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8/14/2019 Approche Competences
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Lapproche par comptences,une rponse lchec scolaire ?
Philippe Perrenoud
Facult de psychologie et des sciences de lducation
Universit de Genve
2000
SommaireI. Dvelopper des comptences en formation gnrale
II. Pour que lapproche par comptences soit dmocratisante
III. Le rapport au savoir des professeurs
IV. Approche par comptences et pdagogie diffrencie
V. Pour conclure
Rfrences
A quoi bon changer les programmes si ce nest pour que davantage de jeunes
construisent des comptences et des savoirs plus tendus, pertinents,durables, mobilisables dans la vie et dans le travail ?
Si cela va de soi, in abstractoet dans la sphre des bonnes intentions, il reste
faire la preuve quune approche par comptences ne sera pas,
paradoxalement, plus litaire quune pdagogie centre sur les savoirs,
quelle donnera plus de sens au mtier dlve et quelle aidera les lves en
difficult ou en chec se rconcilier avec lcole.
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Pour aller dans ce sens, il importe de montrer que, loin de tourner le dos aux
savoirs, lapproche par comptences leur donne une force nouvelle, en les
liant des pratiques sociales, des situations complexes, des problmes,
des projets. Ce faisant, elle peut, sans sattaquer toutes les causes de
lchec scolaire, prtendre au moins traiter de faon dcide de la question du
rapport au savoir et du sens du travail scolaire. Mais cela ne va pas sans
interroger le rapport au savoir des enseignants et le sens de leur propre
travail
***
Les rformes des systmes ducatifs visent :
les unes moderniser les finalits de l'enseignement, pour mieux les ajuster auxbesoins prsums des personnes et de la socit ;
les autres mieux atteindre des objectifs de formation donns, instruire pluslargement et efficacement les gnrations scolarises.
Souvent, ces deux enjeux sont entremls, parce que l'une des dimensions
implique l'autre. La recherche d'une cole plus efficace peut amener mettreen question le curriculum en vigueur. Inversement, une transformation
radicale des programmes exige de nouvelles mthodes d'enseignement, dont
lefficacit reste dmontrer.
Comment situer l'approche par comptences ? Manifestement comme une
tentative de moderniser le curriculum, de l' inflchir, de prendre en compte,
outre les savoirs, la capacit de les transfrer et les mobiliser.Les textes officiels ne sont pas toujours trs explicites cet gard, sans doute
parce quil est politiquement plus correct de prtendre soccuper la foisde
moderniser les programmes et damliorer lefficacit de lcole. Les
intentions et leur formulation diffrent en outre d'un systme ducatif ou d'un
ordre d'enseignement un autre. Cependant, il parat assez vident que le
moteur principal d'une telle rforme est la volont de faire voluer les finalits
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de l'cole, pour mieux les adapter la ralit contemporaine, dans le champ
du travail, de la citoyennet ou de la vie quotidienne.
Si cela est vrai, on pourrait avoir l'impression que la question des ingalits et
de l'chec scolaire n'est pas pose par l'approche par comptences, qu'on se
borne substituer de nouveaux programmes aux anciens, sans que soient
affectes l'efficacit et lquit du systme ducatif, ni en bien, ni en mal.
Cette vue des choses est cependant nave. Les ingalits sociales devant
lcole ne sont pas indpendantes des contenus de lenseignement, des
formes et des normes d'excellence scolaires. Chaque programme nouveau
est susceptible de transformer la distance qui spare les diverses culturesfamiliales de la norme scolaire. Il peut laccrotre pour certaines classes
sociales, laffaiblir pour dautres.
Autrement dit, mme si lapproche par comptences ne se prsente pas
comme une rforme litiste, on ne peut a priori exclure l'hypothse qu'elle
pourrait aggraver les ingalits sociales devant lcole. On ne peut davantage
carter sans examen lhypothse inverse, selon laquelle lapproche par
comptences favoriserait les apprentissages et la russite scolaires des
lves actuellement les plus dmunis.
Pour dpartager ou articuler ces hypothses contradictoires, il faut
videmment analyser de faon plus prcise la nature du changement
curriculaire introduit.
1. Dans un premier temps, en tentera donc didentifier ce qui change ou est
cens changer dans les finalits et les contenus de la scolarit lorsqu'on
adopte une approche par comptences.
2. Dans un second temps, on examinera les implications possibles de ce
changement du point de vue de la distance entre la culture scolaire et les
diverses cultures familiales des apprenants, donc la fois du sens de lcole,
de la longueur du chemin parcourir et des embches qui le jalonnent.
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3. On montrera ensuite que le curriculum prescrit na deffets qu travers la
reprsentation que sen font les professeurs et la traduction pragmatique
quils en donnent en classe, au moment denseigner mais aussi travers
leurs exigences au moment dvaluer. Les mmes programmes sont souvent
compatibles aussi bien avec une interprtation dmocratisante quavec une
interprtation slective et litiste.
4. Enfin, on rappellera qu interprtation semblable du curriculum formel, le
curriculum rel quexprimente chaque lve dpend du degr et du mode
dindividualisation des parcours de formation et donc des structures et des
pratiques qui permettent ou non une pdagogie diffrencie. On verra quelapproche par comptences modifie sensiblement les donnes du problme.
I. Dvelopper des comptences en formation gnrale
Que la formation professionnelle ait vocation de dvelopper des comptences
ne fait pas lombre dun doute. On peut diverger sur le niveau dexpertise vis,
le rfrentiel de comptences et les dmarches de formation, mais nul ne
prtend quon peut exercer un mtier nanti de connaissances seulement,
aussi tendues soient-elles. Il y faut aussi des capacits et des comptences,
qui rendent les savoirs transfrables et mobilisables dans les situations
professionnelles. Il apparat aussi de plus en plus clairement quon ne saurait,
pour dvelopper des comptences professionnelles, se fier aux simples
vertus dune immersion dans la pratique. Sil faut des stages et delexprience, il faut aussi des dispositifs pointus dalternance et darticulation
thorie-pratique.
En formation gnrale, on ne se soucie gure des comptences. Mme
lorsquon pense le faire, on vise plutt le dveloppent de capacits
intellectuelles de base sans rfrence des situations et des pratiques
sociales. Et surtout, on dispense hautes doses des connaissances.
Lapproche par comptences affirme que ce nest pas suffisant, que sans
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tourner le dos aux savoirs (Perrenoud, 1999 c), sans nier quil y ait dautres
raisons de savoir et de faire savoir(Perrenoud, 1999 b), il importe de relier les
savoirs des situations dans lesquelles ils permettent dagir, au-del de
lcole.
Agir, cest ici affronter des situations complexes, donc penser, analyser,
interprter, anticiper, dcider, rguler, ngocier. Une telle action ne se satisfait
pas dhabilets motrices, perceptives ou verbales. Elle exige des savoirs,
mais ils ne sont pertinents que sils sont disponibles et mobilisables bon
escient, au bon moment :
La comptence nest pas un tat ou une connaissance possde. Elle ne se rduitni un savoir ni un savoir-faire. Elle nest pas assimilable un acquis deformation. Possder des connaissances ou des capacits ne signifie pas trecomptent. On peut connatre des techniques ou des rgles de gestion comptableet ne pas savoir les appliquer au moment opportun. On peut connatre le droitcommercial et mal rdiger des contrats.
Chaque jour, lexprience montre que des personnes qui sont en
possession de connaissances ou de capacits ne savent pas les mobiliser
de faon pertinente et au moment opportun, dans une situation de travail.Lactualisation de ce que lon sait dans un contexte singulier (marqu par
des relations de travail, une culture institutionnelle, des alas, des
contraintes temporelles, des ressources) est rvlatrice du " passage "
la comptence. Celle-ci se ralise dans laction. Elle ne lui pr-existe
pas. () Il ny a de comptence que de comptence en acte. La
comptence ne peut fonctionner " vide ", en dehors de tout acte qui ne
se limite pas lexprimer mais qui la fait exister (Le Boterf, 1994, p. 16)
On impute souvent " lirrsistible ascension " des comptences dans le champ
scolaire (Romainville, 1996) leur vogue dans le monde de lconomie et du
travail. Jai dbattu ailleurs (Perrenoud, 1998, 2000 b) de cette prtendue
dpendance, rappel avec dautres (Le Boterf, 1994 ; 2000 ; Jobert, 1998)
que la fascination du monde conomique pour les comptences nest pas
uniquement du ct du dni des qualifications et de leurs corollaires, la
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drgulation, la prcarit et la flexibilit des emplois, la production flux
tendus. Il y a dans le monde de lentreprise, mme si cest par ncessit bien
comprise plus que par humanisme vertueux, une forme de reconnaissance du
travail rel et de son cart au travail prescrit, une prise de conscience du fait
que si les oprateurs les moins qualifis ne manifestaient pas au travail
intelligence, crativit et autonomie, la production serait compromise. Si les
entreprises se proccupent des " ressources humaines " et dcouvrent des
trsors cachs en leur sein, cest sans doute parce que cest un impratif pour
survivre dans la concurrence mondiale. Cela nautorise pas diaboliser la
comptence, la rduire un slogan du no-libralisme triomphant.Jai tent aussi de montrer que lapproche par comptences renouait avec
une trs ancienne proccupation de lcole, celle du transfert de
connaissances. Depuis qu'il y a des pdagogues pour interroger le sens des
pratiques scolaires, la question du transfert de connaissances est pose. Un
colloque rcent y est revenu (Meirieu, Develay, Durand et Mariani, 1996), de
mme quun ouvrage de synthse (Tardif, 1999).
