Chapitre 2: Marius, Fanny, et César
Dans ce chapitre, nous verrons la suite de la première représentation des
idées de l'auteur dans Topaze. Marius, Fanny, et César forment ce qu'on appelle
aujourd'hui La Trilogie Marseillaise;1 dans le Vieux-Port de Marseille, Marcel
Pagnol crée un monde moins cruel que celui de Topaze, mais un monde où la
parole et le rire continuent à primer. Bien que la communauté évolue dans cette
œuvre à trois volets et quoique la première pièce ne soit pas conçue avec des
séquelles, il convient de survoler la trilogie telle qu'elle demeure aujourd'hui.
C'est le succès de Marius qui engendre les deux prochaines oeuvres
dramatiques de la trilogie. Marius, pièce en quatre actes, est présenté pour la
première fois à Paris le 9 mars 1929 sur la scène du Théâtre de Paris. Pagnol
écrivait l'histoire de Marius pendant qu'il travaillait Topaze car, comme il explique
en 1969 dans la Préface de l'Edition de Provence, ce n'est qu'après quatre ans de la
vie parisienne qu'il découvre son amour pour Marseille, la ville de son enfance.2
Et, puisque Topaze tient l'affiche depuis cinq mois au Théâtre des Variétés quand
Marius triomphe en même temps, c'est, selon Raymond Castans, "un doublé
unique dans l'histoire du théâtre"3. Bien que les deux pièces semblent, à première
vue, très différentes, il y a une continuité certaine dans la thématique.
Marius est l'histoire d'un jeune homme qui travaille dans le Bar de la
Marine, café dont le propriétaire est son père, César. Dans ce bar, tous les copains
du quartier se réunissent pour bavarder et jouer aux cartes. Marius, lui, a la folie
de la mer; il est encouragé par Piquoiseau, personnage curieux et peu developpé
qui paraît suggérer à la fois par son nom ("piqué" comme fou et "oiseau" comme
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celui qui s'envole) et par sa marginalité vis-à-vis de la communauté, le désir d'être
ailleurs. Ce "fada"4 parle de ses voyages autour du monde à Marius. Alors le
jeune homme veut naviguer sur les mers (comme son nom, Marius, l'indique) et
voir le monde. Le personnage est symbolique aussi de n'importe quel jeune
romantique qui veut quitter sa ville natale pour vivre sa passion. Ce qui le retient
pendant un temps, c'est son amour pour Fanny; celle-ci vend des coquillages
devant le Bar de la Marine. Elle veut épouser Marius car depuis longtemps déjà
elle est amoureuse de lui. Mais puisque Fanny a peur que Marius regrette un jour
son mariage avec elle, elle se sacrifie pour que son amoureux puisse partir. C'est
ainsi que le fils de César et l'amant de Fanny part avant le mariage et quitte la
communauté du Vieux-Port. Fanny insiste pour qu'il s'en aille afin de suivre son
désir.
Au début de Fanny, on voit combien Marius manque à son père et à celle
qui l'aime; vers le milieu de la pièce, celle-ci découvre qu'elle est enceinte.
Quoiqu'elle adore Marius et propose de l'attendre, sa mère, Honorine (dont le nom
a sûrement à voir avec l'honneur) et sa tante, Claudine, insistent pour qu'elle se
marie le plus tôt possible pour sauvegarder l'honneur de la famille. A cause de la
tante Zoé, la réputation de cette famille-là est déjà mise en question. (Les règles
de la société semblent admettre qu'un membre d'une famille--mais non deux--n'ait
pas d'honneur.) Fanny est donc aux ordres de sa mère et ainsi, elle accepte
d'épouser Panisse, un riche veuf sans enfants. Panisse5 est un commerçant du
Vieux-Port qui sait gagner son pain; il sait aussi que Fanny attend un bébé; c'est un
homme seul qui aura donc une famille toute faite et une jeune femme en se
mariant. Deux ans plus tard, quand Marius revient à Marseille pour rendre visite à
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son père, il apprend la vérité et réclame sa femme et son fils. Mais c'est son propre
père, César, qui lui explique que le vrai père de Césariot est Panisse parce qu'il
aime et élève l'enfant. Il renvoie donc son fils de Marseille et l'exclut ainsi de sa
ville natale et de la communauté.
Quand César commence, vingt années ont passé et Panisse est en train de
mourir. Le curé, en confessant celui-ci, lui demande d'expliquer à Césariot qu'il
n'est pas son père biologique. Le mourant ne peut pas le faire; alors c'est Fanny
qui explique la vérité à son fils après la mort de son mari.6 Le jeune
polytechnicien est choqué que "Papa" ne soit pas son père et il va à la recherche de
Marius. Celui-ci est maintenant le propriétaire d'un garage à Toulon. Césariot est
déçu par Marius qu'il croit malhonnête. Mais à la fin de la trilogie, Marius vient se
défendre auprès de son père. Dans le film, c'est César--avec l'aide de Césariot--qui
arrange le mariage entre Marius et Fanny; dans le texte, Fanny dit à Marius que
rien n'est irréparable. Le lecteur comprend ainsi que le couple renouvellera son
amour. Mais vingt ans ont quand même passé et puisque César vieillit, il faut
passer le pouvoir à la prochaine génération. Marius sera donc réintégré dans la
communauté après que César lui cèdera sa place.
Pour revenir donc à l'évolution de la communauté dans la carrière de
Pagnol, les deux pièces, Topaze et Marius, qui jouent en même temps à Paris à
partir de 1929, contiennent chacune une communauté dont les membres sont liés
par un dialogue--généralement comique; cependant, la différence de ton entre les
deux pièces indique un changement de genre. La satire souvent cruelle des
institutions de la Troisième République présentée dans Topaze disparaît sous un
voile de tendresse et d'humour bon enfant dès que la collectivité est transposée à la
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province natale de l'auteur, la Provence, pays ensoleillé et attaché à la culture
méditerranéenne.
La communauté change donc de lieu, mais comme nous verrons, son
fonctionnement en tant que microcosme est constant, car le Vieux-Port de
Marseille est le quartier idéal pour développer la primauté de la parole et la
prééminence du rire et de la galéjade. En se servant des stéréotypes et des
plaisanteries marseillaises déjà connues, Pagnol va redéfinir Marseille en créant
des personnages mythiques pour peupler un quartier pittoresque et joyeux.7 En
effet, si la trilogie existe aujourd'hui, c'est parce que l'immensité du succès de
Marius et de ses personnages folkloriques a amené l'auteur à écrire Fanny et
ensuite César. D'ailleurs, la plupart des oeuvres pagnoliennes après Topaze se
dérouleront en Provence où l'auteur dépeindra l'équivalent des quartiers populaires
à Paris qui sont représentés dans beaucoup de films des années 1930.8 C'est donc
grâce à la réussite de Marius que nous avons cette association Pagnol-Provence qui
formera la base de toute la réputation mondiale de Marcel Pagnol.9
Le ton de cruauté qu'on entend dans Topaze réapparaîtra de temps à autre
dans l'oeuvre de Pagnol--surtout sous l'influence de son compatriote de la Haute
Provence, Jean Giono. Nous verrons, par exemple, des situations pénibles dans
Angèle--et aussi après la Deuxième Guerre Mondiale, dans Manon des Sources.10
Cependant, la coloration normalement associée par la critique et par le public aux
oeuvres pagnoliennes est celle de La Trilogie Marseillaise.
Tandis que dans Topaze, trois institutions--l'école, le commerce et la
politique--constituent toute la société, la communauté du Vieux-Port de Marseille
est réduite surtout aux commerçants du quartier et aux fonctionnaires représentés
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par le personnage de Monsieur Brun. Mais le fonctionnement de cette collectivité
est beaucoup plus complexe et nuancé, en partie parce qu'elle traverse trois
oeuvres et parce qu'elle a le temps de se développer et d'évoluer. Et puis, dans les
textes pagnoliens, il y a peu d'actions et l'auteur prend son temps pour raconter
l'histoire à sa façon. Puisque les personnages sont récurrents, on a l'impression
qu'il s'agit de la même collectivité, mais en réalité, la configuration de la
communauté dans chaque oeuvre est différente. Il convient , d'ailleurs, de
considérer cette communauté non pas comme un groupe de personnages mais
plutôt comme un prétexte à un certain dialogue.
Certains personnages portent certaines thématiques à travers les trois
oeuvres. Par exemple, César est toujours l'incarnation du rôle du père dans tous
ses aspects--père, grand-père, beau-père, parrain et chef de famille. Panisse est la
personnification du commerce et de l'honneur--le gentilhomme provençal. Au
début, Fanny incarne la sexualité, mais son rôle change après qu'elle décide
d'épouser Honoré; elle ne menace plus le groupe et elle devient un membre de la
communauté. Je vais donc d'abord analyser la communauté telle qu'elle apparaît
au début de Marius et ensuite nous verrons son évolution et comment l'existence
de la collectivité est menacée...d'abord par Marius, puis par Fanny, et finalement
par César.
Quelle est la communauté dans la trilogie marseillaise? C'est d'abord les
deux côtés d'une famille élargie dont l'ordre est patriarcal. D'un côté, il y a César
et son fils, Marius, et de l'autre côté, nous voyons Honorine et sa fille, Fanny.
César et Honorine sont veufs, et si l'on met ces quatre personnages ensemble, ils
forment la famille idéale--père, mère, fils et fille--et une continuation probable de
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la communauté. Dans Marius, on reste surtout dans le monde masculin avec
quelques interventions d'Honorine. La structure du premier acte de Fanny, par
contre, contient deux tableaux dont le premier contient l'espace des hommes et le
deuxième, l'espace des femmes. L'auteur essaie donc d'explorer l'autre côté de la
question, bien que la résolution de la pièce se passe chez Panisse où Maître Panisse
domine la parole. Dans César, avant la mort de Panisse, les hommes et les femmes
discutent ensemble dans la salle à manger au rez-de-chaussée. La communauté,
une famille étendue, semble donc plus égalitaire ou moins divisée vers la fin de la
trilogie parce que tout le monde est inclus dans un seul lieu et dans la même
discussion.
Ensuite, il y a les amis qui se réunissent dans le Bar de la Marine: ce sont
des hommes d'un certain âge--veuf, célibataire ou cocu. Ils travaillent tous dans le
Vieux-Port. La collectivité est provençale, à l'exception de Monsieur Brun qui est
accepté par les Marseillais parce qu'il s'intègre au groupe et parce qu'il a de
l'instruction. César et Panisse sont des commerçants; Escartefigue est le capitaine
du ferry-boat qui lie une rive du port à l'autre. De temps à autre, on voit des
personnages secondaires comme le chauffeur ou le facteur; leur présence suggère
un quartier entier autour du Bar de la Marine. Par contraste, toute une série
d'étrangers y passent aussi; il y a le quartier-maître breton, la Malaise, l'Arabe,
l'Annamite, et l'Italien. Leur non-appartenance au groupe délimite la communauté
aux copains quotidiens du café.
La communauté dans cette trilogie pagnolienne est déjà en place dès le
début de Marius; son fonctionnement dépend du verbe et de la compréhension des
règles de sa grammaire. Cependant, dans Fanny et dans César, la configuration du
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groupe change et on voit des échos de certains scènes prononcées dans Marius et
répétées avec des variations dans le deuxième et le troisième volets. Le public les
reconnaît et la continuité de la communauté diégétique se construit parallèlement à
celle du public de la salle grâce aux clins d'oeil offerts par les scènes analogues.
En voici quelques exemples:
1. La scène entre l'Annamite et César dans Fanny est un écho de celle
entre la Malaise et Marius dans Marius. Il s'agit d'une confrontation entre la
communauté marseillaise et le reste du monde. Marseille est une ville
cosmopolite, et plus tard, César demandera: "le Bon Dieu d'Elzéar,--le nôtre
enfin--si ça N'ÉTAIT PAS LE VRAI?"11 Cette question souligne le fait que les
Marseillais sont en contact avec des Musulmans, des Hindous, des Chinois et des
Africains. La différence entre les deux scènes est que Marius est gentil envers
l'étranger tandis que César se montre raciste et coléreux. Marius est tenté par
l'aventure et César est amer, ayant déjà perdu son fils.
2. Dans Marius, César demande au chauffeur d'appeler Panisse; celui-là
crie son nom au lieu d'aller le chercher et il entre donc dans le dialogue. Dans
Fanny, Honorine demande au chauffeur de tourner la tête pour voir si Fanny
arrive; cela entame toute une conversation parce qu'il demande cinq sous pour le
faire. Dans ces deux scènes, un troisième personnage entre dans un dialogue à
deux pour élargir le cercle de l'échange des paroles.
3. Dans une scène mémorable, César explique l'honneur à son fils; il lui
dit: "...l'honneur, c'est comme les allumettes: ça ne sert qu'une fois"12. La
réplique féminine est entendue dans Fanny, quand Norine dit: "Après tout,
l'honneur, c'est pénible de le perdre. Mais quand il est perdu, il est perdu"13.
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4. Un dialogue entre hommes qui mettent toute la violence dans le langage
se passe dans Marius entre celui-ci et Panisse. Le sujet de la discussion est Fanny,
celle que les deux hommes aiment; dans Fanny, la discussion reprend, mais cette
fois-ci, les interlocuteurs sont Panisse et César. Il s'agit encore une fois du
mariage de Fanny, mais ici, César parle pour son fils qui n'est plus à Marseille.
César dit à Panisse: "Je sens que nous sommes sur le point de crier comme deux
marchands de brousses, et qu'à la fin, je t'étranglerai une fois de plus"14.
La communauté est la valeur sûre dans les trois oeuvres et Marius est le
contre-exemple de ce qu'il faut faire pour appartenir au groupe; sa transgression est
de partir. Le leitmotiv de la fugue de Marius (sens littéral et figuré) traverse donc
les trois oeuvres avec des conséquences et des contrepoints qui apparaissent de
temps à autre pour redéfinir la thématique centrale, celle de la survie de la
communauté.
La communauté
Pendant le cours du premier acte de Marius, les personnages principaux
apparaissent un à un pour que nous puissions les connaître séparément et les
distinguer avant de voir le fonctionnement de l'ensemble. Dès la première scène, à
cause de l'iconographie de Marseille et de l'accent, la communauté est désignée
comme provençale. Au début, les membres les plus importants de la communauté
du Vieux-Port de Marseille sont: César, Panisse, Monsieur Brun, Escartefigue et
Honorine. Dans Fanny, Claudine sera ajoutée à la collectivité--surtout dans
l'espace créé pour les femmes, et dans César, le curé Elzéar et le docteur Félicien
se joindront au groupe qui perdra pourtant le père Panisse.
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Une grande famille
A la base de la communauté, c'est d'abord une grande famille disjointe dont
l'ordre est patriarcal. Le premier lien, par conséquent, est celui entre les parents et
leurs enfants. Dans son livre intitulé tout simplement Pagnol, Jacques Bens
explique comment la relation père-fils a toujours préoccupé Marcel Pagnol.15
Ginette Vincendeau note avec justesse combien de relations père-fille il existe
dans les films de Pagnol et dans les films français des années 1930 en général.16
Après l'expérience de la Première Guerre Mondiale où la France a perdu vingt
pour cent de sa population mâle, on reconnaît combien la survie de la communauté
exige que ses valeurs soient transmises d'une génération à une autre. Dans
Topaze, c'est le professeur qui est responsable de cette transmission d'idées, mais
dans Marius (où le monde est composé des marchands du Vieux-Port), ce sont les
parents qui ont le devoir de surveiller à la survie de la collectivité.
Quoique La Trilogie Marseillaise semble, à première vue, être une histoire
d'amour entre Fanny et Marius ou un conte romantique basé sur une quête de
quelque chose par le héros, la véritable thématique de cette saga qui est soutenue
par le texte de Pagnol est la perpétuation de la communauté dans ce quartier petit-
bourgeois de Marseille.17 Dans Fanny, César deviendra également grand-père et
parrain. César assumera donc tous les rôles paternels pour sauvegarder la vie de
cette communauté. C'est cette survie de la collectivité qui informe toute l'histoire,
bien qu'au début, l'auteur lui-même n'eût pas l'idée d'écrire trois ouvrages; c'est le
texte qui l'emporte et dicte la fin de la trilogie.
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Il est essentiel aussi de noter l'importance du titre de chaque oeuvre; pour
Pagnol, le titre indique "le centre d'intérêt"18 de la pièce, et le personnage principal
nommé dans chaque oeuvre devient le centre d'intérêt précisément parce qu'il
risque de dissoudre la communauté. C'est lui qui menace la cohésion du groupe.
Ainsi, dans Marius, c'est le départ de celui-ci qui interrompt la possibilité d'un
dialogue entre le père et le fils. Son départ est le résultat d'un père qui domine la
parole; le fils de César n'a pas accès à la parole. Sa seule façon de s'exprimer est
de se retirer, c'est-à-dire de fuir la communauté. Dans Fanny, si l'héroïne n'épouse
pas Panisse, son fils n'aura pas de nom et ne fera pas partie du groupe social. C'est
donc de sa décision à elle que la future collectivité dépend. Dans César, la
passation de pouvoir d'une génération à la suivante est en danger, car si César ne
cède pas la parole à Marius, la famille et la communauté resteront divisées. Il faut
que Marius soit accepté dans la société de sa femme et de son fils.
Jacques Bens considère l'organisation de la communauté pagnolienne
comme celle d'une tribu.19 J'essaierai de démontrer que dans la plupart des oeuvres
de Pagnol, la collectivité est une communauté villageoise où il y a des points de
vue opposés exprimés et où les voix sont pluralistes; je concède pourtant que de
toutes les oeuvres pagnoliennes, c'est La Trilogie Marseillaise où la communauté
peut être vue comme une tribu à cause de l'autorité du chef et patriarche, César.
