et linguistique des natifs. Sans
la valorisation des langues nationales, cette prise de conscience resterait vaine. Ce qu’il faut noter,
7 Dans Guide pour le développement des systèmes d’écriture des langues africaines (1983).
8 SADEMBOUO, Etienne ; TADADJEU, Maurice, (1984), Alphabet Général des Langues Camerounaises, PROPELCA,
Yaounde.
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c’est qu’il ne prône à aucun moment le rejet ou le bannissement des langues étrangères, il cherche tout
simplement à donner du crédit aux langues nationales qui sont pour le moins vouées à la disparition si
rien n’est fait pour les sortir de l’oubli. C’est sans doute la raison pour laquelle J. T. Manga9 (2000, p.
189) milite ardemment pour la valorisation d’au moins une langue véhiculaire camerounaise : « Notre
objectif est de démontrer que la nécessité d’une politogenèse camerounaise s’accompagne
maintenant d’une prise en compte pragmatique de la diversité culturelle et linguistique. »
En fait, si tel n’est pas le cas, nous serions exposés aux problèmes liés à la non-pratique des
langues maternelles : premièrement, le problème d’identité culturelle. C’est la langue qui confère une
identité culturelle à un individu ou à une collectivité. Cela dit, dès lors que vous ne parlez plus votre
langue, vous perdez automatiquement cette identité. Certaines personnes aujourd’hui ont des
difficultés à s’identifier comme faisant partie d’une culture particulière. Deuxièmement, lorsque vous
ne pratiquez plus votre langue, vous n’avez aucune culture et d’office vous apprenez d’autres cultures.
Troisièmement, c’est la mort de la langue non-pratiquée ou peu pratiquée. On parlera alors de langue
morte. Les langues maternelles devraient avoir un bel avenir dans un monde globalisé. Eu égard à tout
ce que nous avons souligné, ces langues sont motrices des valeurs culturelles et de grandes
civilisations. Elles doivent être revalorisées par des chercheurs, quitte à les décrire pour les vulgariser
aux yeux du monde entier.
IIème PARTIE : RESULTATS DE RECHERCHE
Introduction Générale
Des 6000 langues présentes et parlées à travers le monde, l’Afrique en possède 31% soit
environ 2000 langues. Elle précède l’Asie qui détient 34% des langues parlées dans le monde.
Paradoxalement, malgré cette diversité linguistique, le continent africain se plait à utiliser comme
langues officielles des langues étrangères héritées de la colonisation au détriment bien sûr de nos
langues nationales respectives qui sont par conséquent délaissées, voilées et marginalisées. L’Afrique
dans sa rencontre avec la mondialisation, devrait avoir dans ses bagages, ses richesses socioculturelles
qui devraient constituer son originalité, sa spécificité à l’égard d’autres civilisations. Malheureusement
tel n’est pas le cas puisque nous continuons d’exister à travers l’autre. Car si, à en croire le Pr Charles
Robert DIMI, « Une langue c’est ce par quoi un peuple existe », alors nous n’existons pas étant
donné que nous continuons à nous nommer au prisme des langues de l’Autre. Or le problème est cette
dévalorisation des langues africaines en général et camerounaises en particulier –encore dénommées
« dialecte ou patois » -au profit de langues étrangères dites « de civilisation ». Il urge donc de se
9 TABI-MANGA, J. (2000) Les politiques linguistiques du Cameroun - Essai d’aménagement linguistique,
Khartala, Paris.
7
questionner sur les méthodes d’affranchissement de l’utilisation quasi-exclusive de ces langues dans
les situations de communications officielles pour une insertion de nos langues nationales qui
pourraient elles aussi jouir de ce statut, de ce privilège si nous le voulons. Le Pr Maurice TADADJEU,
l’a voulu et s’est dévolu, accompagné d’une équipe de collaborateur et chercheurs en Linguistique
Appliquée en Langues Africaines, à penser et repenser le développement de l’Afrique par nos langues.
C’est la raison pour laquelle il mettra sera l’un des pionniers de l’ANACLAC, ERELA et de l’IAU10
.