Chacun le voit : il ne suffit pas de passer de longues annes assimiler des
savoirs scolaires pour tre ipso factocapable de sen servir hors de lcole.
Les enseignants le savent ou le pressentent : valuer la mobilisation des
savoirs dans des contextes diffrents du contexte dapprentissage, cest se
prparer de belles dconvenues. Pourquoi ? Parce quon fait basculer dans
lchec tous ceux qui ne matrisent pas fondamentalement les savoirs, mais
parviennent faire illusion par le travail, la mmorisation, le bachotage, le
conformisme, limitation et la ruse, voire la tricherie. Du coup senclenche un
cercle vicieux : on nvalue pas le transfert pour ne pas perdre toute illusion
durant la scolarit, donc on na pas besoin de le travailler, si bien qu lissue
des tudes, chacun tombe de haut devant des tches complexes.
Depuis quelques annes, le dbat sur le transfert de connaissances reprend
de limportance, parfois en opposition, parfois en lien avec la problmatique
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des comptences et de la mobilisation de ressources cognitives (Le Boterf,
1994). A mes yeux, transfert et mobilisation sont deux mtaphoresdiffrentes
(Perrenoud, 2000 a) pour dsigner le mme problme, celui du
rinvestissement des acquis dans des situations diffrentes des situations de
formation. La mtaphore du transfert me semble plus pauvre. Elle part dun
apprentissage et se demande sil peut tre rinvesti ailleurs, plus tard. Cela
pousse crer des " situations de transfert " pour vrifier ou favoriser ce
rinvestissement. La mtaphore de la mobilisation de ressources cognitives
me semble plus large, juste et fconde, parce quelle remonte au contraire
dune situation complexe aux ressources quelle met en synergie, retraant expost les conditions de leur constitution, puis de leur mobilisation orchestre.
On rend alors justice au fait quune action complexe mobilise toujours de
nombreuses ressources issues de moments et de contextes diffrents.
Si la mtaphore de rfrence a de fortes implications sur la faon de poser les
problmes, il faut bien reconnatre que la question conceptuelle nest pas
aujourdhui le point principal de divergence dans le champ ducatif. Le dbat
porte plutt sur lexistence et limportance mme du problme, puis sur la
possibilit mme ou la ncessit de sy attaquer.
Pour les uns, le transfert est donn " par dessus le march ", il se fait
spontanment. Il n'y a donc pas grand chose faire pour le favoriser, sinon
doffrir chacun loccasion de construire les savoirs les plus complets et les
plus solides possibles. Cette thse n'est pas absurde : allie une forte
capacit de raisonnement et d'abstraction, la totale matrise d'un champ de
savoirs permet de les mobiliser sans qu'il soit ncessaire de travailler leur
transfert en tant que tel. Avec Jean-Pierre Astolfi, je conviens quun savoir
parfaitement intgr devient opratoire, quil inclut en quelque sorte sa propre
aptitude tre transfr ou mobilis.
En suivant ce raisonnement, plutt que de sencombrer des notions de
transfert ou de comptence, on devrait viser laccs de tous de " vrais
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savoirs ", intgrs et opratoires. Ds lors, le problme du transfert ne se
poserait plus, car les lves atteindraient un niveau gnral de formation et
une capacit rflexive qui les dispenseraient d'un entranement spcifique la
mobilisation. Le rle de l'cole se bornerait alors transmettre le maximum de
connaissances, avec un niveau lev de raisonnement et de rflexivit.
On peut craindre, hlas, que l'cole soit condamne, pour longtemps encore,
ne donner la matrise totale des savoirs enseigns qu une faible fraction
de chaque gnration. Mme en admettant que ceux qui font des tudes
longues dveloppent " spontanment " des capacits de mobilisation et de
transfert des connaissances acquises, il reste se demander ce qu'il advientdes jeunes qui quittent l'cole avant davoir atteint une telle matrise. Dautant
plus que la thse selon laquelle le transfert serait donn par surcrot est
dsormais difficile dfendre (Mendelsohn, 1996, 1998 ; Tardif, 1999). Le
transfert sapprend, se travaille.
Dautres professeurs, sans affirmer que le transfert est spontan, estiment
que la formation gnrale na pas sen proccuper. Pour eux, le rle de
l'enseignement est de forger des connaissances et des capacits de base.
Travailler leur transfert relve de la formation professionnelle ou de la vie
mme.
Lorsquelle nest pas une simple stratgie de dngation du problme, cette
vue des choses manifeste une vision trs simplificatrice du transfert. Develay
disait en conclusion du colloque de Lyon :
Jai le sentiment que les didacticiens dcouvrent que le transfert ne constitue passeulement la phase terminale de lapprentissage, mais quil est prsent tout aulong de lapprentissage. Pour apprendre, se former, il convient de transfrer en
permanence. Toute activit intellectuelle est capacit rapprocher deux contextesafin den apprcier les similitudes et les diffrences. Les raisonnements inductif,dductif et analogique, la disposition construire une habilet, relier cettehabilet dautres habilets, la possibilit de trouver du sens dans une situation,
proviennent de la capacit transfrer. Il y a du transfert au cours dunapprentissage depuis lexpression des reprsentations des lves jusqu larutilisation dans un autre contexte dune habilet acquise (Develay, 1996, p. 20).
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Renvoyer le transfert la fin de la formation de base est non seulement peu
raliste mais doublement litiste, car cela privilgie les lves qui :
atteignent effectivement le bout du chemin ; les autres sont comme des maisonsinacheves ;
sont capables, durant des annes, d'assimiler des connaissancesdcontextualises, sans rfrence aux pratiques sociales dans lesquelles ellessont finalement censes sinvestir.
Inversement, travailler ds le dbut de la scolarit le transfert et la
mobilisation des connaissances scolaires peut favoriser la dmocratisation
des tudes. Cette posture :
prend en compte tous ceux qui ne suivront pas la voie royale des tudes longueset sortiront du systme ducatif avec une formation de niveau moyen ;
ne suppose pas acquis un rapport au savoir permettant soit d'accepter l'ide deconnaissances gratuites, soit de tolrer un grand dcalage entre le moment oon les acquiert et celui o l'on comprend quoi elles servent.
Pour que lapproche par comptences soit dmocratisante, il faut toutefois
que plusieurs conditions improbables soient runies. Nous allons en
esquisser linventaire.
II. Pour que lapproche par comptences soit dmocratisante
Il convient de distinguer deux problmes :
Le premier concerne l'appropriation des savoirs. Dans la mesure o l'approche par comptences les traite comme des ressources mobiliser, donc les lie
rapidement des situations et des pratiques sociales, elle leur confredavantage desens aux yeux des apprenants les moins ports sur lassimilationde connaissances pour elles-mmes. Mais en mme temps, elle exige un rapport plus personnel aux savoirs et elle prive une partie des lves faibles desexercices scolaires les plus traditionnels et du relatif confort du mtier d'lve,celui qui leur permet de " s'en tirer " sans vritablement comprendre.
Le second problme touche l'mergence d'objectifs de formation nouveaux :les comptences. Si lon vise la construction de comptences, on cre denouvelles exigences, de nouvelles formes et normes dexcellence scolaire, parrapport auxquelles une nouvelle forme d'ingalit peut surgir.
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Examinons ces deux aspects sparment.
Des savoirs mobilisablesHors de lcole, la plupart des savoirs sont investis dans des pratiques
sociales complexes, qui puisent leurs ressources dans plus dun champ
disciplinaire. On peut donc travailler le transfert ou la mobilisation au carrefour
de plusieurs savoirs, dans des projets pluridisciplinaires. Mais on peut aussi
sintresser aux pratiques proprement disciplinaires que sont la recherche,
lenseignement, le dbat scientifique.
Ces deux modes dentranement la mobilisation ne rencontrent pas les
mmes obstacles.
Des savoirs investis dans la rsolution de problmes complexes" Rien nest aussi pratique quune bonne thorie", disait Kurt Lewin. Si les
problmes pratiques sont ceux qui se posent dans la vie extrascolaire, les
solutions sont toujours en partie thoriques et font appel des savoirs, et non
seulement des habilets.
