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DOCUMENT DE TRAVAIL 2003-035
RATIONALITÉ POLITIQUE ET MANAGEMENT DE LA COMPLEXITÉ : ESSAI D’UN MODÈLE EXPLICATIF DE L’INEFFICIENCE DES ENTREPRISES PUBLIQUES Hachimi Sanni Yaya, M.Sc.
Version originale : Original manuscript : Version original :
ISBN – 2-89524-185-6
Série électronique mise à jour : On-line publication updated : Seria electrónica, puesta al dia
12-2003
RATIONALITE POLITIQUE ET MANAGEMENT DE LA COMPLEXITE : ESSAI D’UN MODELE EXPLICATIF DE L’INEFFICIENCE DES
ENTREPRISES PUBLIQUES
Hachimi Sanni Yaya1, M.Sc. Département de Management
Faculté des sciences de l’administration Université Laval Québec, Canada
G1K 7P4 [email protected]
1 L’auteur est chargé de cours au département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval et à l’École nationale d’administration publique (ENAP). Il complète actuellement un Ph.D. au programme conjoint de doctorat en administration de Montréal (CONCORDIA, HEC, MCGILL, UQÀM).
2
RÉSUMÉ
En cette période caractérisée par l’ambiguïté et la rupture dans le champ de l’administration publique, la crise de la légitimité de l’entreprise publique, celle de son rôle et de son fonctionnement marqué par le laxisme, l’incompétence, l’improvisation et une gestion déficiente ont consacré l’apparition d’un nouveau management public qui réaffirme dorénavant l’urgence et la nécessité d’introduire dans la sphère publique, certains modes de gestion et certaines valeurs qui prédominent dans la firme privée. Le besoin de compenser l’inefficience et le déficit managérial caractérisant les entreprises publiques s’est accru et renforcé depuis le traité de Maastricht, et leur survie passe par une modernisation des entreprises publiques, modernisation caractérisée essentiellement par une approche de gestion plus rigoureuse au détriment d’une approche juridique et bureaucratique, une volonté d’axer la gestion sur les résultats et l’introduction de critères de performance, un souci de transparence et de renforcement du contrôle démocratique, et la diffusion d’une saine culture managériale plus horizontale. Cet article examine le contexte dans lequel s’exerce le management dans les organisations publiques et formule un modèle explicatif sur les causes de leur inefficience. Il postule également que l’ambiguïté qui caractérise la gestion dans la sphère publique, requiert pour le moins de la part du gestionnaire, une gestion complexe, qui ne se doit pas d’être seulement une fonction isolable. La gestion des organisations complexes, tout comme celle des entreprises publiques, nécessite en effet comme dans toute démarche managériale, cette intelligence de l’action, cette capacité d’adaptation et d’anticipation et cette plasticité qui devraient permettre au manager, d’échapper aux automatismes innés, aux acquis stériles et aux réponses préprogrammées. Enfin, nous alléguons que l’avenir appartient aux entreprises publiques qui savent assumer et gérer la complexité, accepter et piloter judicieusement les changements radicaux, et capables d’inspirer la doctrine d’un nouveau management public répondant à des stratégies plus souples, des structures plus évolutives, des circuits de décisions moins rigides, des procédures moins formalisées, en un mot, aux entreprises capables d’adopter des attitudes plus dynamiques et plus évolutives.
Mots clés : organisations publiques, gestion publique, public choice, complexité, inefficience, performance.
3
INTRODUCTION
Depuis l’époque schumpetérienne et l’apparition de l’idéologie néo-libérale avec sa vision
stratégique, son flux permanent de projets porteurs d’avenirs, son exploitation rapide sur les
marchés les plus larges et sa redéfinition du rôle de l’État, les entreprises publiques
connaissent aujourd’hui partout à l’échelle du globe, des phénomènes de remise en question
de leur rôle, de leurs mandats et de leurs champs d’intervention.
En outre, les énormes déficits et l’endettement chronique des États, les impératifs de la
nouvelle économie, les mutations technologiques, la montée croissante de l’incertitude, la
gestion de l’innovation et l’instabilité accrue des marchés, l’intensification et
l’internationalisation de la concurrence sont autant de bouleversements qui obligent les
organisations publiques à se transformer, en vue d’assurer non seulement leur survie, mais
aussi et surtout leur croissance.
D’ailleurs, les innombrables recherches entreprises au cours des dernières décennies sur la
contingence structurelle (Woodward, 1958 ; Burns & Stalker, 1961 ; Chandler, 1962 ; Push &
al., 1963 ; Blau, 1967 ; Perrow, 1969 ) ont suffisamment mis en relief l’importance pour les
organisations, d’adopter des structures qui leur permettent de passer de l’inadaptation (misfit)
ayant comme conséquences de mauvaises performance, à l’adaptation (fit), garant de pérennité
et seul gage d’une efficacité organisationnelle soutenue (Milano, 2002).
Dès lors, les organisations publiques semblent depuis peu, entrées dans une sorte de
mythologie moderne, et font aujourd’hui l’objet de toutes les théories, recherches, travaux et
représentations qui voudraient leur amélioration instantanée, efficiente, sans raccommodage et
sans friction : on parle beaucoup d’horizontalité dans l’administration publique, de
réingénierie des processus, de gestion par résultats et par objectifs, de New Public
Management, de veille stratégique, de gestion de la qualité totale, bref d’autant de concepts
qui traduisent en réalité tous, la même préoccupation : aider les organisations publiques à
performer.
4
En fait, les entreprises publiques ne doivent plus seulement se borner à offrir des produits et
des services, mais se trouvent contraintes à s’engager dans une forme de course que Penrose
(1959) a appelé la « concurrence de la créativité »2, une concurrence qui les obligerait à
performer et à être plus compétitives afin de générer des gains de productivité et des revenus
considérés comme une plus-value à l’économie.
