Pradier-Fodéré, Paul (1827-1904). Cours de droit diplomatique à l'usage des agents politiques du Ministère des Affaires étrangères des États européens et américains.... 1881.
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COURS
DE
DROIT DIPLOMATIQUE
COURS
DE
DROIT DIPLOMATIQUE
A L'USAGE
DES AGENTS POLITIQUES DU MINISTERE
DES AFFAIRES ETRANGERES DES ETATS EUROPEENS
ET AMERICAINS
de pièces et documents proposés comme exemples des
offices divers qui sont do. ressort de la diplomatie
PAR
P. PRADIER-FODÉRÉ
Chevalierde la Légion d'honneur ; Officierd'Académie;Fondateur et Doyen honoraire de la Faculté des SciencesPolitiques et
Administratives de l'Université de Lima,ancien membre du Conseilsupérieur de l'instruction publique du Pérou.
TOME PREMIER
PARIS
A. DURAND ET PEDONE-LAURIEL, ÉDITEURS
librairesde laCourd'Appelet del'OrdredesAvocats
G. PEDONE-LAURIEL SUCCESSEUR
13. Bue Soufflot, 13
1881
AVANT-PROPOS
Le droit diplomatique est de toutes les branches des
connaissances politiques celle qui subit le plus l'in-
fluence des progrès réalisés dans les moeurs sociales,
l'esprit public et les institutions. Les usages, les for-
mes, les règles dont il se compose varient moins avec
les pays qu'avec les temps, et son caractère se trans-
forme sans cesse suivant les modifications introduites
dans l'état politique et social des nations.
Qui oserait prétendre, parmi les plus fanatiques dé-
fenseurs du passé, que le droit diplomatique de 1815
puisse être celui de 1880 ?
Un esprit public nouveau a répandu la sève d'une vie
nouvelle dans le sein des sociétés modernes ; le droit
diplomatique qui s'appuie sur le dogme de la souve-
raineté du peuple ne peut ressembler à celui qui re-
posait sur la théorie du droit divin.
Autrefois, une direction unique, absolue, ne tenant
compte que de ses convenances, présidait aux destinées
des États ; aujourd'hui c'est l'opinion publique qui
impose la marche des événements.
Autrefois, l'agent diplomatique était l'organe d'une
politique personnelle, l'instrument de l'ambition de
son souverain ; aujourd'hui il représente les intérêts
généraux de son pays.
Autrefois, il s'agissait moins pour le ministre public
accrédité à l'étranger de faciliter les relations inter-
nationales qui sont l'une des conditions du progrès de
l'humanité, que de scruter les secrets des cours, d'op-
VI AVANT-PROPOS
poser les intrigues aux intrigues ; aujourd'hui les in-
térêts généraux des États, en se développant et en se
distinguant des intérêts particuliers des princes, ont
dépouillé l'action des agents-diplomatiquesdu carac-
tère de ruse et d'espionnage qui la signalait dans d'au-
tres temps, et l'objet des missions permanentes est
surtout de suivre les progrès de la civilisation chez
-les peuples où le diplomate établit sa résidence.
Autrefois, l'agent diplomatique était un courtisan
et un serviteur ; aujourd'hui il est un citoyen.
On discutait longuement et subtilement, autrefois,
sur les préséances, les questions d'étiquette, le grand
et le petit cérémonial, l'exterritorialité, les immunités
et prérogatives diplomatiques, les nuances diverses
du caractère représentatif ; aujourd'hui l'esprit droit
et sérieux de notre époque et nos moeurs démocra-
tiques ont fait justice des nombreuses prétentions
élevées par la vanité des cours et des ministres pu-
blics. Sans renoncer absolument aux règles néces-
saires d'une étiquette qui marque la hiérarchie, on a
remplacé le cérémonial étroit par une politesse large ;
l'exterritorialité, cet antique palladium des ministres
publics, est traitée de fiction stérile qui n'explique rien ;
le véritable fondement des immunités et privilèges dus
aux diplomates étrangers est mieux connu ; les bor-
nes de l'indépendance des agents diplomatiques sont
mieux déterminées ; on a mieux défini l'origine, le
but, les limites des immunités tant personnelles queréelles auxquelles ils ont droit ; plusieurs de leurs an-ciens privilèges ont disparu, parce qu'ils n'étaient pasfondés sur la raison, et quant au caractère représen-tatif, on enseigne la doctrine absolument vraie qu'unministre public, serait-il ambassadeur, envoyé extraor-
AVANT-PROPOS VII
dinaire et ministre plénipotentiaire, résident ou sim-
ple chargé d'affaires, ne représente qu'une seule ma-
jesté au monde : la majesté de la nation.
Gomme tout s'enchaîne dans la vie, en même temps
que l'esprit public moderne a transformé ainsi le droit
diplomatique des traités de Westphalie et de 1815, les
découvertes contemporaines dans l'ordre des scien-
ces positives ont contribué, elles aussi, à modifier le
rôle et l'action-de la diplomatie. C'est ainsi que, de
nos jours, le télégraphe et la rapidité des communi-
cations ont presque complètement privé d'initiative les
ministres publics. On a fait la remarque très-juste
que, lorsque les centres de négociations étaient sépa-rés les uns des autres par des distances longues à
franchir, les instructions générales, spéciales, osten-
sibles, secrètes, avaient bien plus d'importance que
maintenant. Aujourd'hui l'agent diplomatique est,
comme tout le monde, suspendu aux fils du télégra-
phe ; il n'y a plus, ni temps, ni distance ; les cabinets
sont à même de profiter de toutes les modifications de
circonstances pour agir d'une manière directe et immé-
diate. L'action diplomatique réelle rentre chaque jour
davantage dans les mains des ministres des affaires
étrangères des gouvernements respectifs, et le rôle du
ministre public se réduit de plus en plus à celui de
simple mandataire destiné à porter la parole ; sa res-
ponsabilité et son action indépendante tendent donc à
diminuer, et, par conséquent, à restreindre l'impor-
tance de ses fonctions. Mais, si la tâche de l'agent di-
plomatique semble devoir désormais ne consister qu'à
communiquer les idées de son gouvernement ; si, en
présence de l'usage de plus en plus fréquent de pu-
blier la correspondance diplomatique, les cabinets,
Vin AVANT-PROPOS
soumis à une responsabilité plus ou moins sérieuse,
pèsent davantage leurs instructions et leurs ordres, et
si, conséquemment, le ministre public a moins d'initia-
tive, il lui faut, en revanche, des connaissances plus
étendues et plus variées, pour renseigner son gouver-
nement sur la situation du pays où il est accrédité : il
n'a plus à suivre seulement le mouvement politique
de ce pays, il doit aussi avoir l'oeil ouvert sur son mou-
vement économique. De nos jours, le diplomate qui
n'aura pas ajouté aux notions spéciales que sa profes-
sion exige des connaissances étendues sur tout ce qui
constitue la richesse, la puissance, les progrès maté-
riels et moraux des nations, ne sera qu'un agent très-
médiocre. Les sociétés aristocratiques du passé pou-
vaient tirer parti de diplomates adroits, brillants et
agréables : la démocratie moderne a besoin d'agents
honnêtes, sérieux et instruits.
Je me suis efforcé, dans le Cours de droit diploma-
tique que je présente au public, de marquer avec soin
ces différences caractéristiques entre ce qui a long-
temps été, ce qui subsiste encore du passé, ce qui est
actuellement pratiqué.Ce cours a été professé à la Faculté des Sciences
Politiques et Administratives de l'Université de Lima,
pendant les années 1877,1878 et 1879 ; je l'ai revu en1880 (1). Il comprenait, avec la partie exclusivement
(1) J'ai résumé de la manière suivante la mission dont j'aiété chargé au Pérou, clans le mémoire que j'ai lu, en présencedu Chef Suprême de cette république et du corps universitairede Lima, dans la séance solennelle de clôture de l'année scolaire1879.
« Lorsqu'en 1874, sur l'appel si flatteur pour moi du gouver-nement péruvien, j'ai consenti à quitter mon pays, je me suisengagé, par le contrat du 14 juillet de la même année : à fonder
AVANT-PROPOS IX
diplomatique, la matière des consulats et l'histoire des
traités du Pérou. Les deux volumes que je publie ne
renferment que la partie diplomatique de cet enseigne-
et à organiser, à Lima, l'enseignement des sciences politiqueset administratives ; à me charger des cours que le gouverne-ment me désignerait ; à écrire des ouvrages de droit public enharmonie avec les codes et les lois du Pérou, et qui pourraientservir de textes aux élèves ; à servir de conseiller au gouverne-ment et à lui donner mon avis, tant verbalement que par écrit,dans toute affaire sur laquelle il voudrait me consulter ; à faire,en un mot, tous les travaux de ma spécialité scientifique enmatière d'administration publique, que le gouvernement juge-rait à propos de me confier, et à présenter au gouvernementun projet de statistique pour toute la république.
«Arrivé le 9 octobre à Lima, j'ai eu l'honneur, dès le 11novembre, de présenter à S. Exc. le président de la Républiquedu Pérou un rapport détaillé sur l'établissement d'une Facultédes Sciences Politiques et Administratives dans l'Université de San
Marcos, et de discuter, dans de longues conférences avec le re-
grettable Mr. D. Manuel Pardo, les bases de cette création,
qui est devenue une institution de l'État par la loi du 7 avril1875.
« Un décret du 12 avril de la même année m'a nommé doyende la Faculté que je venais de fonder avec le concours du pré-sident de la République et du Congrès, et m'a chargé des cours
d'encyclopédie du droit, de droit administratif, d'économie
politique et de statistique, de droit international privé, de droit
diplomatique et d'histoire des traités du Pérou.
" Les cours de statistique, de droit international privé, de
droit diplomatique et d'histoire des traités péruviens, consti-tuaient un enseignement complètement nouveau à Lima. Quantau cours de droit administratif, il exigeait une méthode entiè-
rement nouvelle : il fallait lui donner un caractère exclusive-
ment pratique, descendre dans les détails des institutions admi-
nistratives péruviennes, examiner de près le mécanisme de
l'administration au Pérou, et porter dans cette étude un esprit
critique indépendant.« Chargé de cet enseignement compliqué, je me suis mis
immédiatement à l'oeuvre ; j'ai réuni les matériaux abondants
que m'ont fourni les collections volumineuses de lois, de décrets,
X AVANT-PROPOS
ment; je publierai peut-être plus tard séparément ce
qui concerne les consulats et l'histoire des traités pé-,
ruyiens.
de règlements et les recueils de traités publiés par le gouver-
nement péruvien. L'inauguration des travaux de la Faculté
des Sciences Politiques et Administratives a suivi de près la
loi du 7 avril. L'année scolaire 1875 a été occupée par la
création des cours d'encyclopédie du droit et de droit admi-
nistratif; j'ai professé l'économie politique et la statistique
pendant l'année scolaire 4876 ; j'ai consacré l'année 1877
aux cours de droit international privé, de droit diploma-
tique et d'histoire des traités du Pérou, Ces cours ont fourni la
matière de six volumes in octavo, de plus de cinq cents pages
chacun, écrits au militu des tristesses de l'éloigneinent de la
patrie. Hélas ! une douleur morale plus cruelle m'attendait, aprèsavoir accompli cette première partie de mes engagements !...
« Je n'ai point à m'entretenir ici de l'acquittement de mes obli-
gations comme conseiller du gouvernement. Le projet de statis-
tique a été soumis par moi à Mr. D. Manuel Pardo, sous formede sujets de conversation et de discussion. On en trouvera lestraces dans mes leçons de 1876. J'ai eu l'honneur de concourirà l'élaboration du règlement général d'instruction publique,comme membre de la commission de délibération et de rédac-tion. Depuis la promulgation de ce règlement, en 1876, je n'ai-
pas cessé de faire partie du Conseil supérieur de l'instruction
publique, et j'ai suivi avec assiduité les travaux de cette digneassemblée. Chargé, toutes les années, de figurer dans les com-missions d'examens de cette belle école navale qui a déjà donné
trop de martyrs à la cause du Pérou, j'ai participé avec exacti-tude à ces épreuves intéressantes. Enfin, chaque fois que leSuprême Gouvernement a voulu m'interroger, je me suisempressé de lui répondre avec indépendance et impartialité.
« Mes efforts ont reçu leur récompense. Dans une note écrite,dont il vient de m'honorer, le gouvernement a reconnu quej'ai rempli fidèlement et loyalement toutes les obligations quej'ai contractées. Cette déclaration est la seule fortune queje rapporterai du Pérou, mais elle m'est précieuse, et si lasociété péruvienne veut bien se rappeler quelques témoignagesde désintéressement que j'ai donnés au profit de son pays, tousmes voeux seront satisfaits.
En quittant Lima, je laisse dans le sein de l'Université de San
AVANT-PROPOS XI
Le but que je me suis constamment proposé dans
mes leçons de droit diplomatique, a été de réagircontre une habitude qui manque d'exactitude et de
Marcos une Faculté des Sciences Politiques établie sur les basesd'une discipline sévère, avec des professeurs habitués à remplirleurs devoirs et des élèves dociles à la direction de leurs maî-tres. Mais je ne puis méconnaître qu'une continuité persévé-rante d'application est nécessaire pour qu'une institution nou-velle ne périclite point. Mon successeur devra multiplier sessoins ; étendre sur tous les détails de l'administration de laFaculté une surveillance minutieuse : ne permettre, sous aucun
prétexte, aucune infraction au règlement de la Faculté, et exigerla plus scrupuleuse ponctualité dans l'accomplissement desdevoirs, de la part des professeurs, des élèves et des employés.Toujours le premier au travail et le dernier-au repos, il devra
épier surtout d'un oeil vigilant les moindres tentatives desadversaires possibles, car toute nouvelle institution a nécessai-rement ses détracteurs et ses rivaux. Je suis certain que celui
qui me succédera mesurera l'étendue de sa responsabilité, et
qu'il aura le patriotique amour-propre de ne point vouloir qu'unétablissement qui aura prospéré sous une direction française,tombe en décadence entre les mains d'un doyen péruvien.
« Quant à l'existence de la Faculté, elle ne doit pas m'inspirerd'inquiétude, puisqu'elle repose sur une loi de l'État. Le Congrèsqui, en 1875, considérait comme étant « d'absolue nécessitél'établissement de la Faculté des Sciences Politiques et Adminis-
tratives, » pourra d'autant moins revenir sur son opinion, en
1880, ou dans les législatures suivantes, que les événements
actuels ont souligné d'une manière spéciale la « nécessité abso-
lue » pour les diplomates, les administrateurs et les hommesd'État péruviens, de connaître à fond les sciences politiques quisont l'objet de notre enseignement. Il est aujourd'hui bien
reconnu qu'un cours sommaire de droit des gens par exemple,donné dans une Faculté de jurisprudence, ne saurait remplacer,avec profit pour les services publies, quatre cours spéciaux
approfondissant le droit des gens public, le droit international
privé, le droit maritime, le droit diplomatique et l'histoire des
traités. Cette partie du programme de la Faculté des Scien-
ces Politiques et Administratives de Lima n'a point échappéà l'attention du monde savant européen. On a beaucoup, en
Europe, loué le Pérou d'avoir inauguré un enseignement qui
XII AVANT-PROPOS
justice. Ceux qui écrivent sur les questions de droit
international parlent encore volontiers du droit des
gens européen, comme si les républiques américaines
n'étaient pas, en progrès de toutes sortes, les dignes
soeurs des États de l'Europe.
Convenons que l'ancien continent ne fait pas preuve,
en cela, de courtoisie envers la jeune Amérique.
Européen et Français, j'ai nécessairement pris pour
base de mon enseignement le droit public européen et
les institutions de la France. Il m'a été doux, sur la
terre étrangère, dans un pays où, à mon arrivée,
l'influence allemande dominait encore, en présence
d'une colonie tudesque, anglaise et italienne qui se
recommandait à l'estime publique par de sérieuses
qualités, il m'a été doux et j'ai considéré comme un
devoir patriotique, de prendre comme point de compa-
raison, dans toutes mes démonstrations, les institutions
manque dans un grand, nombre d'universités de l'ancien con-
tinent. Arrêter dans son essor une Faculté dont la création a
mérité de si légitimes éloges, serait revenir au passé et à ses
conséquences : ce qui ne saurait entrer dans la logique d'un paysqui se pique, à juste titre, de suivre la voie du progrès.
« Que mes continuateurs me permettent toutefois de leuradresser une recommandation utile : celle d'imprimer à leur
enseignement une direction de plus en plus pratique. La ten-dance de l'illustre Université de San Marcos, comme de beau-
coup de corps savants, m'a paru être de s'élever trop haut dansles régions de la philosophie. La métaphysique a des sublimités
qui séduisent les esprits supérieurs, mais ce n'est point d'ellesque vivent les masses populaires avec lesquelles les gouverne-ments, les hommes d'État et les administrateurs ont à compter.Je voudrais aussi voir le rapprochement et la comparaison deslégislations étrangères entrer d'une manière plus complète dansl'enseignement de la Faculté, il n'est plus permis, de nos jours,de s'isoler dans la contemplation égoïste des seules institutionsde sa patrie. Le vent souffle au cosmopolitisme en touteschoses : c'est un vent favorable qui pousse les nations vers unpacifique avenir »
AVANT-PROPOS XIII
et les usages français, d'emprunter mes exemplessurtout à l'histoire de mon pays, et de ne jamaisomettre de placer en évidence ce qu'il y a de libéral,
de généreux, de civilisateur, dans la France des com-
munes, de Jeanne d'Arc et de la Révolution. Mais la
lecture de l'histoire politique et des négociations diplo-
matiques des républiques américaines-espagnoles,m'a convaincu du profit qu'on peut en tirer pour l'en-
seignement des différentes branches du droit interna-
tional ; j'y ai reconnu que, si ces républiques naissantes
sont les soeurs cadettes et les élèves des Puissances
vieillies de l'ancien monde, elles ont su, sous plusieurs
rapports, suivre les leçons et les exemples de leurs
aînées. J'ai donc rapproché le droit diplomatique, tel
qu'il est sorti des usages et des conventions des États
de l'Europe, du droit diplomatique observé par les
républiques hispano-américaines. Le résultat de ce
rapprochement a été de constater que, pour cette
branche du droit comme pour d'autres, il n'y a plus
d'Atlantique, qu'il est désormais, inexact de dire : le
droit européen, et qu'on devrait dire : le droit euro-
péen et américain.
Quand dira-t-on : le droit universel!
Le Cours de droit diplomatique que j'ai enseigné à
l'Université de Lima s'adresse donc aux Européens et
aux Américains ; les candidats à la carrière diplomati-
que, dans les différents pays de l'Europe et de l'Amé-
rique, y trouveront un enseignement aussi complet que
possible des pratiques, des règles, des principes ob-
servés par les cabinets et les corps diplomatiques des
deux mondes.
Le texte que je publie est celui de mes leçons mê-
mes. Les seules modifications que j'y ai faites consis-
XIV AVANT-PROPOS
tent dans la suppression de certaines tournures de
phrases propres au discours parlé, et dans la division
en chapitres, comprenant chacun à peu près deux
leçons. J'ai ajouté aussi quelques documents récents,
mais je me suis abstenu de retoucher le style, et je me
suis imposé de conserver même les redites, qui sont
si nécessaires en matière d'enseignement.
La division par paragraphes précédés chacun d'une
rubrique demande une explication. Cette division
répond au procédé que j'avais employé pour arrêter
l'attention des auditeurs. Les rubriques, formant le
sommaire des matières expliquées dans chaque séance,
étaient inscrites sur le tableau avant la leçon, et res-
taient exposées aux regards des élèves pendant le
développement oral que je faisais. Je les ai conservées,
parce qu'il m'a paru qu'elles coupent le texte d'une
manière utile, et qu'elles facilitent la lecture et les
recherches.
Quant aux notes, elles servaient surtout au profes-
seur agrégé qui était chargé des conférences prépara-toires à l'examen de fin d'année, et à qui je les confiais.
Ce professeur complétait, par les détails qu'il trouvait
dans mes notes,les expositions et analyses qui faisaient
partie du texte de mes leçons. Qu'il me soit permis, à
ce propos, de citer le nom du jeune agrégé qui, pen-dant les années 1878 et 1879, s'est acquitté de cette
tâche. M. le docteur Camille Pradief-Fodéré, mon fils,
professeur agrégé à l'Université de Lima, m'a aidédans cette partie de mon enseignement, comme chargédes conférences du cours de droit diplomatique, avecun zèle et un discernement qui lui ont valu l'approba-tion de son père et l'affection dé ses condisciples, de-venus un instant ses élèves et restés ses amis.
AVANT-PROPOS XV
Qu'il me soit permis aussi d'adresser mes remercie-
ments au gouvernement péruvien, qui m'a protégé avec
tant de sollicitude dans l'accomplissement de ma mis-
sion; à l'illustre Université de Lima, à ses savants
professeurs, qui m'ont donné l'appui de leur sympathie
confraternelle; à ses élèves si intelligents, si brillants,
si respectueux, si dociles, qui m'ont soutenu de leur
affection et récompense par leurs succès.
Les six années que j'ai passées au milieu d'eux
compteront parmi les plus doux, les plus chers souve-
nirs de ma vie.
Paris, 27 novembre 1880.
P. PRADIER-FODÉRÉ.
COURS
DE
DROIT DIPLOMATIQUE
CHAPITRE IER
La Diplomatie. — Signification des mots : Diplomatie,
Diplomate. — Le Droit Diplomatique. — Le CérémonialPublic. — Le Commerce Diplomatique. — L'Histoire
Diplomatique. — L'Office de la Diplomatie. — Qualités
Diplomatiques. — L'Éducation Diplomatique.— La Car-rière Diplomatique.
La Diplomatie. —Signification des mots : Diplomatie,
Diplomate.
La DIPLOMATIE (1) est l'art (2) des négociations.Klüber développe assez bien cette définition, en di-
sant que c'est « l'ensemble des connaissances et
principes nécessaires pour bien conduire les affaires
(1) Le terme Diplomatie est d'une origine toute moderne;ce n'est que vers la fin du XVIIIe siècle qu'il a commencé à êtregénéralement employé par les cours européennes. Voir Le Droitinternational théorique et pratique de M. Calvo, édition françaisede 1880, t. I, p. 456.
(2) Il est inutile de discourir sur la question de savoir si la
diplomatie est une science ou un art. Un homme d'esprit a ditavec plus d'originalité que de justesse : « La diplomatie n'est
pas une science dont il suffit d'apprendre les règles, c'est un
2 LA DIPLOMATIE
publiques entre des États » (1). La diplomatie éveille
en effet l'idée de gestion des affaires internationales,
de maniement des rapports extérieurs (2), d'admi-
nistration des intérêts nationaux des peuples et de
leurs gouvernements, dans leur contact mutuel, soit
paisible soithostile (3). Onn pourrait
presque dire quec'est « le droit des gens appliqué. " (4).
Le DIPLOMATE est celui qui est chargé d'un fonction
diplomatique, ou qui s'occupe dediplomatie (5).
L'adjectif " DIPLOMATIQUE » désigne et qualifie
tout ce qui appartient à la diplomatie; c'est ainsi
qu'on dit : des agents diplômatiques ; le corps diplo-
matique ; des conférences diplomatiques ; le style
diplomatique;
etc., etc.(6).
On donne quelquefois au mot diplomatieune
signi-
fication différente. Quand on dit, par exemple, quetelle personne « se destine a la diplomatie",on
art dont il faut surprendre les secrets...« Mais une science nedonne pas de règles : elle recueille et groupe des observations ;c'est l'art qui dicte des règles, en vue d'un but déterminé. Sil'on tient donc à se prononcer sur la qualification de la diplo-matie, il faut dire que c'est un art ; et en effet elle donne les
règles pour bien conduire les affaires publiques entre les États.Sous ce point de vue c'est l'instrument de la politique dansles rapports internationaux.
(l)Klüber, Le Droit des gens moderne de l'Europe, §7, éditionde 1874, p. 8.
(2) Heffter, Le Droit international de l'Europe. Livre III, sect.II, § 227. Edition française de 1873, p. 426.
(3)Id. § 230, même édition, p.433.(4) G. Cogordan, Le ministère des affaires étrangères pendant
la pèriode révolutionnaire, article publié dans la Revue desDeux Mondes (15 août 1877, t. XXII, p. 870 et suiv.).
(5)Littré, Dictionnaire-de la langue Française, V°. Diplomate.—On peut
dire du droit diplomalique qu'il constitue la procé-dure du droit international. La diplomatie est au droit interna-tional ce que la procédure est au droit privé. Le diplomateserait donc l'avoué de sa nation.
(6) Le mot diplomatique est quelquefois aussi employé commesubstantif. La Diplomatique est l'art de juger de l'authenticitédes diplômes, chartes: actes publies, lettres patentes des sou-verains.
LE DROIT-DIPLOMATIQUE 3
désigne par ce terme la carrière diplomatique. Lors-
qu'on cite la « diplomotie française », la « diplomatie
anglaise », la « diplomatie russe », etc., on a généra-lement en vue le personnel diplomatique de la Russie,de l'Angleterre, de la France. Très souvent aussil'on fait de la diplomatie un être abstrait : c'est ce quia heu quand on parle, par exemple, de la diplomatiede tel siècle, de la diplomatie moderne, de la diplo-matie contemporaine : on se place alors à un pointde vue très général embrassant, dans le temps etdans l'espace, l'action des diplomates de telle époque
et de tel pays, pour la caractériser et l'apprécier.
Lorsqu'on dit que l'âge d'or de la diplomatie de
l'ancienne France correspond au ministère des car-
dinaux de Richelieu et de Mazarin ; lorsqu'on af-
firme que la diplomatie contemporaine n'est plusl'instrument d'ambitions, ou d'intrigues, personnellesd'un prince ou d'un ministre, mais qu'elle doit s'ap-
puyer sur les grands intérêts des nations, le mot
diplomatie n'est plus employé pour exprimer l'idée
d'art des négociations, de carrière, de personnel,
mais pour désigner plus particulièrement l'action di-
plomatique sous la direction de tels hommes d'État
ou sous l'inspiration de l'esprit contemporain.
Enfin, dans le langage du monde, le mot diplomatieest synonyme de ruse, d'habileté, d'adresse, de, four-
berie même : on dit d'un homme qu'il est pleins de
diplomatie, quand il use habituellement de subter-
fuges. Cette manière de s'exprimer vient d'une com-
paraison peu séante entre les manèges dans la vie
privée et ceux de certains, diplomates peu scrupuleuxen matière de franchise et de loyauté.
Le Droit Diplomatique.
Le DROIT DIPLOMATIQUE est la branche du droit public
externe qui s'occupe d'une manière spéciale du manie-
ment des rapports extérieurs des États ; c'est le droit
4 LE DROIT DIPLOMATIQUE
des gens limité aux questions qui concernent la diplo-
Il se compose d'usages, de formes, de règles, dont
l'ensemble constitue :
1° Le CÉRÉMONIAL PUBLIC ;
2° Le COMMERCE DIPLOMATIQUE.
Le Cérémonial public a été défini : « la galanterie
des États », et mieux encore : «le code ou le formu-
laire des convenances. » C'est l'ensemble des formes
introduites dans les relations des chefs d'États ou de
leurs représentants : il se compose d'une multitude
de points relatifs à la dignité, au rang, à toutes autres
marques ou égards ; il embrasse une foule de ces
« graves riens » dont l'oubli ou l'inobservation peuvent,suivant les circonstances, être regardés comme un
outrage public, dont l'observation est une démonstra-
tion de considération, d'amitié ou de bienveillance.
Le Cérémonial public est dit cérémonial politique,
lorsqu'il s'occupe des titres et dignités des Etats, de leur
rang, de la préséance entre eux. Il s'applique, en outre,aux relations directes des chefs d'États entre eux etdes membres des familles régnantes, soit dans leursrencontres personnelles, soit dans leur correspon-dance. C'est ce qu'on nomme aussi : le cérémonialdes cours, ou cérémonial étranger, ou cérémonial
personnel des souverains; on y comprend égale-ment le cérémonial particulier des cours ou cabinets,que chaque chef d'État règle à sa convenance, et ce
qu'on nommel' étiquette des États, ou les égards que
les gouvernements et leurs chefs s'accordent récipro-quement par complaisance, par courtoisie ou par ami-tié, et qui se manifestent dans les notifications d'évé-nements heureux ou tristes, les compliments de féli-citation ou de condoléance, les deuils, etc.
Le Cérémonial public comprend, de plus, le céré-monial diplomatique ou d'ambassade, qui régle leshonneurs et les distinctions qui .s'accordent auxdiplomates en fonctions, suivant le rang que leur
LE CEREMONIAL PUBLIC 5
assigne la classe à laquelle ils appartiennent, et lecérémonial de chancellerie, ou protocole, quiindique les titres et qualifications, et spécifie les for-mules de courtoisie adoptées dans la rédaction desactes et offices diplomatiques de toute nature (1).
Le Cérémonial public.
Le Cérémonial public (2) est né du désir de con-
server la bonne harmonie et de resserrer les liens
entre les États. L'inégalité de rang qui s'est établieentre les États, dans l'Europe féodale, le sentiment
de la dignité individuelle des nations, l'esprit de la
chevalerie occidentale, les usages des cours l'ont
successivement développé. Une petite partie des
points dont se constitue le cérémonial public est
fondée sur des conventions ; le reste est arbitraire
ou tient au simple usage (3). Cette remarque n'est
pas inutile, car, ainsi que le fait observer Heffter, le
cérémonial dont on est en droit d'exiger la stricte
exécution, n'existe qu'à l'égard des usages établis
soit par des traités, soit par des traditions constantes,dont l'inobservation, selon l'opinion commune des
peuples, est regardée comme une insulte. Quant aux
points qui ne sont qu'arbitraires, qui ne sont pas con-
sacrés par des traités ou par de constantes traditions,un oubli à leur égard pourrait être de nature à froisser
l'intimité des bonnes relations réciproques, mais, à
moins de circonstances graves accessoires, on ne
(1) Il y a aussi le cérémonial sur mer, ou cérémonial maritimeet le cérémonial de la guerre ; mais ces deux espèces du céré-monial public ne relèvent pas du droit diplomatique. L'une
appartient au droit maritime, et l'autre au droit internationalpublie.
(2) Le cérémonial public est désigné dans certains ouvragespar la dénomination de cérémonial étranger. Voir, par exem-
ple, le Précis du Droit des gens moderne de l'Europe, de G. F.de Martens, annoté par M. Ch. Vergé, édition de 1864, n° 126,t. I, p. 338.
(3) Klüber, ouvrage et édition cités, § 90, p. 133, 134.
6 LE COMMERCE DIPLOMATIQUE
saurait y voir une offense. Un manque de politesse
autorise certainement la rétorsion, mais ne donne
aucunement lieu à une demande en réparation, qu'il
faudra au contraire admettre, en cas de violation
d'une des règles strictes du cérémonial (1).Ainsi donc, sous la dénomination générale de Céré-
monial public, on distingue ;le cérémonial politique;
le cérémonial des cours ou cabinets ; le cérémonial
diplomatique:: ou d'ambassàde ; le cérémonial de
chancellerie, sous le nom de protocole diplomati-
que.
Le .Commerce Diplomatique,
Le COMMERCE DIPLOMATIQUE se compose de tout ce
qui regarde la manière de traiter les affaires politiquesêxtérieures, les actes authentiqués qui forment, les
bases des intérêts des États, les modes solennels et
indispensables des négociations. Il est question', dans
le commerce diplomatique, des agents, de ce com-
merce, c'est-à-dire des mandataires' envoyés ou
constitues à l'extérieur pour la gestion des intérêts
internationaux ; de leur classification ; de la condition
légale des personnel diplomatiques, en général'; des
prérogatives et immunités dont jouissent ordinairementles agents diplomatiques ; des devoirs de ces agentsen pays étranger
;de leur position à l'égard des
tierces Puissances;
des différents ordres d'envoyéstitrés de rétablissement du caractère public des
agents diplomatiques ; du rang des agents diplomati-
que entre eux ; des agents et commissaires envoyésà l'étranger pour certaines affaires d'un État ou d'un
souverain ; de la suspension et de la fin des missions
diplomatiques; des effets de cette suspension et decette fin ; de la forme des
négociations diplomatiques ;de
la langue diplomatique ; des diverses espèces
(1)Heffter, ouvrage et édition cités, § 194, p. 372, 374.
L'HISTOIRE DIPLOMATIQUE 7
d'actes diplomatiques ; de la manière de négocier ;des congrès, des conférences, etc., etc. (1).
L'Histoire Diplomatique.
Envisagée comme un être abstrait, agissant dans
L'espace et dans le temps, sous l'influence de tendan-ces déterminées et sous la direction de telle politique
(1) Voici l'indication de quelques ouvrages relatifs à la diplo-matie, au cérémonial public, au commerce diplomatique :Albertini, Droit diplomatique, dans ses applications spécialesaux Républiques Sud-Américaines. — Désiré Garcia de la Véga,Guide pratique des agents politiques. Cérémonial de la courde Belgique. — L'ouvrage italien intitulé : Droit diplomatiqueet Juridiction internationale maritime, etc., par Pietro Esperson.— Le Guide diplomatique, Précis des droits et des fonctions des
agents diplomatiques et consulaires, par le baron Ch. de Martens,cinquième édition entièrement refondue par M. F .-H. Geffcken,ministre-résident des Villes Anséatiques près la cour de Prusse.— Villefort, Privilèges diplomatiques. — Le comte de Garden,Le code diplomatique de l'Europe. — Du même, Traité completde diplomatie. — Housset, Cérémonial diplomatique des coursde l'Europe. —
Ferd. Cussy, Dictionnaire ou Manuel lexique du
diplomate et du consul. — Flassan, Histoire générale et raison-née de la Diplomatie française. — H. Meisel, Cours de stylediplomatique. — Deffaudis, Questions diplomatiques, et particu-lièrement des travaux et de l'organisation du ministère des
affaires étrangères. — Il sera question plus tard des autres
ouvrages dont la lecture est indispensablement nécessaire àl'instruction des jeunes gens qui se destinent à la carrière diplo-matique, et qui se rapportent soit au droit des gens positif euro-
péen, soit à l'histoire et à ses branches subsidiaires, soit à; laconduite des négociations, c'est-à-dire à la marche à suivre dansla discussion des intérêts entre les États, soit à l'art de compo-ser et de rédiger les actes et offices auxquels les rapports entreles États donnent lieu. Il y a des journaux et dès revues quidoivent être lus aussi, parce qu'ils tiennent au courant des faitset du mouvement diplomatiques : Le Mémorial diplomatique,par exemple; L'Europe diplomatique, gazette internationale richede détails et de documents intéressants au point de vue de ladiplomatie ; l'Annuaire diplomatique et consulaire de la Répu-blique française ; etc.
8 L'HISTOIRE DIPLOMATIQUE
donnée, la diplomatie peut être étudiée historique-
ment. L'Histoire diplomatique a pour objet principalde faire voir comment, à la suite des guerres, au
moyen des négociations et des traites, s'est succes
sivement formé, modifié, détruit et recomposé le
système politique des nations civilisées, oul'
union
virtuelle des États que lient entre eux des rapports
de religion, de moeurs, de situation et des intérêts
communs, union dont le but est d'établir une juste
pondération entre les divers États et d'assurer à tous
la paix et l'indépendance.Toutes les parties du droit international, et en parti-
culier la diplomatie, ont en effet une valeur, une signi-fication historiques, dont l'importance dépasse de beau-
coup leur valeur rationnelle. Ainsi que l'a fait obser-
ver M. F. de Wegmann, dans sa préface à la 4e édition
du Guide Diplomatique du baron Ch. de Martens,le droit de -chaque époque est essentiellement,comme les faits mêmes qui le caractérisent, un pro-duit de l'histoire antérieure, produit qu'on ne saurait
comprendre et justifier aux yeux de la raison qu'ense plaçant au point de vue de cette époque. C'est
ce qui explique pourquoi, bien que le droit interna-
tional soit fondé sur des principes naturels de justice,et sur les données que fournit l'étude abstraite de lanature humaine et du lien social, il est cependantessentiellement progressif, par conséquent variable,non-seulement quant aux formes sous lesquelles ilse réalise, mais aussi quant au fond des idées reçueset des usages consacrés.
Depuis leXIIIe siècle, auquel se rapportent les
premiers développements de la diplomatie, mais sur-tout depuis le XVe siècle, dans lequel tant d'évènementsmémorables préparaient les péripéties de la politiqueeuropéenne, il est évident que la pratique des négo-ciations et la partie du droit des gens qui s'y rattacheont traverse bien des phases diverses et subi denombreuses transformations. Quelle distance, parexemple, de Machiavel se rendant seul, à cheval au
L'HISTOIRE DIPLOMATIQUE 9
lieu de sa mission, s'y logeant à ses frais comme le
plus simple voyageur, et sollicitant de son gouverne-ment quelques secours pécuniaires pour subvenir,comme il le dit lui-même, à ses dépenses les plus né-
cessaires, à ce comte d'Estrade, ambassadeur deLouis XIV, entrant à la Haye au bruit du canon et des
fanfares, écrasant, par ses équipages, son cortège,ses costumes, tout ce que la riche aristocratie flamande
pouvait déployer de luxe et de faste ! Et quelle dis-
tance aussi entre cet éclat officiel des ambassadesdu XVIIe siècle et les allures modestes des ambassa-
deurs de notre temps, quoique la richesse publique et
privée des nations qu'ils représentent ait peut-être
décuplé depuis lors ? M. de Wegmann fait remarquer
encore, avec à-propos, que le droit des ambassadeurs
n'a guère subi moins de modifications que le cérémo-
nial. A peine reconnu au moyen-âge dans ses prin-
cipes les plus essentiels, il s'est élevé ensuite, surtout
par la fiction de l'exterritorialité et par celle de la
représentation personnelle, à une exagération qui
portait de graves atteintes aux droits absolus des
États ; puis il est retombé de nos jours dans des
limites qui tendent à devenir de plus en plus étroites.
Un auteur contemporain a résumé avec une exacti-
tude concise les différentes époques historiques de la
diplomatie. C'est au moyen-âge, dit-il, en Italie, que la
diplomatie commença à être pratiquée et enseignée pardes diplomates proprement dits : elle était le patri-moine du haut clergé. La diplomatie qui jusque-là avait
naturellement participé de la simplicité et de la
rudesse des temps, devint, à cette école des savants
et des hommes d'État italiens, au premier rang des-
quels figure le célèbre Machiavel, un art plein de
subtilités et de ruse, l'art de dissimuler caché sous
le masque de formes conventionnelles, et se fit l'in-
strument d'une politique d'égoïsme et d'intrigue. Au
XVe siècle, la chute de l'empire Bysantin, l'invention
de l'imprimerie et de la poudre à canon, la découverte
de l'Amérique, la renaissance des lettres et des beaux-
10 L'OFFICE DE LA DIPLOMATIE
arts, la fermentation à laquelle l'Europefut en proie,
donnèrent une mouvelle impulsion à la diplomatie.
Les gouvernements servirent engagés dans des négo-
dations continuelles, la plupart du-temps trop com-
pliquées pour être suivies par voie de correspondance,
et rendant par conséquent indispensable l'envoide
délégués ou de ministres spéciaux. Dans le siècle
suivant, les rois de France instituèrent dans l'inté-rieur du royaume les fonctions de ministre des affaires
étrangères. La cardinal de Richelieu passe pour avoir
inauguré; le système aujourd'hui universellement
adopté d'entretente des légations permanentes auprèsdes cours étrangères. A cette même époque, l'Europeoccidentale envoya des ambassades dans des contrées
qui jusque-là avaient été regardées comme en dehors
de la sphère des nations civilisées, la Russie, la Perse,Siam et les autres contrées de l'extrême Orient. Enfin
la paix de Westphalie (1648), en faisant prévaloir la
doctrine de l'équilibre européen, pour la conservation
duquelles États se firent un devoir de se surveiller
réciproquement, consacra définitivement l'usage des
légations fixes, auquel il n'a plus été dérogé depuislors (1).
L'Office de la Diplomatie.
L'office de la diplomatie, — en prenant, ce motdans le sens d'art des négociations, et aussi en consi-dérant la diplomatie comme un être abstrait, - est
d'assuer le bien-être des peuples, de maintenir entreeux la paix et la bonne harmonie, tout en garantissant
respectivement la sûreté, la tranquillité et la dignitéde chacun d'eux. « Concilier les intérêts des nations,telle
est lanoble mission d'un diplomate, qui ne doit
avoir d'autre objet que de cultiver les bonnes relations
des États, ou de les rapprocher, de rétablir des rela-tions, si malheureusement elles se sont rompues (2). »
(1)Ch. Calvo, ouvrage et édition cités, t.I, p. 436
(2) Note de M. D. José Fabio Melgar, ministre des relations ex-
L'OFFICE DE LA DIPLOMATIE 11
Construire, à l'aide des rapports établis, les règlesde conduite nécessaires aux droits et à la prospérité des
États, et maintenir l'honneur des nations (1), tel esten effet le champ ouvert à l'action de la diplomatie;
mais,on doit le reconnaitre, les diplomates ont très
souvent été les instruments ou les complices de fla-
grantes iniquités politiques. Sans prétendre que la
diplomatie ne soit que « l'art de coudre la peau du
renard à celle du lion, quand celle-ci est trop courte»,
il faut cependant ne pas perdre de vue que l'utileest, parla force des choses, le principal objectif de
la politique et de son instrument, la diplomatie (2) ;
car, en général, de gouvernement à gouvernement il
n'y a que des intérêts en présence.Il n'est pas nécessaire d'avoir longtemps médité
sur l'histoire des peuples, pour s'être convaincu quele jeu de ces intérêts, quelle que soit leur tendance
naturelle à se satisfaire directement: et de vive force,commande une prudente réserve. Un prince on un
peuple, par exemple, qui se livre à des, projets, de
conquête, ne s'avisera point d'envahir soudainement,à main armée, le territoire convoité. Il se préparerades alliances, il s'assurera que les Puissances rivales
l'aideront ou le laisseront faire ; il faudra, de plus,
qu'il ait réuni assez de soldats, qu'il ait assez per-fectionné son armement, pour être à peu près certain
d'être le plus fort. Comme l'à très bien écrit un
sceptique anonyme, dans un ouvrage amer, c'est dans
ces précautions premières et dans les temporisations
qui s'en suivent que consiste généralement le respect
térieures du Pérou, adressée, le 12 juin 1859, au ministre des rela-tions extérieures de Bolivie, au sujet de l'incident des émigrés Bo-liviens et Péruviens; et de la rupture des relations diplomatiquesentre la Bolivie et le Pérou. Collection d'Ôviédo, t. VII, p. 163.
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, § 227, p. 426,427.(2) S'adressant à son fils Eric, le chancelier Oxenstiern disait:
« dans les cas douteux, l'homme privé doit pencher pour le
parti le plus honorable, mais l'homme d'État pour le partiutile. »
12 L'OFFICE DE LA DIPLOMATIE
des droits entre voisins. Les traités de paix et d'al-
liance durent aussi longtemps que les intérêts momen-
tanés qui leur ont donné naissance. Dès qu'il changent,
on assiste aux évolutions ordinaires en pareilcas : la
Puissance amie de la veille devient l'ennemie du
lendemain; les États s'éloignent, se rapprochent,se
groupent les uns les autres dans des proportions
différentes, qui varient de jour en jour. C'est a pré-
parer ces changements d'attitude que s'emploie avan-
tageusement l'office de la diplomatie : elle fournit des
prétextes. Par les formes de la procédure diplomati-
que, elle légitime les actes quelconques ; elle con-
duit graduellement à des résultats qui ne paraissent
plus étonnants, grâce à l'enchaînement des écrits quiont précédé. Une prétention se produit sous la forme
d'une plainte ; la plainte se change en grief ; on
passe du memorandum à la circulaire, au manifeste,
à l'ultimatum et au canon. Tout cela s'est accomplien peu de temps, et l'on est resté dans les règles. En
somme, dans les temps calmes, l'action diplomatiqueest le plus ordinairement un jeu d'adresse et d'esprit,un échange poli de quelques généralités politiques,de quelques desseins d'avenir. Lorsque l'horizon
s'assombrit, la mission du diplomate est de tempérerles événements, de détourner les premiers effets de
la colère et de la vengeance de nation à nation.
Ce jugement est juste, il défie les démentis de
l'histoire, mais il semble avoir plutôt en vue la diplo-matie des temps passés et de la première moitié du
dix-neuvième siècle. Pour être complètement équita-ble il faut reconnaître, avec M. Rolin-Jaequemyns (1),que l'action diplomatique tend, de nos jours, à ré-
pondre à des besoins d'un ordre plus élevé que l'u-tile. C'est ainsi qu'on a vu, dans les trente dernières
(1)Voir un article important de M. G. Rolin-Jaequemyns, sur
la nécessité d'organiser une institution scientifique perma-
nente pour favoriser l'étudeet les
progrès du droit internatio-nal, dans la Revue de droit international et de législationcomparée, Ve année, p. 463 et suiv.
législation
L'OFFICE DE LA DIPLOMATIE 13
années, la diplomatie chercher à tracer quelquesrègles générales dictées par un esprit d'humanité etde justice, et allant au-delà des nécessités politiquesdu moment : telles que les règles de droit maritime
arrêtées par le congrès de Paris, en 1856, les conven-tions de Genève et de Saint-Pétersbourg, les règlesde neutralité du traité de Washington, etc. ; faire
entrer dams le domaine du droit international positifun nombre croissant de relations qui jusque là re-
levaient du droit national : telles que les traités de
commerce et de navigation, les conventions consu-
laires et leurs stipulations concernant les droits réci-
proques des nationaux, les traités de naturalisation,
d'extradition, d'exécution des jugements à l'étranger,les conventions monétaires, postales, télégraphiques,les conventions pour la construction ou l'exploitationdes chemins de fer internationaux, les conventions
pour la protection de la propriété intellectuelle, le
code commercial des signaux maritimes à l'usagedes bâtiments de toutes les nations, etc., etc. ; en-
fin obtenir le règlement des différends internationaux
par la voie pacifique de l'arbitrage. « De nos jours,—
dit le vicomte de La Guéronnière, — la diplomatie,
élargissant son action, s'est imposé la noble tâche de
conjurer, autant qu'il est permis à la prudence hu-
maine, le fléau de la guerre. Elle tend visiblement à
devenir aujourd'hui pour l'Europe, et demain pour le
monde, une sorte de conseil suprême et permanent.Elle ne doit pas se contenter, comme autrefois, d'en-
registrer les faits accomplis et de légaliser, en quel-
que sorte, les arrêts de la victoire. Elle s'efforce, au
milieu des obstacles que lui créent les ambitions et
les rivalités, d'agir sur la marche même des événe-
ments, sur les rapports des peuples et sur leurs
intérêts moraux et matériels. La tribune, la presse,les discussions parlementaires aussi bien que les
travaux des publicistes, l'échange incessant, des idées
et des produits entre les divers États, les chemins
de fer, les télégraphes, le sentiment de la solidarité
14 L'OFFICE DE LA DIPLOMATIE
qui s'étend de plus en plus pour sesubstituer aux
stériles conflits de l'amour-propre et de l'ambition,
tels sont les élément nouveaux à l'aide desquels la
diplomatie moderne marque de plus en plus son
influence,au profit de la civilisation. Ses procédés
mêmes ont changé-. Les questions qui se posaient
autrefois dans leur sens étroit et restrictif, ont été
généralisées, et l'action commune de plusieurs Puis-
sances a remplacé l'intervention isolée et le systèmedes alliances exclusives. Aussi voyons nous des
réunions chaque jour plus fréquentes de conférences
ayant pour but de régler les intérêts internationaux
et de prévenir les conflits politiques.... (Quelques-unes de ces réunions ont empêche de grand malheurs,
d'autre n'ont rédigé que des protocoles. Mais ces
actes, 'quand ils n'ont pas eu de résultatseffectifs,ont constitue des précédents qui subsistent en don-
nant une voix à l'humanité et à la raison... Au nombre;
des procédés nouveaux qui ont agrandi et transformé
l'action diplomatique, il faut signaler l'intervention
personnelle des souverains, acceptant de hauts arbi-
trages et usant de leur influence pour prévenir ou
pour résoudre des conflits... Dans l'ancien régime, les
rivalités personnelles des souverains étaient souventla cause déterminante des guerre sanglantes entre les
nations, dans le droit des gens moderne, des chefs
d'État comprennent que leur personnalité, si haute
qu'elle soit, n'est que l'expression de la volonté et de
la dignité d'un peuple. Autrefois ils étaient séparés
plarades ambitions de famille, par des prétentions derace ; désormais ils sont rapprochés par les intérêtsqui se confondent de plus en plus, à travers les fron-
tières, dans le développement de la vie internationale.Dans ce tableau des progrès modernes du droit des
gens,ce qui apparaît avec évidence, c'est l'application
chaquejour plus complète des notions de justiceet de liberté
qui,du domaine de la théorie, tendent
a passer définitivement dans le droit positif. Pour laguerre comme pour la
paix, sur le continent comme
L'OFFICE DE LA DIPLOMATIE 15
sur la mer dans les procédés comme dans les règles,il se crée des rapports nouveaux entre les gouverne-ments, comme entre les nations, et .la diplomatie,transformant son action en est tout à la fois l'instru-
ment le plus actif et la plus haute garantie. C'est elle
qui préside à cet échange incessant par lequel toutes
les nations se communiquent ce que leur génie et
leurs institutions produisent, de meilleur : et il se fait
ainsi sous son égide un travail d'expansion, qui en ré-
pandant partout des principes identiques, finira parrendre tes conflits plus rares et les rapprochements
plus faciles (1) ».
M. de La Guéronnière ne méconnaît pas toutefois
que si, de notre temps, le droit a eu de nobles triom-
phes, il a subi aussi de douloureuses épreuves et de
terribles échecs. C'est que les aspirations progressivesse heurtent continuellement, dans la pratique, à de
graves obstacles, dont les principaux résultent, pourla diplomatie, des conflits entre les intérêts politiques
particuliers des peuples et l'intérêt collectif de la
société internationale. Ces obstacl.es né doivent pasêtre imputés à l'action diplomatique. "Manifestement
aujourd'hui,— écrit-M. Gh. de Mazade,— il y a dans
le monde des justices qui ne sont point faites. il y a
des plaies ouvertes, des situations contraintes, des
empires caducs des populations qui attendent, une
multitude de questions enfin qui s'agitent a la foisdans une douloureuse etoppressive obscurité. La
diplomatie fait son oeuvre dans cette obscurité; elle
mesure son action aux nécessités de chaque jour, aux
circonstances et aux possibilités (2). »
Ainsi donc, et en tenant compte des obstacles,combattre par des voies morales le mal et le nuisible,contenir les destinées des nations dans tes limites quileur sont tracées par la direction suprême qui préside
(1) De La Guéronnière, Le Droit public et l'Europe moderne.Edition de 1876, t. II, p. 382 et suiv.
(2) Ch. de Mazade, Portraits d'histoire morale et politique du
temps. 1875, p. 197, 202 et 203.
16 QUALITÉS DIPLOMATIQUES
à l'histoire des États, maintenir la bonne harmonie
entre les peuples, concilier les intérêts des nations,
cultiver les relations amicales des pays et des gouver-
nements entre eux, conduire les négociations, sur-
veiller l'exécution des traités, faire respecter son
pays au dehors, tout en ne commettant rien de con-
traire à la sûreté, à la tranquillité, à la dignité des
autres. États, prévenir les ruptures et s'efforcer de
rétablir les relations rompues, défendre les intérêts
des nationaux et protéger leurs droits à l'étranger,
voilà l'office du diplomate, voilà le rôle de celui qui
fait sa carrière de la diplomatie.
Qualités Diplomatiques.
L'importance de ce rôle rend nécessaires des qua-lités exceptionnelles dans celui qui est appelé à lé
jouer. « Il n'y a peut-être point d'emploi plus difficile a
remplir que celui de diplomate, dit M. Désiré de Garcia
de la Véga. Il y faut de la pénétration, de la dextérité,
de la souplesse, une grande étendue de connaissances,
et, surtout, un juste et fin discernement. Il faut qu'un
diplomate ait assez d'empire sur lui-même pour ne pascéder à la démangeaison de parler avant de s'êtrearrêté à ce qu'il doit dire, et que, d'un autre côté, ilévite le défaut de certains esprits mystérieux qui fontdes secrets de rien et érigent de pures bagatelles enaffaires importantes. Se tenir dans une continuelleréserve, c'est
s'ôter le moyen de découvrir ce qui se
passe et de mériter la confiance de ceux avec qui onest en relations. Il y a entre les diplomates unéchange d'avis réciproques ; il faut en donner si onveut en recevoir, et le plus habile est celui qui saittirer le plus d'utilité de cet échange
«Mais il ne suffit pas qu'un diplomate possèdetoutes les qualités de l'esprit et toutes les connais-
sances etl'
habileté possibles, il faut encore qu'il ait lesqualités qui dépendent des sentiments du coeur ilny a point de position qui demande plus d'élévation
QUALITES DIPLOMATIQUES 17
et de noblesse dans les manières d'agir. Un diplomate
doit avoir l'esprit aussi ferme que le coeur, car, s'ildoit, pouvoir, à l'occasion, soutenir avec vigueur etfermeté l'honneur de son souverain ou les intérêts deson pays, il n'est pas moins nécessaire qu'il sachesuivre avec constance une résolution qu'il a prisemûrement. L'irrésolution est préjudiciable à la conduitedes affaires ; il y faut un esprit décisif qui saches'arrêter à un parti et le suivre avec fermeté. On a dit
du cardinal de Richelieu que c'était l'homme du
monde qui avait les vues les plus étendues dans les
affaires politiques, mais qu'il était irrésolu, quand il
s'agissait d'exécuter. C'est alors que le Père Joseph,
qui décidait hardiment, lui était d'un grand secours.« Il est dangereux d'ouvrir la carrière, diplomatique
à un homme sans ordre, déréglé dans ses moeurs ou
dont, les affaires privées sont en désordre (1). Com-
ment peut-on attendre de lui plus de conduite ou plusd'habileté dans les affaires publiques qu'il n'en a
pour ses intérêts particuliers ? Un trop grand attache-
ment aux amusements frivoles est aussi peu compatibleavec l'attention sérieuse nécessaire aux affaires, et
il est douteux que ceux qui suivent cette inclination
puissent remplir tous les devoirs de leurs fonctions (2).Un homme naturellement violent et emporté est peu
(1 et 2) Ces deux observations de M. Désiré de Garcia de la
Véga donnent de l'opportunité à la citation suivante. Marie-Thérèse écrivait, en 1772, en parlant de l'ambassadeur de Franceà Vienne : « Le prince de Rohan me déplaît de plus en plus :c'est un bien mauvais sujet ; sans talent, sans prudence, sans
moeurs, il soutient fort mal le caractère de ministre L'empe-reur aime, à la vérité, à s'entretenir avec lui, mais c'est pour luifaire dire des inepties, bavardises et turlupinades. Kaunitz
parait aussi content de lui, parce qu'il ne l'incommode pas etlui montre toute sorte de soumission. » (Correspondance secrèteentre Marie-Thérèse et le comte de Mercy-Argenleau, édition de
1874, lettre du 18 mars 1772.) Or, c'était le moment où se négo-ciait, dans le plus profond secret à l'égard, de la France, le traitéde partage de la Pologne, et où l'Autriche se décidait à y pren-dre part. On comprend que le prince de Kaunitz fût « content »
d'un ambassadeur de France qui ne l'incommodait pas.2
18 QUALITES DIPLOMATIQUES
propre à bien conduire les affaires diplomatiques : il
est difficile qu'il n'irrite pas ceux avec qui il traite et
qu'il reste maître de son secret. Pour réussir en
affaires, en diplomatie comme ailleurs, il faut beau-
coup moins parler qu'écouter ; il faut du flegme, de
la' retenue, beaucoup de discrétion et une patience
à toute épreuve... Le cardinal de Mazarin s'était rendu
si absolument maître des mouvements extérieurs que
produisent les passions, que jamais on ne pouvait
deviner ce qu'il pensait, et cette qualité, qu'il a pos-
sédée à un haut degré, a beaucoup contribué à le
rendre un des plus habiles négociateurs de son temps.Un homme bizarre, inégal, qui n'est pas maître de
ses passions, est complétement impropre à la diplo-matie. Il ne suffit pas pourtant qu'un diplomate ne
soit pas esclave de son humeur : il faut qu'il sache
s'accommoder à celle d'autrui. L'ensemble de ces
qualités caractérise le diplomate formé (1). »
S'il est aisé de composer par la pensée le type du
parfait diplomate, il sera toujours très difficile de le
retrouver dans le monde. Le maximum des conditions
à exiger parait avoir été posé dans les lignes sui-
vantes : « Pour représenter dignement une nation,
il ne suffit pas que le représentant réunisse les qua-lités de la probité, une claire intelligence et un patrio-tisme reconnu : il doit encore posséder des connais-
sances spéciales et être versé dans la gestion des
affaires diplomatiques, ce qui ne peut s'obtenir sans
former des spécialités, en déclarant que la diplomatieest une carrière publique, et en répandant l'émula-tion de ceux qui aspirent à appartenir à cette carrièreou qui lui appartiennent déjà, par l'avancement gra-duel jusqu'au rang le plus élevé, avec l'espéranced'obtenir, comme rémunération de ses services, les
avantages que les lois accordent aux autres employéspublics, à raison de leur ancienneté (2). »
(1.) Désiré de Garcia de la Véga, Guide pratique des agentspolitiques, etc. (Bruxelles, 1867), p. 148, 149.
(2) Ces lignes se trouvent dans un mémoire du ministre des
QUALITES DIPLOMATIQUES 19
L'agent diplomatique doit avoir un patriotismereconnu, une intelligence claire et de la probité : cette
légitime exigence n'a pas besoin de commentaire etencore moins de justification. Un seul mobile doitconstamment préoccuper exclusivement l'attention du
diplomate : celui de défendre l'honneur et la sûretéde son pays. Le diplomate doit avoir une intelligencesuffisamment claire, un esprit assez subtil pour saisir
aisément le sens des mots, comprendre la portée deschoses, deviner les arrière-pensées, surprendre lessecrets, savoir distinguer les intentions marquées des
simples malentendus, et pouvoir profiter en toute
possession de soi-même des ressources précieusesfournies à la politique par la vie du monde. Le meil-leur observatoire du diplomate est en effet le salon,la familiarité de l'intérieur. Il y a des politiques quise croient grands diplomates parce qu'ils parlent peu ;le caractère au contraire de tous les hommes d'Étatest de se faire causeurs spirituels avec une abondance
charmante. On cite M. de Talleyrand qui parlait peu ;il parlait peu. cela est vrai, avec les sots, les ennuyeux
qui venaient le voir, mais dans son intimité, avec ses
amis, il était gai et bavard comme un enfant. M. de
Metternich a été le plus aimable conteur de d'Europe.On n'est pas habile, parce qu'on ne dit rien, maisseulement parce qu'on dit ce qu'on veut dire. Pour
garder les grands secrets, — a-t-on écrit quelque part,— il faut savoir livrer les petits (1). Quant à la pro
-
relations extérieures du Pérou, M. D. José-Jorje-Loaysa, au Con-
grès péruvien de 1870.
(l) Le prince de Metternich (Clément-Wenzeslaus de Metternich-
Vinneburg-Ochsenhausen), homme d'État autrichien, est né àCoblentz le 13 mai 1773 ; il est mort en 1859. — M. de Talleyrand(Charles-Maurice Talleyrand de Périgord, prince de Bénévent),est né à Paris en 1734 ; il est mort en 1838. Les qualités diploma-tiques paraissent avoir été familières à ceux qui ont porté lenom de Talleyrand. C'est ainsi, qu'au dire de M. Henri d'Ideville,le baron de Talleyrand, diplomate français du second Empire,cachait sous des dehors brillants et quelquefois légers une vive
pénétration et une aptitude rare pour les affaires. Son caractère
20 QUALITÉS DIPLOMATIQUES
bité, — pour ne s'attacher qu'à l'honnêteté politique,—
quand même la fourberie ne serait pas absolument
méprisable en elle-même, un diplomate devrait encore
l'éviter avec soin. Il aura en effet, dans le cours de
sa carrière, plus d'une affaire à traiter, et il est de
son intérêt d'établir si bien l'opinion de la bonne foi
de son gouvernement et de la sienne propre, qu'on
fie doute jamais de sa parole. Parlant du ducd'Aiguil-
Ion, ministre des affaires étrangères de la France,le comte de Mercy-Argenteau écrivait à Marie-Thé-
rèse, le 15 avril 1772 : « Tout ce que jusqu'à présent
le duc d'Aiguillon m'a dit au sujet de la Pologne, ne
m'a occasionné que très-peu d'embarras. Ce ministre
traite les affaires sans énergie, sans nerf et sans
vues ; son génie le porte à employer de petits moyensde fausseté, mais cette méthode ne peut jamais être
bien redoutable, et n'oblige qu'à un peu de vigilance,et d'observation. » M. de Talleyrand lui-même s'est
exprimé ainsi dans l' Éloge de Reinhard : « Non, la
diplomatie n'est point une science de ruse et de
duplicité. Si la bonne foi est nécessaire quelque part,c'est surtout dans les transactions politiques, car c'est
elle qui les rend solides et durables. On a voulu con-fondre la réserve avec la ruse. La bonne foi n'au-torise jamais la ruse, mais elle admet la réserve ; etla réserve a cela de particulier, c'est qu'elle ajouteà la confiance. » Mais si le diplomate doit surtout
emprunter ses moyens à la vérité, il est nécessaire
enjoué, la grâce et la simplicité de ses manières, lui gagnaientles sympathies de tous. Il possédait le don précieux d'attirer laConfiance sans se livrer lui-même. M. de Cavour disait de lui :« Il a une façon charmante et qui n'appartient qu'à lui de glis-ser avec adresse les choses les plus désagréables, et de devinerce qu'on pense et ce que quelquefois on voudrait lui cacher Maisil est impossible de le prendre en défaut ou de s'irriter contresa personne, tant il met de tact et de convenance dans les mis-sions les plus délicates.
" Une semblable appréciation, de la partd'un
tel homme, est assurément le plus complet éloge qu'onpuisse faire
d'un diplomate. (Journal d'un diplomate en Italiepar Henri d'ideville; Turin, p. 131, 132.)
QUALITES DIPLOMATIQUES 21
qu'il veille sans cesse pour échapper aux pièges quil'environnent. Le chancelier Oxenstiern écrivait,avec une profonde expérience de la vie, à son fils :«Le monde est plein de dissimulation et de faussetés.
Il-faut le savoir pour n'être pas trompé, non pourimiter la tromperie. »
Le diplomate doit, de plus, posséder des connais-sances spéciales ; il doit être versé dans la gestiondes affaires diplomatiques. Et en effet, quels quesoient les avantages intellectuels dont on soit doué,les qualités naturelles ne suppléent pas au défaut
d'instruction spéciale et de connaissances générales.
Quoique la diplomatie ne puisse, il est vrai, être
assujettie à des règles fixes, ses procédés ont des
formes qu'il faut d'ailleurs connaître dans toutes
leurs variétés. Ces formes sont les notes, les offices,les actes qui, sous diverses dénominations, servent
à la correspondance et aux communications établies
entre les gouvernements et leurs agents au dehors,et qui sont en même temps les instruments de leurs
rapports et les titres de leurs engagements respectifs.Il faut s'habituer à leur usage, dit le comte d'Haute-
rive ; il faut apprendre à les comparer, à y chercher
des modèles ; il faut acquérir le talent et la facilité
d'en faire une rédaction soignée ; il faut enfin savoir
quelles nuances ces écrits peuvent et doivent admettre
selon les lieux, les temps et les personnes. En exami-
nant avec attention les documents où sont consignésles détails et la marche des discussions et des évé-
nements diplomatiques, la sagacité s'exerce à en
pressentir l'issue ; on apprend à mesurer les obstacles,à prévoir les dangers, et on se forme ainsi une
expérience pour ainsi dire théorique, qui, en nous
instruisant par les erreurs d'autrui, nous préserve du
malheur de nous éclairer par nos propres fautes.
« Il faut apprendre la diplomatie,— disait M. d'Hau-
terive ; — la pratique l'enseigne, mais par les bévues,
parles fautes plus souvent que par les succès. Or,
les bévues et les fautes ont des suites que les services
92 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
né sauraient compenser. Il importe donc de signaler
à tous ceux qui ambitionnent de servir dans cette
carrière les devoirs, les dangers, lés difficultés, et de
faire connaître aux récipiendaires, quelle que soit
leur qualité précédente; là nécessité de chercher à
démêler d'avance les moyens de s'acquitter de sa
tâche, et de. sortir avec avantage de toutes les posi-
tions périlleuses où ils peuvent se trouver accidentel-
lement engagés (1). »
L'Éducation Diplomatique.
Quelle est la vraie école de la diplomatie ? Heffter
l'a dit avec raison : ce sont la vie et l'histoire ; elles
seules font mûrir les talents que les académies ne
suffiront jamais à faire naître. Mais Heffter ajoute :
«S'il arrive qu'un talent politique devienne quelque-
fois un bon diplomate, sans, s'être préparé, à l'école
pour cette mission, il se maintiendra néanmoins, de
nos jours, difficilement à la hauteur dé sa position,sans une instruction solide. Là vie du monde, même
dans les sphères élevées, suffira tout au plus pourformer des figurants (2): »
C'est, en outre, comme le fait remarquer l'auteur duGuide diplomatique, une grande, erreur de croire qu'ilsuffise, en diplomatie, du simple bon sens pour réussir.Ceux qui le présument se seront fait illusion en voyantquelques affaires conduites avec succès par des hommes
qui ne se sont pas élevés au-dessus des notions vulgai-res ; mais quand les matières se compliquent et que les
aperçus deviennent plus subtils, il ne suffit plus des
simples lumières que fournit le bons sens naturel
pour trouver la solution des questions proposées. Onse tromperait également en pensant qu'on peut se
(1)M. d'Hauterive a publié dans cet ordre d'idées trois bro-chures, intitulées : Conseils à un élève du ministère des affairesétrangères ;
— Conseils à des surnuméraires ; - Quelques con-seils à un jeune voyageur.
(2) Heffter, ouvrage et édition cités, § 231, p. 436.
L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE 23
former par la pratique seule. L'agent diplomatique,dès l'instant qu'il entre en fonctions, se trouve aux
prises avec les faits et les choses de forme du moment.
Il n'a guère le temps d'étudier, ni de faire de longuesrecherches pour approfondir les questions. Les faits
qui passent sous ses yeux ne font que charger sa
mémoire sans éclairer son jugement, s'il ignore à
quels principes ils se rapportent et quelles sont les
déductions raisonnables qu'il peut en tirer. L'expé-rience est. sans contredit le fruit de la. pratique ; mais
pour qu'on puisse l'utiliser, il faut qu"elle soit appuyéesur la théorie (1).
On apprendra la diplomatie,— dit Klüber, — « en
étudiant, les sciences politiques, telles que l'histoire
des États, surtout celle des trois derniers siècles,la politique, la statistique, l'économie politique et
nationale, l'art militaire, et principalement le droit
public positif, tant intérieur qu'extérieur, l'art de négo-cier et la pratique politique, y compris la cryptogra-
phie (2), ou l'art de chiffrer et de déchiffrer (3). » Klüber
ajoute comme connaissances subsidiaires : la géogra-
phie, l'art de juger de l'authenticité des diplômes, ou
la dipilomatiqiùe, (c'est-à-dire l'art qui apprend à con-
naître les chartes, les diplômes, leur authenticité,leur importance et leur âge), le blason (4), la généalo-
gie, l'art d'interpréter, etc.
Le baron Ch. de Martens recommande, au nombre
des connaissances indispensables à tout diplomate :
le droit des gens naturel et le droit public philosophi-
(1) Le Guide diplomatique, 5e édition, 1866, Considérations
générales sur l'étude de la diplomatie t. l, p. 4.
(2) Pour la cryptographie, voir : le baron de Bielfeld, Institu-tions politiques, t. II, 190, n° 19 et suiv. ; De Callières, De lamanière de négocier avec les souverains, ch. XX; Klüber, Krypto-graphik.
(3) Klüber, Droit des gens moderne de l'Europe, édition de
1874, §§ 7 et 8, p. 8 et suiv.
(4) Pour le blason, ou art et connaissance des armoiries, voirles manuels de Reinhard, de Dangeau, de Dupuy, et le Diction-naire héraldique du vicomte de Magny.
24 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
que, qui renferment les maximes fondamentales de
toute jurisprudence, positive en. matière politique ; le
droit des gens positif, fondé sur les traités et les
usages ; le droit politique des principaux États ;
l'histoire, particulièrement celle des guerres, des
négociations et des traités des derniers siècles, les-
quels servent à faire connaître la politique et les ten-
dances des gouvernements ; les divers systèmes po-
litiques qui peuvent être mis en pratique ; l'écono-
mie politique, qui enseigne comment la richesse des
peuples se forme, se répartit et se consomme ; la
géographie et la statistique des États ; la conduite des
négociations ou la marche à suivre dans les discus-
sions entre les États ; l'art de rédiger les actes
auxquels les relations internationales donnent lieu ;enfin les principales langues vivantes, notamment la
langue française, l'anglais et l'allemand (1). Comme
l'observe exactement M. de la Véga, l'usage des
langues étrangères est plus répandu aujourd'hui que
jamais, et demander que l'homme qui se prépareà suivre la carrière diplomatique soit en état de
comprendre et de parler une langue étrangère, ce
n'est certes pas pousser l'exigence trop loin (2). Indé-
pendamment de l'avantage de remonter aux sources
par leurs divers canaux, en lisant chaque auteur danssa propre langue, et de se mettre ainsi à même d'em-brasser l'ensemble des faits et des préceptes desdivers points de vue où les ont envisagés, selonleur individualité et leur nationalité, ceux qui les
exposent, les diplomates désireux de se distinguerdans leur carrière, — dit le baron Ch. de Martens, —
recueilleront encore un autre bénéfice de la connais-
(1) Le Guidediplomatique ; Considérations générales sur
l'étude de la diplomatie. La connaissance des généalogiesou des rapports de parenié et d'alliance entre les familles sou-veraines, sur lesquels se fondent les droits de succession estune des branches accessoires des études diplomatiques qu'il nétant pas négliger.
(2)Désiré de Garcia de la Véga, ouvrage cité, p. 135,
L' EDUCATION DIPLOMATIQUE 25
sance des principales langues vivantes. Pouvoir discu-
ter les affaires qu'on a mission de traiter dans la
langue du négociateur avec qui l'on traite, est déjà un
moyen d'en faciliter le succès : c'est se donner l'avan-
tage de provoquer, dans le laisser - aller de la conver-
sation, un abandon contre lequel l'adversaire est
d'autant moins en garde, qu'ayant moins à se préoc-
cuper de sa parole il se laisse plus facilement entraî-
ner (1). Ajoutons que si la langue française a pu
pendant, un temps succéder à la langue latine comme
idiome officiel d'un grand nombre de cabinets eu-
ropéens, on semble avoir renoncé de nos jours à
l'usage d'une langue diplomatique à peu près uni-
verselle. La plupart, des cabinets, dans les entretiens
officiels, abandonnent peu aujourd'hui l'emploi de leur
propre idiôme. S'exprimer dans la langue du paysoù l'on se trouve, c'est au moins un acte de courtoisie
dont on peut tirer parti.
D'après les instructions adressées, en l'an VIIdela République Française, par M. de Talleyrand aux
agents diplomatiques français, tout chef de mission
devait connaître parfaitement, pour le pays où il
résidait : 1° ce qui regardait la mission même, ses
droits, ses immunités, ses relations ; 2° le personneldu gouvernement et de la cour auprès desquels il
était accrédité, ses usages, son cérémonial, la liste
civile, etc. ; 3° l'organisation du pays, aux points de
vue politique, administratif et judiciaire, le systèmecommercial du pays, etc. Pour s'assurer de la manière
dont les agents comprenaient leurs devoirs à cet
égard, le ministre des affaires étrangères devait exi-
ger d'eux des rapports portant sur ces différents
sujets. Ces travaux devaient avoir pour résultats de
faire connaître au gouvernement la situation politiqueet économique des autres Etats, de mettre le per-sonnel de la mission à même de se rendre maître du
terrain sur lequel il agissait, enfin de permettre au
(1) Le Guide diplomatique ; Considérations générales sur
l'étude de la diplomatie, t. l, p. 20.
26 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
ministre des affaires étrangères d'apprécier la capacité
de ses agents (1).
(1) L'idée des rapports ou des mémoires à exiger des agents
diplomatiques a frappé, en 1846, l'attention de l'un des prési-
dents les mieux intentionnés du Pérou, le général Ramon Cas-tilla. Un décret du 31 juillet 1848 détermina les conditions quedevaient remplir les jeunes Péruviens qui prétendaient être
nommés attachés de légation. Ramon Castilla voulait qu'ilseussent plus de dix-huit ans, une bonne écriture, une ortho-
graphe irréprochable. Ils devaient avoir appris dans les éta-
blissements d'enseignement la grammaire espagnole, les élé-
ments de l'histoire, de la géographie, de la logique, des mathé-
matiques pures. On exigeait d'eux qu'ils possédassent une ou
plusieurs langues étrangères, — la langue française était indis-
pensable, — et qu'ils eussent étudié le droit naturel et le droit
des gens. Ces différentes connaissances, ou plutôt les études
faites pour les acquérir, devaient être justifiées par des certifi-
cats. Les attachés de légation recevaient, d'après ce décret, un
appointement de 600 pesos par an, ce qui ne leur eût pas per-mis de faire une grande figure dans la société élégante de la
diplomatie ; mais leurs pères ou tuteurs devaient s'engager parécrit, envers le gouvernement, à servir à leur fils ou pupille une
pension annuelle de 300 pesos, qui leur serait versée parl'agent diplomatique ou consulaire sous les ordres duquel les
jeunes attachés seraient placés. Les envoyés extraordinaires duPérou pouvaient avoir, au plus, trois attachés ; lès ministres
résidents, deux ; les chargés d'affaires, un. Ces attachés étaient
placés sous la dépendance immédiate des agents diplomatiques,qui devaient les occuper de manière à. développer et à favoriserles études spéciales relatives à la carrière à laquelle ils se desti-naient. Les chefs de mission étaient tenus d'envoyer au minis-tère des relations extérieures des rapports fréquents sur les
progrès des attachés. A la fin de chaque année, chaque attachéétait dans l'obligation d'envoyer au ministère des relationsextérieures un mémoire sur quelque question importante con-cernant le pays, où il résidait, dans ses relations avec le Pérou.Les services rendus par les attachés devaient être tenus encompte pour l'avancement ; lorsqu'il s'agissait de promotionsdans les emplois de la diplomatie, on devait avoir égard à l'an-cienneté, au talent et à l'instruction (Collection d'Oviédo, T. VII,p. 15, 16). Ce décret fait honneur au général Castilla quil'a signé et au ministre D.J. G. Paz-Soldan qui l'a proposé,Il se rattache chronologiquement à cette période heureuse decalme, de progrès et de liberté qui dura, pour le Pérou, de 1843à 1851, et pendant laquelle Castilla sut donner la paix et l'ordreà son pays, rétablir les finances, réformer l'armée, développer
L' EDUCATION DIPLOMATIQUE 27
Si dans tous les principaux États de l'Europe la
diplomatie n'est pas l'objet d'un enseignement officiel
la marine, imprimer un essor au commerce et à l'industrie quiexistaient à peine au moment de son avènement au pouvoir.Mais ce décret a-t-il reçu une application quelconque ? C'est lesort du Pérou d'avoir quelquefois de bonnes lois et de les voirrarement appliquées. Plus d'une fois, depuis, les ministres pé-ruviens ont insisté, dans leurs documents officiels, sur l'impor-tance d'une solide organisation du service diplomatique ; la
fréquence même de leurs observations, à cet égard, prouve quece voeu ne s'est jamais réalisé. En 1867, par exemple, le ministredes relations extérieures, M. Pachéco, dans son mémoire au Con-
grès constituant, relevait « les abus qui s'étaient introduits dansle service diplomatique et consulaire, à l'ombre du défectueux
règlement antérieur. » En 1868, M. D. Juan-Manuel Polar, dansson mémoire au Congrès, signalait aussi les vices et les lacunes
qui se trouvaient dans le règlement en vigueur, à son époque.Il manifestait la pensée qu'une réforme était urgente. S'adres-sant également au Congrès, en 1870, M. D. José-Jorge-Loaysa,après avoir signalé la nécessité, d'une bonne organisation duservice diplomatique, rappelait qu'un projet de loi avait été pré-senté, en 1864, pour donner satisfaction à cet urgent besoin,mais que l'attention du Congrès avait été détournée par d'autres
préoccupations. « Le besoin qu'il s'agissait alors de satisfaire, —
disait M. Ldaysa, — est beaucoup plus impérieux aujourd'hui,à raison du développement des relations internationales. »C'est le même courant d'idées qui a inspiré la création dela Faculté des sciences politiques et administratives de l'Uni-versité de Lima, instituée par la loi du 7 avril 1875 comme unétablissement « d'absolue nécessité. » Le 22 juin 1876, un nou-veau règlement consulaire a placé parmi les conditions exigéespour être nommé consul du Pérou, celle d'être docteur en-sciences politiques et administratives. Un décret de la mêmedate a exigé pour l'admission dans les emplois dû ministère desrelations extérieures, soit à l'étranger, comme secrétaires de.légation, soit à Lima, dans les bureaux de l'administration cen-trale, lès grades de bachelier, de licencié ou de docteur de cette
Faculté, suivant l'importance de l'emploi. « Il est facile, — disaitM. D. A. de la Torre, ministre des relations extérieures, dansson mémoire au Congrès ordinaire de 1876,— il est facile decalculer les avantages que le pays retirera d'un corps d'em-
ployés dépendant de ce ministère, et ayant l'instruction suffi-sante pour remplir les fonctions que le gouvernement voudraleur confier. » « Les dispositions du décret du 22 juin 1876,
—
ajoutait M. de La Torre, - ouvriront une carrière honorable àla jeunesse studieuse, qui trouvera un élément d'émulation dans
28 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
et spécial, on peut dire cependant que tous le gouver-
nements européens comprennent l'importance de
n'admettre dans la carrière diplomatique que des
jeunes gens instruits..En s'imposant cette règle, on
peut se reposer avec confiance sur l'avenir du soin
de donner aux futurs diplomates cette intelligence
des affaires, ce tact et cette habileté qu'on est en droit
d'exiger des hommes chargés de défendre à l'étranger
l'honneur et les intérêts de leur pays.Dès 1780, la cour d'Autriche avait substitué, comme
porteurs de dépêches, aux courriers de cabinet, de
jeunes officiers de la garde-noble hongroise. L'objetde ce changement était de procurer à ces jeunes gensl'occasion de voyager en pays étranger et d'en rappor-ter d'utiles notions. On recommandait aux ministres
et ambassadeurs' résidents de leur procurer toutes
les facilitée pour rendre leurs séjours fructueux (1),M. de Polignac, ministre des affaires étrangères de
la Restauration, en France, avait établi dans son
ministère un enseignement spécial pour les jeunes
gens qui se destinaient à la carrière diplomatique.Outre le droit international, on devait y étudier la
diplomatie. La révolution de 1830 a renversé cette utile
institution, qui a toutefois été remplacée plus tard parl'École libre des sciences politiques de Paris, dontl'une des sections est consacrée à l'enseignementde la diplomatie et des sciences spéciales qui s'yrapportent. Aux termes d'une note du 1er mars 1880,pour être nommé attaché surnuméraire dans l'un des
la garantie que ceux-là seuls qui auront donné des preuves decapacité dans la Faculté des sciences politiques et administra-tives, seront préférés pour certains emplois. » Il n'est pas inutilede constater, à ce propos, que l'enseignement donné par cetteFaculté comprend : l'Encyclopédie du Droit, le Droit constitu-tionnel, le Droit administratif, l'Économie politique, la Statisti-que et la Science des finances, le Droit international public, leDroit maritime, le Droit international privé, la Diplomatie etl'Histoire des traités du Pérou, le Droit public comparé.
(1) Voir la Correspondance secrète de Marie-Thérèse avec lecomte de Mercy-Argenteau. Edition de 1874, t. III, p. 430, note!.
L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE 29
services du ministère des affaires étrangères, en
France, il faut être licencié en droit, ès-lettres ou
ès-sciences (décrets de 1869 et 1877), ou bien avoir été
officier des armées de terre ou de mer, ingénieur des
ponts et chaussées ou des mines (décret de 1877) ; il
faut de' plus savoir deux langues vivantes, pour être
admis à la direction des affaires politiques, à la direc-
tion des affaires commerciales et à la direction du
contentieux politique et commercial. Les aspirants
diplomatiques ou consulaires peuvent être autorisés à
participer aux travaux de l'administration centrale, des
ambassades, légations ou consulats, sans remplir ces
conditions ; mais ce stage préliminaire ne modifie en
rien, à leur profit, les règles prescrites pour leur
admission définitive.
Pour être nommé attaché payé à la direction des
affaires politiques, à la direction des affaires commer-
ciales et à la direction du contentieux politique et com-
mercial, consul suppléant ou secrétaire d'ambassade
de troisième classe, il faut avoir préalablement passél'examen diplomatique ou consulaire.
Cet. examen est réglé par l'arrêté du 10 juillet 1877 ;il se compose, quant à l'examen diplomatique, d'épreu-ves écrites et d'épreuves orales. Les épreuves portentsur la langue anglaise, la langue allemande, le droit
public, l'histoire du droit des gens, le droit interna-
tional actuel, l'histoire diplomatique, les affaires
commerciales, la géographie politique et économique,les connaissances professionnelles. L'épreuve écrite
sur les connaissances professionnelles consiste dans
un rapport motivé sur une affaire dont le dossier est
remis au candidat.
Heffter rappelle qu'en Prusse un arrêté du ministre
des affaires étrangères, de 1827, a imposé à tout
aspirant à la carrière diplomatique l'obligation d'avoir
suivi pendant trois années des cours académiques,et d'avoir été reçu référendaire en droit auprès d'une
cour de justice. Après y avoir travaillé pendant une
année, l'aspirant doit passer un examen destiné à
30 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE.
constater ses connaissances eu matière de droit public
et industriel; Il y a de semblables règlements dans
d'autres pays : par exemple en Angleterre, enRus-
sie(l). Un jeune homme qui se destine à ladiplo-
matie, à Saint-Péterbourg, doit savoir, de plus, indé-
pendamment du français et de l'allemand, legrec
moderne et une langue orientale. C'est ainsi, que le
célèbre diplomate russe, M. le comte de Nesselrode,avait employé une bonne partie de sa vie à étudier la
plupart des langues vivantes (2).En Belgique, l'institution et l'organisation d'examens
diplomatiques a fait l'objet, de différents arrêtés
royaux, de 1841 à 1858. Aux termes de ces arrêtés,il n'y a que les attachés de légation qui soient admis.
à se présenter devant la. commission d'examen. Les
examens bien subis donnent droit à un brevet d'apti-tude pour obtenir le grade de secrétaire de légation.;
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, p. 437, note 2. On a remar-
qué cependant qu'en Russie il y a peu de diplomatie civile, toutse faisant lé plus souvent par des aides de camp ou des officiers
généraux qui ont et transmettent la pensée de l'empereur.(2) Le comte Ch. Robert de Nesselrode est né à Lisbonne, en
1780, d'une famille noble d'origine saxonne: son père y étaitministre plénipotentiaire-de l'impératrice de Russie Catherine II.Son éducation diplomatique commença en Allemagne et secontinua à Paris, où le jeune de Nesselrode, attaché à l'am-bassade russe, vit se développer la fortune de Bonaparte,premier consul. Appelé de bonne heure, comme conseiller,dans la chancellerie intime du czar, l'empereur Alexandre 1erlui reconnut un esprit sur, une érudition vaste et ferme, uneintelligence sérieuse, un esprit d'obéissance facile et disposé àseconder sa volonté suprême. Le comte de Nesselrode a prispart à toutes les grandes négociations de son époque ; il siégeaaux congrès d'Aix-la-Chapelle, de Troppau, de Laybach, deVérone, fut l'un des agents les plus zélés de là Sainte-Alliance,conclut le traité d'Andrinople, en 1829, d'Unkiar-Skélessi, en1833, fit conclure le traité du 15 mars 1840, qui écartait laFrance du concert européen, et prépara le traité de Paris de1856. Il est mort en 1862. Doué d'une extrême facilité de travailet d'une activité que rien ne ralentissait, ce diplomate et hom-me d'État russe était devenu comme un répertoire de traitésun catalogue vivant de toutes les transactions.
L'EDUCATION DIPLOMATIQUE 31
On s'est demandé à ce sujet, en Belgique, s'il n'eut
pas été préférable de placer l'examen tout à fait àl'entrée de la carrière, et d'en faire dépendre le graded'attaché de légation : mais il a paru qu'il ne fallait
pas se montrer trop sévère pour le poste d'attaché,
qui. chez les Belges, comme à peu près partout,est purement honorifique. Parmi les attachés de
légation belges figurent des jeunes gens qui n'ont
d'autre ambition que de placer leurs débuts dans le
monde sous le patronage d'une légation, à l'éclat de
laquelle, d'ailleurs, leur fortune leur permet presquetoujours de contribuer. Le plus souvent ils abandon-nent la carrière diplomatique après quelques annéesde stage. D'un autre côté, il a paru qu'il n'était passans utilité que les jeunes gens qui se présentent aux
examens aient éprouvé eux-mêmes, par un noviciat
plus ou moins long, la persistance, de leur goût et
leur aptitude pour la carrière qu'ils veulent embrasser.
Cet arrangement peut être bon. dans un pays où le
titre d'attaché de légation est un titre de luxe, ne
correspondant à aucun service positif et ne consti-
tuant aucune charge pour le trésor : mais du momentoù les attachés doivent fournir un travail utile et
recevoir des appointements, leur nomination doit être
regardée comme une entrée dams la carrière, et par
conséquent dépendre des épreuves préalables quel'État a le droit d'imposer à ses serviteurs.
Les examens pour le grade de secrétaire de léga-tion belge portent sur l'histoire politique moderne
et l'histoire des principaux traités, sur l'économie po-
litique, la statistique, le système commercial des États
avec lesquels la. Belgique est particulièrement en
rapport, les langues étrangères, le droit des gens,le droit constitutionnel national et étranger, les élé-
ments de là législation civile, enfin le style diploma-
tique et les règlements consulaires du pays (1).
(1) La connaissance de tout ce qui est relatif aux consulats estnécessaire. Il a été dit que la diplomatie doit s'appuyer sur les
32 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
Des connaissances si nombreuses et si variées,
exigent des études faites avec persévéranceet mûries
par un esprit sérieux. A ce propos il est bon de noter
que l'enseignement donné dans les écoles, les facul-
tés, les académies, ne saurait suffire pour meubler
l'intelligence des aspirants à la carrière diplomatique
de toutes les branches principales et accessoires du
savoir dont ils ont besoin. Une préparation fibre et
individuelle, un travail personnel sont absolument
indispensables. Voici un aperçu de quelques-unes
des sources où ceux qui se destinent à la diplomatie
peuvent puiser avec profit.Comme histoire politique générale, il y a à lire le
Manuel historique du système politique des États de
l'Europe, par Heeren, traduit eh français par MM.
Guizot et Vincens de Saint-Laurens ; le Tableau des
révolutions du système politique de l'Europe, parFrédéric Ancillon ; l' Histoire de la formation terri-
toriale des États de l'Europe centrale, par Hymly ;
l' Histoire du progrès du droit des gens en Europe et
en Amérique, depuis la paix de Westphalie jusqu'ànos jours, par Wheaton, commentée par William
Beach-Lawrence ; le Tableau des révolutions de l'Eu-
rope, depuis le bouleversement de l'empire romainen Occident jusqu'à nos jours, par Guillaume de
Koch, et surtout la magnifique Histoire de la civilisa-
tion, par M. Guizot.
En fait de traités internationaux, il est utile de con-naître l'Histoire abrégée des traités de paix depuis la
grands intérêts des nations ; en même temps que des questionsde frontières, elle est appelée à régler des tarifs de douane : ilfaut donc qu'elle soit doublement compétente, politiquement etcommercialement. Il faut faire en sorte qu'aux qualités incon-testables, mais insuffisantes aujourd'hui, qui l'ont distinguéejusqu'ici, le diplomate joigne les connaissances précises, lesaptitudes pratiques du consul. C'est par l'union des carrièresdiplomatique et consulaire que ce résultat désirable et néces-saire pourra être obtenu. Ces idées sont développées dans unécrit de M. L. Herbette, intitulé : Nos diplomates et notre diplo-matie (1874).
L'EDUCATION DIPLOMATIQUE 33
paix de Westphalie, par Guillaume de Koch, revueet continuée par Schoell, en 1817, puis refondue parle comte de Garden, en 1849 ; l'Histoire du congrèsde Vienne, par le comte de Flassan ; le Congrès deVienne et les traités de 1815, par Angeberg ; l'Histoire
générale et raisonnée de la Diplomatie française, parle même ; les Négociations sous le Consulat, parArmand Lefebvre ; le Congrès de Troppau, par Bi-
gnon; \e Congrès de Vérone, par M. de Chateaubriand;les Causes célèbres et les Nouvelles causes célèbres du
droit des gens, du baron Ch. de Martens ; l'Histoire du
traité de Paris de 1856, par le chevalier Debrauz
de Saldapenna ; l'Histoire diplomatique de la guerre
franco-allemande, par A. Sorel ; la Question d'Orient,
par le même ; l'Histoire de la diplomatie du Gou-
vernement de la Défense nationale, par J. Valfrey ;etc.
Pour ce qui concerne l'Amérique espagnole, il faut
avoir présent à l'esprit le Précis de l'histoire de l'Amé-
rique, depuis sa découverte jusqu'à nos jours, par
J.Méza, particulièrement le second volume. Ce résumé
historique doit être appuyé de la lecture des Consti-
tutions politiques de l'Amérique méridionale, réunies
et commentées par Justo Arosemana. Chacune de ces
constitutions est accompagnée, sous le titre d' « Anté-
cédents», d'une exposition historique très-instructive.
On peut, de plus, consulter certains ouvrages plus
spéciaux, tels que les Annales historiques de la
révolution de l'Amérique latine, accompagnées de
documents à l'appui, par M. Ch. Calvo ; l'ouvrage de
M. Alfred du Graty, sur la République du Paraguay,etc.
Le bon diplomate devant connaître l'histoire des
cabinets,le caractère des hommes d'État, leurs qualitésdiverses et leurs côtés faibles, les différentes vicissi-
tudes par lesquelles ont passé les gouvernements de
tous les pays, rien ne peut être plus profitable que la
lecture des mémoires historiques écrits par les con-
temporains des événements racontés. Montaigne a
3
34 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
dit dans ses Essais : « C'est toujours plaisir de voir les
choses écrites par ceux qui ont essayé comme il
faut les conduire (1). » On comprend en effet l'inté-
rêt qui s'attache aux documents émanés des hommes
d'État qui ont contribué à fixer les destinées de leur
pays; lorsque la main qui retrace l'enchaînement
des faits en a dirigé le cours, chaque indication qu'ellelaisse peut apporter à l'histoire un complément quin'est pas sans prix. C'est à ce titre qu'on peut recom-
mander aux esprits curieux de connaître d'un peu plus
près la politique du dix-neuvième siècle, par exemple :
la Correspondance politique de Massimo d'Azeglio ;les Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand ; les
Mémoires et correspondance du prince Eugène de
Beauharnais; publiés par M. Ducasse; les Mémoires
pour servir à l'histoire de mon temps, par M. Guizot ;les Mémoires, documents et écrits divers laissés par.le prince de Metternich ; la Correspondance diplo-
matique de Joseph de Maistre ; le Mémorial de
Saint-Hélène, par Las Cases ; la Correspondance de
Napoléon Ier, publiée par ordre de l'empereur Na-
poléon III ; etc. La correspondance de Bolivar a été
publiée à New-York, en 1871.
Les biographies ne doivent pas non plus être négli-gées. M. Capefigue a écrit une biographie en quatrevolumes des principaux diplomates de notre siècle,intitulée : « Les diplomates européens. » Il nous ymontre, par exemple, dans M, de Metternich, le créa-teur de cette théorie de balance et de neutralité arméequi a placé l'Autriche, pendant un temps, au premierrang des Puissances ; le prince de Talleyrand y re-produit la partie tempérée de la diplomatie du premierempire français, celle des premiers jours de la Restau-ration et de la révolution de 1830 ; le comte Pozzo diBorgo y personnifie l'habileté persévérante de la poli-tique moscovite et le système russe, depuis 1814 ; le duc
(1) Essais de Montaigne, édition Charpentier 1862 t. IIchap. « Des Livres », p. 228.
L EDUCATION DIPLOMATIQUE 35
de Wellington, c'est l'Angleterre armée avec les vieux
torys (1) ; le duc de Bichelieu est. présenté commele symbole de la probité dans les affaires, des grandsservices méconnus ; le prince de Hardenberg est
offert comme l'image de la Prusse neutre d'abord,
puis marchant en avant avec ses universités.. . En
1856, M. Ch. Vergé a publié un livre plein d'intérêt,
ayant pour titre : « Diplomates et publicistes. » On
y trouve des esquises historiques sur Maurice d'Hau-
terive, de Gentz, Pinheiro-Ferreira, Ancillon, d'En-
traigues, Sieyès, Chateaubriand, etc. Ces lectures
sont utiles à plus d'un point de vue : non-seulement
elles vous initient à la politique, d'une époque, mais
encore, par les détails intimes qu'elles donnent sur la
vie et le caractère des personnages qui. ont marquédans les grands événements de l'histoire, elles vous
introduisent dans les coulisses de la vie politique et
diplomatique ; on y sent comme un parfum de cette.
société élégante qui, elle aussi, peut avoir ses vices,mais qui offre plus souvent encore de nobles exem-
ples de patriotisme, de dignité et. d'honneur. L'esprit
qui s'habitue à ces lectures sérieuses y trouve bientôt
le plus vif attrait ; le goût des distractions frivoles
s'efface, le besoin de régler sa vie sur ces modèles
se fait insensiblement sentir, la conduite privée y
gagne en moralité, les manières en délicatesse, et
tandis que l'intelligence s'enrichit de connaissances
variées, le coeur s'élève à la hauteur des idées.
Mais il y a une autre catégorie de lectures aux-
quelles l'aspirant à la carrière diplomatique et même
le diplomate en possession de son titre doivent se
livrer : ce sont les mémoires, instructions et dépêches
(1) Il n'est sans doute pas besoin de rappeler qu on donne lenom de « torys », en Angleterre, au parti le plus éloigné des
principes démocratiques et opposé aux « whigs », ou parti quise dit défenseur des libertés publiques. Le parti des « torys »
est, en général, très-attaché à la royauté, à l'épiscopat anglican,aux intérêts de la grande propriété. Il s'intitule par excellencele parti conservateur.
36 L'ÉDUCATION DIPLOMATIQUE
relatifs aux négociations importantes.On entend: par
ces mémoires non seulement les histoires des négo-
ciations, mais encore les recueils des écrits officiels
des agents diplomatiques, tels que leurs notes, rap-
ports, lettres, etc. En apprenant les faits dans ces
recueils, on y voit aussi comment s'introduisent et se
..traitent les affaires, et comment un diplomate doit
écrire. Voici l'indication de quelques-unes des lectures
les plus propres à produire ce double effet : les Lettres,
mémoires et négociations du cardinal d'Ossat; les
Mémoires de M. de Torcy, pour servir à l'histoire des
négociations depuis le traité de Rysvrik (1) jusqu'à la
paix d'Utrecht (2) ; les Dépêches du cardinal de Mazarin
sur les négociations de Munster (3) et la paix des
Pyrénées (4) ; les Lettres et Mémoires du comte d'Es-
trade, relatifs à ses missions en Italie, en Angleterre
(1) Le traité de Ryswick a été signé le 20 septembre 1697, en-
tre la France, d'une part, et l'Empereur, l'Espagne, l'Angleterreet la Hollande, de l'autre. C'est le traité qui mit fin à la guerredu Palatinat. Louis XIV y reconnut Guillaume III pour roi d'An-
gleterre.(2) La paix ou traité d'Utrecht porte la date de 1713. Ce traité
a été conclu entre la France, l'Espagne, l'Angleterre et la Hol-lande ; il mit fin à la guerre de la succession d'Espagne.
(3) Les négociations de Munster ont donné lieu à la paix outraité de Westphalie. Pour parler plus exactement, on donne lenom collectif de traité de Westphalie à deux traités signés en
Wesphalie, l'un, à Osnabrück, le 6 août 1648, l'autre, à Munster,le 8 septembre de la même année, et publiés tous deux le 24octobre suivant. Le traité de Munster a été conclu entre, laFrance et l'Empereur ; celui d'Osnabrück, entre l'Empereur et laSuède. Ces deux traités ont mis fin à la guerre de Trente Ans.
(4) La paix ou traité des Pyrénées, ainsi nommée parcequ'elle a été signée au pied des Pyrénées, dans l'île des Faisans,ile de la Bidassoa, a été conclu le 7 novembre 1639 parle cardinalde Mazarin, ministre de Louis XIV et D. L. de Haro, ministre duroi d'Espagne, Philippe IV. Parmi les clauses principales de cetraité l'on remarquait la restitution de la Lorraine à son ducCharles III, l'union de Louis XIV avec l'infante Marie-Thérèse, etla renonciation de Louis XIV, pour la France, à toute prétentionsur la succession d'Espagne, mais sous la condition expresse dupaiement de la dot. Le cardinal de Mazarin écrivait la relationdes conférences pour l'instruction du roi.
L' EDUCATION DIPLOMATIQUE 37
et en Hollande, depuis 1637 jusqu'en 1662 ; les Négo-ciations du président Jeannin, qui a tant contribué àaffermir la république naissante des Provinces-Unies des Pays-Bas ; les Lettres, instructions diplo-matiques et papiers d'État du cardinal de Richelieu,publiés par M. Avenel ; enfin, autant que les loisirs dela carrière permettront de les étudier, les Relationsdes ambassadeurs vénitiens (1).
(1) Une suffisait pas à la curiosité du Sénat de l'ancienne ré-publique de Venise sur les affaires des Puissances étrangèresauprès desquelles il avait accrédité ses ambassadeurs, d'êtreéclairée et entretenue par l'envoi très-fréquent de dépêchesfort étendues. Il voulait aussi qu'au retour de leur mission cesambassadeurs se présentassent en son assemblée, pour y lire unrapport développé sur la situation topographique du pays où ilsavaient été envoyés, sur le caractère du prince et des ministres
qu'ils avaient connus, sur la composition et les moeurs de lacour qu'ils avaient fréquentée, sur l'état des finances du gouver-nement, et sur les conditions d'amitié ou d'inimitié politique
-dans lesquelles vivait ce gouvernement avec les autres Puissan-ces. Le genre de solennité qui était affecté à cette lecture diplo-matique devant le Sénat assemblé, faisait que l'usage de la « Re-lazione " était spécial aux Vénitiens. La lecture d'une « Rela-zione» en séance solennelle du Sénat était devenue une habitudesi bien entrée dans les moeurs politiques de Venise, que le
Sénat, dont l'ambassadeur était le mandataire, eût estimé quel'ambassade n'eût point été parfaite, c'est-à-dire achevée, tant
qu'il n'aurait pas entendu l'énoncé de ce discours final. Il étaiten un mot du devoir de l'ambassadeur vénitien, dans un délaidéterminé par des règlements adoptés dès le treizième siècle, de
présenter sous une forme convenue, et pour l'instruction d'une-assemblée de gouvernants, le tableau de la cour et de l'État
qu'il avait dû observer et apprendre à bien connaître pendant le
temps de sa résidence. Cette remarquable coutume ne prit fin
qu'avec la république de Venise, en 1797. Elle produisit une sé-rie de documents du plus grand prit, et nonobstant les incen-dies qui, en 1577, détruisirent quelques salles de la Chancellerie,à partir de 1492 il existe des rapports assez suivis pour formerun magnifique ensemble sur le seizième, le dix-septième et ledix-huitième siècles. Les « Relazioni » des ambassadeurs Véni-tiens ont fait la matière de publications aussi nombreuses quevolumineuses, qu'il est impossible de lire d'une manière suivie,mais qu'il est bon de consulter. Voir : Les archives de Venise;histoire de la Chancellerie secrète, par Armand Baschet, p.331 et suiv,
38 LA CARRIÈRE DIPLOMATIQUE
La Carrière Diplomatique.
Telles sont les études personnelles que doivent s'im-
poser les hommes qui veulent se rendre utiles à leur
pays dans les postes diplomatiques ; mais on com-
prend qu'il sera toujours difficile d'obtenir des diplo-
mates sérieux, tant que la, diplomatie ne sera pas
considérée comme une carrière publique soumise aux
règles strictes du noviciat nécessaire et de l'avance-
ment graduel. Il peut être agréable à un gouverne-ment d'avoir à sa disposition des postes diplomatiques
pour favoriser, récompenser ou. payer des amis, des
courtisans ou des partisans, mais ce n'est point ainsi
que se traitent bien les intérêts des États. Autant,sinon plus que tous les autres services publics, la
diplomatie a besoin d'un personnel se recrutant d'une
manière normale, et dont les positions soient assurées
contre les caprices du favoritisme. Ce, qu'il faut pourconstituer une bonne diplomatie, ce ne sont pas deshommes sans cesse nouveaux, mais des esprits à tra-
ditions qui conservent l'histoire de tous les précé-dents, savent comment les gouvernements des diffé-rents pays se sont conduits dans une longue série
d'années, quels sont les secrets mobiles qui les ontfait agir, les actes qu'ils ont eu à concerter, touteschoses indispensables pour l'intelligence des traités etla suite des négociations. Or, c'est la longue carrièredes diplomates qui crée les traditions constantes dansles cabinets ; elle fait qu'une longue succession demesures peut être conçue, qu'une même pensée peutêtre suivie et exécutée avec persévérance. Il en ré-sulte aussi, pour les individus, une capacité studieusepour toutes les transactions, une intelligence profondedes affaires ; la position politique qu'on s'est proposéecomme un but d'ambition, devient le sujet des médita-tions de toute une existence (1). Voilà pourquoi, par la
(1) On n'a plus d'idée aujourd'hui, en France, de ces vieilles
LA CARRIERE DIPLOMATIQUE 39
perpétuité de leur système et la carrière généralementlongue de leurs hommes d'État, les grandes monar-chies européennes ont, à cet égard, un incontestable
avantage sur les gouvernements libres et orageux. On
opposera peut-être l'exemple de l'Angleterre, où lesfonctionnaires publics tombent avec les ministres quiles ont. nommés. L'argument n'estpas décisif. L'Angle-terre corrige l'instabilité des hommes par la stabiïitédes partis. On est whig ou l'on est tory. En naissant,on est destiné à. suivre l'une ou l'autre de ces deuxécoles politiques. Les universités de Cambridge etd'Oxford reçoivent dans leur sein une double généra-tion d'élèves s'appliquant aux idées spéciales qui divi-sent, les deux nuances parlementaires ; on marchenettement dans la carrière qu'on s'est faite ; en sortantdes bancs universitaires on suit, au Parlement, la lignepour laquelle on a été élevé. Si l'on est tory et que les
torys aient le pouvoir, on entre dans les emplois, etl'on n'en sort plus qu'avec son parti. Si l'on est whiget que les whigs tiennent le ministère, il en est de
même ; tout est fixé, réglé dans la hiérarchie. Par cela
carrières diplomatiques, de ces études de toute une vie, de cesexistences presque nomades, passant de capitale en capitale,telles qu'on en trouve des tracés dans les papiers du présidentJeannin, ou dans les négociations du règne de Louis XIV. Le
département des affaires étrangères, sous la vieille monarchiefrançaise, se composait de premiers commis de longue expé-rience, qui, après avoir négocié tous les traités, venaient s'abri-ter dans les bureaux et y apportaient la science pratique. Ils sa-vaient l'histoire de tous les cabinets, la carrière de tous les hom-mes d'État, la force et la faiblesse de tous. Gérard de Rayneval aété l'un des derniers débris de l'école des traditions ; l'école del'érudition et de la science historique s'est éteinte avec le comtéd'Hauterive. Sous l'ancien régime, en France, la diplomatie for-mait comme une véritable théorie d'art qu'on cultivait avec ap-plication, ainsi que cela se fait encore en Autriche, en Angle-terre, en Prusse, en Italie, en Russie. Il y a, dans ces pays, des
plans qu'on exécute avec lenteur, mais qu'on développe d'unemanière inflexible. En France, tout cela est aujourd'hui dédai-
gné. Il y a toujours des agents diplomatiques, mais y a-t-ilencore des diplomates ?
40 LA CARRIÈRE DIPLOMATIQUE
seul qu'on sait d'où l'on vient, on sait également où
l'on va (1).Cet exemple de l'Angleterre ne doit donc infirmer en
rien la proposition essentiellement vraie que les emplois
diplomatiques constituent une carrière, etque la
car-
rière diplomatique exige une préparation spéciale :
« La diplomatie, dit M. Deffaudis, est un métier comme
un autre, qui s'apprend avec du travail et du temps,
auquel tout le monde n'est pas apte et que personne
n'a le don de deviner par intuition. Outre la science
qui est dans les livres et qu'on pourrait à la rigueur
acquérir en dehors de la carrière, il y à la connaissance
des formes, des usages, des hommes diplomatiques,
qui ne saurait se puiser que dans la pratique, connais-
sance sans laquelle il est à peu près impossible de
réussir à. quoi que ce soit. Il existe, de plus, chez le
corps diplomatique considéré dans son universalité,sans distinction de pays ni de nation, une sorte d'es-
prit de franc-maçonnerie qui fait que la confiance si
utile au succès des affaires ne naît, prompte et intime,
qu'entre les membres qui le composent. Un homme
d'un esprit ordinaire, par exemple, mais appartenantau métier, qui arrivera dans une résidence diplomati-
que en même temps qu'un autre homme doué d'un
esprit éminent, mais qui jusqu'alors était étranger àla carrière, apprendra plus de choses intéressantes
pour la politique de son pays, en un mois, que son'illustre compétiteur n'en saura peut-être dans le coursd'une année... » (2).
M. Guizot a exprimé à peu près la même pensée :«
Les diplomates de profession. — a-t-il dit, — for-ment, dans la société européenne, une société à part,qui a ses maximes, ses moeurs, ses lumières, sesdésirs propres, et qui conserve, au milieu des dis-sentiments ou même des conflits des États qu'elle
(1) Voir la biographie du comte de Nesselrode dans l'ou-vrage de M. Capefigue intitulé : Les diplomates européens,t. 1er. p. 341.
(2) Questions diplomatiques, etc., par Deffaudis.
LA CARRIÈRE DIPLOMATIQUE 41
représente, une tranquille et permanente unité. Les
intérêts des nations sont-là en présence, mais non
leurs préjugés ou leurs passions du moment; et il peutarriver que l'intérêt général de la grande société
européenne soit, dans ce petit monde diplomatique,assez clairement reconnu et assez fortement senti
pour triompher de toutes les dissidences, et faire
sincèrement poursuivre le succès d'une même politi-
que par des hommes qui ont longtemps soutenu des
politiques très-diverses, mais ne se sont jamaisbrouillés entre eux, et ont presque toujours vécu
ensemble, dans la même atmosphère et au même
niveau de l'horizon » (1).
(1) Guizot, Mémoires pour servir à l'histoire de mon temps,édition de Michel Lévy, 1874, ch. XIII, t. n., p. 266.
CHAPITRE II.
Point de départ des questions relatives au cérémonial pu-
blic. — L'égalité des États. — Règles à déduiredu droit
primitif d'égalité naturelle des États. — Restrictions du
principe de l'égalité. — Questions comprises dans le
cérémonial politique. — Questions comprises dans le
cérémonial personnel des souverains. — Questions
comprises dans le cérémonial d'ambassade. — Hon-
neurs royaux. — Titres et dignités.— Reconnaissance
des titres et dignités. — Le titre d'empereur.—La dignité
impériale. — Le titre de roi. —La dignité royale. — Ti-
tres et dignités de grand-duc, électeur, duc, prince, mar-
grave, landgrave, hospodar, sultan, pape, czar. — Qua-lifications honorifiques. — Titres religieux portés parcertains chefs d'États. — Titres de prétention. — Titresde mémoire. — Titres pompeux. — Traitement des chefsd'États entre eux.
Point de départ des questions relatives au cérémonial
public. — L'égalité des États.
Le cérémonial public, est défini l'ensemble desformes introduites dans les relations des chefs d'Étatsou de leurs représentants (1). Le point de départ desquestions qui se présentent, dans cette matière est leprincipe de l' égalité des États.
L'égalité des États est un effet de leur indépen-dance (2) : c'est le droit en vertu duquel chaque État
(1) Voir plus haut, p. 4.(2) Klüber, ouvrage et édition cités, § 89, p. 132, 133.
L' EGALITE DES ETATS 43
souverain peut exiger qu'un autre État ne s'arroge,dans leurs rapports mutuels, des droits plus étendus
que ceux dont il jouit lui-même, et ne s'affranchissed'aucune des obligations imposées à tous. Tous lesÉtats sont égaux entre eux, — dit Bluntschli, —
parce
qu'ils sont des personnes. Ils participent tous au droit
international et ont droit à ce que leur existence soit
respectée. L'égalité entre eux est la même que celle
entre les citoyens. Les différences d'étendue, de puis-
sance, de rang, ne modifient pas cette égalité, car elle
consiste dans le fait de reconnaître aux États la qualitéde personnes juridiques, et dans l'application des
principes du droit international à tous sans distinc-
tion (1). Lors donc qu'on dit qu'il y a égalité entre les
États, on exprime la pensée qu'indépendamment de la
diversité du territoire, de la population, des forces,de la religion, de la constitution, de l'ancienneté du
gouvernement établi, tous les États ont un même droit
d'entreprendre ce qui est compatible avec l'indépen-dance des autres, et que, absolument parlant, aucun
n'est en droit de les forcer à un acte positif quelconqueen sa faveur (2).
(1) Bluntschli, Le droit international codifié, n° 81, éditionde 1874, p. 94.
(2) G. F. de Martens, Précis du droit des gens moderne del'Europe, annoté par M. Ch. Vergé, § 123, édition de 1864, t. Ier,p. 337. « Tous les États, dit Klüber, jouissant d'une personnalitémorale et libre, chacun d'entre eux peut prétendre à tous lesdroits qui dérivent de cette personnalité ; leurs droits sont parconséquent égaux. Les rapports naturels étant partout les mê-
mes, et par conséquent essentiels, cette égalité ne peut être alté-rée par des qualités ou attributions accidentelles d'un État, telles
que son ancienneté, sa population, l'étendue de son territoire, sa
puissance militaire, la forme de sa constitution, le titre de son
souverain, l'état de la civilisation sous toutes ses formes, la con-sidération dont il jouit, etc...» (Klüber, ouvrage et édition cités,§ 89, p. 132, 133.) La même idée est présentée par le même au-teur d'une manière saisissante : « De même qu'il n'existe pointdans l'état de nature d'esclaves parmi les particuliers, de mêmeil ne saurait y en avoir parmi les États souverains. » (Ibid.,note a.) En somme, par l'égalité des nations on entend que
44 L'ÉGALITÉ DES ÉTATS
C'est dans le cérémonial, c'est-à-dire dans les for-
malités que les États observent entre eux, dans les
égards qu'ils se doivent, dans les signes extérieurs de
la manière dont ils comprennent leurs devoirs et leurs
droits, que l'égalité des États a particulièrement l'oc-
casion de se manifester.
Règles à déduire du droit primitif d'égalité
naturelle des États.
De ce droit primitif d'égalité naturelle il y a les
règles suivantes à déduire :
1° Chaque État a droit au respect de sa personnalitémorale et juridique ; chaque État a un droit générald'être respecté dans son honneur ;
2° Une nation, quelque puissante qu'elle puisse être,n'est pas en droit d'exiger de l'autre des démonstra-
trations positives d'honneur, et encore moins des pré-férences ;
3° Chaque État est autorisé à considérer comme
lésion des démonstrations positives de mépris et des
actes contraires à son honneur ;4° Bien que chaque nation soit en droit d'accorder à
son chef les titres et autres distinctions honorifiques
qu'elle juge être convenables, cela ne suffit pas, d'a-
près la loi naturelle, pour obliger les nations étran-
gères à les lui accorder de même : elles peuvent les
admettre, les rejeter ou les accorder conditionnelle-ment.
Restrictions du principe de l'égalité.
Si rien ne peut altérer l'égalité naturelle des États,ces derniers peuvent toutefois renoncer volontaire-
les droits de chacune doivent être respectés autant que ceux detoute autre, sans distinction de celles qui sont puissantes ou decelles qui n'occupent qu'un rang secondaire sur la carte despeuples. (Voir, au second volume de l'édition du Droit des gensde Vattel annotée par Pradier-Fodéré, la note 1., p. 2, éditde 1863).
L' EGALITE DES ETATS 45
ment aux droits résultant de leur égalité primitive (1).On comprend en effet que le désir de conserver oud'établir des liens d'amitié avec telle nation, et le voeud'obtenir d'elle les mêmes complaisances, aient parudes motifs assez plausibles pour amener, sur certains
points, à cette renonciation volontaire. Assurément la
nation la plus puissante n'a, par exemple, aucun droit
absolu de préséance sur la plus faible ; mais beau-
coup de considérations peuvent déterminer celle-ci
à ne pas refuser à celle-là une place d'honneur qued'ailleurs elle ne pourrait pas empêcher les tierces na-
tions de lui accorder. C'est ainsi que le désir et le
besoin d'entretenir et de resserrer les liens entre les
Etats a donné lieu à diverses démonstrations d'é-
gards, d'amitié, de bienveillance, et qu'il s'est établi
dans les États policés une foule de points relatifs à la
dignité, au rang, à d'autres marques honorifiques au
profit des États, de leurs chefs et de leurs représen-tants. Mais, de nos jours, ces distinctions ont bien
vieilli ; elles tendent même de plus en plus à s'ef-
facer sous le souffle démocratique et égalitaire de
l'esprit moderne. Toutefois, comme elles n'ont pas
disparu complétement encore, il convient de ne pointles passer sous silence.
Les démonstrations de bienveillance, d'amitié, d'é-
gards, les points relatifs aux marques honorifiques,au rang, à la dignité, sont précisément compris dans
ce qu'on nomme le cérémonial : ce ne sont pas autre
chose que des restrictions du principe de l'égalité.Pour mettre quelque ordre dans cette matière, on
peut examiner les questions qui s'y rattachent dans
l'ordre suivant :
(1) L'égalité naturelle des États souverains peut être modifiée
par un contrat positif ou par un consentement supposé fondésur l'usage, de manière à donner à un État une supériorité surd'autres pour ce qui regarde certains objets particuliers, tels quele rang, les titres et autres distinctions relatives au cérémonial.
(Wheaton, Éléments de droit international, édit. de 1838,t. Ier. p. 150).
46 QUESTIONS COMPRISES DANS LE CÉRÉMONIAL PUBLIC
1° Celles qui sont relatives au cérémonial politique.
2° Celles concernant le cérémonial des cours ou
cabinets, nommé aussi le cérémonial personnel des
souverains, ou cérémonial étranger.
3° Les questions qui se rapportent au cérémonial
diplomatique ou d'ambassade et au cérémonial de
chancellerie.
Ces différentes espèces de cérémonial font partie;
on l'a vu, du cérémonial public.
1 °Questions comprises dans le cérémonial
politique.
Le cérémonial politique comprend les détails re-
latifs à ce qu'on désigne communément sous le nom
d'honneurs royaux, aux titres et dignités, au rang,à la préséance entre les Etats.
2° Questions comprises dans le cérémonial des coursou cabinets, appelé aussi cérémonial personnel des
souverains, ou cérémonial étranger.
Le cérémonial des cours ou cabinets, ou céré-
monial personnel des souverains et chefs d'États,embrasse tout ce qui concerne leur correspondanceofficielle, par exemple : les notifications d'événements
politiques, telles que les notifications d'avènement au
trône ou d'élection comme président de République ;les notifications d'établissement de régence, d'abdica-
tion, de réunion d'un État à une couronne ou à une
république étrangère, de reconnaissance d'un État,etc. ; les notifications d'événements de famille, tellesque les notifications de naissances, de mariages, dedécès. On range aussi dans le cérémonial person-nel tout ce qui regarde les mariages, les baptêmes,les ordres de chevalerie, la réception des princesétrangers ou autres chefs d'États en voyage, les com-pliments à leur faire à leur passage, etc. Une par-tie de ce cérémonial est aussi comprise, comme il a
HONNEURS ROYAUX 47
été dit déjà, sous la dénomination de cérémonial par-ticulier des cours ou cabinets, et d'étiquette des États.
3° Questions comprises dans le cérémonial diplomati-
que ou d'ambassade.
Dans le cérémonial diplomatique ou d'ambassade (1)se placent les questions relatives: à la réception des
employés diplomatiques de chaque classe :. au titre
d'excellence ; au rang des ministres entre eux en heu
tiers ; au rang des ministres entre eux dans leur pro-
pre hôtel : aux rapports de rang entre les ministres
et des tierces-personnes ; à l'étiquette, surtout par
rapport aux audiences ; aux distinctions dues aux em-
ployés diplomatiques dans les solennités publiques ;aux visites de cérémonie, etc.
Honneurs royaux.
L'expression honneurs royaux désigne une distinc-
tion surannée du droit diplomatique, mais elle ne doit
pas éveiller une idée monarchique, car les honneurs
dont il est question sont des prérogatives dont les ré-
publiques peuvent jouir. Ainsi, autrefois, la républiquedes Provinces-Unies des Pays-Bas et la république de
Venise jouissaient des honneurs royaux. Aujourd'huila Confédération Suisse, la Confédération des États-Unis d'Amérique en jouissent incontestablement et
personne ne refusera les honneurs royaux à la Répu-
blique française, pas plus qu'on ne les eût refusés à
l'Angleterre, sous le protectorat de Cromwell.
On appelle honneurs royaux des honneurs conven-
tionnels considérés traditionnellement comme les plus
distingués qui puissent, être rendus à un Etat. On peutles définir encore des prérogatives d'honneur sur
d'autres États souverains, que la courtoisie interna-
(1) Il sera dit plus loin que le cérémonial d'ambassade peutêtre encore désigné de différentes autres manières, par exemple :Cérémonial des ministres publics.
48 HONNEURS ROYAUX
tionale a fait accorder à certains États. Le qualificatif
de royaux vient de ce que, dans les relations politi-
ques de l'Europe, les rois ont toujours joui, dans le
passé, d'un degré de considération supérieur et dé
prérogatives honorifiques éminentes, vis-à-vis de tous
les autres chefs d'États non revêtus de la dignité
royale, mais il vient d'être dit que ces prérogatives
peuvent être attribuées aussi à certaines grandes ré-
publiques, et de nos jours, d'ailleurs, le prestige de lacouronne ne fascine plus autant l'opinion.
Tous les États souverains — dans la doctrine tra-
ditionnelle — ne jouissant pas de ce qu'on appellehonneurs royaux, il s'en est suivi une division des
États en deux classes, sans égard à la différence de
leur constitution ou de la forme de leur gouverne-ment : les États auxquels les honneurs royaux ap-
partiennent , et ceux d'un rang inférieur , qui sont
dépourvus de ces honneurs
Tous les empires, tous les royaumes, le pape, lés
grands-duchés allemands, la Confédération suisse, les
États-Unis d'Amérique jouissent, dit-on, des honneurs
royaux.Certains auteurs ne disent pas honneurs royaux,
mais rang royal. Les mots sont différents, mais l'idée
qu'ils expriment est la même. En principe les hon-neurs royaux, ou le rang royal, sont attribués auxÉtats qui embrassent un ou plusieurs peuples sur desterritoires déterminés, et dont l'étendue et l'impor-tance pour les relations internationales sont estimées"suffisantes ; car, s'il est vrai que chaque État ait droitau respect de sa personnalité morale et juridique, en
fait,le rang qu'une Puissance prend dans le concert desÉtats, n'est pas la conséquence de sa personnalité,mais un effet de son influence matérielle et morale (1).Les usages internationaux ont donc fait jusqu'à pré-sent rentrer dans la catégorie des États jouissant des
(1) Voir Bluntschli, Le droit international codifié, § 83 et84, édition française de 1874, p. 94-95.
TITRES ET DIGNITÉS 49
honneurs royaux, ou ayant rang royal, les Étatsaux chefs desquels le droit des gens accorde letitre d'empereur, de roi, les républiques d'étendueet d'importance analogues et les grands-duchés ac-tuellement existants (1 ), parce que ce sont les États
qui, dans la réalité, exercent l'influence morale etsurtout matérielle la plus marquée.
Les prérogatives attachées ordinairement aux hon-neurs royaux consistent : 1° à donner un rang au-dessus
de tous les États souverains qui n'en jouissent point;2° à conférer l'usage du titre royal, des armes et de lacouronne royales au chef de l'Etat, lorsque la consti-tution politique du pays est monarchique ; 3° à donner
le droit exclusif d'envoyer des ministres publics de la
première classe, c'est-à-dire des ambassadeurs (2).Cette dernière prérogative est incontestée en fait, et
disparaîtra le jour où il n'y aura plus qu'une seule
sorte de représentants diplomatiques ; la seconde,celle relative à l'usage de la couronne, est. insigni-fiante dans notre siècle ; quant à la première, eiïe
se résume dans la question des titres, des digni-
tés, du rang et de la préséance entre les États.
Titres et dignités.
Les mots titres et dignités ne sont pas synonymes. Le
titre, c'est le nom de la dignité ; c'est aussi une quali-fication honorable qu'on prend, c'est-à-dire une qualifi-cation qui fait honneur, qui attire de l'honneur, de la
considération, du respect. La dignité, c'est une fonction,un emploi considérable, ou une distinction éminente.
(1) Bluntschli, ouvrage et édition cités, § 87. Le même auteur
rappelle qu'au moyen-âge les princes électeurs du saint-empireromain d'Allemagne prétendaient au même rang que les roisdes autres nations chrétiennes. Au-dessus des rois et des élec-teurs s'élevaient, l'un à côté de l'autre, d'après la fiction inven-tée par la science du moyen-âge, le pape et l'empereur romain.
(2) Les honneurs royaux confèrent aussi le droit d'user dutitre de « frère » vis-à-vis des autres chefs d'États monarchiquesayant le rang royal, titre qui ne correspond plus aux principessociaux et politiques de la seconde moitié du XIXe siècle.
4
50 RECONNAISSANCE DES TITRES ET DIGNITES
Appliqués aux États, le titre et la dignité dont un
État revêt son chef désignent le rang que cet Etat
occupe parmi les autres.
Les titres désignant la dignité sont variés : il y a,
par exemple, les titres d'empereur et de roi; il y a
'ensuite ceux d'électeurs, de grand-duc, de duc, de
prince, de président, etc. Ces titres correspondent aux
empires, royaumes, électorals, grands-duchés, duchés,
principautés, républiques, etc.
La règle est que chaque État a le droit de prendre
un titre correspondant à son importance et à la position
que sa puissance lui donne ; mais le titre qu'un État
s'attribue, la dignité dont il revêt son chef, ne peuvent
fonder par eux-mêmes aucune prérogative sur les
autres États ou sur leurs chefs : le principe de l'égalité
naturelle des États souverains s'y oppose.
Reconnaissance des titres et dignités.
Aucun État ne peut exiger que les autres Puissances
reconnaissent les titres qu'il s'attribue, le titre et la
dignité dont il décore son chef : c'est une des consé-
quences de l'indépendance des États souverains. Tou-
tefois, comme un titre dont on se pare n'a de valeur
positive qu'autant qu'il est reconnu dans les relations
qu'on a avec l'extérieur, la prise d'un titre doit être
sanctionnée par sa reconnaissance par les autresÉtats ; s'il en était autrement, elle n'aurait pas d'effets
complets. Il faut ajouter, du reste, que le titre dési-
gnant le rang qu'un État possède parmi les autres
Puissances, ne doit pas pouvoir être choisi arbitraire-ment et sans tenir compte de ces dernières. Voilà
pourquoi les chefs d'États, lorsqu'ils prennent un titresupérieur à celui dont ils avaient été qualifiés jusque-là, s'empressent généralement d'en obtenir la recon-naissance de la part des autres Puissances.
Cette reconnaissance ne peut être refusée arbitrai-rement et sans motif, mais il y a des exemples de cas
RECONNAISSANCE DES TITRES ET DIGNITES 51
où elle a été retardée (1). C'est ainsi que le titre de roi
de Prusse pris par Frédéric Ier, en 1701, ne fut d'abord
reconnu que par l'empereur d'Allemagne, et seulement
plus tard par les autres princes de l'Europe. Le pape ne
le reconnut qu'en 1786, sous le règne de Frédéric-Guil-
laume II ; l'Ordre Teutonique ne renonça à ses droits
sur le duché de Prusse qu'en 1792. De même, le titre
impérial que prit le czar Pierre, en 1721, ne fut reconnu
qu'en 1723 par la Prusse, les Provinces-Unies des
Pays-Bas et la Suède ; en 1732 par le Danemark ; for-
mellement, par la Grande-Bretagne, en 1742 ; par
l'empereur d'Allemagne en 1744; par la France en1745 ; par l'Espagne en 1759 ; par la république de
Pologne en 1764.
Il y a des exemples aussi de reconnaissance accor-dée sous condition. Ainsi, lorsque, la France et l'Espa-
gne reconnurent le titre impérial de Russie, elles
prirent la précaution d'exiger l'engagement qu'il ne
résulterait de cette reconnaissance aucune préséance
quelconque au profit de l'empereur de Russie (2).
(1) C'est même ce qui arrive très-souvent. « L'histoire montre,dit Calvo, que lorsqu'un souverain s'attribue un titre ou une di-
gnité d'un ordre supérieur à ceux qui le distinguaient précédem-ment, il est très-rare que les autres États ne refusent pas la re-connaissance immédiate du changement destiné à détruire ou àmodifier l'usage consacré. » (Ouvrage et édition cités, t. Ier, p.387.)
(2) Cet engagement est ordinairement formulé dans ce qu'on ap-pelle des lettres reversales. On désigne ainsi la pièce officielle
par laquelle une cour reconnaît qu'une concession spéciale quilui est faite par une autre cour ne devra préjudicier en rien auxdroits et. prérogatives antérieurs de chacune d'elles. Voici laréversale remise, en 1745, par la cour de Russie au ministre deFrance accrédité auprès d'elle, au sujet du titre impérial du czar.« Sa Majesté le roi de France, par une amitié et une attentiontoutes particulières pour sa Majesté impériale de toutes les Rus-
sies, ayant condescendu à la reconnaissance du titre impérialainsi que d'autres Puissances le lui ont déjà concédé, et voulant
que ledit titre lui soit toujours donné à l'avenir, tant dans son
royaume qu'en dehors dans ses relations avec elle ; sa Majestéimpériale de toutes les Russies a ordonné qu'en vertu de la pré-sente il soit déclaré et assuré, que, comme cette complaisance du
52 RECONNAISSANCE DES TITRES ET DIGNITÉS
L'impératrice Catherine II ayant contesté plus tard
cette condition, la France et l'Espagne protestèrent,
en déclarant qu'elles cesseraient d'accorder le titre
impérial au czar, dès que la Russie introduirait des
nouveautés dans le cérémonial (1).
Au lieu de reconnaître le titre et la dignité sous
condition, on introduit quelquefois dans le traité où la
reconnaissance est stipulée, ou dans l'acte portant re-
connaissance, une clause ou une phrase déclarant que
l'usage ou le non-usage de tels titres déterminés ne
sera d'aucun préjudice. Il y a un exemple d'une
pareille clause dans la paix d'Aix-la-Chapelle de 1748
(acte séparé), et dans un article séparé du traité con-
clu à Teschen, en 1779, entre l'électeur palatin et
l'électeur de Saxe (2).
Enfin, il peut arriver que la reconnaissance soit
refusée. Le titre d'empereur des Français, adopté par
Napoléon Ier en 1804, fut reconnu par l'Europe entière,
excepté par la Grande-Bretagne. Les cinq grandesPuissances européennes ont expressément déclaré au
congrès d'Aix-la-Chapelle, dans la séance du 11 octo-
roi lui est très-agréable, ainsi cette même reconnaissance dutitre impérial ne devra porter aucun préjudice au cérémonialusité entre les deux cours de sa Majesté le roi de France et desa Majesté impériale de toutes les Russies. —Fait à Saint-Péters-bourg, le 16 mars 1743. »— (Signé: Alexis, comte de BESTUCHEFF.— Michel, comte de WORONZOW.)
(l) Martens, Recueil, t. 1, p. 30.
(2) La paix d'Aix-la-Chapelle, de 1748, est le traité qui ter-mina la guerre de la succession d'Autriche ; le traité de Tes-chen, de 1779, mit fin à la guerre de la succession de Bavière,en reconnaissant les droits de la branche palatine. Voici le textedu premier des articles séparés de la paix d'Aix-la-Chapelle :« Quelques-uns des titres employés par les Puissances contrac-tantes, soit dans les pleins-pouvoirs et autres actes, pendant lecours
de la négociation, soit dans le préambule du présent traité,n'étant pas généralement reconnus, il a été convenu qu'il nepourrait jamais en résulter aucun préjudice pour aucune des-diles parties contractantes , et que les titres pris ou omis depart et d'autre, à l'occasion de ladite négociation et du présenttraité, ne pourront être cités ni tirés à conséquence. »
RECONNAISSANCE DES TITRES ET DIGNITÉS 53
bre 1818, qu'elles ne pourraient accéder au voeu del'électeur de Hesse de prendre le titre de roi (1).
Le refus de reconnaissance peut être, d'ailleurs,exprès ou tacite. Ne pas répondre à la demande dereconnaissance, c'est refuser tacitement.
Ce qui précède permet de formuler comme étant desrègles adoptées par le droit international moderne lespoints suivants :
1° Tout État peut attribuer à son chef le titre qu'iïjuge à propos de lui conférer ;
2° Aucun État ne peut exiger que les autres Étatsreconnaissent les titres et dignités dont il revêt sonchef ;
3° Pour avoir des effets complets, la prise d'un titredoit être sanctionnée par la reconnaissance de ce titre
par les autres États ;,
(1) Protocole d'Aix-la-Chapelle, concernant les titres des sou-verains et des membres de leurs familles. Séance du 11 octobre1818 entre les cinq Puissances : « La conférence ayant été infor-mée de l'intention de son altesse royale l'électeur de prendrele titre de roi, et ayant pris connaissance des lettres adresséespar ce prince aux souverains pour obtenir leur consentement àcette démarche ; les ministres des cinq cabinets réunis à Aix-la-Chapelle, prenant en considération que le but de leur réu-nion est celui de consolider l'ordre actuel des choses, et non pasde créer de nouvelles combinaisons; considérant, de plus, quele titre porté par un souverain n'est pas un objet de simple éti-
quette, mais un fait tenant à des rapports essentiels et à d'imporrtantes questions politiques, sont d'avis qu'en leur qualité collectiveils ne sauraient prononcer sur cette demande. Pris séparément,les cabinets déclarent qu'attendu que la demande de S. A. R.l'électeur de Hesse n'est justifiée par aucun motif satisfaisant, il
n'y arien qui puisse les engager à y accéder. Les cabinets pren-nent en même temps l'engagement de ne reconnaître à l'aveniraucun changement, ni dans les titres des souverains, ni dans ceuxdes princes de leurs maisons, sans en être préalablement con-
venus entre eux. Ils maintiennent ce qui a été statué à cet égard
jusqu'ici par des actes formels. Les cinq cabinets appliquent ex-
plicitement cette dernière réserve au titre d'altesse royale, qu'ilsn'admettront désormais que pour les chefs des maisons gran-du-cales, l'électeur de Hesse y compris, et pour leurs héritiers pré-
somptifs. » Signé : Metternich, Richelieu, Castlereagh, Velling-
ton, Hardenberg, Bernstorff, Nesselrode, Capo d'Istria,
54 LE TITRE D'EMPEREUR
4° Il dépend des Puissances étrangères de recon-
naître ce titre, de refuser de le reconnaître, de mettre
des retards dans la reconnaissance, de ne le recon-
naître que conditionnellement.
Le titre d'empereur. — La dignité impériale.
Le titre d'empereur a été considéré, dans le passé,
comme désignant la plus éminente dignité. Il a été
porté par les empereurs romains, par les empereurs
de Byzance, par les empereurs romains-germaniques.