Lapproche par comptences transforme une partie des savoirs disciplinairesen ressourcespour rsoudre des problmes, raliser des projets, prendre des
dcisions. Cela pourrait offrir une entre privilgie dans lunivers des
savoirs : plutt que dassimiler sans rpit des connaissances en acceptant de
croire quils " comprendront plus tard quoi elles servent ", les lves
verraient immdiatement les connaissances soit comme des bases
conceptuelles et thoriques dune action complexe, soit comme des savoirs
procduraux (mthodes et techniques) guidant cette action. Chacun aurait
alors, en principe, de meilleures chances de relier les savoirs des pratiques
sociales, donc de saisir leur porte et leur sens. Cela serait particulirement
important pour les lves qui ne trouvent pas dans leur culture familiale ce
rapport au savoirparticulierqui le valorise indpendamment de ses usages et
de ses origines, comme une valeur en soi. Ce rapport gratuit, presque
" esthtique " au savoir nest en effet familier quaux enfants dont les parents
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ont fait des tudes longues et valorisent lrudition dans leur vie prive
comme dans leur travail. Si les enfants denseignants russissent trs bien
lcole, cest sans doute parce que leurs parents connaissent les rgles du jeu
scolaire, en classe, devant lvaluation et au moment de lorientation, mais
cest aussi parce ces enfants vivent dans un milieu o le savoir est important
mme - certains diront surtout ! - sil nest pas investi dans une pratique
utilitaire.
voquons ce dessin de Daumier (1848) dans lequel le professeur dit ses
lves bahis : " Demain, nous nous occuperons de Saturne et je vous
engage dautant plus apporter la plus grande attention cette plante quetrs probablement vous naurez jamais de votre vie loccasion de
lapercevoir ! ". Ou encore cet autre dessin o le mme professeur tance un
lve qui ne rpond pas sa question : " Comment, drle, vous ne savez pas
le nom des trois fils de Dagobert mais vous ne savez donc rien de rien
mais vous voulez donc tre toute votre vie un tre inutile la socit ! "
On peut esprer quune mise en relation des savoirs et des pratiques sociales
permettra aux lves qui nont pas acquis ce sens de la culture pour la culture
de trouver dautres cls pour donner du sens aux savoirs enseigns, des cls
qui leurs manquent cruellement dans les systmes ducatifs centrs sur les
savoirs disciplinaires (Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; Rochex, 1995),
Il ne suffira pas cependant de saupoudrer les cours traditionnels dexemples,
mme clairs et bien choisis, dusages sociaux des savoirs enseigns. Cest
mieux que denseigner des savoirs purement abstraits, mais pour faire
comprendre que les savoirs sont des outils indispensables, il faut partir non
dune illustration, mais dun problme. Cest ce que lon fait dans les coles
alternatives centres sur les mthodes actives et les dmarches de projet et,
plus rcemment, dans une partie des facults de mdecine, des business
schoolsou dans le cadre dautres formations professionnelles de haut niveau.
Ce nest pas simple, car il faut organiser le curriculum en consquence, le
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construire dlibrment de sorte rejoindre cet idal proclam par Dewey :
" Toute leon est une rponse".
En formation gnrale, cela suppose une rupture avec les logiques
curriculaires et disciplinaires dominantes, qui prvalent encore mme dans les
systmes ducatifs qui ont adopt lapproche par comptences. Prenons un
exemple : pour optimiser lalimentation dun athlte de haut niveau avant,
pendant et aprs la comptition, il faut des connaissances de physique, de
chimie, de biophysiologie, de dittique. Dtaches les unes des autres, ces
connaissances sont des savoirs scolaires, " ni thoriques ni pratiques "
(Astolfi, 1992). En physique, on apprendra mesurer lnergie et les lois desa dissipation. En chimie, on apprendra comment des transformations
absorbent ou dgagent de lnergie, en biophysiologie, on apprendra
comment tels efforts musculaires consomment des calories et quel rythme
elles se reconstituent, en dittique, on tudiera les aliments et leurs effets
sur le mtabolisme. Ces connaissances ne sont pas toutes enseignes en
formation gnrale. Lorsquelles le sont, cest des moments lis lagenda
propre de chaque discipline, par des professeurs diffrents et ne coordonnant
pas leurs dmarches, parfois sans aucune rfrence des exemples
concrets, coup sr sans rfrence commune aux dpenses nergtiques
dun athlte.
Prenons un second exemple : crer un journal dcole suppose des
connaissances en langue maternelle, en droit, en gestion, en graphisme et
mise en page, en communication, en relations publiques, en publicit, en
informatique et en publication assiste par ordinateur. Ici encore, toutes les
connaissances requises ne seront pas enseignes au niveau scolaire
considr, certaines venant plus tard dans le cursus gnral ou
napparaissant que dans certaines formations professionnelles.
Troisime exemple : pour construire un film vido de douze minutes
expliquant des adultes pourquoi on risque de graves brlures de la rtine
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lorsque, durant une clipse, on regarde le soleil en face sans lunettes noires,
il faut des connaissances de physique, de biophysiologie, mais aussi
daudiovisuel, de didactique et de psychologie, enseignes elles aussi en
ordre dispers.
Dans les trois cas, le projet fait appel des connaissances disciplinaires de
haut niveau, tout fait leur place dans un cursus scolaire exigeant. Il ne
sagit pas alors dapprendre planter des clous, tailler une haie ou remplir sa
dclaration dimpts, pratiques auxquelles ont rduit volontiers lapproche par
comptences.
Le problme est ailleurs. De tels projets mobilisent des savoirs qui ne sontpas tous enseigns au bon moment ou au niveau requis pour devenir des
ressources complmentaires:
On observera dans presque tous les cas un dficit dramatique en droit,conomie, sciences humaines et sociales, alors que ces savoirs sont desressources dans la majorit des projets et des activits humaines complexes.
Mme dans les domaines potentiellement couverts par les disciplines scolairestraditionnelles, il est peu probable que les savoirs requis par un projet aient ttous enseigns au pralable.
Aussi longtemps que chaque discipline dveloppe son curriculum selon sa
logique propre et sans rfrence une approche par problmes, les vertus
dune orientation vers les comptences resteront limites. Si le systme
ducatif maintient les cloisonnements entre disciplines et ne donne pas aux
comptences un " droit de grance " sur les connaissances, selon
lexpression de Gillet (1987) reprise par Tardif (1996), il est peu probable que
se prsentent rgulirement des problmes et des projets susceptibles de
mobiliser les acquis antrieurs. Les professeurs les plus convaincus peuvent
certes tourner en partie lobstacle en offrant un tayage appropri, en mettant
la disposition des lves les connaissances quils nont pas encore
acquises, mais cette bonne volont trouve rapidement ses limites dans un
cursus o la programmation des savoirs disciplinaires nest en aucune
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manire conue pour favoriser leur mobilisation dans des projets
interdisciplinaires.
Des savoirs vraiment thoriquesSi lon recule devant la rorganisation curriculaire que la stratgie prcdente
implique, il ne reste qu parier sur les comptences purement disciplinaires,
qui mobilisent des capacits et des connaissances empruntes pour
lessentiel la mme discipline.
Cela parat plus simple, mais il est question alors de mobiliser de vritables
" savoirs thoriques ". Or, Astolfi affirme que les savoirs scolairesne sont " ni
thoriques ni pratiques " :
1. Les savoirs que transmet lcole ne sont pas vraiment thoriques, car ils nedisposent pas de la plasticit inhrente au thorique. Ce ne sont pas non plusvraiment des savoirs pratiques.
2. Il s'agit plutt de savoirs propositionnels qui, dfaut d'un meilleur
statut, rsument la connaissance sous la forme d'une suite de
propositions logiquement connectes entre elles, mais disjointes.
3. Ils se contentent ainsi dnoncer des contenus, ce qui est loin de
correspondre aux exigences d'un thorie digne de ce nom.
4. Par certains aspects, ils se rvlent, en fait, plus proches des savoirs
pratiques, puisque leur emploi se trouve limit des situations
singulires : celles du didactique scolaire, rgi par le jeu de la " coutume ".
5. Les savoirs scolaires aimeraient se parer des vertus du thorique, qui
leur confreraient une lgitimit qu'ils recherchent. S'ils y chouent, c'est
faute de dvelopper un vrai travail de pratique thorique que seul rendrait
possible l'usage, dans chaque discipline, de concepts fondateurs et
vivants (Astolfi, 1992, p. 45).
Travailler, dans le cadre dune discipline, autrement que par des exercices
conventionnels, la mobilisation des savoirs qui la constituent, cest faire ce
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quAstolfi appelle " un vrai travail de pratique thorique". La pratique sociale
de rfrence est alors interne la discipline, faite dexprimentation,
dobservation, dlucidation, de formulation dhypothses et de dbat
contradictoire.
