publiques des libertés... · 2017-01-30 · 3 cour de cassation - chambre civile 1 - 9 janvier...

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LIBERTÉS PUBLIQUES SUPPLÉMENT JURISPRUDENTIEL

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LIBERTÉS

PUBLIQUES

SUPPLÉMENT

JURISPRUDENTIEL

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Conseil constitutionnel - décision n° 2013-674 DC du 01 août 2013

« Loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant

sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires »

1. Considérant que les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi tendant à modifier la loi n° 2011-814

du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l'embryon et les cellules

souches embryonnaires ; qu'ils mettent en cause la procédure d'adoption de la loi et la conformité à la Constitution de son

article unique (…)

5. Considérant que les requérants soutiennent que l'autorisation de recherches sur l'embryon humain et les cellules

souches embryonnaires porte atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine en ce qu'elle

méconnaît à la fois le principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, le principe d'intégrité de

l'espèce humaine, le principe d'inviolabilité, ainsi que le principe de non-patrimonialité du corps humain ; qu'ils font

valoir que l'atteinte à ces principes résulte notamment de l'imprécision et de l'inintelligibilité des dispositions contestées ;

(…)

En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine :

14. Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes

constitutionnels en soulignant d'emblée que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les

régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être

humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » ; qu'il en ressort

que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un

principe à valeur constitutionnelle ;

15. Considérant qu'aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à

l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et qu'aux termes de son onzième alinéa : « Elle

garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère..., la protection de la santé » ;

16. Considérant que les dispositions contestées prévoient qu'aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules

souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation ; qu'elles soumettent aux conditions énumérées dans le

paragraphe I de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique tout protocole de recherche conduit sur un embryon

humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d'un embryon humain ; qu'elles fixent la règle selon laquelle la

recherche ne peut être autorisée que si elle s'inscrit dans une « finalité médicale » ; qu'elles posent le principe selon lequel

la recherche n'est menée qu'à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et

qui ne font plus l'objet d'un projet parental ; qu'elles prévoient également le principe selon lequel la recherche est

subordonnée à un consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus ou du membre survivant de ce

couple, ainsi que le principe selon lequel les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être

transférés à des fins de gestation ; qu'elles fixent les conditions d'autorisation des protocoles de recherche par l'Agence de

la biomédecine et la possibilité pour les ministres chargés de la santé et de la recherche de demander un nouvel examen

du dossier ; que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les dispositions du paragraphe III n'instituent pas une

procédure d'autorisation implicite des recherches ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, si le législateur a modifié certaines des conditions permettant

l'autorisation de recherche sur l'embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires à des fins uniquement

médicales, afin de favoriser cette recherche et de sécuriser les autorisations accordées, il a entouré la délivrance de ces

autorisations de recherche de garanties effectives ; que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde

de la dignité de la personne humaine ; (…)

3

Cour de cassation - chambre civile 1 - 9 janvier 1996

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que l'union de Mme X... et de Y..., mariés en 1977, s'étant révélée stérile, les

médecins du centre hospitalier régional de la Grave ont procédé, à partir de 1984, à sept tentatives de fécondation in vitro ; qu'à

l'occasion de la deuxième les époux Y... ont signé un document dans lequel ils énonçaient que le transfert des embryons ne pourra

être réalisé qu'en présence de chacun d'eux et que, en cas de dissolution du couple, les embryons seraient détruits ; qu'après avoir

obtenu quatre embryons, les médecins du CHR ont implanté deux d'entre eux ; que cette tentative ayant échoué, et son mari étant

décédé accidentellement le 10 décembre 1990, Mme Y... a vainement demandé au CHR de procéder à l'implantation des

embryons congelés restants ; qu'elle a saisi le tribunal de grande instance pour faire juger que les embryons seraient implantés par

les médecins du service de gynécologie obstétrique qui la soignaient habituellement ou, en cas de refus de ces praticiens, seraient

mis à sa disposition ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Toulouse, 18 avril 1994) a rejeté cette demande et ordonné la destruction des

embryons congelés ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que Mme Y... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande d'implantation des embryons, alors, selon le

moyen, d'une part, que l'article 1er de la loi du 17 janvier 1975 garantit le respect de l'être humain dès le commencement de la vie

et précise qu'il ne peut y être porté atteinte qu'en cas de nécessité, celle-ci devant s'apprécier à raison de la situation de détresse de

la femme ; qu'en faisant obstacle à ce que Mme Y... poursuive sa grossesse, voulue par les deux époux de leur vivant, la cour

d'appel n'a pas tenu compte de la volonté de l'intéressée ; et alors, d'autre part, qu'il ressortait des éléments du débat, et notamment

de l'exposé des faits des premiers juges, que le recours à l'assistance médicale à la procréation était causé par la stérilité de Mme

Y... ; qu'en énonçant, néanmoins, que la démarche des époux Y... était causée par la stérilité de leur couple et que ce couple s'étant

trouvé dissous, la cause avait disparu, alors que Mme Y..., membre stérile du couple, était toujours en vie, la cour d'appel a violé

l'article 1131 du Code civil ;

Mais attendu que la loi du 17 janvier 1975, relative à l'interruption volontaire de la grossesse n'est pas applicable dans le cas du

refus de l'implantation d'embryons, un tel acte ayant seulement pour effet, si l'opération réussit, de permettre une grossesse ;

Et attendu que, avant même l'entrée en vigueur de l'article L. 152-2 du Code de la santé publique issu de la loi du 29 juillet 1994,

l'assistance médicale à la procréation ne pouvait avoir pour but légitime que de donner naissance à un enfant au sein d'une famille

constituée, ce qui exclut le recours à un processus de fécondation in vitro ou sa poursuite lorsque le couple qui devait accueillir

l'enfant a été dissous par la mort du mari avant que l'implantation des embryons, dernière étape de ce processus, ait été réalisée ;

qu'ayant constaté que Albino Y... était décédé après l'échec de la tentative d'implantation effectuée le 12 octobre 1990, et avant

que les embryons restants aient pu être utilisés, la cour d'appel a exactement décidé que la demande de Mme Y..., contraire à

l'engagement qu'elle avait d'ailleurs pris, devait être rejetée ; d'où il suit qu'en aucune de ses branches le moyen ne peut être

accueilli ;

Mais sur le troisième moyen, pris en ses deux branches :

Vu l'article 9 de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que les embryons existant à la date de promulgation de la loi, qui satisfont aux règles de sécurité

sanitaire en vigueur au jour de leur transfert, pourront être confiés à un couple remplissant les conditions prévues à l'article L.

152-5 du Code de la santé publique, et que si leur accueil est impossible, et si la durée de leur conservation est au moins égale à 5

ans, il est mis fin à cette conservation ;

Attendu que ce texte rend caduque la mesure ordonnée par la cour d'appel, dont l'arrêt doit être annulé de ce chef, sans qu'il y ait

lieu à renvoi ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen ;

ANNULE mais seulement en ce qu'il a ordonné la destruction des deux embryons congelés, l'arrêt rendu le 18 avril 1994, entre

les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT qu'il sera mis fin à la conservation des embryons dans les conditions prévues à l'article 9 de la loi n° 94-654 du 29 juillet

1994.

4

CAA Douai, 6 décembre 2005, « Tellier »

Considérant que M. et Mme X ont formulé, le 20 mars 1996, une demande d’assistance auprès du centre de

procréation médicalement assistée du centre hospitalier régional universitaire d’Amiens, conformément à la

mission échue à celui-ci en vertu des dispositions de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique ;

qu’après implantation de trois embryons chez Mme X, qui a pu donner naissance à des jumelles en 1998, les

embryons surnuméraires ont été congelés dans un conteneur d’azote liquide ; que, par lettre en date du 6

octobre 2000, M. et Mme X ont été prévenus par le directeur du centre de procréation médicalement assistée

qu’un incident était survenu quant aux conditions de conservation des embryons encore détenus ; qu’ils ont

saisi, par une requête enregistrée le 15 juillet 2002, le Tribunal administratif d’Amiens d’une demande

tendant à la condamnation du centre hospitalier d’Amiens à leur verser les sommes de 207 000 euros en

réparation du préjudice subi du fait de la perte des neuf embryons et de 76 225 euros au titre de la perte de

chance d’être parents ; qu’ils demandent à la Cour de réformer le jugement en date du 9 mars 2004 par lequel

le Tribunal a condamné le centre hospitalier régional universitaire d’Amiens à leur verser la somme de 10

000 euros qu’ils estiment suffisante, au titre des troubles dans les conditions d’existence ; que le centre

hospitalier d’Amiens demande, par la voie de l’appel incident, l’annulation dudit jugement en soutenant,

d’une part, que sa responsabilité n’est pas engagée, d’autre part, qu’aucun préjudice n’est établi ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire d’Amiens :

Considérant que, sans préjudice d’éventuels recours en garantie, le service public hospitalier est responsable,

même en l’absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance

des produits et appareils qu’il utilise dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que, le 16 août 2000, un technicien du centre de procréation

médicalement assistée d’Amiens a constaté l’existence de phénomènes de condensation sur le revêtement

externe d’une bonbonne d’azote ; qu’après ouverture de ladite bonbonne, il a constaté un niveau de liquide

anormalement bas provoquant une variation intempestive de température de -196 C° à -15 C°, une fissure

dans l’enveloppe du conteneur étant à l’origine d’une évaporation de l’azote ;

Considérant qu’il résulte également de l’instruction que, si les embryons contenus dans la bonbonne d’azote

incriminée n’ont pas été détruits et sont toujours cryoconservervés, le centre hospitalier admet qu’en l’état

actuel des connaissances médicales, les conséquences de l’incident sur les embryons ne sont pas connues et

qu’une altération des cellules lors de leur décongélation n’est pas exclue ; que, dans ces conditions,

caractérisées par l’existence d’un risque à l’utilisation des embryons, l’impossibilité d’utiliser lesdits

embryons doit être regardée comme certaine ; que, par suite, le centre hospitalier est responsable des

conséquences dommageables de l’incident du 16 août 2000 ;

Sur le préjudice :

Considérant que la création médicalement assistée d’embryons in vitro ne peut être réalisée, ainsi que le

prévoient les dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, que dans le cadre du projet

5

parental du couple bénéficiaire ; que, dès lors, la perte d’embryons dont les requérants ne peuvent

sérieusement soutenir que ceux-ci constituent des êtres humains ou des produits humains ayant le caractère

de chose sacrée auxquels est attachée une valeur patrimoniale, n’est source de préjudice indemnisable que

pour autant que ce couple poursuit un projet de procréation auquel cette perte porte une atteinte ;

Considérant qu’en l’espèce, le centre hospitalier fait valoir que M. et Mme X n’avaient plus de projet

parental ; qu’il indique notamment que ces derniers n’ont plus entretenu de relations avec le centre de

procréation après la naissance de leurs deux premiers enfants à l’automne 1998 avant qu’ils ne reçoivent la

lettre du chef du service de l’hôpital en date du 6 octobre 2000 ; qu’il ont attendu plus de huit mois après la

réception de cette lettre pour solliciter un rendez-vous qu’ils ont obtenu le 19 juin 2001 ; qu’ils n’ont pas

répondu, à l’issue de ce rendez-vous, ni à la demande du centre de lui transmettre leurs instructions et leur

volonté sur le sort des neuf embryons conservés, ni à la proposition d’enclencher un nouveau cycle de

fécondation in vitro pris en charge par l’hôpital ; qu’eu égard à ces indications précises, M. et Mme X se

bornent à faire état, d’une manière générale, de la perte de chance d’être parent et ne produisent aucun

élément de nature à démontrer qu’ils entendent poursuivre un projet parental, alors qu’ils n’ont indiqué, à

aucun moment, ni devant les premiers juges, ni devant la Cour, souhaiter avoir d’autres enfants, et précisent

même dans leurs écritures que la naissance de leurs filles a satisfait à leur demande de parentalité ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme X, auxquels incombe la charge de prouver

l’existence du préjudice dont ils demandent réparation, ne sont pas fondés, en tout état de cause, à soutenir,

en l’absence de tout projet parental, que l’incident ayant conduit à la perte des neuf embryons in vitro est à

l’origine pour eux tant d’une perte de chance d’être parent que d’un préjudice lié à la difficulté de mener une

nouvelle procréation médicalement assistée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à demander la réformation

du jugement du Tribunal administratif d’Amiens en tant qu’il n’a pas fait entièrement droit à leur demande

d’indemnisation ; qu’en revanche, le centre hospitalier régional universitaire d’Amiens est fondé, par la voie

de l’appel incident, à demander l’annulation du même jugement en tant qu’il l’a condamné à verser à M. et

Mme X la somme de 10 000 euros en réparation des troubles divers dans les conditions d’existence ;

6

CEDH, gde ch., 16 décembre 2010, « A., B. et C. c/ Irlande »

(...)

233. On ne saurait douter de l'extrême sensibilité des questions morales et éthiques soulevées par la question de

l'avortement ni de l'importance de l'intérêt général en jeu. Il y a lieu par conséquent d'accorder en principe à l'État

irlandais une ample marge d'appréciation pour déterminer si un juste équilibre a été ménagé entre, d'une part, la

protection de cet intérêt général, en particulier la protection en vertu du droit irlandais de la vie de l'enfant à naître,

et, d'autre part, le droit concurrent des deux premières requérantes au respect de leur vie privée, garanti par l'article

8 de la Convention (...)

235. En l'espèce, la Cour estime qu'en réalité, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, on observe dans

une majorité substantielle des États membres du Conseil de l'Europe une tendance en faveur de l'autorisation de

l'avortement pour des motifs plus larges que ceux prévus par le droit irlandais. (...).

236. Cela dit, la Cour estime que le consensus observé ne réduit pas de manière décisive l'ample marge

d'appréciation de l'État.

237. La Cour rappelle l'importante conclusion à laquelle elle est parvenue dans l'affaire Vo précitée : étant donné

qu'aucun consensus européen n'existe sur la définition scientifique et juridique des débuts de la vie, le point de

départ du droit à la vie relève de la marge d'appréciation des États, de sorte qu'il est impossible de répondre à la

question de savoir si l'enfant à naître est une « personne » au sens de l'article 2 de la Convention. Les droits

revendiqués au nom du foetus et ceux de la future mère étant inextricablement liés (V. l'analyse de la jurisprudence

issue de la Convention exposée aux paragraphes 75-80 de l'arrêt Vo préc.), dès lors qu'on accorde aux États une

marge d'appréciation en matière de protection de l'enfant à naître, il faut nécessairement leur laisser aussi une

marge d'appréciation quant à la façon de ménager un équilibre entre cette protection et celle des droits concurrents

de la femme enceinte. Il s'ensuit que, même si l'examen des législations nationales semble indiquer que la plupart

des États contractants ont résolu le conflit entre les différents droits et intérêts en jeu dans le sens d'un

élargissement des conditions d'accès à l'avortement, la Cour ne saurait considérer ce consensus comme un facteur

décisif pour l'examen du point de savoir si l'interdiction de l'avortement pour motifs de santé ou de bien-être en

Irlande a permis de ménager un juste équilibre entre les droits et intérêts en présence, même dans le cadre d'une

interprétation évolutive de la Convention (Tyrer, paragraphe 31 et Vo, § 82, tous deux préc.).

238. La marge d'appréciation en cause n'est certes pas illimitée. L'interdiction dénoncée par les deux premières

requérantes doit être compatible avec les obligations incombant à l'État en vertu de la Convention et, eu égard à la

responsabilité dont l'investit l'article 19 de la Convention, la Cour doit contrôler si la mesure litigieuse atteste d'une

mise en balance proportionnée des intérêts concurrents en jeu (Open Door, § 68). Un respect inconditionnel de la

protection de la vie prénatale ou l'idée que les droits de la future mère seraient de moindre envergure ne sauraient

donc, au regard de la Convention, automatiquement justifier une interdiction de l'avortement fondée sur le souci de

protéger la vie de l'enfant à naître. Contrairement à ce que le Gouvernement soutient en s'appuyant sur certaines

déclarations internationales (paragraphe 187 ci-dessus), la réglementation du droit à l'avortement ne relève pas non

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plus des seuls États contractants. Cependant, ainsi qu'elle l'a expliqué ci-dessus, la Cour doit déterminer si

l'interdiction par l'État irlandais de l'avortement pour motifs de santé ou de bien-être est compatible avec l'article 8

de la Convention en se fondant sur le critère susmentionné du juste équilibre, étant entendu qu'une une ample

marge d'appréciation doit être reconnue à l'État.

239. Le long, complexe et épineux débat mené en Irlande sur la teneur du droit national relatif à l'avortement

(paragraphe 28 à 76 ci-dessus) a fait apparaître un choix : le droit irlandais interdit que soient pratiqués en Irlande

des avortements motivés par des considérations de santé ou de bien-être, mais il autorise les femmes qui, comme

les première et deuxième requérantes, souhaitent avorter pour ce type de motifs (paragraphe 123-130 ci-dessus) à

se rendre dans un autre État à cet effet (...)

241. En conséquence, considérant que les femmes en Irlande peuvent sans enfreindre la loi aller se faire avorter à

l'étranger et obtenir à cet égard des informations et des soins médicaux adéquats en Irlande, la Cour estime qu'en

interdisant sur la base des idées morales profondes du peuple irlandais concernant la nature de la vie (paragraphes

222-227) et la protection à accorder en conséquence au droit à la vie des enfants à naître l'avortement pour motifs

de santé ou de bien-être sur son territoire, l'État irlandais n'a pas excédé la marge d'appréciation dont il jouit en la

matière. Aussi considère-t-elle que l'interdiction litigieuse a ménagé un juste équilibre entre le droit des première et

deuxième requérantes au respect de leur vie privée et les droits invoqués au nom des enfants à naître (...)

253. (...) Elle note d'abord que le seul motif pour lequel une femme peut avorter sans enfreindre la loi en Irlande

est libellé en des termes généraux : l'article 40.3.3, tel qu'interprété par la Cour suprême dans l'affaire X, prévoit

qu'il est possible de subir un avortement en Irlande s'il est établi selon le critère de probabilité qu'il existe un risque

réel et sérieux pour la vie (et pas seulement pour la santé) de la mère, y compris s'il s'agit d'un risque de suicide,

qui ne peut être évité que par l'interruption de la grossesse (affaire X, paragraphe 39-44 ci-dessus). S'il n'est pas

inhabituel qu'une disposition constitutionnelle revête un caractère aussi général, il demeure que le droit irlandais

n'a jamais par la suite ni par la voie législative, ni au travers de la jurisprudence, ni autrement, défini des critères ou

procédures qui auraient permis de mesurer ou d'établir ce risque (...)

264. Pour la Cour, l'incertitude engendrée par le défaut de mise en oeuvre législative de l'article 40.3.3, et plus

particulièrement par l'absence de procédures effectives et accessibles qui eussent permis à la troisième requérante

de faire établir l'existence, dans son cas, d'un droit à un avortement au titre de cette disposition, a donné lieu à une

discordance flagrante entre le droit théorique reconnu aux femmes d'avorter en Irlande en cas de risque avéré pour

leur vie et la réalité de la mise en oeuvre concrète de ce droit (Christine Goodwin, précité, § 77-78, et S.H. et a. c/

Autriche, précité, § 74 (...)

267. Dans ces conditions, la Cour rejette l'exception de non-épuisement des voies de recours internes formulée par

le Gouvernement relativement à la troisième requérante. Elle conclut par ailleurs que, faute d'avoir adopté des

dispositions législatives ou réglementaires instituant une procédure accessible et effective au travers de laquelle la

requérante aurait pu faire établir si elle pouvait ou non avorter en Irlande sur le fondement de l'article 40.3.3 de la

Constitution, les autorités ont méconnu leur obligation positive d'assurer à l'intéressée un respect effectif de sa vie

privée (...).

8

CJUE. - gde ch. - 18 oct. 2011. - aff. C-34/10. – « Brüstle c/ Greenpeace »

1re question

(...)

28 (Or,) l'absence de définition uniforme de la notion d'embryon humain créerait un risque que les auteurs de certaines inventions

biotechnologiques soient tentés de demander la brevetabilité de celles-ci dans les États membres ayant la conception la plus étroite de

la notion d'embryon humain et, partant, les plus permissifs en ce qui concerne les possibilités de brevetabilité, en raison du fait que la

brevetabilité de ces inventions serait exclue dans les autres États membres. Une telle situation attenterait au bon fonctionnement du

marché intérieur, qui est le but de la directive (...)

30 S'agissant du sens à donner à la notion d'« embryon humain » prévue à l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive, il convient

de souligner que, si la définition de l'embryon humain est un sujet de société très sensible dans de nombreux États membres, marqué

par la diversité de leurs valeurs et de leurs traditions, la Cour n'est pas appelée, par le présent renvoi préjudiciel, à aborder des

questions de nature médicale ou éthique, mais doit se limiter à une interprétation juridique des dispositions pertinentes de la directive

(voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2008, Mayr, C-506/06, Rec. p. I-1017, point 38) (...)

34 Le contexte et le but de la directive révèlent ainsi que le législateur de l'Union a entendu exclure toute possibilité de brevetabilité,

dès lors que le respect dû à la dignité humaine pourrait en être affecté. Il en résulte que la notion d'« embryon humain » au sens de

l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive doit être comprise largement.

35 Dans ce sens, tout ovule humain doit, dès le stade de sa fécondation, être considéré comme un « embryon humain » au sens et pour

l'application de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive, dès lors que cette fécondation est de nature à déclencher le processus

de développement d'un être humain.

36 Doivent également se voir reconnaître cette qualification l'ovule humain non fécondé, dans lequel le noyau d'une cellule humaine

mature a été implanté, et l'ovule humain non fécondé induit à se diviser et à se développer par voie de parthénogenèse. Même si ces

organismes n'ont pas fait l'objet, à proprement parler, d'une fécondation, ils sont, ainsi qu'il ressort des observations écrites déposées

devant la Cour, par l'effet de la technique utilisée pour les obtenir, de nature à déclencher le processus de développement d'un être

humain comme l'embryon créé par fécondation d'un ovule.

37 En ce qui concerne les cellules souches obtenues à partir d'un embryon humain au stade de blastocyste, il appartient au juge national

de déterminer, à la lumière des développements de la science, si elles sont de nature à déclencher le processus de développement d'un

être humain et relèvent, par conséquent, de la notion d'« embryon humain » au sens et pour l'application de l'article 6, paragraphe 2,

sous c), de la directive (...)

2e question

41 S'agissant, donc, uniquement de déterminer si l'exclusion de la brevetabilité portant sur l'utilisation d'embryons humains à des fins

industrielles ou commerciales porte également sur l'utilisation d'embryons humains à des fins de recherche scientifique ou si la

recherche scientifique impliquant l'utilisation d'embryons humains peut accéder à la protection du droit des brevets, force est d'observer

que l'octroi d'un brevet à une invention implique, en principe, son exploitation industrielle et commerciale.

(...)

43 (Or,) même si le but de recherche scientifique doit être distingué des fins industrielles ou commerciales, l'utilisation d'embryons

humains à des fins de recherche qui constituerait l'objet de la demande de brevet ne peut être séparée du brevet lui-même et des droits

qui y sont attachés (...)

3e question

49 Dès lors, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 32 à 35 du présent arrêt une invention doit être considérée comme

exclue de la brevetabilité, même si les revendications du brevet ne portent pas sur l'utilisation d'embryons humains, dès lors que la mise

en oeuvre de l'invention requiert la destruction d'embryons humains. Dans ce cas également, il doit être considéré qu'il y a utilisation

d'embryons humains au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive. Le fait que cette destruction intervienne, le cas

échéant, à un stade largement antérieur à la mise en œuvre de l'invention, comme dans le cas de la production de cellules souches

embryonnaires à partir d'une lignée de cellules souches dont la constitution, seule, a impliqué la destruction d'embryons humains, est, à

cet égard, indifférent.

9

CJUE - gr. ch. - 18 déc. 2014 - aff. C-364/13 –

« International Stem Cell Corporation c/ Comptroller General of atents »

LA COUR - (...)

Le litige au principal et la question préjudicielle

o 19. Selon la juridiction de renvoi, exclure les parthénotes de la brevetabilité n'assure absolument pas un équilibre

entre, d'une part, la recherche dans le domaine de la biotechnologie qui doit être encouragée au moyen du droit des

brevets et, d'autre part, le respect des principes fondamentaux garantissant la dignité et l'intégrité de l'Homme,

objectifs énoncés notamment aux considérants 2 et 16 de la directive 98/44 (...)