Dans les temps modernes, il a été pris par le czar en
1721 ; à deux reprises différentes par le chef du gou-vernement français, en 1804 et en 1852 ; par le souve-
rain d'Autriche, en 1804 ; d'Allemagne, en 1870 ; parla reine d'Angleterre, pour les Indes, en 1876 (1). Les
(1) Dans son discours du trône, en 1876, le reine d'Angleterres'était exprimée en ces termes : « La cordiale affection avec
laquelle mon fils a été reçu par mes sujets indiens de toutes lesclasses et de toutes les races, m'assure qu'ils sont heureux sousmon gouvernement et loyaux envers mon trône. Au moment oùle gouvernement direct de mon empire indien a été transféré àla couronne, en 1838, lors de la dissolution de la Compagniedes Indes, aucune addition formelle n'a été faite au titre desouverain. J'ai jugé l'occasion opportune pour réparer cetteomission ; un projet de loi vous sera proposé à cet effet. » Leprojet fut proposé, le 17 février 1876, par le premier ministre, quirefusa d'abord de déclarer le titre que la reine avait l'intentionde prendre. Quand, plus tard, il vint déclarer qu'elle avait choisicelui d'impératrice, les principaux membres de l'opposition fi-rent entendre les protestations les plus vives. « Ce mot, dit M.Lowe, a, en Angleterre, une signification odieuse ; il y a pournous cette différence entre un empereur et un roi, que le pre-mier fait la loi, tandis que le second s'y soumet. » Pour apaiserces scrupules et l'agitation qui en était résultée dans le pays,M. d'Israëli assura la Chambre que la reine ne prendait le titred'impératrice que dans l'Inde. A la suite de cette promesse, lebill fut successivement voté par la Chambre des Communes etpar la Chambre des Lords. Les titres de la souveraine furentdéterminés ainsi par ce vote des deux Chambres : « reine duRoyaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, impératricedes Indes, défenseur de la foi...«. Voir, dans l' Annuaire de lé-gislation étrangère de 1877, la notice sur la session de 1876 duparlement anglais, par M. Lebel.
LA DIGNITE IMPERIALE 55
rois d'Angleterre, du reste, s'étaient quelquefois attri-
bué, dans les actes destinés pour l'intérieur du royau-me, le titre d'empereur, par exemple, en 1603, 1604,1727. Dans tous les actes publics, en Angleterre, lacouronne a toujours été qualifiée d' » impérial Crown,»couronne impériale. Les rois de France se sont, aussidonné le titre d'empereurs dams leurs négociationsavec la Porte ottomane et avec les États d'Afrique. LaPorte s'est même engagée, dans le traité de 1740, àleur attribuer ce titre constamment. Le sultan prendégalement le titre d'empereur, comme correspondantà celui de padischah, lequel mot signifie protecteuret roi (1).
Le prestige qui a toujours environné le titre d'em-
pereur tient à des souvenirs et à des préjugés histo-
riques. La prépondérance des anciens empereurs ro-
mains, qui comptaient même des rois parmi leurs
sujets, semble avoir contribué en effet à faire envi-
sager la dignité impériale comme la plus éminente de
toutes. Plus tard, Charlemagne et ses successeurs
ayant été considérés comme les continuateurs des
anciens maîtres du monde, et comme chefs temporelsde la chrétienté, on a été conduit, par tradition, à
leur attribuer des prérogatives qui, sans même se
borner au rang seul, tendaient à une autorité et à une
indépendance plus marquées. C'est pourquoi, dans
le moyen-âge, plusieurs rois, sans prendre le titre
d'empereurs, soutenaient que leur couronne était im-
périale et leur royaume un empire, pour marquerleur indépendance.
De nos jours, où les empereurs romains d'Alle-
magne, qui étaient considérés comme occupant le
premier rang dans la chrétienté, ont cessé d'exister,le titre d'empereur n'a plus aucune supériorité réelle
(1) On sait que le Brésil est un empire, depuis 1822. La mêmeannée, Augustin Iturbide se faisait proclamer empereur du
Mexique ; mais il fut renversé l'année suivante, et le Mexique seconstitua en république fédérative. Le second empire du
Mexique, fondé en 1864, n'eut pas beaucoup plus de durée.
56 LA DIGNITÉ IMPÉRIALE
sur celui de roi Les monarques ne le regardent donc
plus comme étant; à lui seul, une raison suffisante
pour prétendre à une prérogative quelconque.
M. Bluntschli, préoccupé de donner une signification
au titre d'empereur décerné par les princes allemands
au roi de Prusse, pendant la guerre de 1870-1871,
s'efforce de prouver qu'il y a encore à distinguer entre
un empire et un royaume, entre le rang impérial et le
rang royal. Ont rang royal, dit-il, les États qui embras-
sent un seul peuple sur un territoire déterminé, et dont
l'étendue et l'importance pour les relations internatio-
nales sont suffisantes. Il en est de même, suivant l'émi-
nent jurisconsulte prussien, en ce qui touche le rang im-
périal ; mais il n'accorde un rang impérial qu'aux États
dont l'importance, au lieu d'être uniquement nationale,a quelque chose d'universel, embrasse le monde ou au
moins une partie du monde ; aux États qui sont en
quelque sorte des Puissances universelles, ou tout au
moins qui réunissent en eux plusieurs peuples, ou ont
sur plusieurs nations une influence politique détermi-
née. Ce qui distingue, en un mot, d'après M. Bluntschli,un empire, c'est que son autorité s'étend au-delà d'un
peuple déterminé et des limites d'un territoire (1). Cette
dignité impériale allemande s'explique beaucoup plus
simplement et plus historiquement par l'aveuglementdes princes allemands, qui se sont laissé envelopperpar les vastes ailes de l'aigle prussienne, et qui ontsacrifié l'autonomie de leurs États à la trompeusesécurité que leur donne leur rôle de satellites de
l'empereur d'Allemagne (2). La distinction faite parM. Bluntschli n'a aucune portée pratique. Son expres-sion de rang impérial est purement et simplementsynonyme de prépondérance matérielle. Or, cetteprépondérance actuelle de l'Allemagne est une force
(1) Bluntschli, ouvrage et édition cités, §. 85 et 86, p. 95, 96.(2) Voir, dans l'Histoire diplomatique de la guerre franco-
allemande, par Albert Sorel, le chapitre V du second volume,p. 133 et suiv., 140 et suiv., pour comprendre les antécédents etles causes du rétablissement de l'empire allemand
LE TITRE DE ROI 57
que nul ne peut contester, mais il n'était pas nécessaire
de la décorer d'un nom pompeux. Qu'on dise que
l'empire d'Allemagne a une importance considérable,
qu'il se pose en Puissance universelle, cela peut être
l'expression de la vérité du moment, mais cela ne veut
pas dire que son titre d'empire et que la dignité d'em-
pereur dont est revêtu son chef confèrent à ce dernier
une prérogative quelconque sur les autres chefs d'É-
tats jouissant des honneurs royaux. Aucun monarque,aucun président de république jouissant de ces hon-
neurs ne reconnaîtraient cette prérogative. Le titre
d'empereur et la dignité impériale ne sont plus, de
nos jours, qu'un souvenir du passé, conservé par la
vanité des dynasties et des nations.
Le titre de roi. — La dignité royale.
Le titre de roi était généralement considéré comme
le plus éminent après celui d'empereur. La dignité
royale a été autrefois conférée par les anciens empe-reurs romains, et, après eux, par les empereurs
byzantins, par les empereurs romains-germaniques,
par le pape. Cependant, au moyen-âge, et particuliè-rement dans les temps modernes, on a vu des princessouverains s'attribuer de leur chef le titre de roi et se
.couronner eux-mêmes. C'est ainsi qu'en 1701 l'électeur,
de Brandebourg se plaça lui-même la couronne royalesur la tête, en prenant le titre de roi de Prusse. De nos
jours, on ne reconnaît plus aux papes le droit de dispo-ser de la dignité royale ; quant aux empereurs, il vient
d'être dit que la dignité impériale ne leur confère plusaucune prérogative quelconque, aucune souveraineté
sur les autres chefs d'États. Dans le droit public con-
temporain c'est désormais un axiome que ce sont les
peuples seuls qui donnent les couronnes et qui les
retirent (1).
(1) Quel que soit le respect dû a l'indépendance des États,l'histoire offre cependant l'exemple de certaines couronnes in-
terdites à certains princes, pour des raisons d'ordre politique.
58 LA DIGNITE ROYALE
Les ex-rois, c'est-à-dire les rois qui ont perdu leur
trône, continuent-ils de porter le titre de roi? Ce titre
ne leur est pas généralement refusé. Christine, de
Suède, par exemple, au XVIIe siècle ; le prétendant
d'Angleterre, au XVIIIe ; Auguste Ier de Pologne et
Stanislas Lesczinski, au XVIIIe siècle également;Charles IV d'Espagne, Charles X, Louis-Philippe et
Napoléon III, au XIXe siècle, ont conservé le titre de
roi, et Napoléon III celui d'empereur. Mais c'est de la
part des États amis une affaire de courtoisie. Ces rois
dépossédés ou qui ont abdiqué sont ordinairement
reconnus comme rois titulaires. Quelquefois la questionest résolue dans les traités. Ainsi, dans le traité dit de
Fontainebleau, conclu à Paris le 14 avril 1814 entre
l'empereur Napoléon Ier, l'Autriche, la Prusse et la
Russie, l'empereur Napoléon ayant déclaré qu'il renon-
çait pour lui, ses successeurs et descendants, ainsi quepour chacun des membres de sa famille, à tout droitde souveraineté et de domination, tant sur l'empirefrançais et le royaume d'Italie que sur tout autre
pays (1), l'article 2 du traité s'exprimait ainsi : « Leurs
Majestés l'empereur Napoléon et l'impératrice Marie-Louise conserveront ces titres et qualités pour en jouirleur vie durant. La mère, les frères, les soeurs, neveuxet nièces de l'empereur, conserveront également,partout où ils se trouveront, les titres de princes de safamille. »
C'est le principe qu'en 1831 les grandes Puissances ont fait pré-valoir, en Belgique, à l'égard du duc de Nemours, nommé roides
Belges ; qu'en 1862 la France et la Russie ont fait prévaloiren Grèce, à l'égard du prince Albert, élu roi des Hellènes par lesuffrage universel; qu'en 1862 l'Angleterre et la France réuniesont fait prévaloir, à l'égard du duc de Leuchtenberg, candidatrusse au trône de Grèce ; que l'empereur Napoléon III a appliquélui-même spontanément au prince Murat, à l'occasion de sacandidature au trône de Naples, et dont il a renouvelé l'appli-cation, à l'occasion de la candidature du prince de Hohenzollernau trône d'Espagne.
(1) Article Ier du traité dit de Fontainebleau.
TITRE ET DIGNITÉ DE GRAND-DUC, D'ÉLECTEUR 59
Titres et dignités de grand-duc, électeur, duc, prince,
margrave, landgrave, hospodar, sultan, pape, czar.
Le titre de grand-duc a été porté par le prince ré-
gnant de Toscane (1), et l'est encore actuellement par
quelques princes régnants d'Allemagne. Le grand-duché de Toscane s'est fondu dans le royaume d'Italie
proclamé le 14 mars 1861, et reconnu successivement
par la plupart des Puissances. On compte, en Alle-
magne, sept grands duchés : ceux de Bade, de Hesse,de Saxe-Weimar, de Meckembourg-Strélitz, de Meck-
lembourg-Schwérin, d'Oldenbourg et de Luxembourg.Les grands-duchés jouissent des honneurs royaux.
Le titre de grand-duc est aussi donné, en Russie,aux princes du sang.
Le titre d'électeurs de l'empire désignait les princes
d'Allemagne auxquels appartenait autrefois le droit
d'élire les empereurs germaniques. Après l'extinction
de la race carlovingienne en Allemagne, au Xe siècle,
l'empire était en effet devenu électif. Le nombre des
électeurs, d'abord illimité, fut, vers le XIIIe siècle,réduit à sept. La bulle d'or (2) donnée par l'empereurCharles IV, en 1356, confirma ces sept électeurs dans
le droit de nommer l'empereur. Le système des élec-
torats dura jusqu'à la dissolution de l'empire d'Alle-
magne, en 1806 ; on essaya de les rétablir un instant,
en 1814, mais la création de la Confédération germa-
nique les a définitivement abolis. Le prince de Hesse-
Cassel continua toutefois de porter le titre d'électeur,
quoiqu'il n'y eût plus rien à élire. La Hesse-Electo-
(1) Ce titre a été conféré par le pape Pie V à Côme Ier de
Médicis. Le souverain de la Toscane est le premier qui ait portéle titre de grand-duc.
(2) On nomme bulles d'or plusieurs chartes ou contitutions
rendues, au moyen-âge, par divers souverains, le plus souvent
par les empereurs d'Allemagne, et scellées en or. La plus célèbre
est celle de l'empereur Charles IV, pour régler le droit politiquede l'Allemagne, et qui a régi l'empire germanique depuis cette
époque, jusqu'en 1806.
60 TITRE ET DIGNITE DE DUC
rale, ou Hesse-Cassel, est aujourd'hui incorporée à
la Prusse. Les États électoraux d'Allemagne jouis-
saient des honneurs royaux. Les électeurs avaient
même des prétentions à une certaine supériorité sur
les autres princes ne portant pas le titre de roi ; ils ne
voulaient même accorder la préséance à aucun roi titu-
laire.
L'origine du titre de duc remonte aux premiers
temps de l'empire romain (1). Au troisième siècle de
l'ère chrétienne, sous l'empereur Probus, le titre de
dux était porté non-seulement par les généraux d'ar-
mée, mais aussi par les proconsuls et les prêteurs.C'est surtout à partir, de Constantin que ce titre pré-valut. Les ducs étaient alors chefs de l'administration
et de la justice, aussi bien qu'investis du commande-
ment militaire, dans les provinces qui leur étaient con-
fiées. L'invasion des barbares permit à la plupart des
ducs de se rendre indépendants dans leurs gouverne-ments. Ils ont formé des États souverains, mais, ne
jouissant pas des honneurs royaux.Dans l'Europe moderne et contemporaine on a compté
un grand nombre de duchés : en Italie, les duchésde Lucques, de Modène avec Reggio et Mirandole, deMassa avec la principauté de Carrara, de Parme avecPlaisance et Guastalla ; en Allemagne, les duchés
d'Anhalt-Bernbourg, d'Anhalt-Coethen, d'Anhalt-Des-sau, de Brunswick, de Holstein-Glückstadt et Lauen-
bourg, de Nassau, de Saxe-Cobourg, de Saxe-Gotha,de Saxe-Hildburghausen, de Saxe-Meiningeh. Cesduchés ont subi des vicissitudes dans leur histoire :en 1829, le duché de Massa échut au duc de Mo-dène ; en 1849, le duché de Lucques fut réuni auduché de Parme et de Plaisance ; à la suite de laguerre d'Italie, en 1859, la Sardaigne s'annexa succes-sivement les duchés de Parme et de Modène. En Alle-magne, le duché de Holstein a été incorporé à laPrusse. Par l'extinction d'une branche de la maison
(1) Duc vient du mot latin dux, qui signifie général.
TITRE ET DIGNITÉ DE PRINCE 61
d'Anhalt, en 1847, les duchés d'Anhalt ont été réduitsd'abord à deux : les duchés d'Anhalt-Dessau-Coethenet d'Anhalt-Bernbourg ; puis à un seul, par la mortdu duc de Bernbourg, en 1863. Les deux duchésétaient réunis par une constitution commune, datée
des 18 et 31 août 1859. La ligne de Saxe-Gotha s'étant
éteinte en 1825, le duché d'Altenbourg, qui avait été
réuni jusque là au duché de Gotha, fut constitué en
État particulier ; le duché de Hildburghausen fut donné
au duc de Meiningen.Le titre de duc, quand il ne correspond point à
l'exercice du pouvoir suprême dans un État, n'est
qu'un titre nobiliaire (1).Des applications diverses ont été données au titre
de prince, selon les époques. Ce fut d'abord le seul
titre officiel des empereurs romains, qui n'osaient
prendre celui de roi. Le mot latin princeps signifiait
chef, premier. Porté par les empereurs romains, le
titre de princeps n'était sans doute qu'une abréviation
du titre de prince du Sénat, chef du Sénat.
Au point de vue du droit public et historique mo-
derne, on donne le titre de prince aux chefs de cer-
tains petits États qui sont indépendants, ou l'ont été,et qui sont appelés principautés. On peut citer, en
Allemagne, les principautés de Hohenzollern-Hechin-
gen, Hohenzollern-Sigmaringen, Lichenstein, Lippe-
Detmold, Schaumbourg-Lippe, Reuss-Greitz, Reuss-
Schleitz, Reuss-Lobenstein, Reuss-Ebersdoff, Schwarz-
bourg-Rudolstadt, Schwarzbourg-Sonderbausen, Wal-
deck, Hesse-Hombourg ; en Italie, la principauté de
Monaco. Les principautés de Hohenzollern et de Hesse-
Hombourg sont actuellement incorporées à la Prusse ;celles de Reuss sont réduites à deux.
Si les duchés ne jouissent pas des honneurs royaux,à plus forte raison ces honneurs n'appartiennent pointaux principautés.
(1) C'est à partir de Louis XII que le nom de duc n'a plus été,en France, qu'un simple titre honorifique.
62 TITRE ET DIGNITE DE PRINCE
Le titre de prince s'applique également aux chefs
d'États monarchiques, empereurs, rois, grands-ducs,
ou ducs : c'est dans ce sens qu'on dit des princes ré-
gnants. Les princes du sang sont les fils ou parents
du prince régnant. Les princes héréditaires sont les
successeurs présomptifs du trône.
Lorsqu'ils ne portent pas uniquement le titre de
prince impérial ou de prince royal, les princes héré-
ditaires sont désignés, dans quelques États monar-
chiques, par des titres particuliers. En Angleterre,c'est le prince de Galles ; en Espagne, le prince des
Asturies; dans les Pays-Bas, le prince d'Orange; en
Portugal, le prince de Baïra, ou prince royal ; en Bel-
gique, le duc de Brabant ; en Suède, le duc de Scanie ;dans l'ancien royaume des Deux-Siciles, le duc de
Calabre ; dans l'ancien royaume de Sardaigne, le princede Piémont ; en Russie, le Césarévitch ; au Brésil, le
prince du Brésil, ou le prince impérial (l), etc. En France,sous l'ancienne monarchie des Bourbons, le princehéritier de la couronne était désigné sous le nom de
Dauphin. C'est une ordonnance de 1356, qui a statué
que l'apanage du Dauphiné et le titre de Dauphin,cédés, en 1249, aux rois de France par Humbert «auxblanches mains, » appartiendraient désormais au filsaîné du roi. L'empereur Napoléon Ier avait donné à l'hé-ritier de sa couronne le titre de roi de Rome, qu'il nefaut pas confondre avec celui de roi des Romains, queportait autrefois le successeur présomptif de l'empe-reur d'Allemagne. A l'avènement de la branched'Orléans au trône de France, en 1830, le princeroyal héritier de la couronne reçut, par l'ordon-nance royale du 13 août 1830, le titre de duc d'Or-léans (2). En Prusse, le prince de Prusse est l'héritier
(1) En Allemagne, le prince héréditaire porte aujourd'hui letitre de prince impérial de l'empire d'Allemagne, prince royalde Prusse ; en Autriche, il s'appelle le prince héréditaire, archi-duc d'Autriche ; en Danemark, c'est le prince royal ; en Italie,c'est le prince de Naples.
(2) Sous le second empire, l'héritier présomptif du trône deNapoléon III portait le titre de prince impérial.
TITRE ET DIGNITÉ DE MARGRAVE, LANDGRAVE, ETC. 63
présomptif de la couronne, lorsqu'il n'existe pas d'hé-
ritier direct, du souverain. En Autriche, tous les mem-
bres de la famille impériale sont qualifiés archiducs et
archiduchesses; en Russie, ils sont qualifiés grands-ducs et grandes-duchesses. En Espagne et en Portu-
gal, ils sont qualifiés infants et infantes, en les dési-
gnant entre eux par leurs prénoms.On a quelquefois appelé princes sujets, les prin-
ces qui gouvernent les États dépendants ou mi-
souverains. Enfin, le titre de prince est. aussi portécomme titre nobiliaire, sans territoire et sans autorité
réelle.
Le titre de margrave (1) était donné autrefois par les
empereurs allemands aux seigneurs qu'ils chargaientde la défense des frontières. Plusieurs princes d'Alle-
magne ont. conservé ce titre, parce que leurs princi-
pautés étaient, primitivement des provinces frontières.
Au XIIe siècle, la dignité des margraves devint héré-
ditaire ; bientôt après ils furent créés princes immédiats
de l'empire. On compte, dans les temps contempo-
rains, quatre margraviats : celui de Brandebourg, au
roi de Prusse ; celui de Misnie, au roi de Saxe ; celui
de Bade, au grand-duc de Bade ; celui de Moravie, à
l'empereur d'Autriche. Ce sont des titres purement
honorifiques. On ne les retrouve plus aujourd'hui
que dans les grands titres des souverains.
Dans l'origine, les landgraves (2) étaient des comtes
qui rendaient la justice au nom de l'empereur d'Alle-
magne. Ce nom a été pris ensuite par des princessouverains d'Allemagne. C'est au XIIe siècle, en 1130,
que Louis III, possesseur de la Thuringe, se décora le
premier du titre de landgrave, comme synonyme de
souverain. De nos jours, il n'y a eu guère que les
princes de la maison de Hesse qui aient conservé ce
titre.
(1) De l'allemand marck, qui veut dire marche, frontière, et
graff, qui signifie comte.
(2) De l'allemand land, qui signifie terre, pays, et graff, comte.
64 TITRE ET DIGNITE D'HOSPODAR
Rappelons qu'après l'établissement de la Confédéra-
tion du Rhin, conclue le 26 septembre 1805, et dont
l'empereur Napoléon Ier fut, par l'acte fédératif, nommé
protecteur, plusieurs membres de cette Confédération
prirent de nouveaux titres : les électeurs de Bavière,de Saxe, de Wurtemberg, celui de roi ; le margrave
de Bade et le landgrave de Hesse-Darmstadt, celui de
grand-duc ; le prince de Nassau, celui de duc. Ces titres
ne furent d'abord reconnus que par quelques-unes
des Puissances de l'Europe ; ils le furent plus tard
généralement par les Puissances signataires du traité
de Paris du 30 mai 1814, et par l'acte du congrès de
Vienne, en 1815, auxquels accédèrent tous les souve-
rains de l'Europe.Le nom d'hospodar (1) a désigné, depuis le XIIIe
siècle, les princes régnants de Valachie et de Moldavie.Les hospodars relevaient d'abord de la Hongrie, maisils ne tardèrent pas à tomber sous la dépendance desTurcs. Ils étaient encore, jusqu'au traité de Berlin de
1878, sinon vassaux, du moins tributaires des Turcs,mais le titre d'hospodar avait cessé d'être employé :on lui a substitué, dans le style officiel, celui de princedes Principautés-Unies, puis celui de prince de Rou-manie.
Les droits des Principautés-Unies, aujourd'hui Rou-
manie, vis-à-vis de la Porte ottomane, ont été déter-minés dans les traités de paix de Kainardji, de 1774,de Jassy, du 9 janvier 1792, de Bucharest, de 1812,d'Ackermann, des 27 septembrè-7 octobre 1826, d'An-drinople, des 2-14 septembre 1829, de Balta-Liman, en1849. Ces traités établissaient le protectorat russe surces principautés. Ce protectorat a été remplacé, à lasuite de la guerre de Crimée, par le protectorat collectifdes cinq grandes Puissances et de la Sardaigne, par letraité de Paris du 30 mars 1856, et par la convention
(1) Ce nom vient, suivant les uns, de deux mots slaves quisignifient maître d'une terre ; suivant les autres, ce serait undérivé par corruption du mot grec despotès, seigneur, maître
TITRE ET DIGNITE DE SULTAN, DE PAPE 65
signée à Paris entre les mêmes Puissances, le 19 août1858, pour l'organisation de la Moldavie et de la Vala-
chie, constituées alors sous le titre de Principautés-Unies de Moldavie et de Valachie, et réunies en un seulÉtat tributaire de la Porte, en 1861. Les défaites essuyéespar la Turquie dans la dernière guerre entre cettePuissance et la Poissie, ont eu nécessairement pourconséquence de modifier encore la condition politiquede ces principautés, qui sont devenues indépendantes,depuis le traité de Berlin.
Les Principautés-Unies ne jouissaient pas, d'aprèsleur organisation de 1858 et de 1861, des honneurs
royaux; sans être absolument un État souverain, elles
possédaient toutefois une certaine autonomie, très-
voisine de l'entière souveraineté.
Le titre de sultan (1) est celui que portaient, aux Xe,XIe, XIIe et XIIIe siècles, les lieutenants des cali-
fes, et, en général, ceux qui affectaient l'indépen-dance, comme, par exemple, les chefs seldjouci-des de Bagdad, de Konieh, d'Alep, de Damas. C'est
aujourd'hui la dénomination principale et commune du
monarque des Ottomans ; cependant, il s'intitule, dans
les actes officiels, l'empereur des Ottomans, et non
le sultan. L'empereur des Ottomans ou sultan a
le titre de padischah, qui signifie protecteur et roi :
chef suprême des croyants, il est protecteur, pad ;
homme, il est roi, schah. La Porte est le nom par
lequel on désigne communément l'empire des Otto-
mans.
Quelques étymologistes veulent trouver l'origine de
ce mot dans les habitudes de la période de la conquête.
D'après eux, les musulmans, sans cesse en guerre,rivaient, au milieu des camps, sous les tentes ; la tente
du sultan, dressée en face du territoire à conquérir, la
porte tournée vers l'ennemi, regardait l'issue princi-
(1) Des mots arabes selatat, puissant, ou salatha, dominer.Les femmes, les soeurs et les filles du sultan sont dites sultanes.La mère du sultan régnant est appelée Sultane Validé.
66 TITRE ET DIGNITÉ DE CZAR
pale du camp : c'était la sublime porte. Cette dénomi-
nation s'est, on le voit, conservée jusqu'à nos jours.
On nomme aussi Sublime Porte le local où sont établis
le grand-vizir, le ministre des affaires étrangères, le
grand conseil et quelques autres administrations.
La Porte ottomane a été admise par le traité du 30
mars 1856 à participer aux avantages du droit public
et du concert européens.Le pape (1), qu'on désigne également par le nom de
souverain pontife, est le chef visible de l'Église catholi-
que. Il a été, de plus, depuis le VIIIe siècle jusqu'au20 septembre 1870, le chef temporel des États de
l'Église, États souverains jouissant des honneurs
royaux. Les troupes italiennes étant entrées à Romele 20 septembre 1870, et la population des États
romains s'étant prononcée, le 2 octobre suivant, pourl'annexion au royaume d'Italie, la capitale de l'Italie
fut transférée à Rome, où les représentants de tous
les États ont suivi le gouvernement italien, La loi des
garanties, votée par le parlement italien en 1871, a
reconnu au pape, dépossédé de son pouvoir tempo-rel, l'inviolabilité accordée par le droit public aux
souverains, et lui a garanti l'exercice entier de sonautorité spirituelle. Elle lui a assuré la possessiondu palais du Vatican et du Latran, avec les dépendan-ces, et une dotation annuelle de trois millions deuxcent cinquante cinq mille francs. Plusieurs Étatsde l'Europe ont continué d'accréditer des envoyésdiplomatiques auprès du souverain pontife. Le papePie IX a protesté contre l'absorption des États ponti-ficaux par le royaume d'Italie et contre la loi dèsgaranties.
Le titre de czar ou tsar, est celui que porte l'empe-reur de Russie, qui, d'ailleurs, dans les documents
(1) Le nom de pape vient du grec pappas, qui signifie père,aïeul. Il se donnait autrefois à tous les évoques ; ce n'est quedepuis le
XIe siècle, sous Grégoire VII, qu'il a été appliquéexclusivement au souverain pontife.
QUALIFICATIONS HONORIFIQUES 67
officiels, prend plus particulièrement le titre d'empe-reur de toutes les Russies (1). Ce mot dérivé peut êtredu nom de César. Le premier qui prit le nom de czarfut. Ivan IV, en 1547, après avoir secoué le joug desTartares.
Ce fut en 1721 que Pierre-le-Grand changea le titrede czar en celui d'empereur (2).
Qualifications honorifiques.
Différentes qualifications honorifiques surannées, et
qui disparaîtront à leur, tour, lorsqu'on sera bien
convaincu que les chefs d'États ne sont que les
premiers, serviteurs des nations, seules souveraines,
accompagnent les titres d'empereur, de roi, de grand-duc jouissant des honneurs royaux, de duc et princesouverain ne jouissant pas de ces honneurs, de sultan,de pape.
Ainsi, par exemple, quand le titre impérial ou royald'un chef d'État est reconnu par les autres Puissances,on accorde à ce chef la qualification de majesté. On
dit: votre majesté, sa majesté, etc. Cette qualificationde majesté ne s'appliquait, autrefois, qu'aux empereurs
exclusivement.Depuis la fin du XVe siècle, tous les rois
l'ont reçue successivement, non-seulement de la partdes souverains inférieurs, mais aussi de la part des
empereurs et des rois (3). On donne de la majestémême aux ex-rois.
(1) Et d'autocrate.
(2) Voir plus haut, p. 47.
(3) Les rois, autrefois, recevaient la qualification d'altesse et de
sérénité. A la fin du XVe siècle, les rois de France se donnè-
rent les premiers la majesté ; au XVIe siècle, plusieurs rois
suivirent cet exemple : le Danemark, sous le règne du roi Jean ;
l'Espagne, sous Charles Ier ; l'Angleterre, sous Henri VIII ; le Por-
tugal, en 1378. Successivement, tous les rois adoptèrent cette mê-
me qualification, soit chez eux, soit dans leurs relations avec les
Puissances étrangères, et l'exigèrent de l'empereur d'Allemagne.Mais ce ne fut qu'à la paix de Westphalie (1648), que l'empereur
68 QUALIFICATIONS HONORIFIQUES
Pour les empereurs, on dit : sire, et votre majesté
impériale;" pour les rois: sire, et votremajesté ; pour
les empereurs qui sont en même temps rois, comme
l'empereur d'Autriche, qui est aussi roi de Hongrie, on
dit : sire, et votre majesté impériale et royale.
La qualification d'altesse royale est appliquée aux
grands-ducs, auxquels la tradition féodale attribue
encore les honneurs royaux, ainsi qu'aux princes et
princesses du sang royal. On qualifie d'altesses impé-
riales les princes et princesses du sang impérial (1).On appelle altesse sérénissime les ducs et princes
souverains, mais qui ne jouissent pas des honneurs
royaux.
On qualifie simplement d'altesse, sans épithète, les
princes et princesses descendant des grands-ducs,ainsi que quelques-uns des princes' et princesses issus-
d'une maison actuellement royale, mais non descendant
eux-mêmes d'un roi. Ces règles sont consacrées plus ou
moins par l'usage, mais, quoiqu'elles soient encore
observées par l'Europe monarchique, quoiqu'il y ait
intérêt pour les diplomates à les connaître, afin de ne
point s'en écarter, elles sont incompatibles avec l'es-
prit démocratique de notre époque. La majesté n'ap-partient qu'à la nation : le temps des altesses impé-riales, royales et sérénissimes est passé sans retour.
d'Allemagne accorda la majesté aux rois de France ; il l'accorda-bientôt après à plusieurs autres rois. Depuis, l'empereur Char-les VII la concéda à tous les rois, sans distinction. Voir Le Guidediplomatique, édit. de 1866, t. II, p. 25.
(1) Ces titres se donnent aux impératrices, aux reines et àtoutes les autres princesses, selon le sang dont elles sont issues,ou selon la dignité de leurs époux, avec la simple appellationde « Madame ». Le baron Ch. de Martens fait observer que,lorsqu'une princesse à laquelle la qualification d'altesse impérialeou royale est due par sa naissance, épouse un prince à qui ce titren'appartient point, elle continue de le porter ; mais que, ce seulcas excepté, les princesses portent les titres et dénominationsdu prmce leur époux, à moins qu'il ne soit dérogé à la règle parconvention. (Ouvrage et édition cités, t. II, p. 26.)
TITRES RELIGIEUX 69
L'empereur des Ottomans est souvent qualifié de
hautesse, mais l'usage a prévalu de dire : sa ma-
jesté. C'est ainsi qu'il a reçu la qualification de ma-
jesté impériale dans les traités conclus en 1854 et1856 entre les grandes Puissances, au sujet des affairesd'Orient. On dit du pape : sa sainteté ; en s'adres-sant à lui : votre sainteté, ou votre béatitude, très-saint Père.
Les républiques ne reçoivent aujourd'hui aucunede ces distinctions. On disait autrefois : la Républiquesérénissime de Venise ; on dit maintenant, par exem-
ple : la République française, la République des États-
Unis d'Amérique (1), la République du Pérou, sans
qualificatifs. On donne cependant l'excellence, par cour-
toisie, au président de la République française, mais
pas ofiiciellement ; on ne la donne pas non plus au
président de la Confédération suisse. Il n'y a pas de
pratique uniforme quant au président des États-Unis
d'Amérique. En France, par exemple, on lui donne
l'excellence, et on ne la lui donne pas en Belgique, sur
la demande même du ministre des États-Unis à Bru-
xelles. L'excellence est donnée aux présidents des
républiques de Bolivie, Chili, Costa-Rica, de l'Equateur,de Guatémala, Haïti, La Plata ou Confédération argenti-
ne, Libéria, Paraguay, Pérou, Orientale de l'Uruguay,des États-Unis de Vénézuela, des États-Unis de Co-
lombie, des États de Honduras, de Nicaragua, de San-
Salvador, etc. (2).
Titres religieux portés par certains chefs d'États.
Certaines têtes couronnées jouissent de titres reli-
gieux reconnus par les autres États, et qui leur sont
(1) On dit souvent : les États-Unis de l'Amérique du Nord, oude l'Amérique septentrionale ; c'est à tort : on doit dire seule-ment les États-Unis d'Amérique. Les autres États du continentaméricain ont une dénomination qui les caractérise particuliè-rement.
(2) Dans la république des Pays-Bas, les États-Généraux
étaient honorés de la qualification de « Vos Hautes Puissances.
70 TITRES DE PRÉTENTION ET DE MÉMOIRE
attribués, soit en vertu d'un ancien usage, soit en vertu
de certaines concessions papales, mais qui n'ont plus,
de nos jours, aucune signification. Ainsi, les rois de
France s'appelaient rois très-chrétiens ; depuis 1469,
le roi d'Espagne s'est appelé : roi catholique, majesté
catholique; depuis 1748, le roi de Portugal porte le
titre de roi très-fidèle; depuis 1521, le roi d'Angle-
terre a été qualifié de défenseur de la foi. Les anciens
empereurs romains-germaniques étaient appelés tou-
jours augustes ; depuis 1758, la qualification de roi
apostolique était donnée au roi de Hongrie. Le 14
novembre 1868, l'empereur d'Autriche a introduit quel-
ques modifications dans son titre ; on le désigne ainsi :
l'empereur d'Autriche, roi de Bohême, etc., etc., et
roi apostolique de Hongrie. Par abréviation, on dit
aussi : l'empereur d'Autriche et roi apostolique de
Hongrie, et sa majesté l'empereur et roi, ou sa majesté
impériale et royale apostolique (1).
Titres de prétention.— Titres de mémoire.
Les titres de prétention et les titres de mémoire,comme le mot l'indique, sont des titres dont l'objetest de maintenir des droits contestés, ou de conserver
(1) Le titre de roi très-chrétien ou de majesté très-chrè-tienne, a été donné au roi de France comme fils aîné ou pre-mier-né de l'Eglise catholique romaine. C'est le pape AlexandreVI qui donna le titre de roi catholique ou majesté catholi-que aux rois d'Espagne, pour récompenser Ferdinand d'Ara-gon d'avoir expulsé les Maures de la péninsule ibérique. Le titrede défenseur de la foi a été donné par le pape Léon X auroi d'Angleterre Henri VIII, qui avait écrit un ouvrage contre ladoctrine de Luther, et les souverains protestants de l'Angleterreont continué, depuis, de le porter. Quant au titre de roi très-fidèle, il a été conféré aux rois de Portugal en récompense dudévouement qu'avait montré le roi Jean V à la cour de Rome.L'empereur d'Autriche et la reine d'Angleterre sont les seuls quifassent eux-mêmes usage de ces épithètès dans leur titre ; lesautres souverains se contentent de les faire donner par lesPuissances étrangères. (Voir Ch. de Martens, Le Guide diplo-matique, édition citée, t. II, p. 18, 19.)
TITRES DE PRÉTENTION ET DE MÉMOIRE 71
le souvenir de possessions perdues auxquelles on ne
prétend plus. C'est ainsi que le roi d'Angleterre a
longtemps mis dans son titre celui de roi de France ;c'est ainsi que les rois de France s'appelaient rois deFrance et de Navarre, et que le roi de Sardaigne,aujourd'hui roi d'Italie, s'est intitulé roi de Clrypreet de Jérusalem, etc. L'usage de ces qualificationss'efface de plus en plus (1).
Les auteurs du Précis du droit des gens remar-
quent avec justesse que les conflits à propos des titresdes souverains avaient leur raison d'être, lorsque, parsuite de la confusion qui existait entre l'Etat et la per-sonne du souverain, ces titres avaient une valeurréelle : il n'était pas indifférent que le roi d'Angleterre
(1) On distingue la grand titre, le titre moyen et le petittitre.
Le grand titre embrasse tous les titres de possessions réelleset ceux de possessions fictices. Par exemple : « Nous, par la grâcede Dieu, roi de Sardaigne, de Chypre et de Jérusalem ; duc deSavoie, de Gênes, de Monferrat, d'Aoste, du Chablais, du Gêne-vois et de Plaisance ; prince de Piémont et d'Oneille ; marquisd'Italie, de Saluces, d'Ivrée, de Suze, de Cève, du Maro, d'Oris-tan, de Cézane et de Savone ; comte de Maurienne, de Genève,de Nice, de Tende, de Romont, d'Asti, d'Alexandrie, de Gociano,de Novare, de Tortone, de Vigevano et de Bobbio ; baron deVaud et du Faucigny ; seigneur de Verceil et de Pignerol, de laTarentaise, de la Lomellme et du Val Sesia, etc., etc »
Le titre moyen, adopté pour faciliter l'expédition des piècesde chancellerie, comprend quelques titres de possession réelle:
roi, grand-duc, prince, margrave, etc.Le petit titre, employé pour les affaires ordinaires, et le plus
usité, parce qu'il joint à l'avantage de la briéveté celui de n'en-traîner aucune difficulté diplomatique, est le titre même de la
dignité suprême sous lequel chaque souverain est habituelle-ment désigné.
L'usage des titres de prétention et des titres de mémoire
ayant souvent troublé la paix entre les États, et plus fréquem-ment encore fait échouer des négociations, pour lever toute dif-ficulté et tout embarras on a imaginé d'introduire dans lestraités un article séparé, par lequel on se prémunissait récipro-quement contre toutes conséquences à tirer des titres employésde part et d'autre. (Voir Le Guide diplomatique, ouvrage et édi-tion cités, t. II, p. 15.)
72 TITRES POMPEUX
prît le titre de roi de France, lorsqu'il était en mesure
et se croyait en droit de réunir sur sa tête lés deux
couronnes. Lorsque les États s'accroissent par voie
d'héritage, un titre équivaut à une prétention, et c'est
faire un acte de politique que de le prendre ou de
l'abandonner. Sous ce rapport, les moeurs et les cou-
tumes se sont tellement modifiées, les relations entre
les souverains et les États qu'ils gouvernent sont con-
çues d'une manière si différente de la conception qu'onen avait autrefois, que des conflits de ce genre devien-nent de plus en plus rares; à mesure que les titres per-dent de leur importance, les contestations de titres dimi-
nuent. Il y a une tendance générale à ne considérer
que les faits. Le grand nombre des souverains qui,
depuis le commencement de ce siècle, ont été dépos-sédés de leur souveraineté par la révolution ou parla conquête, la facilité avec laquelle d'autres souve-rains ont pris leur place, ont singulièrement contribuéà affaiblir l'importance abstraite des titres et des qua-lifications. (1).
Titres pompeux.
On peut désigner par l'expression de titres pom-peux, lès titres pris, ou plutôt reçus, par certains chefsd'États républicains, et qui, attribués par la reconnais-sance publique pour des services rendus, rappellent,dans un style épique, les événements à l'occasion des-
quels ils ont été obtenus. Ainsi, tandis que Bolivar
s'appelait tout simplement le libérateur,. Santa-Cruzs'intitulait le grand citoyen, restaurateur et présidentde Bolivie, pacificateur du Pérou, suprême protec-teur des États Sud et Nord Péruviens, etc.. Gamarraportait le titre de grand citoyen, restaurateur duPérou, bien méritant de la patrie, au degré héroïque
et éminent,etc. Le général Mariano Melgarejo, prési-
(1) Précis du droit des gens, par Th. Funck-Brentano et AlbertSorel, p. 30.
TRAITEMENT DES CHEFS D'ÉTATS ENTRE EUX 73
dent de Bolivie, en 1870, était qualifié de bien méritantde la patrie, en grade héroïque et èminent, grand ci-
toyen de Bolivie, conservateur de l'ordre et de la
paix publique, etc.
On ht dans la Gazette officielle du Vénézula, unacte relatif à la nomination d'un « chargé de la pré-sidence » de la République, pendant l'absence du
général Francisco Linares Alcantara, qui se séparaittemporairement de l'exercice du pouvoir. Ce généraly est mentionné avec le titre de grand démocrate, pré-sident de la République. L'élection a eu lieu par leconseil des ministres, et il est dit dans l'acte que lerésultat de cette élection sera communiqué au granddémocrate. (Voir le journal officiel du Pérou, El Pe-
ruano., du jeudi 5 septembre 1878.)C'est ainsi que la république et que la démocratie ne
sont pas beaucoup au-dessous de la monarchie et de
l'aristocratie, sous le rapport de la vanité des quali-ficatifs (1).
Traitement des chefs d'Etats entre eux.
Les chefs d'Etats, dans leurs relations et particu-lièrement dans leur correspondance, s'honorent réci-
proquement de titres de parenté ou d'amitié. Ainsi, les
empereurs et impératrices, les rois et reines, les
grands-ducs régnants, s'appellent monsieur mon
frère et madame ma soeur (2). Quand ils sont en même
(1) Les présidents de la République du Pérou usent aujour-d'hui d'un formulaire plus simple et plus grave. Ils se bornent àénoncer leur nom et à écrire dessous : président de la Répu-blique, ou président constitutionnel de la République. Cepen-dant, par décret du 22. mai 1880, le dictateur actuel, M. de Pié-
rola, a déclaré unir à son titre de Chef suprême de la République,celui de Protecteur de la race indigène.
(2) L'étiquette ne permet pas aux souverains qui ne jouissentpoint des honneurs royaux, de donner aux rois les titres defrère et de soeur. Ils leur donnent celui de cousin, qu'ils accom-
pagnent ordinairement de quelques termes respectueux, et plussouvent encore celui de sire, bien que le souverain auquel ces
74 TRAITEMENT DES CHEFS D'ÉTATS ENTRE EUX.
temps parents les uns des autres, ils ajoutent le titre
de parenté. Ainsi, par exemple, le roi des Belges écri-
vant à la reine d'Angleterre, l'appelle : madame ma
soeur et cousine ; il disait à l'empereur Maximilien :
monsieur mon frère et très-cher beau-frère ; il écrit à
l'empereur de Russie : monsieur mon frère ; au duc
régnant de Saxe-Cobourg Gotha : monsieur mon frère
et cousin ; à l'empereur des Ottomans il dit : très-cher
et parfait ami ; à l'empereur de toute la Perse : notre
cher et parfait ami; au président des États-Unis d'Améri-
que et autres présidents des républiques américaines :
très-cher et grand ami. Ce sont les formules habituel-
lement employées par lés têtes couronnées entre elles,et dans leurs rapports avec les chefs d'États républi-
cains (1). Quant aux présidents de républiques s'adres-
sant aux chefs d'États monarchiques, ils se bornent,en général, à donner de la majesté, de l'altesse royale,de l'altesse sérénissime, suivant les cas, en se signantle très-cher et grand ami, ou le bon ami, ou le sincère
princes ont à écrire, ne se serve, à leur égard, que du titre decousin.
En France, le titre de cousin était donné par le roi aux ducset aux maréchaux de France. (Voir Ch. de Martens, Le Guide di-plomatique, édition citée, t. II, p. 17.)
(1) Dans le but d'éviter les honneurs qui seraient rendus àleur dignité souveraine, les monarques voyagent quelquefois àl'étranger sous un titre et un nom d'emprunt. Ce secret de con-vention est rarement ignoré, mais, bien que connu, on respectel'incognito. Le baron Ch. de Martens rappelle que l'empereurNapoléon Ier, revenant de Russie avec le due de Vicence, arrivaà Varsovie sous le nom de M. de Rayneval. Le roi de Prusse,Frédéric-Guillaume III, prenait, hors de ses États, le titre et le nomde comte de Ruppin ; l'empereur Joseph II vint en France, en
1777,comme comte de Falkenstein. Pendant le voyage qu'il fit
en Sicile, en 1845, l'empereur Nicolas portait les titre et nom degénéral Romanow ; le prince royal de Wurtemberg voyageait, àcette même époque, sous le nom de comte de Teck. L'incognitoa encore un autre avantage : par cette dissimulation du rangsous un nom d'emprunt on supprime même, selon les conve-nances mutuelles, toutes cérémonies d'apparat, et par consé-quent, en s'affranchissant des exigences du cérémonial, onévite des dépenses plus ou moins considérables.
TRAITEMENT DES CHEFS D'ÉTATS ENTRE EUX 75
ami. et en commençant la lettre par ces qualifica-tions qui n'engagent à rien.
Ces détails, qui sont évidemment des anachronismes
en présence de l'esprit contemporain, conduisent aux
questions de rang et de préséance entre les États et
entre les chefs d'États.
CHAPITRE III.
Le rang. — La préséance. — Fondement du rang et de la
préséance. — Point de vue du droit naturel. — L'égalité
juridique et l'inégalité sociale. — Comment se règle la
hiérarchie entre les nations. — Argument tiré de l'an-
cienneté de la conversion à la religion, chrétienne ; des
relations de protection, de fief ou de cens ; de la haute
dignité des vassaux appartenant à l'État. — Argumenttiré d'une culture intellectuelle et morale plus avancée. —
Argument tiré de l'ancienneté de l'indépendance des
États. — Argument tiré de l'ancienneté de la famille ré-
gnante. — Argument tiré de la forme du gouvernement.— Argument tiré du titre du chef du gouvernement. —
Argument tiré du chiffre de la population. — Quelle est la
Vraie base d'appréciation? — Existe-t-il, entre les États,une règle générale pour déterminer le rang des États et
de leurs chefs ? — Le règlement du pape Jules II. — Ten-.tative du congrès de Vienne. —Importance des questionsrelatives au rang et à la préséance. — Incident du comted'Estrade et du baron de Vatteville, en 1661. — Affairedu comte de Merle et de lord Kinnoul, en 1760. — Unefîère parole de Siéyès. — Pratique moderne, quant au
rang et à la préséance. — Rang des têtes couronnées etdes autres chefs d'États monarchiques. — Rang des ré-
publiques. — L'égalité du rang des États peut être modi-fiée. — Le changement dans la forme du gouvernementn'influe pas nécessairement sur le rang. — Ordre à suivredans les rangs. — I. Rencontres personnelles. — Visitesdes chefs d'États. - Rang qu'on y observe. — II. Ordredes places dans les écrits : 1° quand le rang est déterminéentre États de rangs inégaux ; 2° quand le rang n'est pas.déterminé, ou que les États intéressés sont d'un rang égalreconnu. — L'article 7 du règlement du 19 mars 1815, sur
LE RANG ET LA PRESEANCE 77
le rang des agents diplomatiques. —Moyens de prévenirles disputes de préséance dans les rencontres person-nelles.
Le rang.— La préséance.
Le RANG est la place qui convient à chaque personne,à chaque chose.
La PRÉSÉANCE est la préférence dans l'ordre et dans
le rang à suivre, lorsque plusieurs États, dans leursrelations extérieures, viennent à se rencontrer; c'est,en d'autres termes, la primauté de rang, le droit d'oc-
cuper la première place, c'est-à-dire la place qui, entre
plusieurs, est considérée comme la plus honorable.
Les questions de préséance se présentent ordinaire-
ment dans les entrevues personnelles des chefs d'États
Ou des ministres accrédités par eux, dans les visites
solennelles, dans les occasions des cérémonies, dans
les actes publics de tout genre, mais surtout dans le
corps et dans la signature des traités internationaux.
Fondement du rang et de la préséance.
L'observation des préséances repose quelquefois,mais rarement, sur les traités. Les Puissances qui se
sont engagées par cette voie sont alors obligées pourle présent et pour l'avenir, car les conventions légale-ment formées sont la loi des sociétés politiques com-
me elles le sont des particuliers : les Puissances ne
pourraient donc s'écarter sans injure du traité con-
clu par elles. A défaut de conventions, ce qui est le
plus fréquent, on doit se conformer, pour les pré-
séances, à ce qui est établi par un usage généralement
reçu (l).
(1) Pradier-Fodéré, Précis de droit politique et d'économie
78. LE RANG ET LA PRÉSÉANCE
Point de vue du droit naturel.
Ce n'est donc que par des conventions expresses
ou tacites, que la préférence dans l'ordre et dans le
rang à suivre entre plusieurs États peut être établie ;
car, au point de vue du droit naturel, toute place doit
être envisagée comme la première, ou mieux, il n'y a
entre les États souverains aucune place supérieure, ni
inférieure, aucune place distinguée ou place d'hon-
neur. Toute nation en effet, comme le dit Vattel, tout
État souverain et indépendant, mérite de la considéra-
tion et du respect, parce qu'il figure immédiatement
dans la grande société du genre humain, qu'il est indé-
pendant de tout pouvoir sur la terre, et qu'il est un
assemblage d'un grand nombre d'hommes.... La na-
ture a établi une parfaite égalité de droits entre les
nations indépendantes ; aucune, par conséquent, ne
peut naturellement prétendre de prérogative. Tout ce
que la qualité de nation libre et souveraine donne à
l'une, elle le donne aussi à l'autre. Puisque la pré-séance ou la primauté de rang est une prérogative,aucun souverain ne peut donc se l'attribuer naturelle-
ment et de droit (1).
sociale, p. 112 et suiv. — Vattel, Le droit des gens, etc„ éditionde 1863, note de Pradier-Fodéré, t. II, p. 4. — Dans la courte
période de 1814 à 1821, cinq grandes assemblées diplomatiques,les congrès de Vienne, d'Aix-la-Chapelle, de Troppau, de Vé-rone et de Laybach, ont fourni l'occasion de résoudre des com-pétitions de préséance. Les débats qu'ont soulevé ces compéti-tions, ainsi- que les détails de pure étiquette, ont été générale-ment réglés au moment même de l'ouverture de ces congrès, etnon pendant le cours de leurs travaux. Les règles convention-nelles qui en sont sorties sont devenues obligatoires pour tousles États qui les ont établies ou acceptées. Elles ont été, de plus,imposées, autant que les circonstances le permettaient, et par laforce des choses, aux Puissances secondaires dont le concourset l'assentiment préalables n'avaient pas été réclamés.
(1) Voir Le droit des gens de Vattel, édition annotée parPradier-Fodéré, (1863) t. II, p. 1 et 2.
ÉGALITÉ ET INÉGALITÉ 79
L'égalité juridique et l'inégalité sociale.
Cependant, entre les nations comme entre les par-ticuliers, l'égalité juridique ne correspond pas tou-
jours à l'égalité sociale. Tous les États sont naturelle-ment et juridiquement égaux au point de vue du droit
absolu, mais tous ne sont pas également puissants, in-
fluents par leurs idées, prépondérants par leur civilisa-
tion, redoutables par leurs forces matérielles. En vain
les métaphysiciens disserteront sur l'égalité absolue des
États, au point de vue du droit naturel, on sera tou-
jours obligé de reconnaître, dans la réalité des choses,une inégalité entre l'empire de toutes les Russies, par
exemple, et le Portugal ou telle république de l'Amé-
rique espagnole. Chaque nation, dit Pasquale Fiore,a une manière spéciale de tendre à la fin générale, et
se développe suivant son aptitude particulière, sui-
vant son caractère, suivant la puissance et les besoins
qu'elle se crée ; de cette différence de fonctions, de
mission, d'aptitude, de tendances particulières à cha-
que peuple, naissent les différences entre les diverses
nations. Ces inégalités sociales des nations sont une
conséquence de la personnalité et de la liberté ; on ne
pourrait les supprimer sans détruire leur liberté : de
sorte que l'inégalité de fait repose sur une loi natu-
relle aussi bien que l'égalité juridique (1). L'inégalitéde fait existant à côté de l'égalité de droit, comme un
État puissant et vaste est beaucoup plus considérable
dans la société universelle qu'un petit État, il est rai-
sonnable que celui-ci lui cède, dans les occasions où
il faut que' l'un cède à l'autre, dans les assemblées,
par exemple, et lui témoigne ces déférences de purcérémonial qui n'ôtent point au fond l'égalité, et ne
marquent qu'une priorité d'ordre, une première place
(1) Pasquale Fiore, Nouveau droit international public, etc.,..traduit de l'italien en français, et annoté, par Pradier-Fodéré,t. Ier, p. 277, 278.
80 LA HIÉRARCHIE ENTRE NATIONS
entre égaux. Observons, d'ailleurs, que c'est la fai-
blesse manifeste de quelques États, l'ambition et les
forces de quelques autres qui ont amené les diffé-
rences dans le rang. Mais la préséance hiérarchique
entre les nations, les distinctions honorifiques qu'elles
s'accordent, n'enlèvent rien à leur égalité de droit;
elles ne signifient autre chose qu'un témoignage de
considération, une prééminence d'honneur, toutes les
fois que les nations sont représentées par le moyende leurs mandataires, comme, par exemple, dans un
congrès, lors de la signature d'un traité ou dans d'au-
tres circonstances semblables. Comme, dans ces cas,les représentants des diverses nations doivent prendreun rang, l'ordre de préséance se règle suivant la di-
gnité et l'importance de la nation représentée.
Comment se règle la hiérarchie entre les nations.
Cette importance, cette dignité, d'après quoi les.
mesurera-t-on ? Comment réglera-t-on la hiérarchieentre les nations ?
On a imaginé et proposé différents arguments pour
prétendre la préséance. On s'est tour à tour fondé surl'ancienneté de la conversion à la religion chrétienne ;sur une culture intellectuelle et morale plus avancée ;
sur des relations de protection, de fief ou de cens ; surla haute dignité des vassaux appartenant à l'État ; surl'ancienneté de l'indépendance des États ; sur l'ancien-neté de la famille régnante ; sur la forme du gouver-nement ; sur le titre du chef du gouvernement ; sur lecliiffre de la population, etc.
Argument tiré de l'ancienneté de la conversion à la
religion chrétienne ; des relations de protection, defief ou de cens ; de la haute dignité des vassaux
appartenant à l'État.
Parmi ces arguments, il en est qui ne sont plus denotre époque, et qui n'ont plus à être discutés: ce
LA HIERARCHIE ENTRE NATIONS 81
sont les arguments tirés de l'ancienneté de la con-
version à la religion chrétienne ; des relations de pro-tection, de fief ou de cens ; de la haute dignité des
vassaux appartenant à l'État. Ils pouvaient avoir de la
valeur au moyen-âge, dans les temps de la féodalité,où les grands vassaux rendaient l'hommage au suze-
rain, dans ces époques de foi naïve où l'autel dominait
le trône ; les reproduire de nos jours, serait se tromper
d'époque.
Argument tiré d'une culture intellectuelle et morale
plus avancée.
L'argument tiré d'une culture intellectuelle et mo-
rale plus avancée est séduisant. Il a trouvé son déve-
loppement dans une lettre éloquente de Aictor Hugo à
M. le pasteur Bost, de Genève. « Il n'y a pas de petit
peuple, écrivait, le 17 novembre 1862, l'illustre poèteà ce pasteur suisse ; la grandeur d'un peuple ne se
mesure pas plus au nombre que la grandeur d'un hom-
me ne se mesure à la taille. L'unique mesure, c'est la
quantité d'intelligence et la quantité de vertu. Qui
donne un grand exemple est grand. Les petites na-
tions seront les grandes nations, le jour où, à côté des
peuples forts en nombre et vastes en territoires, quis'obstinent dans les fanatismes et les préjugés, dans
la haine, dans la guerre, dans l'esclavage et dans la
mort, elles pratiqueront doucement et fièrement la
fraternité, abhorreront le glaive, anéantiront l'écha-
faud, glorifieront le progrès. » Tout cela est admira-
ble dans la bouche d'un poète, tout cela est même
juste dans le raisonnement d'un penseur, mais c'est
une utopie dangereuse dans la réalité des faits. Assu-
rément, la quantité d'intelligence et de vertu est une
bonne mesure de grandeur, mais de grandeur morale et
non de grandeur matérielle, et quand on dit qu'il y a
des petits peuples, on a en vue la puissance effective.
Tout le génie, tout l'éclat, toute la civilisation. d'A-
thènes et toute l'éloquence de Démosthènes, n'ont pas6
82 LA HIÉRARCHIE ENTRE NATIONS
empêché la ville de Cécrops d'être vaincue par la Ma-
cédoine.
Argument tiré de l'ancienneté de l'indépendance
des États.
L'argument tiré de l'ancienneté de l'indépendancedes États pour prétendre la préséance serait bon, si
l'histoire ne nous apprenait pas qu'il n'y a pas un peu-
ple qui n'ait passé plusieurs fois par l'alternative de la
liberté et de l'assujettissement ou de la conquête. Il
faudrait, d'ailleurs, pour que cet argument eût toute
sa valeur, que les Etats fussent tous à peu près égauxde fait, car, autrement, en prenant pour point de dé-
part du réglement de la préséance l'ancienneté de
l'indépendance, on pourrait arriver à donner le pas à
un État d'un ordre très-inférieur sur un État de premierordre par son étendue et par sa force : ce qui serait le
renversement de toutes les idées.
Argument tiré de l'ancienneté de la famille régnante.
L'argument tiré de l'ancienneté de la famille ré-
gnante a l'inconvénient de ne pouvoir s'appliquer toutau plus qu'aux gouvernements absolus. Il serait eneffet très-contraire au droit constitutionnel, dans les
gouvernements représentatifs, que le rang des nations
dépendît de celui des monarques. De plus, s'appuyersur cet argument serait ouvrir la porte aux disputessur la généalogie, disputes ordinairement très-difficilesà terminer par une solution équitable, puisque les
points de généalogie sont la plupart du temps très-obscurs. Enfin, où et comment classerait-on les répu-bliques ?
Argument tiré de la forme du gouvernement.
Ceux qui invoquent l'argument tiré de la forme dugouvernement sont, préoccupés de l'idée que les mo-
LA HIERARCHIE ENTRE NATIONS 83
narchies doivent avoir le premier rang, et prendre le
pas sur les républiques. Ainsi donc, d'après eux,une monarchie,quelque restreint que soit son territoire,devrait avoir toujours le pas sur toutes les républi-
ques. Mais, pour être logiques, puisque c'est dans la
grande extension du pouvoir que ces esprits vont cher-
cher la raison de la préséance, ils sont rigoureuse-ment conduits à déclarer que le monarque absolu
devra avoir le pas sur tous les monarques constitu-
tionnels, et que les gouvernements despotiques, dont
les pouvoirs sont encore plus illimités, doivent avoir la
préséance sur les autres gouvernements : conclusions
toutes plus absurdes les unes que les autres.
Argument tiré du titre du chef du gouvernement.
L'argument tiré du titre du chef du gouvernementne tranche la difficulté que relativement aux chefs d'É-
tats portant différents titres ; et encore des questionstrès-délicates s'élèvent-elles, lorsqu'on sort des deux
titres d'empereur et de roi, car, pour tous les autres,une foule de circonstances viennent en compliquer la
qualification dans chaque, cas particulier. Mais cet in-
convénient n'existerait pas, que le principe serait en-
core très-vicieux, ne fût-ce que par la liberté que cha-
que nation a de décorer le chef de son gouvernementdu titre qui lui plaira.
Argument tiré du chiffre de la population.
C'est Pinheiro-Ferreira qui a particulièrement assi-
gné la préséance à la puissance d'une nation, qui a fait
dépendre de la richesse cette puissance, et qui a rat-
taché cette richesse au chiffre de la population. Voici
comment il raisonne. On peut avancer, dit-il, sans
risquer d'être contredit, que la nation la plus riche est
la plus puissante. Or, parmi tous les éléments de
richesse nationale, le plus important est incontestable-
ment la force de la population. C'est aussi le caractère
84 LA HIÉRARCHIE ENTRE NATIONS
le plus certain de la puissance. Il l'est tellement,
qu'en règle il dispense de prendre aucun des autres
en considération ; car l'histoire des peuples montre
qu'à chaque époque les nations les plus populeuses
ont été les plus influentes, ou que, si, pendant quel-
que temps, elles n'exerçaient pas une influencepropor-
tionnelle à leur force numérique, cela tenait à des
circonstances tellement subalternes, que, du moment
où elles ont été écartées, la nation a bien vite repris
l'ascendant auquel la force de sa population lui don-
nait droit. Au contraire, des nations qui, faibles en po-
pulation, avaient pu atteindre un haut degré d'impor-
tance, moyennant un sage développement des autres
éléments d'une haute civilisation, ont vu disparaîtrecette force factice sur laquelle reposait leur prospé-
rité, du moment où elles ont eu à lutter contre,-une
nation plus populeuse, quoique moins civilisée. Ainsi,sans négliger de mettre en ligne de compte les divers
éléments de civilisation, puisqu'ils sont aussi ceux
d'une véritable force, on doit placer en première lignela force de la population, alors même que la civilisa-
tion n'y serait pas portée au même degré. Entre na-
tions à peu près égales en population, nul doute
que celle-là sera plus puissante qui sera en même
temps plus avancée en civilisation. Nul doute, encore
que, lorsqu'une nation moins populeuse qu'une autre
l'emporte beaucoup sur elle en civilisation, cette forcefactice peut l'élever au même rang ou la rendre même
supérieure à la première ; mais, si celle-ci continue àmaintenir sa supériorité en population, la seule mar-che des événements généraux finira, tôt ou tard, parrenverser les rôles et par faire prendre à la nation
plus populeuse le rang que la première condition de
force, sa population, lui avait garanti (1).Pinheiro-Ferreira conclut donc que c'est d'après la
population des États, chose toujours facile à détermi-
(1) Voir ce raisonnement de Pinheiro-Ferreira dans l'éditiondu Droit des gens de Vattel, annotée par Pradier-Fodéré t. II,p. 3 et 4.
LA HIÉRARCHIE ENTRE NATIONS 85
ner avec l'exactitude nécessaire au but dont il s'agit,que le rang des Puissances peut et doit être fixé. Il
remarque que c'est à cela que le bon sens général detous les peuples s'est toujours arrêté, lorsqu'on a,dans des cas particuliers, établi d'un commun accord
quelque chose de fixe à cet égard. Il considère avecraison d'ailleurs, que ce principe une fois adopté sup-prime la prétention absurde de placer au-dessous desÉtats monarchiques les plus insignifiants les États répu-blicains, quel que soit le degré de force, de prospéritéet de grandeur auquel ils peuvent être parvenus.
Quelle est la vraie base d'appréciation.
De tous ces systèmes, celui qui satisfait le plusl'esprit est le système qui fonde la hiérarchie des
États sur une culture intellectuelle et morale plus avan-
cée ; mais il est indispensable de ne pas dédaignernon plus le chiffre de la population. On peut composer
ainsi, par la combinaison de ces deux points de vue,un système mixte qu'on formulera de la manière sui-
vante : la civilisation, les richesses, une grande éten-
due d'un territoire avantageusement partagé des dons
de la nature, et une population considérable, telles
sont les qualités qui constituent réellement la supério-rité entre les nations. C'est donc là qu'il faut chercher
la raison de la différence de leur rang.
Existe-t-il entre les États une règle générale pour dé-
terminer le rang des États et de leurs chefs ?
Les États européens ne se sont jamais accordés sur
un statut général concernant le rang. La question de
préséance entre les souverains a pu être l'objet, à
diverses époques, de conventions particulières entre
quelques États : ainsi, par exemple, par l'article 28 du
traité de paix de Tilsitt, en 1807, entre la France et la
Russie, il fut stipulé que le cérémonial des deux cours
entre elles et leurs envoyés respectifs, serait établi sur
86 LA HIÉRARCHIE ENTRE NATIONS
le pied d'une réciprocité et d'une égalité parfaites ;mais
ces conventions ne sont intervenues qu'entre quelques
Puissances, et il n'existe point de convention générale,
à cet égard: d'où la conséquence que l'égalité de
rang entre les têtes couronnées a prévalu en prin-
cipe (1).Autrefois les conciles, où tant de chefs d'Etats pa-
raissaient en personne ou par leurs représentants,
offraient un vaste champ aux disputes sur la pré-
séance, et fournissaient aux papes le prétexte de s'en
mêler et de donner des réglements de préséance qui
étaient ordinairement basés sur l'état de possession,tel qu'il existait dans les conciles (2). Mais l'autorité
(1) Voir Le Guide diplomatique, t.Ier, p. 202, 203.
(2) Entre autres nombreux exemples de disputes de préséancenées au milieu des conciles, on peut citer le conflit élevé, auconcile de Trente, entre les ambassadeurs de la France et ceuxde Ferdinand d'Autriche. Depuis un temps immémorial, dansles protocoles officiels, il avait toujours été établi que l'ambassa-deur de l'empereur marchait le premier; après lui venait le re-
présentant du roi très-chrétien, puis celui dé sa majesté catho-
lique ; etc. Telle était la règle de la préséance diplomatiqueinternationale, et pourtant, comme en cette matière la posses-sion valait titre, chaque ambassadeur s'efforçait de rappeler, oude faire naître un précédent qui lui donnât le pas sur le repré-sentant d'une Puissance rivale de sa patrie. Pour sauvegarderson rang, la France s'appuyait sur l'onction sacrée que rece-vaient jadis ses souverains, ainsi que ceux de Jérusalem et
d'Angleterre. En l'absence du roi de Jérusalem et en raison de ladissidence de la Grande-Bretagne, la préséance devait donc appar-tenir à la France. Lorsque les ambassadeurs français arrivèrentà Trente, cinq sessions avaient déjà eu lieu ; ils ne prétendirentdonc point disputer le pas aux représentants de l'empereurd'Allemagne qui avaient assisté à la première phase du concile,mais ils voulaient se placer à côté de ceux de Ferdinand d'Au-triche. L'archevêque de Madère prenant alors la parole, soutintque ce rang appartenait uniquement à la qualité de roi des Ro-mains, titre vain que venait d'obtenir le frère de Charles-Quint,et que la preuve de cette affirmation se trouvait dans des comp-tes-rendus des séances du concile de Latran, où la Francen'avait pas même songé à réclamer le droit de marcher avantles ambassadeurs de Maximilien. Les représentants de la Francefirent observer qu'une notable différence séparait Maximilien deFerdinand ; que le premier portait efficacement le titre de roi
LE RÈGLEMENT DU PAPE JULES II 87
de ces règlements était très-souvent méconnue,même dans la chapelle du pape, et la possession
qui leur servait de base étant fréquemment contestée,il en résultait une multitude de disputes de préséancequi ne se vidaient pas toujours pacifiquement.
Le règlement du pape Jules II.
En 1504, le pape Jules II donna un règlement où les
rangs entre les États étaient fixés de la manière sui-
vante : 1° l'empereur d'Allemagne ; 2° le roi des Ro-
mains (héritier désigné de l'empire) ; 3° le roi de
France ; 4° le roi d'Espagne ; 5° le roi d'Aragon ; 6° le
roi de Portugal ; 7° le roi d'Angleterre ; 8° le roi de
Sicile ; 9° le roi d'Ecosse ; 10° le roi de Hongrie ; 11° le
roi de Navarre ; 12° le roi de Chypre ; 13° le roi de
Bohême ; 14° le roi de Pologne ; 15° le roi de Dane-
mark ; 16° la République de Venise; 17° la LigueSuisse ; 18° le duc de Bretagne ; 19° le duc de Bourgo-
des Romains, jusqu'à ce que la couronne impériale lui eût étéconférée à Rome, tandis que, chez Ferdinand, il n'était plusqu'un souvenir dont la seule prérogative était de lui assignerun droit éventuel à la succession de l'empire. Cette argumenta-tion, soutenue avec beaucoup de fermeté, fut soumise aux Pèresdu concile, et l'évèque d'Agde, Claude de la Guiche, communi-
qua aux légats une déclaration des ambassadeurs de France,portant que, si justice ne leur était pas faite, Os avaient ordre de
quitter Trente et de retourner dans leur pays. Les délégués deFerdinand soutenaient que puisque leur souverain, s'il eût as-sisté au concile, eût occupé une place à part qui ne lui eût
point été contestée, le même droit devait être accordé à ceux
qui le représentaient devant cette assemblée. Ces prétentions dela maison d'Autriche furent repoussées, et une satisfaction pleineet entière fut donnée aux ambassadeurs français ; mais une dif-ficulté analogue ne tarda pas à se présenter avec les ambassa-deurs de la cour d'Espagne. Déjà des disputes de préséanceavaient eu lieu au concile dé Trente entre les ducs de Ferrare etde Florence, les princes du sang de France et les cardinaux
français, l'archevêque de Prague et le cardinal Madruce, les am-
bassadeurs de Venise et de Bavière, ceux de Portugal et de
Hongrie, entre les évêques et l'ambassadeur de la religion de
Malte. (Diplomates du temps de la ligue, par Edouard Frémy,édition de 1873, p. 33 et suiv.)
88 TENTATIVE DU CONGRÈS DEVIENNE
gne 20° l'électeur Palatin : 21° l'électeur de Saxe ; 22°
l'électeur de Brandebourg ; 23° l'archiduc d'Autri-
che ; 24° le duc de Savoie ; 25° le grand-duc de Flo-
rence; 26° le duc de Milan ; 27° le duc de Bavière ; 28°
le duc de Lorraine. Il n'était fait mention, dans ce
règlement, ni de la Suède, ni de la Russie. La Russie
ne comptait pas alors parmi les Puissances de l'Eu-
rope ; quant à la Suède, elle n'était pas encore complé-
tement affranchie de la domination danoise (1).
Le règlement de Jules II ne fut pas plus observé que
ceux des autres papes, et, au siècle suivant, Gustave-
Adolphe jeta dans l'Europe cette hautaine parole que
« toutes les têtes couronnées sont égales » : principe
qui fut soutenu ensuite par la reine Christine au
congrès de Westphalie, et, plus tard, par l'Angle-
terre (2).
Tentative du congrès de Vienne.
Le congrès de Vienne voulut reprendre la questiondu rang et de la hiérarchie entre les États, mais
il ne réussit pas à la résoudre. Une commission nom-
mée, le 10 décembre 1814, par les huit Puissances
signataires du traité de Paris, pour s'occuper des
principes à établir afin de régler le rang entre les cou-
ronnes et tout ce qui en est la conséquence, présentaun travail dans lequel elle avait établi trois classes de
Puissances,relativement au rang entre les ministres pu-blics. Mais des doutes s'étant élevés, dans la discussion
(1) On sait qu'en 1389, l'élection au trône de Suède de Mar-guerite de Waldemar, déjà reine de Danemark et de Norvège,avait amené la réunion des trois royaumes Scandinaves, confir-mée par le traité de Calmar, en 1397. La Suède ne fut délivrée dela domination danoise qu'en 1823, par Gustave Wasa.
(2) Le baron Ch. de Martens rappelle, d'après Neyron etRousset, que ce principe fut généralement adopté lors de laquadruple alliance conclue à Londres, en 1718. Il ajoute quel'acte constitutif
de la Confédération germanique, signé à Viennele 8 juin 1815, l'a implicitement reconnu. (Voir : Le Guide diplo-matique, édition citée, t. I, p. 203, en note.)
IMPORTANCE DES QUESTIONS DE RANG 89
du 9 février 1815, contre cette classification, et parti-culièrement sur la classe dans laquelle il faudrait placerles grandes républiques, la question fut abandonnée, et
l'on se borna à faire un règlement sur le rang des
agents diplomatiques. Ce règlement, du 19 mars 1815,
auquel les Puissances réunies à Aix-la-Chapelle, en
1818, ont. ajouté un article supplémentaire, a partagéles employés diplomatiques en différentes classes, et
a disposé que la préséance entre eux se réglera d'a-
près la classe, et que les employés diplomatiques d'une
même classe prendront rang entre eux d'après la date
de la notification officielle de leur arrivée.
Quant aux disputes de préséance dans la signaturedes traités, les Puissances qui ont été représentées au
congrès de Vienne y ont mis en quelque sorte fin, en
se conformant, dans la signature, à l'ordre alphabéti-
que, d'après la lettre initiale du nom de chaque Puis-
sance. Ainsi, l'acte final du congrès de Vienne, du 9
juin 1815, a été signé dans l'ordre suivant : Autriche,
France, Grande-Bretagne, Portugal, Prusse, Russie,Suède.
Importance des questions relatives au ranget à la préséance.
Les questions de rang et de préséance ont perdu, de
nos jours, l'importance qu'elles avaient jadis : elles se
justifiaient alors par un état politique et social qui n'e-
xiste aujourd'hui presque plus nulle part ; cepen-dant au fond de ces questions il y a quelquefoisautre chose qu'une vanité puérile et surannée : il
y a pour chaque pays le sentiment de la digni-té nationale. Les peuples, pas plus que les indi-
vidus, ne doivent renoncer à ce sentiment de di-
gnité. Il n'est que trop certain que les disputes de
préséance ont fait souvent couler le sang, mais il n'est
pas moins vrai que, selon l'opinion si juste de Vat-
tel, « les nations et les souverains sont en même
temps dans l'obligation et en droit de maintenir leur
90 INCIDENT DU COMTE D'ESTRADE
dignité, et de la faire respecter comme une chose impor-
tante à leur sûreté et à leur tranquillité (1). » Vattel a
dit aussi : « Toute nation, tout souverain doit maintenir
sa dignité en se. faisant rendre ce qui lui est dû, et sur-'
tout ne pas souffrir qu'on y donne atteinte. S'il est donc
des titres, des honneurs qui lui appartiennent suivant un
usage constant, il peut les exiger, et il le doit, dans les
occasions où sa gloire se trouve intéressée. Mais il
faut bien distinguer entre la négligence ou l'omission
de ce qui aurait dû se faire suivant l'usage communé-
ment reçu, et les actes positifs contraires au respect et
à la considération, les insultes. On peut se plaindre de
la négligence, et, si elle n'est pas réparée, la considé-
rer comme une marque de mauvaise disposition ; on
est en droit de poursuivre, même par la force des
armes, la réparation d'une insulte. Le czar Pierre Ier
se plaignit, dans son manifeste contre la Suède, de ce
qu'on n'avait pas tiré le canon, lors de son passage à
Riga, Il pouvait trouver étrange qu'on ne lui eût pointrendu cet honneur, il pouvait s'en plaindre, mais enfaire le sujet d'une guerre, ce serait prodiguer étrange-ment le sang humain » (2).
Ce qu'on n'a jamais bien voulu voir, non plus,c'est que les disputes de préséance, les plus futiles en
apparence, ont souvent puisé un caractère de gra-vité dans les circonstances au milieu desquelleselles se sont produites. En pareille matière, les précé-dents doivent surtout être pris en considération.
incident du comte d'Estrade et du baron de
Vatteville, en 1661.
On a beaucoup cité, par exemple, l'incident violent
qui marqua, en 1661, l'entrée de l'ambassadeur de Suè-de à Londres. Le comte d'Estrade, ambassadeur de
France, et le baron de Vatteville, ambassadeur d'Espa-
(1) Vattel, Le droit des gens, etc., édition annotée par Pradier-Fodéré, t. II, p. 1.
(2) Vattel, ouvrage cité, même édition, t. II, p. 17, 18.
INCIDENT DU COMTE D'ESTRADE 91
gne, se disputèrent le pas. L'espagnol, avec plus d'ar-
gent et une plus nombreuse suite, avait gagné la po-
pulace anglaise. Il fit d'abord tuer les chevaux des
carrosses français, et, bientôt, les gens du comte
d'Estrade, blessés et dispersés, laissèrent les Espa-
gnols marcher l'épée nue, comme en triomphe.Informé de cette insulte, Louis XIV rappela l'ambas-
sadeur qu'il avait à Madrid, fit sortir de France celui
d'Espagne, rompit, les conférences qui se tenaient
encore en Flandres au sujet des limites, et fit dire au
roi Phiïippe IV, son beau-père, que, s'il ne reconnais-
sait la supériorité de la couronne de France et ne répa-rait cet affront par une satisfaction solennelle, la
guerre allait recommencer. Philippe IV ne voulut point
plonger son royaume dans une guerre nouvelle ; il
envoya le comte de Fuentès déclarer au roi, à Fontai-
nebleau, en présence de tous les ministres étrangers quiétaient en France, que les ministres espagnols ne con-
courraient plus dorénavant avec ceux de la France (1).Il peut sembler que la colère de Louis XIV était exa-
gérée, pour, une simple question de préséance ; mais au
fond de cette question il y avait la situation d'une nation
à relever, il y avait à secouer l'orgueil des successeurs
de Charles-Quint. Les rois de France pouvaient dispu-ter la préséance même à l'empereur romain-germani-
que, puisque la France avait fondé le véritable empire
d'Occident, dont le nom seul subsistait alors en Alle-
magne (2). Ils avaient pour eux, dit Voltaire, non seu-
lement la supériorité d'une couronne héréditaire sur
une dignité élective, mais l'avantage d'être issus, parune suite non interrompue, de souverains qui régnaientsur une grande monarchie plusieurs siècles avant que,
(1) Voltaire, Siècle de Louis XIV, chapitre VII, édition Firmin
Didot, 1844, p. 71.
(2) On trouve dans le cérémonial de la cour de Rome, intitulé :Liber romanae curiae, la maxime : « Rex Francorum regumcensetur dignissimus. » Voir à ce sujet : Traités sur les droictset prérogatives du roy de France, tirés des événements histori-
ques et politiques, par Ch. Sorel, sieur de Sauvigny.
92 AFFAIRE DU COMTE DE MERLE
dans le monde entier, aucune des maisons qui possè-
dent aujourd'hui des couronnes, fût parvenue à quel-
que élévation. On alléguait en leur faveur le nom de
très-chrétien. Les rois d'Espagne opposaient, de leur
côté, le titre de catholique, et depuis que Charles-Quint
avait eu un roi de France prisonnier à Madrid, la fierté
espagnole était bien loin de céder ce rang (1). C'était à
Rome que ces prétentions étaient débattues. Les papes,
qui donnaient les États avec une bulle, se croyaient à
plus forte raison en droit de décider du rang entre les
couronnes. La France avait toujours eu la supériorité, à
la cour du pape, tant qu'elle avait été plus puissante que
l'Espagne ; mais, depuis le règne de Charles-Quint,
l'Espagne n'avait négligé aucune occasion de se don-
ner l'égalité. Un pas de plus ou de moins dans une pro-,
cession, un fauteuil placé près d'un autel, ou vis-à-vis
la chaire d'un prédicateur, étaient des triomphes et:
établissaient des titres pour cette prééminence (2). La
dispute' était donc indécise. Louis XIV la décida.
Affaire du comte de Merle et de lord Kinnoul, en 1760.
La dispute de préséance qui eut lieu, en 1760, entrerle comte de Merle, ambassadeur de France en Portu-
gal, et lord Kinnoul, ambassadeur extraordinaire du roi
d'Angleterre près la cour portugaise, fut encore unede ces nombreuses questions de point d'honneur, oùla dignité et les intérêts d'une nation se trouvent
engagés.L'histoire de cet incident est connue. Lors de l'arrivée
de lord Kinnoul à Lisbonne, le marquis de Pombal, pre-mier ministre du roi de Portugal, avait écrit au comtede Merle que sa majesté très-fidèle avait décidé que:l'ambassadeur extraordinaire anglais prendrait le pas,à la cour, sur l'ambassadeur de France. Le comte deMerle lui répondit sur le champ qu'il n'appartenait.
(1) Voltaire, Siècle de Louis XIV, chapitre VII, édition citée,p. 70.
(2) Voltaire, Siècle de Louis XIV, Ibid.
AFFAIRE DU COMTE DE MERLE 93
pas au roi de Portugal de prononcer sur les droits de
la couronne de France ; que, quant à lui, son repré-sentant, il ne serait pas embarrassé de les défendre ;
qu'il se présenterait donc, le lendemain, à l'audience
donnée au corps diplomatique ; qu'il espérait que lord
Kinnoul ne s'aviserait pas de passer avant lui, mais
que, s'il faisait un pas en avant, il saurait l'obliger à.
en faire deux en arrière, attendu qu'il avait trente ans
de moins que lord Kinnoul, et qu'il était officier de
mousquetaires.Cette lettre mit le ministre et toute la cour en grande
colère. Lord Kinnoul annonça qu'il viendrait à la cour
escorté de tous les Anglais qui étaient à Lisbonne. On
envoya message sur message à M. de Merle, pour l'en-
gager à céder, ou à avoir une conférence sur les privi-
lèges des ambassadeurs extraordinaires. On lui pro-
posa une déclaration par laquelle le roi de Portugal
expliquerait sa décision provisoire, sans tirer à consé-
quence pour l'avenir. M. de Merle fut inflexible, et pen-dant que les envoyés du ministre se succédaient, tout
ce qu'il y avait de plus leste parmi les Français et
dans la maison de l'ambassadeur, monta à cheval pourescorter les voitures, qui arrivèrent au grand galopau palais, une demi-heure avant l'audience. Le corps
diplomatique était déjà réuni, moins l'ambassdeur an-
glais, qui s'était arrêté avec son escorte chez le mar-
quis dePombal, et ne jugea pas à propos d'en sortir,
lorsqu'il vit passer l'ambassade de France. M. le comte
de Merle, au lieu d'un habit de gala, avait pris, ce
jour-là, son uniforme de mousquetaire. Le roi, la reine
et les princes étaient dans une agitation extrême. Les
ministres étrangers accueillirent parfaitement M. de
Merle, qui entra à leur tête chez le roi. Ce triomphedes Français produisit une grande sensation.
La question de préséance si résolûment tranchée
par le comte de Merle, tirait une gravité particulière des
circonstances où elle se produisait. La France était en
guerre avec une partie de l'Europe ; elle était battue
un peu partout. Quelques mois auparavant, l'amiral
94 AFFAIRE DU COMTE DE MEULE
anglais Boscawen avait attaqué, sur les côtes de Lagos,
une escadre française commandée par M. de LaClue.
Les vaisseaux français, désemparés, s'étaient réfugiés
sous le canon des forts portugais. Poursuivis par les
Anglais, assez peu soucieux d'ordinaire d'observer le
droit des gens, quand leur intérêt les y porte, deux
vaisseaux français avaient été pris, deux autres avaient
été brûlés (17 août 1759). C'était une audacieuse viola-
tion de la neutralité du Portugal. Cependant son gou-
vernement, placé dans la dépendance de l'Angleterre,
paraissait disposé à subir cette insulte en silence ; mais
les dépêches énergiques de M. de Choiseul ne. lui en
laissaient pas la possibilité. L'embarras du marquis de
Pombal et du ministre des affaires étrangères, Don
Luis d'Acunha, était grand. Ce dernier se trouvait
obligé de jouer un double rôle. Connu pour être abso-
lument anglais, il se croyait tenu en même tempsd'assurer l'ambassadeur de France que la cour de
Portugal avait au contraire des tendances françaises,
par la conformité de religion et la parenté des deux
souverains. Mais ces protestations né suffisaient pas; il
fallait que l'insulte commise fût réparée, et M. de Choi-
seul exigeait avant tout que le Portugal demandât la
restitution des vaisseaux français capturés en violationdu droit des gens. Le gouvernement portugais s'était
donc trouvé contraint de présenter des réclamations à
l'Angleterre. Ce fut alors qu'on prit, à Londres, le
parti d'envoyer un ambassadeur extraordinaire en
Portugal, et que lord Kinnoul, frère de l'ambassadeur
d'Angleterre à Lisbonne, fut choisi pour cette mission.C'est au milieu de cette situation que s'élevait la ques-tion de préséance. La prétention de l'ambassadeurextraordinaire d'Angleterre résultait d'un communaccord entre le gouvernement portugais et lord Kin-noul. Le marquis de Pombal avait besoin, qu'un coupd'éclat vînt amoindrir la personne de l'ambassadeur deFrance devant les autres Puissances, et que l'affrontôtât toute portée aux justes exigences de la France.Il y eut en effet un coup d'éclat, mais ce fut le comte
SIEYÈS A BERLIN 95
de Merle qui l'accomplit. Non-seulement lord Kinnoul
eut soin d'arriver en retard à l'audience royale, mais
son compliment au roi de Portugal, prononcé en fran-
çais, contenait des excuses formelles au sujet de l'of-
fense faite à la France et à la neutralité du Portugal (1).
Une flère parole de Siéyès.
Siéyès était représentant de la première républiquefrançaise à Berlin. Le jour de l'anniversaire de l'avéne-
ment du roi de Prusse, les différents ambassadeurss'étaient rendus de bonne heure à la cour et s'étaient
emparés des meilleures places. Siéyès était arrivé ledernier. Le chambellan qui le reçut fut fort embar-
rassé, et se disposait cependant à déplacer quelqu'un,lorsque Siéyès s'y refusa. « Non, monsieur, — lui dit-
il ;— la première place sera toujours celle qu'occupera
l'ambassadeur de la République française. » Personnene contestera l'opportunité de cette répartie. La situa-tion de la République française au milieu, des vieilles
monarchies de l'Europe, commandait à son agent
(1) Cet incident est raconté, dans les Mémoires de Malouet,édition de 1868, t. Ier, p. 13 et suiv., t. II, p. 325 et suiv. —Malouet ajoute que l'affaire n'en resta point là. Le marquis dePombal voulait à tout prix consoler l'orgueil britannique et mas-quer la déconvenue de lord Kinnoul. Il crut en avoir trouvé lemoyen en faisant décider par le roi de Portugal, qu'à l'occasiondu mariage de l'infant Don Pédro avec la princesse du Brésil,les ambassadeurs seraient reçus d'après l'ordre d'ancienneté deleurs lettres de créance. Ainsi, M. de Merle aurait eu le pas surlord Kinnoul, mais seulement comme ambassadeur plus ancienà la cour de Lisbonne, et non plus par la primauté de la Fran-ce. Ce n'était pas seulement la préséance traditionnelle de la
France, c'était encore celle de l'Empire et celle du Saint-Siègequi d'un coup étaient supprimées. Le Portugal s'arrogeait ledroit de changer à son gré le rang des Puissances européennes.Une telle prétention fut accueillie avec mépris par le corps di-
plomatique (t. II, p. 328). Ce que la diplomatie européenne re-
poussa en 1760, elle en fit une régle en 1815, lorsque, dans le
Règlement sur le rang entre les agents diplomatiques, elle dé-créta que les employés diplomatiques prendront rang entre euxdans chaque classe, d'après la notification officielle de leur ar-rivée. (Art. 4.)
96 RANG- DES CHEFS D'ÉTATS
diplomatique une attitude fière. Ce n'était point là
l'expression d'un sentiment puéril de vanité, mais la
manifestation d'un sentiment de dignité nationale.
C'est ainsi que se justifient dans beaucoup de cas
les prétentions et les disputes sur la préséance et sur
le rang.
Pratique moderne, quant au rang et à la préséance.
Pour en revenir au rang et à la préséance dans la
pratique moderne fondée sur le droit conventionnel,
mais plus particulièrement sur un usage jusqu'ici
reconnu, soit généralement, soit dans un certain
nombre de relations particulières, voici ce qui paraîtêtre observé de nos jours :
Rang des têtes couronnées et des autres, chefs
d'États monarchiques.
Toutes les Puissances catholiques accordent au papele premier rang et lui témoignent les honneurs coutu-
miers. Quant aux Puissances non catholiques, si elles
lui concèdent la préséance, c'est une affaire de conve-
nance dans l'intérêt de la bonne harmonie ; c'est aussi
une affaire de respect personnel envers le chef souve-
rain de l'Église romaine. Or, il faut noter, à ce sujet,
que la question du pouvoir temporel n'a aucun rapportnécessaire avec celle de la préséance accordée au
souverain-pontife. Avant 1870, lorsque les papes exer-
çaient un pouvoir temporel, ce n'était pas comme chefs
des États de l'Église qu'ils jouissaient de la préséance,mais comme revêtus de la plus haute dignité de l'Égliseuniverselle, dignité qui constituait et constitue encoreune position principale, à l'égard des souverains etÉtats séculiers. Les rapports des États avec un pou-voir spirituel externe, — dit Heffter, — et surtout avecle chef de l'Église catholique romaine, sont d'unenature toute spéciale; leur caractère international ne
peut être nié. Aucun souverain qui commande à des
sujets catholiques ne peut se refuser à reconnaître,
RANG DES CHEFS D'ÉTATS 97
dans le pontife romain, le représentant de l'unité cen-trale de l'Église catholique, auquel elle se rattache pardes liens indissolubles. Rien ne peut s'accomplir dans
le sein de l'Église catholique sans l'assentiment de son
Chef, qui prononce en dernier ressort sur ce qui estvrai pour les catholiques et sur ce qui est faux. Comme
puissance spirituelle, le pape exerce dans les États
où le culte catholique est reconnu, toutes les fonctions
qui découlent, de son caractère traditionnel. Elles con-
sistent dans le maintien de l'unité de la doctrine et desinstitutions canoniques, et en conséquence dans la
direction, la représentation et là surveillance des
intérêts généraux de l'Église, conformément à sa
constitution et à ses dogmes. Le pouvoir temporeln'était qu'un accessoire pour les papes. Dépouillé de
cet accessoire de la plus haute dignité ecclésiastique,—
ajoute le publiciste prussien,— le souverain-pontife
continue cependant de jouir de tous les honneurs et
droits usuels inhérents à cette position principale à
l'égard des souverains d'États séculiers, qui, de leur
côté, peuvent prétendre à la continuation de leurs rela-
tions établies avec le siège pontifical (1). D'où la pri-mauté de rang accordée au pape par les États catholi-
ques, agissant en fils fidèles, et, à titre de déférence,
par les Puissances qui se sont soustraites à l'autorité
spirituelle de Rome.
Une égalité complète de rang est reconnue en prin-
cipe entre les empereurs et les rois; on a distinguétoutefois entre les monarques qui jouissent des hon-
neurs royaux sans avoir été couronnés, et ceux quiont été couronnés et sacrés : ces derniers ont pris la
préséance sur les premiers ; mais cette distinction n'est
plus de notre temps. Les chefs d'États monarchiques
qui ne sont pas empereurs ou rois cèdent le pas aux
empereurs et aux rois. Quant aux princes qui n'ont pasdroit aux honneurs royaux, ils cèdent le pas à ceux
qui jouissent de ces honneurs. _
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, §§ 40' et 41, p. 82 et suiv.
98 RANG DES RÉPUBLIQUES
Les États mi-souverains ou dépendants ont rang
après les États souverains. Il y a toutefois une distinc-
tion à faire. Vis-à-vis de l'État dont ils relèvent, les
États mi-souverains ou dépendants lui cèdent toujours
le pas; vis-à-vis des autres États souverains, mais ne
jouissant pas des honneurs royaux, des États mi-sou-
verains ou dépendants ne leur cèdent point nécessai-
rement le pas. Ainsi, par exemple, sous l'ancien empire
germanique, les électeurs prenaient le pas sur les
souverains qui ne jouissaient pas des honneurs royaux.Un État protégé cède le pas à l'État protecteur ; mais
ce n'est qu'une infériorité relative, qui ne se retrouve
point dans les rapports internationaux avec les autres
Puissances, car la protection, dans la théorie, n'em-
porte point sujétion.
Rang des républiques.
Longtemps le principe le plus généralement reconnu
fut celui de la préséance de toutes les têtes couron-
nées sur les républiques. Les publicistes attribuaient
ordinairement, même aux grandes républiques quiavaient droit aux honneurs royaux, un rang un peuinférieur à celui des rois de la même classe. Autrefoisles Provinces-Unies, Venise, la Suisse laissaient la
préséance aux empereurs et aux rois régnants, quoi-qu'elles la refusassent aux autres princes qui avaientdroit aux honneurs royaux. Entre elles, les républiquesobservaient l'ordre suivant : 1° Venise ; 2° les Provin-ces-Unies des Pays-Bas ; 3° la Confédération Suisse.La République de Gênes prétendait à l'égalité aveccelle de Venise, et à la préséance sur la ConfédérationSuisse. « Mais, dit Wheaton, les disputes de cette sorteont ordinairement été plutôt réglées par la puissancerelative des parties intéressées, que par des règlesgénérales tirées de la forme du gouvernement (1). »
(1) Wheaton, Eléments de droit international, 3e édition Leip-zig, 1858. t. Ier, p. 151, 152.
RANG DES REPUBLIQUES 99
L'Angleterre prétendit, sous Cromvell, lorsqu'elle sedonnait le nom de république, au même rang dont elleavait joui comme royaume. L'Autriche accorda à la
République française, dans le traité de paix de Campo-Formio, en 1797, le même rang et cérémonial quecelui qui avait été observé constamment avant la
guerre, et à la République Cisalpine celui qui avait été
d'usage avec la République de Venise (1). Cela fut con-firmé dans le traité de paix de Lunéville, en 1801 (2).Lorsqu'en 1848 M. de Lamartine, ministre des affaires
étrangères de France, adressait sa célèbre circulaireaux agents diplomatiques de la République française,il était peu disposé à reconnaître un rang supérieuraux monarchies. « La France est république, disait-il ;la République Française n'a pas besoin d'être recon-nue pour exister. Elle est de droit naturel, elle est dedroit national. Elle est la volonté d'un grand peuplequi ne demande son titre qu'à lui-même... Les formesde gouvernement ont des diversités aussi légitimes
que les diversités de caractère, de situation géogra-
phique et de développement intellectuel, moral et
matériel chez les peuples. Les nations ont, comme les
individus, des âges différents. Les principes qui lesrégissent ont des phases successives. Les gouverne-ments monarchiques, aristocratiques, constitutionnels,
républicains, sont l'expression de ces différents degrés
(1) Traité de paix conclu à Campo-Formio, le 17 octobre
1797, entre la République Française et l'empereur-roi de Hon-
grie et de Bohême, article 23 : « S. M. l'empereur-roi de Hon-
grie et de Bohême, et la République française, conserverontentre elles le même cérémonial, quant au rang et aux autres
étiquettes, que ce qui a été constamment observé avant la
guerre. Sa dite Majesté et la République Cisalpine, auront entreelles le même cérémonial d'étiquette que celui qui était d'usageentre sa dite Majesté et la République de Venise. »
(2) Traité définitif de paix conclu à Lunéville, le 9 février1801, entre la France et l'Empire, article 17 : « Les articles 12,13, 15, 16, 17 et 23 du traité de Campo-Formio, sont particuliè-rement rappelés pour être exécutés suivant leur forme et teneur,comme s'ils étaient insérés mot à mot dans le présent traité. »
100 RANG DES RÉPUBLIQUES
de maturité du génie des peuples. Ils demandent plus
de liberté à mesure qu'ils se sentent capables d'en sup-
porter davantage ; ils demandent plus d'égalité et de
démocratie à mesure qu'ils sont inspirés par plus de
justice et d'amour pour le peuple. Question de temps...La monarchie et la république ne sont pas, aux yeuxdes véritables hommes d'État, des principes absolus
qui se combattent à mort : ce sont des faits qui se con-.
trastent, et qui peuvent vivre face à face en se com-
prenant et en se respectant. »
Résolue par la politique moderne, la question du
rang des républiques n'offre plus aucune difficulté.
Elles ont le pas sur les monarchies, lorsqu'elles ont plusde civilisation, plus de richesses, plus de forces, plusde prépondérance que les États monarchiques ; elles
ont égalité de rang avec les États qui jouissent des
honneurs royaux, lorsqu'elles jouissent elles-mêmes
de ces honneurs. Les républiques de nos jours tien-
nent donc le rang qu'elles se sont fait par leur impor-tance et par la position que leur puissance leur donne :
car, ainsi que le dit, avec justesse, Vattel : la formedu gouvernement est naturellement étrangère à cette
question. La dignité, la majesté, réside originairementdans le corps de l'État ; celle du souverain lui vient de ce
qu'il représente sa nation. L'État aurait-il plus ou moinsde dignité, selon qu'il sera gouverné par un seul ou
par plusieurs (1) ? » Vattel ajoutait : « Aujourd'hui lesrois s'attribuent une supériorité de rang sur les répu-bliques ; mais cette prétention n'a d'autre appui que la
supériorité de leurs forces (2). » Au XIXe siècle, laforce des peuples a remplacé la force des rois (3).
(1) Le droit des gens etc., de Vattel, édition annotée par Pra-dier-Fodéré, t. II, p. 4.
(2) Id., t. II, p. 4.
(3)Dans l'état actuel des relations internationales, la puissanceet l'influence politiques sont la base naturelle du rang desEtats; elles sont indépendantes des différences constitution-nelles.
MODIFICATIONS APPORTEES A L'ÉGALITÉ DU RANG 101
L'égalité du rang des États peut être modifiée.
L'égalité du rang des États peut être modifiée par lestraités publics et par les usages. Ainsi, Heffter rappelleque l'ordre parmi les États de l'Allemagne était, réglé parl'acte même de la Confédération germanique, mais uni-
quementpar rapport à la Confédération, et qu'il continueà servir de modèle dans le nouvel empire germaniquesorti de la Confédération de l'Allemagne du Nord (1).De pareilles conventions doivent être respectées parles autres Puissances, dès qu'elles sont portées à leur
connaissance, pourvu qu'elles ne leur causent aucun
préjudice, car les conventions publiques ne peuvent
profiter, ni nuire, aux Puissances qui ne sont pas partiescontractantes. Il faut, par conséquent, que les conven-
tions qui ont pour objet de conférer à une Puissanceune priorité de rang sur les autres, obtiennent l'assen-
timent de toutes les parties intéressées. Autrement,en s'écartant des règles générales, elles constitue-
raient un acte de lésion. En cas de conflit, c'est tou-
jours aux règles générales qu'il faut recourir, et il ne
faut jamais y déroger (2). Ces conventions sont, d'ail-
leurs, très rares aujourd'hui, et même n'ont plus de
raison d'être, les questions de préséance n'ayant plus,de nos jours, qu'une importance très effacée.
Le changement dans la forme du gouvernement n'influe
pas nécessairement sur le rang.
Comme le rang attribué au souverain appartient, en
réalité à la nation, qui est le vrai, le seul souverain,
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, § 28. p. 55. — L'article 3de l'acte constitutif de la Confédération germanique, signé à
Vienne le 8 juin 1815, portait en effet : « Les membres de la
Confédération sont égaux en droits. » L'article 8, relatif à la vo-
fation, déclarait que l'ordre qui serait ultérieurement adoptén'influerait en rien sur le rang et la préséance des mem-
bres de la Confédération, en dehors de leurs relations avec la
Diète.
(2) Heffter, ouvrage et édition cités, ibid., p. 55, 56.
102 ORDRE A SUIVRE DANS LE RANG
on enseigne que, soit qu'une monarchie devienne répu-
blique, soit qu'une république devienne monarchie, le
rang demeure invariable (1). Cette observation, qui
pouvait offrir de l'intérêt autrefois, n'en présente plus
aujourd'hui, puisque les monarchies et les républiques
sont placées sur le pied d'une complète égalité. Lors-
que la forme du gouvernement vient à changer chez
une nation, lorsque, notamment, les organes du pou-
voir souverain suprême cessent d'être les mêmes, la
nation n'en conserve donc pas moins les honneurs et
le rang dont elle a joui jusqu'alors. Mais si le chan-
gement opéré dans la forme du gouvernement avait
pour effet un changement de titre du souverain, de na-
ture à en modifier également le rang conformément
aux usages reçus, il en serait autrement (2).
Ordre à suivre dans le rang. — I. Rencontres
personnelles.
La question d'ordre des places se présente, soit dans
les rencontres personnelles, soit dans les écrits.
Les détaiïs qui vont suivre ne donnent pas de règlesabsolues : tout est relatif en pareille matière. En ce
qui concerne les rencontres personnelles, le baronCh. de Martens observe que l'ordre adopté par le cé-rémonial pour les places d'honneur, à raison du ranget des fonctions de personnages réunis à l'occasiond'une cérémonie publique, par exemple, semble avoir
pris la loi du blason. Dans le blason en effet la par-tie senestre de l'écu répond à la droite de la personneplacée en face ; la partie dextre, à sa gauche ; le pointhonorable domine le centre de l'écu, et les points debase en occupent la portion inférieure. Il en est demême pour les places d'honneur. Dans la salle d'au-diences solennelles d'un chef d'État, dans une église,dans une procession religieuse, dans une cérémonie
(1) Rayneval, cité dans Le Guide diplomatique, t. Ier, p. 204.(2) Heffter, ouvrage et édition cités, § 28, p. 56.
ORDRE A SUIVRE DANS LE RANG 103
funèbre, le trône, l'autel, le dais, le catafalque, ou,s'il s'agit d'un cortège, la personne la plus éminente
parmi celles qui y figurent, forment le point honorable
d'après lequel doit se régler le rang des places d'hon-neur entre les assistants (1).
Il y a ensuite à distinguer si l'on est assis ou de-bout.
Bst-on assis autour d'une table ronde ou. carrée ? La
première place est ordinairement, quelle que soit la
disposition de la salle, celle qui est en face de la porte
principale d'entrée, ou celle qui fait face aux croisées,laissant la porte d'entrée, soit, à droite, soit à gauche,mais jamais derrière la personne qui occupe la première
place. Si cette disposition de la table n'est pas possi-ble, la première place au centre est celle qui reçoit le
jour de la gauche, pourvu toutefois qu'il ne résulte pasde cette disposition que la personne assise à cette
place tomme le dos à la porte d'entrée, qu'elle doit tou-
jours apercevoir. A compter de cette première place,on suit le rang en alternant de droite à gauche : la
2° place à droite, la 3° à gauche, la 4e à la droite de
la 2e, la 5e à la gauche de la 3e, et ainsi de suite.
Qu'on soit debout ou assis, la main d'honneur est à
droite ; celui qui est plus distingué s'assied, ou mar-
che, ou reste à la droite de celui qui l'est moins.
Klüber fait toutefois remarquer que c'est la gauche
qui marque la préséance chez les Turcs, ainsi quedans les cérémonies religieuses des catholiques ro-
mains (2).Avoir le pas, c'est devancer une ou plusieurs per-
sonnes. Celui qui en montant un escalier, ou en entrant
(1) Le Guide diplomatique, édition citée, t. Ier, p. 128 etsuiv.
(2) Klüber, ouvrage et édition cités, § 101. p. 145, note b. « On
prétend qu'anciennement la gauche a été la place d'honneurdans les cérémonies religieuses. » (F. de Martens, Précis dudroit des gens moderne de l'Europe, édition annotée par M. Ch.
Vergé, 1864, t. 1er, p. 345, note b.)
104 ORDRE A SUIVRE DANS LE RANG
dans une salle, devance d'un pas la personne marchant
à sa gauche, a le pas.Diverses dispositions sont observées dans tordre
linéal, c'est-à-dire lorsque plusieurs personnes mar-
chent à la suite l'une de l'autre. Les usages varient
beaucoup, à cet égard. Tantôt c'est celui qui marche le
premier, qui a la préséance ; tantôt c'est celui qui mar-
che le dernier ; tantôt c'est celui qui marche au milieu,
ou qui marche l'avant-dernier.
Lorsque c'est celui qui marche le premier qui a la
préséance, le rang matériel, le rang de fait corres-
pond au numéro : ainsi, le n° 1 marche en premier, le
n° 2 vient après lui, puis le n° 3, puis le n° 4, etc.
Quand la préséance appartient, comme dans les pro-cessions religieuses, à celui qui marche le dernier,
le rang matériel, le rang de fait ne correspond plus
au numéro. La personne qui marche la première de
fait, est la dernière de rang ; celle qui vient aprèseiïe est l'avant-dernière ; puis vient la troisième de
fait, qui est la seconde, et la quatrième de fait, qui est
la première de rang.
Si, au contraire, c'est celui qui marche au milieu, ou
l'avant-dernier, qui a la-préséance, dans cet usage lapre-mière place est au milieu; la dernière en rang est tou-
jours la dernière en fait ; celle qui précède la premièreen rang est supérieure à celle qui la suit. Quatre per-sonnes marchent-elles l'une devant l'autre ? Ce cas est
le même que celui où cinq personnes se suivraient ;c'est le même, moins une cinquième personne : on sui-
vra le même ordre, sauf que la dernière place en rangsera la première en fait, et que la première place en
rang sera l'avant-dernière en fait.Tout cela, d'ailleurs, est arbitraire et varie suivant les
usages des pays, des cours, des Corporations; aussiest-il très-nécessaire, quand on est revêtu d'une fonctionou d'une dignité qui donnent droit à un rang, de s'infor-mer des usages généraux et des usages spéciaux, afinde ne blesser personne, de ménager toutes les suscep-tibilités légitimés et de ne pas compromettre soi-mêmeson caractère.
VISITES DES CHEFS D'ÉTATS 105
L'établissement de l'ordre latéral suppose plusieurs,
personnes se trouvant placées à côté l'une de l'autre,en ligne droite. Tantôt la première place est à l'extré-
mité droite de la ligne, et la dernière à l'extrémité
gauche ; tantôt on considère le nombre des personnesdont le rang exige différentes places, et l'on assi-
gne comme première place celle du milieu, lorsque le
nombre est impair ; celle qui est la plus voisine des
dernières adroite, quand le nombre est pair. On rangede la même manière, en comptant toujours de la
place du milieu, ou place d'honneur, six personnes ou
davantage.
Visites des chefs d'Etats. —Rang qu'on y observe.
Dans les visites des chefs d'États, l'hôte cède ordi-
nairement le pas au visiteur étranger, s'ils sont tous
deux de même rang. Tous les princes d'une égale
dignité accordent donc chez eux le pas à celui d'entre
eux qui vient les voir : de sorte que le roi l'accorde au
roi, le grand-duc à ceux qui ont l'altesse royale ; les
républiques mêmes observent cette règle, lorsqu'il y a
lieu. Ainsi,, les républiques qui ont les honneurs
royaux ont, par leurs présidents, le pas sur les chefs
d'Etats qui n'ont pas ces honneurs ; mais, lorsqu'elles
reçoivent un roi ou un grand-duc, elles le lui cèdent,
comme étant hôtesses (1). Hâtons nous de répéter queles moeurs courtoises et polies de notre époque ont
beaucoup simplifié tous ces points auxquels on atta-
chait autrefois tant d'importance. Aujourd'hui l'hôte
cède sans difficulté le pas au chef d'État qui le visite,
quel que soit son rang, et ne se trouve pas amoindri
(1) F. de Martens rappelle que l'empereur romain-germa-
nique n'a jamais accordé à sa cour le pas qu'y prétendaient les
rois. (Précis du droit des gens, etc., édition citée, § 137, t. Ier, p.
355.)— M. de Chateaubriand rapporte que Louis XVIII évita d'ac-
corder la préséance et la main d'honneur, lorsqu'il reçut à sa
cour les souverains alliés. (Congrès de Vérone, t. Il, édition de
Leipzig, p. 345.)
106 RANG OBSERVÉ DANS LES ÉCRITS
pour cela. Ces questions peuvent cependant se pré-
senter avec un caractère un peu plus sérieux dans les
occasions de représentations de gala ou de repas de
cour, par exemple, auxquels doivent assister plusieurs
chefs d'Etats. Il y a alors devoir, pour les maîtres des
cérémonies, de ne pas perdre de vue les distinctions
qui viennent d'être sommairement indiquées.
II. — Ordre des places dans les écrits : 1° Quand le
rang est déterminé entre États de rangs inégaux.
L'usage suivant a été adopté, en ce qui concerne la
fixation de l'ordre dans les écrits, à l'égard des États
entre lesquels le rang est déterminé, et qui sont de
rangs inégaux :
Dans le préambule et dans le corps de l'acte, la plushaute personnalité est nommée la première, c'est-à-
dire est mise à la première place ; celle qui est nommée
immédiatement après est à la seconde place, et ainsi
de suite, suivant le rang déterminé et reconnu.
Dans les signatures, l'ordre à observer a été réglé
généralement sur ce principe, que, les signatures étant
apposées sur deux colonnes, et en regard, la placesupérieure, de la colonne de droite, c'est-à-dire, dansle sens du blason, celle qui est à la gauche du lec-
teur, serait réputée la première ; la même place dans lacolonne de gauche, vis-à-vis de celle-ci, serait répu-tée la seconde ; la seconde de la colonne de droite se-rait la troisième ; la seconde de la colonne de gau-che serait la quatrième, et ainsi de suite (1).
La place d'honneur pour la signature serait à la pre-
(1) Le tableau suivant figure cet ordre :1. A. 2. B.3. C. 4. D.S. E. 6. F.7. G. 8. H.9. J. 10. K.
La place d'honneur pour la signature est donc à la droite dupapier.
RANG OBSERVE DANS LES ECRITS 107
mière ligne, si les négociateurs signaient l'un en-des-
sous de l'autre ; elle serait à la droite du papier, et
par conséquent à la gauche de celui qui signe, si
les plénipotentiaires signaient sur une même ligne.L'ordre suivi dans les instruments originaux doit être
maintenu dans les actes de ratification et dans les
procès-verbaux d'échange de ces ratifications.
2° Quand le rang n'est pas déterminé, ou que les États
intéressés sont d'un rang égal reconnu.
Lorsque le rang des États intéressés n'est pas déter-
miné, ou est. égal, et qu'il s'agit d'écrits entre deux
États seulement, on distingue si ces deux États admet-
tent entre eux l'alternat, ou s'ils ne l'admettent point.L'alternat est le droit, pour chaque souverain ou
chef d'État, d'être nommé le premier dans l'instrument
d'un traité qui lui est destiné, et, pour son plénipoten-
tiaire, le droit d'occuper la première place dans l'in-
dication des négociateurs qui figure en tête du traité,ainsi que la place d'honneur pour la signature de
l'instrument où son souverain occupe le premier rang.En d'autres termes, c'est le droit, pour chacune des
Puissances contractantes, d'occuper, tant dans l'in-
troduction ou préambule, que par rapport aux signa-
tures, la première place dans l'exemplaire qui lui est
destiné, qui demeurera en sa possession, et qui doit
être conservé dans les archives de sa chancellerie (1).C'est donc, en résumé, le droit d'occuper à son tour
la place d'honneur.
Du temps où l'on n'admettait que l'égalité de dignité
entre les rois, mais non l'égalité du rang, qui était le
résultat de la possession, l'usage de l'alternat était
(1) La France et l'Angleterre avaient établi entre elles l'alter-
nat, en 1546. L'alternat entre les cours de France et de Russiefut observé dans tous les instruments originaux de la pacifica-tion de Teschen, en 1779.
108 RANG OBSERVÉ DANS LES ÉCRITS
une exception. M. de Garcia de La Véga rappelle que
les rois de France cédaient sans difficulté le premier,
rang à l'empereur d'Allemagne, sans déroger, ni à l'é-
galité, nia leur dignité; l'empereur était toujours
nommé le premier dans tous les exemplaires des trai-
tés avec la France. Si l'acte international était posé
en une qualité autre que celle d'empereur, l'alternat
était observé. C'est ce qui eut lieu, par exemple, dans
les actes relatifs au mariage de l'archi-duchesse
Marie-Antoinette, parce que, dans cette circonstance,
on ne considérait l'impératrice Marie-Thérèse quecomme reine de Bohême. Les rois de France pre-
naient, par contre, à l'égard de plusieurs princes,leurs égaux en dignité, le pas qu'ils cédaient à l'em-
pereur. Dans ces cas ils n'admettaient un prince à
l'alternat, que lorsqu'une conjoncture favorable à la
France portait à faire cette concession. Ils l'ont refu-
sée aux cours de Berlin, de Lisbonne et de Turin,
jusqu'à la fin du règne de Louis XVI. Charles IX, re-
venant sur ce qui avait été consenti en 1546, ne permit
pas à la reine Elisabeth d'alterner avec lui dans letraité de Blois du 18 avril 1572 ; mais Henri IV se
désista volontairement du droit que s'était attribuéCharles IX, à l'occasion de l'alliance qu'il contractaavec cette même princesse. Il avait besoin alors dessecours que la reine d'Angleterre consentait à luiaccorder (1).
Aujourd'hui que l'égalité de dignité et de rang estreconnue et admise entre toutes les Puissances ayantles honneurs royaux, l'usage de l'alternat est à peuprès universel.
L'article 7 du règlement du 19 mars 1815 sur le
rang des agents diplomatiques.
Le règlement du congrès de Vienne du 19 mars1815, concernant le rang des agents diplomatiques
(1) Désiré de Garcia de La Véga, Guide pratique des agentspolitiques, etc.... Bruxelles, édition de 1867, p. 173.
RANG OBSERVÉ DANS LES ÉCRITS 109
entre eux, a disposé, en son article 7, que : « dans les
actes ou traités entre plusieurs (1) Puissances quiadmettent l'alternat, le sort décidera, entre les mi-
nistres, de l'ordre qui devra être suivi dans les si-
gnatures. »
Cette disposition n'a point dérogé à l'usage en vertu
duquel chacune des Puissances contractantes s'attri-
bue à elle-même la première place dans les exem-
plaires du traité expédiés dans sa propre chancellerie.
Seulement, pour les signatures des autres Puissances,dans ces mêmes exemplaires, lorsqu'il y a plus de
deux contractants, le sort devrait décider de l'ordre à
observer dans les signatures (2).Mais les plénipotentiaires du congrès de Vienne ont
aussi recouru à l'ordre alphabétique. Ainsi, par exem-
ple, il a été convenu dans la conférence tenue à Paris
le 4 novembre 1815, entre les plénipotentiaires d'Au-
triche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Rus-
sie, touchant les formes à donner aux actes de ratifi-
cation des traités de Paris et de Vienne, que, dans la
formule' de la ratification de l'acte du congrès de
Vienne, chaque Puissance ratifiante se mettra en pre-
mière, et les six autres dans l'ordre alphabétique des
cours.
La première place pour la Puissance qui expédie
l'exemplaire destiné à ses archives, dans sa propre
chancellerie, et l'ordre alphabétique pour les autres
Puissances contractantes, tel est l'usage actuel. C'est
ainsi qu'on a procédé, par exemple, pour le traité de
Paris du 30 mars 1856 : l'exemplaire français porte les
noms des plénipotentiaires de France, en première
place, puis viennent les autres Puissances par ordre
alphabétique : Autriche, Grande-Bretagne, Prusse,
Russie, Sardaigne, Turquie. C'est ainsi qu'on a pro-cédé pour le traité de Berlin de 1878.
Quand les États entre lesquels le rang n'est pas dé-
fi) « Plusieurs », c'est-à-dire plus de deux Puissances.
(2) Klüber, ouvrage et édition cités, § 106, p. 150, 151.
110 MOYENS DE PRÉVENIR LES DISPUTES DE PRÉSÉANCE
terminé, ou qui sont d'un rang égal reconnu, n'admet-
tent pas l'alternat, l'ordre à suivre entre eux pour la
signature peut être réglé par des arrangements particu-
liers, . dans lesquels on introduit souvent des déclara-
tions pour satisfaire et pour tranquilliser, pour faire des
réserves, etc. Il arrive aussi des fois où chacune des
parties contractantes délivre à l'autre un exemplairedu traité, signé par elle seule.
Moyens de prévenir les disputes de préséance
dans les rencontres personnelles.
Les moyens qui ont été imaginés autrefois pour pré-venir les disputes de préséance dans les rencontres
personnelles, sont aussi nombreux que variés. C'étaient
des expédients qui laissaient en suspens les droits et
prétentions des intéressés. Voici quelques-uns de ces
moyens :
1° Les intéressés déclarent que chaque place doit
être considérée comme la première, et que la pré-séance momentanée ne portera point de préjudice àleurs droits et prétentions réciproques (1).
2° On change les places ou le rang, après un certain
temps.3° On détermine les places ou le rang d'après l'âge
des chefs d'États ; ou d'après la durée de leur règne,si ce sont des monarques ; ou d'après celle de leur
présence au pouvoir.4° On détermine les places ou le rang d'après le
sort (2). Ce moyen fut notamment employé par les roisde Danemark et de Pologne, lors de leur entrevue àBerlin, en 1709.
5° On garde l'incognito, strict ou simple, en s'attri-buant un autre titre et un rang inférieur, ou en pre-nant un nom d'emprunt.
6° On choisit certaines formalités qui laissent le rang
(1) Cet expédient est applicable également aux cas où il s'agitde régler la préséance dans les écrits.(2) Même observation.
MOYENS DE PRÉVENIR LES DISPUTES DE PRÉSÉANCE 111
en suspens : ainsi, par exemple,en 1660, lors de l'entre-vue des rois de France et d'Espagne, dans l'île de la
Conférence, ou île des Faisans, il fut imaginé de tirerune ligne au milieu de la salle. Chacun des deux roisresta dans son compartiment. En 1658, Léopold de Hon-
grie et l'électeur de Mayence, en 1690, l'archiduc Jo-
seph et l'électeur de Bavière, dans leurs entrevues à
Francfort, évitèrent de s'asseoir, en se promenant dans
la salle.
7° On convient d'une uniformité ou d'une suspensionde cérémonial, à l'égard de tous les intéressés : on
s'assied, par exemple, à une table ronde, comme aux
congrès d'Utrecht, de Cambrai, de Soissons, d'Aix-la-
Chapelle ; on s'assemble en plein champ, ou à l'occa-
sion d'une partie de campagne.8° On s'abandonne aux hasards du pêle-mêle, qui
coupe court à toute discussion de rang et d'étiquet-
te (1).9° On cède, mais en protestant, ou en se faisant don-
ner des reversales. (2).
Il y a encore différents autres expédients, mais quise rapportent plus particulièrement aux ministres pu-blics. C'est ainsi que, lorsqu'on craint une difficulté re-
lative à la préséance, on peut, pour la prévenir :
1° Envoyer un ministre d'un ordre différent de celui
dont est le ministre avec lequel on est en contestation
pour le rang ;2° Eviter de paraître, dans les occasions où le rang
vient en considération ;3° N'y paraître qu'alternativement ;4° Négocier par écrit, pour éviter les entrevues per-
sonnelles ;5° Régler le rang d'après le temps de l'entrée de
chacun des ministres dans la salle de la conférence, à
(1) Le pêle-mêle peut être employé pour les signatures, en lecombinant avec l'alternat, et en mentionnant expressémentqu'on a cru devoir recourir à cet expédient.
(2) Cet expédient est en effet également applicable aux écrits.—On dit indifféremment des reversales, ou des lettres réversales.
112 MOYENS DE PRÉVENIR LES DISPUTES DE PRÉSÉANCE
chaque séance, comme cela a eu lieu au congrès de
Carlowitz, en 1698.
6° Abandonner au hasard l'ordre des places dans
les conférences.
7° Régler le rang d'après l'arrivée de chacun des
ministres dans la ville.
8° Régler le rang d'après l'ordre alphabétique,comme au congrès de Berlin ; etc., etc.
Autrefois, lorsque les ambassadeurs étrangers fai-
saient une entrée solennelle dans la capitale du pays oùils étaient accrédités, quand les ambassadeurs de deux
ou plusieurs Puissances devaient procéder à cette so-
lennité, ils faisaient leur entrée publique en même
temps, mais de différents côtés. Dans nos époques à
pratiques moins pompeuses l'entrée solennelle ne se
fait plus, mais il y a encore l'audience officielle donnée
par le chef de l'État. Pour éviter les disputes de pré-
séance, les ministres entre lesquels ces difficultés se-
raient à craindre sont admis à l'audience en différents
jours.Ces divers expédients sont tous plus ou moins insuf-'
fisants, et la plupart d'entre-eux conduisent même à
des conséquences contradictoires avec le but auquelonse proposait de parvenir. Un grand nombre de ces
moyens ne sont, d'ailleurs, plus usités de nos jours. Il
faut ajouter qu'à mesure que les relations internationa-les se sont étendues, que les peuples se sont touchés
davantage entre eux, que l'esprit de cosmopolitisme a
pris la place d'un patriotisme grossier et exclusif, que leslumières se sont développées, que le dogme de la sou-veraineté des peuples a été substitué à l'erreur dudroit divin, qu'un souffle démocratique a passé sur lessociétés modernes, la susceptibilité des États et deleurs représentants s'est beaucoup émoussée. Les
querelles de préséance sont aujourd'hui beaucoup plusrares, et ne sont plus suscitées que dans les cas où ilest impossible de ne pas tenir à ses prérogatives, sanscompromettre l'honneur de son pays. Ce sont de cesquestions où le sentiment de la dignité doit être tem-
MOYENS DE PRÉVENIR LES DISPUTES DE PRESEANCE 113
péré par une grande prudence politique et infinimentde tact. Au reste, l'esprit contemporain est peu diffi-cile sur les formes ; les cours européennes elles-mê-mes en sont tout imprégnées, les habitudes démocra-
tiques envahissent progressivement les vieilles aris-tocraties. Autrefois, par exemple, les rois ne voya-geaient pas, et, quand ils se mettaient en route, ce n'é-tait qu'au milieu d'un faste tout à fait oriental. L'his-toire a conservé le souvenir des magnificences du
camp du drap d'or, où eut lieu, en 1520, l'entrevue en-tre le roi de France François Ier et Henri VIII, roi d'An-
gleterre (1). Aujourd'hui, les rois prennent une placedans un wagon de chemin de fer, et voyagent, sans
(1) François 1er et Charles Quint se disputaient l'allianced'Henri VIII, roi d'Angleterre. François 1er lui offrit de splendi-des fêtes au camp du drap d'or, entre Guines et Ardres, le 7juin 1520. Il y dépensa des sommes folles, et força ses courti-sans à s'y ruiner. Un édifice du temps, l'hôtel du Bourg-Thé-roude, à Rouen, montre encore dans ses curieux bas-reliefs, les
pompeuses cavalcades et les divers incidents de cette entrevuefameuse. (Histoire de France, par V. Duruy, édition L. Ha-chette, 1866, 1.1 p. 620). — Rappelons, à ce propos, que la courfrançaise, qui a exercé sur les moeurs publiques, sur les lettres,
sur l'esprit de la nation et jusque sur les nations étrangères, unesi longue influence, date de François Ier. Avant lui, elle n'existait
pas. De graves conseillers entouraient seuls LouisXII,et la chasteAnne de Bretagne n'autorisait autour d'elle que des plaisirstranquilles et rares. François Ier voulut être toujours suivi d'une
troupe si nombreuse, que l'on comptait autour du la demeure
royale rarement moins de 6,000, et quelquefois jusqu'à 18,000chevaux. Les nobles n'y vinrent pas seuls s'y assouplir à l'o-béissance, sous les regards du maître. François Ier, qui préten-dait qu'une cour sans dames est une année sans printemps etun printemps sans roses, attira, par l'éclat de ses fêtes, les châ-telaines jusqu'alors oubliées au fond de leurs manoirs féodaux.« Du commencement, — dit Mézeray, — cela eut de fort bons
effets, cet aimable sexe ayant amené à la cour la politesse et la
courtoisie, et donnant de vives pointes de générosité aux âmesbien faites. Mais les moeurs se corrompirent bientôt ; les char-
ges, les bienfaits se distribuèrent à la fantaisie des femmes, etelle furent cause qu'il s'introduisit de très-méchantes maximesdans le gouvernement. » (Voir Duruy, Histoire de France, même
édition, t. Ier, p. 617.)
114 MOYENS DE PRÉVENIR LES DISPUTES DE PRESEANCE
beaucoup plus d'éclat que le plus simple citoyen. Une
facilité beaucoup plus grande s'est introduite dans les
relations personnelles des chefs d'États et de leurs mi-
nistres ; les vieux usages solennels disparaissent lesuns après les autres ; on préfère s'en tenir aux règlesd'une urbanité correcte. Le cérémonial est réglé parles usages des divers pays ou des cours, mais il n'est
plus, de nos jours, hérissé de ces graves riens dont par-lait M. de Flassan. Les règles sur la préséance et le rangn'ont plus guères d'intérêt pratique qu'en ce qui con-cerne la signature des actes internationaux et les re-lations officielles des agents diplomatiques entre euxet vis-à-vis des gouvernements auprès desquels ilssont accrédités.
CHAPITRE IV.
Questions relatives au cérémonial personnel des chefs
d'États. — Correspondance officielle des chefs d'États. —
Lettres de chancellerie, de cérémonial ou de conseil.—
Lettres de cabinet.—Lettres autographes. — Usage de ces
différentes sortes de lettres. — Lettres patentes.— Lettres
closes. — Notifications que se font entre eux les chefs
d'États. — Notification d avènement au trône. —Avène-
ment d'un pape. —Les ambassades d'obédience. — Éta-
blissement d'une régence.— Élection d'un président de
république. — Nomination d'un co-régent. — Notification
d'abdication. — Notification de réunion d'un État à une
couronne étrangère.— Notification de reconnaissance d'un
État. — Autres communications que se font les chefs
d'États. — Compliments de condoléance et félicitations.— Anniversaires. — Notifications d'événements de fa-
mille. — Deuils de cours. — Mariages.—
Baptêmes.—
Présents. — Ordres de chevalerie. - Réception de prin-ces étrangers.
— Compliments aux chefs d'États étran-
gers, à leur passage. — Les chefs d'États en voyage et la
fiction de l'exterritorialité. — Exceptions au bénéfice de
l'exterritorialité. — Un président de république en voyage
jouit-il de l'exterritorialité? — Critique de l'exterritoria-
lité. — Transition au cérémonial d'ambassade.
Questions relatives au cérémonial personneldes chefs d'Etats.
Les questions relatives au cérémonial personnel des
chefs d'États concernent particulièrement leur corres-
116 CÉRÉMONIAL PERSONNEL DES CHEFS D'ÉTATS
pondance officielle; les notifications qu'ils se font
entre eux; le traitement dont ils sont l'objet, lors de
leurs visites en pays étrangers ; les honneurs et le
traitement qui leur sont accordés à leur passage ; les
réjouissances publiques qu'ils peuvent ordonner ou
qu'on peut ordonner en leur honneur, dans des circons-
tances heureuses ; leurs deuils, les invitations qu'ils
peuvent s'adresser, les présents qu'ils peuvent échan-
ger entre eux, leurs mariages, etc., etc.
Correspondance officielle des chefs d'Etats.
La correspondance officielle entre les chefs d'Étatsse compose de différents écrits, appelés ordinaire-
ment : lettres de chancellerie, de cérémonie ou de con-
seil, lettres de cabinet, lettres autographes.
Lettres de chancellerie, de cérémonie ou de conseil.
Les lettres de chancellerie, de cérémonie ou de con-seil sont usitées pour les circonstances les plus solen-nelles ; elles réclament dans leur rédaction le plus de
fidélité au protocole diplomatique, elles sont astreintesà un cérémonial rigoureux.
Ces lettres s'expédient dans les chancelleries d'État,sur grand format, sous couvert, et sont scellées du
grand sceau de l'État.En tête, et détachés du corps de la lettre, sont ins-
crits le grand titre du souverain qui signe la lettre, etles noms et titres du souverain auquel elle est adres-sée; puis, à une certaine distance viennent les mots:« Très-haut et très-puissant prince. » Par exemple :« Nous, Charles-Jean, par la grâce de Dieu, roi deSuède et de Norvège, etc., à très-haut et très-puissantprince, Notre frère et parent, et Notre très-cherami Ferdinand Ier, roi du royaume des Deux-Siciles,de Jérusalem, infant, duc de Parme, grand-duchéréditaire de Toscane, » etc., etc.
LETTRES DE CHANCELLERIE 117
« Très-haut et très-puissant prince, frère et parent,très-cher ami (1)... ».
Les souverains qui adressent des lettres de chancel-lerie à des princes inférieurs en rang, mettent en têtede ces lettres leurs titres de souveraineté, sans lesfaire suivre des titres du prince auquel ils écrivent.
Les princes d'un rang assez élevé pour avoir droitd'écrire aux empereurs et aux rois des lettres de chan-
cellerie, placent leurs propres titres, non pas en tête,mais au bas de la lettre, avant ou après leur signa-ture.
Dans les lettres de chancellerie écrites par des-sou-verains au chef d'une grande république, les formes
sont les mêmes, par exemple : « Nous, par la grâcede Dieu, roi de..., etc.. au Président de la Républiquede....
« Grand et bon ami... »
Les lettres de chancellerie adressées par des prési-dents de. grandes républiques à des chefs d'Etats mo-
narchiques porteraient en tête les énonciations sui-
vantes : « Le président de la République de... à Sa
Majesté le roi de...« Très-cher et grand ami....»
Dans le corps de la lettre de chancellerie, le souverain
qui écrit parle de lui-même à la première personne du
pluriel : « Nous » ; il donne au destinataire de la lettre
le titre de majesté, d'altesse royale ou sérénissime,suivant le cas ; ou même il se sert simplement du
mot Vous, suivant le rang et selon les rapports d'amitié
qui existent entre eux. Il est bien entendu qu'un prési-dent de république ne parle pas de lui-même à là pre-mière personne du pluriel. Les initiales des pronoms
personnels et possessifs qui s'appliquent à l'un ou à
l'autre chef d'État sont toujours écrites en lettres
majuscules.
(1) Lettre du roi de Suède en réponse à la lettre du roi des
Deux-Siciles, par laquelle ce prince lui avait annoncé son accep-tation de la constitution espagnole (1820).
118 LETTRES DE CABINET
On remarquera les mots : « Par la grâce de Dieu» ;
c'est la formule de la théorie du droit divin. L'auteur de
l'article «Roi », dans le Dictionnaire de la politique de
M. Block, observe que s'il fallait n'y voir qu'une pensée
de soumission et de respect, qu'une invocation pieuse
à la puissance divine qui, suivant la belle parole de
Bossuet, seule élève les trônes et les abaisse, cette
formule ne serait qu'une banalité, car rien n'arrive que
par la volonté ou par la permission de Dieu. Mais cette
formule a une signification moins humble : c'est la
négation de la souveraineté du peuple.
Quant à la formule qui termine la lettre, elle est
ordinairement celle-ci : « Sur ce, Nous prions Dieu
qu'il Vous ait, très-haut, très-puissant et très-excel-
lent prince, Notre très-aimé bon frère (ou ami, ou
cousin, ou allié), en sa sainte et digne garde.-» A un
président de république on dit : « Sur ce, Je prie Dieu,
grand et bon ami, qu'il Vous ait en sa sainte et digne
garde » (1).Au-dessous de la lettre de chancellerie, à gauche du
lecteur, on indique le lieu de la résidence, la date,l'année courante et celle du règne du souverain ; plusbas, à droite, se place la signature du prince.
Les lettres de chancellerie sont ordinairement contre-
signées par le ministre des affaires étrangères.
Lettres de cabinet.
La forme des lettres de cabinet est celle qui est em-
ployée de préférence dans la correspondance des sou-verains ; le cérémonial qui s'y observe est beaucoupmoins rigoureux; le style en est moins solennel enversdes inférieurs, plus familier entre égaux. On n'y inscrit
pas de titres en tête de la feuille ; la lettre commencé
par les mots : « Monsieur mon frère », ou « Madamema soeur », ou « Très-cher et grand ami », etc. ; puisvient le corps de la lettre, sans alinéa.
(1) Voir Le Guide diplomatique, édition citée, t. n, p. 321.
LETTRES AUTOGRAPHES 119
Dans le corps de la lettre de cabinet, le souverain
parle de lui-même au singulier, en donnant à ses égauxle titre de majesté, d'altesse royale ou sérénissime,suivant les cas ; quelquefois aussi il se sert du mot
Vous, qu'il emploie toujours quand la lettre s'adresse àdes princes d'un rang moins élevé. Ces derniers quali-fient toujours sire les têtes couronnées, tant dans la
souscription que dans le corps de la lettre. On termine
par quelques expressions obligeantes ou amicales, quivarient suivant les relations subsistant entre les deuxsouverains.
Les lettres de cabinet ne sont pas généralementcontresignées par le ministre des affaires étran-
gères (1) ; le format du papier est moins grand que nel'est celui des lettres de chancellerie ; l'adresse est pluscourte ; elles sont expédiées sous un petit couvert, en
y appliquant le petit sceau, ou le sceau moyen del'État.
Lettres autographes.
Les lettres autographes sont des lettres de cabinet
écrites de la main-même des souverains, dépourvuesde cérémonial quant aux titres, d'un style plus familier,et d'un caractère moins officiel. Les chefs d'États en
font usage pour traiter des affaires secrètes, ou pour
témoigner d'une affection particulière. Ils adressent
quelquefois de ces lettres à des citoyens distingués
(1) « Pas généralement... » ; elle peuvent en effet l'être quel-quefois : c'est ainsi que les lettres de cabinet par lesquellesle décès du roi des Belges Léopold 1er et l'ayénement de sonsuccesseur ont été notifiés, vu leur caractère tout à fait spécial,ont porté la signature du ministre des affaires étrangères, aubas delà page ou figurait la signature du nouveau roi, confor-mément à ce qui se fait, d'ailleurs, dans d'autres pays, pourdes cas analogues. Voir Ch. de Martens, ouvrage et édition
cités, t. II, p. 323, qui dit cependant, sans restriction, que la
signature du prince n'est pas contresignée par un secrétaired'État ; comparer ce que dit M. Désiré de La Véga, ouvrage etédition cités, p. 181.
120 USAGE DE CES LETTRES
par leur haute situation sociale, ou par des services
rendus, soit au pays, soit à la dynastie, lorsque des
événement heureux ou malheureux sont arrivés à ces
citoyens. Parfois aussi ils recourent au moyen de la
lettre autographe, pour faire connaître leurs idées sur
quelque point déterminé.