Et pourtant, jusqu’à une époque encore récente, la problématique de la performance est
demeurée marginale dans la pensée sur l’administration publique ; elle n’était perçue que sous
l’angle de la firme privée, qui elle, poursuivait un seul but : la maximisation du profit des
actionnaires. Intrinsèquement, les entreprises publiques tirent leur origine dans la nécessité
pour l’État d’intervenir dans le jeu économique, une intervention qui passe par la
nationalisation des monopoles lorsque cela s’avérait nécessaire, et la gestion des biens publics
(Mougeot, 1989 ; Keynes, 1972).
En fait, l’entreprise publique était strictement perçue comme un outil dont dispose l’État pour
pallier aux insuffisances du marché, et la rentabilité de l’entreprise publique ne se mesurait
pas en termes financiers, mais à l’ensemble des avantages qu’elle procure à la collectivité. Par
conséquent, la raison d’être de l’entreprise publique ne relève pas du calcul, mais plutôt de la
conception que l’État se faisait du bénéfice public (Plane, 1996 ; Jones, 1991 ; Bernard, 1985,
Heald, 1989). D’ailleurs selon Massenet (1975), « […] l’organisation publique ne saurait
trouver sa finalité unique dans la rentabilité de ses opérations. Elle est soumise à des
régulations pluridimensionnelles, et obéit à des systèmes de valeur et de mesure hétérogène
»3.
Étudiée le plus souvent comme un cas particulier ou opposée à la firme privée du fait de sa
nature intrinsèque, l’entreprise publique a souvent été évoquée dans l’analyse économique,
mais n’apparaît généralement que sous des formes exceptionnelles ou marginales. Selon
Perroux (1948), « […] la pertinence de l’entreprise publique réside dans sa logique
planificatrice globale : elle peut réaliser une allocation de ressources incompatible avec la
2 Penrose, E. J. (1959). The Theory of the Growth of the Firm. Oxford University Press, p. 42 3 Massenet, M. (1975). La nouvelle gestion publique. Pour un État sans bureaucratie. Éditions Hommes et Techniques, Paris, p. 48.
5
rentabilité financière immédiate dans un contexte de risque et d’incertitudes élevés,
coordonner les entreprises au sein du secteur industriel ou entre secteurs, ce que la
concurrence entre entreprises exclut »4.
Mais à une époque ou le libéralisme semble devenu le nouvel horizon indépassable de notre
temps, on admet volontiers que les organisations publiques se doivent d’évoluer, une
évolution qui se situerait selon plusieurs au carrefour de l’efficience et de celui du changement
accéléré (Leloup, 1998 ; Schein, 1998 ; Thompson, 2002).
La crise de la légitimité de l’entreprise publique, celle de son rôle et de son fonctionnement
marqué par le laxisme, l’incompétence, l’improvisation et une gestion déficiente ont consacré
l’apparition d’un nouveau management public qui réaffirme dorénavant l’urgence et la
nécessité d’introduire dans la sphère publique, certains modes de gestion et certaines valeurs
qui prédominent dans la firme privée. Aujourd’hui, des retombées positives en termes de
rentabilité, de productivité, d’efficience-x, d’investissement, de revenus, d’emploi,
d’aménagement du territoire … sont désormais attendues de l’entreprise publique.
Le besoin de compenser l’inefficience et le déficit managérial caractérisant les entreprises
publiques s’est accru et renforcé depuis le traité de Maastricht. En effet, plusieurs éléments
aujourd’hui semblent indiquer une tendance évolutive du secteur public, tendance caractérisée
notamment par une approche de gestion plus rigoureuse au détriment d’une approche juridique
et bureaucratique, une volonté d’axer la gestion sur les résultats et l’introduction de critères de
concurrence, de compétition, de performance, de réduction des coûts et de qualité des services
(Hodge, 2000 ; Bernrath, 1998 ; Ben Said, 2000).
Si ce contexte exige de la part des organisations publiques à la fois une adaptation et une
anticipation permanentes, force est de constater que celles-ci vivent déjà en fait un triple
changement marqué par de profonds bouleversements : un changement d’ère marqué par le
développement rapide des nouvelles technologies, un changement d’aire qui fait que les
4 Cité par Perroux, F. (1948). Le capitalisme. Presses Universitaires de France, et repris par Cissé, A. (1995). Les Entreprises Publiques en Europe : Ouverture du Capital et Privatisations. Thèse de doctorat en Sciences Économiques, Nouveau Régime, Université de Toulouse 1, p. 56.
6
horizons des entreprises publiques deviennent globaux et enfin, un changement d’air qui fait
que l’inadaptation des outils traditionnels de gestion fait entrer les managers publics dans une
zone sans précédent de dépression collective.
L’objectif de cet article est double : il vise d’abord à examiner d’une part, le contexte dans
lequel s’exerce le management dans les entreprises publiques, car cet exercice nous permettra
de comprendre davantage les multiples interdépendances (qu’elles soient séquentielles,
réciproques ou de mises en commun, à l’instar de celles vécues dans les organisations
complexes) et réalités auxquelles sont souvent confrontés les gestionnaires dans la sphère
publique.
En fait, la nature même de l’entreprise publique pose un problème quant à sa gestion car en
réalité, le management public est une aventure qui, pour reprendre les termes de Callon (1989)
« […] ressemble d’avantage aux romans de John le Carré qu’à ceux d’Agatha Christie »5,
tant la gestion publique est insaisissable et remplie de paradoxes. Cette difficulté, Heller
(1972) l’avait déjà bien perçue lorsqu’il alléguait qu’ « […] après la faillite du mythe
McNamara, les managers privés devraient avoir compris que le management public est
différent, et bien plus difficile que celui dans lequel ils se sont faits une réputation »6.
En effet, la réalité caractérisant l’univers du gestionnaire dans la sphère publique ne peut être
décrite ni expliquée par des modèles d’analyses simples. Il en est de même des situations sur
lesquelles porte sa gestion : complexes, elles ne peuvent être traitées avec la netteté théorique et
le réductionnisme abscons que privilégient habituellement les analystes et les modèles classiques
et conventionnels en théorie des organisations.