Sur la question préjudicielle

o 21. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la

directive 98/44 doit être interprété en ce sens qu'un ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été

induit à se diviser et à se développer jusqu'à un certain stade constitue un « embryon humain » au sens de cette

disposition.

o 22. À titre liminaire, il convient de rappeler que la directive 98/44 n'a pas pour objet de réglementer l'utilisation

d'embryons humains dans le cadre de recherches scientifiques et que son objet se limite à la brevetabilité des

inventions biotechnologiques (...)

o 27. Il résulte ainsi de l'arrêt Brüstle (EU:C:2011:669) qu'un ovule humain non fécondé doit être qualifié d'«

embryon humain », au sens de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44, pour autant que cet organisme

est « de nature à déclencher le processus de développement d'un être humain ».

o 28. (...) cette expression doit être entendue en ce sens que, pour pouvoir être qualifié d'«embryon humain», un

ovule humain non fécondé doit nécessairement disposer de la capacité intrinsèque de se développer en un être

humain.

o 29. Par conséquent, dans l'hypothèse où un ovule humain non fécondé ne remplit pas cette condition, le seul fait

pour cet organisme de commencer un processus de développement n'est pas suffisant pour qu'il soit considéré

comme un « embryon humain » (...)

o 30. En revanche, dans l'hypothèse où un tel ovule disposerait de la capacité intrinsèque de se développer en un être

humain, il devrait, au regard de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de cette directive, être traité de la même façon qu'un

ovule humain fécondé, à tous les stades de son développement (...)

o 33. (...) dans la présente affaire, la juridiction de renvoi, ainsi qu'il ressort du point 17 du présent arrêt, a souligné

en substance que, selon les connaissances scientifiques dont elle dispose, un parthénote humain, par l'effet de la

technique utilisée pour l'obtenir, n'est pas susceptible, en tant que tel, de déclencher le processus de développement

qui aboutit à un être humain. Cette appréciation est partagée par l'ensemble des intéressés (...)

o 35. (...) l'affaire au principal porte uniquement sur la qualification, au regard de l'article 6, paragraphe 2, sous c), de

la directive 98/44, d'un parthénote humain en tant que tel, et non d'un parthénote qui ferait l'objet d'interventions

additionnelles relevant du génie génétique (...)

Par ces motifs, la Cour (gr. ch.) dit pour droit :

o L'article 6, paragraphe 2, sous c), de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 juillet 1998,

relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, doit être interprété en ce sens qu'un ovule humain

non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ne constitue pas un «

embryon humain », au sens de cette disposition, si, à la lumière des connaissances actuelles de la science, il ne

dispose pas, en tant que tel, de la capacité intrinsèque de se développer en un être humain, ce qu'il appartient à la

juridiction nationale de vérifier.

10

T. corr. Tarbes, 4 février 2014

(...)

Le 20 janvier 2012, peu avant 18h30, Christian L., qui conduisait un véhicule automobile (...) perdait le

contrôle de son véhicule alors qu'il procédait au dépassement de deux véhicules qui le précédaient et terminé

sa course sur le trottoir après avoir fauché, avec une violence extrême, une jeune femme S.R., enceinte de 30

semaines, qui se promenait à pied. Le véhicule de Christian L. s'immobilisait alors sur le côté.

Percutée par l'arrière, S. R. était grièvement blessée subissant un grave polytraumatisme après une perte de

connaissance initiale : de nombreuses fractures, traumatismes et plaies étaient médicalement constatées.

L'incapacité totale de travail, au sens pénal du terme, était initialement fixée à quarante-cinq jours,

constatation non démentie par l'expertise réalisée sur ordonnance du magistrat instructeur.

Surtout, le choc provoquéait le décès in utero du bébé qu'elle portait, pour lequel il était pratiqué une

extraction par césarienne, un garçon pesant 1 750 grammes qu'il était prévu de prénommer Y.

Les examens médicaux initiaux ainsi que l'expertise ordonnée allaient relever le lien de causalité direct et

certain entre le choc et le décès de l'enfant à naître.

(...)

La réalité de l'atteinte mortelle, du fait de l'auteur de l'accident, portée à l'existence propre d'un foetus de 30

semaines en bonne santé, est ainsi attestée par les constatations médicales. Conjuguée aux considérations

humaines unanimement partagées, elle apparaît conforme aux principes juridiques et ne saurait être contestée

par les prises de positions purement doctrinales.

Les délits et la contravention reprochés à Christian L. qui a perdu le contrôle de son véhicule et la maîtrise de

sa vitesse alors qu'il était sous l'empire d'un état alcoolique sont ainsi établis par les constatations des

enquêteurs, les constatations médicales, le décès de Y. C., les blessures de S. R. à l'origine d'une incapacité

totale de travail d'une durée de 45 jours, occasionnés par cet accident, et par la présence dans l'air expiré date

l'alcool de 0,36 mg/l.

Le casier judiciaire de Christian L. ne porte trace d'aucune condamnation.

Jusqu'à la présente affaire, il ne faisait pas l'objet de mauvais renseignements. Une enquête de personnalité a

mis en évidence de réelles qualités personnelles, un intense sentiment de culpabilité en regard des

conséquences de l'accident qu'il a causé et de responsabilité.

Le relevé d'information intégral relatif à son permis de conduire porte mention de trois excès de vitesse et de

deux évident de la commission médicale dont un intervenu le 26 mars 1997 à la suite d'un refus de se

soumettre à un contrôle d'alcoolémie. Christian L. a reconnu avoir agi de la sorte après un accident.

Compte tenu des circonstances de commission des faits et des éléments d'information recueillis sur la

situation est la personnalité de Christian L., il convient de prononcer à son encontre une peine

d'emprisonnement de 3 ans avec sursis simple ainsi qu'une peine d'amende de 300 EUR pour la

contravention et de constater l'annulation de son permis de conduire assortie de l'interdiction d'en représenter

les épreuves avant l'expiration d'un délai de 3 ans, avec exécution provisoire (...).

CA Pau, 5 février 2015

(...)

Attendu qu'il résulte de l'ensemble du dossier et des débats devant la cour que Christian L. se sent totalement

responsable de la perte de l'enfant à naître que Mme Silvia R. portait et de la douleur ressentie par les futurs

parents ;

Mais, attendu que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la

loi pénale, s'oppose à ce que l'incrimination prévue à l'article 221-6 du code pénal réprimant l'homicide

involontaire d'autrui, soit étendue au cas de l'enfant à naître dont le régime juridique relève de textes

particuliers sur l'embryon ou le foetus (...)

11

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Circulaire du 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française – convention de

mère porteuse - Etat civil étranger

NOR : JUSC1301528C

La garde des sceaux, ministre de la justice,

à

Mesdames et messieurs les procureurs généraux près les cours d’appel

et le procureur près le tribunal supérieur d’appel

Mesdames et messieurs les procureurs de la République

Mesdames et messieurs les greffiers en chef des tribunaux d’instance

(Hexagone et Outre-mer)

Pour attribution

Textes sources : Loi n°95-125 du 8 février 1995 – articles 30 et suivants du code civil – article 47 du code civil

Date d'application : immédiate

L’attention de la chancellerie a été appelée sur les conditions de délivrance des certificats de nationalité française

(CNF) aux enfants nés à l’étranger de Français, lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance, qu’il a été

fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui.

Vous veillerez, dans l’hypothèse où de telles demandes seraient formées, et sous réserve que les autres conditions

soient remplies1, à ce qu’il soit fait droit à celles-ci dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un

acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du code civil selon lequel “tout acte de l’état civil des

Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres

actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas

échéant, après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne

correspondent pas à la réalité”.

A l’inverse, face à un acte d’état civil étranger non probant, le greffier en chef du tribunal d’instance, sera fondé,

après consultation préalable du bureau de la nationalité, à refuser la délivrance d’un CNF.

J’appelle votre attention sur le fait que le seul soupçon du recours à une telle convention conclue à l’étranger ne

peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF dès lors que les actes de l’état civil local attestant du lien de

filiation avec un Français, légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, sont probants au

sens de l’article 47 précité.

Dans tous les cas, le bureau de la nationalité sera destinataire d’une copie du dossier et du certificat de nationalité

française délivré ou du refus de délivrance opposé.

Vous veillerez, par ailleurs, à informer le bureau de la nationalité de toutes difficultés liées à l’application de la

présente circulaire.

1 Cf Circulaire JUSC9520374 C du 5 mai 1995 relative à la délivrance des certificats de nationalité française - BOMJ n°2013-

01 du 31 janvier 2013 - JUSC1301528C

12

Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, n° 12-30.138

Sur le moyen unique :

Vu les articles 16-7 et 16-9 du Code civil, ensemble l'article 336 du même code ;

o Attendu qu'en l'état du droit positif, est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les

formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l'aboutissement, en fraude à la loi française, d'un processus d'ensemble comportant

une convention de gestation pour le compte d'autrui, convention qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public selon

les termes des deux premiers textes susvisés ;

o Attendu, selon l'arrêt attaqué, que des jumeaux prénommés A. J. et R. N. sont nés le 26 avril 2010 à Mumbai (Inde), de Mme K. et de

M. B., lequel, de nationalité française, les avait préalablement reconnus en France ; que le 11 mai 2010, ce dernier a demandé la

transcription sur un registre consulaire des actes de naissance des enfants ; que sur instructions du procureur de la République, le

consulat de France a sursis à cette demande ;

o Attendu que, pour ordonner cette transcription, la cour d'appel a retenu que la régularité formelle et la conformité à la réalité des

énonciations des actes litigieux n'étaient pas contestées ;

o Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public caractérisaient l'existence d'un processus

frauduleux comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui conclue entre M. B. et Mme K., ce dont il résultait que les

actes de naissance des enfants ne pouvaient être transcrits sur les registres de l'état civil français, la cour d'appel a violé les textes

susvisés ;

Par ces motifs :

o Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes (...) pour

être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ; (...)

Cass. 1re civ., 13 septembre 2013, n° 12-18.315

o Attendu, selon l'arrêt attaqué (CA Rennes, 10 janv. 2012), qu'E. est née le 31 juillet 2009 à Mumbai (Inde), de Mme S. et de M. F.,

lequel, de nationalité française, l'avait reconnue en France, le 29 juillet 2009, devant un officier de l'état civil ; que le procureur de la

République s'est opposé à la demande de M. F. tendant à la transcription sur un registre consulaire de l'acte de naissance établi en Inde ;

Sur le premier moyen, pris en ses première, quatrième, sixième et septième branches :

o Attendu que M. F. et Mme S. font grief à l'arrêt de refuser d'ordonner la transcription de l'acte de naissance de l'enfant sur les registres

de l'état civil français alors, selon le moyen (...)

o Mais attendu qu'en l'état du droit positif, est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans

les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l'aboutissement, en fraude à la loi française, d'un processus d'ensemble

comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui, convention qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre

public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du Code civil ;

o Qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui a caractérisé l'existence d'un tel processus frauduleux, comportant une convention de gestation pour

le compte d'autrui conclue entre M. F. et Mme S., en a déduit à bon droit que l'acte de naissance de l'enfant établi par les autorités

indiennes ne pouvait être transcrit sur les registres de l'état civil français ;

o Qu'en présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de

l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention EDH ne sauraient être utilement invoqués ;

o D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen, pris en ses diverses branches :

o Attendu que M. F. et Mme S. font grief à l'arrêt d'annuler la reconnaissance de paternité de M. F. alors, selon le moyen (...)

o Mais attendu que l'action en contestation de paternité exercée par le ministère public pour fraude à la loi, fondée sur l'article 336 du

Code civil, n'est pas soumise à la preuve que l'auteur de la reconnaissance n'est pas le père au sens de l'article 332 du même code ;

qu'ayant caractérisé la fraude à la loi commise par M. F., la cour d'appel en a exactement déduit que la reconnaissance paternelle devait

être annulée ;

o Qu'en présence de cette fraude, ni l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de

l'enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la Convention EDH ne sauraient être utilement invoqués ;

o D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

13

Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 13-50.005

LA COUR - (...)

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu les articles 16-7 et 16-9 du Code civil, ensemble l'article 336 du même code ;

o Attendu qu'en l'état du droit positif, est justifié le refus de transcription d'un acte de naissance fait en pays

étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l'aboutissement, en fraude à la

loi française, d'un processus d'ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d'autrui,

convention qui, fût-elle licite à l'étranger, est nulle d'une nullité d'ordre public selon les termes des deux

premiers textes susvisés ;

o Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'enfant Cylian est né le 2 juin 2010 à Mumbai (Inde), de Mme S. et M.

V. lequel, de nationalité française et résidant en France, l'a reconnu ; que le 23 juillet 2010, ce dernier a

demandé la transcription de l'acte de naissance de l'enfant sur les registres français de l'état civil, demande à

laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s'est opposé ;

o Attendu que, pour ordonner cette transcription, la cour d'appel a énoncé, d'une part, que la régularité de

l'acte de naissance n'était pas contestée, ni le fait que M. V. et Mme S. fussent les père et mère de l'enfant, de

sorte que l'acte était conforme aux dispositions de l'article 47 du code civil, d'autre part, que la fraude à la loi

invoquée par le ministère public pouvait ouvrir à celui-ci, le cas échéant, l'action en contestation prévue par

l'article 336 du Code civil, mais ne conduisait pas pour autant à juger que l'acte de naissance était, par lui-

même, contraire à l'ordre public ;

o Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public établissaient

l'existence d'une convention de gestation pour le compte d'autrui entre M. V. et Mme S., caractérisant ainsi

un processus frauduleux dont la naissance de l'enfant était l'aboutissement, ce dont il résultait que l'acte de

naissance de celui-ci ne pouvait être transcrit sur les registres de l'état civil français, la cour d'appel a violé

les textes susvisés ;

Par ces motifs :

o Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 janvier 2013, entre les parties, par la cour

d'appel de Rennes (...) pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris (...)

14

CEDH, 5e sect., 26 juin 2014, n° 65192/11, Mennesson c/ France

LA COUR - (...)

o 1. La Cour observe en l'espèce qu'il n'y a consensus en Europe ni sur la légalité de la gestation pour autrui ni sur

la reconnaissance juridique du lien de filiation entre les parents d'intention et les enfants ainsi légalement conçus à

l'étranger.

o 2. Cette absence de consensus reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates

interrogations d'ordre éthique. Elle confirme en outre que les États doivent en principe se voir accorder une ample

marge d'appréciation, s'agissant de la décision non seulement d'autoriser ou non ce mode de procréation mais

également de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à

l'étranger et les parents d'intention.

o 3. Il faut toutefois également prendre en compte la circonstance qu'un aspect essentiel de l'identité des individus

est en jeu dès lors que l'on touche à la filiation. Il convient donc d'atténuer la marge d'appréciation dont disposait

l'État défendeur en l'espèce (...)

o 4. La Cour constate que cette approche se traduit par le recours à l'exception d'ordre public international, propre

au droit international privé. Elle n'entend pas la mettre en cause en tant que telle. Il lui faut néanmoins vérifier si en

appliquant ce mécanisme en l'espèce, le juge interne a dûment pris en compte la nécessité de ménager un juste

équilibre entre l'intérêt de la collectivité à faire en sorte que ses membres se plient au choix effectué

démocratiquement en son sein et l'intérêt des requérants - dont l'intérêt supérieur des enfants - à jouir pleinement de

leurs droits au respect de leur vie privée et familiale (...)

o 5. Ainsi, au vu, d'une part, des effets concrets du défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation

entre les premiers requérants et les troisième et quatrième d'entre eux sur leur vie familiale, et, d'autre part, de la

marge d'appréciation dont dispose l'État défendeur, la Cour estime que la situation à laquelle conduit la conclusion

de la Cour de cassation en l'espèce ménage un juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l'État, pour

autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale (...)

o 6. Comme la Cour l'a rappelé, le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité

d'être humain, ce qui inclut sa filiation (§ 46 ci-dessus [non reproduit]) ; un aspect essentiel de l'identité des

individus est en jeu dès lors que l'on touche à la filiation (§ 80 ci-dessus). Or, en l'état du droit positif, les troisième

et quatrième requérantes se trouvent à cet égard dans une situation d'incertitude juridique. S'il est exact qu'un lien

de filiation avec les premiers requérants est admis par le juge français pour autant qu'il est établi par le droit

californien, le refus d'accorder tout effet au jugement américain et de transcrire l'état civil qui en résulte manifeste

en même temps que ce lien n'est pas reconnu par l'ordre juridique français. Autrement dit, la France, sans ignorer

qu'elles ont été identifiées ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette

qualité dans son ordre juridique. La Cour considère que pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein

de la société française (...)

15

o 7. Il est concevable que la France puisse souhaiter décourager ses ressortissants de recourir à l'étranger à une

méthode de procréation qu'elle prohibe sur son territoire (§ 62 ci-dessus [non reproduit]). Il résulte toutefois de ce

qui précède que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation entre les enfants ainsi

conçus et les parents d'intention ne se limitent pas à la situation de ces derniers, qui seuls ont fait le choix des

modalités de procréation que leur reprochent les autorités françaises : ils portent aussi sur celle des enfants eux-

mêmes, dont le droit au respect de la vie privée, qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité,

y compris sa filiation, se trouve significativement affecté. Se pose donc une question grave de compatibilité de

cette situation avec l'intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant.

o 8. Cette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l'espèce, l'un des parents d'intention est également

géniteur de l'enfant. Au regard de l'importance de la filiation biologique en tant qu'élément de l'identité de chacun

(voir, par exemple, l'arrêt Jäggi précité, § 37 [non reproduit]), on ne saurait prétendre qu'il est conforme à l'intérêt

d'un enfant de le priver d'un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que

l'enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or, non seulement le lien entre les troisième et

quatrième requérantes et leur père biologique n'a pas été admis à l'occasion de la demande de transcription des

actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d'une reconnaissance de paternité ou de l'adoption ou

par l'effet de la possession d'état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la

Cour de cassation (§ 34 ci-dessus [non reproduit]). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave

restriction sur l'identité et le droit au respect de la vie privée des troisième et quatrième requérantes, qu'en faisant

ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu'à l'établissement en droit interne de leur lien de filiation à l'égard de leur

père biologique, l'État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d'appréciation.

o 9. Étant donné aussi le poids qu'il y a lieu d'accorder à l'intérêt de l'enfant lorsqu'on procède à la balance des

intérêts en présence, la Cour conclut que le droit des troisième et quatrième requérantes au respect de leur vie

privée a été méconnu (...)

Par ces motifs, la Cour à l'unanimité :

o 1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 8 pris isolément ainsi que combiné avec l'article

14 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

o 2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention s'agissant du droit des requérants au respect de

leur vie familiale ;

o 3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Convention s'agissant du droit des troisième et quatrième

requérantes au respect de leur vie privée ;

o 4. Dit qu'il n'est pas nécessaire d'examiner le grief tiré de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8

(...)

M. Villiger, prés., A. Nußberger, B. M. Zupancic, G. Yudkivska, V. A. De Gaetano, A. Potocki, A. Pejchal, juges

16

Cour de cassation - Avis n° 15011 du 22 septembre 2014 (Demande n° 1470006)

LA COUR DE CASSATION,

Vu les articles L.441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du

code de procédure civile,

Vu la demande d’avis formulée le 23 juin 2014 par le tribunal de grande instance de Poitiers,

reçue le 27 juin 2014, dans une instance introduite par Mme X... épouse Y... aux fins d’adoption

plénière de l’enfant de sa conjointe, et ainsi libellée :

“Le recours à la procréation médicalement assistée, sous forme d’un recours à une insémination

artificielle avec donneur inconnu à l’étranger par un couple de femmes, dans la mesure où cette

assistance ne leur est pas ouverte en France, conformément à l’article L.2141-2 du code de la

santé publique, est-il de nature à constituer une fraude à la loi empêchant que soit prononcée une

adoption de l’enfant né de cette procréation par l’épouse de la mère ?

L’intérêt supérieur de l’enfant et le droit à la vie privée et familiale exigent-ils au contraire de

faire droit à la demande d’adoption formulée par l’épouse de la mère de l’enfant ?”

Vu les observations écrites déposées par Me Corlay pour les associations Juristes pour l’enfance

et l’Agence européenne des adoptés ;

Sur le rapport de Mme Le Cotty, conseiller référendaire, et les conclusions de M. Sarcelet,

avocat général, entendu en ses conclusions orales ;

EST D’AVIS QUE :

Le recours à l’assistance médicale à la procréation, sous la forme d’une insémination artificielle

avec donneur anonyme à l’étranger, ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption, par l’épouse

de la mère, de l’enfant né de cette procréation, dès lors que les conditions légales de l’adoption

sont réunies et qu’elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Président : M. Louvel, premier président

Rapporteur : Mme Le Cotty, conseiller référendaire, assisté de Mme Norguin, greffier en

chef au service de documentation, des études et du rapport

Avocat général : M. Sarcelet

17

CE, 12 décembre 2014, « Association des juristes pour l'enfance et autres »

LE CONSEIL d'ÉTAT - (...)

o Vu la Constitution ; Vu le protocole additionnel à la convention des Nations-Unies contre la criminalité

transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des

enfants, adopté à New York le 15 novembre 2000 ; Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de

l'homme et des libertés fondamentales ; Vu la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres

humains, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie ; Vu le code civil ; Vu le code pénal ; Vu le code de procédure pénale ;

Vu le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ; Vu l'arrêté du 22 décembre 1977 relatif au rôle et à la composition de

la commission permanente d'études instituée au ministère de la justice ; Vu le code de justice administrative ;

Sur la légalité de la circulaire attaquée :

Considérant que l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative

donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge

de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire

grief ; qu'en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent

être regardées comme faisant grief ; que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent,

dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été

compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs ; qu'il en va de même s'il

est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter soit méconnaît le sens et la portée des

dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme

juridique supérieure ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 16-7 du code civil, figurant au chapitre II, intitulé « Du respect du

corps humain », du titre Ier du livre Ier de ce code : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation

pour le compte d'autrui est nulle » ; que ces dispositions présentent, en vertu de l'article 16-9 du même code, un

caractère d'ordre public ;

Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'article 18 du code civil, « Est français l'enfant dont l'un des parents au

moins est français » ; qu'aux termes de l'article 31 du code civil : « Le greffier en chef du tribunal d'instance a seul

qualité pour délivrer un certificat de nationalité française à toute personne justifiant qu'elle a cette nationalité » ; que

le certificat de nationalité française indique, en vertu de l'article 31-2 du même code, la disposition légale en vertu

de laquelle l'intéressé a la qualité de Français ainsi que les documents qui ont permis de l'établir ; que le certificat, en

vertu du même article, fait foi jusqu'à preuve du contraire ; qu'en vertu de l'article 31-3, il appartient au ministre de

la justice, qui peut être saisi lorsque le greffier refuse de délivrer un certificat de nationalité, de décider s'il y a lieu

de procéder à cette délivrance ; que l'article 47 du code civil dispose que : « Tout acte de l'état civil des Français et

des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou

pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après

toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas

à la réalité » ;

Considérant que la circulaire attaquée, adressée aux procureurs généraux, aux procureurs de la République et aux

greffiers en chef des tribunaux d'instance, traite, selon les termes de son premier paragraphe, des conditions de

délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l'étranger de Français « lorsqu'il apparaît, avec

suffisamment de vraisemblance, qu'il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation

pour le compte d'autrui » ; que la circulaire demande à ses destinataires de veiller « à ce qu'il soit fait droit » aux

demandes de certificat, sous réserve que les autres conditions rappelées par la circulaire du 5 mai 1995 relative à la

délivrance des certificats de nationalité française soient remplies, « dès lors que le lien de filiation avec un Français

résulte d'un acte d'état-civil étranger probant au regard de l'article 47 du code civil » ; qu'elle précise que « le seul

soupçon du recours à une telle convention conclue à l'étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de

18

certificats de nationalité française dès lors que les actes d'état-civil local attestant du lien de filiation avec un

Français, légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, sont probants au sens de l'article 47 » ;

(...)