Même Monsieur Brun, celui qui ose commenter, parfois ironiquement, les
déclarations de César, est soumis au pouvoir de César parce que le douanier est
lyonnais et s'incline devant le chef marseillais; le groupe provençal l'accepte, mais
César ne manque pas une occasion de rappeler à tout le monde le statut de cet
"étranger" qui n'est pas natif de Marseille. César dit: "...s'il me plaît de faire un
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tour, je n'ai pas besoin de demander la permission à un Lyonnais"20. Dans César,
nous voyons que l'autre personnage instruit typiquement dans les scénarios de
Pagnol, le curé, est aussi aux ordres de César dans cette trilogie car ils étaient
copains pendant leur jeunesse et l'autorité de César continue à trôner.
Dans son article qui s'appelle "In the name of the father: Marcel Pagnol's
'trilogy': Marius (1931), Fanny (1932), César (1936)," Ginette Vincendeau
démontre que dans la trilogie, le texte crée des situations où il semble mettre en
question la survie du patriarcat, mais qu'en réalité, l'ordre patriarcal n'est jamais
vraiment menacé parce que tous les dangers possibles sont définis par le patriarcat
lui-même.21 Vincendeau a parfaitement raison, mais ce qui est mis en question est
l'avenir de la communauté elle-même.
Au commencement de Marius, nous trouvons donc une famille divisée: du
côté masculin, nous voyons César et son fils Marius; du côté féminin, il y a
Honorine et sa fille Fanny. Chaque famille est incomplète. César est veuf et
Honorine est veuve. D'ailleurs, tous les adultes, sauf Escartefigue--qui est cocu--
sont soit veufs soit célébataires. Avant le mariage de Fanny avec Panisse, on ne
voit pas de ménages. C'est peut-être pour cela que la communauté a remplacé la
famille.
Dans la deuxième scène, nous comprenons que Fanny et Marius s'aiment;
ensuite, nous apprenons que les parents sont d'accord pour qu'ils se marient.
Puisqu'il n'existe pas d'obstacles naturels à cette union, le texte crée des raisons
pour que l'espace du texte existe afin de discuter le sort du couple, car le destin de
la communauté dépendra de celui du couple. La soeur d'Honorine, par exemple,
tante Zoé, est souvent mentionnée; c'est elle qui a déshonoré la famille en devenant
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prostituée. (Je parlerai d'elle plus tard au sujet de la fable dans La Trilogie
Marseillaise.) Si Zoé avait eu des enfants, on n'aurait pas su le nom de leur père.
La tante Claudine n'a pas d'enfants et Fanny est la fille unique d'Honorine.
Puisque Fanny est la seule descendante de la famille d'Honorine Cabanis,22 il serait
normal pour Fanny d'épouser Marius, le seul descendant de César Ollivier,23 patron
du Bar de la Marine dans le Vieux-Port de Marseille. Si les deux jeunes gens se
mariaient, la famille serait un cercle parfait et harmonieux, mais à l'exclusion des
autres membres de la communauté et du texte. Il faut que les autres membres de la
collectivité participent au dialogue pour créer et le texte et la communauté. Chez
Marcel Pagnol, c'est la collectivité qui fonctionne comme une grande famille et
c'est la parole qui lie les personnages du texte pagnolien.
Le premier acte de Fanny sert d'exposition (pour les rares personnes qui ne
connaissent pas Marius) ou de transition (pour les autres), car à la fin de cet acte,
l'action n'a pas avancé d'un pas et nous voyons une communauté qui manque de
joie parce qu'un de ses membres l'a abandonnée. Les hommes ne jouent plus aux
cartes parce que César est en colère. Tout le monde a remarqué que Fanny est
"toute pâlotte"24 et ne mange plus. Puisque l'action ne progresse pas, il faut
conclure que tout cet acte sert à montrer la réaction négative de la communauté à
la disparition d'un des siens. Marius est l'amant de Fanny et l'héritier de César; il
n'y aura plus de collectivité sans sa présence parce que Fanny et Marius sont les
seuls jeunes de la pièce. Si l'un ou l'autre est absent, la famille et la descendence
ne sont pas assurées et il ne reste que la génération des parents. Pour la survie de
la communauté, c'est mortel.25
50
La communauté pendant les trois oeuvres de La Trilogie Marseillaise est
donc créée par des liens familiaux et par une amitié solide et quotidienne qui
permet les échanges langagiers humoristiques et les provocations verbales
comiques qui finissent plutôt par une continuation du dialogue au lieu d'une scène
violente et finale.
Les amis du Bar de la Marine
Panisse, Escartefigue et Monsieur Brun sont les amis qui viennent chaque
jour au Bar de la Marine. Avec César, le patron du bar, ces personnages
bavardent, jouent ensemble aux cartes, et forment le coeur et le choeur de la
communauté.
Honoré Panisse est un commerçant influent et posé dans le Vieux-Port;
c'est le plus riche des membres du groupe. Il a un magasin de voiles; c'est le
maître-voilier, et comme César dit, après le départ de Marius: "Il fait les voiles,
lui! Il fait les voiles, pour que le vent emporte les enfants des autres!"26. Mais
Panisse, lui, est bien ancré à Marseille. Il n'a pas d'enfants et il est veuf depuis
trois mois quand l'action de Marius commence. C'est le meilleur ami de César
depuis l'enfance et ils ont cinquante ans tous les deux. Ginette Vincendeau
démontre que malgré le parallélisme apparent entre César et Honorine, le vrai
couple parental est formé par César et Panisse, et la preuve en est le nom de "leur"
enfant: Césariot Panisse. Elle explique que pour accentuer l'ordre patriarcal dans
les films des années 1930, la soi-disant division entre le rôle masculin et le rôle
féminin est souvent plus complexe parmi les personnages masculins; c'est bien le
cas dans les textes pagnoliens.27 Précisément, comme César joue le rôle des deux
51
parents après la mort de la mère de Marius, Panisse donne son nom et sa fortune à
Césariot. L'enfant est très dorloté par les deux hommes. Même Marius, quand il
revient s'établir à Toulon parce qu'il est exclu de Marseille, se lie avec Fernand de
façon à ce que ces deux hommes forment une sorte de couple.
La communauté a besoin de se recréer. Marius est mal vu par son père à
cause de la femme "vulgaire, insolente, fainéante"28 avec qui il vivait; il est mal vu
par son fils à cause des fréquentations de "gangsters" de son associé, Fernand. Les
hommes s'approprient donc le rôle des femmes (dans Fanny, c'est la jeune femme
qui est enceinte mais c'est Panisse qui a le gros ventre), et par conséquent, dans
cette collectivité où la loi du père domine, les seules femmes qui peuvent faire
partie de la communauté sont celles qui acceptent les valeurs patriarcales et
abandonnent leur désir et leur sexualité, comme Honorine, Claudine, et finalement,
Fanny. Quand celle-ci vient donner sa réponse à Panisse, la scène contient onze
pages (soit trois cent soixante-quatre lignes) dont la jeune n'en prononce que
cinquante-trois lignes. C'est sa situation de "fille perdue"29 qui ne lui donne pas le
droit de parler.
Dans cette scène, Panisse parle beaucoup plus qu'ailleurs dans le texte
parce qu'il va s'approprier le rôle du père et ce sera grâce à lui qu'il y aura une
autre génération. Il explique à Fanny qu'il voudrait un fils.30 Il mélange le
commerce, le travail et les enfants--parce que, selon lui, quand on n'a pas
d'enfants, on ne s'intéresse pas au magasin.31 Il ne travaille plus comme autrefois
parce qu'il n'a personne à nourrir.32 Alors, la conclusion de ce discours est que ce
qu'on laisse au monde est une autre génération. Dans cette scène, c'est Panisse qui
52
explique tout--ses sentiments aussi bien que ceux de Fanny, car c'est le maître-
voilier qui a le ventre, les sous, l'enfant qui naîtra, et donc, la parole.
Le rôle de Panisse dans cette communauté devient plus important dans le
deuxième volet de la trilogie. Au début, il n'est qu'un observateur et un membre
du choeur formé par Monsieur Brun, Escartefigue et lui-même. Quand il
comprend que Marius va partir, il essaie d'avertir César. Il agit en ami et il est prêt
à sacrifier ses propres intérêts pour ceux de son ami et pour le bien-être de la
communauté. Honoré Panisse devient un personnage principal dans Fanny quand
il accepte d'épouser la fille enceinte et d'être le père de l'enfant qui va naître. (Son
nom, d'ailleurs, explique sa fonction, car c'est lui qui fournit honorablement le pain
pour l'enfant et pour sa mère.)33
Ici, Panisse est le garant de la communauté et il a enfin autant d'importance
que César; l'action de la pièce se passera désormais chez lui. Jusqu'à sa mort, le
sort de la communauté du Vieux-Port est lié à celui du père Panisse. On apprendra
sa mort, d'ailleurs, indirectement comme Marius, qui est en exil. Le faire-part
dans le journal vu par Fernand annonce d'abord le nom des membres de la famille:
Fanny, Césariot, Honorine, et Claudine (dont le nom de famille apparaît--c'est
Foulon); ensuite, il y a le nom des amis: César, Monsieur Brun (dont le prénom
est Albert, comme Topaze, autre fonctionnaire), Escartefigue, le chauffeur
(Innocent Mangiapain), et le docteur (Félicien Venelle). Marius reconnaît, à la
mort de Panisse, qu'il "y a eu plus de ma faute que de la sienne"34. En prononçant
cette phrase, Marius prend ses responsabilités et pourra devenir membre de la
communauté.
53
Aux funerailles, derrière le corbillard, nous voyons d'abord Césariot, suivi
par le chauffeur, César, Escartefigue et Monsieur Brun. Puis, il y a des
commerçants, des juges au Tribunal de Commerce ou aux Prud'hommes, des
clients et des amis. Nous voyons ainsi toute la communauté organisée derrière le
corps du père Panisse.
Un autre membre de cette collectivité est Félix Escartefigue, capitaine du
ferry-boat et membre de la même génération que César et Panisse. Escartefigue
est toujours ridiculisé par César à cause de ses défauts--notamment, son manque
d'intelligence et de pudeur, et le fait qu'il est cocu. Escartefigue n'a pas d'enfants
non plus, et d'ailleurs, à cause de son cocuage, s'il en avait, on ne saurait pas s'ils
étaient à lui. De toute façon, son manque de compréhension condamnerait ses
enfants à un avenir peu glorieux.
A part l'élément comique toujours ajouté par le capitaine, il joue un autre
rôle essentiel dans la communauté; il sert de repoussoir à Marius, car il est celui
qui reste à Marseille tout en "navigant." Il traverse le Vieux-Port vingt-quatre fois
par jour depuis trente ans. C'est un travail, d'autre part, rendu inutile par la
construction du Pont Transbordeur, un exemple du progrès industriel et de la
modernité architecturale.35
Dès la première scène de Marius, l'attitude d'Escartefigue est contrastée
avec celle de Marius, celui qui a envie d'aller loin et donc de quitter la
communauté. Le jeune homme se permet d'exprimer son point de vue à Félix; cet
échange d'opinions éclaircit le caractère opposé des deux personnages. Marius ne
peut rien dire devant César, car comme un jeune enfant, il perd la parole devant
son père autoritaire.
54
Marius suggère donc son désir de quitter la communauté à Escartefigue. (Il
s'appelle Escartefigue, la figue étant un fruit de la Méditerranée, et non pas
Escartefugue, comme dans l'expression "faire la fugue.") Ce message est dans la
première scène de la pièce; la thématique de l'oeuvre est donc abordée tout de
suite. Il n'y a pas de danger que le capitaine répète cet aveu à César parce qu'il
n'est même pas sûr que Félix comprenne l'importance du sentiment de Marius.
(Dans la célèbre partie de cartes, acte III, scène i de Marius, Escartefigue met très
longtemps à comprendre que Panisse coupe à coeur.36 En tout cas, il répond: "Je
suis trop heureux ici..."37. Cela veut dire que bien que les autres, et surtout César,
se moquent continuellement du capitaine cocu et bête, il sait qu'il fait partie de
cette communauté et que sa place est dans le Vieux-Port.
Escartefigue est celui qui interprète chaque expression à la lettre, celui qui
manque de finesse, et parfois celui qui s'oppose aux autres; cela lui arrive de se
fâcher, même contre César. Quand César dit, pendant une partie de cartes, que
c'est dans la marine qu'il y a le plus de cocus,38 Félix se met en colère et il répond:
Que je sois cocu, ce n'est pas impossible, et ça n'a d'ailleurs aucune
importance. Et puis, moi, tu peux m'injurier, m'escagasser la
réputation, je m'en fous. Mais je te DEFENDS d'insulter la Marine
Française. Et après la phrase que tu viens de prononcer, je ne puis
plus faire la partie avec toi.39
Dans le texte pagnolien, si un personnage ne peut pas continuer le dialogue sur un
ton léger, il faut qu'il se retire. Escartefigue reviendra plus tard, et il l'annonce:
"Je me présenterai ici demain matin pour recevoir tes excuses"40. Alors, ce
dialogue qui permet des opinions opposées continuera le lendemain, mais si les
55
membres de la communauté ne se parlent pas, la collectivité s'effondre parce que
cette conversation est la colle qui lie les uns aux autres. Pendant qu'on ne se parle
pas, il y a la possibilité de la dissolution du groupe. Escartefigue peut s'exprimer,
se fâcher, et se réintégrer à la communauté le lendemain; Marius est incapable de
faire ainsi, et c'est pour cela qu'il s'enfuira.
Monsieur Brun est le dernier membre du choeur masculin et c'est sa
position dans la communauté qui définit tous les autres de la collectivité et leur
donne leur identité provençale parce que Monsieur Brun représente "l'autre" face à
la culture dominante, celle de Marseille.41 Monsieur Brun est différent parce qu'il
a de l'instruction, parce qu'il est fonctionnaire, et surtout, parce qu'il est Lyonnais.
D'ailleurs, on l'appelle Monsieur et on le vouvoie bien qu'il soit plus jeune que les
autres. Mais comme Ginette Vincendeau explique dans son article, la civilisation
marseillaise est une sous-culture et elle est donc déjà positionnée d'une façon
ambiguë.42 Monsieur Brun devient alors "l'autre" en face des "autres." Il s'oppose
aux commerçants du Vieux-Port et c'est donc l'existence de ce personnage-clé qui
définit la communauté des Marseillais.
Le texte présuppose que la norme sociale est Paris et, en effet, le premier
public qui voit Marius est parisien; ce fait ajoute du sel aux dialogues concernant
Paris. Par exemple, au début de Marius, le Lyonnais revient de Paris où il suivait
des cours pour être vérificateur dans une école de douanes. César et Panisse lui
demandent si "ce Paris, ça vaut la peine d'être vu"43. Quand Monsieur Brun répond
d'un ton admiratif et d'une façon affirmative en ajoutant qu'à Paris, il a vu au
moins trente Canebières,44 César et Panisse éclatent de rire, et César dit:
56
O Panisse! Trente Canebières! Et après, on dira que nous
exagérons! Et vous êtes vérificateur! Quelle mentalité! Ah! On
voit bien que vous êtes Lyonnais, vous!45
Cette réplique de César contient toute la nature équivoque de la trilogie, car tout en
se moquant de Monsieur Brun qui, quoique Lyonnais, défend la grandeur de la
capitale, César répète les stéréotypes associés avec les Marseillais--notamment
qu'ils exagèrent--pour les rendre ridicules, sauf que le public parisien rit de la
naïveté de César. Considérant tous les niveaux d'interprétation possible, il devient
clair que n'importe qui peut devenir "l'autre" par rapport à la société dominante.
Tout dépend de la façon de définir la société et aussi de celle définie par les
étrangers de la collectivité.
Monsieur Brun est souvent ridiculisé et traité de "Lyonnais" ou même de
"Gnafron"46 par César, mais celui-là porte aussi un jugement sur les Marseillais.
Monsieur Brun est le seul personnage (avant la fin de la trilogie) qui ose
répondre à César. Et, comme beaucoup de fonctionnaires dans les oeuvres
pagnoliennes, le regard de l'autre jette de la lumière sur la communauté.47 Alors,
Monsieur Brun, malgré les nombreuses plaisanteries bon enfant à son intention, est
toujours accepté dans ce groupe social auquel il veut s'associer. Son poste, son
instruction, et sa maîtrise de la parole le font respecter par toute la collectivité.
Un exemple de sa prouesse dans la langue aussi bien que son amour pour la ville
où il travaille est qu'il a écrit une prière à Notre-Dame de la Garde qu'il a donnée à
Piquoiseau. Celui-ci vient la réciter devant le douanier et devant Marius.48
L'histoire du Pitalugue, le bateau "un peu jaloux"49 qui chavire et qu'on
appelle "le Sous-Marin" présente un exemple de l'ouverture de la communauté.
57
César arrive chez le maître-voilier quand celui-ci est en train de vendre une voilure
complète pour ce bateau à Monsieur Brun qui vient de l'acheter sur un conseil de
Panisse. Si César ne pensait qu'à la communauté marseillaise, il n'avertirait pas
Monsieur Brun que le Pitalugue a une hélice trop grosse pour lui; il participerait à
la galéjade de son ami et son collègue en commerce. Mais César tient à contrarier
Panisse et il avertit Monsieur Brun. La preuve qu'il serait normalement contre le
Lyonnais est la réaction de celui-ci, car il dit: "Mon cher César, depuis un quart
d'heure, vous essayez de me mettre en boîte"50. Cette réponse de Monsieur Brun
prouve qu'il a vu d'autres galéjades. Alors, on voit que dans cette communauté, ce
n'est pas toujours les Marseillais contre les autres, et que finalement, il y a des
étrangers qui sont acceptés dans le groupe.