5 Akrich, M., Callon, M. & Latour, B. (1988). « À quoi tient le succès des innovations : l’art de l’intéressement ». Dans Réalités Méconnues, Annales des mines. Gérer et Comprendre, no 11, juin, p. 13. 6 Heller, R. (1972). The Naked Manager. Barrie & Jenkis, London, p. 34, cité par, Massenet, M. (1975). La nouvelle gestion publique. Pour un État sans bureaucratie. Éditions Hommes et Techniques, p. 10
7
D’autre part, nous essaierons de formuler un modèle explicatif de l’inefficience des entreprises
publiques au travers un certain nombre de théories. À l’heure actuelle, les travaux sur les
entreprises publiques laissent penser que les dysfonctionnements que vivent ces organisations
tiennent à leur fonctionnement bureaucratique (Crozier, 1964 ; 1977 ; 1988).
En fait, il est souvent reproché aux organisations publiques une structure trop rigide avec des
règles de fonctionnement insoutenables pour les managers, obligeant souvent ceux-ci à
adopter des attitudes contre-productifs et les amenant à transformer leur organisation en une
espèce de forteresse où chacun entend être maître chez soi et défendre ses positions contre les
ennemis du dehors et les rivaux du dedans (Schulter, 1999 ; Johnson, 1996).
Contrairement aux firmes privées conventionnelles, les entreprises publiques selon de
nombreuses recherches voient prédominer en leur sein, plusieurs types de rationalités et ne
seraient selon plusieurs courants7 en réalités, qu’une coalition d’intérêts privés où les acteurs
vivent en circuit fermé sous le régime de la méfiance mutuelle. Les entreprises publiques avec
leurs règles générales, rigides et immuables qui s’imposent par la contrainte et des contrôles
aux exécutants anonymes, sont soumises au pouvoir politique (Mintzberg, 1996), à des
normes juridiques spécifiques et à un cadre structurel particulier.
En effet, les organisations publiques ont de tous les temps, toujours été des espaces de
contradictions entre plusieurs rationalités souvent antagonistes, entre des projets et la
résistance, l’austérité et le gaspillage, la connaissance et l’ignorance, la toute puissance et
l’impuissance, la ressemblance et la dissemblance, la coopération et la compétition, l’ordre et
le désordre, les légalistes et les innovateurs, les progressistes et les partisans du statut quo.
En outre, nous soutenons que cette situation ambiguë, requiert pour le moins de la part du
manager public, une gestion complexe, qui ne se doit pas d’être une fonction isolable. La
gestion des organisations complexes, tout comme celle des entreprises publiques, nécessite en
effet comme dans toute démarche managériale, cette intelligence de l’action, cette capacité
7 Nous faisons particulièrement référence ici au courant du Public Choice
8
d’adaptation et d’anticipation, et cette plasticité qui devraient permettre au manager,
d’échapper aux automatismes innés, aux acquis stériles et aux réponses préprogrammées.
Enfin, nous alléguons que l’avenir appartient aux entreprises publiques qui savent assumer et
gérer la complexité, accepter et piloter judicieusement les changements radicaux, et capables
d’inspirer la doctrine d’un nouveau management public répondant à des stratégies plus
souples, des structures plus évolutives, des circuits de décisions moins rigides, des procédures
moins formalisées, en un mot, aux entreprises capables d’adopter des attitudes plus
dynamiques et plus évolutives.
L’ENTREPRISE PUBLIQUE : DEPASSER LES AMBIGUÏTES DU CONCEPT
Considérées par d’aucuns comme « le pire des embrouillaminis », un « bourbier sans fond »,
une réalité trop triviale pour qu’on prenne le temps d’en parler, les entreprises publiques ont
longtemps été perçues, pour reprendre (dans un style bien ciselé dont il détenait seul le
secrets) les termes de March (1991) comme des « anarchies organisées »8 ou selon Ramonet,
comme des « entités chaotiques ingouvernables »9.
La définition de l’entreprise publique n’est pas chose facile. En effet, la notion d'entreprise
publique recouvre des réalités très diverses, étant donné surtout les multiples considérations
qui ont depuis plus d'un siècle justifié la création d'entreprises publiques dans nombre de pays.
Il existe autant de définitions de l’entreprise publique que d’auteurs ou d’écoles de pensée.
L’une des rares définitions de l’entreprise publique en tant que telle remonte aux années 1960
et émane du Centre Européen de l’Entreprise Publique qui la définit comme étant « […] toute
entreprise, au sens économique du terme, dans laquelle l’État, les collectivités publiques ou
d’autres entreprises publiques disposent, directement ou indirectement, d’une part de capital
suffisante pour assurer le contrôle effectif de l’entreprise »10.
8 Cohen, M. D., March, J. G. & Olsen, P. J. (1991). « Le modèle du Garbage Can dans les anarchies organisées », dans March, J. G. (1991). Décisions et Organisations. Éditions d’Organisation, Paris, 275 pages. 9 Cette expression est empruntée à Ramonet, I. (1997). Géopolitique du Chaos. Paris, Galilée et à De Rivero, O. (1999). « État en ruine, conflits sans fin ». Le Monde diplomatique. Avril. 10 Centre Européen de l’Entreprise Publique.
9
Parmi un certain nombre de tentatives de définition de l'entreprise publique, on retiendra celle
de la Commission européenne dans la directive 80/723 du 25 juin 1980 relative à la
transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques, qui
est maintenant la référence de toute législation communautaire applicable à ces entreprises.
Selon cette définition, c'est l'influence dominante d'une autorité publique, et non la propriété
publique, qui doit être considérée comme le principal critère de l'entreprise publique, cette
influence s'exerçant, avec ou sans propriété, par le pouvoir par exemple de nommer les
principaux dirigeants de l'entreprise ou par la capacité à contrôler les grandes décisions de
celle-ci par l'intermédiaire de droits spéciaux des représentants de l'autorité publique.
Cependant, il faut dire en même temps que l'entreprise publique ne saurait exister sans un
certain degré d'autonomie à l'égard des autorités publiques et sans un objectif économique
(produire et vendre des biens ou des services) et enfin, sans un mode de fonctionnement
proche de celui des entreprises privées.