Considérant, en troisième lieu, que si la circulaire attaquée prescrit à ses destinataires, notamment les greffiers en

chef des tribunaux d'instance qui ont, en vertu de l'article 31 du code civil, qualité pour délivrer des certificats de

nationalité française, de veiller à ce qu'il soit fait droit aux demandes de certificat de nationalité française présentées

pour des enfants nés à l'étranger de Français, elle subordonne expressément la délivrance de tels certificats au

respect des conditions mises par la loi à cette délivrance, en particulier celle tenant à ce que, pour l'application de

l'article 18 du code civil, un lien de filiation de l'enfant avec un Français soit établi ; qu'en indiquant, en ce qui

concerne la seule délivrance d'un certificat de nationalité, que doit être tenu pour établi un lien de filiation attesté par

un acte d'état-civil étranger dans les cas où, conformément à l'article 47 du code civil, un tel acte fait foi, la circulaire

attaquée s'est bornée à rappeler les dispositions de cet article ;

Considérant, il est vrai, que la circulaire attaquée énonce aussi que le seul soupçon de recours à une convention

portant sur la gestation ou la procréation pour le compte d'autrui conclue à l'étranger ne peut suffire à opposer un

refus de délivrance de certificat de nationalité française, alors que, en vertu des articles 16-7 et 16-9 du code civil, de

telles conventions sont entachées d'une nullité d'ordre public ;

Mais considérant que la seule circonstance que la naissance d'un enfant à l'étranger ait pour origine un contrat qui est

entaché de nullité au regard de l'ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce

qu'implique, en termes de nationalité, le droit de l'enfant au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 de la

convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, conduire à priver cet

enfant de la nationalité française à laquelle il a droit, en vertu de l'article 18 du code civil et sous le contrôle de

l'autorité judiciaire, lorsque sa filiation avec un Français est établie ; que, par suite, en ce qu'elle expose que le seul

soupçon de recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour autrui conclue à l'étranger ne

peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificats de nationalité française dès lors que les actes d'état-civil

local attestant du lien de filiation avec un Français, légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles

contraires, peuvent être, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, regardés comme probants, au sens de l'article 47, la

circulaire attaquée n'est entachée d'aucun excès de pouvoir ;

Considérant, en quatrième lieu, que la circulaire attaquée ne méconnaît ni le principe constitutionnel de sauvegarde

de la dignité humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation, ni les stipulations du protocole

additionnel à la convention des Nations-Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir,

réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, non plus que celles de la

convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ; qu'elle ne porte pas atteinte à

l'exercice par l'autorité judiciaire de ses compétences ;

Considérant, enfin, que la circulaire attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'application du second

alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale, selon lequel : « Toute autorité constituée, tout officier public ou

fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en

donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements,

procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir

opposées par la garde des sceaux, ministre de la justice, l'association Juristes pour l'enfance, la fédération des

familles de l'Ain, l'association familiale catholique de l'Auxerrois, M. Larrivé et autres, le syndicat national Force

ouvrière des magistrats, l'association Avenir de la Culture et Mme Rochet-Goyard ne sont pas fondés à demander

l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire attaquée ;

(...)

19

1re espèce : CA Rennes, 6e ch. A, 28 septembre 2015, n° 14/07321

(...)

Considérant que les époux P. qui poursuivent l'infirmation du jugement, demandent à titre principal, de déclarer

illégal le refus du procureur de la République en date du 14 mai 2012, d'ordonner la transcription des actes de

naissance de Paul et Pierre P. sur les registres d'état civil consulaires et du service central de l'état civil du ministère

des Affaires étrangères, qu'à titre subsidiaire, ils demandent de déclarer le procureur de la République mal-fondé en

son refus du 14 mai 2012 et d'ordonner la transcription des actes de naissance de Paul et Pierre P., qu'à titre plus

subsidiaire, ils demandent d'ordonner une expertise génétique concernant M. P. ainsi que Paul et Pierre P. et en tout

état de cause, ils sollicitent la condamnation du "Trésor Public" au paiement de la somme de 8 000 EUR au titre des

frais irrépétibles et aux dépens, outre le bénéfice de l'exécution provisoire ; (...)

Considérant que le présent contentieux porte sur une demande tendant à la transcription de l'acte de naissance de

deux enfant nés à l'étranger de mère porteuse, ledit acte désignant Jean-François P. et Marie-Christine M. qui sont de

nationalité française, en qualité de parents ;

Considérant que le jugement déféré a débouté les époux P. de leur demande de transcription des actes de naissance

de Paul P. et de Pierre P., nés le 4 novembre 2010 à [...], sur les registres d'état civil consulaires et du service central

de l'état civil du ministère des affaires étrangères en se plaçant sur le terrain de la fraude à une loi d'ordre public, en

relevant que les enfants sont issus d'une convention de gestation pour autrui prohibée en vertu des articles 16-7 et 16-

9 du Code civil et qui est frappée d'une nullité absolue ;

Qu'en cause d'appel, la théorie de la fraude soutenue par le ministère public, n'est pas pertinente, du fait qu'il est

désormais admis que la convention de gestation pour autrui conclue entre le parent d'intention et la mère porteuse, ne

fait pas obstacle à la transcription de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger issu d'une telle convention, dès

lors que l'acte de naissance n'est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité

(arrêts rendus en assemblée plénière par la cour de cassation le 3 juillet 2015) ;

Que l'enfant issu d'une convention de gestation pour autrui, ne saurait se voir opposer les conditions de sa naissance,

la loi n'édictant aucune distinction selon le mode de conception des enfants ;

Considérant qu'il convient de rappeler que l'article 47 du Code civil dispose que tout acte de l'état civil des Français

et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou

pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après

toute vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à

la réalité ;

(...)

Considérant que les faits déclarés par les époux P. lors de l'établissement des actes de naissance établis par le service

de l'état civil californien sur la filiation maternelle des enfants, ne correspondent donc pas à la réalité, l'épouse, Mme

P., désignée comme mère, n'ayant pas accouché de l'enfant, ce qui ne permet pas de reconnaître aux actes américains

produits, émanant de l'État de Californie, la force probante accordée par l'article 47 du Code civil aux actes de l'état

civil faits en pays étrangers ;

Considérant que contrairement aux prétentions des appelants qui se prévalent de l'illégalité du refus opposé par le

procureur de la République à la demande de transcription, les actes de naissance litigieux, faits en pays étranger ne

font pas foi, dès lors que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité au sens de l'article 47 du Code

civil, ce qui justifiait le refus opposé par le ministère public ;

Considérant que les actes d'état civil américains mentionnant des faits déclarés qui ne correspondent pas à la réalité

ne sauraient par voie de conséquence, être transcrits sur les registres français et le jugement sera confirmé de ce chef

;

Qu'en tout état de cause, l'intérêt supérieur de l'enfant que garantit l'article 3 § 1 de la Convention internationale des

droits de l'enfant, le respect de la vie privée et familiale de l'enfant et son droit à une identité qui inclut la filiation et

la nationalité au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales, ne sauraient être utilement invoqués que si la filiation paternelle est conforme à la vérité biologique,

comme résultant d'une expertise biologique judiciairement établie selon les modalités de l'article 16-10 du Code

civil, confiée à un laboratoire dûment agréé ;

20

Qu'en effet, il importe de rechercher si le père désigné dans l'acte comme étant Jean-François P., est le père

biologique des enfants Paul et Pierre, alors d'une part, qu'il n'a été produit aucun certificat médical délivré dans le

pays de naissance attestant de la filiation biologique paternelle, d'autre part, que la femme qui figure sur l'acte de

naissance, comme étant Mme P., n'est pas celle qui a accouché de l'enfant par opposition au principe mater semper

certa est, tel que résultant des dispositions de l'article 325 alinéa 2 du Code civil ;

(...)

Qu'en l'état actuel du droit positif, la fiction légale de la filiation adoptive, non conforme à la vérité biologique, qui

tend à assimiler l'adopté à un enfant légitime, ne saurait être transposée au cas de l'enfant né d'une gestation pour

autrui, de façon à effacer dans l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation de la mère de substitution au profit de la

filiation de la mère d'intention qui n'a pas accouché, en l'absence de statut propre de l'enfant né par gestation pour

autrui à l'étranger et vivant en France au sein d'un foyer familial qui pourvoit à son éducation et à son entretien, étant

ajouté que l'incrimination de l'article 227-12 du Code pénal cristallise l'illicéité des conventions portant sur la

gestation pour le compte d'autrui en France, assorties d'une prohibition d'ordre public en vertu de l'article 16-7 du

Code civil, comme contrevenant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des

personnes ;

Que par voie de conséquence, le jugement sera confirmé, mais par substitution de motifs, en ce qu'il a débouté les

époux P. de leur demande de transcription des actes de naissance de Paul et de Pierre P., nés le 4 novembre 2010 à

[...], sur les registres d'état civil consulaires et du service central de l'état civil du ministère des affaires étrangères

(...).

2e espèce : CA Rennes, 6e ch. A, 28 septembre 2015, n° 14/05537

(...)

Considérant que les époux M. qui au visa des articles 18, 47 et 311-1 du Code civil, de l'article 8 de la convention

européenne des droits de l'homme, de l'article 3-1 de la Convention internationale des droits de l'enfant, poursuivent

l'infirmation du jugement, demandent de dire que l'annulation de l'acte de naissance prononcée par le tribunal est

contraire au droit au respect de la vie privée de leur fille Estelle, de constater que l'acte de naissance est régulier en la

forme, que la mention de la filiation paternelle est conforme à la réalité biologique et à la possession d'état de

l'enfant, en conséquence, dire que l'acte de naissance est valide en ce qu'il mentionne que M. M. est le père de

l'enfant Estelle, réserver les dépens outre une indemnité de procédure de 2 000 EUR ;

(...)

Considérant qu'il convient de relever la confusion dans les écritures des appelants qui concluent au rejet de la

demande d'annulation de l'acte de naissance, en vertu selon eux, de la régularité en la forme de la transcription et de

sa conformité à la réalité en soulignant qu'il apparaît que la filiation établie par la transcription est conforme à la

possession d'état maternelle et à celle paternelle ;

Qu'en effet, le présent contentieux ne porte pas sur la validité d'un contrat de gestation pour autrui, ni sur une

demande d'annulation de la transcription de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger de mère porteuse, la cour

étant seulement saisie de la validité de l'acte de naissance de Estelle, Raymonde, Adelaïde M., née le 28 janvier 2010

à [...] référencé CSL Bombay.2010.008, de Pierre-Jean M. et de Régina R., qui sont de nationalité française, qui a été

dressé par l'officier de l'état civil consulaire français à Bombay, dans ses registres le 22 février 2010, lequel n'a pas

fait l'objet d'une transcription, ledit acte portant mention des parents d'intention ;

Considérant que le jugement déféré a annulé l'acte de naissance litigieux en se plaçant sur le terrain de la fraude à

une loi d'ordre public, en relevant que l'enfant est issue d'une convention de gestation pour autrui prohibée en vertu

des articles 16-7 et 16-9 du Code civil et qui est frappée d'une nullité absolue, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre

les filiations, M. M. n'étant nullement étranger à la convention prohibée ;

Qu'en cause d'appel, la théorie de la fraude n'est pas pertinente, faute d'être valablement soutenue par le ministère

public, dont les conclusions ont été déclarées irrecevables devant la cour et alors qu'il est désormais admis que la

convention de gestation pour autrui conclue entre le parent d'intention et la mère porteuse, ne fait pas obstacle à la

transcription de l'acte de naissance d'un enfant né à l'étranger issu d'une telle convention, dès lors que l'acte de

21

naissance n'est ni irrégulier ni falsifié et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité (arrêts rendus en

assemblée plénière par la cour de cassation le 3 juillet 2015) ;

Que l'enfant issu d'une convention de gestation pour autrui, ne saurait se voir opposer les conditions de sa naissance,

la loi n'édictant aucune distinction selon le mode de conception des enfants ;

Considérant qu'il convient de rappeler que l'article 47 du Code civil dispose que tout acte de l'état civil des Français

et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou

pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après

toute vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à

la réalité ;

(...)

Considérant que les faits déclarés par M. M. lors de l'établissement de l'acte de naissance établi par le service de l'état

civil indien sur la filiation maternelle de l'enfant, ne correspondent donc pas à la réalité, son épouse, désignée comme

mère, n'ayant pas accouché de l'enfant, ce qui ne permet pas de reconnaître à l'acte indien produit, la force probante

accordée par l'article 47 du Code civil aux actes de l'état civil faits en pays étrangers ;

Considérant que contrairement aux prétentions des appelants qui soutiennent que la demande d'annulation de l'acte

de naissance serait sans fondement, la cour estime que l'acte de naissance français établi par l'officier de l'état civil

consulaire français, en l'espèce le consulat de France à Bombay, au vu du certificat d'accouchement établi par un

médecin de l'hôpital Hiranandani de Bombay, de l'acte de naissance indien, du livret de famille des époux portant

mention de leur mariage célébré le 25 août 2001, des pièces d'identité et de nationalité française du déclarant (M. M.)

et des examens de suivi médical de grossesse de "la mère" pratiqués à Hô Chi Minh-Ville (Vietnam) désignée dans

l'acte de naissance, ainsi que la copie des pages d'identité des deux passeports des parents, a été vicié par l'acte de

naissance indien qui mentionne des faits déclarés qui ne correspondent pas à la réalité, les pièces médicales s'étant

avérées être des faux ;

Que par extension des dispositions de l'article 47 du Code civil, l'acte de naissance français qui fait état de la

naissance d'Estelle comme étant née, non pas de la mère porteuse qui a accouché, mais de Mme M., mère d'intention,

ne peut faire foi eu égard au vice de l'acte de naissance indien ;

(...)

Qu'en l'état actuel du droit positif, la fiction légale de la filiation adoptive, non conforme à la vérité biologique, qui

tend à assimiler l'adopté à un enfant légitime, ne saurait être transposée au cas de l'enfant né d'une gestation pour

autrui, de façon à effacer dans l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation de la mère de substitution au profit de la

filiation de la mère d'intention qui n'a pas accouché, en l'absence de statut propre de l'enfant né par gestation pour

autrui à l'étranger et vivant en France au sein d'un foyer familial qui pourvoit à son éducation et à son entretien, étant

ajouté que l'incrimination de l'article 227-12 du Code pénal cristallise l'illicéité des conventions portant sur la

gestation pour le compte d'autrui en France, assorties d'une prohibition d'ordre public en vertu de l'article 16-7 du

Code civil, comme contrevenant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des

personnes ;

Que par voie de conséquence, le jugement sera confirmé, mais par substitution de motifs, en ce qu'il a annulé l'acte

de naissance de Estelle, Raymonde, Adelaïde M., née le 28 janvier 2010 à [...] référencé CSL Bombay.2010.008 (...).

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CEDH – 29 avril 2002 – « PRETTY c. Royaume-Uni » (communiqué)

Diane Pretty est une ressortissante britannique née en 1958 et résidant à Luton. Elle est en train de mourir d’une sclérose latérale

amyotrophique, maladie neurodégénérative incurable entraînant une paralysie des muscles.

La maladie est à un stade avancé. La requérante est paralysée du cou aux pieds et il ne lui reste que très peu de temps à vivre. Toutefois,

ses facultés intellectuelles et de décision ne sont en rien atteintes. Etant donné que la phase terminale de la maladie entraîne souffrances et

perte de dignité, l’intéressée souhaite pouvoir choisir le moment et les modalités de sa mort afin de ne pas avoir à endurer ces épreuves.

Le droit anglais ne considère pas le suicide comme une infraction, mais la maladie de la requérante l’empêche de commettre cet acte sans

aide. Or l’article 2 § 1 de la loi de 1961 sur le suicide érige en infraction le fait d’aider autrui à se suicider. Mme Pretty souhaite pouvoir

obtenir l’assistance de son mari pour mettre fin à ses jours mais, invité par elle à prendre l’engagement que ce dernier ne sera pas alors

poursuivi, le Director of Public Prosecutions (DPP) refusa d’accueillir la demande. Les recours formés par la requérante contre cette

décision n’ont pas abouti. (…)

3. Résumé de l’arrêt

Griefs

Invoquant l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, la requérante plaidait qu’il appartient à chaque

individu de décider s’il veut vivre et que, corollaire du droit à la vie, le droit de mourir est également garanti. En conséquence, l’Etat aurait

été dans l’obligation positive d’aménager le droit interne afin de lui permettre d’exercer cette faculté.

S’appuyant par ailleurs sur l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants), l’intéressée affirmait que l’Etat britannique

doit non seulement s’abstenir d’infliger par lui-même des traitements inhumains et dégradants, mais aussi prendre des mesures positives

pour prémunir les personnes relevant de sa juridiction contre pareils traitements. A cet égard, la seule mesure apte à protéger la requérante

aurait été un engagement du DPP de ne pas poursuivre M. Pretty s’il aidait son épouse à se suicider.

La requérante alléguait en outre que l’article 8 (droit au respect de la vie privée) reconnaît explicitement le droit à l’autodétermination, et

elle voyait dans le refus du DPP de prendre l’engagement sollicité et dans l’absence d’une disposition légale autorisant le suicide assisté

une atteinte à son droit d’exprimer ses convictions, au sens de l’article 9 (liberté de pensée). Se prévalant enfin de l’article 14 (interdiction

de la discrimination), elle soutenait que l’interdiction générale frappant le suicide assisté entraîne une discrimination à l’égard des

personnes qui ne peuvent se suicider sans aide, puisque les individus valides peuvent légalement exercer le droit de mourir.

Décision de la Cour (…)

Article 2

La Cour rappelle que l’article 2 protège le droit à la vie, sans lequel la jouissance de l’un quelconque des autres droits et libertés garantis

par la Convention serait illusoire. Il ne couvre pas seulement l’homicide volontaire, mais également les situations où il est permis d’avoir «

recours à la force », pareil emploi de la force pouvant conduire à donner la mort de façon involontaire. La Cour a par ailleurs jugé que la

première phrase de l’article 2 § 1 astreint l’Etat non seulement à s’abstenir de donner la mort de manière intentionnelle et illégale, mais

aussi à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction. Cette obligation peut également

impliquer, dans certaines circonstances bien définies, une obligation positive pour les autorités de prendre préventivement des mesures

d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui.

Dans sa jurisprudence en la matière, la Cour a constamment mis l’accent sur l’obligation pour l’Etat de protéger la vie. Dans ces

conditions, elle n’est pas persuadée que le « droit à la vie » garanti par l’article 2 puisse s’interpréter comme comportant un aspect négatif.

L’article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à

mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l’autodétermination en ce sens qu’il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort

plutôt que la vie.

En conséquence, la Cour estime qu’il n’est pas possible de déduire de l’article 2 de la Convention un droit à mourir, que ce soit de la main

23

d’un tiers ou avec l’assistance d’une autorité publique. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

Article 3

La Cour relève qu’en l’espèce chacun reconnaît que le gouvernement défendeur n’a pas, lui-même, infligé le moindre mauvais traitement à

la requérante. Celle-ci ne se plaint pas non plus de ne pas avoir reçu des soins adéquats de la part des autorités médicales de l’Etat. Elle

soutient plutôt que le refus par le DPP de prendre l’engagement de ne pas poursuivre son mari si ce dernier l’aide à se suicider et la

prohibition du suicide assisté édictée par le droit pénal s’analysent en un traitement inhumain et dégradant dont l’Etat est responsable. Ce

grief recèle toutefois une interprétation nouvelle et élargie de la notion de traitement. Si la Cour doit adopter une démarche souple et

dynamique pour interpréter la Convention, il lui faut aussi veiller à ce que toute interprétation qu’elle en donne cadre avec les objectifs

fondamentaux poursuivis par le traité et préserve la cohérence que celui-ci doit avoir en tant que système de protection des droits de

l’homme. L’article 3 doit être interprété en harmonie avec l’article 2. Ce dernier consacre d’abord et avant tout une prohibition du recours

à la force comme de tout autre comportement susceptible de provoquer le décès d’un être humain, et il ne confère nullement à l’individu

un droit à exiger de l’Etat qu’il permette ou facilite son décès.

La Cour ne peut qu’éprouver de la sympathie pour la crainte de la requérante de devoir affronter une mort pénible si on ne lui donne pas la

possibilité de mettre fin à ses jours. Toutefois, admettre l’obligation positive qui d’après la requérante pèse sur l’Etat reviendrait à obliger

l’Etat à cautionner des actes visant à interrompre la vie, obligation qui ne peut être déduite de l’article 3 de la Convention. La Cour conclut

dès lors que cette clause ne fait peser sur l’Etat défendeur aucune obligation positive à cet égard et qu’elle n’a donc pas été violée.

Article 8

La requérante est empêchée par la loi d’exercer son choix d’éviter ce qui, à ses yeux, constituera une fin de vie indigne et pénible. La Cour

ne peut exclure que cela représente une atteinte au droits de l’intéressée au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 § 1.

La Cour rappelle que pour se concilier avec le paragraphe 2 de l’article 8 une ingérence dans l’exercice d’un droit garanti par celui-ci doit

être « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes d’après ce paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », à la

poursuite de ce ou ces buts.

La seule question se dégageant de l’argumentation des parties est celle de la nécessité de l’ingérence dénoncée, et le débat a porté

essentiellement sur la proportionnalité de celle-ci. La requérante s’en prenait en particulier à la nature générale de l’interdiction du suicide

assisté.

La Cour considère, avec la Chambre des lords, que les Etats ont le droit de contrôler, au travers de l’application du droit pénal général, les

activités préjudiciables à la vie et à la sécurité d’autrui. La disposition légale incriminée en l’espèce, à savoir l’article 2 de la loi de 1961, a

été conçue pour préserver la vie en protégeant les personnes faibles et vulnérables – spécialement celles qui ne sont pas en mesure de

prendre des décisions en connaissance de cause – contre les actes visant à mettre fin à la vie ou à aider à mettre fin à la vie.

La Cour estime que la nature générale de l’interdiction du suicide assisté n’est pas disproportionnée. Le Gouvernement souligne qu’une

certaine souplesse est rendue possible dans des cas particuliers : d’abord, des poursuites ne pourraient être engagées qu’avec l’accord du

DPP ; ensuite, il ne serait prévu qu’une peine maximale, ce qui permettrait au juge d’infliger des peines moins sévères là où il l’estime

approprié. Il ne paraît pas arbitraire que le droit reflète l’importance du droit à la vie en interdisant le suicide assisté tout en prévoyant un

régime d’application et d’appréciation par la justice qui permet de prendre en compte dans chaque cas concret tant l’intérêt public à

entamer des poursuites que les exigences justes et adéquates de la rétribution et de la dissuasion.

Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour ne voit rien de disproportionné non plus dans le refus du DPP de prendre par avance

l’engagement d’exonérer de toute poursuite le mari de la requérante. Des arguments puissants fondés sur l’état de droit pourraient être

opposés à toute prétention par l’exécutif de soustraire des individus ou des catégories d’individus à l’application de la loi. Quoi qu’il en

soit, vu la gravité de l’acte pour lequel une immunité était réclamée, on ne peut juger arbitraire ou déraisonnable la décision prise par le

DPP en l’espèce de refuser de prendre l’engagement sollicité.

La Cour conclut que l’ingérence incriminée peut passer pour justifiée comme « nécessaire, dans une société démocratique », à la

protection des droits d’autrui. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8.

24

Article 9

La Cour observe que tous les avis ou convictions n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 9 § 1. Les griefs de l’intéressée ne

se rapportent pas à une forme de manifestation d’une religion ou d’une conviction par le culte, l’enseignement, les pratiques ou

l’accomplissement des rites, au sens de la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 9. Le terme « pratiques » employé à l’article 9 § 1

ne recouvre pas tout acte motivé ou influencé par une religion ou une conviction. Pour autant que les arguments de la requérante reflètent

son adhésion au principe de l’autonomie personnelle, ils ne sont que la reformulation du grief formulé sur le terrain de l’article 8. La Cour

conclut donc que l’article 9 n’a pas été violé.

Article 14

Aux fins de l’article 14, une différence de traitement entre des personnes placées dans des situations analogues ou comparables est

discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il

n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il peut également y avoir discrimination

lorsqu’un Etat, sans justification objective et raisonnable, ne traite pas différemment des personnes se trouvant dans des situations

substantiellement différentes.

Il y a pour la Cour une justification objective et raisonnable à l’absence de distinction juridique entre les personnes qui sont physiquement

capables de se suicider sans aide et celles qui ne le sont pas. La frontière entre les deux catégories est souvent très étroite, et tenter

d’inscrire dans la loi une exception pour les personnes jugées ne pas être à même de se suicider ébranlerait sérieusement la protection de la

vie que la loi de 1961 a entendu consacrer et augmenterait de manière significative le risque d’abus. Partant, il n’y a pas eu violation de

l’article 14 en l’espèce.