A ce propos, il est opportun de remarquer, avec le
baron Ch. de Martens, que, dans les pays où la constitu-
tion organique de l'État consacre l'irresponsabilité du
prince, une juste réserve impose au souverain l'obliga-tion de laisser aux ministres responsables la direction
ostensible des affaires (1). Aussi, dans nos temps de gou-vernements représentatifs, la sphère d'action des chefs
d'États s'est-elle rétrécie, et leur correspondance est-
elle descendue des affaires de l'État aux communica-
tions privées que les liens ou les relations de famille
leur imposent. Autant les lettres politiques de Henri
IV et de Louis XIV, de Catherine II et de Marie-Thé-
rèse, de Frédéric-le-Grand et de Napoléon Ier sont
dignes d'attention, autant celles des souverains cons-
titutionnels du XIXe siècle offrent, en général, peud'intérêt. On peut citer comme un exemple de lettre
politique autographe célèbre, dans les temps contem-
porains, la fameuse lettre de 18 août 1849 adressée parle prince Louis-Napoléon-Bonaparte, président de la
République française, à son aide-de-camp, le colonel
Edgar Ney, sur les affairés romaines.
Usage de ces différentes sortes de lettres.
Il n'existe, en général, aucune obligation d'employerde préférence l'une des formes qui viennent d'être
indiquées : aucune règle ne détermine dans quels casles chefs d'États doivent écrire, soit des lettres de
chancellerie, soit des lettres de cabinet, soit des lettres
autographes. Les chefs d'États d'un rang très-élevés'adressent réciproquement aussi bien des lettres de
(1) Le Guide diplomatique, édition citée, t. II, p. 342.
LETTRES PATENTES, LETTRES CLOSES 121
l'une que de l'autre espèce. Quant aux souverains d'un
rang moins-élevé, rien n'empêche qu'ils écrivent deslettres de chancellerie à des souverains d'un rang su-
périeur; mais, ainsi qu'il a été déjà dit, ils ne doivent
placer en tête de la lettre que les titres du haut desti-
nataire, et se borner à mettre les leurs au-dessus ou
au dessous de leur signature. En résumé, l'on peutdire, avec Heffter (1), que les lettres de chancellerie
et de cabinet font partie de la correspondance officielle
des États; et ajouter que les lettres autographes ap-
partiennent plutôt à la correspondance privée des sou-
verains.
On emploie quelquefois la forme des lettres de
chancellerie pour les lettres de créance, de rappel et de
récréance des agents diplomatiques de première classe,c'est-à-dire des ambassadeurs. Cependant cet usagen'est pas général. La forme des lettres de cabinet est
beaucoup plus usitée. C'est aussi celle qui est ordinaire-
ment donnée à la pièce officielle par laquelle les minis-
tres de seconde et troisième classe sont accrédités.
Quoique ce soit l'usage particulier de cour à cour
qui décide de la forme dans laquelle les notifications
d'événements heureux ou malheureux, les compli-ments de félicitation ou de condoléance doivent être
rédigés, un usage à peu près général a également
adopté la forme des lettres de cabinet (2).
Lettres patentes.— Lettres closes.
Ce qu'on appelle lettres patentes n'appartient pas à
la correspondance des souverains. On désigne par
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, p. 446, 447.
(2) Et non, comme le dit à tort Heffter, la forme des lettresde conseil ou de chancellerie. Ouvrage et édition cités, p. 446.— Les lettres des chefs d'États, particulièrement en Europe, des-tinées aux empereurs de Chine, du Japon et du Maroc, sontécrites sur parchemin, et mises ordinairement dans des sachetsde velours doublés de satin blanc, portant les armes de l'Etatbrodées en bosse. Ce mode est usité aussi, mais dans les circons-tances solennelles seulement, pour la Sublime Porte.
122 NOTIFICATIONS DIVERSES
l'expression de lettres patentes divers actes signés
par le chef de l'État, et portés officiellement à la con-
naissance du public : tels que des manifestes, des pro-
clamations, des actes de prise de possession ou de
cession, etc., etc. Ces actes sont scellés du grand
sceau de l'État, et contre-signés par un ministre secré-
taire d'État. On oppose les lettres patentes aux lettres
closes, qui sont également des actes officiels, mais ne
concernent que des objets d'administration intérieure,et ne s'adressent qu'à des fonctionnaires ou à des
corps constitués.
Notifications que se font entre eux les chefs d'États.
C'est un usage observé par les chefs d'États, de se
notifier entre eux les événements politiques les plus
importants, et même les événements survenus dans
leurs familles. Ces notifications sont fondées sur lé
principe que les souverains se considèrent comme,
formant entre eux une même famille ; mais elles sont,en général, principalement dictées par lés intérêts
politiques.En principe, les républiques ne devraient recevoir
notification que des événements qui peuvent les inté-
resser directement, tels que la naissance d'un héritierdu trône, ou un changement de règne : des événe-
ments politiques, en un mot ; mais il y a des exemplesd'événements de familles princières et régnantes no-tifiés aux présidents de républiques : ainsi le décès déla reine des Belges, par exemple, a été notifié aux
présidents des républiques ; l'empereur Napoléon IIIleur a notifié la naissance du fils du prince Napoléon,etc. (1).
Les notifications d'événements politiques peuventconcerner : l'avènement au trône, soit par suite dudécès du monarque auquel on succède, soit par suite
d'abdication, ou autrement; l'établissement d'une ré-
(4) Désiré Garcia de la Véga, ouvrage et édition cités, p. 181.
NOTIFICATIONS DIVERSES 123
gence ; l'élection d'un président de république ; la
nomination d'un co-régent; l'abdication, la réunion
d'un État à une couronne étrangère, la reconnaissance
d'un État, etc.
Notifications d'avènement au trône.
La notification d'avènement au trône, soit par suite
du décès du monarque auquel on succède, soit parsuite d'abdication, est ordinairement adressée par le
prince lui-même qui arrive au pouvoir. Il annonce le
fait, il fait connaître brièvement les circonstances au
milieu desquelles il s'est produit ; il exprime la pensée
que la nouvelle de l'avènement recevra un bon accueil;il insiste sur l'espérance que le nouveau règne cimen-
tera et fortifiera les relations amicales entre les deux
gouvernements et les deux peuples. Si l'avènement a
eu lieu par suite du décès du prédécesseur, la lettre
commencera par la nouvelle donnée de cette perte, et
par quelques phrases émues sur la douleur éprouvée.On y joint même assez, souvent quelques qualificatifs
élogieux en l'honneur du défunt.
Il est répondu à cette lettre de notification par. le
monarque lui-même, ou par le chef de l'État,— autre
qu'un monarque,— à qui elle est adressée. Le plus
ou moins de promptitude de la réponse dépend des
sympathies politiques qui existent entre les deux
pays. La réponse contient, en général, une félicitation ;c'est ordinairement, surtout en ce qui concerne les
espérances d'amitié, une paraphrase de la lettre de
notification.
Les usages des États ne sont pas uniformes, quantà la notification des avènements. On enseigne même
qu'il n'est pas de rigueur de notifier aux États étran-
gers l'avènement d'un prince au trône. Cependant la
notification est de pratique universelle, et même les
chefs d'États en guerre continuent quelquefois de se
témoigner cette politesse (1).
(1) C'est ainsi qu'en 1719, par exemple, la reine Ulrique-
124 NOTIFICATIONS DIVERSES
Lorsque les États, entre les chefs desquels la notifi-
cation se fait, sont liés d'une amitié étroite, et que les
chefs eux-mêmes sont unis entre eux par une sympa-
thie et par des intérêts plus intimes que ceux résultant
d'une simple bonne intelligence politique, onne se
borne point à la lettre de notification et à la réponseavec félicitation écrite, mais on y ajoute l'envoi d'un
ministre extraordinaire, chargé de notifier ou de féli-
citer verbalement (1).
Éléonore de Suède notifia à Pierre Ier son avènement au trône, et
que celui-ci, quoique en guerre avec la Suède, y répondit parun compliment de félicitation.
(1) Voici quelques exemples de notifications. Le roi. LéopoldIer, de Belgique, a fait connaître ainsi son avènement : « Mon-te sieur mon frère, je m'estime heureux de pouvoir annoncer à« Votre Majesté, que, le 21 du mois de juillet 1831; au sein dû« congrès national, j'ai pris solennellement possession du trône,« comme roi des Belges. Cet événement, qui renferme un gage« de sécurité pour l'Europe, s'est accompli au milieu de circons-« tances tout à la fois flatteuses pour moi et rassurantes pour« l'avenir du pays. Votre Majesté, intéressée comme foutes les« Puissances au maintien de la paix européenne, se réjouira« comme elles de voir mon avénement salué par les acelama-« tions d'un peuple généreux, au bonheur duquel j'ai pris sur« moi de me consacrer. Comme les autres Puissances, Votre« Majesté voudra, en m'accordant son amitié, en établissant« avec la Belgique des rapports de bonne et étroite intelligence,« contribuer à consolider au dehors l'existence du nouvel État,« dont la conservation intéresse à un si haut point l'équilibre« européen. Je prie Votre Majesté d'être persudée que, dé mon« côté, je m'empresserai toujours de lui donner des preuves« de la haute estime et de l'affection sincère avec lesquelles« je suis .., etc., etc.. »
C'est dans les termes suivants que le roi des Belges, LéopoldII, à notifié son avènement à l'empereur du Mexique, le 18 dé-cembre 1865 : « Monsieur mon frère et très-cher beau-frère, c'est« avec la plus profonde douleur que j'annonce à Votre Majesté« impériale la mort de mon bien-aimé père, son très-cher beau-« père, décédé au château de Laeken, le 10 de ce mois, après« une longue et cruelle maladie que Sa Majesté a supportée avec« une héroïque constance. Les liens si étroits de famille qui« nous unissent, la tendre affection dont Sa Majesté l'impéra-« trice, ma soeur bien-aimée, entourait celui qui n'est plus,« feront vivement sentir à Votre Majesté toute l'étendue de la
NOTIFICATIONS DIVERSES 125
Enfin, il arrive quelquefois que la notification d'avè-nement au trône n'est pas faite par le nouveau monar-
que, niais par son ministre des affaires étrangères.C'est ainsi que la notification de l'avènement du
prince Louis-Napoléon-Bonaparte à l'empire n'a paseu lieu dans la forme ordinaire : le ministre desaffaires étrangères de l'empereur a été chargé denotifier cet avènement aux légations accréditées àParis (1).
« perte qui me frappe ainsi que la reine, la famille royale et la« nation entière. Appelé, par l'ordre de succession, au trône de« Belgique, je viens, après avoir prêté le serment constitutionnel,« de prendre les rênes du gouvernement, et je m'empresse« d'en faire part à Votre Majesté impériale. Je la prie d'être« bien persuadée que je mettrai mes soins assidus à res-« serrer de plus en plus les relations amicales qui subsistent« entre nos cours respectives. En formant des voeux pour le« bonheur de Votre Majesté, je saisis cette occasion de lui offrir« l'expression de la plus haute estime et de l'inaltérable attache-« ment avec lesquels je suis..., etc.. »
Guillaume Il notifia ainsi, le 7 octobre 1840, au roi des Bel-
ges, son avènement au trône des Pays-Bas : « Monsieur mon« frère, appelé par l'abdication de mon très-vénéré et très-aimé« père, et par l'ordre de succession, au trône des Pays-Bas, je« remplis le devoir d'annoncer à Votre Majesté mon avènement.« J'ai la confiance que mon règne rencontrera constamment un« appui dans les sentiments de Votre Majesté, et je la prie de« vouloir se convaincre que, de mon côté, il me sera agréable« de cultiver les relations établies entre nous et nos États. Je me« flatte que, sous ces auspices, mes voeux pour le bien-être de« mes sujets, et mon désir de remplir de tout mon pouvoir la«' tâche éminente, mais difficile, que la Providence divine vient« de m'assigner, obtiendront des résultats salutaires et influe-« ront sur les sources de prospérité et sur le bonheur social de« mes peuples. Je prie Votre Majesté d'agréer l'assurance de la« haute estime et de l'amitié inviolable avec lesquelles je« suis..., etc.. »
(1) Voici la lettre qui fut adressée au corps diplomatique parM. Drouyn de Lhuys :
Monsieur,« J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint, avec le texte du
« sénatus-consulte qui détermine lès conditions dans lesquelles« le pouvoir souverain devra, pour l'avenir, s'exercer et se per-« pétuer en France, une copie officielle du plébiscite qui consa-
126 NOTIFICATIONS DIVERSES
Avènement d'un pape.
Aussitôt que le pape est décédé, les cardinaux s'as-
semblent en conclave. Le cardinal camerlingue,— c'est-à-dire chambellan, — devient président du
Sacré-Collège. Les chefs d'ordres, c'est-à-dire les
doyens des cardinaux de l'ordre des évêques, de
« cre ces importantes modifications et en fait une loi de l'État;
« Le nouvel empereur des Français monte donc, par la grâce« de la divine Providence, sur le trône où l'appelle le voté pres-« que unanime du peuple français, et je m'empresse d'exécuter
« les ordres du chef de l'État, en notifiant son avènement, par« votre organe, au gouvernement de Sa Majesté le Cette« transformation opérée dans la constitution politique de la« France exige, selon l'usage, que les agents diplomatiques« accrédités à Paris, comme ceux de Sa Majesté l'empereur des« Français dans les cours étrangères, reçoivent de nouvelles« lettres de créance. Je me ferai cependant un plaisir, jusqu'à" ce que cette double formalité soit remplie, d'entretenir avec« vous, à titre officieux, des rapports conformes à la bonne
« intelligence qui existe et ne cessera pas de régner entre nos« deux gouvernements.
« En effet, si la France se choisit un gouvernement plus appro-« prié à ses moeurs, à ses traditions et à la place qu'elle occupe« dans le monde; si ces intérêts trouvent dans un retour à la mo-« narchie la garantie qui leur manquait, il n'y a rien là qui puisse« changer son attitude extérieure. L'empereur reconnaît et ap-« prouve tout ce que le président de la République a reconnu et« approuvé depuis quatre années. La même main, la même pen-« sée continueront de régir les destinées de la France, et une« expérience, accomplie dans les circonstances les plus difficiles,« a suffisamment prouvé que le gouvernement français, jaloux de« ses droits, respectait également ceux des autres, et attachait le« plus grand prix à contribuer, pour sa part, au maintien de la« paix générale. C'est à ce but que tendront toujours les efforts du« gouvernement de l'empereur des Français, qui a la ferme con-« fiance que ses intentions se trouvant en parfait accord avec les« sentiments des autres souverains, le repos du monde sera« assuré.
« Je ne doute pas, monsieur, que la reconstitution du pouvoir« impérial eu France ne soit considérée partout comme un évé-« nement heureux, puisqu'elle est un gage de stabilité et de durée« donné à une politique si en harmonie avec les intérêts et les« besoins de toutes les Puissances, politique que l'empereur des
NOTIFICATIONS DIVERSES 127
l'ordre des prêtres et de l'ordre des diacres, rem-
plissent les fonctions de secrétaires d'État. Le premiersoin du conclave est de notifier aux chefs d'États lamort du souverain pontife et l'ouverture des travauxdu conclave.
Les chefs d'États répondent sans retard. Aprèsl'éloge du défunt, ils expriment le voeu que le conclavedonne bientôt un successeur au pontife défunt ; ils ex-
priment aussi la confiance que cette auguste assem-blée placera sur la chaire de saint Pierre celui de sesmembres qui sera le plus propre à assurer le bien
général de l'Église et l'avantage de tous les fidèles
catholiques. Il est bien entendu qu'il n'est question ici
que des chefs d'États catholiques, apostoliques etromains. Les lettres portent pour suscription, lorsquece sont des monarques qui les adressent: « A nostrès-ehers et. très-aimés cousins, les cardinaux de laSainte Église romaine, assemblés en conclave. " Lesrois catholiques traitent en effet les cardinaux de« cousins ». Ce mot n'est donc pas seulement employécomme indiquant un lien de parenté réel, mais comme
qualification honorifique.Les souverains pontifes font la notification de leur
avènement à la chaire de saint Pierre à tous les chefsd'États. Il y est répondu.
Les ambassades d'obédience.
Autrefois les papes exigeaient, lors de leur avène-
ment, ouexaltation, que les souverains leur envoyas-
« Français tient particulièrement à suivre dans ses rapports avec« le gouvernement de
« Agréez l'assurance de la haute considération avec laquelle« j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très-humble et très-obéis« sant serviteur.
« DROUYNDE LHUYS.« Paris, 1er décembre 1852. »
Cette lettre fut communiquée, le 1er février 1833, au gouverne-ment du Pérou. Elle figure dans la Collection d'Oviédo, sous la
signature du comte de Ratti-Menton, consul général et chargéd'affaires de France, t. VIII, p. 63.
128 NOTIFICATIONS DIVERSES
sent une ambassade d'obédience, que ces souve-
rains aimaient mieux appeler ambassade de révérence;
On ne trouve plus guère l'expression d'ambassade
d'obédience dans les divers ouvrages de droit interna-
tional, ni même dans ceux qui traitent spécialementde la classification des agents diplomatiques. L'envoi
d'une ambassade d'obédience au pape par l'empereur
romain-germanique et par les rois de France ou d'Es-
pagne, n'avait d'autre objet que de le féliciter au,
sujet de son exaltation au trône pontifical. Toutefois,l'ambassadeur d'obédience pouvait être accessoirement
chargé de négocier des affaires spéciales. De la partdes autres petits États, l'ambassade d'obédience im-
pliquait une sorte de vassalité : ainsi l'ambassadeurd'obédience du roi de Naples présentait la haquenée
que ce prince devait au pape, comme hommage à son-
suzerain.
Le dernier ambassadeur d'obédience envoyé par laFrance fut le duc de Créquy, chargé de représenter
Louis XIII auprès du pape Urbain VIII. Il ne partit
pour Rome qu'au printemps de 1633, quoique l'exalta-
tion d'Urbain fût de 1623. L'empereur romain-germa-
nique semble avoir mis encore plus de retard, puisque
M. de Schemberg ne fut envoyé qu'en 1638. La cause
de ce long ajournement est restée inconnue.
Etablissement d'une régence.
La régence est la dignité de celui qui gouvernependant la minorité, l'absence ou l'état d'incapacitéd'un monarque (empereur, roi, grand-duc, duc,prince, etc.) (1). Le régent est celui qui exerce, le
(1) On ne recourt pas toujours à une régence, quand le princerégnant est incapable ou empêché de gouverner : quelquefoisle souverain se fait remplacer, pendant la durée de son empê-chement, dans la direction suprême des affaires du gou-vernement. C'est ce qui a eu lieu, par exemple, en Prusse.En vertu d'une ordonnance du 4 juin 1878, rendue par l'empe-reur d'Allemagne, à la suite de l'attentat dont il a été l'objet et
NOTIFICATIONS DIVERSES 129
pouvoir souverain à la place du monarque absent,mineur ou incapable. La notification de l'établissementd'une régence se fait par le régent ; elle est signée par-ce dernier, au nom du monarque. La réponse estadressée au monarque (1).
la victime, le prince impérial, Frédéric Guillaume, a été chargéde remplacer l'empereur d'Allemagne, son père. Il y a eu plu-sieurs exemples, en Prusse, de cette suppléance du souverainrégnant par un prince de sa maison. Ainsi, en 1822, Frédéric-Guillaume III, avant de se rendre au congrès de Vérone, se fitsuppléer par le prince royal, qui monta plus tard sur le trônesous le nom de Frédéric Guillaume IV. A l'occasion d'un voyageque ce dernier fit en Angleterre, les pouvoirs royaux furentexercés provisoirement par l'héritier présomptif, le prince Guil-laume, depuis empereur d'Allemagne. Plus tard, celui-ci futencore chargé de remplacer son frère, et ce n'est qu'en 1838qu'il fut proclamé régent.
(1) J'emprunte au livre de M. Désiré Garcia de la Véga lesexemples suivants d'une notification de l'établissement d'unerégence et d'une réponse à cette notification. Ils sont tirés del'histoire du Brésil.
« Monsieur mon frère, rassemblée générale législative du Bré-« sil s'étant réunie pour faire l'apurement des voix des collèges« des provinces de l'empire appelés à choisir le régent, qui,« d'après l'article 28 de l'acte additionnel à la constitution poli-« tique du même empire, doit le gouverner quatre ans, au nom« de Sa Majesté l'empereur Don Pedro II, durant sa minorité, le« sénateur Diego-antonio-Frio a obtenu la majorité des voix, et,« après avoir prêté serment le 12 du mois courant, il se trouve« dans l'exercice de ses fonctions. Le régent donc s'empresse« de communiquer à Votre Majesté qu'il n'aura rien de plus à« coeur que de cultiver l'amitié de Votre Majesté, et de resserrer
" les liens de la bonne harmonie et de la parfaite intelligence«qui subsistent heureusement entre les deux pays. Que Votre« Majesté daigne agréer les sentiments de haute estime avec les-« quels je suis,
« Monsieur mon frère,« De Votre Majesté,« Le bon frère,« Le régent, au nom de l'empereur, Diégo-Antonio-Frio.« Au palais de Rio-de-Janeiro, le 25 octobre 1835.»
RÉPONSE.—«Monsieur mon frère, j'ai reçu avec bien de l'inté-« rêt la lettre par laquelle Votre Majesté impériale m'annonce« que, conformément à l'article 28 de l'acte additionnel à la« constitution brésilienne, l'élection du régent qui doit gouver-
9
130 NOTIFICATIONS DIVERSES
Élection d'un président de république.
C'est le président nouvellement élu qui informe lui
même les autres chef d'États de son élection à la pre
mièrè magistrature de la république. Si ces chef
d'États sont des monarques, il leur donne la majesté
l'altesse royale, l'altesse sérénissime ; il les appelle« son très-cher et grand ami » ; il se signe « leur sincèreami ». Si ce sont d'autres présidents de républiques,leur donne l'excellence, les appelle «grands et bon
amis », et se signe leur « loyal et bon ami ». Il est ré
pondu à cette notification. Dans la réponse, commedans la notification, il est toujours fait mention de l'es
poir et du désir de voir se resserrer de plus en plus, ot
dé voir se rétablir, ou de voir se consolider les liens
qui existent ou qui ont existé entre les deux États.
Nomination d'un co-régent.
Un co-régent, que chez les Romains on appelait un
associé à l'empire, est un prince qu'un monarque s'ad-
joint pour le gouvernement de ses États, lorsque, par
exemple, il veut se procurer un soulagement devenudésirable à son âge avancé, ou rendu nécessaire parl'affaiblissement de ses organes. En général, c'est le
prince-héritier qui est nommé co-régent (1). La notifi-
« ner l'empire au nom de l'empereur Don Pédro Il ayant eu lieu« le sénateur Diégo-Antonio-Frio a réuni la majorité des suffra« ges et est entré dans l'exercice de ses hautes fonctions. Je« partage avec empressement le désir que Votre Majesté veu« bien exprimer, par l'organe du régent de l'empire, de voir si« resserrer encore les liens de bonne harmonie qui subsisten« si heureusement entre les deux pays, et je me félicite de pou« voir lui renouveler personnellement l'assurance des senti« ments de vive amitié et de haute estime avec lesquels je« suis.... »
(1) C'est ainsi que Marie-Thérèse d'Autriche, impératrice d'Al
lemagne et reine de Hongrie, morte en 1780, avait fait couronneempereur son fils Joseph II, dès 1765, et l'avait associé à l'em-pire.
NOTIFICATIONS DIVERSES 131
cation dé la nomination du co-régent est faite par le
monarque qui l'a nommé ; c'est à ce monarque que la
réponse est adressée. Mais les notifications officiellesultérieures sont faites par le co-régent, et les notifica-tions étrangères lui sont adressées comme s'il régnaitseul.
Notification d'abdication.
Lorsque l'abdication est volontaire, la notification enest faite par le prince qui abdique. La lettre qui an-
nonce cette détermination indique généralement les
motifs qui ont porté à la prendre, elle désigne celui en
faveur de qui l'abdication est faite, elle exprime qu'elleest libre, complète et irrévocable ; elle peut contenir
cependant certaines réserves : par exemple, la réserve
de tel titre, de tel traitement honorifique, de telles pré-
rogatives. La lettre de notification exprime l'espoir queles relations établies entre les deux gouvernementscontinueront d'être maintenues et cultivées dans leur
intérêt commun, sous le règne du successeur.
Les exemples d'abdication ne sont pas rares dans
l'histoire. Il suffira de citer l'abdication de Charles-
Quint, en 1556 ; de Christine de Suède, en 1654 ;de Gustave IV de Suède, en 1809 ; de Napoléon, en
1814 et 1815 ; de Charles X, en 1830 ; de Guillaume
Ier de Hollande, en 1840; de Louis-Philippe, en 1848.
Toutes n'ont pas été volontaires : celles de Gustave IV,
par exemple, de Napoléon, de Charles X, de Louis-
Philippe.
Notification de réunion d'un État à une couronne
étrangère.
Il y a un cas assez rare d'abdication : c'est celui où
un prince, pour des motifs quelconques, renonce au
gouvernement de son État, et remet ce gouvernemententre lés mains d'un autre prince. Il faut, pour trouver
des exemples de pareilles aliénations, fouiller dans
132 NOTIFICATIONS DIVERSES
l'histoire des petites principautés allemandes, où le
prince se croit le droit de disposer de ses sujet
comme un fermier dispose de sa ferme et des trou
peaux qui la garnissent. Un fait semblable ne peut par
se produire dans un État qui s'est émancipé de l'espri
féodal. C'est ainsi que, par un traité conclu le 7 décem-
bre 1849, les principautés de Hohenzollern-Heckin
gen et Hohenzollern-Zigmaringen ont été incorporéesà la Prusse, comme partie intégrante de cet État. Il
été stipulé que les deux princes conserveraient leurs
domaines propres et que, de plus., ils recevraient, le
prince de Hohenzollern-Heckingen, une pension via-
gère de 10,000 thalers, et le prince de Hohenzollern-
Zigmaringen une pension de 25,000 thalers pour lui etses successeurs. La possibilité de marchés semblables
est une honte pour la moralité politique d'un peuple.
Quoiqu'il en soit, la notification est faite ordinairément
par celui qui renonce et qui cède. La réponse peutcontenir certaines réserves, car la politique des autresÉtats peut être engagée dans de semblables marchés-
Notification de reconnaissance d'un État.Autres communications que se font les chefs d'États.
La reconnaissance d'un État par un gouvernementse fait, — et c'est là le moyen, le plus simple, — parune lettre qu'adresse, au nom du chef de l'État et de son
gouvernement, le ministre des relations extérieuresau ministre des affaires étrangères de l'État à recon-naître. Comme c'est une affaire d'un caractère exclu-sivement gouvernemental, les chefs d'États n'écrivent
pas eux-mêmes, en pareil cas. Il est dit, dans-cette noti-fication, que tel État est disposé à entrer en relationsofficielles avec celui qu'il s'agit de reconnaître, et quecette déclaration doit être considérée comme le témoi-gnage d'une reconnaissance formelle. Le voeu de l'éta-blissement entre les deux pays de rapports déplus enplus étroits et réciproquement utiles est égalementexprimé.
NOTIFICATIONS DIVERSES 133
Il a été dit que la reconnaissance d'un État par dé-
claration écrite est le moyen le plus simple : on en
connaît d'autres, en effet. Ainsi, par exemple, on re-
connaît un État en y accréditant une mission diploma-
tique permanente ; en y envoyant une mission extraor-
dinaire : les lettres de créance, dans l'un et l'autre cas,
peuvent mentionner expressément la reconnaissance ;en délivrant à une personne des pleins pouvoirs l'auto-
risant à reconnaître l'État : cette personne dresse alors,de concert avec le ministre des affaires étrangères de
cet État, un procès-verbal de reconnaissance ; enfin,en notifiant au chef de l'État à reconnaître un événe-
ment concernant le chef d'État qui reconnaît. Ce der-
nier moyen constitue la reconnaissance implicite. On
peut aussi reconnaître implicitement en nommant des
consuls, par exemple ; quoique quelques États n'ad-
mettent point que la nomination d'agents commerciaux
équivale à une reconnaissance (1).Une remarque à faire à propos des notifications d'é-
vénements politiques, c'est que, lorsque deux préten-dants se disputent le gouvernement 1, les relations de
l'État déchiré par la guerre civile sont forcément in-
terrompues. Lorsque la guerre civile est terminée, le
concurrent qui a triomphé entre dans le concert des
chefs d'États : on lui notifie alors les événements
les plus importants qui se sont passés pendant l'inter-
ruption des relations. Dans ce cas l'acte de notifica-
tion est nécessairement conçu dans des termes parti-culiers qui font allusion aux circonstances. Il y est dit,
par exemple, que les obstacles qui ont momentané-
ment interrompu les relations ayant heureusement dis-
paru,-on se félicite de pouvoir aujourd'hui lui notifier,
etc., etc.... C'est une phrase vague, mais qui sauve
toutes les situations.
Les chefs d'États ne se font pas seulement entre eux
des notifications d'événements politiques : ils s'adres-
(1) Voir l'ouvrage déjà cité de M. Désiré Garcia de la Véga,p. 205.
134 COMPLIMENTS DE CONDOLÉANCE ET FÉLICITATIONS
sent encore des compliments de condoléance et des fé-
licitations ; enfin, ils se notifient aussi des événements
de famille,
Compliments de condoléance et félicitations.
L'expression des sentiments de condoléance et les
félicitations occupent une large place dans la corres-
pondance des chefs d'États. Ainsi, par exemple, lors^
qu'une tentative d'assassinat est commise sur la per-sonne d'un chef d'État, des lettres de condoléance et
de félicitation lui sont adressées. D'ordinaire on écrit
immédiatement à l'agent diplomatique accrédité prèsle chef d'État qui a été l'objet de la tentative, pour le
prier d'exprimer les sentiments du gouvernement et
lui annoncer l'envoi prochain des lettres de félicitation.
Dans chaque capitale le ministre des affaires étrangè-res fait une visite à l'agent du chef de l'État contre
lequel l'attentat a été dirigé ; les hauts fonctionnaires
font visite par carte à cet agent : mais ici encore c'est
une question d'usage qui n'a rien d'absolu.
Souvent, à la suite d'un attentat commis sur la per-sonne d'un chef d'État, et auquel ce dernier a échappé,ses agents diplomatiques à l'étranger font chanter des
Te Deum auxquels ils invitent leurs collègues. Le corps
diplomatique assiste à ces cérémonies en uniforme.
Que fera, en pareil cas, l'agent du gouvernement quiaura suspendu ses rapports avec le gouvernement du
chef de l'État objet de l'attentat ? Il n'assistera pas enuniforme à la cérémonie, mais il y assistera en frac.La courtoisie et le bon goût lui en feront un devoir.
Anniversaires.
Des lettres de félicitation et de remerciement sont
également échangées, surtout entre les chefs d'États
monarchiques, à l'occasion des anniversaires, soit deleur naissance, soit de leur avènement au trône, soitmême de certains événements de famille. Ainsi, lors
DEUILS DE COURS 135
du vingt-cinquième anniversaire de l'avénement du roi
Léopold Ier au trône de Belgique, — le 21 juillet 1856,— tous les chefs d'États ont adressé des lettres de féli-citation à ce prince. Quelques-tins ont envoyé des
agents en mission spéciale ; d'autres sont venus assis-ter en personne aux fêtes qui ont été célébrées danstout le royaume à cette occasion.
Notification d'événements de famille.
Il a été dit qu'il est reçu entre la plupart des chefsd'États de se notifier les événements, soit tristes, soit
heureux, qui ont lieu par rapport à la personne ou àla famille de ces chefs d'États : tels que le décès du
chef lui-même, de son épouse,— si c'est un monarque,
— des princes ou princesses du sang, les mariages,les grossesses, les naissances, etc.
Ces notifications se font par écrit, ou verbalement,par le ministre ordinaire, ou par un ministre extraordi-
naire. Il y est répondu par des compliments de condo-léance ou de félicitation. La coutume est, entre égaux,de répondre dans la forme qui a été suivie pour la no-
tification. Quelquefois, d'après les circonstances, on
y ajoute d'autres démonstrations de la part qu'on prendà la nouvelle : par exemple, on ordonne des réjouis-sances publiques, dans des circonstances heureuses,des prières publiques, on fait chanter des Te Deum,on fait célébrer des cérémonies funèbres, on prend le
deuil.
Deuils de cours.
Les deuils de cours se rattachant par leur objet aux
relations avec les autres Puissances, rentrent, en gé-
néral, dans les attributions du ministère des affaires
étrangères.Il n'existe point de règles universellement admises,
à cet égard. Chaque cour a ses usages particuliers ;dans quelques pays c'est le monarque qui décide,
136 DEUILS DE COURS
chaque fois qu'un cas particulier se présente. Le deuil
est ordinairement partagé en plusieurs périodes : le
grand deuil, le demi-deuil et le petit deuil. Outre la no-
tification officielle des deuils de cours, qui est faite par
la voie du journal du gouvernement, le ministre des
affaires étrangères les porte habituellement par billet
à la connaissance du corps diplomatique étranger (1).
Dans la plupart des cours européennes on ne prend,
en général, le deuil d'un prince étranger qu'après que
la notification de sa mort a été faite d'une manière
officielle et directe.
Comme il est admis par toutes les cours que tout
agent diplomatique résidant près d'elle doit se con-
former aux règles du cérémonial qui y sont en vigueur,les légations à l'étranger doivent prendre le deuil toutes
les fois que les cours près desquelles elles sont accré-
ditées le revêtent pour les membres des familles régnan-tes qui viennent à décéder.
Les agents accrédités près des républiques, dont
les présidents restent étrangers à tous les deuils des
cours, ne le portent pas eux-mêmes.
Lorsque les agents diplomatiques doivent assisteraux funérailles ou au service de membres du corps di-
plomatique, ou bien lorsqu'ils sont appelés à figurerdans une conférence ou une cérémonie chez l'agentd'un chef d'État qui est en deuil, ils doivent se
(1) Il peut arriver, dit M. Désiré Garcia de la Véga, que lacour porte le deuil sans le roi : par exemple, à la mort de sesenfants, de ses petits enfants et de ses neveux. Nul doutecependant que le roi ne le prît pour un de ses neveux et mêmepour un de ses enfants qui fût devenu prince étranger.
Lorsque la cour est en deuil, aucune personne, même cellesqui demandent une simple audience, ne peut y paraître sansêtre en deuil.
Il est d'usage non moins constant que nul, à moins de per-mission spéciale du roi, ne paraisse en grand deuil à la cour,hors l'époque où la cour est elle-même en grand deuil : il nefaut pas attrister les puissants. (Voir le Guide pratique des agentspolitiques du ministère des affaires étrangères de M. de la Véga,édition de 1867, p. 438.)
MARIAGES ET BAPTEMES 137
présenter eux-mêmes en deuil, ne fût-ce que parcourtoisie.
Le deuil n'est jamais pris pour le pape. La dignité du
successeur de saint Pierre étant élective, etlahaute po-sition où il est placé étant toute personnelle, il n'est
pas considéré comme faisant partie des familles souve-
raines. Les cours ne prennent pas non plus le deuil
pour les chefs de républiques, et les présidents des
républiques ne le prennent pas davantage pour les
princes régnants ; toutefois, les drapeaux des diffé-
rents pays, dans les villes où il est coutume de les ar-
borer, sont hissés à mi-lance en signe de deuil.
Il est. enfin généralement admis, parmi les cours,
qu'on ne prend pas le deuil pour un prince âgé de
moins de sept ans, fût-il héritier du trône ; aussi ne fait-
on pas ordinairement de notification diplomatique d'un
pareil décès, si ce n'est à des princes proches parents.On ne prend pas non plus le deuil pour les princes et
princesses qui sont décédés après avoir fait des voeux
dans des communautés religieuses, la profession mo-
nastique emportant renoncemment au monde et équiva-lant à la mort. Mais, sauf ces exceptions, le deuil est
une démonstration dont les cours ne s'abstiennent pas,même en temps de guerre. Louis XIV porta le deuil
pour Léopold Ier et pour Joseph Ier, empereurs d'Alle-
magne, qui moururent pendant la guerre de la suc-
cession d'Espagne. Charles VI d'Allemagne ordonna,en 1712, pendant la même guerre, le deuil et des céré-
monies funèbres, lors de la mort du Dauphin, de la
Dauphine et du duc de Bretagne.
Mariages.
Les usages relatifs aux demandes en mariage, à la
signature des contrats, aux mariages par procuration,
etc., diffèrent d'après les cours et d'après les circons-
tances.
Il est enseigné : 1° que, même entre princes ré-
gnants, le choix des époux ne dépend que du libre
138 MARIAGES ET BAPTEMES
voeu des deux partis, et qu'en exceptant les cas rares
de traités, ou ceux d'une promesse de mariage déjà
faite, des Puissances tierces n'ont pas le droit de gêner
ce choix; mais malheureusement les considérations de
la politique font surgir parfois des complications : diffi-
cultés auxquelles échappent, d'ailleurs, les États sou-
mis au régime républicain ;
2° Que le cas d'une mésalliance n'offre point aux
étrangers le droit de se refuser à reconnaître les
époux, ou les héritiers qui en sont issus.
Le mariage accompli est l'objet d'une notification ;
mais, lorsqu'un monarque étranger assiste à un ma-
riage, dans une cour, il n'est pas d'usage de lui notifier
cet événement : une pareille démarche serait consi-
dérée comme superflue.
Baptêmes.
Il est d'usage entre les princes, particulièremententre les cours qu'unissent des liens de famille, de
s'inviter réciproquement à tenir leurs enfants sur les
fonts de baptême. F. de Martens fait remarquer que,dans le choix de ces parrains ou marraines, on n'a
pas aujourd'hui les mêmes égards qu'autrefois à la
parité de religion. (1)On invite quelquefois aussi des républiques à être
marraines.
Les princes étrangers assistent rarement en per-sonne à la cérémonie du baptême. Quand ils accep-tent d'être parrains, quand une république consent àêtre marraine, ils se font représenter par un ministre,ou par quelque autre personnage dont généralement le
père de l'enfant fait choix. Les parrains ou marraines
font, d'après l'usage, des présents.
(1) G. F. de Martens, Précis du droit des gens moderne del'Europe, § 167, édition annotée par M. Ch. Vergé, 1864, t. II,p. 4,
PRÉSENTS 139
Echange de présents.
Les chefs d'États échangent quelquefois entre euxdes présents: c'est une coutume fort ancienne. La
plupart du temps ces présents sont purement volon-
taires ; il y en a eu cependant d'introduits par l'usage :
ainsi, jadis, les rois de France envoyaient presqueannuellement aux rois de Danemark des faucons
dressés ; Napoléon Ier recevait de quelques princes
d'Allemagne des cerfs vivants. Pour présents on
choisit d'habitude des bijoux et autres choses de prix,des curiosités, soit naturelles, soit artificielles, des
objets favoris de l'une des deux parties, des ouvragesfaits par celui même qui les donne en présent, des tra-
vaux scientifiques ou littéraires, des objets d'art, des
produits de l'industrie nationale, etc. Marie-Thérèse
envoyait du vin de Tokay à Louis XV, et Louis XV lui
répondait par du vin de Champagne. Le pape envoie
des choses bénites, par exemple des chapelets, des
langes, des chapeaux, des épées, des « agnus dei»,des reliques de saints, des objets antiques, des roses
d'or.
C'est depuis le VIIIe siècle que les souverains pon-tifes sont dans l'usage de bénir et de consacrer un
bouquet de roses d'or, le quatrième dimanche de ca-
rême, jour de «Loetare». Ces roses expriment, d'aprèsle langage de la cour pontificale, la joie de l'une et
l'autre Jérusalem, c'est-à-dire l'église triomphante et l'é-
glise militante. Les papes décernent ces roses aux
reines, aux princesses illustres, puissantes et ornées
de beaucoup de vertus, afin que « semblables à la rose
qui croît près du courant des eaux, elles soient encore
plus grandes en. qualités brillantes » (1). C'est un pré-
lat, quelquefois même un nonce, qui est chargé de
la remise de cette précieuse distinction. La cérémo-
(1) Il est intéressant de rappeler que l'une des dernières reinesà qui la rose a été envoyée, fut la reine d'Espagne Isabelle II...
140 ORDRES DE CHEVALERIE
nie a lieu ordinairement en présence du corps diplo-
matique, et en grande pompe et solennité.
Quelquefois aussi l'on s'engage par traité à faire
des présents, soit unilatéralement, soit mutuellement ;
on peut citer, par exemple, les traités avec la Porte de
1739 et de 1791, les traités avec les États barbaresques.
Il est vrai que, dans ce cas, ce sont des prestations obli-
gatoires, et non pas de véritables présents.
Ordres de chevalerie.
Parmi les présents, les plus recherchés parce qu'il
s'y attache une idée d'honneur et un sentiment d'amour-
propre, peut-être même de vanité, sont les présents quiconsistent en ordres de chevalerie, en décorations (1).C'est aux ordres religieux que les croisades ont vu
naître que se rattachent ces distinctions honorifiquesmodernes. A l'exemple de ces ordres religieux et mili-
taires, les monarques commencèrent à établir dans
leurs cours des confréries de chevaliers, auxquels les
marques distinctives dont ils les décoraient servaient
de témoignage de ce qu'ils étaient admis dans la so-
ciété la plus intime des amis du prince. L'usage et le
nombre de ces ordres ont été étendus dans la suite ;on les a fait servir de récompense pour les services
militaires ou civils (2). La plupart des princes régnants,
(1) L'Europe diplomatique a publié, en août 1880, une séried'intéressants articles sur les ordres de chevalerie.
(2) Toutes ces distinctions honorifiques n'ont pas une origineféodale, ne se rattachent pas aux ordres religieux du temps descroisades : l'ordre national français de la Légion d'Honneur,institué par la loi du 29 floréal an X (19 avril 1802), a, par exem-ple, une origine républicaine. Voici comment s'exprimait, auCorps Législatif, dans la séance du 25 floréal de la même année,le conseiller d'État Roederer : « Législateurs, la Légion d'Hon-neur qui vous est proposée, doit être une institution auxiliairede toutes nos lois républicaines, et servir à l'affermissement dela Révolution. Elle paie aux services militaires, comme aux ser-vices civils, le prix du courage qu'ils ont tous mérité ; elle lesconfond dans la même gloire, comme la nation les confond dans
ORDRES DE CHEVALERIE 141
et même des républiques, ont établi un ou plusieursde ces ordres, plus ou moins estimés d'après le gou-vernement qui les donne et d'après la manière dont il en
dispose (1). Ces ordres se confèrent non-seulement à
sa reconnaissance. Elle unit par une distinction commune deshommes déjà unis par d'honorables souvenirs Elle met sousl'abri de leur serment nos lois conservatrices de l'égalité, de laliberté, de la propriété. Elle efface les distinctions nobiliairesqui plaçaient la gloire héritée avant la gloire acquise, et les des-cendants des grands hommes avant les grands hommes. C'estune institution morale qui ajoute de la force et de l'activité à ceressort de l'honneur qui meut si puissamment la nation fran-çaise.... C'est la création d'une nouvelle monnaie d'une bienautre valeur que celle qui sort du trésor public : d'une monnaiedont le titre est inaltérable et dont la mine ne peut être épuisée,puisqu'elle réside dans l'honneur français ; d'une monnaie enfinqui peut seule être la récompense des actions regardées commesupérieures à toutes les récompenses. »
(1) La République du Pérou, elle aussi, a eu ses ordres dechevalerie : ainsi, un décret du 8 octobre 1821 a sanctionné lerèglement d'un ordre du Soleil, qui devait être « le patrimoinedes guerriers libérateurs, la récompense des citoyens vertueuxet de tous les hommes bien méritants. » Cet ordre fut supprimépar une loi du 9 mars 1823, comme peu conforme aux bases dela constitution politique de la république. En 1833, un décretdu 9 décembre créa un ordre de la Légion d'Honneur du Pérou,destiné à récompenser « les hommes illustres qui se seraientrendus célèbres par leurs vertus et par leurs services remarqua-bles.» L'auteur du décret partait de ce principe, exposé dans lesconsidérants qui le précédaient, que c'est un devoir sacré, pourla nation et pour le gouvernement, « de récompenser par des mar-ques éclatantes, les individus qui se seraient distingués au service
de la cause publique, de rendre ainsi effective la reconnaissancenationale, et de stimuler les générations présentes et futures." Undécret très-violent du 22 février 1830, inspiré par la réaction
politique du temps, abolit cette Légion d'Honneur du Pérou,comme « diamétralement opposée au système républicain.» Lesgouvernants péruviens n'avaient pas, du reste, oublié lesfemmes dans ces créations de marques et distinctions honorifi-ques. Un décret du 11 janvier 1822 avait accordé aux femmes«patriotes «qui s'étaient le plus distinguées par leur adhésion à lacause de l'indépendance, le droit de porter une écharpe de soie,blanche et rouge, avec une plaque d'or portant l'inscription sui-vante : « Au patriotisme des plus sensibles.» Il était parlé, dans
l'exposé des motifs, du « sexe le plus sensible, qui doit naturel-
142 ORDRES DE CHEVALERIE
des, particuliers, sujets ou étrangers, mais encore aux
princes étrangers, même sans distinction de sexe,
pour servir de gages d'amitié. Donnés aux princes ou
aux diplomates, ce ne sont que des présents ; conférés
aux particuliers, ce sont des récompenses qui sont sou-
vent la seule rémunération d'une vie de sacrifices et de
travaux. C'est surtout entre les chefs d'Etats que les
décorations peuvent-être considérées comme des pré-sents réciproques : les princes s'envoyent leurs ordres
de chevalerie par un échange mutuel ; ils en décorent
leurs entants au berceau. Même en temps de guerreon ne discontinue pas de les. porter.
Les envois de présents et d'ordres de chevalerie, ou
autres distinctions honorifiques, à des princes régnantsou à des princes de maisons régnantes, donnent occa-
sion à des lettres d'envoi et à des lettres de remer-
ciement.
Tels sont les principaux objets des communications
que les chefs d'États peuvent avoir à se faire. C'est
l'usage particulier des gouvernements et des cours
qui décide de la forme dans laquelle ces communi-
cations doivent-être rédigées : la plus usitée est laforme des lettres de cabinet ; ces lettres sont ordinai-
rement remises aux chefs d'États par les ministresaccrédités auprès d'eux. La réponse se modèle sur lessentiments qui ont été exprimés, en suivant, entre
égaux, les mêmes formes, et en imitant les mêmesformules. Il a été déjà dit que les notifications d'évé-nements de famille peuvent se faire aussi verbale-ment.
lement être le plus patriote. » Il y était question aussi du « beausexe du Pérou, dont les sentiments délicats relèvent les attraitsphysiques.» Un autre décret, du 24 décembre 1823, sur le diplômepour l'usage de la médaille conférée au « beau sexe», fait en ter-mes enthousiastes l'éloge des « enchanteresses filles du Pérou,modèles de générosité et de courage ». Ces décrets se trouventdans la Collection d'Oviédo, t. IV, p. 15 et suiv., p. 23. Par décretdu 26 mai 1880, le dictateur actuel du Pérou, M.de Piérola, a crééune institution appelée Légion du mérite, destinée à récompen-ser le mérité militaire et le mérite civil.
VOYAGES DES PRINCES ETRANGERS 143
Réception des princes étrangers.
Les questions relatives au cérémonial personneldeviennent particulièrement délicates à l'occasion des
voyages des chefs d'États.
Les usages des différents pays sont assez uniformes,
quant à la réception. Il est généralement pratiquéd'aller ou d'envoyer à la rencontre des chefs d'États en
voyage, de les saluer du canon, de leur accorder
différents honneurs militaires, de quitter le deuil, d'or-
ganiser des fêtes, de les défrayer, de les loger au pa-
lais, etc., etc. On comprend toutefois que le rang du chef
de l'État influe beaucoup sur le degré des honneurs
qu'on lui accorde : on ne recevra pas, par exemple,un petit prince d'Allemagne, comme on recevrait l'em-
pereur de toutes les Russies, ou le président de la Ré-
publique française. Le degré d'intimité entre les peu-
ples, la nature et l'importance de leurs intérêts con-
fondus, exercent également une certaine influence
sur la solennité et la cordialité de la réception. On ne
se quitte guère sans se faire des présents. De pareils
voyages et de semblables réceptions sont l'occasion
de beaucoup d'embarras et encore plus de frais ; voilà
pourquoi les chefs d'États voyagent volontiers inco-
gnito. Il n'y a plus alors de cérémonial fixe ; la rigueurde l'incognito varie d'après ce dont on est convenu, et
d'après le goût du voyageur étranger.Les chefs d'États qui ne touchent un territoire
étranger qu'en passant, ou qui ne passent que dans le
voisinage, sont aussi l'objet d'autres politesses. La
plus ordinaire est de leur envoyer une personne de
distinction, un haut fonctionnaire, un personnage cons-
titué en dignité, pour les complimenter à leur passage.Mais il n'y a pas là de droit parfait : tout dépend des
circonstances.
144 L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS
Les chefs d'États en voyage et la fiction
de l'exterritorialité.
Appliquée aux chefs d'États, l'exterritorialité estune fiction par laquelle on suppose que, quoique rési-
dant actuellement en pays étranger, ces chefs d'États
demeurent encore sur le territoire qu'ils gouvernent.Les anciens auteurs ont beaucoup débattu la question
de savoir si les chefs d'États en voyage doivent jouirde cette fiction : Puffendorf, Bynkershoëck, Neumann,disaient : oui; Helmertshausen, Cocceïus, disaient : non.
G.-F. de Martens admet, avec beaucoup de raison,
qu'on puisse élever des doutes à cet égard, d'après la
rigueur de la loi naturelle, mais il observe qu'un usage,universellement reconnu en Europe accorde cette
exterritorialité à toutes les têtes couronnées et à
d'autres princes régnants et souverains (1).Kluber constate, lui aussi, qu'il est d'usage, en Eu-
rope, d'accorder le plus souvent au souverain actueld'un État indépendant, durant son séjour pacifiquedans un territoire étranger, l'exterritorialité pour sa
personne, sa suite, son hôtel et son mobilier (2).Heffter déclare que le droit le plus éminent dont
jouisse le souverain étranger, lors de son entrée dansun territoire, est celui qui consiste clans l'exterritoria-
lité, tant au profit de sa personne, qu'au profit de sasuite et des objets destinés à son usage personnel.Il rappelle que l'exterritorialité est un produit du droitmoderne, car rien de semblable n'existait chez lessouverains du moyen âge : l'emprisonnement et lesmauvais traitements infligés aux princes étrangersétaient en effet alors à l'ordre du jour, et c'est par là
qu'on débutait souvent lors d'une déclaration deguerre. Heffter accepte l'exterritorialité comme un
usage observé; il la considère même comme uneconséquence du principe de l'égalité des souverains.
(1) F. de Martens, ouvrage et édition cités, § 172, t.II, p. 10.(2) Klüber, ouvrage et édition cités, §§ 49 et 136, p. 80 et 192.
L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS 145
Il y met toutefois une réserve : c'est que l'exterrito-rialité ne doit impliquer en aucune manière un droit
d'asile au préjudice du gouvernement étranger (1).Bluntschli s'exprime d'une manière très-précise sur
ce point : « la sûreté des relations internationales, —
dit-il, — et l'indépendance des États, l'ont emporté jus-
qu'à présent sur le principe de la souveraineté terri-
toriale. » Il s'appuie sur ce que, pour que l'indépen-dance d'un État soit sauvegardée', le souverain de cet
État ne doit dépendre d'aucune Puissance étrangère.Bluntschli proclame même que « les souverains sont,dans la règle, au-dessus des lois de l'État, même s'ils
se trouvent sur territoire étranger » (2).Les empereurs romains Sévère et Antonin-le-Pieux
exigeaient moins pour les chefs d'États : « bien que
placés au-dessus des lois, —disaient-ils,
— nous
vivons cependant dans l'observation des lois » (3).La plupart des publicistes et la pratique des États
admettent donc, même encore de nos jours, que l'éga-lité aujourd'hui incontestée des souverains entre eux
leur assure, tant à eux qu'à leur suite et aux objetsdestinés à leur usage personnel, le bénéfice, de ce
qu'on nomme l'exterritorialité.
Plusieurs immunités constituent ce bénéfice :
1° La première de toutes, c'est l'exemption des lois
de l'État sur lé territoire duquel le chef d'État réside.
Cette immunité est toutefois un droit purement néga-
tif, qui consiste seulement à empêcher l'applicationdès lois contre la personne jouissant de l'exterritoria-
lité, et nullement un droit actif l'autorisant à attaquerl'État qui lui accorde cette faveur.
2° L'exemption de toute contrainte directe ou indi-
recte de la police, à la condition cependant de ne
rien faire de contraire à la moralité, à la sécurité et à
l'Ordre publics.
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, § 34, p. 109.
(2) Bluntschli, ouvrage et édition cités, n° 129, p. 117.
(8) Institutes de Justinien, livre II, titre 17, § 8.
10
146 L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ETATS
..3° L'exemption de tous les impôts personnels.
4° L'exemption de toute action civile, et spéciale-
ment de toutes poursuites pour dettes.
5° L'exemption de la juridiction des tribunaux crimi-
nels : ce qui n'exclut pas le droit de prendre des me-
sures pour empêcher les délits.
6° On compte encore parmi les effets de l'exterrito-
rialité, la juridiction contentieuse du chef de l'État sur
ses sujets, dans, les limites tracées par les lois de son
propre pays, et dans des cas urgents; enfin, la juri-
diction volontaire. Pour cette dernière, elle ne présenteà la rigueur pas de difficultés: quant à la juridiction
contentieuse, il y a une raison très-grave pour con-
tester l'exercice de ce droit. S'il était fondé, en effet,les autorités locales seraient tenues de prêter main
forte et de mettre à exécution les arrêts que le mo-
narque voyageur prononcerait, sur ses gens ; ou bien"
il faudrait lui accorder l'autorité d'employer lui-même,à cet effet, en présence des autorités du pays, et sans
que celles-ci eussent le droit d'en empêcher les abus,la force qui serait à sa disposition : conséquences
rigoureuses qui sont également inadmissibles;
Ce qui donne, d'ailleurs, moins d'importance à ce
dernier point, c'est que de nos jours il n'y a que les
gouvernements despotiques où les monarques exer-cent le pouvoir judiciaire : or les gouvernements des-
potiques n'existent plus, à l'exception toutefois de la
Russie, qui est encore soumise au sceptre d'un auto-crate.
Quant au droit de juger en matière criminelle, iln'a jamais été compris dans les effets de l'exterrito-rialité.
La doctrine vraie, c'est que la question de savoir siles princes en pays étranger ont une juridiction surles gens de leur suite, doit être aujourd'hui résolue;négativement d'une manière absolue. Si les publicistes,dit M. Laurent, avaient réfléchi à la révolution de 1789,et au nouvel ordre de choses qu'elle a inauguré, au-
raient-ils pu songer à donner aux monarques en pays
L'EXTERRITORIALITE DES CHEFS D'ETATS 147
étranger un pouvoir dont les rois ne jouissent plus dans
leurs propres États. Saint Louis ne rend plus aujour-d'hui la justice au pied d'un chêne. La juridiction est
un attribut de la souveraineté, et à quel titre les rois
exerceraient-ils la puissance souveraine dans un paysoù ils ne sont pas" souverains ? Peut-il y avoir deux
souverains dans un seul et même État? Qui aurait con-
féré au prince étranger une partie quelconque de la
puissance souveraine ? Les rois ne sont plus que l'un
des pouvoirs auxquels la nation délègue la souverai-
neté, et il ne leur est pas permis de déléguer à leur
tour les droits qu'ils n'exercent que par délégation. Il
faudrait donc remonter à la nation, et demander si c'est
elle qui permet à un prince étranger d'exercer une
juridiction sur sa suite. Dira-t-on que le roi étrangerétant reçu comme souverain doit avoir les droits quisont attachés à la souveraineté? Mais en admettant
que par une fiction quelconque la chose soit possible,encore le prince étranger ne pourrait-il exercer à
l'étranger que les pouvoirs qu'il a dans son propre
royaume. Or, dans nos États constitutionnels, les rois
n'exercent plus de juridiction sur leur entourage ; ce
qui pouvait être vrai dans l'ancienne monarchie féo-
dale, ou sous la royauté absolue, ne l'est plus au XIXe
siècle (1).
Exceptions au bénéfice de l'exterritorialité.
Les publicistes qui admettent encore de nos jours
l'exterritorialité, comptent plusieurs cas exceptionnelsdans lesquels il n'y aurait pas lieu à l'application de
cette étrange fiction en faveur des chefs d'États en
voyage :
1° Lorsque le chef d'État est au service de celui
dans le territoire duquel il séjourne. Cela peut s'appli-
quer, par exemple, à certains princes allemands, qui
(1) Voir Laurent, Le droit civil international, t. III, n° 37,
p.103.
148 L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS
servent en qualité de généraux dans l'armée prus-
sienne ; il y a même des présidents de républiques qui
sont généraux dans l'armée d'autres républiques plus
ou moins voisines. Il est bien entendu que ces chefs
d'États peuvent toujours, en tout temps, renoncera
leurs fonctions, et invoquer leur qualité de chefs
d'États.
2° Lorsque le chef d'État se trouve incognito en
pays étranger : comme on ignore, sa qualité, on le
traite en simple citoyen ; mais il peut toujours re-
noncer à l'incognito et faire connaître sa qualité : à
partir de ce moment, il peut prétendre à tous les droits
qui s'y rattachent.
3° Lorsqu'un monarque n'est que titulaire, par
exemple après son abdication, ou s'il se trouve en
pays étranger comme prétendant à une couronne.
Comme ce prince qui a abdiqué, ou qui a été détrôné,n'est plus autorisé à représenter l'État, le gouverne-ment étranger qui le reçoit sur son territoire peut le
considérer comme un simple citoyen. Ainsi, lorsqueChristine de Suède fit assassiner, en 1657, à Fontai-
nebleau, son écuyer et amant Monaldeschi, elle avait
abdiqué, et par conséquent elle était justiciable de la
juridiction criminelle française. On se contenta de la
bannir de France. Marie Stuart n'était plus reconnue
par l'Angleterre comme reine d'Ecosse, lorsque la.reine Elisabeth fit tomber sa tête sur l'échafaud (1).
(1) M. Laurent soutient donc la bonne doctrine, en enseignantque les immunités reconnues aux princes à l'étranger cessentavec leur souveraineté. S'ils abdiquent, dit-il, ou s'ils sont dépo-,sés légalement, ils ne sont plus souverains : dès lors, ils ne peu-vent plus invoquer des privilèges attachés à la souveraineté ; que,par égard pour leur ancienne dignité, et aussi par vanité royale,on leur accorde les honneurs de la royauté, soit ; mais que l'onaccorde un pouvoir quelconque, une juridiction sur sa suite à.un particulier parce qu'il a été roi, cela est une hérésie constitu-tionnelle, car tous les peuples sont régis par les principes consti-tutionnels. Une loi même ne pourrait, dans les pays libres, con-férer au roi un pouvoir, ni le moindre droit que la constitutionne lui accorderait pas; bien moins encore le législateur pourrait-
L' EXTERRITORIALITE DES CHEFS D' ETATS 149
4° Lorsqu'un chef d'État trouble en pays étranger lasûreté publique, ou s'y permet des actions hostilescontre le souverain du pays ou contre d'autres Puis-sances. L'hospitalité ne doit pas tourner au préjudicede celui qui la donne.
5° Lorsqu'un chef d'État se trouve à l'étranger contrela volonté du souverain du pays. De là, comme consé-
quence, la nécessité de demander préalablement l'au-torisation d'entrer sur le territoire : autorisation quiest rarement refusée, et qui, pour ce qui concerne les
formes, se dissimule sous les manifestations de lacourtoisie. La demande elle-même se produit habi-tuellement d'une manière officieuse : c'est l'expressiond'un désir, la manifestation d'une intention, l'annonced'un projet, etc. (1)
il investir, un particulier d'un attribut de la puissance souve-raine tel que la juridiction. Laurent, ouvrage cité, t. III, n° 38,p. 107.
(1) Vattel repousse l'idée qu'un souverain qui entre dans un
pays étranger sans permission puisse y être arrêté. Et sur quelleraison, demande-t-il, pourrait-on fonder une pareille violence?Quand le cardinal de Richelieu fit arrêter le prince palatinCharles-Louis, qui avait entrepris de traverser la France in-cognito, il allégua qu'il n'était permis à aucun prince étrangerde passer par le royaume sans passe-port ; mais il ajouta demeilleures raisons, prises des desseins du prince Palatin surBrisac, et sur les autres places laissées par le due Bernard de
Saxe-Weymar, et auxquelles la France prétendait avoir plus dedroit que personne, parce que ces conquêtes avaient été faitesavec son argent. Vattel reconnaît pourtant que. le souverain
étranger doit avertir de sa venue, s'il désire qu'on lui rende ce
qui lui est dû. « Il est-vrai, dit-il, qu'il sera prudent à lui de de-mander des passe-ports, pour ôter à la mauvaise volonté tout
prétexte et toute espérance de couvrir l'injustice et la violencesous quelques raisons spécieuses. Je conviens encore que la
présence d'un souverain étranger pouvant tirer à conséquencedans certaines occasions, pour peu que les temps soient soup-çonneux, et son voyage suspect, le prince ne doit pas l'entre-
prendre sans avoir l'agrément de celui chez qui il veut aller.Piérre-le-Grand voulant aller lui-même chercher dans les paysétrangers les arts et les sciences pour enrichir son empire, semit à la suite de ses ambassadeurs. » Vattel, Le droit des gens,
150 L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS
Vattel a très-exactement résumé tout ce qui peut
être dit sur les immunités attribuées aux Souverains
en voyage : « Si le prince, dit-il, est venu en voyageur,
sa dignité seule, et ce qui est dû à la nation qu'il repré-
sente et qu'il gouverne, le met à couvert de toute
insulte, lui assure des respects et toute sorte d'égards,
et l'exempte de toute juridiction; Il ne peut être traite
comme sujet aux lois communes, dès qu'il se fera
connaître, car oh ne présume; pas qu'il ait consenti à
s'y soumettre ; et si on ne veut pas le souffrir sur ce
pied là, il faut l'avertir, Mais si ce prince étranger
forme quelque entreprise contre la sûreté et le salut
de l'État; en un mot, s'il agit en ennemi, il peut très-
justement être traite comme tel. Hors ce cas là, on lui
doit toute sûreté, puisqu'elle est due même à un parti-culier étranger » (1).
Un président de république en voyage jouit-il de
l'exterritorialité?
On demande si un président de République en
voyage jouit aussi du bénéfice de l'exterritorialité ? Il ya une distinction à faire. S'il se présente comme prési-dent de la république, s'il agit en qualité de représen-tant de l'État, il peut, exiger d'être, selon l'éxpression-autocratique de Bluntschli, placé au-dessus des lois
du pays où il se trouve, au même titre qu'un monar-que ; mais s'il ne se déclare pas en cette qualité, il est,dans la règle, considéré et traité comme un simple ci-
toyen. Cette distinction est fondée sur ce que, dans les
monarchies, conformément à la théorie féodale, il est de-
règle que le monarque est la souveraineté personnifiée,et qu'il n'est simple citoyen qu'exceptionnellement ;tandis que dans les républiques c'est l'inverse : le pré-
etc., édition annotée par Pradier-Fodéré, livre IV. chap. VII,§ 108, t. III, p. 293.
(1) Vattel, Ibid.
L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS 151
sident n'est, dans la règle, qu'un simple citoyen (1).C'est la théorie, des républiques qui est la bonne.
Critique de l'exterritorialité.
L'exterritorialité est vivement critiquée, et avec
raison, par plusieurs auteurs, en tant que fiction.
On ne refuse pas. aux souverains en voyage le bé-
néfice de certaines immunités, mais on soutient
qu'il n'est pas besoin de. recourir à une fiction pour
justifier ces immunités. « Parmi les nombreuses fic-tions, — dit Pinheiro Ferreira, —
que les juriscon-sultes de l'école positive inventèrent pour suppléeraux principes d'une véritable jurisprudence, aucune
n'est plus fausse que celle de l'exterritorialité.... En
effet, on est dans l'usage d'accorder aux monarques,lorsqu'ils se trouvent en pays étranger, des immunités
et l'exercice de la juridiction sur les personnes de leur
suite... Mais, sur quoi repose cette concession ? Est-ce
un devoir, ou bien n'est-ce qu'un simple égard pourleur haut rang? .... La raison que donnent ceux quisoutiennent que c'est un devoir, c'est qu'on ne saurait
refuser au souverain ce que, de l'avis de tout le monde,on doit à ses ambassadeurs ; et puisque ceux-ci jouis-sent du privilège de l'exterritorialité, il serait incon-
séquent de ne pas accorder le même privilège aux
monarques. Ce raisonnement porte entièrement à
faux, parce que les immunités qui appartiennent de
droit aux ambassadeurs et autres agents diplomati-
ques, dérivent du caractère dont ils sont revêtus, c'est-
à-dire de la mission dont ils sont chargés.... Pres-
que tous les privilèges qu'on est dans l'usage de leur
accorder à cet égard, ne sont que des honneurs pure-ment volontaires, et nullement fondés sur un droit in-
hérent à leur caractère public. Or,du moment où les
immunités dérivent de ce caractère,... là fiction del'ex
territorialité n'est nullement nécessaire... Si donc
(1) Bluntschli, ouvrage et édition cités, n° 134, p. 119.
152 L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS
cette fiction ne saurait être admise au sujet des agents
diplomatiques, et si c'est par une argumentation, du
moins au plus que les publicistes prétendent en faire
l'application aux monarques, il s'ensuit que les immu-
nités accordées à ceux-ci ne dérivent que des égardsdus à leur haute dignité (1) ».
M. Laurent a vigoureusement combattu la fiction de
l'exterritorialité appliquée aux chefs d'États monar-
chiques voyageant à l'étranger, et l'immunité de juri-diction accordée généralement à ces derniers. Il a dé-
montré que la conservation de l'ordre social exige queles crimes soient punis, quels que soient les coupables,
princes ou sujets, et que la société est tout aussi inté-
ressée à ce que les jugements civils soient remplis. Ledroit des gens, dit-il, n'est pas en cause quand il s'agitde la juridiction des tribunaux ; celle-ci concerne lesdroits-et les devoirs de la société. Or, le maintien del'ordre social n'est-il pas une condition essentielle del'existence et de la conservation des sociétés humai-nes? Y aurait-il un droit des gens, s'il n'y avait plus dedroit civil ni de droit pénal ? Comment la justice régne-rait-elle entre les nations, si elle n'était pas observée .entre les individus ? Dira-t-on, avec Bynkerslioëck, queles princes n'ont pas de juges, et que, comme ils sont
princes partout, ils ne peuvent être justiciables d'au-cun tribunal ? Le vieux régime monarchique le voulaitainsi: les rois étaient au-dessus de la loi, même de laloi morale. Distinguera-t-on, avec le même publicisté,entre les crimes énormes et les crimes ordinaires, etréservera-t-on l'immunité pour les seconds en la refu-
sant pour les premiers ? Mais, en droit, il n'y appointde différence entre les crimes ; se contenter d'ordon-ner à un conspirateur de sortir du, territoire, ce n'estpoint rendre la justice, c'est la violer, et si le roi est
ivolable pour lescrimes ordinaires, il n'y a point de
raison pour qu'il ne le soit pas pour des crimes atroces.
(1) Voir le Précis du droit des gens moderne de l'Europe, deG. F. de Martens, édition citée, t. II, p. 11, en note.
L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ÉTATS 153
Citera-t-on, avec Phillimore, l'adage emprunté à la
doctrine de la souveraineté des nations: « Par in pa-rem non habet potestatem ? » Sans doute, les nations
vivant dans un état d'indépendance ne peuvent exer-cer aucune autorité l'une sur l'autre; mais, quand un'
prince commet un délit en pays étranger, ou y contracte
des dettes, c'est un individu qui est en causé, ce n'est
pas la nation dont il est le chef. Sous l'ancien régime,un roi pouvait dire: « l'État, c'est moi », et décliner
en conséquence toute juridiction étrangère. Mais la
théorie de Louis XIV n'est plus celle du XIXe siècle ;il faut donc laisser de côté la vieille monarchie avec
son droit divin et son pouvoir absolu. C'est un anachro-nisme et une confusion d'idées que d'appliquer, dans
les États constitutionnels, des maximes qui impliquentque la nation se concentre dans la personne du prince.Enfin, invoquera-t-on, avec Wheaton, la courtoisie in-
ternationale ? Mais des raisons de convenance peu-vent-elles être mises en parallèle avec le droit et le de-
voir de la justice? Suivant Wheaton, en permettant à
un prince d'entrer sur son territoire, autorisation, quiest toujours présumée, le souverain consent à le trai-
ter comme le représentant de la nation dont il est le
chef : ce qui exclut tout pouvoir de juridiction que les
tribunaux pourraient exercer à son égard. M. Laurent
démontre que c'est là un bien frêle fondement de l'im-
munité royale. Exempter les princes étrangers, dit-il,
de la juridiction, c'est suspendre l'exercice de la jus-tice dans tous les cas où un souverain serait en cause.
Or, la justice tient à la souveraineté, dont elle est une
des manifestations les plus éclatantes : une nation peut-elle renoncer à sa puissance souveraine ? La distribu-
tion de la justice est le fondement de l'ordre social : il
n'y a plus de société" là où le droit n'est pas sauve-
gardé ; donc, permettre aux princes étrangers de man-
quer à leurs engagements, et de commettre impuné-ment des délits au préjudice des particuliers et de
l'État même, c'est détruire la société dans ses fonde-
ments, et cependant les nations ont avant tout le de-
154 L'EXTERRITORIALITÉ DES CHEFS D'ETATS
voir de se conserver, ce qui rend nulle toute conven-
tion tacite par laquelle elles ruineraient leur exis-tence (1).
Constatons au moins que voilà une discussion bien
longue sur une question d'une importance pratique ac-tuellement très-minime, car, si, à notre époque, leschefs d'États voyagent plus facilement qu'ils ne le fai-saient autrefois, il arrive bien rarement qu'ils contrac-tent des dettes qu'ils ne payent point, et plus rarementencore qu'ils commettent des crimes qui les assujet-tissent aux tribunaux du pays visité par eux.
Cette question de l'exterritorialité reviendra, du reste,à propos des immunités des agents diplomatiques.
Après avoir examiné les points relatifs au cérémo-nial politique et. au cérémonial personnel des souve-rains, il reste à étudier ceux qui se rapportent aucérémonial d'ambassade, cette troisième partie du cé-rémonial public.
(1) Laurent, Le droit- civil international, t. III, nos 26 et suiv.,p. 44 et suiv.
CHAPITRE V.
Le cérémonial d'ambassade. — Le droit d'ambassade. —
Le droit de négociation. —Le commerce diplomatique
pu international. — Source du droit d'ambassade. — Le
droit d'ambassade dans l'antiquité.— Les Féciaux. —
Fin de l'antiquité.—
Bas-Empire. — Diplomatie véni-
tienne. — Le Bailo. —Temps modernes. — Missions
permanentes.—Avantages des missions permanentes.— Fondement du droit d'ambassade.— A qui appartient
le droit d'envoyer des agents diplomatiques ? — Les États
mi-souverains jouissent-ils du droit d'ambassade ? — Et
les États tributaires ? — Le droit d'ambassade actif appar-tient-il à un État uni à d'autres par un lien fédéral ? —
1° Système d'États confédérés. — 2° État fédéral. —Le
droit d'envoyer des ministres publies appartient-il à
des vice-rois, ou à des gouverneurs de provinces éloi-
gnées?— A qui, dans un État, appartient l'exercice du
droit d'envoyer des agents diplomatiques à l'étranger ?—
Le droit d'envoyer des ministres appartient-il à un roi
détrôné? — A un usurpateur?— Cas où le droit d'en-
voyer des ministres est douteux ou contesté. — L'exer-
cice du droit d'ambassade actif est-il forcé ? — Un État
peut-il se faire représenter par l'agent diplomatique d'un
Etat étranger ? — Un même ministre peut-il être chargé, -
en même temps, de plusieurs missions près de différents
gouvernements ? — Du droit d'ambassade passif.— A
qui ce droit appartient-il ? — Y a-t-il obligation, pour un
État souverain, de recevoir des ministres publics des au-
tres Puissances ? — L'état de guerre inftue-t-il sur le
droit d'ambassade actif et passif?— Conditions mises à
la réception des ministres publics.— Refus de recevoir.
— Quelle est, actuellement, à propos du droit d'ambas-
sade actif et passif, la situation des envoyés des Puissan-
156 LE CÉRÉMONIAL D'AMBASSADE
ces étrangères, auprès du Saint-Siège, et des envoyés du
pape auprès des gouvernements étrangers ? — Doctrine
des auteurs italiens. — Critique de cette doctrine.
Le cérémonial d'ambassade. — Le droit d'ambassade.— Le droit de négociation.
— Le commerce diplo-
matique ou international.
- Le CÉRÉMONIAL D'AMBASSADE, autrement dit CÉRÉMO-
NIAL DIPLOMATIQUE, OU CÉRÉMONIAL DES MINISTRES PU-
BLICS, est l'ensemble des formalités observées entre les;
États, par rapport : à la réception des employés diplo-matiques de chaque classe ; aux qualifications honori- ;
fiques qui peuvent leur être données ; au rang quis'observe entre eux en lieu tiers, en leur propre hôtel,ou envers de tierces personnes ; à l'étiquette observée
dans les audiences qui leur sont données ; aux solen-nités publiques auxquelles ils assistent ; aux honneurs,militaires et autres distinctions dont ils sont l'objet ;aux visites de cérémonie ; etc., etc. ...
En d'autres termes, le cérémonial d'ambassade rè-
gle les honneurs et les distinctions qui s'accordentaux diplomates en fonctions, suivant le rang que leur
assigne la classe à laquelle ils appartiennent (1).Ce cérémonial s'est successivement formé depuis
l'établissement des légations permanentes, et surtout
depuis les grands congrès de paix de Westphalie(1648), de Nimègue (1678 et 1679), de Ryswick (1697),où furent réunis les ministres de tant d'États si diffé-rents en dignité et en puissance. Il commença à s'établiralors entre ces États, relativement au cérémonial des
légations, certainsusages et même certains principes
(1) Ch. de Martens,L e Guide diplomatique, édition citée, t. Ier,P. 123.
SOURCE DU DROIT D'AMBASSADE 157
communs et uniformes, qui sont entrés dans les moeurs
diplomatiques des gouvernements modernes et con-
temporains.On donne le nom de DROIT D'AMBASSADE OU DE LÉGA-
TION, au droit, pour un État, pour un gouvernement,
d'envoyer des ministres publics.On désigne par DROIT DE NÉGOCIATION, le pouvoir,
pour un État, de contracter des traités publics de na-
tion à nation.
Par COMMERCE DIPLOMATIQUE, COMMERCE INTERNA-
TIONAL, on entend les communications entre les peu-
ples, par des. mandataires investis de pouvoirs et d'ins-
tructions.
Tous ces différents sujets peuvent être comprisdans un seul ordre de matières : la question des mis-
sions diplomatiques, ambassades ou légations, em-brassant ce qui. concerne le droit d'ambassade en lui-même ; les différents ordres de ministres ; ce qu'ilfaut aux ministres pour entrer en fonctions ; le céré-
monial d'ambassade proprement dit ; les droits et im-
munités des ministres ; la suite des ministres ; la
manière de négocier et de terminer les missions ; les
droits des ministres dans les États auprès desquels ils
ne sont pas accrédités ; les missions secrètes ; les
courriers; etc.
Source du droit d'ambassade
Le droit d'ambassade puise sa source dans la naturedes choses. C'est en effet une condition élémentairede l'entretien des relations entre les sociétés politi-
ques, que leurs affaires soient dirigées exclusivement
par les chefs d'États et par leurs ministres, responsa-bles, selon la constitution particulière des divers pays,soit envers le chef seul du gouvernement, soit aussi
envers les mandataires de la nation? Or, pour peuque les affaires à traiter soient importantes et com-
pliquées, il serait difficile pour ceux qui gouvernentles nations de les terminer par une simple corres-
158 L'ANTIQUITÉ
pondance : il devient donc nécessaire de s'aboucher.
Mais les entrevues personnelles entre les chefs d'États
n'étant pas toujours sans difficultés, ils se trouvent
dans la nécessité d'envoyer des mandataires munis de
pleins pouvoirs et d'instructions, pour traiter en leur
nom avec les Puissances étrangères.
Telle est l'origine des ambassades, tel est le fonde-;
ment des droits essentiels des plénipotentiaires desÉtats.
Ainsi donc: nécessité de communications entre les
peuples ;Insuffisance et difficulté des rapports personnels des-
chefs d'États-
Emploi nécessaire de mandataires investis dé pou-voirs et d'mstructions.
Le droit d'ambassade dans l'antiquité.
Aucun traité spécial sur le droit d'ambassade n'aété laissé par les peuples anciens, ni surtout par lesRomains. Il sera à jamais regrettable pour l'érudition
que les manuscrits ne nous aient pas transmis le traitéd'Aristote sur les ambassades (1), qui aurait éclairé.cette partie encore trop peu connue de l'antiquité. Onen est-, donc réduit, à chercher des guides parmi leshistoriens, et dans les traités écrits par des modernessur le droit des ambassadeurs, particulièrement dansle traité d'Alberic Gentilis De legationibus (2).
Ce que l'on sait par la lecture des historiens etmême des poëtes, c'est que les peuples du mondesancien entretenaient entre eux des relations diplomati-ques, sinon permanentes, du moins transitoires (3). Ils
(1) Barbeyrac a contesté qu'Aristote ait écrit un ouvrage surles ambassadeurs.
(2) M. Egger a publié une étude savante sur les traités publieschez les Grecs et les Romains.(3) Des acteurs ont été parfois choisis, chez les Grecs, pourambassadeurs. Parmi les ambassadeurs envoyés à Gnosse parles citoyens de Téos, figurait un certain Ménéclès, habile musi-
L'ANTIQUITÉ 159
traitaient ensemble par leurs hommes d'États et leurs
orateurs, sur leurs, intérêts réciproques, à mesure que
ces intérêts surgissaient occasionnellement (1). Rome
cien, qui donna dans la ville crétoise des concerts assez sembla-bles à ceux qu'on nomme aujourd'hui des concerts historiques.Les Gnossiens,dans leur lettre aux citoyens de Téos, se montrèrentfort touchés d'avoir entendu exécuter ainsi les chants de Timo-
thée, de Polyidus et de leurs anciens poètes ; ils remercièrentvivement la ville de Téos du choix qu'elle avait fait d'un tel
représentant, choix qui sans doute avait contribué au facilesuccès de l'ambassade. L'exemple de ce Ménéclès n'était d'ail-leurs pas une exception. Les artistes grecs, associés aux céré-monies du culte, étaient considérés comme inviolables ; on leschoisissait donc volontiers à ce titre pour ambassadeurs, et ilsemblait ainsi que leur personne dût être doublement respectéechez les peuples où on les envoyait. Ischandros, Néoptolème,enfin le célèbre Eschine, qui représentèrent Athènes en Macédoine,étaient d'anciens acteurs, et l'on ne voit pas qu'ils aient eu à s'enexcuser, quand, du moins, ils exerçaient avec talent leur pro-fession. Etudes historiques sur les traités publics chez les Grecset chez les Romains, par E. Egger, 1866, p. 137 et suiv.
(1) Nous savons, dit M. Egger, quels étaient les caractères etcomme les divers degrés de la fonction de négociateur chez lesGrecs. Il y avait les hérauts (y.ipw/.eç, quelquefois elprrjoiroioi, et
plus tard fieo-ïrca,feciales, caduceatores), porteurs de premièrespropositions de paix; les ambassadeurs proprement dits (npéc-Suç,T.pirfiv-a.i, legati, oratores), qui prenaient quelquefois le titrede plénipotentiaires (avzoy.pi/.ropsç),quand on les dispensait for-mellement d'en référer à leurs commettants pour la conclusiondu traité. Le chef d'ambassade s'appelait â.p-/nvpstT§svrf,ç,en latin
princeps legationis. Lès personnes qui formaient la suite del'ambassadeur sont les &zô).ou8oi,en latin asseclae. On trouvemême une fois mentionne le secrétaire de l'ambassade. Commechez les modernes, l'ambassadeur quelquefois, soit par hon-
neur, soit par surcroît d'autorité active, réunissait au titre de lafonction diplomatique celui de quelque autre fonction militaireou civile. C'est ainsi qu'on trouve dans Polybe (XXX,5) l'exem-
ple d'un amiral rhodien ambassadeur à Rome. En tous cas,l'ambassadeur paraît avoir été d'ordinaire choisi parmi les per-sonnes d'un âge mûr. Dans quelques États grecs, la loi détermi-nait un âge au-dessous duquel on ne pouvait exercer cettegrave fonction. Si l'ambassadeur doit faire partie d'un con-
grès, il y prend le. titre spécial de <r!ivtSpo<;.Si l'ambassadeavait pour objet la poursuite et le redressement d'un délit, l'en-
voyé s'appelait plus spécialement IV.SLY.OÇ,et sa fonction h/Jiy.iv..Si l'ambassade avait un objet purement religieux, elle s'appelait
160 L' ANTIQUITE
qui sentait tout le danger résultant pour elle du défaut
d'unité de ses possessions, avait toujours évité d'en-
voyer auprès de ses alliés des ambassadeurs résidents.
Elle redoutait pour eux les influences de peuples, trop
intéressés à lui nuire, et ne nommait de legati que
pour diriger une négociation spéciale ou en amener la
conclusion. Leur mandat expirait de lui-même, quand
le but déterminé par leurs instructions était atteint.
Non-seulement les anciens ne connurent point les
légations permanentes, mais encore ils pratiquèrentla pluralité des négociateurs. Le sénat romain avait
pour principe de n'envoyer jamais moins de trois am-
bassadeurs ; dix était le chiffre ordinaire : c'était le
nombre officiel pour assister un général en chef. Ce-
pendant, pour les préliminaires de paix, on en vit ra-
rement plus de deux envoyés vers l'ennemi.
Pourquoi cette collectivité ? Les anciens y voyaient
peut-être une marque d'égards envers le souverain à
qui la députation était envoyée. Peut-être aussi dési-
raient-ils faire ressortir par la splendeur et l'impor-tance de la mission, la grandeur même de leur puis-sance et l'étendue de leur empire. Peut-être même
l'esprit méfiant de leur patriotisme se refusait-il à
l'idée d'un ambassadeur unique. La pluralité des négo-ciateurs avait de bons côtés : elle permettait aux am-
bassadeurs de s'éclairer mutuellement ; l'un pouvait
ordinairement 8tapî«, au lieu de T.pttâzw., et le député était un03<apoÇ.Plutarque cite comme un exemple d'insigne adulation,l'idée que les Athéniens eurent un jour d'appeler esotpol et nonT.pi^zvTv.l les députés qu'ils envoyaient au roi Antigone ou à sonfils Démétrius. Il y avait, d'ailleurs, des «px'fcupot, ou chefs d'am-bassades religieuses, comme il y avait des àpxt7TPS0'geur<Z1''ouchefs d'ambassades politiques. Si l'on voulait désigner spéciale-ment un ministre public par son caractère de conciliateur,on pouvait l'appeler thaWijç, ou tvB^-nc. Il n'y a pas jusqu'àla lettre ou au moins la marque de créance qui ne soit indiquéedans un acte du temps de Démosthènes, où les Athéniens règlentdes rapports de bonne amitié avec Straton, roi de Sidon, et avecles sujets de ce prince. Voir Egger, Etudes historiques, etc. intro-duction, p. 14 et suiv.
LES FEGIAUX 161
réparer les fautes ou suppléer aux négligences de
l'autre. Dans les temps où les ambassades étaient dis-
continues, on évitait par la pluralité dans les négo-ciations le retard qu'eût produit la mort d'un ambas-
sadeur unique. Mais il pouvait en résulter un incon-
vénient grave : la divulgation indiscrète des affaires
de l'État en devenait plus fréquente.De nos jours, — ainsi qu'il sera dit plus tard,
— à
la permanence des missions diplomatiques corres-
pond l'unité de l'ambassadeur, sauf dans les congrèset pour les négociations importantes.
Les Féciaux.
Il est impossible de jeter un regard sur les usagesdes Romains, en matière de diplomatie, sans au moins
citer les féciaux. C'étaient des hérauts sacrés queNuma et Ancus avaient institués, et qui étaient char-
gés d'annoncer aux peuples étrangers la paix, la
guerre ou les trêves. Ils réglaient aussi les formules
des traités. Les féciaux étaient au nombre de vingt.-
Lorsqu'une insulte avait été faite à la dignité natio-
nale, plusieurs féciaux étaient députés pour en deman-
der réparation. L'orateur en chef de cette députation,
chargé de prononcer la sommation, marchait la tête
couverte d'un voile de laine blanche et ceinte d'une
couronne d'herbes cueillies au Capitole. Le voile était
le symbole de la justice, sa blancheur signifiait la foi,elles herbes du Capitole rappelaient la patrie. Si les
féciaux ne pouvaient obtenir la réparation, en signede rupture ils se déchiraient les vêtements, s'en re-
tournaient à Rome et rendaient compte de leur mis-
sion au sénat. La discussion s'engageait ; la guerreétait prononcée. C'était encore aux féciaux à en por-ter la déclaration. Une nouvelle députation se rendait
donc près du peuple ennemi, trente jours au moins
après la demande de réparation, et là, le chef de la
députation lançait une pique dans le camp ennemi, en
prononçant une formule consacrée. Dans la suite,
11
162 LE BAS-EMPIRE
cette démarche fut remplacée par une cérémonie sym-
bolique près du temple de Bellone.
Les féciaux participaient aussi aux cérémonies de la
paix, et faisaient pour son rétablissement des démar-
ches officielles. Lorsque la paix était conclue à Rome,
la cérémonie avait lieu sur la voie sacrée ou dans le
temple de la Concorde. Les envoyés ennemis se pré-
sentaient avec des rameaux d'olivier. Le chef des fé-
tiaux prêtait serment au nom du peuple romain, et le
traité devenait sacré. Pour le célébrer, on faisait le sa-
crifice d'une truie. Les traités de paix une fois conclus
et signés étaient déposés dans le trésor public par le
soin des questeurs. Ils étaient transcrits sur des ta-
blettes qui se pliaient en deux et étaient numérotées
dans des armoires ou cassettes.
L'institution des féciaux dura probablement, aussi
longtemps que le paganisme.
Fin de l'antiquité. —Bas-Empire.
Dans les dernières années de l'empire romain, en
face de l'invasion barbare, Rome tourna ses regardsvers la seule force morale restée debout : la religion,l'Église. On vit alors les assemblées provinciales, éle-vées à l'état de conseils nationaux, recourir à cetteautorité qui dominait les ruines païennes. Des évêquesfurent, nommés par ces assemblées pour aller défendreles intérêts de leurs fidèles contre les ennemis du de-hors. Plus d'un, comme saint Epiphane, y exposa, savie. Les évêques devinrent ambassadeurs ; ils furent
chargés de la rédaction des traités. On vit saint Epi-phane et l'évêque de Marseille, Graccus, revêtus de ce
caractère, consentir la cession de l'Auvergne pour re-culer une invasion universelle. On vit des archevê-ques, comme Laurentius, de Milan, aller vers les roisbarbares exercer leur ministère de protection. On vitun évêque de Ravenne, pour épargner de nouveaux
LA DIPLOMATIE VENITIENNE 163
désastres à l'Italie, réconcilier deux chefs barbares,Odoacre et Théodoric (1).
La diplomatie vénitienne. — Le Bailo.
Le corps diplomatique vénitien se composait, dès le
XVIe siècle, d'ambassadeurs et de résidents. Ce ne fut
en effet que vers cette époque, que le mouvement di-
plomatique vénitien fut régulièrement et définitivement
organisé. Jusque-là, la République avait eu une diplo-matie certainement active et déjà très-répandue, mais
ses ambassades aux diverses Puissances avaient été
plutôt un service extraordinaire qu'un service ordi-
naire, sauf auprès du Saint-Siège, de l'empire grec et
de l'empire turc ensuite.
Les ambassadeurs étaient choisis parmi les patri-
ciens; les résidents parmi les secrétaires.
Les cours de R.ome, de France, d'Espagne, d'Autri-
che, d'Angleterre et de Savoie recevaient régulière-ment des ambassadeurs. L'envoyé à Constantinopleavait rang d'ambassadeur, mais avec le titre particu-lier de Bailo. Milan, Mantoue, les Cantons suisses, Flo-
rence, Naples étaient des résidences. Cependant, en
diverses circonstances extraordinaires, soit pour des
(1) La diplomatie considérée comme art n'était certes inconnue,ni aux Grecs, ni aux Romains, ni aux Carthaginois ; mais ellen'était point cultivée et pratiquée chez ces peuples par uneclasse particulière de fonctionnaires publies, exclusivement em-
ployés aux missions extérieures, et revêtus comme tels d'uncaractère spécial. C'est au moyen-âge, et en Italie, qu'on trouve
pour la première fois la diplomatie pratiquée comme art,et enseignée comme science par des diplomates propre-ment dite; Florence, Venise et Rome ont produit, dès le XIIIe
siècle, des diplomates très-distingués. Cinq des littérateurs les
plus renommés de l'Italie, Dante, Pétrarque, Boccace, Guieciar-dini et Machiavel, furent chargés des missions les plus impor-tantes et les plus difficiles. On sait quelle habileté le derniersurtout déploya dans ses missions auprès de Louis XII, de l'em-
pereur Maximilien, du pape Jules II et de César Borgia. Voir LeGuide diplomatique édition de 1851, préface de M. Ferdinand de
Wegmann, p. VII et IX.
164 LA DIPLOMATIE VÉNITIENNE
causes politiques, soit à l'occasion de cérémonies
telles que des couronnements et des mariages de
princes souverains, la République accréditait des am-
bassadeurs.
Le service actif, c'est-à-dire l'élection d'ambassa-
deurs et de résidents qui se succédaient de manière à
ne pas laisser d'interruption dans la représentation de
la République auprès des Puissances amies, ne fut défi-
nitivement établi qu'avec l'ouverture du XVIe siècle.
L'interruption des rapports n'excluait pas, du reste,
l'envoi d'informations, car, en cas d'interruption, l'en-
voyé à la cour la plus voisine de celle avec laquelle on
n'avait à entretenir aucun échange de procédés, avait
charge de fournir les renseignements propres à tenir
convenablement instruit le gouvernement vénitien.
C'est ainsi que, pendant le règne d'Elisabeth d'Angle-
terre, les relations de Venise avec cette reine ayantété interrompues pour ainsi dire dès son avènement,l'ambassadeur vénitien à la cour de France consacrait
le plus souvent une partie de sa dépêche aux événe-
ments du royaume britannique. La cour de Turin fut
longtemps en difficultés avec la sérénissime Républi-
que, mais le résident vénitien à Milan prenait ses me-
sures pour ne rien ignorer d'important sur les choses
de Savoie. Toutes les Puissances allemandes de second
ordre n'avaient pas auprès d'elles des agents véni-
tiens, mais l'ambassadeur à Vienne pouvait avoir aisé-
ment l'oeil sur elles, du fond de la cour impériale, et il
appartenait aussi à cet ambassadeur de prêter l'oreilleaux bruits et aux mouvements qui venaient du Nord.
Le Bailo était l'ambassadeur de Venise à Constanti-
nople. Sa charge était celle d'un ambassadeur ordi-
naire, mais un traité de paix ou une trêve, l'avènementd'un sultan au trône, la circoncision d'un prince, unevictoire signalée, étaient autant d'occasions qui pou-vaient nécessiter l'envoi d'un ambassadeur extraordi-naire. Le Bailo et l'ambassadeur extraordinaire de-vaient être de sang patricien. Il appartenait au Grand-Conseil d'élire le Bailo par quatre tours de scrutin, et,
TEMPS MODERNES 165
au Sénat, de désigner l'ambassadeur ou l'envoyé. Ilétait d'usage qu'un Bailo demeurât en charge pendantdeux ans, mais comme il devait attendre l'arrivée deson successeur, il en résultait que le séjour qu'il faisait
auprès de la cour ottomane, était presque toujours detrois ans.
Au XVIe siècle, le Baillaggio à Constantinople était
la plus honorable et la plus importante ambassade quepût ambitionner un vénitien. Les rapports de Veniseavec la Porte, souvent hostiles, toujours suspects,alors même qu'on échangeait les plus vives manifes-tations amicales, exigeaient qu'un tel poste fût occupé
par les hommes les plus habiles et les plus expertsdans les négociations internationales. Mais les choses
changèrent avec le cours des temps, et l'importancedu Baillaggio finit par céder le pas à celle de l'ambas-
sade de Rome (1).
Temps modernes. — Missions permanentes.
Wicquefort, quia écrit à la fin du XVIIe siècle sur les
ambassadeurs et leurs fonctions, fait remonter les pre-mières ambassades permanentes au cours du XVe siè-
cle (2). Cette date semble probable, parce qu'elle coïn-
cide avec la conquête de Constantinople, la découver-
te de l'Amérique, les guerres d'Italie et la guerre de
cent ans, qui ont bouleversé les institutions et la configu-ration de l'Europe. Heffter remarque cependant qu'il yavait déjà longtemps que les papes avaient auprès des
(1) Voir Les archives de Venise. Histoire de la Chancellerie
secrète, par Armand Baschet ; édition H. Plon, 1870, p. 267 et
suiv., 283 et suiv.
(2) Abraham de Wicquefort naquit à Amsterdam en 1398, etmourut en 1682. Il représenta l'électeur de Brandebourg en
France, en 1626. En 1639, le grand pensionnaire Jean de Wittle
nomma historiographe des États Généraux ; il fut en même
temps choisi par le duc de Brunswick pour son résident à La
Haye. On a de lui des Mémoires touchant les ambassadeurs
(Cologne, 1676-1679); l'Ambassadeur et ses fonctions (1681), et
une Histoire des Provinces-Unies.
166 MISSIONS PERMANENTES
rois de France et des empereurs de Constantinople des
envoyés sous le nom de responsalesou apocrisiarii,
puis sous celui de légats (1). Il est vrai que ces mis-
sions concernaient les affaires religieuses, et qu'à ce
titre Wicquefort, qui a écrit avec une plume hai-
neuse contre le catholicisme, a pu ne pas en tenir
compte (2).« Depuis la décadence de la maison de Charlemagne
jusqu'au temps où Charles VIII, roi de France, passaen Italie pour faire valoir les droits que la maison d'An-
jou lui avait légués sur le trône de Naples, les diver-
ses nations de l'Europe n'entretinrent presque aucunes
relations politiques entre elles. Sans cesse occupéesde leurs désordres intérieurs, les affaires de leurs voi-
sins leur étaient comme indifférentes. L'Europe n'était
pour ainsi dire peuplée que de gens de guerre; le cou-
rage était la seule qualité estimée, et cependant au-
cune nation n'était propre à devenir conquérante. Lasouveraineté dont chaque seigneur jouissait dans sesterres en vertu des lois féodales, les guerres particu-lières de la noblesse, les privilèges des communes, quifaisaient en quelque sorte de chaque ville une répu-blique indépendante, ne permettaient pas de réunirles forces divisées de l'État, ni d'avoir des idées systé-matiques sur les relations extérieures. L'indocilité dessoldats empêchait de les assujettir à cette disciplinesévère qui fait la solidité des armées. La briéveté duservice auquel les vassaux et les sujets étaient as-treints interdisait toute entreprise suivie; il était im-
possible de profiter des avantages que procure le gaind'une bataille en poursuivant le cours de ses succès.Mais, après la conquête de Naples par Charles VIII, lesintérêts des peuples se compliquant de plus en plus,et le besoin de conserver chacun son indépendance
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, § 199, p. 383.(2) Un écrivain français contemporain, M. de Falloux, a fait
justice des calomnies de Wicquefort. Il a montré, dans sonHistoire du pape saint Pie V, la sagesse des conseils du Vati-can, et le rôle bienfaisant de la diplomatie pontificale.
AVANTAGES DES MISSIONS PERMANENTES 167
les entraînant chaque jour davantage dans le torrent
des guerres et des intrigues, les relations internatio-nales se multiplièrent, les ambassades, jusqu'alors as-sez rares, devinrent d'année en année plus nombreuses ;il n'y eût bientôt de toutes parts que des ministres pu-blics ou des envoyés secrets occupés à nouer et à sui-
vre des négociations, à conclure des traités, ou à les
faire rompre » (1).On a observé que l'établissement des missions per-
manentes a. été contemporain de la création des ar-
mées permanentes (au milieu du XVe siècle, vers 1445),et on a conclu de cette coïncidence que ces missions
avaient, eu autant pour objet la surveillance des forcesmilitaires des nations, que le maintien de leurs bons
rapports et le développement de leur mutuelle prospé-rité. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'établissement
des armées permanentes date du roi de France Charles
VU, et que Louis XI, son fils, avait des envoyés per-manents auprès du roi d'Angleterre et du duc de
Bourgogne. Mais c'est au XVIIe siècle que les missions
permanentes prirent surtout un développement géné-ral. La paix de Westphalie, en assurant sur des bases
solides l'équilibre des nations, en poussant les peuplesvers le commerce, accomplit cet heureux résultat et
rendit nécessaire la création de ces missions dans
toutes les cours de l'Europe.
Avantages des missions permanentes.
Les postes diplomatiques permanents ont contribué
considérablement à accroître l'influence du droit inter-
national. Les relations personnelles des envoyés di-
plomatiques sont devenues l'image vivante des rela-
tions permanentes des États entre eux. Les représen-tants des différents États dans la même ville ont
commencé à former une espèce de corporation in-
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1831, t. Ier, p. 29, ennote.
168 AVANTAGES DES MISSIONS PERMANENTES
ternationale, une sorte de personnification du droit
des gens, ce qui a eu souvent des effets très-heu-
reux. Lorsqu'un État voudrait manquer gravement à
ses devoirs vis-à-vis des autres, il se trouverait immé-
diatement en présencedu corps diplomatique, et
comme aucun État n'est assez puissant pour fermer
l'oreille à la voix du monde civilisé, il ne pourrait im-
punément passer outre sur les représentations faites
au nom du droit international. A mesure que les pos-tes permanents s'étendent sur toute la terre, les liens
entre les États se renforcent, et l'organisation du
monde, comme aussi les garanties internationales,
grandissent et se développent (1).
(1) Bluntschli, Le droit international codifié, Introduction;édition citée, p. 23. — Dans son mémoire du 13 février 1867 au
Congrès constituant, le ministre des relations extérieures du Pé-
rou, M. T. Pachéco, signalait l'utilité des missions permanentes,en se mettant au point de vue américain. Dans la condition spé-ciale où se trouve aujourd'hui l'Amérique, disait-il, il est conve-nable et même indispensable que le Pérou soit représenté danstous et dans chacun des États américains. Les frais qui en résul-teront seront amplement compensés par les avantages de toutessortes qu'en retirera la nation, en se trouvant en contact plusimmédiat avec les autres nations du continent : ce qui lui four-nira constamment d'abondants et sûrs renseignements sur leursituation et leurs tendances, et lui épargnera le travail de puiserces renseignements, lorsqu'ils deviennent nécessaires, à dessources étrangères, ou l'inconvénient de se les procurer par desmissions spéciales, qui n'arrivent pas toujours à leur but dansle moment opportun. M. Pachéco voyait, de plus, avec raison,dans les missions permanentes, un moyen de rendre plus inti-mes les relations entre les États américains, et d'assurer l'unionétroite qui doit régner entre eux. Il ne parlait point des missionspermanentes en Europe, mais les raisons pour les recommanderétaient et sont les mêmes. Le décret émané du gouvernement deM. le général Prado, en 1876, et qui a supprimé la plupart desmissions permanentes péruviennes, n'a pas dépouillé les consi-dérations de M. Pachéco de leur opportunité constante et deleur solidité. Le dictateur actuel, M. de Piérola, est revenu àl'ordre de choses antérieur au décret de 1876.
LE DROIT D'AMBASSADE 169
Fondement du droit d'ambassade.
S'il est un droit naturel, c'est, il faut en convenir,le droit d'ambassade, c'est-à-dire le pouvoir incontes-
table et reconnu, pour toute nation indépendante, d'a-
voir des représentants chargés de porter aux autres
peuples l'expression de ses plaintes, et d'entretenir
avec eux des relations imposées par le voisinage.L'intérêt des États exige d'entrer de temps en temps
en négociation avec d'autres États, non seulement
pour préparer et conclure des traités, mais aussi pourveiller aux rapports légaux, conventionnels et politi-
ques dans lesquels ils se trouvent avec eux. Le droit
des États pour de semblables négociations et relations
est fondé sur leur indépendance. C'est une applica-tion de la souveraineté des États à leurs relations
extérieures.
A qui appartient le droit d'envoyer des agents
diplomatiques ?
Le droit d'ambassade, ou de légation, est actif ou
passif.Le droit d'ambassade actif est celui qu'a tout État
indépendant, en sa qualité de personne souveraine,
Renvoyer des ministres publics pour le représenteret lui servir d'intermédiaire dans ses relations avec
d'autres États.
Le droit de recevoir ces ministres est le droit d'am-
bassade passif.Le droit d'envoyer des ministres publics, des agents
diplomatiques, n'appartient qu'aux États indépendants,aux États souverains dont l'indépendance est univer-
sellement reconnue, aux États qui sont en possessiondu droit de la guerre, de la paix et des alliances. Eux
seuls, par leurs gouvernements respectifs, peuventconférer à ces envoyés le caractère officiel. Aucun
sujet, quelque considérables que soient, d'ailleurs,
170 LE DROIT D'AMBASSADE
son importance et ses prérogatives,ne jouit d'un
droit analogue.Si l'indépendance souveraine constitue seule le droit
d'envoyer des agents diplomatiques à l'extérieur, si le
droit d'ambassade actif est la prérogative de tout État
indépendant et souverain, c'est donc à tort qu'on a
contesté le droit d'ambassade à de petits États. L'éten-
due des États, la force, la richesse peuvent varier,
mais le caractère de la souveraineté donne à tous les
mêmes droits, la même indépendance. Contester à un
souverain quelconque le droit d'ambassade, c'est lui
faire injure, car c'est révoquer en cloute son droit
même de souveraineté (1).
Les États mi-souverains jouissent-ils du droit d'am-
bassade? — Et les États tributaires?
On demande si le droit d'ambassade actif appartientaux États mi-souverains ?
Les États mi-souverains sont ceux qui dépendentd'autres États pour l'exercice de certains droits es-
sentiels à la perfection de la souveraineté, mais qui,
d'ailleurs, restent libres. La notion de ces États se
confond avec celle des États protégés, puisque les
États protégés peuvent être réduits à la situationd'États mi-souverains par la nature de la protection.
(1) « Tout petit prince a ses ambassadeurs », ou plutôt a ledroit de traiter par l'organe de ministres publics. Ce droit qui estincontestable en théorie, mais n'a pas toujours été pratiqué enfait, est justifié dans les termes suivants par les auteurs de lanouvelle édition du Dictionnaire de Brillon, au mot Ambassadeur,cités par Merlin : « S'il y avait un congrès général, le plus petitprince aurait le droit d'y députer, comme dans les États démo-cratiques le moindre père de famille a sa voix, aussi bien quele puissant et le riche. Que le prince qui a une armée de centmule hommes soit, à l'égard de l'Europe, ce qu'est dans nosprovinces le particulier jouissant de cent mille livres de rente ;que la fortune et le pouvoir décident les rangs et la considéra-tion, c'est un fait : faut-il en conclure qu'il ne reste pas auxfaibles la faculté de parler et de se faire représenter » ? VoirMerlin, Répertoire, v° Ministre public, sect. II, § 1.
LE DROIT D AMBASSADE 171
Le plus ou moins de dépendance se détermine parla teneur des obligations conventionnelles que l'Étatmi-souverain a contractées. Elle touche le plus ordi-nairement les droits de souveraineté extérieure, dontl'exercice appartient en tout ou en partie à un autreÉtat. La mi-souveraineté en vertu de laquelle un Étata le droit d'intervenir dans le gouvernement intérieurou dans les relations extérieures d'un autre État, est
susceptible de restrictions plus ou moins étroites, quisont réglées conventionnellement. L'étendue du droitd'ambassade actif appartenant à des États dépendantsou mi-souverains, dépend donc de la nature de leurs
rapports particuliers avec l'État supérieur sous la pro-tection duquel ils sont placés, rapports particuliersqui reposent généralement sur les traités.
C'est ainsi que le traité conclu à Kainardji, en
1774(1), accordait aux États mi-souverains de Moldavieet de Valachie le droit d'envoyer des chargés d'affairesde communion grecque, pour représenter leurs inté-rêts auprès du gouvernement de Constantinople. Ces
représentants étaient considérés comme personnes
placées sous la protection du droit des gens, c'est-à-dire à l'abri de toute violence.
La convention signée à Paris, le 19 août 1858, entrela France, l'Autriche, la Prusse, la Puissie, la Sardai-
gne et la Turquie, pour l'organisation des Principautés-
Unies de Moldavie et de Valachie, a établi que « les
hospodars se feront représenter auprès de la cour
suzeraine par des agents nés moldaves ou valaques,ne relevant d'aucune juridiction étrangère et agréés
par la Porte. » (Art. 9). Quant à la représentation des
(1) Le traité de Kainardji (Koutchouk) a été conclu, en 1774,par le sultan Abdoul-Hamid et l'impératrice de Russie CatherineII. Ce traité ouvrit la mer Noire à la Russie. La Porte s'étantengagée par ce traité à protéger dans ses États la religionchrétienne, la Russie s'est appuyée sur cette clause pour s'arro-ger, à Constantinople, un droit dé surveillance qui a été lé pointde départ de la guerre d'Orient, et de toutes les difficultés quiont surgi depuis cette guerre.
172 LE DROIT D'AMBASSADE
Principautés-Unies auprès des autres gouvernements,elle ne devait appartenir qu'à la Porte Ottomane, quiseule pouvait exercer ainsi le droit d'ambassade
actif (1).C'est ce qui a eu également lieu à l'égard de la
principauté de Servie.
Il en est de même pour l'Egypte : les traités ne
lui ont attribué que la souveraineté interne limitée; la
souveraineté externe a été réservée à la Turquie.
Quant aux États tributaires, il n'y a pas de raison
pour refuser de leur reconnaître le droit d'envoyer des
agents diplomatiques. La circonstance qu'ils payentun tribut n'empêche pas en effet qu'ils soient consi-
dérés comme souverains (2).
(1) Le congrès de Berlin, qui s'est réuni à l'occasion de la der-nière guerre turco-russe (1877,1878), a eu pour résultats les chan-gements suivants dans la carte politique de l'Europe orientaleet de l'Asie : la Roumanie, la Servie, le Monténégro ont été dé-clarés indépendants. Une partie de la Roumélie a été créée pro-vince autonome ; la Bulgarie, principauté tributaire ; la Bosnie, laCroatie et l'Herzégovine ont été soumises à l'occupation autri-chienne ; la Roumanie, la Servie et le Monténégro ont obtenuune certaine extension de territoire ; la Russie a recouvré cer-taines positions sur le Danube, qui lui avaient été enlevées parle traité de Paris, en 1836, et qui avaient été données à la Rouma-nie ; les Anglais se sont établis dans l'île de Chypre, et les Russesdans une portion de l'Arménie. La Turquie a été dépecée ainsi,dans un temps où cependant on nie le droit de conquête, et oùl'on proclame le principe de non-intervention.
(2) La souveraineté, dit Merlin, n'étant incompatible, ni avecune alliance inégale ni avec un traité de protection, un État quia contracté une semblable alliance, ou un traité, ne perd, ni parl'une, ni par l'autre, le droit d'entretenir des relations et de com-muniquer avec les autres Puissances, soit en leur envoyant, soiten recevant de leur part des ministres publics.Voir Merlin, Réper-toire, V° Ministre public, sect. II, § IV. Quant à une nation quise gouverne elle-même, sans dépendance d'aucun étranger, ellene perd pas sa qualité de souveraine par cela seul qu'elle esttributaire d'une autre : le tribut prouve la faiblesse, mais iln'exclut pas la souveraineté,
LE DROIT D'AMBASSADE 173
Le droit d'ambassade actif appartient-il à un État uni
à d'autres par un lien fédéral ? — 1 °Système d'États
confédérés.
Les États qui sont unis ensemble par un tien fédéral
forment, ou un système d'États confédérés, ou un État
fédéral.
Un système d'États confédérés est comme une so-
ciété, une association d'États indépendants, d'États sou-
verains, qui ne reconnaissent pas une autorité suprêmeet commune. Cette manière d'être des États porteencore le nom de confédération. Chacun des États
associés conserve le principe de sa souveraineté, le
droit de se gouverner par ses lois particulières. Il n'ya pas de pouvoir exécutif commun ayant le droit d'im-
poser ses décrets, et en rapport direct avec les citoyensdes États. Chaque État associé s'oblige seulement à
faire exécuter dans l'intérieur de ses limites propresles résolutions générales et délibérées en commun sur
certaines questions et concernant certains intérêts
spéciaux. Ainsi donc, dans le système d'États confé-
dérés, chaque État conserve l'exercice de sa souverai-
neté intérieure et extérieure. Il est tenu, il est vrai,d'exécuter les décisions d'intérêt général prises parl'association des États conformément au pacte quiréunit les confédérés, mais ces décisions ne peuventêtre appliquées dans chacun de ces États associés,
que par l'action du gouvernement local de cet État, et
en vertu de sa propre autorité. Chacun des confédérés
est tenu à l'observation des. mesures arrêtées en
commun; les décisions prises par le corps fédéral ne
sont transformées en lois que par le gouvernementlocal de chaque État. Telle était antique ligue achéenne ;telles étaient la plupart des confédérations anciennes.
Dans les temps modernes, on peut citer comme
exemple la Confédération germanique, telle qu'elleétait constituée avant la paix de Prague de 1866.
Le droit d'ambassade actif appartient, dans ce
174 LE DROIT D'AMBASSADE
système, à chacun des États confédérés, puisque
chacun de ces États continue de constituer une société
politique indépendante, et ne perd pas sa propre auto-nomie. Un système d'États confédérés ne diffère pas
d'une alliance ordinaire entre un certain nombre
d'États indépendants, et comme un tel lien n'enlève pasaux alliés leur personnalité juridique, il en dérive que,sauf les dispositions du pacte d'union, chacun des
États peut librement exercer les droits de souveraineté
dans les relations avec les autres États étrangers.
Mais, d'un autre côté, comme la confédération consti-
tue, elle aussi, un être juridique distinct des autres
personnalités qui ont concouru à sa formation, le droit
d'ambassade actif doit appartenir à l'autorité qui la
représente, pour les affaires concernant l'intérêt
commun des confédérés, en laissant chacun de ces
derniers exercer ce droit pour les affaires qui le
regardent spécialement.C'est ce qui a eu lieu dans l'ancienne Confédération
germanique, telle qu'elle fut constituée en 1815. Cette
confédération était un système d'États confédérés,une confédération proprement dite. Le droit d'ambas-
sade actif compétait à chaque État, et, en même temps,à la Diète. Mais, dans le fait, la Diète n'a jamais en-tretenu de mission permanente : une seule fois elle
envoya un ministre en mission extraordinaire,— M. lebaron de Beust, —
qui représenta la Confédérationdans les conférences tenues à Londres pour la
question entre l'Autriche, la Prusse et le Danemark,à propos des duchés du Schleswig et du Holstein.
2° État fédéral.
Dans l'État fédéral, qu'on nomme aussi État composé,il y a également une réunion, une association d'États,mais d'États soumis à un gouvernement fédéral suprê-me. Il y a un gouvernement commun établi par le pacted'union, et ce gouvernement est souverain, dans la
sphère de ses attributions, pour agir directement, non-
LE DROIT D AMBASSADE . 175
seulement sur les États qui s'associent, mais encore
sur les citoyens de chacun d'eux. Par l'institution de
ce pouvoir exécutif suprême et central il y a une
souveraineté nouvelle.
Ainsi, dans l'État fédéral ou État composé, le gou-vernement fédéral est souverain. Dans la sphère de
ses attributions, il agit sur les États membres de l'asso-
ciation, et directement sur les citoyens de chacun de
ces États, dont la souveraineté particulière se trouve
ainsi diminuée. L'État composé est seul une Puissance
souveraine. On voit la différence qui existe entre ces
deux manières d'être d'États unis ensemble par un
lien fédéral : dans le système d'États confédérés, les
divers États alliés conservent leur pleine souveraineté
sous tous les rapports, et n'obéissent aux décisions
du pouvoir fédéral qu'autant qu'ils s'y sont soumis
volontairement ; tandis que dans l'État fédéral ou
composé, les divers corps qui le constituent ont cessé
d'être entièrement souverains.
La Suisse, la Fédération Argentine, les États-Unis
d'Amérique, offrent des exemples d'États composés.La souveraineté externe, dans ces États, étant
absorbée par le gouvernement fédéral suprême,c'est à lui seul qu'est ordinairement attribué le droit
de représentation à l'extérieur, à lui seul qu'appartientle droit d'ambassade actif.
Ainsi, en Suisse, d'après la constitution fédérale du
29 mai 1874, les cantons sont souverains en tant queleur souveraineté n'est pas limitée par la constitution"
fédérale, et, comme tels, ils exercent tous les droits
qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral (art. 3).La Confédération a seule le droit de déclarer la guerreet de conclure la paix, ainsi que de faire avec les
États étrangers des alliances et des traités, notamment
des traités de douanes et de commerce (art. 8). Excep-tionnellement, les cantons conservent le droit de con-
clure avec les États étrangers des traités sur des
objets concernant l'économie politique, les rapportsde voisinage et de police ; néanmoins, ces traités ne
176 LE DROIT D'AMBASSADE
doivent rien contenir de contraire à la Confédération
ou aux droits d'autres cantons (art. 9). Les rapports
officiels entre les cantons et les gouvernements
étrangers ou leurs représentants ont lieu par l'inter-médiaire du Conseil fédéral. Toutefois, les cantons,
peuvent correspondre directement avec les autorités
inférieures et les employés d'un État étranger, lors-
qu'il s'agit d'objets relatifs à la police, à des rapports
de voisinage ou concernant l'économie politique (art.
10).Le Conseil fédéral exerce l'autorité directoriale et
executive supérieure de la Confédération ; il est
composé de sept membres (art. 95). Il examine les
traités des cantons entre eux ou avec l'étranger, et il
les approuve, s'il y a lieu ; il veille aux intérêts de la
Confédération au dehors, notamment à l'observation de
ses rapports internationaux, et il est, en général,
chargé des relations extérieures ; il veille à la sûreté
extérieure de la Suisse, au maintien de son indépen-dance et de sa neutralité (art. 102, nos 7 8 et 9), etc.
La Fédération Argentine qui est, après le Brésil,l'État le plus considérable de l'Amérique méridionale,forme une république représentative, un État composé.Les quatorze provinces confédérées dont elle se com-
pose (plus trois territoires), sont souveraines quant à :
leur administration intérieure. Aux termes de la consti-tution fédérale rédigée en 1853, mais réformée en
1860, dans un esprit décentralisateur, et en 1866, le
gouvernement fédéral est chargé et obligé d'assurerses relations de paix et de commerce avec les Puis-sances étrangères, par le moyen de traités conformesaux principes de droit public établis dans la constitution.Le « président de la nation argentine » nomme et
révoque les ministres plénipotentiaires et les chargés
d'affaires, d'accord avec le sénat ; il conclut et signeles traités de paix, de commerce, de navigation,d'alliance, de limites et de neutralité, les concordatset les autres négociations requises pour le maintiendes bonnes relations avec les Puissances étrangères ;
LE DROIT D AMBASSADE 177
il reçoit les ministres de ces Puissances et admet leursconsuls. Quant aux provinces, elles conservent toutle pouvoir qui n'a pas été délégué par la constitution au
gouvernement fédéral; elles se donnent elles-mêmesleurs propres institutions locales ; elles se donnentleur constitution propre ; elles peuvent conclure destraités particuliers ayant pour objet l'administrationde la justice, des travaux d'utilité commune, desintérêts économiques, en les portant à la connaissancedu Congrès fédéral; mais elles n'exercent point le
pouvoir délégué à la nation, elles ne peuvent concluredes traités particuliers de caractère politique, ninommer ou recevoir des agents étrangers.
Suivant la constitution fédérale des États-Unis d'Amé-
rique, aucun État ne peut contracter, sans le consen-tement du Congrès, ni traité, ni alliance, ni confédéra-tion: c'est le président des États-Unis qui a seul le
pouvoir de faire des traités, de l'avis et du consente-ment du sénat, et de nommer, avec l'avis et le consen-tement du même corps, les agents diplomatiques et les
consuls.
Ainsi donc, lorsque les États rattachés à d'autres
par un lien fédéral ont pour leurs intérêts politiquesun centre commun d'autorité, investi du pouvoir légis-latif pour tous les États formant par leur ensemblel'État composé ; lorsqu'il existe un corps chargé d'agirpour cet État composé et de le représenter, ce corpspeut seul avoir des relations avec les Puissances étran-
gères, et, par suite, c'est à lui seul qu'appartient ledroit d'ambassade. Chaque État romprait l'unité, en
entretenant des relations pour son compte avec les
Puissances étrangères (1).
(1)La Confédération de l'Allemagne du Nord, organisée par laconstitution fédérale de 1867, formait une confédération d'uneespèce particulière. Elle réunissait les caractères d'une confédé-ration proprement dite et d'un État fédéral, ou composé. C'étaitune confédération proprement dite, car les États qui la compo-saient avaient conservé leur personnalité ; ils avaient conservéchacun le droit d'ambassade actif, pour les matières qui les
12
178 LE DROIT D'AMBASSADE
Le droit d'envoyer des ministres plénipotentiaires,
appartient-il à des vice-rois, ou à des gouverneurs
de provinces éloignées?
Des auteurs enseignent que le droit d'envoyer des
représentants diplomatiques peut être exceptionnelle-
ment conféré à des vice-rois, à des gouverneurs de
provinces éloignées. On cite comme exemples les
gouverneurs anglais des Indes-Orientales et de l'Aus-
tralie, ainsi que les gouverneurs des colonies hollan-
daises, qui ont envoyé à plusieurs reprises des minis-
tres auprès des différents États de l'Asie orientale.
On comprend que comme l'État dont ces colonies
dépendent est empêché par le grand éloignement de
prendre efficacement en mains la représentation de
ces provinces lointaines, il puisse être nécessaire,
indispensable même, de transférer dans une certaine
mesure au gouvernement provincial le droit d'envoyerdes représentants. Mais ce droit ne s'exercera que pardélégation ; il faudra des pouvoirs spéciaux de l'Étatdont ces colonies dépendent. Vattel reconnaît ce droitaux vice-rois et aux gouverneurs en chef d'une sou-veraineté ou d'une province éloignée; ils agissent,en cela, dit-il, au nom et par l'autorité du souverain
qu'ils représentent, et dont ils exercent les droits :
concernaient eux seuls : mais ce n'était que le droit d'envoyerdes ministres plénipotentiaires en mission extraordinaire. C'étaitun État fédéral, ou composé, car la présidence de la Confédéra-tion de l'Allemagne du Nord était attribuée à la couronne dePrusse qui avait le droit, en cette qualité, de représenter la Con-fédération même dans les relations internationales, de déclarerla, guerre en son nom, de conclure les alliances et les autrestraités avec les États étrangers, d'accréditer et de recevoir desagents diplomatiques en mission permanente.
La nouvelle constitution de l'empire d'Allemagne confie àl'empereur la nomination des ministres publics,mais n'abrogepas le droit d'ambassade des États particuliers, à l'égard desmatières qui les concernent seuls. Il est vrai que ce droit estfort restreint par l'extension considérable de la compétence del'empire.
LE DROIT D AMBASSADE 179
cela dépend entièrement de la volonté du maître quiles établit (1). La règle est donc que le droit d'ambas-sade n'appartient pas aux vice-rois, gouverneurs ou
autres représentants du souverain, à moins qu'il neleur ait été expressément accordé, et dans ce cas ledroit n'est exercé que par suite de la délégation quien a été faite, mais cela est rare.
A qui, dans un État, appartient l'exercice du droit
d'envoyer des agents diplomatiques à l'étranger?
Le droit d'envoyer des agents diplomatiques à l'é-
tranger appartenant à tout État souverain, dont l'indé-
pendance est universellement reconnue, l'exercice de
ce droit est un des attributs essentiels de tout gouver-nement constitué. Le gouvernement en effet person-nifiant l'État dans les rapports internes, le personnifieaussi dans les relations internationales. Pour l'appli-cation, cela dépend de la constitution intérieure de
l'État : l'exercice du droit d'ambassade varie selon la
forme des gouvernements. Dans les monarchies, soit
absolues, soit représentatives, cette prérogative réside
habituellement dans le monarque ; en cas de régence,elle réside dans le régent, c'est-à-dire dans celui qui,selon la loi fondamentale de l'État, est autorisé à tenir
les rênes du gouvernement durant la régence (2). Dans
(1) Vattel, Le droit des gens, etc., édition citée, livre IV, chap.Y, § 61. Vattel rappelle que les vice-rois de Naples, les gouver-neurs de Milan, les gouverneurs généraux des Pays-Bas pourl'Espagne, étaient revêtus de ce pouvoir. T. III, p. 222, 223. Voir
Bluntschli, ouvrage et édition cités, n° 161, p. 130, 131.
(2) Mais c'est toujours au nom du roi que sont signés et pu-bliés tous les actes, traités, lettres de créance, etc., qui appar-tiennent à l'exercice de la souveraineté. Lorsqu'un régent accré-dite des ministres auprès d'une cour ou d'un gouvernementétranger, ces ministres ne sont donc pas considérés commeenvoyés par le régent, mais par le roi lui-même, et c'est le roi quiparle dans les lettres de créance. C'est ainsi que, pendant larégence du duc d'Orléans, le cardinal Dubois ne négociait, àLa Haye, la triple alliance de 1717, qu'en vertu de lettres de
180 LE DROIT D'AMBASSADE
les républiques elle repose ou sur le magistrat, chef
de l'État, ou sur un sénat ou un conseil, conjointement
avec ce magistrat ou sans lui. Mais, si la forme dans
laquelle s'exerce le droit d'ambassade actif est diverse,
selon les différentes constitutions qui peuvent limiter
l'exercice de ce droit de différentes manières, et qui dé-
terminent à qui il appartient de personnifier l'État dans
les relations internationales, ce qui est universel, c'est
que les agents diplomatiques sont les représentants
de leur propre nation, et non de celui qui les accrédite.
Le droit d'envoyer des ministres appartient-il à un
roi détrôné ? — A un usurpateur ?
Un roi détrôné ne peut exercer le droit d'envoyerdes ministres publics, parce qu'il ne gouverne plus, il
est dans l'impossibilité de gouverner, il a perdu l'exer-
cice de la souveraineté. La représentation de l'État a
cessé en lui, non-seulement dans les rapports inter-
nes, mais encore dans les relations internationales.
Comment pourrait-il, dès lors, jouir du droit d'ambas-
sade?
A qui l'exercice de ce droit appartiendra-t-il, dans
ce cas ?
On n'hésite pas à admettre qu'il appartiendra au
gouvernement de fait, c'est-à-dire au gouvernement
qui sera actuellement en possession du pouvoir. Telleest en effet la pratique contemporaine. On tend de plusen plus aujourd'hui à reconnaître les faits accomplis (1)comme fondement de droits nouveaux ; on tend aussià laisser tomber la distinction entre les gouvernementsde fait et les gouvernements de droit. Du moment quele successeur du prince détrôné représente réellement
créance, de pleins pouvons et même d'instructions officiellesrédigées au nom du roi mineur.
(1)On a défini les « faits accomplis », des questions jugées
par l'événement, et sur lesquelles on se contente d'en appeler àl'histoire ou à l'avenir, qui n'apprécient pas toujours de la mêmemanière que les contemporains.
LE DROIT D'AMBASSADE 181
l'autorité, il devient de règle de recevoir ses envoyés.Les Puissances étrangères, quand elles y trouvent leur
intérêt, recevront donc les agents diplomatiques en-
voyés par un gouvernement de fait (1). Vattel a tracéla vraie doctrine contemporaine, à cet égard : « Il n'y a
point, dit-il, de règle plus sûre, plus conforme au droit
des gens et à l'indépendance des nations, puisque les
(1) Cette doctrine qui a pour elle, non la générosité et la jus-tice, mais la prudence, n'est d'ailleurs pas absolument contem-
poraine. Le cardinal d'Ossat, dans sa lettre à Villeroy, ministre deHenri IV, du 25 juillet 1601, écrivait que, lorsqu'un prince voitune Puissance considérable bien établie, il ne doit pas examinersi le souverain qui lui envoie, soit un ambassadeur, soit un agent,est légitime ou non, ni s'enquérir aussi scrupuleusement de sontitre que s'il s'agissait d'un achat ou d'un échange, mais qu'il nedoit s'arrêter qu'à la puissance et à la possession. En 1608,Charles, duc de. Sudermanie, qui s'était fait couronner roi de
Suède, au préjudice de Sigismond, roi de Pologne, son neveu,avait envoyé en France Jacques Van Dyck, pour offrir à Henri IVle renouvellement des traités d'alliance qui avaient été faitsautrefois entre les deux couronnes. On mit en question si l'ondevait recevoir ce ministre. Villeroy déclara que toutes les rai-sons et les considérations que quelques-uns faisaient valoir pourla négative, ne pouvaient pas empêcher le roi de traiter avec
Charles, s'il y trouvait son intérêt et celui de son royaume. En
1641, deux ambassadeurs de Jean-IV, roi de Portugal, arrivèrentà Londres, et ayant obtenu audience du roi d'Angleterre, ce
prince leur dit « que jusqu'alors il n'avait pas reconnu d'autreroi de Portugal que celui d'Espagne ; mais que, puisque le princequ'ils représentaient avait été appelé à la couronne du consen-tement unanime des peuples portugais, et qu'il était en posses-sion paisible du royaume, il avait bien voulu les admettre pourne pas faire injure à leur caractère ». Peu de temps après,Cronrwell envoya en France l'écossais Lockard, avec la qualitéd'ambassadeur de la République d'Angleterre, et le cardinal de
Mazarin, non-seulement le fit admettre, mais ne voulut pasmême voir le roi Charles II, ni ses ministres. Enfin, on a vuen France recevoir un ministre des États-Unis d'Amérique,avant que leur indépendance fût reconnue, et dans le tempsmême qu'ils combattaient pour s'affranchir de la domination
anglaise. « La conséquence qui résulte de ces faits, dit Merlin,est facile à saisir : c'est que les Puissances étrangères peuventne suivre que la possession, si le bien de leurs affaires les yconvie ». Voir Merlin, Répertoire, v° Ministre public, sect. II, § I,n° VI.
182 LE DROIT D'AMBASSADE
étrangers ne sont pas en droit de se mêler des affaires
domestiques d'un peuple ; ils ne sont pas obligés
d'examiner et d'approfondir sa conduite dans ces
mêmes affaires, pour en peser la justice ou l'injustice;ils peuvent, s'ils le jugent à propos, supposer que le
droit est joint à la possession. Lorsqu'une nation a
chassé son souverain, les Puissances qui ne veulent
pas se déclarer contre elle et s'attirer ses armes ou son
inimitié, la considèrent désormais comme un État libre
et souverain, sans prendre sur elles de juger si c'est
avec justice qu'elle s'est soustraite à l'empire du prince
qui la gouvernait... Si la nation, après avoir chassé son
prince, se soumet à un autre, si elle change l'ordre dela succession et reconnaît un souverain au préjudicede l'héritier légitime et désigné, les Puissances étran-
gères sont encore fondées à tenir pour légitime ce quis'est fait ; ce n'est pas leur querelle, ni leur affaire.Lors donc que des Puissances étrangères ont admislés ministres d'un usurpateur, et lui ont envoyé les
leurs, le prince légitime venant à remonter sur le
trône, ne peut se plaindre de ces démarches commed'une injure, ni en faire un juste sujet de guerre,pourvu que ces Puissances ne soient pas allées plusavant, et n'aient point donné de secours contre lui (1). »
Le raisonnement qu'on fait pour justifier cette solu-
tion, qui est la solution pratique, est celui-ci: unesociété politique ne peut exister sans un pouvoir quidomine toutes les volontés en vue d'un but commun.La souveraineté est absolument indispensable pourobtenir la fin sociale ; les gouvernements passent, lecorps social reste ; ce corps social vit toujours et est
inséparable d'un chef qui en exerce la souveraineté etle personnifie tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Laquestion de légitimité ou d'illégitimité de l'origined'un gouvernement n'appartient pas au droit interna-tional. Pour les gouvernements étrangers, celui qui se
(1) Vattel, Le droit de gens, livre IV, chap. V, § 68, éditionannotée par Pradier-Fodéré, t. III, p. 228.
LE DROIT D'AMBASSADE 183
trouve exercer de fait la souveraineté doit être consi-déré comme le représentant de l'État. On offenserait
gravement l'indépendance des nations, si l'on s'éri-
geait en juge des innovations qu'il leur plaît d'accom-
plir dans leur constitution politique.La même argumentation peut être employée pour
appuyer l'opinion qui attribue à un usurpateur le
droit d'envoyer des agents diplomatiques (1).Au reste, comme on l'a fort bien remarqué, l'ad-
mission de l'agent diplomatique d'un gouvernement
quelconque suppose que celui qui l'admet reconnaît
que la personne au nom de qui ce ministre public
parle est à la vérité le chef d'un gouvernement ;mais de ce seul fait on ne saurait conclure s'il le re-
connaît comme gouvernement de droit ou seulement
comme gouvernement de fait. La nature des stipu-lations contractées peut seule indiquer jusqu'à quel
point le gouvernement auquel l'agent diplomatiquea été envoyé, considère les actes de l'autre gouver-nement comme avoués par la nation dont il se dit le
représentant. S'agit-il de conventions de peu d'impor-tance, ou compatibles seulement avec la durée éphé-mère de l'autre gouvernement, une telle reconnais-
sance ne suppose nullement qu'on ait compté sur l'as-
sentiment de toute la nation : ce n'est donc que pourtel fait restreint qu'on a entendu reconnaître que ce
gouvernement était en mesure de faire exécuter les
stipulations arrêtées. Mais si, au contraire, les condi-
tions du traité doivent étendre leur effet à un laps de
temps considérable, et embrassent une multitude d'in-
térêts, il devient, dès lors, évident qu'on a entendu con-
tracter avec un gouvernement qu'on savait ou qu'onaffectait de croire stable et légitime ; car, en fait de
gouvernement, on ne saurait réputer stable que celui
qui est légitime (2).
(1) P. Esperson, Droit diplomatique et juridiction interna-tionale maritime, etc., nos 18 et 19, p. 12 et 13.
(2) Le Guide diplomatique, édition de 1851, p. 42, en note.
184 LE DROIT D'AMBASSADE
Mais il y a un cas dans lequel les 'Puissances étran-
gères peuvent continuer leurs relations avec l'ancien
gouvernement, sans offenser l'indépendance des ma-
tions : c'est celui d'une guerre civile dans laquelle les
partis sont bien tranchés et combattent à chances
égales. Tant que la lutte dure, on peut considérer l'an-
cien gouvernement comme étant toujours investi des
droits de la souveraineté : c'est un hommage rendu
au principe de non intervention. Mais, du moment où
sa défaite est consommée, les relations diplomatiquesne peuvent plus continuer avec lui (l).
Il est évident qu'aucun gouvernement ne peut con-
sentir à recevoir au même titre, et avec le même carac-
tère officiel, l'envoyé du nouveau chef d'État et celui
du chef d'État dépouillé (2). La représentation de l'État
(1) Des sujets rebelles peuvent-ils envoyer des ambassadeursà leur prince? Des ambassadeurs, non ; ce ne sont pas des mi-nistres publics, ce sont plutôt des parlementaires, des commis-
saires, et à ce titre ils peuvent en envoyer. Le marquis de Mire-mont traita ainsi, au nom de l'Angleterre, avec les Camisards,et c'est à peu près de la même manière que s'est terminée, sousla Convention nationale, la première rébellion des départementsfrançais de l'Ouest. Le Comité du salut public, en qui résidaientles principaux pouvoirs de l'autorité executive, chargea desmembres de la Convention nationale elle-même de négocier avecles commissaires des Vendéens et des Chouans. Ils négocièrenten effet ; deux traités secrets en furent le résultat, et ils procla-mèrent les conditions de ces traités par des arrêtés que la con-vention approuva par deux lois des 13 ventôse et 8 floréal an III.Non, les sujets rebelles n'ont pas le droit d'ambassade ; mais sil'on veut ramener l'ordre et la paix, il faut négocier, écrire, s'a-boucher, traiter enfin. Or, tout cela est impossible, si l'on refused'admettre les chefs et leurs représentants. Voir Merlin, Réper-toire, v° Ministre public, sect. Il, § I, n° XII.