Par entreprise publique, on entendrait donc toute entreprise sur laquelle un ou des
gouvernements sont susceptibles d'exercer une influence dominante, que ce soit directement
ou indirectement (Ahene, 1992 ; Belanger, 1995 ; Bizaguet, 1990 ; Dinavo, 1995). Selon la
Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, le terme entreprise publique au sens
large sert à désigner l’ensemble des entreprises appartenant au domaine du secteur public,
quelle que soit leur forme juridique, leur système de gestion ou leur mode de fonctionnement.
D’autres comme Shirley (1983) évoquent plutôt la notion de contrôle pour définir l’entreprise
publique. En effet, la plupart des entreprises publiques sont généralement contrôlées par
l’État, et celles-ci se différencient des autres formes d’entreprise par la nature de leurs
activités et leur identité intrinsèque.
Abondant dans le même sens, Anastassopoulos (1980) qualifie d’entreprise publique, toute
entreprise ou organisation, dont le dessein est de produire et de vendre des biens et services, et
dont l’État assure essentiellement la responsabilité. Elle se distingue du reste des
administrations publiques parce qu’elle poursuit un but purement économique, et que
10
l’essentiel de ses ressources provient des activités qu’elle génère. Elle se distingue également
de l’entreprise privée parce que l’État y joue un rôle central, du fait du contrôle quasi absolu
qu’il y détient (Berg, 1994 ; Earle, 1998 ; Durupty, 1986 ; Henry, 1993 ; Greffe, 1978).
De façon générale, les entreprises publiques exercent dans l’immense majorité des cas, un
pouvoir de contrôle et de suivi de l’action économique en tant que prolongement de l’État
dans les secteurs de la production des biens et services. Ainsi, les entreprises publiques, en
plus d’être partiellement ou totalement sous contrôle étatique ne viseraient pas a priori la
maximisation des profits ou la rentabilité (Amewokunu, 2000).
Dans une perspective purement juridique, une entreprise publique se définit, en droit français,
comme un organisme doté d’une personnalité morale, gérant une activité de production de
biens ou de services et soumis aux règles du droit privé et au pouvoir prépondérant d'une
autorité publique.
Selon Colson (1986), les entreprises publiques peuvent revêtir deux formes juridiques
différentes : d’une part, l’auteur distingue les entreprises publiques dans lesquelles le capital
est soit détenu par plusieurs entités (publique et privé). D’autre part, il distingue les
entreprises publiques pouvant fonctionner selon les règles des firmes privées (c’est-à-dire
soumises aux lois de la concurrence).
Si l’on considère donc que l’entreprise publique est toute entreprise sur laquelle les pouvoirs
publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la
propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent, les entreprises publiques
pourraient donc se définir comme étant des entreprises dans lesquelles, et ce, quelle que soit
leur forme juridique, l’État, les collectivités locales ou toute autre personne morale de droit
public, exerce en droit ou en fait un pouvoir de décision en vue notamment d'infléchir leur
action vers certaines fonctions d'intérêt général (Goldstein, 1996 ; Iacono, 1996 ; Rapp, 1986 ;
Plane, 1996).
11
Dans une optique purement managériale, Hafsi (1990) allègue quant à lui qu’une entreprise
publique est une institution qui génère des biens et services et des activités socio-économiques
et culturelles dans lesquelles, l’État joue un rôle fard, tout en y détenant les instruments de
gestion et de prise de décision. L’auteur ajoute que l’intervention de l’État dans l’entreprise
publique est généralement motivée par des considérations sociales d’équité, de justice, par des
raisons économiques fiscales, d’équilibre économique et par des considérations politiques de
souveraineté nationale.
Mais l’entreprise publique peut être définie au regard et à la lumière des objectifs qu’elle
poursuit, et des missions qui lui sont assignées. Causse (1988) perçoit l’entreprise publique
dans une optique politico-économique, et allègue qu’une entreprise publique est une
organisation qui crée des infrastructures collectives, qui structure les milieux ruraux en
corrigeant les déséquilibres régionaux, qui fait la promotion de l’industrialisation en
maîtrisant la production et la commercialisation des produits essentiels, tout en assurant le
développement des exportations qui contribuent à l’équilibre macro-économique de la balance
commerciale.
À la lumière cette pluralité de définition de l’entreprise publique qui fait que les diverses
perspectives proposées par les uns et les autres pourrait paraître parcellaires et incomplètes,
Durupty (1986) nous propose une perspective holistique plus large de l’entreprise publique.
L’auteur distingue les entreprises publiques économique plus proches de la firme privée, les
entreprises publiques politisées (qui sont en fait des instruments de l’État), et les entreprises
publiques qui ont été créées dans un souci de contrôle.
À l’instar de la définition précédente, Fernandes & al. (1981) nous proposent une vision de
l’entreprise publique qui intègre à la fois ses dimensions managériale, politique, économique
et sociale qu’on retrouve dans la littérature, tout en insistant sur la dimension du contrôle et de
la propriété étatique. Ainsi, ils résument la définition de l’entreprise publique comme suit :
12
« […] A public enterprise is an organisation which: is owned by public authorities to extend of 50 percent or more; is under the top managerial control of owning public authorities, such as public control, including inter alia, the right to appoint top management and to formulate critical policy decisions; is established for the achievement of a defined set of public purposes which may be multi-dimensional in character; is consequently placed under a system of public accountability, involves the basic idea of investment and returns and services »11.
Mais l’entreprise peut être également appréhendée par ses moyens et ses fins : par moyen, il
faut entendre le type de propriété de l’entreprise et surtout la manière dont les choix
stratégiques qui la concernent son adoptées. Par fins, il s’agirait du type de produit qu’elle
fabrique. D’une part, on distinguerait les entreprises publiques appartenant au domaine
étatique qui produisent des biens et services, et où les décisions sont prises à l’échelle
gouvernementale et d’autre part, les entreprises privées produisant des biens publics ou
d’intérêt public (Leroy, 1975).