25

TA Châlons-en-Champagne - 16 janvier 2014 – « M. Pierre L. et autres c. CHU de Reims »

(…)

1. Considérant que M. Vincent L., fils et frère des requérants, est hospitalisé au centre hospitalier universitaire

régional de Reims dans un état pauci-relationnel au sein de l’unité de soins et de suite et de réadaptation dirigée par

le Dr K., au sein duquel il reçoit une alimentation et une hydratation artificielles ; que ce chef de service a, en date

du 11 janvier 2014, décidé de mettre fin à l’alimentation et l’hydratation artificielles du patient à compter du lundi

13 janvier 2014 à 19 heures, l’exécution de cette décision devant toutefois être différée en cas de saisine du tribunal

administratif ; que M. et Mme L. et autres demandent que soit enjoint, sur le fondement des dispositions de l’article

L. 521-2 du code de justice administrative, d’interdire au centre hospitalier universitaire de Reims et au Dr K. de

faire supprimer l’alimentation et l’hydratation de M. Vincent L., et, si elles ont été supprimées, de les rétablir

immédiatement et de prodiguer tous les soins nécessaires au patient, et que soit ordonné le transfert immédiat de M.

Vincent L. dans l’unité de vie pour patients pauci-relationnels du Dr J. ; (…)

Sur l’urgence et l’atteinte à une liberté fondamentale :

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce

sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une

liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la

gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement

illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ; que le respect de ces conditions

revêt un caractère cumulatif ;

4. Considérant que le droit au respect de la vie, rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale au sens des

dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, lorsque l’action ou la carence de l’autorité

publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant ainsi une atteinte grave et

manifestement illégale à cette liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de

sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière

prévue par cet article, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser le danger résultant de cette action ou de

cette carence ;

5. Considérant que le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2

du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de

bénéficier à très bref délai d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet

article ;

6. Considérant que l’exécution de la décision, en date du 11 janvier 2014, de mettre fin à l’alimentation et

l’hydratation de Vincent L. à compter du lundi 13 janvier 2014 à 19 heures, ou à compter de la décision du tribunal

administratif, entraînera, eu égard à son état de dépendance, la mort de M. Vincent L. à très bref délai, de sorte

qu’est portée à son droit au respect à la vie une atteinte caractérisée ;

Sur la légalité de la décision du 14 janvier 2014 :

7. Considérant qu’aux termes de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique : « Toute personne a, compte tenu

de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus

appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure

sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de

soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par

rapport au bénéfice escompté. / Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable.

Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie,

ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et

assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. (…) » ; qu’aux termes du cinquième

alinéa de l’article L. 1111-4 du même code : « Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la

limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la

26

procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à

l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la

personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier

médical » ; qu’aux termes de l’article R. 4127-37 du même code : « I.-En toutes circonstances, le médecin doit

s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il

doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à

entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparais sent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet

ou effet que le maintien artificiel de la vie. / II.-Dans les cas prévus au cinquième alinéa de l’article L. 1111-4 et au

premier alinéa de l’article L. 1111-13, la décision de limiter ou d’arrêter les traitements dispensés ne peut être

prise sans qu’ait été préalablement mise en oeuvre une procédure collégiale. Lee médecin peut engager la

procédure collégiale de sa propre initiative. Il est tenu de le faire au vu des directives anticipées du patient

présentées par l’un des détenteurs de celles-ci mentionnés nà l’article R. 1111-19 ou à la demande de la personne

de confiance, de la famille ou, à défaut, de l’un des proches. Les détenteurs des directives anticipées du patient, la

personne de confiance, la famille ou, le cas échéant, l’un des proches sont informés, dès qu’elle a été prise, de la

décision de mettre en oeuvre la procédure collégiale : / La décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise

par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé

d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre

le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces

médecins si l’un d’eux l’estime utile. / La décision de limitation ou d’arrêt de traitement prend en compte les

souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a

rédigé, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un

de ses proches. (…) » ;

S’agissant de la conventionalité des dispositions des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé

publique :

8. Considérant, en premier lieu, que M. et Mme L. et autres soutiennent que les dispositions précitées du code de la

santé publique méconnaissent le droit à la vie tel que protégé par l’article 2 de la convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel : « Le droit de toute personne à

la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (…) » ;

9. Considérant, toutefois, que les stipulations de l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de

l’homme et des libertés fondamentales ne s’opposent pas à ce qu’un Etat règlemente la possibilité pour un individu

de s’opposer à un traitement qui pourrait avoir pour effet de prolonger sa vie ou celle ouverte à un médecin en

charge d’un patient hors d’état d’exprimer sa volonté et dont il estime, après avoir mis en œuvre un ensemble de

garanties tenant à la consultation d’au moins un confrère, de l’équipe de soins, des directives anticipées rédigées

par le patient et de sa famille, que le traitement qui lui est administré consiste en une obstination déraisonnable, de

mettre fin à ce traitement, cette possibilité s’exerçant sous le contrôle du conseil de l’ordre des médecins, sous celui

du comité d’éthique du centre hospitalier le cas échéant, ainsi que du juge administratif et du juge pénal ;

10. Considérant, en second lieu, que l’absence de définition, par les dispositions précitées des articles L. 1110-5, L.

1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique, du terme de traitement non plus que des actes ou soins

susceptibles d’être regardés comme maintenant artificiellement la vie ne porte atteinte ni au droit à un procès

équitable, ni au principe de légalité des délits et des peines, tels que consacrés respectivement aux articles 6 et 7 de

la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui ne trouvent au

demeurant pas à s’appliquer à un texte étranger à la matière pénale ;

S’agissant du champ d’application des dispositions des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la

santé publique :

11. Considérant qu’il résulte des dispositions de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, telles qu’issues de

la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie et éclairées notamment par les travaux

parlementaires, que l’alimentation et l’hydratation artificielles par voie entérale, lesquelles empruntent aux

médicaments le monopole de distribution des pharmacies, ont pour objet d’apporter des nutriments spécifiques au

patient dont les fonctions sont altérées, et nécessitent en l’espèce le recours à des techniques invasives en vue de

leur administration, consistent en des traitements ;

27

S’agissant de l’application des dispositions des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé

publique :

12. Considérant que la décision querellée d’arrêter de procéder à l’hydratation et l’alimentation artificielle est

motivée par la volonté qu’aurait exprimée M. Vincent L., lequel n’a au demeurant pas rédigé de directives

anticipées ni désigné de personne de confiance, de ne pas être maintenu en vie dans un état de grande dépendance ;

que s’il résulte à cet égard de l’instruction que le patient a exprimé pareille position devant un de ses frères et son

épouse, cette expression, qui n’est au demeurant pas datée avec précision, émanait d’une personne valide qui n’était

pas confrontée aux conséquences immédiates de son souhait et ne se trouvait pas dans le contexte d’une

manifestation formelle d’une volonté expresse, et ce quelle qu’ait été sa connaissance professionnelle de la

situation de patients en état de dépendance ou de handicap ; que la circonstance que le patient aurait entretenu des

relations conflictuelles avec ses parents et ne partagerait pas leurs valeurs morales ou leurs engagements religieux,

ce dont atteste la majorité des membres de sa fratrie, ne permet pas davantage de regarder M. Vincent L. comme

ayant manifesté une volonté certaine de refuser tout traitement s’il devait subir une altération de ses fonctions

motrices et cognitives telle que celle qu’il connait aujourd’hui ; que, par ailleurs, il ne saurait être déduit des

manifestations pouvant traduire le déplaisir et l’inconfort qu’induisaient les soins, qui ont été unanimement

constatées par le personnel soignant à la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013, dont il est au demeurant

constant qu’elles ont cessé, une interprétation univoque quant à la volonté du patient de rester ou non en vie, ainsi

qu’il résulte notamment de l’ensemble des avis motivés rendus préalablement à la décision en cause ; qu’ainsi, et

dès lors qu’il résulte de l’instruction qu’aucun code de communication n’a pu être mis en place avec le patient, le

Dr K. a apprécié de manière erronée la volonté de Vincent L. en estimant qu’il souhaiterait opposer un refus à tout

traitement le maintenant en vie ; qu’il résulte par ailleurs de l’instruction, et notamment du rapport établi par le

centre hospitalier universitaire de Liège en août 2011, que Vincent L. est en état pauci-relationnel, soit un état de

conscience « minimale plus », impliquant la persistance d’un perception émotionnelle et l’existence de possibles

réactions à son environnement ; qu’ainsi, l’alimentation et l’hydratation artificielles qui lui sont administrées, dès

lors qu’elles peuvent avoir pour effet la conservation d’un certain lien relationnel, n’ont pas pour objet de maintenir

le patient artificiellement en vie, cet artifice ne pouvant au demeurant se déduire du seul caractère irréversible des

lésions cérébrales et l’absence de perspective d’évolution favorable dans l’état des connaissances médicales ; que

pour les mêmes motifs, et dès lors que le centre hospitalier universitaire de Reims ne fait valoir aucunes contraintes

ou souffrances qui seraient engendrées par le traitement, celui-ci ne peut être qualifié d’inutile ou de

disproportionné, de sorte qu’il n’est pas constitutif d’une obstination déraisonnable au sens des dispositions

combinées des articles L. 1110-5, L. 1111-4 et R. 4127-37 du code de la santé publique ;

13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la décision du 11 janvier 2014 de cesser l’alimentation et

l’hydratation artificielles de Vincent L. caractérisent une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie de

Vincent L. ;

14. Considérant qu’il y a lieu, par suite, de suspendre l’exécution de la décision litigieuse ; qu’en revanche, eu

égard à l’office du juge des référés, et dès lors qu’il n’est pas établi, ni même sérieusement soutenu, qu’en dépit de

la présente ordonnance, l’exécution de la décision de cesser l’alimentation et l’hydratation artificielles de Vincent

L. serait poursuivie, les conclusions tendant au transfert du patient dans un autre établissement doivent être rejetées

; (…)

28

CE, ass., 14 février 2014, « Mme Lambert et autres »

(...)

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative : « Saisi d'une

demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à

la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme

de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs,

une atteinte grave et manifestement illégale (...) » ;

4. Considérant qu'en vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens

justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une

liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et

manifestement illégale ; que ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui se prononce

en principe seul et qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du Code de justice administrative, par des

mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au

regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés

fondamentales ;

5. Considérant toutefois qu'il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière

particulière, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative

d'une décision, prise par un médecin sur le fondement du Code de la santé publique et conduisant à

interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination

déraisonnable et que l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie ;

qu'il doit alors, le cas échéant en formation collégiale, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires

pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues

par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect

de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui

serait le résultat d'une obstination déraisonnable ; que, dans cette hypothèse, le juge des référés ou la

formation collégiale à laquelle il a renvoyé l'affaire peut, le cas échéant, après avoir suspendu à titre

conservatoire l'exécution de la mesure et avant de statuer sur la requête dont il est saisi, prescrire une

expertise médicale et solliciter, en application de l'article R. 625-3 du Code de justice administrative,

l'avis de toute personne dont la compétence ou les connaissances sont de nature à éclairer utilement la

juridiction (...).

29

CE, ass., 24 juin 2014, n° 375081, « Mme Lambert et autres »

(...)

Sur la conformité aux dispositions du Code de la santé publique de la décision de mettre fin à l'alimentation et à

l'hydratation artificielles de M. J. I. :

18. Considérant qu'il résulte de l'instruction, ainsi qu'il a été dit dans les motifs de la décision du 14 février 2014 du

Conseil d'État, statuant au contentieux, que M. J. I., né en 1976, infirmier en psychiatrie, a été victime, le 29

septembre 2008, d'un accident de la circulation qui lui a causé un grave traumatisme crânien ; qu'après cet accident,

il a été hospitalisé pendant trois mois dans le service de réanimation du centre hospitalier de Châlons-en-

Champagne ; qu'il a été ensuite transféré dans le service de neurologie de ce centre, avant d'être accueilli pendant

trois mois, du 17 mars au 23 juin 2009, au centre de rééducation de Berck-sur-Mer dans le département des blessés

crâniens ; qu'après ce séjour, il a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire de Reims, où, en raison de son

état de tétraplégie et de complète dépendance, il est pris en charge pour tous les actes de la vie quotidienne et est

alimenté et hydraté de façon artificielle par voie entérale ;

19. Considérant que M. I. a été admis en juillet 2011 au Coma Science Group du centre hospitalier universitaire de

Liège pour un bilan diagnostique et thérapeutique ; qu'après avoir pratiqué des examens approfondis, ce centre a

conclu que M. I. était dans un « état de conscience minimale plus », avec une perception de la douleur et des

émotions préservées, notant que l'essai de contrôle volontaire de la respiration mettait en évidence une réponse à la

commande et recommandant d'envisager la mise en place d'un code de communication avec le patient ; qu'après le

retour de M. I. au centre hospitalier universitaire de Reims, quatre-vingt-sept séances d'orthophonie ont été

pratiquées pendant cinq mois, du 6 avril au 3 septembre 2012, pour tenter d'établir un code de communication ; que

ces séances ne sont pas parvenues à mettre en place un code de communication du fait de la non-reproductibilité

des réponses ;

20. Considérant que, au cours de l'année 2012, des membres du personnel soignant ont constaté des manifestations

comportementales chez M. I. dont ils ont pensé qu'elles pouvaient être interprétées comme une opposition aux soins

de toilette traduisant un refus de vie ; qu'à la suite de ces constats et se fondant sur l'analyse qu'il faisait de l'absence

d'évolution neurologique favorable du patient, le Dr H., chef du pôle Autonomie et santé du centre hospitalier

universitaire de Reims et responsable du service de médecine palliative et soins de support - soins de suite et de

réadaptation spécialisé « Gériatrique » prenant en charge le patient, a engagé la procédure collégiale prévue par

l'article R. 4127-37 du Code de la santé publique afin d'apprécier si la poursuite de l'alimentation et de l'hydratation

artificielles de M. I. était constitutive d'une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5 du même code ;

que, le 10 avril 2013, ce médecin a décidé d'arrêter l'alimentation artificielle et de diminuer l'hydratation de M. I. ;

que, saisi par les parents de M. I., l'un de ses demi-frères et l'une de ses soeurs, le juge des référés du tribunal

administratif de Châlons-en-Champagne, par une ordonnance du 11 mai 2013, a enjoint de rétablir l'alimentation et

l'hydratation artificielles au motif que la procédure prévue par l'article R. 4127-37 du Code de la santé publique

avait été méconnue, dès lors que seule l'épouse de M. I., lequel n'avait pas rédigé de directives anticipées ni désigné

de personne de confiance, avait été informée de la mise en oeuvre de la procédure, associée à son déroulement et

informée de la décision d'arrêt de traitement prise par le médecin ;

21. Considérant que le Dr H. a engagé une nouvelle procédure en septembre 2013 ; qu'il a consulté l'épouse de M.

I., ses parents et ses huit frères et soeurs lors de deux réunions tenues les 27 septembre et 16 novembre 2013 ; que,

le 9 décembre 2013, il a tenu une réunion à laquelle ont participé deux autres médecins du centre hospitalier

universitaire de Reims qui s'occupent de M. I. et presque toute l'équipe soignante en charge du patient ; qu'ont été

associés à cette réunion quatre médecins consultants extérieurs au service, dont l'un a été désigné par les parents de

M. I. ; que les médecins du centre hospitalier universitaire de Reims, l'équipe soignante, trois sur quatre des

médecins consultants, l'épouse de M. I. et plusieurs des frères et soeurs de ce dernier se sont déclarés favorables à

l'arrêt de traitement envisagé ; qu'au terme de cette procédure, le Dr H. a décidé, le 11 janvier 2014, de mettre fin à

l'alimentation et l'hydratation artificielles du patient à compter du lundi 13 janvier 2014 à 19 heures, l'exécution de

cette décision devant toutefois être différée en cas de saisine du tribunal administratif ;

30

22. Considérant que, pour estimer que la poursuite de l'alimentation et de l'hydratation artificiellement administrées

à M. I., n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie du patient, traduisait une obstination

déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5 du Code de la santé publique, le Dr H. s'est fondé, d'une part, sur l'état

de santé de M. I., qu'il a caractérisé par la nature irréversible des lésions cérébrales dont il est atteint, l'absence de

progrès depuis l'accident et la consolidation du pronostic fonctionnel, d'autre part, sur la certitude que « Vincent I.

ne voulait pas avant son accident vivre dans de telles conditions » ; qu'il a également fait état de ce que la procédure

collégiale avait été engagée à partir des constatations faites au cours de l'année 2012 par des membres du personnel

soignant sur les manifestations comportementales de M. I. ;

23. Considérant qu'il revient au Conseil d'État de s'assurer, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire et de

l'ensemble des éléments versés dans le cadre de l'instruction contradictoire menée devant lui, en particulier du

rapport de l'expertise médicale qu'il a ordonnée, que la décision prise le 11 janvier 2014 par le Dr H. a respecté les

conditions mises par la loi pour que puisse être prise une décision mettant fin à un traitement dont la poursuite

traduit une obstination déraisonnable ;

24. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la procédure collégiale menée par le Dr H., chef

du service prenant en charge M. I., préalablement à l'intervention de la décision du 11 janvier 2014, s'est déroulée

conformément aux prescriptions de l'article R. 4127-37 du Code de la santé publique et a comporté, alors que les

dispositions de cet article exigent que soit pris l'avis d'un médecin et, le cas échéant, d'un second, la consultation de

six médecins ; que le Dr. H. n'était pas légalement tenu de faire participer à la réunion du 9 décembre 2013 un

second médecin désigné par les parents de M. I., lesquels en avaient déjà désigné un premier ; qu'il ne résulte pas

de l'instruction que certains membres du personnel soignant auraient été délibérément écartés de cette réunion ; que

le Dr H. était en droit de s'entretenir avec M. L. I., neveu du patient ; que les circonstances que le Dr H. se soit

opposé à une demande de récusation et au transfert de M. I. dans un autre établissement et qu'il se soit

publiquement exprimé ne traduisent pas, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, de manquement aux

obligations qu'implique le principe d'impartialité, auxquelles il a satisfait ; qu'ainsi, contrairement à ce qui était

soutenu devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, la procédure préalable à l'adoption de la

décision du 11 janvier 2014 n'a été entachée d'aucune irrégularité ;

25. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort, d'une part, des conclusions des experts que « l'état clinique actuel

de M. I. correspond à un état végétatif », avec « des troubles de la déglutition, une atteinte motrice sévère des

quatre membres, quelques signes de dysfonctionnement du tronc cérébral » et « une autonomie respiratoire

préservée » ; que les résultats des explorations cérébrales structurales et fonctionnelles effectuées du 7 au 11 avril

2014 au centre hospitalier universitaire de la Pitié-Salpêtrière de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris sont

compatibles avec un tel état végétatif et que l'évolution clinique, marquée par la disparition des fluctuations de l'état

de conscience de M. I. qui avaient été constatées lors du bilan effectué en juillet 2011 au Coma Science Group du

centre hospitalier universitaire de Liège, ainsi que par l'échec des tentatives thérapeutiques actives préconisées lors

de ce bilan, suggère « une dégradation de l'état de conscience depuis cette date » ;

26. Considérant qu'il ressort, d'autre part, des conclusions du rapport des experts que les explorations cérébrales

auxquelles il a été procédé ont mis en évidence des lésions cérébrales graves et étendues, se traduisant notamment

par une « atteinte sévère de la structure et du métabolisme de régions sous-corticales cruciales pour le

fonctionnement cognitif » et par une « désorganisation structurelle majeure des voies de communication entre les

régions cérébrales impliquées dans la conscience » ; que la sévérité de l'atrophie cérébrale et des lésions observées

conduisent, avec le délai de cinq ans et demi écoulé depuis l'accident initial, à estimer les lésions cérébrales

irréversibles ;

27. Considérant, en outre, que les experts ont conclu que « la longue durée d'évolution, la dégradation clinique

depuis 2011, l'état végétatif actuel, la nature destructrice et l'étendue des lésions cérébrales, les résultats des tests

fonctionnels ainsi que la sévérité de l'atteinte motrice des quatre membres » constituaient des éléments indicateurs

d'un « mauvais pronostic clinique » ;

31

28. Considérant, enfin, que si les experts ont relevé que M. I. peut réagir aux soins qui lui sont prodigués et à

certaines stimulations, ils ont indiqué que les caractéristiques de ces réactions suggèrent qu'il s'agit de réponses non

conscientes et n'ont pas estimé possible d'interpréter ces réactions comportementales comme témoignant d'un «

vécu conscient de souffrance » ou manifestant une intention ou un souhait concernant l'arrêt ou la poursuite du

traitement qui le maintient en vie ;

29. Considérant que ces conclusions, auxquelles les experts ont abouti de façon unanime, au terme d'une analyse

qu'ils ont menée de manière collégiale et qui a comporté l'examen du patient à neuf reprises, des investigations

cérébrales approfondies, des rencontres avec l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de ce dernier

ainsi que l'étude de l'ensemble de son dossier, confirment celles qu'a faites le Dr H. quant au caractère irréversible

des lésions et au pronostic clinique de M. I. ; que les échanges qui ont eu lieu dans le cadre de l'instruction

contradictoire devant le Conseil d'État postérieurement au dépôt du rapport d'expertise ne sont pas de nature à

infirmer les conclusions des experts ; que, s'il ressort du rapport d'expertise, ainsi qu'il vient d'être dit, que les

réactions de M. I. aux soins ne peuvent pas être interprétées, et ne peuvent ainsi être regardées comme manifestant

un souhait concernant l'arrêt du traitement, le Dr. H. avait indiqué dans la décision contestée que ces

comportements donnaient lieu à des interprétations variées qui devaient toutes être considérées avec une grande

réserve et n'en a pas fait l'un des motifs de sa décision ;

30. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte des dispositions du Code de la santé publique qu'il peut être tenu

compte des souhaits d'un patient exprimés sous une autre forme que celle des directives anticipées ; qu'il résulte de

l'instruction, en particulier du témoignage de Mme F. I., qu'elle-même et son mari, tous deux infirmiers, avaient

souvent évoqué, leurs expériences professionnelles respectives auprès de patients en réanimation ou de personnes

polyhandicapées et qu'à ces occasions, M. I. avait clairement et à plusieurs reprises exprimé le souhait de ne pas

être maintenu artificiellement en vie dans l'hypothèse où il se trouverait dans un état de grande dépendance ; que la

teneur de ces propos, datés et rapportés de façon précise par Mme F. I., a été confirmée par l'un des frères de M. I. ;

que si ces propos n'ont pas été tenus en présence des parents de M. I., ces derniers n'allèguent pas que leur fils

n'aurait pu les tenir ou aurait fait part de souhaits contraires ; que plusieurs des frères et soeurs de M. I. ont indiqué

que ces propos correspondaient à la personnalité, à l'histoire et aux opinions personnelles de leur frère ; qu'ainsi, le

Dr H., en indiquant, dans les motifs de la décision contestée, sa certitude que M. I. ne voulait pas avant son

accident vivre dans de telles conditions, ne peut être regardé comme ayant procédé à une interprétation inexacte des

souhaits manifestés par le patient avant son accident ;

31. Considérant, en quatrième lieu, que le médecin en charge est tenu, en vertu des dispositions du Code de la santé

publique, de recueillir l'avis de la famille du patient avant toute décision d'arrêt de traitement ; que le Dr H. a

satisfait à cette obligation en consultant l'épouse de M. I., ses parents et ses frères et sœurs lors des deux réunions

mentionnées précédemment ; que si les parents de M. I. ainsi que certains de ses frères et sœurs ont exprimé un avis

opposé à l'interruption du traitement, l'épouse de M. I. et ses autres frères et sœurs se sont déclarés favorables à

l'arrêt de traitement envisagé ; que le Dr H. a pris en considération ces différents avis ; que, dans les circonstances

de l'affaire, il a pu estimer que le fait que les membres de la famille n'aient pas eu une opinion unanime quant au

sens de la décision n'était pas de nature à faire obstacle à sa décision ;

32. Considérant qu'il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les différentes conditions mises par

la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement

n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination

déraisonnable peuvent être regardées, dans le cas de M. J. I. et au vu de l'instruction contradictoire menée par le

Conseil d'État, comme réunies ; que la décision du 11 janvier 2014 du Dr H. de mettre fin à l'alimentation et à

l'hydratation artificielles de M. J. I. ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale (...).