(2) Merlin enseigne que si le seul fait de la possession suffit àun usurpateur pour qu'on reconnaisse ses ministres publies etqu'il en reçoive lui-même, le seul droit suffit aussi à un roi dé-trôné ou expulsé de ses États pour lui assurer cette prérogativeà l'égard des cours qui ne reconnaissent pas son ennemi. Il citel'exemple de Christiern, roi de Danemark, et de Jean Zapoly,roi de Hongrie, qui ont continué d'avoir des ministres dans lescours-étrangères pendant leur exil. Il y a là une erreur. Les roisdétrônés ne peuvent plus s'appuyer sur un droit pour accrédi-
LE DROIT D'AMBASSADE 185
est en effet indivisible : elle ne peut appartenir à deux
gouvernements en même temps. C'est ainsi que l'An-,
gleterre ayant reconnu, en 1861, le royaume d'Italie,lord Russell fit connaître au chargé d'affaires de Na-
ples qu'il ne le recevrait plus comme représentantd'une Puissance indépendante. Dans la même année,les envoyés de Bavière, de Wurtemberg et de Mecklem-
bourg à Francfort, refusèrent de recevoir les commu-nications du comte Barrai, ministre du roi Victor-
Emmanuel II, alléguant qu'ils ne connaissaient pointun roi d'Italie. Le comte de Cavour fit retirer Vexequa-tur aux agents consulaires de ces États en Italie (1).Lors du couronnement du roi Guillaume Ier, la Prusse
n'ayant pas encore reconnu le royaume d'Italie, on
tomba d'accord de donner au général de la Rocca,
envoyé pour cette solennité à Koenigsberg, le titre
d'ambassadeur de S. M. le roi Victor-Emmanuel (2).
Cas où le droit d'envoyer des ministres est douteux
ou contesté.
Dans le cas où le droit d'envoyer des agents diplo-
matiques serait douteux ou contesté, comme dans le
cas où les circonstances opposeraient des difficultés,on tournerait l'obstacle en envoyant des agents sans
caractère de ministres publics : tels étaient autrefois
les chargés d'affaires secrets des princes protestants à
Rome, qui. y jouissaient de la sûreté et de plusieurs
privilèges du droit des gens.
ter des ministres publics à l'extérieur, mais sur une tolérance
qui ne relève que de la politique, c'est-à-dire de l'appréciationdes opportunités. Voir Merlin, Répertoire, v° Ministre public,sect. II, § 1, n° VII.
(1) P. Esperson, ouvrage cité, nos 21 et 22, p. 13 à 16. Ce der-nier fait démontre que si la reconnaissance d'un nouveau gou-vernement est facultative et non obligatoire pour les Puissances
étrangères, cela n'est vrai qu'en principe, qu'en théorie ; la ré-torsion rend obligatoire ce qui n'était que facultatif.
(2) Le Guide diplomatique, édition de 1866,1.1, p. 39, en note.
186 LE DROIT D'AMBASSADE
L'exercice du droit d'ambassade actif est-il forcé?
Il n'y a pas d'obligation pour un État d'exercer parson gouvernement le droit d'ambassade actif : aucun
État n'est obligé d'envoyer des ministres publics, à
moins que ce ne soit en vertu de traités. Mais, dans
le fait, l'intérêt des États les y porte : l'exercice du
droit d'ambassade actif est la conséquence des rela-
tions internationales, des communications entre les
peuples. La coutume d'entretenir des ministres conti-
nuellement résidents est aujourd'hui si bien établie,—dit l'auteur du Guide diplomatique,
—qu'il faut allé-
guer de très-bonnes raisons pour refuser absolumentde s'y prêter (1).
Ajoutons que, non-seulement les Etats souverains
envoyent des ministres publics pour les affaires d'État,
mais encore qu'ils se font représenter par des minis-tres pour des affaires de simple cérémonie, pour lemaintien de l'amitié réciproque, pour être informésde ce qui se passe dans les pays où ces ministres rési-
dent, etc.
Un État peut-il se faire représenter par l'agent diplo-matique d'un État étranger? — Un même ministre
peut-il être chargé en même temps dé plusieursmissions près de différents gouvernements ?
Il est généralement admis qu'un même ministre peutêtre chargé en même temps de plusieurs missions
près de différents gouvernements, et que les États
peuvent se faire représenter par les agents diploma-tiques d'un autre gouvernement, avec l'agrément dece dernier.
Il ne manque pas d'exemples de cas où le mêmeministre a été chargé de plusieurs missions simulta-nées près de gouvernements divers. Ainsi, le ministrede Saxe à Vienne était en même temps accrédité à
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1866, t. 1er, p. 40.
LE DROIT D AMBASSADE 187
Turin ; le ministre d'Angleterre à Hanovre était égale-ment accrédité à Hambourg ; des ministres étrangersaccrédités à Florence, l'étaient aussi à Modène. Il étaitassez fréquent, surtout pour les légations des États
allemands, d'accréditer le même individu auprès de
plusieurs Puissances : les ministres de Wurtemberg,de Bade, ou d'autres pays allemands à Berlin, étaient
également accrédités à Dresde et à Hanovre (1). En
1825, le gouvernement anglais fit, il est vrai, des diffi-cultés pour recevoir un ministre de Buénos-Ayres,
parce que le même personnage était accrédité en mê-
me temps à Paris. « Je crois, disait Canning, que cen'est pas trop pour le cérémonial, d'exiger un ministre
pour l'Angleterre seule ». Plus tard le gouvernement
anglais ne fit plus de difficultés. Les agents diplomati-
ques des républiques de l'Amérique espagnole sont
fréquemment, accrédités auprès de plusieurs gouver-nements européens.
Il y a aussi des exemples de cas où plusieurs États
n'ont eu qu'un même agent, diplomatique accrédité
près le même gouvernement. Ainsi, pendant, la vie de
l'impératrice Marie-Louise, duchesse de Parme, l'am-
bassadeur d'Autriche était ordinairement, et en même
temps, envoyé extraordinaire, ou chargé d'affaires de
Parme ; les deux grands-duchés de Meldembourgn'ont eu qu'un ministre à la cour de Vienne. C'est
ainsi également qu'en 1870 le gouvernement péru-
vien, comprenant la nécessité de contracter des rela-
tions d'amitié et de commerce avec les gouvernementsde Chine et du Japon, mais n'ayant pas disponibles les
fonds suffisants pour couvrir les frais de ce coûteux
(1) En 1699, Nicolas de Rie était résident de Bologne à La Haye,en même temps qu'il faisait les affaires du duc de Holstein-Got-
torp; en 1695 et 1696, l'Angleterre et les Provinces-Unies des
Pays-Bas avaient un ministre commun à la cour d'Espagne ; en1796 et 1797, un même ambassadeur, le marquis del Campo,représentait le roi d'Espagne et le duc de Parme auprès du
Dirgctoire exécutif de la République Française. Voir Merlin,Répertoire, v° Ministre public, sect II, § 2.
188 LE DROIT D'AMBASSADE
service diplomatique, s'adressa au gouvernement de
Washington pour savoir s'il serait disposé à autoriser
ses agents diplomatiques auprès des gouvernements
chinois et japonais, à représenter temporairement le
Pérou dans ces pays lointains. Le gouvernement des
États-Unis d'Amérique accepta la proposition. Il ré-
sulta de sa réponse, datée du 10 mai 1870, que les
ministres des États-Unis pourraient représenter le
Pérou en Chine et au Japon. Par décret du 14 sep-tembre 1849, le ministre des affaires étrangères à
Copenhague fut autorisé à confier les affaires de la
légation du Danemarck. à Constantinople au chargéd'affaires de Suède et de Norwège dans cette capitale.
Du droit d'ambassade passif. — A qui ce droit
appartient-il?
Le droit d'ambassade passif est le droit de -rece-
voir des agents diplomatiques. C'est, comme le droit
d'ambassade actif, un droit essentiel du gouvernementde tout État indépendant et souverain. Qui a le droit
actif a le droit passif: l'un est inséparable de l'autre;les limitations mises à la représentation d'une nation
à l'étranger ont également lieu en matière de récep-tion d'envoyés des nations étrangères. En d'autres ter-
mes, ceux qui ont le droit d'envoyer des ministres ontaussi celui d'en recevoir, et il n'y a qu'eux qui en jouis-sent; tout État indépendant, est en droit de recevoir desministres étrangers, à moins qu'il ne se soit engagéexpressément à ne pas le faire : le droit passif cores-
pond au droit actif.Un gouvernement de fait, c'est-à-dire un gouverne-
ment qui se trouve en possession de la souveraineté,peut donc recevoir des agents diplomatiques commeil peut en envoyer.
Heffter prétend qu'on ne saurait naturellement re-fuser à des particuliers le droit de recevoir des minis-tres publics. Par quels motifs, demande-t-il, serait-il défendu à une tête couronnée d'envoyer un re-
LE DROIT D'AMBASSADE 189
présentant auprès d'une maison princière non sou-
veraine, par exemple dans une affaire matrimoniale,ou dans d'autres affaires purement personnelles (1) ?
Assurément personne ne refusera ce droit à une têtecouronnée ; mais cet envoyé ne représentant que desintérêts privés, ne saurait être revêtu du caractère etdes privilèges des agents diplomatiques. Ce caractère
et ces privilèges ne peuvent appartenir qu'à celui à
qui a été confiée la mission de représenter la nation
près d'une autre nation.
Y-a-t-il obligation pour un État souverain de rece-
voir des ministres publics des autres Puissan-
ces ?
Il n'y a pas d'obligation, mais simplement conve-
nance, ou raison politique, pour un État souverain,de recevoir les ministres publics d'une autre Puis-sance. Aussi est-il libre de fixer les conditions de leuradmission et de déterminer les droits et prérogatives
qu'il leur accordera. Il a le droit également, comme il
sera dit plus tard, de refuser de recevoir tel ou telindividu comme ministre d'une autre Puissance, sans
avoir à rendre aucun compte des raisons personnellesou politiques qui lui dictent ce refus (2).
Voilà le droit absolu. Cependant, puisque par la na-
ture des choses les nations sont obligées de commu-
niquer ensemble, d'écouter les propositions et les de-
mandes qui leur sont faites, de maintenir un moyen
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, § 200, p. 384.
(2) La Pologne, dans le temps qu'elle formait une république,dont un roi électif était le chef, ne permettait pas qu'on entretîntdans son sein des ministres permanents. En 1666, un nonce se
plaignait, en pleine Diète, de ce que l'ambassadeur de Franceprolongeait sans nécessité son séjour en Pologne. D'autres, en1668, firent de vives instances pour qu'on réglât par une loi le
temps du séjour que les ambassadeurs pourraient faire dans leroyaume. Voir Merlin, Répertoire, V° Ministre public, sect. II,§ 111.
190 LE DROIT D'AMBASSADE
libre et sûr de s'entendre et de se concilier dans leurs
différends, le gouvernement d'un État ne peut, sans
des raisons très-particulières, refuser d'admettre et
d'entendre le ministre d'une Puissance amie, ou avec
laquelle il est en paix. Un État qui refuserait sans mo-
tifs de recevoir un ministre étranger s'exposerait à la
rétorsion, et celui qui prétendrait ne point entretenir
de relations diplomatiques avec les autres États, se re-
tirerait par là même du système politique de l'Europeet des autres pays civilisés (1).
L'état de guerre influe-t-il sur le droit
d'ambassade actif et passif ?
L'état de guerre ne peut dispenser les gouverne-ments du devoir de recevoir les ministres publics des
autres États, car sans ces rapprochements il serait bien
difficile de traiter de la paix. « Plus la guerre est un
fléau terrible, dit Vattel, et plus les nations sont
obligées de se réserver des moyens pour y mettre fin."
Il est donc nécessaire qu'elles puissent s'envoyer des
ministres, au milieu même des hostilités, pour faire
quelques ouvertures de paix, ou quelques propositionstendantes à adoucir, la fureur des armes. Il est vrai
que le ministre d'un ennemi ne peut venir sans permis-sion, aussi fait-on demander pour lui un passeport, ou
sauf-conduit, soit par un ami commun, soit par un de
ces messagers privilégiés par les lois de la guerre,c'est-à-dire par un trompette ou un tambour (2). Il estvrai que l'on peut refuser le sauf-conduit et ne pointadmettre de ministre, mais cette liberté, fondée sur lesoin que chaque nation doit à sa propre sûreté,n'empêche point que l'on ne puisse poser comme une
(1) Vattel, Le droit des gens, édition citée, livre IV, chap. V,§ 65, t. III, p. 225.
(2) Un parlementaire. Les parlementaires ont, dans une cer-taine mesure, une position analogue à celle des envoyés diplo-matiques : ils jouissent de l'inviolabilité.
LE DROIT D AMBASSADE 191
maxime générale qu'on ne doit pas refuser d'admettre
et d'entendre le ministre d'un ennemi (1). »
Ainsi donc la guerre seule, et par ehe-même, n'est
pas une raison suffisante pour refuser d'entendre
toute proposition venant de l'ennemi ; il faudrait qu'on
y fût autorisé par quelque raison particulière et bien
fondée : telle serait, par exemple, une crainte raison-
nable et justifiée par la conduite même d'un ennemi ar-
tificieux, qu'il ne pense à envoyer ses ministres et à
faire des propositions que dans la vue de désunir des
alliés, de les endormir par des apparences de paix, de
les surprendre, etc. (2).Quant aux ministres des nations neutres qui vou-
draient aller chez l'ennemi, Vattel pense, et tous les
auteurs enseignent d'après lui, qu'il y a des occasions
où l'on peut leur refuser le passage. On n'est pas
obligé de souffrir en effet qu'ils portent à l'ennemi
des avis salutaires, qu'ils aillent concerter avec lui les
moyens de l'assister. Ainsi, aucun droit ne peut auto-
riser le ministre d'une Puissance neutre à entrer, mal-
gré l'assiégeant, dans une ville assiégée. Mais, pour ne
point offenser les États, il faut donner de bonnes rai-
sons du refus qu'on fait de laisser passer leurs minis-
tres, et ces États doivent se contenter des raisons don-
nées, s'ils prétendent demeurer neutres (3) ».
Enfin, il est bien entendu que la guerre permettantd'ôter à l'ennemi toutes ses ressources, pour l'affaibliret le réduire à accepter des conditions équitables, on
est autorisé à empêcher que son ennemi ne puisse
envoyer des ministres aux Puissances neutres poursolliciter des secours. Pendant la guerre de la suc-
cession d'Autriche, dans le siècle dernier, le maré-
chal de Belle-Isle, ambassadeur de France, allant à
Berlin, passait, par l'imprudence de ses guides, dans
un village de l'électorat de Hanovre, dont le souverain,
(1) Vattel, id., livre IV, chap. V, § 67, t. III, p. 227, 228.
(2) Vattel, ibid.(3) Vattel, id., livre IV, chap, V, § 64, t. III, p. 224,
192 LE DROIT D'AMBASSADE
roi d'Angleterre, était en guerre avec la France. Il y
fut arrêté et ensuite transféré en Angleterre. Ni la
cour de France, ni celle de Prusse, ne se plaignirent
du roi d'Angleterre, qui n'avait fait qu'user des droits
de la guerre (1).
Conditions mises à la réception des ministres publics.— Refus de recevoir.
Il a été dit qu'un État fondé à recevoir des ministres
publics n'est pas pour cela, à moins d'y être engagé
par des traités, dans l'obligation de le faire, et que si
cet État consent à recevoir des agents diplomatiques
étrangers, il peut y mettre des conditions : par exem-
ple celle que le ministre public envoyé parla Puissance
étrangère ne sera pas national, citoyen ou sujet de
l'État où il sera accrédité et où il s'agira de sa réception.Quant au refus de recevoir, on considère comme
motif fondé d'une pareille détermination, l'incompati-bilité de l'exercice des pouvoirs et des attributions du
ministre public étranger avec la souveraineté nationale,ou avec les lois du pays. C'est ainsi que, dans le tempsoù les papes étaient princes temporels, les monarques
protestants d'Allemagne et le roi de Danemark ont
adopté le système de ne pas recevoir de nonces ponti-ficaux, la suprématie spirituelle réclamée par les papes,dont ces agents sont les représentants, étant considé-rée dans ces pays comme inconciliable avec la souve-raineté nationale. Les lois anglaises ont égalementdéfendu, pendant un temps, d'entretenir des rela-tions diplomatiques avec le Saint-Siège. Un acte du
parlement de 1843 a aboli cette restriction des pouvoirsde la reine, mais le refus de recevoir des ecclésias-
tiques comme envoyés du souverain pontife a étémaintenu. En France, déjà avant la révolution de 1789,le gouvernement refusait de recevoir les nonces dontles pouvoirs étaient illimités.
(1) Vattel, id., livre IV, chap. VII, § 85, t. III, p. 258, 259, 260
SITUATION DIPLOMATIQUE DES ENVOYES DU PAPE 193
En pareil cas, un gouvernement est fondé du moins
à exiger que les pouvoirs du ministre ecclésiastiquesoient nettement définis.
Indépendamment des raisons d'ordre général qui
peuvent justifier un refus de recevoir des ministres pu-blics, il peut y avoir lieu à des refus de caractère spé-cial ou relatif. Il en sera question plus loin.
Quelle est actuellement, à propos du droit d'am-
bassade actif et passif, la situation des envoyésdes Puissances étrangères auprès du Saint-Siège,et des envoyés du pape auprès des gouvernements
étrangers?
Les événements politiques dont l'Italie centrale a
été le théâtre, en 1870, donnent de l'intérêt à la ques-tion de savoir quelle est actuellement, au point de vue
diplomatique, la situation des envoyés des Puissances
étrangères auprès du Saint-Siège et des envoyés du
pape auprès des gouvernements étrangers ?
Les troupes italiennes étant entrées à Rome le 20
septembre 1870, et la population des États romains
s'étant prononcée, le 2 octobre de la même année,
pour l'annexion au royaume d'Italie, la capitale de ce
royaume fut transférée à Rome, et le pouvoir tempo-rel des papes a pris fin. Plusieurs États catholiques ont
cependant continué de se faire représenter auprès dusou-
verain pontife, et le souverain pontife a continué de se
faire représenter auprès des gouvernements de ces
États catholiques étrangers. Quels sont le caractère et
la situation de ces représentants ?
Doctrine des auteurs italiens.
Les auteurs italiens, — M. Esperson entre autres, —
distinguent entre le droit et le fait.
En se plaçant au point de vue juridique, ils raison-
nent ainsi : le droit d'ambassade, tant actif que passif,constituant un droit essentiel du gouvernement de tout
13
194 DOCTRINE DES AUTEURS ITALIENS
État indépendant, un pareil droit ne peut être rangé
parmi les prérogatives du pape, depuis qu'il a perdu
la souveraineté politique par l'extinction de l'État ex-
pontifical, lequel ayant renoncé à sa propre autonomie
par le plébiscite solennel de ses habitants, est devenu
une province annexée au royaume d'Italie. Selon les
principes du droit, les envoyés pontificaux près des
gouvernements étrangers ne doivent donc plus être re-
gardés comme chargés d'une mission diplomatique,c'est-à-dire comme chargés de maintenir des relations
d'État à État ; leur mission à l'étranger ne peut plusêtre autre que de pourvoir aux intérêts d'ordre spiri-tuel dans les rapports entre le souverain pontife et
l'univers catholique.Par la même raison, selon les mêmes principes, on
ne peut considérer comme de véritables agents diplo-
matiques les ministres que les Puissances étrangèresvoudraient envoyer auprès du pape, en ne les accrédi-
tant pas en même temps auprès du gouvernementitalien. Il est vrai que ces ministres représenteraientleur propre nation, mais cela ne suffirait pas pour leur
faire acquérir le caractère diplomatique : pour avoir ce
caractère, il est indispensable en effet d'être chargéde représenter une nation auprès d'une autre nation.
Par conséquent, la condition juridique des envoyés des
gouvernements étrangers près du Saint-Siège, ne dif-fère pas de celle des représentants du souverain pon-tife près de ces gouvernements.
La conclusion de cette argumentation est qu'endroit aucun principe juridique n'est violé, en laissantles uns et les autres envoyés sous l'empire du droit
commun, comme de simples particuliers.Mais, en fait, le gouvernement italien a voulu se mon-
trer favorable au pape ; il a voulu, dit M. Esperson, luiassurer une pleine liberté d'action et de correspondanceavec toute la Chrétienté, et le mettre en situationd'exercer librement l'autorité spirituelle, comme parle passé, en lui reconnaissant le droit de légation poul-ies affaires relatives à cette autorité, bien que sans ca-
CRITIQUE DE LA DOCTRINE ITALIENNE 195
ractère diplomatique : d'où les dispositions suivantes
de la loi italienne du 13 mai 1871, relative aux garan-ties accordées au pape et au Saint-Siège : « Le gouver-nement italien rend au pape, dans toute l'étendue du
royaume, les honneurs souverains ; il lui conserve les
préséances d'honneur qui lui sont reconnues par les
souverains catholiques... » (Art. 3). « Les représen-tants des gouvernements étrangers près de sa sainteté,
jouissent dans le royaume de toutes les prérogativeset immunités qui appartiennent aux agents diplomati-
ques, en vertu du droit international. Seront étendues
aux offenses dirigées contre eux, les sanctions pénales
pour les offenses envers les représentants des Puis-
sances étrangères près le gouvernement italien. Les
prérogatives et les immunités d'usage d'après le droit
international seront assurées, dans le territoire du
royaume, aux représentants de sa sainteté près les
gouvernements étrangers, lorsqu'ils se rendront au lieu
de leur mission et qu'ils en reviendront » (art. 11). «Le
pape correspond librement avec l'épiscopat et avec tout
le monde catholique, sans la moindre ingérence de la
part du gouvernement italien.... Les courriers expé-diés au nom du pape sont assimilés dans le royaumeaux courriers de cabinet des gouvernements étran-
gers... » (art. 12) (1).
Critique de cette doctrine.
La doctrine des auteurs italiens repose sur une idée
inexacte. En reconnaissant à la papauté une situation
internationale, indépendamment du territoire de l'an-
cien État romain, la loi italienne du 13 mai 1871 a
simplement reconnu un état de choses dont il ne dé-
pendait pas du seul gouvernement italien de supprimerles conséquences. M. Esperson se trompe donc, quantà l'explication qu'il donne de la loi de 1871 : cette loi
n'a pas été un acte purement gracieux de la part du gou-
(1) Esperson, ouvrage cité, nos 51 à 56, p. 36 et suiv.
196 CRITIQUE DE LA DOCTRINE ITALIENNE
vernement italien, mais bien une conséquence du carac-
tère spécial qui, dans le droit international européen,et dès avant la suppression du pouvoir temporel des
papes, distinguait ceux-ci, même au point de vue pu-rement diplomatique, de tous les autres souverains (1).Et en effet, même du temps où le pape était prince
temporel, les envoyés pontificaux avaient une mission
ecclésiastique plutôt que politique, et représentaientavant tout le souverain pontife comme chef de l'Église
catholique romaine. Le pouvoir temporel n'était qu'unaccessoire : l'importance et le rang des représentantsdu pape sont donc indépendants du maintien de ce
pouvoir.
Rappelons à ce propos l'argumentation de Heffter:aucun souverain qui commande à des sujets catho-
liques ne peut contester au pontife romain le caractèrede représentant de l'unité centrale de l'Église catho-
lique ; vouloir exclure son autorité, serait-faire vio-lence à la conscience des sujets catholiques. Comme
puissance spirituelle, le pape exerce dans les États oùle culte catholique est reconnu, toutes les fonctions
qui découlent de son caractère de chef de l'Église,sans l'assentiment duquel rien ne peut s'y accomplir.L'unité de la doctrine et des institutions canoniques,la direction, la représentation et la surveillance desintérêts généraux de l'Église, les rapports des Étatsavec ce pouvoir spirituel qui dirige, qui représente,qui surveille les intérêts généraux de l'Église, sontd'une nature toute spéciale, qui touche à la politiquebien plus encore qu'à la religion. De grands intérêtsnationaux et internationaux sont engagés : il s'agitde rapports intimes entre l'Église et l'État; ce sontdans chaque pays deux puissances en regard l'une del'autre ; le caractère international de ces rapports nepeut être nié (2).
(1) Rohn Jacquemyns, Revue de droit international et delégislation comparée, Ve année, 1873, p. 300.
(2) Voir Heffter, ouvrage et édition cités, § 40, p. 82 et suiv.,
CRITIQUE DE LA DOCTRINE ITALIENNE 197
A la question de savoir quelle est la situation des en-
voyés des Puissances étrangères auprès du Saint-Siègeet des envoyés du pape auprès des gouvernementsétrangers, il n'y a donc pas à hésiter à répondre que ces
mandataires n'ont pas cessé d'avoir le caractère d'en-
voyés diplomatiques, et que leur situation doit être
celle de ministres publics envoyés par des souve-
rains temporels à des souverains temporels (1).
déjà cité plus haut, p. 96 et 97. — Bluntschli, ouvrage et édi-tion cités, n° 172, p. 135.
(1) La question a été résolue dans ce sens, d'une manière im-
plicite, dans l'Amérique du Sud. Le Saint-Siège ayant accréditéM. Mario Moncenni, archevêque d'Héliopolis, comme déléguéapostolique et ministre extraordinaire auprès de quelques répu-bliques américaines, le corps diplomatique étranger accrédité
auprès du gouvernement du Chili a reconnu comme doyen cet
envoyé du Saint-Siège. Les ministres étrangers résidant à Limaont suivi cet exemple. Le décanat diplomatique a donc étéreconnu en faveur du représentant de sa sainteté. Voir le journalofficiel « El Peruano » du mercredi 17 juillet 1878. Les membresdu corps diplomatiqne accrédité à Lima, s'étaient réunis en
conférence, le 22 avril 1878, dans la demeure de l'envoyé extra-ordinaire et ministre plénipotentiaire du. Chili, qui, par ancien-neté de réception, avait été jusqu'alors leur doyen. L'objet dela réunion était de discuter la question qui avait été soulevéeau sujet du décanat à attribuer à M. Moncenni. L'opinion quiprévalut dans cette conférence, fut qu'on ne devait pas recon-naître en faveur du délégué apostolique la préséance sur lesministres plénipotentiaires ou envoyés extraordinaires plusanciens ; mais les membres du corps diplomatique suspendirentleur décision, en considération de la mort du pape Pie IX. Ils
pensèrent que le décès du pape et la nomination de son succes-seur interrompaient les fonctions de M. Moncenni, et qu'il n'yavait pas heu de délibérer sur une question de rang, qui suppo-sait avant toute chose l'exercice des fonctions diplomatiques. Leministre plénipotentiaire du Chili fut chargé de se renseignerauprès du ministre des relations extérieures du Pérou, surla question de savoir si M. Moncenni avait été accrédité denouveau auprès du gouvernement péruvien, et en quelle qualité.
Dans une seconde conférence, tenue le 12 juillet de la même
année, l'agent diplomatique du Chili fit connaître à ses collèguesles démarches qu'il avait faites auprès du ministre des relations
extérieures, elles renseignements qu'il avait recueillis. Il en résul-tait que la volonté du nouveau pape, Léon XIII, était que M. Mon-
198 CRITIQUE DE LA DOCTRINE ITALIENNE
cenni continuât, en la même qualité qu'auparavant, l'exercice deses fonctions auprès du gouvernement péruvien. Le ministre duChili proposa, en conséquence, à ses collègues, d'écarter la
question relative au caractère officiel des représentants du Saint-
Siège depuis l'extinction du pouvoir temporel, question sur
laquelle toutes les opinions paraissaient être tombées d'accord,et de délibérer définitivement sur le point, de savoir s'ils recon-naissaient dans M. Moncenni, délégué apostolique et envoyéextraordinaire du Saint-Siège, un droit à être considéré comme
doyen du corps diplomatique. Les ministres de. Bolivie, du Chili,de l'Equateur, de la Grande-Bretagne, de Honduras et d'Italie seprononcèrent pour la négative. Les ministres de la RépubliqueArgentine, de France et de San-Salvador opinèrent pour l'affir-mative. La question ayant été ainsi résolue dans le sens de lanégative, à la majorité des voix, le ministre du Chili, qui avaitété ainsi maintenu dans le décanat, exprima le désir de céderla préséance à M. Moncenni, à titre de déférence et de cour-toisie pour le Saint-Siège et son digne représentant à Lima. Cedésir fut ratifié par tous les ministres présents, mais la majoritéinsista pour que la décision du corps diplomatique, relativementà la question de droit, fût constatée dans un procès-verbal, afinque la cession gracieuse faite par le ministre du Chili, et acceptéepar ses collègues, ne fût considérée en aucun temps comme un pré-cédent. Le chargé d'affaires d'Allemagne et le ministre des États-Unis d'Amérique n'ont pas assisté à cette conférence. ; mais cedernier a adhéré à la décision prise. On voit que le caractèrediplomatique de l'envoyé du Saint-Siège n'a pas été contesté.Quant à la solution donnée à la question de préséance, elle estcorrecte en droit, attendu que l'exception consacrée par ledeuxième paragraphe de l'article 4 du règlement fait à Vienne,le 19 mars 1815 : « le présent règlement n'apportera aucune in-novation relativement aux représentants du pape », est inter-prétée comme confirmant seulement le statu quo antérieur,c'est-à-dire comme maintenant la préséance aux nonces, quiseuls en étaient en possession. Or, M. Moncenni n'était pasnonce. Mais le scrupule qui avait fait interrompre la délibéra-tion, lors de la conférence du 22 avril 1878, n'était nullementfondé : il n'y avait pas lieu d'attendre que M. Moncenni ait étémaintenu dans l'exercice de ses fonctions, puisqu'il est de prin-cipe que le Saint-Siège, où réside le pouvoir, ne meurt pas, etque c'est le Saint-Siège qui accrédite par l'organe du pape. Parconséquent, le changement du souverain pontife n'emportepoint de renouvellement des pouvoirs des agents du Saint-Siège.Les lettres de créance des envoyés du Saint-Siège ne sont renouve-lées qu'aux changements de règne, dans les États monarchiques.Voir, dans ce sens : Klùber, ouvrage et édition cités, § 228,note c, p. 324; Désiré de Garcia de la Véga, ouvrage et éditioncités, p. 222, 223. Les procès-verbaux des deux conférences de
CRITIQUE DE LA DOCTRINE ITALIENNE 199
Lima se trouvent dans le journal officiel El Peruano , du 25
juillet 1878. La question de savoir, si, à l'exaltation d'un nouveau
pape, à la nomination d'un nouveau président de république, les
envoyés du Saint-Siège ou de la république ont besoin de nou-velles lettres de créance, a été résolue négativement dans unelettre du ministre des relations extérieures du Pérou à M. D.Pedro Galvez, ministre plénipotentiaire de cette république prèsdu Saint-Siège, en date du 1er mai 1878. Voir El Peruano decette date.
CHAPITRE VI.
Qu'est-ce qu'un ministre public?— Qu'entend-on par Corps
diplomatique? —Le Ministre des affaires étrangères.—Attributions de ce ministre.— Organisation de l'admi-
nistration centrale des affaires étrangères. — Le chef de
cabinet du ministre. — Le secrétaire général. — La di-
rection des affaires politiques. — Le service du proto-cole. — Le bureau du contentieux. — La direction du
commerce et des consulats.— Les directions de comp-tabilité et de chancellerie.— La direction du personnel. —
La direction des archives. - Quelques exemples d'organi-sation de l'administration centrale des affaires étrangères.— France. — Angleterre. — Belgique. — Pérou. —
Le règlement péruvien du 5 avril 1878. — Les deux
sections du ministère des relations extérieures du Pérou.— L'« Oficial mayor ». — Les chefs de sections. —Attri-
butions qui leur sont communes. — Attributions duchef de la section diplomatique. —Attributions du chefde la section des consulats, de chancellerie et de
comptabilité. — Attributions de l'« Oficial de partes. » —
Attributions de l'« Oficial ».— L'archiviste. - Attributionsdes «Oficiales segundos» et des commis.—Tenue intérieuredu ministère des affaires étrangères du Pérou, — Instal-lation du ministre des affaires étrangères. — Visites. —
Ouverture des salons. — Dîners officiels. — Audiences. —
Démission du ministre des affaires étrangères. — Réponsedu corps diplomatique étranger. —
Correspondance duministre des affaires étrangères. — Qualités que doitréunir un bon ministre des affaires étrangères, un bon
directeur ou un bon chef de division ou de section.
LES MINISTRES PUBLICS 201
Qu'est-ce qu'un ministre public?
Le mot MINISTRE a différentes significations.On appelle MINISTRE, dans l'acception générale du
mot, un agent politique de n'importe quelle classe.
En matière de droit constitutionnel et de droit admi-
nistratif, les ministres sont les subordonnés immédiats
du pouvoir central, les chefs des grandes divisions
de l'administration publique désignées par le nom de
départements ministériels. Us sont aussi qualifiés de
secrétaires d'État à tel ou tel département, à raison du
contre-seing qu'ils apposent aux actes du chef de l'État.
Dans le langage diplomatique, les ministres sont les
agents qu'un gouvernement envoie auprès de gouver-nements étrangers, ou à un congrès, pour y traiter
des affaires politiques, et qui, munis de lettres de
créance et de pleins pouvoirs, jouissent des privilèges
que le droit des gens accorde au caractère public dont
ils sont revêtus (1).Il faut aussi comprendre dans cette définition les
agents qu'un gouvernement envoie à l'étranger, non
comme négociateurs, mais, soit pour veiller d'une ma-
nière spéciale et permanente au maintien de l'entente
réciproque, pour protéger leurs nationaux et informer
leur cour ou leur gouvernement de tout ce qui peutêtre pour l'État d'un intérêt sérieux, soit pour un sim-
ple objet de cérémonie.
Ces agents ou ministres sont indifféremment appe-
lés, d'une manière générale, sans s'arrêter à leur
rang et à leur classe : ministres publics, agents poli-
tiques, agents diplomatiques, agents des relations exté-
rieures, envoyés diplomatiques, etc.
On peut encore définir les ministres publics : des
personnes qui ont reçu d'un gouvernement les pou-voirs nécessaires, et qui ont été accréditées par lui
(1) Voir Le Guide diplomatique, §4, édition de 1866, t. 1er,p. 33.G. F. de Martens, ouvrage et édition cités, note de M. Ch. Vergé,t. II, p. 38.
202 LE CORPS DIPLOMATIQUE
pour représenter ses droits et ses intérêts auprès d'un
État étranger.-Les deux mots pouvoirs et accréditées sont impor-
tants. Les pouvoirs seuls ne suffiraient pas, en'effet,
pour conférer les droits et la position de ministre pu-
blic. Un agent sécréta, lui aussi, des pouvoirs, et il n'est
pas un ministre. Pour qu'un envoyé soit ministre pu-
blic, il faut que, non-seulement il ait des pouvoirs,
mais encore qu'il soit accrédité.
Qu'entend-on par Corps diplomatique.
On. appelle CORPS DIPLOMATIQUE, la réunion des mi-
nistres publics de toutes classes accrédités auprès d'un
même gouvernement. Ce n'est pas une personne juri-
dique, ni une personne politique : ce n'est que la réu-
nion de personnalités complètement indépendantes les
unes des autres. Mais, suivant l'expression de Blun-
tschli, et ainsi que nous l'avons déjà remarqué, c'est
l'image de la solidarité des États (1). Le corps diplo-
matique a le droit de formuler des sentiments et des
principes communs ; ses déclarations ont une auto-
rité internationale qui commande le respect. C'est
ainsi qu'il a suffi quelquefois des représentations du
corps diplomatique, pour faire cesser, particulièrementdans des États faibles, des abus qui constituaient une
violation du droit international. Il est intervenu à plu-sieurs reprises, par exemple en Turquie, en faveurdes populations chrétiennes ; il est intervenu dans les
Principautés-Unies, en 1867, contre les persécutionsorganisées contre les isiaëlites. Le corps diplomati-que étranger enfermé dans Paris, pendant la guerrede 1870-1871, demanda au gouvernement allemand
d'expédier une fois par semaine des courriers, maissa demande fut rejetée pour des motifs militaires. M.de Bismark ne consentit qu'à la transmission des let-
(1) Bluntschli, ouvrage et édition cités, n° 182, p. 137.
LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 203
tres ouvertes. Le corps diplomatique étranger déclaranon acceptable ce mode de procéder (1).
C'est particulièrement dans les circonstances de cé-
rémonie, et dans les cas où il y a des démarches decourtoisie à faire, par exemple pour complimenter lechef de l'État, ou des personnes de la famille du prince,que le corps diplomatique se produit comme individua-lité collective. Il est alors présidé, ou par le membrele plus âgé, ou par celui qui est accrédité depuis le
plus de temps, mais rien n'empêche de désigner uneautre personne faisant partie du corps. Dans les payscatholiques, il appartient généralement aux représen-tants du pape de présider le corps diplomatique (2).Par présider, il faut entendre le fait déporter la paroleau nom des autres, ou de réunir les autres.
Le Ministre des affaires étrangères.
A la tête du personnel diplomatique de son pays setrouve le ministre des affaires étrangères, ou relations
extérieures, agent immédiat du chef de l'État, chargéde ce qui concerne les affaires du dehors, et de les
centraliser près de lui
L'existence d'un ministère spécial se justifie d'elle-même. Du moment où toute agrégation politiqueaj'ant quelque consistance envoie des agents diploma-tiques à l'extérieur pour la représenter, ce qui donnelieu à des négociations multipliées, à des réceptions, àdes entrevues, à des conférences nombreuses et dé-
licates, on comprend que, pour être conduites avec la
sagacité et la dignité convenables, de telles opéra-tions exigent un agent spécial et supérieur, tel qu'unministre secrétaire d'État (3).
(1) Note du 6 octobre 1870.
(2) Il a été dit plus haut qu'en 1878, le corps diplomatiqueétranger, accrédité à Santiago et à Lima, a reconnu par cour-toisie, comme doyen, c'est-à-dire comme président, l'envoyéextraordinaire du Saint-Siège, délégué apostolique.
(3) Existait-il, au Bas-Empire, une institution de ce genre ? Dès
204 LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Attributions de ce ministre.
Dans tous les pays, les attributions du ministre des
affaires étrangères peuvent se rattacher aux différents
points suivants :
Former et entretenir de bonnes relations avec les
États étrangers ;Faire avec eux des traités et des conventions d'al-
liance et de commerce, les ratifier, les expédier ;
Veiller à la fidèle exécution de ces traités et con-
ventions ;
Envoyer près des Puissances étrangères des minis-
tres publics, des consuls et autres agents ; leur dé-
livrer leurs commissions, provisions et brevets;
Rédiger les instructions dont ils seront porteurs, ou
qui leur seront transmises ;Notifier aux gouvernements étrangers la mission, le
rappel ou la récréance de ces agents ;Recevoir et présenter au chef de l'Etat les envoyés
des gouvernements étrangers;'Faire maintenir leurs privilèges, tant qu'ils sont sur
le territoire du pays où ils sont accrédités ;Veiller à la conservation des traités et documents
diplomatiques de tout genre :
Protéger au dehors les intérêts moraux et matériels
du pays, etspécialement ses intérêts commerciaux ;
Protéger les nationaux à l'étranger ;Veiller à ce que leur état civil soit régulièrement
constaté ;
le premier siècle de l'ère chrétienne, on trouve un secrétaire d'em-pereur qui cumule avec d'autres titres celui de préposé au servicedes députations, hn TSVnpsuêeiùv. Ces mots semblent indiquer unministère des affaires étrangères ; mais il n'en est rien, au moinspour cette époque. Les ambassades auxquelles le nouveau fonc-tionnaire est chargé de répondre ne sont plus, sauf de raresexceptions, ce qu'elles étaient autrefois, la délégation d'autantde nations indépendantes, discutant librement avec Rome surleurs intérêts où sur leur dignité. Études historiques sur lestraités publics chez les Grecs et chez les Romains, par E. Egger,1866, p. 190, 191.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ETRANGERES 205
Recevoir, transmettre et faire suivre les réclama-
tions des nationaux contre les sujets et les États
étrangers ; etc, etc.
« C'est au chef du ministère des relations exté-
rieures, dit le baron Ch. de Martens, qu'il appartientd'entrer en conférence avec les ministres publics des
Puissances étrangères, d'écouter leurs réclamations
et leurs propositions, d'y répondre au nom de l'État
ou du souverain, de discuter les intérêts réciproques,enfin d'entamer avec eux et de conduire à bonne fin
les négociations proprement dites. C'est lui aussi quiest chargé de rédiger ou de faire rédiger les actes pu-blics émanés du souverain et publiés en son nom, re-
latifs aux affaires politiques, tels que les traités de
paix, d'alliance, de commerce, etc. ; les conventions
pour régler les limites et démarcations de frontières ;les déclarations de guerre ou de tout autre mesure-
hostile que le souverain se croit en droit de prendre à
l'égard d'une autre Puissance ; les réponses aux
pièces officielles étrangères, etc.... C'est à ce ministre
qu'échoit la tâche d'entamer et de diriger les négocia-tions relatives aux mariages des princes et princessesde la famille régnante ; à notifier aux cours étrangèresles naissances et les décès des membres de cette fa-
mille, lorsque le souverain n'en fait point l'objet d'une
lettre autographe. Il règle également, ou veille à ce
que soit observé, tout ce qui a rapport au cérémonial
diplomatique, tant envers les agents politiques envoyésen pays étrangers, qu'envers ceux qui sont accrédités
auprès de son souverain » (1).
Organisation de l'administration centrale
des affaires étrangères.
L'administration centrale des affaires étrangères com-
prend ordinairement, outre le cabinet du ministre, un
secrétariat général, une direction politique, une direc-
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1851, t. Ier, p. 34 et suiv.
206 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
tion du commerce et des consulats, une direction de
comptabilité et de chancellerie, etc.
Le chef du cabinet du ministre.
Les fonctions de chef du cabinet du ministre sont
naturellement remplies par une personne qui jouit de
toute sa confiance ; aussi l'emploi de chef du cabinet
n'est-il en général pas soumis aux règles ordinaires
d'admission dans l'administration. Le ministre peutchoisir son chef du cabinet, soit dans le corps diploma-
tique national, soit dans l'administration centrale, soit
même en dehors des agents du ministère.
Les attributions principales du chef du cabinet sont
ordinairement: la réception et l'ouverture des dépê-
ches, la correspondance particulière, les demandes
d'audiences, les affaires que le ministre se réserve, les
études propres à faciliter le travail du ministre, la con-
servation et la traduction du chiffre. Il peut arriver -en
effet que le gouvernement ait à transmettre à ses
agents du service extérieur, ou que ceux-ci aient à
adresser au gouvernement, des informations confiden-
tielles qui doivent être mises à l'abri de toute indis-
crétion. On emploie, dans ce cas, une correspondance
chiffrée, et c'est la clef du chiffre qui est confiée au
chef du cabinet.
Le secrétaire général.
Le secrétaire général est habituellement chargé dedistribuer et de surveiller le travail des différents bu-reaux du ministère. Les chefs de services lui remet-
tent, sauf les cas d'urgence, toutes les affaires traitéesdans leurs bureaux respectifs. Il les soumet au minis-tre avec ses observations, s'il y a lieu. Il signe pourle ministre, quand celui-ci est absent ou empêché, lesactes de la correspondance journalière. Il certifie les
pièces pour copie conforme. Le ministre est autorisé àlui déléguer toute autre attribution. Toutes propositions
LE MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES 207
concernant les créations ou suppressions d'emplois,nominations, avancements et démissions, toutes les
dispositions, en un mot, relatives au personnel de l'ad-ministration centrale, sont ordinairement, soumises auministre par le secrétaire général, les chefs de servi-ces entendus.
Le secrétaire général peut être aussi chargé de ré-viser le travail de tous les employés du département,ministériel : ce qui a l'avantage d'assurer l'unité etl'harmonie à la marche de l'administration. Cette har-
monie, cette unité sont, indispensables. Bien que les
espèces différentes d'affaires diplomatiques désignéessous le nom d'affaires politiques et d'affaires commer-ciales s'appliquent à des faits d'ordres distincts, lesintérêts auxquels elles se rapportent tendent sanscesse à se confondre. Il existe, en réalité, bien peude questions diplomatiques absolument simples et netouchant qu'au domaine politique ou au domaine com-mercial ; la plupart d'entre elles affectent, les deuxintérêts à la fois. D'où la nécessité de coordonner lesintérêts qui s'enchevêtrent ou qui se combattent, deleur assurer une marche régulière, de veiller à ce
que les uns n'empiètent pas sur les autres.
En général, toutes les lettres adressées au ministresont ouvertes par ce fonctionnaire, ou par son secré-
taire particulier qui les place sous ses yeux. Le minis-
tre, après en avoir pris connaissance, les renvoie au
secrétaire général, qui les examine à son tour etles transmet au chef de bureau d'enregistrementet d'expédition. Cet employé indique en peu de li-
gnes l'objet de la lettre sur un registre spécial, indi-
cateur général d'entrées, et les distribue ensuite,suivant leur objet, aux divers chefs de services qui,après les avoir fait analyser dans un registre indica-
teur particulier de la direction, les remettent aux
chefs de bureaux et commis-rédacteurs, en donnantà ceux-ci les instructions nécessaires pour la suite
que les affaires comportent. Ce n'est qu'après des ré-
visions successives par les chefs de services respec-
208 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ETRANGERES
tifs et par le secrétaire général, que les minutes
(c'est-à-dire les actes originaux écrits en petits carac-
tères, et destinés à rester dans les archives) sont sou-
mises à l'approbation du ministre. Lorsqu'elles sont
approuvées par ce dernier, elles sont envoyées au bu-
reau de la copie. Ce sont les chefs de services qui se
chargent ordinairement de traiter eux-mêmes les af-
faires les plus difficiles et les plus importantes.Il est bien entendu que cet aperçu n'est donné que
comme modèle de ce qui se fait ou peut se faire dans
les pays où les services centraux de l'administration
des affaires étrangères sont bien organisés.Au cabinet du ministre et au secrétariat appartien-
nent, en France, l'ouverture des dépêches, la corres-
pondance personnelle du ministre, lés audiences, les
travaux réservés, la presse, le chiffre, le départ et l'ar-
rivée de la correspondance et des courriers, les tra-
ductions et la correspondance télégraphique, la gardedu matériel et le contrôle du service intérieur du mi-
nistère.
La direction des affaires politiques.
La direction des affaires politiques, dans les ministèresdes affaires étrangères, s'occupe de la rédaction et dela révision du travail politique ; des Instructions et dela correspondance diplomatiques; des négociations,traités, conventions, déclarations et actes politiquesde toute nature, autres que ceux qui concernent lecommerce ; de l'exécution et de l'interprétation destraités et conventions, et des travaux politiques qui ysont relatifs; des limites; des relations postales ; de larépression des offenses commises envers les chefsde gouvernements étrangers; des questions politi-ques concernant les passeports et les nationaux ré-sidant à l'étranger; du personnel diplomatique; des
pleins pouvoirs et des ratifications ; des lettres de noti-fication, de créance, de rappel et de récréance ; ducérémonial ; des audiences diplomatiques ; des privilè-
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 209
ges diplomatiques, etc. Mais il y a des pays où plu-sieurs de ces services rentrent dans les attributions
d'autres bureaux; en France aujourd'hui, par exemple.La direction des affaires politiques au ministère des
affaires étrangères de France, s'occupe, d'après l'or-
ganisation actuelle, de diriger les travaux politiques.Elle avait, dans ses attributions la présidence du comité
des services extérieurs ; elle a conservé les allocations
et secours ayant un caractère politique. A la sous-di-
rection du Nord appartiennent la correspondance et les
travaux politiques concernant l'Allemagne, l'Autriche-
Hongrie, la Belgique, le Danemark, la Grande-Bre-
tagne et les possessions anglaises, dans les différentes
parties du monde, les Pays-Bas et les colonies néer-
landaises, la Russie, la Suède et la Norwège, la Suisse
et l'Amérique du nord. La sous-direction du Midi s'oc-
cupe de la correspondance et des travaux politiquesconcernant l'Espagne, l'Italie, le Saint-Siège, le Portu-
gal, les possessions espagnoles et portugaises, la
Grèce, le Monténégro, la Roumanie, la Serbie, la Tur-
quie, la Tunisie, le Maroc et les autres États d'Afrique,la Perse, l'Indo-Chine, la Chine, le Japon, le centre
Amérique et l'Amérique du sud.
Le bureau du protocole.
Plusieurs services compris dans la nomenclature
précédente se trouvent souvent réunis dans un bureau
particulier, ordinairement appelé bureau du protocole,et qui s'occupe spécialement de l'expédition des traités
et conventions ; des pleins pouvoirs ; des commissions,
provisions et exequatur ; des ratifications, lettres de
notification, de créance, de rappel, de récréance; du
cérémonial ; des privilèges, immunités et franchises di-
plomatiques; des audiences diplomatiques, etc.
Dans certains pays, comme en France par exemple,le bureau du protocole est placé avec le bureau du dé-
part et de l'arrivée des correspondances, dans le res-
sort du cabinet du ministre, ou du secrétariat, car dans
14
210 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
toutes les organisations le cabinet et le secrétariat ne
sont pas toujours deux choses distinctes.
Le service du protocole, au ministère des affaires
étrangères de France, s'occupe du cérémonial ; des
questions d'étiquette et de préséance ; du protocole du
Président de la République et du ministre des affaires
étrangères ; de la réception des ambassadeurs et des
membres du corps diplomatique étranger ; des audien-
ces diplomatiques ; des présentations d'étrangers ; de
la correspondance relative aux privilèges, immunitéset franchises diplomatiques n'ayant pas un caractère
contentieux ; des propositions et nominations d'étran-
gers dans l'ordre de la Légion d'honneur ; de l'envoi
des décorations étrangères et des demandes d'autori-
sations pour accepter et porter ces décorations ; de la
préparation et de l'expédition des lettres de créance,des lettres de rappel et de récréance ; de l'expéditiondes traités, conventions, déclarations et arrangements;de l'expédition des pleins-pouvoirs, commissions et
provisions ; de l'admission des consuls étrangers en
France et dans les colonies.
Le bureau du contentieux.
Sous le titre de bureau ou de sous-direction du con-
tentieux, il y a aussi quelquefois, dans les ministères
des affaires étrangères bien organisés, un service spé-cial destiné à traiter et examiner les questions de droit
public international, et particulièrement de droit mari-
time ; les affaires contentieuses qui doivent être appré-ciées d'après les dispositions des actes diplomatiques,et celles qui résultent des réclamations des nationauxcontre les gouvernements étrangers, ainsi que les ré-
clamations d'étrangers contre le gouvernement du
pays ; les traités de postes et d'extradition et les effets
qui en dépendent, etc.La direction du contentieux politique et commercial
du ministère des affaires étrangères, en France, com-prend une sous-direction du contentieux de droit pu-
LE MINISTERE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 211
blic international, et une sous-direction du contentieux
de droit privé. La sous-direction du contentieux de
droit public international a dans ses attributions les
questions de droit publie international en matière po-
litique, financière, commerciale et maritime; les affaires
contentieuses qui, à ce titre, doivent être appréciées
d'après les dispositions des actes diplomatiques, etcelles qui résultent des réclamations d'étrangerscontre le gouvernement français, et des français, soit
contre les gouvernements étrangers, soit contre le dé-
partement des affaires étrangères ; les actes et déci-
sions qui sont l'objet d'un recours devant la juridictionadministrative ou devant les tribunaux ordinaires; les
privilèges et immunités diplomatiques et consulaires
ayant un caractère, contentieux ; les traités d'extradi-
tion et les questions qui s'y rattachent ; les rapatrie-ments d'aliénés et d'indigents donnant lieu à des diffi-
cultés contentieuses ; les prises maritimes, la piraterie,la traite et les affaires qui en dépendent ; les questionsde nationalité soulevées par l'application de la loi mili-
taire aux Français résidant à l'étranger ; les actes in-
ternationaux relatifs aux secours à apporter aux mili-
taires blessés sur les champs de bataille, à la neutra-
lisation des hôpitaux et ambulances militaires ; la cor-
respondance et l'envoi des documents relatifs aux
étrangers expulsés de France et aux Français recher-
chés à l'étranger ; les rapports avec le comité de lé-
gislation étrangère au ministère de la justice. A la
sous-direction du contentieux de droit privé corres-
pondent l'état civil des Français à l'étranger et des
étrangers en France; le contrôle des registres de
l'état civil tenu par des agents français ; la correspon-dance relative à l'état civil ; la délivrance ou le visa
des actes dé l'état civil ; les actes judiciaires françaiset étrangers ; le recouvrement des successions fran-
çaises et des. créances contre particuliers à l'étran-
ger ; les renseignements ; les questions de droit in-
ternational privé; les commissions rogatoires.
212 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
La direction du commerce et des consulats.
Comme son nom l'indique, la direction du commerce
et des consulats s'occupe des affaires commerciales;des traités de commerce et de navigation ;-de la protec-tion du commerce national dans les pays étrangers; des
réclamations du commerce étranger contre le gouver-nement du pays ; du règlement de la comptabilité des
chancelleries consulaires ; du personnel des agentsconsulaires et des interprètes des consulats ; etc.
C'est en effet sous la direction immédiate du mi-
nistre des affaires étrangères que sont placés les con-
suls, dans la plupart des États, et c'est ce ministre qui dé-
livre l'exequatur aux agents commerciaux étrangers...Dans les pays où les consuls sont particulièrementsubordonnés au ministère de la marine, ils n'en reçoi-vent pas moins des instructions spéciales du ministre
des affaires étrangères.La direction des affaires commerciales du ministère
des affaires étrangères de France a, dans ses attribu-
tions, la négociation: des traités de commerce et de na-
vigation ; des conventions consulaires ; des arrange-ments internationaux relatifs aux chemins de fer, auxcommunications postales et télégraphiques, aux mon-naies ; des conventions pour la garantie de la pro-priété des oeuvres de l'esprit et de l'art, des dessins et
marques de fabriques ; la correspondance avec les
agents diplomatiques et consulaires et avec les divers
départements ministériels, sur les questions relatives à
l'application de ces traités et conventions, et, en géné-ral, sur les matières intéressant le commerce françaisen pays étranger, sur les affaires administratives
n'ayant pas un caractère politique ou contentieux, etsur toutes les questions se rattachant à l'exercice desfonctions consulaires. La sous-direction des chancel-leries diplomatiques et consulaires a la préparation dutarif des chancelleries et le contrôle relatif à son ap-plication ; les passeports, légalisations et visas ; le dé-
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 213
pôt à l'étranger des marques de fabrique françaises ;les rapatriements ; l'application de la loi militaire à
l'étranger; la conservation et la délivrance des actes
dressés dans les chancelleries diplomatiques et consu-
laires.
Les directions de comptabilité et de chancellerie.
La comptabilité et la chancellerie sont souvent
réunies dans un même service, et souvent divisées.
Dans les services de comptabilité, on s'occupe des
travaux généraux et particuliers relatifs aux dépen-ses du ministère ; de la correspondance avec les agents
politiques et commerciaux, sur toutes les matières de
comptabilité et sur tout ce qui s'y rapporte; de la liqui-dation des frais de service de tous les agents, de celle
des hidemnités de voyage et des frais de courriers ;des présents diplomatiques ; de la préparation du bud-
get du ministère, etc.
Le service de chancellerie a ordinairement dans ses
attributions les passeports autres queles passeports de
cabinet; les légalisations, les visas et la perception des
droits qui en résultent; la transmission des actes judi-ciaires et des commissions rogatoires, la discussion des
questions touchant à l'état civil et l'instruction des ré-
clamations relatives à des matières d'intérêt privé, tel-
les queles successions ouvertes en pays étrangers, les
recouvrements sur particuliers, etc.
La sous-direction de la comptabilité, qui est une des
subdivisions de la direction des archives et de la
comptabilité du ministère des affaires étrangères de
France, a, dans ses attributions, les relations avec les
différents services pour la préparation, chacun en ce
qui le concerne, du budget et des projets de loi portantouverture de crédits supplémentaires et extraordinai-
res; la rédaction du budget, des exposés de motifs
pour l'ouverture de crédits supplémentaires et extra-
ordinaires, et du compte définitif des dépenses du mi-
nistère ;la liquidation; l'ordonnancement ; l'émission des
214 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
mandats sur le trésor ; l'exécution, au point de vue fi-
nancier, de toutes les décisions relatives au personnel;
le payement des dépenses du personnel de l'adminis-
tration centrale; la tenue des écritures en partie dou-
ble et des livres et registres prescrits par les ordon-
nances et règlements spéciaux; la comptabilité des
exercices clos et périmés; le service de l'agent comp-table des chancelleries diplomatiques et consulaires ;les bâtiments appartenant à la France en pays étran-
gers ; les relations avec la Cour des comptes, le minis-
tère des finances et les départements ministériels pour
lesquels les agents font des avances à l'étranger ; la
correspondance relative à ces divers services.
La direction du personnel.
C'est à la direction du personnel que se traitent, en
France, les questions relatives aux nominations, muta-
tions, promotions, admissions à la retraite et mises ennon-activité du personnel, tant intérieur qu'extérieur ;tout, ce qui concerne les conseils, comités et commis-
sions permanentes; les congés et la désignation des
intérimaires ; la fixation des traitements, les alloca-
tions extraordinaires, les gratifications, les pensions etsecours aux anciens agents ou à leurs familles ; la pré-
paration, de concert avec le service de la comptabi-lité, du budget relatif au personnel, ainsi que des cré-
dits à ouvrir annuellement aux postes diplomatiques et
consulaires pour frais de service ; les nominations et
promotions dans la Légion d'honneur des agents de la
carrière intérieure et extérieure, ainsi que des Fran-
çais pour services rendus à l'étranger ; les décorations
étrangères conférées à des agents français ; la rédac-tion et la publication de l'annuaire ; les mesures géné-les et l'examen de toutes les questions qui se ratta-chent au personnel ; la tenue des registres et la con-servation des dossiers du personnel ainsi que desdécrets et arrêtés relatifs à son organisation.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 215
La direction des archives.
Il y a dans plusieurs pays une direction bien inté-
ressante, au point de vue des études historiques : c'estcelle des archives particulières (1) du département desaffaires étrangères. On y trouve le dépôt des corres-
pondances et documents diplomatiques, des traités et
conventions, de toutes les notes, de tous les offices di-
plomatiques relatifs aux négociations, des décrets et
arrêtés concernant l'organisation et le personnel du
ministère ; le classement de la correspondance du mi-
nistre avec ses agents au dehors et avec les ministres
publics accrédités auprès de son gouvernement; la
collection des mémoires, des tables analytiques pour le
service du département ministériel ; le dépôt des planset documents relatifs aux limites du pays ; la collectiondes cartes géographiques pour l'usage du ministre ;etc.
Chaque cour en particulier observant un cérémo-
nial déterminé, dans ses rapports avec les autres
cours, c'est encore aux archives du département des
affaires étrangères que se trouvent réunis les formu-
laires pour tout ce qui regarde les titres, les expres-sions de courtoisie, la forme et les usages à observer
dans les divers offices diplomatiques.Au ministère des affaires étrangères de France, les
archives et la comptabilité forment deux sous-direc-
tions. A la sous-direction des archives appartiennentle dépôt des correspondances et documents diploma-
tiques, des traités et conventions ; le classement des
correspondances ; la rédaction des notes et mémoires
ainsi que des tables analytiques pour le service du dé-
partement ; la recherche des renseignements pourtout autre service public et privé ; le dépôt des plans et
documents relatifs aux limites du territoire ; la collec-
(1) Les archives générales de l'État sont, le plus ordinaire-
ment, placées sous la surveillance du ministre de la justice oudu ministre de l'intérieur,
216 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ETRANGERES
tion des cartes géographiques pour l'usage du minis-
tère. Les personnes qui désirent être admises à con-
sulter les correspondances ou documents conservés
dans les archives des affaires étrangères, doivent, aux
termes d'un règlement général du 6 avril 1880, adres-
ser leur demande au ministre, en indiquant aussi
exactement que possible l'objet de leurs recherches.
Les communications sont faites sans déplacement des
documents; elles, ont lieu dans un bureau spécial af-
fecté à cet usage, situé en dehors des galeries, mais
dépendant des archives. Les autorisations sont stricte-
ment personnelles. Les archives des affaires étran-
gères sont ouvertes aux recherches pour les deux pé-riodes suivantes: la première, comprise entre la datedes plus anciens documents conservés dans le dépôt,
jusqu'au 14 septembre 1791; la seconde, allant de cettedernière date à celle du 30 mai 1814. Toute autorisa-tion se référant à des documents appartenant à la pre-mière époque, implique la faculté de prendre des ex-traits ou des copies, et d'en faire usage sans avoir àles soumettre au contrôle de la direction des archives.Les extraits ou copies de documents appartenant à laseconde époque, sont remis, à la fin de chaque séance,à l'employé du dépôt chargé de cette partie du service,pour être communiqués au directeur, à l'examen du-
quel ils doivent être soumis. Les documents se réfé-rant aux époques postérieures ne peuvent être Commu-
niqués qu'à titre exceptionnel, après examen spécialdes demandes par la commission des archives, etsous lés conditions déterminées par le ministre, pourchaque cas, suivant la nature des documents.
Le département des affaires étrangères contribue àla collection des Documents inédits sur l'histoire de
France, en satisfaisant aux demandes du ministère del'instruction publique, ou en lui proposant la publicationde documents propres à éclairer certaines phases destransactions diplomatiques ou de l'histoire nationale dela France.
Conformément aux principes consacrés par les dis-
LE MINISTERE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 217
positions édictées à diverses époques, notamment
l'arrêt rendu en Conseil d'État le 23 septembre 1628,l'ordre royal du 12 mars 1740, le décret du 20 février
1809, et l'ordonnance du 18 août 1833, tout ambassa-
deur ou tout autre agent diplomatique ou consulaireest tenu, à l'expiration de ses fonctions, de laisser
dans les archives de l'ambassade, de la légation ou du
consulat, et de remettre à son successeur, les corres-
pondances et autres documents concernant les négo-ciations ou affaires quelconques qu'il aura eu à traiter
pendant la durée de sa mission. Les ministres secré-
taires d'État au département des affaires étrangèressont tenus à la même obligation en ce qui les concerne.
Les agents chargés d'une mission spéciale et tempo-raire remettent les correspondances ou autres docu-
ments relatifs à leur mission au dépôt des archives des
affaires étrangères.
Quelques exemples d'organisation de l'administration
centrale des affaires étrangères.— France.
Sans entreprendre une étude d'organisation admi-
nistrative comparée, il n'est pas inutile d'exposer,d'une manière sommaire, comment le ministère des
affaires étrangères est organisé dans quelques pays,
par exemple en France, en Angleterre, en Belgique.Aux termes d'un décret du 23 janvier 1880, l'admi-
nistration centrale du ministère des affaires étrangè-res en France (1) comprend, ainsi que nous venons de le
(1) On fait remonter l'histoire du ministère des affaires étran-
gères de France au 1er janvier 1589, époque de la création, parle roi Henri III, des quatre charges de secrétaires d'État à dépar-tement. Le premier ministre cité est Louis de Révol, intendantde l'armée de Provence. Nommé le 1erjanvier 1389, il cessa sesfonctions le 17 septembre 1594, et eut pour successeur Nicolasde Neufville de Villeroi, ambassadeur, grand trésorier de l'ordredu Saint-Esprit. Du 1er janvier 1389 au 11 août 1792, c'est-à-direde Révol à Lebrun, on relève trente-deux ministres des affaires
étrangères, parmi lesquels nous citerons : Auguste de Loménie-
Brienne, le marquis Hugues de Lionne, le marquis de Pom-
218 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
voir, indépendamment du cabinet et du secrétariat du
ministre et du service du protocole.: la direction du
personnel, la direction des affaires politiques, la direc-
tion des affaires commerciales, la direction du conten-
ponne, le marquis de Croissy, le marquis de Torcy, le cardinal
Dubois, M. de Chauvelin, le marquis d'Argenson, le cardinal
comte de Bernis, le duc de Choiseul-Stainville, le duc dePraslin,le due d'Aiguillon, le comte de Vergennes, le comte de Montmo-
rin-Saint-Herem, Dumouriez, le marquis de Chambonas, Bigotde Sainte-Croix. La Convention nationale, par divers décrets,établit vingt-quatre comités dont les membres, pris dans son
sein, étaient chargés de la direction des affaires ressortissant àchacun des anciens ministères supprimés par ces mêmes décrets.Par suite de cette organisation, les relations extérieures furent
successivement confiées à cinq commissaires (de Forgues, Her-
mann, Buchot, Miot et Colchen), du 21 juin 1793 au 6 novembre
1795, époque à laquelle le Directoire, succédant à la Convention,supprima les vingt-quatre comités, rétablit les ministères, etconfia celui des relations extérieures au ministre plénipoten-tiaire Charles de Lacroix, qui recommença la série des minis-tres. Du 6 novembre 1795 au 2 avril 1814, les ministres desaffaires, étrangères, en Fiance, s'appelèrent de Talleyrand-Périgord, Reinhard, comte de Champagny, Maret duc de Bas-sano, Caulaincourt duc de Vicence. Le 3 avril 1814, le Gou-vernement provisoire nomma commissaire aux affaires étran-
gères le comte de La Forest; le 13 mai suivant, une ordon-nance royale confia le ministère des affaires étrangères au
prince de Talleyrand-Périgord. Le marquis de Jaucourt, le ducde Vicence, le baron Bignon, le duc de Richelieu, le marquisDessolles, le baron Pasquier, le vicomte de Montmorency, levicomte de Chateaubriand, le baron de Damas, le comte deLaferronnays, le comte Portalis, le prince de Polignac ont été lesministres des affaires étrangères de la Restauration. Sous lamonarchie de juillet nous remarquons le comte Mole, le maré-chal Maison, le comte Sébastiani, le duc de Broglie, le comtede Rigny, M. Thiers, le duc de Montebello, le maréchal Soult, M.Guizot. La République de 1848 nous donne M. de Lamartine, M.Jules Bastide, M.Drouyn de Lhuys, M.de Tocqueville. La présidenceissue du coup d'État de 1831, et le second empire, ont pour mi-nistres des affaires étrangères le marquis Turgot, M. Drouyn deLhuys, le comte Colonna Walewski, M. Thouvenel, M. Baroche,le marquis de Moustier, le marquis de La Valette, le prince deLa Tour d'Auvergne-Lauraguais, le comte Daru, le duc de Gra-mont. Après la chute du second empire, les ministres desaffaires étrangères sont M. Jules Favre, le comte de Rémusat, leduc de Brogbe, le duc Decazes, le marquis de Banneville, M.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 219
tieux politique et commercial, la direction des archiveset de la comptabilité.
La direction des affaires politiques se compose dedeux sous-directions, déterminées par les divisions
géographiques, sous la dénomination de sous-directiondu nord et de sous-direction du midi. La directiondes affaires commerciales forme deux sous-directions
du nord et du midi, ayant les mêmes délimitations
géographiques que les précédentes ; elle comprend, en
outre, une troisième sous-direction dite « des chan-
celleries diplomatiques et consulaires ». La direction
du contentieux politique et commercial se composede deux sous-directions dites « du contentieux de droit
public» et « du contentieux de droit privé ». La direc-
tion des archives et de la comptabilité est divisée en
deux sous-directions dictinctes, chacun des deux sous-
directeurs ayant la responsabilité immédiate du ser-
vice qui lui est confié, sous le contrôle du directeur.
Le directeur des affaires politiques reçoit chaque jourle résumé analytique des correspondances commer-
ciales et contentieuses.
L'objet de ce décret, qui a réformé l'organisation an-
térieure basée sur deux décrets des 26 décembre 1869
et 1er février 1877, a été 1° de centraliser, le personneltant intérieur qu'extérieur, en le plaçant dans les attri-
butions .d'un chef unique, qui, n'ayant qu'un seul ob-
jet en vue, pourra plus aisément s'inspirer de la penséedu ministre, et, sans affaiblir l'action des directeurs
spéciaux, faire pénétrer, aux divers degrés de la hié-
rarchie, l'esprit d'unité et de solidarité qui doit animer
tous les collaborateurs d'une oeuvre commune.
2° De donner une indépendance plus complète et
une force suffisante au service du contentieux, en
l'érigeant en une direction séparée. L'auteur du décret
a pensé que le service du contentieux est un service
Waddington, M. de Saulces de Freycinet, M. Barthélemy-Saint-Hilaire. Le prince de Talleyrand-Périgord et M. Drouyn de
Lhuys ont été l'un et l'autre quatre fois ministres des affaires
étrangères.
220 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ETRANGERES
sui generis, qui doit fonctionner à part, et qui, tout en
faisant un échange perpétuel d'informations « et de
lumières » avec les administrations qui l'environnent,
doit fournir ses consultations avec une entière indé-
pendance, sans recevoir les instructions exclusives
d'un service déterminé. Il formait auparavant une an-
nexe de la direction des affaires politiques. _3° De grouper les services de la comptabilité et des
archives sous la main du même directeur, après avoir
transporté au service du contentieux la plus grande
partie des attributions du bureau de la chancellerie,
jusqu'alors englobé dans la direction des archives, etau service du personnel une partie des attributions ac-
tuelles de la comptabilité (1).L'article 3 du décret du 1er février 1877, avait créé
au département des affaires étrangères un comité des
services extérieurs, ayant pour mission de relier plusétroitement ensemble le service diplomatique et leservice consulaire, et d'assurer un complet accord devues et d'action entre toutes les directions ; un autredécret du 23 janvier 1880, avait provisoirement modifiéla composition de ce comité; un troisième décret, du 20avril de la même année, l'a reconstitué de manière à lemettre en harmonie avec la nouvelle organisation del'administration centrale. Ses attributions n'ont plus étélimitées à l'examen des questions intéressant les ser-vices extérieurs, mais sa compétence a été étendue àtoutes" les affaires administratives qui lui seront dé-férées par le ministre, et à celles dont il sera saisi parles directeurs eux-mêmes, afin d'assurer un completaccord entre tous les services du département. Ce
(1) Voir un rapport au ministre des affaires étrangères, sur lesattributions des divers services et la constitution des cadres del'administration centrale, en date du 31 janvier 1880; un arrêtédu ler février 1880, amendé selon les dispositions des arrêtés des31 mars et 18 avril de la même année. Un décret du 9 octobre1880, vient de placer le service du personnel, la division de lacomptabUité, la direction des affaires commerciales et celle ducontentieux politique et commercial, sous l'autorité directe d'unsous-secrétaire d'Etat.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 221
comité des services extérieurs portera désormais,
jusqu'à ce qu'il soit encore soumis à un remaniement
nouveau, le nom de « comité des services extérieurs
et administratifs » ; il comprendra dans sa composi-tion tous les directeurs du département des affaires
étrangères. Le président du comité est désigné cha-
que année par le ministre, porte l'article 2 du décret
du 20 avril 1880, et cependant l'arrêté du 1er février
de là même année plaçait la présidence du comité des
services extérieurs dans les attributions de la directiondes affaires politiques : c'est une modification qui ne
s'est pas fait attendre.
Citons aussi le comité consultatif du contentieux,
près le département des affaires étrangères, réorga-nisé par un décret du 1er février 1877, reconstitué parle décretdu 26 avrill 880, composé de douze membres,et chargé de donner son avis sur les affaires conten-
tieuses et les questions de jurisprudence qui lui sont
déférées par le ministre des affaires étrangères, ou parle directeur du contentieux politique et commercial. Il
est fait une part égale, dans la composition de ce co-
mité, tant aux représentants du Parlement, du Conseild'État et de la Cour de cassation, qu'à ceux du minis-
tère des affaires étrangères (1).
(1) En France, suivant un arrêté du 27 février 1880, toutedemande d'emploi dans l'administration centrale, ou dans lesservices extérieurs du. ministère des affaires étrangères, doit êtreformulée par écrit, et être accompagnée des documents et ren-
seignements dont rémunération suit :1° Documents:
Acte de naissance du candidat ;Certificat de sa situation au point de vue du service militaire ;Pièce indiquant- dans quel lycée, collège ou autre établisse-
ment secondaire il a fait ses études ;Ses diplômes ou brevets d'écoles spéciales.
2° Renseignements :
Langues étrangères que parle le postulant ;Stage qu'il aurait fait dans une administration publique ou
privée, chez un officier ministériel ou dans le commerce ;Position de sa famille ;Références et recommandations.
222 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Angleterre.
L'organisation du Foreign-Office diffère peu de celle
du ministère des affaires étrangères de France. Cette
organisation date de 1782. La direction du service est
confiée à l'un des principaux secrétaires d'État de la
reine, assisté de deux sous-secrétaires d'État, d'un
sous-secrétaire d'État adjoint, d'un commis en chef
(chief clerk) et d'un certain nombre de commis (clerks).Ce département ministériel est chargé des relations
internationales, de la négociation des traités et de la
direction des personnels diplomatique et consulaire..
Il est d'usage, en Angleterre, d'imprimer au Foreign-
Office même les pièces et documents qui doivent être
reproduits en plusieurs exemplaires : on réduit ainsi
dans une notable proportion le travail matériel des
bureaux, et par suite le nombre des employés.
Belgique.
L'administration centrale du ministère des affaires
étrangères, en Belgique, comprend, outre le cabinet
du ministre, le secrétariat général, la direction poli-
tique, la direction du commerce et des consulats, la
direction de la comptabilité et de la chancellerie, une
direction de la marine. Chaque direction conserve
dans ses bureaux les ouvrages qui lui sont de l'utilité
la plus fréquente ; mais, indépendamment de ces
collections spéciales, il existe au ministère des affaires
étrangères une bibliothèque générale composée d'ou-
vrages et de recueils diplomatiques et politiques. A
l'expiration de chaque année, les dossiers relatifs aux
affaires terminées sont extraits des archives des direc-
tions, et rassemblés dans un local particulier. Cettemesure a pour but d'empêcher l'encombrement, en ne
Les conditions d'admission, d'après la note du 1er mars 1880,ont été indiquées plus haut, voir p. 28 et suiv.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 223
laissant dans les bureaux que les dossiers concernantles affaires en instance. Des tables tenues avec soinfacilitent les recherches dans ce dépôt.
Pérou.
Au Pérou, la loi du 17 novembre 1856 (1) place à latête de la liste des ministres, le ministre des relationsextérieures (art. 1). La même loi porte que le ministredes relations extérieures connaîtra de toutes lesaffaires comprises dans rémunération suivante : traités
internationaux, concordats, décrets conciliaires ; bulleset brefs apostoliques ; direction des relations diploma-tiques ; nomination et révocation des agents diploma-tiques et consulaires ; correspondance avec les gouver-nements étrangers et leurs agents publics ; instructionsaux agents diplomatiques et consulaires de la Répu-blique dans d'autres États ; admission des agents
diplomatiques et consulaires étrangers ; protection des
nationaux à l'étranger; légalisation des documents
pour l'extérieur et approbation des documents délivrés
en pays étranger (art. 8). La même disposition attribue
compétence au ministre du commerce en matière de
traités de commerce, mais seulement en ce qui con-
cerne l'instruction, c'est-à-dire les travaux prépara-toires pour la négociation de ces traités (Id.).
L'article 9 de la loi de 1856 reconnaît au président de
la République la faculté de détacher telles ou telles
affaires de tel ministère, pour les rattacher à un autre
département ministériel, lorsque le bien du service
l'exigera. En fait, les affaires relatives au culte ont
parfois dépendu du ministère des relations extérieures,
parfois d'un autre ministère. Elles faisaient encore par-
tie, en 1879, du ministère de la justice et de l'instruction
publique. Cette dernière circonstance n'enlevait rien
à la compétence du ministre des relations extérieures
à l'égard des concordats, car ce ministre s'en occupait
(1) Promulguée le 4 décembre 1859.
224 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ETRANGERES
au point de vue international; et quant aux décrets
conciliaires, aux bulles et aux brefs apostoliques, il
intervenait en cette matière comme agent de transmis-
sion au ministre du culte, à qui appartenait le droit de
donner les solutions correspondantes.La loi des 2-13 mai 1861 (1) maintient le ministre
des relations extérieures à la tête de l'énumération dès
cinq ministres (art. 16). Elle dispose que le présidentde la République consultera le conseil des ministres
pour la nomination des agents diplomatiques, pour ce
qui regarde les traités, pour les instructions et résolu-
tions à communiquer aux agents diplomatiques sur des
questions et affaires graves ; pour la décision des
questions intéressant la paix publique, ou desquellesil pourrait résulter un conflit international (art. 22).
D'après la loi des 30 janvier-16 février 1863, le prési-dent de la République entendra le vote consultatif du
conseil des ministres, pour nommer les ministres plé-
nipotentiaires, les envoyés extraordinaires ou les
ministres résidents (art. 4).Aux termes de l'article 50 de la loi des 2-13 mai
1861, chaque ministère doit avoir un règlement parti-culier approuvé par le président de la République, et
détaillant : les obligations des employés, l'ordre à
suivre dans l'expédition des affaires et les travaux des
bureaux, enfin les affaires appartenant à chaquebranche des services centraux. Cette prescription dulégislateur péruvien est restée pendant longtemps àl'état de lettre morte. Le règlement du 5 avril 1878 aréalisé en partie l'idée du législateur de 1881.
Avant ce règlement, le ministère des relations exté-rieures était divisé en deux sections : la section conti-nentale et la section d'outre-mer. C'est le décret du1er mars 1857 qui avait opéré cette division. Chacunede ces sections devait être servie par un chef et parun «Oficial» ; il devait y avoir aussi, conformément aumême décret, un « Oficial »-archiviste, un « Oficial de
(1) La seconde date est celle de la promulgation.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 225
partes » et un interprète ; plus, pour tout le ministère,un « Oficial mayor ». C'était, à peu près, en 1879, la
composition du ministère des relations extérieures.Le lundi avait été assigné au ministre des relations
extérieures pour son travail avec le président de la
République (despacho), par un avis du 6 avril 1857,confirmé par un autre avis de 1859 (1).
Le règlement péruvien du 5 avril 1878. — Les deux
sections du ministère des relations extérieures.
Voici l'analyse du règlement du 5 avril 1878, portantorganisation du ministère des relations extérieures.
Le travail intérieur de ce ministère est à la chargede l' «Oficial mayor », et se partage entre les deuxsections : la première appelée section diplomatique,et la seconde, section des consulats, de chancellerie
et de comptabilité ; dénominations qui ont été substi-
tuées à celles d'outre-mer et de continentale.
Il y aura, de plus, une « mesa de partes», et un bu-
reau d'archives (Art. 1er).
L'« Oficial mayor. »
L'« Oficial mayor» est le chef du service des bureaux;il en dirige les travaux. Il est chargé de l'ouverture
des communications, de leur distribution aux sections,de l'instruction des affaires ; il certifie les documents ;il peut se réserver la rédaction de toute communication
ou de tout document, quand il le juge convenable ; la
surveillance de la marche des travaux du ministère et
de la fidèle exécution des règlements lui appartientessentiellement (Art. 2).
L'« Oficial mayor » reste assimilé aux directeurs du
ministère de l'instruction publique, du culte, de la jus-tice et de la bienfaisance, pour les effets de l'article 4
(1) Ces lois, décrets et avis se trouvent dans le tome II de laCollection d'Oviédo.
15
226 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
de la loi du 30 janvier 1871, c'est-à-dire qu'il pourra
communiquer directement avec les fonctionnaires po-
litiques de la République, soit pour leur transmettre
les résolutions suprêmes, soit pour exiger d'eux dès
renseignements, des informations, ou leur demander
l'instruction d'affaires dans lesquelles ils pourrontdonner des éclaircissements utiles (1) ; mais, en aucun
cas, il ne pourra s'adresser directement et d'office auxchambres législatives, aux ministres d'Etat, au prési-dent et aux fiscaux de la Cour suprême, à l'archevêque,et aux évêques. Il pourra, de plus, par délégation duministre des relations étrangères, légaliser les docu-ments présentés au ministère (Art. 3).
L'« Oficial mayor » a le caractère de maître des céré-monies (Art. 4).
Les chefs de section. — Attributions qui leur sont
communes.
Les attributions communes aux chefs de section sontles suivantes : 1° enregistrer ou faire enregistrer immé-
diatement, dans l'indicateur d'entrée, les communica-
tions qui leur sont passées à cet effet par l'« Oficial
mayor », et accomplir ce qui est ordonné dans ces com-
munications ; 2° veiller à ce que, sans perte de temps,l'« Oficial de partes », ou l'« Oficial» archiviste, suivantle cas, ajoutent au dossier de toute question les précé-dents nécessaires, et expédient les rapports demandés
par l'« Oficial mayor»; 3° rédiger toutes les communi-cations qui doivent être adressées aux agents ou auxfonctionnaires respectifs ; 4° déterminer l'ordre dans
lequel doivent être tenus les livres de copies de corres-
pondance, et les employés qui doivent être chargés dece service; veiller constamment à ce que ces livres
(1) Les fonctionnaires politiques sont les préfets, les sous-pré-fets, les gouverneurs et les lieutenants de gouverneur. (Loi des5-17 janvier 18157.)Voir, dans la Revue de Droit International etde Législation comparée, l'étude de M. Pradier-Fodéré sur lesinstitutions administratives du Pérou, t. vin, p. 100.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 227
soient tenus à jour, et qu'il ne s'y trouve pas d'arriéré ;5° préparer les renseignements et matériaux nécessai-res pour le mémoire qui doit être présenté au Congrès(Art. 5).
Attributions du chef de la section diplomatique.
Les attributions du chef de la section diplomatiquesont de : 1° préparer tout ce qui est nécessaire pour la ré-
ception des agents diplomatiques étrangers, et rempla-cer, comme maître des cérémonies, l'« Oficial mayor »,en cas d'empêchement de ce dernier ; 2° faire imprimeret distribuer, tous les trois mois, une liste des agents
diplomatiques étrangers résidant à Lima, indiquant la
date de la présentation de leurs lettres de créance et
le personnel dont se compose chaque mission ; ajouterà cette liste une autre liste qui indique le personnel
diplomatique du Pérou, avec renonciation de la datede nomination des chefs de mission et de la présenta-tion de leurs lettres de créance ; 3° préparer les dé-
crets de nomination des employés diplomatiques du
Pérou, et rédiger les lettres de créance, les instruc-
tions et les pleins pouvoirs nécessaires ; 4° rédiger la
correspondance officielle du président de la Républi-
que avec les chefs d'États étrangers ; 5° formuler les
projets généraux des traités de paix, d'amitié, de com-
merce et de navigation, d'alliance, de limites des
conventions postales, d'extradition et toutes autres
conventions non expressément attribuées à la section
consulaire ; 6° étudier les projets de traités et conven-
tions des espèces qui viennent d'être mentionnées,
présentés par les gouvernements étrangers, et émettre
sur ces projets un avis motivé ; 7°préparer tous les
documents nécessaires pour la conclusion desdits
traités et conventions et pour leur exécution ; 8° se
charger des questions relatives aux intérêts privésdes agents diplomatiques, lorsque, par leur caractère
contentieux, elles n'appartiennent pas cependant au
pouvoir judiciaire, et des questions qui touchent aux
228 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
immunités et privilèges desdits agents ; 9° examiner
les questions intéressant les péruviens à l'étranger et
les étrangers au Pérou, introduites par voie diplomati-
que, et faire un rapport sur elles ; 10° se charger du
chiffre et de la, clef du chiffre du ministère (Art. 6).
Attributions du chef de la section des consulats,
de chancellerie et comptabilité.
Les attributions du chef de la section des consulats,de chancellerie et comptabilité sont de : 1° préparer
l'exequatur et les avis requis pour la reconnaissance
des consuls étrangers, conformément à la pratique
générale ou aux stipulations des traités ; 2° préparerles patentes expédiées en faveur des personnes nom-
mées comme consuls du Pérou, et les autres commu-
nications que ces nominations rendent nécessaires ;3° rédiger un rapport sur les pétitions ou proposi-tions faites pour l'établissement de consulats péru-
viens, ainsi que sur la convenance de maintenir ou de
supprimer les consulats déjà établis, suivant les ser-
vices effectifs qu'ils rendent ; 4° faire un relevé des
consuls étrangers résidant au Pérou et des consuls du
Pérou à l'étranger, avec indication de la date de leur
nomination, et de la date à laquelle les uns et les
autres ont reçu l'exequatur respectif; 5° formuler les
projets de traités spéciaux de commerce, les projetsde conventions consulaires et de tous accords pouvantavoir pour objet de fixer des points de droit interna-tional privé ; 6° étudier les projets de traités et de con-
ventions de la même espèce présentés par les gouver-nements étrangers, et émettre sur ces projets un avismotivé ; 7° préparer tous les documents nécessaires
pour la conclusion de ces traités et conventions, ainsi
que ceux exigés pour leur exécution ; 8° étudier les
questions se rapportant, aux intérêts commerciaux duPérou à l'extérieur, en général, ainsi que celles quisurgissent de l'application pratique des traités et con-ventions faits par la République ; 9° se charger de la
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 229
comptabilité générale du ministère, y compris tout ce'
qui est relatif aux dépenses du service extérieur ; 10°
tenir un livre spécial où sont inscrites les dépenses et
les recettes des chancelleries consulaires ; 11° étudier
les réclamations des péruviens à l'étranger et des
étrangers au Pérou, introduites par la voie consulaire,et donner un avis sur elles ; 12° se charger des ques-tions relatives aux privilèges consulaires, selon qu'ilssont reconnus par la pratique générale ou par les
traités de la République ; 13° donner suite aux commis-
sions rogatoires et autres actes judiciaires, dont l'exé-
cution est demandée par les autorités péruviennesou étrangères; 14° traiter les questions sur des ma-
tières qui, bien que d'intérêt privé, sont de la compé-tence du ministère, ainsi que celles qui se rapportentà l'état civil et aux successions des péruviens à l'é-
tranger ; 15° tenir un état indiquant la feuille de ser-vices des employés du ministère et de ses dépendan-ces ; 16° se charger de l'enregistrement de toute cor-
respondance qui n'émane pas du service extérieur,mais ne s'occuper de la réponse que dans les limites
des attributions spéciales de la section (Art. 7).
Attributions de l'« Oficial de partes ».
Les attributions de l'« Oficial de partes » consistent
à : 1° enregistrer toutes les communications qui entrent
au ministère et lui sont passées par les chefs de sec-
tion, en indiquant les suites qui leur ont été données, et
les conserver bien classées, jusqu'au moment de les
remettre aux archives ; 2° enregistrer les demandes
adressées au ministère, leur donner la direction quileur revient en vertu des décrets et règlements, les
classer, lorsque la solution a été donnée, et les disposer
pour les passer opportunément aux archives ; 3° Y
ajouter les précédents et antécédents demandés, lors-
qu'ils n'ont pas encore été déposés aux archives, et
qu'ils sont encore entre les mains de l' « Oficial de par-tes » ; 4° préparer le nécessaire pour les légalisations
230 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
qui doivent être faites dans le ministère ; 5° tenir un
livre de copie des décrets et résolutions suprêmes ; 6°
remettre à l'« Oficial » archiviste tous les papiers quiexistent dans la « mesa de partes », à l'époque et
dans la forme établies (Art. 8).
Attributions de l'« Oficial » archiviste.
L'« Oficial » archiviste a pour attributions : 1° d'expé-dier la correspondance qui sort du ministère, après l'a-
voir numérotée et enregistrée dans l'indicateur de sor-
tie ; 2° de classer et conserver tous les papiers qui lui
sont passés par l'« Oficial de partes », à l'époque et
dans la forme établies ; 3° de classer et conserver sé-
parément les traités, protocoles et autres actes inter-
nationaux; 4° de communiquer les antécédents qui sont
déposés aux archives ; 5° de conserver la bibliothèquedu ministère et d'en former le catalogue (art. 9).
Attributions des « Oficiales segundos » et des
commis.
Le service des « Oficiales segundos » et des commis
sera distribué selon les exigences du service, et selon
les dispositions que prendront à cet égard l'« Oficial
mayor » et les chefs de section (1).
Tenue intérieure du ministère des affaires
étrangères du Pérou.
Des règles relatives à la tenue intérieure duministère péruvien des affaires étrangères, ont été pu-bliées le 26 mars 1878.
On y trouve les dispositions suivantes :Toute communication entrant au ministère sera
(1) Ce règlement, du 5 avril 1878, se trouve au journal officielEl Peruano du 8 avril de la même année. Indépendammentdes employés qui y sont indiqués, il faut encore mentionner unservice d'interprètes.
LE MINISTERE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 231
ouverte par le ministre, par l'a Oficial mayor » ou parun des chefs de section autorisé à cet effet,
Les communications courantes, c'est-à-dire celles
qui n'exigent pas une délibération préalable, seront
l'objet d'une décision immédiate de la part de l'« Oficial
mayor », qui rendra compte de leur contenu au minis-
tre, et les passera ensuite à la section respective.Le chef de section, avant d'exécuter la décision,
enregistrera ou fera enregistrer sur le livre d'annota-
tions d'entrée de la section, la provenance de la
communication, son numéro d'ordre, si elle en a, sa
date et un court résumé du contenu, en indiquant parle moyen d'un numéro que l'enregistrement a été
effectué. Ce numéro sera marqué à l'encre rouge,tant sur le livre d'enregistrement qu'en tête de la
communication enregistrée, en indiquant sur cette
communication, par le moyen d'initiales, la section à
laquelle elle correspond. Il passera ensuite la commu-
nication à la « mesa de partes », après avoir exécuté la
décision dont elle aura été l'objet.L'« Oficial de partes » fera sur son livre le même en-
registrement d'entrée que celui qui a été fait dans les
sections; il y ajoutera la copie de la décision prise,et déposera la communication ainsi enregistrée dans la
case de l'armoire destinée à contenir ces pièces,
pour l'avoir sous la main en cas de besoin.
Les communications qui, par la nature de leur
contenu, exigent une délibération du président de la
République ou du ministre, seront également immé-
diatement enregistrées dans la section respective, et
transmises ensuite à l'« Oficial mayor », qui en rendra
compte au ministre, soit verbalement, soit en les
lisant. Dès que la décision à laquelle il y aura lieu
aura été rendue et mise à exécution, les communica-
tions seront transmises par la section correspondanteà la « mesa de partes », pour l'effet indiqué dans la
règle précédente à l'égard des communications cou-
rantes.
Dans les premiers quinze jours de chaque année,
232 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
l'" Oficial départes », sous la surveillance des chefs
de section, placera dans des dossiers séparés les com-
munications de chaque provenance, selon le numéro
d'ordre de l'enregistrement des sections ; il indiquerasur une feuille séparée les numéros qui manquent
parce que les communications auxquelles ils se rappor-tent auraient été détachées comme antécédents, et
figureraient dans un dossier spécial. Les pièces dont
se composent chaque dossier seront réunies d'une
manière permanente, mais de telle sorte cependant
qu'elles puissent être détachées en cas de besoin.
Quand les communications d'une provenance quelcon-
que ne seront pas suffisamment nombreuses pourformer des dossiers séparés, on réunira plusieursd'entre elles dans un même dossier, quoique diffé-
rentes, mais en ayant soin qu'elles émanent d'une
même classe de fonctionnaires, et l'on adoptera pourle classement l'ordre alphabétique, en laissant subsis-
ter les numéros respectifs d'enregistrement.LV Oficial de partes » remettra ces dossiers ainsi
classés à l' " Oficial » archiviste, et il cessera dès ce
moment d'en être responsable.L'« Oficial» archiviste, sous la surveillance égale-
ment des chefs de section, procédera à la formation des
liasses définitives qui devront composer les archives.
Ces liasses se formeront d'un ou de plusieurs dossiers,selon leur volume. L'année des communications sera
marquée sur les cartons qui leur serviront d'étiquette;elles seront placées par numéro d'ordre. Afin d'établirla corrélation nécessaire entre les papiers que lesliasses contiennent et les livres d'enregistrementd'entrée des sections, qui servent à former les tablesdétaillées desdits papiers, et qui, comme tels, doiventêtre déposés aux archives, on numérotera pareillement,quand ce sera nécessaire, les différents dossiers, etl'on placera à la tête de chacune des divisions deces livres le numéro de la basse et du dossier corres-
pondant; par exemple : année de....; liasse, n°....;dossier, n°....
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 233
L' «Oficial de partes » transmettra également, dansles quinze premiers jours de chaque année, à l' Ofi-cial » archiviste : la liasse ou les liasses contenant lesaffaires terminées, provenant de l'initiative des parti-culiers ; les décisions suprêmes rendues pendantl'année, et qui porteront pareillement leur numéroet leur index respectifs.
Quant aux livres de copies tenus dans le ministère,on déposera aux archives ceux qui seront clos à la fin
de l'année, c'est-à-dire ceux qui n'embrasseront
qu'une seule année de correspondance. Ceux qui com-
prendront plusieurs années continueront d'être tenus à
jour dans le bureau, et il en sera fait mention dans
l'état des livres qui doit être dressé aux archives,
ainsi que dans les autres divisions du ministère (1).
Installation du ministre des affaires étrangères.
Il est de pratique générale, dans tous les pays, qu'a-vant d'entrer en fonctions, le ministre des affaires
étrangères prête entre les mains du chef de l'État le
serment constitutionnel.
Au moment où il prend possession de son ministère,il notifie sa nomination au corps diplomatique accré-
dité auprès de son gouvernement, aux chefs de
missions et aux consuls de son pays à l'étranger. La
notification au corps diplomatique étranger et au
corps diplomatique national, se fait sous forme de
lettre plus ou moins étendue.
Dans la lettre au corps diplomatique étranger, le
ministre annonce que le chef de l'État, par décret de
telle date, lui a confié le portefeuille des relations
extérieures. Il se félicite de voir s'établir entre lui et
l'agent diplomatique à qui il s'adresse, des relations
directes et suivies. Il déclare qu'il mettra tous ses
soins à rendre ces relations faciles, et, autant qu'il se
(1) Ce réglement intérieur complète l'organisation administra-tive du département des relations extérieures, au Pérou; mais
peut-être a-t-il déjà été modifié.
234 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
pourra, profitables aux-intérêts des gouvernements
respectifs. Il exprime l'espoir qu'une confiance bien-
veillante lui sera accordée ; etc., etc.
Au corps diplomatique national, le ministre annonce
sa nomination; il se félicite des relations directes et
suivies qui vont s'établir entre lui et les agents diplo-
matiques de son pays ; il est persuadé qu'elles seront
satisfaisantes des deux côtés, et en même temps profi-tables aux intérêts publics ; il trace, en quelques
mots, quelles, seront les bases de la politique suivie
par le gouvernement dans les relations internationales;il compte sur le loyal concours du corps diplomatiquenational : il mettra tous ses soins à faciliter la tâche
qui est imposée aux ministres publics de son pays;
etc., etc.-
Lorsque le ministre "des affaires étrangères a été
chargé de former le cabinet, il rappelle cette circons-tance au corps diplomatique étranger et au corps
diplomatique national. S'il appartient lui-même au
corps diplomatique, il ne néglige pas de faire mentionde ce détail dans la première lettre qu'il adresse aux
agents diplomatiques de son pays.Les espérances que les ministres des affaires étran-
gères nouvellement nommés expriment dans leur let-tre d'installation au corps diplomatique étranger et au
corps diplomatique national, donnent de l'à-propos à
l'observation suivante des auteurs du Précis du droit
des gens : « Il n'y a point de poste, disent-ils, où l'inex-périence soit plus nuisible et où le changement soit
plus funeste. Dans les États bien ordonnés, à toutesles époques prospères de leur histoire, on a vu lésrelations extérieures, lorsqu'elles n'étaient pas condui-tes directement par le souverain, confiées longtempsaux mêmes mains. Ces longs ministères ne semblent
point compatibles avec les exigences du gouverne-ment parlementaire : il faut donc que, dans ce gouver-nement, le ministère des affaires étrangères suive lafortune du cabinet dont il fait partie. Les Anglais ontvu là un motif très-grave d'éviter la fréquence des cri-
LE MINISTERE DES AFFAIRES ETRANGERES 235
ses ministérielles ; ils ont compris que c'est, surtoutdans leur diplomatie que ces crises ébranlent lesÉtats » (1).
Visites. — Ouverture des salons. —Dîners officiels. —
Audiences.
Après avoir fait la notification de sa nomination, il
est de règle à peu près générale que le ministre des
affaires étrangères attend la première visite de tousles membres du corps diplomatique. Cette visite estrendue par lui. Il la rend, en personne, aux ambassa-
deurs, autant que possible le jour même où il l'a reçue.C'est également une visite personnelle qu'il rend aux
ministres plénipotentiaires et aux ministres résidents,mais il peut la différer de peu de jours. La visite des
chargés d'affaires est rendue par cartes (2).
Lorsque des étrangers venant dans la capitale sont
des princes appartenant à des maisons régnantes, le
ministre des relations extérieures leur fait la premièrevisite-. A l'égard des autres personnages étrangers, le
ministre gradue ses politesses d'après leur rang et
leur importance.
Ordinairement, le ministre des affaires étrangèresouvre sa maison diplomatique en prenant un jour pourses réceptions générales du soir ; mais généralementil a un second jour pour ses réceptions plus intimes.
L'étiquette du salon diplomatique doit être celle des
grandes réceptions des salons particuliers.
Indépendamment de l'ouverture de son salon, le
ministre des affaires étrangères donne aussi des
dîners officiels. Quand il réunit à sa table les chefs de
missions étrangères, les places d'honneur sont données
aux agents diplomatiques auxquels leur grade et la
(1) Précis du droit des gens, par Funck-Brentano et A. Sorel,édition de 1877, p. 78.
(2) A moins de circonstances particulières, ou de raisons per-
sonnelles, qui disposent à agir autrement.
236 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
date de la remise de leurs lettres de créance assurent
la préséance. Mais il n'y a pas de règle absolue rela-
tivement à ces réceptions. Quelquefois le ministre
des affaires étrangères invite les chefs de services
de son ministère en même temps que le corps di-
plomatique, et dans ses dîners à ses collègues il
a souvent pour convives des diplomates étrangers.Les places d'honneur à ces dîners chez le ministre
des affaires étrangères qui, suivant le mot de M. de
Talleyrand, « représente la politesse de son paysauprès des étrangers », appartiennent, en géné-
ral, aux membres du corps diplomatique étranger,
quels que soient leur rang et leur grade. C'est, du
moins, l'usage établi en France. Il n'en est pas demême dans tous les pays.
Quand un ministre ou un diplomate donne un granddîner, les invités s'y rendent en frac, à moins que lesmots : « eu uniforme », ne soient écrits sur l'invitation.
Cette recommandation n'est ajoutée, habituellement,
que pour les dîners ou soirées qui se rapportent à la
fête d'un chef d'État : dans ce cas, c'est un hommagerendu à ce dernier. L'uniforme n'est donc obligatoire,chez les ministres et chez les diplomates, que lorsqu'ilest recommandé ; mais dans les cours des États monar-
chiques, et même aux réceptions officielles de tous leschefs d'États, il est la règle générale : il faut un avisformel pour s'en dispenser.
Il n'y a, du reste, à cet égard, comme au sujet detous les points d'étiquette, aucune règle fixe ; chaquecour, la maison de chaque chef d'État a son réglementparticulier, plus ou moins conforme à la pratiqueobservée ailleurs. Le premier soin d'un agent diplo-matique arrivant dans un pays, doit être de s'informerde ces usages, au-dessus desquels il n'est jamaispermis de se placer.
Le ministre des affaires étrangères fixe ordinaire-ment un jour où il reçoit dans son cabinet. Pour êtrereçu par lui, les autres jours, il est habituellementnécessaire de lui demander une audience. Dans certains
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 237
pays, toutefois, les ministres sont presque constam-ment d'un accès facile (1). Dans les pays où l'accès estmoins aisé, les collègues du ministre dans le gouver-nement, les membres du corps diplomatique et lesmembres de la législature, ne sont pas soumis à la
règle de la demande préalable d'audience. Autant quepossible ils sont reçus lorsqu'ils se présentent. En ce
qui concerne la réception des agents diplomatiquesétrangers, ces agents sont introduits, non suivantl'ordre de leur arrivée dans la salle d'attente, maissuivant leur grade. Ainsi, l'envoyé extraordinaire etministre plénipotentiaire dernier venu dans la salle estintroduit avant le chargé d'affaires qui l'a précédé.Dans le cas d'égalité de grade, c'est l'ordre d'arrivée
qui décide.
Démission du ministre des affaires étrangères.
En cas de démission, le ministre des affaires étran-
gères annonce ordinairement au corps diplomatique
étranger, au corps diplomatique et au corps consulaire
de son pays, qu'il a cessé de faire partie du cabinet. Il
donne quelques paroles de regret aux relations rom-
pues, et il remercie du concours prêté, de la bienveil-
lance témoignée. La lettre adressée au corps consu-
laire est toujours plus courte et plus simple.
Réponse du corps diplomatique étranger.
Il'est répondu par le corps diplomatique étranger aux
lettres de notification de nomination et surtout de dé-
mission du ministre des affaires étrangères. La réponsen'est le plus généralement qu'un simple accusé de ré-
ception, accompagné de quelques formules de politesse.
(1) Au Pérou, par exemple, où les cabinets des ministres sont
presque des endroits publics, par la facilité offerte au premiervenu d'y pénétrer. Cela peut être très-démocratique, mais c'est
très-génant.
238 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Correspondance du ministre des affaires étrangères.
Pendant le cours de sa gestion des affaires exté-
rieures, le ministre des affaires étrangères est conti-
nuellement en rapports officiels avec les chefs d'États
et leurs ministres des relations extérieures, avec le chef
de son propre gouvernement, les ministres, les fonc-
tionnaires de tous rangs de son pays, avec les mem-
bres des corps diplomatiques et consulaires nationaux
et étrangers, enfin avec de simples particuliers. Lesformes de sa correspondance ont donc pour base les
rapports d'infériorité, d'égalité et de supériorité. La con-
naissance de ces formes est de la plus haute impor-tance pour un diplomate. Il en sera question plus loin,à propos du protocole et du style diplomatique, deux
sujets d'un intérêt d'autant plus grand, que, pour les
diplomates comme pour tout individu d'ailleurs, une
infraction aux lois des convenances épistolaires est le
témoignage indubitable d'un manque d'éducation (1).
Remarquons, en attendant, que les agents diploma-tiques à l'étranger sont tenus de se servir d'expres-sions respectueuses, en écrivant au ministre des
affaires étrangères de leur pays. La formule respec-tueuse est pour eux un devoir ; elle ne peut être rem-
placée par des expressions de très-haute, ni même dela plus haute considération. La formule du respect estla seule qui convienne à des subordonnés vis-à-vis du
ministre dont ils reçoivent les ordres. Telle est, du
moins, la règle absolue ; mais les circonstances, lesrelations d'intimité antérieures qui peuvent exister en-tre l'agent diplomatique et le ministre des affaires
étrangères, la haute situation sociale ou les méritestranscendants et les grands services de l'agent diplo-matique, peuvent justifier une certaine familiarité dansla forme. Il est vrai qu'entre personnes de bonne com-
(1) Garcia de la Véga, ouvrage et édition cités, p. 160.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 239
pagnie et douées de tact, la familiarité n'exclut pas le
respect officiel (1).
Qualités que doivent réunir un bon ministre desaffaires étrangères, un bon directeur, ou un bon
chef de division ou de section.
Il suffit d'arrêter un instant son attention sur lesnombreuses affaires qui se traitent dans un ministèredes affaires étrangères, pour reconnaître combien ilest difficile d'être, non-seulement un bon ministre desrelations extérieures, mais un bon directeur politiqueou un bon -chef de division ou de section. « J'ai tou-
jours pensé, écrivait, le comte de Mercy-Argenteauà Marie-Thérèse, j'ai toujours été persuadé que le
plus difficile de tous les emplois était celui de se trou-ver chargé de l'administration politique d'une grande
(1) Ici se place, à propos de la correspondance du ministèredes affaires étrangères et des attributions de ce département mi-nistériel, la mention d'une disposition qui a été prise, en 1870,d'accord entre le gouvernement anglais et celui du Pérou. LordClarendon avait pensé que, comme tous les jours le besoins'augmente de communiquer aux gouvernements étrangers desdétails relatifs aux affaires commerciales, et d'échanger des idéessur des questions concernant la navigation ou d'un caractèrepurement technique, il serait convenable d'établir un systèmeau moyen duquel le ministère anglais du commerce, chargéparticulièrement de ces matières, communiquerait directementavec les autorités correspondantes du Pérou, quant à, cesdétails et aux renseignements d'intérêt général qu'il pourraitêtre utile d'échanger. Le gouvernement péruvien a adhéré àcette idée, et s'est déclaré prêt à établir ces communicationsdirectes entre le ministère du commerce du Royaume-Uni et leministère du commerce du Pérou. Il est toutefois demeuré bien
entendu, entre les deux gouvernements, que toute questionemportant discussion entre les deux États, et susceptible dedonner heu à un débat diplomatique, continuerait d'être traitée,comme par le passé, d'après les instructions et sous la directiondu Foreign-Office anglais et du ministère péruvien des relationsextérieures. Les notes qui ont été échangées à cet égard sont du19 janvier et du 19 avril 1870. Elles se trouvent dans le numérodu 20 avril de la même année du journal officiel El Peruano.
240 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
monarchie. Elle exige un esprit vaste et juste qui sai-
sisse et combine tous les rapports ; elle exige beaucoup
de connaissances acquises sur le fond des choses et
sur la forme à leur donner ; elle exige un travail conti-
nuel pour se tenir au courant des affaires, en suivre le
fil, en combiner les circonstances, établir des mesures
à prendre et diriger ceux qui travaillent en sous-
ordre » (1).A l'égard,des relations extérieures, dit le baron
Ch. de Martens, on ne peut rien exiger, rien prescrire ;il faut demander, solliciter, négocier ; le moindre mot
inconsidéré peut blesser toute une nation ; une fausse
démarche, un faux calcul, une combinaison hasardée,une simple indiscrétion, peuvent compromettre et la
dignité du gouvernement et l'intérêt de l'État. La po-
litique extérieure d'un État présente des rapports si
variés, si multipliés, si sujets à changer, et à la fois
environnés de tant d'écuéils et de difficultés, qu'onconcevra aisément combien doivent être difficiles et
délicates les fonctions de celui qui est appelé à la di-
rection d'une administration de cette importance... On
est tellement habitué à juger d'après le caractère, les
principes et les qualités personnelles du ministre des
relations extérieures, le système de sa politique, quesa nomination ou son renvoi sont toujours considéréscomme des événements politiques. Aussi, voit-on sou-vent les cours elles-mêmes s'empresser de rassurer lescabinets étrangers sur les principes et les dispositionsde celui qui est appelé à remplir ces hautes fonctions.Pour y suffire dignement, ce- ministre doit s'être livréà l'étude spéciale de l'histoire moderne et des divisionsterritoriales actuelles, dont la prépondérance inégalemaintient l'équilibre général. Il doit avoir une connais-sance exacte des intérêts commerciaux qui rappro-
(1) Cette lettre est datée de Paris, 9 janvier 1774. Marie-Thérèseavait demandé au comte de Mercy-Argenteau si elle pourraitcompter sur lui, dans le cas où le. prince de Kaunitz se trouve-rait obligé de quitter sa place de ministre de l'impératrice.Le comte de Mercy-Argenteau répondit par ce refus modeste.
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 241
chent les États, des ressources matérielles de tout
genre qui font leur force, des traités et conventions quiles lient, des principes et des vues qui gouvernentleur politique, des hommes d'État qui la dirigent, des
entourages de cour qui l'altèrent, des alliances entreles familles souveraines qui l'influencent, des rivalitésde Puissances qui en compliquent l'action. Le ministredes affaires étrangères, dépositaire en quelque sortede l'honneur et des intérêts généraux de son pays,dans ses rapports extérieurs, doit s'appliquer à bienconnaître les hommes, afin de ne faire que des choix
convenables dans le personnel de ses agents au de-
hors, et de ne remettre qu'à des mains capables et di-
gnes la sauvegarde de ces intérêts si graves et de cet
honneur si ombrageux. L'expérience acquise, les ser-vices antérieurement rendus, la notoriété du talent, la
considération personnelle, sont les éléments essen-
tiels de sa confiance (4).Dans son éloge si connu de Reinhard, M. de Talley-
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1866, chap. Ier, t. I,p. 24 et suiv. — Le baron Ch. de Martens, parlant du mode detravail du ministre des affaires étrangères, cite, d'après M. de
Flassan, la méthode adoptée par M. d'Argenson, ministre deLouis XV. M. d'Argenson, dit M. de Flassan, dans son Histoire
générale de la diplomatie française, pendant tout le temps deson ministère, se piqua d'une grande assiduité au travail. Levéa. cinq heures, il commençait sa correspondance ; et à neufheures il renvoyait à ses quatre chefs de bureau tout le travaildu jour préparé et arrêté. Il avait habitué ses employés à fairedes extraits de toutes les dépèches et offices : ce qui lui servait à
rapporter sommairement au conseil les affaires qui méritaientmoins de discussion. Quant aux réponses à faire, ce ministre enécrivait l'esprit en marge, et avec ses apostilles on composait.les dépêches pour les ministres au dehors. Indépendamment dece travail des bureaux, le ministre écrivait les lettres les plusessentielles ou les plus délicates. Il rédigeait encore desmémoires et des récapitulations pour le roi; des projets, des
plans, des agendas pour sa propre conduite, pour ses avis au
conseil, et plus particulièrement pour le travail avec le roi,ainsi que pour ce qu'il avait à demander ou à répondre aux mi-
nistres étrangers. Voir Le Guide diplomatique, édition citée,
t.1, p. 28, en note.16
242 LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
rand a esquissé de main de maître le portrait du minis-
tre des affaires étrangères et du directeur ou chef de
division ou de section vraiment dignes de ces hauts
emplois. « L'esprit d'observation de M. Reinhard, di-'sait-il, l'avait conduit à comprendre combien la réu-
nion des qualités nécessaires à un ministre des affaires
'étrangères est rare. Il faut en effet qu'un ministre
des affaires étrangères soit doué d'une sorte d'instinct,
qui, l'avertissant promptement, l'empêche, avant toute
discussion, de jamais se compromettre. Il lui faut la
faculté de se montrer ouvert en restant impénétrable ;d'être réseryé avec les formes de l'abandon; d'êtrehabile jusque dans le choix de ses distractions; il faut
que sa conversation soit simple, variée, inattendue,
toujours naturelle et parfois naïve. En un mot, il ne
doit pas cesser un moment, dans les vingt-quatre
heures, d'être ministre des affaires' étrangères. Ce-
pendant toutes ces qualités, quelque rares qu'elles
soient, pourraient n'être pas suffisantes, si la bonne
foi ne leur donnait une garantie dont elles ont presque
toujours besoin... Dominé par l'honneur et l'intérêt
du prince, par l'amour de la liberté fondée sur l'ordre
et sur les droits de tous, un ministre des affaires
étrangères, quand il sait l'être, se trouve ainsi placédans la plus belle situation à laquelle un esprit élevé
puisse prétendre. »
Parlant du chef de division, titre qui, à l'époque où
M. de Talleyrand faisait l'éloge de Reinhard, corres-
pondait à celui de directeur, M. de Talleyrand disait:« Quoique M. Reinhard n'eût point alors l'avantage
qu'il aurait eu quelques années plus tard, de trouversous ses yeux d'excellents modèles, il savait déjà com-bien de qualités, et de qualité diverses, devaient dis-
tinguer un chef de division des affaires étrangères. Untact délicat lui avait fait sentir que les moeurs d'un chefde division devaient être simples, régulières, retirées;qu'étranger au tumulte du monde, il' devait vivre uni-
quement pour les affaires et leur vouer un secret impé-nétrable; que, toujours prêt à répondre sur les faits
LE MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 243
et sur les hommes, il devait avoir sans cesse présentsà la mémoire tous les traités, connaître historiquementleurs dates, apprécier avec justesse leurs côtés forts
et leurs côtés faibles, leurs antécédents et leurs con-
séquences ; savoir, enfin, les noms des principaux né-
gociateurs et même leurs relations de famille ; que,tout en faisant usage de ces connaissances, il devait
prendre garde à inquiéter l'amour-propre toujours si
clairvoyant du ministre;et qu'alors même qu'il l'entraî-
nait à son opinion, son succès devait rester dans l'om-
bre, car il savait qu'il ne devait briller que d'un éclat
réfléchi; mais il savait aussi que beaucoup de considé-
ration s'attachait naturellement à une vie aussi pure et
aussi modeste. »
Ces deux portraits, tracés par l'homme qui a eu la
réputation d'être le premier diplomate de son temps,doivent fixer l'attention de ceux que leur goût pourrait
porter vers cette noble et difficile carrière.
CHAPITRE VII.
Le personnel diplomatique.— Diverses, catégories d'agents
extérieurs, - Quels sont les agents, diplomatiques? —
Double qualité des agents diplomatiques. - Que distin-
gue-t-on dans les ministres publics ? - Caractère repré-sentatif (qualité essentielle).
— Caractère, cérémonial ou
de cérémonie (qualité accidentelle).— Cas où l'agent di-
plomatique envoyé auprès d'un gouvernement étranger,est sujet de ce dernier, — Caractère international mixte.
— Par qui est déterminé le rang du ministre public à en-
voyer ? — Y a-t-il une règle absolue et fixe, quant au
nombre des ministres à envoyer à une même Puissance ?— Sous quels points de vue les ministres publics diffèrent-
ils entre eux? — 1° Point de vue de l'étendue des pou-
voirs. — 2° Point de vue de la durée de la mission. —
3° Point de vue de la nature des affaires dont les' minis-
tres sont chargés. — 4° Point de vue de la classe à la-
quelle les ministres publics appartiennent.— Origine des
différents ordres de ministres publics.—
Règlement sur
le rang entre les agents diplomatiques, fait à Vienne en
1815. — Protocole des conférences d'Aix-la-Chapelle du
20 novembre 1818, au sujet du rang des ministres rési-
dents. — Combien existe-t-il de classes de ministres
publics ? — Ministres publics de la première classe. —
Les ambassadeurs. — Les légats et les nonces. — Le
droit d'envoyer des ministres de première classe n'appar-tient-il qu'aux États qui peuvent prétendre aux honneurs
royaux? — Ministres publics de la seconde classe. — En-
voyés, etc. —Envoyés ordinaires. —
Envoyés extraordi-naires. — Envoyés extraordinaires et ministres plénipo-tentiaires. — Internonces. — Ministres publics de la troi-sième classe. — Résidents. — Ministres publics de la
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE 245
quatrième classe. — Chargés d'affaires. — Observation
générale au sujet de ces quatre classes de ministres pu-blics. — Points de vue sous lesquels on peut considérerla question du rang des ministres publics. —
Rang desministres publics entre eux : 1° en lieu tiers. - Les inter-nonces du pape ont-ils le pas sur les envoyés et ministresordinaires et extraordinaires des autres Puissances?—Ré-
glement de la préséance, dans le cas où les agents diplo-matiques déjà en fonctions remettent de nouvelles lettresde créance, à l'occasion d'un même événement. — Les
chargés d'affaires accrédités par lettres du ministre desaffaires étrangères ont-ils la préséance sur ceux qui né
remplissent qu'un service intérimaire? — Résumé. —
Rang des ministres publics entre eux : 2° dans leur proprehôtel. — Du rang des ministres publics vis-à-vis detierces personnes.— Consuls généraux chargés d'affaires.—
Députés et commissaires.
Le personnel diplomatique.
Les agents qui sont chargés d'une manière spécialede la gestion des intérêts extérieurs de leur payssont, pour chaque État :
Le ministre des affaires étrangères ;Les agents extérieurs, envoyés en pays étranger
pour y veiller au maintien de l'entente réciproqueentre les deux pays, protéger leurs nationaux, infor-
mer leur gouvernement de tout ce qui peut être d'un
intérêt sérieux pour l'État, traiter des affaires publi-
ques, entamer des négociations, accomplir certaines
commissions particulières et spéciales, etc. (1).
(1) Sans nous arrêter davantage sur des souvenirs historiques,il n'est pas indifférent de rappeler ici que, chez les anciens
246 LES AGENTS EXTERIEURS
Diverses catégories d'agents extérieurs.
Les diverses catégories d'agents extérieurs sont :
1° Les ministres publics, — appelés indifféremment
agents diplomatiques, agents politiques, agents des
relations extérieures (quoique rarement), envoyés di-
plomatiques, etc., — revêtus d'un caractère public etofficiel.
2° Les agents chargés de missions analogues à cel-
Romains, les ministres publics avaient des caractères différents.Il y avait lesféciaux, dont il a déjà été parlé, correspondant auxhérauts grecs; les ambassadeurs proprement dits, legati populiromani, oratores; les personnes attachées à l'ambassade, ditesasseclae. Lorsqu'il ne s'agissait pas des cérémonies de la paix oude la guerre, on avait recours à des ambassadeurs extraordi-naires nommés par le sénat et choisis dans son sein ; plus tardils furent nommés par l'empereur. Il en fut ainsi pour les négo-ciations importantes, pour la conclusion des traités et pour tousles cas d'arbitrage international dont Rome favorisa l'extension,et où, elle aimait tant à s'entremettre. Il y avait aussi, chez lesanciens Romains, une institution parasite connue sous le nom delegatio libera, et qui consistait en ceci : les sénateurs qui avaient
quelque affaire dans les provinces, ou hors de l'empire, commeune succession à recueillir, une ferme à visiter, un établissementde commerce à contrôler, ne se contentaient pas de prendre un
congé du sénat: ils se faisaient donner le titre de legati. Ces
légations fictives étaient appelées liberae, parce que, ni la fonction,ni le temps, ni le heu n'en étaient déterminés. C'était une léga-tion sans affaires, ni commission publiques. Mais il n'y avait paslà une distinction purement honorifique : il y avait l'avantagede faire un voyage d'affaires ou de plaisir aux dépens de l'État.
Quelquefois la legatio libera prenait le nom de legatio votiva,lorsqu'elle avait lieu pour accomplir un voeu réel ou simulé.L'abus de ces légations onéreuses pour le trésor, et qui ont sur-vécu aux temps classiques, qui ne sont même pas complètementinconnues, de nos jours, sur le nouveau continent, a été vivementblâmé par Cicéron, dans son traité De legationibus. N'est-ce pasune chose honteuse, disait le grand orateur, qu'une ambassadequi n'a pas pour objet le service de l'État ? Qu'est-ce qu'unlegatus sans instructions et sans aucun ministère qui se rapporteà la république?... Pendant son consulat il en fit restreindrela durée à un an, et, sans l'opposition d'un tribun, il eût mêmeréussi à supprimer complètement cet abus. La durée ainsi res-treinte fut enfin fixée par la loi Julia de legationibus.
LES AGENTS EXTERIEURS 247
les des ministres publics, mais sans caractère publicet officiel.
3° Les commissaires, délégués pour régler certaines
affaires particulières, telles qu'une délimitation de
frontières, l'arrangement d'un différend litigieux, l'e-
xécution de quelque article d'un traité ou d'une con-
vention, etc., et qui ne communiquent directement, ni
avec le chef de l'Etat étranger, ni avec ses ministres.
4° Les consuls, chargés de veiller aux intérêts du
commerce.
On distingue aussi les députés ou agents envoyés pardes corporations au chef de l'État, ou à des autorités
constituées dans l'intérieur, ou même, dans des cir-
constances extraordinaires, à des chefs d'États étran-
gers, à des autorités étrangères ; et les commissaires
extraordinaires envoyés par un gouvernement sur
tel point de l'intérieur : lesquels députés, agents et
commissaires extraordinaires, ne sauraient prétendreaux droits et aux prérogatives des agents diplomati-
ques, et moins encore aux honneurs et privilèges du
cérémonial.
Il y a les émissaires cachés ou secrets envoyés parun gouvernement dans un territoire étranger, sans
qu'ils y déploient un caractère public, puisque leur mis-
sion et son but ne doivent pas être connus (1).Il y a les envoyés confidentiels, ou négociateurs se-
crets, envoyés et accrédités secrètement près d'un gou-vernement étranger pour traiter d'affaires importantes"mais secrètes, sans attribution de caractère officiel de
(1) L'histoire a conservé le nom d'un émissaire caché qui futcélèbre: ce fut le chevalier Eon de Beaumont, né en 1728, à
Tonnerre, en France. Doué d'une jolie figure et n'ayant pas de
barbe, il put se faire passer pour femme. Chargé par Louis XVd'une mission secrète en Russie, auprès de l'impératrice Elisa-
beth, il se présenta avec le vêtement féminin, réussit, à l'aide dece déguisement, à voir l'impératrice, gagna sa faveur, et opéraainsi, en 1756, un utile rapprochenent entre la France et laRussie. Ayant repris ensuite les habits de son sexe, il servit avecdistinction comme capitaine de dragons pendant la guerre de
sept ans.
248 LES AGENTS DIPLOMATIQUES
ministres, ou en ne leur permettant de le déployer que
lorsque le succès de leur mission l'exigera. Ces en-
voyés confidentiels doivent naturellement jouir de la
même sécurité que les ministres publics, mais, natu-
rellement aussi, ils ne peuvent prétendre au cérémo-
nial de ces ministres, et, en public, ils sont traités
comme de simples étrangers (1).Il y a enfin des agents sans caractère public, dont
on tolère l'envoi de la part d'États, desquels, par des
motifs quelconques, on ne voudrait pas admettre pourle moment des ministres ouvertement accrédités (2).
Quels sont les agents diplomatiques.
Parmi tous ces agents extérieurs, il faut donc distin-
guer entre les ministres publics, les agents, les com-
missaires, les consuls, les députés, les émissaires
cachés ou secrets, les envoyés confidentiels ou négo-ciateurs secrets, etc.
Les ministres publics seuls sont agents diplomati-
ques, et par ministres publics il faut entendre les
agents extérieurs chargés de représenter les États à
(1) On peut citer comme agent confidentiel célèbre, le R. P.
Joseph-Leclerc du Tremblay, capucin, confident du cardinal deRichelieu, né à Paris en 1577. C'est en 1616 qu'il eut l'occasion dese faire remarquer du grand cardinal. Richelieu lui confia
plusieurs missions du plus haut intérêt en Espagne, en Italie,en Allemagne ; de son côté, le Père Joseph lui rendit de précieuxservices, notamment à la diète de Ratisbonne, en 1630, et lors dela prise de Corbie, en 1636. Confident intime de toutes les penséeset de tous les desseins de Richelieu, chargé des affaires les plusépineuses, ce capucin, qu'on surnommait l'Eminence grise, n'eutcependant jamais un caractère officiel. Ce trop célèbre capucin,que l'un de ses historiens appelle «l'esprit auxiliaire » du cardi-nal, fut non-seulement son confident, mais celui du roi même.Inflexible, souple et bas, il affermissait les pas du ministre dansles voies du sang, et l'aidait à y faire descendre le faible prince.Il faisait indignement servir le ciel à la terre, le nom de Dieu auxtromperies, et la religion aux ruses de l'État.
(2) Il y en a eu dé nombreux exemples, surtout dans les premières années de la première République française.
LES AGENTS DIPLOMATIQUES 249
l'étranger; les représentants politiques envoyés pardes souverains ou des gouvernements auprès d'autres
gouvernements ou souverains, ou à des congrès, poury traiter des affaires publiques, chargés de leurs
ordres et munis de leurs pouvoirs.Il y a cependant certaines remarques à faire. Ainsi,
le titre de commissaire, de député, dont peut être
revêtu parfois un véritable ministre public chargé de
négociations avec des Puissances étrangères, comme
cela peut avoir heu, par exemple, dans des négocia-tions sur des limites, ne lui enlève pas sa qualité d'a-
gent diplomatique. Enfin, il peut arriver qu'un envoyé
confidentiel, par exemple dans le cours de la négo-
ciation, prenne publiquement le caractère d'agent
diplomatique, lorsque le besoin n'existe plus de rester
négociateur secret.
Une dernière observation à faire, c'est que les gou-vernements peuvent, dans certains cas, envoyer à un
autre État des personnages haut placés en dignités,
pour-des affaires publiques, sans cependant les revêtir
d'un titre d'agent diplomatique, quoique le fait de leur
mission ne soit pas caché : tels étaient les cardinaux-
protecteurs, chargés des affaires des princes auprèsdu Saint-Siège.
Double qualité des agents diplomatiques.
Considéré par rapport à l'État qui l'envoie, l'agent
diplomatique a une double qualité :
1° Il est fonctionnaire public ;2° Il est mandataire.
Sa qualité de fonctionnaire public est ordinairement
regardée comme permanente. Sa qualité de manda-
taire est réputée seulement transitoire, elle résulte
d'une commission spéciale : d'où la conséquence queles fonctions diplomatiques d'un ministre public sont
révocables.
Considéré par rapport aux États auprès des gouver-
nements desquels il n'est pas accrédité, l'agent diplo-
250 LE CARACTÈRE REPRÉSENTATIF
matique n'est qu'un étranger comme tout autre. Mais
on verra plus loin qu'il est d'usage d'accorder par
complaisance certaines immunités à un ministre public
étranger, à son passage par le pays.
Que distingue-t-on dans les ministres publics ?
Caractère représentatif. (Qualité essentielle.)
On distingue, dans les ministres publies, le carac-
tère représentatif, et le caractère cérémonial, ou de
cérémonie.
La signification du mot caractère représentatif n'est
pas arrêtée d'une manière certaine ; l'accord n'est pasétabli sur la valeur de ce terme.
Les uns ont en vue, en parlant du caractère repré-
sentatif, les honneurs qu'ils croient attribués aux mi-
nistres de première classé comme égalés à leur sou-
verain. Dans ce sens, le caractère représentatif n'ap-
partiendrait qu'aux ambassadeurs seuls : les ambas-
sadeurs seuls jouiraient de ces honneurs exception-
nels, parce que seuls ils représenteraient la personnedu souverain. Le caractère représentatif consisterait à
représenter la personne du chef de l'État, ou plutôt,car c'est une expression propre à la théorie monarchi-
que, la personne du monarque.Mais telle n'est pas la signification qu'il faut donner
à ce qu'on appelle le caractère représentatif des agents
diplomatiques. Dire qu'un ministre public est revêtud'un caractère représentatif, c'est exprimer l'idée qu'ilreprésente immédiatement son gouvernement, parrapport aux affaires dont il est chargé. On ne repré-sente, d'ailleurs, que des intérêts. Qu'est-ce que repré-senter quelqu'un? C'est être autorisé à exercer cer-taines fonctions dans les intérêts de ce quelqu'un. Or,quels sont les intérêts confiés aux agents diplomati-ques ? Sont-ce les intérêts privés du chef de l'État, oules intérêts de la nation? Les intérêts de la nation,évidemment ; car l'individu chargé des intérêts privésd'un monarque, n'est que le fondé de pouvoirs d'un
LE CARACTERE REPRÉSENTATIF 251
homme privé : il ne saurait, être considéré comme un
agent, diplomatique. La conséquence de tout cela, c'est
que l'agent diplomatique, quels que soient son titre et
son grade, ne représente que les intérêts de sa nation
gérés par son gouvernement ; mais le caractère repré-sentatif est en lui une qualité essentielle.
Le caractère représentatif est donc la qualité en
vertu de laquelle les agents diplomatiques, ou minis-
tres publics, représentent immédiatement leur gouver-nement par rapport aux affaires dont ils sont chargés et
qui intéressent leur nation. Cette qualité est essen-
tielle; elle est la même dans tous les ministres, de
quelque classe qu'ils soient. C'est par conséquent à
tort qu'on regarde les ministres publics de la premièreclasse comme exclusivement revêtus du caractère
représentatif. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'ils sont con-
sidérés comme jouissant de ce caractère au degré le
plus élevé, à un degré éminent, à raison de leur grade,ce qui ne constitue qu'une différence hiérarchique;
qu'à ce titre, des honneurs particuliers et des préro-
gatives spéciales leur sont, comme on le verra bientôt,
attribués; mais, refuser aux autres classes de minis-
tres publics le caractère représentatif, serait se former
une fausse idée du véritable caractère de l'agent diplo-
matique, tel qu'il résulte des moeurs, des usages, des
traités.
En d'autres termes, tous les agents diplomatiquesont le caractère représentatif, car tous représententleur gouvernement, leur pays, tous représentent les
intérêts de leur nation.
M. Esperson a résumé dans quel sens il faut enten-
dre que les ministres publics de px-emière classe ontseuls le caractère représentatif. C'est, dit-il, dans le
sens qu'indépendamment du fait de représenter leur
propre pays dans les affaires constituant l'objet de leur
mission, ils représentent le souverain dont ils tiennent
les lettres de créance, dans sa personne, sa dignité, sa
grandeur, et que, par conséquent, en général, ils ont
droit aux mêmes hommages que ceux dont jouirait leur
252 LE CARACTÈRE DE CÉRÉMONIE
souverain lui-même, s'il était présent, hommages quine sont pas accordés aux ministres publics des classesinférieures (1).
La distinction entre les ministres publics de la pre-mière classe et ceux des classes inférieures ne se
rapporterait donc qu'au cérémonial.
Caractère Cérémonial, ou de cérémonie.
(Qualité accidentelle.)
Lé caractère cérémonial, ou de cérémonie, est la
qualité qui résulte de l'ensemble des honneurs accor-
dés au ministre public dans le territoire où il réside,
par égard pour sa position honorable. C'est une qua-lité accidentelle ; elle admet des gradations, et en
effet les différentes classes de ministres sont en rap-
port avec les degrés du cérémonial diplomatique : il
est aujourd'hui d'usage général de distinguer diffé-
rents degrés de cérémonie, d'après lesquels les mi-
nistres publics sont divisés en diverses classes. Le
cérémonial accordé à chaque classé n'est toutefois
pas le même dans tous les États.
Cas où l'agent diplomatique envoyé auprès d'un gou-vernement étranger, est sujet de ce dernier. —
Caractère international mixte.
Lorsque l'agent diplomatique envoyé auprès d'un
gouvernement étranger est sujet de ce dernier gou-vernement, c'est-à-dire naturel du pays où il va repré-senter les intérêts d'une nation et d'un gouvernementétrangers, son caractère international est mixte : il y ale national et le ministre étranger à considérer danscet agent diplomatique. Aussi faut-il que le gouverne-ment de la patrie consente ; son consentement peutêtre limité : il peut être donné conditionnellement.
Le consentement donné par le gouvernement de la
(1) Esperson, ouvrage cité, n° 65, p. 48.
DETERMINATION DU RANG DU MINISTRE PUBLIC 253
nation à laquelle appartient le ministre public étrangerimplique nécessairement une suspension forcée des
rapports de sujétion, pendant toute la durée de la mis-
sion, du moins dans toutes les circonstances où ces
rapports de sujétion seraient incompatibles avec l'exer-cice des fonctions diplomatiques.
Il sera dit plus tard que les usages de plusieurs paysse prononcent contre ces rapports mixtes de leursnationaux ; nous verrons que les lois de Suède, parexemple, s'expliquent à cet égard avec beaucoup d'é-
nergie, et qu'en France, c'est surtout depuis le règnede Louis XVI, que les gouvernements ont maintenu
rigoureusement le principe de ne jamais recevoir d'au-cune Puissance étrangère un de leurs propres, sujets,en qualité de ministre public.
Par qui est déterminé le rang du ministre publicà envoyer?
Le rang ou la classe du ministre public à envoyerest déterminé exclusivement par le gouvernementqui constitue ce ministre. Cependant la liberté de
détermination du gouvernement est restreinte par le
fait que tout État est libre de fixer les prérogatives
honorifiques qu'il entend reconnaître à l'envoyé qu'il
reçoit.Il est généralement reconnu que, d'après le principe
de la réciprocité, les Puissances ne s'envoient que des
ministres du même ordre : ainsi, le souverain quireçoit des ministres d'une certaine classe, en envoie
ordinairement de la même classe auprès des Puissan-
ces qui les accréditent.Il est reconnu aussi qu'un État peut, sans porter
atteinte, à ses droits, et à son honneur, recevoir des
envoyés étrangers d'un rang plus ou moins élevé queceux qu'il envoie lui-même. Ce cas n'est même pasrare : la France, par exemple, est représentée à Berne
par un ambassadeur, tandis que. le. représentant de la
254 NOMBRE DES MINISTRES A ENVOYER
Suisse, à Paris, n'a rang que de ministre plénipoten-tiaire et envoyé extraordinaire.
Lorsqu'un État conteste à un autre État le droit
d'accréditer auprès de lui des ministres publics du
premier ordre, il s'abstient d'user de ce droit à son
égard.
Y a-t-il une règle absolue et fixe, quant au nombre de
ministres à envoyer à une même Puissance ?
Quoique l'unité soit la règle, dans les temps mo-
dernes, quant au nombre des ministres publics à
envoyer, ce n'est cependant pas une règle absolue.Tout État est libre d'accréditer près d'un même gou-
vernement plusieurs ministres publics : chacun pourdes affaires différentes, ou tous ensemble pour les
mêmes affaires.
Quand un gouvernement accrédite plusieurs minis-tres près d'un même gouvernement étranger, tous
ensemble pour les mêmes affaires, il peut disposer :
1° ou bien que ces ministres n'agiront que conjointe-ment ; 2° ou bien qu'il sera à leur choix d'agir ensem-
ble ou séparément ; 3° ou bien, qu'à défaut de l'un
d'eux, l'autre ou les autres pourront agir valablement.Ces ministres publics peuvent être tous du même
rang, ou de rangs différents. Quand ils sont tousdu même rang, ils ont tous droit au même céré-monial.
Il a été déjà dit que plusieurs ministres peuvent être
envoyés par le même gouvernement pour prendre'part aux négociations d'un congrès. Autrefois, lesélecteurs de l'empire d'Allemagne envoyaient auxassemblées pour l'élection et le couronnement de
l'empereur, chacun deux, trois ou quatre ambassa-deurs. Venise envoyait deux ambassadeurs pour féli-citer un empereur ou un roi à son avènement autrône ; elle en députait quatre au pape. Le corps hel-
vétique envoyait autrefois, ordinairement, plusieursministres à la cour de France, souvent un par canton.