Traiter les savoirs enseigns comme de vritables savoirs thoriques devrait
accrotre leur sens, potentiellement, puisquon revient leur moteur initial, la
volont de rendre le monde intelligible. Il est gnreux de prter cette
curiosit fondamentale tout tre humain, Peut-tre caractrise-t-elle presque
tous les trs jeunes enfants. Ensuite, la socialisation familiale prend le dessus
et impose souvent un rapport plus pragmatique ou plus dogmatique aumonde. Le dveloppement dune vritable pratique thorique en classe
pourrait donc, au moins dans un premier temps, loigner plus encore des
savoirs scolaires les lves issus des classes populaires et dune partie des
classes moyennes, dans lesquelles lexprimentation, la recherche, la
conceptualisation, le dbat thorique nvoquent rien.
Faisons lhypothse optimiste quune vritable pratique thorique, conduite en
classe avec passion et continuit, pourrait, mme si elle ne correspond
aucune valeur ou pratique familiale, donner davantage de sens aux savoirs
disciplinaires. Encore faudrait-il franchir au moins ce pas, cest dire instituer
la classe comme vritable lieu de recherche et de dbat thorique. Ici,
lobstacle nest pas dans le dcoupage du curriculum en disciplines, il est
dans la structuration du programme de chacune en chapitres, et dans sa
surcharge.
Pour adopter un rapport thorique aux savoirs thoriques, il faut videmment
que les lves passent du statut de consommateurs celui de producteurs de
savoirs. Il nest ni possible ni ncessaire que tous les savoirs disciplinaires
soient reconstruits par des dmarches de recherche. Cela prendrait un temps
dmesur. De plus, une formation scientifique et un certain niveau de matrise
thorique permettent dassimiler de nouveaux savoirs sans les avoir soi-
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mme conus et vrifis, par confiance dans la mthode et lthique des
collgues. Ce qui permet daccepter les rsultats de recherche et les
conclusions thoriques dautres chercheurs, donc une division du travail au
sein de la communaut scientifique.
Il reste en revanche indispensable que les lves " dcouvrent " par eux-
mmes certains savoirs disciplinaires de base, par une dmarche patiente et
laborieuse proche de la recherche et du dbat. Il importe notamment quils
accdent de la sorte aux questions fondatrices qui constituent la " matrice
disciplinaire " (Develay, 1992). Il est probable que la physique de Pascal et de
Newton peuvent tre reconstruites en classe plus facilement que celledEinstein ou Heisenberg. Lide nest pas de parcourir durant la scolarit, en
acclr, sur le seul mode de la recherche et de la controverse, lentier de
lhistoire des sciences et des autres disciplines. Il suffit de reconstituer une
partiede ce parcours sur le mode de la dcouverte, dune dcouverte certes
taye, encadre, simplifie, didactise, mais nanmoins trs distante de la
pdagogie transmissive.
Les lves sapproprieront de la sorte une posture scientifique et
exprimentale. En outre, les savoirs thoriques leur paratront dautant plus
significatifs quils sauront quelles questions scientifiques ou philosophiques
ils prtendent rpondre.
La premire comptence disciplinaire est de questionner le rel lintrieur
dun dcoupage et partir dacquis quon sapproprie progressivement et
dans le respect de certaines mthodes. Pour dvelopper une telle
comptence, il faut :
dune part, allger les programmes pour trouver le temps de construire certainssavoirs au gr de dmarches apparentes la recherche ;
dautre part, bouleverser la faon denseigner, travailler par nigmes, dbats,situations-problmes, petits projets de recherche, observation, exprimentation,etc.
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Il nest plus trs original de proposer une telle volution, prconise depuis
longtemps par les mouvements dcole nouvelle et plus tard par la didactique
des sciences. Il reste passer lacte.
Une nouvelle forme dexcellence scolaire ?Dans le monde du travail, il est banal dtre valu selon ses comptences.
Ce n'est pas absent du monde scolaire, ne serait-ce que parce quun examen,
une preuve crite ou une interrogation orale sont des situations qui exigent,
pour sen sortir honorablement, non seulement des savoirs, mais des savoirs
mobilisables bon escient, au bon moment, dans les formes requises et avec
une certaine prise de risques, une capacit de reconstruire, voire dinventer
ce que lon ne sait pas.
En dehors des situations dvaluation, lcole dveloppe et exige plutt des
capacits, les unes transversales - par exemple rechercher une information,
poser clairement de " bonnes questions " ou participer activement un dbat
-, dautres disciplinaires, par exemple construire une maquette, faire une
mesure correcte ou rendre compte dune observation.Laccord sur ce point est difficile, puisque le sens de ces mots nest pas
stabilis. Certains ne font pas la diffrence entre capacits ou comptences.
Dautres la font, mais nomment " comptence " ce que jappelle ici
" capacit ". Parce quil faut bien prendre un parti, jai propos (Perrenoud,
2000 c) de parler de capacits lorsquon dsigne des oprations qui ne
prennent pas en charge lensemble dune situation et restent donc
relativement indpendantes des contextes ; et de parler de comptences
lorsquon dsigne les dispositions qui sous-tendent la gestion globaledune
situation complexe. Je vais tenter de me tenir cette convention.
Si on ladmet au moins provisoirement, on saccordera sans doute dire qu
lcole on travaille des capacits davantage que des comptences. Il est plus
simple, dun point de vue didactique, dexercer des oprations sans contexte
prcis, par exemple rsumer ou traduire un texte, faire une coupe en biologie,
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rsoudre une quation, dessiner un plan, analyser une substance. Les
capacits travailles lcole sont dans une large mesure disciplinaires. On y
ajoute volontiers dsormais des " comptences transversales " dont Rey
(1996) a discut lexistence mme et dont je dirais que ce sont avant tout des
capacits, mobilisables dans divers champs disciplinaires et pratiques : savoir
cooprer, observer, analyser, etc.
Ce quon appelle " approche par comptences " se limite souvent, dans les
rformes curriculaires en cours, mettre laccent sur les capacits,
disciplinaires ou transversales. Il ny a pas alors dveloppement de vritables
comptences, au sens o je les dfinis. On en reste des savoir-faire de hautniveau, pertinents dans divers contextes, ce quon appelle parfois des
" lments de comptences ", ce que je prfre, avec Le Boterf (1994),
appeler des ressources cognitives.
Certes, mettre laccent sur les capacits modifie les rgles du jeu scolaire,
mais ce nest pas une rvolution. Dailleurs, le poids respectif des
connaissances et des capacits varie selon les disciplines et selon la
conception qui prvaut dans chacune. Les lves sont habitus tre
valus sur des savoir-faire. Ces savoir-faire sont dailleurs entrans
travers des exercices scolaires classiques.
Exiger et valuer le traitement global dune situation complexe, sous toutes
ses facettes, reprsente une attente nouvelle, qui passe par un travail
dintgration, de mise en synergie, dorchestration de connaissances et de
capacits qui, en gnral, sont travailles et values sparment.
Si lon vise vritablement des comptences, au sens retenu ici, il faut les
valuer, de faon formative et certificative, seule faon de les rendre
crdibles. Du coup, on cre une exigence supplmentaire, du moins si lon
attend des lves et des tudiants quils manifestent un degr suffisant de
matrise de situations globales, travers des performances observables
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(dcisions, solutions, ralisations) aussi bien quen se prtant un entretien
mtacognitif.
Cette forme dexcellence, incontournable en formation professionnelle, nest
pas habituelle en formation gnrale. Les lves se sont plutt accoutums
retenir et restituer des savoirs sans contexte, exercer et donner voir des
capacits tournant vide (Astolfi, 1992 ; Perrenoud, 1995, 1996). Il se
pourrait que, prise au srieux, lexigence de comptences constitue un
handicap de plus pour les lves en difficult. Cela pour deux raisons bien
distinctes :
il ne peut y avoir de comptence si les ressources requises (capacits etconnaissances) ne sont pas disponibles ; les lves prsentant de graves
lacunes ce niveau seront donc demble dfavoriss ; sauf si lon sastreint
vrifier au pralable la matrise des ressources requises et quon dissocie
leur certification de celle de la comptence qui les mobilise ;
une fois les ressources disponibles, leur mobilisation et leur transfert
passent pas des processus mentaux de haut niveau, quil est difficile de
scolariser pleinement, puisquils sont de lordre de la synthse, de
lanticipation, de la stratgie, de la planification, de la pense systmique ;
dans tous ces domaines, il se peut hlas que la socialisation familiale soit, en
milieu favoris, plus efficace que laction ducative de lcole
Il y a donc toutes les raisons de croire que la valorisation de comptences ne
rsoudra pas ipso facto la question des ingalits sociales devant lcole et
risque mme les accrotre. Une telle approche pourrait mettre en difficult les
lves qui ne survivent dans la comptition scolaire quen saccrochant aux
aspects les plus rituels du mtier dlve (Perrenoud, 1996). Elle
dfavoriserait ceux quangoisse lide de faire une recherche, de rsoudre un
problme, de formuler une hypothse, de dbattre, ceux qui veulent un
modle, une marche suivre, un rail, ceux qui ont besoin de savoir " si cest
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juste ou faux " et ne supportent pas lincertitude ou les contradictions ne
peuvent quavoirpeurde lapproche par comptences.