32

CEDH – 28 juillet 1999 – « Selmouni c/ France »

I. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

70. Le requérant se plaint de ce que le déroulement de sa garde à vue a entraîné une violation de l’article 3 de la Convention, libellé

comme suit : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement (…)

78. En l’espèce, la Cour relève qu’une expertise médicale a été ordonnée par le juge d’instruction chargé de la procédure diligentée

contre le requérant dès la fin de la garde à vue, le 29 novembre 1991 et qu’une enquête préliminaire a été diligentée sous l’autorité du

ministère public. Cependant, la Cour constate, d’une part, que cette enquête préliminaire n’a donné lieu à l’audition du requérant que

plus d’un an après les faits et, d’autre part, que l’ouverture d’une information ne fut requise qu’après le dépôt, le 1er

février 1993, de

la plainte avec constitution de partie civile du requérant. La Cour note que les circonstances de l’espèce font apparaître un certain

nombre d’autres délais sur lesquels il convient de s’attarder. Il s’est ainsi écoulé : pratiquement un an entre l’expertise médicale du

7 décembre 1991 et l’audition du requérant par l’inspection générale des services; à nouveau presque une année entre l’ouverture

d’une information judiciaire et l’organisation d’une parade d’identification des policiers; entre cette identification et la mise en

examen des policiers mis en cause, deux ans et plus de huit mois. Au total, la Cour relève avec la Commission que, cinq ans après les

faits, aucune mise en examen n’était intervenue nonobstant l’identification des policiers mis en cause par le requérant. Elle constate

que les policiers n’ont finalement comparu devant le tribunal que pratiquement cinq ans après leur identification et sept ans après la

garde à vue litigieuse.

79. Ainsi, de l’avis de la Cour, il s’agit moins de savoir s’il y a eu une enquête, puisque son existence est avérée, que d’apprécier la

diligence avec laquelle elle a été menée, la volonté des autorités d’aboutir à l’identification des responsables ainsi qu’à leur poursuite

et, partant, son caractère « effectif ». Cette question revêt un aspect particulier si l’on se rappelle que, lorsqu’un individu formule une

allégation défendable de violation des dispositions de l’article 3 (ainsi d’ailleurs que de l’article 2), la notion de recours effectif

implique, de la part de l’Etat, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des

responsables (voir, notamment, arrêts Aksoy précité, p. 2287, § 98 ; Assenov et autres c. Bulgarie du 28 octobre 1998, Recueil 1998-

VIII, p. 3290, § 102 ; mutatis mutandis, arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7 juillet 1989, série A n° 161, pp. 34-35, § 88). La Cour

considère que les allégations de M. Selmouni, dont le caractère au moins défendable ressortait de certificats médicaux connus des

autorités, étaient d’une nature particulièrement grave, tant au regard des faits invoqués que de la qualité des personnes mises en

cause.

80. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime, avec la Commission, que les autorités n’ont pas pris les mesures positives que les

circonstances de la cause imposaient pour faire aboutir le recours invoqué par le Gouvernement (…)

B. Sur le bien-fondé du grief

1. Sur l’appréciation des faits par la Cour (…)

87. La Cour considère que lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et que l’on constate qu’il

est blessé au moment de sa libération, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible pour l’origine des blessures, à défaut de

quoi l’article 3 de la Convention trouve manifestement à s’appliquer (arrêts Tomasi c. France du 27 août 1992, série A n° 241-A,

pp. 40-41, §§ 108-111, et Ribitsch c. Autriche du 4 décembre 1995, série A n° 336, pp. 25-26, § 34) (…).

88. En l’espèce, la Cour estime devoir accepter, pour l’essentiel, les faits établis par la Commission car elle est convaincue, au vu des

éléments de preuve examinés par elle, que la Commission pouvait à juste titre conclure que les allégations du requérant étaient

prouvées au-delà de tout doute raisonnable, sachant qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices suffisamment graves,

précis et concordants (…). L’existence de plusieurs certificats médicaux contenant des informations précises et concordantes, ainsi

que l’absence d’explication plausible pour l’origine des blessures, justifiaient la conclusion de la Commission (…).

2. Sur la gravité des traitements dénoncés (…)

95. La Cour rappelle que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Même dans les

circonstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la Convention prohibe en termes absolus la

torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. L’article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la

majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos

1 et 4, et d’après l’article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation,

même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (arrêts précités Irlande c. Royaume-Uni, p. 65, § 163, et Soering, pp. 34-

35, § 88, et Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1855, § 79).

33

96. Pour déterminer s’il y a lieu de qualifier de torture une forme particulière de mauvais traitements, la Cour doit avoir égard à la

distinction, que comporte l’article 3, entre cette notion et celle de traitements inhumains ou dégradants. Ainsi qu’elle l’a relevé

précédemment, cette distinction paraît avoir été consacrée par la Convention pour marquer d’une spéciale infamie des traitements

inhumains délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances (…).

98. La Cour constate que l’ensemble des lésions relevées dans les différents certificats médicaux, ainsi que les déclarations du

requérant sur les mauvais traitements dont il a fait l’objet durant sa garde à vue établissent l’existence de douleurs ou de souffrances

physiques et, à n’en pas douter nonobstant l’absence regrettable d’expertise psychologique de M. Selmouni à la suite de ces faits,

mentales. Le déroulement des faits atteste également que les douleurs ou souffrances ont été infligées intentionnellement au

requérant, aux fins notamment d’obtenir des aveux sur les faits qui lui étaient reprochés. Enfin, il ressort clairement des certificats

médicaux joints au dossier de la procédure que les multiples violences ont été directement exercées par des policiers dans l’exercice

de leurs fonctions.

99. Les actes dénoncés étaient assurément de nature à créer des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier,

avilir et briser éventuellement la résistance physique et morale du requérant. La Cour relève donc des éléments assez sérieux pour

conférer à ce traitement un caractère inhumain et dégradant (arrêts Irlande c. Royaume-Uni précité, pp. 66-67, § 167 ; Tomasi précité,

p. 42, § 115). En tout état de cause, la Cour rappelle qu’à l’égard d’une personne privée de sa liberté l’usage de la force physique qui

n’est pas rendu strictement nécessaire par le comportement de ladite personne porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en

principe, une violation du droit garanti par l’article 3.

100. Autrement dit, en l’espèce, reste à savoir si les « douleurs ou souffrances » infligées à M. Selmouni peuvent être qualifiées

d’« aiguës » au sens de l’article 1er

de la Convention des Nations unies. La Cour estime que ce caractère « aigu » est, à l’instar du

« minimum de gravité » requis pour l’application de l’article 3, relatif par essence ; il dépend de l’ensemble des données de la cause,

notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de

la victime, etc.

101. La Cour a déjà eu l’occasion de juger d’affaires dans lesquelles elle a conclu à l’existence de traitements ne pouvant être

qualifiés que de torture. Cependant, compte tenu de ce que la Convention est un « instrument vivant à interpréter à la lumière des

conditions de vie actuelles » (voir, notamment, arrêts Tyrer c. Royaume-Uni du 25 avril 1978, série A n° 26, pp. 15-16, § 31, Soering

précité, p. 40, § 102, Loizidou c. Turquie du 23 mars 1995, série A n° 310, pp. 26-27, § 71), la Cour estime que certains actes

autrefois qualifiés de « traitements inhumains et dégradants », et non de « torture », pourraient recevoir une qualification différente à

l’avenir. La Cour estime en effet que le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés

fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs

fondamentales des sociétés démocratiques.

102. La Cour a pu se convaincre de la multitude des coups portés à M. Selmouni. Quel que soit l’état de santé d’une personne, on

peut supposer qu’une telle intensité de coups provoque des douleurs importantes. La Cour note d’ailleurs qu’un coup porté ne

provoque pas automatiquement une marque visible sur le corps. Or, au vu du rapport d’expertise médicale réalisé le 7 décembre

1991, la quasi-totalité du corps de M. Selmouni portait des traces des violences subies.

103. (…) Outre la violence des faits décrits, la Cour ne peut que constater leur caractère odieux et humiliant pour toute personne,

quel que soit son état.

104. La Cour note enfin que ces faits ne peuvent se résumer à une période donnée de la garde à vue au cours de laquelle, sans que

cela puisse aucunement le justifier, la tension et les passions exacerbées auraient conduit à de tels excès : il est en effet clairement

établi que M. Selmouni a subi des violences répétées et prolongées, réparties sur plusieurs jours d’interrogatoires.

105. Dans ces conditions, la Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis sur la personne du requérant,

pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances « aiguës » et revêtent un caractère particulièrement grave et

cruel. De tels agissements doivent être regardés comme des actes de torture au sens de l’article 3 de la Convention.

34

Conseil d’Etat - 14 novembre 2008 – « El Shennawy et OIP »

M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 15 avril 2008 par laquelle, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des

référés du tribunal administratif de Pau a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande tendant à

la suspension de l'exécution du régime spécial des fouilles intégrales, comportant 4 à 8 inspections anales et leur enregistrement vidéo,

auquel il est soumis à l'occasion des extractions judiciaires quotidiennes nécessitées par ses comparutions devant les juridictions judiciaires ;

2°) statuant en référé, d'ordonner la suspension demandée en première instance (…)

Sur l'ordonnance attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le

juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit

public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte

grave et manifestement illégale (...) ; qu'en vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée,

rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la

demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que M. A fait l'objet d'une décision le soumettant à un régime de fouilles corporelles intégrales, opérées

quatre à huit fois par jour, s'appliquant lors de ses extractions du centre de détention nécessitées par ses comparutions devant les juridictions

judiciaires, en particulier lors de deux procès d'assises qui se sont déroulés du 9 au 18 avril 2008 et du 6 au 21 juin 2008, mais également à

l'occasion de futurs procès ; que ces fouilles, réalisées par des agents de l'administration pénitentiaire, font l'objet d'un enregistrement

audiovisuel conformément à la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, du 9 mai 2007 ; que M. A demande l'annulation de

l'ordonnance du 15 avril 2008 par laquelle, en application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du

tribunal administratif de Pau a rejeté, comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, sa demande, fondée sur l'article

L. 521-2 du même code, tendant à la suspension de l'exécution de la décision le soumettant à ce régime de fouilles ;

Considérant que l'article D. 275 du code de procédure pénale dispose : Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le

chef de l'établissement l'estime nécessaire. / Ils le sont notamment à leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et y

sont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils doivent également faire l'objet d'une fouille avant et après tout parloir ou visite

quelconque. / Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout en garantissant l'efficacité

du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; qu'aux termes de l'article D. 293 du même code : Aucun

transfèrement, aucune extraction ne peut être opéré sans un ordre écrit que délivre l'autorité compétente. / Cet ordre, lorsqu'il n'émane pas de

l'administration pénitentiaire elle-même, est adressé par le procureur de la République du lieu de l'autorité requérante au procureur de la

République du lieu de détention (...) ; que selon l'article D. 294 : Des précautions doivent être prises en vue d'éviter les évasions et tous autres

incidents lors des transfèrements et extractions de détenus. / Ces derniers sont fouillés minutieusement avant le départ (...) ;

Considérant que s'il n'appartient qu'au juge judiciaire de connaître des actes relatifs à la conduite d'une procédure judiciaire ou qui en sont

inséparables, les décisions par lesquelles les autorités pénitentiaires, afin d'assurer la sécurité générale des établissements ou des opérations

d'extraction, décident de soumettre un détenu à des fouilles corporelles intégrales, dans le but de prévenir toute atteinte à l'ordre public,

relèvent de l'exécution du service public administratif pénitentiaire et de la compétence de la juridiction administrative ; qu'il en va ainsi alors

même que les fouilles sont décidées et réalisées à l'occasion d'extractions judiciaires destinées à assurer la comparution d'un détenu sur ordre

du procureur de la République, y compris lorsque les opérations de fouille se déroulent dans l'enceinte de la juridiction et durant le procès ;

que, par suite, en s'estimant incompétent pour connaître de la requête de M. A contre la décision des autorités pénitentiaires de le soumettre à

un régime de fouilles corporelles intégrales répétées plusieurs fois par jour, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a commis une

erreur de droit ; que, dès lors, son ordonnance doit être annulée ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler

l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Considérant que l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule : Nul ne

peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

Considérant que si les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l'application à un détenu

d'un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c'est à la double condition, d'une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit

justifié, notamment, par l'existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de

ses contacts avec des tiers et, d'autre part, qu'elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement

adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu'il appartient ainsi à l'administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et

de la proportionnalité des modalités retenues ;

Mais considérant que, pour l'application des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, les conditions relatives à

l'urgence, d'une part, et à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, d'autre part, présentent un

caractère cumulatif ; qu'il n'est pas établi, ni même allégué, que M. A devrait faire prochainement l'objet d'une extraction à laquelle le régime

litigieux s'appliquerait ; qu'ainsi, à défaut d'urgence, la demande présentée au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par

M. A doit être rejetée (…)

35

CEDH – 12 mars 2003 – « Ocalan c/ Turquie »

i. Quant à l'article 2

188. La Cour estime d'emblée qu'aucune question distincte ne se pose à cet égard sur le terrain de l'article 2 et

préfère examiner ce point sous l'angle de l'article 3.

ii. Quant à l'article 3 lu à la lumière de l'article 2

α) Portée juridique de la pratique des Etats contractants concernant la peine de mort

189. La Cour rappelle que la Convention doit se comprendre comme un tout et qu'il y a lieu de lire l'article 3 en

harmonie avec l'article 2. S'il faut interpréter l'article 2 comme autorisant la peine capitale, nonobstant l'abolition

presque complète de celle-ci en Europe, on ne saurait affirmer que l'article 3 inclue une interdiction générale de la

peine de mort, car le libellé clair de l'article 2 § 1 s'en trouverait réduit à néant (arrêt Soering c. Royaume-Uni du 7

juillet 1989, série A no 161, p. 40, § 103). En conséquence, la Cour doit d'abord répondre aux observations du

requérant, qui affirme que la pratique des Etats contractants en la matière peut passer pour témoigner de leur accord

pour abroger l'exception prévue par la deuxième phrase de l'article 2 § 1, laquelle autorise explicitement la peine

capitale dans certaines conditions.

190. La Cour rappelle qu'il ne faut pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des

droits de l'homme que revêt la Convention, et que celle-ci ne saurait s'interpréter dans le vide. Elle doit autant que

faire se peut s'interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international dont elle fait partie

intégrante (voir, mutatis mutandis, les arrêts Al–Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI, et

Loizidou c. Turquie du 18 décembre 1996, Recueil 1996-VI, p. 2231, § 43). La Cour doit cependant se pencher

d'abord sur les questions d'interprétation et d'application des dispositions de la Convention soulevées en l'espèce.

191. Elle rappelle qu'elle a admis dans l'affaire Soering c. Royaume-Uni qu'une pratique établie au sein des Etats

membres pourrait donner lieu à une modification de la Convention. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu'une pratique

ultérieure en matière de politique pénale nationale, sous la forme d'une abolition généralisée de la peine capitale,

pourrait témoigner de l'accord des Etats contractants pour abroger l'exception ménagée par l'article 2 § 1, donc pour

supprimer une limitation explicite aux perspectives d'interprétation évolutive de l'article 3 (arrêt précité, § 103). Elle

a toutefois estimé que le Protocole no 6 montrait que les Parties contractantes, pour instaurer l'obligation d'abolir la

peine capitale en temps de paix, avaient voulu agir par voie d'amendement, selon la méthode habituelle, et, qui plus

est, au moyen d'un instrument facultatif laissant à chaque Etat le choix du moment où il assumerait pareil

engagement. La Cour a donc conclu que l'article 3 ne saurait s'interpréter comme prohibant en principe la peine de

mort (ibidem, §§ 103-104).

192. Le requérant conteste le point de vue adopté par la Cour dans l'arrêt Soering. A titre principal, il prétend que ce

raisonnement est vicié puisque le Protocole no 6 ne représente qu'un des moyens par lesquels la pratique des Etats

peut être mesurée et qu'il est avéré que l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe ont, de facto ou de

jure, totalement aboli la peine de mort pour tous les délits et en toutes circonstances. Il soutient que d'un point de

vue doctrinal, rien ne s'oppose à ce que les Etats abolissent la peine de mort à la fois en suivant une pratique

abrogative du droit d'invoquer la seconde phrase de l'article 2 § 1 et en reconnaissant formellement ce processus par

la ratification du Protocole no 6.

193. La Cour rappelle que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie

actuelles, et que le niveau d'exigence croissant en matière de protection des droits de l'homme et des libertés

fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l'appréciation des atteintes

36

aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques (arrêt Selmouni c. France du 28 juillet 1999, Recueil 1999-V,

§ 101).

194. Elle réaffirme que, pour déterminer s'il faut considérer un traitement ou une peine donnés comme inhumains

ou dégradants aux fins de l'article 3, elle ne peut pas ne pas être influencée par l'évolution et les normes

communément acceptées de la politique pénale des Etats membres du Conseil de l'Europe dans ce domaine (arrêt

Soering précité, p. 40, § 102). En outre, les notions de traitements et peines inhumains et dégradants ont

considérablement évolué depuis l'entrée en vigueur de la Convention en 1950 et, du reste, depuis l'arrêt que la Cour

a rendu dans l'affaire Soering en 1989.

195. De même, la Cour observe que le traitement juridique de la peine de mort a considérablement évolué depuis

qu'elle s'est prononcée sur l'affaire Soering. D'une abolition de fait dans vingt-deux Etats contractants constatée dans

cette affaire en 1989, on est passé à une abolition de jure dans quarante-trois des quarante-quatre Etats contractants –

notamment, très récemment, dans l'Etat défendeur – et à un moratoire dans le dernier pays qui n'a pas encore aboli

cette peine, à savoir la Russie. Cet abandon pratiquement total en Europe de la peine de mort en temps de paix se

traduit par la signature du Protocole no 6 par l'ensemble des Etats membres et par la ratification de ce Protocole par

quarante et un d'entre eux, la Turquie, l'Arménie et la Russie excepté. En témoigne également la politique du Conseil

de l'Europe, qui exige des nouveaux Etats membres, comme condition préalable à leur admission dans

l'Organisation, qu'ils s'engagent à abolir la peine capitale. Du fait de cette évolution, les territoires relevant de la

juridiction des Etats membres du Conseil de l'Europe forment à présent une zone exempte de la peine de mort.

196. Il est tout à fait possible de considérer que cette franche tendance traduit à présent un accord des Etats

contractants pour abroger, ou du moins modifier, la deuxième phrase de l'article 2 § 1, particulièrement lorsque l'on

tient compte du fait que tous les Etats contractants ont déjà signé le Protocole no 6 et que quarante et un d'entre eux

l'ont ratifié. On peut se demander s'il est nécessaire d'attendre la ratification du Protocole no 6 par les trois Etats

membres restants pour conclure que l'exception relative à la peine de mort prévue à l'article 2 § 1 a été

substantiellement modifiée. Eu égard à la convergence de tous ces éléments, on peut dire que la peine de mort en

temps de paix en est venue à être considérée comme une forme de sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n'est

plus autorisée par l'article 2.

197. Tout en exprimant cette idée, la Cour garde à l'esprit l'ouverture à la signature du Protocole no 13 à la

Convention, qui donne à penser que les Etats contractants ont choisi de poursuivre leur politique d'abolition selon la

méthode habituelle, c'est-à-dire par voie d'amendement du texte de la Convention. Toutefois, ce Protocole cherche à

étendre l'interdiction de la peine de mort en prévoyant son abolition en toutes circonstances – c'est-à-dire aussi bien

en temps de paix qu'en temps de guerre. Ce pas ultime vers l'abolition totale de la peine de mort peut être vu comme

la confirmation de la tendance abolitionniste établie par la pratique des Etats contractants. Elle ne va pas

nécessairement à l'encontre de la thèse selon laquelle l'article 2 a été amendé en tant qu'il autorise la peine de mort

en temps de paix.

198. Pour la Cour, on ne saurait exclure, à la lumière de l'évolution en la matière, que les Etats sont convenus, par

leur pratique, d'amender la deuxième phrase de l'article 2 § 1 dans la mesure où cette disposition autorise la peine de

mort en temps de paix. Dans ces conditions, on peut tout aussi bien prétendre que l'exécution de la peine de mort

doit être considérée comme un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3. Toutefois, il est inutile que la

Cour parvienne à une conclusion définitive sur ce point puisque, pour les raisons suivantes, il serait contraire à la

Convention, même si l'article 2 de celle-ci devait être interprété comme autorisant toujours la peine de mort,

d'exécuter une telle peine à l'issue d'un procès inéquitable.

37

Conseil constitutionnel – décision n° 2005-524/525 DC du 13 octobre 2005

« Engagements internationaux relatifs à l'abolition de la peine de mort »

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 22 septembre 2005, par le Président de la République, en application de l'article

54 de la Constitution, de la question de savoir si doivent être précédées d'une révision de la Constitution les

autorisations de ratifier :

- le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à

abolir la peine de mort, adopté à New York le 15 décembre 1989,

- le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif à

l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, adopté à Vilnius le 3 mai 2002 ;

Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

Vu la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales abolit la peine de mort en toutes circonstances ;

2. Considérant que le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et

politiques stipule qu'" aucune personne... ne sera exécutée " et oblige tout Etat partie à abolir la peine de mort ; qu'il ne

permet de déroger à cette règle que pour les crimes de caractère militaire, d'une gravité extrême et commis en temps de

guerre ; qu'en outre, cette faculté doit être fondée sur une législation en vigueur à la date de la ratification et avoir fait

l'objet d'une réserve formulée lors de celle-ci ;

3. Considérant qu'au cas où un engagement international contient une clause contraire à la Constitution, met en cause

les droits et libertés constitutionnellement garantis ou porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la

souveraineté nationale, l'autorisation de le ratifier appelle une révision constitutionnelle ;

4. Considérant que les deux protocoles soumis à l'examen du Conseil constitutionnel ne contiennent aucune clause

contraire à la Constitution et ne mettent pas en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ; que la

question posée est donc celle de savoir s'ils portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté

nationale ;

5. Considérant que porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale l'adhésion

irrévocable à un engagement international touchant à un domaine inhérent à celle-ci ;

6. Considérant que le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

fondamentales, s'il exclut toute dérogation ou réserve, peut être dénoncé dans les conditions fixées par l'article 58 de

cette Convention ; que, dès lors, il ne porte pas atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté

nationale ;

7. Considérant, en revanche, que ne peut être dénoncé le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte

international relatif aux droits civils et politiques ; que cet engagement lierait irrévocablement la France même dans le

cas où un danger exceptionnel menacerait l'existence de la Nation ; qu'il porte dès lors atteinte aux conditions

essentielles d'exercice de la souveraineté nationale,

Décide :

Article premier.- Le protocole n° 13 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances n'est pas contraire à la Constitution.

Article 2.- L'autorisation de ratifier le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux

droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.

Article 3.- La présente décision sera notifiée au Président de la République et publiée au Journal officiel de la

République française.

38

CEDH – 2 mars 2010 – « Al-Saadoon et Mufdhi c/ Royaume-Uni »

(...)

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

a) Le Protocole no 13 à la Convention et l’abolition de la peine de mort

115. La Cour prend pour point de départ la nature du droit de ne pas être soumis à la peine de mort. Dans les exécutions

judiciaires, les autorités de l’Etat prennent délibérément et de manière préméditée la vie d’un être humain. Quelle que soit la

méthode utilisée, l’extinction d’une vie fait intervenir un certain degré de douleur physique. De plus, le fait pour le condamné de

savoir que l’Etat va lui donner la mort doit inévitablement susciter chez lui une intense souffrance psychique. Les Etats membres

du Conseil de l’Europe ont reconnu que l’imposition et l’exécution de la peine de mort est une négation des droits humains

fondamentaux. Dans le préambule du Protocole no 13 à la Convention, les Etats contractants se sont dits « convaincus que le droit

de toute personne à la vie est une valeur fondamentale dans une société démocratique, et que l’abolition de la peine de mort est

essentielle à la protection de ce droit et à la pleine reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains ».

116. Lorsque la Convention a été rédigée, il y a soixante ans, la peine de mort n’était pas considérée comme contraire aux normes

internationales. Il a donc été prévu une exception au droit à la vie, de sorte que l’article 2 § 1 énonce que « la mort ne peut être

infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est

puni de cette peine par la loi ». Cependant, comme indiqué dans le rapport explicatif du Protocole no 13 à la Convention, il y a eu

par la suite une évolution vers l’abolition complète de facto et de jure de la peine de mort dans les Etats membres du Conseil de

l’Europe (paragraphe 95 ci-dessus, voir également le paragraphe 96 ci-dessus). Le Protocole no 6 à la Convention concernant

l’abolition de la peine de mort, qui abolit la peine de mort sauf pour les « actes commis en temps de guerre ou de danger imminent

de guerre », a été ouvert à la signature le 28 avril 1983 et est entré en vigueur le 1er mars 1985. A la suite de l’ouverture à la

signature du Protocole no 6 à la Convention, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a établi une pratique en vertu de

laquelle les Etats souhaitant rejoindre le Conseil de l’Europe devaient s’engager à appliquer un moratoire immédiat sur les

exécutions, à supprimer la peine de mort de leur législation nationale, et à signer et ratifier le Protocole no 6. Tous les Etats

membres du Conseil de l’Europe ont aujourd’hui signé ce protocole, et tous sauf la Russie l’ont ratifié.