NOMBRE DES MINISTRES A ENVOYER 255
Les Provinces-Unies des Pays-Bas félicitaient les rois
d'Angleterre de leur avènement au trône, par trois
envoyés (1).Une légation existante peut être augmentée d'un
second ou d'un troisième ministre ; on peut adjoindreà un envoyé ordinaire un ministre extraordinaire ; on
peut adjoindre un ministre de première ou de seconde
classe à un autre ministre du deuxième ou du premier
rang. Enfin, il arrive quelquefois que plusieursmissions dans différents États sont confiées en même
temps à un seul ministre (2). Plusieurs ministres
peuvent aussi être envoyés à un même souverain,dans ses différentes qualités : au roi de Hollande, par
exemple, comme roi des Pays-Bas et comme grand-duc de Luxembourg ; au roi d'Angleterre, autrefois,comme roi de la Grande-Bretagne et comme roi de
(1) Il y a eu en effet, dans les temps modernes, des exemplesd'ambassades composées de plusieurs personnes. Nous savons
que Philippe de Commines conseillait, dans ses mémoires,d'envoyer toujours deux ou trois ambassadeurs à la fois, afin
que l'un pût réparer les fautes ou suppléer aux négligences del'autre. Lorsque François Ier alla en Italie, la République deVenise lui envoya une députation composée de quatre procu-reurs de Saint-Marc ; en 15 30, la même république fit compli-menter Charles-Quint, à son arrivée à Bologne, par six de sessénateurs. Elle en députa quatre auprès de Henri 111,lorsqu'àson retour de Pologne il passa en Italie, pour venir prendre surle trône de France la place de son frère Charles IX. Après la
paix de Vervins, Henri IV envoya à Bruxelles une ambassade
composée du maréchal duc de Biron, de Pompone, de Bellièvreet de Nicolas Brûlart. En 1663, les cantons suisses envoyèrent en
France trente-neuf ambassadeurs, pour jurer la confirmationde l'alliance; ils en avaient envoyé à peu près autant en 1602.
Voir Merlin, Répertoire, v° Ministre public, sect. II, § II, n° 2.Il est vrai que c'étaient des missions extraordinaires, en vue
d'un but déterminé. De nos jours, on a vu des ambassades
envoyées par des monarques de l'extrême orient, composées de
plusieurs ambassadeurs, dont l'un était d'un ordre supérieur et
les autres d'un rang inférieur.
(2) C'est ainsi qu'en 1874, le ministre du Pérou était accrédité
à la fois à Paris, à Bruxelles, à Lisbonne et auprès du Saint-
Siège.
256 NOMBRE DES MINISTRES A ENVOYER
Hanovre (1) : dans les cas, en un mot, d'union person-nelle. Plusieurs souverains peuvent également accré-
diter un ministre commun à un même poste. C'est ce
qui avait lieu particulièrement auprès de l'ancienne
Diète (2) germanique.Ainsi donc, le droit d'accréditer plusieurs ministres
auprès d'un même gouvernement est incontestable en
lui-même (3); cependant, dans la pratique moderne, il
n'est exercé que dans des circonstances exceptionnelles:
quand il s'agit, par exemple, de congrès de paix, ou
d'autres conférences internationales de haute impor-tance. C'est ainsi qu'au congrès de Vienne, en 1815,
l'Angleterre et la France étaient représentées chacune
par quatre plénipotentiaires, la Prusse et le Portugal
par trois, l'Autriche et la Russie par deux. Au congrèsde Paris de 1856, chaque Puissance était représentée
par deux plénipotentiaires. Au congrès de Berlin, en
1878, la Russie a été représentée par trois plénipoten-tiaires; l'Angleterre par trois; l'Autriche-Hongrie par.trois ; l'empire d'Allemagne par trois ; la Républiquefrançaise par trois ; l'Italie par deux ; et la Turquie
par deux. Les plénipotentiaires anglais ont emmené
avec eux, à Berlin, tout le personnel d'une véritable
ambassade extraordinaire.
Généralement dans les congrès les grandes Puis-
sances se font représenter par leur ministre des
affaires étrangères, comme premier plénipotentiaire,et leur adjoignent, comme second plénipotentiaire,
(1) En 1837, à la mort de Guillaume IV, roi d'Angleterre, letrône de la Grande-Bretagne étant échu à sa nièce Victoria; leHanovre, qui était fief masculin, revint à Ernest-Auguste, duc deGumberland, cinquième fils de Georges III, et frère cadet deGuillaume IV. Le Hanovre est aujourd'hui absorbé par la Prusse.
(2) On sait que le mot Diète désigne les assemblées nationalesdans plusieurs contrées de l'Europe, et spécialement en Alle-magne, en Suisse et en Pologne.
(3) Il y a des exemples de gouvernements qui ont refusé derecevoir plusieurs ministres de première classe envoyés simulta-nément.
DIFFERENCES ENTRE LES MINISTRES PUBLICS 257
l'agent diplomatique accrédité à la cour où se tiennentles congrès ou les conférences.
A part ces occasions exceptionnelles, il arrive rare-ment que plusieurs ministres d'un même gouverne-ment soient accrédités en mission permanente. Il est,du reste, fort douteux qu'un État gagné à être repré-senté par plusieurs ministres à la fois.
Sous quels points de vue les ministres publicsdiffèrent-ils entre eux ?
Il y a quatre points de vue sous lesquels les ministres
publics diffèrent entré eux :
1° Le point de vue de l'étendue de leurs pouvoirs ;2° Celui de la durée de leur mission ;3° Celui de la nature des affaires dont ils sont
chargés ;4° Le point de vue de la classe à laquelle ils appar-
tiennent.
1° Point de vue de l'étendue des pouvoirs.
En se plaçant au point de vue de l'étendue des
pouvoirs, on distingue entre les ministres publics quiont un pouvoir limité, et ceux dont le pouvoir est illi-mité. Ces derniers sont dits proprement plénipoten-tiaires. C'est ainsi que le négociateur de France au
traité des Pyrénées, le cardinal deMazarin, eut le titre
de plénipotentiaire, dans toute l'acception du mot ; de
même, l'ambassadeur de Suède au congrès de Rys-
wik ; le baron de Lilienroth.
Il faut remarquer toutefois que de nos jours,' le plus
généralement, la qualification de plénipotentiaire n'est
conférée que comme simple titre, sans correspondrele moins du monde à des pouvoirs illimités. Ainsi les
ministres publics de deuxième classe sont ordinaire-
ment désignés par la qualification d'envoyés extraor-
17
258 POINT DE VUE DE L'ÉTENDUE DES POUVOIRS
dinaires et ministres plénipotentiaires, sans que le mot
plénipotentiaire éveille l'idée de pouvoirs illimités.
2° Point de vue de la durée de la mission.
En se mettant au point de vue de la durée de la
mission, on observe que cette mission peut être perpé-
tuelle, sauf révocation, c'est-à-dire permanente; ou
qu'elle ne doit durer qu'un espace de temps plus ou
moins déterminé.
A cette distinction entre les missions permanenteset celles qui ne le sont pas, correspond la distinction
entre les ministres ordinaires et les ministres extraor-
dinaires.
Les ministres ordinaires sont ceux qui sont chargésd'une mission permanente, d'une mission perpétuelle,sauf révocation, qui sont ministres pour le courant des
affaires (1).Les ministres extraordinaires sont ceux qui sont
chargés d'une mission non permanente, d'une mission
temporaire, d'une négociation par exemple, d'une
commission seulement passagère (2).
(1) Il a été déjà dit que l'usage d'entretenir dans les coursétrangères des légations perpétuelles ou permanentes ne s'est in-troduit que dans les temps modernes, et que l'envoi d'une missionpermanente est considéré comme une preuve de bonne amitié.
(2) Depuis la paix de Westphalie, le système des légations per-manentes étant devenu général, la distinction des agents diplo-matiques en ordinaires et extraordinaires a dû nécessairements'introduire. On désignait par ordinaires ceux dont la missionétait de résider habituellement près d'un gouvernement étran-ger, pour traiter avec lui de toutes les affaires auxquelles leursnations pouvaient avoir intérêt, à mesure qu'elles se présen-taient. Étaient dits extraordinaires, les ministres publics envoyéspour une affaire spéciale, par exemple pour négocier une paix,une alliance ou un autre traité, complimenter un prince à l'épo-que de son avènement au trône, ou dans une autre circonstancesolennelle. Les autres appellations d'ambassadeurs, d'envoyés,plénipotentiaires, résidents, chargés d'affaires, ont eu pour ori-gine l'amour du faste, les exigences de l'étiquette ou l'orgueil dûrang. Mais on alla encore un peu au-delà. Des ambassadeurs ontété revêtus du titre d'extraordinaires, alors même que leur mis-
POINT DE VUE DE LA DURÉE DE LA MISSION 259
Pendant longtemps les ministres extraordinairesont joui d'une préséance sur les ministres ordinai-res ; mais depuis 1815 il est officiellement établi queles envoyés diplomatiques en mission extraordinaire
n'ont, à ce titre, aucune supériorité de rang. Cepen-dant, comme les usages contraires ont persisté, com-me les envoyés extraordinaires ont continué d'êtretraités avec des égards particuliers, et comme lesmembres des corps diplomatiques ont conservé assez
généralement la coutume, par courtoisie, de leurcéder le pas, la plupart des ministres en mission per-manente ont pris, eux aussi, le titre d'envoyés extra -
ordinaires, et ce titre est devenu pour ainsi dire banal.La vanité diplomatique a également imaginé la qualifi-cation d'envoyé extraordinaire et ministre plénipoten-tiaire, pour désigner un poste plus relevé que celui
d'envoyé ordinaire, quoique au-dessous du titre d'am-bassadeur.
La personne chargée par intérim des affaires d'une
mission permanente, en cas d'absence ou d'empêche-ment du chef de la mission, est considérée comme un
envoyé non permanent.En résumé, la distinction entre, les missions perma-
nentes et les missions non permanentes n'a aucune
portée pour le rang des agents diplomatiques ; ellen'en a que pour la durée de leurs pouvoirs.
3° Point de vue de la nature de la mission dont les
ministres sont chargés.
Eu égard à la nature des affaires dont les ministres
publics sont chargés, on distingue entre les affaires
sion ne fut qu'ordinaire ou permanente. Ainsi, le marquis deCascais fut envoyé en France comme ambassadeur extraordi-naire du Portugal, sans être chargé d'aucune affaire particulière,et il y résida en mission permanente, de 1693 à 1700. Lord Man-chester était également ambassadeur extraordinaire d'Angle-terre près Louis XIV, et cependant il n'était ministre que poin-te courant des affaires. Esperson, ouvrage cité, n° 61, p. 44,.45..
260 POINT DE VUE DE LA NATURE DE LA MISSION
d'État proprement dites et les objets de cérémonial,
soit de l'État, soit de là famille du prince régnant.
S'agit-il d'affaires d'État proprement dites ? Le mi-
nistre public est un négociateur. S'agit-il seulement
d'objets de cérémonial? C'est un ministre d'étiquette,de cérémonie, etc. : tels sont les ministres chargés de
porter des remerciements, des félicitations, des com-
pliments de condoléance, de tenir la place d'un princeà un mariage, de tenir la place d'un prince ou d'une
République à un baptême ; telles étaient les ambas-
sades d'obédience exigées par les papes à leur avène-
ment, telles sont les ambassades d'excuses, (1) etc.
Absolument parlant, les personnes chargées de mis-
(1) Il y a, dans le Siècle de Louis XIV, un exemple mémo-rable d'ambassade d'excuses. Quelques laquais de l'ambassa-deur de France, le duc de Créqui, s'étaient avisés de charger,l'épée à la main, une escouade des gardes du pape. Tout le
corps auquel appartenaient ces soldats voulut venger cetteoffense, et secrètement animé par don Mario Chigi, frère du papeAlexandre VII, qui haïssait le duc de Créqui, vint en armes as-siéger la maison de l'ambassadeur. Ils tirèrent sur le carrossede l'ambassadrice qui rentrait alors dans son palais, lui tuèrentun page et blessèrent plusieurs domestiques. Le duc de Créquisortit de Rome, accusant les parents du pape et le pape lui-même d'avoir favorisé cet assassinat. Le pape différa tant qu'ilput la réparation, mais il fut consterné d'apprendre que Louis XIVmenaçait de faire assiéger Rome, qu'il faisait déjà passer des
troupes en Italie, et que le maréchal Du Plessis Praslin étaitnommé pour les commander. L'affaire était devenue une que-relle de nation à nation, et Louis XIV voulait faire respecter lasienne. Le pape, avant de faire la satisfaction qu'on demandait,implora la médiation de tous les princes catholiques ; il fit cequ'il put pour les animer contre Louis XIV, mais les circons-tances n'étaient pas favorables au pape. L'Empire était attaquépar les Turcs, l'Espagne était embarrassée dans une guerrepeu heureuse contre le Portugal. La cour romaine ne fit qu'irri-ter le roi sans pouvoir lui nuire. Il fallut que le pape pliât ; il futforcé d'exiler de Rome son propre frère, d'envoyer son neveu, lecardinal Chigi, en qualité de légat à latere, faire satisfaction auroi de France, de casser la garde corse, et d'élever dans Rome
une pyramide, avec une inscription qui contenait l'injure et laréparation. Le cardinal Chigi fut le premier légat de la courromaine qui fut jamais envoyé pour demander pardon. Voltaire,Siècle de Louis XIV, chap. VII.
POINT DE VUE DE LA NATURE DE LA MISSION 261
sions spéciales ou de courtoisie n'ont pas de rangdiplomatique proprement dit, à ce titre seul. Tous les
agents accrédités devraient donc passer avant elles ;mais des témoignages particuliers d'égards sont ren-dus aux envoyés de cette catégorie, et le pas leur est
généralement cédé, comme par faveur. Ils ne prennent
pas la préséance : ils la reçoivent. Entre eux, ils sontclassés suivant le grade dont ils sont revêtus, et, dans
chaque classe, suivant l'ordre de remise de leurs let-tres de créance. C'est ainsi que les choses se sont pas-sées à l'avènement du roi Léopold II, de Belgique, etdu roi Don Pedro V, de Portugal. Lors des cérémo-
nies qui ont eu lieu à l'occasion de l'avènement de cedernier prince, les envoyés de cérémonie d'Angleterre,d'Autriche, de Belgique, de Saxe, reçurent le pas sur
les ministres accrédités à Lisbonne, et ne le cédèrent
qu'au nonce du pape. Cependant, au couronnement de
l'empereur de Russie Alexandre II, à Moscou, les
agents diplomatiques permanents conservèrent le passur les personnes revêtues du même grade et accré-
ditées pour la circonstance.
On voit par ces exemples qu'il n'y a pas de règleabsolue à cet égard.
Ordinairement le personnage envoyé pour un objetde cérémonial est un ambassadeur, lorsqu'il est envoyé
par un État souverain de premier ordre à un autre
État souverain de premier ordre. Il est répondu à
cette ambassade par une ambassade analogue. Un
simple envoyé de cérémonie est presque toujours de
seconde classe, c'est-à-dire envoyé extraordinaire et
ministre plénipotentiaire.Rien n'empêche que le même personnage soit à la
fois négociateur et ministre de cérémonie.
Lorsque le chef d'un État limitrophe voyage dans les
provinces de cet État et séjourne quelque temps dans
un endroit voisin de la frontière, il est d'un usage à
peu près général de charger un personnage importantde se rendre auprès de ce chef d'État, pour le compli-
menter au nom du gouvernement du pays voisin. Les
262 POINT DE VUE DE LA CLASSE DES MINISTRES
chefs civils ou militaires de ces provinces limitrophes,
des préfets par exemple, des généraux, sont souvent
honorés de ces missions de courtoisie, sans revêtir un
caractère diplomatique. Ils doivent prévenir les auto-
rités de la ville où ils se rendent du fait et du motif de
leur arrivée.
4° Point de vue de la classe à laquelle les ministres
publics appartiennent.
Si l'on se place au point de vue de la classe à la-
quelle les ministres publics appartiennent, on observe
que le corps diplomatique se compose, en général,d'ambassadeurs, de légats, de nonces, d'internonces,d'envoyés, d'envoyés extraordinaires, de ministres
plénipotentiaires, de ministres résidents, de chargésd'affaires, de consuls généraux chargés d'affaires,etc., lesquels sont assistés de conseillers, de secrétai-
res et d'attachés d'ambassade et de légation, d'atta-
chés militaires, etc. Des interprètes, appelés drog-
mans, sont attachés aux ambassades et légations, enOrient.
Origine des différents ordres de ministres publics.
Cette distinction entre les ministres publics n'a pasd'autre origine que la vanité des cours et des ministres
eux-mêmes, le besoin d'écarter les difficultés du céré-monial, et l'intérêt de se soustraire à des dépensésplus ou moins considérables.
Le droit des gens naturel ou universel ne connaît
point en effet de distinction de ministres publics en dif-férentes classes : il les considère tous comme chargésdes affaires de l'État qu'ils représentent, quant auxaffaires dont la gestion leur est confiée, et c'est decette qualité qu'il fait dépendre les différents droits
qu'il leur attribue.C'est le droit des gens positif qui a introduit plusieurs
classes ou ordres de ministres publics, que l'on distin-
0RI&DXE DES DIFFERENTS ORDRES DE MINISTRES 263
gue par la diversité du cérémonial qui leur estdû (1).
Gette distinction n'est pas ancienne.
On ne trouve d'abord dans l'Europe diplomatiquequ'une sorte de ministres publics, qualifiés tantôt dunom d'ambassadeurs, tantôt même de celui de procu-reurs.
Pour les affaires privées des princes, ceux-ci nom-
maient de simples agents. Dans des occasions de céré-monie ou de moindre importance, on envoyait des
gentilshommes. Ces derniers ne jouissaient, pas plusque les agents, du caractère et du cérémonial des mi-nistres publics.
Ce n'est que plus tard, lorsque, au XVe et surtout
au XVIe siècle, la vanité des cours et des ministres
poussa l'idée du caractère représentatif de l'ambassa-deur jusqu'au suprême degré, que l'éclat avec lequelcelui-ci devait paraître dès lors, les difficultés du cé-
rémonial, et les frais plus considérables qui en résul-
tèrent, surtout depuis qu'à la même époque quelquescours commencèrent à s'envoyer des ministres perma-
nents, donnèrent lieu à l'envoi d'un genre de ministres
publics de moindre dignité. On ne demandait pour ces
ministres, ni le grand cérémonial, ni le caractère repré-sentatif de la personne du monarque ; on les qualifiaitdu simple nom de résidents, et l'on commença à réser-
ver le nom d'ambassadeur pour ceux qui devaient pa-raître avec l'éclat du caractère représentatif, tel qu'onconcevait alors ce caractère. Mais ces résidents étaient
ministres publics ; en cette qualité, ils avaient incon-
testablement le pas sur les simples agents pour les
affaires privées, quand même ceux-ci auraient été
quelquefois chargés d'une commission de l'État, ce quine pouvait pas manquer d'arriver de temps en temps.
Dans la première moitié du XVIIe siècle, on com-
mença à accorder à de simples gentilshommes envoyés
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1831, chap. III, t. Ier,P.54.
264 ORIGINE DES DIFFÉRENTS ORDRES. DE MINISTRES
un cérémonial de légation, d'abord assez vague, se
rapprochant ou s'éloignant plus ou moins du cérémo-
nial de l'ambassadeur, Successivement, et surtout de-
puis le commencement du XVIIIe siècle, le cérémonial
de ces gentilshommes envoyés devint un peu plusfixe. Dans la plupart des cours, ces envoyés furent
considérés comme ministres d'un rang-beaucoup infé-
rieur à celui des,ambassadeurs, mais aussi plus relevé
que le rang des simples résidents (1).Ainsi donc, dans l'origine, le titre de résident était
donné à tous les ministres publics qui n'étaient pas
ambassadeurs ; mais commeil paraît qu'on le considéra
comme peu honorifique, on introduisit celui d'envoyé
qu'on- donna aux ministres à qui l'on voulait conférer
un degré plus haut de considération.
On a, depuis, sans augmenter le nombre dès ordres
de ministres, multiplié celui des dignités des ordres
inférieurs, en nommant des ministres avec le Caractère
de ministres plénipotentiaires, de ministres résidents-,de ministres chargés affaires, etc., etc.
En résumé, la création des classes distinctes d'agents
diplomatiques est, d'origine moderne : elle a été intro-duite, pour satisfaire la vanité des États, des gouver-nements, et des diplomates, pour épargner les frais sicoûteux des ambassades proprement dites, et pouréviter les contestations entre les ministres publicsdes différents princes, en ce qui. concerne le rang (2).
(1).Le Guide diplomatique, même édition, chap. m, t. Ier, p. 54,53 et suiv. G. F. de Martens, Précis du droit des gens modernede l'Europe, édition, citée, liv. VII, chap. II, § 191, t. II, p. 47 etsuiv.
(2) Rien n'est confus et contradictoire comme l'énumérationet la définition des employés diplomatiques,dans les vieuxauteurs. Merlin, invoquant le témoignage de Wicquefort, citeaprès les ambassadeurs: lès envoyés, les résidents, les ministres,les agents, les chargés d'affaires. Les envoyés, dit-il, sont desministres, publics du second ordre, qui représentent leur nation,même quant à sa dignité, mais d'une manière imparfaite. Quantaux résidents, ce sont ceux qui, bien que munis de lettres decréance
comme les envoyés, ne représentent aucunement lapersonne de leurs maîtres dans sa dignité, mais seulement dans
REGLEMENT DE VIENNE SUR LE RANG DES MINISTRES 265
Réglement sur le rang entre les agents diplo-
matiques, fait à Vienne en 1815.
Le réglement fait à Vienne, le 19 mars 1815, a fixéle rang des agents diplomatiques, pour ce qui regardeles représentants des huit Puissances signataires du
ses affaires. Merlin cite encore une quatrième sorte de ministrespublics qui s'est, dit-il, établie assez récemment : ce sont ceux
qu'on appelle simplement ministres. On leur a donné ce nom,pour marquer qu'ils sont revêtus de la qualité générale de man-dataires d'un souverain, sans aucune attribution spéciale derang et de caractère. Cette nouveauté, ajoute. Merlin, qui ne re-monte pas même au temps où écrivait Wiequefort, puisqu'iln'en fait aucune mention, est due aux difficultés pointilleusesdu cérémonial. Aujourd'hui, pour éviter ces contestations, on a
soin, dans les occasions où l'on a heu de craindre qu'elles ne se
rencontrent, d'envoyer des ministres à qui l'on ne donne aucundes trois caractères, connus, et qui, par cette raison, ne sont
assujettis à aucun cérémonial réglé, comme, de leur côté, ils ne
peuvent non plus exiger aucun traitement particulier. Il paraîtqu'avant qu'on eût introduit les dénominations d'envoyés, derésidents et de ministres, on donnait le titre, d'agents à ceux
qu'on ne voulait pas revêtir de la qualité d'ambassadeurs. Il ya aussi, disait. Henri Etienne, un autre mot nouvellement venu
d'Italie, touchant celui auquel on ne veut faire qu'à-demi l'hon-neur d'ambassadeur : car on l'appelle agent, et principalementquand il est envoyé à un prince qui est moins que roi. Wicquefortdit, de son côté : « Il n'y a pas cinquante ans qu'on ne connais-
sait point d'autre ministre, après l'ambassadeur, que l'agent ". Etil ajoute : « La signification du mot agent marque que ce n'est
qu'un faiseur d'affaires » ; appréciation qui est partagée parVattel. Ces deux auteurs reconnaissent toutefois que les, agentsavaient droit, en considération du prince qu'ils servaient, à une
protection plus particulière que les autres étrangers, et que les
souverains auprès desquels ils étaient employés leur devaientquelques égards. Enfin on distinguait aussi les chargés d'affaires,dont la qualité, dit Merlin, n'avait aucune affinité avec celle
d'agent : « Le chargé d'affaires est sous la protection du droit des
gens ; il jouit de tous les avantages utiles qui sont attachés au
caractère de ministre. Sa personne est inviolable comme cellede l'ambassadeur ; il traite les affaires politiques, comme celui-
ci, et la signature de l'un équivaut à celle de l'autre... Au sur-
plus, le titre de chargé d'affaires, quoique beaucoup plus relevé
que celui d'agent, est constamment inférieur à la qualité de mi-
266 RÈGLEMENT DE VIENNE SUR LE RANG DES MINISTRES
traité de Paris de 1814 ; l'Autriche, l'Espagne, la
France, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Prusse,la Russie et la Suède. Ce règlement est aujourd'hui
universellement adopté (1). En voici le texte :
« Pour prévenir les embarras qui se sont souvent
« présentés et qui pourraient naître encore des prê-
" tentions de préséance entre les différents agents di-
" plomatiques, les plénipotentiaires des Puissances
" signataires du traité de Paris sont convenus des ar-
« ticles qui suivent, et ils croient devoir inviter Ceux
« des autres têtes couronnées à adopter le même ré-
« glement.« Article 1er. — Les employés diplomatiques sont
« partagés en trois classes :
« Celle des ambassadeurs, légats ou nonces ;« Celle des envoyés, ministres ou autres, accrédités.
« auprès des souverains ;« Celle des chargés d'affaires, accrédités auprès des
« ministres chargés des affaires étrangères.« Article 2. — Les ambassadeurs, légats ou nonces,
« ont seuls le caractère représentatif.« Article 3. — Les employés diplomatiques en mis-
" sion extraordinaire n'ont, à ce titre, aucune supério-« rite de rang-
" Article 4. — Les employés diplomatiques prêt-
" dront rang entre eux dans chaque classe, d'après la
" date de la notification officielle de leur arrivée. Le
nistre. » On voit par ces citations que si les dénominations d'en-
voyés, de résidents, de ministres, d'agents, de chargés d'affaires,ont servi pour désigner des employés diplomatiques inférieursaux ambassadeurs, le caractère de ces employés a beaucoupvarié, puisqu'il fut un temps où l'on ne connut pas d'autre minis-tre, après l'ambassadeur, que l'agent, qui, plus tard, a été réduitau simple rôle de « faiseur d'affaires ». Voir Merlin, Répertoire,v° Ministre public, sect. I, nos II, III, IV, V, VI.
(1) Esperson répète, d'après Le Guide diplomatique, que laPorte Ottomane seule n'a pas accepté cette classification, etqu'elle divise les agents diplomatiques en trois classes : les am-bassadeurs, les ministres, les chargés d'affaires (Ouvrage cité,n° 64, p. 47).
REGLEMENTDE VIENNE SUR LE RANG DES MINISTRES 267
" présent règlement n'apportera aucune innovation« relativement aux représentants du pape.
« Article 5. — Il sera déterminé, dans chaque État,« un mode uniforme pour la réception des employés" diplomatiques de chaque classe.
et Article 6. — Les liens de parenté ou d'alliance de« famille entre les cours ne donnent, aucun rang àleurs« employés diplomatiques. Il en est de même des al-
" liances politiques.« Article 7. — Dans les actes ou traités entre plu-
« sieurs Puissances qui admettent l'alternat, le sort dé-« cidera entre les ministres, de l'ordre qui devra être« suivi dans les signatures.
" Le présent, réglement est inséré au protocole des
" plénipotentiaires des huit Puissances signataires du« traité de Paris dans leur séance du 19 mars 1815. »
Suivent, dans l'ordre alphabétique, les signaturesdes plénipotentiaires.
Ainsi donc, d'après ce réglement, trois classes
d'agents diplomatiques : 1° les ambassadeurs, légats et
nonces ;2° Les envoyés, ministres ou autres agents, tels que
ministres plénipotentiaires, internonees, etc., accrédi-
tés auprès des souverains, disons mieux, auprès des
chefs d'États ;3° Les chargés d'affaires, accrédités auprès des mi-
nistres des affaires étrangères.La classification des agents diplomatiques est donc
basée sur cette distinction : sont-ils ou non accrédités
auprès d'un chef d'État, ou seulement auprès d'un mi-
nistre des affaires étrangères ? Et, quant à ceux qui
sontaccrédités auprès d'un chef d'État, sont-ils ambas-
sadeurs, légats ou nonces, ou ont-ils d'autres titres,
d'autres qualifications ? S'ils sont ambassadeurs, légats
ou nonces, ils occupent le premier rang ; s'ils ont d'au-
tres qualifications, d'autres titres, ils sont placés au
rang inférieur.
Quand les rédacteurs de l'article 2 du réglement de
Vienne disent que les ambassadeurs, légats ou nonces
PROTOCOLE D'AIX-LA-CHAPELLE 268
« ont seuls le caractère représentatif », ils se placent
au point de vue monarchique de l'ancien droit public :
ils expriment l'idée que ces agents diplomatiques re-
présentent la personne du monarque. Mais nous savons
ce qu'il faut penser de cette idée. Qu'est-ce que repré-senter la personne du monarque? Est-ce agir d'aprèsses ordres, dans ses intérêts privés, ou dans les inté-
rêts de la nation ? Il est évident que ce n'est point agirdans les intérêts privés du prince : ce ne serait pasune représentation diplomatique, ce serait une affaire
privée. C'est donc agir dans l'intérêt de la nation.
Mais, alors, en quoi cette représentation diffère-t-ellede celle des autres agents diplomatiques? Nous som-
mes ramenés toujours au même principe, qui est celui
du droit public contemporain : un agent diplomatique,
quel qu'il soit, ne représente jamais que les intérêts de
son pays.Si l'on veut absolument trouver un sens actuel à
l'article du réglement du 19 mars 1815, il faut prendrele mot représenter (représentatif), dans le sens d'être
la figure de quelque chose, de quelque personne, et
dire alors que les ambassadeurs, non-seulement repré-sentent leur propre pays dans les affaires qui sont
l'objet de leur mission, mais encore, représentent la
majesté, la dignité, la personnalité de leur souverain,du chef d'État,qui les a accrédités, tandis que les mi-nistres publics des autres classes ne représentent quel'État dont ils sont les agents diplomatiques. Cette dis-
tinction n'a dès lors d'importance qu'au point de vue du
cérémonial.
Protocole des conférences d'Aix-la-Chapelle, du 20
novembre 1818, au sujet des ministres résidents.
Autrefois tous les États, à l'exception des cours deVersailles et de Vienne, assimilaient les ministres ré-sidents aux envoyés. Aux termes de l'article 1er du ré-
glement de Vienne du 19 mars 1815, ils devaient doncêtre placés dans la seconde catégorie, puisqu'ils
DIFFERENTES CLASSES DE MINISTRES PUBLICS 269
étaient accrédités près des chefs d'États. La nature deleurs lettres de créance faisait, d'eux les derniers parmiles ministres, et non les premiers parmi les chargésd'affaires. Toutefois, leur caractère de cérémonie avaitété l'objet de discussions. Il fut question d'eux au
congrès d'Aix-la-Chapelle, qui eut lieu en 1818.Le protocole du 21 novembre 1818 est ainsi conçu,
au sujet du rang des ministres résidents:
« Pour éviter des discussions désagréables qui« pourraient avoir lieu à l'avenir sur un point d'éti-« quette diplomatique que l'annexe du recès (1) de« Vienne, par laquelle les questions de rang ont été
" réglées, ne paraît pas avoir prévu, il est arrêté« entre les cinq cours (2) que les ministres résidents«accrédités auprès, d'elles formeront, par rapport à« leur rang, une classe intermédiaire entre les minis-« tres de second ordre et les chargés d'affaires. »
Les ministres résidents ont donc une position inter-
médiaire. Ce ne sont pas des envoyés, ce ne sont pasdes chargés d'affaires, mais l'acte qui leur attribue
leur titre les fait participer au caractère des envoyésbien plus qu'au caractère des chargés d'affaires. Les
ministres résidents forment donc une classe moyenneentre les ministres publies du deuxième rang et ceux
du troisième.
Combien existe-t-il de classes de ministres publics?
En résumé, pour les États qui ont concouru ou
adhéré au règlement de Vienne de 1815 et au protocole
d'Aix-la-Chapelle de 1818, il existe donc quatre classes
de ministres:
1° Les ambassadeurs, légats et nonces, accrédités
auprès des chefs d'États, et représentant : les ambassa-
deurs, la majesté et la personne même de leur souve-
(1) Le mot recès est synonyme de délibération, de décision.
(2) Les cinq cours étaient celles d'Autriche, France, Grande-
Bretagne, Prusse et Russie.
270 DIFFÉRENTES CLASSES DE MINISTRES PUBLICS
rain ; les légats et nonces, la majesté et la personnedu pape comme chef de l'Église catholique romaine ;
2° Les envoyés, ministres plénipotentiaires, envoyésordinaires et extraordinaires, les internonces du pape,l'internonce autrichien à Constantinople, etc., accré-
dités également auprès des chefs d'États, mais ne re-
présentant pas la majesté, la personne de celui qui les
a envoyés, ne représentant que leur gouvernement,ne représentant que les intérêts de leur pays, les in-
térêts généraux qui leur ont été confiés.
C'est cette seconde classe qui forme la règle. Les
ambassadeurs sont légèrement au-dessus d'elle ; lesclasses suivantes ne l'atteignent pas tout-à-fait.
3° Les ministres résidents accrédités aussi auprèsdes chefs d'États. C'est la classe intermédiaire intro-duite en 1818.
4° Les chargés d'affaires, accrédités auprès des mi-
nistres des affaires étrangères.Ces diverses classes sont égales entre elles sur tous
les points essentiels ; les différences qui les séparent,survenues seulement, comme il a été dit, depuis le
XVe siècle, ne se rapportent, à proprement parler,qu'à la position à la cour, au cérémonial, au rang :ce qui est la conséquence d'un grand préjugé, car, ense plaçant au point de vue de la saine raison, la hiérar-chie des agents diplomatiques doit se fonder sur la
nature, l'importance de leur mission, et non sur lacourtoisie plus ou moins grande dont ils sont l'objet.
En ce qui concerne, les chargés d'affaires, il faut re-
marquer que leur rang est le même, lorsqu'on leurconfère le titre, mais non la qualité d'envoyés.
On peut joindre aux chargés d'affaires les consuls
chargés d'une mission diplomatique particulière do-leur gouvernement.
Les envoyés d'étiquette et de cérémonie ne repré-sentent que la personne du chef d'État qui les envoie.Ils ne peuvent s'occuper officiellement des affairesd'Etat qu'en vertu de pouvoirs spéciaux, et ils cessent
LES AMBASSADEURS 271
dans ce cas d'être de simples envoyés de cérémonies
et d'étiquette.
Enfin, les agents diplomatiques en mission extraor-
dinaire n'ont, à ce titre, en vertu de l'article 3 du rè-
glement de Vienne de 1815, aucune supériorité de
rang : on ne peut donc plus fonder de prétentions sur
le titre d'envoyé extraordinaire, si l'on s'en tient aux
termes de ce réglement.Il est bien entendu que les dispositions du réglement
du 19 mars 1815 et du protocole du 21 novembre 1818,n'existent que pour les États qui ont été parties aux
congrès de Vienne et d'Aix-la-Chapelle, et pour ceux
qui les ont adoptées depuis. Elles forment aujourd'huiune règle à peu près univervellement admise ; cepen-dant un État n'est pas obligé d'avoir des ministres de
toutes les classes : il y en a peu qui aient des am-
bassadeurs ; c'est, répétons-le, la seconde classe quiconstitue la règle. Chaque gouvernement est, d'ail-
leurs, maître d'établir chez lui les distinctions qu'ilveut dans son service des affaires étrangères : le rè-
glement de Vienne et celui d'Aix-la-Chapelle n'empê-chent pas chaque État de fixer, selon qu'il le juge à
propos, la hiérarchie du corps diplomatique.
Ministres publics de lre classe. — Les ambassadeurs.
On range dans la première classe des ministres pu-
blics les ambassadeurs (1), les légats et les nonces du
pape. Le Bailo de l'ancienne République de Venise,
envoyé à Constantinople, était à la fois ambassadeur
et consul général.
(1) En espagnol « embajadores ; » en italien « ambaciatori, «
peut-être par une dérivation du mot espagnol "enviar" envoyer,ou du mot latin du moyen âge " ambactia ; " en allemand :
« ambacht. » Pinheiro-Ferreira croit trouver l'étymologie de ce
mot dans l'allemand : « ein Botschaffter » qui veut dire un mes-
sager, et voici comment, de dérivation en dérivation, on serait (arrivé aux mots ambassadeur, " embajador, " « ambacia-
tore » « ein-bo-tscha-fter, » te em-ba-cia-tor, » « am-ba-cia.
tore, » « am-bas-sa-deur. »
272 LES AMBASSADEURS
Les ambassadeurs sont les ministres publics, les
agents diplomatiques auxquels le chef d'État a attri-
bué, avec l'agrément du gouvernement qui les a re-çus, le caractère cérémonial du plus haut degré. Ilssont censés, d'après la théorie qui à encore cours,représenter la personne de leur souverain, ils ont droit
aux mêmes honneurs, ils peuvent traiter personnelle-ment avec le chef de l'État près duquel ils sont accré-dités. Observons" toutefois que la représentation n'est
pas complète, car, quelque honneur qu'on rende à un
ambassadeur, on ne peut jamais le traiter comme ontraiterait un souverain en personne. Quant au droit deconférer personnellement avec le chef de l'État, nousverrons plus tard à quoi se réduit cette prérogative,dans nos temps de gouvernements représentatifs.
Vattel expose de la manière suivante l'origine dela fiction de la représentation de la personne du
monarque par l'ambassadeur, et Tout ministre répré-sente en quelque façon son maître, Comme tout pro-cureur ou mandataire représente son constituant. Mais
cette représentation est relative aux affaires ; le minis-tre représente le sujet dans lequel résident les droits
qu'il doit manier, conserver et faire valoir, les droits
dont il doit traiter, en tenant la place du maître. Dans la
généralité, et pour l'essentiel des affaires ; en admet-
tant cette représentation, on fait abstraction de la di-
gnité du constituant. Les souverains ont voulu ensuitese faire représenter non seulement dans leurs droits
et pour leurs affaires, mais encore dans leur dignité,leur grandeur et leur prééminence... » (1). C'est en effetde la monarchie qu'a dû sortir cette fiction, parce quece n'est que dans les monarchies qu'il peut être ques-tion de représenter la personne du chef ou plutôt du
maître de l'Etat. Les républiques ont imité l'exemple.Mais autres sont les principes du droit public con-
temporain. Suivant eux, il n'y a pas d'autre souverain
(1) Vattel, Le droit des gens, etc., édition annotée par PradierFodéré, t. III, p. 231.
LES AMBASSADEURS 273
que la nation. La nation seule est souveraine, mais,
pour l'exercice de la souverainté, elle délègue ses
pouvoirs à un mandataire qui portera le nom d'empe-
reur, de roi, de grand-duc, de duc, de prince, de pré-sident de république, peu importe : ces présidents,
princes, ducs, grands-ducs, rois, empereurs, ne sont
que des mandataires, chargés de gérer les intérêts
nationaux. Pour ce qui regarde les intérêts extérieurs,Os emploient, des sous-mandataires, qui sont ce qu'onnomme les agents diplomatiques ou ministres publics.Comme pour gérer, discuter et défendre les intérêts
extérieurs, il faut se mettre nécessairement en rela-
tions avec les autres gouvernements et leurs agents,il découle de ces relations l'obligation de se soumettre
à des règles d'étiquette, de cérémonial, qui prévien-nent, le froissement des susceptibilités et concilient les
égards : d'où la nécessité d'une classification des
agents, à laquelle puisse correspondre chaque degré
d'étiquette ; et comme, dans toute classification, il y a
des degrés supérieurs et des degrés inférieurs, il doit
y avoir des agents diplomatiques de premier degré, de
second, de troisième et de quatrième degrés. Au pre-mier degré correspondent des honneurs, une étiquette,un cérémonial qui vont en s'amoindrissant à mesure
qu'on s'éloigne de ce degré et qu'on descend vers les
ordres inférieurs ; mais, en même temps, à ce cérémo-
nial, à cette étiquette, à ces honneurs correspondent,un faste, une somptuosité, des dépenses, qui s'élèvent
de plus en plus, à mesure qu'on remonte des derniers
degrés jusqu'au degré supérieur.Les ambassadeurs sont précisément les agents diplo-
matiques de ce degré, à qui des honneurs particulierssont dus, et qui doivent jouir de prérogatives spéciales.
Pinheiro-Ferreira a exprimé l'espoir que les lumières
du siècle feront enfin disparaître des cadres diplomati-
ques ces agents qui, n'ayant aucun but réel qui les dis-
tingue des autres ordres, ne sauraient, suivant lui, quecontribuer à entretenir les idées d'une fausse aristo-
cratie, aussi incompatible avec l'économie d'une sage18
274 LES AMBASSADEURS
administration qu'avec lès principes de tout gouverne-
ment libéral. La réalisation de cet espoir répondraitau voeu de l'esprit contemporain. Il est certain qu'il ne
devrait plus y avoir, de nos jours, qu'un seul ordre de
ministres publics, puisque ces derniers ne représen-tent plus un maître, mais seulement les intérêts de
leur nation, et que les nations seules sont souverai-
nes. Il est vrai, de plus, que la différence entre les
ministres du premier ordre et des autres ordres n'est
pas substantielle, et qu'elle ne se rapporte qu'au céré-
monial, qui n'est pas égal dans tous les pays ; mais,si l'on supprimait toutes les catégories des mi-
nistres publics, et si l'on n'admettait plus qu'uneseule classe confondant tous les agents diplomati-
ques, n'y aurait-il pas à craindre de voir renaître
les querelles d'étiquette, de préséance, de céré-
monial entre les membres des corps diplomatiquesdes différents pays, querelles que la classification des
ministres publics, dans les temps modernes et contem-
porains, à eu principalement pour objet de prévenir ?
Au reste, les ambassades proprement dites sont de-
venues, de nos jours, beaucoup plus rares. Aujourd'hui,l'envoi d'ambassadeurs est surtout une question de
faste et de luxe. Les Puissances préfèrent, en général,en grande partie pour des raisons d'économie, se faire
représenter, même auprès des grandes cours, par des
ministres d'un rang moins élevé : c'est ainsi que, paréconomie, les États-Unis d'Amérique n'entretiennent
pas d'ambassadeur. L'Angleterre entretient des ambas-sadeurs à Paris, à Saint-Pétersbourg, a Constantinople.
La France a des ambassadeurs à Londres, Vienne,Berlin, Madrid, Constantinople, Saint-Pétersbourg,Berne et deux à Rome. Le titre d'ambassadeur a toute-fois été Supprimé momentanément par le gouverne-ment français, pendant la république de 1848 ; mais ila été rétabli peu de temps après.
Les ambassadeurs sont ordinaires ou extraordi-naires. Cette distinction sert essentiellement à dési-gner les missions permanentes et celles qui n'ont pour
LES AMBASSADEURS 275
but qu'une négociation particulière, une mission d'éti-
quette, de cérémonie ; mais répétons encore que la
qualification d' extraordinaire s'accorde souvent mêmeà des ambassadeurs destinés à résider auprès d'unecour pour un temps indéterminé, et que c'est alors une
qualification purement honorifique, donnée pour assu-rer à celui qui la reçoit les honneurs exceptionnels etla supériorité de rang que, malgré l'article 3 du règle-ment de Vienne, on serait disposé à accorder auxambassadeurs extraordinaires sur les ambassadeursordinaires. Les ambassadeurs de l'empire d'Allema-
gne, d'Autriche-Hongrie, d'Espagne, de Grande-Bre-
tagne et Irlande, de Russie et de Turquie, à Paris, por-tent le titre d'ambassadeurs extraordinaires et plénipo-tentiaires.
Le caractère représentatif des ambassadeurs et ce-
lui des autres agents diplomatiques, a été fixé dans un
rapport du ministre des affaires étrangères de France,adressé au président de la République française, le 19
avril 1880, et approuvé par ce dernier. Ce rapport est
ainsi conçu : et Le protocole usité, depuis le 4 septem-« bre 1870, dans les décrets de nomination de nos
« agents diplomatiques à l'étranger, n'est pas conforme
" aux anciens règlements. Ces agents sont qualifiés :
« ambassadeur, ministre plénipotentiaire ou envoyé« extraordinaire de France, tandis qu'ils devraient,« conformément à la règle constamment suivie avant
« 1870, s'appeler : ambassadeur, ministre plénipoten-« tiaire ou envoyé extraordinaire de la République
" française.« Il est à remarquer en effet que les agents diplo-
« matiques ont un caractère représentatif qui leur con-
« fère des droits de préséance exceptionnels. Ils re-
« présentent le gouvernement qui les a envoyés ; dans
« les États monarchiques, l'ambassadeur représente« la personne même du souverain. C'est pourquoi les
« agents diplomatiques des différentes monarchies eu-
« ropéennes s'intitulent : ambassadeur ou ministre de
« sa majesté impériale ou royale. En France, sous les
276 LES LÉGATS ET LES NONCES
« divers régimes qui se sont succédés, les agents se
« sont appelés, selon les cas : ambassadeur ou ministre
te du roi, de l'empereur, de la république. Si cette tradi-
« tion a été interrompue à partir de 1870, c'est sans doute
« à cause du caractère contesté qu'avait alors la forme
" du gouvernement. Ce motif ayant disparu, il con-
" vient de rentrer dans la règle et de reprendre la
" qualification normale ».
Afin d'établir de l'uniformité dans le protocole de la
représentation de la France à l'étranger, le ministre
des affaires étrangères a donc proposé de décider queles agents diplomatiques français actuellement en fonc-
tions, modifieront leur titre et remplaceront la quali-fication d'ambassadeur ou ministre de France, par celle
d'ambassadeur ou ministre de la République française.Le ministre des affaires étrangères a fait une réserve,en ce qui concerne les agents consulaires, et lesquelsn'ont pas le même caractère représentatif ». Ces agentsétant chargés des intérêts des nationaux et portant le
nom du pays qui les envoie, il n'y avait aucun motif,suivant le ministre, de changer la désignation de con-sul de France, qui a été employée sous tous les régimes.
N'est-il pas intéressant de voir le ministre des af-faires étrangères de la République française, recon-
naître que " l'ambassadeur représente la personne mê-
me du souverain » dans les États monarchiques, et
accepter cette théorie absolument contraire à la doc-trine démocratique, qui est la doctrine de l'avenir.
Les légats et les nonces.
Les légats et les nonces sont les ambassadeurs du
pape. Leur mission est ecclésiastique ; ils ne repré-sentent plus le souverain pontife que comme chef de
l'Église catholique romaine. Leur importance et leur
rang sont indépendants du maintien du pouvoir tem-
porel du pape.Les légats ne sont généralement nommés que parmi
les cardinaux ; ce sont des membres du Sacré-Collége,
LES LEGATS ET LES NONCES 277
ou des princes de l'Église, que le pape charge de mis-sions spéciales et envoie dans les pays catholiques,pour exercer en son nom les fonctions spirituellesdépendant de sa qualité de chef de l'Église. Ils sontdonc des ambassadeurs extraordinaires.
Les légats sont dits à latere ou de latere, parceque, comme cardinaux, ils siègent dans les conseils du
saint-père, ils sont à ses côtés, ad lotus, et leurmission les enlève de leur place ordinaire, à latere,de latere (1). Les légats à latere ne sont envoyés
que dans les circonstances les plus solennelles ou les
plus graves. C'est ainsi qu'un légat à latere vint à
Paris, au commencement de ce siècle, pour règler les
questions que soulevait le rétablissement du culte ca-
(1) Les canonistes comptent trois espèces de légats : les légats« à latere », les légats envoyés, « legati missi, » et les légats nés,« legati nati ». Les légats « à latere » tiennent le premier rangparmi ceux qui sont honorés de la légation : c'est dans le Sacré-
Collège que le souverain pontife choisit ceux à qui il confie la
plénitude de sa puissance. Les « legati missi » sont ceux quisont honorés de la légation sans être cardinaux ; les « legatinati » sont des archevêques aux sièges desquels est attachée la
qualité de légat : la légation n'est pour eux qu'un titre d'hon-neur qui ne leur donne ni prééminence, ni fonctions. Les rois deFrance ont de tout temps mis des entraves à l'exercice des facul-tés des légats. « Nous ne saurions trop déplorer avec l'abbé
Fleury, dit Merlin, les maux qu'ont causés à l'Église les léga-tions de la cour romaine. C'étaient des mines d'or pour les
cardinaux, et ils en revenaient chargés dé richesses. On lit dansles cahiers du tiers-état de l'assemblée des États tenue à Tours,en 1484 : « Sont venus trois ou quatre légats qui ont donné de
merveilleuses évacuations à ce pauvre royaume, et voyait-onmener les mulets chargés d'or et d'argent ». Selon l'abbé Fleury,le scandale occasionné par l'avarice, le faste et l'insolence des
légats, les réglements qu'ils faisaient au préjudice de l'ancienne
discipline, leur attention à croître le despotisme de la cour quiles envoyait, la cessation des conciles, tels ont été les fruits deces ambassades trop fréquentes et trop solennelles. Il attribue àla même cause la prééminence des cardinaux sur les archevê-
ques et évêques, si contraire à l'institution de Jésus-Christ. Voir
Merlin, Répertoire, v° Légats.
278 LES LÉGATS ET LES NONCES.
tholique, après, les événements dela Révolution fran -
çaise (1).Les nonces ne sont pas nommés parmi les cardinaux-.
Ils étaient de véritables ambassadeurs ordinaires quele pape chargeait de le représenter, n'importe pour
quelles affaires, auprès, des chefs d'États. C'était le
titre de nonce, qui déterminait le rang.Les ambassadeurs des. Puissances catholiques cé-
daient autrefois le pas et le rang aux nonces du pape.Le règlement de Vienne, a maintenu, nous l'avons vu,cet usage : bien que les employés diplomatiques; doi-vent prendre rang entre aux, dans chaque classe,
d'après, la date de la notification officielle de leur
(1) Voici l'arrêté relatif aux formalités à observer par le cardi-nal Caprara, légat à latere, pour l'exercice des facultés énoncéesdans labulle de légation du 24 août, 1801 ( 6 fructidor an IX) :«Art. 1er. Le cardinal Caprara, envoyé, en France avec le titrede légat à latere, est autorisé à exercer les facultés énoncéesdans la bulle donnée à, Rome, le lundi 6 fructidor an IX, à lacharge de se conformer entièrement aux règles et usages obser-vés en France en pareil cas, savoir : 1° Il jurera, et promettra,suivant la formule usitée, de se, conformer aux lois de, l'État etaux. libertés de l'Église gallicane, et de cesser ses fonctionsquand il en sera averti par le premier consul de la République ;2° aucun acte de la légation ne pourra, être rendu public, ni misà exécution, sans la permission du gouvernement, ; 3° le cardinallégat ne pourra commettre, ni déléguer personne sans la mêmepermission ; 4° il sera obligé de tenir ou de faire tenir registre detous les actes de la légation ; 5° sa légation finie, il remettra fie.registre et le sceau de sa légation au conseiller d'État chargé detoutes les affaires concernant les cultes, qui les, déposera auxarchives du gouvernement ; 6° il ne pourra, après la fin de, lalégation, exercer directement ou indirectement, soit en France,soit hors de France, aucun acte relatif à l'église gallicane, »« Art. 2. La bulle du pape, contenant les pouvoirs du cardinallégat, sera transcrite en latin et en français sur les registres duConseil d'État, et mention en sera faite, sur l'original, par le secré-taire du Conseil d'État; elle sera insérée au Bulletin des lois." Dansl'ancienne France, les bulles délégation étaient vérifiées par leparlement; aujourd'hui, ce droit n'appartient plus aux tribu-naux, mais les bulles de légation, comme toutes les expéditionsde la cour de Rome, ne peuvent avoir aucun effet, ni même êtrepubliées ou imprimées en France, sans une autorisation préala-ble du gouvernement donnée sur l'avis du Conseil d'État.
DROIT D ENVOYER DES AMBASSADEURS 279
arrivée, les nonces ont donc conservé la préséancesur les autres ambassadeurs des États catholiques,même quand ils sont arrivés les derniers.
M. Esperson leur conteste aujourd'hui, ce droit: il
soutient que la disposition du règlement de Vienne
n'est plus applicable, depuis que le Saint-Siège a perdule caractère de Puissance séculière. Il enseigne que, si,en Italie, les envoyés du pape jouissent d'une protec-tion spéciale, en vertu de la loi des garanties, cette loi
n'existant pas dans les autres pays, les nonces ponti-ficaux doivent y être soumis au droit commun ; et que,
par la même raison, si les Puissances catholiques con-
tinuent de permettre que leurs envoyés accordent la
préséance aux représentants du Saint-Siège, c'est uni-
quement par respect pour le chef de l'Église, et non
parce qu'elles y seraient juridiquement tenues (1 ). Cette
doctrine des auteurs italiens a déjà été combattue ;nous avons insisté sur le point que les rapports des
différents États avec le pouvoir spirituel des papes ont
un caractère international incontestable ; que l'impor-tance et le rang des envoyés pontificaux sont indé-
pendants du maintien du pouvoir temporel ; que ces
envoyés n'ont par conséquent pas cessé d'avoir le
caractère d'agents diplomatiques, et qu'il n'y a donc
pas de raison pour considérer comme inapplicable le
paragraphe 2 de l'article 4 du règlement de Vienne et
l'usage que la disposition de cet article a consacré.
Le droit d'envoyer des ministres de première classe
n'appartient-il qu'aux États qui peuvent prétendreaux honneurs royaux?
On discute en théorie, plutôt qu'en fait, la questionde. savoir si le droit d'envoyer des ministres de pre-mière classe n'appartient qu'aux États pouvant pré-tendre aux honneurs royaux. En principe, répétons-
le, on ne voit pas pourquoi les États ne jouissant point
(1) Esperson, ouvrage cité, n° 76, p. 51.
280 DROIT D'ENVOYER DES AMBASSADEURS
des honneurs royaux ne pourraient pas envoyer des
agents diplomatiques de la première classe : tous les
États étant juridiquement égaux, ne doivent-ils pas
avoir en effet le droit de se faire représenter à l'étran-
ger comme il leur paraît convenable? Oui, tout souve-
rain a un droit égal à se faire représenter, aussi bien
au premier degré qu'au second et au troisième, car la
dignité des nations indépendantes est essentiellement
la même, et car un État faible et indépendant est aussi
bien souverain que le plus puissant État. Il est évident
que tout prince, que tout État véritablement souverain,
doit donc avoir le droit d'envoyer des ambassadeurs ;
or, s'il a ce droit, on ne doit pas pouvoir, en principe,
refuser à ses ambassadeurs les égards et les honneurs
que l'usage attribue particulièrement au caractère dont
ils sont revêtus.
La pratique des États ne s'est cependant pas en-
core prononcée dans ce sens. Ce qui a lieu, en
fait, c'est, qu'aucune Puissance jouissant des hon-
neurs royaux ne reçoit chez elle, en qualité de minis-
tres de première classe, les agents diplomatiquesd'une Puissance qui ne jouirait pas des mêmes hon-
neurs. Ainsi donc, en fait, le droit d'envoyer des
agents diplomatiques de première classe est ré-servé aux États gouvernés par des têtes couron-
nées, par des princes souverains jouissant deshonneurs royaux, par de grandes républiques (1).
(1) Les anciennes républiques de Gênes et de Venise n'en-voyaient que des ambassadeurs. Les États-Unis d'Amérique nese font représenter que par. des envoyés extraordinaires et mi-nistres plénipotentiaires, système plus conforme aux gouverne-ments républicains et monarchiques-représentatifs.— Sous lamonarchie de la branche cadette, en France, après 1830, onn'admettait que des ministres résidents ou des chargés d'affairespour représenter les cours grand-ducales ou ducales. Au reste,jamais le titre d'ambassadeur n'a été pris, en France, par lesministres des petits princes d'Allemagne, ni même par ceux desélecteurs. On l'admettait cependant encore sous les rois Louis
« XVet LouisXVI, à l'égard des princes d'Italie, de l'ordre deMalte, et de quelques autres princes de la même classe. On a
MINISTRES DE LA SECONDE CLASSE 281
Mais cette pratique n'est fondée sur aucun principejuridique.
Ministres publics de la seconde classe. —
Envoyés, étc.
Le règlement de Vienne de 1815 place dans la se-conde catégorie des ministres publics tous les agents
diplomatiques accrédités auprès des chefs d'Etats,autres que les ambassadeurs, les légats et les nonces.Ce second ordre se compose donc :
1° des envoyés soit simplement qualifiés du titre
d'envoyés, soit qualifiés du titre d'envoyés extraordi-
naires, ou même d'envoyés extraordinaires et minis-tres plénipotentiaires ;
2° des internonces du pape ;3° de l'internonce autrichien à Constantinople.Tout agent diplomatique accrédité auprès d'un chef
d'État étant rangé dans la seconde classe des minis-tres publics par le réglement de Vienne, les résidents
faisaient donc partie de cette catégorie, puisque, eux
aussi vu Louis XIV reconnaître l'ambassadeur du duc Charlesde Lorraine, et permettre qu'il se couvrît en lui parlant. Mais ce
n'ètaient là que des exceptions, et la règle générale a toujoursété de ne traiter les envoyés dès petites souverainetés, quelquetitre que leur donnassent leurs commettants, que comme mi-nistres de second ordre. Voir Merlin, Répertoire, V° Ministre
public, sect. II, § II, n° I. Cette partie du cérémonial français aété critiquée par Wiequefort et par Vattel. « Il est manifeste, ditce dernier, que tout souverain a un droit égal de se faire repré-senter, aussi bien au premier degré qu'au second et au troi-
sième, et la dignité souveraine mérite, dans la société des na-
tions, une considération distinguée. » Merlin fait la réponse sui-vante à Vattel : « Tout souverain a le droit de se faire repré-senter au premier degré : nous admettons le principe. Tout sou-verain a donc le droit d'envoyer des ambassadeurs : cela estencore incontestable. Mais conclura-t-on de là que tous les sou-verains ont également le droit d'exiger qu'on rende les mêmeshonneurs aux ambassadeurs par lesquels ils se font représen-ter ? » Merlin ne l'admet pas ainsi, et la pratique des États luidonne raison (Ibid.).
282 ENVOYÉS ORDINAIRES ET EXTRAORDINAIRES
aussi, sont des agents diplomatiques accrédités auprèsdes chefs d'États. Mais on a vu que le protocole du
congrès d'Aix-la-Chapelle, du 21 novembre 1818, en a
fait une. classe, intermédiaire, epire la seconde et la
troisième, pour couper court aux contestations quiavaient eu lieu à cet égard.
Le caractère, de ces différents agents est :
1° d'être accrédités auprès des chefs d'États ;2° de ne pas représenter la dignité, personnelle, l'in-
dividualité de leur souverain ;
3° de ne représenter que l'État, que le gouverne-ment qui les envoie, relativement aux affaires pour les-
quelles ils sont mandataires ou porteurs de pouvoirs.
Envoyés ordinaires. — Envoyés extraordinaires. —
Envoyés extraordinaires et plénipotentiaires.
Il y a donc plusieurs sortes d'envoyés, au point de
vue, du qualificatif. Le mot envoyé est le terme gêné-
rique ; l'envoyé est l'agent diplomatique du secondordre.
L'envoyé ordinaire est le ministre public du second
ordre, en mission permanente.h'envoyé extraordinaire est l'agent diplomatique
du second ordre, en mission non permanente, tempo-raire.
En donnant aux mots leur signification vraie, le mi-nistre plénipotentiaire est un ministre public muni de
pleins pouvoirs. Par conséquent, l'envoyé extraordi-naire et ministre plénipotentiaire serait un agent di-
plomatique du second ordre, en mission non perma-nente et muni dé pleins pouvoirs. Ce double titre esten effet très-suuvent conféré à la même personne,smuitanément.
On ne dit pas, habituellement: envoyé ordinaire ;mais simplement : envoyé. Ainsi donc, lorsqu'on trouvele mot envoyé sans qualificatif, cela veut dire : en-voyé en
mission permanente, envoyé ordinaire.'
Ce n'est que vers le milieu du XVIIIe siècle, que le
ENVOYES ORDINAIRES ET EXTRAORDINAIRES 283
cérémonial a rangé les ministres plénipotentiaires dansla même classe que les envoyés. Ils ont été traités enministres publics, de deuxième classe, d'abord par la
France, en 1738, ensuite par l'Autriche, en 1740.L'observation a déjà été faite à plusieurs reprises,
que la qualification d'extraordinaire est quelquefoisdonnée comme un titre d'honneur à des ministres,
publics en mission permanente, par conséquent à desministres ordinaires.
Pinheiro Ferreira raille ces dénominations , non
sans justesse. Nous ferons observer, dit-il, au sujetdes pleins, pouvoirs et du titre de, plénipotentiaire, quece. sont de, ces expressions inventées par la vanité,
pour en imposer au vulgaire; car personne n'ignoreque ce sont des phrases, sans signification, ce titre
n'ajoutant rien au titre précédent d'envoyé extraordi-
naire. L'épithète d'extraordi naire, sans, être plus signi-ficative, est encore plus contradictoire, lorsqu'on sait
que celui qui la porte est destiné à rester en perma-nence à la cour où il est accrédité. Au reste, il n'y a
pas moins de contradiction à donner, le titre, de pléni-
potentiaire à un agent dont les pouvoirs sont presque
toujours limités. Les négociateurs ont, pour, l'ordi-
naire, les mains tellement liées, qu'à chaque pas quefont les négociations il sont obligés de recourir à leurs
gouvernements. Plus les instructions semblent laisserde latitude à l'habileté du négociateur, plus le risquede se compromettre le met dans la nécessité de nejamais faire un pas en avant sans s'assurer, au préa-
lable, de l'assentiment de sa cour (1).
(1) Voir dans l'édition du Droit des gens de Vattel, annotée
par Pradier-Fodéré, la note 1, sous le § 73 du livre IV, chap. VI,t. III, p. 237. La France accrédite des envoyés extraordinaires etministres plénipotentiaires auprès des gouvernements des payssuivants : Confédération Argentine, Belgique, Brésil, Chili, Chine,
Danemark, États-Unis d'Amérique, Grèce, Japon, Maroc, Para-
guay (en résidence à Buénos-Ayres), Pays-Bas, Pérou, Perse.
Portugal, Roumanie, Serbie, Suède et Norwège.
284 LES INTERNONCES
Internonces.
Les internonces sont les envoyés du pape. Ils ap-
partiennent à la seconde classe des ministres publics.C'est par erreur que M. de Bielfeld, dans ses Insti-
tutions politiques (1), range les internonces dans la
troisième classe, et les nonces dans la seconde.
Le titre d'internonce désignerait aussi les auditeurs
de nonciature, ou secrétaires de légation attachés aux
missions du pape, lorsqu'ils remplissent par intérim
les fonctions de nonce.
L'Autriche envoie un internonce à Constantinople,
depuis le règne de Léopold 1er (1678). L'internonce
autrichien est un envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire, quant au grade ; aussi le titre d'inter-
nonce ne confère-t-il à cet agent diplomatique aucuns
privilèges autres que ceux attachés au grade d'envoyéextraordinaire. Or, on sait que, d'après l'article 3 du
règlement de Vienne de 1815, les employés diploma-tiques en mission extraordinaire n'ont, à ce titre,aucune supériorité de rang.
Ministres publics de la troisième classe.— Résidents.
La troisième classe des ministres publics se com-
pose des résidents. C'est la classe intermédiaire créée
à Aix-la-Chapelle, en 1818.On peut se rendre compte des embarras et discus-
sions désagréables que le protocole du 21 novembre1818 a eu pour objet de prévenir, au sujet du classe-ment des résidents, en lisant le paragraphe suivant de
Vattel. " Le terme de résident ne se rapportait autre-fois qu'à la continuité du séjour d'un ministre, et l'onvoit dans l'histoire des ambassadeurs ordinaires dé-
signés par le titre seul de résidents. Mais, depuisque l'usage des différents ordres de ministres s'est
généralement établi, le nom de résident est demeuré à
(1) T. II, 175, n° 22.
MINISTRES DE LA TROISIEME CLASSE 285
des ministres d'un troisième ordre, au caractère des-
quels on attache, par un usage également, reçu, unmoindre degré de considération. Le résident ne repré-sente pas la personne du prince dans sa dignité, maisseulement dans ses affaires. Au fond, sa représenta-tion est de la même nature que celle de l'envoyé ; c'est
pourquoi on le dit souvent ministre du second ordre,comme l'envoyé, ne distinguant ainsi que deux ordres
de ministres publies : les ambassadeurs, qui ont lecaractère représentatif par excellence, et tous les mi-
nistres qui ne sont pas revêtus de ce caractère émi-
nent » (1).Rien ne saurait mieux que ce passage donner une
idée de l'incertitude et de la confusion qui régnaientdans les esprits au sujet de la situation d'étiquette des
ministres publics désignés sous le nom de résidents.
Aujourd'hui il n'y a plus d'embarras : les résidents
forment une classe intermédiaire de ministres publicsaccrédités auprès des souverains, entre la seconde
classe et la dernière (2).Il convient toutefois de remarquer que le congrès
d'Aix-la-Chapelle n'avait pas besoin de créer une nou-
velle classe d'envoyés. L'annexe du recès de Vienne
avait tout prévu : il avait en effet très-formellement
compris les ministres résidents dans sa classification,
puisqu'il avait compris parmi les agents diplomatiquesde la deuxième classe les ministres plénipotentiairesou autres accrédités auprès des souverains.
(1) Le Droit des gens, de Vattel, édition citée, § 73, liv. IV,chap. VI, t. III, p. 236.
(2) Klüber distingue entre les ministres résidents et les simplesrésidents. Les ministres résidents, dit-il, jouissent,dans quelquescours, de certaines prérogatives refusées aux simples résidents.Droit des gens moderne de l'Europe, édition citée, § 182, note b,p. 263.
C'est, en vérité, pousser bien loin le goût des distinctions etdes classifications.
286 MINISTRES DE LA QUATRIÈME CLASSE
Ministres publics de la quatrième classe. — Chargésd'affaires.
La quatrième classe des ministres publics comprendles chargés d'affaires, accrédités seulement auprèsdes ministres des affaires étrangères, et les consuls
chargés d'une mission diplomatique particulière de
leur gouvernement.Le titre de ministre chargé d'affaires, comme dési-
gnation d'un genre particulier de ministre, a été rare-
ment donné. Le chargé d'affaires suédois à Constan-
tinople fut le premier qui, en 1874, ait été revêtu de
ce titre. Mais, qu'il ajoute ou non à son titre de chargéd'affaires la qualification de ministre, cet agent diplo-
matique n'en est pas moins rangé dans la dernière
classe des ministres publics. Le point caractéristique-de cette dernière classe, c'est d'être accrédité auprèsdes ministres des affaires étrangères.
On distingue deux sortes de chargés d'affaires :
1° Ceux qui ont été accrédités par lettres du minis-
tre des affaires étrangères de leur pays, près un autreministre des affaires étrangères ;
2° Ceux qui ne remplissent qu'un service intéri-
maire, pendant l'absence de leur chef de mission, etdont une lettre directe de leur gouvernement n'est
pas venue confirmer les pouvoirs accidentels.En d'autres termes, les chargés d'affaires sont, ou
chefs de mission permanente, ou chargés d'affaires
par intérim.On envoie des chargés d'affaires comme chefs de
mission permanente, dans les pays où l'on ne peut, oubien où l'on ne veut pas accréditer des agents diplomati-ques d'autres classes. Leurs lettres de créance sontdirectement adressées au ministre des affaires étran-gères du pays où ils sont envoyés. C'est d'eux queparle le règlement de Vienne, dans le dernier paragra-phe de son article premier. Ils ont la préséance surles autres chargés d'affaires qui n'ont qu'un servicetemporaire.
OBSERVATION GÉNÉRALE 287
Leschargés
d'affaires par intérim sont ceux quisont présentés comme tels, soit par écrit, soit de vivevoix, au
ministre des affaires étrangères par les chefsde mission de première, de deuxième ou de troisièmeclassé, lorsqu'ils se disposent à quitter leur postetemporairement ou définitivement. D'ordinaire, c'estun conseiller ou un secrétaire de légation qui est pré-senté, le plus souvent verbalement, comme chargéd'affaires par intérim.
Les chargés d'affaires ne diffèrent pas substantiel-lement des ambassadeurs, des envoyés, des résidents-:ils sont de véritables agents diplomatiques, ils repré-sentent leur propre nation et jouissent de garantieségales (1).
Observation générale au sujet des quatre classésde ministres publics.
Une observation générale qui a déjà été faite au
sujet de ces quatre ordres de ministres publics, maissur laquelle on ne saurait trop insister, c'est que ladiversité du rang n'établit en effet aucune différenceentre tous ces agents, par rapport à leurs fonctionsdiplomatiques, à leur droit de négocier et à la validitédes actes dressés par eux. Ils sont tous égalementrevêtus d'un caractère public et officiel qui leur
assure, au même titre et au même degré, la jouissancedes immunités et privilèges que le droit internationalgarantit aux ambassadeurs. Il n'y a entre eux et les
ambassadeurs d'autres distinctions que celles relativesà certaines prérogatives honorifiques et d'étiquette.
(1) Merlin rappelle qu'il y avait autrefois, à la cour de France,trois ministres étrangers qui n'étaient connus que sous la déno-
mination de chargés d'affaires : c'étaient ceux de l'électeur de
Trêves, de l'électeur dé Cologne et du grand-duc de Toscane.Louis XIV lui-même entretenait habituellement un chargé d'affai-res à Malte, un autre prés les ligues suisses, et un toisième prèsla république du Valais. Voir Merlin, Répertoire, v° Ministrepublic, sect. I, § VI. La France a actuellement un chargé d'affairesen Bavière et au Monténégro.
288 RANG DES MINISTRES PUBLICS ENTRE EUX
Il a été déjà dit aussi que le chef d'État qui envoie un
ministre public est maître de le ranger dans l'une ou l'au-
tre des quatre classes, mais qu'il est d'usage à peu prèsuniversel dans la pratique internationale : 1° d'envoyer à
un État étranger un ministre de la classe à laquelle ap-
partient celui que cet État a lui-même envoyé ; 2° de'ne pas envoyer des ministres de la première classeaux États inférieurs, et de n'en pas recevoir d'eux. La
règle générale, qui comporte très-peu d'exceptions,est que les États se traitent sur le pied de la récipro-cité.
Points de vue sous lesquels on peut considérer la
question du rang des ministres publics.
La question du rang des ministres publics peut être
considérée sous différents points de vue. On peut
envisager leur rang :
1° Entre eux ;2° Vis-à-vis de tierces personnes.Entre eux, on peut considérer leur rang :
1° En lieu tiers ;2° Dans leur propre hôtel.
Du rang des ministres publics entre eux : 1° enlieu tiers.
L'article 4 du règlement de Vienne de 1815 porteque les employés, diplomatiques prendront rang entre
eux, dans chaque classe, d'après la date de la notifi-tion officielle de leur arrivée. En d'autres termes, le
rang des agents diplomatiques entre eux se détermine,dans chaque classe, par leur ancienneté respective,c'est-à-dire abstraction faite du degré d'importance del'État qu'ils représentent, par la date de la notificationau ministre des affaires étrangères de l'arrivée de l'a-gent diplomatique, laquelle notification doit être accom-pagnée de la copie de la lettre de créance. Cette règleest un hommage rendu au principe de l'égalité juridiquedes États. Il y est fait cependant une exception en fa-
RANG DES MINISTRES PUBLICS ENTRE EUX 289
veur des nonces. Le second paragraphe de l'article 4du règlement de Vienne dispose en effet, ainsi qu'on l'a
vu, que le présent règlement n'apportera aucune inno-vation relativement aux représentants du pape. C'étaitune consécration de l'usage observé par la diplomatied'accorder aux nonces le pas sur les ambassadeurs-
Ainsi donc, le ministre public qui arrive le dernierAune cour n'a pas à s'occuper de la qualité des Puis-sances représentées, mais uniquement de la date à
laquelle ses collègues ont notifié leur arrivée et re-mis copie de leurs lettres de créance. Les cabinetsse bornent à prendre acte de cette date (1). Ils per-mettent même à leurs agents diplomatiques de pren-dre rang suivant cette date, après les ministres des
gouvernements qu'eux-mêmes ne reconnaissent pasofficiellement. Ce cas s'est présenté souvent entre
les ministres -espagnols et les envoyés des républi-
ques américaines, avant la reconnaissance de cesÉtats à Madrid, et, plus récemment, entre les en-
voyés de l'Espagne et du Portugal, que les cours dunord n'avaient pas reconnus, et les ministres de cescours (2).
Les internonces du pape ont-ils le pas sur les envoyéset ministres ordinaires et extraordinaires des autres
Puissances ?
Le second paragraphe de l'article 4 du règlement de
Vienne dispose, ainsi qu'il a été dit, qu'aucune innova-
tion ne sera apportée par ce règlement en ce qui con-
cerne les représentants du pape. Cette disposition s'ap-
(1) Nous savons qu'aux termes de l'article 6 du règlement
pénivien du 5 avril 1878, c'est une des attributions du chef de la
section diplomatique du ministère des relations extérieures, de
faire imprimer et distribuer, tous les trois mois, une liste des
agents diplomatiques étrangers résidant à Lima, énonçant la
date de présentation des lettres de créance et le personnel com-
posant chaque mission.
(2) Garcia de la Véga, ouvrage cité, p. 132, note 1.
19
290 RANG DES MINISTRES PUBLICS ENTRE EUX
pique-t-elle aux internonces comme elle s'applique
aux nonces?
La question a été résolue négativement par lord
Palmerston, en 1849. L'internonce du pape à La Haye,
se fondant sur la décision du congrès de Vienne, avait
réclamé la préséance sur les autres envoyés de la
seconde classe des ministres publics accrédités auprèsde la cour des Pays-Bas. L'agent diplomatique de
l'Angleterre n'avait pas cru devoir céder le pas sans yêtre autorisé par sa cour. Lord Palmerston lui prescrivitde maintenir sa préséance. Il se fondait sur ceci: 1° l'ex-
ception du second paragraphe de l'article 4 du règle-ment du congrès de Vienne ne s'applique qu'aux non-
ces ; or, les exceptions ne peuvent être étendues au-
delà des termes qui les énoncent ; 2° l'exception dont il
s'agit ne fait que confirmer le statu quo antérieur :
c'est-à-dire qu'elle maintient la préséance aux nonces,
qui seuls en étaient en possession avant le règlement.On a vu que la même solution a été donnée, en juillet
1878, par le corps diplomatique étranger accrédité à
Lima, à propos de M. Mario Moncenni, envoyé extra-
ordinaire du pape, délégué apostolique.
Règlement de la préséance, dans le cas où des agents
diplomatiques déjà en fonctions remettent de nou-
velles lettres de créance, à l'occasion d'un même
événement.
On demande comment se règle la préséance, lorsque,à l'occasion d'un même événement, par exemple à lamort d'un souverain, ou lors du changement de formed'un gouvernement, des agents diplomatiques déjà enfonctions ont remis de nouvelles lettres de créance?Est-ce la date de la remise des anciennes lettres, oubien la date de la remise des nouvelles lettres qui fixela préséance ?
Il paraît généralement admis que c'est la date de laremise des anciennes lettres.
En 1830, après la révolution de juillet, il fut con
RANG DES MINISTRES PUBLICS ENTRE EUX 291
venu entre les chefs de missions, que, malgré la datede la remise de leurs nouvelles lettres de créance, ilscontinueraient, d'occuper entre eux le rang que chacund'eux avait avant cette époque. En 1848 et en 1852cet arrangement fut maintenu : les agents diplomati-ques accrédités à Paris ont conservé le rang qu'ilsavaient à la date de la remise de leurs premierstitres (1). Il en est de même partout. En Belgique, aprèsl'avènement du roi actuel, Léopold II, nonobstant laremise de nouvelles lettres de créance, le corps diplo-matique étranger accrédité à Bruxelles a conservé sonordre antérieur de préséance, et la remise de nou-velles lettres par les agents belges à l'étranger n'arien changé au rang qu'ils occupaient dans le corpsdiplomatique près la cour du pays où ils étaient accré-
dités. Le gouvernement n'a, du reste, rien à voir à ces
arrangements: c'est aux chefs de missions à décider ce
qu'il leur convient de faire.
Les chargés d'affaires accrédités par lettres du mi-
nistre des affaires étrangères, ont-ils la préséancesur ceux qui ne remplissent qu'un service intéri-
maire ?
Par analogie avec ce qui a lieu pour les ministres
publics des trois premières classes, les chargés d'af-
faires règlent le rang entre eux par la date de la
remise de la lettre officielle et régulière de leur minis-
tre des affaires étrangères, qui les légitime. Ceux qui ne
sont pas accrédités par une lettre, ceux qui ne remplis-sent qu'un service intérimaire, n'ont que des pouvoirs
temporaires et accidentels, dont la courtoisie et l'usagedes États où ils résident leur garantissent seuls le libre
exercice.
(1) Garcia de la Véga, ouvrage et édition cités, p. 133. —Esperson soutient, au contraire, qu'en 1848, après la révolutionde février, et en 1832, après le coup d'État, le rang des ministresaccrédités à Paris fut établi par la date de la présentation de
leurs nouveaux titres (ouvrage cité, n° 77, p. 52).
292 RANG DES MINISTRES PUBLICS ENTRE EUX
La conséquence de cela, c'est que la préséance doit
appartenir aux chargés d'affaires accrédités par lettre
du ministre des affaires étrangères, puisqu'ils ont sur
leurs collègues qui ne remplissent qu'un service inté-
rimaire l'avantage d'être revêtus, par lettres directes
de leur gouvernement, du caractère qu'ils déploient.
Cette distinction est généralement admise, mais elle
ne l'est pas universellement, et elle ne l'a pas été tou-
jours. Ainsi, l'on peut citer l'exemple d'une difficulté
qui s'est présentée à Bruxelles, il y a plusieurs années.
M. Casimir Périer était chargé d'affaires par intérim
de France ; M. le comte de Dietrichstein était chargéd'affaires d'Autriche. M. Casimir Périer, se fondant sur
son ancienneté, ne voulut point céder le pas au chargéd'affaires autrichien. M. le comte de Dietrichstein re-
fusa de reconnaître la préséance, du chargé d'affaires
par intérim français. Pour éviter toute difficulté, les
deux diplomates passèrent en se donnant le bras (1).
Résumé.
Le rang des ministres publics entre eux, en lieu
tiers, se détermine donc :
1° Par la classe à laquelle ils appartiennent, sans
avoir-, en général, égard au rang de leur souverain;mais avec ce correctif qu'il n'est pas loisible à un pe-tit État d'accréditer, suivant son bon plaisir, des agentsd'un rang élevé, car, pour accréditer, il faut le Con-cours de deux volontés : celle de l'État qui envoie etcelle de l'État qui reçoit.
2° Dans chaque classe, par la date de la remise offi-cielle des lettres de créance, ou plutôt par la date dela notification au ministre des affaires étrangères de
(1) Garcia de la Véga, ouvrage et édition cités, p. 135. — En1824, il a été décidé par le gouvernement français que leschargés d'affaires temporairement chargés des fonctions de mi-nistres plénipotentiaires, devraient prendre rang avant les ré-sidents.
RANG DES MINISTRES PUBLICS ENTRE EUX 293
l'arrivée, de l'agent diplomatique, notification accom-
pagnée de la copie de la lettre de créance.
Une juste observation est faite, à propos de ces
questions de rang et de préséance, par Klüber : c'est
qu'un ministre doit tâcher de maintenir, dans toutes
les occasions, la dignité et les droits de son gouverne-
ment, de son pays, autant qu'ils sont fondés sur l'éga-lité naturelle, sur des traités ou sur l'état de posses-sion, en faisant toujours en sorte que le progrès des
négociations ne soit point retardé, et qu'il ne soit point
porté atteinte à la politesse et à la bonne intelligencedes gouvernements et des États (1).
Ce qui vient d'être dit n'a concerné que les minis-
tres publics de différents États, en lieux tiers. Mais
comment le rang se règle-t-il entre ministres publicsd'un même État, les uns vis-à-vis des autres? Il se règle
d'après la volonté et les ordres du gouvernement quiles accrédite.
Un chef d'État envoyant à la même cour plusieursministres du même, ordre et du même titre est en droit
dérégler lui-même le rang à observer entre eux.
Habituellement, l'ordre dans lequel les différents mi-
nistres sont nommés dans leurs pouvoirs ou lettres de
créance suffit pour déterminer le rang qu'ils tiendront
entre eux, bien qu'ils appartiennent à la même classe.
Du rang des ministres entre eux : 2° dans leur
propre hôtel.
Les questions de rang des ministres entre eux, dans
leur propre hôtel, se présentent particulièrement à l'oc-
casion des visites de cérémonie.
Chez eux, les ministres publics de la même classe
accordent le pas, la main d'honneur, au visiteur, sans
égard aux rapports de rang entre les chefs d'États :
ainsi le demande la courtoisie (2).
(1) Klüber, ouvrage et édition cités, § 220, p. 314, 313.
(2) Quoique jadis l'empereur d'Allemagne n'accordât pas, à sa
294 RANG DES MINISTRES VIS-A-VIS DE TIERS
Les ministres publics de première classe n'accordent
dans leur propre hôtel et dans les circonstances offi-
cielles, dans les cas de cérémonie stricte, aux ministres
des classes inférieures à la leur, ni le pas, ni la main
d'honneur, ni aucune autre prérogative relative au
rang.Les ministres publics de deuxième classe accor-
dent le pas, la main d'honneur, dans leur hôtel et dans
les circonstances de cérémonie, aux ministres de troi-
sième et de quatrième classes, par courtoisie; mais il
faut remarquer que les réceptions de stricte cérémonie
sont peu d'usage entre eux, ou, du moins, fort rares.
Du rang des ministres publics vis-à-vis de tierces
personnes.
Les questions de rang des ministres publics vis-à-
vis de tierces personnes ont donné lieu souvent à beau-
coup de difficultés. C'est ainsi que les ministres publicsde première classe ont prétendu avoir rang immédiate-
ment après les princes du sang impérial ou royal ; qu'ilsont prétendu avoir droit à la préséance sur tous les
princes régnants d'un rang inférieur à celui de leur
maître; qu'il ont prétendu avoir le pas sur les cardinaux,comme tels. A ce dernier égard, un bref papal de 1750a décidé en faveur des cardinaux.
Les ministres de seconde classe, et même des autres
classes, ont souvent aussi fait valoir en faveur de leurs
prétentions de rang, non-seulement leur caractère
d'agents politiques, mais aussi les rapports de rang deleurs souverains, particulièrement vis-à-vis de l'État
auquel ils sont envoyés.Il n'y a pas de règles absolues sur ce point ; tout est
relatif en pareille matière. Les rapports de rang entreles ministres publics et des personnes tierces sont,
cour, la préséance aux électeurs en personne, ses ambassadeurscédaient néanmoins le pas, dans leur propre hôtel, aux ambas-sadeurs électoraux. Klüber, ouvrage et édition cités, § 221, nota
CONSULS GÉNÉRAUX-CHARGÉS D'AFFAIRES 295
d'ailleurs, ordinairement réglés, ou par des traités pu-blics, ou par des réglements du souverain auprès du-
quel les ministres sont accrédités (1).En ce qui concerne les préséances dans les cérémo-
nies publiques et les fêtes religieuses, au Pérou,il fautciter le décret du 29 août 1821, signé par San-Martin,
qui plaçait le corps diplomatique étranger, indistincte-
ment, entre les ministres d'État et les généraux de
mer et de terre, c'est-à-dire à la première place,à la droite du chef de l'État. Ce décret a été réformé
par ceux des 9 mars, 25 juin et 13 septembre 1822,16 septembre 1824, 26 février 1825, 24 juillet 1840,23 mars 1850, 22 juillet 1856. Un office du secrétariat
du Congrès général, en date du 10 juillet 1840, a déter-
miné la place que doivent occuper les agents diploma-
tiques étrangers dans les salles du Congrès. Il y est dit
que les agents diplomatiques représentent les gouver-nements qui les envoient, et que lorsqu'ils se trouvent
en concours avec la représentation nationale, ils doi-
vent être traités sur le pied de l'égalité (2).L'auteur du Guide diplomatique dit que dans une
maison diplomatique tout fonctionnaire du pays ayantun rang quelconque prend le pas sur les membres du
corps diplomatique, les ambassadeurs exceptés. Ceux-
là ne cèdent le pas qu'au ministre des affaires étran-
gères. Par contre, dans la maison d'un fonctionnaire
ou d'un dignitaire du pays, les diplomates prennentle pas sur tous les personnages du pays, le ministre
des affaires étrangères seul excepté (3).
Consuls généraux-chargés d'affaires.
Les consuls généraux-chargés d'affaires peuvent être
(1) Le baron Ch. de Martens dit que du commun assentimentdes gouvernements monarchiques, les fils et les frères des empe-reurs et des rois ont le pas sur les ambassadeurs. Le Guide di-
plomatique, édition de 1866, § 42, t. Ier, p. 133.
(2) Collection d'Oviédo, t. IV, p. 312 et suiv.
(3) Le Guide diplomatique, chap, VII. § 42, édition 1866, t. 1er,p. 133.
296 DÉPUTÉS ET COMMISSAIRES
considérés comme appartenant au corps diplomatique.Ils sont accrédités, en Amérique, par les États euro-
péens, de la même manière que les chargés d'affaires
le sont en Europe. Ils sont donc dans la même, catégo-
rie, jouissent du même caractère diplomatique, signentles conventions et correspondent, pour tout ce quiconcerne la politique, avec la direction politique, du
département des affaires étrangères.
Quoique, en général, ils soient recrutés dans le corps
consulaire, on les choisit quelquefois parmi les secré-
taires de légation.Ces agents occupent, en réalité, une position inter-
médiaire entre le corps diplomatique et le corps consu-
laire. Un consul général-chargé d'affaires est le der-
nier parmi les chargés d'affaires, et il a le pas sur les
consuls généraux.La France a un consul général-chargé d'affaires dans
la République de Guatemala, dans les États-Unis de
Colombie, dans l'Uruguay, le Venezuela et à Tunis.
Députés et Commissaires.
Quant aux députés et commissaires, rappelons ce quenous avons dit : c'est que ce titre seul ne leur donne, ni
ne leur ôte les prérogatives de ministres. Ils ne sont pasministres publics en titre, lors même qu'ils sont envoyésà l'étranger ; mais cette qualité peut leur être attribuée
par leur souverain, ainsi que cela se pratique quelque-fois pour des commissaires envoyés par des États afin de
régler les limites ou pour procéder à des liquidations.Tout dépend de la question de savoir jusqu'à quel
point leur constituant a pu et voulu leur attribuer lecaractère de ministres publics.
CHAPITRE VIII
Composition du personnel diplomatique dans différents
pays. — La diplomatie russe.—Le personnel diplomatiquefrançais. — Rapport et ordonnance du 16 décembre1832. —
Rapport et ordonnance du ler mars 1833. —
Rapport adressé le 15 mars 1848 par le ministre des af-faires étrangères français au Gouvernement provisoire,sur les titres à donner aux agents diplomatiques de la
République française. — Circulaire du 31 juillet 1853, sur
la coopération des attachés diplomatiques, libres aux tra-
vaux de chancellerie. — Décret du 18 août 1856 relatif au
nombre et à la classification des secrétaires d'ambassade.— Réglement du mois d'avril 1860. — Positions diverses
des agents et fonctionnaires du. ministère des affaires
étrangères., en France. — Le corps diplomatique an-
glais. — Le corps diplomatique belge. — Confédéra-tion Argentine. — Chili. — États-Unis de Colombie.— Equateur, etc. — Le corps, diplomatique péruvien. -Décrets du 31 juillet 1846. — Loi du 9 novembre 1853. -Loi du 25 mai 1861, — Mémoire de. M. Pachéco, du 15 fé-
vrier 1867, au Congrès, constituant. — Mémoire de M. D.
Juan-Manuel Polar, au Congrès de 1868. — Projet de ré-
forme présenté le 4 novembre 1868. — Décret du 13 juin
1871. — Loi du 28 avril 1873. — Exemples d'envoi de
missions extraordinaires, de missions temporaires, d'a-
gents confidentiels, de commissaires, etc., tirés de l'his-
toire diplomatique du Pérou. — Retour au sujet princi-
pal. — Rémunération des services des agents diplomati-
ques. — Choix des ministres publics. — Choix de la
classe des ministres à envoyer. — Choix du nombre des
ministres à envoyer.— Droit de décider si l'on réunira
ou non plusieurs missions dans le même ministre public,— Choix de la personne du ministre public. - Nationa-
lité du ministre. — Age du ministre. - Religion du mi-
298 LA DIPLOMATIE RUSSE
nistre. — Condition sociale du ministre. — Sexe du mi-
nistre:— Secret des raisons qui peuvent avoir déterminé,
le gouvernement dans ses choix.— Refus de recevoir les
ministres publics. — Refus général.— Refus spécial. —
L'agréation. — Formalités de l'agréation.— Usage de
Vienne, de Berlin, de Saint-Pétersbourg. — Usage da-
nois. — Usage anglais. — Résumé.
Composition du personnel diplomatique dans diffé-
rents pays. — La diplomatie russe.
Le personnel diplomatique est organisé à peu prèsde la même manière dans les différents pays : il y a des
ambassadeurs, des ministres ou envoyés ordinaires,
qui prennent habituellement le titre d'envoyés extraor-
dinaires et ministres plénipotentiaires, ou simplementde ministres plénipotentiaires ; il y a des résidents, des
chargés d'affaires, etc., etc.; il y a aussi des ministres
extraordinaires, dans la vraie acception du mot.
La diplomatie russe offre toutefois un trait carac-
téristique : c'est qu'en Russie il y a, à vrai dire, peude diplomatie civile ; beaucoup de missions s'accom-
plissent par des aides-de-camp ou des officiers géné-raux, chargés de transmettre la pensée de l'empereur.Le czar étant le chef suprême de l'armée, de l'admi-nistration et de l'église, tous les pouvoirs dépendent de
lui, et, par conséquent, il se réserve la haute directionde ce qu'on appelle la chancellerie. Cette chancellerienomme des agents, qui, sous le titre d'ambassadeursou de ministres, représentent officiellement l'empereurà l'extérieur ; mais, indépendamment de ces agents of-ficiellement accrédités, le czar envoie encore très-fré-
quemment des aides-de-camp, sans autre mission paten-te que celle d'un voyage ou d'un compliment. Ces aides-
de-camp examinent, font des rapports aussi bien surles gouvernements et les populations qu'ils inspectent,que sur les agents même de la Russie.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS 299
Pour en rappeler un exemple, en 1811, l'aide-de-camp Czernitcheff fit deux ou trois voyages à Paris,sous prétexte de complimenter l'empereur Napoléonet de lui apporter des lettres autographes du czar ;puis il s'en retourna en Russie avec l'état de toutes lesforces militaires, qu'un employé lui avait livré au mi-nistère de la guerre : ce qui servit considérablement laRussie dans sa résistance de 1812.
Enfin, quand l'empereur de Russie entre en campa-gne, un grand nombre d'officiers généraux réunissentà leur titre militaire des missions et des services diplo-matiques. C'est ainsi que le comte Pozzo di Borgo sui-vait tout à la fois les opérations stratégiques et lesconventions des cabinets qui pouvaient en assurer le
développement, pendant la guerre d'invasion qui mit
fin au premier empire français. Au reste, les russes
qui voyagent ou qui séjournent dans un pays étrangeront presque tous une mission d'examen. Il en est de
même des allemands. La France est particulièrement
l'objet de leurs observations intéressées : les gouver-nements étrangers aiment assez obtenir des mémoires
sur chaque partie de l'administration publique fran-
çaise ; leurs agents font des tableaux politiques, des
statistiques militaires ou scientifiques, pour comparerles hommes et les faits. Tout cela est envoyé, recueil-
li, enregistré, mis en réserve, pour servir au besoin.
Ce sont des missions avouées ou non avouées qu'on
néglige un peu trop en France.
Le personnel diplomatique français.
L'arrêté du 3 floréal an III reconnaissait, en France,
quatre grades d'emplois diplomatiques : le grade
d'ambassadeur; celui de ministre plénipotentiaire ; ce-
lui de secrétaire de légation de première classe ; celui
de secrétaire de deuxième classe.
Rapport et ordonnance du 16 décembre 1832.
Cette classification des ambassades et des légations
françaises présentait des inconvénients qui ont été si-
'300 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
gnalés dans un rapport du ministre des affaires étran-
gères au roi Louis-Philippe, le 16 décembre 1832, et
auxquels il a été remédié par l'ordonnance de la même
date.
« D'une part, disait M. de Broglie, dans son rap-
port, cette classification n'est plus, et, à quelques
égards, elle n'a jamais été complétement en rapportavec l'importance des gouvernements auprès desquelssont accrédités les représentants de la France ; d'un
autre-côté, elle n'a pas assez de degrés, et, n'admettant
que des ambassadeurs et des ministres plénipoten-
tiaires, elle confond dans un titre commun des fonc-
tions tellement inégales qu'il est impossible de les as-
similer en réalité.
« Cet état de choses a souvent placé le départementdes affaires étrangères dans une situation embarras-
sante. Quelquefois, voulant appeler à un poste fort
important, mais revêtu d'un titre moins éminent, un
agent dont les talents diplomatiques n'étaient pas assez
utilement employés dans une mission décorée du
titre d'ambassade, il s'est trouvé arrêté par la répu-
gnance bien naturelle de cet agent à se placer dans
une position reconnue inférieure à celle qu'il occupait
précédemment; plus souvent encore,l'égalité du rangconféré à tous les chefs de mission qui ne sont pasambassadeurs a rendu impossible de graduer, de
combiner, les promotions de la manière la plus utile auservice. »
M. de Broglie proposait, pour remédier à cet état de
choses, un système dans lequel toutes les missions
diplomatiques françaises seraient partagées en quatreclasses déterminées par la gravité des intérêts que laFrance avait à soutenir auprès des gouvernements,par la puissance de ces gouvernements, par la naturedes relations qu'elle entretenait avec eux. L'appro-bation de cette organisation nouvelle a donné lieu àl'ordonnance du 16 décembre 1832, qui a partagé lesmissions diplomatiques de la France en quatre classes :la première, celle des ambassadeurs ; la seconde, celle
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS 301
des ministres plénipotentiaires ; la troisième, celledes ministres résidents ; la quatrième, celle des
chargés d'affaires. L'article 6 de l'ordonnance a disposé
que les emplois de ministres résidents, bien que for-mant une classe distincte de ceux de chargés d'affaires,
pourront, comme ces derniers, être immédiatementconférés aux premiers secrétaires d'ambassade.
Rapport et ordonnance du 1er mars 1833.
Après avoir régularisé la classification et fixé le
rang des chefs de ses missions diplomatiques, le gou-vernement français a jugé nécessaire de statuer égale-ment sur le nombre et la hiérarchie des agents su-bordonnés associés à leurs travaux, et appelés, sauf
certaines exceptions déterminées par des motifs d'in-
térêt général, à les remplacer un jour.Le Nombre des secrétaires d'ambassade et de léga-
tion était arrivé au point de dépasser les besoins du
service. Il en résultait que plusieurs d'entre eux ne
trouvant pas habituellement l'occasion de manifester
leur zèle d'une manière active, le département des
affaires étrangères était hors d'état d'apprécier la ca-
pacité d'une partie de ses agents, et, par conséquent,d'effectuer les avancements en proportion du mérite
et des services rendus. A cet inconvénient se joignaitl'inconvénient plus grave de faire participer un trop
grand nombre de personnes à des affaires qui, par leur
nature, exigent particulièrement ces habitudes de réser-
ve et de tenue si difficiles à acquérir dans un certain de-
gré, et inconciliables avec la vie oisive et dissipée à
laquelle pouvaient se laisser entraîner, dans une ambas-
sade trop nombreuse et, par conséquent, trop peu occu-
pée, quelques uns de-ceux qui la composaient. Enfin,la
répartition des secrétaires en trois classes, malgré l'i-
dentité presque absolue de leurs fonctions, avait poureffet d'entraver par d'inutiles délais la carrière de
ceux qu'il pouvait être utile d'appeler à des promotions
rapides, ou d'obliger à leur faire franchir les degrés
302 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
hiérarchiques avec une promptitude qui semblait fournir
un prétexte aux accusations de partialité et de faveur.
Ces inconvénients ayant été signalés au gouverne-ment français par le même ministre des affaires étran-
gères, M. de Broglie, dans un rapport du 1er mars
1833, il s'en suivit une ordonnance portant la même
date, et dont les dispositions : 1° réduisirent de plus du
tiers le nombre des secrétaires d'ambassade et de lé-
gation ; 2° les divisèrent en deux classes seulement ; 3°
dans les missions trop peu considérables pour justifierl'établissement d'un secrétaire, et dans celles dont les
travaux pouvaient exiger un plus grand nombre de colla-
borateurs que celui qui leur était assigné, autorisèrent le
gouvernement à placer, sous le titre d'attachés, des
employés rétribués faisant partie intégrante du corps
diplomatique, et y concourant de droit pour l'avance-
ment; 4° rappelèrent la nécessité de passer, pourarriver au grade de secrétaire de première ou de se-
conde classe, par chacun des degrés inférieurs.
Rapport adressé le 15 mars 1848 par le ministre des
affaires étrangères de France au Gouvernement pro-visoire, sur les titres à donner aux agents diplo-
matiques de la République française.
Un instant, le titre et l'emploi d'ambassadeur dispa-rurent en France. Le 15 mars 1848, M. de Lamartine,alors ministre des affaires étrangères, adressa au Gou-
vernement provisoire né de la révolution qui avaitrenversé le roi Louis-Philippe, le rapport suivant :
« Les gouvernements républicains et démocratiquesn'ont pas besoin, pour leurs relations diplomatiquesavec les Puissances étrangères, du prestige des titres',du luxe de la représentation, de la prééminence du
rang dans les cours. L'autorité morale de leurs agentsau dehors est dans le nom de la nation qu'ils représen-tent, leur luxe est dans leur simplicité, leur rang estdans leur titre, leur dignité est dans le respect qu'ilsinspirent et dans le respect qu'ils témoignent aux gou-
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS 303
vernements et aux peuples auprès desquels ils sont en-
voyés.«La République française ne saurait ramener trop tôt
à ces sentiments et à ces principes le système de la re-
présentation diplomatique. La simplification uniformedes titres et des agents doit être à la fois un signe ca-
ractéristique de sa nature républicaine et une mesure
d'économie par la réduction des traitements affectés
à ces hautes superfluités de la hiérarchie diplomatique.Un petit nombre de titres uniformes, modestes, clairs,
significatifs des quatre ordres de fonctions de nos
agents au dehors, voilà pour la caractérisation de
notre diplomatie. Des traitements suffisants, mais
bornés aux nécessités et aux convenances, voilà pourl'économie.... Mais, si un gouvernement populaire doit
être économe, un gouvernement démocratique ne doit
point accepter de services gratuits, car il ferait ainsi
des fonctions les plus politiques de la République le
monopole de l'aristocratie de fortune. La Républiqueveut être servie et représentée au dehors par tous les
citoyens dignes de la personnifier et capables de la
servir, sans acception de rang, de profession ou de for-
tune. Sous un gouvernement démocratique, toute car-
rière est ouverte à tous. En conséquence, le titre d'am-
bassadeur est supprimé, sauf les cas exceptionnels où
il conviendrait à la République de donner à son repré-sentant un caractère plus général et plus solennel,
comme, par exemple, pour la signature d'un traité eu-
ropéen, ou pour représenter la République dans un
congrès.« Les agents extérieurs de la République seront dé-
sormais : 1° les envoyés extraordinaires et ministres
plénipotentiaires de la République; 2° les chargésd'affaires ; 3° les secrétaires de légation ; 4° enfin les as-
pirants diplomatiques, qui remplaceront les attachés
payés et les attachés indemnisés actuels.
« Cette classe de jeunes élèves diplomates recevra
un traitement d'encouragement de l'État, pour aider
seulement les familles qui destinent leurs fils à la di-
304 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
plomatie, et pour donner à. tous les emplois diplomati-
ques une accessibilité véritable à la démocratie répu-blicaine que nous fondons sur l'égalité. »
Cette organisation fut éphémère : dès 1849 on en
revint, en France, au piincipe des ordonnances de 1832
et 1833.
Circulaire du 31 juillet 1853, sur la coopération
des attachés diplomatiques libres aux travaux de
chancellerie.
Une circulaire adressée par M. Drouyn de Lhuys,ministre des affaires étrangères, aux agents de la Fran-
ce à l'étranger, le 34 juillet 1853, a appelé les attachés
libres aux légations à concourir aux travaux des chan-
celleries, et à devenir ainsi les auxiliaires des secré-
taires et des attachés payés. «La coopération des atta-
chés libres, disait M. Drouyn de Lhuys, dans cette cir-
culaire, doit surtout être exigée pour les copies, les
transcriptions sur les registres, les traductions, les
légalisations de passeports, en un mot pour les affaires
de chancellerie, et je n'admettrai point que l'on ne
considère pas Comme un service essentiel un travail,
qui peut avoir moins d'intérêt que celui auquel les secré-
taires sont appelés, mais qui contribue surtout à intro-duire le bon ordre et la régularité dans l'expéditiond'affaires toujours importantes,lorsqu'elles affectent un
intérêt privé à l'étranger. Je suis convaincu, d'ailleurs,
qu'on n'aborde les questions politiques avec succès,
qu'après avoir subi l'épreuve plus difficile des affaires'
secondaires, et que les travaux de chancellerie ont
pour effet naturel d'obliger à des études qui sont la
première base d'une bonne éducation diplomatique....Je demande que la connaissance des langues étran-
gères, l'application à des travaux peut-être ardus et
ingrats, mais toujours utiles, deviennent la premièrecondition d'admission dans la carrière active, et monintention formelle est de ne l'ouvrir qu'à ceux dont lesconnaissances et l'application m'auront donné, par cette
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS 305
épreuve, des garanties certaines d'utile collaborationaux affaires que traitent nos légations et consulats à
l'étranger. »
Décret du 18 août 1856, relatif au nombre et à laclassification des secrétaires d'ambassade.
Un décret du 18 août 1856 a supprimé la classifica-tion par poste diplomatique des secrétaires d'ambas-sade ou de légation et le titre d'attaché payé. Il a dis-
posé que les secrétaires seront, à l'avenir, divisés entrois classes ; suivant le besoin du service, les secré-
taires pourront être attachés à des ambassades ou à
deslégations indistinctement, quelle que soit la classe à
laquelle ils appartiendront. Ainsi donc, selon ce décret,la position des secrétaires ne sera plus déterminée parle poste dont ils seront titulaires, mais par la classe à
laquelle ils appartiendront, et le ministre des affaires
étrangères aura toute latitude pour les envoyer dans
tel ou tel poste, selon les exigences dû service. Il n'yaura plus d'attachés payés'; les agents de ce grade re-
prendront lé titre de troisième secrétaire, qui leur était
précédemment attribué. Nul ne pourra être nommé se-
crétaire de troisième classe, s'il n'a été, au moins trois
ans, attaché à un poste diplomatique, ou s'il ne comptetrois ans de surnumérariat dans les bureaux du minis-
tère. Nul ne pourra être homme secrétaire de- deu-
xième classe, s'il n'a rempli au moins trois ans les fonc-
tions de secrétaire de-troisième classe, ou s'il n'a joui
pendant trois ans d'un traitement dans l'administra-
tion centrale du département des affaires étrangères.
Enfin, nul ne pourra être nommé secrétaire de pre-mière classe, s'il n'a été au moins trois ans secrétaire de
deuxième classe, ou s'il n'a été pendant trois ans ré-
dacteur dans les bureaux du ministère. Nul ne pourraêtre attaché surnuméraire plus de huit ans. Les atta-
chés surnuméraires seront licenciés en droit; ils de-
vront justifier d'un revenu ou d'une pension d'au
20
306 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
moins 6,000 francs (1). La loi de finances de 1872 a
réduit le nombre des secrétaires de première classe de
14 à 12, et celui des secrétaires de deuxième et de
troisième classe de 24 à 25. Un décret du 21 février
1880, visant l'ordonnance du 1er mars 1833 et le décret
du 18 août 1856, a subdivisé la seconde classe des
secrétaires d'ambassade en deux sections : la première
section comprendra les douze secrétaires d'ambassade
de deuxième classe composant la première partie du
tableau d'avancement de leur grade.
Règlement du mois d'avril 1860.
Aux termes d'un règlement du mois d'avril 1860, les
candidats au grade d'attaché au département des affai-
res étrangères (direction politique), devaient subir un
examen qui se composait d'une épreuve écrite et d'une
épreuve orale. L'épreuve écrite consistait : 1° dans un
exercice de traduction constatant que le candidat pos-sédait l'une des deux langues anglaise ou allemande ;2° dans une double dissertation sur une question de
droit des gens et sur un point de l'histoire diplomati-
que, depuis le congrès de Westphatie jusqu'au congrèsde Vienne inclusivement. L'épreuve orale portait sur
toutes les parties du programme, qui se composaitd'un examen sur les langues étrangères, sur des ques-tions de droit des gens et sur des questions d'histoire
diplomatique. Un arrêté du 10 juillet 1877, rendu surle rapport d'une commission chargée de réviser, con-
formément à l'article 9 du décret du 1er février 1877,les programmes des examens pour l'admission aux
grades d'attachés payés dans les services politique etconsulaire de l'administration centrale, de secrétairede troisième classe ou d'élève consul, a réglé le pro-gramme des examens diplomatiques et celui des exa-mens consulaires (2).
(1) Voir aussi la circulaire du 25 août 1856 de M. A. Walevreki,ministre des affaires étrangères.
(2) Voir plus haut, p. 29.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS 307
Indépendamment du personnel qui vient d'être indi-
qué, la France a des attachés militaires dans l'empired'Allemagne, en
Autriche-Hongrie, en Belgique, auDanemarck, en Espagne, dans le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et Irlande, en Italie, au Japon, dansles Pays-Bas, en Portugal, en Russie, en Suède et
Norwège, en Suisse, en Turquie.
Positions diverses des agents et fonctionnaires duministère des affaires étrangères.
Aux termes d'un décret du 24 avril 1880, les posi-tions diverses des agents et fonctionnaires du dépar-tement des affaires étrangères, en France, sont lessuivantes : l'activité, la disponibilité, le retrait d'em-
ploi. (Art. 1er.)L'activité comprend : 1° les agents et fonctionnaires
qui occupent un poste ou un emploi déterminé ; 2° les
agents et fonctionnaires chargés d'une mission ou de
travaux particuliers. Les uns et les autres peuvent être,soit à leur poste, soit en mission, soit en congé, soit
en permission, soit appelés par ordre, soit retenus parordre ou pour cause de maladie dûment constatée.
(Art. 2.)Les agents et fonctionnaires du ministère des affai-
res étrangères peuvent être mis en disponibîhté pardécret ou par arrêté, selon le mode de leur nomination,
pour un laps de temps égal à la durée de leurs services
effectifs", jusqu'à concurrence de dix années. Ceux qui
comptent plus de dix années d'activité de services avec
appointements soumis à retenue dans le départementdes affaires étrangères, peuvent obtenir, en vertu d'un
arrêté ministériel, un traitement de disponibilité, mais
seulement pour cause, soit de maladie entraînant une
longue incapacité de travail, soit de suppression per-manente ou momentanée de leur emploi. Le traitement
de disponibilité peut être suspendu ou supprimé par
arrêté ministériel. Sa durée est au maximum de trois
ans pour les agents ayant plus de dix et moins de
308 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE FRANÇAIS
quinze années de services rétribués et au-delà. Dans la
supputation des services d'un agent, ceux qui ont été
rendus hors d'Europe comptent pour moitié en sus de
leur durée effective. Le temps de la disponibilité avec
traitement compte pour la retraite. Le traitement de
disponibilité ne peut être cumulé, ni avec un traitement
quelconque payé par le Trésor, ni avec une pension
imputée sur les fonds de l'État, si ce n'est avec une
pension de retraite militaire. Il ne peut excéder la
moitié du. dernier traitement d'activité des agents et
fonctionnaires à qui il est accordé, ni les maximums
indiqués dans le décret. (Art. 3.)Le retrait, d'emploi est prononcé par décret ou par
arrêté, selon les cas, comme,mesure disciplinaire. Les
agents qui en sont l'objet ne touchent, ni traitement,ni indemnité quelconque. La durée du retrait, d'emploine peut excéder deux ans. (Art.-4.)
La sortie, des cadres a lieu : par l'expiration du délai
à la dis ponibilité, sans que l'agent ait été rappelé à
l'activité ; parla démission ; par l'admission à la re-
traite ; par la révocation. (Art. 5.)Les agents et fonctionnaires démissionnaires ne
peuvent quitter leur poste ou leur emploi qu'après queleur démission a été régulièrement acceptée. (Art. 6.)
La révocation des agents en activité, en disponibilitéou en retrait d'emploi est prononcée par décret ou pararrêté, selon les cas ; elle doit être précédée d'un avismotivé du comité des services extérieurs et adminis-
tratifs, qui,entendra les explications des intéressés,s'il le juge opportun. La sortie des cadres, à l'expi-ration du délai de disponibilité, est constatée par décretou par arrêté, selon les cas. Elle est de droit, sans aver-
tissement; préalable à l'agent. (Art 7. )
Le corps diplomatique anglais
L'Angleterre est représentée'dans les pays étran-
gerspar des agents diplomatiques dequatre gradesdifférents : des ambassadeurs ; des envoyés extraor-
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE ANGLAIS, BELGE, ETC. 309
dinaires et ministres plénipotentiaires de deux classes ;des ministres résidents ; des chargés d'affaires, quisont généralement des secrétaires d'ambassade ou des
consuls généraux chargés d'une mission temporaire.Les secrétaires sont divisés en deux classes : la pre-mière comprend les secrétaires d'ambassade, la se-conde les secrétaires de légation.
Le corps diplomatique belge.
Aux termes de l'arrêté organique du corps diploma-
tique belge du 15 octobre 1842, les agents diplomati-
ques chefs de missions sont partagés en trois classes:
la première se compose des envoyés extraordinaires
et ministres plénipotentiaires ; la seconde, des mi-
nistres résidents ; la troisième des chargés d'affaires.
Cependant le grade de chargé d'affaires a été sup-
primé par arrêté royal du 20 décembre 1858 : cet
arrêté lui a substitué le grade de ministre résident (1).Des conseillers ou des secrétaires de légation, de
première ou de seconde classe, sont placés dans
les postes diplomatiques les plus importants. Des
attachés sont adjoints aux différentes; missions ; ils
peuvent être employés à l'administration centrale,
quand les intérêts du service l'exigent.
Confédération argentine.— Chili. — États-Unis de
Colombie. — Equateur, etc.
Si nous jetons un regard sur l'Amérique espagnole,
nous voyons, par exemple, qu'en vertu de la 1loi du 4
juillet 1856, le corps diplomatique de la Confédération
Argentine, se compose d'envoyés extraordinaires et
ministres plénipotentiaires, de chargés d'affaires, de
secrétaires de légation, d'« oficiales » de légation. Les
secrétaires et les « oficiales » peuvent être chargés
(1) Moniteur belge du 29 décembre 1858. Cet arrêté, dit M. Gar-
cia de la Véga, n'a pas reçu d'autre publicité, et la mesure n'a
été en aucune façon justifiée. Ouvrage cité, p. 144.
310 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PERUVIEN
intérimairement et officiellement, de missions. Les
agents diplomatiques peuvent être accrédités auprès
de plusieurs gouvernements en même temps.Une loi de 1852 à disposé que les envoyés diploma-
tiques de la République du Chili seront de deux
classes : les ministres plénipotentiaires et les Chargésd'affaires. Il pourra y avoir des secrétaires de légationet des « oficiales » de secrétariat. Les secrétaires de
légation pourrônt-prendre intérimairement le caractère
de chargés d'affaires. Il pourra y avoir aussi des atta-
chés de légation, dont le nombre n'excédera pas deux
pour chaque mission.
D'après la loi du 16 mai 1838; les États-Unis de
Colombie et la République de l'Equateur avaient desministres plénipotentiaires, des chargés d'affaires,des secrétaires délégation, des «oficiales » de légation.
Le corps diplomatique péruvien. — Décrets du 31
juillet 1846.
Il résulte de deux décrets du 31 juillet 1846, deRamon Castilla, dont l'un portait règlement du corps
diplomatique péruvien, et dont l'autre déterminaitl'uniforme que devaient porter les agents diplomati-ques du Pérou, que le corps diplomatique de cette
république se composait, en 1846, de la manière sui-vante : 1° des envoyés extraordinaires et ministres
plénipotentiaires; 2° des ministres résidents; 3° des
chargés d'affaires; 4° des secrétaires de légation delre et de 2e classe, des attachés de légation, des jeunesde langues (1).
Cette dénomination de jeunes de langues était sansdoute une réminiscence sans aucune utilité pratiqued'une institution de France. On. désigne en effet sousle nom d'école des jeunes de langues, en France,une institution établie par le ministre des affaires
(1) Ces deux décrets se trouvent dans la Collection d'Oviêdo,t. VII, p. 14, et t. VIII, p. 56.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PERUVIEN 311
étrangères pour l'enseignement des langues orien-tales aux jeunes gens qui se destinent à la carrièredes consulats. C'est parmi eux que sont choisis les
drogmans ou interprètes attachés officiellement aux
légations et aux consulats, en Orient et sur la côte deBarbarie (1).
Loi du 9 novembre 1853.
Le décret réglementaire du 31 juillet 1846 passadans la loi du 9 novembre 1853, rendue sous la prési-dence de D. José Rufino Échénique.
L'article 1er de cette loi consacre les mêmes déno-
(1) Les jeunes de langues de Ramon Castilla n'ont évidem-ment rien de commun avec la belle et utile institution française,dont un rapport du 18 septembre 1880, adressé au président dela République, rappelle dans les termes suivants l'origine.
Dans le principe, les ambassadeurs de France choisissaientleurs drogmans parmi les membres de la colonie franque dePéra, et les consuls, dans les villes où ils étaient établis, avaientrecours aux services de gens du pays, auxquels ils accordaient la
protection française. Jusqu'au milieu du dix-septième siècle, lesfamilles Oliviëri et Fornetti, d'origine italienne, fournirent les
drogmans de l'ambassade de France. Mais ces agents, bien que.fort utiles par leur connaissance des langues, des lois et descoutumes du pays, n'avaient pas souvent assez de fermeté decaractère pour faire passer les intérêts de la politique ou ducommerce de la nation qu'ils servaient, avant ceux de leurfamille ou de leurs amis. Les plaintes à cet égard devinrent sivives et si fondées, que Colbert décida que, désormais, les placesde drogmans à l'ambassade de Constantinople et dans lesÉchelles du Levant seraient réservées à des enfants de languesqui, envoyés de France, étaient placés sous la surveillancedirecte de l'ambassadeur et instruits dans les langues orientales
par un khodja ou professeur musulman. Cette expérience nedonna pas les résultats que l'on s'était promis. Ces enfants, venusen Orient à un âge très-tendre, n'avaient point reçu d'instruc-tion élementaire et ils ne tardaient pas à partager les idées ettous les préjugés des colonies franques de Péra. On abandonnadonc ce système, et, en 1723, un arrêt rendu en conseil ordonna
que les jeunes de langues, destines au service du Levant, seraientélevés au collège de Louis-le-Grand et qu'ils ne partiraient pourl'Orient qu'après avoir achevé leurs études et avoir reçu, pen-dant deux ans, à Paris, des leçons d'arabe, de turc et de per-
312 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PÉRUVIEN
minations et la même classification que ie; décret
réglementaire. L'article 3 attache, les secrétaires de
première classe aux envoyés extraordinaires et mi-
nistres plénipotentiaires ; ceux de deuxième classe
aux ministres, résidents, et même, lorsquele gouverne-
ment le juge opportun, aux chargés d'affaires. L'ar-ticle 11 suppose que les secrétaires de légation et que
les consuls généraux pourront être investis du carac-
san. Cette réforme donna d'excellents résultats, et les drogmanssortis du collège de Louis-le-Grand ont presque tous marquépar la-solidité de leurs connaissances et l'éclat de leurs services.L'école des jeunes de langues fut supprimée pendant la Révo-lution ; mais l'on s'aperçut aussitôt qu'il était indispensable,dansl'intérêt de notre influence, d'avoir un établissement pouvantfournir au département des affaires étrangères des sujets ins-truits et inspirant confiance. L'école spéciale des langues orientales
vivantes, d'une utilité reconnue pour la politique et le commerce,fut fondée le 30 germinal an III, sur un rapport de Lakanal.L'école des jeunes de langues fut rétablie plus tard au collègeLouis-le-Grand, au profit des fils, petit-fils et neveux de drog-mans, qui y étaient admis avant l'âge de douze ans. Dès la classe,de troisième, les jeunes de langues ne suivaient plus que la moi-tié des cours de latinité et commençaient à apprendre simulta-nément l'arabe, le turc et le persan ; arrivés au terme de leurs
études, ils subissaient un examen à la suite duquel ils étaient
envoyés comme élèves drogmans dans une échelle du Levant etnommés plus tard drogmans sans résidence fixe. Ce systèmeavait l'inconvénient grave de nuire à l'instruction générale desjeunes de langues, sans même que leur préparation profession-nelle fût suffisante. On ne se décida pourtant à y renoncer qu'en1875 ; depuis lors, le stage que les. jeunes de langues étaient
appelés à faire dans des postes diplomatiques ou consulaires aété, à leur sortie du lycée Louis-le-Grand, remplacé par l'obli-gation de suivre les cours de J'école des langues orientalesvivantes ; ils sont ensuite nommés, au fur et à mesure des va-cances, drogmans sans résidence fixe au Levant pu élèves-inter-prètes dans l'Extrême Orient. Ce grade est également accordéaux élèves libres de la même école munis de diplômes, et, encertains cas, aux drogmans auxiliaires. Il en est à peu près demême pour l'interprétariat, sous des dénominations différentes.Les jeunes de langues ne peuvent, être nommés élèves drogmansou interprètes, que s'ils sont bacheliers ès-lettres à la fin de leursétudes classiques, et les élèves drogmans ou interprètes ne sontnommés drogmaus interprètes-adjoints que s'ils ont obtenu lediplôme de l'école spéciale des langues orientales vivantes.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PÉRUVIEN 313
tère de chargés d'affaires « auprès de la cour où ilsrésident» ; mais nous devons rectifier cette mauvaiselocution, car un chargé d'affaires n'est jamais accrédité
auprès d'une cour : il est accrédité auprès d'unministre des affaires étrangères (1).
Loi du 25 mai 1861.
Le 25 mai 1861, le Congrès: considérant que les ser-vices rendus par les employés diplomatiques de la Ré-
publique sont de très-haute importance, et que ces
fonctionnaires doivent être récompensés comme lès
autres serviteurs de la nation, a rendu une loi aux
termes de la quelle : les emplois diplomatiques consti-
tuaient une carrière publique « comme la carrière mili-
taire, comme la carrière civile et la carrière des
finances, avec les mêmes droits et avantages que ceux
accordés par les lois à ceux qui prêtent leurs services
dans ces diverses carrières » (art.1er). Les employés
diplomatiques pouvaient être nommés en propriété de
leur titre, par intérim, et en commission. Ces qualitésdevaient être exprimées dans le décret de nomination
(art.2).
Mémoire de M. Pachéco, du 15 février 1867 , au
Congrès constituant.
Dans son mémoire du 15 fevrier 1867 au Congrès
constituant, M. Pachéco, ministre des relations exté-
rieures, a fait allusion à un décret suprême du 15 dé-
cembre 1865, dont l'objet avait été de régulariser le
service diplomatique péruvien, et « de faire disparaîtreles abus qui s'étaient introduits à l'ombre du réglement
antérieur. » Ce décret avait mis une limite raisonnable
(1) Collection d'Oviédo t.VIII, p. 38 et suiv. Les autres dis-
positions de la loi sont relatives au personnel consulaire, aux
appointements, aux frais de voyages, aux frais accessoires, à
l'exemption, des droits de douane, aux frais de bureaux, à la
retraite.
314 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PERUVIEN
aux avances faites aux agents diplomatiques, avait
établi: une juste gradation en ce qui concernait les
appointements et les frais de voyages, avait fixé une
somme proportionnelle et annuelle pour les frais de
bureaux, etc., etc. M. Pachéco a rappelé aussi des réso-
lutions postérieures qui avaient annulé la dispositionen vertu de laquelle le temps de service à l'étrangerdevait compter en faveur des employés du corps
diplomatique comme une période double pour la re-
traite (1).Au moment où M. Pachéco écrivait son mémoire, le
Pérou entretenait cinq envoyés extraordinaires et mi-
nistres plénipotentiaires : en France, en Angleterre,aux États-Unis d'Amérique, aux États-Unis de Colom-
bie et au Chili ; des chargés d'affaires au Brésil, dansla République argentine et dans celle de l'Uruguay. La
légation dans l'Equateur était gérée par le secrétaire,en qualité de chargé d'affaires par intérim. Mr Pachéco
proposait d'envoyer des résidents en Bolivie, au
Brésil, dans les républiques de Colombie, du Mexique,de Vénézuéla, cette dernière mission pouvant servir
pour les républiques de Saint-Domingue et de Haïti.Le Pérou aurait accrédité des chargés d'affaires dansles républiques de l'Amérique-Centrale, de l'Equateur,de la Confédération Argentine, de l'Uruguay et du Pa-
raguay.
Mémoire de M. D. Juan Manuel Polar, au Congrèsde 1868.
Le mémoire présenté par M. D. Juan-Manuel Polarau Congrès de 1868, le 28 juillet de la même année,signalait avec non moins de sincérité les défauts de laloi de 1853. Il annonçait la présentation de projets des-tinés à réaliser une réforme utile à la fois pour le fiscet pour les employés eux-mêmes. Cette réformedevait consister dans une répartition proportionnelle
(1) Cette disposition est celle de l'article 16 de la loi du 9 no-vembre 1853.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PÉRUVIEN 315
des appointements, avec augmentation de quelques-uns et diminution de quelques autres ; dans la déter-mination de la date où devaient commencer à courir
et où devaient cesser les appointements, en préve-nant l'abus possible de voyages trop prolongés et de
séjours dans les lieux autres que ceux déterminés
pour la résidence de l'employé diplomatique; dans la
fixation du temps nécessaire pour mériter définitive-
ment l'allocation des frais d'établissement; dans une
allocation proportionnelle pour voyages d'aller, de
retour, et pour tous déplacements pour affaires de
service, en prenant pour base les distances ; dans une
allocation mensuelle pour frais de bureaux ; dans une
diminution du personnel diplomatique.L'auteur du mémoire ajoutait, que le besoin et la con-
venance d'avoir un cérémonial fixe pour les réceptions,la présence et les funérailles des membres du corps
diplomatique, afin d'éviter tous doutes et embarras à
cet égard, l'avaient décidé à ordonner la rédaction
d'un projet réglementant ces différents détails. Il pro-mettait que le gouvernement publierait ce projet, quandil aurait réuni les renseignements nécessaires (1).
Projet de réforme présenté le 4 novembre 1868.
Le projet eh question fut présenté le 4 novembre
1868. M. D. Juan-Manuel Polar n'était plus ministre
des relations extérieures ; il était remplacé par M.
D.-J.-A. Barrénéchéa. Ce nouveau règlement eut un
caractère exclusivement économique. Il s'agissait de
fixer, était-il dit dans le considérant qui le précédait,d'une manière avantageuse pour le fisc, et conve-
nable pour les employés publics dépendant du minis-
tère des relations extérieures, les règles qui devaient
(1) Ce sont sans doute ces renseignements qui ont servi à la
rédaction du mémoire de M. E. Bonifaz « oficial mayor » du mi-
nistère des relations extérieures, sur la réception des agents
diplomatiques au Pérou. Voir lé journal officiel « El Peruano »
du mardi 7 mai 1878.
316 LE PERSONNEL; DIPLOMATIQUE PERUVIEN
présider à l'attribution des appointements et des
autres allocations correspondant aux services rendus
par ces employés.Il y a à remarquer, dans la section première con-
cernant la. classification des employés diplomatiques,
qu'on conservait la division suivante : 1° des en-
voyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires.;2° des ministres: résidents ; 3° des chargés d'affaires ;4° des secrétaires de légation de première et de se-
conde classe et des attachés de légation de deux
classes également. L'article 4 excluait les adjudantsde légation-, mais il aj outait que le gouvernement,
quand il le jugerait convenable, pourrait attacher
un militaire à une légation en le nommant secrétaire
ou attaché. Les articles 5 et 6 s'occupaient des
cas où les ministres plénipotentiaires et où les rési-
dents s'absenteraient : les secrétaires resteraient au
poste avec le caractère de chargés d'affaires ad
intérim; et, dans le cas où le poste d'envoyé extraor-
dinaire et ministre plénipotentiaire, ou de résident,viendrait à devenir vacant, le gouvernement pourraitaccréditer directement un. chargé d'affaires intérimaire.
La section II traitait des appointements ; la section III,.des frais de voyages. ; la section IV, des frais d'établis-sement ; la section V, des frais de bureaux et de
correspondance; la section VI, des employés, consu-
laires; la section VII était consacrée aux dispositionsgénérales.
Les articles 33, 36 et 37 compris dans la section Vméritent une attention particulière : ils s'occupaient des
plénipotentiaires ad hoc, des agents confidentiels etdes commissaires spéciaux. Par plénipotentiairesad hoc, le projet entendait désigner les ministres plé-nipotentiaires nommés pour représenter le Pérou dansun congrès, ou dans la négociation d'un traité (1).
(1) Ce projet de règlement, ou plutôt de loi, se trouve dans lenuméro du journal officiel « El Peruano » du 20 novembre1868, p. 490.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PÉRUVIEN 317
Décret du 13 juin 1871. — Loi du 28 avril 1873.
On peut encore citer, pour mémoire, le décret du13 juin 1871, relatif à la caution exigée des agents di-
plomatiques, à raison des appointements qui leur sontavancés ; mais surtout la loi du 28 avril 1873, qui éga-lise les appointements des employés diplomatiques duPérou aux États-Unis d'Amérique avec ceux de mêmeclasse en Angleterre. Cette loi est. intéressante parce
qu'elle nous montre dans son: article unique quelleétait la composition du corps diplomatique péruvien àcette date. On y trouve encore la mention : 1° des mi-
nistres plénipotentiaires ; 2° des ministres résidents;3° des chargés d'affaires ; 4° des secrétaires de pre-mière et de seconde classes et des attachés.
En 1877 le gouvernement péruvien a supprimé les
légations près du Saint-Siège et: des gouvernements
d'Angleterre, de France, de Belgique,, de Portugal,
d'Allemagne et des États-Unis d'Amérique. Cependantil a envoyé un ministre extraordinaire en: Angleterre
pour y régler une affaire particulière, et il a même
accrédité diverses missions, même permanentes, en
France par exemple et dans d'autres pays, ad hono-
rera, contrairement à l'opinion de M. de Lamartine,suivant laquelle un gouvernement démocratique ne
doit point accepter de services gratuits ; mais le gou-vernement actuel est revenu aux missions perma-nentes rémunérées.
Exemples d'envoi de missions extraordinaires, de
missions temporaires, d'agents confidentiels, de
commissaires, etc., tirés de l'histoire diplomatiquedu Pérou.
On trouve dans l'histoire diplomatique du Pérou
plusieurs exemples de missions extraordinaires pro-
prement dites, de missions temporaires, d'envoi d'a-
gents confidentiels, d'envoi de commissaires, ete.
318 LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PERUVIEN
Comme exemple d'une mission extraordinaire, on peutciter celle confiée, en 1870, à M.D. Antonio Garcia y Gar-
cia, accrédité comme envoyé extraordinaire et minis-
tre plénipotentiaire du Pérou, en mission spéciale, au-
près du gouvernement bolivien, afin de" terminer
promptement et de la manière la plus convenable pourl'honneur et les intérêts' du Pérou et de la Bolivie,les négociations qui étaient alors pendantes au sujetd'incidents de frontière (1). M. D. Antonio Garcia yGarcia n'eut pas le mérite du succès de la négocia-
tion, qui était à peu près acquis au moment où l'on an-
nonçait son arrivée à La Paz, ainsi que cela résulte des
paroles mêmes adressées par le président de la Répu-
blique de Bohvie au diplomate péruvien, lors de son
audience officielle de réception ; mais il arriva à tempspour profiter des fêtes qui suivirent la réconciliationentre les deux pays.
Un exemple de mission temporaire cessant avec lebut atteint est offert dans le mémoire de M. C. deLa Torre au Congrès ordinaire de 1876. Il y est parléde la mission de M. Elmore en Chine et au Japon,dans le but de procéder à l'échange des ratificationsdes traités conclus avec ces deux empires, d'obtenir
pour le Pérou tous les avantages possibles, de faire
disparaître les impressions défavorables qui régnaientdans ces pays au sujet du sort de leurs nationaux au
Pérou, et de préparer les éléments d'une émigrationspontanée. L'objet principal de la mission confiée àM. Elmore ayant été atteint, la légation du Pérouen Chine et au Japon a été supprimée (2).
Il y a un exemple d'envoi d'un agent confidentiel,dans un mémoire de M. Pachéco au Congrès. Le Pérouavait conclu une convention d'alliance avec le Chili, le22 décembre 1866; il s'agissait d'attirer dans cettealliance les autres républiques américaines. M. D. Ma-
(1) Toutes les pièces relatives à cette mission se trouvent dansles numéros des 20 juin et 19 juillet 1870 du journal officiel« El Peruano », p. 516 et 609.
(2) Mémoire de M. de la Torre, p. 10.
LE PERSONNEL DIPLOMATIQUE PÉRUVIEN 319
riano Alvarez avait été désigné pour remplir cette mis-
sion auprès des États-Unis de Venezuela ; mais avant
de se rendre à Caracas il avait dû séjourner quelque
temps aux États-Unis d'Amérique, pour y suivre quel-
ques affaires dont l'avait chargé le gouvernement du
Pérou. Comme son séjour se prolongeait au-delà du
temps prévu, le chef suprême du gouvernement péru-vien nomma un agent confidentiel chargé d'approcherle gouvernement de Venezuela, d'étudier ses disposi-tions, et d'instruire son propre gouvernement de l'état
de l'opinion de ce pays (1).
Enfin, un exemple mémorable d'un envoi de com-
missaires se présente au début de l'histoire du Pérou
indépendant. La bataille d'Ayacucho, livrée le 9 dé-
cembre 1824, venait de décider l'émancipation défini-
tive des colonies espagnoles. La Colombie avait lar-
gement contribué à cette victoire. Le Congrès consti-
tuant du Pérou décida, en février 1825, d'envoyerdeux commissaires choisis dans son sein auprès de
la république colombienne, afin d'apporter des ac-
tions de grâce à son sénat et à sa chambre des repré-sentants. Les commissaires devaient être, de plus,« chargés de demander à ces assemblées de consentir
à ce que le libérateur pût continuer de séjourner sur
le territoire péruvien, et conservât l'exercice de son
mandat, tant que l'exigerait le salut de la patrie ». Les
commissaires nommés furent les sieurs D. Manuel
Ferreyros et D. Miguel Otero. Ils reçurent leurs ins-
tructions du Congrès (2).
Retour au sujet principal.
Les détails qui précèdent ont été donnés pour prou-ver par quelques exemples. que l'organisation du per-
sonnel diplomatique a été suivie, en Europe et en Amé-
rique, telle qu'elle a été consacrée par le règlementdu congrès de Vienne de 1815, modifié par le proto-
(1) Mémoire de M. Pachéco, p. 11.(2) Collection d'Oviédo, t. VII, p. 10.
320 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
cole d'Aix-la-Chapelle de 1818, et telle qu'elle a été
développée par les usages des États, particulièrementen ce qui concerne certains agents qui peuvent rentrer
dans l'une, des quatre catégories d'agents diplomati-
ques, ou rester: en dehors de ces catégories, à raison
de la nature très-exceptionnelle de leur mission. Mais
il ne saurait entrer dans le cadre de ce cours de des-
cendre, dans les détails de l'organisation du service
diplomatique de la plupart, sinon de tous les pays.Une pareille étude comparative n'offrirait, d'ailleurs,aucun intérêt : on retrouverait toujours la même clas-
sification pour les degrés inférieurs. La seule diffé-rence existerait entre les: États qui ont des ambassa-
deurs et ceux, qui n'ont que des envoyés pour le grade
hiérarchique le plus,élevé de la carrière diplomatiquedans le pays.
Rémunération des services des agents diplomatiques.
Il ne saurait être question non plus d'examiner les
points relatifs à la rémunération des services des mi-nistres publics dans les divers États. Il n'y a tout au
plus à formuler, à cet égard, que quelques pratiquesplus ou moins généralement observées/ Ainsi, tandis
que les envoyés ordinaires permanents ont habituel-lement un traitement fixe, les envoyés extraordinaires,dans le vrai sens du mot, c'est-à-dire accrédites pourun temps limité, pour une mission déterminée, n'ontle plus souvent que des appointements journaliers, oubien ils tiennent compte de leur dépense à leur gou-vernement. Il y a même des ministres qui fournissentaux frais de leur mission, du moins en partie, avecleurs
propres ressources. C'est ainsi que, dans sonmémoire du 15 février 1867, le ministre des relationsextérieures du Pérou a pu annoncer au Congrès cons-tituant que les ministres plénipotentiaires nomméspour les États-Unis d'Amérique, pour le Chili, pour laFrance et l'Angleterre, avaient renoncé à leurs appoin-tements et avaient servi gratuitement. Quant aux
REMUNERATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES 321
agents diploniatiques à qui leur position de fortune ne
permet pas ce désintéressement, qu'un État ne devrait
jamais admettre parce qu'il n'y a de bons services queceux qui sont rétribués, les dépenses extraordinaires
qu'ils peuvent faire leur sont remboursées indépen-damment de leurs appointements fixes ou journaliers,
Il est utile d'ajouter que le but d'une mission engagequelquefois à faire des dépenses secrètes, qui doiventêtre toujours remboursées au ministre public. Enfin,c'est le cas de placer ici une recommandation qu'en1798 le Directoire Exécutif faisait au Conseil des cinqcents : « gardons-nous, disait le Directoire, de placerles agents extérieurs entre la pénurie et la séduction.»