L’entreprise publique est souvent assimilée à tort ou à raison au service public. Et pourtant, les
entreprises publiques sont censées avoir des objectifs qui les distinguent des autres
organisations. Alors que la première (entreprise publique) se voit attribuer des missions
d’ordre public (contribution à la politique industrielle ou sociale du gouvernement), le service
public consiste quant à lui à produire des biens et services d’intérêt général. Apparue sous des
appellations variées et différentes, le service public encore appelé « public utility » ou « public
interest » et mieux connu du Traité de Rome sous le nom de « service d’intérêt économique
général » s’applique seulement à une frange importante des entreprises publiques, mais
intéresse en revanche également certaines entreprises privées.
11 Fernandes, P. & Sischerl, P. (1981). Seeking the Personality of Public Enterprises. The International Center for Public Enterprises in developing Countries. Yougoslavia, p. 24.
13
Chevallier (1994) soutient pour sa part que le service public pourrait être défini comme « […]
toute activité présentant un intérêt public, exercée par une personne publique ou par une
personne agissant pour son compte, soumise en partie à un régime exorbitant du droit
commun »12. Le service public est généralement une activité économique d'intérêt général
définie, créée et contrôlée par l'autorité publique et soumise à des degrés variables à un régime
juridique spécial, quel que soit l'organisme, public ou privé, qui a la charge de l'assurer
effectivement.
Comme activité, le service public se distingue des autres formes d'intervention publique dans
l'économie qui ne sont pas des activités de production. Ainsi, selon le Parlement Européen
dans sa série sur les « Entreprises publiques et services publics économiques dans l’Union
Européenne », plusieurs attributs sont donnés au service public : la continuité, c’est-à-dire la
nécessité de toujours assurer un service du fait de l’importance qu’elle revêt pour la
population dans un souci de permanence et de stabilité (le ramassage des ordures, la fourniture
de l’eau ou la prestation des soins de santé par exemple), l’adaptabilité (c’est-à-dire
l’adaptation constante des services offerts en tenant compte des évolutions quantitatives et
qualitatives de la population) et enfin, son caractère non commercial (c’est-à-dire que le but
du service public n’est pas la rentabilité de la firme privée).
En outre, les activités du service public en tant qu'activités d'intérêt général sont généralement
menées sous le contrôle de l'administration publique avec des prérogatives de puissance
publique. La nature des activités de service public peut se distinguer à partir de la nature des
biens et des services qu'elles fournissent.
Dans cette optique, on ne saurait identifier la totalité des biens produits et distribués à de
simples bien marchands. Ces biens ne sont pas de même nature, ils ne peuvent dépendre tous
également du marché et n'impliquent pas le même type de prise en charge institutionnelle
comme par exemple la sécurité, la défense, la justice, l’environnement, le patrimoine culturel
(Cisse, 1995 ; Chitou, 1991).
12 Chevallier, J. (1994). Le service public. Presses Universitaires de France, Collection Que sais-je ? 3è édition.
14
Plusieurs aspects caractérisent les entreprises publiques : elles dépendent dans leur
fonctionnement de décisions politiques prises au plus haut niveau, engagent des montants
financiers colossaux en grande partie indépendants de leur rentabilité apparente directe,
s’inscrivent en théorie dans le long terme avec plusieurs exercices budgétaires, concernent
généralement de biens complexes de grande dimension, tant sur les plans technologique,
productif, financier que commercial, et font l’objet de débats politiques tant au niveau des
enjeux et décisions de principes qu’à celui des moyens d’applications (Bellon & Burmeister,
1995).
Enfin, contrairement aux entreprises privées, les organisations publiques poursuivent
différentes finalités (finalité sociales et de développement). En outre, elles ne sont pas sujettes
à la rentabilité capitalistique, poursuivent des objectifs en concurrence nulle ou imparfaite, se
caractérisent par une complexité permanente et sont soumises à l’action administrative du
politique (Santos, 2002).
L’ENTREPRISE PUBLIQUE : UNE ENTITE COMPLEXE TEL L’HABIT D’ARLEQUIN, A GEOMETRIE VARIABLE
De nombreux auteurs ont donné ces dernières à la problématique de l’organisation, une
nouvelle approche, tantôt théorique, tantôt pratique, à partir d’un nouveau paradigme : celui de
la complexité. Les phénomènes complexes ont fait l’objet d’une attention soutenue de la part
des chercheurs, en particulier dans le domaine des sciences de la nature, et plus récemment, en
sciences de la gestion. C’est avec les travaux de Von Bertanlaffy (1975) sur la cybernétique et
la théorie générale des systèmes que la prise en compte de la complexité est devenue un
problème fondamental dans l’analyse des phénomènes organisationnels. D’ailleurs, selon
Gaston Bachelard, « […] il n’y a rien de simple dans la nature, il n’y a que du simplifié »13.
13 Gaston Bachelard, cité par Morin, E. (1990). « Le défi de la complexité » in, Science avec Conscience. Fayard, p. 132.
15
À l’ère de l’ambiguïté, de l’interdépendance, de la rupture et de la discontinuité qui est celle
de l’administration publique, nous dirons à l’instar de Callon (1988), que pour avoir une idée
du processus managérial dans l’administration publique, « […] il faudrait imaginer une fusée
pointée vers une planète à la trajectoire inconnue, et décollant d’une plate-forme mobile aux
coordonnées mal calculées »14.
Ainsi, dans la littérature actuelle sur les politiques générales d’administration, les idées et les
théories se sont succédées comme des champignons. La gestion de la complexité, et l’effort de
l’organisation (via notamment des normes de rationalité comme celles développées par
Barnard, Simon et March) pour endiguer la complexité à laquelle les entreprises font face sont
alors aujourd’hui au cœur des préoccupations. Il apparaît clairement que les entreprises,
qu’elles soient publiques ou privées, ne sauraient en aucun cas être gérées ou conduites de la
même façon que jadis.