Monsieur Brun montre plus tard qu'il fait partie de la communauté en
excusant volontiers Panisse de lui avoir vendu le Pitalugue; pendant la scène de la
confession, en parlant du "péché de mensonge," Panisse dit qu'il l'a commis
continuellement--en jouant aux boules, en revenant de la pêche ou de la chasse, et
surtout,"...surtout, avec la clientèle...Tu comprends, Elzéar, s'il faut toujours dire la
vérité à la clientèle, il n'y a plus de commerce possible..."51. Cette remarque est
importante, car elle indique la primauté du mensonge tout en suggérant que la
vérité existe. Mais Monsieur Brun pardonne à Panisse en disant: "Ce n'était pas
un vrai mensonge, ce n'était qu'une galéjade"52. Ce pardon nous montre que
Monsieur Brun comprend et accepte la personnalité provençale.
Ceux qui manient bien la langue française sont les gens respectés dans la
communauté pagnolienne, car celle-ci est basée sur la parole. Même Escartefigue
comprend cela, car il dit à César: "On sait bien que ce que tu as dit, c'était pour
58
parler"53. Et Marius a déjà expliqué à Monsieur Brun, parlant de son père: "Il n'est
pas méchant, mais il crie volontiers"54. Dans César, pendant que Panisse (dans sa
chambre) se confesse au curé, César, Honorine, Claudine, Escartefigue et
Monsieur Brun (dans la salle à manger) parlent de la mort du mari de Claudine.
Claudine: ...Il avait cinquante-trois ans. Le médecin a dit qu'il était
mort de l'embouligue.
César (stupéfait): De l'embouligue? ... (se tâtant le nombril): Moi
aussi, j'ai un embouligue! Tout le monde a un embouligue!
Escartefigue (fièrement): Moi, le mien, il est grand comme une
pièce de cinq francs!
Claudine (supérieure): Mais, ça ne veut pas dire le nombril!
L'embouligue, dans le langage des savants, c'est une maladie. Le
médecin a dit: "C'est une espèce de bouchon qui se met dans les
artères." Et tout d'un coup, cloc! Ça s'éteint comme si on te
coupait le gaz!
César (scientifique): Ah! Elle veut dire embolidre!
Monsieur Brun (sans rire): Il y a même des gens qui appellent ça
une embolie!
César (condescendant): Oui. A Lyon.
Monsieur Brun: En effet. A Lyon.55
Ce qui rend comique ce dialogue est que celui qui a raison et connaît le
vocabulaire est celui qui est défini par la communauté diégétique comme
l'étranger. Pagnol emploie la même méthode déjà vue dans Topaze pour faire
appel au public. Dans Topaze, le public donne raison aux élèves en riant du
59
professeur; dans César, il donne raison à Monsieur Brun en se moquant de la
communauté marseillaise qui se considère pourtant comme la norme de la société.
Les copains ont parfois besoin de Monsieur Brun; il peut les aider parce
qu'il est expert en la logique et l'argumentation. Au début de Fanny, par exemple,
les amis de César savent que celui-ci souffre parce qu'il ne peut pas parler du
départ de son fils, Marius. D'ailleurs, ce qui menace le plus la survie de la
collectivité est le silence. On décide que Panisse essaiera de provoquer ses
confidences pour soulager la tristesse de son meilleur ami. Mais avant de
commencer, Panisse demande l'avis de Monsieur Brun:
Panisse: Alors, on y va...Qué, monsieur Brun?
M. Brun: Ne craignez rien, j'interviendrai.56
Et après l'explosion de César, c'est le Lyonnais qui mène toute la discussion à sa
fin, avec l'écho des autres derrière lui:
César: ...C'est vrai, je l'aimais beaucoup, cet enfant. Mais après ce
qu'il m'a fait, c'est fini.
M. Brun: (nettement) Mais en somme, qu'est-ce qu'il vous a fait?
Panisse: Oui, en somme?
Escartefigue: En somme? ...
César: (rugissant) Il m'a fait qu'il est parti!
M. Brun: Eh bien! A vingt ans ce garçon n'avait pas le droit de
partir?
César: Il n'avait pas le droit de partir sans me le dire. ...
Panisse: Mais s'il te l'avait dit, qu'est-ce que tu aurais fait?
60
César: Je lui aurais expliqué qu'il n'avait pas le droit.
Panisse: Et même, au besoin, tu le lui aurais expliqué à grands
coups de pied au cul?
César: Naturellement. Je te garantis bien qu'en moins d'un quart
d'heure, je lui aurais fait passer le goût de la marine!
M. Brun: Vous voyez donc qu'il a bien fait de ne rien vous dire. ...
Mais enfin, César, après tout, si cet homme veut naviguer?
César: (sincère) Cet homme? Quel homme?
M. Brun: Marius est un homme.
César: (éclatant de rire) Un homme! Un homme! Marius!!! ...
M. Brun: Il a vingt-trois ans. A cet âge, vous étiez déjà marié?
César: Moi, oui.
M. Brun: Vous étiez un homme?
César: Moi, oui.
M. Brun: Alors, ce qui était vrai pour vous, n'est pas vrai pour
lui? ...
César: Pour moi, j'ai toujours raisonné différemment, parce que
moi, je n'étais pas mon fils.
M. Brun: Eh bien, César, permettez-moi de vous dire, avec tout le
respect que je vous dois que vous êtes un grand égoïste.
Panisse: En voilà un qui ne te l'envoie pas dire.
Escartefigue: Et il parle bien, sas! ...
César: Mais s'il veut naviguer, qu'il navigue, bon Dieu! Qu'il
navigue où il voudra, mais pas sur l'eau!
61
Escartefigue: (ahuri) Mais alors, où veux-tu qu'il navigue?
César: Je veux dire: pas sur la mer. Qu'il navigue comme toi,
tiens! Sur le vieux port. Ou sur les rivières, ou sur les étangs,
ou...et puis nulle part, sacré nom de Dieu! Est-ce qu'on a besoin de
naviguer pour vivre?57
Alors, dans cet extrait, nous voyons toute l'habileté de Monsieur Brun; Panisse et
Escartefigue commencent la conversation, mais c'est le Lyonnais qui pose des
questions de sorte que César expose toute l'absurdité de sa propre logique et en
même temps le crime de Marius. L'action criminelle de son fils est qu'il a quitté le
Vieux-Port et qu'il a abandonné son père et sa communauté.
Monsieur Brun est non seulement inclus dans la collectivité marseillaise,
bien qu'il ne soit pas Marseillais, mais il participe à l'ordre établi, étant
représentant de l'Etat,58 et souvent c'est lui qui décide les affaires parce qu'il a de
l'instruction et il a donc droit à la parole. Jacques Bens a bien repéré le fait que
Monsieur Brun est l'équivalent de l'instituteur dans les futurs textes de Pagnol, car
c'est un fonctionnaire instruit qui est venu à la communauté par mutation et qui est
accepté par les membres du groupe à cause de son savoir.59 Monsieur Brun est
aussi un peu complice de César, car comme Fanny explique à Césariot, dans
beaucoup de bars: "...on peut trouver des cigarettes de contrebande. Ton parrain
en a vendu souvent sous le nez de M. Brun"60.
La communauté de la trilogie marseillaise est donc composée d'hommes ou
de femmes d'un certain âge qui acceptent les lois du patriarcat. Tout le monde n'a
pas le droit à la parole. Ceux qui ont un statut économique assez important dans le
62
groupe peuvent parler, aussi bien que les gens instruits, comme Monsieur Brun.
Ceux qui ne peuvent pas parler sont les exclus de la collectivité.
Les exclus
Piquoiseau, normalement considéré comme un "fada," est reconnu comme
un membre de la communauté à la fin de Marius quand César offre le coup du
départ au bosco, à Panisse, à Fanny (sa future belle-fille). Il inclut Piquoiseau--
peut-être parce qu'il reste à Marseille. César lève son verre et dit: "C'est
émouvant, le coup du départ. On quitte sa famille, ses amis, ses clients..."61. Il dit
officiellement au revoir au chef du bateau, qui lui répond parce que Marius a
perdu la parole; ou Marius part-il parce qu'il n'a jamais eu la parole? C'est ce qu'il
dit, en tout cas, à la fin de la trilogie.
Un autre exclu qui n'a pas la parole est le chauffeur du ferry-boat qui est
trop jeune et sans importance dans le quartier. Il suit les ordres d'Escartefigue et
souvent, ses réponses sont limitées à "Bien Capitaine!" Et il faut qu'il subisse les
insultes de César.
Une communauté langagière, commerciale, et provençale
Il faut savoir ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas dire. Par exemple, César
demande au chauffeur d'aller demander à Panisse s'il veut boire une bouteille de
champagne. Au lieu de faire les trente mètres qui séparent les deux magasins, le
chauffeur va à la porte du bar et hurle: "Panisse! O Panisse! M. César vous offre
le champagne!"62. César est indigné parce que cette annonce va faire venir "tous
les soiffeurs du quartier!"63. Il continue: "Tu es si bête que ça? On ne les dit
63
jamais, ces choses-là!"64. Plus tard, dans Manon des Sources,65 nous apprendrons
qu'une source, ça ne se dit pas. C'est parce que les choses les plus essentielles ne
peuvent pas se dire et sont plutôt cachées par les mots. Les mots lient les gens mais
ne sont pas présents pour dire des vérités.
Si l'on étudie le champ sémantique du texte, on aperçoit que la plupart des
discussions tournent autour des questions de commerce, de métier, de choses
matérielles--voire le manger et le boire. Le plaisir et la joie de vivre sont partout
évidents, et il n'y a pas de monde au-delà de la réalité quotidienne avant César. La
religion entre dans la discussion seulement quand Panisse est mourant. Et cette
religion-là est relative et suit les règles de la communauté provençale. César
demande au curé de mentir et de ne pas dire à Honoré qu'il vient pour le confesser;
César veut qu'il mente comme tous les membres de la collectivité.
Les femmes, qui sont plus près de la nature, sont proches aussi de la vérité
et de la religion. Fanny va régulièrement à la messe, et Claudine et Honorine sont
choquées par le doute de César au sujet de Dieu. Dieu entre dans le champ
sémantique des femmes même avant la mort de Panisse, tandis que dans l'espace
masculin, le monde spirituel ne fait pas partie de la discussion.
Les personnages qui peuvent exprimer leurs idées ou leurs sentiments
participent au commerce du quartier et ils n'ont pas l'intention de quitter Marseille,
car cette collectivité est aussi une communauté linguistique. L'accent de Marseille
définit les limites de la communauté (dans les films). Les personnages parlent
avec cet accent-là; César sera donc incarné par Raimu,66 Escartefigue sera joué par
Dullac (dans les films Marius et César), Panisse sera interprété par Charpin,
Honorine sera représentée par Alida Rouffe et Claudine (dans Fanny et César) sera
64
incarnée par Milly Mathis. La seule exception à cette règle est Pierre Fresnay qui
jouera Marius; il est engagé, à l'insu de Pagnol, par Léon Volterra, le directeur du
Théâtre de Paris. Mais Fresnay a fait son service militaire à Marseille et il sait
prendre l'accent provençal.67 Puisque Orane Demazis a été élevée à Oran, "Pagnol
a ajouté dans les répliques de Fanny deux phrases où elle explique qu'elle a grandi
en Algérie"68. Voilà pourquoi son accent est différent. Et Monsieur Brun, joué par
Vattier, représente le reste de la France et surtout l'instruction laïque et gratuite
apportée par la Troisième République.
Il faut ajouter à l'accent provençal quatre autres éléments de la langue: (1)
des phrases et des mots provençaux, (2) certaines expressions en français qui ont
une tournure provençale, (3) la gestuelle des acteurs, et (4) un climat anti-Paris.
Examinons des exemples dans chaque catégorie.
(1) Beaucoup de phrases et de mots provençaux sont présents dès le
commencement de Marius pour établir la communauté marseillaise. Après que
Marius parle de partir, Escartefigue lui dit: "Mais tu deviens fada, mon pauvre
Marius!"69. Cette phrase contient toute la thématique de la pièce, et avec le mot
"fada," le lieu et l'idée principale sont créés. Tous ceux qui ne font pas partis de la
collectivité sont traités de "fadas"; par exemple, Honorine, voyant Piquoiseau, dit
en provençal: "Aqui lou fada!"70.
Toute la conversation est parsemée d'expressions qui ancrent les
personnages de la communauté dans le Midi. Marius dit: "peuchère"71; César dit:
"O coquin de sort"72; Panisse parle du "mistral" et d'aller au "cabanon"73. Ces
locutions établissent la couleur locale et le côté folklorique de la trilogie.
65
Il y a, pourtant, une deuxième fonction plus profonde de l'emploi de la
langue provençale. Honorine, dans un état de détresse à cause de la tristesse de sa
fille, parle de sa propre patience et elle dit: "Bon Diou, qué patienco!"74. Yvonne
Georges nous montre dans sa thèse75 la grande quantité de provençalismes dans
l'œuvre de Pagnol. Quand un personnage devient très ému ou se fâche, il
s'exprime mieux en provençal, une langue plus près que le français de son être
profond. Panisse est en colère et blessé dans son amour-propre à la fin de la partie
de cartes; avant de quitter le café, il dit: "...siou pas plu fada qué tu, sas! Foou pas
mi prendré per un aoutré. Siou mestré Panisse, et siès pas pron fin per m'aganta"76.
Honorine, désespérée parce qu'elle vient de découvrir sa fille dans les bras de
Marius, annonce: "Ma pitchouno couchado émè un homme, aquéou brigand de
Marius, aquéou voulur..."77. Furieuse, elle ajoute: "Es un pouli voste Marius!
Aquéou salo que venié à l'oustaou caumo moun enfant..."78. Et finalement, quand
Panisse, "en proie à une grande émotion" comprend que Fanny est enceinte, lui dit:
"Es un pitchoun, Fanny? Digo mi, Fanny, es un pitchoun?"79.
Le français est la langue dominante et publique; le provençal s'emploie
pour montrer qu'on fait partie du groupe. Quand Honorine est fâchée contre le
chauffeur, elle dit: "Tout aro ti mandi un basseou"80. Mais celui-ci, quittant
Norine, danse et chante:
Madame de Limagne
Fai dansa lei chivaou frus:
Le doune des castagnes
Disoun que n'en voulons plus!81
Il montre ainsi qu'il ne prend pas sérieusement les propos de Norine.
66
Alors, les expressions provencales qui se trouvent dans la trilogie sont là
pour établir que c'est une communauté provençale, mais aussi pour exprimer des
sentiments très profonds qui ne peuvent pas être énoncés dans un lieu public et en
français. Pendant la confession de Panisse, qui se fait "devant toute la
communauté"82, comme chez les premiers chrétiens, quand César lit le cinquième
commandement, celui qui concerne l'adultère, Panisse, Elzéar et César
commencent à parler provençal.83 L'essentiel ne se dit pas ou se dit par une parole
de la langue maternelle.
Quand César et Honorine parlent du mariage de leurs enfants et Marius
entre, Honorine change le vocabulaire tout en continuant sa pensée: "Il faut que
vous lui donniez...Deux belles tranches de fiala et une rascasse de deux kilos qui
remue encore la queue." Elle ajoute: "...Et puis, je vous mettrai des fioupelans,
des favouilles et un peu de galinette...." Marius, surpris, demande si son père
commande une bouillabaisse et César répond: "Eh oui, une belle bouillabaisse"84.
Puisque les deux interlocuteurs savent de quoi ils parlent, on peut changer le
vocabulaire et continuer la conversation par une liste de poissons méditerranéens.
Il semble évident que Pagnol, qui collectionnait des mots pendant son enfance,85
prend plaisir à placer tous ces noms régionaux dans ses œuvres; plus tard, dans
César, pendant la partie de pêche, il y a une deuxième liste de poissons de la
Méditerranée.86 Le lecteur /spectateur savoure le vocabulaire comme les
Provençaux dégustent ces poissons. Il en est de même pour les noms des sites
géographiques; par exemple, nous entendons: Palavas-les-Flots,87 Martigues,88
Valence,89 Toulon,90 Bandol,91 Cassis et La Ciotat.92
67
Peut-être y a-t-il une autre raison pour inclure les expressions de Provence
dans ces textes, car on présente le gentilhomme provençal comme un bon exemple
de conduite. César demande à Panisse de se conduire comme un gentilhomme
provençal quand le maître-voilier parle d'épouser Fanny.93 La Provence fournit
donc le modèle d'une communauté basée sur l'honneur et la moralité de la
civilisation occidentale.
(2) Certaines expressions en français qui ont une tournure provençale
apparaissent également dans le texte de la trilogie marseillaise. Le mot provencal
"galéjade" se trouve dans le dictionnaire français, mais quand Honorine dit à
Panisse: "Allez, vaï, vous galéjez!"94 elle crée le verbe et le conjugue à la
française. On voit aussi les expressions suivantes: (a) César, parlant de son vieil
ami, Landolfi, explique à Monsieur Brun: "...il s'est marié une parisienne..."95
(b) Fanny, parlant de sa rivale, la fille du café de la Régence, dit à Marius: "Avec
ça que tu ne la connais pas! Elle passe ici devant deux fois par jour pour te faire
un coup d'oeil!"96 (c) Marius, agité parce que Panisse fait la cour à Fanny, essaie
de les séparer et dit brusquement: "Fanny! Ta mère te crie!"97 (d) Honorine,
fâchée et bouleversée parce qu'elle a trouvé sa fille couchée avec Marius, dit à
César: "Ah! brigand de sort! Sainte Mère de Dieu..."98 (e) Même en expliquant
les appareils scientifiques à bord son bateau, Marius les appelle "Un pastis
terrible..."99. Ces expressions ajoutent de la couleur locale, mais aussi c'est un
rappel constant de la communauté provençale où les personnages vivent.
(3) La gestuelle des acteurs est un autre élément de la langue du Midi.