Voilà une recommandation qui est excellente et op-
portune dans tous les pays.La question de rémunération des agents diplomati-
ques a été, en France, l'objet de dispositions nom-
breuses. Un décret de l'Assemblée Nationale des 28
janvier-4 février 1791 avait chargé les comités des
pensions et diplomatique réunis, de faire un rapportsur les pensions de retraite qu'il convenait d'accorder
aux agents du pouvoir exécutif, dans les pays étran-
gers, en cas de remplacement. Une loi du 16 mai 1798
(27 flor. an VI, ) a mis une somme de 384,238 fr. à
la disposition du ministre des affaires étrangères,
pour le payement des sommes dues aux agents diplo-
matiques de la République française jusqu'à la fin de
l'an IV. Aux termes d'un arrêté du 23 avril 1800
(3 flor. an VIII), qui divise en grades le service du
département des affaires étrangères pour la partiedes agences politiques, il est disposé qu'il y aura un trai-
tement distinct et affecté à chaque grade ; tous les ap-
pointements des agents brevetés seront composés de
deux parties : du traitement de leur emploi et de
celui de leur grade ; les grades ne suivront pas indis-
pensablement l'ordre des emplois. Tout agent quisera rappelé, ne perdra, par le fait de son rappel, quele traitement de son emploi ; il jouira de son traite-
ment de grade jusqu'au moment où il sera remis en
21
322 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
activité. Le traitement de grade sera la base de la re-
traite' des agents du département. Le temps indispen-
sable pour obtenir un traitement de retraite sera au
moins de vingt ans de service. Après cette périodeun agent pourra, avec l'autorisation du Premier Con-
sul, se retirer et jouir de la moitié de son traitement
de grade ; après vingt-cinq ans de service, il pourra
jouir de la totalité de ce traitement : dans l'un et
l'autre cas, il pourra lui être accordé un surcroît de
traitement proportionné à ses talents et à ses ser-
vices. D'après cet arrêté, le traitement de grade d'am-
bassadeur était de dix mille francs ; celui de ministre
plénipotentiaire, de six mille francs. Une ordonnance
du roi des 22 mai-30 juin 1843, relative au traite-
ment d'inactivité des agents diplomatiques et con-
sulaires, traitement qui avait été déterminé par un
décret du 21 décembre 1808, admet à ce traitement
d'inactivité les agents diplomatiques et consulaires
comptant plus de dix ans d'activité de service., avec
traitement annuel et personnel, dans le départementdes affaires étrangères, lorsqu'ils cesseront d'être
employés par suite de la suppression de leur emploi,ou par suite de la suspension temporaire de la mission
à laquelle ils étaient attachés, et ceux qui, se trouvantdans les mêmes conditions, auront été rappelés pourune cause étrangère au mérite de leurs services. Les
gérants temporaires n'auront droit en aucun cas autraitement d'inactivité, La durée du traitement d'inac-tivité ne sera que de trois ans pour les agents quicompteront moins de quinze ans d'activité de service,et de cinq ans pour ceux qui en compteront quinze.Une ordonnance des 27 juillet-25 août 1845, réglantce qui concernait le traitement des agents diploma-tiques et consulaires pour les différents cas de situa-tions accidentelles, a coordonné et remplacé les dispo-sitions antérieures sur ce sujet, et alloué dans cer-tains cas des traitements spéciaux aux agents diplo-matiques et consulaires. L'article 49 du règlement du1er octobre 1867 porte que les indemnités attachées
REMUNERATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES 323
à l'exercice des divers emplois, en raison, soit de cir-
constances locales, soit de services spéciaux extraordi-
naires ou temporaires, ne sont point assimilées aux
traitements fixes, lors même qu'elles sont payables
par imputation sur les crédits affectés aux traitements.
Les sommes dont il est question peuvent être payéesà titre d'indemnité pour frais de représentation, de
gratifications éventuelles, de salaire pour travail ex-
traordinaire, d'indemnités pour frais de service ou
missions extraordinaires, d'indemnités de perte, de
frais de voyage, d'abonnement et d'allocation pourfrais de bureau, de régie, de table et de loyer, de rem-
boursement de dépenses.On distinguait, en France, entre les traitements
d'activité, les traitements de congé et les traitements
d'inactivité, indépendamment des traitements spé-ciaux.
Les traitements d'activité, quant aux conditions et à
la jouissance, ont été, entre autres dispositions, l'ob-
jet de divers articles du règlement du 1er octobre 1867.
L'ordonnance du 27 juillet 1845, le décret du 5 août
1854, la circulaire du 16 août 1855, celle du 28 février
1856, le décret du 18 août de la même année, se sont
occupés des traitements de congé. Les traitements d'i-
nactivité ont été l'objet d'un rapport et d'une ordon-
nance du 22 mai 1833, d'une ordonnance du 7 juillet
1834, d'un rapport du 27 avril 1836 et du 31 janvier
1857, d'une circulaire du 20 février de la même année
et du 11 août 1861, d'un rapport du 26 octobre 1865,
et du réglement d'octobre 1867, § 92.
Ces différentes dispositions ont été fondues dans le
décret du 24 avril 1880, cité plus haut, sur les positions
diverses des agents et fonctionnaires du départementdes affaires étrangères et dans le décret du 25 juin
1879.
Suivant ce dernier décret, la jouissance du traite-
ment intégral alloué à un poste politique ou consulaire
court, au profit du nouveau titulaire,à partir du jour de
son installation, si le service de ce poste est vacant,
324 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
et à dater du lendemain de sa prise de service, dans
le cas contraire (art.1er). Lorsqu'un emploi est sans
titulaire, ou que le titulaire est absent de son poste, la
jouissance d'une partie du traitement et des émolu-
ments attachés à cet emploi peut être accordée à toute
personne appelée à remplir l'intérim, laquelle sup-
porte alors les charges inhérentes au titre de l'emploi
(art. 2). Les droits d'un titulaire d'emploi ou d'un inté-
rimaire à la jouissance du traitement s'éteignent le
lendemain du jour de la cessation du service par
suite, soit de la remise de ce service entre les mains
de leur successeur, soit de décès, soit de mise à la re-
traite, mise en inactivité, démission, révocation, sus-
pension ou abandon de fonctions (art. 3).Les chefs de missions diplomatiques peuvent obte-
nir, chaque année, une autorisation d'absence de quin-ze jours, avec jouissance de leur traitement intégral.Cette période de quinze jours comprend la durée du
voyage d'aller et retour. Toutes les fois que les chefs
de postes politiques prolongent leur absence au-delà
de ce terme, ils perdent tout droit à leur traitement in-
tégral, et les chargés d'affaires qui les ont remplacésreçoivent le quart du traitement des titulaires, à comp-ter du jour qui suit le départ de ces derniers (art. 4).Les agents politiques et consulaires peuvent toutefoisobtenir un congé dont la durée réglementaire ne doit
pas excéder quatre mois, pour ceux qui résident en Eu-
rope, et six mois, pour ceux qui sont placés hors duterritoire européen. Le temps du voyage d'aller et re-tour n'est pas compris dans la durée du congé (art. 5).Les agents absents pour congé jouissent de la moitiéde leur traitement, à compter du lendemain du jour oùils quittent leur résidence, jusques et y compris le jouroù ils reprennent leurs fonctions (art. 6). Quant aux
agents qui ont quitté leur poste sans congé régulier ouautorisation du ministre des affaires étrangères, ilsn'ont droit à aucune portion de leurs émoluments pen-dant la durée de leur absence (art. 8).
Il peutarriver que les agents politiques et consulai-
REMUNERATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES 325
res soient retenus en France par ordre, à la suite d'uncongé dont la durée réglementaire est épuisée : ils con-tinuent, dans ce cas, à recevoir la moitié de leursémoluments pendant quatre mois, si leur résidence estsituée en Europe, et pendant six mois, s'ils résidenthors du territoire européen (art. 9).
Les secrétaires d'ambassade et de légation appelésen France par ordre, et dont le séjour se prolonge pourdes raisons de service, peuvent jouir du demi-traite-ment pendant huit mois à dater du lendemain du jouroù ils ont quitté leur résidence, si cette résidence esten Europe ; pendant un an, si elle est située hors
d'Europe (art. 10). Les ambassadeurs et ministres plé-nipotentiaires appelés par ordre écrit du ministre, puisretenus en France par ordre, sont placés dans les mê-mes conditions, si ce n'est que, durant les quinze pre-miers jours, ils reçoivent le traitement intégral, et pen-dant les deux mois suivants, les trois quarts de leurs
émoluments (art. 11). A l'expiration de ces diverses pé-riodes, les agents qui continuent à être retenus en
France et qui ne sont pas remplacés peuvent être ad-
mis, par décision ministérielle, à jouir pendant un an
au plus d'allocations spéciales graduées (art. 12).Les agents rappelés ou retenus en France pour cau-
se de guerre, de force majeure ou pour un motif poli-
tique, reçoivent, dans cette situation, le demi-traite-
ment pendant six mois ; au delà de ce terme, ils peu-vent être admis à jouir du traitement spécial dont il
rient d'être parlé (art. 13). L'allocation spéciale peutaussi être attribuée pendant cinq ans, à compter du
jour où leur traitement cesse de figurer au budget, aux
agents privés de leurs fonctions par suite de la suppres-sion des postes ou emplois dont ils étaient titulaires
art. 14).L'agent politique ou consulaire venu en France en
rertu d'un congé pour cause de maladie dûment cons-
atée peut être autorisé, si ses fonctions ne sont pas
emplies par un intérimaire, à conserver l'intégralitéle son traitement pendant un temps qui ne peut excé-
326 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
der trois mois ; pendant les trois mois suivants il peut,sur la production d'un nouveau certificat médical, obte-
nir une prolongation de congé avec jouissance du de-
mi-traitement. Lorsque l'agent a remis le service à un
intérimaire, il n'a le droit qu'au demi-traitement pen-dant les deux périodes de trois mois qui viennent d'ê-
tre mentionnées. L'agent retenu par ordre après un
congé pour maladie peut conserver la moitié de ses
émoluments pendant une nouvelle période de six mois,si le congé a duré six mois, pendant neuf mois, si le
congé n'a duré que trois mois. Au-delà de ce terme,c'est-à-dire après une année d'absence,non compris la
durée du voyage, il ne peut être admis qu'au traite-
ment spécial (art.15). Si, à l'expiration d'un congé or-
dinaire, un agent politique ou consulaire se trouve re-
tenu en France pour cause de maladie, il peut, en
vertu de certificats médicaux, conserver la jouissancedu demi-traitement pendant deux périodes consécuti-
ves de trois mois. Au-delà de ce terme l'agent ne peutêtre admis, s'il est retenu par ordre, qu'au traitement
spécial (art. 16). N'a droit également qu'au traitement
spécial, l'agent qui, à l'expiration des diverses pério-des indiquées dans les articles 9, 10 et 11, se trouveretenu eh France pour cause de maladie (art. 17).
La portion du traitement du titulaire attribuée aux in-térimaires est du quart pour les chargés d'affaires, etde la moitié pour les gérants de postes consulaires et
pour tous les autres agents remplissant par intérimdes fonctions rétribuées. Il peut toutefois être accordéaux chargés d'affaires, par décrets spéciaux, dans cer-tains cas exceptionnels, la moitié du traitement inté-
gral au lieu du quart (art. 18). Les secrétaires appelésà faire un intérim peuvent, s'ils ne sont pas eux-mê-mes remplacés clans leur emploi, conserver l'intégra-lité de-leur traitement personnel, tout en recevant desémoluments attribués aux agents qu'ils remplacent(art. 20).
Les agents du service extérieur appelés à une autre
résidence, et qui, avant de se rendre à leur nouveau
REMUNERATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES 327
poste, sont retenus à Paris par ordre, ont droit audemi-traitement de ce poste, et peuvent même, si cedemi-traitement n'est pas disponible, recevoir la moi-tié du traitement affecté à leur ancienne résidence ;mais, dans le cas où ni l'un ni l'autre de ces
traitements ne sont vacants, les agents dont il s'agit
nepeuvent prétendre à aucune espèce d'idemnité équi-valente. Les mêmes avantages et les mêmes restric-
tions s'appliquent pendant la durée de leur voyageaux titulaires de postes situés hors d'Europe, ou à
ceux qui, nommés à des postes d'Europe, résidaient
précédemment en dehors du territoire européen, et
réciproquement (art. 22).Le chef d'une mission diplomatique autorisé à quitter
le heu de sa résidence officielle, pour accompagner le
souverain auprès duquel il est accrédité, soit à l'inté-
rieur du pays même, soit en dehors des limites de son
territoire, conserve son traitement intégral pendanttoute la durée du voyage ( art. 23 ).
Les secrétaires d'ambassade ou de légation mis à
la disposition du département reçoivent la totalité de
leur traitement. Sont seuls considérés comme étant à
la disposition du département, les secrétaires qui sont
chargés, dans les bureaux mêmes de radministration
centrale, de travaux spéciaux et journaliers; tous autres
secrétaires autorisés à rester en France sans remplircette condition n'ont droit qu'au traitement de congé
(art. 24).Les secrétaires d'ambassade ou de légation qui sont
appelés à Paris en courriers, et qui ne doivent pas re-
tourner immédiatement à leur poste, peuvent recevoir
à Paris la totalité de leur traitement pendant trois
mois, si le ministre des affaires étrangères n'a pas dis-
posé de la moitié de ce traitement en faveur d'un autre
secrétaire, ou d'un attaché chargé de suppléer le se-
crétaire absent (art. 25). Lorsque, en vertu d'une au-
torisation ministérielle, un secrétaire expédié en Cour-
rier prolonge son séjour en France plus, de trois mois,
il ne peut recevoir alors que le traitement de con-
328 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
gé, à moins qu'il ne soit mis à la disposition du
ministre des affaires étrangères et chargé d'un travail
journalier dans les bureaux du département (art. 26) (1).La question des frais d'installation à accorder aux
agents diplomatiques est l'objet des décrets du 9 avril
1870, du ler juin 1872, du 20 septembre 1873, du 30
avril 1880.
Aux termes du premier de ces décrets, les chefs de
missions diplomatiques ont droit à recevoir une indem-
nité pour frais d'établissement (art. 1er).Cette indem-
nité est égale au tiers du traitement accordé à l'agent,
lorsque ce traitement est de 60,000 francs ou au-des-
sous. Lorsqu'il dépasse 60,000 francs, l'indemnité se
détermine d'après une échelle décroissante (art. 2).En ce qui concerne les postes où il existe un hôtel
d'ambassade appartenant à la France, et pourvu du
mobilier nécessaire non seulement dans les salons de
réception mais encore dans les appartements privés,l'indemnité est diminuée d'un cinquième de son mon-
tant (id.). L'indemnité de frais d'établissement s'ordon-
nance à l'époque où l'agent fait ses préparatifs de
départ pour se rendre à son poste. Elle s'acquiert partrois années de jouissance de tout ou partie du traite-
ment du poste. Dans les comptes à intervenir, chaquemois représente un trente-sixième ; les fractions de
mois sont comptées pour un mois entier en faveur de
l'agent (art. 3). En cas de destitution ou de démission,
(1) Voici quels étaient, en 1880, les traitements des ambassa-deurs, ministres plénipotentiaires, ministres résidents et chargésd'afiaires de la République française : Berlin, 140,000 fr.; Berne,60,000; Constantinople, 130,000; Londres, 200,000 ; Madrid,120,000 ; Rome (Saint-Siège), 110,000; Rome (Italie), 110,000 ;Saint-Pétersbourg, 250,000; Vienne, 170,000 ; Athènes, 60,000;Belgrade, 30,000 ; Bruxelles, 60,000 ; Bucharest, 50,000 ; Buénos-Ayres, 70,000 ; Copenhague, 50,000 ; Dresde, 40,000 ; La Haye,60,000; Lima, 50,000; Lisbonne, 60,000: Monténégro, 22,000;Munich, 50,000 ; Pékin, 85,000 ; Port-au-Prince, 30,000 ; Rio-de-Janeiro, 80,000 ; Santiago du Chili, 50,000; Stockholm, 50,000 ;Stuttgart, 50,000, Tanger, 32,000 ; Téhéran, 60.000 ; Washington,80,000 ; Yokohama, 80,000.
REMUNERATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES 329
l'agent doit restituer au Trésor le montant des trente-sixièmes qui ne lui sont pas acquis ; la restitution a heusur la simple demande du ministre des affaires étran-
gères (art. 4).
En cas de rappel d'un agent pour des causes étran-
gères au mérite de ses services, si cet agent est con-sidéré comme ne devant pas être réemployé, la restitu-tion de la partie de l'indemnité non acquise est égale-ment exigée. Toutefois, cette restitution ne peut ja-mais excéder les dix-huit trente-sixièmes de l'indem-nité. L'effet de la compensation accordée à l'agentcesse, s'il est remis en activité, mais il lui est alors
tenu compte d'un trente-sixième pour chaque mois
écoulé depuis son rappel (art 5).L'agent mis en inactivité continue d'acquérir l'in-
demnité qu'il a reçue lors de sa dernière nomination ;
après dix-huit mois d'inactivité elle lui appartient dé-
finitivement (art 6).
Lorsqu'un agent est nommé à un nouveau posteavant d'avoir acquis entièrement l'indemnité qui lui a
été accordée, il y a heu d'imputer sur l'indemnité nou-
velle qu'il reçoit une somme égale au montant des
trente-sixièmes qu'il lui reste à acquérir sur la somme
à laquelle s'élevait l'indemnité précédemment concé-
dée (art 7). Lorsqu'un agent, après avoir reçu l'indem-
nité allouée pour un poste, est remplacé avant son dé-
part : s'il est nommé à une résidence donnant droit à une
indemnité moindre, il doit restituer immédiatement la
différence ; s'il est remplacé sans être envoyé à une
destination nouvelle, il doit reverser au Trésor toute la
somme qu'il a reçue. Si cependant son remplacement
provient de causes qui ne puissent lui être imputées,et
qu'il ait déjà fait, de bonne foi, des dépenses d'éta-
blissement, le ministre apprécie la somme qui pourralui être laissée en compensation de ses pertes ; cette
somme ne peut dépasser les deux cinquièmes de l'in-
demnité (art 8).
Lorsque le traitement d'un poste est augmenté, le
titulaire de ce poste reçoit sur cette augmentation une
330 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
indemnité supplémentaire de frais d'établissement, qui
s'acquiert à partir du jour duquel court l'augmenta-
tion (art 9).
Après huit ans de résidence consécutive dans le
même poste,— ce qui est rare en France, — tout
agent politique peut obtenir une seconde indemnité de
frais d'établissement ; la proportion de cette indemnité
est du sixième du traitement ; l'agent ne commence à
l'acquérir qu'à compter de la date du décret de con-
cession (art 10). En cas de décès d'un agent après son
entrée en fonctions, l'indemnité appartient définitive-
ment à sa succession ; si l'agent meurt avant d'avoir
pris le service du poste qui lui est assigné, et s'il est
avéré qu'il avait effectué des dépenses en vue de sa
prochaine installation, une portion de l'indemnité de
frais d'établissement qu'il avait ou devait recevoir peutêtre attribuée à ses héritiers par décision du ministre
des affaires étrangères : cette portion est au moins de
la moitié et au plus des deux tiers de l'indemnité
(art. 11). Le décret du 1er juin 1872 a reproduit la même
disposition en faveur de l'agent qui serait mis à la re-traite avant d'avoir commencé à acquérir son indem-nité de frais d'établissement. Quant au chef d'une mis-sion diplomatique mis à la retraite avant d'avoir acquisla totalité de ses frais d'établissement, le même décret
dispose qu'il n'est pas tenu de reverser la portion non
acquise.En prmcipe, les indemnités pour frais d'établissement
sont intégralement payées avant le départ des agentspour la destination qui leur est assignée, sauf à n'êtredéfinitivement acquises, comme il a été dit, que partrente-sixièmes, c'est-à-dire en trois ans. Cette règle aété modifiée par le décret du 20 septembre 1873, à l'é-
gard des chefs de missions choisis en dehors de la car-rière, et qui ne semblent ne devoir en faire partie quetransitoirement. Au lieu de recevoir en bloc la totalitéde leurs frais d'établissement, les agents de cette caté-gorie ne pouvaient prétendre à en toucher le montantqu'en trois fois : un tiers au moment de leur départ, un
REMUNERATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES 331
deuxième tiers après une année de résidence dans lemême poste, et le dernier tiers au commencement dela troisième année. Ces acomptes leur étaient défini-tivement acquis, même en cas de démission ou de des-titution, tandis que, dans les mêmes circonstances, les
agents de carrière sont tenus à la restitution ; mais cetavantage était largement compensé par l'obligationqui leur était imposée de faire de leurs propres deniersl'avance, souvent onéreuse, des deux tiers de leursfrais d'établissement. Un décret du 30 avril 1880 a
laissé aux agents choisis en dehors de la carrière lafaculté de faire régler l'indemnité dont il s'agit, soitdans les conditions prévues par le décret du 9 avril
1870, soit dans celles du décret du 20 septembre 1873.Le Journal officiel de la République française a pu-
blié, le 14 août 1880, un rapport du ministre des affai-res étrangères, suivi d'un décret conforme, concer-nant le mode d'ordonnancement et de payement des
dépenses et traitements des agents diplomatiques et
consulaires. Voici une analyse de ce rapport.A peu près seuls de tous les fonctionnaires français,
ceux qui relèvent du département des affaires étran-
gères ne touchent leurs émoluments que par trimestre,
lorsqu'ils sont hors de France, et cet usage leur im-
pose, pendant toute la durée de leur carrière, des
avances de fonds qui, onéreuses pour tous, sont sur-
tout préjudiciables à ceux qui sont peu rétribués et
vivent de leurs appointements. Sans méconnaître quele payement des traitements a heu au ministère des
affaires étrangères dans des conditions spéciales,
puisque la position des agents disséminés sur tous les
points du globe, leur état de présence et d'absence,leurs droits acquis, sont inconnus au moment où se
fait le travail des bureaux, la commission chargéed'étudier les réformes concernant le mode d'ordon-
nancement et de payement des dépenses et traitements
des agents diplomatiques et consulaires, a pensé
qu'il n'existe pas d'obstacles absolu à ce que l'ordon-
nancement devienne mensuel au lieu de trimestriel.
332 RÉMUNÉRATION DES SERVICES DIPLOMATIQUES
Le mode employé actuellement pour la transmis-
sion des sommes dues par l'État devait aussi appelerl'attention. Il date d'une, époque où les communica-
tions étaient peu rapides, les relations de banque rares
et difficiles. Les agents sont tenus de désigner à Paris
un fondé de pouvoirs qui les, représente vis-à-vis du
Trésor et entre les mains duquel l'État se libère. Des
maisons de banque se sont fait une spécialité de ce
genre d'affaires et ont su se créer, parmi les agents
du ministère, une nombreuse clientèle.
La commission appelée à se prononcer sur cet état
de choses, en a apprécié les avantages ; elle a été
d'avis que beaucoup d'agents qui ont à Paris leurs
affaires et leurs intérêts, sont heureux de trouver des
mandataires qui méritent leur confiance et qui gèrentleur fortune. Mais elle a pensé aussi que, tout en res-
pectant des usages anciennement établis, et sans sup-primer aucune des facilités qu'ils peuvent donner à
une partie du personnel, un département ministérieldoit être, à l'époque actuelle, en mesure de payer ses
agents directement, sans intermédiaire, sans dépensepour eux. Ce résultat peut, d'ailleurs, être obtenu sanscréer aucun rouage nouveau ; le ministère possèdedepuis 1877 l'instrument qui lui est nécessaire : un
agent comptable justiciable de la Cour des Comptes.Il ne sera même pas utile de donner à l'agent
comptable des chancelleries diplomatiques et consu-laires une caisse de service. Les envois de groupsprésenteraient en effet des difficultés presque insur-montables. Il a paru pratique que les payements soientfaits en papier, en traites sur le Trésor, aux agentsqui exprimeront le désir de recevoir directement leurstraitements. Ces traites qui, une fois connues, serontfacilement négociables à l'étranger et recherchées en
banque, paraissent être le moyen de libération le pluspratique pour le ministère, le plus commode et lemoins onéreux pour le personnel.
La commission a complété, l'oeuvre qui lui a étéconfiée en se préoccupant des dépenses dites de ser-
CHOIX DE LA CLASSE DES MINISTRES 333
vice, c'est-à-dire de celles qui sont faites dans tous les
postes diplomatiques et consulaires, soit pour le
compte du ministère des affaires étrangères, soit pourcelui des autres départements ministériels. Les ambas-
sadeurs, ministres plénipotentiaires, consuls, ont dû
jusqu'à ce jour en faire l'avance de leurs derniers per-sonnels. Cette obligation leur a imposé des chargestrès-lourdes, très-onéreuses, et bien insuffisamment
compensées par la bonification de 2 p. 100 qui leur est
allouée. Il est impossible de ne pas faire ressortir ce
qu'il y a d'anormal à ce qu'un État impose à ses agentsl'obligation de lui faire des avances. C'est le contraire
qui devrait exister, et, tout en reconnaissant les diffi-
cultés que présentent la tenue et l'apurement des
comptes d'avances, le ministre des affaires étrangèress'est déclaré disposé à en ouvrir aux agents qui en fe-
ront la demande.
Ces mesures ont été consacrées par le décret de la
même date.
Choix dès ministres publics.
Le gouvernement d'un État a le droit, nous l'avons
vu, de choisir la classe des ministres à envoyer et le
nombre des ministres ; il a le droit de décider s'il réu-
nira ou non plusieurs missions pour en charger le
même agent diplomatique ; enfin, il a le droit aussi
de choisir la personne du ministre.
Choix de la classe des ministres à envoyer.
Qu'en règle générale, le gouvernement qui envoie
un ministre ait le droit de choisir la classe à laquelledoit appartenir cet agent, c'est ce que nous avons
déjà démontré; mais nous avons dit aussi: que la
liberté de ce choix comporte cependant une restric-
tion ; que, d'après le principe de la réciprocité, les
Puissances ne s'envoient, de nos jours, que des minis-
tres de la même classe ; que le droit d'envoyer des
ministres de première classe, c'est-à-dire des ambas-
334 CHOIX DU NOMBRE DES MINISTRES
sadeurs, n'est généralement réservé qu'aux États gou-
vernés par des têtes couronnées et aux grandes ré-
publiques; qu'aucun État ne jouissant point des hon-
neurs royaux ne reçoit des ministres de premièreclassé des princes souverains à qui ces honneurs ne
sont point attribués, ni des États mi-souverains, ni
des petites républiques. Il faut toutefois ajouter queces derniers États peuvent s'envoyer des ambassa-
deurs entre eux : ils n'ont qu'à consulter, à cet égard,l'état de leurs ressources matérielles.
Il arrive quelquefois que, dans le cours d'une mis-
sion, un ministre soit élevé à une classe supérieure,notamment à celle d'ambassadeur, ne fût-ce que pour
quelque temps et pour une affaire déterminée. Quel-
quefois aussi un ministre ordinaire, c'est-à-dire per-
manent, est nommé ministre extraordinaire, c'est-à-
dire chargé d'une mission spéciale et temporaire. Un
ministre de cérémonie peut aussi être nommé ministre
d'affaires, c'est-à-dire être chargé d'une mission d'af-
faires, d'une négociation. Enfin, lien n'empêche qu'uneambassade soit convertie en mission de second rang.Dans ces cas, le ministre présente ordinairement dansla même audience des lettres de rappel et de nou-velles lettres de créance.
Choix du nombre des ministres à envoyer. — Droit de
décider si l'on réunira ou non plusieurs missions
dans le même ministre public.
Nous avons dit aussi que toute Puissance peut, selonle caractère et l'importance de la mission, envoyer àune autre Puissance plusieurs ministres publics d'un
rang, soit égal, soit inégal, et dont les fonctions sont dé-terminées par leurs pouvoirs. D'autre part, nous avonsvu qu'un seul ministre peut être accrédité près de plu-sieurs Puissances à la fois, ou par plusieurs États près
de la même Puissance. M. Ch. Vergé observe que l'en-voi d'une ambassade nombreuse peut être même consi-déré comme une preuve de déférence, une démons-
CHOIX DE LA PERSONNE DU MINISTRE 335
tration d'égards (1). Vainement, au congrès de Nimè-
gue, Louis XIV, qui était représenté par plusieurs minis-tres, voulut-il prétendre que l'électeur de Brandebourgne pouvait en envoyer qu'un : chaque souverain, ré-
pétons-le, est libre d'employer pour ses affaires au-tant de ministres qu'il le juge utile. Mais la remarquea déjà été faite qu'en général ce n'est que dans les
congrès que les Puissances envoient plusieurs minis-tres ; dans ce cas ils forment un seul corps indivisi-ble.
Choix de la personne du ministre public.
Enfin, le choix de la personne du ministre dépendexclusivement de la volonté du chef de l'État qui leconstitue. Ce choix n'est en principe nullement limité,sauf le cas cependant ou il y aurait dans un traité
une stipulation expresse, à cet égard, sauf aussi le cas
d'un usage contraire. Ainsi, un usage particulier a au-
torisé certaines Puissances catholiques, la France par
exemple, l'Espagne, l'Autriche, à désigner la personne
que le pape devait leur envoyer comme nonce. Quantaux stipulations expresses, il y en a aussi quelques
exemples dans l'histoire de la diplomatie : c'était en
vertu d'une clause expresse, que l'empereur d'Allema-
gne ne pouvait envoyer à la Diète, pour y résider,
qu'un prince.On enseigne généralement que, ni la nationalité, ni
l'âge, ni la religion, ni la condition sociale, ni le sexe
ne présentent d'obstacle absolu pour être choisi comme
ministre public ; quoique presque partout le choix soit
influencé par quelques-unes de ces considérations se-
condaires, telles que la religion, la naissance, la for-
tune, etc.
(1) Note de M. Ch. Vergé sur le n° 199 du Précis du droit des
gens moderne de l'Europe de G. F. de Martens, édition de 1858,t. II, p. 75.
336 CHOIX DE LA PERSONNE DU MINISTRE
Nationalité du ministre.
En ce qui concerne la nationalité, nous savons que
plusieurs gouvernements ont établi comme règle gé-nérale de ne pas recevoir leurs propres sujets comme
ministres d'une Puissance étrangère. C'est en vertu de
ce principe, que les États-Unis d'Amérique ont refusé
de recevoir, en 1866, un de leurs nationaux, M. Anson
Burlingame, comme ambassadeur de Chine.
Le motif de cette mesure est d'éviter les conflits qui
pourraient s'élever entre les droits du représentantlibre d'un État étranger et les devoirs du citoyen vis-
à-vis de l'État auquel il appartient.La naturalisation en pays étranger est-elle de nature
à modifier ce principe ? L'affirmative ne saurait être
contestée, puisque la naturalisation est l'acte par le-
quel un étranger acquiert la qualité de national d'un
autre pays avec les droits qui y sont attachés, et puis-
que la qualité de national de tel pays déterminé se perdpar la naturalisation acquise en pays étranger. La ré-
ponse affirmative est donc dans la logique de la défini-tion de la naturalisation ; d'ailleurs, en pareil cas il n'ya plus de conflit à craindre entre les droits du représen-tant et les devoirs du citoyen. Le refus de recevoir leministre qui se trouverait dans cette situation auraitle caractère d'une mesure de rigueur prise contre lenational qui se serait fait naturaliser eh pays étran-
ger : or, la naturalisation n'est pas un fait délictueux ;elle est dans le droit des individus.
Quoique la France ait admis en principe de ne rece-voir d'aucune Puissance étrangère un de ses propresnationaux en qualité de ministre public, on a cependantvu des ministres, nés français, accrédités auprès du
gouvernement français (1) : le comte Pozzo di Borgo, par
(1) Dans les dernières années de son règne, Louis XVI avaitdécidé qu'il ne recevrait plus aucun français comme agent di-plomatique de Puissances étrangères, à l'exception de l'ambas-sade de Malte. La même règle a été consacrée par le décret du
NATIONALITÉ DU MINISTRE 337
exemple, ambassadeur de Russie, le comte de Bray,envoyé extraordinaire de Bavière et plusieurs autres!
Il faut supposer, toutefois, que la naturalisation en
pays étranger aurait été antérieure à l'acceptation desfonctions de ministre public, et qu'il ne s'agirait passeulement de la perte de la qualité de national parl'acceptation non autorisée de fonctions publiques à
l'étranger. L'individu qui se fait naturaliser en paysétranger, et qui accepte ensuite des fonctions diplo-matiques du gouvernement de sa nouvelle patrie, n'estet ne peut être considéré que comme étranger ; mais
celui,— le français par exemple,
—qui ne s'est pas
fait naturaliser, et qui accepte des fonctions sans l'au-
torisation du gouvernement, de son pays, est français
jusqu'au moment de son acceptation, et l'on peut com-
26 août 1811, dont l'article 24 est ainsi conçu : « Les Français auservice d'une Puissance étrangère ne pourront jamais être accré-dités comme ambassadeurs, ministres ou envoyés auprès denotre personne, ni reçus comme chargés de missions d'apparatqui les mettraient dans le cas de paraître devant nous avec leurcostume étranger ». Mais on a pu soutenir avec M. Légat, dansson Code des étrangers, n° 36, que cette disposition est tombéeen désuétude, puisqu'il y a eu, depuis ce décret, des exemplesde Français qui ont rempli, à Paris, les fonctions d'agents diplo-matiques étrangers, sans qu'on ait invoqué contre eux cet arti-cle. D'un autre côté, on ne peut guère supposer que le gouver-nement français ait abandonné un principe conforme aux pré-cédents de l'ancienne monarchie et aux exigences de la digniténationale. Le décret de 1811 ne s'applique, d'ailleurs, qu'aux per-sonnes qui ont conservé la qualité de Français, et non à celles qui,
par l'acceptation non autorisée de fonctions publiques à l'étran-
ger, auraient perdu la jouissance des droits civils. Voir Dalloz,
Jurisprudence générale, v° Agent diplomatique, n° 79.
Un décret du 27 novembre 1792 portait : « La Convention
Nationale décrète que le pouvoir exécutif sera chargé de notifier
aux Puissances étrangères que la République ne reconnaîtra
comme ministre public aucun émigré, fût-il naturalisé chez la
Puissance qui l'enverrait, et qu'elle ne souffrira aucun émigré,sous quelque titre que ce puisse être, à la suite d'un ministre ».
Onvoit que la Convention a appliqué l'exclusion, même contre
les anciens Français devenus sujets de la Puissance qui les en-
voyait, mais elle l'a fait par des raisons d'État et de convenance
politique qui se justifient d'elles-mèmes.22
338 NATIONALITÉ DU MINISTRE
prendre que le gouvernement de sa patrie ne le reçoive
point comme revêtu de fonctions qui lui ont fait perdrela qualité de Français (1).
Il a été dit déjà que lorsqu'un sujet du pays est
accepté comme agent d'une Puissance étrangère, l'ac-
ceptation a lieu sous la réserve que cet agent conti-
nuera à reconnaître l'exercice, pour ce qui le concer-
ne, de la juridiction locale, en tout ce qui n'appartient
pas à la mission qui lui est confiée (2).
(1) L'admission d'un Français par le gouvernement de laFrance comme ministre public d'une Puissance étrangère, équi-vaudrait, sans nul doute, à l'autorisation d'accepter des fonc-.tions publiques conférées par un gouvernement étranger.
(2) Les vieux auteurs discutaient s'il est indispensable que leministre public soit sujet du souverain qui l'emploie. Ils admet-taient généralement que si l'état et les fonctions du ministre pu-blic exigent naturellement qu'il ne dépende que de son maître,c'est-à-dire du prince dont il fait les affaires, c'est assez qu'il soitindépendant dans les choses qui appartiennent directement àson ministère ; qu'il peut par conséquent, à tous autres égards,être sujet d'une autre Puissance, et même de celle auprès dequi il est employé par. le souverain étranger qu'il représente.Telle était notamment l'opinion de Wicquefort, qui, lui-même,avait été résident du due de Lunebourg à, La Haye, quoiqu'il fûtné à Amsterdam, et qu'il, fût sujet des États Généraux. « Lesprinces se servent souvent d'étrangers pour ambassadeurs, dit,de son côté, Bynkershoëck, dans son traité du Juge compétentde l'ambassadeur; quelquefois même de ceux qui sont citoyensou sujets des États où ils les constituent leurs ministres. Lesnations n'ont fait et ne font encore aucune difficulté de recon-naître de telles personnes en quahté d'ambassadeurs. Au fond,il n'y a aucune raison d'exclure de cet emploi les sujets del'État... Pour être sujet de quelqu'un, on n'est pas toujours àson service ; d'un autre côté, pour être ambassadeur de quel-qu'un, on ne devient pas toujours son sujet et citoyen de sesÉtats... On peut s'employer utilement aux affaires d'un prince,quoiqu'on demeure sujet de l'autre Puissance auprès de qui onles négocie, pourvu qu'on ne commette point de crimes, ni d'in-fidélités ». Bynkershoëck ajoute : « Celui qui choisit pour am-bassadeur un de nos sujets, est censé mettre hors de notre juri-diction son emploi et non pas sa personne » ; « ce qui signifiesans doute, dit Merlin, qu'à la vérité le ministre sujet du souve-rain auprès duquel il est envoyé, reste, de droit, quant à sa per-sonne, sous la juridiction de celui-ci ; mais que, par cela seul
AGE DU MINISTRE 339
Il est bien entendu que s'il s'agissait de ministres
envoyés par la France à une Puissance étrangère,ceux-ci pourraient être choisis parmi des étrangers.Cependant, les missions diplomatiques étant une fonc-tion essentiellement politique, on pourrait dire quecette fonction suppose dans celui qui l'exerce la qua-hté de citoyen français ; aussi l'absence de ce titreentraînerait-elle une grave responsabilité à la chargedu ministre qui aurait confié la mission à un étranger.
Age du ministre.
La question de l'âge est réglée par la nature des
choses : il n'est pas vraisemblable qu'un gouverne-ment charge jamais un adolescent d'une mission diplo-
matique. Cependant, il y a des exemples d'hommes
d'État qui ont débuté avec éclat dans la carrière poli-
tique, au sortir de l'adolescence. Gela se voit particu-lièrement en Angleterre. Lord Palmerston entra au
parlement à vingt-deux ans. Fox, l'un des plus grandsorateurs de l'Angleterre, fut élu député avant même
qu'il eût atteint l'âge légal de vingt ans.
Un auteur allemand a prétendu que les anciens ro-
mains envoyaient souvent des jeunes gens comme
ambassadeurs ; mais le Sénat qui choisissait les legatidans son sein, devait forcément les choisir d'un cer-
tain âge, et l'on sait, d'ailleurs, qu'à Rome aucune
fonction publique ne pouvait être exercée avant qua-rante ans. D'autre part, les féciaux, obligés de subir
un long noviciat, ne pouvaient parvenir à la dignitésacerdotale qu'à un âge déjà mûr. Certes, Démétrius
qui s'irritait de l'envoi d'un seul ambassadeur par les
Lacédémoniens, se serait encore plus courroucé de
l'envoi qu'eux ou d'autres peuples lui auraient fait
qu'il le reçoit, son souverain l'affranchit de sa juridiction pourle temps que durera la mission dont il consent qu'il se charge,et que par conséquent il lui assure l'inviolabilité qui est essen-
tiellement inhérente au caractère du ministre public. » Réper-toire, v° Ministre public, sect. III, n° V.
340 RELIGION DU MINISTRE
d'un jeune ambassadeur, quand même celui-ci aurait
trouvé une réponse aussi plaisante que celle d'un en-
voyé français au Sultan. « Je ne sache pas, aurait-il
répondu au Padischah, que la barbe donne du courage
et de l'esprit ; et les boucs, plus barbus que les hom-
mes, n'en sont pas pour cela plus prudents, ni plus
sages. »
La barbe ne donne, il est vrai, ni l'esprit, ni le cou-
rage, mais elle permet de supposer qu'on a l'expé-rience : or, c'est particulièrement l'expérience, c'est
la connaissance des hommes et des choses qui est né-
cessaire, en matière de diplomatie (1).Les lois civiles et politiques de la plupart des pays,
de la France par exemple, fixent un âge avant lequelon ne peut exercer un emploi public. Ces lois ne s'ap-
pliquent pas aux ministres envoyés par les souverains
étrangers ; mais, quant à la France, le ministre des
affaires étrangères qui aurait nommé un agent diplo-
matique hors des conditions exigées par les lois géné-rales du pays touchant l'âge ordinaire d'admission aux
emplois publics, serait responsable vis-à-vis des
Chambres.
Religion du ministre.
Dans nos temps d'indifférence religieuse et de con-
science libre, la religion n'est plus prise en considéra-
tion pour la nomination aux emplois publics : dans les
pays, bien entendu, où règne officiellement la liberté
de conscience. Il est arrivé cependant, même de nos
jours, que quelques souverains catholiques n'ontchoisi pour ministres publics que des personnes du
(1) Il n'y a, au surplus, sur la question de l'âge, aucune espècede règle absolue : des vieillards et des jeunes gens ont été sou-vent chargés de missions diplomatiques. Au dire de Wiequefort,Thomas Cantarini, nommé à l'ambassade de Constantinople parle sénat de Venise, était âgé de 84 ans, et La Haye a eu un jourle divertissement d'un ambassadeur qui, n'étant qu'un écoliertravesti, fit bientôt connaître ce qu'il était en effet.
CONDITION SOCIALE DU MINISTRE 341
même culte. Au reste, il y a une distinction très-impor-tante à faire entre les qualités qu'un ministre publicdoit posséder en droit et celles que recommandent la
prudence et la politique. Une Puissance protestanten'enverra guère à une autre Puissance protestante unministre catholique ; deux Puissances catholiques nes'enverront point des ministres protestants : c'est une
question de tact, de convenance, de savoir-faire, queles gouvernements savent toujours résoudre pour lemieux des intérêts des pays.
Condition sociale du ministre.
La naissance, le rang social, ne sont pas davantageun obstacle. Le cardinal d'Ossat (1) était de très-basse
origine, et cela ne l'a point empêché d'être envoyécomme ambassadeur à Rome par les rois de FranceHenri III et Henri IV. Le grand peintre Rubens était, il
est vrai, d'une famille noble et aisée d'Anvers, mais
sa profession n'a pas été un obstacle à ce que l'infante
Isabelle, épouse de l'archiduc Albert, gouverneur des
Pays-Bas, le chargeât de missions diplomatiques prèsde Jacques Ier, roi d'Angleterre, de Philippe IV, roi
d'Espagne, et des sept Provinces-Unies (2). Jacques
Coeur, à qui Charles VII confia plusieurs missions
diplomatiques, était commerçant (3). Michel Parti-
celli d'Emery, qui fut ambassadeur de France, était fils
d'un paysan de Sienne (4). En 1776, les ministres d'É-
tat de l'empereur d'Allemagne ayant voulu refuser le
titre d'excellence et le pas, dans leurs maisons, à ceux
des ambassadeurs électoraux qui n'appartenaient pas
(1) Armand d'Ossat, né en 1336 à Laroque-Magnoac, dans le
diocèse d'Auch, mort en 1604.
(2) Paul Rubens, le premier des peintres flamands, né en 1377,à Cologne, ou plutôt à Siegen (Nassau), mort en 1640.
(3) Jacques Coeur, né vers 1400, à Bourges, mort à Chio, en
1456.
(4) Michel Particelli d'Emery fut nommé, en 1643, par Maza-
rin, contrôleur des finances, et en 1648, surintendant; mort en
1650.
342 CONDITION SOCIALE DU MINISTRE
à la noblesse, le grand électeur Frédéric Guillaume
de Brandebourg déclara qu'il préférait prendre en con-
sidération l'habileté des ambassadeurs que leur nais-
sance. On connaît aussi la vaniteuse réponse du célè-
bre président Jeannin (1) au roi d'Espagne Philippe II.Ce fils d'un tanneur, qui s'était élevé par son seul
mérite, avait été envoyé par Henri IV, en qualité
d'ambassadeur, à Philippe II. Le roi d'Espagne lui
ayant demandé, dans sa première audience : êtes-vous
gentilhomme? Oui, répondit Jeannin, si Adam l'était.—
De qui êtes-vous fils, continua le roi? — De mes vertus,
répliqua l'ambassadeur. Étonné de ces répliques, le
roi s'empressa de lui faire bon accueil. Il avait com-
pris, sans doute, que si les réponses de Jeannin
étaient hautaines et même impertinentes, les ques-tions qui lui avaient été adressées étaient au moins
indiscrètes.
Quoiqu'il en soit, il faut avoir la franchise de
reconnaître que la grande naissance aide au moins
les négociations. Quand on se pose en seigneurtitré en face de grands seigneurs étrangers, la si-
tuation devient meilleure : on traite sur un pied d'éga-
lité, on obtient plus, parce qu'on est avec ses pairs ;l'infortune ne vous renverse pas, parce qu'on resteavec son nom à la face de tous. Les révolutions n'en-lèvent pas plus l'illustration de race que les confis-cations royales ne détruisaient autrefois le vieuxblason des familles. La naissance dans une condi-tion sociale élevée donne à l'homme cette élégance,cette distinction innées dont les manifestations sont
désignées dans le langage du monde par l'expression :avoir des manières. Ce qui explique l'ascendant desmanières dans la société, c'est qu'elles annoncent oula naissance, ou la valeur personnelle. Avoir des ma-
(l) Jeannin, né à Autun, en 1340, mort en 1622. Président auParlement de Bourgogne, puis au Parlement de Paris, il prit partaux négociations les plus importantes, et partagea avec Sullytoute la confiance d'Henri IV. Il signa, en 1609, le traité qui assu-rait l'indépendance des Provinces-Unies des Pays-Bas,
CONDITION SOCIALE DU MINISTRE 343
nières, c'est n'être pas du commun, c'est appar-tenir à une certaine classe de personnes qui consti-
tuent une sorte d'aristocratie idéale. Les manières
impliquent la connaissance des rapports sociaux, des
usages, et, jusqu'à un certain point, des caractères :
c'est cet ensemble de choses infinies qui permet à
quelqu'un de prendre-le ton, l'air, les façons qui con-
viennent à son caractère, à son rang, à la circons-
tance, à l'homme à qui il parle. Les manières sont des
signes extérieurs auxquels les gens du monde se recon-
naissent ; elles attirent immédiatement la considération,tandis que sans elles on est traité sans conséquence;elles permettent de se mouvoir librement dans toutes
les conditions, elles donnent ou perfectionnent un
agent moral singulièrement efficace : la familiarité.
En France, au point de vue du droit, la question de
la condition sociale de l'agent diplomatique à envoyerne peut plus s'élever aujourd'hui, puisque les cons-
titutions qui se sont succédées depuis la Révolution
ont déclaré tous les Français également admissibles à
tous les emplois ; d'un autre côté, les conditions de
naissance ne peuvent plus être exigées, puisque la
noblesse n'est plus, en France, qu'une distinction ho-
norifique, sans aucun privilège. Aussi trouve-t-on
depuis 1789, dans le corps diplomatique français, à
côté des héritiers des grands noms historiques, des
hommes de mérite, créateurs de l'illustration qu'ils se
sont faite par leurs talents. Mais c'est là encore une
noblesse qui ne le cède point à l'aristocratie de nais-
sance, et qui ne nuit pas à l'influence, lorsqu'elle est
rehaussée par les habitudes de la bonne compagnie et
par une excellente éducation.
Sexe du ministre.
Il est rare qu'on choisisse des femmes pour être
appelées aux fonctions de ministre public ; cependant
Histoire en offre quelques exemples. C'est ainsi qu'en
1529, Louise de Savoie, mère de François Ier,et la
344 SEXE DU MINISTRE
tante de Charles-Quint, Marguerite d'Autriche, s'a-
bouchèrent dans la ville de Cambrai, et y conclurent
le traité qu'on appela la Paix des dames. Il est vrai
qu'on ne peut pas dire précisément qu'elles agirentdans cette circonstance en qualité d'ambassadrices
nommées. C'est une princesse de vingt-six ans, Hen-
riette, soeur de Charles II d'Angleterre, et femme
de Philippe d'Orléans, appelée communément Mada-
me (1), qui négocia, en 1670, l'alliance entre la France
et l'Angleterre contre les Provinces-Unies. Dans le
même siècle, la maréchale de Guébriant, femme du
comte Eudes de Guébriant, l'un des plus grands hom-
mes de guerre de cette époque, fut chargée, en qua-lité d'ambassadrice, de conduire au roi de PologneVladislas VII, laprincesse Marie-Louise de Gonzague,
qu'il avait choisie pour épouse. Ce n'était, il est vrai,
qu'une mission extraordinaire et très-spéciale. Au
XVIIIe siècle, lady Mary Wortley Montague, fille duduc de Kingston, traita plusieurs affaires qui intéres-saient l'Angleterre, avec la Porte Ottomane. On con-naît l'histoire du chevalier d'Eon, qui fut reçu comme
femme, et non comme capitaine de dragons. Mais ces
exemples ne peuvent servir à faire décider si unefemme peut être nommée ministre public. Suivant tels
auteurs, tels que Bynkershoëck, le sexe ne serait pasun obstacle ; la raison pure ne s'y opposerait pas : unefemme peut bien monter sur le trône (2). Suivant telsautres auteurs, tels qu'Esperson par exemple, la né-
gative devrait être préférée : elle se fonderait, non sur
l'incapacité des femmes, mais sur les intrigues et les
(1) Il faut connaître les titres honorifiques dont on se servaitau XVIIe siècle, en France, pour désigner les membres de lafamille royale, les princes du sang et les personnages les plusimportants de la cour. Le fils aîné du roi s'appelait Monseigneurou Dauphin; le frère du roi, Monsieur; la soeur ou la belle-filledu roi, Madame; la fille de Monsieur, Mademoiselle; le chef dela maison de Condé, Monsieur le prince ; son fils aîné, Monsieurle duc; le grand écuyer, Monsieur le grand; le premier écuyer,Monsieur le premier, etc.
(2) Bynkershoëck, Quoestiones juris publici, lib. II, cap, v.
SEXE DU MINISTRE 345
passions qui pourraient s'agiter autour d'elles (1).C'est cette dernière opinion qui doit être adoptée, en
remarquant toutefois qu'il faut, d'ailleurs, distinguerencore entre des missions extraordinaires, tempo-raires, spéciales, et des missions permanentes, géné-rales, constituant des fonctions publiques et une car-rière.
Mais, si le sexe féminin ne donne pas ordinairementdes envoyés officiels, les femmes jouent cependantun rôle marqué dans la diplomatie. Heffter rappelleque Mlle de Kerroual, à la taille, à la bouche fines, auxbeaux yeux, a obtenu pour la France, à la cour deCharles Il d'Angleterre, bien plus qu'un congrès de
paix (2). Tous les hommes politiques ont besoin d'un
salon, d'un salon de femme surtout, parce que l'on s'y
engage moins, les entrevues y sont moins compromet-tantes. Aller chez un ambassadeur, cela peut être une
démarche ; visiter la femme de l'ambassadeur, cela ne
peut être qu'une politesse, une déférence. De cette
manière, des entrevues peuvent avoir lieu facilement :
une femme devient ainsi porteur de paroles, et, sans
s'engager, chacun lui confie sa demande et sa réponse,
parce que les femmes sont éminemment propres à flé-
chir les natures incisives ou trop irritées, et à rappro-cher des esprits qu'un peu de colère et de ressenti-
ment éloigne les uns des autres.
On peut citer, dans le passé, parmi les salons politi-
ques soumis à l'ascendant d'une femme supérieure par
pendant la Révolution française, les Mme Rolant où,s'inspirer; celui de MmeTallien, sous le Directoire et leConsulat; plus tard, à Londres, le salon de Mme la prin-cesse de Liéven. Il ne faut pas oublier non plus, quandon parle du rôle des femmes dans les matières politiques, le nom de Mme de Staël et celui de la baronnede Krudner, femme mystique qui exerça une grande
(1) Esperson, ouvrage cité, n° 38 p. 28note31
(2) Heffter, ouvrage et édition cités, n°232, p.
346 SECRET DES RAISONS QUI ONT DETERMINE LE CHOIX
influence sur l'esprit d'Alexandre Ier, empereur de
Russie.
Secret des raisons qui peuvent avoir déterminé le
gouvernement dans ses choix.
En résumé, il n'y a donc aucune condition, ni d'âge,ni de religion, ni de rang, ni de sexe, en ce qui con-
cerne le choix de la personne du ministre public. Plus
que pour toute autre fonction, la première condition
requise du titulaire est d'y être propre, et c'est la con-
fiance, c'est l'estime méritée du chef de l'État, qui don-
nent le meilleur droit à une mission diplomatique (1).Gérard de Rayneval disait que la considération person-nelle est le premier de tous les titres de noblesse ; et
en effet, le premier titre pour être appelé à une mis-sion diplomatique, est d'avoir la confiance de son pays,de son gouvernement, et de s'être acquis de la consi-dération par des services antérieurs. C'est à la saga-cité du gouvernement qu'il appartient de choisir, autant
que possible sans esprit d'exclusion, — ce qui est biendifficile et bien rare, —
parmi les hommes qui ont droità sa confiance, ceux qui conviennent le mieux par leur
position personnelle aux différentes missions diplo-matiques : il y a des préjugés qu'il faut ménager, des
usages qu'il serait imprudent de heurter. Partout la
dignité du pays doit être représentée, mais à telle
cour, auprès de tel gouvernement, un nom nouveausera bien accueilli, tandis qu'ailleurs il faudra qu'unministre —personnelle l'éclat
(1)«Que resulte-t-il des ces faits, dit Merlin? C'est que le titre leplus assuré pour exercer une ambassade est d'avoir la confiancede son maitre; que chaque nation a ses préjugés e qu'il seraitimprudent de les heurter, lorsqu'on cherche à établir avec elledes relations d'intérêt et d'amitie, que tout ce qui peut donnerdu riducul ou inspirer du pépris doit être évité avec soin, parceque dans l'un et l'autre cas, l'ambassadeur compromet la dignitéde son maître; qu'enun mot il n'est pas, à cet agard, d'unministre public commed'un agent secret. Merlin, Répertoire, v°Ministre public, Sect III, n° 1
REFUS DE RECEVOIR LES MINISTRES PUBLICS 347
d'un nom ancien, d'une grande existence, d'une bril-lante fortune. Ce qui importe surtout, c'est que leministre choisi soit agréable au gouvernement prèsduquel on l'envoie ; quant aux raisons qui ont déter-miné les choix, elles peuvent demeurer secrètes.
Il y a, relativement à ce secret, une réponse très-intéressante du ministre des relations extérieures du
Pérou, aune invitation qui lui était adressée par la Con-vention nationale péruvienne, le 6 août 1856, d'avoir àfaire connaître les raisons pour lesquelles il jugeait né-cessaire de nommer M- D. Pédro Galvez ministre du Pé-rou dans l'Amérique centrale,la Nouvelle-Grenade et la
République de Venezuela. Cette réponse est du 8 août
1856 ; on y trouve d'excellentes considérations. « La
constitution, y est-il dit, confère au chef suprême del'État la faculté de diriger les négociations diplomati-
ques, avec l'approbation de la Convention. Le président
de la République est donc responsable des. négociations
diplomatiques qui s'accomplissent pendant son adminis-
tration, et devra en rendre compte au Corps législatif
de la République. Mais, ni la constitution, ni aucune de
celles qu'on pourra citer comme exemples, n'ont or-
donné qu'un gouvernement rendît publics, inopportu-nément et très-périlleusement, les motifs qui détermi-
nent sa politique dans ses relations avec les autres ca-
binets. Pour mener à bonne fin les graves arrange-ments internationaux, il faut que la plus grande réserve
préside à ces arrangements. Ils ne doivent tomber
dans le domaine commun, que lorsque les faits aux-
quels ils se réfèrent et qu'ils concernent sont consom-
més » (1).
Refus de recevoir les ministres publics.— Refus
général.— Refus spécial.
Un gouvernement a évidemment le droit de refuser
de recevoir des ministres publics. On distingue entre
le refus général et le refus spécial ou relatif.
(1) Collection d'Qviédo, t, VII, p, 17, 18.
348 REFUS DE RECEVOIR LES MINISTRES PUBLICS
Le refus général est le refus de recevoir aucun en-
voyé quelconque. Un pareil refus n'est possible quedans des cas exceptionnellement graves : autrement, ce
serait rendre impossibles les relations internationales,ce serait briser les liens qui réunissent les États et lesrendent jusqu'à un certain point solidaires les uns des
autres.
En général, lorsqu'un État conteste à un autre ledroit d'accréditer auprès de lui des ministres, il s'abs-
tient d'user de ce droit à son égard.Le refus spécial ou relatif est le refus de recevoir tel
envoyé déterminé. Il peut être motivé par diverses con-
sidérations : soit, par exemple, parce que la personna-lité de l'envoyé ne convient pas ; soit parce que l'en-
voyé aurait manifesté son inimitié contre l'État où l'on
veut l'accréditer, ou contre le chef de cet État; soit,abstraction faite de toute considération personnelle,
parce que l'envoyé serait chargé d'une mission parais-sant devoir porter atteinte aux droits de l'État appelé àle recevoir : par exemple les légats avec pouvoirs illi-
mités, dans les pays dont le droit public ne permet pasde placer l'autel sur le trône.
Il y a dans l'histoire des relations diplomatiquesquelques exemples ordinairement cités de refus derecevoir des ministres publics. M. Goderike, envoyé,en 1758, comme ministre d'Angleterre à la cour de
Stockholm, fut obligé de s'en retourner sans avoir été
reçu. Bynkershoëck raconte que l'Angleterre envoyacomme ministre à La Haye un homme qui avait été
jadis condamné par la compagnie néerlandaise desIndes orientales àvoirla langue percée ; on commit
l'illégalitede l'arrêter à son arrivée en Hollande, et il
fut ensuite expulsé par le gouvernement des Pays-Bas.La république de Venise ayant envoyé au pape Pie Vune ambassade de quatre sénateurs, le pape n'en vou-lut recevoir que trois. En 1792, le roi de Sardaigne re-fusa de recevoir comme ambassadeur de France M. deSémonville. Le 28 thermidor an IV, le Directoire exé-cutif manifesta par un décret formel le refus d'admettre
L'AGRÉATION 349
M. de Rehausen en quahté d'ambassadeur du roi deSuède. En 1820, le roi de Sardaigne refusa de recevoircomme ministre de Prusse le baron de Martens, en al-
léguant que sa femme était la fille d'un régicide fran-
çais. En 1847, le roi de Hanovre en fit autant vis-à-visdu ministre de Prusse, le comte de Westphalen, par laraison que ce diplomate était catholique (1).
L'agréation.
Afin d'éviter de pareils refus, lorsqu'un gouverne-ment se propose d'accréditer un agent diplomatique
auprès d'un gouvernement étranger, il est d'usage
qu'il fasse pressentir, sur le choix qu'il se propose de
faire, l'intention du chef de l'État auprès duquel il veut
envoyer son ambassadeur ou ministre. Une des condi-
tions les plus essentielles pour un agent diplomatique,é'est en effet d'être bien accepté par l'État où il doit
remplir sa mission, c'est d'être agréable au gouverne-ment près duquel il est envoyé. Le premier devoir d'un
ministre public, dit l'auteur du Guide diplomatique, est
de se rendre agréable, d'inspirer de la confiance, de se
faire considérer : si donc un souverain manifeste de la
répugnance à recevoir telle personne désignée, il y au-
rait de l'imprudence à exiger son admission ; et si, parsuite de circonstances particulières, on était parvenu à
exercer, à cet égard, une sorte de pression morale, on
doit prévoir qu'un ministre désagréable remplira mal
sa mission. Il faut bien se pénétrer de cette vérité,
qu'un envoyé diplomatique doit jouir d'une considéra-
tion personnelle, s'il veut qu'on en ait pour son carac-
tère public. La nécessité peut contraindre à dissimu-
ler, mais cette dissimulation nuit au succès des affai-
res, comme à la dignité du souverain qui s'obstine à
maintenir un agent qui déplaît (2).
(1) Ces exemples sont cités dans Le Guide diplomatique, édi-tion de 1866, t.1, p. 44, en note.
(2) Le Guide diplomatique, édition citée, t. Ier, p. 45.
350 L'AGRÉATION
Il est donc d'usage de pressentir le gouvernement
étranger sur le choix du ministre public qu'on se pro-
pose d'accréditer. Le gouvernement étranger agrée (1)la nomination, ou ne présente aucune objection, ou ex-
prime le voeu qu'une autre personne soit désignée.S'il agrée la nomination, il ne peut être fait aucune
objection contre cette nomination pour des griefs quiexistaient déjà à l'époque où le ministre a été agréé, ou
qui pouvaient être connus à cette époque. L'agréationentraîne et implique la reconnaissance de l'État ou du
gouvernement qui accrédite. L'agréation de l'envoyéd'un nouveau gouvernement entraîné aussi le congé du
représentant du gouvernement renversé.
Si le gouvernement à l'agrément duquel on soumetla nomination ne fait aucune opposition et garde le si-
lence, on admet qu'il n'a pas d'objection à faire contre
là personne choisie. Mais il suffit, en général, que le
gouvernement étranger exprime quelques doutes sur
l'opportunité du choix en question, pour que l'autre
gouvernement désigne un autre candidat. Nous verronstout à l'heure que le gouvernement anglais a une pra-tique différente.
Formalités de l'agréation.
L'usage de l'agréation est généralement observé denos jours. Il repose sur de simples motifs de courtoi-
sie, et sur le désir d'éviter qu'un agent officiellementnommé ne soit pas reçu.
Il n'existe pas de règles absolues quant aux formali-tés à observer pour notifier, d'une part, le projet de
nomination, d'autre part, l'agréation ou la non agréa-tion. Quelquefois, dit M. Désiré de Garcia de la Véga(2),
(1) Le mot agréation vient du verbe agréer, qui veut dire : re-cevoir favorablement. L'agréation est le fait de présenter à l'ac-ceptation un candidat qu'on se propose de nommer ; c'est aussil'acceptation elle-même, la déclaration qu'on agrée.
(2) Guide pratique des agents politiques du ministère des af-
L' AGREATION 351
les souverains s'écrivent directement. Souvent c'est leministre rappelé ou le chargé d'affaires par intérim quifait connaître le nouveau choix en demandant l'agréa-tion. Il arrive aussi que le ministre des affaires étran-
gères fait part verbalement du choix à l'envoyé du paysoù le nouveau ministre public doit se rendre. Tout cela
dépend des relations personnelles qui existent entreles deux chefs d'États et des circonstances qui rendentla place vacante.
A part les cas où les chefs d'États s'écrivent directe-
ment, les communications sont verbales : il suffit queles intentions soient réciproquement constatées d'unemanière irrécusable ; les chefs d'États n'interviennent
que lorsqu'ils entretiennent des rapports tout à fait in-times. Une proposition officielle de leur part serait en
effet compromettante, car, si un refus intervenait, il au-rait quelque chose de blessant. C'est donc presque tou-
jours dans les entretiens particuliers et confidentiels
que ces questions délicates sont débattues et arrêtées.
On comprend que le secret le plus absolu doive être
gardé sur tout ce qui tient aux difficultés que l'envoi
d'agents diplomatiques peut susciter. Le refus que le
gouvernement étranger peut faire de la personne qu'onlui propose, ne doit pas, d'ailleurs, suivant la très-justeobservation de M. Garcia de la Véga, être considéré
nécessairement comme une humiliation pour le candi-
dat qui en est l'objet. Ce refus peut tenir en effet à un
caprice, à de faux rapports ou à des causes qui ajoutentencore à l'estime à laquelle on a droit dans son propre
pays. Il peut tenir aussi à ce que le gouvernement quia fait le choix n'inspire pas de confiance à la cour
étrangère : celle-ci, dans ce cas, désire ne recevoir
qu'un diplomate qui lui soit personnellement connu.
Quelquefois, enfin, on pousse l'attention et la cour-
toisie jusqu'à envoyer au chef de l'État étranger une
liste de plusieurs candidats, pour qu'il en choisisse un.
faires étrangères ; Cérémonial de la cour de Belgique, p. 140et suiv.
352 L'AGRÉATION
C'était l'ancien usage du Saint-Siège vis-à-vis de l'Au-
triche, de l'Espagne, de la France et du Portugal, Ilfaisait remettre une liste de trois candidats à la noncia-
ture, entre lesquels le souverain intéressé choisissait.
En principe, cependant, la déférence envers un État
étranger ne saurait aller jusqu'à laisser à son gouver-nement le choix de la personne à lui envoyer.
Souvent aussi un chef d'État demande, de son pro-
pre mouvement, la nomination d'une personne déter-
minée. C'est ainsi, par exemple, que le chevalier Nigraet que Méhémet-Djémil-Pacha ont eu l'avantage d'être
demandés, l'un à la cour d'Italie, l'autre au sultan, par
l'empereur Napoléon III. Il y a plusieurs autres exem-
ples de ces demandes de propre mouvement, inspiréesle plus souvent par des caprices de cours.
Usage de Vienne, de Berlin, de Saint-Pétersbourg. —
Usage danois.
M. Garcia de la Véga rappelle qu'à Vienne on a pourhabitude constante de sonder préalablement les cours
étrangères avant d'y envoyer un agent diplomatique,
lorsqu'on n'a pas de motif particulier de savoir
d'avance que le choix que l'on compte faire sera bien
accueilli. Il suffit que le cabinet impérial autrichien soit
prévenu verbalement que la personne qu'il avait en vue
n'est pas agréable à la cour près de laquelle il voulait
l'accréditer, pour qu'il s'abstienne de. procéder à son
envoi. Il propose ensuite une autre personne, ou il
ajourne toute proposition; il ne demande aucune ex-
plication à cet égard, et il n'en donne pas, lorsqu'ilrefuse lui-même d'agréer un agent diplomatique étran-
ger.La même manière de procéder serait suivie par les
cours de Saint-Pétersbourg et de Berlin.La cour de Danemarck aurait pour principe d'agir
par réciprocité de ce qui se fait envers elle.
L' AGREATION 353
Usage anglais.
En théorie, les Anglais n'admettent pas qu'un gou-vernement étranger se constitue en quelque sorte
juge des motifs qui déterminent un autre gouverne-ment dans la désignation de ses agents. Reconnaître
le droit de refus serait, suivant eux, donner à un gou-vernement étranger une action dangereuse sur ladirection des affaires. En fait, cependant, le ministre
des affaires étrangères de la Grande-Bretagne infor-
me du choix fait ou projeté par la reine le représen-tant du gouvernement étranger à Londres. Il ne de-
mande pas de réponse, mais il laisse s'écouler un
temps suffisant avant le départ de l'agent, pour queles objections puissent être transmises. Dans le cas
où un chef d'État manifesterait le désir de ne pas rece-
voir tel diplomate, le gouvernement anglais exigeraitl'articulation de griefs positifs, l'exposition de motifs
sérieux. Si le gouvernement étranger exprimait un
refus non motivé, le cabinet de Saint-James n'accrédi-
terait point de ministre ; les affaires continueraient
d'être gérées par intérim par le secrétaire de la léga-tion.
Résumé.
L'agréation, on le voit, est un usage généralement
admis, fondé sur les convenances internationales, et
qui se justifie par cette considération que l'envoi d'un
agent diplomatique étant un acte de courtoisie, il faut
que l'envoyé soit agréable. S'il en était autrement, ce
serait placer l'agent dans une position fausse, et met-
tre en péril le succès de sa mission. Quant au droit de
ne pas agréer un agent diplomatique, il appartient in-
contestablement à tout gouvernement, mais c'est un
droit dont l'exercice demande les plus grands ménage-
ments et exige le tact le plus délicat. Ajoutons à ce
propos, avec les auteurs du Précis du droit des gens,23
354 L'AGRÉATION
que c'est un devoir réciproque pour les gouvernementsde choisir avec une attention scrupuleuse les agents
qu'ils chargent de les représenter les uns chez les au-
tres (1). L'exercice des fonctions diplomatiques exigede telles qualités de tact et d'éducation, le caractère
dont sont revêtus les diplomates, les relations qu'ils,entretiennent avec les premiers personnages des Etats
nécessitent de leur part tant d'habitude de la haute
courtoisie, des moeurs si relevées, une si grande di-
gnité dans les dehors, que les gouvernements ne sau-raient mettre trop de circonspection dans leurs choix,afin d'éviter d'envoyer à l'étranger des ministres pu-blics qui ne seraient pas agréés.
(1) Précis du droit des gens, par Funck-Brentano et AlbertSorel, p. 76.
CHAPITRE IX.
Pièces et documents dont doit être muni le ministre public.— Les instructions. — Différentes sortes d'instructions.—Un agent diplomatique peut-il s'écarter de ses instruc-tions ? — Un agent diplomatique peut-il agir sans ins-tructions ?— Les instructions peuvent-elles être commu-
niquées ? — Instructions expédiées en double. — Formehabituelle des instructions. — Le chiffre. — Le plein
pouvoir.— Formes du plein pouvoir. — Lettres patentes.
— Lettres cachetées. — Diverses sortes de pouvoirs. —
Effets des actes des ministres publics accomplis dans les
termes de leur pouvoir. — Pluralité des pouvoirs. — La
lettre de créance. — Forme de la lettre de créance. —
Est-il répondu à la lettre de créance? — Cas où le souve-
rain qui a nommé et accrédité l'agent diplomatique vient à
mourir ou à abdiquer.— Cas où le souverain qui a nom-
mé et accrédité l'agent diplomatique vient à être renversé
par une révolution. — Cas où le souverain auprès duquel
l'agent diplomatique a été accrédité vient à mourir ou à
abdiquer. — Le régent du royaume, pendant la minorité
du roi, a-t-il qualité pour recevoir personnellement les .
lettres de créance d'un agent diplomatique expressémentaccrédité auprès de la personne royale ? — Cas où le sou-
verain auprès duquel l'agent diplomatique était accrédité
vient à être renversé par une révolution. — Cas où l'agent
diplomatique est élevé en grade pendant la durée de sa
mission. — Cas de nomination d'un nouveau ministre des
affaires étrangères,— Cas de lettres de créance provi-
soires. — Autres lettres dont peuvent être munis les mi-
nistres publics. — Lettres d'adresse ou de: recommanda-
tion. — La lettre de rappel. — La lettre de récréance. —
Énonciations ordinaires des lettres de rappel et des lettres
356 PIÈCES REMISES AUX MINISTRES PUBLICS
de récréance. — Rappel des chargés d'affaires. — A
partir de quel moment le ministre public jouit-il de la
protection du droit des gens?— Audiences accordées
aux ministres publics. — Audiences solennelles. — Ré-
ception des ministres publics de la première classe. —
L'audience solennelle de réception est-elle de rigueur?— Réception des ministres publics de la seconde clas-
se. — Réception des ministres publics de la troisième
classe. — Réception des ministres publics de la qua-trième classe. — Audiences privées. — Audiences pen-dant le cours de la mission. — Discours d'audience.— Visites diplomatiques. — Présentation des secrétai-
res, des attachés de légation et des étrangers de dis-
tinction.
Pièces et documents dont doit être muni le ministre
public.
En se rendant dans le pays où il remplira sa mis-
sion, le ministre public doit être, selon les cas, munides pièces et documents suivants :
1° Les instructions, qui déterminent la conduite
qu'il devra tenir pendant le cours de sa mission, tant à
l'égard du gouvernement auprès duquel il est envoyé,que relativement à l'objet même de la mission. Lesinstructions ne sont en principe destinées qu'au mi-nistre seul.
2° Le chiffre, pour la correspondance avec son gou-vernement.
3° Ce qu'on appelle le chiffre banal, c'est-à-dire lechiffre connu de tous les ministres de la même Puis-sance, et dont ils peuvent se servir dans leur corres-pondance mutuelle.
4° Un plein pouvoir, indiquant l'objet et les limitesdu mandat ; particulièrement lorsque le ministre est
LES INSTRUCTIONS 357
chargé de certaines affaires ou de certaines négo-ciations déterminées.
5° La lettre de créance, lorsqu'il s'agit d'une mis-sion générale et permanente.
Les instructions.
Outre le plein pouvoir, qui, selon l'usage général,ainsi qu'il sera dit plus tard, est formulé dans lestermes les plus étendus, les ministres publics reçoiventde leur gouvernement des instructions, tant au momentde leur départ que pendant la durée de leur mission.Un ministre public peut recevoir en effet, pendant le
cours de sa mission, de nouvelles instructions for-
melles ; on peut même dire que toutes les dépêches
qui lui sont adressées sont comme autant d'instructionsultérieures.
Les instructions' sont les directions données par l'au
torité qui accrédite, pour faire connaître aux ministres
publics les intentions de leur gouvernement à l'égardde la mission ou de la négociation dont ils sont char-
gés, et pour les guider dans la conduite à suivre.
Elles ont pour but de circonscrire les limites des pleins
pouvoirs, en traçant' à l'agent diplomatique l'ensemble
de ses devoirs et la ligne de conduite à laquelle il doit
se conformer dans l'exécution de son mandat. Elles em-
brassent plus ou moins sommairement l'état actuel des
rapports qui existent entre les deux gouvernements ;on y trace la marche à suivre dans les négociationsde toute nature qui pourront avoir lieu ; on y ren-
seigne le ministre public sur le personnel de la cour
où il est envoyé, sur les ministres de cette cour, sur
les influences des personnages qui entourent le chef
d'État et des membres du corps diplomatique résidant
près de lui, et dont il importe de surveiller la moralité ;on y expose à grands traits le système politique
adopté, les vues et les tendances politiques du gou-
vernement dont le ministre public devient l'organe,les intérêts permanents ou temporaires dont la sauve-
358 LES INSTRUCTIONS
garde est confiée à son zèle et à ses lumières ; on y
rappelle les affaires pendantes ou récemment termi-
nées ; on y insère, en un mot, tout ce qui peut servir
de guide ou de règle à l'agent diplomatique dans
l'exercice de ses fonctions.
Il y a un exemple très-intéressant d'instructions don-
nées à des envoyés diplomatiques ; il date de loin, mais
son ancienneté le rend plus précieux encore : ce sont
des instructions données par le gouvernement de
Venise, au XIIe siècle, en 1198, aux ambassadeurs
envoyés par lui à l'empereur d'Orient. Elles méritent
d'être reproduites en extraits, parce qu'elles donnent
une idée nette de ce que sont et peuvent être les ins-
tructions.
« Après avoir salué l'empereur, vous lui présenterez« vos lettres, et tirerez le commencement de votre dis-« cours des premières paroles qu'il vous dira,en suivant« l'inspiration de votre sagesse. Puis, vous en viendrez« au but de votre mission. S'il veut que l'accord soit« juré tel qu'il a été conclu, soit. Mais, s'il abordait le« chapitre du roi de Sicile, qui s'y trouve contenu, s'il« disait que le temps fixé est déjà passé, et voulait« établir catégoriquement que nous devrions le secou-« rir contre la Sicile et l'Apulie, dites que nous n'a-« vons pas songé à ce point là, et que, par suite, vous« n'avez pas d'instruction 0 cet égard et ne pouvez« rien résoudre. S'il consent au traité en faisant quel-
« que proposition relative à cette question de Sicile et« d'Apulie, soit ; sinon, non. Au cas où il le voudrait« à d'autres conditions, ayez l'habileté de nous amener« ses plénipotentiaires. S'il élevait quelque objection« sur l'article qui regarde l'empereur d'Allemagne, et« voulait le supprimer, vous répondriez que nous vous« avons envoyé loyalement, sans arrière-pensée, et« que nous n'avons point songé à cette difficulté, que« nous ne vous en avons pas dit davantage, et que« vous ne pouvez pas faire autrement qu'on ne vous a« dit. S'il n'accepte le traité qu'à la condition de« supprimer cet article, n'y consentez pas, mais effor-
LES INSTRUCTIONS 359
« cez-vous de nous amener ses plénipotentiaires. S'il« adopte le traité dans sa teneur, jurez en votre« nom, vous et les autres envoyés présents ; à leur« défaut, jurez vous seul, comme il est d'usage de« jurer de bonne foi, que nous conclurons l'accord« par le moyen de mandataires autorisés, et que nous« l'observerons (1). »
La difficulté qui existait autrefois d'échanger fré-
quemment des lettres avec les agents diplomatiquesaccrédités à l'étranger, donnait nécessairement une
importance considérable aux instructions. Il fallait
grouper dans un seul document toutes les recomman-dations que pourraient nécessiter les circonstances con-
nues, possibles et à prévoir. Mais, à partir du momentoù les envoyés diplomatiques purent facilement fran-
chir la distance qui séparait du lieu de leur résidence
le siège de leur gouvernement, à partir du moment
où des courriers rapides purent aller et venir, porteursde fréquents messages, les instructions données au
début de la mission devinrent moins importantes :
elles furent remplacées par une correspondance suivie
entre le ministre public et le gouvernement qui l'a
accrédité. Il sera question plus tard du rôle joué dans
la diplomatie par la télégraphie électrique. Consta-
tons, pour le moment, que les instructions étendues
données à un agent diplomatique, au moment du départ
pour se rendre à son poste, ont perdu presque entière-
leur raison d'être, depuis que les ministres publics
peuvent consulter à chaque instant et sur chaque inci-
dent leur gouvernement; depuis que, surtout, grâceaux communications par voies rapides, ils peuventaisément venir s'aboucher avec le chef de l'État qui les
a accrédités et avec son ministre des affaires étrangè-
res (2).
(1) Traduit par M. J. Armingaud, et cité par M. Armand Bas-
chet, dans son livre sur L'Histoire de la Chancellerie secrète de
Venise, 1870, p. 393,394.(2) Bien que les instructions développées soient moins néces-
saires, et par conséquent moins fréquentes de nos jours, j'em-
360 LES INSTRUCTIONS
Différentes sortes d'instructions.
Les instructions sont de différentes sortes : elles
sont générales ou spéciales, verbales ou écrites, se-
prunte cependant à l'édition de 1851 du Guide diplomatique, lemémoire remis en 1790 à M. de Moustier, envoyé du roi deFrance à la cour de Berlin, pour lui servir d'instruction. Jechoisis ce document, parce qu'il me paraît contenir de la ma-nière la plus complète toutes les directions qui puissent êtredonnées à un agent diplomatique, tant sur la politique générale,que sur la conduite que cet agent devra tenir dans l'accomplis-sement de sa mission. Ces instructions sont rédigées à la troi-sième personne, parce que c'est particulièrement un mémoire à
consulter, mais nous verrons plus tard qu'elles peuvent être ré-
digées aussi, et même le sont généralement, à la première per-sonne, sous forme de lettre.
Frédéric-Guillaume avait succédé au grand Frédéric sur letrône de la Prusse. « Ce prince, mobile et faible, renonçant à la
politique de son illustre prédécesseur, avait, dit M. Thiers,abandonné l'alliance de la France pour celle de l'Angleterre. Unià cette Puissance, il avait formé cette fameuse ligue anglo-prussienne, qui tenta de si grandes choses et n'en exécutaaucune: qui souleva la Suède, la Pologne, la Porte, contre laRussie et l'Autriche, abandonna tous ceux qu'elle avait soulevés,et contribua même à les dépouiller, en partageant la Pologne ».Voir l' Histoire de la Révolution française, par M. Thiers, édi-tion Furne, 1857, t. Ier, p. 212. Le mémoire pour servir d'ins-truction à M. de Moustier est ainsi conçu :
« Le système politique que la cour de Berlin a développé« depuis la mort de Frédéric II a causé dans toute l'Europe une« agitation dont il est impossible de prévoir l'issue. Frédéric-« Guillaume, égaré dès le commencement de son règne par la« fausse politique de son ministre influent, s'est laissé séduire« par les cajoleries de la cour de Londres, et, s'exagérant sa« puissance, ce prince s'est persuadé qu'il allait être en mesure« de diriger à son gré tous les cabinets. Cette erreur l'a conduit à« se brouiller avec la France à l'occasion des affaires de la« Hollande; mais il n'a pas tardé à entrevoir qu'il courait le« risque d'être isolé, et que son impuissance et son erreur« seraient bientôt à découvert : c'est là le premier motif de l'al-« liance que S. M. Prussienne a conclue avec la cour de Lon-« dres ; un second motif a contribué à cet événement, c'est le« désir de maintenir les usurpations du Stathouder des Pro-« vinces-Unies, et la crainte que la France ne les détruisît. Fré-«
déric-Guillaume, enivré de ses succès contre la province de
LES INSTRUCTIONS 361
crètes ou ostensibles. Elles peuvent être modifiées,augmentées ou changées dans le cours des négocia-tions.
« Hollande, qui était trahie et sans défense, croyait avoir acquis« une influence irrésistible dans les Provinces-Unies, et il se« flattait que ce ne serait que sous son égide que la Grande-« Bretagne aurait du crédit sur les États-Généraux ; son opinion« favorite était qu'il tiendrait la balance entre la France et l'An-« gleterre, non-seulement en Hollande mais aussi dans toute« l'Europe, et que par là il deviendrait l'arbitre du continent.
« C'est par suite d'une idée aussi fausse que le cabinet de« Berlin a entrepris de donner la loi dans le Nord ; qu'il a pris« un ton impérieux avec les cours de Vienne et de Saint-Péters-« bourg; qu'il a soulevé les Polonais contre ces deux cours ;« qu'il a fomenté le soulèvement de Liége et excité celui des« Pays-Bas ; qu'il a pratiqué les intrigues les plus révoltantes à« Constantinople pour éloigner les Turcs de toute idée pacifique« et pour détruire la confiance qu'ils montraient dans la justice« et dans l'amitié de S. M. Toutes ces menées ont eu pour résul-« tat publie deux traités d'alliance, l'un avec la Porte, l'autre« avec la nation polonaise : on a promis aux Turcs l'assistance« la plus efficace pour le recouvrement de la Crimée, et l'on a« stipulé avec les Polonais la garantie de toutes leurs posses-« sions, tandis que l'objet secret des deux alliances était l'acqui-« sition de Dantzig, de Thorn et d'une portion quelconque de la« grande Pologne.
« Le sieur de Moustier sait, par les correspondances qui lui« ont été communiquées, qu'à la suite des deux traités dont il« s'agit la Prusse a proposé aux parties belligérantes sa média-« tion jointe à celle de l'Angleterre et des Provinces-Unies ; que,« pour appuyer efficacement cette proposition, accompagnée et« suivie de plusieurs plans de pacification, elle a rassemblé« une armée nombreuse en Silésie, et qu'après beaucoup de« variations tout cet appareil hostile s'est terminé par la con-« vention préparatoire signée à Reichenbach et par un armis-« tice de neuf mois entre la Porte et la cour de Vienne ; qu'il« s'agit d'un congrès dont le lieu n'est pas encore désigné ; que« l'impératrice de Russie, invitée à y prendre part, a déclaré« qu'elle entendait faire sa paix directement et sans aucune in-« tervention étrangère, et que le roi de Prusse, après avoir me-« nacé Catherine II, semble reculer, malgré la réponse équivoque« qu'il doit avoir reçue de Léopold.
« La tournure qu'ont prise les affaires du Nord n'a point ré-« pondu à l'attente du roi de Prusse : Gustave III, convaincu,« quoique tardivement, qu'il n'était qu'un instrument de la poli-« tique des cabinets de Londres et de Berlin, s'est hâté de met-
362 LES INSTRUCTIONS
On distingue aussi entre l'instruction principale et
les instructions accessoires ou accidentelles. L'instruc-
tion principale consiste dans un ensemble de recom-
« tre à l'écard toute intervention et de proposer directement« la paix à Catherine II. Cette princesse, vivement blessée des« procédés qu'elle éprouvait de la part de l'Angleterre et de la« Prusse, s'est prêtée avec empressement à la demande de S.« M. Suédoise. Cet événement inattendu et invraisemblable a« causé à Berlin la sensation la plus vive et la plus désagréable,« parce qu'il a fait cesser une diversion qui entrait essentielle-« ment dans les calculs du ministère prussien.
« Quant aux Polonais, il paraît que leur illusion est entière-« ment dissipée, et il y a lieu de présumer que, convaincus de« la politique insidieuse du cabinet de Berlin à leur égard, ils« désirent secrètement de réparer les torts que les deux cours« impériales ont à leur reprocher. Le développement de ce« sentiment semble dépendre, d'un côté, de la conduite que« la cour de Berlin tiendra avec la Russie ; de l'autre, de la
« suite que cette cour voudra donner à ses vues sur la ville de« Dantzig.
« Il est deux autres objets qui doivent causer de l'embarras« au ministère prussien : ce sont les troubles de Liége et ceux« des Pays-Bas. La cour de Berlin a protégé les premiers et« provoqué les derniers : si elle veut soutenir ceux-là, elle se« compromet avec le corps germanique, et en soutenant les« seconds elle se compromet avec l'empereur ; en les aban-
« donnant elle perd toute considération, et elle ne pourra plus« inspirer la moindre confiance, soit dans ses principes, soit dans« son langage.
« Du tableau abrégé qui vient d'être fait il résulte, que la« Prusse, pour avoir adopté un système vicieux dans son prin-« cipe, s'est séparée de la France contre son intérêt fondamen-« tal ; qu'elle s'est alliée, sans utilité pour elle, avec les Pro-« vinces-Unies ; qu'elle s'est mise dans la dépendance de la« Grande-Bretagne en croyant la gouverner ; qu'elle s'est brouil-« lée avec la Russie, dont elle aurait dû rechercher l'alliance ;« qu'elle a trompé les Liégeois, les Belges et les Polonais; qu'elle« a éloigné d'elle la Suède et le Danemarck, et que, probable-« ment, le fruit de ses intrigues à Constantinople sera une« brouillerie ouverte avec la Porte Ottomane.
« Pour achever ce tableau, il est nécessaire de faire connaître« au sieur de Moustier les procédés de la cour de Berlin à l'é-« gard de la France et la position actuelle des choses entre S. M.« et S. M. Prussienne. On ne remontera pas au-delà de l'année« 1788, parce que tous les détails nécessaires pour l'instruction« du ministre du roi, jusqu'à cette époque, sont consignés dans
LES INSTRUCTIONS 363
mandations réunies dans un écrit particulier remis à
l'agent diplomatique au commencement de sa mission,et auquel il doit recourir dans chacune de ses démar-
« les différentes instructions fourmes tant à son prédécesseur« qu'au baron de Groschlag : ces instructions sont jointes à la« correspondance du sieur d'Esterno, que le sieur de Moustier« trouvera à Berlin.
« Le roi de Prusse, malgré son alliance avec la Grande-Breta-« gne et les Provinces-Unies, craignait les effets de celle qu'il« supposait que le roi allait conclure avec l'inipératriee de Rus-« sie; il s'agita en tous sens pour découvrir la réalité de cette« alliance; c'est principalement à Madrid qu'il a cherché à« acquérir des lumières et à faire échouer les vues présumées« de S. M. C'est d'après la supposition dont il s'agit, c'est-à-dire« en haine de la France, que Frédéric-Guillaume a intrigué à la« Porte, en Pologne et en Suède : ces trois Puissances, ainsi« qu'il a été observé plus haut, ont eu la faiblesse de céder à« ces insinuations. Le roi de Suède a fait, sans motif et même« sans prétexte, une levée de boucliers contre la Russie, et il a« décliné les bons offices comme les conseils de S. M.; les Turcs« et les Polonais se sont liés par des traités.
« Non content d'avoir séparé la Suède de son plus ancien« allié, Frédéric Guillaume s'est attaché à mortifier le roi en« cherchant à lui faire retirer la médiation entre les trois Puis-« sances belligérantes, médiation qu'il exerçait de fait à Cons-« tantinople. Le Divan a consacré cette exclusion dans son traité« d'alliance, et l'empereur défunt y a adhéré par une déclara-« non remise à la cour de Berlin. Depuis cette époque, les affai-« res, tant du Nord que du Levant, ont été traitées sans la parti-« cipation de S. M.
« La cour de Berlin n'a pas borné aux faits qui viennent d'être« indiqués sa malveillance à notre égard ; elle a supposé à la« France des adhérents en Allemagne ; elle s'est occupée à les« séduire, et elle y a réussi. Elle a dû ses succès, d'abord à notre« versatilité dans les affaires de Hollande, et surtout à nos agi-« tations intérieures ; et ce sont ces agitations, par les entraves« qu'elles ont mises à notre conduite extérieure, qui ont porté« le cabinet prussien à ne plus garder de mesure à l'égard de la
« France.« Le sieur de Moustier concevra facilement, d'après tous ces
« faits, qu'il n'existe dans le moment actuel aucuns rapports« bienveillants entre le roi et la cour de Berlin ; il concevra éga-« lement, d'après les engagements que cette cour a pris de« toutes parts, que ce défaut de concert s'est de jour en jour« agrandi, et qu'il sera aussi long que difficile d'y remédier.
« Cependant le roi en a le désir, parce qu'il n'a en vue que
364 LES INSTRUCTIONS
ches officielles. Les instructions accessoires ou acci-
dentelles sont celles qui, suivant les circonstances,viennent développer l'instruction principale, ou qui
« l'intérêt politique de son royaume et ne compte pour rien son« ressentiment personnel, quelque bien fondé qu'il soit. C'est là« la tâche que le sieur de Moustier aura à remplir ; S. M. se« persuade d'autant plus qu'il y réussira, qu'elle connaît son« zèle, sa dextérité et sa prudence. Cependant elle ne se dissi-« mule pas les obstacles nombreux qu'il aura à surmonter ; elle« sent qu'il aura bien des préjugés à vaincre, et que ses succès« ne pourront être que le fruit du temps, des circonstances et« d'une patience à toute épreuve. Au reste, le sieur de Moustier« sentira de lui-même que le but que le roi lui prescrit doit être« atteint, de manière que le ministère prussien ne croie pas que« S. M. attache une importance majeure au rapprochement qu'il« s'agit d'opérer ; il conviendra sans doute qu'il entrevoie notre« désir, mais il conviendra surtout qu'il le partage, et qu'il sente« que ses rapports avec nous sont d'un avantage plus réel pour« la monarchie prussienne que pour la France.
« Le succès du sieur de Moustier sera d'autant plus agréable« au roi, qu'il devra influer sur une affaire qui tient infiniment à« coeur à S. M. : il s'agit des réclamations que font les princes« de l'Empire qui ont des possessions en Alsace.
« L'Assemblée nationale a rendu plusieurs décrets concernant« les droits féodaux : une partie a été abolie sans indemnité,« une autre partie a été déclarée rachetable. Les princes pos-« sessionnés en Alsace ont réclamé contre ces dispositions ; ils« se sont étayés de plusieurs traités, particulièrement de ceux« de Westphalie ; ils ont intéressé à leur cause le corps germa-« nique ; le collège électoral a adressé en leur faveur une lettre« assez pressante au nouvel empereur; plusieurs mémoires ont« été soumis à la diète générale de l'Empire, et il y a tout lieu« de penser que le roi de Prusse a excité secrètement toutes« ces démarches, et que son intention est de les appuyer avec« énergie.
« Quelque fondée que l'on puisse supposer la cause des« princes, il importe au roi de faire cesser la fermentation« qu'elle a occasionnée, et d'amener les choses aux termes de« conciliation décrétés par l'Assemblée nationale et sanctionnés« par S. M. Le principe d'uniformité est la base de toutes les dé-« cisions de l'Assemblée ; elle l'a particulièrement appliqué à«
l'ancien système féodal, et il faut convenir qu'une exception à« l'égard de l'Alsace formerait une bigarrure qui aurait des in-
« convénients, tant pour l'administration que pour l'intérêt par-« ticulier des possesseurs. Cependant cet intérêt a été pris en« considération, et il a dicté à l'Assemblée le décret dont la
LES INSTRUCTIONS 365
sont sollicitées par l'agent diplomatique, lorsqu'il abesoin d'une direction plus spéciale, à raison de telleéventualité déterminée.
« copie est ci-jointe. Ce décret établit : 1° qu'il est dû une indem-« nité aux princes pour les droits abolis sans indemnité dans« le reste du royaume ; 2° que l'Assemblée nationale, si cela« devient nécessaire, est disposée à acquérir la totalité des droits« et même des possessions que les princes ont en Alsace. C'est« d'après ces deux bases que le roi va entamer des négociations« avec eux.
« Il ne faut point se le dissimuler, les parties intéressées adop-« feront avec une grande répugnance les deux bases qui vien-« nent d'être indiquées, et elles chercheront conseil et appui à« Berlin. D'après cela, il nous importerait infiniment d'être en« mesure d'influer sur le langage et sur la conduite du roi de
« Prusse ; mais il y a entre ce prince et nous une si grande« distance, que l'on ne saurait entrevoir les moyens de l'abor-« der. Ce sera au ministre du roi à juger, lorsqu'il aura reconnu« les dispositions de la cour de Berlin, si les obstacles que nous« voyons peuvent être franchis ou non : dans ce dernier cas, il« faudra bien se résoudre à abandonner les événements à leur« cours naturel ; mais dans le premier cas, le sieur de Moustier« s'attachera à faire adopter nos principes au ministère prus-« sien, ou au moins à l'engager à ne point soutenir les princes« dans la résolution où ils pourraient être de les rejeter.
« Mais le sieur de Moustier sentira de lui-même avec quelle« circonspection il conviendra de remplir la tâche qui lui est« confiée ; il sentira qu'il aura à ménager la dignité du roi et de« la nation, et qu'il devra éviter soigneusement tout ce qui« pourrait autoriser le ministère de Berlin à croire que nous« craignons la puissance de la Prusse, et que nous recourrons à« son appui comme à un port de salut : ce sera à la dextérité« et à la sagesse du ministre du roi à éviter ces différents« écueils. Au reste, s'il parvient à entrer en discussion avec les« ministres prussiens sur l'objet dont il est question, il aura« l'attention la plus scrupuleuse de ne pas s'écarter du texte et« de l'esprit du décret de l'Assemblée nationale ; et dans le cas« où on lui suggérerait quelque idée de conciliation il se conten-« tera de la prendre ad referendum.
« Pour ne rien laisser ignorer au ministre du roi de ce qui« peut contribuer à son instruction sur l'objet dont il est ques-« tion, on croit nécessaire de joindre à ce mémoire copie des« instructions fournies au sieur de Ternant, ainsi que du rap-« port fait par cet officier : le roi, par une attention particulière,« l'avait envoyé auprès des princes possessionnés en Alsace, pour« les engager à adopter le principe d'indemnité qu'il s'agit au-
366 LES INSTRUCTIONS
Qu'elles soient générales ou spéciales, verbales ou
écrites, secrètes ou ostensibles, principales ou acces-
soires, les instructions ne doivent présenter aucune
« jourd'hui de mettre à exécution. Tous ces princes ont pris des« prétextes pour éluder la. question ; ils n'ont, ni. accepté, ni re-« fusé, et telle est notre position actuelle à leur égard : c'est« cette position qu'il s'agit de changer, en conformité du décret« de l'Assemblée nationale.
« Il est à présumer que les ministres prussiens éviteront d'en-« tretenir le sieur de Moustier sur les affaires générales, de l'Eu-« rope, parce que, d'un côté, ils affectent de croire que nos« embarras intérieurs nous les rendent forcément étrangères ;« de l'autre, parce que leur amour-propre leur persuade que le« sentiment de la France ne doit rien être pour eux, parce qu'il« est, dans leur opinion, sans efficacité : à ce double motif se« joindra peut-être un peu de honte de leur conduite passée, et« la crainte d'avoir l'air de revenir sur leurs pas. Quoi qu'il en« soit, le ministre du roi, sans les provoquer directement, cher-« chera, sans affectation, à les mettre, sur la voie, et il s'expli-« quera avec eux selon la mesure qu'ils jugeront à propos de« prendre. S'il trouve l'occasion d'exprimer une opinion sans« inconvénient et sans s'exposer à se voir repoussé, il établira,« comme principe fondamental de notre politique, que nous dé-
« sirons le rétablissement et le maintien de la paix générale« comme de la paix particulière de toutes les nations de l'Eu-« rope ; que, par une conséquence de ce principe, nous avons« vu avec satisfaction et la pacification du Nord et les bases de« celle du Levant établies à Reichenbach, et que nous souhai-« tons que la cour de Pétersbourg imite l'exemple de Léopold II« Si, contre toute attente, on fait mention des affaires de Hollande,« le sieur de Moustier observera que le roi pense qu'elles doi-« vent être ensevelies, dans l'oubli, et que la seule chose qui im-« porte à S. M. est que l'on soit bien convaincu, à Berlin, que« jamais elle n'a eu d'intentions nuisibles au Stathouder, et« que jamais sa politique ne lui fera adopter les idées de ran-« cune et de vengeance qu'elle sait qu'on lui suppose, et que S.« M. regarde comme indignes d'elle.
« La vigilance journalière du sieur de Moustier se portera« essentiellement sur les points suivants : 1° sur le système, de« la cour de Berlin, à l'égard des affaires de Liége et de celles« des Pays-Bas ; 2° sur les vàriations que pourra éprouver l'inti-« mité qui règne actuellement entre cette cour et celle de Lon-« dres ; 3° sur les dispositions actuelles du cabinet prussien, à« l'égard de la Pologne; 4° sur l'intention plus ou moins pro-« noncée du roi de Prusse d'imposer sa politique à l'impératrice« de Russie, si cette princesse ne fait pas sa paix avec les Turcs
LES INSTRUCTIONS 367
ambiguité; rien de vague, rien de douteux ne doit ysubsister, sans une explication écrite de la main duministre des affaires étrangères de qui l'agent diplo-
« dans le cours de cet hiver ; 5° sur les dispositions secrètes de« Frédéric-Guillaume, à l'égard de la cour de Vienne ; 6° sur l'é-« tat actuel des finances prussiennes et sur leur administration;« enfin, 7° (et c'est le point le plus important) sur les sentiments« secrets de la cour de Berlin, à l'égard de la France et sur les« moyens d'influer sur ces dispositions.
« Le sieur de Moustier n'entretiendra aucune correspondance« politique avec les ambassadeurs et ministres du roi dans les« autres cours : ces correspondances ont généralement beau-« coup d'inconvénients, nommément celui de compromettre le« secret des affaires ; c'est par cette raison qu'on ne lui remet« pas un chiffre général. Quant à celui de la' correspondance« ordinaire, il le trouvera à Berlin, ainsi que l'instruction sur la« manière de s'en servir.
« Le sieur de Moustier fera sa cour au prince Henri de Prusse,« mais il mettra de la réserve dans son langage vis-à-vis de ce« prince, selon qu'il le jugera bien ou mal avec le roi son neveu.« Le prince Henri est très-affectionné à la France, et il mérite« certainement de la confiance de notre part ; mais il ne nous« convient de donner de l'ombrage, ni au roi, ni à son ministère,« parce qu'il en résulterait nécessairement de la réserve et de la« gène, peut-être même de la mauvaise volonté envers le sieur« de Moustier, ce qui entraverait le succès de sa mission. Sa« sagesse et la connaissance qu'il a des hommes et des affaires
« dirigeront sa conduite.« Le roi de Prusse est pressé entre deux partis très-opposés,
« et dont l'influence est très-alternante : l'un est le parti minis-« tériel, et l'autre celui des favoris, à la tète desquels est le sieur« Bischoffs werder, gentilhomme saxon. On prétend que ce der-« nier parti fonde son ascendant sur les prétendus mystères de« la secte dite des illuminés. Le sieur de Moustier cherchera à« démêler la situation actuelle des deux partis, et surtout le« plus ou moins de goût que S. M. Prussienne peut encore« avoir pour la mysticité. On a cru un instant le comte de« Hertzberg en défaveur à cause des embarras qui ont résulté« de sa politique tracassière ; mais il semble que l'orage s'est« calmé : il serait important de savoir s'il est entièrement dis-« sipé, et si M. de Hertzberg se maintiendra au timon des« affaires. Il serait sans doute à désirer que ce ministre payât« par sa disgrâce tout le tourment qu'il a causé à l'Europe« depuis qu'il dirige le cabinet prussien.
« Le sieur de Moustier fera, à la fin de chaque année, le ré-« sumé de sa correspondance et de ses observations, et l'adres-
368 LES INSTRUCTIONS
matique les reçoit. De son côté, l'agent diplomatique
doit étudier attentivement les termes de ses instruc-
tions, et ne pas négliger de demander tous les éclair-
cissements dont il croira avoir besoin ; il ne saurait
être trop circonspect à cet égard.
Un agent diplomatique peut-il s'écarter de ses
instructions?
Un agent diplomatique peut-il s'écarter de ses ins-
tructions? Il y a des cas où il doit le pouvoir : c'est
lorsque, après un mûr examen, après avoir rigoureu-sement pesé toutes les conséquences de sa détermi-
nation, après avoir épuisé toutes les considérations, il
s'est convaincu que les ordres reçus par lui, que les
directions qui lui ont été données, tourneraient, à rai-
son de certaines circonstances nouvelles ou non pré-
vues, au préjudice de l'objet même de la mission, s'il
s'y conformait strictement (1). C'est nuire en effet au
« sera au ministre des affaires étrangères, avec lequel seul il« correspondra sur tous les objets relatifs à la mission. Lors-« qu'elle sera terminée, il lui remettra un mémoire général.« Quant à sa correspondance, il la laissera à son successeur.
« Berlin est la ville d'Europe où il se présente le plus de Fran-« çais : les uns s'y rendent par curiosité, les autres pour leur« instruction. Le sieur de Moustier ne présentera à la cour que« ceux qui seront munis de lettres de recommandation de la« part du ministre secrétaire d'État des affaires étrangères, et« ayant les qualités requises, selon les règles suivies à la cour« de Berlin, pour jouir de cet avantage. Quant aux autres Fran-» çais qui lui prouveront qu'ils sont des citoyens honnêtes, il« leur accordera la protection la plus efficace dans tous les« cas où ils en auront besoin ; aux gens sans aveu et qui ne« pourront justifier de leur qualité de citoyens français, il ne« devra, ni protection, ni appui. »
(1) Le baron Ch. de Martens rappelle que, lors des négociationspour la paix d'Amérique entre la France, l'Espagne et l'Angle-terre, le roi d'Espagne avait exigé comme conditïon. sine quâ nonla restitution de Gibraltar contre un équivalent. Cet échange,d'abord accepté à Londres, y fut bientôt repoussé ; le cabinet deSaint-James craignait le mécontentement qu'exciterait la restitu-tion de cette place importante. Il offrit, pour prix du désistement,
LES INSTRUCTIONS 369
succès des négociations, que d'assujettir les négocia-teurs à trop d'entraves. Mais, même en s'écartant deses instructions, dans ce cas exceptionnel le ministre
public doit prendre garde de ne point engager son
gouvernement dans une voie opposée à sa politiquegénérale, ou à ses intentions, en ce qui concerne
l'objet spécial de la mission ou de la négociation dontil est chargé. En pareille occasion il sera, d'ailleurs,toujours plus prudent, au lieu de s'écarter des ins-tructions données," de suspendre l'exécution des ordres
reçus, de représenter les inconvénients des instruc-
tions, d'en demander et d'en attendre de nouvelles.
Un agent diplomatique peut-il agir sans instructions?
Un agent diplomatique pouvant, dans certains cas
exceptionnels et très-graves, s'écarter des instructions
qu'il a reçues, lorsqu'il s'est convaincu qu'en s'y con-
formant rigoureusement il compromettrait les intérêts
de son pays et de son gouvernement, il n'y a pas de
doute que, dans les mêmes cas, il doive pouvoir agirsans avoir reçu d'instructions. Une certaine initiative
doit être en effet accordée aux ministres publics :
paralyser leur action en multipliant les obstacles autour
d'eux, serait nuire à leur influence. Cependant l'agent
diplomatique ne doit pas, à l'insu de son gouverne-
ment, prendre des décisions qui le lieraient, ou faire
des démarches qui seraient de nature à engager sa di-
les deux Florides. Cet ultimatum fut communiqué au comte d'A-
randa, ambassadeur d'Espagne. Il s'agissait de mettre fin à une
guerre ruineuse. Le comte d'Aranda connaissait l'inflexible ca-
ractère de Charles III ; il resta longtemps absorbé dans ses ré-
flexions, mais la conviction qu'il avait de la nécessité pour son
pays de faire la paix l'emporta : « Il est des moments où il faut
jouer sa tête, dit-il, en rompant le silence; j'accepte les Florides à
la place de Gibraltar, quoique ce soit contraire à mes instruc-
tions, et je signe la paix. » Aranda avait prévu sa disgrâce,mais cette pensée ne l'arrêta pas. Voir Le Guide diplomatique,édition de 1851, chap. IV, § 20, t. Ier, p. 73, note 1.
24
370 LES INSTRUCTIONS
gnité et ses intérêts. La prudence, dit l'auteur du Gui-
de diplomatique (1), lui commande de ne rien hasarder,
et, si on le provoque à s'expliquer, de déclarer franche-
ment qu'il est sans ordres. Les inconvénients qui peuventrésulter de cette réserve obligée et des retards qui en
sont la suite, ne doivent point l'emporter sur la pru-dence. La ressource ordinaire est de prendre ad réfé-rendum (2). Tout ce qui est possible, si le cas est
urgent et la distance entre les deux gouvernements
considérable, c'est de rejeter ou d'accepter sub sperati (3).
Les instructions doivent donc être aussi complètes
que possible; et, à ce sujet, il convient de rappeler
que plus elles sont générales, plus l'agent qui les
reçoit court le risque de devenir responsable des évé-
nements qu'il peut être appelé à interpréter et des
questions qu'il a pris sur lui de résoudre. Il est donc
d'un intérêt puissant pour lui d'obtenir qu'elles soient
suffisamment détaillées et le plus possible précises.
Les instructions peuvent-elles être communiquées?
Dans la règle, les instructions ne sont destinées qu'auministre public, pour sa direction personnelle. Il ne
peut donc pas être contraint à les communiquer :
l'obliger à cette communication, serait porter atteinteà son indépendance. L'agent diplomatique n'a en effet
pas besoin d'autre titre, pour qu'on ajoute foi à sa
(1) Ibid., t.Ier, p. 74.
(2) Ad référendum, c'est-à-dire sauf à en référer à son gou-vernement. Quand un négociateur reçoit une proposition qui luisemble s'éloigner d'une manière essentielle de la pensée de songouvernement, pour se donner le temps de le consulter il n'ad-met cette proposition que ad referendum.
(3) Sub spe rati, c'est-à-dire sous la réserve de ratification.Quand, en cas d'urgence et en vue de la distance du heu, unministre public doit se décider sans retard, s'il accepte la propo-sition faite, ou s'il la rejette, c'est sub spe rati, sous la réserveque sa détermination sera ratifiée.
LES INSTRUCTIONS 371
parole, que de la lettre de créance, ou des pleinspouvoirs dont il est muni (1).
Cependant il peut arriver qu'il ait des instructionsostensibles : il dépend, dans ce cas, de son tact et de sa
sagesse de voir s'il doit ou non les produire ; c'est àlui à juger ce que, sans ordre de son gouvernement,il peut confidentiellement communiquer aux ministresdes gouvernements amis. Quant aux instructions
secrètes, l'agent diplomatique ne peut les commu-
niquer sans un ordre exprès de son gouvernement.
Instructions expédiées en double.
Il arrive souvent qu'un ministre public soit muni
d'une double instruction, dont l'une est rédigée pourêtre produite au besoin, et l'autre pour être tenue
secrète et uniquement à l'usage du ministre. On
retranche dans celle qui est rédigée pour être produiteau besoin, ce que la personne à qui la communication
doit être faite n'a aucun droit de savoir ; mais la bonne
foi exige que cette réticence ne soit pas' combinée en
vue de l'induire en erreur.
On a remarqué, avec raison, qu'une collection d'ins-
tructions secrètes bien choisies serait très-précieuse,au triple point de vue de la politique pratique, de l'his-
toire et des négociations.
Forme habituelle des instructions.
Les instructions qui sont données aux ministres pu-
blics, lorsqu'ils se rendent à leur poste, sont parfois
rédigées sous forme de mémoire. Dans ce cas, la
pièce est intitulée : « Mémoire pour servir d'instruc-
tions ». Nous verrons plus tard qu'en diplomatie les
mémoires sont des écrits politiques d'une certaine
étendue, destinés à l'exposition circonstanciée, soit
(1) Le Guide diplomatique, édition citée, t. Ier, p. 76.
372 LE CHIFFRE
d'affaires qui sont ou qui deviennent l'objet d'une
négociation politique, soit d'événements donnant ma-
tière à une justification de conduite, ou motivant des
mesures dont on énonce le but et la portée, et à la
discussion des questions que ces affaires soulèvent (1).
Nous avons cité plus haut, à titre d'exemple, le mé-
moire"pour servir d'instructions à M. de Moustier,
ministre du roi de France à Berlin, en 1790.
Enfin, il a été dit que les instructions reçues par le
ministre public à son départ pour se rendre à son
poste, peuvent être modifiées par la face mobile des
affaires et la marche des événements. Ces modifica-
tions deviennent alors l'objet de nouvelles instructions
que le ministre dés affaires étrangères remet à son
agent, et sur lesquelles celui-ci règle sa conduite,autant que les incidents qui surgissent lui permettentde s'y conformer strictement (2).
Le chiffre.
On donne le nom de chiffre à une manière secrèted'écrire. Chiffrer, c'est écrire en chiffre ; déchiffrer,c'est expliquer ce qui est écrit en chiffre.
Cette manière secrète d'écrire peut consister, parexemple, soit dans l'emploi de caractères alphabéti-ques usuels détournés de leur acception ordinaire, etcombinés avec des signes ou avec des nombres ; soiten signes, soit en nombres seuls. Cette dernière ma-nière de chiffrer est une des plus sûres, à cause de la
quantité dès combinaisons qui y est presque infinie. On
emploie aussi ce qu'on appelle la grille, procédé quiconsiste en une série de mots accouplés et entremêléscomme au hasard, mais disposés de façon à présenterun sens exact et complet au correspondant qui en pos-sède la clef. Cette clef est un carton découpé à jour,lequel, posé sur la dépêche aux points de repère, ne
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1866, t. III, p. 4.(2) Ibid., t. II, p. 287.
LE CHIFFRE 373
laisse apparents que les caractères nécessaires, et
masque les mots de remplissage ajoutés après couppar l'expéditeur, qui, au moyen d'un carton semblable,a tracé régulièrement les mots significatifs. Le procédéde la grille ne peut être appliqué qu'à des correspon-dances de peu d'étendue.
Chaque cabinet fait, du reste, à cet égard, usage de
procédés différents, et tout diplomate entrant enfonctions doit nécessairement y être initié; des tableschiffrantes et des tables déchiffrantes sont mises à la
disposition du ministre des affaires étrangères et deses agents au dehors, pour traduire les dépêches enchiffre et pour reproduire le texte original.
On recommande de ne pas écrire en chiffre sans né-
cessité, car l'usage trop fréquent de cette manière se-
crète de correspondre aurait le double résultat de
compromettre l'emploi du chiffre, en facilitant les
observations des interprètes par la multiplicité des
pages à rapprocher et à comparer, et d'éveiller la dé-
fiance des gouvernements étrangers.Dans son opuscule sur le droit diplomatique dans
ses applications spéciales aux républiques sud-améri-
caines, M. Albertini prétend que l'usage du chiffre est
tombé en désuétude, de nos jours où « les progrès de la
civilisation et les conquêtes successives des garantiesconstitutionnelles ont généralisé chez tous les peuplesle principe de l'inviolabilité des lettres »... C'est là une
opinion inexacte : le chiffre est toujours employéentre les légations et leurs gouvernements. Dans tous
les cas, les garanties constitutionnelles dont parle M.
Albertini sont trop exclusivement théoriques, dans les
républiques de l'Amérique espagnole, pour que lesgouvernements européens n'aient pas conservé un
moyen, quelque imparfait qu'il fût, de correspondreavec leurs agents diplomatiques, sans craindre la vio-
lation officielle du secret des correspondances (1).
(1) Albertini, ouvrage cité, 1866, p. 74, 75.
374 LE PLEIN POUVOIR
Le plein pouvoir.
On confond généralement le plein pouvoir avec la
lettre de créance. Quoique le pouvoir puisse être
inséré dans la lettre de créance, il faut cependant dis-
tinguer entre ces deux manifestations de la confiance
du chef de l'État. On dit indifféremment : les pleins
pouvoirs ou le plein pouvoir.Le plein pouvoir, rédigé par écrit, indiquant l'objet
et les limites du mandat du ministre public, constitue
la base de la validité de ses actes. Les instructions
qu'il a pu recevoir ne sont, en principe, destinées qu'àlui seul, à moins qu'elles ne soient explicatives du
pouvoir, et que, dans ce cas, elles n'aient dû être com-
muniquées par lui.
Formes du plein pouvoir. ; lettres patentes ;lettres cachetées.
La forme extérieure des pleins pouvoirs est arbi-
traire. Quelquefois ils sont donnés dans la forme delettres patentes ; d'autres fois ils le sont dans la formede lettres cachetées, et se confondent alors particuliè-rement avec les lettres de créance proprement dites.
Quelquefois aussi un agent diplomatique reçoit lesdeux à la fois.
Les pleins pouvoirs sont donnés dans la forme de•lettres patentes, dans le cas surtout où l'agent diplo-matique doit être accrédité auprès d'un congrès deministres publics : par exemple dans un congrès de
paix. Ils sont donnés dans la forme de lettres cache-
tées, particulièrement dans le cas où l'envoyé doitêtre accrédité près d'un gouvernement. Ces lettres ca-chetées sont ou des lettres de conseil, ou des lettresde cabinet.
Il y a, du reste, une distinction à établir entre lesministres publics en mission permanente, et les mi-nistres publics envoyés à un congrès.
LE PLEIN POUVOIR 375
Les ministres publics en mission permanente ne re-
çoivent pas habituellement de plein pouvoir dressé
séparément : leur plein pouvoir est inséré dans lalettre de créance, ou plutôt c'est leur lettre de créance
qui leur sert ordinairement de pouvoir : à moins, bien
entendu, qu'ils ne soient chargés d'une affaire spéciale,d'une négociation particulière, indépendamment deleur mission permanente.
Les ministres publics envoyés à un congrès ne sont
pas ordinairement munis de lettres de créance : ilssont porteurs de pleins pouvoirs, dont ils échangententre eux des copies collationnées sur leur original.Cet échange de copies, qu'on appelle aussi l'é-
change des pouvoirs, a lieu, nous le verrons plus tard,dans la première séance des congrès. Le protocolede cette première séance et le traité signés par les
ministres publics négociateurs font mention de l'é-
change.
Lorsque les négociations doivent se poursuivre sous
la direction ou la présidence d'un ministre médiateur,nous verrons aussi que c'est à ce ministre que les
copies des pouvoirs sont remises, et que c'est par ses
soins que se fait l'échange des pouvoirs.Quand le plein pouvoir est dressé séparément,
c'est-à-dire quand il n'est pas inséré dans la lettré de
créance, le nom et les titres du chef d'État constituant,
ou du chef d'État qui notifie la commission donnée à
l'agent diplomatique, sont placés en tête de l'acte, et
suivis des noms et titres du ministre public chargé de
la mission. Après avoir exposé le but et l'étendue de
l'autorisation, on termine en promettant la ratification
des points qui seront convenus par le plénipotentiaire.L'écrit est muni du sceau de l'État, revêtu de la signa-
ture du souverain et contre-signe par le ministre des
affaires étrangères (1).
(1) Le Guide diplomatique, édition citée, t. II, p. 278.
Je trouve dans le Guide pratiqué de M. Garcia de la Véga, la
formule des pleins pouvoirs donnés à M. de Gerlache, chargé
376 LE PLEIN POUVOIR
Diverses sortes de pouvoirs.
Les pouvoirs sont spéciaux ou généraux. Les uns et
les autres peuvent être limités ou illimités.
de représenter la Belgique à la Conférence de Londres. Lavoici :
« Nous, Léopold, roi des Belges, ayant pris en considération« les circonstances nouvelles où se trouve placé le royaume de« Belgique, par suite des négociations reprises par les plénipo-« tentiaires des cinq cours représentées à la Conférence de« Londres, dans le but de parvenir à un arrangement final des« différends entre la Belgique et la Hollande ; à ces causes, et nous.« confiant entièrement en la capacité, le zèle et le dévouement« du sieur Etienne de Gerlache, officier de notre ordre, décoré« de la croix de fer, officier de l'orde royal de la Légion d'hon-« neur, chevalier de Saint-Grégoire-le-Grand, premier président« de la cour de cassation, etc., etc. ; nous avons trouvé bon de« l'accréditer, et par les présentes signées de notre main nous« l'accréditons en qualité de notre plénipotentiaire auprès des« plénipotentiaires de LL. MM. l'empereur d'Autriche, le roi« des Français, la reine du Royaume-Uni de la Grande-Breta-« gne et d'Irlande, le roi de Prusse et l'empereur de toutes les« Russies, réunis en conférence à Londres, lui donnant plein et« absolu pouvoir de s'entendre avec les dits plénipotentiaires« sur les mesures qui seraient jugées les plus propres à attein-« dre le but proposé. Promettant, en outre, en foi et parole de« roi, d'avoir pour agréable et de faire exécuter ponctuellement« ce dont notre dit plénipotentiaire sera tombé d'accord avec« la Conférence, conformément aux instructions qui lui seront« délivrées de notre part. En foi de quoi nous avons ordonné« que les présentes fussent revêtues du sceau de l'État.
« Donné en notre château de Laeken, le cinquième jour de« janvier de l'an de grâce mil huit cent trente-neuf.
« LÉOPOLD.« Par le roi :
« Le ministre des affaires étrangères et de l'intérieur,« de Theux. »
Voici, d'après Le Guide diplomatique, la formule des pleinspouvoirs donnés, en 1797, par le président des États-Unis d'Amé-rique à MM. Prinkney, Marshall et Gerry, envoyés extraordi-naires et ministres plénipotentiaires accrédités auprès du Direc-toire de la République française (1797).
« John Adams, président des États-Unis d'Amérique, à tous« ceux que ces présentes intéresseront, salut.
« Savoir faisons, qu'afin de terminer tous différends entre les
LE PLEIN POUVOIR 377
Les pouvoirs illimités sont naturellement les pleinspouvoirs proprement dits.
Il est inutile d'insister sur ce que pouvoirs et pleins'pouvoirs se disent indifféremment; mais le mot
pleins pouvoirs éveille plutôt l'idée de pouvoirsillimités.
Les pouvoirs ou pleins pouvoirs spéciaux ne portentque sur une affaire déterminée, ou même seulementsur certains actes particuliers compris dans cette
« États-Unis d'Amérique et la République française, de rétablir« une harmonie parfaite et une bonne intelligence, ainsi que les« relations de commerce et d'amitié entre les deux pays ; ayant« une confiance particulière en l'intégrité, la prudence et les« talents de Charles Colenvorth Prinkney, John Marshall et« Elbridge Gerry, citoyens desdits États-Unis, j'ai nommé, et de« l'avis et du consentement du Sénat, commissionné lesdits« Charles Colerworth Prinkney, John Marshall et Elbridge Gerry,« conjointement et séparément, envoyés extraordinaires et mi-« nistres plénipotentiaires des État-Unis d'Amérique auprès de« la République française ; donnant et accordant par les pré-« sentes à eux et à chacun d'eux pleins pouvoirs et autorité, et« aussi commandement général et spécial, pour, et au nom des« États-Unis, conférer avec les ministres, commissaires ou dé-« putés de la République française, munis des mêmes pleins« pouvoirs, soit séparément, soit conjointement, et de traiter,« consulter et négocier avec eux au sujet de toutes les réclama-
" tions et de tous les objets et causes de différends qui subsis-« tent entre les États-Unis et la République française, afin d'y« satisfaire et y mettre fin d'une manière juste et équitable, et« de même touchant le commerce général entre les États-Unis« et la France, et tous autres domaines de la République fran-« çaise, ainsi que de conclure et de signer tous traité ou« traités, convention ou conventions sur ce qui est expliqué ci-« dessus, en les transmettant au président des États-Unis d'A-« mérique pour sa ratification finale, de l'avis et consentement« des États-Unis, si ce consentement est accordé.
« En foi de quoi j'ai fait apposer aux présentes le sceau des« États-Unis.
« Fait de ma main, dans la ville de Philadelphie, le 22e jour« de juin de l'année de notre Seigneur 1797, et de l'indépen-« dance des États-Unis la vingt et unième.
« JOHNADAMS.
« Par le président des États-Unis :
« Timothy Prikerins, secrétaire d'État. »
378 LE PLEIN POUVOIR
affaire. Les pouvoirs ou pleins pouvoirs généraux
autorisent habituellement à toutes espèces de négocia-
tions. Dans l'usage, les pouvoirs sont illimités, mais les
instructions les restreignent.Un plein pouvoir spécial est nécessaire pour une
négociation déterminée, alors même que le ministre
public serait antérieurement investi d'un plein pouvoir
général.Il n'est plus d'usage, de nos jours, de donner à un
ministre public un plein pouvoir général l'autorisant à
traiter avec toutes les Puissances. C'était ce que l'on
désignait par actus ad omnes populos. Le baron Ch.
de Martens cite, entre autres exemples, le plein
pouvoir donné parlareine d'Angleterre, la reine Anne,à son secrétaire, d'Ayrest, qui résidait à La Haye, pour
y traiter avec les ministres de tous les princes et
États intéressés aux négociations de la paix d'U-
trecht (1).
Effets des actes des ministres publics accomplisdans les termes de leur pouvoir.
Les actions faites dans la limite des pouvoirs d'un
ministre public, et notamment les engagements prisdans des traités conclus, obligent l'État représenté parle ministre.
Grotius, et après lui Puffendorf, considèrent les con-ventions et les traités négociés et signés par desministres publics munis d'un plein pouvoir, comme
obligeant le souverain au nom duquel ils sont conclus,de la même manière que tout autre contrat fait par unmandataire dûment autorisé oblige le mandant, selonles règles de la jurisprudence civile. Selon Grotius, lesouverain est obligé par les actes de l'agent diploma-tique, dans les limites de son plein pouvoir officiel,quoique celui-ci puisse avoir excédé ou violé ses ins-tructions secrètes.
(1) Le Guide diplomatique, t.1er, p. 68, note 3.
LE PLEIN POUVOIR 379
Cette opinion, fondée sur les analogies, du droitromain relatif au contrat de mandat ou de commission,a été combattue par des écrivains de date plusrécente.
La question de savoir quelle est la validité d'un con-trat souscrit par un plénipotentiaire, dans la limite deses pouvoirs ostensibles, est en effet une de celles quiont été le plus discutées.
Les auteurs qui, tels que Grotius, Puffendorf, Vattel,Kliiber,Martens, soutiennent que la ratification n'est pasnécessaire, invoquent la règle du droit civil, suivant la-
quelle la ratification du mandant n'est point nécessaire
pour valider les actes du mandataire muni d'un pou-voir valable. C'est, d'ailleurs, sur la foi du pouvoir donné
que la nation étrangère a traité. La ratification n'est
nécessaire que quand elle a été expressément réservée,
quand bien même le ministre public aurait excédé ses
pouvoirs secrets.
Quant aux auteurs qui, tels que Bynkershoëck,
Wheaton, etc., soutiennent que la ratification est né-
cessaire, ils invoquent le témoignage de l'histoire, quinous enseigne que, depuis des temps très reculés, la
ratification a été jugée indispensable. Ils prennent
pour principal argument la différence qui existe entre
le pouvoir donné par des chefs d'États à leurs agents
diplomatiques de négocier, par exemple, des traités
relatifs à des intérêts nationaux vastes et compliqués,et celui donné par un individu à son mandataire de
contracter avec un autre en son nom, sur de simplesaffaires privées. Ils allèguent enfin les conséquencesconsidérables que peuvent entraîner les traités.
Quelle est, au milieu de ces discussions, la pratique
contemporaine?Pour ne pas s'exposer à des préjudices irréparables,
et vu la nécessité de donner souvent des pleins pou-voirs très-étendus, il est de règle, dans le droit des
gens contemporain, de réserver la ratification dans la
plupart des traités. Laréserve est le plus généralement
expresse, et quand elle n'a pas été stipulée en termes
380 LE PLEIN POUVOIR
formels, la tendance est de présumer que la ratifica-
tion a été réservée (1). Il est en effet, aujourd'hui,
d'usage entre les États souverains, de regarder, les
ratifications et leur échange comme un complémentnécessaire pour la validité des traités, lors même quela ratification n'aurait pas été réservée expressément.
Pluralité des pouvoirs.
Un agent diplomatique peut avoir besoin de plu-sieurs pouvoirs : cela peut arriver, lorsqu'il' est accré-
dité sous plusieurs rapports. Le cas a pu se présenteren Suisse, les ministres publics y étant accrédités
près de la Confédération et, en même temps, près de
tous les cantons ou de quelques-uns d'entre eux. Dans
l'ancien gouvernement de la Pologne, les ministres
étrangers devaient être accrédités séparément près du
roi et près des États.
La lettre de créance.
On donne le nom de lettre de créance à la lettre, au
document, que remettent les ministres publics au gou-vernement près duquel ils sont accrédités, pour faire re-
connaître leur caractère diplomatique.Ce document est en effet une lettre écrite par le
chef de l'État qui accrédite, et adressée au chef de l'État
auprès duquel le ministre public est accrédité. Elleénonce le but général de la mission ; le nom, les titreset le caractère du ministre public ; il y est demandé
d'ajouter foi à ce que ce dernier dira au nom de son
gouvernement ; on y trouve généralement la phrasesuivante: «Je prie (ou nous prions) Votre Majesté (ou
(1) Voir la note de M. Pradier-Fodéré, sur le n° XII du chapitreXI du livre II, du Droit de la guerre et de la paix de Grotius,édition de 1867, t. n, p. 143 et suiv. ; et sa note sur le n° 156 duchapitre XII, du livre II, du Droit des gens de Vattel, édition de1863, t. II, p. 144 et suiv.
LA LETTRE DE CRÉANCE 381
Votre Altesse, etc., ou Votre Excellence) d'ajouter unefoi entière à toutes les communications qu'il sera dansle cas de lui notifier de ma part (ou de notre part)...».
La lettre de créance ne sert qu'à constater le carac-tère de l'agent diplomatique : c'est une espèce de pleinpouvoir général, quoique ce ne soit pas le pleinpouvoir; elle n'autorise le ministre public à aucune
négociation particulière, le but de la mission n'y esténoncé que succinctement (1).
(1) L'objet direct et essentiel des lettres de créance, dit Mer-lin, n'est que de constater le caractère de celui qui les présente ;le pouvoir qu'elles renferment étant vague, n'autorise point àtraiter d'affaires, et le ministre public qui se le permettrait envertu de ces seules lettres, s'exposerait à être désavoué. Leslettres de créance diffèrent des instructions données au minis-tre, en ce que celles-ci contiennent le mandement secret dumaître, c'est-à-dire les ordres auxquels il se doit conformeret qui fixent ses pouvoirs. Merlin, Répertoire, v° Ministre public,sect. I, n° IX.
Voici, à titre d'exemple, la formule de la lettre de créance d'unambassadeur en mission ordinaire.
« Monsieur mon frère, voulant maintenir et resserrer de plus« en plus les liens de bonne harmonie qui subsistent si heureu-« sement entre nos États et ceux de Votre Majesté, j'ai fait choix
« de et lui ait confié la haute mission de me représenter« auprès de Votre Majesté comme mon ambassadeur. Je lui ai« recommandé très-particulièrement de ne rien négliger pour se« concilier l'estime et la confiance de Votre Majesté ; et la con-« naissance que j'ai, dès longtemps, acquise de sa fidélité, de« son zèle pour mon service et de ses talents, ainsi que des« autres qualités personnelles qui le distinguent, me persuade« qu'il y réussira en s'acquittant, à mon entière satisfaction, de« la tâche honorable qui lui est imposée. Je prie Votre Majesté« d'ajouter une foi entière à toutes les communications qu'il« sera dans le cas de lui notifier de ma part, surtout lorsque,« conformément à mes instructions les plus pressantes, il lui« renouvellera l'expression des sentiments de profonde estime« et d'inviolable amitié avec lesquels je suis ».
S'il s'agit d'un ambassadeur en mission extraordinaire, la for-
mule peut ne pas différer : seulement on mentionne la mission ;on fait allusion aux circonstances à l'occasion desquelles on
accrédite un ambassadeur extraordinaire ; on dit, par exemple :« Je me félicite de pouvoir profiter d'une circonstance qui
« doit resserrer les liens qui nous unissent, pour donner à Votre
382 LA LETTRE DE CRÉANCE
Lés chargés d'affaires étant accrédités seulement
par le ministre des affaires étrangères auprès du gou-
vernement du pays où ils sont envoyés, sont porteursd'une lettre pour le ministre des affaires étrangères de
« Majesté un témoignage tout particulier, de mes sentiments per-« sonnels. J'ai chargé de l'expression de ces sentiments N Je« l'ai désigné, en même temps, pour me représenter et prendre« part, en qualité d'ambassadeur extraordinaire, aux actes« que Je ne doute pas que N dont les éminentes qua-« lités me sont connues, ne remplisse cette honorable mission« à l'entière satisfaction de Votre Majesté... Je la prie d'ajouter« foi à tout ce qu'il aura l'honneur de lui dire de ma part ».
La lettre de créance d'un envoyé extraordinaire et ministre
plénipotentiaire peut être, par exemple, ainsi conçue :« Monsieur mon frère, n'ayant rien de plus à coeur que de
« cultiver les relations d'amitié et de bonne intelligence qui exis-« tent entre nous, j'ai fait choix du sieur et je l'ai nommé« pour résider à la cour de Votre Majesté, en qualité de mon« envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire. Ses talents,« sa prudence, son attachement à ma personne et son zèle pour« mon service me persuadent qu'il continuera à mériter mon« approbation dans l'exercice de l'honorable mission que je lui« confie.. Je prie Votre Majesté de l'accueillir avec bonté, et« d'ajouter une entière créance à tout ce qu'il lui dira de ma« part ».
La lettre de créance d'un chef d'État monarchique à une Ré-
publique est, par exemple, rédigée de la manière suivante :« Très-cher et grand ami, mon désir de maintenir et de res-
« serrer de plus en plus les relations amicales qui subsistent si« heureusement entre et votre République, m'a déterminé à« envoyer, etc.. En conséquence, j'ai fait choix de et je l'ai« nommé mon envoyé extraordinaire et ministre plénipoten-« tiaire auprès de vous. Les ordres que je lui ai donnés en cette« qualité vous feront connaître l'affection véritable que je con-« serve pour votre République ; et je ne doute point que vous« n'ajoutiez une entière créance à ce qu'il vous dira de ma« part. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, très-cher et grand« ami, en sa sainte et digne garde ».
La formule est la même entre présidents de républiques. Aureste, ce qu'il importe de remarquer, dans toutes ces formules,ce ne sont pas les expressions courtoises, qui peuvent varier àl'infini, mais les mentions suivantes, qui sont indispensables ets'y trouvent nécessairement toujours : « J"ai jugé à propos denommer, ou j'ai fait choix de », et la demande d'ajouter foi àtout ce que l'agent accrédité sera dans le cas de dire et d'expo-ser au nom de celui qui l'accrédite.
LA LETTRE DE CREANCE 383
ce pays, signée de la main du ministre des relationsextérieures dont ils relèvent. Cette lettre est une véri-table lettre de créance, quoiqu'en dise Heffter (1).
Les légats et nonces du pape sont porteurs de bulles
(1) Heffter dit en effet ceci : « Les agents diplomatiques detroisième classe ne reçoivent pas de lettres de créance : ils sontaccrédités directement par leur ministre chargé des affairesétrangères auprès de son collègue à l'étranger. »(Le Droit inter-national de l'Europe, édition française de 1873, § 210, p. 400.)C'est une grande inexactitude. Si Heffter entend par les agentsdiplomatiques de troisième classe les résidents, l'erreur est ma-nifeste ; s'il ne vise que les chargés d'affaires, il y a deuxerreurs, car les chargés d'affaires sont des ministres de la qua-trième classe, et car ils reçoivent une lettre de créance.
Voici la formule d'une lettre de créance de chargé d'affaires :« Monsieur le ministre,
« Le vif désir qui anime le roi, mon auguste souverain, de« consolider les liens d'amitié et de bonne harmonie qui l'unis-« sent au royaume de (ou à la République de ), l'a dé-« terminé à régulariser, de son côté, les relations diplomatiques« entre les deux États. En conséquence, M a reçu l'honorable« mission de remettre à Votre Excellence les présentes lettres« de créance, à l'effet d'être accrédité, comme chargé d'af-« faires, auprès du gouvernement de
« La connaissance particulière que le roi a, dès longtemps,« acquise des qualités personnelles de cet agent diplomatique,« de ses talents et de son esprit de conciliation, me persuade« que Votre Excellence accueillera M avec bienveillance, et« qu'elle voudra bien lui accorder foi et créance en toutes les« communications qu'il pourra lui adresser dans les limites de« ses instructions, qui tendront principalement à rechercher« les moyens les plus propres à affermir et à développer les« relations entre les deux gouvernements et les deux pays.« Je suis heureux de pouvoir saisir cette occasion de présenter« à Votre Excellence les assurances de la très-haute considéra-« tion avec laquelle j'ai l'honneur d'être,
« Monsieur le ministre,de la
maindu « De Votre Excellence,
ministre des affaires « Le très-humble et très-obéissant ser-étrangères viteur. »
(Suscription : A S. E. M. le ministre des affaires étrangères
de......).Cette lettre, qui se trouve dans Le Guide diplomatique et dans
le Guide pratique, est bien une lettre de créance, quoiqu'en dise
M. Heffter.
384 LA LETTRE DE CREANCE
qui leur servent à la fois de lettres de créance et de
pouvoir général.