La gestion des entreprises a toujours été considérée comme une science et un art ; elle suppose à
la fois une démarche logique, rationnelle et humaniste, un savoir-faire et un savoir être, des
compétences spécifiques et un esprit d’apprentissage et d’initiative. En plus d’aspirer à « faire les
bonnes choses » et à « bien faire les choses », et dans la mesure ou il a des ressources à gérer, des
décisions à prendre et des activités à coordonner, le rôle du manager a longtemps été considérée
comme un exercice facile.
En dépit du fait que les fonction essentielles du management que sont l’organisation, la
planification, la dotation, la direction et le contrôle soient théoriquement présentes dans les
secteurs public et privé, il faut reconnaître que l’existence de ces fonctions dans les deux
secteurs n’implique nullement les mêmes conditions d’exercice, la gestion publique
entretenant plusieurs particularités qui lui sont intrinsèques.
14 Callon, M., Akrich, M. & Latour, B. (1988). « À quoi tient le succès des innovations » ? Annales des Mines. Série sur les réalités méconnues, Juin, p. 6.
16
Selon Ruffat (1998), la marche d’une entreprise privée est comparable à celle d’un train
circulant sur des rails ; en principe, il n’y a souvent pas de difficulté dans cette marche ; on est
canalisé et on ne poursuit que des objectifs minimes, largement hiérarchisés : la maximisation
de l’allocation des ressources, de la rentabilité des capitaux et de l’avoir des actionnaires
(Bower, 1977). Par contre, la gestion d’une entreprise publique, tel l’habit d’arlequin est à
géométrie variable.
En effet, l’entreprise publique poursuit généralement des objectifs multiples, parfois
antagonistes, ou au mieux, difficilement réconciliables : la satisfaction des besoins des
usagers, la maximisation du rendement économique et financier des équipements, la gestion et
la valorisation exemplaire des ressources humaines.
En outre, l’entreprise publique a aujourd’hui une énorme responsabilité sociale ; ainsi, elle se
doit de concilier à la fois l’économique, le social et le politique (Nakoulma, 2000). C’est
d’ailleurs le même constant que fait Santo (1998) lorsqu’il allègue qu’alors que l'entreprise
privée poursuit, d'une manière autonome, une finalité interne de survie et de développement,
les organisations publiques sont soumises à des finalités externes définies et imposées par la
loi.
L’entreprise publique se doit donc aujourd’hui de faire face tant à la complexité de ses modes
de fonctionnement, une complexité liée notamment au fait que ses systèmes de gestion, sa
structure sont régis par des lois qui contraignent ses modalités d’opération.
Si la gestion par objectifs a connu un certain succès auprès des entreprises et firmes privées
conventionnelles depuis les écrits de Drucker (1954)15, cela est loin d’être le cas pour ce qui
est des entreprises publiques. En tant que démarche réclamant que les objectifs stratégiques
d’une organisation soient clairement fixés afin d’éviter la navigation à vue, la gestion par
objectifs s’est illustrée comme l’un des préceptes les plus importants du management
contemporain.
15 Pour plus de détails à ce sujet, voir Durcker, P. (1954). The Practice of Management, Harper and Brothers, New York.
17
En effet, pour pouvoir gérer efficacement, il faut avoir un but, et des objectifs
hiérarchisés, limités en ce qui a trait à leur nombre et à leur étendue, même s’il faut
admettre aujourd’hui que les profondes mutations de l’environnement dans lequel
évoluent les organisations publiques leur imposent une négociation continue et
permanente de ces objectifs.
18
Figure 1 : Les objectifs multiples de l’entreprise publique
Source : construit à partir de Causse, G. (1988). La réforme du secteur parapublic
19
VERS UN MODÈLE EXPLICATIF DE L’INEFFICIENCE DES ENTREPRISES PUBLIQUES
En tant qu’unités socio-économique de coordination fonctionnant dans le dessein d’atteindre des
objectifs partagés par l’ensemble des membres de la communauté, les entreprises publiques dans
leur fonctionnement soulèvent chaque fois des questions fondamentales liées entre autre à leur
tendance à tolérer les écarts (comportements déviants), les dérogations, l’arbitraire et les relations
parfois obscures entre la transparence recherchée et la responsabilité des gestionnaires. En outre,
leur capacité à gérer l’opportunisme des comportements au plan normatif par la mise en œuvre
d’une véritable culture organisationnelle est mise en doute.
Depuis bientôt quelques décennies, de nombreux courants comme ceux du « Public Choice »
démontrent que le manager public n’est pas moralement vierge, les entreprises publiques
n’étant en réalité qu’une coalition d’intérêts privés (Buchanan, 1986). Selon plusieurs auteurs,
il est fondamentalement erroné et illusoire que les individus qui, dans la vie économique, se
comportent de manière rationnelle et égoïste, puissent, une fois à la tête d’organisations
publiques, adopter des attitudes responsables et altruistes.
Les entreprises publiques sont des entités abstraites qui ne visent pas la « grandeur de la
nation », l’intérêt général ou la solidarité nationale, mots vides de sens dont les discours des
managers sont remplis. Ils sont des instruments de la politique, et à travers des interventions,
des subventions, un manteau d’arlequin de mesures plus merveilleuses les unes que les autres,
un petit morceau pour celui-ci, un petit morceau pour celui-là, ils deviennent des instruments,
c’est-à-dire une espèce de marché, le marché politique où les uns et les autres essaient de se
renvoyer l’ascenseur.
En outre, il est reproché aux entreprises publiques un gestion bureaucratique trop
complaisante : création d’avantages non justifiés de tous genres et niveau, absence de veille
technologique entraînant un mauvais choix, gestion au jour le jour, incompétence notamment
dans la motivation et la gestion des ressources humaines, mauvais service à la clientèle,
clientélisme, corruption, recrutement complaisant de parents ou d’amis sur la base d’affinités
politiques, absence de véritable contrôle par les autorités de tutelle, sollicitations diverses et
20
inopportunes des ressources de l’entreprise, manque de flexibilité et d’initiative, utilisation de
réponses et de solutions préprogrammées, manœuvres politiques ou trafic d’influence,
marchandages, approche mécaniste, bref, les maux ne manquent pas pour exprimer le chaos
total dans lequel végètent les entreprises publiques, comme en font foi les nombreuses études
réalisées sur la question (Allison, 1983 ; Ring & Perry, 1995). En outre, on les considères
« démesurées, prodiges, inefficaces, sans imagination et trop puissantes »16.