Donner une relle importance au transfert et la mobilisation de ressources,
cest, on la vu :
construire les savoirs partir des problmes plutt quen droulant le texte dusavoir ;
confronter les lves des situations indites, valuer leur capacit de penserde faon autonome, en prenant des risques.
Cest donc, du moins dans un premier temps, accrotre les ingalits. En tout
cas les ingalits visibles. Comme cest le cas chaque fois quon dplace lesobjectifs de formation et les exigences vers de plus hauts niveaux
taxonomiques.
Dans labsolu, cela semble raisonnable : quoi bon masquer les ingalits
relles ? On se leurre sur le sens de la scolarisation si, une fois les individus
confronts aux situations de la vie ou simplement dautres contextes
dtude, ils ne rinvestissent gure les savoirs acquis, non parce quils leur
font dfaut, mais parce quils nont pas appris les dcontextualiser, les
intgrer des champs conceptuels et les mobiliser dans de nouveaux
contextes. Mieux vaudrait alors attaquer le problme sa racine.
Plus sociologiquement, plus cyniquement peut-tre, on peut se demander si
lcole peut se permettre daccrotre les ingalits visibles. Ne risque-t-elle
pas denfoncer plus encore les lves en difficult, de les dcourager, de les
pousser plus vite labandon ? Paradoxalement, lillusion dune certaine
matrise - ft-elle lie labsence dvaluation du transfert - favorise lestime
de soi, donne de lespoir et peut protger du dcrochage. Sachant quune fois
sorti du systme ducatif, llve devient inaccessible, on peut se demander
si la " vrit " des ingalits est toujours bonne dire
Pour ne pas trancher ce dilemme dans labstrait, il importe de se demander si
les systmes ducatifs qui adoptent en ce moment lapproche par
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comptences ont les moyens de contrler ses drives litistes. Le plus fou
serait en effet de prtendre dvelopper des comptences sans sen donner
les moyens pdagogiques.
Lun de ces moyens est de lordre de la formation des professeurs, de leur
adhsion lapproche par comptences, mais aussi au modle socio-
constructiviste de lapprentissage (Bassis, 1998 ; De Vecchi et Carmona-
Magnaldi, 1996 ; Groupe franais dducation nouvelle, 1996 ; Jonnaert et
Vander Borght, 1999 ; Vellas, 1996, 1999, 2000).
III. Le rapport au savoir des professeursOn aborde ici un sujet trs dlicat, en particulier lorsqu'on s'intresse
l'enseignement secondaire, et plus encore l'enseignement pruniversitaire.
On admet assez volontiers que les enseignants primaires n'ont pas tous des
comptences pointues dans chacune des disciplines qu'ils doivent enseigner,
en particulier en mathmatiques et en sciences. On peut donc facilement
mettre en doute leur capacit de dvelopper chez leurs lves un rapport actif
au savoir, de les initier une qute pistmologique, une curiosit
fondamentale, puisquils manifestent eux-mmes un rapport scolaire, peu
critique et peu autonome, aux savoirs qu'ils enseignent.
Il en va diffremment pour les professeurs du secondaire, en particulier
lorsqu'ils ont reu une formation universitaire complte dans une ou plusieurs
disciplines. Ils sont alors censs tre forms minimalement la recherche,
donc capables d'y initier leurs propres lves. Mieux vaudrait toutefois sedpartir de l'illusion qu'il suffit dtre un chercheur pour mettre des lves en
situation de recherche. Et de cette autre fiction qui ferait de tous les
universitaires des chercheurs.
Dans l'universit de masse vers laquelle nous allons aujourd'hui, les tudiants
ne sont forms la recherche quen fin de 2e cycle. Encore faut-il pour cela
non seulement qu'ils aient atteint une excellente matrise des savoirs
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thoriques et mthodologiques, mais encore qu'ils soient attirs par la
recherche et n'aient pas fait, des le dbut de leurs tudes universitaires, par
ralisme ou manque d'intrt, le deuil d'une carrire de recherche. Mme
lorsqu'elles proposent une formation substantielle aux mthodologies de
recherche, les universits ne sont pas certaines de dvelopper l'esprit
scientifique chez leurs tudiants, en particulier chez ceux qui se font des
tudes pour obtenir une formation professionnelle ou atteindre un certain
niveau du diplme. Ces tudiants peuvent rester relativement indiffrents aux
contenus disciplinaires et en tout cas aux dmarches de recherche et
lhistoire mouvemente des savoirs qu'on exige d'eux l'examen. Assimilerles savoirs comme des produits finis, mmoriser pour faire bonne figure
devant lvaluation, ne prpare aucunement les faire dcouvrir avec passion
des lves de onze ou dix-sept ans !
Les universits ne sont gure plus capables que les collges et lyces, pour
des raisons partiellement semblables, de dvelopper des comptences, du
moins aussi longtemps que les tudiants ne sont pas impliqus dans des
tudes de cas, des enqutes, des dmarches cliniques, des projets, des
travaux de laboratoire ou toute autre pratique, ce qui ne survient souvent
quen fin de 2e cycle. Devenus professeurs au secondaire, ces tudiants
reproduisent assez spontanment, dans leurs propres cours, le rapport au
savoir qu'ils ont intrioris durant leurs propres. Pour eux, le dveloppement
de comptences n'est pas devenu une seconde nature. La boucle est donc
boucle.
La rupture de ce cercle vicieux ne va pas de soi. Elle passe par un exercice
de lucidit inconfortable et un engagement dans une qute de savoir
thorique, assortie dun intrt pour lhistoire et lpistmologie des sciences
et dune vive curiosit pour les pratiques sociales dans lesquelles finissent par
sinvestir les savoirs disciplinaires.
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Aussi longtemps que ces conditions ne sont pas ralises, on peut craindre
que les curricula les plus novateurs soit ramens aux pratiques courantes. Or,
c'est l'inverse qu'il faudrait : des professeurs capables d'aller au-del des
textes, de rinventer l'approche par comptences en s'inspirant de leur propre
exprience de la recherche, mais aussi de leur connaissance de certaines
pratiques sociales dans lesquelles leur discipline est investie. On peut rver
d'un professeur de chimie qui s'intresserait par exemple passionnment
l'agriculture, la coiffure, aux produits de beaut, l'alimentation et la
peinture. Il en saurait assez sur ces pratiques pour montrer la faon dont elles
se servent de la chimie.Le pire serait que l'approche par comptences ne soit prsente que dans les
textes, les professeurs n'y adhrant pas et revenant rapidement aux pratiques
d'enseignement et d'valuation les plus traditionnelles. Du coup, les rgles du
jeu scolaire seraient encore plus difficiles dchiffrer pour les lves,
cartels entre les objectifs et lesprit du programme, d'une part, et d'autre
part le rapport au savoir et aux comptences effectivement luvre dans les
classes.
Cest pourquoi on ne peut juger des aspects dmocratisants ou litistes des
nouveaux curricula sur la seule base de leurs intentions et de leurs contenus.
Ce qui fera la diffrence, cest le curriculum rel. Dans le scnario le plus
optimiste, les professeurs mettront toute leur inventivit didactique faire
construire activement des savoirs et dvelopper des comptences. Dans le
scnario le plus pessimiste, restant sceptiques et cyniques, ils feront le
minimum pour avoir lair en rgle, mais lesprit de la rforme naura pas
pass. Mieux vaudrait alors quils fassent avec conviction ce quoi ils croient
plutt que dentonner ce couplet familier de tous les bureaucrates " Je fais ce
quon me dit mais je ny crois pas ; ne men tenez pas pour responsable ; je
ne suis quun pion dans lorganisation".
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Pour viter le scnario catastrophe, il faut sans doute, moyen terme, agir
sur la formation initiale des professeurs, non seulement leur formation
pdagogique et didactique, mais leur formation scientifique, philosophique,
pistmologique. De ce point de vue, la stricte sparation des tudes
acadmiques et de la formation pdagogique et didactique nest pas
heureuse.
En formation continue, il serait fcond de travailler lhistoire des disciplines et
leur connexion aux pratiques sociales, le rapport au savoir et aux
comptences. Il est inutile de se demander comment former et valuer des
comptences aussi longtemps que les professeurs ne voient pas pourquoichanger. Lurgence nest tant de les instrumenter que de le leur donner des
raisons dadhrer la rforme curriculaire. Pour cela, la seule voie efficace
est dinterroger leur propre rapport au savoir et la schizophrnie douce dans
laquelle sont installs de nombreux enseignants du secondaire : leur propre
exprience de la formation et de la vie dment la valeur absolue quils
accordent aux " savoirs purs ", mais ils ne se rendent pas compte quils
professent une idologie du savoir quils ne pratiquent pas. Cest un enjeu
majeur de formation.
IV. Approche par comptences et pdagogie diffrencie
Supposons que les nouveaux programmes soient bien conus, fonds et
praticables. Supposons encore que les professeurs soient convaincus et
comptents. Alors, les pratiques de formation seraient consistantes et dequalit, il y aurait cohrence entre les intentions et leur mise en uvre.