Indépendamment de la lettre de créance pour le sul-
tan, les ministres publics envoyés en Turquie sont habi-
tuellement munis de deux autres lettres, l'une pour le
grand-vizir, et l'autre pour le reïs-effendi, ou chef du
département des affaires étrangères. La lettre pour le
grand-vizir lui est remise dans une audience solennelle
qui précède celle accordée par le sultan. Celle pour le
reïs-effendi lui est transmise par un des secrétaires
ou des drogmans de la mission (1).Il sera dit plus tard qu'indépendamment de l'ori-
ginal de la lettre de créance, on donne ordinaire-
ment aux ministres publics des trois premières classes
une copie textuelle, en forme authentique, de cette
lettre, pour la remettre au ministre des affaires étran-
gères, en demandant l'audience de présentation au
chef de l'État. Cet usage est, du reste, commun à
toute lettre que l'agent diplomatique est chargé de re-
mettre au chef d'État près lequel il réside. Deux rai-sons le justifient: il met le ministre des affaires étran-
gères à même de faire à son chef d'État un rapport,en connaissance de cause, sur l'objet contenu dans lalettre en question ; il empêche qu'aucun écrit soit pré-senté au souverain, dont la lecture pourrait-être con-sidérée comme une atteinte au respect qui lui est dû.
Utilité de la lettre de créance.
L'utilité de la lettre de créance ressort de la défi-nition donnée de ce document, qui sert à l'agent di-
plomatique pour établir son caractère représentatif.Et en effet, si les ministres publics, vis-à-vis des États
qu'ils représentent, commencent à revêtir un caractère
public du jour de leur nomination définitive, ce carac-tère ne se développe dans toute son étendue et ne de-
(1) Voir Le Guide diplomatique, édition de 1866, chap. IV, § 18t.
Ier, p. 65 en note ; chap. m, t. II, p. 232 et suiv.
LALETTRE DE CREANCE 385
vient complètement diplomatique, représentatif, dansles relations avec l'État où ils sont envoyés, qu'autantque ce dernier est informé d'une manière officielle deleur mission : d'où l'utilité de la lettre de créance, dontle but est d'informer officiellement de la mission.
Forme de la lettre de créance
La forme de la lettre de créance est arbitraire : tout
dépend de l'usage des pays et des cabinets. La lettrede créance des ambassadeurs est quelquefois expédiéesous forme de lettre de chancellerie, mais le plus sou-vent sous forme de lettre de cabinet. C'est le plus gé-néralement la forme des lettres de cabinet qui estdonnée à la lettre de créance des envoyés et des ré-sidents.
Est-il répondu à la lettre de créance?
D'après l'usage le plus répandu, il n'est pas fait de
réponse à la lettre de créance: c'est l'admission de
l'agent diplomatique qui tient lieu de réponse. Cepen-dant on déroge, dans certains cas, à cette règle, quandle chef de l'État à qui l'agent diplomatique est en-
voyé a des motifs particuliers pour répondre, ou quandil regarde la mission comme une marque d'estime et
d'amitié envers sa personne.
Ajoutons que, lorsque le pape accrédite un nonce
dans un pays catholique, il écrit ordinairement au chef
du gouvernement de ce pays, et, si ce chef est un mo-
narque, il écrit à son épouse. Le cardinal secrétaire
d'État écrit, de son côté, au chef de l'État étranger et
au ministre des affaires étrangères. Il peut même ar-
river qu'un bref spécial soit adressé au ministre des
affaires étrangères pour recommander le nonce aposto-
lique à son bienveillant accueil. Il est répondu dans
le plus court délai à ces lettres et brefs.
Cas où le souverain qui a nommé et accrédité l'agent
diplomatique, vient à mourir ou à abdiquer.
Différentes circonstances peuvent se présenter du-
25
386 LA LETTRE DE CREANCE
rant le cours d'une mission diplomatique, à l'occasion
desquelles on peut demander quel sera l'effet de ces
circonstances sur la lettre de créance.
Ainsi, par exemple, il peut arriver :
1° Que le souverain qui a nommé et accrédité l'agent
diplomatique, meure ou abdique ;2° Qu'il soit renversé par une révolution ;3° Que le souverain près lequel l'agent diplomati-
que était accrédité, meure ou abdique ;4° Qu'il soit renversé par une révolution ;5° Que l'agent diplomatique soit élevé en grade pen-
dant sa mission.
En théorie, la mort ou l'abdication du souverain
qui a nommé l'agent diplomatique ne fait pas néces-
sairement cesser l'effet des lettres de créance. La sou-
veraineté subsiste en effet, lors même que la personnedu souverain, c'est-à-dire du chef de l'État, vient à chan-
ger; c'est de ce dernier considéré comme dépositaire et
représentant de la souveraineté que l'agent diplomati-
que tient ses pouvoirs, et non du prince comme individu.La validité des anciennes lettres de créance peut doncêtre censée confirmée par la simple notification de l'a-vènement du nouveau chef de l'État. Mais dans la pra-tique le successeur renouvelle les lettres de créancede ses agents.
Le changement des premiers magistrats des ré-
publiques n'emporte point le renouvellement des
pouvoirs des agents de ces républiques à l'étranger.Leur mort, nous l'avons dit, n'est pas non plus l'objetd'un deuil à la cour des têtes couronnées.
Cas où le souverain qui a nommé et accrédité l'agentdiplomatique vient à être renversé par une révo-lution.
Lorsquele souverain qui a nommé l'agent diploma-
tique vient à être renversé par une révolution, commel'Etat étranger peut mettre en doute la validité des an-ciennes lettres de créance, attendu qu'il est peu
LA LETTRE DE CRÉANCE 387
probable que leministre public choisi par le gouverne-ment renversé possède aussi la confiance du nouveau
gouvernement, l'usage veut que, dans ce cas, de nou-velles lettres de créance soient remises à l'agent di-
plomatique.
Cas où le souverain auprès duquel l'agent diploma-tique a été accrédité vient à mourir ou à abdi-
quer.
Dans le cas où le souverain auprès duquel l'agent di-
plomatique était accrédité vient à mourir ou à abdi-
quer, en théorie il n'y a pas de motif pour annuler les
anciennes lettres de créance, puisque l'État et la sou-
veraineté restent les mêmes, lors même que la per-sonne du chef de l'État vient à changer. Cependant
l'usage diplomatique exige la remise de nouvelles let-
tres de créance : c'est une occasion pour les ministres
publics et leur gouvernement d'inaugurer solennel-
lement leurs relations avec le nouveau chef de l'État.
Il y aune remarque, déjà faite, d'ailleurs, à ce su-
jet, et sur laquelle il n'est pas inutile de revenir: c'est
qu'il a toujours été de principe qu'un ministre publicune fois reconnu par le Saint-Siège, durant un ponti-
ficat, n'a pas besoin de nouvelles lettres de créance,ni pour l'accréditer auprès des cardinaux assemblés en
conclave, ni pour se légitimer auprès du nouveau chef
de l'Église. Nous l'avons déjà dit. le Saint-Siège, où
réside le pouvoir, ne meurt pas; or, c'est le Saint-Siège
qui accrédite par l'organe du pape, c'est auprès du
Saint-Siège que, dans la personne du souverain pontife,les agents diplomatiques sont accrédités. La personnedu pape disparaît devant le principe.
Les bulles des nonces du pape ne sont renouvelées
qu'aux changements de règne, dans les États monar-
chiques.
L'usage diplomatique n'exige pas non plus, ainsi quenous l'avons vu également, de nouvelles lettres de
créance, à l'égard des gouvernements nouveaux dans
les républiques.
388 LA LETTRE DE CREANCE
Le régent du royaume, pendant la minorité du roi,
a-t-il qualité pour recevoir personnellement les
lettres de créance d'un agent diplomatique expres-sément accrédité auprès de la personne royale?
On suppose un roi mineur ; durant la minorité il y a
un régent du royaume ; un agent diplomatique a été
expressément accrédité auprès de la personne royale;
par qui la lettre de créance sera-t-elle reçue? Le sera-
t-elle par. le régent agissant en son nom personnel ?
Pendant la minorité de la reine Isabelle, d'Espagne,la reine mère Marie-Christine, qui était régente, avait
reçu personnellement des lettres de créance d'agents
diplomatiques accrédités auprès de la reine mineure ;mais Marie-Christine était mère, elle était reine: cette
situation semblait lui conférer des droits exception-nels. Pendant la régence du duc d'Orléans, le régentne recevait les lettres de créance, en présence du
jeune roi Louis XV, que pour les transmettre aussitôt
à ce prince. Telle est la règle qui paraît être consacrée
par l'usage. Elle est conforme à la fois aux traditions
et à la logique.
Cas où le souverain auprès duquel l'agent diploma-
tique était accrédité vient à être renversé parune révolution.
Dans le cas où le chef de l'État auprès duquel l'agentdiplomatique était accrédité vient à être renversé parune révolution, la remise de nouvelles lettres decréance peut être nécessaire, car il devient intéressantde savoir, si, dans la pensée du gouvernement étran-
ger, le ministre qu'il a envoyé reste accrédité auprèsdu chef d'État renversé, ou s'il l'est auprès de son suc-cesseur. Ce point se lie à la question de reconnais-sance d'un gouvernement nouveau. Cependant on neprocède pas toujours par voie de remise de nouvelleslettres de créance. Lorsque l'État de qui l'agent di-
plomatique tient ses pouvoirs reconnaît le nouveau
LA LETTRE DE CREANCE 389
gouvernement, il suffit de confirmer les anciennes let-tres de créance, ou même d'entrer en relations d'affai-res avec le nouveau gouvernement, pour que les lettresde créance conservent leur validité (1).
Cas où l'agent diplomatique est élevé en gradependant la durée de sa mission.
Quand on confère à un agent diplomatique un rangplus élevé, l'usage veut qu'on lui remette de nouvelleslettres de créance. Dans l'intervalle il conserve, en
(1)Au moment où s'inaugurait le gouvernement transitoire dugénéral Canséco, se trouvait à Lima le général Alvin P. Hovey,qui était venu pour remplacer M. Robinson dans le caractèred'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire des États-Unisd'Amérique. L'un et l'autre avaient demandé audience pourprésenter leurs lettres respectives de créance et de rappel, lors-que survint le changement politique du 28 novembre 1865. Legénéral Hovey fit savoir au ministre péruvien des relations exté-rieures, que, malgré ses sympathies pour le nouvel ordre dechoses, dont il espérait beaucoup pour la prospérité du pays, ildoutait que ses lettres de créance, qui étaient adressées au prési-dent de la république péruvienne, pussent être présentées régu-lièrement au chef de la nation qui n'avait plus le titre de
président, mais celui de chef suprême. Il ajouta qu'il avait con-sulté sur ce point son gouvernement, et que tant que ce derniern'aurait pas résolu cette difficulté, il s'abstiendrait de solliciterd'être reconnu dans son caractère public. La susceptibilité de
l'envoyé américain était exagérée. Il y avait évidemment une
question politique sous cette querelle de mots, car ce n'était, en
réalité, qu'une querelle de mots. Aussi M. Pachéco, appréciantcet incident dans son mémoire au Congrès constituant, du 15février 1867, a-t-il tiré cette conclusion assez juste, que le gou-vernement de l'Union américaine, sous l'impression des derniersévénements politiques survenus, s'était proposé comme règle dene pas reconnaître les gouvernements de fait, taut qu'ils n'au-raient pas reçu la double sanction du temps et de la loi. Or,ajoutait M. Pachéco, appliquer cette doctrine à des nations et àdes gouvernements étrangers, c'était prétendre s'ériger en arbi-tre et en régulateur de leurs destinées, et exercer en même
temps une pression morale inconciliable avec les principes fon-
damentaux du droit des gens. Le gouvernement de Washingtonfinit cependant par abandonner cette manière de voir, et le
général Hovey reçut l'ordre de présenter ses lettres de créance.
390 LA LETTRE DE CRÉANCE
vertu de ses anciennes lettres, le droit de représenter
son gouvernemeut. S'il survient donc un changement
dans le grade du ministre public, on observe à son
égard le même cérémonial qu'on observerait envers
un nouvel agent diplomatique qui arriverait pour ré-
sider, avec ce titre. Ainsi, lorsqu'un envoyé extraordi-
naire ou ministre plénipotentiaire reçoit l'ordre de son
gouvernement de déployer momentanément le carac-
tère d'ambassadeur auprès du gouvernement du paysoù il se trouve accrédité avec un titre moins élevé, il
présente dans une même audience sa lettre de rappelet sa nouvelle lettre de créance.
Rien n'empêche toutefois l'État auprès duquel l'a-
gent diplomatique est accrédité, de se contenter d'une
simple notification de cette modification apportée au
rang de l'envoyé.
Cas de nomination d'un nouveau ministre des affaires
étrangères.
Il est bien entendu que la nomination d'un nouveau
ministre des affaires étrangères n'exercé aucune in-
fluence sur la validité des lettres de créance, mêmedans le cas où ces dernières seraient adressées au mi-
nistre des affaires étrangères seulement : c'est le casdes lettres de créance des chargés d'affaires.
Cas de lettrés de créance provisoires.
Lorsqu'un ministre public chef de mission quittetemporairement son poste, il peut arriver que le pre-mier secrétaire de la légation, chargé de rintérim, pré-sente des lettres de créance d'envoyé extraordinaireet ministre plénipotentiaire. Mais ces lettres ne confè-rent qu'un caractère provisoire. Au retour du chef de
mission, l'intérimaire reprend son grade et son rangde secrétaire.
LES LETTRES DE RECOMMANDATION 391
Autres lettres dont peuvent être munis les ministres
publics.— Lettres d'adresse ou de recommanda-
tion.
Les ministres publics peuvent encore être munisd'autres lettres, telles que les lettres d'adresse ou derecommandation.
Les lettres d'adresse ou de recommandation sontdonnées en dehors et indépendamment des lettres decréance. Elles sont adressées par le souverain de l'a-
gent diplomatique à des membres de la famille ou àdes fonctionnaires publics distingués du souverain au-
près duquel le ministre public va résider ; ou à des
membres du gouvernement, ou à des autorités locales
de l'endroit où doit se rassembler un congrès : par
exemple au prince régent, à l'épouse du souverain,au prince héritier, au ministre des affaires étangères,.au premier ministre, etc. Nous avons vu que, lorsqu'un
agent -diplomatique est envoyé à Constantinople, il
est ordinairement porteur de plusieurs lettres : une du
chef de l'État au sultan, « son très-cher et parfaitami » ; une autre du chef de l'État au grand-vizir de la
Sublime Porte ; la troisième, du ministre des affaires
étrangères au grand-vizir également : « A très-illustre
et magnifique seigneur, le grand-vizir ».
Ces lettres de recommandation, le mot l'indique, ont
pour objet de recommander l'agent diplomatique au
bon accueil.
La lettre de rappel.
On désigne par lettre de rappel, la lettre qu'un gou-
vernement envoie à son agent diplomatique, pour la
remettre au gouvernement d'auprès duquel il le rap-
pelle, et qui met fin à sa mission. C'est, en d'autres
termes, la notification, par lettre, de la résolution
prise par un gouvernement de rappeler son agent di-
plomatique. « Lorsque le but d'une mission est accom-
392 LES LETTRES DE RAPPEL ET DE RECREANCE
pli, dit Meisel, dans son Cours de style diploma-
tique, et que les raisons du séjour du ministre ont
cessé, ou lorsque d'autres circonstances quelconques
exigent qu'il quitte la mission, le souverain ou le
gouvernement qui l'avait expédié notifie son rappel à
la cour auprès de laquelle il résidait. La lettre de rap-
pel est celle au moyen de laquelle se fait cette notifi-
cation » (1).Les nonces ne remettent pas de lettres de rappel.
Le rappel d'un nonce donne lieu seulement à une lettre
du cardinal secrétaire d'État au ministre des affaires
étrangères.
La lettre de récréance.
On appelle lettre de récréance, la lettre qu'un chef
d'État donne à un agent diplomatique rappelé d'auprèsde lui, pour la remettre à son souverain ou chef d'État.
C'est, en d'autres termes, la réponse que fait un chef
d'État à la lettre de rappel d'un ministre publie accré-
dité auprès de lui.
Enonciations ordinaires des lettres de rappel etdes lettres de récréance.
La forme des lettres de rappel et des lettres derécréance est la même que celle des lettres decréance. Leur style varie selon les circonstances et lanature des rapports existant entre les gouvernements;mais, dans tous les cas, ainsi que le recommande
Meisel, on doit faire choix des tournures les plus obli-
géantes et des paroles qui répondent le mieux auxliaisons existantes (2). Les termes employés dans lalettre de récréance, doivent être analogues à ceuxdans lesquels la lettre de rappel est rédigée.
(1) Meisel, Cours de style diplomatique, IIIe partie, chap. IV,édition de 1824, t. II, p. 33.(2) ld., p. 34.
LES LETTRES DE RAPPEL ET DE RÉCRÉANCE 393
Dans les lettres de rappel, il est ordinairement ditau gouvernement étranger, que, pour des causes qu'onindique le plus souvent, l'agent diplomatique a reçuune autre destination, et que, par conséquent, la mis-sion qui lui avait été confiée vient à cesser. On ex-
prime l'espoir que cet envoyé, dont on approuve les
services, aura su mériter la bienveillance du chef del'État et du gouvernement auprès desquels il étaitaccrédité. On demande pour lui la faveur d'exprimersa reconnaissance au chef de l'État dont il a reçu lebienveillant accueil pendant la durée de la mission,etc.
Les lettres de récréance commencent, en général,
par un accusé de réception des lettres de rappel. Puis
viennent les expressions d'approbation pour la ma-
nière dont l'agent diplomatique a constamment exécuté
lès ordres de son gouvernement durant la mission quil'a retenu auprès du chef de l'État signataire de ces
lettres. Enfin on le recommande aux bonnes grâcesde son souverain.
Lorsque c'est une cause de non-satisfaction qui a
donné lieu au rappel, le gouvernement dont l'agent di-
plomatique a encouru la disgrâce, et qui le rappelle, ne
consigne pas ordinairement dans la lettre qui lui retire
ses pouvoirs les raisons réelles de sa détermination :
il la fonde sur différents autres motifs, sur la mauvaise
santé de son agent par exemple, sur des affaires de
famille qui motivent son départ, etc. Dans le cas où
le chef d'État qui écrit la lettre de récréance aurait,de son côté, à se plaindre du ministre rappelé, il ne
consignerait pas sa plainte dans la lettre, mais il la fe-
rait passer par la bouche de son propre ministre, s'il
y avait lieu. Enfin, lorsque le rappel de l'agent diplo-
matique est motivé par une mésintelligence politique,la mention des griefs qui ont fait naître cette mésintel-
ligence doit être faite avec modération, parce que le
but de la diplomatie est d'entretenir la bonne harmonie
entre les États et de faciliter les réconciliations. « Mê-
me lorsque le rappel du ministre a lieu pour raison de
394 LES LETTRES DE RAPPEL ET DE RECREANCE
mécontentement et d'union rompue entre les États,
dit Meisel, il convient d'indiquer ses griefs avec dignitéet d'user de ménagement dans ses expressions, afin
de ne point mettre de difficultés à la réconciliation
future, en s'abandonnant à l'aigreur qu'inspire la pas-sion » (1).
(1) Meisel, id., chap. IV, t. II, p. 33.J'extrais du Traité complet de diplomatie du comte de Garden,
et du Cours de style diplomatique de Meisel, la formule, d'une
lettre de rappel signée par Louis XVIII, en 1820 :« Ayant jugé convenable au bien de notre service de
« nommer le comte de notre ambassadeur à nous avons« dû lui ordonner de prendre congé de Vôtre Majesté, près de« laquelle il remplissait les fonctions de notre envoyé extraordi-« naire et ministre plénipotentiaire. Nous ne doutons pas qu'en« remplissant cette dernière fonction de son ministère, il n'en« profite pour lui exprimer sa vive reconnaissance des bontés« dont Votre Majesté a bien voulu l'honorer pendant tout le« temps de sa résidence à sa cour. Nous lui recommandons parti-« culièrement de saisir cette même occasion pour renouveler à« Votre Majesté les assurances de notre sincère estime et de« notre parfaite amitié ».
Voici une autre formule, extraite du Guide diplomatique.« ..... Le sieur ayant reçu une autre destination, la mission
« que je lui avais confiée auprès de vient à cesser. J'aime à« croire que cet envoyé, qui a rempli cette mission à mon en-« tière satisfaction, aura su mériter la bienveillance de Votre« Majesté (ou de Votre Excellence), et j'espère qu'elle lui per-« mettra de lui témoigner en personne (ou bien, si le ministre« est éloigné de son poste : et j'espère que, comme il n'a pu lui« offrir en personne son dernier hommage, elle trouvera bon« qu'il lui manifeste par écrit).... la reconnaissance dont il est« pénétré pour les marques de bonté dont Votre Majesté (ou« Votre Excellence) a bien voulu l'honorer pendant le séjour qu'il« a fait auprès d'elle. Je profite moi-même avec plaisir de cette« occasion pour renouveler , etc. ».
J'emprunte au même ouvrage la formule suivante d'une lettrede récréance d'une république à un roi :
« Sire,« Il a plu à Votre Majesté de nous faire part, par sa lettre
« du des raisons qui ont porté Votre Majesté à rappeler« son ambassadeur extraordinaire près de nous. En prenant« congé de nous il nous a renouvelé, de la manière la plus po-« sitive, les assurances de l'amitié et de l'intérêt que Votre« Majesté continue à porter à notre république. Plus que per-
LES LETTRES DE RAPPEL ET DE RÉCRÉANCE 395
Rappel des chargés d'affaires.
Les lettres de rappel et les réponses aux lettres de
rappel des chargés d'affaires, sont adressées aux mi-nistres des affaires étrangères par les ministres desaffaires étrangères (1).
« sonne, cet ambassadeur, pendant le temps qu'il a résidé dans« cette république, a été à même de se convaincre des senti-« ments dont nous sommes pénétrés pour votre personne« royale, et du désir sincère que nous avons de voir de plus en« plus se consolider l'union et la bonne harmonie établies entre« les États de Votre Majesté et notre république. Comme nous« avons une entière confiance en lui, nous nous rapportons« aussi à ce qu'il vous dira de nous et du prix que nous atta-« chons à l'amitié dont Votre Majesté veut bien nous hono-« rer » etc
Dans les lettres de récréance de chef d'État monarchique àchef d'État monarchique, il y a toujours les mentions suivantes,conçues en termes plus ou moins analogues à ceux-ci : « Nous« lui devons ce témoignage que, pendant le temps qu'il a pu« résider à notre cour, il s'est toujours conduit de manière à se« concilier notre estime et notre confiance » ; ou bien : « Je lui« rends la justice qu'il s'est concilié mon approbation et mon« estime par la sagesse de sa conduite, et le soin qu'il a mis à« maintenir entre les deux États les relations d'une bonne et« heureuse intelligence » ; et : « la conduite sage et prudente« qu'il n'a cessé de tenir dans les circonstances les plus diffi-« ciles, m'engage à le recommander particulièrement à la bien-« veillance de Votre Majesté ».
(1) Voici la lettre de rappel d'un chargé d'affaires :
« Monsieur le ministre,« Le roi, mon auguste souverain (ou mon auguste maître,
« suivant le degré de servilité des cours), ayant jugé convenable« de donner une autre destination à M...., j'ai l'honneur d'an-« noncer à Votre Excellence qu'un successeur vient d'être donné« à cet agent diplomatique.
« J'aime à croire que M...., dans l'exercice de ses fonctions,« aura réussi à se concilier la bienveillance de Sa Majesté le
« roi et de son gouvernement, et j'espère que Votre Excel-« lence l'accueillera avec bonté, lorsqu'il se présentera pour« remplir en personne le dernier devoir de son ministère, celui« de prendre congé d'elle ».
La réponse est ainsi conçue :
396 ARRIVÉE DU MINISTRE PUBLIC
Comme les nonces ne présentent pas de lettres de
rappel, il ne leur est pas remis de lettres de récréance.
L'éloge qui peut leur être dû se trouve dans la bulle
dont leur successeur est porteur. Il y est parlé des mé-
rites du nonce rappelé, des regrets qu'il laisse, et l'on
ajoute «monseigneur... (un tel)... continuera l'oeuvre de
son prédécesseur » (1).
A partir de quel moment le ministre public jouit-ilde la protection du droit des gens ?
Le ministre public jouit de la protection du droit des
gens à partir du moment où il a mis le pied sur le ter-
ritoire de l'État où il est accrédité, et qu'il y,a fait con-
naître sa qualité au moyen d'un passeport ou d'autres
documents dignes de foi. Pour que le ministre public
jouisse de l'inviolabilité qui protège les agents diplo-
« Monsieur le ministre,« M m'a remis la lettre que Votre Excellence m'a fait
« l'honneur de m'adresser, sous la date du , et par laquelle« elle m'annonce que le gouvernement de Sa Majesté.... s'est« décidé à mettre fin à la mission que ce diplomate remplis-« sait à
« En quittant , M emporte le témoignage d'avoir côntri-« bué autant qu'il était en son pouvoir, à cultiver et à resserrer« les rapports d'amitié et de bonne intelligence si heureusement« établis entre les deux pays ».
(1) Les lettres de créance étaient peu utiles chez les anciensRomains. S'agissait-il d'une ambassade envoyée par les ennemis,elle devait être annoncée à l'avance. D'autre part, les fèciauxétaient connus par leurs vêtements blancs et par la couronne deverveine qui ceignait leurs fronts; les legati, par leurs robes depourpre. Toutefois, les ambassadeurs étaient toujours porteursde lettres qu'ils devaient remettre au prince vers qui ils étaientenvoyés. On lit, dans Aulu-Gelle, que Fabius remit aux Cartha-ginois une lettre où il était écrit que le peuple romain leur en-voyait une lance et un caducée, signes de guerre ou de paix.Valentinien voulait que les ambassadeurs des nations voisinesde l'Egypte fissent viser leurs ' lettres de créance dès qu'ilsétaient arrivés aux frontières de l'empire. Il ne voulait pas écou-ter les ambassadeurs qui se disaient secrètement envoyés, parcequ'ils n'avaient pas de preuve écrite.
ARRIVÉE DU MINISTRE PUBLIC 397
matiques, il n'est donc pas nécessaire, qu'il soit reçud'une manière plus ou moins solennelle : on reconnaît,au contraire, que cette inviolabilité le couvre dès que le
gouvernement auprès duquel il est envoyé est prévenude sa présence, depuis le moment où il touche le ter-ritoire de l'État où il est accrédité, jusqu'à celui oùil le quitte; ou, en cas de guerre et de renvoi, jusqu'àl'expiration du délai qui lui a été accordé pour s'éloi-
gner. Quant aux droits et aux prérogatives résultantdu cérémonial diplomatique, ils ne se produisent avectous leurs effets que du jour où le ministre public a re-mis ses lettres de créance. Ainsi donc, le caractère pu-blic de l'agent diplomatique ne se développe dans touteson étendue, que lorsqu'il est reconnu et admis par lesouverain à qui il remet ses lettres de créance; mais,pour ce qui est de la protection du droit des gens, dela sûreté et de l'inviolabilité de sa personne, il doit en
jouir dès qu'il a mis le pied dans le pays où il est en-
voyé, et qu'il s'est fait reconnaître (1). Ordinairementson arrivée est annoncée par lettres, et il a le soin dese munir de passeports qui attestent son caractère. En
France, les passeports sont délivrés aux agents diplo-matiques, à leurs familles et aux personnes de leur
suite, par le ministre des affaires étrangères (2).
(1) Il n'est certainement pas besoin d'un décret pour recon-naître officiellement dans son caractère diplomatique un minis-tre public étranger admis à présenter sa lettre de créance ;cependant, le 18 septembre 1878, M. le Dr D. Anibal V. de laTorre ayant présenté sa lettre de créance qui l'accréditait comme
envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du Pérou
auprès du gouvernement de la République Orientale, le mêmejour a été rendu et publié à Montevideo un décret, dont voici ledispositif: « Art. 1er. M. le DrD. Anibal V. de la Torre est reconnudans le caractère ci-dessus exprimé. » « Art. 2. S. Exc. M. le Drde la Torre est déclaré en jouissance des prérogatives et exemp-tions qui lui appartiennent conformément au droit public. »
(2) Il y a intérêt à citer ici le décret du 23 août 1792, relatifaux passeports des ambassadeurs et ministres étrangers :
Art. 1er. — Les passeports des ambassadeurs et ministresétrangers continueront à être expédiés par le ministre desaffaires étrangères, et seront visés par la municipalité de Paris.
398 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
Audiences accordées aux ministres publics.
Les audiences du chef de l'État auxquelles sont
admis les ministres publics ont lieu, soit au commen-
cement de la mission, soit pendant le cours de la mis-
sion, soit à la fin de la mission.
Les audiences du commencement et de la fin de la
mission sont dites solennelles et sont publiques. Celles
auxquelles le ministre est admis pendant le cours de sa
mission sont ordinaires ou extraordinaires ; elles sont,ou privées, ou publiques. Les audiences publiques n'ont
guère heu que dans les occasions de cérémonie; il n'yest presque jamais question d'affaires quelconques :
elles sont généralement consacrées à la cérémonie età la courtoisie.
Audiences solennelles.
Il y a beaucoup de variété dans l'étiquette diploma-tique, par rapport aux audiences solennelles du corn-mencement et de la fin de la mission. Cette variété dé-
pend de la différence du rang des ministres et des
usages des cours et gouvernements ; peut-être mêmeaussi des clauses des traités.
Pour ne parler que du rang ou de la classé des
agents diplomatiques, les ministres de la premièreet de la seconde classes, c'est-à-dire les ambassadeurs,légats, nonces, et les envoyés extraordinaires et minis-
Art. 2. — Les passeports des personnes de la famille, de lasuite et du service des ambassadeurs et ministres étrangers,seront expédiés en la même forme, sur le vu du certificat préa-lable du comité de la section dans l'étendue de laquelle ilshabiteut, portant que lesdites personnes sont de la famille, dela suite et du service habituel des ambassadeurs et ministresétrangers, et demeurent dans les maisons desdits ministres.
Art. 3. — Il est enjoint à la minicipalité de Paris de veiller àce que les passeports expédiés par le ministre des affairesétrangères, dans les formes prescrites, soient respectés aux bar-rières, et elle y enverra, en cas de besoin, des commissairespour protéger le départ des ministres étrangers.
AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS 399
tres plénipotentiaires, ont droit à être admis à l'au-dience solennelle du chef de l'État, lors de leur arrivéeet de leur départ ; les ministres résidents ne sont pas
toujoursadmis en audience solennelle; les chargés
d'affaires ne sont jamais admis qu'à des audiences
privées.
Réception des ministres publics de la première classe.
Le premier soin d'un ambassadeur ou d'un nonce, àson arrivée dans la capitale, doit être d'en informer leministre des affaires étrangères. Cette notification estfaite par un secrétaire d'ambassade, lequel est en mê-me temps chargé de remettre une copie de la lettre decréance au ministre des affaires étrangères, pour se
légitimer et pour résoudre toutes les difficultés qui
pourraient naître de la forme, des expressions et du
contenu de cette pièce. Le secrétaire est chargé ensuitede demander le jour et l'heure auxquels l'ambassadeur
sera admis à l'audience du souverain.
Le ministre des affaires étrangères reçoit l'ambas-
sadeur dans la journée, ou, au plus tard, le lendemain ;il rend la visite le jour même. La visite est faite et
reçue en frac.
Après cet échange de visites, le ministre des affai-
res étrangères prend les ordres du chef de l'État pourla réception solennelle au palais.
On est loin, dans les temps contemporains, des
fêtes et pompes exceptionnelles qui accompagnaient la
réception d'un ambassadeur. Lorsqu'un roi envoyait
autrefois, à Paris, un ambassadeur destiné à le repré-
senter auprès de l'a cour de France, la coutume et l'éti-
quette exigeaient qu'on célébrât son arrivée par des
cérémonies solennelles et par des réjouissances publi-
ques. Ces fêtes prenaient le nom d'entrées, et, pour
les rendre dignes de ceux qu'on voulait honorer ainsi,
les peintres et les poètes les plus en vogue étaient
chargés d'en donner le détail. On disposait de loin en
loin des groupes allégoriques pleins d'allusions à l'é-
400 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
vénement du jour ; des devises et des épigraphes lati-
nes et grecques décoraient le fronton des arcs de
triomphe ; la routé par laquelle le cortège devait pas-ser était tendue de tapisseries et jonchée de fleurs.
Les cours,étrangères mesuraient en effet l'amitié de
la France aux honneurs qu'on rendait à leurs ambas-
sadeurs. Le négociateur Jean Michel nous a transmis
un curieux récit de la réception qui lui fut faite et des
magnificences de son entrée à Paris, quand il y vint, en
1575, pour représenter la République de Venise. Trois-
personnages considérables l'étaient venus chercher
dans les carrosses du roi. Celui dans lequel il fut invité
à prendre place était couvert de sculptures dorées et
servait ordinairement à Henri III lui-même. Six cents
chevaux le suivaient, montés par des gentilshommes de
la chambre, les pages et les écuyers (1).
(1) Tous les ambassadeurs, même dans les temps modernes,n'ont pas toujours été reçus avec de pareils honneurs. Le ducde Saint-Simon raconte de la manière suivante la réception quifut faite par le czar Pierre-le-Grand aux ambassadeurs du roid'Angleterre. « Le czar était en Hollande à apprendre lui-même« et à pratiquer la construction des vaisseaux. Bien qu'inco-« gnito, suivant sa pointe, et ne voulant point s'incommoder de« sa grandeur ni de personne, il se faisait pourtant tout rendre,« mais à sa mode et à sa façon. Il trouva sourdement mauvais« que l'Angleterre ne s'était pas assez pressée de lui envoyer« une ambassade dans ce proche voisinage, d'autant que, sans« se commettre, il avait fort envie de se lier avec elle pour le com-« merce. Enfin l'ambassade arriva : il différa de lui donner au-« dience, puis donna le jour et l'heure, mais à bord d'un gros« vaisseau hollandais qu'il devait aller examiner. Il y avait deux« ambassadeurs qui trouvèrent le lieu sauvage, mais il fallut« bien y passer. Ce fut bien pis, quand ils furent arrivés à bord.« Le czar leur fit dire qu'il était à la hune, et que c'était là où il« les verrait. Les ambassadeurs, qui n'avaient pas le pied assez« marin pour hasarder les échelles de corde, s'excusèrent d'y« monter ; le czar insista, et les ambassadeurs, fort troublés« d'une proposition si étrange et si opiniâtre ; à la fin, à quel-« ques réponses brusques aux derniers messages, ils sentirent« bien qu'il fallait sauter ce fâcheux bâton, et ils montèrent..« Dans ce terrain si serré et si fort au milieu des airs, le czar les« reçut avec la même majesté que s'il eût été sur son trône ; il« écouta la harangue, répondit obligeamment pour le roi et la
AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS 401
A Venise, d'autre part, soixante sénateurs venaientau devant de la gondole du représentant de la France,jusqu'à deux milles de la ville, pour l'accompagner aupalais qui lui avait été préparé et le conduire chez le
doge. Chacun d'eux donnait la main à une des per-sonnes de la suite de l'ambassadeur. Celui-ci, arrivéà l'escalier dit des Géants, devait le monter lentement,pour ne pas perdre haleine au moment de haranguerle doge, qu'il trouvait entouré du collège, dans la gran-de salle du palais. L'ambassadeur saluait trois fois,
présentait ses lettres de créance, et prononçait un
discours, en langue française, qu'un secrétaire tradui-sait au sénat. La salle était remplie de tout ce que Ve-
nise avait de plus illustre ; des femmes masquées, de
toute condition, s'y pressaient dans les tribunes. Aprèsla réponse du doge, l'ambassadeur se retirait en sa-
luant encore trois fois. On le reconduisait alors en
grande cérémonie au palais (1).
« nation, puis se moqua de la peur qui était peinte sur le visage« des ambassadeurs, et leur fit sentir en riant que c'était la« punition d'être arrivés auprès de lui trop tard. Le roi Guil-« laume, de son côté, avait déjà compris les grandes qualités« de ce prince, et fit de sa part tout ce qu'il put pour être bien« avec lui ». (Mémoires complets et authentiques du duc de
Saint-Simon, édition Garnier frères, 1853, chap. LIT, tome III,
p. 143 et suiv.) Il faut reconnaître que les moeurs politiques ontbien changé depuis Pierre-le-Grand et le roi Guillaume d'An-
gleterre. De nos jours on ne trouverait plus d'autocrate assezfort de son audace et de sa puissance, pour oser proposer à des
ambassadeurs de les recevoir « à la hune. » On trouverait encore
bien moins d'ambassadeurs qui y consentiraient.
(1) Voir l'ouvrage intitulé : Diplomates du temps de la Ligue,
par Edouard Frémy, p. 66 et suiv.— Voltaire s'exprime ainsi, au
sujet des entrées des ambassadeurs : « Il semblait, à voir les
ambassadeurs se promener dans les rues, qu'ils disputassent le
prix dans des cirques ; et quand un ministre d'Espagne avait pufaire reculer un cocher portugais, il envoyait un courrier à
Madrid informer le roi son maître de ce grand avantage. Il est
à croire qu'à la fin on se défera de cette coutume qu'ont encore
quelquefois les ambassadeurs, de se ruiner pour aller en proces-sion par les rues avec quelques carrosses rétablis et redorés,
précédés de quelques laquais à pied. Cela s'appelle faire son
26
402 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
Voici à peu près quels sont les usages contempo-
rains. Je dis à peu près, car les détails varient suivant
les usages et les réglements particuliers à chaque
cour, à chaque gouvernement. Il est néanmoins établi
un certain nombre de principes, ou plutôt de prati-
ques, et même quelque uniformité entre les États, à
cet égard.Dans les monarchies, le prince envoie celui qui est
destiné à l'introduction de l'ambassadeur (l'introducteurdes ambassadeurs, le grand-maître des cérémonies ou
autres employés titrés), accompagné d'autres officiers
de la cour, à l'hôtel de celui-ci. L'ambassadeur, accom-
pagné de toute sa suite, monte dans le carrosse de la
cour, attelé de six chevaux, et fait suivre ses voitures
attelées de même. Conduit dans la cour intérieure du
palais, salué par les gardes et accompagné de son in-
troducteur, il monte par l'escalier d'honneur à la salle
destinée à sa réception, et dont on ouvre les deux bat-
tants. Là se trouve le monarque, sous un dais, ayant à
ses côtés les ministres secrétaires d'État, et environné
des princes ou princesses du sang, des officiers de sa
cour, etc. L'ambassadeur, accompagné des personnesde sa suite officielle, s'approche du souverain par trois
révérences, tandis que celui-ci se lève, se découvre, et
fait signe à l'ambassadeur de se couvrir en se couvrant
lui-même. L'ambassadeur se couvre, c'est le pointessentiel du cérémonial. Quelques souverains cepen-dant ne se couvrent point en pareille circonstance, et
l'ambassadeur reste alors découvert. Dans les audien-ces des impératrices et des reines, l'ambassadeur secontente de faire le signe de se couvrir. Il ne se cou-vre pas non plus, et n'en fait pas même le signe, dansles audiences du pape. Quelquefois le souverain s'as-sied et invite l'ambassadeur à prendre place dans unfauteuil qui lui est destiné. Après s'être couvert et as-
entrée, et il est assez plaisant de faire son entrée dans une ville,sept ou huit mois après qu'on y est arrivé. » Depuis Voltaire ons'est en effet défait de cette coutume, et de beaucoup d'autres.
AUDIENCES ACCORDEES AUX MINISTRES PUBLICS 403
sis, quand il y a été invité, l'ambassadeur prononceson discours d'audience, pendant lequel, en faisantmention de sa lettre de créance, il prend celle-ci desmains de son premier secrétaire d'ambassade pour la
présenter au souverain et la remettre au premier mi-nistre ou au ministre des affaires étrangères qui estaux côtés du souverain. Le discours étant fini, ce der-nier y répond. La cérémonie étant terminée, l'ambas-sadeur se découvre et se retire par trois révérences,
regardant toujours le souverain en face.
Telle est, d'après le comte de Garden, le baron
Ch. de Martens et les autres auteurs qui ont écrit sur
ce sujet (1), la cérémonie, si l'on peut dire ainsi, théo-
rique de l'audience solennelle de réception d'un am-
bassadeur par un monarque, particulièrement dans une
cour où dominent les usages aristocratiques. Dans les
monarchies bourgeoises de l'Europe contemporaine et
dans les républiques, le détail des cérémonies pour la
première audience de l'ambassadeur est moins uniforme
et surtout moins chargé de formalités. Cependant, on
observe généralement les points suivants : 4° arrivée
au palais dans des voitures de gala, attelées de quatreou de six chevaux ; 2° entrée des voitures dans la
cour d'honneur du palais, descente au grand portail ;
3° honneurs militaires rendus ; un corps de troupe est
réuni ; les tambours battent aux champs ; 4° honneurs
de cour ; réception par les officiers du palais ; l'am-
bassadeur est introduit dans la grande salle d'audience,
les deux battants de la porte ouverts : dans quelques
cours il y a un introducteur des ambassadeurs, dans
les autres, ce sont le grand-maître des cérémonies, le
grand chambellan qui introduisent (2); en Chine, c'est un
(1) Traité complet de diplomatie, par un ancien ministre,édition de 1833, t. II, p. 24 et suiv.; Le Guide diplomatique,édition de 1866, t. Ier, p. 134 et suiv.
(2) La charge de grand maître des cérémonies et celle d'introduc-
teur des ambassadeurs et ministres étrangers datent, en France,de 1585, sous Henri III. Auparavant ces fonctions étaient rem-
plies par une personne de la cour, commissionnée temporaire-
404 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
mandarin introducteur; 5° le souverain attend l'ambas-
sadeur debout ou assis sous un dais, entouré de ses
ministres et de sa cour ; 6° droit de se couvrir en pré-sence du chef de l'État, lorsque ce dernier se couvre ;7° discours adressé par l'ambassadeur. Les discours
que se proposent de prononcer les agents diplomati-
tiques étrangers en remettant leurs lettres de créance,sont communiqués par avance à la chancellerie du gou-vernement auquel ils s'adressent. L'usage établi le veut
ainsi, et il se justifie par deux raisons : la première,c'est que le chef d'État harangué, qui doit, lui aussi,
préparer sa réponse, a besoin de savoir ce qui lui sera
dit ; la seconde, c'est qu'il pourrait arriver que le mi-
nistre public, en cérémonie de réception, commît quel-
que écart de langage imprévu, et brouillât par une
phrase imprudente deux nations animées cependantl'une envers l'autre de la plus cordiale sympathie; 8° Pré-
sentation des lettres de créance. 9° Réponse du chef
de l'Etat....Le tout, accompagné de révérences, de dé-
monstrations de respect, réglées par le cérémonialpropre à chaque gouvernement et à chaque pays.
Au reste, on n'observe pas toujours tout ce pro-gramme. L'ambassadeur ne prononce pas toujours un
discours; dans quelques pays, après avoir fait sa révé-
rence, il se borne à adresser quelques paroles de cour-toisie respectueuse, après lesquelles il remet seslettres de créance au chef de l'État, qui les dépose en-tre les mains du ministre des affaires étrangères. L'am-bassadeur présente ensuite les secrétaires et membres
ment à cet effet. Dans les cours où la charge d'introducteur desambassadeurs n'existe point, le grand maître des cérémoniesou le grand chambellan en font les fonctions. Le Guide diplo-matique, édition citée, t. Ier, p. 135 et 136, en note. Nous savonsqu'au Pérou, l'« oficial mayor » du ministère des relations exté-rieures a le caractère de maître des cérémonies, et que c'est lechef de la section diplomatique de ce même ministère qui estchargé de préparer tout ce qui est nécessaire pour la réceptiondes agents diplomatiques étrangers, et de remplacer, commemaître des cérémonies, l'« oficial mayor »,en cas d'empêchementde ce dernier.
AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS 405
de l'ambassade qui l'ont accompagné à l'audience so-lennelle (1).
Dans les cours d'Orient et des États barbaresques,l'agent diplomatique remet en même temps les présents
(1) Conformément à un règlement du 24 décembre 1818, réviséen 1827, et remanié
« d'une manière définitive» en 1830, voici quelétait le cérémonial observé, dans les cantons suisses, pour laréception des ambassadeurs, légats ou nonces. Le jour fixé pourl'entrée de l'ambassadeur dans la ville fédérale, un escadron decavalerie commandé par un colonel ou un lieutenant-colonelallait à sa rencontre, jusqu'à la distance d'une lieue, et lui ser-vait d'escorte jusqu'à son hôtel. A son entrée dans la ville,l'ambassadeur était salué par une salve de trente-trois coups decanon. A la porte de son hôtel se trouvait une compagnie d'in-fanterie commandée par un capitaine, avec drapeau, qui devaitlui servir de garde d'honneur et qui ne se retirait qu'après avoirlaissé quatre sentinelles. Les officiers de la troupe allaient alorsprévenir le gouvernement de l'arrivée de l'ambassadeur, et,immédiatement, une députation composée de. trois membres dugouvernement, accompagnée de la chancellerie fédérale, serendait auprès de lui pour le complimenter et s'informer dujour où il pourrait remettre ses lettres de créance. Ce jour-là,la même députation allait chercher l'ambassadeur dans deuxcarrosses attelés de quatre chevaux. L'ambassadeur montaitdans le premier carrosse, ayant à sa gauche le premier déléguéet en face de lui le second délégué. Le troisième délégué mon-tait dans le second carrosse avec le personnel de l'ambassade,et ils se dirigeaient ainsi vers le palais consistorial, où devait setrouver réuni tout le Conseil. Si la diète fonctionnait dans ce
moment, la réception avait heu dans la salle de la diète, en pré-sence du gouvernement et de tous les premiers députés. Devantle palais consistorial, l'ambassadeur trouvait deux compagniesd'infanterie, commandées par un colonel, rangées sur la place,qui lui rendaient les honneurs militaires à son arrivée. L'am-bassadeur était reçu au pied de l'escalier par les chanceliersfédéraux et cantonaux, qui l'accompagnaient à la salle, avec les
officiers, colonels et majors. Dans la partie haute de la salleétaient disposés deux fauteuils, dont l'un, celui de droite, étaitdestiné à l'ambassadeur, et celui de gauche, au président de la
Confédération. Ce dernier ne s'asseyait qu'après l'ambassadeur ;les autres assistants ne s'asseyaient qu'après le président. Lechancelier fédéral et le secrétaire d'État restaient seuls debout.Si l'ambassadeur se couvrait, toute l'assistance était obligéed'agir de même, elle se découvrait quand il ôtait son chapeau.L'ambassadeur prononçait son discours et présentait sa lettre
de créance. Le président lui répondait, et tout se passait ainsi
406 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
d'usage dans les relations avec ces Puissances. Les
présents sont ordinairement exposés dans une salle
disposée à cet effet, et le souverain va les visiter. A
Constantinople, on a souvent donné aux agents diplo-
matiques de première et de seconde classes, comme
marque d'honneur, pour figurer dans l'audience solen-
nelle, le Câfftan, espèce de pelisse ou d'habit de céré-
monie, que portent les principaux officiers turcs. Enfin,
M. Bluntschli fait remarquer que dans certaines cours
despotiques de l'Asie, un respect qui tient de l'adoration
est témoigné aux souverains, et qu'on exige des en-
voyés étrangers qu'ils se prêtent à des formalités in-
compatibles avec le respect d'eux-mêmes et avec la di-
gnité du gouvernement qu'ils représentent. Il ensei-
gne, avec raison, que l'agent diplomatique a le droit
de refuser de se livrer à des pratiques de cette nature.
J'ajouterai que c'est pour lui un devoir (1).
au bruit d'une salve de trente-trois coups de canon. Le retourde l'ambassadeur s'effectuait avec le même cérémonial, et le
président de la Confédération allait immédiatement lui faire une
visite, accompagné de tous les membres du gouvernement quin'avaient pas fait partie de la députation de la matinée. Tel étaitle cérémonial fixé, en 1830, pour la réception des ambassadeursen Suisse, et qui a été plus d'une fois observé, jusqu'en 1848.
Depuis cette époque on simplifia beaucoup les formes. Unrèglement nouveau fut arrêté, vers 1859, à l'occasion de la ré-ception du marquis de Turgot en qualité d'ambassadeur de
l'empereur Napoléon III. En vertu de ce règlement, l'ambassa-deur en Suisse est reçu à la station du chemin de fer par unsecrétaire de la chancellerie fédérale, qui met à sa dispositiondeux voitures pour lui et pour le personnel de l'ambassade.L'ambassadeur s'entend ensuite directement avec le président,au sujet de la remise de sa lettre de créance. Au jour fixé, l'am-bassadeur se rend au palais fédéral dans sa propre voiture, et yest reçu au pied de l'escalier par un secrétaire de la chancellerie.Le chancelier l'introduit dans la salle de réception, et l'ambassa-deur y présente sa lettre de créance au président de la Confédé-ration entouré de tous les membres du Conseil fédéral. Tel est lecérémonial usité actuellement dans la Confédération suisse.
(1) Il y a dans le neuvième volume de la Revue de droit inter-national et de législation comparée (1877),page 401, le récit de laréception de ministres étrangers par l'empereur de la Chine, le
AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS 407
L'audience solennelle de réception est-elle de
rigueur ?
La cérémonie de l'audience solennelle n'étant pasnécessaire pour que l'agent diplomatique entre en
29 juin l873. C'est seulement à la suite de longues et difficiles né-gociations, que les ministres d'Angleterre, des États-Unis d'Améri-que, de France, des Pays-Bas et de Russie, ont obtenu d'être reçuspersonnellement en une même audience par l'empereur de laChine. L'audience étant finalement concédée en principe, aprèsbien des difficultés, vint la question encore plus compliquée ducérémonial à suivre, et spécialement du Ko-Teou. Le Ko-Teouest une formalité qui consiste à se mettre trois fois à genoux età frapper neuf fois la terre du front. Les ministres chinois la trou-vaient indispensable. Les ministres étrangers s'y refusaient obsti-nément. On leur proposa, en forme de transaction, de s'accrou-
pir sur leurs talons, sans frapper la terre du front. Cela ne leuragréa point encore. La conclusion fut toutefois un programmearrêté de commun accord, et suivant lequel les choses se pas-sèrent comme suit. Le 29 juin 1873, à 6 heures du matin, les cinqministres se réunirent au Péi-Tang, établissement catholiqueromain situé dans la cité impériale. De là, ils furent conduits parun ministre du Yamên (ou office pour radministration desaffaires étrangères), à la porte nord de l'enceinte prohibée du
palais, où ils durent laisser leurs suites et leurs palanquins. Acet endroit, ils trouvèrent le grand secrétaire et d'autres minis-
tres, qui les introduisirent avec le secrétaire interprète allemand,et le premier interprète français, dans le Shih Ying Eung, ou
temple des Saisons, où l'empereur adresse ses prières au granddragon pour obtenir, suivant les circonstances, la pluie ou lebeau temps. L'ambassadeur du Japon, qui devait être reçu seulavant les autres, les y avait précédés. Des gâteaux, des fruits,du thé et du vin chinois, provenant des celliers impériaux,furent présentés. Au bout d'une heure et demie, on mena les
diplomates européens vers une grande tente, attenante au Tzu-
Kuang-Ko, ou pavillon pourpre, où l'audience devait avoir heu.
Le long de la route, beaucoup de mandarins en costume officiel,la plupart civils, quelques-uns militaires. Nouvelle halte fort lon-
gue sous la tente. Il était plus de neuf heures, lorsque quelquesministres du Yamên vinrent inviter l'ambassadeur japonais et
son interprète à l'audience impériale. Tous deux revinrent au
bout de quelques minutes, et les ministres européens furent
admis à leur tour. Ils entrèrent dans la salle d'audience du pa-villon pourpre par ordre d'ancienneté, le ministre de Russie en
408 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
fonctions, il peut arriver que l'ambassadeur ne de-
mande, ou qu'il ne lui soit accordé, à son arrivée,
qu'une audience privée, ou moins solennelle, dans la
même forme que celles auxquelles il est admis dans la
suite, et durant le cours de sa mission. Il peut arriver
aussi que la cérémonie de l'audience solennelle soit
renvoyée à un temps plus éloigné. Mais qu'on ne perde
pas de vue que l'agent diplomatique doit, avant de re-
tête, comme doyen du corps diplomatique. La salle est divisée
par des piliers de bois en cinq nefs, allant du nord au sud. A
l'extrémité nord de la nef centrale était l'empereur, assis sur un
trône élevé, et entouré d'un petit nombre de princes ; plus bas,des deux côtés, des rangées de hauts dignitaires. Aussitôt qu'ilsfurent arrivés en face du trône, les ministres se rangèrent sur
une ligne, s'inclinèrent tous ensemble, avancèrent de quelquespas, s'inclinèrent de nouveau, avancèrent de quelques pasencore, s'inclinèrent une troisième fois, et firent enfin haltedevant une longue table jaune, placée au milieu de la salle, àune douzaine de pas du trône. Là, le ministre de Russie lut àhaute voix une adresse très-courte, portant en substance queles représentants de l'Angleterre, des États-Unis d'Amérique, dela France, des Pays-Bas et de la Russie, félicitaient Sa Majesté àl'occasion de sa majorité, lui souhaitaient un long et heureux
règne et déposaient leurs lettres de créance. Une traduction chi-noise du même document fut lue par l'interprète allemand, etles ministres, en faisant une nouvelle révérence, placèrent leurslettres de créance sur la table jaune. A ce moment on vit l'empe-reur se pencher légèrement en avant, comme pour dire qu'ilreconnaissait la réception des lettres, et le prince Kung s'étantprosterné à genoux au pied du trône, Sa Majesté parut lui direquelque chose. Son Atesse s'étant relevée, vint rapporter en cestermes au corps diplomatique les paroles de l'empereur : « SaMajesté reconnaît la réception des lettres présentées par les mi-nistres étrangers ». Retournant à sa place, le prince Kung sejeta de nouveau à genoux, et l'empereur lui ayant encore adresséquelques mots, le prince transmit ce second message de songracieux souverain, dans les termes suivants : « Sa Majesté espèreque les empereurs, rois et présidents d'États représentés par VosExcellences sont tous en bonne santé, et elle compte que toutesles affaires entre les ministres étrangers et ceux du Tsung-li-yamên s'arrangeront d'une manière amicale et satisfaisante. »L'audience collective était finie. Elle avait duré un peu plus decinq minutes. Les ministres se retirèrent en faisant des révé-rences et à reculons.
AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS 409
mettre sa lettre de créance, dans une audience plus oumoins solennelle, notifier son arrivée au ministre desaffaires étrangères ; que la copie de la lettre de créancedoit être jointe à la notification ; que le rang d'ancien-neté diplomatique est fixé par la date même de cettenotification (1). Ajoutons enfin que l'autorisation duministre public est suffisamment établie, dès que lechef d'Etat est entré en négociation, ou par lui-même,ou par ses ministres, avec le porteur de la lettre decréance.
Réception des ministres publics de la seconde
classe.
Les ministrespublics de la seconde classe, c'est-à-dire
les envoyés extraordinaires et ministres plénipoten-
tiaires, peuvent faire notifier leur arrivée au ministre
des affaires, étrangères par le premier ou le second
secrétaire de la mission, chargé, en outre, de lui re-mettre une copie de la lettre de créance, et de deman-
der le jour et l'heure à laquelle l'envoyé sera admis à
l'audience du souverain. Mais le plus ordinairement ils
se bornent à notifier par écrit leur arrivée au ministre
des affaires étrangères, en le priant de vouloir bien
prendre les ordres de son souverain pour la remise de
la lettre de créance dont ils sont porteurs, et dont ils
lui communiquent une copie.Les envoyés, comme les ambassadeurs, les légats et
les nonces, ont droit à une audience solennelle ; mais
l'audience peut être privée, suivant la volonté des
deux cours, ou l'usage établi. Quant à l'audience so-
lennelle, elle est généralement accompagnée de moins
de formalités, elle s'effectue avec moins de pompe. Ac-
(1) C'est une coutume, dans l'Amérique centrale, que les re-
présentants des grandes Puissances étrangères soient reçus parle ministre d'État, au plus tard le jour suivant de leur arrivée.
(Voir le Mémorandum allemand, relatif à la réclamation de
l'empire d'Allemagne contre le gouvernement de la Républiquede Nicaragua, dans l'affaire du consulat impérial à Léon (1877,1878).
410 AUDIENCES ACCORDEES AUX MINISTRES PUBLICS
tuellement, par exemple en France, l'introducteur des
ambassadeurs, dans une des voitures du président de
la République, et sans escorte, va prendre le ministre
public de seconde classe dans son hôtel, et le conduit,avec le secrétaire de la légation, au palais de l'Elysée ;la garde ordinaire de l'Elysée se range sous les armes,à l'entrée et à la sortie de l'envoyé ; le président de la
République reçoit seul l'agent diplomatique ; on est en
habit de ville. En Angleterre, en Espagne, en Allema-
gne, en Italie, en Russie, le cérémonial est à peu prèsle même qu'en France. En Belgique, deux équipagesde la cour, attelés de deux chevaux, montés par deux
laquais à la livrée royale et précédés de deux piqueurs,vont chercher l'envoyé en son hôtel et le conduisent
au palais. Il est reçu au pied de l'escalier par deux
aides-de-camp de service, qui l'introduisent dans les
appartements où le grand maréchal de la cour et le mi-
nistre des affaires étrangères le reçoivent et le condui-
sent auprès du roi. Sur le passage de l'envoyé les gar-des présentent les armes et les tambours battent lamarche. Aux États-Unis d'Amérique, d'après une réso-lution du Congrès, de 1783, les lettres de créance de-
vaient être remises au président du Congrès, et l'on
devait rendre aux envoyés étrangers les honneurs mi-
litaires correspondant à ceux rendus aux officiers gé-néraux de second rang. Depuis, la pratique suivie a
changé. Au jour désigné, le ministre public, accompa-gné des employés de sa légation, se réunit avec le se-crétaire d'État au ministère des affaires étrangères, etils se rendent ensemble dans la maison du président.L'envoyé est présenté à ce dernier par le secrétaire
d'État, et les discours d'usage s'échangent dans uneforme brève et presque familière. Il n'y a, ni assistants,ni gardes, ni musiques, ni honneurs militaires, ni au-cune autre cérémonie. Au Chili, le gouvernement en-voie un équipage du président avec l'aide-de-camp deservice au ministre public. Conduit par cet aide-de-
camp au haut de l'escalier qui mène au départementdes affaires étrangères, l'envoyé est reçu par l'« oficial
AUDIENCES ACCORDEES AUX MINISTRES PUBLICS 411
mayor », qui l'introduit dans le salon du ministre, lequelfonctionnaire, revêtu de son habit d'étiquette, l'attend
pour l'accompagner dans la salle officielle de récep-tion où se trouve le chef de l'État, seul ou ayant auprèsde lui un de ses ministres. Les discours d'usage sont
échangés ; ils sont suivis d'une conversation de quel-ques minutes, puis l'envoyé se retire, accompagné parles mêmes personnes ; il est ramené à sa demeure parle même aide-de-camp. Il n'est pas rendu d'honneursmilitaires. En Colombie, au Vénézuéla, dans l'Equa-teur, dans la République Argentine, dans l'Uruguay,en Bolivie, il y a plus ou moins de pompe. Ainsi, en
Colombie, comme au Venezuela, il n'y apas d'honneursmilitaires rendus, mais les hauts dignitaires et fonc-tionnaires de l'État assistent à la réception. Dans
l'Equateur, la troupe se range sous les armes, dans
la rue, au passage de l'envoyé. Dans la République
Argentine, les ministres et autres fonctionnaires de
l'État sont présents à la réception de l'envoyé ; les
honneurs militaires sont rendus par la garde du palais;il en est de même dans l'Uruguay : c'est un bataillon
avec étendard qui rend les honneurs. Même cérémonial,
plus solennel encore, en Bolivie.
Au Pérou, avant les règles arrêtées et promulguéesle 20 avril 1878, la réception des envoyés s'effectuait
avec une grande pompe. Au jour de la cérémonie, le
ministre de la guerre envoyait à la maison de l'agent
diplomatique une compagnie de cinquante hommes,avec drapeau et musique. La garde du palais était aug-
mentée, avec drapeau et musique également. Ces deux
gardes se mettaient sous les armes et les tambours
battaient la marche sur le passage de l'envoyé. Les
employés des ministères et, quelquefois, la Cour su-
prême de justice et la Cour supérieure de Lima assis-
taient à la séance de la réception. L'« oficial mayor» du
ministère des relations extérieures et un aide-de-camp
du gouvernement accompagnaient, dans un carrosse
officiel, l'agent diplomatique à son aller au palais et à
son retour. Immédiatement après la réception, le mi-
412 AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS
nistre des affaires étrangères lui faisait une visite. Ce
cérémonial paraissait provenir de l'ancienne législation
espagnole, qui l'appliquait à la réception des nonces du
Saint-Siége, des ambassadeurs des têtes couronnées et
des Républiques de Venise et des Pays-Bas, et qu'onétendait aux envoyés extraordinaires et ministres plé-
nipotentiaires, comme étant les ministres publics de la
plus haute classe accrédités au Pérou. Le règlement du
20 avril 1878 est venu simplifier cette cérémonie de la
réception des ministres publics de seconde classe, et
la rendre plus conforme à la pratique presque univer-
sellement suivie actuellement, pour obéir à la dispo-sition du congrès de Vienne, portant que les États
devraient déterminer un mode uniforme pour la récep-tion des envoyés diplomatiques de chaque classe.
Aux termes du règlement péruvien du 20 avril 1878,les envoyés extraordinaires et ministres plénipoten-tiaires seront conduits au palais, et ramenés à leur
demeure, dans un carrosse du gouvernement, par
l' « oficial mayor » du ministère des relations exté-
rieures. Un aide-de-camp du gouvernement les recevraà l'entrée du salon de réception. La remise de la lettre
de créance au président de la République aura lieuavec l'assistance du ministre des relations extérieures.Les honneurs militaires seront rendus aux envoyés.Ces honneurs ne consisteront qu'en ceci : à l'entréedu ministre public, le garde ordinaire du palais semettra sous les armes; à la sortie, elle présenterales armes et les tambours battront la marche.
Réception des ministres publics de la troisième
classe.
Le premier devoir de tout agent diplomatique, quelleque soit la classe à laquelle il appartienne, en arrivantdans le lieu de sa résidence, étant de notifier ou defaire notifier son arrivée au ministre des affaires étran-
gères, les ministres résidents font cette notification dela même manière que les envoyés extraordinaires et
AUDIENCES ACCORDÉES AUX MINISTRES PUBLICS 413
ministres plénipotentiaires, c'est-à-dire le plus ordi-nairement par écrit.
Ils n'ont pas droit à une audience solennelle, mais ils
peuvent en obtenir une. Cette audience se passe avecles même formalités, à peu près, que celle accordéeaux ministres publics de la seconde classe ; c'est, en
général, la même étiquette, moins les honneursmilitaires (1).
Réception des ministres publics de la quatrièmeclasse.
Les chargés d'affaires n'étant accrédités qu'auprèsdes ministres des affaires étrangères, leur notifient
(1) Il existe deux décrets intéressants de la Révolution fran-
çaise, sur la réception des agents diplomatiques étrangers : ledécret du 27 thermidor an II (14 août 1794), qui détermine lamanière dont le ministre plénipotentiaire des États-Unis d'Amé-
rique sera introduit au sein de la Convention Nationale, et ledécret du 4 floréal an III (23 avril 1795), qui fixe le mode de
réception des ambassadeurs ou envoyés des Puissances étran-
gères.Le premier de ces décrets est ainsi conçu :« Art. 1er. Le ministre plénipotentiaire des États-Unis sera
« introduit au sein de la Convention Nationale ; il présentera« l'objet de sa mission. Le président lui donnera l'accolade fra-« ternelle, en signe de l'amitié qui unit le peuple américain et le« peuple français.
« Art. 2. Le président de la Convention écrira au président« du Congrès américain, en lui envoyant le procès-verbal de la« séance. »
Voici les dispositions du second décret :« Art. 1er. A la réception des envoyés des Puissances étran-
« gères dans le sein de la représentation nationale, ceux qui« seront revêtus du caractère d'ambassadeurs seront assis dans« un fauteuil vis-à-vis du président. Il parleront assis.
« Art. 2. Il sera placé pour leur cortège des banquettes à« droite et à gauche.
« Art. 3. La disposition de l'article précèdent est commune à« tous les envoyés des Puissances étrangères revêtus du carac-« tère de ministres plénipotentiaires.
« Art. 4. Le président, dans sa réponse à l'ambassadeur ou« autre envoyé, lui donnera les mêmes titres qui lui seront« attribués par ses lettres de créance. »
414 AUDIENCES ACCORDEES AUX MINISTRES PUBLICS
leur arrivée par écrit, et leur demandent audience pourleur remettre leur lettre de créance. Ils ne sont jamaisadmis par le souverain qu'à des audiences privées. Le
ministre des affaires étrangères demande leur présen-tation au chef de l'État ; ils se rendent au palais dans
leur propre voiture et sont introduits par l'aide-de-
camp de service. Une fois sa lettre de créance remise
par lui au ministre des affaires étrangères, le chargéd'affaires est en fonctions.
Audiences privées.
Il n'y a pas à insister davantage, en ce qui concerne
les audiences solennelles, sur ces détails d'étiquette,de cérémonial, qui varient avec les États, avec les
gouvernements, avec les cours, et que les corps diplo-
matiques peuvent modifier à l'infini par des arrange-ments particuliers. Sur ces différents points, il y a né-
cessairement plus de relâchement dans les républi-
ques que dans les monarchies, et, parmi les monar-
chies, dans celles qui sont démocratisées par l'espritdes temps modernes que dans celles qui sont encore
plus ou moins organisées d'après l'inspiration de l'es-
prit aristocratique d'autrefois. Tout est soumis, sur ce
point, à l'usage des cours et des gouvernements. Merlina tracé la seule règle générale qu'il y ait sur cette ma-tière : c'est qu'on doit aux ministres publics toutes lescivilités et toutes les distinctions que l'étiquette et lesmoeurs de chaque peuple destinent à marquer la consi-dération convenable au représentant d'un souverain.Le même auteur enseigne que tout souverain est librede changer le cérémonial relatif aux ministres étran-
gers : « Il est, dit-il, maître absolu à cet égard ;cependant il ne peut pas forcer les ministres étrangersde se soumettre au nouveau cérémonial, sans s'as-
sujettir lui-même à la réciprocité dans la personne deses propres ministres » (1).
Quant aux audiences privées que le chef de l'État
(1) Merlin, Répertoire, V° Ministre public, Sect. IV.
AUDIENCES ACCORDEES AUX MINISTRES PUBLICS 415
peut donner aux ministres des trois premières classes,au commencement de leur mission, il s'y observe uncérémonial beaucoup moins strict. Ces audiences n'ont
pas lieu dans la salle du trône : l'agent diplomatiques'y rend sans aucune pompe ; le chef d'État le reçoitdebout, soit seul, soit en présence du ministre desaffaires étrangères, dans la salle ordinairement con-sacrée aux cercles diplomatiques, ou dans son cabinet.En faisant le compliment d'usage au souverain, le mi-nistre public remet toujours à ce dernier sa lettre de
créance, dont une copie a été remise antérieurement,accompagnant la demande d'audience (1).
Audiences pendant le cours de la mission.
Dans différentes circonstances, les chefs d'États peu-vent être dans le cas d'accorder des audiences aux
ministres publics, pendant le cours de leur mission.
Cela a lieu, par exemple, lorsqu'un agent diplomatique
étranger est chargé de remettre au chef d'État auprès
duquel il est accrédité une lettre autographe de son
souverain, ou les insignes d'un de ses ordres, ou lors-
qu'il a commission de sa part de l'entretenir d'une
affaire de famille, de lui adresser un compliment de fé-
licitation, de condoléance, etc. Quelques chefs d'États
ayant introduit chez eux l'usage de donner régulière-ment audience au corps diplomatique à certains jours
fixes, c'est à ces audiences que les ministres s'acquit-tent de ces sortes de commissions, à moins de circons-
tance exceptionnelle.
Discours d'audiences.
Les anciennes harangues ont été remplacées, de nos
jours, par le simple et bref discours d'audience, allo-
cution d'une facture plus concise, plus discrète, mais
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1866,t.1. p. 138 ; Traité
complet de diplomatie, par un ancien ministre, édition de 1833,t. II p. 35.
416 DISCOURS D'AUDIENCES
d'un style toujours relevé, et variant dans ses termes,selon le rang respectif des deux souverains, ainsi queselon le degré d'amitié et de bonne harmonie qui exis-
tent entre eux.-
Lorsque la mission a un but spécial et déterminé, le
discours d'audience en énonce publiquement l'objet ;dans le cas contraire, il se renferme dans les généra-lités de convention prescrites par le cérémonial et par
l'usage.Si la mission est étrangère à la politique, si elle n'a
pour objet que de porter au chef de l'État des compli-ments de félicitation sur quelque événement heureux,ou de condoléance sur quelque malheur de famille, le
ministre doit se borner à exprimer la part sincère qu'y
prend le chef d'État qui l'envoie.
Le discours d'audience doit, dans tous les cas, insis-ter sur le vif désir du gouvernement qui accrédite le
ministre public, de maintenir et d'accroître les bons
rapports établis avec le gouvernement auprès du-
quel le ministre est accrédité. L'agent diplomatiquedoit ajouter l'assurance respectueuse qu'il ne négligerarien lui-même pour se rendre personnellement agréa-ble dans l'exercice de ses fonctions ; et si, à une épo-que antérieure, il a exercé des fonctions diplomatiquesauprès du chef d'État qui le reçoit, ou auprès de son
prédécesseur, il rappelle cette circonstance honorableet sollicite la continuation des bontés dont il a été
l'objet.Parlant des discours d'entrée et de ceux de congé,
Meisel rappelle que le style de ces discours doit êtrenoble sans afféterie, respectueux sans flatterie et sur-tout concis. « Dans les discours d'entrée, dit-il, leministre commence par les assurances des sentimentsd'amitié et d'estime de son maître pour le prince au-
quel il adresse son discours, et il modifie ses expres-sions, selon les égards qu'exigent le rang et les inté-rêts des deux gouvernements.... Quelquefois aussi ilfait mention des intérêts communs, de l'union et de lafranchise qui garantissent la sincérité de l'amitié, de
DISCOURS D'AUDIENCES 417
l'affection ou de l'estime de sa cour. Il mentionneensuite sa lettre de créance, qui exprimera mieux qu'ilne saurait le faire les sentiments de son maître. Enconcluant enfin, le ministre ajoute en peu de mots lesassurances de son dévouement et de son respect per-sonnel et particulier pour le souverain auquel il parle ;il témoigne la satisfaction qu'il ressent d'être honoréde la mission qu'il occupe, le désir qu'il a de bien
répondre aux intentions de son maître, et le zèle qu'ilemploiera à maintenir autant qu'il est en lui l'union etla bonne intelligence des deux États. Si le ministreétait chargé de quelque négociation et affaire particu-lière, il en ferait mention en peu de mots, sans entrer en
matière. Lorsque la mission du ministre est terminée,
il remet sa lettre de rappel en audience publique ou
particulière, et en l'accompagnant d'un discours. Il
annonce l'ordre de départ qu'il a reçu, et témoigne, en
termes à peu près semblables à ceux du discours d'en-
trée, les assurances contenues dans sa lettre de rap-
pel de l'invariable estime et amitié de son maître ;
quelquefois il dit ensuite qu'il fera un rapport exact et
fidèle des témoignages de réciprocité de ces senti-
ments de la part du prince auquel il parle, et des dispo-sitions favorables aux intérêts de son maître dans
lesquelles il l'a trouvé. Finalement, il exprime en termes
respectueux sa reconnaissance des bontés et des grâ-ces dont il a joui pendant la durée de sa mission, les
regrets qu'il a de quitter une cour où il s'est vu ainsi
comblé, et la satisfaction consolatrice qu'il ressent de
la réussite de sa mission, de la situation des affaires
et de l'intimité et bonne intelligence qui règne entre
les deux États. Si le ministre n'avait pas réussi dans la
négociation et qu'il restât quelque sujet de mésintelli-
gence à aplanir, il s'en montrerait peiné et tâcherait
d'employer quelque phrases conciliatoires, tout en jus-
tifiant sa cour, sans blesser celle à laquelle s'adresse
son discours » (1).
(1) Meisel, Cours de style diplomatique, édition de 1824, t. II,
p. 622 et suiv.27
418 DISCOURS D'AUDIENCES
Le comte de Garden ajoute à cet exposé la recom-
mandation d'être parfaitement sûr de sa mémoire, si
l'on tient à ne pas lire son discours ; il cite à l'appui
de son conseil le récit suivant qu'il emprunte au comte
de Ségur, ambassadeur de France à la cour de la
grande Catherine, et chez lequel mitaient supérieurs'alliait à toutes les grâces de l'esprit et aux plus ai-
mables qualités du coeur.
« J'obtins enfin mon audience, — dit le comte de
Ségur, — et peu s'en fallut que mon début ne devînt
malencontreux : j'avais, conformément à l'usage, don-
né au vice-chancelier la copie du discours que je de-
vais prononcer ; arrivé au palais impérial, le comte de
,Cobentzel, ambassadeur d'Autriche, vint me trouver
dans le cabinet où j'attendais le moment d'être pré-senté.
« Sa conversation vive, animée, et l'importance de
quelques affaires dont il me parla, m'occupèrent assez
pour me distraire complètement, de sorte qu'à l'ins-
tant où l'on m'avertit que l'impératrice allait me rece-
voir, je m'aperçus que j'avais totalement oublié le dis-
cours que je devais lui adresser.« Je cherchais vainement à me le rappeler en traver-
sant les appartements, quant tout-à-coup on ouvrit la
porte de celui où se tenait l'impératrice. Elle était riche-
ment parée et debout, la main appuyée sur une colonne;son air majestueux, la dignité de son maintien, la fierté
de son regard, sa pose un peu théâtrale, en me frap-pant de surprise, achevèrent de troubler ma mémoire.
« Heureusement, au lieu de tenter des efforts inu-tiles pour la réveiller, je pris soudainement le partid'improviser un discours clans lequel il ne se trouvait
peut-être pas deux mots de celui qui avait été commu-
niqué à l'impératrice, et pour lequel elle avait préparésa réponse.
« Une légère surprise se peignit sur ses traits ; ce
qui ne l'empêcha pas de me répondre sur le champavec autant d'affabilité que de grâce, en ajoutant mêmeà sa réponse quelques paroles personnellement obli-
geantes pour moi.
DISCOURS D'AUDIENCES 419
« Ayant ensuite reçu et remis au vice-chancelier malettre- de créance, elle m'adressa différentes questionssur la cour de France et sur mon voyage à Berlin et àVarsovie. Elle me parla aussi de M. Grimm et de seslettres, dans le dessein probable de me laisser entre-voir les dispositions favorables que cette correspon-dance lui avait inspirées, relativement au nouveau mi-nistre de France accrédité près d'elle.
« Depuis, lorsque cette princesse m'eut admis dansson intimité, elle me rappela cette audience. — Quevous est-il donc arrivé, me dit-elle, monsieur le comte,la première fois que je vous ai vu ; et par quelle fantai-sie avez-vous soudainement changé le discours quevous deviez m'adresser ? Ce qui m'a surprise et forcéeà changer aussi ma réponse.
— Je lui avouai que je m'é-tais senti un moment troublé en présence de tant de
gloire et de majesté. Mais, Madame, ajoutai-je, je pensaipromptement que cet embarras, très simple pour un
particulier, n'était nullement convenable à un repré-sentant du roi de France ; ce fut ce qui me décida, au
lieu de tourmenter ma mémoire, à vous exprimer,dansles termes qui vinrent les premiers à mon esprit, les
sentiments de mon souverain pour votre majesté, et
ceux que m'inspiraient votre renommée et votre per-sonne. — Vous avez bien fait, me répondit-elle ; chacun
a ses défauts ; moi, je suis très sujette à prévention : jeme souviens qu'un de vos prédécesseurs, le jour qu'ilme fut présenté, se troubla tellement qu'il ne put me
dire que ces mots : Le roi mon maître....... J'attendais
le reste; il redit encore : Le roi mon maître: et
n'alla pas plus loin ; enfin, la troisième fois, venant à
son secours, je lui dis que depuis longtemps je con-
naissais l'amitié du roi son maître pour moi. Tout le
monde m'a assuré que c'était un homme d'esprit, et ce-
pendant sa timidité me laissa toujours contre lui une
prévention injuste, et que je me reproche, comme vous
le voyez, un peu tardivement » (1).
(1) Traité complet de diplomatie, par un ancien ministre, édi-
tion de 1833, t. II, p. 31 et suiv.
420 DISCOURS D'AUDIENCES
Les pratiques observées, quant aux discours diplo-
matiques, dans les relations entre États monarchiques,
sont les mêmes dans les rapports entre États républi-
cains, et entre États républicains et monarchiques (1).
(1) Voici, par exemple, les discours qui ont été échangés, le4 septembre 1880, entre le commandeur Viviani, ministre du roid'Italie à Lima, et le chef suprême de la République du Pérou.Le commandeur Viviani, depuis longtemps chargé d'affaires
d'Italie, venait d'être promu par son gouvernement au rang deministre résident. Il s'est exprimé ainsi, en présentant en au-dience publique ses lettres de créance :
« J'ai l'honneur de présenter à Votre Excellence les royales« lettres au moyen desquelles S. M., mon auguste souverain,« m'accrédite auprès de Votre Excellence, en qualité de ministre« résident à Lima.
« En accomplissant cette haute mission je crois inutile de dé-« clarer, que, fidèle interprète des sentiments de mon roi et de« son gouvernement, tous mes efforts tendront toujours à« resserrer de plus en plus les liens qui unissent l'Italie et le« Pérou.
« Les relations, de cordiale amitié qui existent entre l'Italie et« le Pérou sont tellement enracinées, qu'elles rendent, non-seu-« lement facile, mais agréable, la mission de les conserver et de« les développer au profit du bien-être réciproque des deux« pays.
« Je crois avoir donné des preuves de l'intérêt que j'ai toujours« pris à cette tâche honorable et douce, pendant les quatre« années que j'ai résidé au Pérou. Pour continuer dans le nou-« veau caractère dont je viens d'être investi, je n'aurai qu'à« suivre la voie prise jusqu'ici, comptant toujours sur la puis-'« santé coopération du gouvernement de Votre Excellence.
« Que Votre Excellence me permette de profiter de cette so-« lennelle occasion pour souhaiter au Pérou, du fond de mon« coeur, toute la prospérité que je pourrais souhaiter à ma« patrie elle-même, et à Votre Excellence prospérité et bonheur« complet. »
Le chef suprême de la République du Pérou a répondu dansles termes suivants :
Monsieur le ministre,« Le Pérou sait combien sont sincères les paroles d'affec-
« tueuse sympathie que je viens d'entendre ; cette sympathie est« la même dont tous les jours nous donnons des témoignages« fidèles à monsieur le ministre et à ses compatriotes.« Dans le chemin de la vie, les nations, comme les individus,« se rapprochent plus les unes que les autres, et ce rapproche-« ment est basé non-seulement sur les liens spéciaux formés
VISITES DIPLOMATIQUES 421
Visites diplomatiques.
Certaines visites de cérémonie suivent la présenta-tion des lettres de créance. C'est ainsi qu'après l'au-dience de présentation au chef de l'État de la lettre quil'accrédite auprès de lui, l'agent diplomatique doit serendre à l'audience de l'épouse du souverain, à celle dusuccesseur présomptif au trône, quelquefois aussi à
« entre elles par la nature, mais encore spécialement sur ceux« dont l'action réciproque s'opère chaque jour. C'est justement« aux heures d'épreuve que ces liens deviennent plus étroits et« prennent une consistance indestructible.
« Entre le Pérou et votre grand et beau pays, il existe des re-« lations dont les racines, comme vous venez de le dire avec« beaucoup de justesse, sont abondantes et profondes ; mais si« ces relations intimes fleurissent dans toutes les zones, depuis« les hauteurs du gouvernement jusqu'au sein du foyer domesti-« que, cela se doit, en grande partie, à la politique non inter-« rompue qui a toujours été suivie par le gouvernement que« vous représentez.
« L'Italie, dans sa droite et haute intelligence, a compris que« la manière de servir les intérêts de ses nationaux dans un« pays qui, comme le Pérou, ouvre son coeur et son foyer aux« hommes des régions les plus lointaines, c'est de traiter ce» pays avec un religieux respect. Ce respect est dû au droit, quelle« que soit sa représentation, et ces considérations sont dues à« qui sait les avoir pour les autres. Non, l'Italie n'a jamais fait« un titre de droit de sa force, et c'est pour cela qu'elle prospère« sur notre sol vierge tout aussi bien que sous son propre ciel :« ses nationaux y trouveront toujours l'amour et les commodités« de la mère patrie. A travers les formules diplomatiques, les« peuples, M. le ministre, savent très-bien distinguer (pour peu« d'expérience qu'ils aient) la manière dont on se conduit vis-à-« vis d'eux. Les sentiments que révèle cette conduite appellent« toujours l'attention, même des nations puissantes.
« Je me réjouis de constater ici publiquement les sentiments« que nous ressentons pour le peuple et pour le gouvernement« italiens. Nous regardons, M. le ministre, votre promotion au
« rang de ministre résident à Lima, comme la meilleure garantie« des étroites relations qui lient l'Italie et le Pérou. Dans le nou-« veau poste où votre mérite vous a fait arriver, vous ne trou-
« verez que toutes sortes de facilités pour cultiver et rendre
« encore plus intime l'amitié ancienne et jamais troublée qui a
« toujours existé entre l'Italie et le Pérou. »
422 VISITES DIPLOMATIQUES
celle d'autres princes ou princesses du sang. Cette
partie du cérémonial se fait dans des formes qui varient
selon les pays (1). Dans les républiques, l'agent diplo-
matique peut se rendre chez réponse du chef de l'État,
mais c'est une démarche privée, une visite de parti-culier à particulier, un acte de déférence d'un homme
du monde vis-à-vis d'une femme qui, par la haute
situation de son mari, occupe un rang distingué dans
la société.
(1) L'audience des princes du sang était imposée aux ambas-sadeurs par Louis XIV, comme nous le montre le passage suivantdu duc de Saint-Simon : « Il refusa... audience au comte de
Zintzerdoff, envoyé de l'empereur, nouvellement arrivé, parcequ'il prétendit n'en point prendre des fils de France puînés, àcause que les envoyés du roi à Vienne ne voient pas l'archiduc,et le roi veut qu'il prenne toutes ces audiences en sortant de lasienne... ». Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-
Simon, édition de 1853, t. IV, chap. LXIX,. p. 130.Le même Saint-Simon nous fait voir à combien de petitesses
ces audiences donnaient lieu. « Sainctot, introducteur des am-
bassadeurs, fit faire, dit-il, une sottise à la duchesse du Lude,qui pensa devenir embarrassante. Ferreiro, chevalier de l'An-nonciade et ambassadeur de Savoie, allant à une audience decérémonie chez Madame la duchesse de Bourgogne, Sainctot dità la duchesse du Lude qu'elle devait aller le recevoir dans l'anti-chambre avec toutes les dames du palais. Celles-ci, jalouses den'être point sous la charge de la dame d'honneur, ne l'y vou-lurent point accompagner ; la duchesse du Lude allégua qu'ellene se souvenait point d'avoir vu les autres dames d'honneur dela reine, ni de madame la Dauphine, aller recevoir les ambas-sadeurs. Sainctot lui maintint que cela se devait, et l'entraîna àle faire. Le roi le trouva mauvais, et lava la tête, le jour même, àSainctot ; mais l'embarras fut qu'aucun autre ambassadeur nevoulut prendre cette même audience sans recevoir le mêmehonneur. On eut toutes les peines du monde à leur faire enten-dre raison sur une nouveauté faite par une ignorance qui nepouvait tourner en usage et en règle, et ce ne fut qu'après unelongue négociation et des courriers dépêchés à leurs maîtres etrevenus plus d'une fois, qu'ils se contentèrent chacun d'un écritsigné de Torcy, portant attestation que cela ne s'était jamaispratiqué pour aucun ambassadeur, que ce qui s'était passé àl'égard de Ferreiro était une ignorance, et que cette faute ne secommettrait plus ». Mémoires complets et authentiques du ducde Saint-Simon, chap. LIII, t.III, p. 128.
VISITES DIPLOMATIQUES 423
Le ministre des affaires étrangères fait, dans plu-sieurs pays, peu d'instants après la présentation offi-cielle de la lettre de créance, une visite à l'ambas-sadeur, au légat, au nonce, à l'envoyé extraordinaireet ministre plénipotentiaire, même au ministre résident.Cette visite est faite au nom du chef de l'État, commeen retour de la visite de présentation que le souverainne peut rendre en personne. Dans quelques répu-bliques cependant le président rend parfois la visite
personnellement : c'est une question d'usage parti-culier à chaque pays, et souvent aussi de convenance
politique dans certaines situations déterminées.Puis viennent les visites du corps diplomatique, vi-
sites dites d'étiquette, et dont il a déjà été question.Ces visites, nous l'avons vu, sont reçues et rendues
dans un ordre et dans une forme établis tant par la
classe à laquelle appartient le ministre public, que
par le rang de son gouvernement, et même par l'éti-
quette du lieu. Rien, d'ailleurs, à cet. égard, ne peutêtre exigé à titre légal ; tout repose sur des usages de
pure courtoisie, basés sur une pratique depuis long-
temps suivie, sur la réciprocité ou sur toutes autres
circonstances et particularités qui échappent à toute
énumération.
Il y a, sur ce point, une bonne recommandation à
faire. Un agent diplomatique débutant dans une cour
étrangère, auprès d'un gouvernement étranger, y
manque le plus souvent, et presque toujours en tout
ou en partie, des connaissances locales nécessaires
pour régler sa conduite de manière à ne pas blesser
les usages de cour et de société reçus dans le paysoù il va résider. La prudence conseille donc à tout
diplomate qui arrive dans une capitale, de s'informer
auprès d'un de ses collègues d'une Puissance amie,
de l'étiquette et des usages reçus pour le cérémonial
des audiences et des visites à faire ou à recevoir.
Ces usages varient pour chaque cour, dans chaque
pays, et c'est un devoir pour un agent diplomatique deles suivre, sans former des prétentions propres à faire
424 VISITES DIPLOMATIQUES
naître des préventions désavantageuses contre sa
personne.La grande étiquette, l'usage rigoureux veulent que
les ambassadeurs fassent notifier d'abord leur légiti-
mation, par un secrétaire d'ambassade, aux autres am-
bassadeurs accrédités avant eux. Ils attendent ensuite
que ces derniers leur aient fait la première visite de
cérémonie. Cette visite reçue, ils doivent la rendre im-
médiatement après. L'ordre dans lequel l'ambassadeur
doit rendre la visite d'étiquette aux autres ambassa-
deurs a quelquefois donné lieu à des contestations;
mais ordinairement on rend les visites dans l'ordre où
on les a reçues.Les ambassadeurs ne font pas notifier leur légitima-
tion aux ministres publics des autres classes : ils se bor-
nent à leur envoyer simplement leur carte, et ils atten-
dent ensuite la première visite de la part de ces mi-
nistres. Ils rendent par carte cette première visite.
Les envoyés et les résidents font personnellementla première visite aux ambassadeurs qu'ils trouvent
accrédités à leur arrivée à leur poste. Ils déposent leur
carte chez les ministres de leur classe ou d'une classe
inférieure, et attendent que ces ministres leur fassent
la première visite, qu'ils leur rendent par carte.
Les chargés d'affaires font la première visite à tous
les agents diplomatiques indistinctement, qu'ils trou-
vent légitimés : aux ambassadeurs en personne et aprèss'être fait fixer une heure ; aux antres ministres pu-blics, par carte, mais en se rendant en voiture devantleur hôtel, et à l'heure de leur propre convenance.
Ce n'est qu'après que toutes ces visites ont été re-
çues et rendues, ou après qu'on s'est accordé sur un
expédient, que les ministres publics étrangers résidant
auprès d'une même cour, d'un même gouvernement,se reconnaissent mutuellement en leur qualité diplo-matique, non au point de vue des affaires politiques,mais sous le rapport de la confraternité profession-nelle.
Les visites d'étiquette n'ont lieu, en général, qu'a-
VISITES DIPLOMATIQUES 425
près que le nouvel arrivé s'est dûment, légitimé, parrapport à sa mission, par la présentation officielle desa lettre de créance. Les membres du corps diploma-tique accrédité dans un pays peuvent, du reste, prendredes accords et arrêter des arrangements particulierssur ces différents points. C'est ainsi, par exemple,qu'au congrès de Ryswick, l'on convint, à l'unanimité,qu'on s'abstiendrait de toute notification de l'arrivéedes ministres publics, ainsi que de toute visite de céré-monie.
Bien n'empêche les agents diplomatiques de se faireentre eux des visites privées, avant d'avoir présentéleur lettre de créance ; rien ne les empêche, non plus,de faire ou de rendre en personne la visite d'étiquette
qu'ils pouvaient ne faire ou ne rendre que par carte(1).Enfin, les ministres publics nouvellement arrivés à
leur poste et qui se sont fait légitimer, peuvent avoir,
(1) Le comte de Garden expose ainsi la question des visites
d'étiquette entre les ministres publics, question qui a souventsoulevé bien des difficultés, dans le passé, et qui, de nos jours,se résout d'une manière plus simple et plus facile. « D'après lecérémonial de la plupart des cours, dit-il, l'ambassadeur, aprèsl'audience solennelle, fait notifier par un secrétaire d'ambassadesa légitimation aux ministres du pays et aux ministres étrangers;il en reçoit la première visite, qu'il leur rend aussitôt. Les mi-nistres étrangers du second et du troisième rang lui envoientdemander l'heure à laquelle il les recevra. L'ambassadeur l'in-
dique, et leur rend à son tour une visite sans aucun cérémonial ;s'il veut en observer, c'est une marque de distinction particu-lière. De simples visites amicales peuvent avoir heu avant comme
après l'audience. Il faut remarquer que dans quelques cours cesont les ministres du pays qui prétendent recevoir la premièrevisite de cérémonie de l'ambassadeur. A Constantinople, lesministres étrangers ont tous une audience du grand-vizir, avant
d'être reçus par le sultan.« Après leur réception, les ministres du second ordre et les
autres envoyés se font réciproquement visite, n'observant pas
d'étiquette, et cominunément par cartes ; mais ils exigent souvent
que ceux du troisième rang leur fassent visite les premiers,après leur avoir donné par écrit connaissance de leur légiti-mation... ». Traité complet de diplomatie, par un ancien ministre,édition de 1833, t. II, p. 36 et suiv.
426 PRÉSENTATION DES SECRETAIRES, ETC.
d'après l'usage, à visiter les grands dignitaires, les
ministres secrétaires d'État, les hauts fonctionnaires
publics du pays où ils sont accrédités. Il leur est remis,
à cet effet, par les soins du ministère des affaires
étrangères, une liste circonstanciée de ces person-
nages, avec l'indication de leurs domiciles et de leurs
dignités. Ces visites sont ordinairement faites et
rendues par cartes.
Présentation des secrétaires, des attachés de légationet des étrangers de distinction.
Lorsque, pendantle cours d'une mission, il y anomi-
nation de nouveaux secrétaires ou de nouveaux
attachés de légation, les chefs de mission en prévien-
nent, soit verbalement, soit surtout par note, le ministre
des affaires étrangères du pays où ils sont accrédités.
Le ministre des affaires étrangères en donne avis au
maître des cérémonies. La présentation au chef de
l'État se fait, d'ordinaire, quand l'occasion s'en pré-
sente, soit au cercle du chef de l'État, soit dans la salle
du trône, soit aux bals ou aux dîners officiels,s'il arrive que les secrétaires ou attachés y soient
invités.
Les chefs de mission présentent eux-mêmes les
personnes de leur légation; s'ils sont absents, lemaître des cérémonies les remplace. Suivant les usagesde chaque cour, ce maître des cérémonies porte letitre ou simplement de maître des cérémonies, ou de
grand maître des cérémonies, où de grand maréchal
de la cour ou du palais, ou de grand chambellan, etc.
Quant à la présentation des personnes de distinctionse trouvant de passage dans la capitale, les ministres
publics étrangers adressent ordinairement au maîtredes cérémonies, ou au grand maréchal de la cour oudu palais, la demande de présentation de leurs natio-naux. Cependant cette règle n'est pas absolue. Il arrivemême quelquefois que des étrangers sont directement
PRÉSENTATION DES SECRETAIRES, ETC. 427
invités, sans l'intervention des agents diplomatiques de
leur pays. Le comte de Garden rappelle que les minis-
tres publics ne doivent, en principe, présenter aux
cours auprès desquelles ils sont accrédités, que les
personnes qui sont munies d'un ordre exprès de leur
gouvernement (1).
(1) Traité complet de diplomatie, édition citée, t. II, p. 70.
CHAPITRE X.
Devoirs et attributions des agents diplomatiques.— Rôle
de représentation de son gouvernement. — Exemple :
correspondance diplomatique au sujet de la présence du
général Florès au Pérou, en 1855. — Autres exemples. —
Rôle d'observation. — Rapports constants avec- le gou-vernement auprès duquel le ministre est accrédité. — Les
ministres publics no doivent et ne peuvent pas exercerleurs fonctions à distance. — Occupations du ministre
publie. — Travail particulier du ministre public. — Com-
munications du ministre public avec son gouvernement.— Secret de la correspondance.—Le ministre publicdoit être discret. — Négociations du ministre public. —
Négociations directes. — Négociations indirectes. — Né-
gociations verbales. — Négociations par écrit. —Négo-ciations entre ministre des affaires étrangères et chef de
mission. — Communications sans négociation. — Protec-tion des nationaux à l'étranger. — La protection par voie
diplomatique ne doit pas être prématurée. — Affaire de
la maison Dreyfus. — Affaire Martinoz. — Décret péruviende Ramon Castilla, du 17 avril 1846. —Lettre du 4 février1857. —Circulaire du 24 février 1857. — Circulaire du 25
janvier 1859. — Le sac de Callao, en 1868. — Circulairedu 16 novembre 1877. — Ordonnance française du 8 no-vembre 1833. — Dispositions du réglement consulaire duPérou.
Devoirs et attributions des agents diplomatiques.
Le premier devoir de tout diplomate appelé à devenirle chef d'une mission à l'étranger, est de s'initier
DEVOIRSET ATTRIBUTIONS DES AGENTS DIPLOMATIQUES 429
d'une manière complète et exacte à l'état actuel des
affaires dont la gestion lui est confiée ; de prendre une
connaissance entière des relations qui existent, entreson gouvernement et celui du pays où il doit aller rési-der. il devra donc, s'il veut se préparer convenable-
ment à l'exercice de sa charge, demander aux archives
du ministère des affaires étrangères de son paystoutes les données qui lui faciliteront cette prépara-
tion, et y puiser tous les documents propres à le ren-
seigner sur les négociations ouvertes qu'il sera
chargé de poursuivre, sur les intérêts politiques ou
commerciaux engagés, sur le caractère du chef de
l'État auprès duquel il est envoyé et des personnagesde son entourage, sur les voies et moyens qui aplani-ront les difficultés de sa tâche, sur les écueils auxquelsil pourrait, se heurter, etc. Il lira et méditera la
correspondance échangée entre son gouvernement et
ses devanciers; il analysera les dépêches, il étudiera
les solutions données sur les points controversés, et,
dans les cas douteux, il sollicitera" des explications
catégoriques, des instructions précises. Il ne se rendra
point à son poste sans s'être complètement muni de
tout ce qui peut l'éclairer sur la marche à suivre pourmener les affaires à bonne fin.
Arrivé au lieu de sa résidence, il continuera sa pré-
paration en lisant attentivement les documents qui se
trouvent aux archives de la légation ; il interrogera le
personnel de cette légation ; il se fera donner les
explications nécessaires par son prédécesseur ; il
s'informera auprès de ce dernier, ou auprès d'un de
ses collègues accrédité dans le même pays, de l'éti-
quette et des usages reçus pour le cérémonial des
audiences et les visites à faire ou à recevoir ; il profi-
tera de ces premières démarches et démonstrations de
courtoisie pour se former une opinion sur les per-
sonnes dont ses fonctions doivent journellement le
rapprocher ; il ne négligera pas de se faire connaître
lui-même et de donner de lui une idée favorable.
Ainsi préparé, le ministre public pourra s'engager,
430 DEVOIRS ET ATTRIBUTIONS DESAGENTS DIPLOMATIQUES
sans redouter trop de difficultés, dans l'accomplisse-
ment des devoirs de sa mission.
Heffter a tracé en peu de mots les devoirs du ministre
public en pays étranger : fidélité envers son souve-
rain ; loyauté envers le souverain étranger. L'agent
diplomatique veillera scrupuleusement aux intérêts du
pays qu'il représente, dans les termes et les limites de
ses instructions ; il s'abstiendra de toute offense envers
le gouvernement et les institutions de l'État étranger ;il ne s'immiscera en aucune façon dans son adminis-
tration intérieure, et il évitera de prendre un ton de
commandement et d'autorité (1). « Le ministre public,dit l'auteur du Guide diplomatique, ne pouvant perdrede vue que son devoir est d'agir en tout temps comme
ministre de paix, le maintien de la bonne harmonie
doit être l'objet constant de ses efforts. Il se facilitera
sa tâche en rendant sa personne agréable, son langagemesuré et bienveillant. S'il existe entre les deux cabi-
nets quelque sujet de mésintelligence, il s'efforcera de
dissiper ces nuages, d'éloigner tout sujet de préven-tions, de justifier sa cour des torts qu'on lui suppose-rait, de n'alléguer qu'avec modération ceux dont elle
pourrait avoir à se plaindre. Il ne négligera rien pourse faire bien venir de tous ceux dont ses fonctions le
rapprochent, tout en évitant, par son attitude, qu'on
puisse le croire accessible à des influences qu'il nesaurait se laisser imposer.... Même dans le cas de mé-
sintelligence, la politique, non moins que la bien-
séance, fait un devoir à l'agent diplomatique de nerien retrancher du respect qu'il doit au prince auprèsduquel il réside. C'est pourquoi il est de principe queles ministres étrangers, quelles que soient les circons-
tances, participent extérieurement aux événementsheureux ou malheureux qui touchent la personne ou lafamille du souverain auprès duquel ils sont accré-dites.
« Les cérémonies religieuses des différents cultes
(1) Heffter, ouvrage et édition cités, n° 206, p. 384.
DEVOIRS ET ATTRTBUTIONSDESAGENTS DIPLOMATIQUES 431
ont des rapports trop étroits avec la religion elle-même,elles touchent de trop près aux convictions les pluschères, pour qu'il ne soit pas impardonnable au ministreétranger de heurter la foi du peuple qui s'y associe, ense dispensant, à cet égard, sous prétexte d'immunité
diplomatique, des marques extérieures de respectqu'elles commandent, au risque d'occasionner duscandale par des allures propres à le provoquer. Riendonc ne saurait excuser le ministre qui se manqueraità lui-même en manquant à ce qu'il doit à tous. Quantaux hommages qu'il doit au souverain et aux membresde sa famille, et dont l'étiquette, dans toutes les cours,a réglé si minutieusement les détails qu'il est plusfacile de pécher par oubli que par ignorance, il peutcependant se présenter des cas où l'on exige de lui desdémarches imprévues, qu'il pourrait hésiter à faire
dans la crainte de déroger au caractère dont il est re-
vêtu. Si ces démarches portaient avec elle une idée
de soumission, si elles établissaient quelque relation
de souverain à sujet, le ministre serait blâmable de s'y
prêter. Mais, si l'opinion n'attache à l'acte demandé
aucune conséquence de ce genre, il doit gouverner sa
conduite d'après les règles générales qui dirigent celle
de l'homme privé.... A l'égard des coutumes nationales
ou des préjugés populaires, dont les masses sont
d'autant plus jalouses qu'elles sont moins avancées en
civilisation, sa position lui prescrit tous les ménage-ments et les déférences compatibles avec son indépen-dance et sa dignité... Il accordera sans difficulté tout
ce qu'on peut attendre de lui comme concession de
courtoisie. Le rôle que son titre lui trace est celui d'un
étranger discret, qui, dans la maison où il est reçu, se
conforme aux habitudes de ses hôtes autant que le
savoir-vivre lui en fait un devoir » (1). Enfin, par respect
pour le souverain auprès de qui il est accrédité et poul-
ie pays où il réside, l'agent diplomatique ne doit pas
refuser de prendre part à certaines démonstrations,
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1831, t. Ier, p. 169 et suiv.
432 DEVOIRS ET ATTRIBUTIONS DES AGENTS DIPLOMATIQUES
d'ailleurs indifférentes, dans les occasions de deuil
public ou de réjouissances nationales. S'il s'agissait,
cependant, de ces fêtes qui ont lieu quelquefois à la
suite des succès obtenus par l'une des nations belli-
gérantes entre lesquelles le gouvernement du ministre
public a gardé une stricte neutralité, il serait très-
naturel qu'il refusât de s'y associer. Les convenances
ne permettraient point qu'il suivît, en pareil cas, une
conduite opposée à celle de son gouvernement (1).« Un agent politique est un ministre de paix, dit
Gérard de Rayneval ; en effet, le maintien de la
bonne harmonie est l'objet direct ou au moins apparentde sa mission. C'est donc vers ce but que doivent être
dirigées toutes ses démarches, toutes ses actions : en
s'écartant de cette règle, il compromet son caractère,il se rend suspect, il s'expose à des désagrémentsmérités ; car un souverain, en admettant un surveillant
privilégié, ne saurait supporter que, sous la sauve-
garde du droit des gens, il ne cherchât qu'à intrigueret à fomenter des tracasseries, des troubles, des cons-
pirations et la révolte. Le ministre public ne doit ja-mais perdre de vue que le souverain près duquel ilréside est le maître chez lui ; que les prérogativesattachées au caractère de ministre ne sauraient dimi-nuer celles du souverain, et que ce dernier a sa dignitéà soutenir contre quiconque entreprendrait d'y porterla plus légère atteinte. Un ministre doit surtout prendregarde qu'il est responsable de sa conduite envers son
propre souverain, et que celui-ci, de son côté, enest responsable envers le souverain auprès duquel ila accrédité un agent » (2).
En ce qui concerne l'accomplissement proprementdit de sa mission, le ministre public doit se renfermerdans le rôle de ses fonctions, qui consiste à repré-senter au dehors le gouvernement qui l'accrédite ; à
(1) Id., p. 108, note l.(2) Gérard de Rayneval, Institutions du droit de la nature et
des gens, édition de 1803, p. 381.
RÔLE DE REPRÉSENTATION DE SON GOUVERNEMENT 433
observer assidûment le gouvernement près duquel ilréside ; à entretenir constamment des rapports avec ce
gouvernement, pour les affaires ordinaires; à entamerdes négociations; à protéger ses nationaux dans les
pays de sa résidence ; etc. Il convient d'examiner ces
fonctions, sous chacun de ces points de vue (1).
Rôle de représentation de son gouvernement.
Le ministre public représente son gouvernementcomme le mandataire représente son mandant: il
représente le sujet dans lequel résident les droits qu'ildoit manier, conserver et faire valoir, les droits dont ildoit traiter, en tenant la place du mandant. En d'autres
termes, être mandataire d'un gouvernement, ou, pourmieux dire, d'une nation auprès du gouvernementd'une autre nation, c'est la représenter, c'est être
autorisé à traiter en son nom, à faire valoir ses droits,à défendre ses intérêts, dans les limites des instruc-
tions reçues. Gardien de la dignité de son pays, chargéde faire observer les égards dus à sa patrie et à son
gouvernement, le ministre public doit déployer, dans
cette partie délicate de sa mission, beaucoup de cour-
toisie, une grande patience, mais une énergique fer-
meté. Inflexible pour les intérêts publics qui lui sont
confiés, il doit, suivant l'expression du baron Ch. de
Martens, concilier le « suaviter in modo » avec le
« fortiter in re » (2).
(1) « Les devoirs généraux des agents diplomatiques, dit le
comte de Garden, consistent à conduire les négociations qui sont
nécessaires entre les gouvernements, pour rétablir ou cimenter
leurs rapports de bonne intelligence et d'amitié ; à surveiller
l'accomplissement de ces accords ; à empêcher que rien ne soit
entrepris, dans les pays où ils résident, contre les intérêts de
leur nation, et enfin à y protéger ceux de leurs concitoyens quiréclament, leur assistance. » Traité complet de diplomatie, édi-
tion citée, t. II, p. 33.
(2) Le Guide diplomatique, édition de 1866, t. Ier, p. 150.
434 RÔLE DE REPRÉSENTATION DE SON GOUVERNEMENT
Exemple. — Correspondance diplomatique au sujetde la présence du général Florès au Pérou, en
1855.
On trouve dans l'histoire diplomatique de l'Amérique
espagnole des exemples d'une semblable attitude, qu'ilest bon de ne pas laisser, tomber dans l'oubli. C'est
ainsi que, comme modèles de notes vives, fermes, pres-
santes, d'une logique serrée, on peut citer les notes du
chargé d'affaires de l'Equateur, dans l'affaire du séjourdu général Florès au Pérou, en 1855.
La protection que le gouvernement de Lima donnait
au général Florès, avait alarmé les Équatoriens. Leur
susceptibilité se trouvait cruellement blessée. Ils s'en
plaignirent vivement par le moyen de la presse ; ils
parlèrent de conduite injuste et déloyale. Peut-être,dans toute autre circonstance, le gouvernement péru-vien n'aurait pas attaché d'importance à ces manifes-tations particulières, mais le président Castilla, quicherchait une occasion de rupture, considéra lesarticles des journaux équatoriens comme une insulteà son pays et adressa une note très-énergique aucabinet de Quito. On sait que ce prétexte, joint à la
question de limites, provoqua la guerre entre le Pérouet l'Equateur.
La correspondance diplomatique prise ici comme un
exemple de la manière dont un ministre publie doitfaire observer les égards dus à son pays et à son gou-vernement, s'ouvre en 1855.
Le 20mars, le ministre de l'Equateur à Lima adresseau ministre des relations extérieures du Pérou sa pre-mière note dans cette affaire. Le bruit de l'arrivée du
général Florès à Lima est parvenu jusqu'à lui. Il neveut pas y croire. Il se fie au gouvernement du Pérou.Le style de cette note est chaleureux, rapide, éner-gique, peut-être un peu violent : ce qui est un défaut.Le 25 mars, le ministre des relations extérieures ré-pond. Sa réponse est vague : les antécédents du Libéra-
RÔLE DE REPRÉSENTATION DE SON GOUVERNEMENT 435
teur garantissent tout ce qu'on doit espérer du gou-vernement provisoire du Pérou en faveur du respectqu'il professe pour tous les droits qui constituentla souveraineté des États. Le même jour, nouvelle notedu chargé d'affaires de l'Equateur. Les rumeurs se sont
changées en triste réalité. Il pose deux questions :comment se fait-il qu'on ait permis au général Florèsd'entrer au Pérou? Quel est le parti que le gouverne-ment péruvien compte prendre vis-à-vis de ce conspira-teur? Le style est bref, vif, ferme. Le 26 mars, réponsedu ministre des relations extérieures du Pérou; ré-
ponse incertaine. Longs détails pour expliquer le re-tard de la réponse à la note du 20 mars. Vagues décla-rations sur les principes de moralité et de justice du
gouvernement péruvien. Rien, de la part du Pérou,ne pourra compromettre la tranquillité de l'Equateur,ni altérer les bonnes relations qui existent entre les
deux peuples. Le 27 mars, réplique du ministre public
équatorien. La réponse du 26 mars, dit-il, prouve d'une
manière indubitable que le gouvernement péruvien se
bornant à des généralités sur les principes de mora-
lité et de justice, et sur les sentiments d'amitié cor-
diale du gouvernement provisoire, s'abstient de ré-
pondre, se refuse même à répondre aux questions quilui ont été posées. Le chargé d'affaires reproche au
gouvernement péruvien d'avoir violé, de sa propre auto-
rité, le traité conclu en mars 1853 avec l'Equateur. Ce
traite est une réalité. Il ne peut être discuté, et le chargé
d'affaires n'entend pas qu'on le discute. Le gouverne-
ment du Pérou, qui l'a rompu, a brisé de fait les rela-
tions avec le gouvernement de l'Equateur, et la conti-
nuation de la légation à Lima serait un fait qui ne
pourrait, ni se définir, ni s'expliquer. Le chargé d'affai-
res termine en demandant ses passeports. Le 3 avril,
le ministre des relations extérieures du Pérou répond
à la note précédente. Il essaye de prouver que les
bonnes relations entre deux républiques unies par là
nature, par le commerce et par la politique, peuvent
se soutenir, et se soutiennent en effet, même sans
436 RÔLE DE REPRÉSENTATION DE SON GOUVERNEMENT
traités spéciaux, ou même si les traités conclus sont
devenus sans vigueur. Le droit conventionnel n'est
qu'une partie seulement du droit des gens. Le traité
de mars 1853 n'a pas la valeur d'un traité, car il lui
manque l'approbation du pouvoir législatif, que la
constitution alors en vigueur exigeait comme une con-
dition essentielle. Ce traité n'eut d'autre but, à cette
époque, que d'assurer la tranquillité de l'Equateur con-
tre l'attitude menaçante d'un homme qu'on pouvait
considérer, dans ces circonstances, comme un instru-
ment d'hostilité. Exiger en 1855 les mêmes précau-tions qu'en 1853, serait susciter la défiance. Les
exiger comme une obligation parfaite, qui cependantn'aurait pas sa source dans un traité, et n'aurait même
pas pour elle l'opportunité, serait encore bien moins
nécessaire. Les exiger sans avoir égard aux franchesdéclarations du gouvernement, qu'il prendra toutesles mesures nécessaires pour maintenir les droits et
protéger la tranquillité de l'Equateur, exiger, enfin,que le gouvernement péruvien expulse du territoireun individu quel qu'il soit, pour la simple raison qu'onle répute nuisible au bien être de l'Equateur, tout celamérite l'attention la plus profonde, parce que cela dé-
passe la justice, l'honneur et les intérêts bien entendusdes deux républiques amies. Le ministre des relationsextérieures termine en assurant que rien ne sera omisde ce qui pourra dépendre du Pérou, en ce qui con-cerne la tranquillité des États voisins et, en particu-lier, de l'Equateur. Le 13 avril, le chargé d'affaires de
l'Equateur insiste brièvement pour la remise de ses
passeports. Ils lui sont remis le même jour (1).
Autres exemples.
Dans cette correspondance diplomatique, le ministrepublic équatorien s'est montré pressant, précis et lo-
(1) Cet incident diplomatique se trouve exposé, avec les docu-ments officiels, dans, le tome VII de la Collection d'Oviédo, p.149 et suiv.
RÔLE DE REPRÉSENTATION DE SON GOUVERNEMENT 437
gique, avec une allure un peu trop vive, cependant,et un ton quelquefois trop âpre. Les exemples de cor-respondance analogues, où l'agent diplomatique s'ac-
quitte du devoir de défendre les droits ou la dignité deson pays, ou les égards dus à son gouvernement, sontnombreux. Mais ceux où le ministre public se laisseentraîner par le zèle, jusqu'à sortir des bornes de la
courtoisie, sont heureusement rares. Dans ce nombreon peut comprendre la note du 5 avril 1875, adresséeau ministre des relations extérieures du Pérou parl'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiairedu Chili à Lima, au sujet de mesures prises par le pré-fet de Tarapaca, vis-à-vis de pêcheurs chiliens. Danscette note, l'agent diplomatique chilien s'est oublié
jusqu'à employer le mot de déplorable, dans une de
ses appréciations relatives au ministère des relations
extérieures du Pérou, et jusqu'à intimer une sorte
d'ultimatum au gouvernement péruvien. Ces écarts
de parole et ces procédés, qui témoignent de plus d'im-
patience que de modération, sont regrettables à beau-
coup de points de vue ; et, quant au diplomate quis'en rend coupable, ils l'exposent à des leçons mé-
ritées. C'est ainsi que, dans sa réponse datée du 15
avril. 1875, le ministre des relations extérieures du
Pérou a témoigné à l'agent diplomatique chilien l'é-
tonnement que lui avait causé la lecture de la dernière
partie de sa note, tant dans la forme que dans le fond, et
qu'il a protesté contre les termes et contre l'esprit de
ce document (1). Un diplomate qui désire se maintenir
à la hauteur de ce titre, ne doit jamais s'exposer à
mériter de semblables leçons. Il est vrai qu'un gouver-
nement ne doit jamais, non plus, comme l'avait fait
celui du Pérou, dans cette circonstance, lasser par ses
lenteurs la patience des légations étrangères.
On pourrait citer comme exemple de protestation au
(1) Voir, dans les documents annexés au mémoire du minis-tre des relations extérieures au Congrès ordinaire de 1876, les
pages 41 et suivantes.
438 RÔLE D'OBSERVATION
nom d'un pays et d'un gouvernement, à propos de pré-tendus droits violés, celle du gouvernement de Colom-
bie, en 1876, sur des démarcations de frontières faites
par le Pérou et le Rrésil. Mais cette protestation a étéadressée directement de Bogota, par le ministre desrelations extérieures des États-Unis de Colombie.
Rôle d'observation.
Les gouvernements voient par les yeux de leurs
agents tout ce qui sert aux intérêts nationaux et ce
qui peut leur nuire. Le rôle des agents diplomatiquesest donc d'observer en secret et de surveiller assi-
dûment le gouvernement près duquel ils résident; de
transmettre exactement à leur gouvernement leurs
observations et leurs renseignements, sans aucune
restriction, sur tout ce qui peut intéresser leur pays ;de rechercher tout ce qui est susceptible d'être connu,et de transmettre tout ce qu'ils sont parvenus à décou-
vrir. Pour se tenir exactement au courant des événe-
ments, du mouvement des esprits et des impressionsvariables de l'opinion, ils doivent suivre avec une at-
tention particulière les polémiques de la presse et les
débats du parlement, observer soigneusement ce quise passe en fait de politique, surveiller les luttes d'in-fluence dans le cabinet et à la cour, cultiver la con-naissance des fonctionnaires publics et d'autres per-sonnes instruites et marquantes, voir et interrogerbeaucoup, mais sans se rendre indiscrets et sans se li-vrer à des démarches compromettantes.
Parlant des communications des agents diplomatiquesà leur gouvernement, et de leur rôle d'observation, lecomte de Garden recommande au ministre public ac-crédité à l'étranger de prêter une attention soutenueaux événements qui peuvent intéresser sa patrie dansle lieu où il réside ; de prendre, à cet égard, des infor-mations précises, soit auprès des autorités, soit pardes voies secrètes, et d'en faire le rapport à son gou-
ROLE D' OBSERVATION 439
vernement. « Le jeu caché des passions, dit-il, les
petites intrigues, les vaines prétentions de l'amour-
propre, n'offrent souvent à l'observation et aux rap-ports d'un diplomate que des matières de peu d'impor-tance ; mais ces objets, quelque frivoles qu'ilsparaissent, peuvent cependant avoir des suites dange-reuses ou utiles pour son pays ; il ne saurait, parconséquent, les perdre de vue, car la coïncidence decommunications de ce genre avec des notions venantd'autres sources, peut être quelquefois d'une considé-ration importante pour son gouvernement, et l'aider
puissamment dans la recherche et la combinaison des
circonstances majeures... Afin de remplir dignementle noble emploi qui lui est. confié, le ministre publics'instruira d'avance des lois, des institutions, de
l'industrie, du commerce, de l'administration et des
diverses relations, tant de son propre pays que de
celui où ses fonctions l'appellent ; il saura distinguer,à l'aide de la politique générale, ce qui est bon et justeen soi d'avec les objets qui doivent leur seule impor-tance à un préjugé » (1).
Bouchel déclare qu'il est utile à un ambassadeur
d'avoir à la cour un ami éprouvé qui puisse l'informer
de tout ce qui se passe dans le royaume, à cause des
faux bruits que sèment ordinairement les ennemis d'un
État, même en temps de guerre, et parce qu'il est hon-
teux à l'agent que les étrangers sachent les nouvelles
de son pays avant lui (2). « Quand un prince, disait
Guichardin, veut tromper son compagnon, il trompe
premièrement son ambassadeur. »
Est-il permis à un agent diplomatique accrédité à
l'étranger de recourir à la corruption pour se procurerdes informations et des renseignements utiles ? Dût-on
s'exposer au désagrément de passer pour une dupe, il
faut s'attacher énergiquement à la négative : la politi-
(1) Traité complet de diplomatie, édition de 4833, t. II. p. 54et suiv.
(2) Bouchel, Bibliothèque du droit français.
440 RÔLE D'OBSERVATION
que n'est pas l'intrigue, et il n'est pas digne d'un hom-
me qui se respecte lui-même, qui respecte son pays,
qui veut se tenir à la hauteur de la noble mission de re-
présenter son gouvernement et sa patrie, de se servir
d'expédients si contraires à la délicatesse. Le ministre
public doit être assurément assez habile pour savoirformer des liaisons qui le mettent à même d'obtenir des
renseignements intéressants, mais son devoir d'hon-
nête homme, et l'intérêt même de sa mission lui corn-,
mandent d'éviter toute pratique que la probité et l'hon-
neur désavoueraient. Les auteurs qui ont écrit sur le
droit diplomatique semblent admettre qu'il serait per-mis de recourir à la corruption dans certains cas ex-
ceptionnels : lorsqu'une Puissance justement suspecte
par exemple, malfaisante et remuante, donnerait des
indices de ses mauvaises intentions.Il n'est pas dou-
teux alors, disent Gérard de Rayneval, le comte de
Garden, et autres, que l'on puisse faire mouvoir tous
les ressorts pour découvrir et faire échouer ses perni-cieux projets, et, en y réussissant, on sert l'humanité,
puisqu'ainsi l'on prévient la guerre (1). Mais, même
dans cette circonstance, j'estime que la corruption doit
être rigoureusement exclue, et cela, dans l'intérêt
même de l'agent diplomatique et du pays qu'il repré-sente. Non seulement la corruption, considérée sous un
point de vue général, est une pratique odieuse, parcequ'elle est fondée sur un crime caractérisé, mais en-core elle est dangereuse. La diplomatie qui met en jeula corruption pour parvenir à ses fins, ne sera pas plusutile à la longue que la police secrète, qui exige desfrais considérables, dont les ressorts odieux excitentla haine contre celui qui en fait usage plutôt qu'ils nelui servent à détourner le mal contre lequel il les dirige.Quelle confiance peuvent' obtenir ces délateurs dontl'existence n'est souvent fondée que sur le talent d'inspi-rer de fausses craintes? Une politique d'accord avec elle-
(1) Gérard de Rayneval, Institutions du droit de la nature etdes gens, édition de 1803, p. 387 et suiv. ; Le comte de Garden,Traité complet de diplomatie, édition de 1833, t. II, p. 59.
RÔLE D'OBSERVATION 441
même, forte de sa conscience, sachant avec énergie etmodération, tout à la fois, faire un usage convenabledes ressources dont elle peut disposer, n'a rien à crain-dre des machinations sourdes, soit au dedans, soit audehors ; et même une surveillance constante suffit prèsque toujours pour les lui découvrir.
La moralité politique et publique a-t-elle fait, de nos
jours, assez de progrès pour que la corruption considéréecomme moyen d'information puisse être reléguée dé-sormais dans l'arsenal des anciens expédients du vieuxdroit diplomatique ? C'est une question indiscrète qu'ilest préférable de ne pas poser ; mais, ce qu'il y a de cer-
tain, c'est qu'au siècle dernier la corruption était un
expédient très-admis (1). Le 14 mai 1709, Louis XIVécrivait au marquis de Torci : « Je ne doute pas que
(1) On a conservé la note des frais extraordinaires que le ducde Richelieu, ambassadeur de France à Vienne, adressait au mi-nistre des affaires étrangères ; elle montre quels étaient les
moyens que cet agent employait pour être informé :« 1° A un secrétaire, pour être informé des différents courriers
« et estafettes qui arrivent, et autres avis, prix fait par an, à 200« florins ; pour six mois, 100 florins.
« 2° Au sieur Rotterstein, ingénieur, pour les plans des places« qu'on fortifie, et autres avis importants qu'il a donnés à diffé-« rentes fois, 400 florins.
« 3° Au baron de Pettekum, 900 florins.« 4° A divers émissaires, pour être averti des démarches de
« M. de Riperda, 400 florins.« 5° Aux deux déchiffreurs, Reidsmann et Swal, pour les six
« premiers mois de leurs pensions, convenues par an à 800« florins, 400 florins.
« 6° Aux mêmes déchiffreurs, pour des chiffres des ministres« impériaux dans les cours étrangères qu'ils ont livrés, et pour« gagner d'autres gens, 300 florins.
« 7° Au secrétaire de la chancellerie de guerre, pour être averti« des mouvements de troupes et de leur nombre, 300 florins.
« 8° Au secrétaire de M. le marquis de Perlas, donné une taba-« tière d'or, 250 florins.
« 9° Loué une petite maison hors de la ville, pour conférer« avec les déchiffreurs, émissaires et autres, 200 florins.
« 10° Divers présents à l'impératrice régnante et à sesfavorites,« 600 florins.
442 RÔLE D'OBSERVATION
« vous ne profitiez des occasions que vous aurez de
« voirle duc de Marlborough, pour lui faire connaître que« j'ai été informé des démarches qu'il a faites pour em-
« pêcher les progrès des conférences pour la paix, et
« même pour les faire rompre ; que j'en ai été d'autant
« plus surpris, que j'avais lieu de croire, après les assu-
« rances qu'il en avait données, qu'il voulait y contri-
« buer, et que je serais bien aise qu'il s'attirât, par sa
« conduite, la récompense que je lui ai fait promettre ;« et, pour vous mettre en état de vous en expliquer« plus clairement avec lui, je veux bien que vous lui« donniez une parole précise que je lui ferai remettre« deux millions de livres, s'il peut contribuer, par ses« offres, à me faire obtenir l'une des conditions sui-« vantes : la réserve de Naples et de Sicile pour le roi« mon petit-fils, ou enfin la réserve de Naples seule à« toute extrémité. Je lui ferai la même gratification« pour Dunkerque conservé sous mon obéissance, avec« son port et ses fortifications, sans la réserve de Na-« ples et de Sicile. Même gratification pour la simple« conservation de Strasbourg, le fort de Kelh excepté,« que je rendrai à l'Empire dans l'état où il était lors-« que j'en ai fait la conquête, ou enfin dans celui où il« s'est trouvé lorsqu'il a été remis sous mon obéis-« sance, et aussi sans réserver, ni Naples, ni la Sicile.« Mais de tous ces différents partis, la réserve de Na-« ples est celle que je préférerais. Je consentirais à« porter cette gratification à trois millions, s'il contri-« buait à la réserve de Naples, et à me faire conserver« Dunkerque aussi fortifié et avec son port. Si j'étais« obligé de céder sur l'article de Dunkerque, je lui don-
—nerai la même somme, en procurant la réserve de« Naples et la conservation de Strasbourg, de la ma-
« 11° Aux portiers de l'empereur, pour être informé des au-« diences secrètes, par an, 150 florins ». Voir le Traité completde diplomatie du comte de Garden, édition citée, t. II p. 58, ennote. Hâtons-nous de reconnaître que ce système de corrup-tion n'était pas propre au gouvernement de la France, maisqu'il était commun à tous les gouvernements étrangers.
RÔLE D'OBSERVATION 443
« nière que je viens de l'expliquer, et Landau fortifié,« en remettant Brisach ; ou bien encore, s'il me procu-« rait la conservation de Strasbourg et de Dunkerque,« l'un et l'autre, dans l'état où il se trouvent. En der-« nier lieu, je veux bien que vous offriez au duc de« Marlborough jusqu'à quatre millions, s'il facilitait les« moyens d'obtenir Naples et la Sicile pour le roi, mon« petit-fils, et de conserver Dunkerque fortifié, et son« port, et Strasbourg, et Landau, de la manière qu'il« est expliqué ; et encore la même chose, quand la Si-
« cile serait exceptée de cet article, etc. » (1).Voilà un marché en règle, rien n'y manque, la cor-
ruption y est parfaitement graduée. Le duc de Marlbo-
rough n'accepta point ; de l'aveu du marquis de Torci,il ne se montra pas favorable à la paix : un intérêt plus
grand sans doute le préserva de cette séduction, car il
était renommé pour son avarice ; mais il est permis de
se demander lequel des deux était le plus odieux, ou
de Louis XIV qui offrait, ou du duc de Malborough quiavait cedonné des assurances », et à qui l'on croyait
pouvoir adresser impunément de pareilles offres?
Bien différente avait été la conduite du comte de Ver-
gennes, négociateur de France à la Sublime-Porte. Rap-
pelé par sa cour, ce diplomate écrivait au duc de Choi-
seul :« La guerre a été déclarée à la Russie, et telle
« était la volonté du roi, que j'ai exécutée dans tous ses
« points ; mais je rapporte les trois millions qu'on« m'avait donnés pour cela : je n'en ai pas eu besoin ».
On trouve ceci dans un manuscrit italien de la Répu-
blique de Sienne : « Le sénat de Venise est le prince
qui gouverne ; par lui se traitent toutes les affaires et
se décident toutes les réponses qui doivent être don-
nées aux lettres des souverains. Dans son assemblée
se lisent toutes les lettres écrites à la République, et
partieuhèrement celles des ambassadeurs de Venise,
qui sont par tout le monde, et qui, tous les huit jours,
(1) Le comte de Garden, Traité complet de diplomatie, édition
citée t. II, p. 63 et suiv.
444 RÔLE D'OBSERVATION
informent la République de toutes les actions, de tous
les mouvements et projets des princes ; et celui-là est
tenu le meilleur ministre et lé plus dévoué sujet, qui
met le plus de soin à connaître les choses cachées
« Ils informent sur le caractère, les qualités, les inté-
rêts, les affinités et les amitiés de ces princes.... En
un mot, le sénat de Venise fait profession de savoir
tous les huit jours, par les lettres de ses envoyés, or-
dinairement lues le samedi, l'état du monde et celui de
ceux qui gouvernent ».
« Il ne suffit pas, dit le baron Ch. de Martens, que
l'agent diplomatique veille aux affaires de son gouver-nement dans le poste qui lui a été confié, il faut encore
qu'il y déploie le zèle et l'activité nécessaires pour
que rien de ce que son cabinet peut avoir à connaître
n'échappe à ses investigations, afin de lui en rendre
incessamment un compte exact et fidèle dans ses dépê-ches. A cette fin, il est tenu d'envoyer des rapports dé-
taillés et suivis, non seulement sur les points impor-tants de toute négociation particulière dont il peutavoir été chargé, mais sur les incidents auxquels elle
donne lieu, les difficultés de détail qu'elle rencontre, et
en général sur toutes les choses d'intérêt public dont
la surveillance et l'appréciation sont confiées à ses
soins..... En bornant sa correspondance aux informa-
tions relatives à l'esprit public, aux nouvelles politiqueset aux intrigues de cour, ou bien encore en la limitant
aux détails concernant la marche d'une négociation
spéciale qu'il aurait été chargé de suivre, le ministre
ne donnerait pas à sa mission toute l'utilité pratiquequ'elle peut acquérir au profit de la nation qu'il repré-sente. Il doit étendre ses observations à tous les objetsqui méritent d'attirer l'attention de son gouvernement,comme propres à lui faire prendre à l'intérieur des
mesures profitables à ses administrés, ou à l'exciter ànouer au dehors des négociations dont le résultat
avantageux élargisse le cercle des rapports interna-tionaux. C'est ainsi qu'il doit chercher à se procurerdes informations et à transmettre des données certai-
ROLE D OBSERVATION 445
nes sur l'armée, sur son administration, sa force ma-térielle et morale ; sur les rapports commerciaux etl'état de la navigation ; sur les développements de l'in-dustrie et les procédés nouveaux de fabrication ; surles finances et les sources du revenu public ; sur lesports, les forteresses, les postes, les canaux, les che-mins de fer, les approvisionnements des arsenaux, etc.
« Ilfaut qu'en rendant compte à son gouvernement
des avis qu'il reçoit ou des renseignements qu'il re-cueille, l'agent diplomatique distingue avec soin lesnouvelles certaines de celles qui le sont moins ; et,lorsqu'elles lui paraissent assez importantes, il doit enréférer avec détail, en y ajoutant ses propres réflexions,afin que son gouvernement soit à même d'en appré-cier la portée. Pour la même raison, il doit s'em-
presser, lorsqu'il est mieux informé, de rectifier lesavis inexacts qu'il aurait pu donner.
« Il doit également informer sa cour de tout ce quise publie au préjudice de son gouvernement, et il nesaurait même se dispenser, à l'occasion, de rapporterjusqu'aux propos tenus par des personnes notables du
pays où il réside et dont l'opinion peut être de quelque
poids dans les affaires publiques. C'est une circons-
tance fâcheuse, sans doute, pour l'agent diplomatique
que celle d'avoir à mander à son cabinet des nouvelles
désagréables et de nature à altérer l'union et la bonne
intelligence entre son gouvernement et celui auprès
duquel il est accrédité ; mais c'est un devoir si essen-
tiel de sa charge qu'il ne saurait s'y soustraire sans
agir contre le but de sa mission, qui n'est point de
flatter son souverain, mais de l'éclairer et de le tenir
au courant de tout ce qui le concerne ou l'intéresse. Il
doit ne rien altérer dans les paroles ou dans les faits
qu'il rapporte, fût-ce même dans une intention de mé-
nagements pour son constituant, et pour atténuer l'effet
que sa relation pourrait produire sur l'esprit du princeou de ses ministres. Exact et vrai dans tout ce qu'il
écrit, nulle considération ne saurait l'excuser d'omettre
aucun renseignement dont l'ignorance pourrait préju-
446 RÔLE D'OBSERVATION
dicier aux intérêts qui lui sont confiés et dont la sau-
vegarde repose sur sa fidélité non moins que sur sa vi-
gilance et ses lumières.ceLa position du ministre, en pareille circonstance,
est une des plus délicates dans lesquelles ils puisse se
trouver: si, d'un côté, il doit la vérité, d'un autre côté
il a à craindre d'en exagérer l'expression,s'il en est tropvivement préoccupé, et de communiquer, à son insu,des impressions dont il n'aurait su tout d'abord se dé-
fendre, mais que le temps et la réflexion eussent modi-
fiées.... Le tact naturel, développé par l'habitude des
affaires, le calme de l'esprit, l'appréciation réfléchie
des circonstances, et surtout la connaissance du ca-
ractère personnel des hommes avec lesquels il traite,le préserveront seuls, en cas pareil, de se donner le
tort et le regret d'une faute » (1).L'agent diplomatique doit donc être exact et vrai
dans tout ce qu'il écrit ; il doit ne rien altérer dans les
paroles et dans les faits qu'il rapporte. « Le devoir etla conscience, dit le comte de Garden, commandentune stricte vérité dans les communications, et parconséquent le plus grand soin à vérifier les notions
que l'on a recueillies. Le diplomate pénétré du senti-ment de sa propre dignité et de l'importance de ses
fonctions, saura éviter le double écueil de se rendre
coupable de négligence, en ne transmettant pas tousles faits qui viennent à sa connaissance, ou de trop de
précipitation, en les rapportant légèrement et sans
«examen, pour faire preuve d'un talent facile » (2). En
1807, M. de Champagny, ministre des affaires étran-
gères de Napoléon Ier, écrivait à M. de Beauharnais,ambassadeur de France à Madrid : « C'est un des-
premiers devoirs de tout ministre à une cour étrangère,de faire connaître à son gouvernement, sans restric-tion, sans réserve, tout ce qu'il voit, tout ce qu'il
(1) Le Guide diplomatique, édition dé 1851, t. Ier, p. 180et suiv.
(2) Traité complet de diplomatie, édition citée, t. II, p. 55 etsuiv,
RAPPORTS AVEC LE GOUVERNEMENT ÉTRANGER 447
entend, tout ce qui parvient à sa connaissance. Placé
pour voir et pour entendre, pourvu de tous les moyensd'être instruit, ce qu'il apprend n'est pas chose quilui appartienne, elle est la propriété de celui dont ilest le mandataire... Un ministre ne doit point avoir desecrets pour son gouvernement...)).
Il est inutile d'ajouter qu'un agent diplomatique nedoit pas être absolu dans ses assertions, surtout dansses prédictions, et qu'il doit toujours faire la part de
l'imprévu, qui joue un si grand rôle dans la destinéedes peuples.
Si, comme observateur, le ministre public doit avoirde la vigilance, il doit aussi avoir de la prudence. Lors-
qu'il le juge convenable, il peut, suivant les cas, mani-
fester sa surveillance et donner à connaître aux mem-
bres du gouvernement qui en est l'objet, que telle
mesure, telle tentative qu'ils méditent, n'ont pas
échappé à sa sagacité. Il laisse voir qu'il a les yeuxouverts. Mais, le plus souvent, il est préférable de sa-
voir attendre, de laisser s'engager le gouvernement
étranger et de feindre de n'avoir rien vu : c'est une
question de discernement, et quelquefois de dignité.