Certains gestes sont inclus dans les didascalies. Marius "(les doigts fermés, sauf le
petit doigt et l'index, il fait le geste classique qui rend inoffensifs les mots qu'il ne
68
faut pas prononcer)"100 donne un exemple d'un geste qui remplace les mots du
texte et en fait partie. Ce geste-là complète ce qui est écrit en montrant que
Panisse était cocu.
Mais il y a d'autres gestes qui contredisent le texte; quand Panisse est
appelé au magasin, il annonce: "J'arrive!" Ensuite il revient vers Monsieur Brun
et continue: "C'est une grosse commande; il faut sauter dessus!" A ce moment-là,
il se rassied.101 A part l'effet comique de cette contradiction, nous comprenons
aussi que pour ces personnages, le dire remplace le faire. Les acteurs rodés dans le
music-hall de Marseille, comme Raimu et Alida Rouffe, savent ajouter les gestes
aux mots comme on fait en Provence. On n'a qu'à regarder les films pour voir que
les mouvements du corps font partie de la langue et qu'il est impossible de parler
sans les bras, les mains ou la tête.
(4) Toute l'iconographie de Marseille qui se trouve dans La Trilogie
Marseillaise crée une opposition à la capitale et un climat anti-Paris.102. Parmi les
endroits à Marseille qui sont mentionnés dans le texte, on trouve la Joliette,103 la
rue Paradis,104 l'église Saint-Laurent,105 le Pharo,106 le Prado,107 le quai de Rive
Neuve,108 la rue Canebière,109 la place de Lenche,110 et la Gare St. Charles.111
Dans Marius, on compare "la tourifèle" au Pont Transbordeur; César dit:
"A ce qu'il paraît que comme largeur, c'est la moitié du Pont Transbordeur."
Monsieur Brun rit avec "un peu de condescendance" et répond: "Peut-être, mais
c'est au moins dix fois plus haut." Panisse, qui est décrit comme "ennemi de la
tourifèle" riposte: "Ça, vous ne l'avez pas mesuré!" Et César conclut, catégorique:
"Et puis, c'est peut-être plus haut, mais en tout cas, la largeur n'y est pas"112. Cette
petite conversation nous révèle la concurrence entre la capitale et Marseille, la
69
porte de l'Afrique coloniale. On entend surtout l'opinion des Marseillais contre
Monsieur Brun, témoin plus ou moins neutre, bien que, quand il est mentionné que
Césariot est un peu fier, Marius réponde: "Naturellement. C'est un Parisien...Ils
sont tous comme ça..."113. Et, un peu plus tard, quand Césariot explique à son père
biologique qu'il a pris des leçons pour perdre son accent parce qu'au lycée, on se
moquait de lui, on l'appelait Marius et lui demandait des nouvelles d'Olive, Marius
réplique: "Ce qu'ils peuvent être couillons, quand même ces Parisiens!"114.
Dans Fanny, il y a une confrontation directe entre un soi-disant Parisien115
et les clients du Bar de la Marine. Dans la scène vi de l'acte I, l'auteur se sert du
stéréotype du Marseillais qui s'oppose à la communauté du Marseille de Pagnol.
Ce gros homme s'approche de l'éventaire de Fanny après que César et Fanny
essaient de se consoler dans leur peine; la scène est extrèmement courte, mais
essentielle pour que Pagnol puisse redéfinir Marseille et sa communauté par
rapport à Paris. Il existait déjà toute une série de blagues marseillaises concernant
Marius et Olive. L'étranger répète l'expression "O bagasse tron de l'air!"116 avant
de commander sa bouillabaisse, ses coquillages et son aïoli. Il laisse son nom et
son adresse: "M. Mariusse, 6, rue Cannebière, chez M. Olive" (sic)117. Il s'en va et
les copains du Bar de la Marine sont tout perplexes. La collectivité est réunie
après cette scène en face d'un ennemi commun. César conclut que ce "fada" est un
Parisien qui veut se présenter aux élections.118 Ensuite, Escartefigue, Fanny,
Panisse et César discutent "ce mot extraordinaire: bagasse"119. Ils cherchent
l'origine et la définition du mot. Pour les uns, c'est un mot parisien, pour les autres
c'est un mot anglais qu'il emploie pour étonner le monde. Finalement, c'est l'érudit
70
Monsieur Brun qui renseigne le groupe en disant: "Eh bien, c'est bizarre, mais je
le croyais
Marseillais"120. Les commerçants du Vieux-Port sont surpris par l'explication de
Monsieur Brun:
Dans le monde entier, mon cher Panisse, tout le monde croit que les
Marseillais ont le casque et la barbe à deux pointes, comme Tartarin
et qu'ils se nourrissent de bouillabaisse et d'aïoli, en disant "bagasse'
toute la journée."121
A ce moment-là César rejoint le groupe pour défendre sa ville natale, car c'est le
seul membre du groupe ayant assez d'autorité pour le faire. Et puis, il va plus loin
et donne une bonne leçon à Monsieur Brun, le Lyonnais, et aux spectateurs. Il leur
dit:
Eh bien, monsieur Brun, à Marseille, on ne dit jamais bagasse, on
ne porte pas la barbe à deux pointes, on ne mange pas très souvent
d'aïoli et on laisse les casques pour les explorateurs--et on fait le
tunnel du Rove, et on construit vingt kilomètres de quai, pour
nourrir toute l'Europe avec la force de l'Afrique. Et en plus,
monsieur Brun, en plus, on emmerde tout l'univers. L'univers tout
entier, monsieur Brun. De haut en bas, de long en large, à pied, à
cheval, en voiture, en bateau et vice versa. Salutations. Vous avez
bien le bonjour, Gnafron.122
Cette scène est indispensable pour réunir la collectivité de Marseille
"Le jeu de trompe-couillon"123 est un autre moyen pour savoir qui
appartient au groupe et qui n'est pas Marseillais. Devant le Bar de la Marine, on
71
place un chapeau melon sous lequel il y a un pavé. Les copains s'assoient à la
terrasse et attendent les passants. Escartefigue explique: "Un Marseillais,
monsieur Brun, s'il voit un chapeau melon sur un trottoir, il ne peut pas se retenir,
il shoute"124. Les Provençaux sont d'accord que c'est imbécile et même criminel,
mais amusant. Quand Fernand, l'associé de Marius, arrive de Toulon et donne un
coup de pied, on comprend qu'il est membre du groupe. C'est le rire qui réunit
César, Escartefigue, le chauffeur et finalement Monsieur Brun. Il faut avoir des
étrangers pour que la communauté se définisse comme marseillaise.
Le français est la langue du pouvoir
Les maîtres de la parole sont d'abord ceux qui ont le droit de parler et
ensuite, ceux qui parlent bien le français. Quand César se demande si le Dieu
d'Elzéar est le bon, il dit que le pire serait de s'expliquer avec un Dieu qui ne vous
comprend pas.125
En famille, les parents possèdent l'autorité, mais les enfants répondent à
leurs parents quand ils ne sont pas en public. Par exemple, Fanny corrige sa mère
quand Honorine dit "l'inventaire"; Fanny lui explique qu'il faut dire "l'éventaire."
Honorine se fâche et ajoute: "Tu ne crois pourtant pas que tu vas apprendre le
français à ta mère, non?"126. Et puis, seuls tous les deux, Marius explique à César
qu'il est peut-être "neurasthénique" quand son père le critique parce qu'il est
"pâle," "triste" et "antialcoolique"127. César garde son autorité en continuant la
conversation, mais il nous montre qu'il ne comprend pas le mot en demandant: "Et
où tu l'aurais attrapé?"128.
72
César essaie d'enseigner à son fils à préparer un "picon-citron-curaçao,"
mais quand il ajoute le quatrième tiers, Marius dit:
Marius: Et ça fait quatre tiers.
César: Exactement. J'espère que cette fois, tu as compris. (Il boit
une gorgée du mélange.)
Marius: Dans un verre, il n'y a que trois tiers.
César: Mais, imbécile, ça dépend de la grosseur des tiers!129
Lorsque Marius lui explique que "c'est de l'Arithmétique"130. César répond que
"quand on ne sait plus quoi dire, on cherche à détourner la conversation..."131. Plus
tard, ce sera le tour des enfants devenus parents d'être corrigés par Césariot, le
polytechnicien. (Césariot expliquera à Marius la différence entre les droits et les
devoirs.)132
L'évolution du français nous permet de constater l'avenir de cette
communauté linguistique parce que Fanny corrige le français de sa mère et Marius
corrige celui de son père. L'instruction a donc son influence, et la jeune génération
a un plus grand vocabulaire que celui des parents. Les parents ont un langage
approximatif et phonétique--nous avons déjà vu l'exemple de "l'embouligue" chez
Claudine et de "embolidre" chez César. Panisse, parlant des problèmes de Marius,
dit à César: "Peut-être qu'il fume de l'opion"133. Panisse n'a pas honte de
demander à César le sens du mot "gabegie"; cela montre même la soumission de
Panisse à la supériorité de César dont le vocabulaire est plus important.134 Les
chefs de la communauté pagnolienne sont ceux qui savent manier le verbe.
Les conflits langagiers
73
Les conflits omniprésents entre les personnages sont présentés sous forme
de dialogue, et c'est ou par la parole elle-même ou par le rire (évoqué par les mots)
qu'on évite la violence potentielle. Les mots remplacent les actions et le plaisir de
parler est valorisé. Pour participer au groupe, il faut savoir les règles du jeu et
comment interpréter les mots de la tribu. Parmi les commerçants du Vieux-Port de
Marseille, la parole circule comme monnaie courante dans ce microcosme
capitaliste.
C'est le dialogue qui lie les gens de la communauté. Dans cette trilogie, le
conflit qui traversera le reste des œuvres pagnoliennes sera introduit dans la
confrontation entre le docteur, représentant du monde scientifique, et le prêtre,
représentant du monde spirituel.135 La discussion remplace l'action et écarte la
violence. Tous les conflits, d'ailleurs, sont langagiers; ils apparaissent dans une
structure de débat et le danger peut être évité si l'on arrive à exprimer à haute voix
les oppositions, car le vrai péril existe seulement si les pensées et les sentiments ne
sont pas dits. Le danger menace la collectivité quand le silence ou un monologue
existe et ne permet pas l'échange des points de vue différents.
Dans cette communauté pagnolienne, les personnages ne peuvent que
mentir; la bonne foi n'est pas présupposée. (Après tout, ce que Panisse appelle son
"mensonge quotidien" est le fait que Césariot n'est pas son fils biologique, et c'est
ce jeune homme qui déterminera l'avenir de la communauté.) Au début de Fanny,
Escartefigue raconte une histoire au sujet d'un homme dont le cerveau ramollissait,
et il conclut en disant: "Et, à la fin, quand il remuait la tête, pour dire 'non', eh
bien on entendait 'flic-flac...flic-flac'. Ça clapotait"136. Panisse raconte une
deuxième anecdote (au sujet d'un homme dont le cerveau se dessèche et devient un
74
pois chiche) pour se moquer de Félix.137 Le capitaine est vexé et se fâche:
"Honoré, si tu es un homme, dis-moi tout de suite, et devant tout le monde que tu
me prends pour un menteur"138. Panisse, "calme et souriant," dit: "Mais
naturellement, que je te prends pour un menteur"139. La réaction d'Escartefigue est:
"Bien. Dans ce cas, c'est tout différent"140. Et la scène termine paisiblement. Les
échanges sont donc directs et la première règle du dialogue est de bien parler, ou
même de parler tout court. Il ne s'agit pas de dire la vérité dans cette collectivité,
car les vérités ne peuvent pas se dire. Mais puisque la violence qui menace la
solidarité du groupe est dissipée par un aveu que tout le monde accepte que les
autres membres du groupe mentent, la survie de la communauté n'est pas en
danger. La conversation sert à vous mettre en contact avec les autres membres du
groupe.
La galéjade et la tricherie font partie du manque de bonne foi parmi les
membres du groupe, mais les farces sont toujours bon enfant. César explique
pendant la partie de cartes: "Si on ne peut plus tricher avec ses amis, ce n'est plus
la peine de jouer aux cartes"141. Pour Panisse, le commerce est la même chose que
la tricherie. Pendant sa confession à la fin de la trilogie, César lit le
commandement: "Faux témoignage ne diras. Ne mentiras aucunement"142.
Honoré s'accuse d'avoir commis le péché de mensonge "Continuellement...Et
surtout, surtout, avec la clientèle...Tu comprends, Elzéar, s'il faut toujours dire la
vérité à la clientèle, il n'y a plus de commerce possible..."143. Et gare à ceux qui
prennent à la letttre les galéjades. Panisse vend le Pitalugue à Monsieur Brun qui
ne connaît pas la réputation du bateau, mais qui connaît celle de César. Celui-ci
aime bien rire, mais il ne laisserait pas se noyer son ami, le Lyonnais. Ce monde
75
pagnolien de la Trilogie Marseillaise ne contient pas de méchanceté; nous en
trouverons pourtant plus tard dans d'autres oeuvres de Pagnol, celles qui sont
basées sur les histoires de Jean Giono.
La jeunesse et la sexualité de Fanny peuvent semer le désordre parmi les
hommes de la collectivité; par conséquent, Fanny ne fait pas encore partie de la
communauté au début de Marius. En effet, pour rendre Marius jaloux, elle flirte
avec Panisse. Lui, il aimerait bien se remarier avec la belle jeune fille. L'amour,
c'est-à-dire, la passion, peut diviser les hommes de la communauté. Quand César
cherche la raison pour les actions violentes de son fils, il conclut: "Eh bien, moi,
je sens une femme là-dessous, parce qu'il n'y a que l'amour qui puisse rendre un
homme aussi bête"144. (Egalement, Césariot dit à sa mère que Panisse a accepté
qu'elle se remarie après sa mort à condition que le mari ne soit pas plus jeune
qu'elle. Un jeune mari créerait un rival pour son fils.)
Les mots doux entre Fanny et Panisse sont échangés dans le Bar de la
Marine devant Marius, et la violence ne semble pas tarder quand Marius dit au
veuf: "Faites attention! Il y a des fous dangereux, j'en connais un que la main lui
démange de vous envoyer un pastisson!"145. Normalement Marius parle
grammaticalement correctement, mais ici, c'est le texte qui le trahit en montrant
son désarroi. Les sentiments de colère et de jalousie chez Marius sont tellement
virulents que ses actions risquent de détruire la communauté. Quand Marius sert
Panisse, il déverse l'anisette (et littéralement et figurativement, c'est la goutte qui
fait déborder le vase), mais il n'adresse pas encore la parole à Panisse. Il retourne
au comptoir parce qu'il est exclu de la conversation. Mais quand Panisse regarde
de près la médaille de Fanny, Marius n'en peut plus. La didascalie nous indique:
76
"Marius se tait, fort agité. Il fait mille gestes incohérents pour changer de place
diverses bouteilles"146. C'est quand un personnage ne peut pas s'exprimer que la
violence devient une menace réelle, et cette scène entre les deux hommes chauffe.
C'est un exemple de l'effrondrement possible de la communauté causé par un
manque de communication verbale. C'est le contre-exemple de la collectivité
harmonieuse. Finalement nous voyons le face-à-face suivant:
Panisse: Laisse. C'est une affaire entre hommes...Tiens-moi le
chapeau. (Il donne son chapeau à Fanny. Il s'approche de Marius
jusqu'à le toucher. Tous deux se regardent sous le nez.) Donne-le
un peu ton pastisson.
Marius: Vous me le pressez, le nez!
Panisse: Pauvre petit!
Marius: Malheureux!
Panisse (avec plus de force): Pauvre petit!
Marius (de même): Commerçant!
Panisse: Tu parles, tu parles, mais tu n'oses pas commencer!
Marius: Vous faites beaucoup de menaces, mais rien d'autre!
Panisse (avec une fureur soudaine): Oh! Si je ne me retenais pas!
Marius: Ah! Si vous n'aviez pas de cheveux gris! etc.147
Cet échange montre le fonctionnement de l'opposition verbale dans la
communauté; le débat, rempli de menaces et même d'insultes, ne va pas plus loin;
on n'arrête pas de parler de la violence, mais l'acte violent est dissimulé sous le
dialogue. C'est
77
l'échange de mots qui remplace l'échange de coups et le duel reste au niveau
langagier.148
Le but de la communauté est de permettre la survie des hommes, et si ceux-
ci se battent entre eux, ils ne survivront pas en face de l'ennemi. C'est pour cela
que les règles du jeu sont bien établies. Mais Fanny, en tant que femme désirable,
provoque des conflits, comme nous venons de voir. Par contraste, sa mère,
Honorine, et sa tante Claudine ont un certain âge et un état civil de veuve qui font
qu'elles participent à l'ordre patriarcal de la société aussi bien qu'à son commerce.
Les membres de la communauté participent à l'économie du quartier. Quand
Panisse appelle Marius "Pauvre petit!," Marius réplique en l'appelant:
"Commerçant!" Marius reconnaît donc son propre statut de non-participant et le
pouvoir de Panisse. Cette remarque nous révèle le dédain de Marius pour la
communauté et son rêve romantique et anti-bourgeois.
Pour comprendre comment la communauté pagnolienne est formée par le
dialogue, on peut étudier la structure de la scène iv, acte I de Marius. Panisse,
Monsieur Brun et Marius ont déjà discuté la sortie hebdomadaire de César pour
"voir ses amours"149 quand César entre, ayant mis un costume splendide. Au lieu
de sortir, César dit: "Hum...Alors, je sors"150. Cette petite phrase, au lieu
d'annoncer une action, engendre trois pages et demie de dialogue et une scène bien
comique où le verbe "sortir" est mentionné cinq fois avant que César ne sorte. La
primauté de la parole est toujours établie dans le texte de Pagnol, mais il y a
souvent un décalage entre la parole et l'action.