Notre réflexion sera donc axée sur la contribution de cette association pour la promotion et
l’intégration de la langue Mbo’o dans le développement du Cameroun. Bien que notre sujet porte sur
le rôle des Ecoles Rurales Electroniques en Langues Africaines, nous avons trouvé judicieux afin de
faciliter la compréhension de ce projet de faire un une présentation panoramique de son instance
faîtière à savoir l’ANACLAC.
I. BREVE PRESENTATION DE L ANACLAC
L’Association nationale des Comités de Langues Camerounaises a vu le jour en 1989 et a pour
principale mission de promouvoir le développement oral et écrit de toutes les langues camerounaises,
de veiller à leur utilisation dans le système éducatif et dans l’alphabétisation des masses, de créer ou de
susciter la création des équipes de personnes volontaires pour impulser tout le développement. Ces
personnes volontaires sont regroupées sous la bannière de comités de langues qui constituent les
membres de l’association faîtière qu’est l’ANACLAC. Outre la cellule administrative, l’association
dispose également d’une cellule scientifique dénommée Centre de Linguistique Appliquée qui est le
bras technique, scientifique de l’association et agit en son nom pour tous les problèmes des langues
notamment la formation du personnel dans différents comités de langues, la mise en place des
programmes communs, évaluation des niveaux de développement écrit des langues, le renforcement
des capacités et de la représentativité officielle de toutes les langues aux instances de décision
gouvernementale bilatérale ou multilatérale. A ce jour l’ANACLAC compte plus de 78 comités de
langues membres, répartis dans tout le territoire national.
1. Quels sont les projets qui ont été réalisés depuis la création d’ANACLAC ?
L’ANACLAC a conduit avec succès les projets suivants : PROPELCA, BASAL, CONAL,
ERELA, COBMOL. PROPELCA est un sigle qui se décline en Programme de Recherche
Opérationnelle pour l’enseignement des Langues au Cameroun. C’est le parent d’ERELA initié en
1978 par l’université de Yaoundé I et récupéré par l’ANACLAC dès 1989 après la phase de recherche
fondamentale et surtout après le lancement de la phase d’extension survenue en 1986. L’association a
ainsi favorisé l’introduction d’une quarantaine de langues camerounaises dans le système éducatif
primaire et secondaire parmi lesquelles la langue mbo’o, elle a formé environ 3000 Instituteurs et
10 Institut Afrique Unie
8
produit environ 180 manuels pour l’enseignement primaire, développé quatre modèles d’enseignement
des langues au Cameroun, et permis au gouvernement de la République par les résultats des diverses
expériences d’enseignement de mieux concevoir les lois en faveur de la gestion des langues locales
dans le systèmes éducatif et dans l’alphabétisation. Nous allons maintenant présenter deux projets
impliqués dans la valorisation et la conservation des langues africaines.
a) BASAL
BASAL (Basic Standardisation for all unwritten African Languages) est une idée
originale qui s’est contentée de répondre à la question fondamentale qui est celle de savoir comment
réduire toutes les langues africaines non écrites à l’écrit. Ainsi, il a été pensé qu’un corps de
volontaires d’environ 3000 personnes pourrait après une formation adéquate, sortir les langues
africaines de l’oralité. Cette idée, mise en pratique au Cameroun et en Ethiopie a permis jusqu’à
présent de pourvoir 13 langues, un système d’écriture, un matériel de base de référence, un embryon
de comité de langue capable de soutenir le développement et la pérennisation du système établi. Il
s’agit pour chaque volontaire de passer deux à trois ans dans la communauté linguistique au contact de
la population, de vivre leur vie et d’essayer ensemble de faire passer la langue de l’oralité simple à
une écriture convenable, utilisée et soutenue par les classes d’alphabétisation. On pourrait ici appliquer
le modèle de l’alphabétisation conscientisante du brésilien Paolo Freire, afin de permettre à ladite
population d’identifier, de circonscrire les maux et problèmes auxquels ils font face afin que ces
derniers constituent leur objet d’étude et d’affranchissement de la misère pour un développement
durable.