Mme alors, la question des ingalits sociales devant lcoledemeurerait et
appellerait une rponse qui ne passe pas par les programmes mais par la
prise en compte des diffrences au quotidien et la mise en place de dispositifs
permettant de placer chaque lve, aussi souvent que possible, dans des
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situations didactiques sa mesure, susceptibles de les faire progresser vers
les objectifs communs.
La lutte contre lchec scolaire passe par au moins cinq stratgies
conjugues:
1. Crer des situations didactiques porteuses de sens et dapprentissages.
2. Les diffrencier pour que chaque lve soit sollicit dans sa zone de
proche dveloppement.
3. Dvelopper une observation formative et une rgulation interactive en
situation, en travaillant sur les objectifs-obstacles.
4. Matriser les effets des relations intersubjectives et de la distance culturellesur la communication didactique.
5. Individualiser les parcours de formation dans le cadre de cycles
dapprentissage pluriannuels.
Dans chacun de ces registres, lapproche par comptences renouvelle le
problme mais le rsout pas magiquement. Jai explor ces pistes plus
longuement ailleurs (Perrenoud, 1997). Je ne les reprends ici que dans le
contexte spcifique de lapproche par comptences.
Des situations didactiques porteuses de sens etdapprentissagesIdalement, lapproche par comptences offre de meilleures chances de crer
des situations porteuses de sens, du simple fait quelle relie les savoirs des
pratiques sociales, des plus philosophiques et mtaphysiques aux plus terre--terre.
Il reste construire de telles situations au quotidien et les rendre
productrices dapprentissages. Il convient donc de ne pas les borner un rle
de motivation ou de sensibilisation, mais de sen servir pour favoriser des
apprentissages fondamentaux.
Lapproche par comptences est un atout pour donner du sens au travail
scolaire, mais elle confronte des difficults supplmentaires dans la
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conception et lanalyse des tches proposes aux lves. Il ne suffit plus en
effet de proposer des exercices intressants et bien conu, il faut projeter les
apprenants dans de vraies situations, des dmarches de projet, des
problmes ouvertes. Il surgit alors une tension entre la logique de production
et la logique de formation, avec ce paradoxe : plus une situation a du sens,
mobilise, implique, plus il devient difficile de rguler finement les
apprentissages sans casser la dynamique en cours et couper les individus du
groupe.
Solliciter chaque lve dans sa zone de prochedveloppementDiffrencier, cest organiser les activits et les interactions de sorte que
chaque apprenant soit constamment ou du moins trs souvent confront aux
situations didactiques les plus fcondes pour lui.
Pour cela, il faut le " saisir " dans une zone qui rend une progression la fois
ncessaire et possible. Ncessaire en cela quil ne peut faire face la tche
en se servant simplement de ce quil sait dj. Il doitapprendre pour russir et
comprendre. Apprendre du neuf ou au minimum affiner, consolider, complter
ses acquis ou entraner leur transfert et leur mobilisation.
Il faut aussi quil puisseapprendre : si le dfi est dmesur, la mission devient
impossible, llve abandonne ou fait semblant de travailler ; dans les deux
cas, il napprend rien. Une pdagogie diffrencie cherche constamment ladistance optimale, dans deux registres :
celui du dveloppement intellectuel ; le concept de zone proximale propos parVygotski ne fait plus du dveloppement opratoire un pralable absolu desapprentissages ; des situations didactiques peuvent entraner un dveloppementintellectuel ou lacclrer ; mais il faut videmment quil soit en quelque sorte" porte de main ", accessible ;
celui des connaissances, comptences et attitudes disponibles ; lapprenant
aborde toujours une situation avec un capital culturel qui, sil est trop pauvre ou
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dcal, ne lui permet pas dentrer dans la tche, de comprendre le problme etles enjeux, de participer une dmarche collective.
Lapproche par comptences complexifie et simplifie la fois ce problme.
Elle le complexifieparce que les situations dapprentissage ne sont pas des
exercices scolaires individuels, mais des tches ouvertes et souvent
collectives, inscrites de prfrence dans une dmarche de projet ou une
conduite de recherche. En mme temps, cette inscription simplifie
lajustement des situations dapprentissage aux possibilits et intrts de
chacun, dans la mesure o sopre une division du travail. spontane ou
ngocie. qui propose chacun une tche sa mesure et son got. Biensr, le risque est grand, dans la mise en scne dun spectacle, de confiner le
bgue au maniement du projecteur ou de donner un travail dexcution au
membre le moins qualifi dune quipe qui travaille sur une situation-
problme. Toutes les dmarches de projet ou de recherche devraient tre
attentives cette drive. Elles peuvent en revanche profiter pleinement dune
rgulation par le travail faire ou lnigme rsoudre plutt que par
lassignation chacun, par le professeur, de tches bien calibres.
Dvelopper une rgulation interactivearticule aux objectifs-obstaclesOn le sait maintenant, il est inutile desprer optimiser le " traitement
pdagogique " dun lve en accumulant son propos toutes les informations
disponibles, sur son profil psychologique, son QI, sa faon dapprendre, sonstyle cognitif, ses acquis, etc. Sans doute nest-il jamais inutile de connatre
ses lves, mais il faut se dprendre du fantasme de pouvoir dcider
davance, sans coup frir, de ce qui leur convient. Une pdagogie diffrencie
vite de proposer des tches absurdes, parce que trop faciles ou trop
difficiles, mais elle investit, une fois la situation lance, dans une rgulation
constante de la tche collective et de la part quy prend chacun. Autrement
dit, en jouant sur ltayage et le dstayage, laide mthodologique, la division
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du travail, la structuration du problme en sous-problmes traiter
sparment, le professeur fait voluer la tche, lajuste et fait des choix
dcisifs :
dun ct, les obstacles cognitifs (thoriques ou mthodologiques) quil dcidede lever, parce quils sont dans limmdiat insurmontables pour les lves ouque leur dpassement nest pas prioritaire ; dans ce cas, lenseignant renonce lapprentissage correspondant et aide lucidement les lves contournerlobstacle, par exemple en prenant lui-mme en charge certaines oprations quine sont pas encore leur porte ;
de lautre, les obstacles qui ne doivent pas tre vits, parce quils sont au curdu projet de formation ; du coup, ils deviennent des objectifs-obstacles (Astolfi,1997, 1998 ; Martinand, 1986, 1989), des occasions de construire des savoirsnouveaux ou dlargir ses comptences ; le rle de lenseignant nest pas alorsde faire la place ou de faciliter, mais de forcer la confrontation lobstacle enlamnageant de faon optimale.
Tout cela est extrmement difficile raliser en classe et exige des
comptences didactiques pointues, aussi bien que de fortes capacits
dobservation, danimation, de rgulation et de gestion. Ces comptences ne
se dvelopperont que si la rforme curriculaire saccompagne dun vasteprogramme de formation des enseignants.
Matriser les relations intersubjectives et de la distanceculturelle Lapproche par comptences suppose une dmarche trs souvent
cooprative, qui place lenseignant, sinon galit avec ses lves, du moins
en position dacteur solidaire de lentreprise commune : produire un texte,mener bien une exprience, conduire une enqute, etc.
Du coup, le rapport pdagogique sen trouve chang, les personnes se
dvoilent dans le travail, ce qui est, ici encore, double tranchant :
jusqu un certain point, cela permet dchapper au face face matre-lve, au jeu du chat et de la souris, aux mcanismes de contrle et de dfense, ladfiance et la ruse, de part et dautre ;
en mme temps, le travail est le thtre de rapports de pouvoir, de conflits etdexclusion.
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Une " ducation fonctionnelle ", centre sur de vraies situations appelant des
savoirs opratoires, modifie les rgles du jeu scolaire, au risque de
marginaliser certains lves, plus laise dans des activits scolaires
traditionnelles, fermes, individuelles.
Individualiser les parcours de formation et travailler encyclesAu primaire et au secondaire obligatoire, il est frquent que lapproche par
comptences soit associe lintroduction de cycles dapprentissage
pluriannuels. Ce nest pas une concidence : plus on vise former des
comptences, plus il faut espacer les chances, prendre le temps de
construire les apprentissages par des dmarches de recherche et de projet
peu compatibles avec le compte rebours classique dune anne scolaire.
On peut se demander pourquoi, dans lenseignement post obligatoire, en
particulier lenseignement suprieur, on reste attach des annes de
programme alors mme que les conditions pour travailler en cycles
pluriannuels et en units capitalisables sont plus faciles raliser, notamment
en raison de lautonomie des apprenants et de leurs capacits dorientation et
dautorgulation.
Travailler en cycle nradique pas magiquement les ingalits et lchec
scolaire. Des cycles mal conus et mal grs peuvent mme creuser les
carts. Mais terme, lapproche par comptences commande des espaces-
temps de formation plus larges, plus propices lindividualisation desparcours de formation.