Dans Fanny, acte II, scène ii, nous voyons comment on se sert de la parole
pour révéler ou pour cacher ce qu'on veut. Le facteur dit à Honorine qu'il n'a pas
78
le droit de lui dire si Fanny a reçu une lettre de Marius à cause du "secret
professionnel"151. En même temps, ce facteur annonce tous les secrets de tous les
membres de la communauté.152 Il tient pourtant à ses mots, mais il les interprète
littéralement. Pour que Norine comprenne qu'il ne peut rien "dire," il lui explique:
"Figurez-vous que j'ai sur la bouche un de ces gros cachets de cire rouge qu'on met
sur les lettres chargées"153. La lettre ainsi personnifiée, les deux femmes saisissent
que sa bouche est scellée; alors il répond aux questions de Norine et de Claudine
en faisant "oui" et "non" avec la tête. Et pour conclure la scène, le facteur annonce
son regret de ne pas avoir pu donner le renseignement à Honorine.
Le sens figuratif
Le procédé de montrer la différence entre l'interprétation littérale et figurée
est employée très souvent par Pagnol; cette activité ludique exprime aussi le plaisir
de l'auteur à manipuler les mots. Le décalage entre un mot et son sens est évident
quand Panisse explique au curé pendant la confession: "J'ai dit beaucoup de
jurons, je te jure...Excuse-moi. Je t'affirme qu'au moment où je prononçais des
jurons terribles, je ne pensais pas du tout au Bon Dieu. Ça voulait dire simplement
que j'étais en colère"154.
Ce n'est pas une coïncidence si l'on trouve beaucoup d'exemples de
dissection d'expressions dans la dernière oeuvre de la trilogie, et surtout quand il
s'agit de la mort de Panisse. La mort d'un membre de la communauté ne peut être
discuté que s'il y a ce décalage entre les mots et les choses. Dans la chambre du
mourant, les amis trinquent et César dit: "A ta santé, mon cher Honoré." Panisse
réplique: "C'est bien le cas de le dire!"155.
79
L'expression "claquer sans dire 'ouf'" est une façon de générer le rire en
face de la mort. Les larmes aux yeux, César dit: "Même s'il disait ouf, ça
n'arrangerait rien"156. Plus tard dans le texte, Honoré prend l'expression à la lettre
et dit:
Ça, ça commence à m'agacer. Ça fait quatre ou cinq fois que je
l'entends dire, par toi, par César, par M. Brun. Et pourquoi je dirais
"ouf"? Et pourquoi je ne le dirais pas? Si c'est ça qui vous
inquiète, je te le dis tout de suite "Ouf! ouf! ouf! Et maintenant je
ne risque plus de mourir sans avoir dit "ouf."157
Ensuite le docteur dit à Panisse: "Pense à la fragilité relative de tes vaisseaux...."
Panisse réplique: "C'est quand même injuste que moi, qui ai fait tant de voiles
pour des cotres, des goélettes, et même des trois-mats, ça soit des vaisseaux qui me
font des misères..."158. Au lieu de confronter directement la mauvaise santé et la
mort, les membres de la communauté pagnolienne passent toujours par des jeux de
mots qui permettent de cacher la vérité et de différer la réalisation de la séparation
du groupe.
Un écho de la scène entre le facteur et les deux femmes se trouve un peu
plus tard dans Fanny quand les deux veuves questionnent Panisse. Celui-ci vient
de renouveler sa demande pour épouser Fanny et Honorine veut qu'il promette de
ne pas tuer Fanny si elle le trompe. Panisse ne peut rien promettre parce que:
Panisse: ...surtout qu'il paraît que le fondateur de ma famille, c'était
un Turc. Et vous devez savoir qu'en Turquie il n'y a pas de cocu. Il
n'y a que des veufs. Si elle me trompe, je ne sais pas ce que je ferai,
je vous le dis franchement.
80
Honorine: Alors, pourquoi vous n'avez pas tué votre première
femme?
Panisse: Parce qu'elle ne m'a jamais trompé, et parce qu'elle me
tenait ma comptabilité...Naturellement, je ne chercherai jamais à
savoir si elle me trompe: cette sorte de surveillance serait indigne
de moi. Et si on vient me donner n'importe quelle preuve, et même si
on me la montrait dans les bras d'un galant, eh bien, j'ai tellement
confiance en elle que je ne le croirai jamais.159
Tous les problèmes se résolvent donc par les mots qui ne signifient pas
nécessairement ce qu'ils semblent signifier.
La circulation de la parole
Un procédé employé par Pagnol pour faire circuler la parole, pour
développer une thématique parmi les membres du groupe, et pour nous dévoiler la
pensée d'un personnage sans avoir recours au monologue théâtral, est d'introduire
un troisième personnage qui interrompt ou qui répète les répliques des autres.
Nous avons déjà vu cette sorte de scène dans Topaze quand la baronne et le
professeur discutent la note de l'élève en présence du directeur qui souligne les
phrases du dialogue. L'effet comique et dramatique est très efficace.
Quand Panisse invite Honorine pour la troisième fois à son cabanon,
Honorine lui dit que s'il s'agit d'un mariage, elle acceptera. Seulement, ils
découvrent tous les deux qu'il y a un malentendu; ils parlent, certes, d'un mariage,
mais quand Panisse annonce qu'il s'intéresse à Fanny et non pas à sa mère,
81
Honorine "au comble de l'indignation," dit: "La petite! Qui pourrait imaginer une
chose pareille!..."160.
Quelques phrases plus tard, cette conversation est interrompue par une
cliente qui voudrait acheter des violets. Malheureusement, elle trouve les
coquillages "bien petits" et elle les "tripote." Honorine se lève et va vers elle. Ce
troisième personnage, par sa présence, souligne la nature commerciale de l'affaire
matrimoniale. Il y a un échange entre Honorine et cette cliente qui interrompt la
négotiation entre Norine et Panisse; le dialogue contient onze répliques. La parole
ne passe donc pas directement entre Norine et Panisse, mais Honorine a le temps
de considérer la proposition de Panisse; parlant à la cliente, elle emploie les mots
suivants qui nous révèlent sa pensée et font circuler la parole: "violets" (même
prononciation que "violer"), "petits" (confondu avec "la petite," c'est-à-dire,
Fanny), "tripoter," "monstres," "pétrir"161. Alors quand elle revient dans le café
pour reprendre sa conversation avec Panisse, elle dit: "Ma fille...Fanny...ma
fille..."162. Le capitalisme et le commerce font circuler l'argent et les objets, et les
paroles et les pensées circulent de la même façon dans cette communauté.
Un exemple de ce même procédé employé différemment est la
confrontation entre les deux amis, César et Panisse. Quand celui-ci annonce à
César qu'il a mis ses souliers et non pas ses espadrilles parce qu'il va donner un
coup de pied à Marius, César défend son fils. Le chauffeur du ferry-boat se met
entre les deux hommes et crie plusieurs fois: "Ayayaïe!"163. Nous avons ainsi une
conversation entre deux personnages avec un troisième qui sert d'écho et de
choeur; il ajoute au suspense et en même temps, ses répliques montrent au public
qu'il y a un vrai danger de conflit. Et, en effet, César commence à étrangler
82
Panisse; ce qui sauve la vie de Panisse et l'amour-propre de César est que le
bouchon du mousseux saute, et le champagne, dans le Bar de la Marine, est le
prétexte qui veut que César arrête de menacer son meilleur ami pour qu'ils puissent
boire ensemble. Mais, quand le bouchon saute, le chauffeur disparaît. Puisqu'il ne
fait pas vraiment partie de la communauté, il ne comprend pas bien les règles du
jeu et il interprète littéralement les menaces. Il croit à un véritable combat et il va
chercher un agent de police. Celui-ci, venu terminer la bagarre, voit deux amis qui
boivent. César lui répond: "Qué battiez? Nous parlions"164. Alors, les
participants de la communauté comprennent les conventions tandis que les exclus
ne savent pas comment comprendre les mots de la tribu. L'autorité de l'état,
représenté par l'agent de police, n'a rien à faire dans cette collectivité où l'union
des membres ne dépend pas des lois écrites, mais d'une entente cordiale entre des
gentilhommes provençaux. Et César n'offre de champagne ni au chauffeur, ni à
l'agent de police. Après que les deux exclus quittent le café, Panisse explique à
César qu'il ne donnerait pas ce coup de pied à Marius: "Ce que j'en disais c'était
question d'amour-propre..."165. Il s'agit donc d'une rhétorique dont les lois sont
connues par les membres de la société, mais pas par tous les autres. Même
Césariot le polytecnicien montre son innocence en croyant Fernand et en pensant
que Marius est criminel. Cependant l'idéal de cette communauté semble être
l'intégration à la culture française,166 dont Césariot est le représentant.
Le texte pagnolien fait des méandres et parfois cela sert à montrer un état
d'âme. Quand Honorine et Claudine apprennent que Fanny est enceinte, elles sont
confrontées par la menace à la survie de la communauté. La base de la collectivité
est la famille et il faut trouver une solution pour que l'enfant soit accepté par les
83
autres membres de la collectivité. Les détours du texte engendrent plus de texte.
D'abord, avant que Fanny ne prononce un mot, sa mère et sa tante discutent
pendant deux pages son silence. Dès que Fanny annonce la mauvaise nouvelle,
Honorine a envie de mettre sa fille à la porte, de l'exclure elle-même de la famille
et de la communauté. Mais quand Fanny s'évanouit, sa mère a peur qu'elle ne
meure, et cela serait une séparation définitive. Après que la couleur revient au
visage de la fille et que la menace de séparation disparaît, Honorine reprend son
discours. Elle souhaite la mort de Marius et ensuite elle embrasse Fanny. C'est à
cause de tous les renversements du discours que le public comprend son désarroi
émotionnel. Ensuite il y a une séquence qui ressemble à la lecture de la lettre
envoyée par Marius, car bien que tout le monde sache le résultat de l'histoire, on la
répète par un retour en arrière comme si l'on ne la savait pas. C'est le plaisir
associé à la parole qui domine.
Fanny prend enfin la parole pour raconter sa propre histoire et Honorine et
Claudine réagissent comme si elles l'entendaient pour la première fois. Et le
discours de Norine contient beaucoup de contradictions; par exemple, en parlant
du docteur Venelle, elle dit: "Un bon docteur. Un savant, celui-là!"167. Plus tard,
quand elle veut que sa fille épouse Panisse sans lui dire qu'elle attend un bébé,
Honorine dit que ce n'est pas sûr que Fanny soit enceinte parce que le docteur
Venelle "est gâteux"168. Pour engendrer plus de texte, Claudine devient le choeur
de la scène, comme Monsieur Muche intervient entre la baronne et Topaze. Elle
ajoute les phrases suivantes: "Norine, ne dis pas des folies...Tais-toi, Norine..."169,
"Mais maintenant, il faut trouver le remède..."170, "Et puis, tant que personne ne le
sait, il n'y a pas de déshonneur! Si on criait sur la place publique les fautes de tout
84
le monde, on ne pourrait plus fréquenter personne"171, et "C'est beau, mais c'est
difficile"172. Ces phrases n'ajoutent rien à l'histoire, mais elles rendent la crise plus
dramatique.
Chez Pagnol, un personnage entre en contact avec un autre par le dialogue.
Prenons l'exemple, dans Marius, de deux adolescents timides qui s'aiment. Fanny
arrive à prolonger la conversation avec Marius en répondant par deux ou trois mots
qui obligent le jeune homme de poser d'autres questions.173 Quand Fanny va enfin
lui dire le secret de son mariage éventuel avec Panisse, elle lui dit:
Fanny (elle feint de se décider): Ecoute, si tu me promettais de ne
le dire à personne...
Marius: Tu sais bien que tu peux avoir confiance!
Fanny: On dit ça, et après on répète tout pour le plaisir de parler.174
Il y a donc un plaisir associé à l'échange des mots car on crée des liens avec les
autres membres du groupe par la parole. Avec pas mal d'ironie, Pagnol met la
phrase suivante dans la bouche de Panisse: "D'ailleurs, le plus grand mérite d'une
poésie, c'est d'être bien placée dans la conversation"175. On lit la poésie tout seul,
mais le plaisir qu'on en prend vient de son talent à la placer dans la conversation
pour que les vers circulent. Panisse, pour rassurer Fanny que la lettre écrite par
Marius lui sera lue et pour montrer à quel point il connaît bien César aussi bien
que les règles de la collectivité, dit: "Aie patience quelques minutes. Dans un
quart d'heure, il va te la lire et avant ce soir il va la réciter à tout Marseille"176. Le
plaisir fait circuler la parole.
85
Par contre, dans la trilogie marseillaise, la tristesse impose le silence. La
marche funèbre à l'enterrement de Panisse est une série de sketches. Dans le texte,
la première saynète est formée autour d'un jeu de mots basé sur le verbe "claquer":
Un gros monsieur: Moi, je n'ai pas de chance, il me devait 250
francs. Maintenant, je n'oserai jamais le dire à la veuve...Voilà 250
francs de claqués.
Le voisin: Comme lui.177
Avant la scène des chapeaux mélangés qui fait rire la compagnie, des bribes d'une
discussion qui tourne autour de deux saucissons d'Aubagne sont entendues. Ce
sketch vaudevillesque montre des hommes qui se couvrent; ils ne veulent pas
"découvrir" (littéralement ou figurativement) la mort. Ce n'est qu'après
l'enterrement, quand l'action revient à la table des quatre copains dans le Bar de la
Marine, filmée en plongée, que les amis comprennent l'absence de Panisse.
Monsieur Brun, Escartefigue et César sont attablés; le Lyonnais dit: "Cette chaise
vide est plus triste que son tombeau"178. Et les trois autres jouent ses cartes comme
si Panisse était présent.
Dans le texte pagnolien, il est signe de faveur quand quelqu'un vous
adresse la parole, même si c'est pour un renseignement. Ainsi, au début de l'acte
II, Fanny demande au chauffeur du ferry-boat s'il connaît l'homme qui est venu
chercher Marius. Sa réponse est: "Non, et je le regrette bien...Parce que vous ne
me parlez pas souvent, et pour une fois que ça m'arrive, je ne sais pas quoi vous
répondre"179.
Par contraste, Panisse raconte à César la "tyrannie abominable" de leur
enfance; puisque César avait "une grande gueule"180, la parole ne circulait pas. Et
86
cette tyrannie continuera car Césariot, selon le docteur, "crie presque aussi fort que
son parrain"181. Les vieux barbons sont généralement les maîtres de la parole dans
cette communauté parce qu'ils ont la parole, ils la maîtrisent et ils parlent plus
longtemps et plus fort que les autres.
Passons maintenant à la scène la plus connue de la trilogie marseillaise, la
partie de cartes. Cette scène n'avance en rien l'action de la pièce--au point où
l'auteur avait décidé de la couper.182 C'est un exemple qui permet de voir comment
quatre personnages peuvent échanger des idées opposées et même se fâcher sans
recours à la violence, car la pire des punitions dans un texte pagnolien est qu'un
personnage se fasse retirer la parole. Dans cette scène (Marius, acte III, scène i),
les quatre amis sont un microcosme du quartier: le commerçant, le douanier, le
mastroquet, et le capitaine du ferry-boat. Ensemble, ils représentent le commerce
et l'administration du Vieux-Port de Marseille. Ils se voient quotidiennement pour
jouer à la manille. L'intérêt de la scène consiste à attendre qu'Escartefigue joue,
mais chez Pagnol, même l'action minimaliste d'une partie de cartes est remplacée
par un échange de mots. Monsieur Brun, le Lyonnais, rappelle aux amis qu'on
joue "à la muette"183 et la conversation continue. Ce qui n'est pas dit, comme
toujours dans les oeuvres pagnoliennes, c'est l'essentiel. L'essentiel n'est pas
prononcé parce que César fait des signes, mais malheureusement, son partenaire,
Escartefigue, ne les voit pas. Alors César, maître de la parole, trouve la façon de
dire au capitaine que Panisse coupe à coeur. Il le lui dit en parlant à Panisse: "Tu
me fends le coeur"184. Dès que Panisse comprend que César triche, il se fâche et
s'en va; il retire donc sa parole, après avoir dit trois phrases en provençal. Selon
87
Yvonne Georges, "contrairement à l'opinion reçue, les Provençaux extériorisent
peu leurs sentiments"185.
César est plutôt fier de lui et il dit, sincèrement, à ceux qui restent: "Si on
ne peut plus tricher avec ses amis, ce n'est plus la peine de jouer aux cartes"186. Et
Escartefigue, admiratif, ajoute: "Surtout que c'était bien trouvé, ce que tu as
dit"187. Parler dans la communauté pagnolienne, c'est créer une présence; bien
parler devant les autres, c'est être admiré. Par les mots de Monsieur Brun: "Et
voilà encore une partie qui ne finira pas"188, nous savons que ces duels verbaux ne
sont pas sérieux et ont lieu fréquemment. D'ailleurs, quand César tourne deux fois
le roi et Monsieur Brun s'étonne, César lui dit que s'il ne voit pas le coup, il est
régulier. C'est la règle de César et il faut l'expliquer au Lyonnais.
Les deux scènes-échos de l'acte III, scène i de Marius sont pourtant le
contre-exemple du bon fonctionnement de la communauté. Au début de Fanny,
César est en colère parce que Marius est parti, et les quatre partenaires ne jouent
plus aux cartes. César est irritable et la conversation avec lui devient impossible.
Après la mort de Panisse, encore une fois, l'absence d'un membre du groupe rend
la partie difficile, mais cette fois-ci, puisqu'il s'agit d'une disparition naturelle, les
hommes s'y font avec leurs bons souvenirs. La conversation va continuer après la
mort de Panisse; c'est une façon de soulager la peine du groupe et de rester en
contact avec les autres.
L'existence de la parole
C'est l'existence de la parole qui compte et non pas ce qu'on dit. César
explique au douanier qu'il faut être à la réunion du Syndicat des Débitants de
88
Boissons à dix heures pour protester. Quand celui-ci lui demande contre quoi il
proteste, César lui explique: "Ça, je ne saurais pas vous le dire. Mais enfin, tous
les ans, nous protestons, et il faut absolument que j'y sois, et que je proteste"189.