117. En octobre 1997, les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres du Conseil de l’Europe ont appelé à l’« abolition

universelle de la peine de mort » (paragraphe 95 ci-dessus). Dans la Résolution II adoptée à la Conférence ministérielle

européenne sur les droits de l’homme qui s’est tenue les 3 et 4 novembre 2000, le Comité des Ministres a été invité « à examiner

la faisabilité d’un nouveau protocole additionnel à la Convention excluant la possibilité de maintenir la peine de mort pour les

actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ». Le Protocole no 13 à la Convention, qui abolit la peine de

mort en toutes circonstances, a été ouvert à la signature le 3 mai 2002 et est entré en vigueur le 1er juillet 2003. A la date de

l’adoption du présent arrêt, il a été ratifié par quarante-deux Etats membres et signé mais non ratifié par trois autres (Arménie,

Lettonie et Pologne). L’Azerbaïdjan et la Russie sont les seuls à ne pas l’avoir signé. Le Royaume-Uni, pour sa part, l’a signé le 3

mai 2002 et ratifié le 10 octobre 2003, de sorte qu’il est entré en vigueur à l’égard de cet Etat le 1er février 2004.

118. La Cour considère que, pour les Etats liés par ce protocole, le droit de ne pas être soumis à la peine de mort garanti à

l’article 1, qui n’admet aucune dérogation et s’applique en toutes circonstances, est, au même titre que les droits garantis par les

articles 2 et 3 de la Convention, un droit fondamental, qui consacre l’une des valeurs essentielles des sociétés démocratiques qui

composent le Conseil de l’Europe. A ce titre, il doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, mutatis mutandis, Soering,

précité, § 88, et McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 147, série A no 324).

b) L’effet de la signature et de la ratification du Protocole no 13 à la Convention sur l’interprétation des articles 2 et 3 de la

Convention

119. Dans l’arrêt Öcalan (précité), la Cour a examiné le point de savoir si la pratique des Etats contractants pouvait passer pour

témoigner de leur accord pour abroger l’exception prévue par le paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention, qui autorise la peine

capitale dans certaines conditions. Se référant au paragraphe 103 de l’arrêt Soering (précité), elle a dit que s’il fallait interpréter

l’article 2 comme autorisant la peine capitale, il ne serait pas possible d’affirmer que l’article 3 inclut une interdiction générale de

la peine de mort, car le libellé clair du paragraphe 1 de l’article 2 s’en trouverait réduit à néant. Sur ce point, dans l’arrêt Öcalan

(précité, § 163) la Grande Chambre a souscrit à l’avis de la chambre, qui avait tenu le raisonnement suivant :

« (...) La Cour rappelle qu’il ne faut pas perdre de vue le caractère spécifique de traité de garantie collective des droits de

l’homme que revêt la Convention, et que celle-ci ne saurait s’interpréter dans le vide. Elle doit autant que faire se peut

39

s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international dont elle fait partie intégrante (voir, mutatis

mutandis, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI, et Loizidou c. Turquie, 18 décembre 1996, § 43,

Recueil 1996-VI). La Cour doit cependant se pencher d’abord sur les questions d’interprétation et d’application des dispositions

de la Convention soulevées en l’espèce.

(...) Elle rappelle qu’elle a admis dans l’affaire Soering qu’une pratique établie au sein des Etats membres pourrait donner lieu à

une modification de la Convention. Dans cette affaire, la Cour a jugé qu’une pratique ultérieure en matière de politique pénale

nationale, sous la forme d’une abolition généralisée de la peine capitale, pourrait témoigner de l’accord des Etats contractants

pour abroger l’exception ménagée par le paragraphe 1 de l’article 2, donc pour supprimer une limitation explicite aux perspectives

d’interprétation évolutive de l’article 3 (ibidem, § 103). Elle a toutefois estimé que le Protocole no 6 montrait que les Parties

contractantes, pour instaurer l’obligation d’abolir la peine capitale en temps de paix, avaient voulu agir par voie d’amendement,

selon la méthode habituelle, et, qui plus est, au moyen d’un instrument facultatif laissant à chaque Etat le choix du moment où il

assumerait pareil engagement. La Cour a donc conclu que l’article 3 ne saurait s’interpréter comme prohibant en principe la peine

de mort (ibidem, §§ 103-104).

(...) Le requérant conteste le point de vue adopté par la Cour dans l’arrêt Soering. A titre principal, il prétend que ce raisonnement

est vicié puisque le Protocole no 6 ne représente qu’un des moyens par lesquels la pratique des Etats peut être mesurée et qu’il est

avéré que l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe ont, de facto ou de jure, totalement aboli la peine de mort pour

tous les délits et en toutes circonstances. Il soutient que d’un point de vue doctrinal, rien ne s’oppose à ce que les Etats abolissent

la peine de mort à la fois en suivant une pratique abrogative du droit d’invoquer la seconde phrase du paragraphe 1 de l’article 2 et

en reconnaissant formellement ce processus par la ratification du Protocole no 6.

(...) La Cour rappelle que la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles, et que

le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique,

parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés

démocratiques (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 101, CEDH 1999-V).

(...) Elle réaffirme que, pour déterminer s’il faut considérer un traitement ou une peine donnés comme inhumains ou dégradants

aux fins de l’article 3, elle ne peut pas ne pas être influencée par l’évolution et les normes communément acceptées de la politique

pénale des Etats membres du Conseil de l’Europe dans ce domaine (Soering, précité, § 102). En outre, les notions de traitements

et peines inhumains et dégradants ont considérablement évolué depuis l’entrée en vigueur de la Convention en 1950 et, du reste,

depuis l’arrêt que la Cour a rendu dans l’affaire Soering en 1989.

(...) De même, la Cour observe que le traitement juridique de la peine de mort a considérablement évolué depuis qu’elle s’est

prononcée sur l’affaire Soering. D’une abolition de fait dans vingt-deux Etats contractants constatée dans cette affaire en 1989, on

est passé à une abolition de jure dans quarante-trois des quarante-quatre Etats contractants – notamment, très récemment, dans

l’Etat défendeur – et à un moratoire dans le dernier pays qui n’a pas encore aboli cette peine, à savoir la Russie. Cet abandon

pratiquement total en Europe de la peine de mort en temps de paix se traduit par la signature du Protocole no 6 par l’ensemble des

Etats membres et par la ratification de ce Protocole par quarante et un d’entre eux, la Turquie, l’Arménie et la Russie exceptés. En

témoigne également la politique du Conseil de l’Europe, qui exige des nouveaux Etats membres, comme condition préalable à

leur admission dans l’Organisation, qu’ils s’engagent à abolir la peine capitale. Du fait de cette évolution, les territoires relevant

de la juridiction des Etats membres du Conseil de l’Europe forment à présent une zone exempte de la peine de mort.

(...) Il est tout à fait possible de considérer que cette franche tendance traduit à présent un accord des Etats contractants pour

abroger, ou du moins modifier, la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 2, particulièrement lorsque l’on tient compte du

fait que tous les Etats contractants ont déjà signé le Protocole no 6 et que quarante et un d’entre eux l’ont ratifié. On peut se

demander s’il est nécessaire d’attendre la ratification du Protocole no 6 par les trois Etats membres restants pour conclure que

l’exception relative à la peine de mort prévue au paragraphe 1 de l’article 2 a été substantiellement modifiée. Eu égard à la

convergence de tous ces éléments, on peut dire que la peine de mort en temps de paix en est venue à être considérée comme une

forme de sanction inacceptable (...) qui n’est plus autorisée par l’article 2. »

La Grande Chambre, ayant conclu à son tour que l’imposition de la peine de mort en temps de paix était devenue une forme de

sanction inacceptable, s’est ensuite penchée dans l’arrêt Öcalan (précité) sur la question de la peine capitale en toutes

circonstances :

« 164. La Cour rappelle qu’avec l’ouverture à la signature du Protocole no 13 relatif à l’abolition de la peine de mort en toutes

circonstances, les Etats contractants ont choisi de poursuivre leur politique d’abolition selon la méthode habituelle, c’est-à-dire

par voie d’amendement du texte de la Convention. A la date du présent arrêt, trois Etats membres n’ont pas signé ce Protocole, et

seize Etats ne l’ont pas encore ratifié. Cependant, ce pas ultime vers l’abolition totale de la peine de mort en toutes circonstances –

40

c’est-à-dire aussi bien en temps de paix qu’en temps de guerre – peut être vu comme la confirmation de la tendance abolitionniste

que les Etats contractants sont en train de mettre en pratique. Elle ne va pas nécessairement à l’encontre de la thèse selon laquelle

l’article 2 a été amendé en tant qu’il autorise la peine de mort en temps de paix.

165. Pour le moment, le fait qu’il y a encore un nombre élevé d’Etats qui n’ont pas signé ou ratifié le Protocole no 13 peut

empêcher la Cour de constater que les Etats contractants ont une pratique établie de considérer l’exécution de la peine de mort

comme un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention, compte tenu du fait que cette dernière

disposition n’admet aucune dérogation, même en temps de guerre. Toutefois, à l’instar de la chambre, la Grande Chambre juge

inutile de parvenir à une conclusion définitive sur ces points puisque, pour les raisons suivantes, il serait contraire à la

Convention, même si l’article 2 de celle-ci devait être interprété comme autorisant toujours la peine de mort, d’exécuter une telle

peine à l’issue d’un procès inéquitable. »

120. On voit donc que dans l’affaire Öcalan (précitée), la Grande Chambre n’a pas exclu la possibilité que l’article 2 de la

Convention se trouve déjà modifié de telle manière qu’il ne ménage plus d’exception autorisant la peine de mort. De plus, comme

indiqué ci-dessus, la situation a encore évolué depuis : tous les Etats membres sauf deux ont désormais signé le Protocole no 13 à

la Convention, et parmi les signataires, tous sauf trois l’ont ratifié. Ces chiffres, combinés à la pratique constante des Etats qui

observent le moratoire sur la peine capitale, tendent fortement à démontrer que l’article 2 de la Convention interdit aujourd’hui la

peine de mort en toutes circonstances. Dans ce contexte, la Cour estime que le libellé de la deuxième phrase du paragraphe 1 de

l’article 2 n’interdit plus d’interpréter les mots « peine ou traitement inhumain ou dégradant » de l’article 3 comme s’appliquant à

la peine de mort (Soering, précité, §§ 102-104).

121. En vertu de la jurisprudence constante de la Cour, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber

sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée

du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. La Cour

a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il

avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu’un

traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité

propres à les humilier et à les avilir. En recherchant si une peine ou un traitement est « dégradant » au sens de l’article 3, la Cour

examinera si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la

personnalité de celui-ci d’une manière incompatible avec l’article 3. L’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon

définitive un constat de violation de l’article 3. Pour qu’une peine ou le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés

d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte

inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 127,

CEDH 2009-II, avec les références qui s’y trouvent citées).

122. L’article 3, qui prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, consacre l’une des

valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions, et il ne souffre nulle dérogation d’après

l’article 15 même en cas de danger public menaçant la vie de la nation. La prohibition de la torture et des peines ou traitements

inhumains ou dégradants étant absolue, quels que soient les agissements de la personne concernée, la nature de l’infraction

reprochée au requérant est dépourvue de pertinence pour l’examen sous l’angle de l’article 3 (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §

127, CEDH 2008-II).

(...)

41

Conseil constitutionnel – décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010

« M. Daniel W. et autres [Garde à vue] »

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er juin 2010 par la Cour de cassation (arrêt n° 12030 du 31 mai 2010), dans les

conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité (…) relative à la

conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62, 63, 63-1, 63-4, 77 et 706-73 du code de

procédure pénale relatifs au régime de la garde à vue. (…)

8. Considérant que les requérants font valoir, en premier lieu, que les conditions matérielles dans lesquelles la garde à

vue se déroule méconnaîtraient la dignité de la personne ;

9. Considérant qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que le pouvoir donné à l'officier de police judiciaire de placer une

personne en garde à vue méconnaîtrait le principe selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté

individuelle ; que le procureur de la République ne serait pas une autorité judiciaire indépendante ; qu'il ne serait

informé qu'après la décision de placement en garde à vue ; qu'il a le pouvoir de la prolonger et que cette décision peut

être prise sans présentation de la personne gardée à vue ;

10. Considérant qu'ils estiment, en troisième lieu, que le pouvoir donné à l'officier de police judiciaire de placer en

garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a

commis ou tenté de commettre une infraction constitue un pouvoir arbitraire qui méconnaît le principe résultant de

l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui prohibe toute rigueur qui ne serait pas

nécessaire pour s'assurer d'une personne mise en cause ;

11. Considérant que les requérants font valoir, en quatrième lieu, que la personne gardée à vue n'a droit qu'à un

entretien initial de trente minutes avec un avocat et non à l'assistance de ce dernier ; que l'avocat n'a pas accès aux

pièces de la procédure et n'assiste pas aux interrogatoires ; que la personne gardée à vue ne reçoit pas notification de

son droit de garder le silence ; que, dès lors, le régime de la garde à vue méconnaîtrait les droits de la défense, les

exigences d'une procédure juste et équitable, la présomption d'innocence et l'égalité devant la loi et la justice ; qu'en

outre, le fait que, dans les enquêtes visant certaines infractions, le droit de s'entretenir avec un avocat soit reporté à la

quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure de garde à vue méconnaîtrait les mêmes exigences ; (…)

- SUR LES ARTICLES 62, 63, 63-1, 63-4, ALINÉAS 1er À 6, ET 77 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :

14. Considérant que, dans sa décision susvisée du 11 août 1993, le Conseil constitutionnel n'a pas spécialement examiné

les articles 63, 63 1, 63-4 et 77 du code de procédure pénale ; que, toutefois, il a déclaré conformes à la Constitution les

modifications apportées à ces articles par les dispositions alors soumises à son examen ; que ces dispositions étaient

relatives aux conditions de placement d'une personne en garde à vue et à la prolongation de cette mesure, au contrôle de

celle-ci par le procureur de la République et au droit de la personne gardée à vue d'avoir un entretien de trente minutes

avec un avocat ; que, postérieurement à la loi susvisée du 24 août 1993, ces articles du code de procédure pénale ont été

modifiés à plusieurs reprises ; que les dispositions contestées assurent, en comparaison de celles qui ont été examinées

par le Conseil dans sa décision du 11 août 1993, un encadrement renforcé du recours à la garde à vue et une meilleure

protection des droits des personnes qui en font l'objet ;

15. Considérant toutefois que, depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des

changements dans les conditions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue

et modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale ;

16. Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et

représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action publique en matière correctionnelle ; que,

postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales a été

généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l'action publique est prise sur le

rapport de l'officier de police judiciaire avant qu'il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise

en œuvre de l'action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l'objectif de

bonne administration de la justice, il n'en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits

complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments

42

de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire pendant celle-ci

; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du

jugement de la personne mise en cause ;

17. Considérant, en outre, que, dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985 susvisées,

l'article 16 du code de procédure pénale fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d'officier de police

judiciaire, seules habilitées à décider du placement d'une personne en garde à vue ; que cet article a été modifié par

l'article 2 de la loi du 1er févier 1994, l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article 20 de la loi du 22 juillet 1996, la

loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que

ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police

judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et

2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire est passé de 25

000 à 53 000 ;

18. Considérant que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions

mineures ; qu'elles ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des éléments sur le

fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été

décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la

constitutionnalité des dispositions contestées ;

En ce qui concerne le grief tiré de l'atteinte à la dignité de la personne :

19. Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race,

de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne

contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur

constitutionnelle ;

20. Considérant qu'il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce

que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ; qu'il

appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code

de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de

réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d'ordonner la réparation des

préjudices subis ; que la méconnaissance éventuelle de cette exigence dans l'application des dispositions législatives

précitées n'a pas, en elle-même, pour effet d'entacher ces dispositions d'inconstitutionnalité ; que, par suite, s'il est

loisible au législateur de les modifier, les dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ne portent pas

atteinte à la dignité de la personne ;

En ce qui concerne les autres griefs :

21. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni

détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient,

exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi

doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance » ; qu'aux termes de son article 9 : « Tout homme étant

présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne

serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article 16 dispose

: « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point

de Constitution » ;

22. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la procédure pénale ;

qu'aux termes de son article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. ° L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté

individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;

23. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ

d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter

une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ;

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24. Considérant, en outre, qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des

atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de

principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au

nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789, et

la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ;

25. Considérant qu'en elles-mêmes, les évolutions rappelées ci-dessus ne méconnaissent aucune exigence

constitutionnelle ; que la garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police

judiciaire ; que, toutefois, ces évolutions doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la

garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ;

26. Considérant que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ; que l'intervention d'un

magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures ; qu'avant la fin de

cette période, le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République qui peut

décider, le cas échéant, de sa prolongation de vingt-quatre heures ; qu'il résulte des articles 63 et 77 du code de

procédure pénale que le procureur de la République est informé dès le début de la garde à vue ; qu'il peut ordonner à

tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté ; qu'il lui appartient d'apprécier

si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à

l'enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est suspectée d'avoir commis ; que, par suite, le grief tiré

de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution doit être écarté ;

27. Considérant cependant, d'une part, qu'en vertu des articles 63 et 77 du code de procédure pénale, toute personne

suspectée d'avoir commis une infraction peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire pendant une

durée de vingt-quatre heures quelle que soit la gravité des faits qui motivent une telle mesure ; que toute garde à vue

peut faire l'objet d'une prolongation de vingt-quatre heures sans que cette faculté soit réservée à des infractions

présentant une certaine gravité ;

28. Considérant, d'autre part, que les dispositions combinées des articles 62 et 63 du même code autorisent

l'interrogatoire d'une personne gardée à vue ; que son article 63-4 ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors

qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ; qu'une telle restriction aux

droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la

justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu'au demeurant, la personne

gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ;

29. Considérant que, dans ces conditions, les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure

pénale n'instituent pas les garanties appropriées à l'utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions

précédemment rappelées ; qu'ainsi, la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la

recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus

être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de

1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :

30. Considérant, d'une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de même

nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles de procédure pénale

qui doivent être choisies pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée ; que, d'autre part, si, en principe, une

déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité,

l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l'ordre

public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives ; qu'il y a

lieu, dès lors, de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à

cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à

la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité (…)

44

Arrêt n° 592 du 15 avril 2011 (10-30.316) - Cour de cassation - Assemblée plénière

Demandeur(s) : Procureur général près la cour d'appel de Rennes

Défendeur(s) : Mme X...

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée (Rennes, 25 janvier 2010), rendue par le premier président d’une cour d’appel et les pièces de

la procédure, que Mme X..., de nationalité chinoise, en situation irrégulière en France, a été placée en garde à vue le 19 janvier

2010 à 16 heures ; qu’elle a demandé à s'entretenir avec un avocat commis d'office ; que l’avocat de permanence en a été informé à

16 heures 30 ; que Mme X... a été entendue par les services de police de 16 heures 30 à 17 heures 10 ; qu’elle s'est entretenue avec

un avocat de 17 heures 15 à 17 heures 45 ; que le préfet de la Vienne lui a notifié un arrêté de reconduite à la frontière et une

décision de placement en rétention administrative le 20 janvier 2010 ; que ce dernier a saisi un juge des libertés et de la détention

d’une demande de prolongation de la rétention ; que Mme X... a soutenu qu’elle n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat

dès le début de sa garde à vue et pendant son interrogatoire ; que le procureur général près la cour d’appel a interjeté appel de la

décision ayant constaté l’irrégularité de la procédure ;

Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Rennes fait grief à l’ordonnance de refuser la prolongation de la rétention

et d’ordonner la mise en liberté de Mme X..., alors, selon le moyen :

1°/ que par application de l’article 46 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un Etat

n’est tenu que de se conformer aux décisions rendues dans les litiges auxquels il est directement partie ;

2°/ que, de l’article 63-4 du code de procédure pénale, il résulte qu’en droit français, les personnes gardées à vue pour une

infraction de droit commun ont toutes accès à un avocat qui peut intervenir avant même le premier interrogatoire réalisé par les

enquêteurs puisque, aux termes de cet article, dès le début de la garde à vue, la personne peut demander à s’entretenir avec un

avocat, au besoin commis d’office par le bâtonnier ; que s’il ne peut assister aux interrogatoires du mis en cause, l’avocat, qui est

informé de la nature et de la date présumée de l’infraction sur laquelle porte l’enquête, peut toutefois s’entretenir avec le gardé à

vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l’entretien et qu’à l’issue de cet entretien, d’une durée maximale de

trente minutes, il peut présenter des observations écrites qui sont jointes à la procédure ;

3°/ qu’aucune disposition de procédure pénale, d’une part, n’impose à l’officier de police judiciaire de différer l’audition d’une

personne gardée à vue dans l’attente de l’arrivée de l’avocat assurant l’entretien prévu, d’autre part, n’exige de l’avocat désigné

pour assister le gardé-à-vue qu’il informe l’officier de police judiciaire et le gardé-à-vue de sa décision d’intervenir ou non et de

l’éventuel moment de son intervention ;

Mais attendu que les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus

de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié

leur législation ;

Et attendu qu’après avoir retenu qu'aux termes de ses arrêts Salduz c/ Turquie et Dayanan c/ Turquie, rendus les 27 novembre 2008

et 13 octobre 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que, pour que le droit à un procès équitable, consacré par

l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde, soit effectif et concret, il fallait, en règle générale, que la personne placée en garde à

vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires, le premier président, qui a

relevé que, alors que Mme X... avait demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure, il avait été procédé,

immédiatement et sans attendre l’arrivée de l’avocat, à son interrogatoire, en a exactement déduit que la procédure n’était pas

régulière, et décidé qu’il n’y avait pas lieu de prolonger la rétention ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du

pourvoi ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

45

CE, ord., 22 décembre 2012, « Section française de l'observatoire international des prisons et autres »

(...)

o 1. Considérant que les requêtes de la Section française de l'observatoire international des prisons, du Syndicat des

avocats de France, du Conseil national des barreaux et de l'Ordre des avocats au barreau de Marseille sont dirigées

contre la même ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille ; qu'il y a lieu de les joindre

pour statuer par une seule ordonnance ;

o 2. Considérant qu'à la suite de la publication au Journal officiel de la République française du 6 décembre 2012

des recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté du 12 novembre 2012 relatives à la

situation du centre pénitentiaire des Baumettes, qui a été inspecté du 8 au 19 octobre 2012, la Section française de

l'observatoire international des prisons a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur le

fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, lui demandant de prendre toutes mesures utiles

pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des détenus du

centre pénitentiaire de Marseille ; que, par une ordonnance du 13 décembre 2012, le juge des référés du tribunal

administratif de Marseille a partiellement fait droit à ses demandes, en enjoignant à l'administration pénitentiaire de

s'assurer que chaque cellule dispose d'un éclairage artificiel et d'une fenêtre en état de fonctionnement, de faire

procéder à l'enlèvement des détritus dans les parties collectives et les cellules et de modifier la méthode de

distribution des repas ; qu'en revanche, il a rejeté les conclusions tendant à ce qu'il soit procédé, d'une part, à une

inspection de l'ensemble des cellules en vue d'une sécurisation immédiate des installations électriques, d'y retirer

tout objet dangereux susceptible d'entraîner des blessures accidentelles ou volontaires et d'y garantir un accès

effectif à l'eau courante et, d'autre part, à la détermination et à la mise en oeuvre de mesures d'éradication des

espèces nuisibles présentes dans l'établissement ; que la Section française de l'observatoire international des prisons,

le Syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux et l'Ordre des avocats au barreau de Marseille

relèvent appel, dans cette mesure, de cette ordonnance devant le juge des référés du Conseil d'État ;