b) ERELA (Ecoles Rurales Electroniques en Langues Africaines)
Le Projet ERELA a été mis sur pied à partir de 2006 par l’ANACLAC avec la collaboration de
l’université de Yaoundé I et les efforts du Pr Maurice TADADJEU dans sa volonté de combler ce
grand écart numérique qui existe entre les enfants des zones rurales et ceux du milieu urbains. Ce
projet a pour cible les zones rurales parce qu’on y retrouvent plus de 80% de la population
camerounaise. Il a pour objectif de capitaliser sur les produits actuels de l’informatique pour assister le
développement des langues locales dans l’élaboration des outils des matériels d’enseignement. L’outil
informatique qui est à la pancacée des langues officielles étrangères et des villes est quasiment absent
dans les villages et ce fossé numérique se creuse de jour en jour. Le projet ERELA, voudrait donc
« expérimenter un modèle généralisable d’utilisation des TIC11
en langues africaines dans des écoles
rurales » pour emprunter les propos de Mme Lydie SEULEU12
, fondatrice du PACC13
, lors d’un
11
Technologies de l’Information et de la Communication 12
Sofware Engineer, promotrice de l’utilisation de l’Informatique dans les Langues Africaines. 13 PanAfrican Cultural Center
9
séminaire portant14
le thème : « Langue et culture nationales et le développement des TIC en Afrique :
Perspectives d’ERELA ».
PARTIE II : LA LANGUE MBO ET LE DEVELOPPEMENT.
1. Déroulement du projet ERELA.
C'était des séances pratiques où les apprenants formulaient et écrivaient des phrases dans leurs
différentes langues maternelles sur le tableau et les autres apprenants se transformaient en correcteurs
de ce qui avait été écrit. Le second niveau pratique et non le moindre était la pédagogie de
l'informatique appliquée à l'enseignement des langues maternelles, but ultime de notre projet. Tous
ceux et celles qui s'intéressent aux langues nationales parlées et écrites s'initient à l'AGLC. L’Alphabet
général des langues camerounaises (AGLC) est un ensemble de règles orthographiques créé pour les
langues du Cameroun. Cet alphabet est basé sur l'alphabet latin et utilise des supplémentaires. Il
provient de l’Alphabet des langues bantoues de 1970. Il a été créé en 1978, coédité par feu le Pr. M.
Tadadjeu et le Pr. E. Sadembouo. Il a été testé, puis adopté sous l’égide de l’Université de Yaoundé à
l'époque. Il est nécessaire de dire un mot ici sur les particularités de nos langues nationales. Celles-ci
se distinguent des langues européennes par des particularités de tons, haut, bas, moyen, descendant,
montant. Dans nos langues maternelles, un mot prononcé avec un ton haut peut avoir une signification
entièrement différente par rapport au même mot, écrit avec la même orthographie, mais prononcé avec
un ton bas. Nous avons du mal à accepter que certaines langues camerounaises, qui ont pourtant une
audience inter-régionale, continuent toujours d’être taxées de « dialectes », et que la légitimation
institutionnelle des langues étrangères, comme les seules à être en phase avec le modernisme, soit la
seule solution de rechange. Le problème qui se pose est donc la marginalisation des langues
camerounaises et plus particulièrement du « mbo’o » au détriment des langues officielles or comme le
remarquent Oswald Ducrot et T. Todorov15
: « Le plus souvent, la langue officielle est simplement un
parler régional qui a été étendu autoritairement à l’ensemble d’une nation. » Aussi cette langue
dispose de nombreux atouts qui n’attendent qu’à être exploités.
2. Le mbo’o comme facteur d’intégration socioprofessionnelle.
La mondialisation, c’est d’abord l’économique. L’importance du projet ERELA pour la
population mbo’o a été de nous faire comprendre la richesse que l’on pouvait tirer à travers
l’informatisation de nos langues. En effet, on pourrait vulgariser la culture mbo’o c’est-à-dire nos
proverbes, contes, mythes, légendes, nos us et coutumes à travers les musiques, les livres, les cinémas
multilingues, les jeux vidéo, les e-books et des défilés nationaux avec des chants en langues nationales
14
Ledit séminaire s’est déroulé le 11 novembre 2013 à la salle de spectacle de l’UDs. 15 Dans le Dictionnaire Encyclopédique des Sciences du Langage, Paris, Seuil, 1979.