C'est donc le dialogue qui importe, et pour continuer le dialogue, il faut une
opposition pour créer du texte.
Ginette Vincendeau discute la différence de style du jeu de Raimu quand il
joue dans un endroit privé et non pas dans un espace public.190 On peut dire la
même chose pour tous les personnages de la trilogie marseillaise. Quand César
annonce à Monsieur Brun que Marius va jouer "une vraie scène de comédie"191,
c'est que le jeune homme va sortir de sa chambre (le lieu privé) et entrer en scène
(le café). C'est pareil quand Honorine découvre Marius dans la chambre de sa
fille; elle décrit la scène à César en provençal, car c'est tellement émotionnel pour
elle qu'elle entre dans un lieu privé de sa langue maternelle. Elle ne parle pas au
jeune couple parce que: "J'ai eu tellement honte que je suis partie sans faire de
bruit"192. Puisque l'action des enfants est contre les lois du patriarcat, on ne peut
pas en parler en français dans un espace public.
Dans beaucoup de films des années 1930, il y a une opposition entre le
théâtre et le cinéma, le théâtre étant le lieu où les acteurs jouent un rôle.193 Au
cinéma, le jeu des acteurs est minimaliste car on n'a pas besoin de tout dire; la
caméra voit les détails dans un gros plan. Dans les textes pagnoliens, cette
séparation entre la place publique et le lieu privé existe également, mais toute la
communauté est vue comme un lieu théâtral et l'on n'exprime pas ses sentiments
en public; c'est une question de pudeur. César explique à Panisse qu'il ne peut pas
parler à son fils de femmes par "un sentiment bien drôle...La Pudeur Paternelle"194.
89
Le dialogue, qui est le lien entre les personnages, ne révèle pas les
sentiments les plus intimes dans la communauté pagnolienne parce que ces
émotions-là ne se disent pas en Provence. Dans sa chanson, "Le modeste,"
Georges Brassens chante:
Selon lui, mettre en plein soleil
Son cœur ou son cul c'est pareil
C'est un modeste.195
Il y a des sujets tabous dans la conversation provençale. Les sentiments les plus
profonds, comme l'amour et le désir, ne sont pas communiqués parce qu'ils
risquent de dissoudre la communauté. Quand Marius veut parler à Fanny de
l'amour conjugal avec Panisse, il lui dit: "Fanny, pense aux choses que je ne peux
pas te dire"196.
La vérité, elle aussi, risque de dissoudre la collectivité, et la façon de dire
quelque chose est importante. Honoré, par exemple, écrit l'article du Petit
Marseillais au sujet de la naissance prématurée du bébé longtemps avant qu'il ne
naisse.197 C'est cette annonce--et non pas la naissance--qui deviendra la vérité pour
la communauté, car Panisse la présente à Marius comme la "preuve indiscutable"
que son fils est un prématuré.198 Si la parole représente le pouvoir dans cette
collectivité, le texte écrit est le pouvoir officiel.199
Les secrets, comme les sentiments les plus profonds, sont cachés et ne sont
jamais dits. Dans César, "les ensignures," c'est-à-dire les renseignments pour
trouver le poisson qu'on pêche en mer, sont héritées dans les familles ou par des
amis. Marius explique: "Et ça ne se dit à personne"200. Marius sait où pêcher
parce qu'un vieil ami lui a donné son carnet d'ensignures à son lit de mort.201 Selon
90
César, "...un secret, ce n'est pas quelque chose qui ne se raconte pas. Mais c'est
une chose qu'on se raconte à voix basse, et séparément"202. Depuis vingt ans, toute
la communauté sait que Marius est le père biologique de Césariot. Mais les règles
du jeu demandent qu'on fasse semblant de ne rien savoir.
La communauté fonctionne correctement si tout le monde a la possibilité
de s'exprimer. Le silence ou un monologue met la collectivité en péril. Césariot
n'a pas besoin de fuir tandis que Marius n'avait que cette route à suivre. La
communauté change à travers les trois oeuvres de la trilogie marseillaise.
Un espace masculin et un espace féminin
Parallèlement au lieu public et au lieu privé, nous trouvons un espace
masculin et un autre espace féminin. L'espace féminin, comme le lieu privé, est
plus près de la nature. Quand Honorine arrive pour annoncer à César que Fanny
va mourir d'un coeur brisé, son discours paraît plus violent que celui des hommes.
Elle appelle César "le père de l'assassin"203. Mais puisque Norine a moins
d'importance dans l'économie de la communauté (elle s'installe devant le Bar de la
Marine, sur le trottoir), ses remarques ne sont pas vraiment menaçantes pour l'unité
de celle-ci. Pour prouver que la parole des femmes est moins importante que celle
des hommes, César dit: "Mais qu'est-ce que ça peut nous faire, les commérages de
quatre vieilles déplumées qui tricotent sur les portes?"204.
La discussion entre Fanny, sa mère et sa tante nous présente le côté féminin
de la question. Honorine boucle la conversation commencée par l'annonce de
Fanny de sa grossesse en disant: "Ne te fais pas une montagne d'une chose qui
n'est peut-être pas vraie!"205. Fanny lui répond que si ce n'est pas vrai, elle n'est
91
pas obligée de se marier, et sa mère réplique: "Mais il n'y a pas besoin d'être
enceinte pour se marier! Il y a de véritables jeunes filles qui se marient!"206. Car
finalement, le mariage est présenté comme le garant de la communauté, une
institution nécessaire dans un patriarcat pour identifier le père et pour donner un
nom (celui du père) aux enfants. En même temps, Honorine est consciente de la
condition féminine et elle n'a pas de scrupules pour trouver une solution au
problème:
Une femme n'est jamais malhonnête avec un homme. Si nous
sommes dans cette misère, c'est à un homme que nous le devons.
Eh bien, faisons payer la faute par un homme.207
Quand Fanny s'éloigne, il y a l'échange suivant entre Honorine et Claudine:
Honorine: Quand on n'a pas d'enfants, on est jaloux de ceux qui en
ont et quand on en a, ils vous font devenir chèvre! La Sainte
Vierge, peuchère, elle n'en a eu qu'un et regarde un peu les ennuis
qu'il lui a faits!
Claudine: Et encore, c'était un garçon!208
Dans le texte pagnolien, à part les quelques exceptions que nous venons de voir, le
point de vue est masculin car, comme explique César: "Les femmes ne sont pas
toujours raisonnables..."209.
D'autres différences
On discerne également une différence de classe dans cette communauté;
entre César et son petit-fils, c'est la différence entre la petite bourgeoisie et la
bourgeoisie. Les parents veulent que leurs enfants réussissent et toute la famille
92
est très fière du polytechnicien. Et pourtant, on sent l'ambivalence de l'auteur, car
pour chaque acquis, il faut renoncer à une valeur. Quand Césariot apprend que son
grand-père est mastroquet, il revisite le Bar de la Marine et parle d'une "vraie
dynastie," du "berceau de [sa] race, de "l'asile héréditaire," du zinc étant "l'autel de
[sa] famille" et des bouteilles qui sont [ses] dieux Lares"210. Pour répondre à ces
sarcasmes, César lui dit: "L'instruction t'a peut-être embelli le cerveau, mais elle
t'a gâté le cœur"211. C'est César et les petits-bourgeois qui triomphent finalement
parce que Césariot va épouser un jour Mademoiselle Bermond dont le père fournit
dix mille bistrots; il est, conclut César, "dix mille fois plus bistrot que moi"212.
Pour s'intégrer à la France et aux idéaux de la Troisième République, les
Provençaux gagneront l'acceptation et perdront une partie de leur identité.
Dans la communauté pagnolienne, il faut que l'individu se sacrifie pour le
bien de la collectivité. Quand Fanny pousse Marius à partir, elle lui dit: "L'amour
n'est pas tout dans la vie. Il y a des choses plus fortes que lui"213. C'est la survie de
la collectivité qui est plus forte que la passion. Un amour et un départ menacent
la communauté de la même façon; Fanny suggère donc à Marius qu'il passe "par la
fenêtre de [sa] chambre comme s'[il allait] à un rendez-vous d'amour"214. Pour
continuer la société, il faut que les membres du groupe restent et qu'ils suivent les
lois du patriarcat.
La collectivité semble évoluer aussi en se rendant compte des erreurs
du passé et en essayant de les corriger. Il y a un parallèle entre l'évasion de Marius
sur la Malaisie et celle de Césariot dans le bateau ayant pour nom Fanny. Comme
son père, le polytechnicien part à la recherche de quelque chose. Mais Marius n'a
pas le droit de parler devant son père et il s'enfuit; de toute façon, s'il avait dit la
93
vérité, son père lui aurait défendu de partir. Césariot ment aussi parce que sa
famille lui interdirait d'aller à la découverte de son père, mais le nom de son bateau
et le fait qu'il peut parler avec sa mère l'empêchent de quitter la communauté.
Fanny reproche à César son attitude: "Vous, laissez-moi élever mon fils comme je
l'entends. Vous avez d'autant moins à critiquer que vous n'avez pas su garder le
vôtre"215. Elle se sent coupable, elle aussi, pour le départ de Marius: "C'est moi
qui l'ai fait partir, en étant sûre qu'il reviendrait bientôt..."216.
Après la scène de famille qui a lieu dans le Bar de la Marine à la fin de la
trilogie, on voit la famille élargie sur la terrasse: Escartefigue, Monsieur Brun, le
chauffeur et Fernand, l'associé de Marius à Toulon, autre port cosmopolite de la
Méditerranée. Escartefigue dit à Marius quand il sort: "Bonjour, mon petit
Marius...Dis, tu es un homme à présent..."217. La preuve que cette communauté a
évolué est que César, après l'accusation de son fils, vient demander aux amis s'il
est coléreux. Puisque personne ne lui répond, il se met en colère et dit:
Depuis trente ans vous venez chez moi tous les jours et vous dites
que je suis coléreux? Je supporte la stupidité d'Escartefigue, je
supporte les lyonnaiseries de M. Brun, je supporte le silence de ce
médecin de chèvres, je supporte la présence de ce petit macaque (Il
montre le chauffeur) qui ne paie jamais ses consommations,
et qui, de plus, ne boit jamais rien, et vous dites que je suis
coléreux?218
Cette fois-ci, le docteur ose lui répondre:
94
Tu es un emmerdeur. Tu vis tout seul, parce que personne ne veut
rester avec toi. Tu as fait fuir les garçons, tu as fait fuir les bonnes,
tu as fait fuir les clients, tu as même chassé ton fils.219
Il faut que tous les points de vue soient exprimés à haute voix dans la communauté
de Marcel Pagnol.
La fable
Dans cette trilogie, comme dans la plupart des textes pagnoliens, il y a une
fable qui souligne la bêtise humaine. Les autres fables contiennent un animal et
une morale. La tante Zoé est une personne, mais elle devient prostituée et elle est
donc réduite à l'état d'un objet qui circule dans le système capitaliste.
Zoé est mentionnée dans Marius et Fanny--jusqu'à ce que Fanny prenne sa
propre place dans la communauté. C'est Honorine qui en parle d'abord: "...elle
avait l'amour dans le sang" et elle "est tombée à la renverse sur tous les sacs du
Vieux-Port"220. Le collier en or de Fanny que Panisse regarde de trop près était un
cadeau de la tante Zoé pour la communion de Fanny.221 Marius dit à Fanny que ça
lui fait de la peine de voir que Fanny est "en train de devenir comme [sa] tante
Zoé"222. Fanny s'inquiète que Marius a honte de l'épouser à cause de sa tante Zoé,
et elle lui dit: "Tu sais moi, je ne suis pas comme elle! Au contraire!"223. Quand
Honorine raconte à César qu'elle a découvert sa fille au lit avec Marius, elle ajoute:
"Elle a dix-huit ans, César! Dix-huit ans! Elle finira comme sa tante Zoé!"224.
Après toutes ces références à Zoé, c'est César qui raconte son histoire à Marius;225
sa conclusion est qu'elle est devenue prostituée parce que son amoureux, ce
matelot, "c'était pas un homme"226.
95
La morale de la fable n'est pas ce qu'on attendait, et César, malgré ses
tricheries aux cartes, est un homme d'honneur. Pourtant, le rôle de la femme dans
cette société patriarcale dépend complètement des hommes. Les lois de cette
communauté ne changeront pas, mais César demande à son fils d'être honnête et
honorable.
Dans le deuxième volet de la trilogie, Honorine et Claudine comparent
Fanny à la tante Zoé; elles ont peur que Fanny ait son caractère. Et la dépendance
de la femme dans cette société est encore évoquée parce que Norine compare Zoé
à "un parapluie fermé, qui ne peut pas tenir debout tout seul"227. Panisse lui
répond: "Les parapluies fermés tiennent très bien debout, Norine, quand ils ont un
mur pour s'appuyer"228.
Les hommes sont plus charitables envers Zoé, mais cette attitude montre
leur pouvoir absolu dans le monde. La réaction d'Honorine quand Fanny lui dit
qu'elle est enceinte montre toute la peur qu'elle ressent: "C'est encore pire que
Zoé!"229. César montre toute sa colère quand il apprend que Fanny va épouser
Panisse et il dit: "Va, tu es bien la nièce de ta tante Zoé. Celle-là, elle s'y
entendait pour faire danser les vieux pantins..."230. La défense de Panisse contre
les protestations de César, est: "Tu connais Honorine...Tu sais comme elle a été
malade lorsque sa soeur Zoé a mal tourné. Si sa fille est déshonorée, ça sera
pire"231. Et il conclut: "...et on dira aussi, comme toi tout à l'heure: 'D'ailleurs,
c'est l'habitude dans la famille. Il y a déjà eu sa tante Zoé qui n'a jamais eu le
temps de remettre sa culotte.'"232 Alors, la morale de cette fable semble être qu'il
faut qu'une fille enceinte se marie pour donner un nom à son enfant, car l'individu
doit se sacrifier pour le bien-être et la survie de la communauté.
96
Examinons maintenant chacun de ces textes pour voir exactement quel
individu s'oppose à la communauté et comment il menace ainsi sa cohésion.
Les individus
Marius
Pourquoi Marcel Pagnol choisit-il le titre Marius pour la première pièce de
la trilogie? C'est parce que c'est ce personnage-là qui est "le centre d'intérêt" pour
le dramaturge.233 La plupart des critiques qui ont parlé de cette oeuvre y voient un
simple mélodrame qui fait pleurer Margot.234 Il y a, évidemment, une histoire
d'amour dans la pièce et un lien avec le mélodrame français,235 mais ce n'est pas la
raison pour le titre, car dès la première scène, une question capitale se pose dans le
texte, et cette question-là est: Marius partira-t-il? C'est là l'intérêt de la
conversation entre Marius et Escartefigue au début de la pièce. La réponse à cette
question est le thème de toute la pièce, et la réponse, si elle est affirmative,
déchirera toute l'unité de la communauté du Vieux-Port. Voilà pourquoi la
présence ou l'absence de Marius est primordiale.
En effet, dans le premier acte de Fanny, le résultat du départ de Marius est
évident: le groupe de joueurs de cartes est désuni. Maintenant Monsieur Brun,
Panisse et Escartefigue sont assis autour de la table tandis que César est debout et
se promène. Le dialogue bon enfant entre les quatre partenaires n'est plus amical.
Après quelques réponses brusques de César, Escartefigue dit à Panisse: "...Tu as
ton paquet!"236. César attend le facteur et le chauffeur, qui travaille au Bar de la
Marine, dit aux amis que quand le facteur passe sans s'arrêter, César parle au
97
chapeau de paille de Marius. L'absence du fils est donc présente et visible par une
métonymie.
Marius, bien que le descendant de César, le chef de la tribu, est très attiré
par la marginalité de Piquoiseau. Piquoiseau est un personnage sans beaucoup de
profondeur qui est pourtant nécessaire à l'économie de la pièce car il a piqué la
curiosité de Marius en lui racontant ses aventures. Les autres ne le prennent pas au
sérieux, et quand il se lève pour parler,237 il se sert d'un porte-voix pour se faire
entendre, mais le seul qui l'écoute est Marius. Comme Piquoiseau, Marius n'est
pas entendu quand il veut exprimer son désir d'évasion, et sa conversation est
limitée à des échanges avec Escartefigue. Sa voix n'est pas reconnue par la
génération au pouvoir, et il rêve à haute voix avec Escartefigue, qui est bête, avec
Piquoiseau, qui est "fada," et finalement avec Fanny, qui est dangereuse elle-même
(à cause de sa jeunesse et de sa beauté) à la cohésion du groupe social.
Dans ce quartier de commerçants, Marius pense moins à l'argent que les
autres habitants; c'est lui qui offre du café au "fada" et à Fanny sans que son père
le sache.238 Pendant la confrontation entre Panisse et Marius au sujet de Fanny, le
jeune appelle le vieux "Commerçant!"; cette "insulte" curieuse de la part de Marius
nous permet de voir que Marius sent qu'il ne fait pas partie de la vie commerciale
de la communauté. Il est jeune et il a envie de partir, et la collectivité ne survivrait
pas si les jeunes partaient. Marius est contrasté, implicitement, avec Escartefigue,
le navigateur qui ne navigue que d'une rive à l'autre du Vieux-Port.
Si l'on étudie le champ sémantique des premières scènes de Marius, on
comprend que le vocabulaire de Marius contient beaucoup de références aux autres
et aux terres lointaines. Le nom de Marius, d'ailleurs, est à mi-chemin entre
98
Marseille et la mer. Quoique le quartier du Vieux-Port soit une unité qui a la
valeur d'un village clos, il y a beaucoup de suggestions du monde extérieur qui
appelle Marius. D'abord, Marseille est un port important, la porte d'entrée en
France pour toutes les colonies françaises en Afrique. La description du décor
nous annonce des caisses "qui portent en grosses lettres des noms de villes:
Bangkok, Batavia, Sydney"239.