Sur la recevabilité des appels formés par le Syndicat des avocats de France, le Conseil national des barreaux et

l'Ordre des avocats au barreau de Marseille :

o 3. Considérant qu'eu égard à l'objet et aux caractéristiques du référé liberté, l'intérêt à saisir le juge des référés sur

le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative est subordonné à des conditions particulières et

différentes de celles qui s'appliquent pour le référé suspension ;

o 4. Considérant qu'eu égard à leur objet statutaire, le Syndicat des avocats de France et le Conseil national des

barreaux n'auraient pas eu intérêt à saisir le juge des référés du tribunal administratif de Marseille des conclusions de

la section française de l'observatoire international des prisons au soutien desquelles ils sont intervenus ; qu'ils ne

sont donc pas recevables à faire appel de l'ordonnance attaquée ; qu'en revanche, l'Ordre des avocats au barreau de

Marseille qui regroupe des avocats directement appelés à exercer leur office au sein du centre pénitentiaire des

Baumettes aurait eu intérêt à saisir le juge des référés du premier degré des conclusions au soutien desquelles il est

intervenu ; que son appel est, par suite, recevable ;

Sur l'intervention du Syndicat de la magistrature et celles présentées, à titre subsidiaire par le Syndicat des avocats

de France et le Conseil national des barreaux :

o 5. Considérant que le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France et le Conseil national des

barreaux ont intérêt à l'annulation partielle de l'ordonnance attaquée ; que leurs interventions sont, par suite,

recevables ;

Sur le cadre juridique du litige :

o 6. Considérant qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : « L'administration

pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits » ; qu'eu égard à la

vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci,

et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les

46

mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le

respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention

européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le droit au respect de la vie ainsi

que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales

au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative ; que, lorsque la carence de l'autorité

publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière

caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces

libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de

quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2

précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ;

Sur les conclusions tendant à ce que soit ordonnée une inspection de l'ensemble des cellules individuelles du centre

pénitentiaire des Baumettes :

o 7. Considérant que les requérants demandent qu'il soit enjoint à l'administration pénitentiaire d'ordonner une

inspection de l'ensemble des cellules individuelles du centre pénitentiaire des Baumettes, en vue, en premier lieu,

d'assurer la sécurisation des équipements électriques, en deuxième lieu, d'y prélever tout objet dangereux pour les

détenus ou le personnel pénitentiaire et, en troisième lieu, de garantir un accès effectif à l'eau courante ;

o 8. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction qu'après l'avis émis le 29 avril 2011 par la sous-commission

départementale (incendie), qui a été versé au dossier par le garde des sceaux, ministre de la justice, et qui demandait

la fermeture des locaux de l'établissement, des travaux ont été entrepris à compter du deuxième trimestre 2011, afin

de rénover l'ensemble du système électrique de l'établissement conformément aux prescriptions de la sous-

commission ; que ces travaux, pour partie achevés et pour partie en cours de réalisation, ont permis d'engager une

mise aux normes de l'établissement au regard de l'exigence de sécurité, notamment en matière de prévention contre

le risque d'incendies ; qu'ils devront notamment permettre de rénover l'équipement électrique de l'ensemble des

parties communes ;

o 9. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction ainsi que des échanges à l'audience que, postérieurement

aux recommandations du contrôleur général du 12 novembre 2012, le chef d'établissement du centre pénitentiaire

des Baumettes a fait procéder, par une équipe de surveillants, à l'inspection de l'ensemble des cellules individuelles

que compte cet établissement ; que cette inspection, achevée le 20 décembre 2012, avait notamment pour objet de

vérifier l'état des équipements électriques, de la plomberie ainsi que des huisseries de chacune de ces cellules ;

qu'elle a en outre permis d'effectuer un prélèvement des bris de verres correspondant aux carreaux cassés de

certaines cellules ; qu'à l'issue de ce contrôle systématique, il apparaît, au vu des éléments fournis par

l'administration pénitentiaire, que 32 cellules présentent un problème lié à l'alimentation en eau courante, 131

comportent une chasse d'eau défectueuse et 121 présentent un problème au regard de l'équipement électrique,

notamment en ce qui concerne l'éclairage intérieur ; qu'au vu de cet état des lieux, il a été décidé la fermeture

immédiate de huit cellules eu égard à leur état incompatible avec l'hébergement des détenus ; qu'en ce qui concerne

les autres cellules présentant des dysfonctionnements, le chef d'établissement a décidé la réalisation, dans les plus

brefs délais, des travaux de réfection qu'appelle, sans attendre la mise en oeuvre du programme de rénovation des

cellules engagé par ailleurs, leur nécessaire remise en état, en particulier s'agissant de la sécurité des équipements

électriques, de l'enlèvement de tout objet dangereux et de l'accès effectif à l'eau courante ; qu'afin de permettre la

réalisation de ces travaux au rythme annoncé par l'administration pénitentiaire de 5 cellules par jour en ce qui

concerne l'approvisionnement en eau et de 10 par jour en ce qui concerne les équipements électriques, des bons de

commandes d'un montant global d'environ 60 000 EUR correspondant notamment à des matériels d'huisserie et

d'électricité ont été émis ; que six intérimaires, compétents en matière d'électricité, de plomberie et de menuiserie,

ont été recrutés à compter du 18 décembre 2012 afin de renforcer les effectifs de l'établissement ; que, dans ces

conditions, tant les mesures effectivement entreprises afin de remédier à une situation qui était, ainsi que le relève le

contrôleur général dans ses recommandations publiques, de nature à porter une atteinte grave et manifestement

illégale aux libertés fondamentales des détenus, ainsi d'ailleurs que, dans une certaine mesure, à celle des personnels

pénitentiaires, que les engagements pris par l'administration pénitentiaire afin de rétablir, au plus vite, la sécurité de

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l'ensemble des détenus au regard des risques d'électrisation et d'électrocution ainsi que le fonctionnement normal de

la distribution d'eau courante au sein de l'établissement rendent inutile la prescription, dans le bref délai prévu par

l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, par le juge des référés du Conseil d'État de mesures

supplémentaires ;

Sur les conclusions tendant à ce que soient ordonnées la détermination et la mise en œuvre des mesures permettant

l'éradication des espèces nuisibles présentes dans les locaux de l'établissement :

o 10. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des éléments rapportés à l'audience par la représentante

du contrôleur général des lieux de privation de liberté qui a été mis en cause pour observations dans les présentes

instances, que les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes sont infestés d'animaux nuisibles ; que les rats y

prolifèrent et y circulent, en particulier la nuit ; que de nombreux insectes, tels des cafards, cloportes et moucherons,

colonisent les espaces communs ainsi que certaines cellules, y compris les réfrigérateurs des détenus ; qu'en raison

d'une carence du service d'entretien général, il apparaît que des cadavres de rats peuvent rester plusieurs jours

consécutifs sur place avant d'être prélevés ; qu'une telle situation, que l'administration pénitentiaire ne conteste pas,

affecte la dignité des détenus et est de nature à engendrer un risque sanitaire pour l'ensemble des personnes

fréquentant l'établissement, constituant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté

fondamentale ;

o 11. Considérant, il est vrai, que l'administration pénitentiaire, qui a pris la mesure de cette situation, a commencé

d'y porter remède ; que, d'une part, 36 détenus ont été affectés à compter du mois de décembre 2012 au service

général de l'établissement afin de renforcer les effectifs dévolus à l'entretien et à l'hygiène dans les locaux ; que,

d'autre part, dans le cadre du contrat qui lie l'établissement à un prestataire de services chargé d'assurer la

dératisation et la désinsectisation des locaux, l'administration pénitentiaire a augmenté la fréquence des interventions

curatives, la dernière ayant eu lieu le 10 décembre 2012 et les prochaines devant normalement intervenir les 26

décembre 2012 et 11 janvier 2013 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que ces modalités d'action restent, en

dépit des progrès qu'elles constituent, et ainsi que l'ont reconnu l'ensemble des parties à l'audience, insuffisantes

pour remédier de manière efficace à cette situation d'atteinte caractérisée à une liberté fondamentale ; qu'il y a donc

lieu, eu égard à l'urgence qui s'attache au prononcé de mesures de sauvegarde sur ce point, de prescrire à

l'administration de prendre, dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, toutes

les mesures utiles susceptibles de faire cesser au plus vite une telle situation, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette

injonction d'une astreinte ; que ces mesures doivent, en premier lieu, permettre la réalisation, au vu de la situation

actuelle, d'un diagnostic des prestations appropriées à la lutte contre les animaux nuisibles, dans la perspective de la

définition d'un nouveau cahier des charges pour la conclusion d'un nouveau contrat, après l'expiration, en mars 2013,

de celui actuellement en vigueur ; qu'en effet, ce contrat devra prévoir des modalités et une fréquence des

interventions préventives comme curatives adéquates à la situation effectivement observée au sein de l'établissement

des Baumettes ; que ces mesures doivent, en second lieu, permettre d'identifier une solution de court terme

proportionnée à l'ampleur des difficultés constatées, sans attendre la définition du nouveau cahier des charges et sans

préjudice des interventions devant être effectuées dans le cadre du contrat actuellement en vigueur ; qu'en effet, il

appartient à l'administration pénitentiaire de faire procéder, dans les plus brefs délais, selon les modalités juridiques

et techniques les plus appropriées, et dans toute la mesure compatible avec la protection de la santé des détenus et

des autres personnes fréquentant l'établissement ainsi qu'avec la nécessité de garantir la continuité du service public

pénitentiaire, à une opération d'envergure susceptible de permettre la dératisation et la désinsectisation de l'ensemble

des locaux du centre pénitentiaire des Baumettes ;

o 12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Section française de l'observatoire international des

prisons et l'Ordre des avocats au barreau de Marseille sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que le premier

juge a rejeté, par l'ordonnance attaquée, les conclusions tendant à la détermination et à la mise en œuvre de mesures

appropriées à l'éradication des animaux nuisibles présents dans les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes ;

(...)

48

CEDH, 2e sect., 8 janvier 2013, « Torreggiani et a. c/ Italie »

Principes établis dans la jurisprudence de la Cour

o 65. La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains

inconvénients. Toutefois, elle rappelle que l'incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis

par la Convention. Au contraire, dans certains cas, la personne incarcérée peut avoir besoin d'une protection accrue en

raison de la vulnérabilité de sa situation et parce qu'elle se trouve entièrement sous la responsabilité de l'État. Dans ce

contexte, l'article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive qui consiste à s'assurer que tout prisonnier est

détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de

la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable

de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-

être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudla c. Pologne (GC), n° 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI).

o 66. S'agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les

allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant

lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c.

Estonie, n° 64812/01, 8 novembre 2005).

o 67. Lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d'espace dans un établissement

pénitentiaire peut constituer l'élément central à prendre en compte dans l'appréciation de la conformité d'une situation

donnée à l'article 3 (voir, en ce sens, Karalevicius c. Lituanie, n° 53254/99, 7 avril 2005). (...)

Application des principes susmentionnés aux présentes affaires (...)

o 72. Sensible à la vulnérabilité particulière des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l'État,

telles les personnes détenues, la Cour réitère que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une

application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe à celui qui affirme) car,

inévitablement, le gouvernement défendeur est parfois seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou

d'infirmer les affirmations du requérant (Khoudoyorov c. Russie, n° 6847/02, § 113, CEDH 2005-X (extraits) ; et

Benediktov c. Russie, n° 106/02, § 34, 10 mai 2007 ; Branduse c. Roumanie, n° 6586/03, § 48, 7 avril 2009 ; Ananyev

et autres c. Russie, précité, § 123). Il s'ensuit que le simple fait que la version du Gouvernement contredit celle fournie

par le requérant ne saurait, en l'absence de tout document ou explication pertinents de la part du Gouvernement, amener

la Cour à rejeter des allégations de l'intéressé comme non étayées (Ogica c. Roumanie, n° 24708/03, § 43, 27 mai

2010).

o 73. Dès lors, dans la mesure où le Gouvernement n'a pas soumis à la Cour des informations pertinentes propres à

justifier ses affirmations, la Cour examinera la question des conditions de détention des requérants sur la base des

allégations des intéressés et à la lumière de l'ensemble des informations en sa possession.

o 74. A cet égard, elle note que les versions des requérants détenus à Piacenza sont unanimes quant aux dimensions de

leurs cellules. De plus, la circonstance que la majorité des locaux de détention dudit établissement mesurent 9m² est

confirmée par les ordonnances du juge d'application des peines de Reggio Emilia (paragraphe 11 ci-dessus). S'agissant

du nombre de personnes accueillies dans les cellules, le Gouvernement n'a présenté aucun document pertinent extrait

des registres de la prison, alors qu'il est le seul à avoir accès à ce genre d'informations, tout en reconnaissant que la

situation de surpeuplement à la prison de Piacenza a rendu nécessaire le placement d'une troisième personne dans

certaines cellules de l'établissement.

o 75. En l'absence de tout document prouvant le contraire et compte tenu de la situation de surpeuplement généralisé à

la prison de Piacenza, la Cour n'a aucune raison de douter des allégations de MM. Sela, Ghisoni, Hajjoubi et Haili selon

lesquelles ils ont partagé leurs cellules avec deux autres personnes, disposant ainsi, à l'instar de MM. Torreggiani,

Bamba et Biondi (voir paragraphe 70 ci-dessus), d'un espace vital individuel de 3 m². Elle observe que cet espace était

par ailleurs encore restreint par la présence de mobilier dans les cellules.

49

o 76. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les requérants n'ont pas bénéficié d'un espace de vie conforme aux

critères qu'elle a jugés acceptables par sa jurisprudence. Elle souhaite rappeler encore une fois dans ce contexte que la

norme en matière d'espace habitable dans les cellules collectives recommandée par le CPT est de quatre mètres carrés

(Ananyev et autres, précité, §§ 144 et 145).

o 77. La Cour observe ensuite que le manque d'espace sévère dont les sept requérants ont souffert pendant des périodes

comprises entre quatorze mois et cinquante-quatre mois (paragraphes 6 et 7 ci-dessus), qui représente en soi un

traitement contraire à la Convention, semble avoir été encore aggravé par d'autres traitements allégués par les

intéressés. Le manque d'eau chaude dans les deux établissements pendant de longues périodes, qui a été reconnu par le

Gouvernement, ainsi que l'éclairage et la ventilation insuffisants dans les cellules de la prison de Piacenza, sur lesquels

le Gouvernement ne s'est pas exprimé, n'ont pas manqué d'engendrer chez les requérants une souffrance

supplémentaire, bien que ne constituant pas en soi un traitement inhumain et dégradant.

o 78. Même si la Cour admet qu'en l'espèce rien n'indique qu'il y ait eu intention d'humilier ou de rabaisser les

requérants, l'absence d'un tel but ne saurait exclure un constat de violation de l'article 3 (voir, parmi d'autres, Peers c.

Grèce, n° 28524/95, § 74, CEDH 2001 III). La Cour estime que les conditions de détention en cause, compte tenu

également de la durée d'incarcération des requérants, ont soumis les intéressés à une épreuve d'une intensité qui

excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

o 79. Partant, il y a eu violation de l'article 3 de la Convention.

III. Sur l'application de l'article 46 de la Convention (... )

B. Appréciation de la Cour

Principes généraux pertinents (...)

o 86. La procédure d'arrêt pilote a pour objet de faciliter la résolution la plus rapide et la plus effective d'un

dysfonctionnement systémique affectant la protection du droit conventionnel en cause dans l'ordre juridique interne

(Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), n° 50003/99, § 34, CEDH 2007 (extraits)). Si elle doit tendre principalement

au règlement de ces dysfonctionnements et à la mise en place, le cas échéant, de recours internes effectifs permettant de

dénoncer les violations commises, l'action de l'État défendeur peut aussi comprendre l'adoption de solutions ad hoc

telles que des règlements amiables avec les requérants ou des offres unilatérales d'indemnisation, en conformité avec

les exigences de la Convention (Bourdov (n° 2), précité, § 127).

Application en l'espèce des principes susmentionnés

a) Sur l'existence d'une situation incompatible avec la Convention appelant l'application de la procédure de l'arrêt

pilote en l'espèce

o 87. La Cour vient de constater que la surpopulation carcérale en Italie ne concerne pas exclusivement les cas des

requérants (paragraphe 54 ci-dessus). Elle relève notamment que le caractère structurel et systémique du

surpeuplement carcéral en Italie ressort clairement des données statistiques indiquées plus haut ainsi que des termes de

la déclaration de l'état d'urgence au niveau national proclamée par le président du Conseil des ministres italien en 2010

(paragraphes 23-29 ci-dessus).

o 88. L'ensemble de ces données fait apparaître que la violation du droit des requérants de bénéficier de conditions de

détention adéquates n'est pas la conséquence d'incidents isolés mais tire son origine d'un problème systémique résultant

d'un dysfonctionnement chronique propre au système pénitentiaire italien, qui a touché et est susceptible de toucher

encore à l'avenir de nombreuses personnes (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne, précité, § 189). Selon la

Cour, la situation constatée en l'espèce est, dès lors, constitutive d'une pratique incompatible avec la Convention

(Bottazzi c. Italie (GC), n° 34884/97, § 22, CEDH 1999 V ; Bourdov (n° 2), précité, § 135).

o 89. Par ailleurs, le caractère structurel du problème identifié dans les présentes affaires est confirmé par le fait que

plusieurs centaines de requêtes dirigées contre l'Italie et soulevant un problème de compatibilité avec l'article 3 de la

50

Convention des conditions de détention inadéquates liées à la surpopulation carcérale dans différentes prisons italiennes

sont actuellement pendantes devant elle. Le nombre de ce type de requêtes ne cesse d'augmenter.

o 90. Conformément aux critères établis dans sa jurisprudence, la Cour décide d'appliquer la procédure de l'arrêt pilote

en l'espèce, eu égard au nombre croissant de personnes potentiellement concernées en Italie et aux arrêts de violation

auxquels les requêtes en question pourraient donner lieu (Maria Atanasiu et autres c. Roumanie, nos 30767/05 et

33800/06, §§ 217-218, 12 octobre 2010). Elle relève aussi le besoin urgent d'offrir aux personnes concernées un

redressement approprié à l'échelon national (Bourdov (n° 2), précité, §§ 129-130).

b) Mesures à caractère général (...)

o 95. Il n'appartient pas à la Cour d'indiquer aux États des dispositions concernant leurs politiques pénales et

l'organisation de leur système pénitentiaire. Ces processus soulèvent un certain nombre de questions complexes d'ordre

juridique et pratique qui, en principe, dépassent la fonction judiciaire de la Cour. Néanmoins, elle souhaite rappeler

dans ce contexte les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe invitant les États à inciter les

procureurs et les juges à recourir aussi largement que possible aux mesures alternatives à la détention et à réorienter

leur politique pénale vers un moindre recours à l'enfermement dans le but, entre autres, de résoudre le problème de la

croissance de la population carcérale (voir, notamment, les recommandations du Comité des Ministres Rec(99)22 et

Rec(2006)13). (...)

Par ces motifs, la Cour, à l'unanimité, (...)

o 3. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;

o 4. Dit que l'État défendeur devra, dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu

définitif en vertu de l'article 44, § 2 de la Convention, mettre en place un recours ou un ensemble de recours internes

effectifs aptes à offrir un redressement adéquat et suffisant dans les cas de surpeuplement carcéral, et ce conformément

aux principes de la Convention tels qu'établis dans la jurisprudence de la Cour ;

o 5. Dit que, en attendant l'adoption des mesures ci-dessus, la Cour ajournera, pendant une durée d'un an à compter de

la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif, la procédure dans toutes les affaires non encore communiquées

ayant pour unique objet le surpeuplement carcéral en Italie tout en se réservant faculté, à tout moment, de déclarer

irrecevable une affaire de ce type ou de la rayer du rôle à la suite d'un accord amiable entre les parties ou d'un

règlement du litige par d'autres moyens, conformément aux articles 37 et 39 de la Convention ; (...)

51

CE, ord. 26 août 2016, « Ligue des droits de l'Homme et a. »

(…) Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule et l’article 1er ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;

- le code de justice administrative ; (…)

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu’est constituée une situation d’urgence particulière,

justifiant qu’il se prononce dans de brefs délais, le juge des référés peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une

liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.

2. Des arrêtés du maire de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes) du 20 juin 2014 puis du 18 juillet 2016 ont réglementé l’usage

des plages concédées à la commune par l’Etat. Ces arrêtés ont été abrogés et remplacés par un nouvel arrêté du 5 août 2016 qui

comporte un nouvel article 4.3 aux termes duquel : « Sur l’ensemble des secteurs de plage de la commune, l’accès à la baignade

est interdit, du 15 juin au 15 septembre inclus, à toute personne ne disposant pas d’une tenue correcte, respectueuse des bonnes

mœurs et du principe de laïcité, et respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public

maritime. Le port de vêtements, pendant la baignade, ayant une connotation contraire aux principes mentionnés ci-avant est

strictement interdit sur les plages de la commune ». Ainsi que l’ont confirmé les débats qui ont eu lieu au cours de l’audience

publique, ces dispositions ont entendu interdire le port de tenues qui manifestent de manière ostensible une appartenance

religieuse lors de la baignade et, en conséquence, sur les plages qui donnent accès à celle-ci.

3. Deux requêtes ont été présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Nice pour demander, sur le fondement

de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de ces dispositions de l’article 4.3 de l’arrêté

du maire de Villeneuve-Loubet. La première de ces requêtes a été introduite par la Ligue des droits de l’homme, M. Hervé

Lavisse et M. Henri Rossi, la seconde par l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en

France. Par une ordonnance du 22 août 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant en formation

collégiale de trois juges des référés, a rejeté ces deux requêtes. La Ligue des droits de l’homme, M. Hervé Lavisse et M. Henri

Rossi, d’une part, l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France, d’autre part, font

appel de cette ordonnance par deux requêtes qui présentent à juger les mêmes questions et qu’il y a lieu de joindre.

4. En vertu de l’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif

du préfet, de la police municipale qui, selon l’article L. 2212-2 de ce code, « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la

sécurité et la salubrité publiques ». L’article L. 2213-23 dispose en outre que : « Le maire exerce la police des baignades et des

activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés…Le maire réglemente

l’utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d’urgence à toutes les mesures d’assistance

et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante

pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance… ».

52

5. Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 4 du maintien de l’ordre dans la commune, il doit concilier

l’accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le

maire d’une commune du littoral édicte en vue de réglementer l’accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être

adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l’ordre public, telles qu’elles découlent des

circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu’impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade

ainsi que l’hygiène et la décence sur la plage. Il n’appartient pas au maire de se fonder sur d’autres considérations et les

restrictions qu’il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d’atteinte à l’ordre public.

6. Il ne résulte pas de l’instruction que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté, sur les plages de la commune de

Villeneuve-Loubet, de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. S’il a été fait état au cours de l’audience

publique du port sur les plages de la commune de tenues de la nature de celles que l’article 4.3 de l’arrêté litigieux entend

prohiber, aucun élément produit devant le juge des référés ne permet de retenir que de tels risques en auraient résulté. En

l’absence de tels risques, l’émotion et les inquiétudes résultant des attentats terroristes, et notamment de celui commis à Nice le

14 juillet dernier, ne sauraient suffire à justifier légalement la mesure d’interdiction contestée. Dans ces conditions, le maire ne

pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l’accès à la plage et la baignade alors

qu’elles ne reposent ni sur des risques avérés de troubles à l’ordre public ni, par ailleurs, sur des motifs d’hygiène ou de décence.

L’arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller

et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Les conséquences de l’application de telles dispositions sont en

l’espèce constitutives d’une situation d’urgence qui justifie que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article

L. 521-2 du code de justice administrative. Il y a donc lieu d’annuler l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif

de Nice du 22 août 2016 et d’ordonner la suspension de l’exécution de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet en

date du 5 août 2016.

7. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la

charge de la Ligue des droits de l’homme, de M. Lavisse, de M. Rossi et de l’Association de défense des droits de l’homme

Collectif contre l’islamophobie en France. Il n’y pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la

commune de Villeneuve-Loubet, en application de ces dispositions, les sommes que demandent, d’une part, la Ligue des droits

de l’homme, M. Lavisse et M. Rossi, d’autre part l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie

en France.

O R D O N N E :

Article 1er

: L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice en date du 22 août 2016 est annulée.

Article 2 : L’exécution de l’article 4.3 de l’arrêté du maire de Villeneuve-Loubet en date du 5 août 2016 est suspendue.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Villeneuve-Loubet et celles de la Ligue des droits de l’homme, de M. Lavisse, de

M. Rossi, et de l’Association de défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France tendant à l’application

de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4. La présente ordonnance sera notifiée à la Ligue des droits de l’homme, à M. Lavisse, à M. Rossi, à l’Association de

défense des droits de l’homme Collectif contre l’islamophobie en France, à la commune de Villeneuve-Loubet et au ministre de

l’intérieur.