V. Pour conclure
Mal conue ou mdiocrement mise en uvre, lapproche par comptences
peut aggraver lingalit devant lcole. Mme bien conue et magnifiquement
ralise, elle ne peut prtendre en venir bout par le seul biais du curriculum.
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Quel que soit le programme, la pdagogie diffrencie et lindividualisation
des parcours de formation restent dactualit.
Sur ce dernier point, le combat est engag, contre lidologie du don, les
attentes litistes dune partie des consommateurs dcole, les politiques
molles de nombreux systmes ducatifs plus prompts se rclamer dune
pdagogie diffrencie qu la soutenir par des actes, des moyens, des
formations, des accompagnements. Les obstacles sont de taille, mais
lapproche par comptences, si elle les renouvelle, ne les cre pas de toutes
pices.
Lambigut et le caractre la fois prcipit et inachev des rformescurriculaires sont plus inquitants. Les systmes ducatifs sont-ils prts
faire des deuils dans le domaine des disciplines ? prts investir
massivement dans dautres pratiques denseignement-apprentissage ? prts
affronter la rsistance des lves qui russissent et de leurs familles ? prts
mcontenter de nombreux professeurs qui sont attachs au statu quo, la
fois idologiquement et parce quil les confirme dans leur rapport au savoir et
leurs pratiques pdagogiques ?
On peut en douter. Or, si lapproche par comptences reste une " demi
rforme ", qui ne renonce rien et ne contraint personne, il est peu probable
quelle fasse progresser la lutte contre lchec scolaire. Si rien ne change,
sauf les mots, si lon fait sous couvert de comptences ce que lon faisait hier
sous couvert de savoirs, pourquoi sattendrait-on produire moins dchecs
scolaires ?
On pourrait mme craindre linverse. Une approche par comptences
nexistant que dans les textes ministriels, laquelle nombre denseignants
nadhreraient pas, rendrait les rgles du jeu scolaire encore plus opaques et
les exigences des professeurs encore plus diverses, les uns jouant mollement
le jeu de la rforme, les autres enseignant et valuant leur guise.
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Comme souvent, le problme principal relve de lquilibre trouver entre la
cohrence des rformes et le caractre ngoci de leur gense et de leur
mise en place. Au vu des volutions parallles dans de nombreux pays
dvelopps, on peut craindre que les ministres se htent de faire ce quils
savent le mieux faire - des textes, des programmes - et laissent leur mise en
uvre au hasard des choix individuels et des projets dtablissements
Jerome Bruner disait rcemment dans un entretien accord au Monde:
A mon sens, le but de lcole nest pas de faonner lesprit des lves en leur
inculquant des savoirs spcialiss dont ils ne comprennent pas le sens et la raison
dtre. Il faut que les lves sapproprient une culture, intgrent des connaissances
partir des questions quils se posent. Pour cela, il faut contester les programmes tout
faits. On doit mettre en doute, discuter, explorer le monde. Cest ainsi que lon
sapproprie la culture, que lon devient membre actif dune socit.
Si la rforme curriculaire perd de vue cette ide majeure, elle ne fera que
substituer des textes des textes. Or, lenjeu est de changer des pratiques
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Le rle de lcole premiredans la construction de comptences
Philippe Perrenoud
Facult de psychologie et des sciences de lducation
Universit de Genve
2000
Sommaire
I. Les fondements de lapproche par comptences
II. Lunit de lcole obligatoire
III. Le rle spcifique de lcole premire
IV. Pas de complexes !
Rfrences
De nombreux systmes ducatifs se sont engags dans une rforme du
curriculum oriente vers des comptences. Le Qubec se caractrise par lefait que cette approche est adopte du prscolaire au collgial. Il sagit, en
bref, de viser, non pas la place mais au del de lacquisition de savoirs, la
construction de comptences, transversales aussi bien que disciplinaires. Ces
changements suscitent videmment de nombreux dbats gnraux, par
exemple sur lorigine de cette approche, sur son rapport lconomie, sur ses
fondements thoriques, sur son ralisme en priode de crise aussi bien que
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des dbats plus spcifiques, par exemple sur larticulation savoirs-
comptences ou sur la notion de comptence transversale.
Ayant dbattu ailleurs de certains de ces problmes (Perrenoud, 1995, 1998
a, 1999 b, c, e. 2000), je men tiendrai ici une question ce jour peu
explore : la scolarit probligatoire peut-elle et doit-elle se sentir vraiment
concerne par une telle rforme de curriculum ?
L'importance que lcole premire donne aux savoir-faire fondamentaux peut
donner l'impression que l'approche par comptences y est depuis toujours
pratique et qu'il n'y aurait ds lors rien changer. On pourrait linverse
soutenir que le dveloppement, la socialisation et quelques apprentissagespremiers suffisent sa tche, que les comptences sont laffaire des cycles
dtudes suivants. En fait, tout dpend de ce quon entend par comptences
aussi bien que de la vision de lcole premire laquelle on se rallie. Les
conceptions nationales sont en effet diffrentes et les expressions qui
dsignent les premires annes varient, les unes mettant laccent sur le dbut
de la scolarit alors que dautres insistent au contraire sur une ducation de la
petite enfance mi-chemin entre la famille et lcole. Selon les contextes,
lcole premire se dfend dtre une vritable cole ou se targue au contraire
dinitier demble au mtier dlve et de prparer la scolarit obligatoire.
En Europe francophone, on parle dcole maternelle ou enfantine, au Qubec
dducation prscolaire. Je parlerai dcole premirepour dsigner linstitution
de forme scolairequi accueille les enfants avant lge de scolarit obligatoire
dans une intention essentiellement ducative, au sens large.
En bonne logique, une cole ne saurait, sans contresens, tre qualifie de
" prscolaire ". Elle peut tre probligatoire, ce qui est trs diffrent. Mme si
elle adopte une variante flexible de la forme scolaire, aussi longtemps quon la
nomme cole plutt que jardin denfants, Maison des Petits ou casa dei
bambini, le qualificatif scolaire est de mise.
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Je ne nie nullement lexistence ou la lgitimit de formes prscolaires
dducation plus institutionnelles que lducation familiale. Cest le cas des
jardins denfants et dautres institutions de la petite enfance. Mon propos est
dun autre ordre : en toute rigueur, ne peut tre prscolaire quune institution
qui ne prsente tous les traits de la forme scolaire : 1. un matre reconnu
savant et comptent ; 2. un groupe dlves ; 3. un espace spcifique, ferm ;
4. des temps planifis et protgs ; 5. une pratique spare des autres
pratiques sociales ; 6. des rgles contraignantes de fonctionnement ; 7. un
programme comme ensemble ordonn de savoirs et savoir-faire
dvelopper. ; 8. un contrat didactique dfinissant le rapport au savoir et letravail requis des lves ; 9. une autorit fonde sur des rcompenses et des
sanctions. Or, on en conviendra, lcole probligatoire prsente tous ces
traits. Ni lobligation lgale, ni lvaluation ne sont indispensables pour
caractriser une cole !
Pourquoi, alors, lappellation " prscolaire " subsiste-t-elle, en toute
incohrence smantique, dans de nombreux systmes ducatifs ? Ce nest
nullement par hasard. Assez souvent, lcole probligatoire est ne du
rattachement au systme scolaire de jardins denfants jusqualors privs et
non assujettis aux programmes officiels. Or, une partie des parents, des
enseignants et peut-tre des enfants rsistent ce rattachement. Ils
voudraient sauvegarder un primat de lducation sur linstruction, une
centration sur la personne, son dveloppement, sa socialisation plutt que sur
les savoirs, un respect des diffrences de rythme. Ils refusent lvaluation
note, le stress, la comptition, la normalisation, le contrle, qu tort ou
raison ils associent lcole primaire ou secondaire. Ils refusent les
programmes trop explicites et la programmation. Ils valorisent le jeu et
laffectivit.
En somme, lcole premire voudrait croire et faire croire quelle nest pas
" une vraie cole ", quelle intervient " avant lcole ", de faon plus humaine,
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moins productiviste (Plaisance, 1986), plus soucieuse des personnes. Do la
forte ambivalencedes enseignantes et des enseignants de lcole premire
lgard du systme ducatif, surtout lorsquil veut harmoniser toute la scolarit
selon un modle unique.
Dans ce sens, la rforme en cours au Qubec, oriente vers les
comptences, cre un paradoxe:
cette rforme traverse tous les ordres et niveaux denseignement et constituedonc un pas supplmentaire vers lintgration de lcole premire au systmeducatif, avec le risque dune certaine normalisation de la faon de penser etdcrire les programmes ;
dans le mme temps, la rforme met laccent sur laformation des lves, notion plus large que la transmission de savoirs ; elle va donc, ouvertement, larencontre des vises, mais aussi des pratiques de lcole premire.
Ce paradoxe appelle une stratgie cohrente des acteurs de lcole premire.