C'est Marius qui mentionne les Iles sous le vent, le Brésil, Madagascar;240
Piquoiseau parle de Manille. Même Escartefigue dit que les passagers qui "font
des signaux terribles" sont sûrement "des Napolitains qui se parlent"241. Alors,
Marseille est un monde clos entouré d'un autre monde qui appelle les jeunes
romantiques comme Marius. Ce fils de César, tout en faisant partie du groupe,
exprime son désir "de mettre le cap sur la haute mer..."242, et il pose des questions à
Escartefique qui nous montrent son ambition de fuir. Quand la Malaise vient
vendre les fruits de l'arbre à pain de Samoa, Marius en achète un243 et cela le fait
rêver. Alors, si le Vieux-Port ressemble à un village, il faut admettre qu'on parle
très souvent d'autres pays et que Marseille est une ville cosmopolite; la tentation
de voyager ailleurs est toujours tout autour de Marius.
Le vocabulaire de Marius contient des listes de noms géographiques et on
les récite comme autant de noms poétiques: l'Australie, la Chine, les Amériques,244
Rangoun, Padang, Florès, la Calédonie,245 Aden, Bombay, les Iles sous le Vent,246
Suez, Madras, Colombo, Macassar....247
En analysant le développement du caractère de Marius, on verra comment
sa présence ou son absence dans la communauté devient le point essentiel de la
pièce. C'est dans le premier acte que le drame de Marius est présenté. Dans la
99
première scène, nous savons que Marius a envie de partir. Dans la deuxième
scène, nous comprenons qu'il ne fait pas bien son travail et dans une communauté
de commerçants, c'est grave. La troisième scène nous montre un Marius qui fait
partie quand même de la collectivité; il encourage Monsieur Brun d'interroger son
père au sujet de ses amours. Mais dans la quatrième scène, sa tentation réapparaît
sous la forme de la Malaise; dans la prochaine scène, Marius nous montre qu'il
reconnaît le sifflet des bateaux; tout de suite après cela, il sort du Bar de la Marine
avec Piquoiseau. Quand il revient, il ose s'exprimer avec Fanny; elle est jeune
comme lui, et il l'aime. Dans la neuvième scène, à cause de sa jalousie, il a un
duel verbal avec Panisse et il fait le geste d'étrangler le maître-voilier. Alors, nous
comprenons que si Marius reste à Marseille il menace la cohésion de la
communauté. Dans la dixième scène du premier acte, Marius annonce à Fanny
qu'il ne peut pas se marier.
L'acte deux commence par l'absence du jeune homme. César et Panisse
trouvent que "cet enfant a quelque chose"248. César comprend pourquoi Marius a
sauté sur Panisse; il sait qu'il a voulu supprimer un rival. La solution au problème
est donc suggérée; il faut que Marius épouse Fanny. Mais ensuite, nous apprenons
qu'il a la possibilité de remplacer un marin à bord d'un trois-mâts. Marius avoue sa
folie pour la mer à Fanny, mais le matelot rentre à Marseille et Marius ne partira
pas à la place du mousse.
L'acte trois montre une communauté sans Marius, quoiqu'on parle de ses
fiançailles avec Fanny. La jeune femme va le chercher dans sa chambre pendant
que César annonce aux joueurs de cartes que Marius a une maîtresse. Cette scène
préfigure le vrai départ de Marius.
100
Dans le dernier acte, on parle de la comédie jouée par Marius qui est déjà
absent du Bar de la Marine. L'ironie est que Marius présente son spectacle parce
qu'il couche avec Fanny et il n'ose pas le dire à son père. Son père lui explique
comment agir après qu' Honorine lui apprend la vérité. Panisse comprend que
Marius va partir et il dit à Fanny de le surveiller. Il est donc clair que dès le début,
la seule question qui se pose est: Marius partira-t-il?
A la fin de la pièce, avant de prendre sa décision finale, Marius dit au
Bosco: "Il me faut bien plus de courage pour rester que pour partir"249. S'il reste,
il n'aura toujours pas la parole, car c'est son père qui sera le chef de la tribu. En
partant, Marius gagne la parole. Et pourtant, César dit à Fanny: "Des fois, je le
bouscule, Marius, mais si je restais six mois sans le voir, j'en crèverais..."250. Parti,
Marius retrouvera la parole et quand il reviendra, il parlera avec Madame Panisse.
Mais quand César arrive chez Panisse, c'est lui qui reprendra la parole. Marius lui
dit: "Ne commence pas à crier tout de suite!"251. Il est à noter que le seul mot hors
champ est celui de Panisse qui retourne chez lui; le mot de Panisse qu'on entend
montre bien sa position précaire dans la famille. Le texte, encore une fois, dit une
chose et semble suggérer par le groupement de personnages que la vraie famille
est toujours Marius, Fanny, César et le bébé.
Est-ce que Marius finit bien? Il faut répondre oui et non: oui pour Marius
parce qu'il trouvera la parole; non pour la communauté parce qu'elle perdra son
avenir. Le texte, apparemment un mélodrame,252 paraît se mettre du côté des
jeunes amants, mais en vérité, il s'aligne avec les vieux barbons--César et Panisse,
et nous comprendrons cela au début du deuxième volet de la trilogie marseillaise.
101
Fanny
Dans la deuxième pièce de la trilogie, Fanny, le centre d'intérêt est Fanny
parce que c'est elle qui menace la cohésion de la communauté. Sa mère et sa tante
lui conseillent d'épouser Panisse, parce que si elle refuse de se marier avec lui, son
enfant naîtra sans nom. Le texte nous suggère que quelques autres possibilités
existent: (1) Claudine dit que c'est tant mieux que Marius ne lui écrive pas "Parce
que comme ça, ça va lui passer. Elle l'oubliera"253. (2) Honorine répond: "Oui,
elle l'oubliera ou bien elle va mourir de mauvais sang." Claudine dit: "Mais alors,
ça serait un amour comme au cinéma. Une passion"254. (3) Claudine ajoute:
"...petit à petit, elle va l'oublier et à la fin des fins, si elle n'en trouve pas un qui soit
mieux, elle épousera Maître Panisse"255. (4) Mais Norine répond: "...même si elle
accepte Maître Panisse, eh bien, ça ne se fera pas, parce que c'est Panisse qui ne
voudra plus"256. Nous voyons donc quatre façons de terminer l'histoire qui sont
présentées dans le texte lui-même. Ces terminaisons virtuelles sont dites au début
de l'acte II pendant la discussion entre Honorine et Claudine; leur intérêt semble
être la réputation de Fanny, mais un effet secondaire sera de réunir la communauté
et lui donner un avenir, étant donné que Fanny est la seule femme dans le texte qui
puisse encore avoir un enfant. Tout l'avenir de cette collectivité dans le Vieux-
Port de Marseille dépend donc de sa décision.
La scène vi après le deuxième tableau contient le noeud du drame; Fanny
revient chez elle où sa mère et sa tante l'attendent. Panisse vient de renouveler sa
demande de l'épouser. On attend donc la moitié de la pièce pour discuter le vrai
problème posé par l'absence de Marius. Fanny décide que s'il faut se marier, elle
102
préfère que ce ne soit pas avec un jeune.257 Sa décision est donc de renoncer à
l'amour pour le bien de la communauté.
Avant que Fanny ne vienne parler avec Panisse pour consolider la famille
et ensuite la communauté, deux autres menaces sont suggérées: d'abord, nous
savons que César a quelque chose de sérieux à discuter avec Panisse, mais il va
d'abord lire la lettre de Marius, une missive qui peut avoir un rapport à la
conversation. Ensuite, il y a la possibilité que Monsieur Brun se noie. A partir de
l'acte II de Fanny, toute l'action se passe chez Panisse parce que Fanny accepte de
l'épouser et en faisant cela, elle accepte de participer à la communauté. "La femme
de Maître Panisse, président du Syndicat, juge au tribunal de commerce"258. Et, en
effet, Fanny entre dans le commerce.259
Pendant la sixième scène du troisième acte, Marius revient faire une visite;
quand il passe chez Maître Panisse, il apprend la vérité et il veut partir avec sa
femme et son enfant. Panisse donne le choix à Fanny de décider ce qu'elle veut
faire, mais c'est un faux choix, et le texte est écrit de façon à ce que le vieux
barbon qui est le garant de la famille gagne; l'amour est exclu et Fanny ne pense
qu'à son fils, l'avenir de la collectivité.
Après Aristophanes, dans la nouvelle comédie, il y a généralement une
intrigue érotique entre un jeune homme et une demoiselle; leur amour a
normalement un obstacle, comme le père de la jeune fille. (Un parfait exemple
serait L'Ecole des Femmes de Molière.) Le début de l'œuvre montre une société
en ordre. Une transgression vient déranger ce monde; dans la Trilogie
Marseillaise, c'est le fait que Marius quitte le Vieux-Port après que Fanny est
enceinte de lui. A la fin d'une comédie typique, un nouveau monde est créé, car le
103
jeune couple reste ensemble et le vieux barbon est seul.260 Ce qui est intéressant
chez Pagnol, c'est justement qu'il y a bel et bien un autre monde à la fin de sa
comédie, mais dans Fanny, c'est le vieux barbon qui devient et reste le mari de la
jeune femme. Pour que la communauté résiste, le couple est composé de la jeune
femme et du vieil homme.261 Pagnol renverse donc la structure normalement
employée dans la comédie, et pour le bien de la collectivité, l'individu perd son
désir.
Quand Marius comprend la situation, il pose la question suivante: "Et moi,
qu'est-ce que je suis là-dedans?"262. Pour la deuxième fois, à la fin du texte, il est
exclu de la famille et de la communauté. Panisse répond ainsi à sa question:
Si ce que tu dis est vrai, toi tu es celui qui est parti comme un
vagabond, en abandonnant la fille qui t'avait fait confiance. Et si un
honnête homme l'a sauvée du déshonneur et des commérages, tu ne
peux que lui dire merci.263
Marius insiste et demande une solution pour lui rendre sa femme et son fils. César
conclut la discussion en disant: "Allons, tu déparles"264.
César
Dans cette troisième oeuvre de la trilogie marseillaise, César devient le
centre d'intérêt. Panisse meurt vers le début et Césariot apprend l'identité de son
père biologique. La question sera si César laissera la parole à son fils ou s'il
continuera à dominer la communauté. Après la mort de Panisse, la collectivité
revient au Bar de la Marine et l'action du film est divisée entre la maison Panisse,
104
le Bar de la Marine, Toulon, et les scènes extérieures. La communauté est
dispersée et elle n'a plus de centre.
Nous verrons ici la conclusion de la dispute entre le père et le fils, entre
deux générations. Depuis six ans, Marius et César ne se parlent pas parce que
César a insulté la femme avec qui Marius vivait et il l'a injuriée chez Marius. Le
fils a donc demandé à son père de ne plus revenir chez lui. Marius est le chef et le
maître de la parole chez lui. C'est son droit de ne pas permettre à son père de venir
à la maison. Mais quand le fils interdit à son père de venir, César n'accepte plus
que Marius lui rende visite. A chacun son fief. La famille et la communauté sont
donc divisées.
La scène de famille qui se passe à la fin de César a lieu dans le Bar de la
Marine. Les deux hommes se parlent et enfin Marius peut répondre à son père.
César fait des reproches à son fils et Marius se défend. Après avoir réfuté les
accusations contre lui, Marius ajoute: "Mais ce qui me fait peine, c'est la
méchanceté de votre imagination, qui arrange tout contre moi..."265. C'est donc le
moment de la confrontation entre la communauté et le fils prodigue qui a enfin
retrouvé la parole.
Devant Césariot, on ne parlait jamais de Marius; il y avait donc le silence et
les visages rouges associés à son nom. Et Marius était interdit à Marseille à cause
du petit, de Fanny et de Panisse. Il dit: "J'étais celui qui menaçait la tranquillité
du petit. J'étais l'ennemi..."266. La communauté n'avait pas d'opposition tant que
Marius était absent, et la grande question à la fin de la trilogie marseillaise est qui
aura la parole--César ou Marius. Comme Marius explique à son père:
105
Toi, tu as été content de me voir partir. Parce que, si j'avais épousé
Fanny j'aurais été le chef de famille, et j'aurais eu l'autorité sur le
petit. Tandis qu'avec Honoré, tu l'avais belle pour satisfaire ta
manie de commander.267
La preuve qu'il s'agit du droit de parler est la réponse de César; il dit: "On ne t'a
pas vu depuis dix ans, et tu reviens engueuler tout le monde"268. Après un échange
d'insultes, César conclut la discussion en disant: "Oui, nous sommes dans un joli
pastis...Tu as eu une bonne idée de naviguer"269.
La transgression de Marius était de quitter la communauté. A la fin de la
trilogie, il est pardonné et réintégré dans le groupe. La collectivité continue à
avoir une loi patriarcale, mais Marius remplace César, la famille ne sera plus
divisée, et la femme aura une position plus importante car elle participe à titre égal
dans le commerce du quartier.
Il est temps de noter la différence entre le film et les textes écrits de César;
dans le film, tourné en 1936, la conclusion est déterminée par César comme chef
de famille, mais dans les textes successifs, la conclusion est entre Fanny et Marius.
Dans le film, Césariot voyage à Toulon trois mois après la mort de Panisse pour
voir son père biologique; il conclut que c'est un voyou. Fanny lui explique que les
enfants sont égoïstes et prennent tout de leur mère. A présent, elle n'est qu'une
mère tandis qu'avant, elle était aussi une femme. Elle aimerait aider Marius à
recommencer sa vie, et Césariot se croit protecteur de sa mère qui est "une femme.
Un être faible"270. Césariot menace de partir pour les colonies si sa mère revoit
Marius. Ensuite, l'associé de Marius, Fernand, arrive au Bar de la Marine; lorsque
106
Césariot apprend que Marius est en ville, il va le chercher pour l'amener chez
César pour la scène de famille.
Césariot se présente à Marius et celui-ci accepte d'aller se justifier. Il
explique devant son père et Fanny qu'il n'est pas criminel, qu'il avait fait quelques
incartades de jeunesse, "comme l'oncle Emile"271, mais sa seule condamnation est
qu'il était "interdit de séjour" à Marseille depuis dix-huit ans,272 et cela à cause des
sous de Panisse qui pouvait tout offrir à l'enfant. Marius sait qu'il menacerait
l'avenir de Césariot en restant à Marseille.
Après s'être défendu, Marius se déclare honnête et repart pour Toulon.
Plus tard, dans la soirée, César demande aux copains s'il est coléreux. Le docteur
lui dit qu'il a même chassé son fils. Césariot est visiblement ému par les mots de
Marius et dit à son parrain: "Vous avez été injustes envers lui"273.
Il est clair que Fanny et Marius s'aiment toujours et Césariot demande à
César d'"arranger les choses" entre ses parents.274 Fanny a téléphoné à Marius pour
fixer un rendez-vous où ils parlent de leur fils. Marius explique à Fanny qu'il ne
peut plus l'épouser à cause de l'argent de Panisse; elle est maintenant une dame:
"Tu as fréquenté des gens instruits, qui savent parler"275. César les a suivis et il
leur annonce que Césariot veut qu'ils se marient; bien que ce fils n'ait pas le nom
de son père, "les autres" l'auront; la suggestion qu'une autre communauté va naître
est évidente. Leur réunion servira donc de garant à la survie de la communauté.
Quand Pagnol refait le texte des années plus tard, il change quelques détails
qui ajoutent des précisions à sa définition de la communauté. D'abord, la
deuxième conclusion est plus directe et mieux écrite, moins mélodramatique, plus
adroite et plus égalitaire. En voici quelques exemples: (1) Au lieu de conclure
107
que son père biologique est un "voyou," Césariot annonce que Marius est
garagiste: "C'est une profession aussi honorable qu'une autre"276. Ce commentaire
sert à rendre le polytechnicien moins prétentieux et plus tolérant. (2) Marius dit à
Fanny qu'elle avait raison de profiter de ses avantages matériels: "Quand le vin est
tiré, il faut le boire, même s'il est bon"277. Plus tard, il écrira: "Quand le vin est
tiré il faut le boire, surtout s'il est bon"278. Cette phrase, quoique moins amusante,
est plus logique. (3) Fanny aime toujours Marius et regrette son bonheur passé;
en même temps, elle admet qu'elle se sent responsable de son bonheur gâché et de
celui de Marius parce que c'est elle qui l'a fait partir.279 Il y a, dans les deux textes,
le jeu de trompe-couillon et la scène de famille. Dans le texte écrit plus tard, deux
années sont passées depuis la mort de Panisse; ce temps ajouté fait que la scène de
famille est moins mélodramatique.
Dans le texte révisé, Marius s'adresse a toute la famille en disant: "Salut la
compagnie"280, tandis que dans le premier texte, il parle directement à son père.
L'auteur supprime les détails du passé criminel de Marius dans le deuxième texte;
après tout, tout ce qui compte, c'est de montrer que Marius n'est pas malhonnête.
Ses crimes et sa punition se réduisent aux incartades de sa jeunesse et à une
quinzaine de jours dans une prison militaire pour avoir bousculé un premier-
maître, une amende pour avoir eu deux ou trois paquets de cigarettes américaines,
et une visite à la préfecture de police pour identifier un criminel.281 Encore une
fois, la "seule condamnation" de Marius est son interdiction de séjour à Marseille.
Il ajoute cette fois-ci: "...si j'avais su que tu allais naître, je ne serais jamais
parti"282. Cette déclaration accentue le fait qu'il n'est pas le seul responsable de son
départ et qu'il n'a pas fait exprès de quitter son fils.