10
notamment lors de la célébration de la fête de la jeunesse le 11 Février ou alors celle de la Femme le 8
mars. Ainsi, quand cette langue sera suffisamment valorisée, on pourrait avoir des webmasters en
langues africaines pour la publication sur le net d’ouvrages en langues africaines ou des programmeurs
dans ces langues.
La pratique de la langue Mbo’o est un atout dans la mesure où le locuteur pourrait aisément
servir de guide pour les étrangers désirant s’entretenir avec les autochtones. Il pourrait facilement jouer
le rôle de traducteur de la langue source qui peut être le Français ou l’anglais vers le Mbo’o. Ce rôle
de facilitateur de la communication pourrait donc être bénéfique pour l’ensemble de la communauté
dans la mesure où la majeure partie de nos traditions et cultures à l’heure actuelle sont présentes dans
nos villages, chez nos patriarches qui à eux seuls maitrisent les différentes étapes ayant conduit à la
création du village, des différents interdits et tabous. Ces patriarches sont en quelque sorte les
dépositaires de la culture tant orale que traditionnelle, ce sont de véritables « bibliothèques » vivantes
comme dirait Cheikh Amidou Kane, et dont la perte serait inestimable pour l’ensemble de la
communauté. Ainsi, tout projet visant à recueillir les données sur la culture mbo’o passera par le biais
de ces traducteurs et guides qui pourront non seulement gagner leur vie à travers l’usage de leur langue
maternelle mais aussi permettront la collecte et la sauvegarde de cette langue qui a forcément des
valeurs essentielles pour le développement de l’Afrique. Cependant ils seraient davantage performant
s’il se formait en TAO16
, afin d’être plus rapide dans le traitement des données orales recueillis et
enregistrées chez les patriarches. Or ERELA forme aussi en Traductologie dans la Linguistique
Appliquée au Langues Africaines.
II- PERSPECTIVES POUR LA LANGUE MBO’O
La langue mbo’o, qui aurait pu constituer une valeur ajoutée, dans le vaste mouvement des
contacts linguistiques, est en fait victime d’une politique d’exclusion qui empêche leur reconnaissance
ne serait-ce qu’au niveau local. Pourtant, pratiquement toutes langues ont eu besoin à un moment
donné de l’histoire d’autres langues pour survivre. Souvenons-nous par exemple que le français, qui
est l’une des langues les plus parlées dans le monde, dérive des langues indo-européennes. Il a
emprunté à l’anglais, à l’espagnol, à l’arabe, etc., pour devenir une langue incontournable. Pourquoi
les langues camerounaises n’emboîteraient-elles pas le pas pour emprunter aussi aux langues
étrangères et obtenir le même statut privilégié ? La question reste pour le moment en suspens. Or,
l’exemple malgache est intéressant à noter : la langue malgache a été élaborée à partir de dix-huit
principaux dialectes de la grande île, sans qu’on ait eu nécessairement recours aux langues étrangères.
D’après nous, la langue mbo’o, afin de participer activement à un développement effectif devrait
suivre des étapes importantes.
16 Traduction Assistée par Ordinateur
11
1. La Standardisation et la numérisation des contenus endogènes.
La standardisation des langues endogènes puisque rien ne saurait être possible sans écriture car
l’écrit reste quand tout périt. Par conséquent nous devons passer au recensement, à la systématisation
et enfin la standardisation des signes linguistiques qui constituent nos langues. En outre, la
numérisation des contenus endogènes car il faudrait rendre disponible ces langues nationales sur la
toile afin de faciliter l’apprentissage à distance par les communautés diasporiques. Aussi il faudrait que
nos langues africaines fassent largement usages des procédés d’enrichissement du vocabulaire
notamment la néologie, la composition savante ou non, les procédés de dérivation et bien d’autres.
Ceci afin de relever ce défi imposé à toutes les langues : celui d’être à même de pouvoir nommer le
réel, notre réel. En effet, durant l’interview le Pr DIMI a soulevé le problème de « la pauvreté lexicale
de nos langues » qui n’encourage pas les auteurs africains et camerounais à publier des ouvrages ou
des œuvres dans leur langue maternelle. Ils sont donc parfois contraints de faire usage de la langue de
l’Autre qui a déjà une terminologie technique et précise des référents existants. Sinon, comment un
mbo pourrait-il parler de la « dialectique » dans sa langue maternelle. C’est donc la raison pour
laquelle les procédés d’enrichissement du lexique par nos langues devraient être mis à profit.