Ces pratiques anti-managériales s’expliquent notamment par l’influence exercée par un grand
nombre d’acteurs sur les objectifs et les processus décisionnels des entreprises publiques. En
effet, les organisations publiques ne sont rien d’autre qu’un univers d’échange et de conflits,
un instrument de coopération entre des intérêts conflictuels, une arène où se prennent des
décisions et un contexte où se rencontrent, s’affrontent et s’ajustent des rationalités et des
comportements multiples, souvent contradictoires.
Le portrait qui est aujourd’hui fait des entreprises publiques n’est guère reluisant, comme en
témoignant les nombreuses approches classificatrices et typologisantes qu’en ont fait plusieurs
auteurs : entreprises publiques « patrimoniales » où les différents responsables
gouvernementaux et les gestionnaires publics considèrent la chose publique comme leur
propriété d’une part, organisations publiques prédatrices budgétivores où les fonds publics
sont utilisés pour servir d’obscurs desseins d’autre part, et enfin, es entreprises publiques
fantômes où des réseaux politiques informels s’emparent des finances publiques à travers des
activités occultes et illicites.
On attribue aujourd’hui l’inefficience des entreprises publiques à l’existence au sein de
l’organisation publique, de plusieurs types de rationalités, qui dans leur exercice et dans leur
logique, constituent une entrave à un meilleur fonctionnement des entreprises publiques.
16 Savoie, D. J. (1994). « Mondialisation, État-Nation et fonction publique » in, Peters, G. & Savoir, D. J. (1994). Les nouveaux défis de la gouvernance. Presses de l’Université Laval.
21
Meanllan (1998) distingue trois logiques : une logique politique (avec une forte prédominance
des jeux de pouvoir et l’existence de coalitions dominantes et ou les objectifs poursuivis par
l’entreprise sont de nature qualitative et ambigus, pas toujours clairs, souvent remis en cause
et constamment renégociés), une logique incrémentale (où coexistent formalisme et
opportunisme et où les buts organisationnels sont plus ou moins clairs), et enfin, une logique
managériale davantage rare (où les buts sont clairement définis et où les choix et options
stratégiques de l’entreprise sont faits en fonction des analyses coûts/bénéfices).
En outre, contrairement à l’entreprise privée, la marge de manœuvre du gestionnaire dans le
secteur public dans une optique purement managériale est relativement mince, en dépit des
zones d’incertitudes dont il peut disposer. En effet, à cause des nombreuses interférences
politiques, Toulemonde rappelle que le manager public « […] ne maîtrise ni le nombre
d’emplois de son service, ni l’utilisation de son budget dans le temps, ni l’affectation de ses
ressources […] ». En outre, selon Cleveland (1979), l’autre ambiguïté dans laquelle réside la
gestion publique est que les gestionnaires publics « […] s’attaquent à des défis de très long
terme (20 ans), avec du personnel pourvu pour une durée de deux ans, en se basant sur des
dotations budgétaires annuelles »17.
Les acteurs qui interviennent dans les processus décisionnels des organisations publiques sont
tellement nombreux et celles-ci (les décisions) sont tellement imbriquées et embrouillées
qu’en bout de course, plus personne ne sait à qui attribuer la paternité des résultats engendrés.
L’état d’abattement qui suit généralement les piètres performances des entreprises publiques
analogue à la dépression qui s’empare de la parturiente, est en partie dû à ce sentiment bizarre,
à ce goût de cendre sur les lèvres que laisse toute démarche managériale qui échappe à ses
auteurs (Callon,1988). Les gestionnaires publics sont généralement limités car ils sont souvent
des décideurs de faible poids. En effet, ils prennent généralement des décisions qui à elles
seules, dans leur singularité ne provoquent pas de bifurcation majeure au sein de
l’organisation (Larouche, 1999).
17 Cleveland, H. (1998). « Public Management Research: The Theory of Practice and Vice Versa ». Public Management Research Conference. Brookings Institution, Washington, D.C.
22
La théorie des choix publics utilise les outils de la micro-économie pour étudier les
comportements des individus dans l'administration publique afin d’analyser les piètres
performances des organisations publiques. Si la situation semble aujourd’hui moins flagrante
dans certains pays développés, elle en est toute autre en Afrique : les élus politiques interfèrent
fréquemment dans la gestion publique, en accordant des avantages et des bénéfices à des
groupes précis en vue d’assurer leur réélection, attitude qui, se révèle définitivement
antagoniste à une gestion saine et efficiente des entreprises publiques (Peltzman, 1971 ;
Vickers & Yarrow, 1989).
En réalité, l’inefficience des entreprises publiques africaines ne résulte pas d’un défaut
d’allocation des facteurs de production, mais plutôt d’une inefficacité liée à une mauvaise
organisation de l’entreprise.
En outre, l’absence de pression externe constitue le premier facteur d’inefficience dans les
entreprises publiques. L’auteur allègue que ces entreprises sont souvent en situation de
monopole, ce qui favoriserait une « vie tranquille » et n’inciterait pas celles-ci à un effort
permanent de recherche de compétitivité. La mauvaise performance des entreprises publiques
tiendrait donc à leur immortalité. Une immortalité due au fait que la politique financière et
monétaire de l’État est suffisamment expansive pour limiter la probabilité de faillite. Dans un
tel contexte, les gestionnaires développent une aversion pour le risque, une faible propension à
l’innovation, et enfin, une mentalité proche de celle observée dans des bureaux non marchands
(Leibenstein, 1966 ; Harold, 1988 ; Nakoulma, 2000).