Rapports constants avec lé gouvernement auprès
duquel le ministre est accrédité.
Pour l'expédition des affaires ordinaires, le ministre
public entretient des rapports continuels avec le gou-
vernement auprès duquel il réside. C'est dans ces re-
lations constantes qu'il doit surtout faire preuve de
tact, de prudente réserve, de fermeté tempérée par
une grande condescendance et beaucoup de modération.
« Ne vous chargez d'aucune recommandation, écrivait
Marie-Thérèse à Marie-Antoinette ; n'écoutez personne,
si vous voulez être tranquille... ». Cet avis donné par
l'impératrice d'Autriche à la reine de France, sa fille,
est bon aussi pour les diplomates.Il a déjà été dit que le ministre public doit respecter
448 RAPPORTS AVEC LE GOUVERNEMENT ETRANGER
l'indépendance et l'honneur de l'État où il réside ; qu'il
ne doit pas se mêler, sans motif, des affaires du pays ;
qu'il doit s'abstenir de tout acte qui constituerait un
empiètement sur les droits de l'État et du gouverne-ment auprès duquel il est accrédité ; qu'il y a obliga-tion pour lui de se tenir à l'écart de toute intrigueavec l'opposition parlementaire ou les partis de la
cour ; qu'il manquerait à ses devoirs les plus essen-
tiels, s'il se permettait d'encourager de son approba-tion la résistance aux lois du pays où il réside et la
critique des actes du gouvernement auprès duquel il
exerce ses fonctions.
C'est ainsi que,dans une dépêche du 8 février 1865
à M. de Sartiges, ambassadeur de France à Rome, M.
Drouyn de Lhuys, ministre des affaires étrangères de
l'empereur Napoléon III, s'est plaint avec raison de
la démarche du nonce apostolique, à Paris; qui avait
écrit deux lettres par lesquelles il encourageait l'oppo-sition des évoques français à la politique du gouver-nement, « Par une semblable conduite, disait-il, le nonce
a gravement compromis le caractère dont il est re-
vêtu ».
Bluntschli observe que le fait d'exprimer dans une
conversation ses opinions personnelles, ou de donner
des conseils sur la politique intérieure, ne constitue
pas une immixtion illicite dans les affaires du pays. Il
a raison ; mais il ajoute, avec plus de raison encore, quele ministre public doit toujours user de prudence,afin qu'on ne puisse pas même lui reprocher d'avoirété trop loin, et d'avoir fait des actes ou prononcé des pa-roles contraires à sa position de représentant d'unePuissance étrangère (1). Quant aux affaires intéressantsa mission, il doit être impénétrable, « Quand onveut exécuter un projet, disait Amilcar, il n'en faut
parler à personne, car il n'est pas d'homme assez maî-tre de lui-même pour garder un secret et l'ensevelir
(1) Bluntschli, ouvrage cité, édition française de 1874, n° 225,p. 151.
RAPPORTS AVEC LE GOUVERNEMENT ETRANGER 449
dans le silence. Au contraire, plus vous recommandezde ne point le révéler, plus on désire le faire connaî-tre. Chacun croit l'avoir appris seul d'un autre, et ilest bientôt divulgué. » L'agent diplomatique, en un
mot, ne doit pas tomber dans le défaut de Frédéric An-
cillon (l), ministre des affaires étrangères, en Prusse,après 1830. Le plaisir de se faire écouter dans un salonl'entraînait quelquefois à des révélations dont il eût dû
garder le mystère. Dans ce monde diplomatique si
poli, le silence et la réserve avec lesquels on l'écoutait
paraissaient au ministre prussien de la déférence et
n'étaient, de la part de ses auditeurs, qu'une tactiquehabile par laquelle on recevait de lui, sans provoca-tion apparente, de ces confessions qui nourissent une
dépêche et desservent l'activité des cabinets (2).
Lorsqu'il s'agit d'une affaire extraordinaire, d'une
question importante, à moins d'instructions précises et
spéciales, le ministre public doit se contenter de noti-
fier au gouvernement auprès duquel il réside, qu'il se
dispose à la discussion, et qu'il va prendre les ordres
de son gouvernement. Dès qu'il a reçu ces ordres, il
débat, il discute, il transige, en un mot, il négocie.
Les ministres publics ne doivent et ne peuvent pasexercer leurs fonctions à distance.
Mais pour débattre, pour discuter, pour transiger,
pour négocier, il faut être sur les lieux, et ne pas avoir
la prétention qu'avait eue, en 1869, l'archevêque de
Nicée, M. Sérafin Vannutelli, accrédité par le pape,
comme envoyé apostolique, auprès de quelques répu-
bliques de l'Amérique du Sud, et particulièrement du
Pérou, afin « de contribuer au bien-être spirituel des
fidèles; de satisfaire, autant que les circonstances le ré-
clameraient, les besoins religieux de la population ca-
(1) Né à Berlin, le 30 août 1766, d'une famille française émigréeà la révocation de l'édit de Nantes, auteur du Tableau des révo-
lutions du système politique de l'Europe, depuis la fin du XVe
siècle; mort en 1837.
(2) Ch. Vergé, Diplomates et publicistes, 1836, p. 99, 100.
29
450 RAPPORTS AVEC LE GOUVERNEMENT ETRANGER
tholique ; de coopérer à la meilleure intelligence entre
le pouvoir spirituel du vicaire de Jésus-Christ sur la
terre et le pouvoir civil... » ; mais surtout d'essayer de
ramener aux bonnes moeurs, — ;oeuvre difficile, — le
clergé régulier et séculier de ces pays.Pour remplir une si pieuse et si délicate mission, M.
Vannutelli était arrivé à Quito, et, de cette capitale de
l'Equateur, il avait écrit au gouvernement péruvien,le 15 octobre 1869, pour l'aviser qu'il serait disposé à
recevoir toute proposition que ce gouvernement pour-rait lui faire relativement à la situation religieuse, et
dans le but de procurer les améliorations qu'il pour-rait considérer comme nécessaires ou comme oppor-tunes.
Le gouvernement du colonel D. José Balta traita
cette prétention avec autant de respect que de finesse.Dans sa réponse du 13 janvier 1870 au pape, le prési-dent de la République du Pérou exprima le plaisir avec
lequel il recevrait l'envoyé du Saint-Père, lorsqu'ayantterminé les délicates et importantes affaires qui le rete-
nait à Quito, il se rendrait au Pérou, « Cette opportu-nité se réalisant, — ajoutait l'auteur de la réponse, —
il n'y a pas à douter que l'envoyé du souverain pontifene mettra son zèle en activité pour exercer les pou-voirs que sa sainteté lui a conférés. » En même temps,le ministre des relations extérieures du Pérou passaune note à M. Vannutelli, dans laquelle il lui fit con-naître respectueusement qu'il ne conviendrait pas à
l'importance des affaires religieuses à traiter, d'expo-ser les communications officielles aux éventualités dela poste, et qu'il ne conviendrait pas davantage àl'honneur et à la dignité du gouvernement du Pérou et
de la nation péruvienne, d'être obligé d'accréditer desagents commissionnés à Quito, toutes les fois qu'il se-rait besoin de traiter quelque affaire avec M. le dé-légué apostolique (1). L'incident n'eut pas d'autres sui-
(1) Les notes relatives à cet incident diplomatique se trouventdans le n° du journal officiel El Peruano du 5 février 1870,105.
OCCUPATIONS DU MINISTRE PUBLIC 451
tes. On sait que M. Vannutelli vint à Lima, et que lesmoeurs du clergé péruvien restèrent ce qu'elles onttoujours été.
Occupations du ministre public.
Ces attributions, ce rôle, qui imposent des devoirs,des soins et des préoccupations multiples, font, ou
plutôt devraient faire de la carrière diplomatique unevie d'études et de travail. Sur ce point, les diplomatescontemporains laissent généralement à désirer, sur-tout lorsqu'on les compare à ceux des siècles précé-dents.
On se sent pénétré de respect et d'étonnement de-vant ces doctes et pures existences des diplomates duseizième siècle, par exemple. Lorsque Henri III, de
France, avait été élu roi de Pologne (1), il avait chargéPaul de Foix, en son nom, et au nom du roi Charles
IX, d'une ambassade extraordinaire auprès de tous les
princes italiens qui l'avaient félicité lors de. son avène-
ment. Paul de Foix était aussi grand philosophe qu'é-minent jurisconsulte. Ses leçons aux écoles de Tou-
louse avaient remué tout le monde savant, et l'archéo-
logie le considérait comme un de ses premiers initia-
teurs. Les langues grecque, latine et italienne lui
étaient également familières ; aucune des connaissan-
ces humaines ne lui était restée indifférente. Arnaud
d'Ossat et Jacques-Auguste de Thou l'avaient suivi, l'un
en qualité de secrétaire et l'autre comme clerc ou atta-
ché d'ambassade. Dans chaque ville que l'ambassadeur
traversait, son premier soin était de se rendre auprès
des savants dont les noms lui étaient connus. Pendant
les longs trajets que nécessitaient les voyages alors
si pénibles, Arnaud d'Ossat, à cheval aux côtés de
l'ambassadeur, commentait Platon et discutait avec lui
les explications des textes obscurs. Dans les hôtelle-
(1) Henri III, qui succéda à Charles IX sur le trône de France,ne portait alors que le titre de duc d'Anjou.
452 TRAVAIL PARTICULIER DU MINISTRE PUBLIC
ries, pendant les apprêts du souper, le lecteur de
l'ambassadeur lui exposait les sommaires de Cujas
sur le Digeste. On accompagnait enfin le dessert du
commentaire de Piccolomini sur la physique d'Aris-
tote.Dès le commencement du seizième siècle, les rois
de France, donnant eux-mêmes l'exemple d'une initia-
tive qu'on ne pourrait trop louer, s'étaient spontané-
ment mis à la tête du progrès scientifique qui se pro-duisait de toutes parts autour d'eux, et l'avaient noble-
ment encouragé. Les diplomates français sentirent
qu'ils ne pouvaient point rester étrangers à ce grandmouvement de la Renaissance. On avait compris qu'unambassadeur devait être en même temps jurisconsulte,
savant, artiste et homme du monde ; aucune de ces
conditions n'était oubliée dans les soins qu'on prenait
pour former l'intelligence des jeunes gens appelés à
remplir un jour les fonctions de négociateurs. Les
grands noms des diplomates français de cette époque,aussi illustres dans la science des lois que dans celle
des affaires publiques, témoignent d'une érudition quiétonnait leur siècle.
On peut considérer sous trois points de vue les oc-
cupations du ministre public : 1° son travail particulier,ou travail de cabinet; 2° les communications qu'il doit
entretenir avec son gouvernement; 3° les négociationsavec le gouvernement auprès duquel il est accrédité,
ou, quelquefois aussi, avec d'autres ministres étran-
gers qui résident au lieu de sa mission (1).
Travail particulier du ministre public.
Le travail particulier, ou travail de cabinet, du minis-tre public comprend le soin de préparer et de suivre
(1) La question des devoirs des agents diplomatiques a ététraitée dans une substantielle thèse, présentée à l'Université deLima par M. le docteur Camille Pradier-Fodéré, devenu, depuis,professeur agrégé de droit international privé à la Faculté dessciences politiques et administratives de cette Université. Limaimprimerie de l'Etat, 1878.
RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT 453
le mieux possible les affaires qui font l'objet de samission; de dresser les minutes de toutes sortes d'écritsqui passent sous son nom, ou du moins de les revoir;de signer les expéditions, les faire clore et cacheter enforme, et de les faire remettre à leurs adresses ; de sur-veiller la rédaction du livre journal qui doit contenirles mentions nécessaires sur tout ce qui se passe à la
légation;de surveiller la chancellerie, les bureaux dela légation, les archives ; d'exercer et de défendre lesdroits et les prérogatives de la légation ; de délivrerles passeports, les certificats de vie, etc., etc. (1) ;de légaliser les actes et documents, quand cela est né-
cessaire, pour qu'ils puissent servir vis-à-vis des auto-rités de son pays ; de défendre et de protéger les na-tionaux qui habitent le pays où; il est accrédité, contre
toute atteinte contraire au droit des gens.
Wicquefort pose en règle générale, que la fonction
principale du ministre public consiste « à entretenir la
bonne correspondance entre les deux princes ; à rendre
les lettres que son maître écrit au prince auprès du-
quel il réside; à en solliciter la réponse; à observer
tout ce qui se passe en la cour où il négocie; à proté-
ger tous les sujets et à conserver tous les intérêts de
son maître. »
Communications du ministre public avec son
gouvernement.
Tout ce qui intéresse le service de l'État dans sa po-
litique étrangère et ses relations internationales, tous
les renseignements utiles aux intérêts moraux et maté-
riels du pays que l'agent diplomatique représente, doit
être, nous l'avons dit, l'objet de la sollicitude de cet
agent, et donner heu de sa part à des communica-
(1) Les actes de la compétence des ministres publics et des
consuls sont en effet les passeports, les légalisations et visas,les actes qui, dans le pays des ministres publics, seraient de la
compétence des notaires, les certificats de vie, les actes del'
état
civil.
454 RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT
tions exactes et fréquentes. Ces communications
peuvent être quelquefois verbales, mais elles ont lieu
particulièrement par écrit. Elles consistent en rapports,
qui sont ou ordinaires ou extraordinaires.
On désigne, d'une manière générale, par le mot de
dépêches, les lettres officielles que les ministres pu-blics adressent au gouvernement dont ils sont les
agents et les organes, et celles qu'ils en reçoivent.Les rapports ordinaires sont faits régulièrement, à
des époques déterminées. Il y a lieu aux rapports ex-
traordinaires, toutes les fois qu'il arrive quelque chose
d'important. Ces rapports, ordinaires ou extraordinai-
res, portent aussi bien sur les négociations propre-ment dites que sur la discussion des affaires couran-
tes, sur tous les objets et incidents pouvant présenterun intérêt quelconque, sur la situation et les relationstant intérieures qu'extérieures du pays et de la couroù le ministre public réside, sur les questions actuelle-ment traitées, les réclamations introduites, les mesu-res proposées, les conversations soutenues, etc., etc.,en un mot, sur tout ce qui peut faire connaître à son
gouvernement, soit l'état des affaires que le ministre
public est chargé de conduire, soit les hommes avec
qui il est dans le cas de traiter.
Qu'ils soient ordinaires ou extraordinaires, les rap-ports sont habituellement adressés au ministre desaffaires étrangères, mais ils peuvent l'être aussi auchef de l'État, ou au premier ministre, s'il y en a un, ouau chef du cabinet des ministres. Souvent aussi l'agentdiplomatique a deux espèces de rapports à faire, deteneur différente: un rapport au ministre des affaires
étrangères et un autre rapport au chef de l'État.
Quelquefois même il a l'ordre de donner copie auchef de l'État des dépêches qu'il reçoit du ministredes affaires étrangères. Enfin, il peut avoir à adresserdes communications à certains membres de la familledu monarque, — car cela ne peut avoir lieu que dansles monarchies, — à des députés, à des commis-saires, etc.
RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT 455
Elùber souhaiterait qu'à la fin de chaque négocia-tion, ou qu'au terme de chaque mission, on fît un rap-port général ou principal, contenant un aperçu de toutela marche de la négociation ou mission, et de tout ce
qui s'y est passé de plus remarquable, comme autre-fois à Venise (1).
Comme la grande politique ne fournit pas toujoursdes matériaux suffisants pour alimenter les rapports,les agents diplomatiques sont quelquefois obligésd'avoir recours à des objets de moindre importance, detransmettre même quelquefois des faits de détail dé-
pourvus d'intérêt. Marselaer a laissé, au sujet de la
correspondance diplomatique, des conseils empreintsde sagesse, et dont on peut encore profiter de nos
jours; « Les devoirs de l'ambassadeur, dit-il, sont de
deux sortes : les uns se peuvent remplir verbalement,les autres par lettres. C'est un noble exercice pour l'es-
prit d'un homme politique, que de consigner ses im-
pressions dans sa correspondance. L'ambassadeur ne
doit jamais écrire dans un but de délassement ; il ap-
portera ses soins à acquérir le goût des lettres, tout en
conservant dans son style la gravité qui sied à sa
charge. Qu'il songe que sa correspondance le peutconduire aux plus hautes destinées, et que sa plume,dans la dépêche, vaut sa parole dans le discours.
Qu'est-ce en effet qu'une dépêche, sinon un discours
de l'esprit, un interprète fidèle de la pensée, une sorte
de langage muet, image de la voix, et qui en produittous les effets ? Que l'ambassadeur n'imite point ce di-
plomate qui, après avoir écrit, pendant toute une an-
née, deux dépêches par semaine, en y exposant minu-
tieusement tout ce qu'il était en mesure d'apprendredans le lieu de sa résidence, reçut cette réponse du
roi : ce Je suis heureux de savoir que vous vous portez
bien ; continuez, mais ne manquez pas de m'informer
de ce qui se passe » (2).
(1) Küber, ouvrage et édition cités, n° 198, p.284.
(2) Marselaer, Legatus... Cap. Officium epistolare.
456 RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT
Dans son livre sur l'Ambassadeur, Hotman s'expri-mait ainsi : « Je ne puis, pour ma part, approuver la
façon d'écrire de ceux qui se gênent à donner de la
suite et une liaison perpétuelle à leurs lettres, nonobs-
tant la différence d'affaires qu'elles contiennent; il
semble que ce soit quelque ouvrage lié de pièces rap-
portées... L'ordre et la méthode, en toute chose, sou-
lagent l'esprit et augmentent la mémoire... S'il est né-
cessaire de faire plusieurs lettres sur un même, sujetet pour le même lieu, comme il arrive ordinairement,on fera bien d'en diversifier les termes et le style, le
plus qu'on pourra, afin qu'elles ne ressemblent pas à un
protocole de notaire (1). » Enfin, l'auteur du Guide di-
plomatique fait observer que les dépêches, qu'ellessoient confidentielles et secrètes, ou qu'elles soient ex-
posées plus ou moins prochainement à une publicité
plus ou moins complète, doivent éviter toute recher-
che de style, toute composition étudiée. La simplicité,la clarté, l'ordre, l'exactitude, une concision judi-
cieuse, doivent présider à leur rédaction : il vaut mieux
dire moins bien que de manquer de précision et de vé-rité dans ce que l'on a à dire. Il ajoute que, dans laconduite d'une négociation, l'agent diplomatique ne
peut rendre, dans ses rapports, un compte trop exact dela manière dont il a exécuté les ordres qui lui ont été
donnés, des réponses verbales ou écrites qu'il a re-
çues aux lettres ou notes qu'il a présentées, ou aux
représentations et aux propositions qu'il a faites devive voix, des progrès de la négociation, des obstacles
qu'elle rencontre, des incidents qu'il peut prévoir, etc.,afin que le cabinet qui dirige ses démarches en sup-porte seul la responsabilité, sans pouvoir la faire pesersur son agent (2).
Dans son Cours de style diplomatique, Meisel adonné d'excellents conseils aux diplomates désireuxde s'élever, dans l'exercice de leurs fonctions, au-des-
(1) Hotman, L'ambassadeur.
(2) Le Guide diplomatique, édition de 1851, t. II, p. 438 et suiv.
RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT 457
sus de la vulgarité. « La forme épistolaire des dépê-ches, dit-il, et leur but de rapporter des événementset des détails de négociations, indiquent suffisamment
quel doit être le caractère principal de leur style....Le ministre racontera simplement et naturellementtout ce qui s'offrira à lui pendant le cours de sa négo-ciation, et, soit qu'il fasse un rapport essentiellement
historique, soit qu'il entre même en discussion, il évi-tera toute tournure recherchée et tout effort de rhéto-
rique, se souvenant bien qu'il ne doit point persua-der, mais exposer nettement les affaires. Plus il se pé-nétrera de cette idée en suivant l'ordre naturel deschoses dont il doit parler, plus son style aura la grâce
et l'à-propos désiraile. Il fera choix des expressionsles plus claires et les plus propres à rendre ses idées
et à retracer les faits tels qu'ils se sont passés, et il
aimera mieux avoir moins bien que moins clairement
dit. Il pourra même, afin de ne point laisser entraîner
sa plume à intervertir l'ordre des choses qu'il doit
traiter, donner une courte note ou un aperçu des
points auxquels se rattachent les détails de son rapport.
« Le contenu des dépêches diplomatiques est, ou
descriptif, ou narratif, ou délibératif: c'est à ces trois
formes principales que se réduit tout ce que le ministre
peut avoir à dire dans ses relations.
ce De même qu'avant d'entrer en négociation, il
importe à l'agent diplomatiqne d'étudier et de connaî-
tre les personnes avec lesquelles il aura à traiter ou à
entrer en rapport quelconque, ainsi, doit-il aussi, au
commencement de sa mission, faire dans ses relations
à son gouvernement l'esquisse ou le tableau des per-
sonnages de la cour à laquelle il est accrédité, du mi-
nistère existant et de toutes les personnes en général
qui concourent aux affaires. Il ne suffirait pas qu'il eût
observé scrupuleusement et même jugé de tout sans
prévention, s'il ne parvenait à communiquer clairement
ses observations à son gouvernement, qu'il doit mettre
en état de connaître le terrain, afin de régler les dé-
marches qu'il ordonnera. A cet effet, le ministre doit
458 RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT
se servir dans son tableau des termes les plus exacts,
les plus caractéristiques, mais aussi les plus circons-
pects ; il sera moins verbeux que précis, et emploierades phrases coupées analogues à son sujet, plutôt
que de sacrifier la clarté en allongeant les périodes.Il aura soin d'ailleurs que ses paroles expriment bien
la même réserve, dont il ne déviera jamais dans les
jugements qu'Userait appelé à porter sur le caractère
des personnes ; il sera concis dans ses observations.
Telles sont les règles du style que l'agent diploma-
tique doit suivre dans ses dépêches, toutes les fois
qu'il s'agit d'offrir la description ou des personnes, ou
des lieux-, et de représenter les choses telles qu'elles
sont, et non telles que l'imagination se plairait à les for-mer
« D'autre part, le style narratif prendra place par-tout où la correspondance s'étendra sur des faits.
Le ministre raconte-t-il la réception et les honneurs
qu'on lui a faits, ou les entretiens qu'il a eus, ou telle
occurrence de sa mission, son style sera de nature his-
torique. Il joindra à l'exactitude des détails et à la pré-cision, le plus grand soin pour donner de la suite à sa
narration ; il s'étendra sur les faits; sans être long-, ettout en s'appliquant à ne rien omettre, il évitera de
fatiguer par des minuties ou par des redites. Il doit
adopter un style rond, fibre et aisé; lier ses phrases,en les joignant naturellement et sans recherche sen-sible.
ceIl importe surtout que les entretiens sur affaires,les négociations de bouche soient bien rendues, C'estici qu'il faut employer toutes les couleurs de la diction
pour reproduire les nuances de la parole. L'expression,toutefois fidèle, doit être tour à tour vive et fraîche,réfléchie et profonde, en un mot, telle qu'étaient les
paroles qu'elle doit rendre. S'il est essentiel que le
rapporteur n'omette et n'ajoute rien, il n'importe pasmoins qu'il ne dénature point les discours par la nar-
ration, et qu'il n'empêche pas de juger du sens des pa-roles, en renversant les expressions, Il doit donc
RAPPORTS DU MINISTRE AVEC SON GOUVERNEMENT 459
avoir fait une étude toute particulière de cette partiedu style de ses dépêches, et ne pas croire avoir sa-tisfait à son devoir, si, en rendant les paroles d'un en-tretien, il n'est parvenu à en rendre le vrai sens..
«J'ai nommé en troisième lieu le texte délibératifdes dépêches diplomatiques. J'entends sous cette dé-nomination la partie du rapport d'un agent diploma-tique par laquelle il rend compte de sa négociation,expose l'état des affaires, demande des ordres particu-liers à son gouvernement, lui fait des représentations surdesdoutes ou observations survenus, et, en un mot, dans
laquelle il traite de consultations ou de délibérations.Il serait tout aussi difficile de fixer des règles poul-ies variations de style admises dans cette partie es-
sentielle du corps des dépêches, que de faire l'énu-
mération des objets même auxquels on aurait à les
appliquer. Nous nous bornerons à observer qu'en style
délibératif, avant tout, il convient de tout dire, afin de
tout soumettre à la réflexion. Ici la recherche de conci-
sion serait non-seulement déplacée, mais elle pourraitmême nuire à l'exposition. On doit s'attacher à retour-
ner et à reprendre son sujet de tous les côtés, jusqu'àne laisser aucun doute et aucune obscurité ; on doit
pour cela même éviter avec le plus grand soin toute
expression louche et ambiguë, et rejeter toute phrase
qui nécessiterait une interprétation ultérieure. Les ar-
guments perdent leur force, lorsque les termes dans
lesquels on les offre ne sont pas concluants, et jamaison ne sera parvenu à épuiser son sujet, si on ne l'a ex-
posé par des expressions claires et précises.ceLe ministre aura soin cependant de ne point fati-
guer l'attention par des longueurs, et d'éviter toutes
les observations et réflexions superflues, ou qui ne se-
raient point en rapport nécessaire avec son but. Lors-
qu'ils se verra dans le cas de donner son opinion sur
les affaires et les mesures à prendre, il fera un choix
prudent d'expressions, afin de ne point paraître vouloir
faire des représentations qui pourraient déplaire, ou
prétendre éclairer le gouvernement dont il attend les
460 SECRET DE LA CORRESPONDANCE
ordres. Enfin il redoublera de prudence et de soin pour
la tournure de ses phrases, lorsqu'il sera obligé de faire
à sa cour quelque communication désagréable; il mo-
dérera les choses par les paroles, toutefois sans les dé-
naturer, et témoignera la peine qu'il ressent de se
voir l'organe transmetteur d'aussi fâcheuses nouvel-
les » (1).
Secret de la correspondance.
Les dépêches diplomatiques dont l'intérêt exige un
secret particulier et qu'on ne peut transmettre par une
voie tout-à-fait sûre, peuvent, nous l'avons dit, être
écrites en chiffre. L'usage du chiffre, répétons-le, n'est
pas sans inconvénients. « Ilpeut y en avoir de deux
sortes, dit Pinheiro-Ferreira. Le premier, c'est quelors même qu'on ne pourra point parvenir à déchiffrer
la dépêche du ministre étranger, on sera fondé à
croire qu'il transmet à son gouvernement des informa-
tions dont il croit nécessaire de dérober la connais-
sance aux autorités du pays, ce qui n'est pas le moyenle plus propre à le recommander auprès d'elles. L'au-
tre sorte d'inconvénients, c'est que l'envoyé, comptantsur le secret du chiffre, se permet d'écrire ce qu'iln'aurait pas osé imprudemment confier au papier, sans
la sécurité que ce moyen lui inspire. Mais cette sécu-
rité est la plupart du temps trompeuse, car, sans comp-ter les facilités que les gouvernements ont d'apprendredans chaque pays ce que les ministres résidant en paysétrangers écrivent à leurs gouvernements, il est rare
que, tôt ou tard, la clef du chiffre, que l'envoyé croyaiten toute sûreté, n'ait été découverte et communiquéeaux gouvernements intéressés à en faire l'acquisi-tion ». (2). Pinheiro-Ferreira excepte cependant leschiffres basés sur des conventions, qui, étant faciles à
(1) Meisel, Cours de style diplomatique, édition de 1824, t. II,p. 301 et suiv.
(2) Note de Pinheiro Ferreira, sur le n° 205 du Précis du droitdes gens moderne de l'Europe de G. F. de Martens, édition an-notée par M. Ch. Vergé, 1838, t. II, p. 88.
SECRET DE LA CORRESPONDANCE 461
retenir par coeur, n'ont besoin d'aucune clef, ni ne sont
sujettes aux risques d'une indiscrétion, comme, parexemple, si les deux personnes qui doivent corres-
pondre s'accordaient à choisir pour base de leurchiffre le Télèmaque d'une certaine édition, pour yprendre, dans telle ligne de telle page qu'on voudra, lesdifférentes lettres de l'alphabet, en indiquant chaquefois, au commencement de la lettre, la page et la ligneoù on les a prises.
Les dépêches sont expédiées, ou par la poste com-
mune, par des messagers, par des courriers, ou pardes voyageurs sûrs et de confiance. Quand on craint
que le secret des lettres ne soit violé, on peut adres-ser les dépêchessous l'enveloppe d'unetierce-personne,ou sous une adresse fictive, quelquefois aussi par dif-
férentes voies à la fois, moyennant des duplicata.Pour mieux cacher le secret, on expédie parfois aussi
des dépêches feintes ou portant la marque du contre-
sens, qu'on envoie alors par la poste ordinaire, ou parune autre voie peu sûre, afin de les faire ouvrir à des-
sein et de tromper par là les surveillants.
De nos jours on respecte à peu près partout, dans
les époques de calme politique surtout, le secret de la
poste; mais c'est principalement à l'égard de la corres-
pondance des ministres publics avec leur gouvernement,
que cette règle doit être scrupuleusement observée.
On regarde donc l'ouverture des lettres en temps de
paix, de quelle manière qu'elle s'exécute, comme une
violation du droit des gens ; mais, dit le comte de
Garden, « la plus odieuse et la plus honteuse contra-
vention à la foi publique, c'est qu'un gouvernementsouffre lui-même un tel abus de confiance dans ses
bureaux de poste, qui ontreçu les lettres avec la taxe,
sous le seau du secret. La raison d'État est un faible
prétexte pour motiver de la part d'un ministère l'in-
fraction de ce qui doit être sacré parmi les nations civi-
lisées. Parce que l'on use de ce moyen, il n'en résulte
pas un droit ; c'est, au reste, une vérité que l'on ne
conteste pas, puisque l'on désavoue toujours cette ac-
462 LE MINISTRE PUBLIC DOIT ETRE DISCRET
tion, et que l'on a inventé l'art de rétablir impercep-
tiblement les cachets brisés. C'est par le moyen de ces
ingénieux procédés, qu'un ambassadeur, recevant par
la poste des dépêches de sa cour, cachetées du sceau
du cabinet et renfermées sous un second couvert, qui,
à son tour, portait l'empreinte du cachet de l'office des
postes de la frontière, trouvait le couvert extérieur
muni du sceau du cabinet, et le couvert intérieur, au
contraire, avec le cachet de l'office des postes. Les
habiles du cabinet noir avaient pris l'un avant
l'autre » (1). Le comte de Garden, qui blâme cet expé-
dient, en admet cependant l'emploi dans le cas où un
gouvernement pourrait soupçonner un ministre étran-
ger de méditer des hostilités contre le pays, et surtout
s'il avait déjà recueilli, pour se justifier dans la suite,des preuves que cet envoyé ourdissait des trames
coupables (2). Mais ce sont là des exceptions qui,loin de confirmer la règle, la détruisent.
Le ministre public doit être discret.
L'un des principaux devoirs des agents diplomati-
ques est la discrétion. Les anciens la sanctionnaient
par une pénalité sévère. Les Romains assimilaient aux
transfuges les ambassadeurs qui divulguaient les se-
crets de l'État, et les condamnaient à la peine du feu
ou de la pendaison. Quand les ministres d'Attila de-
mandèrent aux envoyés byzantins le but de leur mis-
sions, ceux-ci en. témoignèrent une indignation très-
vive.
Un mode de manquer au devoir de discrétion, sans
cependant trahir directement les secrets de l'État, con-siste dans la publication de pièces diplomatiques qu'àraison de ses fonctions on avait à sa disposition. Il n'est
pas rare, de nos jours surtout, de voir des hommes
d'État, des ambassadeurs, livrer à la publicité des do-
(1) Traité complet de diplomatie, édition citée, t. II, p. 85 etsuiv.
(2) Id., p. 88.
LE MINISTRE PUBLIC DOIT ETRE DISCRET 463
cuments qu'ils possédaient, soit pour justifier leur con-duite dans certaines circonstances données, soit pourappuyer leurs affirmations, à l'occasion de travaux his-toriques ou de mémoires autobiographiques publiés pareux. C'est ainsi que, sous le titre de : « Un peu plus delumière sur les événements politiques et militaires del'année 1866 », le général Alphonse La Marmora, an-cien ministre des affaires étrangères et président duconseil des ministres du roi Victor-Emmanuel, a pu-blié, en 1873, un ouvrage plein de révélations, de no-
tes, de dépêches, de télégrammes diplomatiques surles événements qui ont préparé l'alliance prussienne,et sur la conduite politique du gouvernement italien, du23 septembre 1864 au 17 juin 1866. Il avait été, pendantcette période, président du conseil et ministre des af-faires étrangères. Tout le monde connaît les indiscré-tions du comte d'Arnica, ambassadeur de Prusse en
France, au moment de la guerre franco-allemande de
1870-1871, et qui lui ont valu une condamnation sévère
et méritée (1).On trouve dans une dépêche du comte de Mercy-
Argenteau les détails suivants : « Le comte de Guines
ayant cru nécessaire pour sa justification d'insérer
dans les mémoires écrits en faveur de sa cause cer-
tains passages de ses anciennes correspondances mi-
nistérielles, M. de Vergennes s'y est refusé, en disant
que, si l'on admettait une pareille demande, le secret
(1) Aux termes de l'article 353 (a) du code pénal allemand,modifié par la loi dû 26 février 1876, « sera puni de l'emprison-nement ou d'une amende de 5,000 marks au plus, sans préju-dice de peines plus fortes, s'il y a lieu, tout fonctionnaire auservice du ministère-des affaires étrangères de l'empire, coupa-ble d'avoir violé le secret professionnel, en communiquant d'unemanière illégale, soit des pièces qui lui auraient été confiées ou
qui seraient à sa portée à raison de ses fonctions, soit des ins-tructions qu'il aurait reçues de ses supérieurs, soit le contenudesdits documents. Sera puni de la même peine, tout fonction-naire qui, étant chargé d'une mission à l'étranger, ou attaché à
une semblable mission, aura sciemment désobéi aux inistruc-
tions émanées de ses supérieurs hiérarchiques, ou aura adresséà ceux-ci, en vue de les tromper, des rapports mensongers ou
inexacts.» Cet article, inspiré par le procès de M. d'Arnim est
464 NÉGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC
si nécessaire à toutes les affaires d'État serait violé, et
qu'aucun ministre n'oserait plus faire de communica-
tions confidentielles aux ministres de France. Le con-
seil a approuvé unanimement la décision de M. de Ver-
gennes » (1).Ces détails qui nous ramènent au XVIIIe siècle sont,
on le voit, plus que jamais, aujourd'hui, une actua-
lité.
Négociations du ministre public.
Négocier, c'est traiter une affaire avec quelqu'un ;
une négociation, c'est l'affaire qu'on négocie. Le mot
négociation désigne aussi l'action de négocier. Les né-
gociations diplomatiques constituent également une
des fonctions principales des ministres publics (2).Ces négociations sont directes ou indirectes.
Négociations directes.
On entend par négociations directes, celles qui ont
heu avec le chef de l'État. Ces communications immé-
diates sont très-rares ; elles ne sont admises que par
exception. A moins de circonstances tout-à-fait excep-
tionnelles, tout-à-fait particulières, les ministres pu-blics ne peuvent prétendre au droit de traiter directe-
un de ceux auxquels le chancelier de l'empire attachait le plusd'importance. Il déclara que les peines disciplinaires étaientinsuffisantes; que l'agent diplomatique qui ne reculerait pasdevant les indiscrétions et les désobéissances calculées, feraitbon marché de la destitution ; et que, vu les dangers auxquelsune telle conduite exposerait l'État, il était nécessaire d'instituerune répression pénale. M. de Bismarck alla jusqu'à dire qu'enl'absence de cette garantie, il ne conserverait pas la directionde la politique extérieure. Voir l' Annuaire de législation étran-gère, publié par la Société de législation comparée, VIe année,1877, p. 154.
(1) M. de Vergennes était ministre des affaires étrangères duroi de France Louis XVI ; M. de Guines avait été ambassadeur.Cette dépêche se trouve dans les archives de Vienne.
(2) Voir, plus loin, au tome II, sur les négociations et l'art denégocier, le Chap. XIV.
NEGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC 465
ment les affaires avec le chef de l'État. « L'agent diplo-matique, dit le baron Ch. de Martens, peut avoir avec le
prince des conversations politiques, mais il ne traitepasdirectement avec lui ; le ministre des affaires étrangèresest toujours rintermédiaire des négociations entamées ;la marche des affaires peut s'en trouver ralentie, maisles allures du négociateur en sont plus libres et ses
propositions plus réfléchies. Le chef de l'État, de son
côté, n'a pas à craindre de se trouver engagé par des
paroles qu'il ne pourrait rétracter sans compromettresa dignité ; il surveille les négociations sans y prendreune part directe et positive, il peut désavouer des ou-vertures intempestives, des promesses trop promptes,susciter des incidents imprévus et laisser en suspensses résolutions définitives, jusqu'au moment opportunet décisif. Les entretiens politiques entre le souverain
et l'envoyé accrédité auprès de lui peuvent améliorer
les négociations avec son ministre, mais ils ne les sup-
pléent pas (1). » « Il est peut-être plus convenable,dit le comte de Garden, que le souverain ne négocie
pas directement avec les ministres étrangers. La
parole qui lui échappe est celle du souverain ; mais,sur le rapport, de son plénipotentiaire, il peut méditer
à loisir sa réponse, et révoquer même les promesses
trop précipitées de ce dernier ; enfin, au moyen d'un
intermédiaire, il est plus facile de laisser un envoyédans le doute sur ce qui doit lui rester caché » (2).
Il y a des cours où le monarque donne régulièrement,à certains jours, audience aux ministres publics étran-
gers, et où ces ministres peuvent même, en outre, ob-
tenir des audiences particulières, soit publiques, soit
privées, pour entretenir le prince de certaines affaires
déterminées, sans toutefois qu'il s'agisse de négocia-
tion. Dans les républiques, les communications di-
rectes avec le chef de l'État sont moins rares.
Lorsque l'agent diplomatique est chargé de faire
(1) Le Guide diplomatique, édition de 1851, t. Ier, p. 184.
(2) Traité complet de diplomatie, édition de 1823, t. II, p. 71<
30
466 NÉGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC
une communication directe et verbale au chef de l'État
auprès de qui il est accrédité, il doit demander une au-
dience par l'intermédiaire du ministre des affaires
étrangères, en indiquant le motif. Il sera dit plus tard
que les ambassadeurs, légats ou nonces, ne sont passoumis à cette formalité.
Négociations indirectes.
Les négociations indirectes ont lieu, non pas immé-
diatement avec le chef de l'État, mais médiatement ;
l'agent diplomatiqne communique et négocie, par
exemple, avec le ministre des affaires étrangères, ou
bien avec des commissaires, des députés. Dans les con-
grès de paix ou autres congrès, il communique et né-
gocie avec les envoyés des Puissances étrangères.
Enfin, les négociations indirectes peuvent avoir lieu
par l'entremise de quelque tierce Puissance médiatrice,ou de ses envoyés.
Négociations verbales. —Négociations par écrit.
Qu'elles soient directes ou indirectes, les négocia-tions ou communications peuvent être orales ou écrites.On négocie de bouche, verbalement, dans les audiences,dans les conférences. On négocie par écrit, au moyende lettres, de mémoires, de notes, de notes verbales,etc.
Les communications orales comprennent : la con-versation non officielle, dans laquelle les interlocu-teurs échangent leurs vues sans donner à leurs
paroles le caractère d'engagements d'État ; la con-versation officielle, qui constitue un commencement
d'engagement d'État; la lecture de pièces écrites
qui forment l'objet ou la conclusion de la conversa-tion. « Il y a bien des observations à faire, dit Gérardde Rayneval, sur la mesure qu'un ministre public doitmettre dans ses négociations verbales ; mais je mebornerai aux suivantes : un ministre public doit
NEGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC 467
avoir reçu une éducation qui lui a enseigné l'usagedu monde, c'est-à-dire l'art de se rendre agréableen évitant la morgue et un ton de hauteur ; en necherchant pas à se prévaloir de son esprit, de sestalents et de ses connaissances ; en dissimulant sou-vent, pour en faire son profit, les choses erronées,dangereuses ou absurdes qu'on peut lui dire ; en sesouvenant sans cesse que, s'il parle au nom de son
souverain, son interlocuteur est dans le même cas;que, par conséquent, ils se doivent des égards réci-
proques ; enfin, en évitant scrupuleusement les im-
portunités, qui, en général, donnent de l'humeur, ouau moins de l'ennui, et reculent souvent plus qu'ellesn'avancent les affaires » (1). Le comte de Gardenrecommande les communications verbales comme
propres à hâter le progrès des négociations, enécartant une foule de petits scrupules et d'hésita-
tions, et en facilitant ainsi les discussions écrites (2).Il sera question plus tard des actes qu'embrasse la
correspondance diplomatique ; mais disons de suite
qu'on appelle note verbale une note ou communica-
tion écrite non signée, rédigée à la troisième personne,et adressée le plus souvent à la suite d'une conver-
sation, en vue de la préciser. On y répète par écrit ce
qui a été discuté de vive voix dans une conférence,dans une entrevue, pour en conserver la mémoire au-
tant que possible et d'une manière digne de foi. On ap-
pelle également les notes verbales des aperçus de con-
versation. Les notes verbales ont très-souvent aussi
pour objet, non de préciser une conversation antérieure
et d'en fixer le résultat, mais de rappeler une démarche
précédemment faite et de demander quelles sont les
suites qui lui ont été données.
Quelquefois il est utile d'avertir préalablement le mi-
nistre des affaires étrangères d'un mémoire qu'on se
(1) Gérard de Rayneval, Institutions du Droit de la nature
et des gens, édition de 1803, p. 376.
(2) Traité complet de diplomatie, édition de 1823, t.II, p. 71.
468 NÉGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC
propose de présenter dans une audience donnée par le
chef de Él'tat.
Les affaires peuvent s'introduire verbalement, mais
c'est, en général, par écrit que la négociation continue,
au moyen de notes, mémoires et autres offices diplo-
matiques, dont la forme diverse est consacrée par
l'usage. Le mode le plus usité est que le ministre des
affaires étrangères adresse au chef de mission dépen-dant de lui une dépêche, en le chargeant de la commu-
niquer et d'en laisser copie au ministre des affaires
étrangères du pays où il est accrédité. Ce dernier ré-
pond de la même manière, par une dépêche à son re-
présentant près la cour ou le gouvernement étranger.
Quelquefois l'agent diplomatique se borne à don-
ner simple lecture de la dépêche ; mais le ministre
des affaires étrangères peut refuser de recevoir
communication d'une dépêche, à moins qu'on ne lui
en laisse copie ; c'est ce qui a heu très-souvent. Ainsi,
par exemple en 1825, on cite le cas du comte de Liéven,ministre public de Russie, qui, étant venu faire à lord
Canning une communication relative aux impressionsde sa cour sur la politique anglaise, relativement à
l'Amérique espagnole, avait ouvert une longue dépêchedont il s'apprêtait à donner lecture. Mais Canning lui
demanda s'il était disposé à lui en laisser copie. Sur sa
réponse négative, lord Canning refusa d'en entendre un
seul mot, alléguant qu'il lui était impossible de juger,sur une simple lecture, si la dépêche ne contenait pas.des expressions qu'il ne pourrait laisser passer sans
observations.
« On peut donner pour règle générale, dit Gérardde Rayneval, qu'un ministre public doit être très-réservé dans ses communications par écrit, de craintede se compromettre et de se faire désavouer: pourprévenir ce double inconvénient, il est de sa pru-dence de ne s'exprimer par écrit qu'autant qu'il en a
reçu l'ordre exprès. Tout ce qu'il peut se permettre,lorsqu'il est bien sûr de lui-même, lorsqu'il est bienau fait et bien pénétré des intentions et des vues de
NEGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC 469
son cabinet, et lorsque les choses à communiquerexigent, de la précision, est qu'il peut donner une notenon signée, avec le titre de note verbale, ou ad sta-tum legendi, ou confidentielle. Une pareille note n'estcensée donnée que pour soulager la mémoire, et netire pas à conséquence ; il peut aussi donner lecturedes dépêches, et même, selon la nature des choses,en donner ou laisser prendre copie. Ce sont les cir-constances qui doivent, dans tous ces cas, dirigerl'ambassadeur ; mais il doit y mettre d'autant plusde prudence, que la moindre chose, un seul mot, peutavoir de grandes conséquences. Des cours intime-ment liées peuvent souvent avoir des confidences àse faire ; l'intimité peut s'affaiblir et même cesser ;enfin les opinions peuvent changer ; et alors lesconfidences faites par écrit peuvent facilement com-
promettre, par l'aius que l'on peut en faire. Jamaisil ne faut perdre de vue que, quelle que soit l'intimitéentre deux cours, quelque étroits que soient leursliens politiques et même de famille, elles ont des
intérêts séparés, souvent même opposés; et qui peut
répondre que, d'un moment à l'autre, cette oppositionne produira pas du refroidissement, et même une
rupture?... Les négociations par écrit, lorsqu'ellessont officielles, exigent encore plus de précautions.Le négociateur qui se trouve dans ce cas doit toujoursêtre en défiance et supposer qu'on veut le surprendre :
c'est dans cet esprit qu'il doit méditer tout ce qu'on lui
remet par écrit, et tout ce qu'il répond ; car la moindre
équivoque, la moindre obscurité peuvent le compro-
mettre, ainsi que les intérêts qui lui sont confiés » (1).
Les notes adressées de ministre à ministre des
affaires étrangères sont réservées pour les occasions
où la communication aurait pour objet une demande
directe ou une réclamation formelle d'un gouverne-
ment à un autre.
(1) Institutions du droit de la nature et des gens, édition de
1803, p. 373 et suiv., p. 576 et suiv.
470 NÉGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC
Quoique, en principe, ce soient les gouvernementsseuls qui négocient, et que les agents diplomatiquessoient des organes de transmission, qui ne sont cen-
sés ne transmettre que les déterminations de leurs
gouvernements et nullement les leurs, il s'en faut
cependant de beaucoup que leur rôle soit exclusive-
ment passif. Il est certain que ce sont les gouverne-ments seuls qui commencent les négociations, mais il
ne l'est pas moins que la manière dont les ministres
publics soutiennent la cause de leur constituant est
décisive pour le succès de l'affaire dont il s'agit. Il
appartient en effet aux agents diplomatiques, d'in-
terpréter les dépêches qu'ils communiquent, de donner
aux arguments qu'elles contiennent les développementsdont elles sont susceptibles. Ils discutent avec le minis-tre des affaires étrangères du pays où ils résident ; ilsrendent compte de leurs entretiens au gouvernement
qu'ils représentent ; ils lui donnent conseil de cédersur tel point, ou de refuser telle concession, etc., etc.ceEn fait, dit l'auteur du Guide diplomatique, le rôlede l'agent est loin d'être passif. Il communique sansdoute les propositions et les décisions de son cabinet,mais il les interprète aussi et les soutient ; il a missiond'en plaider la justice et de choisir le temps et les
moyens les plus convenables pour les faire prévaloir.Sa tâche n'est point circonscrite dans des limites siétroites qu'il ne puisse s'y mouvoir avec une liberté
intelligente ; et, au besoin, pourvu qu'il ait toujoursprésents à l'esprit les droits et les intérês de son com-
mettant, il peut prendre sur lui, dans telles circons-tances épineuses et imprévues, d'outrepasser la lettrede ses instructions, sachant en apprécier l'esprit.Dans toutes discussions, d'ailleurs, il y a une part àfaire aux choses de forme, aux interprétations, auxmoyens : cette part est dans la latitude d'action néces-
saire àcelui qui doit agir..... (1) ». Un peu plus loin,
le même auteur ajoute : « Il ne faut pas non plus que
(1) Le Guide diplomatique, édition citée, t. Ier, p. 186, 187.
NÉGOCIATIONS DU MINISTRE PUBLIC 471
l'obligation de faire prévaloir les intérêts de son gou-vernement lui en fasse poursuivre la défense avec uneinflexibilité qui n'admettrait aucun accommodement.S'il s'aperçoit de l'impossibilité de soutenir des pré-tentions exagérées, il devra y apporter à propos des
tempéraments qu'il saura faire passer pour des conces-sions importantes, et qui pourront être acceptés com-me une preuve de l'esprit de conciliation qui sembleles dicter (1) ».
Négociations entre ministre des affaires étrangèreset chef de mission.
Dans les négociations entre les ministres des affaires
étrangères et les chefs de mission, on recourt rare-
ment à la rédaction de protocoles ou de procès-ver-baux. Aussi l'agent diplomatique, pour s'assurer d'a-
voir parfaitement rendu compte à son gouvernementde l'état des négociations, peut-il demander de lire sa
dépêche au ministre des affaires étrangères avec quiil anégocié, afin que, suivant les cas, des rectifications
puissent y être faites.
Communications sans négociations.
Les communications à faire concernant un intérêt
quelconque entre deux États, sans avoir à négocier,
se font d'ordinaire par écrit, au moyen de dépêches,
notes ou circulaires, que le ministre des affaires
étrangères adresse aux agents diplomatiques de son
pays près des gouvernements étrangers, pour en re-
mettre copie aux ministres des affaires étrangères de
ces gouvernements, de la même manière que s'il s'a-
gissait de communications relatives à une négociation
en cours.
Le baron Ch. de Martens prévoit les cas où un gou-
vernement, au lieu de faire parvenir à un autre cabi-
net, par l'intermédiaire du ministre qui lui sert d'or-
(l) Id., p. 188.
472 PROTECTION DES NATIONAUX
gane, telle communication qu'il jugerait à propos de
lui faire, s'adresserait, pour la lui transmettre, au
ministre accrédité auprès de lui par cette Puissance.
A moins de raisons particulières qui ne puissent être
douteuses, dit-il, l'emploi de cette voie insolite ne
peut que compromettre le crédit de son envoyé, comme
impliquant ou paraissant impliquer, à son égard, une
sorte de défiance. C'est à l'envoyé à s'en plaindre,s'il n'y a pas donné lieu, en représentant à son gou-vernement le tort qui peut en résulter pour la considé-
ration de l'agent qui le représente (1 ).
Protection des nationaux à l'étranger.
La protection des nationaux dans le pays de sa ré-
sidence fait partie des fonctions du ministre public (2),Le droit qui appartient à tout État de protéger ses
nationaux à l'étranger est, non seulement un droit,
(1) Id., p. 190. — Esperson suppose qu'un gouvernement se fai-sant représenter auprès du Saint-Siège, veuille faire une récla-mation pour une affaire touchant à l'ordre spirituel, auprès du
gouvernement italien, par exemple pour une violation de la loides garanties. Par l'intermédiaire de qui, demande-t-il, fera-t-ilcette réclamation? Par l'intermédiaire de son ministre auprès duroi d'Italie, ou de son envoyé auprès du Saint-Siège? L'auteuritalien répond, avec raison, que ce sera par l'intermédiaire duministre public auprès du roi d'Italie, à moins de ne charger leministre auprès du Saint-Siège, comme envoyé extraordinaire,d'accomplir cette, mission, et de lui donner des pleins.pou-voirs spéciaux à cet effet. Ouvrage cité, n° 362, p. 227. :
(2) Une disposition qui se présente quelquefois dans les trai-tés conclus entre le Pérou et d'autres pays, est celle qui porteque les agents diplomatiques de telle des parties contrac-tantes, protégeront les personnes et les intérêts des nationauxde l'autre partie qui n'aura pas d'agent dans tel pays étrangeroù l'autre en aura. Ces bons offices seront accordés à la condi-tion : 1° que l'intervention de l'agent diplomatique sera sollicitéepar la partie intéressée ; 2° que cette intervention sera admise
par le gouvernement de la résidence de l'agent. Voir, par exem-ple, l'article 31 du traité du 9 mars 1874, entre le Pérou et laRépublique Argentine ; l'article 29 du traité du 10 février 1870avec les États-Unis de Colombie ; l'article 8 du traité du 20 avril
PROTECTION DES NATIONAUX 473
mais encore un devoir : l'État doit étendre son brasprotecteur sur toute la superficie du globe. Tout Étata donc le droit et le devoir de protéger ses nationauxà l'étranger, par tous les moyens en son pouvoir ; maiscetteprotection est subordonnée à certaines conditions.Ainsi, par exemple, la juridiction locale doit être lais-sée libre d'exercer ses droits, quand il s'agit d'affaires
purement privées où les intérêts nationaux ne sont
pas engagés. Dans ces cas, la protection réclaméen'est pas due : elle ne peut être qu'officieuse et facul-tative ; le ministre publie doit y mettre beaucoup de ré-serve et de discrétion, sous peine de compromettreson crédit et la dignité de son caractère. Mais la pro-tection d'office est due par l'État à ses nationaux, à l'é-
tranger: 1° contre les vexations qui violent le droit des
gens ; 2° contre les procédés arbitraires ou les dénisde justice de la part des autorités locales ; 3° contredes injustices manifestes sur le point d'être commises
aupréjudice d'un national, en violant les formes établies,ou en introduisant des distinctions odieuses : si, par
exemple, on voulait lui infliger des peines plus graves
que celles infligées aux nationaux du pays ; 4° dans
1857, avec la République de Guatémala. Une autre sorte declauses se rapportant à ce sujet, est celle relative à la renon-ciation au recours diplomatique. Ainsi, il est stipulé en l'arti-cle 4 du traité avec la République Argentine, que les Péruviens,dans cette république, et que les Argentins, au Pérou, ne pour-ront employer dans leurs affaires contentieuses d'autres recours
que ceux que concèdent à leurs nationaux les lois des deux
pays respectifs, et qu'ils devront se conformer aux jugementsdéfinitifs des tribunaux de ces pays, sans qu'en aucun cas il
puisse être introduit, à cet égard, de réclamation diplomatique.L'article 5 du même traité portait que l'intervention diplomati-que, quant aux questions contentieuses entre les Péruviens dans
la République Argentine, ou les Argentins au Pérou, n'aurait
heu que dans le cas de déni de justice, ou de retard dans l'ex-
pédition des affaires, en violation des lois. Mais cet article a été
supprimé à Lima et à Buénos-Ayres par les Congrès nationaux.
L'article 11 du traité du 5 novembre 1863 avec la Bolivie, admet
la possibilité des réclamations diplomatiques dans les cas où,conformément aux lois et aux principes du droit, il y aurait eu
injustice notoire.
474 PROTECTION DES NATIONAUX
les contestations que les nationaux étrangers pour-
raient avoir pour leurs affaires privées avec les sujets
territoriaux, lorsque des intérêts généraux s'y trouve-
raient engagés ; 5° contre la violation des dispositionsdes traités publics ou des conventions en vigueur
entre les deux pays ; 6° contre l'exercice irrégulier des
droits de l'autorité locale (1).L'Etat devant protection à ses nationaux dans ces dif-
férents cas, le ministre public n'aura point à attendre les
ordres de son gouvernement pour intervenir : l'autori-
sation d'agir, dans ces circonstances, est inhérente à
son mandat. Seulement, l'intervention ne pourra se pro-duire que par l'intermédiaire du ministre des affaires
étrangères du pays où l'agent diplomatique est accré-
dité : l'agent diplomatique ne pourra s'adresser direc-
tement à aucune autre autorité constituée ; il fera par-venir ses réclamations par le canal du ministre des
affaires étrangères.
(1) Merlin cite un arrêté du 3 novembre 1817, du roi des Pays-Bas, relatif à l'appui que les agents diplomatiques néerlandaisauraient à donner aux demandes, pétitions et réclamations deleurs nationaux à l'étranger. Il est conçu en ces termes :
« Statuant sur une proposition de notre ministre des affaires« étrangères, tendant à prévenir ou à limiter l'abus trop corn-et mun de faire servir les lettres de recommandation obtenues« de notre part à importuner les Puissances étrangères par des
« prétentions souvent surannées ou dépourvues de tout fonde-« ment.
« Avons arrêté et arrêtons :« Art. 1er. A l'avenir, ceux de nos sujets qui obtiendront des
« lettres de recommandation pour nos ministres à l'étranger,« seront tenus, en les remettant au ministre qu'elles concernent,« non-seulement d'y joindre les documents relatifs à leur affaire« ou prétention, mais encore de lui désigner un fondé de pou-« voir, chargé par eux de la poursuite et du soin de leurs inté-« rêts là où il appartient.
« Art. 2. Nos ministres à. l'étranger ne donneront suite aux
«lettres de recommandation à eux adressées, qu'après avoir
« examiné et approfondi les affaires et prétentions auxquelles« elles ont trait; les autorisant et même leur enjoignant de« transmettre des renseignements au ministre des affaires« étrangères, et d'en attendre des instructions ultérieures, dans
PROTECTION DES NATIONAUX 475
Le comte de Garden donne les conseils suivantsaux agents diplomatiques, en ce qui touche la pro-tection à accorder aux nationaux : « C'est assurément,
dit-il,une des plus honorables et des plus utiles
attributions du ministre, que le soin de défendre etde favoriser les intérêts de ses concitoyens dansle pays où il réside. A cet égard, s'il a reçu desinstructions particulières, il doit s'y conformer ;cependant, même sans ordre exprès pour ces sortesd'affaires, il entre dans l'objet de sa mission de se-
conder, en toutes choses, ceux de ses compatriotesqui s'adressent à lui ; de leur donner des conseils,de les guider d'après la connaissance qu'il a des
localités ; de recommander enfin leur cause, soitaux autorités, soit au souverain même ; car tous
ceux de ses concitoyens qui se trouvent dans le
pays où il réside, sont confiés à sa protection spé-ciale. Néanmoins, il n'est point tenu d'intervenir
dans leurs affaires particulières, ni de traiter poureux en justice. Toute démarche officielle exige de
sa part la plus extrême circonspection, pour ne
compromettre, ni la dignité de son souverain, ni
exciter le mécontentement de celui qui le reçoit.Il s'abstiendra donc d'entraver, en faveur des siens,le cours de la justice, de chercher à faire fléchir le
« le cas où, examen fait, il paraîtrait que les documents remis« sont insuffisants, et les motifs allégués par les pétitionnaires,« dépourvus de fondement.
« Art. 3. L'adoption des propositions précédentes doit être« mise à profit comme une occasion de faire sentir aux Puis-
« sances étrangères et à leurs ministres, combien une mesure« analogue serait ici désirable, à l'effet que des étrangers qui« ont des affaires pendantes dans ce pays, les fassent examiner« et poursuivre par des fondés de pouvoir ordinaires, auprès« des administrations et tribunaux, ou là où il appartient ulté-« rieurement, sans que l'intervention diplomatique puisse s'é-« tendre au-delà d'une recommandation générale, ou jamais« tendre à porter de pareilles poursuites à la charge des dépar-« ments d'administration générale... ». Voir Merlin, Répertoire,v° Ministre public, sect. V, § VI, n° 1.
476 PROTECTION DES NATIONAUX
droit, ou de prendre sous son égide un coupable
avéré ; mais il lui est permis d'interposer ses bons
offices pour accélérer la marche des tribunaux; il
peut embrasser la défense de ses compatriotes injus-
tement accusés, soit en rendant témoignage de leur
probité et de leur bonne conduite, soit en alléguant
des circonstances atténuantes, en s'adressant toute-
fois, non aux juges, mais au gouvernement. Il est
autorisé à demander, si l'équité le permet, qu'on
favorise ses concitoyens dans les différents rapports
qu'ils entretiennent dans le pays. Les circonstances
ou les ordres exprès de son maître décident s'il
doit intervenir dans ces sortes d'affaires par des dé-
marches officielles ou par des recommandations
particulières ; il serait souvent dangereux qu'il ac-
cordât sa protection à des étrangers, et il serait
tout à fait déplacé qu'il intervînt en faveur des su-
jets du gouvernement près duquel il est délégué » (1).
La protection par voie diplomatique ne doit pas être
prématurée,
Quoi qu'en ait pensé et dit M.Hippolyte Garrou, chargéd'affaires du roi d'Italie, dans une note du 25 mai 1870
auministre des relations extérieures du Pérou, à propos
d'une réclamation de deux sujets italiens, Vacarro et Ca-
népa, un agent diplomatique n'est pas seul compétent
pour juger par lui-même s'il lui appartient d'intervenir
pour protéger ses nationaux, et il y a des limites qu'il ne
doit pas franchir (2). S'il est impossible en effet de laisserses nationaux sans protection contre les injures quipeuvent leur être faites à l'étranger, il ne faut pas, d'unautre côté, s'immiscer trop vite dans l'administration etla justice des autres pays. Agir prématurément par la
(1) Traité complet de diplomatie, édition de 1833, t. II, p. 66et suiv.
(2) Cet incident et les pièces de l'affaire se trouvent dans lenuméro du journal officiel El Peruano du 2 juin 1870, p. 463.
PROTECTION DES NATIONAUX 477
voie diplomatique en faveur de ses nationaux, avantd'avoir cherché à leur faire rendre justice par lesmoyens ordinaires, c'est porter atteinte à l'égalité desÉtats et à l'indépendance des tribunaux. Le nationallésé résidant à l'étranger doit donc, avant toute chose,s'adresser aux autorités de l'État où il réside, et cen'est que si l'on refuse de lui rendre justice, ou bien, sion ne lui fait droit qu'en apparence, si on le laissésans protection contre ses persécuteurs, que l'Étatdont il est originaire pourra intervenir, sans com-mettre lui-même une violation du droit international.
Affaire de la maison Dreyfus.
Ce principe a trouvé son application en 1875, no-
tamment, lors des réclamations présentées par les mi-
nistres d'Angleterre, de France et d'Allemagne, à l'oc-
casion du recouvrement de la patente imposée parles au-
torités péruviennes à la maison Dreyfus, frères et Cie.
Appuyé sur les principes du droit international uni-
versellement reconnus, le gouvernement du Pérou re-
fusa d'admettre ces réclamations, et répondit dans ce
sens aux trois légations. La maison Dreyfus avait le droit
d'introduire une réclamation et action dans les formes
établies par les lois du pays, et il n'y avait pas heu à
accepter l'intervention diplomatique, réservée pourdes cas d'une autre nature (1).
Affaire Martinez.
On trouvera les mêmes principes soutenus par le
gouvernement péruvien dans l'affaire du chilien D.
Héraclius Martinez, qui avait, en 1876, demandé une
indemnité pour préjudices que lui auraient causé les
autorités d'Iquique, en l'expulsant de ce port comme
suspect de complicité dans des plans Subversifs. Le
(1) Mémoire du ministre des relations extérieures au Congrès
ordinaire de 1876, p. il et 12.
478 PROTECTION DES NATIONAUX
ministre des relations extérieures du Pérou a très-bien
soutenu que, tant, que les faits dénoncés n'ont point
été judiciairement prouvés, il est impossible au gou-
vernement de prendre aucune mesure répressive, sur
la simple accusation de l'intéressé, « Les étrangers,disait M. de la Torre, dans sa lettre du 16 mai 1876, à
l'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du
Chili, les étrangers, qui, en vue de leurs intérêts, se
transportent dans un pays qui n'est pas le leur, se sou-
mettent tacitement à ses lois et doivent faire usage desvoies de recours qu'elles ouvrent à tous les habitants,sans pouvoir prétendre se placer dans une conditionmeilleure que les nationaux, ni solliciter une interven-
tion qui n'est acceptable que dans les cas signalés parle droit international, selon le principe en pratiquedans toutes les nations américaines » (1).
Décret de Ramon Gastilla, du 17 avril 1846.
Il y a, sur la question de savoir quand les réclama-
tions diplomatiques peuvent être admises, un décret
très-spécieux de Ramon Castilla, daté du 17 avril 1846.
Il repousse les réclamations directement présentées
par les agents diplomatiques, sans que les intéressés
aient formé aucune demande devant les tribunaux na-
tionaux ou devant les autorités chargées par les lois
de déclarer les faits et de statuer sur eux. Le dispositifde ce décret porte que le gouvernement du Pérou ne
peut admettre de réclamation diplomatique, ni l'inter-
vention des agents publics des autres nations, en fa-
veur de leurs nationaux, que dans le cas où ces der-niers auront recouru aux tribunaux et juridictions ouautres autorités de la république, pour demander jus-tice en défense de leurs droits, et où il sera constantqu'on leur aura refusé justice, ou qu'on aura retardé dela faire (Art. 1er). Les réclamations directes pourront
(1) voir les documents annexés au mémoire du ministre desrelations extérieures, au Congrès ordinaire de 1876, p. 41 à 54,mais surtout p. 30 et 53.
PROTECTION DES NATIONAUX 479
être admises dans les cas spéciaux où le droit desgens les rend admissibles, et qui, par leur nature, doi-vent être résolues par le gouvernement (Art. 2). L'ad-ministration de la justice étant indépendante de l'exé-cutif, et aucun pouvoir n'existant, dans la république,qui ait la faculté d'ouvrir des procès éteints et de lesrésoudre à nouveau, les décisions rendues par lestribunaux de la nation, dans des affaires sur des ré-clamations présentées par des nationaux d'autresÉtats, seront valables, et le gouvernement les respec-tera et fera accomplir comme chose jugée, ne pou-vant rien faire contre elles sans enfreindre la consti-tution de la république (Art. 3) (1).
Lettre du 4 février 1857.
Les réclamations des étrangers ont, à plusieurs re-
prises, préoccupé l'attention du gouvernement péru-vien. C'est, d'ailleurs, il faut le reconnaître, une épéede Damoclès suspendue sur la tête de tous les gouver-nements de l'Amérique espagnole. Peut-être aussi est-
ce la garantie la plus certaine qui appartienne aux Eu-
ropéens dans les républiques du nouveau-monde.
Le 4 février 1857, le ministre des relations extérieu-
res du Pérou écrivait au ministre du gouvernementune lettre qui fut transmise par ce dernier à tous les
préfets, et qui avait pour objet d'obtenir que les chefs
de corps de troupes de passage dans les départementsde la république, ainsi que les autorités politiques,s'abstinssent de prendre quoi que ce fût appartenant à
des étrangers, pour la consommation ou le service de
l'armée, sans délivrer un reçu de la quantité, du prix.,
de la qualité des objets, et sans remettre un dupli-
cata de ce document, signé par le vendeur, au ministre
du gouvernement. Il était dit, dans la lettre, que cette
mesure avait pour but d'éviter les réclamations exagé-
rées formées souvent par des étrangers, qui exigent
(1) Collection d'Oviédo, t. VII, p. 39.
480 PROTECTION DES NATIONAUX
des sommes élevées pour des dommages et préjudices
causés à leurs propriétés, à leurs personnes, à, leurs
intérêts, sans présenter à leur appui d'autres preuves
que dé simples affirmations (1).
Circulaire du 24 février 1857.
Le 24 février 1857, une circulaire adressée par le
ministre des relations extérieures au ministre de guerre
et marine et au ministre dû gouvernement, chargé du mi-
nistère de la justice, vint signaler la fréquence des ré-
clamations diplomatiques ayant pour objet d'indemni-
ser des étrangers pour des dommages ou préjudicescausés. Dans cette circulaire, le ministre des relations
extérieures faisait ressortir les résultats très-onéreux
pour le trésor public produits par de semblables récla-
mations, et manifestait l'opportunité d'adopter des me-
sures efficaces pour réprimer, corriger et extirper ces
abus. Ces mesures devaient, suivant l'auteur de
la circulaire, consister en ceci : veiller scrupu-leusement à garder et faire respecter les garantiesindividuelles et civiles que la constitution et le droit
des gens confèrent aux étrangers domiciliés ou de
passage; inculquer dans la population les sentiments
humanitaires et les bons offices de fraternité dus aux
étrangers dans le pays, soit en considération du devoir
que l'hospitalité impose, soit en vue du grand intérêt
qu'a la nation d'attirer les étrangers dans son sein, en
augmentant sa richesse intellectuelle et sa prospéritématérielle par le moyen de l'immigration ; donner aux
étrangers tous les moyens de sécurité, de protection,toutes les franchises compatibles avec les lois du
pays, afin qu'ils exercent librement leur industrie ouleur commerce, et pour leur faciliter leur passage etleur séjour; dans le cas de nécessité d'occuper, pourle service public, des personnes ou des propriétés,déterminer les conditions dans un marché préalable
(1) Id., t. VII, p. 198.
PROTECTION DES NATIONAUX 481
consigné par écrit; surveiller, avec une vigilance sé-vère, qu'aucune autorité, aucun fonctionnaire public,civil, militaire ou politique, n'attaque les personnesou les propriétés des étrangers, en leur imposantdes services forcés, ou en exigeant d'eux des contri-butions autres que celles qui leur incombent légale-ment ; si l'on connaissait quelque abus, faire immédia-tement instruire l'affaire par la juridiction compétente,afin que l'abus étant constaté, on puisse de suite in-demniser la personne lésée, et que, si l'abus n'était
pas constaté, on tînt la plainte et le dossier en réserve,pour l'opportunité ; livrer exclusivement au pouvoirjudiciaire la connaissance des réclamations ou deman-des des étrangers ou contre les étrangers, par actions
personnelles ou privées, soit civiles, soit criminelles.
La circulaire ajoutait que les autorités locales enten-
draient, dans les limites de leurs attributions, les
plaintes des étrangers pour retard ou déni de justice,et qu'elles rendraient compte au gouvernement et aux
tribunaux supérieurs, pour obtenir réparation du passe-droit. Elle terminait par cette considération, que la
protection offerte par la nation aux étrangers ne les
autorise point à se soustraire à l'action de la justice,et ne les met pas à l'abri des autorités constituées, en
ce qui touche à la conservation de l'ordre, à la sécurité
publique, à la poursuite et à l'arrestation des crimi-
nels (1).
Cette excellente circulaire avait été communiquéeaux corps diplomatique et consulaire étrangers, le 25
février 1857. Dans la lettre d'envoi, le ministre des re-
lations extérieures du Pérou avait émis l'espoir que
chacun des agents diplomatiques résidant à Lima
prendrait telle mesure qu'il jugerait à propos, pour que
les nationaux de son pays observassent une conduite
circonspecte et modérée, et qu'il leur recommande-
rait de respecter les lois, de ne pas troubler l'ordre pu-
(1) Collection d'Oviédo, t. VII, p. 198.31
482 PROTECTION DBS NATIONAUX
blic et de ne pas attaquer les autorités dans l'exercice
légal de leurs fonctions.
Les réponses du corps diplomatique furent, comme
souvent en pareilles circonstances, plus ou moins insi-
gnifiantes. Les ministres des États-Unis d'Amérique et
d'Angleterre, MM. Clay et Sulivan, se réservèrent
d'examiner les cas dans lesquels il pourrait arriver queleur intervention officielle fût nécessaire en faveur de
leurs concitoyens (1). M. Huet, chargé d'affaires et con-
sul général de France, exprima l'espoir que la mesure
du gouvernement péruvien serait efficace pour préve-
nir, dans l'avenir, de la part des sujets français, des
réclamations qu'il lui serait toujours pénible d'avoir
à présenter au gouvernement du Pérou. Il insista sur-
tout beaucoup sur les bons effets qu'on était en droit
d'espérer de la disposition qui rendait personnellement
responsables les autorités et fonctionnaires péruviens,
pour les actes arbitraires commis par eux contre les
étrangers. Depuis longtemps, d'ailleurs, l'agent fran-
çais avait indiqué cette mesure comme nécessaire, aux
(4) Aux termes de l'article 27 du traité du 6 septembre 1870entre, le Pérou et les États-Unis d'Amérique, « comme consé-
quence du principe d'égalité établi, en vertu duquel les citoyensde chacune des hautes parties contractantes jouissent, sur leterritoire de l'autre, des mômes droits que les naturels, et reçoi-vent des gouvernements respectifs la même protection pourleurs personnes et leurs propriétés, il est déclaré qu'il n'y auralieu à l'intervention diplomatique, que dans le cas où cette pro-tection sera refusée, quand les autorités légales n'auront pasfait les diligences nécessaires pour rendre cette protection effec-tive, quand elles auront procédé avec une manifeste injustice, etaprès qu'on aura épuise tous les recours légaux. » L'article 9 dutraité du 20 avril 1837 entre le Pérou et la République de Guaté-mala s'exprime ainsi : « Les agents publics du Pérou au Guaté-mala et ceux du Guatemala au Pérou, n'interviendront dans lesaffaires de leurs nationaux respectifs, que dans les cas où lanature spéciale de l'affaire le requerra, conformément au droitpublic généralement admis, et quand les autorités inférieuresauront retardé ou refusé la satisfaction due à une juste récla-mation. Nonobstant cela, on admettra les bons offices, qui pour-ront être réciproquement interposés, tout autant que les intérêtset l'honneur national le permettront. »
PROTECTION DES NATIONAITX 483
prédécesseurs du ministre péruvien des relations exté-rieures. L'agent diplomatique du Brésil, M. D. Miguel-Maria-Lisboa, se borna à un simple accusé de récep-tion, avec des félicitations. Le ministre du Chili, M. D.L. de Irarràzaval, fît quelques réserves au sujet de laclause de la circulaire, d'après laquelle on livrerait ex-clusivement au pouvoir judiciaire la connaissance desréclamations ou des demandes formées par les étran-
gers ou contre des étrangers, par actions personnellesou privées, soit civiles, soit criminelles, etc.-, etc. En
somme, le corps diplomatique étranger accueillit la cir-culaire du 24 février 1857 avec plus de courtoisie quede confiance, et se maintint dans une prudente réserve
quant à ce qui pourrait porter une atteinte quelconqueà son droit d'intervention.
Circulaire du 25 janvier 1859.
Il faut que la circulaire de 1857 n'ait pas produit tout
l'effet qu'en attendait son auteur, car, le 25 janvier
1859, une nouvelle circulaire du ministre des relations
extérieures du Pérou aux autres chefs des départe-ments ministériels, vint rappeler ce qui avait été déjà
recommandé, en ce qui concernait le respect des droits
des étrangers. Il y était parlé de la nécessité de proté-
ger ceux qui, parleur industrie et leurs capitaux, contri-
buent au progrès de la nation ; du besoin de conserver
intact le crédit du pays à l'étranger, et d'épargner au
gouvernement des réclamations qui préoccupent son
attention, entament ses relations diplomatiques et font
en même temps sortir du trésor public l'argent néces-
saire pour la conservation et le progrès de la républi-
que. « Que les autorités et les particuliers, était-il dit-
dans la circulaire, sachent bien que le gouvernement
compte accomplir, dans toute son étendue, la disposi-
tion de l'article 2203 du code civil (1) ; qu'ils donnent
(1) L'article 2203 du code civil du Pérou porte que celui quiest la cause d'un emprisonnement illégal, et le juge qui ordonne
cet emprisonnement, sont solidairement responsables pour les
dommages qui en résultent.
484 PROTECTION DES NATIONAUX
toute leur attention à l'esprit de l'article 2191 du même
code (1). On comprendra dans la disposition de cet articleceux qui retardent l'administration de la justice, et, en
général, tous ceux qui, dans l'exercice de leur auto-
rité, causeront des dommages immérités à quelque
étranger, de même qu'à tout autre individu, soit dans
ses biens, soit dans sa personne, en le maltraitant sans
cause, ou en lui refusant les égards que méritent même
les criminels. Les autorités doivent, non seulement en-
tourer les étrangers de la protection et de la sûreté
qu'exigent les lois, mais encore leur rendre tous les
services que conseillent l'humanité et la civilisation,sans lesquels l'hospitalité n'est qu'un nom vague. »
« En cas d'expropriation, était-il dit aussi dans cette
circulaire, on observera rigoureusement les formali-
tés prescrites par la législation civile ; et, quand on occu-
pera les personnes ou les propriétés étrangères à un
service public, on observera les prescriptions de la
circulaire de 1857, c'est-à-dire qu'il faudra stipuler les
clauses dans un accord écrit, dont l'original ou un des
doubles seront conservés comme pièce probante. On
ne soustraira pas au pouvoir judiciaire la connaissance
des affaires contentieuses dans lesquelles les étran-
gers auront un intérêt, quand même le fisc serait dé-
fendeur; on ne soustraira pas non plus à ce pouvoir la
connaissance des délits commis dans le territoire de la
république, quelle que soit la condition de l'accusé,ni la
connaissance des fautes commises par les fonction-
naires qui abusent de l'autorité que les lois leur ont con-
fiée. La fidèle observation de ces dispositions, danstoute leur étendue, sera la plus sûre garantie de la
justice et de la dignité du pays à l'extérieur. Non-seu-lement les autorités devront accomplir ces devoirs,mais encore elles devront s'en pénétrer et en pénétrerl'esprit des populations, par tous les moyens en leur
(1) D'après l'article 2191 du code civil péruvien, quiconquepar son lait, sa négligence ou son imprudence, cause un pré-judice à autrui, est obligé à le réparer ; et l'on est responsabledes dommages causés par ceux qu'on a sous sa dépendance.
PROTECTION DES NATIONAUX 485
pouvoir. Ilest. du reste, absolument indispensable de
se conformer aux traités conclus avec les Puissancesétrangères et qui sont des lois de l'État. L'honneur na-tional est engagé dans leur
accomplissement » (1).
Le sac de Gallao en 1865.
Cette circulaire est remarquable sous beaucoup de
rapports. Elle fait honneur à M. D. Manuel Morales
qui l'a signée, comme ministre, et au général RamonCastilla qui était alors à la tête du pouvoir. A-t-elleété constamment observée dans toutes ses parties ? Ce
qu'il y a de certain, c'est que la diplomatie étrangère asouvent eu à regretter beaucoup de lenteur dans la
réparation des préjudices causés aux étrangers. Les
exemples abondent. En voici un qui a fait sensation.
Le 6 novembre 1865, le commerce étranger, à Cal-
lao, fut littéralement mis à sac. Les magasins furent
forcés et pillés;les autorités avaient abandonné leurs
postes. L'ordre ayant été rétabli le lendemain, une
commission appréciatrice des dommages fut nommée ;on la composa d'habitants notables de Callao. Aprèsune appréciation approximative des pertes subies parle commerce, avis fut donné aux intéressés d'avoir à
venir reconnaître et reprendre ce qui leur appartenait et
ce qu'on avait recouvré. Beaucoup d'objets n'ayant pasété retirés, le gouvernement décida qu'ils seraient ven-
dus aux enchères : ce qui eut lieu, et le montant de la
vente fut déposé à la banque du Pérou, le 5 novembre
1866. Un des lésés, au nom des autres, se présenta
alors au gouvernement, et demanda qu'au moyen d'ar-
bitres et d'experts on réglât leurs réclamations sur le
montant à payer à chacun d'eux pour le pillage et les
préjudices à eux causés. Le gouvernement consentit.
Il nomma deux arbitres. Les intéressés nommèrent les
leurs. Une guerre civile éclata et l'opération fut suspen-
due. Le 10 mars 1868, sur les instances du corps diplo-
(1) Cette circulaire se trouve dans la Collection d'Oviédo,
t. VII, p. 213, 214.
486 PROTECTION DES NATIONAUX
matique résidant à Lima, un protocole fut rédigé, aux
termes duquel chacune des parties contractantes
nommerait deux commissaires pour régler et dési-
gner les parts à remettre aux réclamants. La commis-
sion se forma, elle commença ses travaux, mais une
nouvelle interruption survint par la retraite des com-
missaires péruviens. Le 5 novembre suivant, nouveau
protocole et nomination de nouveaux commissaires.
Cette fois, la commission put continuer ses opérations;le résultat de ses travaux fut remis, avec les pièces à
l'appui, au ministre des relations extérieures, et copieen fut délivrée à toutes les légations qui avaient pris
part aux protocoles. Les légations, en accusant récep-tion, exigèrent le payement immédiat des sommes al-
louées, et les intérêts à partir du jour du pillage, jus-
qu'à celui du payement. Le gouvernement péruvienrefusa, en se fondant sur ce que cette exigence n'était
conforme, ni à l'esprit, ni à la lettre des protocoles.L'affaire n'était pas encore réglée en 1870, et le pil-lage avait eu lieu en 1865 ! En présence de pareilleslenteurs, on comprend que les ministres publics soient
peu disposés à se départir de leur rôle de protecteursvigilants et prudents de leurs nationaux à l'étranger.
Circulaire du 16 novembre 1877.
Le 16 novembre 1877, M. J. C. Julio Rospigliosi, mi-nistre des relations extérieures, adressa au corps diplo-matique résidant à Lima, sous le couvert d'une très-brève circulaire ne constituant qu'une simple lettre
d'envoi, le décret du 17 avril 1846 de Ramon Castilla,et la circulaire du 24 avril de la même année, parlaquelle le ministre des relations extérieures de cette
époque, M. D. José Grégorio Paz-Soldan, avait expli-qué au corps diplomatique étranger, accrédité auprèsdu gouvernement péruvien, le décret du 17 avril. M.Rospigliosi a justifié ce rappel et cet envoi nouveaudu décret du 17 et de la circulaire du 24 avril 1846, enalléguant que le gouvernement péruvien avait des
PROTECTION DES NATIONAUX 487
motifs pour croire que ces documents n'existaient au-
jourd'hui dans aucune des légations accréditées à Lima.Il résulte donc de cet envoi et de ce rappel, que le
gouvernement du Pérou s'en tient, quant aux récla-mations diplomatiques, aux principes suivants :
1° Le gouvernement péruvien n'entend introduireaucune innovation, ni aucune altération dans les prin-cipes et règles du droit des gens, en cette matière ; sonintention unique est, au contraire, de s'y conformer,dans les limites des facultés que lui confère la cons-titution de la République.
2° Les étrangers qui seraient, ou qui se croiraient
lésés, ont des moyens propres et personnels pour se
faire écouter dans leurs plaintes : mais le gouverne-ment péruvien ne pourra faire droit à leurs réclama-
tions, qu'autant qu'ils se conformeront aux lois du pays.C'est conformément à ces lois qu'il leur doit protec-
tion, et c'est conformément à ces lois que cette pro-tection doit être sollicitée.
3° En se conformant au droit international, le gou-vernement se réserve la connaissance des cas spé-ciaux où il doit résoudre.
4° Le gouvernement péruvien ne peut admettre de
réclamations diplomatiques en faveur de nationaux
étrangers, qu'autant que ces derniers se seraient adres-
sés aux tribunaux et autres autorités de la République,
et qu'on aurait refusé ou retardé de leur faire justice.
5° Le gouvernement peut admettre des réclama-
tions directes dans les cas spéciaux où le droit des
gens les rend admissibles, et lors qu'elles sont de na-
ture à être résolues par le gouvernement.
6° Le gouvernement fera respecter et exécuter com-
me chose jugée les sentences rendues par les tri-
bunaux et corps judiciaires de la nation, dans les affai-
res relatives à des réclamations formées par des
étrangers.Le corps diplomatique résidant à Lima a répondu
à la communication de M. Rospigliosi. Le chargé
d'affaires de France à déclaré que la légation fran-
488 PROTECTION DES NATIONAUX
çaise continuera, comme par le passé, à se conformer
aux dispositions du décret qui ne porteraient aucune
atteinte aux règles du droit international, aux prin-
cipes du droit conventionnel établi entre le Pérou et
la France, et à la pratique observée par les deux Puis-
sances, en cette matière, depuis l'année 1846 (réponsedu 20 novembre 1877). L'envoyé extraordinaire et le
ministre plénipotentiaire de Bolivie s'est borné à ac-
cuser réception de ces documents, en ajoutant qu'ilétait persuadé que le gouvernement péruvien compre-nait dans la disposition de l'article 2 du décret du 17
avril 1846, le droit stipulé dans la clause 11 du traité
de paix et d'amitié du 5 novembre 1863, entre la Bo-
livie et le Pérou, de réclamer diplomatiquement contre
toute sentence prononcée avec injustice notoire,ou en contravention aux lois et aux principes du
droit (1). Le chargé d'affaires d'Italie annonça qu'il en
avait référé à son gouvernement, ne se trouvant pasautorisé à proposer ou à accepter des règles de droit
international, en une matière aussi grave (réponse du29 novembre 1877 ). L'envoyé extraordinaire et minis-
tre plénipotentiaire du Brésil a exprimé l'opinion, que,
parmi les cas de réclamations directes de la part des
agents diplomatiques admises par l'article 2 du décret
du 17 avril 1846, il fallait ranger ceux où il y aurait eudéni de justice, ou sentence notoirement injuste. « Lestraités et tes actes émanés du suprême gouvernementdu Pérou, ajoutait-il, sanctionnent cette pratique,quelque grand que soit le respect dû aux tribunaux
péruviens, et quelque indépendante que l'administra-tion de la justice soit du pouvoir exécutif » (réponse
(1) La réponse est du 29 novembre 1877. L'article 11 du traitéde 1883 est ainsi conçu : « Ni pour les causes antérieures, nipour toute autre cause quelconque, il ne sera produit et admisde réclamations diplomatiques, de la part d'une des parties con-tractantes contre l'autre, pendant les instances légales des pro-cès, ni contre les sentences définitives et passées en force dechose jugée conformément aux lois. Elles n'auront heu quedans les cas où, conformément aux lois et aux principes dudroit, il y aurait eu injustice notoire ».
PROTECTION DES NATIONAUX 489
du 29 novembre 1877). Après en avoir référé à son gou-vernement, le chargé d'affaires d'Allemagne a faitconnaître que le gouvernement allemand avait la con-fiance que le décret du 17 avril 1846, ne donn erait oc-casion à aucunes difficultés internationales et qu'ilcroyait, par conséquent, devoir se réserver, pour les cas
d'application qui se présenteraient, une pleine liberté
d'appréciation ; d'autant plus que, suivant lui, à défautde stipulations contenues dans les traités, les règles etles usages du droit international sont les seules basessur lesquelles on doit s'appuyer pour déterminer letraitement des sujets allemands au Pérou, et non cer-taines dispositions unilatérales ( réponse du 2 niai
1878). L'envoyé extraordinaire et ministre plénipoten-tiaire du Chili manifesta que parmi les cas où le gou-vernement péruvien jugerait admissibles les réclama-
tions diplomatiques directes, il faudrait évidemment
ranger ceux où les procédures et les sentences seraient
entachées d'une injustice notoire ( réponse du 30 no-
vembre 1877). L'envoyé de la République de San-Sal-
vador fit une observation semblable (réponse du 30
novembre 1877 ). L'agent anglais s'en rapporta à une
protestation du consul général d'Angleterre, du ler mai
1846 (réponse du 6 décembre 1877) (1).
Il résulte de cette nouvelle correspondance diplo-
matique: 1° que le gouvernement péruvien n'admet
que dans des cas restreints les réclamations directe-
ment présentées par les ministres publics, en faveur de
leurs nationaux ;
2° Qu'il exige que les étrangers lésés s'adressent
préalablement aux corps judiciaires et autres autorités
de la République, pour faire valoir leurs droits ;
(1) Voir les pièces annexées au mémoire présenté par le mi-
nistre des relations extérieures au Congrès ordinaire de 1878,
sous le titre de Réclamations diplomatiques. On trouve dans la
réponse de l'agent anglais cette mention, que les consuls géné-
raux de la reine doivent être considérés comme agents diplo-
matiques, pendant l'absence du chef de la mission.
490 PROTECTION DES NATIONAUX
3° Qu'il admet les réclamations diplomatiques di-
rectes, dans le cas de déni de justice, ou de retard ;4° Qu'il admet encore les réclamations diplomatiques
directes, dans les cas où elles sont admises par le droit
des gens, et où elles sont susceptibles d'être résolues
par le gouvernement ;5° Qu'il passe sous silence les cas où les corps judi-
ciaires péruviens rendraient des sentences manifeste-
ment, notoirement injustes ;6° Qu'il s'attache fortement à faire ressortir l'indé-
pendance absolue du pouvoir judiciaire, et de montrer
ce pouvoir hors de toute action du pouvoir exécutif.
Il en résulte aussi : 1° que les légations étrangèresont une tendance à étendre la sphère des réclamations
diplomatiques directes ;2° Qu'elles s'accordent pour comprendre dans les
cas de réclamations diplomatiques directes, ceux où
des sentences notoirement injustes auraient été ren-
dues par les corps judiciaires du Pérou.
Ordonnance française du 28 novembre 1833.
Le profit de la protection due par l'État à ses natio-
naux à l'étranger est subordonné nécessairement à la
condition que la qualité de national sera justifiée (1).
(1) Tous les Français ont un droit égal à la protection de leur
pays, à l'étranger ; mais aucun d'eux ne peut la réclamer qu'a-près s'être mis par lui-même en mesure d'administrer la preuvede sa qualité de citoyen français. Le passeport est le titre leplus habituellement présenté pour justifier de cette qualité. Leslois de la France prescrivent même à tout français arrivant àl'étranger, de soumettre cette pièce au visa des agents du gou-vernement, afin de s'assurer leur protection. Dans beaucoup derésidences, les passeports sont conservés en chancellerie, et nesont rendus aux déposants que lorsqu'ils le requièrent pourquitter le pays. A défaut de passeport délivré par une autoritéfrançaise, les Français à l'étranger peuvent encore se faire re-connaître comme tels en présentant, soit un acte de naissanceou de mariage, soit un congé de libération de service, ou toutautre pièce authentique, telle, par exemple, qu'un certificat
PROTECTION DES NATIONAUX 491
Cette justification se fait quelquefois par l'immatricula-tion dans les chancelleries diplomatiques et consulai-res. Les individus non immatriculés n'étant pas connusd'une manière officielle, pourront-ils ou non être défen-dus? Aux termes de l'ordonnance française du 28 no-vembre 1833, les Français résidant à l'étranger qui vou-dront s'assurer la protection du consul dans l'arrondis-sement duquel ils sont établis, ainsi qu'un moyen de justi-fier de leur esprit de retour, et la jouissance des droits et
privilèges déjà attribués, ou qui pourront l'être à l'ave-nir, par les traités, les lois ou ordonnances, aux seuls
Français immatriculés, devront se faire inscrire, aprèsla justification de leur nationalité, sur un registre ma-
tricule, tenu à cet effet dans la chancellerie de chaqueconsulat » (Art. 1er). « Il ne sera perçu ancun droit
pour l'inscription sur ce registre » (Art. 2). « Des cer-
tificats d'immatriculation seront délivrés aux personnesinscrites qui en feront la demande » (Art. 3 ). « Ne
pourront-être admis à l'immatriculation, et seront rayésdu registre, s'ils ont été inscrits, les Français qui,
d'après les lois du royaume, auront encouru la perte de
la nationalité » (Art. 4). S'il faut s'en tenir au texte de
cette ordonnance, la protection diplomatique due aux na-
tionaux français à l'étranger est subordonnée, sinon ri-
goureusement au fait de l'immatriculation, du moinsl
facultativement : ce qui est évidemment excessif (1). I
d'immatriculation dans une autre résidence. Voir le Guide pra-
tique des consulats, édition de 1880, t. I, p. 413 et suiv.Le Conseil d'État de France a jugé, le 26 avril 1855 (affaire Du
Penhoat), que les faits de négligence imputés aux agents du
gouvernement français à l'étranger, dans l'accomplissement de
leurs devoirs de protection envers les nationaux, et l'insuccès
des négociations diplomatiques ouvertes pour obtenir la répa-ration du préjudice causé à des Français par les agents d'un
gouvernement étranger, ne peuvent donner heu à un recours
devant le Conseil d'État par la voie contentieuse. Le décision
ministérielle qui rejette la demande en indemnité formée contre
l'État, comme responsable du fait de ses agents, n'est pas sus-
ceptible de pourvoi.(1) La question du rapatriement des Français sans ressources
se rattache à celle de la protection des nationaux à l'étranger.
492 PROTECTION DES NATIONAUX
est certain que la nationalité doit être justifiée, pour
que la protection puisse être invoquée utilement;
mais l'immatriculation n'est qu'une des nombreu-
ses manières de justifier la nationalité, et il devrait
suffire que l'agent diplomatique, ou que le consul, con-
nussent la nationalité française de l'individu qui invo-
que la protection, pour qu'ils fussent obligés de la lui ac-
corder. Mais le texte de l'ordonnance de 1833 est for-
mel sur ce point, et la pratique suivie par les chan-
En principe, le rapatriement n'est accordé qu'aux nationauxsans ressources qui appartiennent à un service public : ces fraisde rapatriement ne concernent le département des affaires étran-
gères que dans les cas très-rares où il s'agit de personnes dé-
pendant de son service, ou que leur position fait rentrer dansses attributions; quant aux personnes appartenante d'autres ser-
vices publics, les dépenses de leur rapatriement sont rembourséespar le département ministériel auquel appartiennent les rapa-triés. Mais il y a plus de difficultés pour le rapatriement des Fran-
çais dépourvus de toute ressource qui sont étrangers aux ser-vices publics : c'est le ministre de l'intérieur, dans les attribu-tions duquel rentrent les secours aux indigents, qui supporte lesfrais de leur rapatriement, lorsque cette faveur leur est accor-
dée, ce qui est rare. Les auteurs du Guide pratique des consulatsfont remarquer que les frais de rapatriement des indigents n'ap-partenant à aucun service publie doivent toujours être renfer-més dans les limites les plus étroites : « en principe, disent-ils,cette faveur du rapatriement n'est due à personne, elle ne doitêtre accordée que très-rarement, et elle engage toujours la res-
ponsabilité de l'agent qui l'ordonne, si elle n'a pas été préalable-ment autorisée. S'il fallait en effet que l'État rapatriât à ses fraistous ceux qui, conduits à l'étranger par de folles espérances,finissent par se trouver sans ressources, ce serait là une de sescharges les plus lourdes et qui tendrait à s'accroître tous lesjours d'une manière fun este pour les intérêts du Trésor. »« Conduits par de folles espérances », soit, mais si ces espérancessont raisonnables, si elles sont légitimes, si elles sont honorablesmême pour le pays de celui qui s'expatrie volontairement ? Il y alà une appréciation à faire des circonstances, des situations. Ondira que la condition de l'autorisation préalable n'exclut pasabsolument l'octroi de la faveur ; mais il y a des cas d'urgence.Il serait nécessaire d'accorder plus d'initiative, à cet égard, auxagents extérieurs, qui sont les meilleurs juges des besoins réels.Voir le Guide pratique des consulats, édition de 1880, t. 1er, p.263 et suiv.
PROTECTION DES NATIONAUX 493
celleries françaises est en général conforme à ce texte.C'est qu'en France, l'immatriculation est surtout consi-dérée comme un moyen de police : l'administration
française tient ses nationaux à l'étranger par le moyende l'immatriculation (1).
(1) MM. de Clercq et de Vallat assignent un triple but à l'im-matriculation : elle rend plus efficace la protection des Fran-çais à l'étranger ; elle facilite la surveillance que les agents sonttenus d'exercer sur leurs nationaux; elle fournit à ces derniersun moyen pratique de justifier que leur établissement à l'étran-ger est fait avec esprit de retour. Ces auteurs ne font pas dépen-dre toutefois de l'immatriculation le droit à la protection natio-nale ; ils considèrent que l'inscription est purement facultative,et ils ajoutent que l'agent qui refuserait son appui à un Français,par la seule raison qu'il aurait négligé de se faire inscrire sur leregistre matricule, se rendrait coupable d'un véritable déni dejustice. Il faut distinguer : l'inscription est facultative, mais auxrisques et périls du Français qui ne s'est pas fait inscrire, et telleest en effet la pratique observée dans les chancelleries diploma-tiques et consulaires. Ce dont j'ai été témoin pendant monséjour de six années dans l'Amérique du Sud, m'a démontré
que les agents extérieurs de la France font dépendre de l'imma-triculation la protection, si précaire cependant, qu'ils doivent àleurs nationaux. Non-seulement, suivant le conseil des auteursdu Guide pratique des consulats, ils entretiennent les Fran-çais résidant à l'étranger de l'utilité de se faire volontairementimmatriculer, pour prévenir, de la part des autorités locales,tout doute ou incertitude sur la conservation de leur qualité de
français ; non-seulement ils leur font remarquer qu'en s'abste-nant de remplir une formalité conçue dans leur intérêt même,ils s'exposent éventuellement à ce qu'aux termes de l'article 17du code civil, leur établissement à l'étranger soit considéré com-me formé sans esprit de retour, mais encore ils leur déclarent
que le fait de ne pas se soumettre à l'immatriculation les place-rait dans la situation de ne pas pouvoir réclamer, le cas échéant,la protection de leur pays. J'affirme que très fréquemment, de1874 à 1880, j'ai eu l'occasion de combattre cette doctrine erronée.
Quelques privilèges sont attachés à l'immatriculation : ainsi,l'instruction du 30 novembre 1833 réserve, à moins d'impossibi-lité absolue, aux seuls Français immatriculés, le droit de servir
de témoins instrumentaires devant les chanceliers, et les lois sur
la navigation marchande établissent que, pour devenir pro-
priétaire unique d'un bâtiment portant le pavillon de la France,le Français qui réside à l'étranger doit fournir la preuve qu'il est
immatriculé dans une chancellerie diplomatique ou consulaire.
494 PROTECTION DES NATIONAUX
Dispositions du règlement consulaire du Pérou.
La législation péruvienne est beaucoup plus large, à
cet égard. Le réglement consulaire du 22 juin 1876
impose aux consuls l'obligation d'inscrire sur un re-
gistre spécialies Péruviens résidant dans leur district,
en mentionnant dans cette inscription les noms et
prénoms de ces Péruviens, leur âge, le lieu de leur
naissance, leur état civil, leur religion, leur profes-sion et leur dernier domicile, les noms de leurs pèreet mère et de leurs enfants, s'ils vivent, et les docu-
La seule condition imposée aux Français pour obtenir leur im-matriculation est la preuve de leur nationalité : l'inscription surle registre matricule ne saurait donc être refusée à ceux quiseraient privés, par suite de condamnations judiciaires, de toutou partie de leurs droits civils ou politiques, l'exercice de cesdroits étant indépendant de la qualité de français, aux termesde l'article 7 du code civil. Les circulaires ministérielles récom-mandent toutefois de faire autant que possible mention de cettecirconstance dans l'acte d'immatriculation de ces individus. L'im-matriculation se constate par l'inscription sur un registre spé-cial, dont la tenue est obligatoire. L'acte d'immatriculation indi-
que les noms et les prénoms du requérant, son âge, le lieu desa naissance, sa profession, son dernier domicile en France oucelui de ses auteurs, sa position quant au mariage, s'il estmarié ou veuf, le nombre, les prenons, l'âge et le sexe de sesenfants ; il doit être signé du requérant et de deux témoins cons-tatant son identité, et il mentionne les pièces justificatives de sanationalité produites à l'appui de sa demande. Les diversespièces produites par les requérants au moment de l'immatricu-lation sont conservées en chancellerie, après avoir été para-phées par l'agent qui les reçoit et par le déposant. Lorsqu'unFrançais non immatriculé vient à décéder à l'étranger laissantdes enfants mineurs, il peut être procédé d'office à l'immatricula-tion de ces derniers. Il n'est perçu aucun droit pour l'inscriptiondes Français sur le registre matricule : la délivrance des certifi-cats d'immatriculation aux personnes qui les requièrent estseule soumise à l'application du tarif des chancelleries. LesFrançais qui, d'après les lois françaises, ont encouru la pertede leur nationalité, doivent être rayés du registre matricule.Voir : De Clercq et de Vallat, Guide pratique des consulats, édi-tion de 1880, t. Ier, p. 440 et suiv., 439 et suiv.
PROTECTION DES NATIONAUX 495
ments justificatifs de leur nationalité. L'acte d'imma-triculation est signé par deux témoins, et un certi-ficat est délivré à l'immatriculé (Art. 232). Ce même
réglement est fort exigeant, puisqu'il veut que l'ins-
cription sur le registre matricule soit renouvelée au
commencement de chaque année (Art. 233), et ce-
pendant il dispose que les consuls ne pourront refuser
leur protection aux Péruviens non immatriculés, et qu'ilsdevront toutefois les inscrire immédiatement (Art.
239). Le règlement consulaire péruvien est conforme
au vrai principe : ce n'est pas à l'immatriculé que la
protection est due : c'est au national.
FIN DU TOME PREMIER
TABLE DES CHAPITRES
DU TOME PREMIER
CHAPITRE PREMIER.
La Diplomatie.—
Signification des mots : Diplo-matie, Diplomate. — Le Droit Diplomatique.
— LeCérémonial Public. — Le Commerce Diplomatique.— L'Histoire Diplomatique. — L'Office de la Diplo-matie. — Qualités Diplomatiques. — L'Education Di-
plomatique. — La Carrière Diplomatique 1
CHAPITRE II.
Point de départ des questions relatives au cérémo-
nial public.—
L'égalité des États. — Règles à déduire
du droit primitif d'égalité naturelle des États. — Res-
trictions du principe de l'égalité. — Questions com-
prises dans le cérémonial politique. — Questions
comprises dans le cérémonial personnel des sou-
verains. — Questions comprises dans le cérémonial
dit d'ambassade. — Honneurs royaux. — Titres et
dignités. — Reconnaissance des titres et dignités.—
Le titre d'empereur.— La dignité impériale.
— Le
titre de roi. — La dignité royale. — Titres et dignités
de grand-duc, électeur, duc, prince, margrave, land-
grave, hospodar, sultan, pape, czar. — Qualifications
honorifiques. — Titres religieux portés par certains
chefs d'États. — Titres de prétention.— Titres de
mémoire. — Titres pompeux.— Traitement des chefs
d'États entre eux 42
32
498 TABLE DES CHAPITRES
CHAPITRE III.
Le rang. — La préséance. — Fondement du ranget de la préséance. — Point de vue du droit naturel.
—L'égalité juridique et l'inégalité sociale. — Com-
ment se règle la hiérarchie entre les nations. — Argu-ment tiré de l'ancienneté de la conversion à la religionchrétienne ; des relations de protection, de fief ou de
cens ; de la.haute dignité des vassaux appartenant à
l'État. — Argument tiré d'une culture intellectuelle et
morale plus avancée. — Argument tiré de l'ancienneté
de l'indépendance des États.— Argument tiré de l'an-
cienneté de la famille régnante.— Argument tiré de la
forme du gouvernement. — Argument tiré du titre du
chef du gouvernement.—Argument tiré du chiffre de la
population. — Quelle est la vraie base d'appréciation?—
Existe-t-il, entre les États, une règle générale pourdéterminer le rang des États et de leurs chefs ? — Le
règlement du pape Jules II. — Tentative du congrès
de Vienne. — Importance des questions relatives au
rang et à la préséance. — Incident du comte d'Estrade
et du baron de Vatteville, en 1661. — Affaire du comte
de Merle et do lord Kinnoul, en 1760. — Une fière pa-role de Siéyès. — Pratique moderne, quant au ranget à la préséance. — Rang des têtes couronnées et desautres chefs d'États monarchiques. — Rang des Répu-bliques. — L'égalité du rang des États peut être mo-difiée. — Le changement dans la forme du gouverne-ment n'influe pas nécessairement sur le rang. — Or-dre à suivre dans les rangs. — I. Rencontres person-nelles. — Visites des chefs d'États. — Rang qu'on yobserve. — II. Ordre des places dans les écrits :1° quand le rang est déterminé entre États de rangs iné-
gaux; 2° quand le rang n'est pas déterminé, ou que lesÉtats intéressés sont d'un rang égal reconnu. — L'ar-ticle 7 du règlement du 19 mars 1815, sur le rang desagents diplomatiques. — Moyens de prévenir les dis-
putes de préséance dans les rencontres personnelles.... 76
TABLE DES CHAPITRES 499
CHAPITRE IV.
Questions relatives au cérémonial personnel deschefs d'États. —
Correspondance officielle des chefsd'États. — Lettres de chancellerie,de cérémonie ou deconseil.— Lettres de cabinet. — Lettres autographes.— Usage de ces différentes sortes de lettres. — Lettres
patentes. — Lettres closes. —Notifications que se fontentre eux les chefs d'États. — Notification d'avène-ment au trône. — Avènement d'un pape. — Les am-bassades d'obédience. — Établissement d'une ré-
gence. — Élection d'un président de république. —
Nomination d'un co-régent. — Notification d'abdica-tion. — Notification de réunion d'un État à une cou-ronne étrangère. —Notification de reconnaissance d'un
État. — Autres communications que se font les chefs
d'États. — Compliments de condoléance et félicita-
tions. — Anniversaires. — Notification d'événements
de famille. — Deuils de cours. — Mariages..— Baptê-mes. — Présents. — Ordres de chevalerie. —
Récep-tion de princes étrangers. — Compliments aux chefs
d'États étrangers à leur passage. — Les chefs d'États
en voyage et la fiction de l'exterritorialité. — Excep-tions au bénéfice de l'exterritorialité. — Un prési-dent de république en voyage jouit-il de l'exterrito-
rialité ? — Critique de l'exterritorialité. — Transition
au cérémonial d'ambassade 115
CHAPITRE V.
Le cérémonial d'ambassade. — Le droit d'ambas-
sade. — Le droit de négociation. — Le commerce
diplomatique ou international. — Source du droit
d'ambassade. — Le droit d'ambassade dans l'anti-
quité.— Les Féciaux. — Fin de l'antiquité. — Bas-
Empire. — Diplomatie vénitienne. — Le Bailo. —
Temps modernes. — Missions permanentes. —Avan-
tages des missions permanentes.— Fondement du
500 TABLE DES CHAPITRES
droit d'ambassade. — A qui appartient le droit d'en-
voyer des agents diplomatiques?— Les États mi-
souverains jouissent-ils du droit d'ambassade? — Et
les États tributaires ? — Le droit d'ambassade actif
appartiont-il à un État uni à d'autres par un lien fédé-
ral ? — 1° Système d'États confédérés. — 2° État fédé-
ral. — Le droit d'envoyer des ministres publics appar-
tient-il à des vice-rois, ou à des gouverneurs de pro-
vinces éloignées ? — A qui, dans un État, appartient
l'exercice du droit d'envoyer des agents diplomatiquesà l'étranger. — Le droit d'envoyer des ministres ap-
partient-il à un roi détrôné ? — A un usurpateur ? —
Cas où le droit d'envoyer des ministres est douteux ou
contesté. — L'exercice du droit d'ambassade actif est-
il forcé?— Un État peut-il se faire représenter par
l'agent diplomatique d'un État étranger ? — Un même
ministre peut-il être chargé, en même temps, de plu-sieurs missions près de différents gouvernements ? —
Du droit d'ambassade passif. — A qui ce droit appar-tient-il ? — Y a-t-il obligation, pour un État souverain,de recevoir des ministres publics des autres Puis-
sances ? — L'État de guerre influe-t-il sur le droit
d'ambassade actif et passif? — Conditions mises à la
réception des ministres publics. — Refus do recevoir.— Quelle est, actuellement, à propos du droit d'am-
bassade actif et passif, la situation des envoyés des
Puissances étrangères auprès du Saint-Siège, et des
envoyés du pape auprès des gouvernements étran-
gers ? — Doctrine des auteurs italiens. — Critique decette doctrine 155
CHAPITRE VI.
Qu'est-ce qu'un ministre public ? — Qu'entend-on
par Corps diplomatique ? — Le Ministre des affaires
étrangères. — Attributions de ce ministre. — Organi-sation de l'administration centrale des affaires étran-
gères. — Le chef de cabinet du ministre. — Le secré-taire général. — La direction des affaires politiques.
TABLE DES CHAPITRES 501— Le service du protocole. — Le bureau du conten-tieux. — La direction du commerce et des consulats.— Les directions de comptabilité et de chancellerie. —La direction du personnel. — La direction des ar-
chives.—Quelques exemples d'organisation de l'admi-nistration centrale des affaires étrangères. — France.— Angleterre. —
Belgique. — Pérou. —Le réglementpéruvien du 5 avril 1878. — Les deux sections du mi-nistère des relations extérieures du Pérou. — L'« Ofi-cialmayor ». — Les chefs de sections. — Attributions
qui leur sont communes. — Attributions du chef de lasection diplomatique. —Attributions du chef de la sec-tion des consulats, de chancellerie et de comptabilité.— Attributions de l' « Oficial de partes ». — Attributionsde l'« Oficial». — L'archiviste. — Attributions des« oficiales segundos » et des commis. — Tenue inté-
rieure du ministère. — Installation du ministre des af-faires étrangères. — Visites. — Ouverture des salons.— Dîners officiels — Audiences. — Démission du mi-
nistre des affaires étrangères. —Réponse du corps
diplomatique étranger. — Correspondance du ministre
des affaires étrangères. — Qualités que doit réunir
un bon ministre des affaires étrangères, un bon di-
recteur ou un bon chef de division ou de section. . . 200.
CHAPITRE VII.
Le personnel diplomatique. — Diverses catégories
d'agents extérieurs. — Quels sont les agents diploma-
tiques? — Double qualité des agents diplomatiques.
—Que distingue-t-on dans les ministres publics? —
Caractère représentatif (qualité essentielle). — Carac-
tère cérémonial ou de cérémonie (qualité accidentelle).— Cas où l'agent diplomatique envoyé auprès d'un gou-vernement étranger est sujet de ce dernier. — Carac-
tère international mixte. — Par qui est déterminé le
rang du ministre public à envoyer ? — Y a-t-il une.
règle absolue et fixe, quant au nombre des ministres à
envoyer à une même Puissance?— Sous quels points
502 TABLE DES CHAPITRES
de vue les ministres publics diffèrent-ils entre eux ? —
1° Point de vue de l'étendue des pouvoirs.— 2° Point
de vue de la durée de la mission. — 3° Point de vue
de la nature des affaires dont les ministres sont
chargés. — 4° Point de vue de la classe à laquelle les
ministres publics appartiennent.— Origine des diffé-
rents ordres de ministres publics. — Réglement sur le
rang entre les agents diplomatiques, fait à Vienne en
1815, — Protocole des conférences d'Aix-la-Chapelle
du 20 novembre 1818, au sujet du rang des ministres
résidents. — Combien existe-t-il de classes de minis-
tres publics?— Ministres publics de la première
classe. — Les ambassadeurs. — Les légats et les
nonces. — Le droit d'envoyer des ministres de pre-mière classe n'appartient-il qu'aux États qui peuvent
prétendre aux honneurs royaux ? — Ministres publicsde la seconde classe. — Envoyés, etc. — Envoyés or-
dinaires. — Envoyés extraordinaires. — Envoyés ex-
traordinaires et ministres plénipotentiaires. — Inter-
nonces. — Ministres publics de la troisième classe. —
Résidents. — Ministres publics de la quatrième classe.— Chargés d'affaires. — Observation générale au su-
jet de ces quatre classes de ministres publics. —Pointsde vue sous lesquels on peut considérer la questiondu rang des ministres publics. — Rang des ministres
publics entre eux : 10 en lieu tiers. — Les inter-nonces du pape ont-ils le pas sur les envoyés et minis-tres ordinaires et extraordinaires des autres Puissances?— Réglement de la préséance, dans le cas où les agentsdiplomatiques déjà en fonctions remettent de nouvelleslettres de créance, à l'occasion d'un même événement.— Les chargés d'affaires accrédités par lettres du mi-nistre des affaires étrangères ont-ils la préséance surceux qui ne remplissent qu'un service intérimaire ? —
Résumé. — Rang des ministres publics entre eux : 2°dans leur propre hôtel. — Du rang des ministres pu-blics vis-à-vis de tierces personnes. — Consuls géné-raux chargés d'affaires. —
Députés et commissaires. 244
TABLE DES CHAPITRES 503
CHAPITRE VIII.
Composition du personnel diplomatique dans diffé-rents pays. — La diplomatie russe. — Le personneldiplomatique français. —
Rapport et ordonnance du16 décembre 1832. —
Rapport et ordonnance du 1ermars 1833. —
Rapport adressé, le 15 mars 1848, par leministre des affaires étrangères français auCouve'me-ment provisoire, sur les titres à donner aux agents di-
plomatiques de la République française. — Circulairedu 31 juillet 1853, sur la coopération des attachés di-
plomatiques libres aux travaux de chancellerie. — Dé-cret du 18 août 1856 relatif au nombre et à la classifi-cation des secrétaires d'ambassade. —
Réglement dumois d'avril 1860. — Positions diverses des agentset fonctionnaires du ministère des affaires étrangèresen France. — Le corps diplomatique anglais. — Le
corps diplomatique belge. — Confédération Argen-tine. — Chili. — États-Unis de Colombie. — Equa-teur, etc. — Le corps diplomatique péruvien. — Dé-crets du 31 juillet 1846. — Loi du 9 novembre 1853.
—Loi du 25 mai 1861. —Mémoire de M. Pachéco, du
15 février 1867, au Congrès constituant. —Mémoire de
M. D. Juan-Manuel Polar, au Congrès de 1868. —
Projet de réforme présenté le 4 novembre 1868. —Dé-
cret du 13 juin 1871. — Loi du 28 avril 1873. — Exem-
ples d'envois de missions extraordinaires, de mis-
sions temporaires, d'agents confidentiels, de commis-
saires, etc., tirés de l'histoire diplomatique du Pérou.— Retour au sujet principal. — Rémunération des
services des agents diplomatiques.— Choix des mi-
nistres publics.— Choix de la classe des ministres à
envoyer. — Choix du nombre des ministre à envoyer.— Droit de décider si l'on réunira ou non plusieurs
missions dans le même ministre public.— Choix de la
personne du ministre public.— Nationalité du mi-
nistre. — Age du ministre. — Religion du ministre. —
Condition sociale du ministre. — Sexe du ministre. —
504 TABLE DES CHAPITRÉS
Secret des raisons qui peuvent avoir déterminé le gou-
vernement dans ses choix. — Refus de recevoir les mi-
nistres publics.— Refus général.
— Refus spécial.—
L'agréation.— Formalités de l'agréation.
— Usage de
Vienne, de Berlin, de Saint-Pétersbourg.— Usage da-
nois. — Usage anglais. — Résumé. 297
CHAPITRE IX.
Pièces et documents dont doit être muni le ministre
public.— Les instructions. — Différentes sortes d'ins-
tructions. — Un agent diplomatique péùt-il s'écarter
de ses instructions ? — Un agent diplomatique peut-il
agir sans instructions ? — Les instructions peuvent-elles être communiquées ? —Instructions expédiées en
double. — Forme habituelle des instructions. — Le
chiffre. — Le plein pouvoir. — Formes du plein pou-voir. — Lettres patentes. — Lettres cachetées. —
Diverses sortes de pouvoirs. — Effets des actes des
ministres publics accomplis dans les termes de leur
pouvoir. — Pluralité des pouvoirs. — La lettre de
créance. — Forme de la lettre de créance. — Est-il
répondu à la lettre de créance? — Cas où le souverain
qui a nommé et accrédité l'agent diplomatique vient àmourir ou à abdiquer. — Cas où le souverain qui anommé et accrédité l'agent diplomatique vient à êtrerenversé par une révolution. — Cas où le souverain
auprès duquel l'agent diplomatique a été accréditévient à mourir ou à abdiquer. — Le régent du royaume,pendant la minorité du roi, a-t-il qualité pour rece-voir personnellement les lettres de créance d'un agentdiplomatique expressément accrédité auprès de la per-sonne royale ? — Cas où le souverain auprès duquell'agent diplomatique était accrédité vient à être ren-versé par une révolution. — Cas où l'agent diplomati-que est élevé en grade pendant la durée de sa mission.— Cas de nomination d'un nouveau ministre des affai-res étrangères. — Cas de lettres de créance provi-soires. — Autres lettres dont peuvent être munis les
TABLE DES CHAPITRES 505
ministres publics. — Lettres d'adresse ou de recom-mandation. — La lettre de rappel. — La lettre de ré-créance. — Énonciations ordinaires des lettres de rap-pel et des lettres de récréance. — Rappel des char-
gés d'affaires. —A partir de quel moment le ministre
public jouit-il de la protection du droit des gens? —Audiences accordées aux ministres publics. — Au-diences solennelles. —
Réception des ministres publicsde la première classe. — L'audience solennelle de
réception est-elle de rigueur ? —Réception des mi-
nistres publics de la seconde classe. — Réceptiondes ministres publics de la troisième classe. — Ré-
ception des ministres publics de la quatrième classe.— Audiences privées. — Audiences pendant le coursde la mission. — Discours d'audiences. — Visites
diplomatiques.— Présentation des secrétaires, des
attachés de légation et des étrangers de distinction. 355
CHAPITRE X.
Devoirs et attributions des agents diplomatiques.— Rôle de représentation de son gouvernement. —
Exemple : correspondance diplomatique au sujet de la
présence du général Florès au Pérou, en 1855. — Au-
tres exemples. — Rôle d'observation. — Rapportsconstants avec le gouvernement auprès duquel le mi-
nistre est accrédité. — Les ministres publics ne doi-
vent et ne peuvent pas exercer leurs fonctions à dis-
tance. —Occupations du ministre public. — Travail
particulier du ministre public. — Communications du
ministre public avec son gouvernement.— Secret de
la correspondance. — Le ministre public doit être dis-
cret. — Négociations du ministre public. — Négocia-
tions directes. — Négociations indirectes. — Négocia-
tions verbales. — Négociations par écrit. — Négocia-
tions entre ministre des affaires étrangères et chef do
mission. — Communications sans négociation.— Pro-
tection des nationaux à l'étranger. — La protection
par voie diplomatique ne doit pas être prématurée.
506 TABLE DES CHAPITRES
— Affaire de la maison Dreyfus. —Affaire Martinez.
—Décret péruvien de Ramon Castilla, du 17 avril 1846.— Lettre du 4 février 1857. — Circulaire du 24 février
1857. — Circulaire du 25 janvier 1859.— Le sac de
Callao, en 1868. — Circulaire du 16 novembre 1877.— Ordonnance française du 8 novembre 1833. — Dis-
positions du réglement consulaire du Pérou 428
TABLE DES CHAPITRES DU TOME PREMIERCHAPITRE PREMIER. La Diplomatie. - Signification des mots: Diplomatie, Diplomate. - Le Droit Diplomatique. - Le Cérémonial Public. - Le Commerce Diplomatique. - L'Histoire Diplomatique. -L'Office de la Diplomatie. - Qualités Diplomatiques. - L'Education Diplomatique. - La Carrière DiplomatiqueCHAPITRE II. Point de départ des questions relatives au cérémonial public. - L'égalité des Etats. - Règles à déduire du droit primitif d'égalité naturelle des Etats. - Restrictions du principede l'égalité. - Questions comprises dans le cérémonial politique. - Questions comprises dans le cérémonial personnel des souverains. - Questions comprises dans lecérémonial dit d'ambassade. - Honneurs royaux. - Titres et dignités. - Reconnaissance des titres et dignités. - Le titre d'empereur. - La dignité impériale. - Le titre de roi. -La dignité royale. - Titres et dignités de grand-duc, électeur, duc, prince, margrave, landgrave, hospodar, sultan, pape, czar. - Qualifications honorifiques. - Titres religieuxportés par certains chefs d'Etats. - Titres de prétention. - Titres de mémoire. - Titres pompeux. - Traitement des chefs d'Etats entre euxCHAPITRE III. Le rang. - La préséance. - Fondement du rang et de la préséance. - Point de vue du droit naturel. - L'égalité juridique et l'inégalité sociale. - Comment se règle la hiérarchieentre les nations. - Argument tiré de l'ancienneté de la conversion à la religion chrétienne; des relations de protection, de fief ou de cens; de la haute dignité des vassauxappartenant à l'Etat. - Argument tiré d'une culture intellectuelle et morale plus avancée. - Argument tiré de l'ancienneté de l'indépendance des Etats. - Argument tiré del'ancienneté de la famille régnante. - Argument tiré de la forme du gouvernement. - Argument tiré du titre du chef du gouvernement. - Argument tiré du chiffre de lapopulation. - Quelle est la vraie base d'appréciation?- Existe-t-il, entre les Etats, une règle générale pour déterminer le rang des Etats et de leurs chefs? - Le règlement dupape Jules II. - Tentative du congrès de Vienne. - Importance des questions relatives au rang et à la préséance. - Incident du comte d'Estrade et du baron de Vatteville, en1661. - Affaire du comte de Merle et de lord Kinnoul, en 1760. - Une fière parole de Siéyès. - Pratique moderne, quant au rang et à la préséance. - Rang des têtescouronnées et des autres chefs d'Etats monarchiques. - Rang des Républiques. - L'égalité du rang des Etats peut être modifiée. - Le changement dans la forme dugouvernement n'influe pas nécessairement sur le rang. - Ordre à suivre dans les rangs. - I. Rencontres personnelles. - Visites des chefs d'Etats. - Rang qu'on y observe. -II. Ordre des places dans les écrits: 1° quand le rang est déterminé entre Etats de rangs inégaux; 2° quand le rang n'est pas déterminé, ou que les Etats intéressés sontd'un rang égal reconnu. - L'article 7 du règlement du 19 mars 1815, sur le rang des agents diplomatiques. - Moyens de prévenir les disputes de préséance dans lesrencontres personnellesCHAPITRE IV. Questions relatives au cérémonial personnel des chefs d'Etats. - Correspondance officielle des chefs d'Etats. - Lettres de chancellerie, de cérémonie ou de conseil. -Lettres de cabinet. - Lettres autographes. - Usage de ces différentes sortes de lettres. - Lettres patentes. - Lettres closes. - Notifications que se font entre eux les chefsd'Etats. - Notification d'avènement au trône. - Avènement d'un pape. - Les ambassades d'obédience. - Etablissement d'une régence. - Election d'un président derépublique. - Nomination d'un co-régent. - Notification d'abdication. - Notification de réunion d'un Etat à une couronne étrangère. - Notification de reconnaissance d'un Etat.- Autres communications que se font les chefs d'Etats. - Compliments de condoléance et félicitations. - Anniversaires. - Notification d'évènements de famille. - Deuils decours. - Mariages. - Baptêmes. - Présents. - Ordres de chevalerie. - Réception de princes étrangers. - Compliments aux chefs d'Etats étrangers à leur passage. - Les chefsd'Etats en voyage et la fiction de l'exterritorialité. - Exceptions au bénéfice de l'exterritorialité. - Un président de république en voyage jouit-il de l'exterritorialité? - Critique del'exterritorialité. - Transition au cérémonial d'ambassadeCHAPITRE V. Le cérémonial d'ambassade. - Le droit d'ambassade. - Le droit de négociation. - Le commerce diplomatique ou international. - Source du droit d'ambassade. - Le droitd'ambassade dans l'antiquité. - Les Féciaux. - Fin de l'antiquité. - Bas-Empire. - Diplomatie vénitienne. - Le Bailo. - Temps modernes. - Missions permanentes. - Avantagesdes missions permanentes. - Fondement du droit d'ambassade. - A qui appartient le droit d'envoyer des agents diplomatiques? - Les Etats misouverains jouissent-ils dudroit d'ambassade? - Et les Etats tributaires? - Le droit d'ambassade actif appartient-il à un Etat uni à d'autres par un lien fédéral? - 1° Système d'Etats confédérés. - 2° Etatfédéral. - Le droit d'envoyer des ministres publics appartient-il à des vice-rois, ou à des gouverneurs de provinces éloignées? - A qui, dans un Etat, appartient l'exercice dudroit d'envoyer des agents diplomatiques à l'étranger. - Le droit d'envoyer des ministres appartient-il à un roi détrôné? - A un usurpateur? - Cas où le droit d'envoyer desministres est douteux ou contesté. - L'exercice du droit d'ambassade actif est-il forcé? - Un Etat peut-il se faire représenter par l'agent diplomatique d'un Etat étranger? - Unmême ministre peut-il être chargé, en même temps, de plusieurs missions près de différents gouvernements? - Du droit d'ambassade passif. - A qui ce droit appartient-il? -Y a-t-il obligation, pour un Etat souverain, de recevoir des ministres publics des autres Puissances? - L'Etat de guerre influe-t-il sur le droit d'ambassade actif et passif? -Conditions mises à la réception des ministres publics. - Refus de recevoir. - Quelle est, actuellement, à propos du droit d'ambassade actif et passif, la situation des envoyésdes Puissances étrangères auprès du Saint-Siège, et des envoyés du pape auprès des gouvernements étrangers? - Doctrine des auteurs italiens. - Critique de cettedoctrineCHAPITRE VI. Qu'est-ce qu'un ministre public? - Qu'entend-on par Corps diplomatique? - Le Ministre des affaires étrangères. - Attributions de ce ministre. - Organisation del'administration centrale des affaires étrangères. - Le chef de cabinet du ministre. - Le secrétaire général. - La direction des affaires politiques. - Le service du protocole. -Le bureau du contentieux. - La direction du commerce et des consulats. - Les directions de comptabilité et de chancellerie. - La direction du personnel. - La direction desarchives. - Quelques exemples d'organisation de l'administration centrale des affaires étrangères. - France. - Angleterre. - Belgique. - Pérou. - Le réglement péruvien du 5avril 1878. - Les deux sections du ministère des relations extérieures du Pérou. - L'"Oficial mayor". - Les chefs de sections. - Attributions qui leur sont communes. -Attributions du chef de la section diplomatique. - Attributions du chef de la section des consulats, de chancellerie et de comptabilité. - Attributions de l'"Oficial de partes". -Attributions de l'"Oficial". - L'archiviste. - Attributions des "oficiales segundos" et des commis. - Tenue intérieure du ministère. - Installation du ministre des affairesétrangères. - Visites. - Ouverture des salons. - Dîners officiels - Audiences. - Démission du ministre des affaires étrangères. - Réponse du corps diplomatique étranger. -Correspondance du ministre des affaires étrangères. - Qualités que doit réunir un bon ministre des affaires étrangères, un bon directeur ou un bon chef de division ou desectionCHAPITRE VII. Le personnel diplomatique. - Diverses catégories d'agents extérieurs. - Quels sont les agents diplomatiques? - Double qualité des agents diplomatiques. - Que distingue-t-on dans les ministres publics? - Caractère représentatif (qualité essentielle). - Caractère cérémonial ou de cérémonie (qualité accidentelle). - Cas où l'agent diplomatiqueenvoyé auprès d'un gouvernement étranger est sujet de ce dernier. - Caractère international mixte. - Par qui est déterminé le rang du ministre public à envoyer? - Y a-t-ilune règle absolue et fixe, quant au nombre des ministres à envoyer à une même Puissance? - Sous quels points de vue les ministres publics diffèrent-ils entre eux? - 1°Point de vue de l'étendue des pouvoirs. - 2° Point de vue de la durée de la mission. - 3° Point de vue de la nature des affaires dont les ministres sont chargés. - 4° Point devue de la classe à laquelle les ministres publics appartiennent. - Origine des différents ordres de ministres publics. - Réglement sur le rang entre les agents diplomatiques,fait à Vienne en 1815. - Protocole des conférences d'Aix-la-Chapelle du 20 novembre 1818, au sujet du rang des ministres résidents. - Combien existe-t-il de classes deministres publics? - Ministres publics de la première classe. - Les ambassadeurs. - Les légats et les nonces. - Le droit d'envoyer des ministres de première classen'appartient-il qu'aux Etats qui peuvent prétendre aux honneurs royaux? - Ministres publics de la seconde classe. - Envoyés, etc. - Envoyés ordinaires. - Envoyésextraordinaires. - Envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires. - Internonces. - Ministres publics de la troisième classe. - Résidents. - Ministres publics de laquatrième classe. - Chargés d'affaires. - Observation générale au sujet de ces quatre classes de ministres publics. - Points de vue sous lesquels on peut considérer laquestion du rang des ministres publics. - Rang des ministres publics entre eux: 1° en lieu tiers. - Les internonces du pape ont-ils le pas sur les envoyés et ministresordinaires et extraordinaires des autres Puissances? - Réglement de la préséance, dans le cas où les agents diplomatiques déjà en fonctions remettent de nouvelles lettresde créance, à l'occasion d'un même événement. - Les chargés d'affaires accrédités par lettres du ministre des affaires étrangères ont-ils la préséance sur ceux qui neremplissent qu'un service intérimaire? - Résumé. - Rang des ministres publics entre eux: 2° dans leur propre hôtel. - Du rang des ministres publics vis-à-vis de tiercespersonnes. - Consuls généraux chargés d'affaires. - Députés et commissairesCHAPITRE VIII. Composition du personnel diplomatique dans différents pays. - La diplomatie russe. - Le personnel diplomatique français. - Rapport et ordonnance du 16 décembre 1832. -Rapport et ordonnance du 1er mars 1833. - Rapport adressé, le 15 mars 1848, par le ministre des affaires étrangères français au Gouvernement provisoire, sur les titres àdonner aux agents diplomatiques de la République française. - Circulaire du 31 juillet 1853, sur la coopération des attachés diplomatiques libres aux travaux dechancellerie. - Décret du 18 août 1856 relatif au nombre et à la classification des secrétaires d'ambassade. - Réglement du mois d'avril 1860. - Positions diverses desagents et fonctionnaires du ministère des affaires étrangères en France. - Le corps diplomatique anglais. - Le corps diplomatique belge. - Confédération Argentine. - Chili. -Etats-Unis de Colombie. - Equateur, etc. - Le corps diplomatique péruvien. - Décrets du 31 juillet 1846. - Loi du 9 novembre 1853. - Loi du 25 mai 1861. - Mémoire de M.Pachéco, du 15 février 1867, au Congrès constituant. - Mémoire de M. D. Juan-Manuel Polar, au Congrès de 1868. - Projet de réforme présenté le 4 novembre 1868. -Décret du 13 juin 1871. - Loi du 28 avril 1873. - Exemples d'envois de missions extraordinaires, de missions temporaires, d'agents confidentiels, de commissaires, etc.,tirés de l'histoire diplomatique du Pérou. - Retour au sujet principal. - Rémunération des services des agents diplomatiques. - Choix des ministres publics. - Choix de laclasse des ministres à envoyer. - Choix du nombre des ministre à envoyer. - Droit de décider si l'on réunira ou non plusieurs missions dans le même ministre public. - Choixde la personne du ministre public. - Nationalité du ministre. - Age du ministre. - Religion du ministre. - Condition sociale du ministre. - Sexe du ministre. - Secret des raisonsqui peuvent avoir déterminé le gouvernement dans ses choix. - Refus de recevoir les ministres publics. - Refus général. - Refus spécial. - L'agréation. - Formalités del'agréation. - Usage de Vienne, de Berlin, de Saint-Pétersbourg. - Usage danois. - Usage anglais. - RésuméCHAPITRE IX. Pièces et documents dont doit être muni le ministre public. - Les instructions. - Différentes sortes d'instructions. - Un agent diplomatique peut-il s'écarter de sesinstructions? - Un agent diplomatique peut-il agir sans instructions? - Les instructions peuvent-elles être communiquées? - Instructions expédiées en double. - Formehabituelle des instructions. - Le chiffre. - Le plein pouvoir. - Formes du plein pouvoir. - Lettres patentes. - Lettres cachetées. - Diverses sortes de pouvoirs. - Effets des
actes des ministres publics accomplis dans les termes de leur pouvoir. - Pluralité des pouvoirs. - La lettre de créance. - Forme de la lettre de créance. - Est-il répondu à lalettre de créance? - Cas où le souverain qui a nommé et accrédité l'agent diplomatique vient à mourir ou à abdiquer. - Cas où le souverain qui a nommé et accrédité l'agentdiplomatique vient à être renversé par une révolution. - Cas où le souverain auprès duquel l'agent diplomatique a été accrédité vient à mourir ou à abdiquer. - Le régent duroyaume, pendant la minorité du roi, a-t-il qualité pour recevoir personnellement les lettres de créance d'un agent diplomatique expressément accrédité auprès de lapersonne royale? - Cas où le souverain auprès duquel l'agent diplomatique était accrédité vient à être renversé par une révolution. - Cas où l'agent diplomatique est élevéen grade pendant la durée de sa mission. - Cas de nomination d'un nouveau ministre des affaires étrangères. - Cas de lettres de créance provisoires. - Autres lettres dontpeuvent être munis les ministres publics. - Lettres d'adresse ou de recommandation. - La lettre de rappel. - La lettre de récréance. - Enonciations ordinaires des lettres derappel et des lettres de récréance. - Rappel des chargés d'affaires. - A partir de quel moment le ministre public jouit-il de la protection du droit des gens? - Audiencesaccordées aux ministres publics. - Audiences solennelles. - Réception des ministres publics de la première classe. - L'audience solennelle de réception est-elle de rigueur?- Réception des ministres publics de la seconde classe. - Réception des ministres publics de la troisième classe. - Réception des ministres publics de la quatrième classe. -Audiences privées. - Audiences pendant le cours de la mission. - Discours d'audiences. - Visites diplomatiques. - Présentation des secrétaires, des attachés de légation etdes étrangers de distinctionCHAPITRE X. Devoirs et attributions des agents diplomatiques. - Rôle de représentation de son gouvernement. - Exemple: correspondance diplomatique au sujet de la présence dugénéral Florès au Pérou, en 1855. - Autres exemples. - Rôle d'observation. - Rapports constants avec le gouvernement auprès duquel le ministre est accrédité. - Lesministres publics ne doivent et ne peuvent pas exercer leurs fonctions à distance. - Occupations du ministre public. - Travail particulier du ministre public. - Communicationsdu ministre public avec son gouvernement. - Secret de la correspondance. - Le ministre public doit être discret. - Négociations du ministre public. - Négociations directes. -Négociations indirectes. - Négociations verbales. - Négociations par écrit. - Négociations entre ministre des affaires étrangères et chef de mission. - Communications sansnégociation. - Protection des nationaux à l'étranger. - La protection par voie diplomatique ne doit pas être prématurée. - Affaire de la maison Dreyfus. - Affaire Martinez. -Décret péruvien de Ramon Castilla, du 17 avril 1846. - Lettre du 4 février 1857. - Circulaire du 24 février 1857. - Circulaire du 25 janvier 1859. - Le sac de Callao, en 1868. -Circulaire du 16 novembre 1877. - Ordonnance française du 8 novembre 1833. - Dispositions du réglement consulaire du Pérou