108
Marius demande à son père pourquoi il a permis le mariage entre Fanny et
Panisse et il souligne que César voulait garder son autorité de chef de famille. Si
Marius était le mari de Fanny, il serait devenu le maître de la tribu aussi. Marius
propose à César de venir vivre avec lui à Cassis où il a acheté un petit chantier
naval. César ne veut pas le faire, car il comprend que s'il n'est pas chez lui, il
perdra la parole autoritaire. Cette concurrence pour le droit à la parole confirme la
nécessité du départ de Marius il y a vingt ans.
Dans cette deuxième version, Césariot et César discutent ensemble le sort
de Marius et de Fanny; César révèle à son petit-fils que Panisse lui a parlé d'un
mariage possible entre Fanny et Marius après sa mort. Ils décident tous les deux
de garder leur complicité un secret et de ne rien dire à Fanny. La conclusion du
texte rend donc Césariot beaucoup plus agréable comme personnage et la
communauté future plus égalitaire.
César vient donc présenter Marius chez Fanny deux ans après la mort de
son mari. Marius vient pour parler d'affaires et César annonce que Fanny est "la
patronne." César leur dit: "Tâchez de vous arranger, (à Fanny) parce que c'est très
important pour lui. Je reviens dans dix minutes..."283. Marius demande une
recommendation de Fanny "à la maison mère"284 pour qu'il puisse travailler à
Cassis et à La Ciotat. Ils vont donc travailler ensemble; chacun gagnera sa vie et
ce ne sera plus le père qui dominera le couple.
Les deux parents sont fiers de leur fils qui est allé à l'Ecole Polytechnique,
"[l]a plus haute école de France!"285 mais bien que Césariot soit premier de la
classe dans le film, dans le texte, il n'est que second. Cela le rend un peu plus
gentil. Mais il continuera l'école encore deux ans car il veut être ingénieur naval;
109
c'est une profession acceptable car il ne voyagera pas. Cependant, il a été élevé à
Paris et ne fait plus partie de la communauté du Vieux-Port de Marseille. La
communauté evolue donc, et l'étape finale est d'être bien placé dans la Troisième
République. Même le couple Fanny-Marius se sera embourgeoisé, car Fanny est
la patronne et Marius aura sa propre entreprise de moteurs. Il va les réparer, car
comme Fanny lui dit: "Il n'y a rien d'irréparable, Marius, rien d'irréparable"286.
Encore une fois, il y a Marius qui parle littéralement de réparer les moteurs navals
tandis que Fanny parle figurativement de leur vie affective.
Dans la didascalie du texte, l'auteur explique: "La face de César paraît,
derrière les vitres de la fenêtre. Il recule brusquement, et ferme les volets"287.
Littéralement et figurativement, il faut que César recule pour que Marius puisse
prendre sa place et la parole dans la collectivité. La communauté future, fondée
par le couple Fanny et Marius sera moins coléreuse, moins bavarde, et plus
tolérante parce que tout sera réparable.
Les changements du film au texte rendent Césariot moins désagréable et
moins snob; César est plus apte à accepter les paroles prononcées par Marius. Ils
suivent la même direction que les futurs textes pagnoliens. Ils développeront une
communauté plus égalitaire où tous ceux qui y participent ont une voix. Dans le
texte de l'Edition de l'Honnête Homme déjà288 et dans le texte édité aujourd'hui
dans les Editions de Fallois, c'est César, la voix du passé, avec Césariot, la voix de
l'avenir, qui aident le couple à se réunir. Puisque le visage de César est derrière la
fenêtre et puisqu'il ferme les volets, on a l'impression que c'est lui le metteur en
scène. Alors, bien que Marius finisse par gagner la parole, nous voyons que c'est
parce que César lui a cedé ce droit.
110
Marius et Fanny sont écrits pour le théâtre et adaptés au cinéma. César, par
contre, est écrit pour le cinéma et adapté ensuite au théâtre. Nous voyons donc un
changement de genre qui amènera Pagnol à écrire et à réaliser des films dans les
prochaines étapes de sa carrière. Ses discussions avec René Clair et son amitié
avec Jean Renoir l'influenceront à essayer des techniques plus visuelles et
cinématographiques pour réaliser ses adaptations des oeuvres de Jean Giono.
111
Notes
112
1 Voir Marcel Pagnol, La Trilogie Marseillaise Marius Fanny César. (Paris: Editions de Fallois, 1992).
2 Marcel Pagnol, Oeuvres Complètes, vol. 2 (Paris: Editions de Provence, 1964-73) 2.
3 Raymond Castans, Marcel Pagnol: Biographie (Paris: Editions Jean-Claude Lattès, 1987) l94.
4 Selon Honorine, Marcel Pagnol, Marius (Paris: Editions de Fallois, 1988) 53.
5 Daniel Armogathe et Jean-Michel Kasbarian, Dico marseillais d'Aïoli à Zou! (Marseille: Editions Jeanne Laffitte, 1998. "Ce nom féminin désigne un 'rouleau de farine de maïs' que l'on fait griller ou frire à la poêle...La notoriété du terme est attestée par son utilisation comme nom propre: le personnage de Panisse chez Pagnol." 176.
6 Il y a une différence entre le film qui date de 1936 et le texte qui est rédigé après; dans le texte, Fanny lui parle deux ans plus tard, et dans le film, c'est seulement quelques jours plus tard.
7 Jacques Bens, Pagnol (Paris: Ecrivains de Toujours, 1994) 169-170; C. E. J. Caldicott, Marcell Pagnol (Boston: Twayne, 1977) 35-37.
8 Colin Crisp, The Classic French Cinema, 1930-1960 (Bloomington: Indiana UP, 1993). Voir les films de Jean Gabin, "Le Jour se lève," par exemple.
9 Voir Jean-Claude Bouvier, "L'image de l'étranger dans la Trilogie," Revue Marseille 180, hors série, avril 1997: 185.
10 "Personne ne sort indemne, inchangé, innocent de ce temps d'épreuves." Pierre Billard, L'Age classique du cinéma français; Du cinéma parlant à la Nouvelle Vague (Paris: Flammarion, 1995) 479.
11 Marcel Pagnol, César (Paris: Editions de Fallois) 40.
12 Pagnol, Marius 195.
13 Marcel Pagnol, Fanny (Paris: Editions de Fallois, 1988) 105.
14 Ibid. 154; voir la didascalie "César, les mains largement ouvertes, s'avance vers Panisse pour l'étrangler." Pagnol, Marius 101.
15 Bens 77.
16 Ginette Vincendeau, French Cinema in the 1930s: Social Text and Context of a Popular Entertainment Medium (The British Library: U of East Anglia, 1985) 180-181.
17
Castans, Marcel Pagnol 186; instinctivement, Raimu a tout de suite compris cela et il a demandé le rôle du père César, et non pas celui de Panisse, le veuf sans enfants.
18 Marcel Pagnol, Cinématurgie de Paris (Paris: Editions de Fallois, 1991) 98.
19 Bens 101-109.
20 Pagnol, Marius 46.
21 Ginette Vincendeau, "In the Name of the Father: Marcel Pagnol's 'Trilogy' Marius (1931), Fanny (1932), César (1936)." French Film: Texts and Contexts, eds. Susan Hayward and Ginette Vincendeau (London: Routledge, 1990) 67-82.
22 Chez Pagnol, les noms sont toujours importants et ce nom suggère "honneur de la maison"--cabanon.
23 César rappelle l'empereur romain César, et Ollivier, comme l'arbre de la Méditerranée, a ses racines dans cette terre.
24 Pagnol, Fanny 65.
25 Voir la discussion dans le troisième chapitre de cette thèse au sujet de Regain.
26 Pagnol, Fanny 46.
27 Vincendeau, French Film 78.
28 Pagnol, César 93.
29 Pagnol, Fanny 140.
30 Ibid. 141.
31 Ibid. 144.
32 Ibid. 145.
33 Lire la note 5 de ce chapitre au sujet de "panisse."
34 Pagnol, César 60.
35 Ce pont, qu'on voit dans les films des années 1930, a disparu pendant la Deuxième Guerre Mondiale.
36 Pagnol, Marius 149-155.
37 Ibid. 15.
38 Ibid. 163.
39 Ibid. 164.
40 Ibid.
41 Bouvier, Revue Marseille 40-45.
42 Vincendeau, French Film 13-18.
43 Pagnol, Marius 31.
44 La Canebière est la rue principale commerçante de Marseille.
45 Pagnol, Marius 34.
46 Gnafron est un personnage du théâtre du guignol; c'est l'ami de Guignol, le héros des spectacles de marionnettes commencés à Lyon à la fin du dix-huitième siècle. Gnafron est rappelé à l'ordre regulièrement par Guignol qui le bat sur la tête.
47 Voir la discussion au chapitre 4, Pagnol, La Femme du boulanger, où l'instituteur dit: "C'est vraiment un village de crétins." 23.
48 Pagnol, Marius 49.
49 Pagnol, Fanny 124.
50 Ibid. 127.
51 Pagnol, César 28.
52 Ibid.
53 Pagnol, Fanny 49.
54 Pagnol, Marius 48.
55 Pagnol, César 38-39.
56 Pagnol, Fanny 32.
57 Ibid. 42-46.
58 Bouvier, Revue Marseille 44.
59 Bens 94.
60 Pagnol, César 167.
61 Pagnol, Marius 202.
62 Ibid. 98.
63 Ibid.
64 Ibid.
65 Voir le chapitre 5 de cette thèse, au sujet de Manon des Sources.
66 Selon Castans dans Marcel Pagnol, celui-ci a insisté pour avoir des acteurs "avec l'accent provençal le plus pur." 185.
67 Castans, Marcel Pagnol 189.
68 Ibid. 195.
69 Pagnol, Marius 14.
70 Ibid. 53.
71 Ibid. 16.
72 Ibid. 34.
73 Ibid. 55.
74 Ibid. 114.
75 Yvonne Georges, Les Provençalismes dans "L'Eau des Collines" (Aix-en-Provence: Publications des Annales de la Faculté des Lettres, 1967).
76 Pagnol, Marius 154-155.
77 Ibid. 181-182.
78 Ibid. 185.
79 Pagnol, Fanny 140,
80 Ibid. 95.
81 Ibid. 96.
82 Pagnol, César 21.
83 Ibid. 30.
84 Pagnol, Marius 120 -121.
85 "...j'avais la passion des mots; en secret, sur un petit carnet, je faisais une collection...." Marcel Pagnol, La Gloire de mon père (Paris: Editions de Fallois, 1988) 115.
86 Pagnol, César 124-125.
87 Ibid. 107.
88 Ibid. 110.
89 Ibid. 116.
90 Ibid. 117.
91 Ibid. 10.
92 Ibid. 214.
93 Pagnol, Fanny 155.
94 Pagnol, Marius 59.
95 Ibid. 33.
96 Ibid. 69.
97 Ibid. 83.
98 Ibid. 181.
99 Pagnol, Fanny 187.
100 Pagnol, Marius 35.
101 Ibid. 40.
102 Vincendeau, French Film 14.
103 Pagnol, Marius 68.
104 Pagnol, Fanny 81; Pagnol, César 127.
105 Tout au début de César, dans la didascalie.
106 Pagnol, César 10, 158.
107 Ibid. 128.
108 Ibid.
109 Pagnol, Fanny 27.
110 Pagnol, Marius 214.
111 Pagnol, César 12.
112 Pagnol, Marius 32.
113 Pagnol, César 121.
114 Ibid. 127.
115 Pagnol, Fanny 26-27; Bouvier, Revue Marseille 43.
116 Pagnol, Fanny 26.
117 Ibid. 27.
118 Ibid.
119 Pagnol, Fanny 28; Bouvier, Revue Marseille 43.
120 Pagnol, Fanny 28.
121 Ibid. 28-29.
122 Ibid. 29.
123 Pagnol, César 171-173.
124 Ibid. 172.
125 Ibid. 41.
126 Pagnol, Marius 52.
127 Ibid. 26.
128 Ibid.
129 Ibid. 28.
130 Ibid.
131 Ibid. 29.
132 Pagnol, César 193.
133 Pagnol, Marius 107.
134 Pagnol, Fanny 153.
135 Pagnol, César 44-46.
136 Pagnol, Fanny 18.
137 Ibid.
138 Ibid. 19.
139 Ibid.
140 Ibid.
141 Pagnol, Marius 155.
142 Pagnol, César 27.
143 Ibid. 28.
144 Pagnol, Marius 107.
145 Ibid. 85.
146 Ibid. 83.
147 Ibid. 86-87.
148 Eric Gans, Science and Faith (Savage, MD: Rowman & Littlefield, 1990).
149 Pagnol, Marius 34.
150 Ibid. 44.
151 Pagnol, Fanny 74.
152 Ibid. 75.
153 Ibid.
154 Pagnol, César 24-25.
155 Ibid. 18.
156 Ibid. 14.
157 Ibid. 49.
158 Ibid. 49-50.
159 Pagnol, Fanny 90-91.
160 Pagnol, Marius 59.
161 Ibid. 60-61.
162 Ibid. 61.
163 Ibid. 100-101.
164 Ibid. 103.
165 Ibid. 105.
166 Mireille Rosello, Declining the Stereotype (Hanover: UP of New England, 1998) 70.
167 Pagnol, Fanny 104.
168 Ibid. 109.
169 Ibid. 100.
170 Ibid. 103.
171 Ibid. 105.
172 Ibid. 106.
173 Pagnol, Marius 68-77.
174 Ibid. 72-73.
175 Ibid. 79.
176 Pagnol, Fanny 56.
177 Pagnol, César 61-62.
178 Ibid. 69.
179 Pagnol, Marius 96-97.
180 Pagnol, Fanny 158-159.
181 Ibid. 201.
182 Castans, Marcel Pagnol 190.
183 Pagnol, Marius 151.
184 Ibid. 154.
185 Georges 134.
186 Pagnol, Marius 155.
187 Ibid.
188 Ibid. 165.
189 Ibid. 178.
190 Vincendeau, French Film 13.
191 Pagnol, Marius 178.
192 Ibid. 182.
193 Voir les films de Jean Renoir, par exemple: "La Règle du jeu," "La Grande illusion."
194 Pagnol, Marius 109.
195 Georges Brassens, Album No. 14 (Paris: Editions Musicales 57, 1976) 12-13.
196 Pagnol, Marius 92.
197 Pagnol, Fanny 172.
198 Ibid. 203.
199 Ibid.
200 Pagnol, César 125.
201 Plus tard, dans Manon des Sources et les Souvenirs d'enfance, nous apprendrons qu'une source ne se dit pas non plus.
202 Pagnol, César 103.
203 Pagnol, Fanny 21.
204 Ibid. 161.
205 Ibid. 110.
206 Ibid.
207 Ibid. 111.
208 Ibid. 113.
209 Pagnol, César 54.
210 Ibid. 95.
211 Ibid.
212 Ibid. 208.
213 Pagnol, Marius 213.
214 Ibid. 214.
215 Pagnol, César 164.
216 Ibid. 169.
217 Ibid. 197.
218 Ibid. 201.
219 Ibid. 211.
220 Pagnol, Marius 56.
221 Ibid. 82.
222 Ibid. 90.
223 Ibid. 139-140.
224 Ibid. 182.
225 Ibid. 194-196.
226 Ibid. 196.
227 Pagnol, Fanny 88-89.
228 Ibid. 89.
229 Ibid. 100.
230 Ibid. 163.
231 Ibid. 165.
232 Ibid. 166.
233 Pagnol, Cinématurgie de Paris 98.
234 Bens 51.
235 Vincendeau, French Film 12.
236 Pagnol, Fanny 12.
237 Pagnol, Marius 15-16.
238 Ibid. 20.
239 Ibid. 9.
240 Ibid. 15.
241 Ibid. 17.
242 Ibid. 14.
243 Ibid. 43-44.
244 Ibid. 143.
245 Ibid. 208.
246 Ibid. 211.
247 Ibid. 218.
248 Ibid. 106.
249 Ibid. 207.
250 Ibid. 217.
251 Pagnol, Fanny 197.
252 Voir l'explication des éléments du mélodrame français, c'est-à-dire, la justaposition constante de la mode tragique à la mode comique, dans l'article par Vincendeau, French Film 12.
253 Pagnol, Fanny 78.
254 Ibid.
255 Ibid. 79.
256 Ibid. 81.
257 Ibid. 108.
258 Ibid. 175.
259 Ibid. 183.
260 Northrop Frye, Anatomy of Criticism: Four Essays (Princeton: Princeton UP, 1957) 44.
261 "The theme of the comic is the integration of society, which usually takes the form of incorporating a central character into it." Frye, Anatomy 43; "New Comedy normally presents an erotic intrique between a young man and a young woman which is blocked by some kind of opposition, usually paternal...." 44. Voir aussi Charles Mauron, Psychocritique du genre comique (Paris: Jean-Pierre Delarge, 1985).
262 Pagnol, Fanny 204.
263 Ibid. (J'ai souligné les mots.)
264 Ibid. 205.
265 Pagnol, César 189.
266 Ibid. 191.
267 Ibid. 192.
268 Ibid. 193. (J'ai souligné.)
269 Ibid. 194.
270 Marcel Pagnol, César (Paris: Fasquelle, 1946) 188.
271 Ibid. 208.
272 Ibid. 212.
273 Ibid. 228.
274 Ibid. 232.
275 Ibid. 239. (J'ai souligné.)
276 Pagnol, César 166.
277 Pagnol, César, Fasquelle 215.
278 Pagnol, César, 192.
279 Ibid. 169.
280 Ibid. 185.
281 Ibid. 189.
282 Ibid. 190.
283 Ibid. 214.
284 Ibid. (J'ai souligné.)
285 Ibid. 215.
286 Ibid. 217.
287 Ibid.
288 Marcel Pagnol, Oeuvres Complètes de Marcel Pagnol, 12 vols. (Paris: Club de l'Honnête Homme, 1970-71).