Tel qu’expliqué précédemment, la multiplicité des objectifs assignés aux organisations
publiques constitue également un facteur de leur inefficience. En dépit du fait que ces
missions qui pour la plupart sociopolitiques et économiques revêtent un bien-fondé, leur
caractère souvent conflictuel tend à exacerber les difficultés d’évaluation de programmes et en
entraîne l’arbitraire par les ministères de tutelle.
23
En clair, les sources d’inefficience dans les entreprises publiques se trouvent justifiées par les
comportements inadaptés de l’État et de ses agents d’une part, et d’autre part, par la structure
organisationnelle fortement bureaucratisée et verticale de celles-ci. C’est d’ailleurs afin de
permettre aux entreprises publiques de retrouver leur chemin de damas que certains auteurs
évoquent la nécessité de soustraire celles-ci des mauvaises influences politiques et par
conséquent, de simplifier et de clarifier leurs fonctions/objectifs.
Plus précisément, les décisions stratégiques revenant au niveau de la direction des entreprises,
cela leur donnerait une autonomie suffisante pour se mettre en adéquation avec leur
environnement, afin de réaliser l’adéquation produit-marché18. En outre, le processus
décisionnel (scindé par Ansoff en décisions administratives et opérationnelles) s’en trouverait
fortement amélioré par des choix et combinaisons optimaux des facteurs de production.
Si les organisations publiques ont longtemps été caractérisées par une gestion bureaucratique
complaisante marquée par une stratégie de tâtonnement et une planification marquée par un
modèle politique de prise de décision19, il faut préciser aujourd’hui qu’elles sont guidées par
une rationalité davantage politique (manque de liberté quant aux choix stratégiques qui sont
guidés par la loi et imposés par des décideurs politiques, objectifs flous et disparates, conflits
d’intérêts et opportunisme, difficulté à opérationnaliser les objectifs, responsabilité floue de
gestionnaires et manque d’imputabilité etc.) que managériale.
18 L’adéquation produit-marché, est encore désignée sous le terme d’ «accord d’impédance» selon l’expression d’Igor Ansoff. Une explication de ce concept est d’ailleurs fournit élégamment par l’auteur dans son ouvrage, Stratégie de développement de l’entreprise, paru aux éditions Hommes & techniques en 1981. 19 Bryson, J. M. & Roefring, W. D. (1988). Initiation of strategic planning by governments. Public Administration Review. December.
24
Figure 2 : Rationalités politique et managériale et conséquences sur la performances des organisations
publiques
25
CONCLUSION
« […] Un retour à une gestion publique plus empathique et plus généreuse du type de celle
qui a caractérisé la plus grande période de l’après-guerre est peu probable »20, prétendait
Arthur Kroeger en 1995. Même s’il semble a priori impossible de conclure cet article sur une
note positive au sujet des organisations publique à la lumière de tout ce qui précède, nous
croyons qu’il faudrait éviter le risque d’un acharnement thérapeutique et reconnaître que
plusieurs constats s’imposent.
En effet, les expériences témoignent que partout à l’échelle du globe, la modernisation des
organisations publique est engagée, une modernisation qui passe essentiellement par une
meilleure gestion des entreprises publiques, un souci de transparence et de renforcement du
contrôle démocratique, et la diffusion d’une saine culture managériale. Les dernières années
semblent vouloir voir émerger une nouvelle race d’organisations publiques qui font évoluer
leurs pratiques de gestion, en cohérence avec les évolutions profondes de leur environnement,
comme dans certains pays de l’OCDE.
Cependant, des efforts restent encore à être déployés car l’expérience tend encore à prouver
que les gestionnaires publics baignent dans un formidable imbroglio politico-administratif et
managérial, ce qui laisse penser que pour assumer convenablement son rôle, le manager public
devra aujourd’hui combiner des qualités managériales fondamentales et parfois disparates,
bref, être un superman des temps modernes comme le voulait Chester Barnard (1938), c’est-à-
dire développer une énorme capacité d’adaptation et d’anticipation, maintenir la cohésion et la
coopération au sein de son organisation, connaître les grands mécanismes économiques de son
secteur et de ses marchés, avoir un tempérament de joueur astucieux et être un stratège.
20 Kroeger, A. (1995). « La gestion publique dans le nouveau millénaire : À quel point réduire la présence gouvernementale ». Centre Canadien de Gestion, p. 31
26
En effet, une bonne gestion publique ne s’improvise pas, pas plus qu’elle ne surgit de manière
sauvage et imprévue. Elle s’oppose aux cadres établis, aux structures rigides, aux
bureaucraties stériles et aux intérêts acquis. L’art de la gestion publique est tout entier dans
l’équilibre, entre d’une part, la réconciliation des intérêts et rationalités divergentes.
Le succès d’une organisation publique dépend fortement aujourd’hui de sa capacité à maîtriser
les situations incidentelles et accidentelles prévisibles, mais elle dépend également de la
capacité de la salle de commande (les gestionnaires) à gérer quotidiennement les situations
qui, tout en étant normales, sont imprévues, perturbatrices et engagent potentiellement la
l’équilibre de l’organisation, pouvant ainsi dégénéré en situations lourdes de conséquences
pour la survie de celle-ci.
En résumé, nous dirons à l’instar de Thierry Weil (2000), que c’est bien plus une approche de
jardinier que celle d’un ingénieur ou d’un manager qu’il faut aujourd’hui pour comprendre,
analyser et gérer les organisations publiques à l’aune du troisième millénaire. En effet,
l’ingénieur, après avoir épuisé sans succès ses lois et ses théories, et faute de bien comprendre
les relations de causalité complexes qui gouvernent les phénomènes et d’avoir assez de
moyens d’actions et de contrôle à sa disposition est désarmé. Le jardinier lui, accepte au
contraire cette impuissance face aux forces de la nature qui le dépassent, mais sait qu’il peut
néanmoins semer au bon moment, arracher les mauvaises herbes régulièrement et adapter son
arrosage à l’ensoleillement. Et ces petites actions prosaïques accomplies avec constance, lui
donneront sans doute plus de chances de favoriser l’émergence d’une connaissance plus juste,
plus vraie, à défaut d’être parfaite, de son univers.
27
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