Cette stratgie devrait tenir compte du fait quaujourdhui, lcole premire
peut de moins en moins rester un monde part, poursuivant ses propres
buts. Les politiques de lducation la dfinissent de plus en plus comme la
premire marche de la scolarit, une tape de transition entre la famille et
lcole obligatoire, une phase o se joue lentre dans lcole et le premier
apprentissage du mtier dlve, le moment o lon peut commencer
combattre les ingalits sociales devant la culture scolaire. Lcole premire,
encore moins que les garderies, crches et autres institutions de la petite
enfance, ne peut se dsintresser de ce qui se passe en aval dans le cursus,
encore moins se barricader dans son identit, comme le village gaulois
dOblix et Astrix. Si tout ne se joue pas avant six ans, cest nanmoins ds
les premires prises en charge extra familiales quune politique cohrente de
lducation se manifeste.
Certes, tout pas supplmentaire dans lintgration au systme ducatif peut
faire craindre que lon calque les programmes de lcole premire sur ceux
des cycles dtudes suivants, en insistant sur les savoirs et leur valuation.
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On notera cependant que lapproche par comptences scarte elle-mme de
lencyclopdisme et de lomniprsence des savoirs tout au long du cursus. De
plus, lintgration au systme ducatif ne devrait pas, par simple obsession
bureaucratique, conduire la normalisation des programmes. La forme
scolaire autorise dimmenses variations didactiques et pdagogiques
lintrieur des caractristiques de base dcrites plus haut. Pourquoi confrer
la variante secondaire le statut de modle ? Cette conception de la scolarit
est plutt lun des sources de la crise et des rformes actuelles.
Dune certaine manire, les " objectifs " de lcole premire prfigurent
lapproche par comptences mieux que le curriculum classique des cyclesdtudes suivants. Du fait quelle ne s'est jamais limite aux savoirs, l'cole
premire devrait en principe se trouver moins dmunie face une orientation
vers les comptences. Quelle ne s'endorme pas pour autant sur ses lauriers
et se proccupe, d'une part, de revisiter ses propres orientations, d'autre part,
de faire mieux connatre ses dmarches aux enseignants qui, intervenant plus
tard dans le cursus, cherchent dsesprment comment dvelopper et
valuer des comptences. Bref, mieux vaudrait mes yeux que lcole
premire dfende sa conception de lapprentissage et de lenseignement
auprs des autres ordres denseignement plutt que de revendiquer sa
diffrence et de refuser de sengager dans le dbat densemble. Lapproche
par comptences lui en offre loccasion !
Jarticulerai donc mon propos en trois parties :
je commencerai par un bref rappel des orientations gnrales et des enjeux delapproche par comptence qui est au cur des rformes actuelles ;
je dvelopperai ensuite une vision de lunit de la scolarit de base ; je tenterai enfin de dfinir les missions spcifiques de lcole premire dans une
approche par comptences.
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I. Les fondements de lapproche par comptencesPourquoi lcole est-elle aujourdhui " saisie par les comptences"
(Perrenoud, 1999), pourquoi cet " attracteur trange " (Le Boterf, 1994), cette
" irrsistible ascension " (Romainville, 1996) ?
Sans revenir en dtail sur ces questions, dbattues ailleurs (Perrenoud 1999
b), je rappellerai simplement quon ne peut se borner dnoncer une
influence, voire une main mise de lconomie et du monde du travail sur la
formation scolaire gnrale. Sous des vocables divers, la question des
comptences traverse lcole depuis son " invention ". Dans la mesure o la
forme scolaire spare lapprentissage des pratiques sociales quil est cens
prparer, il est lgitime de se demander si cette prparation est effective,
autrement dit si lcole " prpare pour la vie " ou fonctionne en circuit ferm.
A chaque poque, des voix slvent pour sinquiter du manque de
pertinence des connaissances acquises lcole dans la " vraie vie " ou de la
difficult de les mobiliser hors des situations dexamen. A quoi bon toutes ces
heures dtudes sil en reste si peu de traces lorsquon est confront un" vrai problme " ?
Si la question du transfert de connaissances reste dactualit (Tardif, 1999),
cest quelle nest pas rsolue ; une partie des lves qui apprennent ne
parviennent pas mobiliser leurs savoirs dans de nouveaux contextes. Ils
disposent en quelque sorte de capitaux " dormants ", quils ne parviennent
pas rinvestir. A linverse, lcole naccorde gure de place et de
reconnaissance aux comptences que les lves construisent en dehors
delle sauf lorsquelles font directement cho au programme.
Si ce problme nest pas neuf, il peut tre pos de faon renouvele au gr
des progrs de la pdagogie, des didactique et des sciences cognitives.
Meirieu (1989, 1990) a insist sur les notions de contextualisation et
dcontextualisation, et celle dtayage et de dstayage. Il a, en 1994, pris
linitiative dun congrs sur le transfert de connaissances (Meirieu, Develay,
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Durand et Mariani, 1996) qui a permis de faire le point et notamment de
comprendre que " Le transfert ne constitue pas seulement la phase terminale
de lapprentissage, mais quil est prsent tout au long de lapprentissage. Pour
apprendre, se former, il convient de transfrer en permanence " (Develay,
1996, p. 20).
La notion mme est progressivement remanie : " Ce que nous appelons
" transfert dapprentissage " ne pourrait tre finalement quun jugement de
valeur sur la disponibilit, le degr de gnralit ou laccessibilit des
connaissances dj encodes en mmoire long terme" (Mendelsohn, 1996,
p. 20).Il y a une convergence vidente avec la notion de comptence telle que lon la
prcise en psychologie du travail : " La comptence des oprateurs sera
considre comme lensemble des ressources disponibles pour faire face
une situation nouvelle dans le travail. Ces ressources sont constitues par
des connaissances stockes en mmoire et par des moyens dactivation et de
coordination de ces connaissances" (Guillevic, 1991, p. 145).
Synthtisant divers courants, Le Boterf (1994) proposera de dfinir une
comptence comme la capacit, acquise, de mobiliserun certain nombre de
ressources cognitives pour faire face adquatement une famille de
situations.
" Transfert de connaissances " et " mobilisation de ressources cognitives "
sont deux mtaphores concurrentes pour voquer les mmes processus. Jai
tent ailleurs (Perrenoud, 2000) de montrer que la mtaphore de la
mobilisationtait plus large et plus fconde, notamment parce quelle :
1. autorise prendre en compte des ressources cognitives fort htrognes :
savoirs de divers types (thoriques, mthodologiques, etc.), savoir-faire,
habilets, capacits, schmes opratoires, informations, attitudes, rgles ;
2. renonce tablir une correspondance terme terme entre une situation ou
un contexte dapprentissage, dune part, et une situation ou un contexte
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daction, dautre part ; les ressources que nous mobilisons peuvent provenir
de divers types de situations dapprentissage formel ou informel, divers
moments de notre vie ; on ne peut pas toujours retracer des filiations
prcises ;
3. nvoque pas un dplacement dans lespace, mais lusagedes ressources
cognitives, qui peut passer par leur reconstruction, leur enrichissement, leur
coordination, leur diffrenciation aussi bien que par une simple application en
contexte.
Les spcialistes du transfert (Frenay, 1996 ; Mendelsohn, 1996 ; Tardif, 1999)
me semblent trs proches de cette vision, mais le mot, pris dans son senscommun, vhicule une reprsentation plus simple et en partie fallacieuse des
processus en jeu. Peut-tre serait-il sage de conclure que le transfert de
connaissances est lun des mcanismes de la mobilisation de ressources
cognitives.
Si les rformes en cours parlent de comptences, ce nest pas toutefois en
vertu dun raisonnement pointu sur les concepts. Cest peut-tre simplement
parce que le concept de comptence :
1. parat la fois plus neuf, plus riche et plus intuitif ; la notion de transfert
reste associe la psychologie cognitive, le mot est connu, mais peu utilis
activement dans le monde scolaire ; il voque en quelque sorte une
proccupation ancienne, mais rarement honore, associe donc une vague
culpabilit ;
2. dsigne des objectifs et relve du curriculum, alors que les notions de
transfert ou de mobilisation participent dune thorie de lapprentissage et
relvent de la didactique davantage que du dbat sur les programmes ; on
pourrait dire que le changement de langage fait passer la proccupation du
transfert dans le registre du curriculum et des objectifs de formation.
La notion de comptence nen est pas pour autant facile dfinir
rigoureusement. Elle suscite autant de malentendus thoriques que de
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controverses idologiques. Quelle soit en vogue dans le monde du travail et
se pare des apparences de la modernit nest sans doute pas tranger son
" irrsistible ascension " dans le monde de lducation. De l ne percevoir
dans ce phnomne quun effet de halo ou de dpendance, il y a un pas ne
pas franchir. Quon se proccupe de formation ou de travail, on est
ncessairement conduit sinterroger sur le rapport entre ce que les
personnes apprennent et ce quelles en font.
Il nest pas sans intrt que la question soit pose aujourdhui en termes de
comptences, ni que cet