2. La Promotion d’une communauté d’usager et d’un environnement multilingue.
La Promotion d’une communauté des usagers or le problème en Afrique c’est que les africains ont
honte de leur langue. Ils la relèguent pour des situations de communication officieuses, dans le cercle
restreint de la famille et se plaisent à parler les langues étrangères dans les situations de
communication officielles. Nous ne voulons point la suppression radicale de ces langues notamment
parce qu’elle favorise une mobilité sociale tant à l’intérieur du pays que sur la scène internationale.
Mais nous aimerions que les usagers fassent aussi usage de leur langue nationale librement et
fièrement. Ceci permettrait qu’on passe de la « schizophrénie linguistique » du Pr Kum’a Ndumbe à un
« Trilinguisme extensif » du Pr Tadadjeu.
En outre, pour ce qui est de la promotion d’un environnement rural/urbain numérique et
multilingue, certes la diversité enrichie mais elle peut aussi « diluer » nos valeurs traditionnelles et
culturelles si nous ne faisons pas attentions. Il faudrait, comme le préconise l’écrivain Camille NKOA
ATENGA17
, que dans notre rencontre avec l’autre, nous ne nous laissions pas trompé et assimilé à sa
culture. C’est pourquoi la « vigilance linguistique » doit être permanente. D’où la raison d’être du
projet ERELA qui vise à informatiser nos langues camerounaises et plus spécifiquement la langue
Mbo’o.
17 L’Enfant de la révolte muette, Editions CLE, Yaoundé, 1999.
12
3) La gestion de l’impact pédagogique d’ERELA.
Le plus important n’est pas de semer mais de pouvoir entretenir la plante jusqu’à la floraison ou
la récolte. Ainsi, bien après la mise sur pied du projet ERELA, nous devrions passer à un suivi
minutieux des différentes perspectives à suivre comme ce fut le cas pour la langue mbo. Il faudrait
aussi encourager et subventionner la recherche dans le domaine des Langues Africaines afin que des
chercheurs comme Pr Emmanuel NFORBI18
, SADEMBOUO, Gabriel MBA ou Jean Romain
KOUESSEU continuent à publier. Le ministère de la recherche scientifique doit aussi mettre sur pied
des mesures afin que la publication de manuels et ouvrages dans le domaine des langues africaines
puisse être prolifique et abondante.
Conclusion Générale
L’objectif de faire des langues nationales camerounaises, -le mbo’o- des langues de culture et,
par la même occasion, de donner plus de moyens et d’efficacité à l’éducation, à la modernité et aux
efforts de développement, exige que ces langues soient écrites, introduites dans le système éducatif et
utilisées dans la vie officielle et publique. D’où la nécessité des Ecoles Rurales Electroniques dans la
réussite de ce projet. Nous avons tour à tour présenté comment ce projet pourrait être appliqué avec la
langue mbo’o pour favoriser le développement socioprofessionnel et la construction de l’unité
nationale. Nous n’aurions pu achever sans une présentation exhaustive des différentes attentes, défis et
perspectives auxquelles devraient faire face non pas la langue mbo’o mais aussi l’ensemble des
langues camerounaises. Il faudrait qu’on mette un terme à la schizophrénie linguistique pour passer à
une véritable diversité linguistique où toutes les langues seront respectées car le respect d’une langue
implique le respect des valeurs culturelles du peuple appartenant à cette culture et l’irrespect d’une
langue est un mépris à l’égard des locuteurs de cette langue. Si les langues de civilisation sont comme
dirait Tchikaya U’Tamsi, « un butin de guerre », nous devrions donc les apprivoiser et utiliser
simplement comme des instruments de mobilité sociale et internationale. Nous ne devrions donc pas
dévaloriser nos langues africaines pour élever les leurs.
18 Professeur de Linguistique en Langues Africaines à l’Université de Dschang.