53

CE, 11 décembre 2015, « Domenjoud »

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux (Section du contentieux) - Sur le rapport de la 2ème

sous-section de la section du

contentieux

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise, sur le fondement de l'article L. 521 2 du

code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 25 novembre 2015 par lequel le ministre de l’intérieur

l’a astreint à résider sur le territoire de la commune de Malakoff jusqu’au 12 décembre 2015, avec obligation de présentation

trois fois par jour à des horaires déterminés au commissariat de police de Vanves Malakoff tous les jours de la semaine et de

demeurer, tous les jours entre 20 heures et 6 heures, dans les locaux où il réside.

Par une ordonnance n° 1510344 du 28 novembre 2015, le juge des référés a rejeté cette demande.

Par un pourvoi et deux mémoires complémentaires enregistrés les 2, 7 et 9 décembre 2015 au secrétariat du contentieux du

Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.

(…)

Sur l’intervention :

3. Considérant que la Ligue des droits de l’homme, qui intervient au soutien des conclusions du pourvoi, justifie, eu égard à la

nature et à l’objet du litige, d’un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance ; que son intervention est, par suite,

recevable ;

Sur les dispositions applicables :

4. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence : « L'état d'urgence peut être

déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre mer, des collectivités d'outre mer régies par

l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle Calédonie, soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes graves à l'ordre

public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » ; qu’aux termes

de l’article 2 de la même loi : « L'état d'urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres. Ce décret détermine la ou les

circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur. Dans la limite de ces circonscriptions, les zones où l'état

d'urgence recevra application seront fixées par décret. La prorogation de l'état d'urgence au delà de douze jours ne peut être

autorisée que par la loi » ;

5. Considérant qu'après les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été déclaré sur le territoire

métropolitain, y compris en Corse, par le décret délibéré en conseil des ministres n° 2015 1475 du 14 novembre 2015 ; que le

décret n° 2015 1476 du même jour a décidé que les mesures d’assignation à résidence prévues à l’article 6 de la loi du 3 avril

1955 pouvaient être mises en œuvre sur l’ensemble des communes d’Ile de France ; que ce périmètre a été étendu, à compter

du 15 novembre à zéro heure, à l’ensemble du territoire métropolitain par le décret n° 2015 1478 du 14 novembre 2015 ; que

l’état d’urgence a, en outre, été déclaré à compter du 19 novembre 2015, sur le territoire des collectivités de Guadeloupe, de la

Guyane, de la Martinique, de la Réunion, de Mayotte, de Saint Barthélemy et de Saint Martin, par le décret délibéré en conseil

des ministres n° 2015 1493 du 18 novembre 2015 ;

6. Considérant que la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55 385 du 3 avril 1955 relative à l'état

d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions a prorogé, pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015,

l’état d’urgence déclaré par les décrets délibérés en conseil des ministres des 14 et 18 novembre 2015 ; que la loi du 20

novembre 2015 a modifié certaines des dispositions de la loi du 3 avril 1955, en particulier celles de l’article 6 de cette loi ; que

les modifications résultant de cette loi sont applicables aux mesures prises après son entrée en vigueur, qui est intervenue, en

vertu des dispositions particulières de son décret de promulgation, immédiatement à compter de sa publication le 21 novembre

2015 ;

54

7. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 :

« Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la

zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son

comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au

même article 2. Le ministre de l'intérieur peut la faire conduire sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police

ou les unités de gendarmerie. / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à

demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de

douze heures par vingt quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une

agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. / En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour

effet la création de camps où seraient détenues les personnes mentionnées au premier alinéa. / L'autorité administrative devra

prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le

ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux

services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par

jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 2° La remise à ces services

de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Il lui est délivré en échange un récépissé, valant justification

de son identité en application de l'article 1er de la loi n° 2012 410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité, sur

lequel sont mentionnées la date de retenue et les modalités de restitution du document retenu. / La personne astreinte à résider

dans le lieu qui lui est fixé en application du premier alinéa du présent article peut se voir interdire par le ministre de l'intérieur

de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des

raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Cette interdiction

est levée dès qu'elle n'est plus nécessaire (…) » ;

8. Considérant que, ainsi que l’énonce l’article 14 1 de la loi du 3 avril 1955 telle que modifiée par la loi du 20 novembre 2015,

les mesures prises sur le fondement de cette loi, à l’exception du prononcé des peines prévues à l’article 13, « sont soumises au

contrôle du juge administratif dans les conditions fixées par le code de justice administrative, notamment son livre V » ;

Sur le pourvoi en cassation :

9. Considérant que, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 521 2 précité, le juge des référés du tribunal

administratif de Cergy Pontoise, faisant application de l’article L. 522 3, a rejeté la demande de suspension des effets de

l’arrêté du ministre de l’intérieur du 25 novembre 2015 portant assignation à résidence de M. A... B...sur le territoire de la

commune de Malakoff jusqu’au 12 décembre 2015, au motif qu’aucune situation d’urgence imminente ne résultait des

éléments avancés par l’intéressé ;

10. Considérant qu’eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d’aller et venir, une

décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par l’autorité administrative en application de l’article 6 de

la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle même, sauf à ce que l’administration fasse valoir des circonstances

particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de nature à créer une situation d'urgence justifiant

que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521 2 du code de justice administrative, puisse

prononcer dans de très brefs délais, si les autres conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et

conservatoire de sauvegarde ;

11. Considérant, par suite, que le juge des référés a commis une erreur de droit en refusant de retenir l’existence d’une situation

d’urgence, au vu des éléments avancés par le demandeur et alors que le ministre de l’intérieur ne faisait valoir aucune

circonstance particulière ; que, dès lors, M. B... est fondé, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à

demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque ;

12. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée,

en application des dispositions de l’article L. 821 2 du code de justice administrative ;

Sur la demande en référé :

13. Considérant que, par l’arrêté du 25 novembre 2015, dont il est demandé en référé de suspendre les effets, le ministre de

l’intérieur a astreint M. A... B...à résider sur le territoire de la commune de Malakoff jusqu’au 12 décembre 2015 inclus, sous

réserve des déplacements qu’il doit effectuer pour se présenter, trois fois par jour, à 9 heures, 13 heures et 19 heures 30 au

commissariat de police de Vanves Malakoff, et lui a imposé de demeurer tous les jours, entre 20 heures et 6 heures, dans les

55

locaux où il réside ; que l’arrêté prévoit que l’intéressé ne peut se déplacer en dehors de ces lieux d’assignation à résidence

sans avoir obtenu préalablement une autorisation écrite du préfet de police ;

14. Considérant que, pour prendre cette décision, le ministre de l’intérieur s’est fondé sur la gravité de la menace terroriste sur

le territoire national et sur la nécessité de prendre des mesures afin d’assurer la sécurité de la conférence des Nations Unies sur

les changements climatiques, dite « COP 21 », qui se déroule à Paris et au Bourget du 30 novembre au 11 décembre 2015 et à

laquelle participent des représentants de très nombreux pays et un très grand nombre de chefs d’Etat et de gouvernement

étrangers ; que le ministre a relevé qu’avaient été lancés des mots d’ordre appelant à des actions revendicatives violentes, aux

abords de la conférence et de sites sensibles en Ile de France ; que le ministre a exposé, dans les motifs de sa décision, que la

forte mobilisation des forces de l’ordre pour lutter contre la menace terroriste ne saurait être détournée, dans cette période, pour

répondre aux risques d’ordre public liés à de telles actions ;

15. Considérant qu’une décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par l’autorité administrative sur le

fondement de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte atteinte à la liberté d’aller et venir, qui constitue une liberté

fondamentale au sens de l'article L. 521 2 du code de justice administrative ;

16. Considérant que l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, modifié par la loi du 20 novembre 2015, permet au ministre de

l’intérieur, dans les zones territoriales où l’état d’urgence reçoit application, déterminées par le décret mentionné à l’article 2

de la loi, de prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe et selon les modalités qu’il retient parmi les sujétions

susceptibles d’être prescrites en vertu de l’article 6, de « toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à

l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la

sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2 » ; que ces dispositions, dont la

question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution a été renvoyée au Conseil constitutionnel par la

décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux rendue ce jour sous le n° 395009, de par leur lettre même, n’établissent pas

de lien entre la nature du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à ce que soit déclaré l’état d’urgence et la

nature de la menace pour la sécurité et l’ordre publics susceptible de justifier une mesure d’assignation à résidence ; qu’elles

doivent en l’état être comprises comme ne faisant pas obstacle à ce que le ministre de l’intérieur, tant que l’état d’urgence

demeure en vigueur, puisse décider, sous l’entier contrôle du juge de l’excès de pouvoir, l’assignation à résidence de toute

personne résidant dans la zone couverte par l’état d’urgence, dès lors que des raisons sérieuses donnent à penser que le

comportement de cette personne constitue, compte tenu du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la

déclaration de l’état d’urgence, une menace pour la sécurité et l’ordre publics ;

17. Considérant que, dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité qui

lui est renvoyée, la demande en référé doit être examinée par le Conseil d’Etat au regard et compte tenu des dispositions de

l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, telles qu’elles sont en vigueur à la date de la présente décision ;

18. Considérant qu’il appartient au Conseil d’Etat statuant en référé de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, que

l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a

pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace

que constitue le comportement de l’intéressé, compte tenu du péril imminent ou de la calamité publique ayant conduit à la

déclaration de l’état d’urgence, ou dans la détermination des modalités de l’assignation à résidence ; que le juge des référés,

s’il estime que les conditions définies à l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute

mesure qu’il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte ;

19. Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des documents versés au dossier par le ministre de l’intérieur dans

le cadre du débat contradictoire devant le Conseil d’Etat que M. A... B...a participé à des actions revendicatives violentes, dont

celle visant le site d’enfouissement de déchets de Bure de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, menée

dans la nuit du 3 au 4 août 2015, au cours de laquelle ont été endommagés le grillage et le système de vidéosurveillance du site

et ont été lancés des engins incendiaires sur les forces de l’ordre qui tentaient de s’opposer à l’intrusion dans le site ; qu’il a

pris part à la préparation d’actions de contestation visant à s’opposer à la tenue et au bon déroulement de la conférence des

Nations Unies sur les changements climatiques, comportant notamment des actions violentes dirigées contre des sites relevant

de l’Etat ou de personnes morales qui apportent leur soutien à cette conférence ; qu’aucune disposition législative ni aucun

principe ne s’oppose à ce que les faits relatés par les « notes blanches » produites par le ministre, qui ont été versées au débat

contradictoire et ne sont pas sérieusement contestées par le requérant, soient susceptibles d’être pris en considération par le

56

juge administratif ;

20. Considérant qu’il résulte également de l’instruction que les forces de l’ordre demeurent particulièrement mobilisées pour

lutter contre la menace terroriste et parer au péril imminent ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence, ainsi que pour

assurer la sécurité et le bon déroulement de la conférence des Nations Unies se tenant à Paris et au Bourget jusqu’à la fin de

celle-ci ;

21. Considérant, dans ces conditions, qu’il n’apparaît pas, en l’état, qu’en prononçant l’assignation à résidence de M. B...

jusqu’à la fin de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques au motif qu’il existait de sérieuses raisons de

penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics et en en fixant les modalités d’exécution,

le ministre de l’intérieur, conciliant les différents intérêts en présence, aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale

à la liberté d’aller et venir ;

22. Considérant, enfin, qu’il résulte tant des termes de l’article L. 521 2 du code de justice administrative que du but dans

lequel la procédure qu’il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l’illégalité relevée à l’encontre de l’autorité

administrative et la gravité de ses effets au regard de l’exercice de la liberté fondamentale en cause ; que la seule circonstance,

qui d’ailleurs manque en fait, que la décision attaquée ne porterait pas les indications requises par l'article 4 de la loi du 12

avril 2000 ne saurait, par elle même, porter une atteinte grave à l’exercice de la liberté d’aller et venir, au sens de l’article L.

521 2 du code de justice administrative ;

23. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par M. B... sur le fondement de l’article L.

521 2 du code de justice administrative doivent être rejetées ; que ses conclusions présentées au titre de l’article L. 761 1 du

code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu’être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de la Ligue des droits de l’homme est admise.

Article 2 : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise du 28 novembre 2015 est annulée.

Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise et le surplus

des conclusions de son pourvoi sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au ministre de l’intérieur et à la Ligue des droits de l’homme.

57

CE, Ordonnance du 22 janvier 2016, « M. B... »

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l’article

L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 15 décembre

2015 par lequel le ministre de l’intérieur l’a assigné à résidence dans la commune de Vitry-sur-Seine, lui a fait

obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de la commune, y compris les jours fériés et chômés,

de demeurer tous les jours de 21 heures 30 à 7 heures 30 à son domicile et lui a interdit de se déplacer en dehors de

son lieu d’assignation à résidence sans avoir préalablement obtenu un sauf-conduit établi par le préfet de police. Par

une ordonnance n° 1600009 du 5 janvier 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa

demande.

Par une requête enregistrée le 13 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. B...demande au

juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice

administrative.

(…)

En ce qui concerne la condition d’urgence :

4. Considérant qu’eu égard à son objet et à ses effets, notamment aux restrictions apportées à la liberté d’aller et

venir, une décision prononçant l'assignation à résidence d’une personne, prise par l’autorité administrative en

application de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle-même, sauf à ce que l’administration

fasse valoir des circonstances particulières, une atteinte grave et immédiate à la situation de cette personne, de

nature à créer une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de

l’article L. 521 2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de très brefs délais, si les autres

conditions posées par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde ; qu’aucun

des éléments que le ministre de l’intérieur a fait valoir, dans ses écritures et au cours de l’audience publique, ne

conduit à remettre en cause, au cas d’espèce, l’existence d’une situation d’urgence caractérisée de nature à justifier

l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 du code

de justice administrative ;

En ce qui concerne la condition tenant à l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. Considérant qu’il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, que l’autorité

administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public, n’a

pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de

la menace que constitue le comportement de l’intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration

de l’état d’urgence, ou dans la détermination des modalités de l’assignation à résidence ; que le juge des référés, s’il

estime que les conditions définies à l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre

toute mesure qu’il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté

atteinte ;

6. Considérant que l’arrêté dont la suspension est demandée est motivé par le fait que M. B...appartient à la

mouvance islamiste radicale, qu’il a été signalé le 13 mai 2015 aux abords du domicile d’une personnalité faisant

l’objet d’une protection particulière alors qu’il prenait des photos dudit domicile et du dispositif policier mis en

58

place et qu’il a été mis en cause dans une affaire de trafic de véhicules de luxe, animé par des acteurs de la

mouvance islamiste radicale ;

7. Considérant toutefois qu’il ressort de l’instruction, et notamment des débats au cours des deux audiences tenues

les 19 et 21 janvier par le juge des référés du Conseil d’Etat ainsi que des suppléments d’instruction qu’il a

ordonnés à deux reprises, que M. B... a pu justifier de manière cohérente et circonstanciée sa présence aux abords

du domicile de la personnalité en question par une visite rendue à sa mère, qui habite à proximité immédiate ; qu’il

apparaît, au vu des explications fournies par le requérant aux audiences, que sa position a pu être confondue avec

celle d’une personne prenant des photographies, alors qu’il utilisait son téléphone portable en mode « haut-parleur

» tenu face au visage afin de pouvoir conserver son casque sur la tête pendant l’arrêt de son scooter à 3 roues pour

appeler son épouse qui devait le rejoindre pour se rendre à Paris ; que M. B...a pu établir la réalité de ces appels à

l’heure à laquelle il a été observé à proximité du domicile de ladite personnalité ; qu’aucun élément suffisamment

circonstancié produit par le ministre de l’intérieur ne permet de justifier que M. B...appartiendrait à la mouvance

islamiste radicale ; que s’agissant de sa mise en cause dans une affaire de trafic de véhicules en 2008, il résulte de

l’instruction qu’il a en réalité été entendu comme simple témoin, lui-même se disant victime, sans que le ministre

ne l’ait contesté à l’audience, et qu’en outre aucun élément produit par le ministre n’a permis d’accréditer, en ce qui

concerne ce trafic, l’existence d’un contexte d’islamisme radical ; que, dans ces circonstances, eu égard à

l’ensemble des éléments recueillis au cours des échanges écrits et oraux, il apparaît, en l’état de l’instruction, qu’en

prononçant l’assignation à résidence de M. B... au motif qu’il existait de sérieuses raisons de penser que son

comportement constitue une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics, le ministre de l’intérieur a porté une

atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. B...est fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance

attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a refusé de faire droit à sa demande ; qu’il y a lieu,

par suite, de suspendre l’exécution de l’arrêté litigieux ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu’il y a lieu, par application de ces dispositions, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1

500 euros au bénéfice de M.B... ;

O R D O N N E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Melun du 5 janvier 2016 est annulée.

Article 2 : L’exécution de l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 15 décembre 2015 est suspendue.

Article 3 : L’Etat versera une somme de 1 500 euros à M. B...en application de l’article L. 761-1 du code de justice

administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l’intérieur.

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Conseil constitutionnel - décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011

« Mme Corinne C. et autre »

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 novembre 2010 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 1088 du 16

novembre 2010), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité

posée par Mmes Corinne C. et Sophie H., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 75

et 144 du code civil. (…)

3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le dernier alinéa de l'article 75 du code civil et sur son

article 144 ; que ces dispositions doivent être regardées comme figurant au nombre des dispositions législatives dont il résulte,

comme la Cour de cassation l'a rappelé dans l'arrêt du 13 mars 2007 susvisé, « que, selon la loi française, le mariage est l'union

d'un homme et d'une femme » ;

4. Considérant que, selon les requérantes, l'interdiction du mariage entre personnes du même sexe et l'absence de toute faculté de

dérogation judiciaire portent atteinte à l'article 66 de la Constitution et à la liberté du mariage ; que les associations intervenantes

soutiennent, en outre, que sont méconnus le droit de mener une vie familiale normale et l'égalité devant la loi ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant « l'état et la capacité des personnes,

les régimes matrimoniaux, les successions et libéralités » ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine

de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes

antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir,

il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l'article 61-1 de la Constitution, à l'instar de

l'article 61, ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui

du Parlement ; que cet article lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité d'une disposition législative

aux droits et libertés que la Constitution garantit ;

6. Considérant, en premier lieu, que l'article 66 de la Constitution prohibe la détention arbitraire et confie à l'autorité judiciaire,

dans les conditions prévues par la loi, la protection de la liberté individuelle ; que la liberté du mariage, composante de la liberté

personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; que les dispositions

contestées n'affectent pas la liberté individuelle ; que, dès lors, le grief tiré de la violation de l'article 66 de la Constitution est

inopérant ;

7. Considérant, en second lieu, que la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la

Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que, dans l'exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties

légales des exigences de caractère constitutionnel ;

8. Considérant, d'une part, que le droit de mener une vie familiale normale résulte du dixième alinéa du Préambule de la

Constitution de 1946 qui dispose : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement »

; que le dernier alinéa de l'article 75 et l'article 144 du code civil ne font pas obstacle à la liberté des couples de même sexe de

vivre en concubinage dans les conditions définies par l'article 515-8 de ce code ou de bénéficier du cadre juridique du pacte civil

de solidarité régi par ses articles 515-1 et suivants ; que le droit de mener une vie familiale normale n'implique pas le droit de se

marier pour les couples de même sexe ; que, par suite, les dispositions critiquées ne portent pas atteinte au droit de mener une vie

familiale normale ;

9. Considérant, d'autre part, que l'article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle

protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des

situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la

différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'en maintenant le principe selon

lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article

34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et

d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil

constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de

situation ; que, par suite, le grief tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789 doit être écarté ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte à la liberté du mariage doit être écarté ;

11. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit (…)

60

Conseil constitutionnel - décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013

« Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe »

(...)

Sur le mariage :

En ce qui concerne le paragraphe I de l'article 1er :

17. Considérant que l'article 1er de la loi rétablit un article 143 du Code civil dans le chapitre Ier du titre V du livre Ier du

Code civil, consacré aux qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage ; qu'aux termes de cet article : « Le

mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe » ;

18. Considérant que, selon les requérants, l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe méconnaît le

principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme ;

qu'ils font en outre valoir que la modification de la définition du mariage porterait atteinte aux exigences du quatorzième

alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;

19. Considérant que les sénateurs requérants font également valoir que l'article 34 de la Constitution ne fait référence qu'aux «

régimes matrimoniaux » ; que, par son caractère fondamental, la définition du mariage relèverait de la compétence du

constituant ; que le mariage entre personnes de même sexe méconnaîtrait un « enracinement naturel du droit civil » selon

lequel l'altérité sexuelle est le fondement du mariage ; que l'ouverture du mariage à des couples de même sexe « détournerait

l'institution du mariage à des fins étrangères à l'institution matrimoniale » ; qu'enfin, l'importance du changement opéré par les

dispositions contestées dans la définition du mariage porterait atteinte, à l'égard des personnes mariées, à la liberté du mariage

et au droit au maintien des conventions légalement conclues ;

20. Considérant, en premier lieu, que les règles relatives au mariage relèvent de l'état des personnes ; que, par suite, le grief

tiré de ce que l'article 34 de la Constitution ne confierait pas au législateur la compétence pour fixer les qualités et conditions

requises pour pouvoir contracter mariage doit être écarté ;

21. Considérant, en deuxième lieu, que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte

législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe

fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ; que, si

la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu'à la loi déférée, regardé le mariage comme

l'union d'un homme et d'une femme, cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté

nationale, ni l'organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la

République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 ; qu'en outre, doit en tout état de cause être écarté le grief tiré de

ce que le mariage serait « naturellement » l'union d'un homme et d'une femme ;

22. Considérant, en troisième lieu, qu'en ouvrant l'accès à l'institution du mariage aux couples de personnes de même sexe, le

législateur a estimé que la différence entre les couples formés d'un homme et d'une femme et les couples de personnes de

même sexe ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à la protection juridique attachés au mariage ;

qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en

matière de mariage, de cette différence de situation ;

23. Considérant, en quatrième lieu, que les dispositions de l'article 1er ne portent aucune atteinte aux droits acquis nés de

mariages antérieurs ; que, par suite, le grief tiré de l'atteinte à la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle

protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, et au droit au maintien des conventions légalement conclues, qui

résulte de son article 4, doit être écarté ;

24. Considérant, en cinquième lieu, que les dispositions de l'article 1er n'ont ni pour objet ni pour effet de déroger au principe

selon lequel tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ; que, par suite, les griefs tirés de la

méconnaissance des principes du droit international public et du quatorzième alinéa du préambule de 1946 doivent être écartés

; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61 de la Constitution, d'examiner la

compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux de la France ;

25. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 143 du Code civil ne méconnaissent pas les

exigences constitutionnelles précitées ; (...)

Sur l'adoption :

32. Considérant que les articles 343 et 346 du Code civil, applicables tant à l'adoption plénière qu'à l'adoption simple,

disposent, d'une part, que l'adoption « peut être demandée par deux époux (...) » et, d'autre part, que « nul ne peut être adopté

par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux » ; qu'en outre, il résulte tant de l'article 356 du Code civil, applicable à

l'adoption plénière, que de l'article 365 du même code applicable à l'adoption simple, compte tenu de la portée que la

jurisprudence constante de la Cour de cassation confère à ces dispositions, que la faculté d'une adoption au sein d'un couple

est réservée aux conjoints ; que, par suite, l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe a pour conséquence

de permettre l'adoption par des couples de personnes de même sexe ainsi que l'adoption au sein de tels couples ;

61

33. Considérant que les articles 7 et 8 de la loi modifient les articles 345-1 et 360 du Code civil afin de fixer les conditions

dans lesquelles un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption par une personne peut ultérieurement être adopté par le conjoint

de cette personne ;

34. Considérant que l'article 13 de la loi insère dans le Code civil un article 6-1 aux termes duquel : « Le mariage et la filiation

adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du

livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe » ;

35. Considérant que les requérants mettent en cause l'intelligibilité de ces dispositions, la conformité à la Constitution de

l'ouverture de l'adoption aux couples de personnes de même sexe et les modifications apportées par les articles 7 et 8 aux

dispositions du Code civil relatives à l'adoption ;

En ce qui concerne l'intelligibilité des dispositions relatives à l'adoption :

36. Considérant que les requérants font valoir que les dispositions du Code civil qui font référence à la filiation désignent

distinctement « le père » et « la mère » ; qu'en prévoyant que le mariage et la filiation emportent les mêmes effets, droits et

obligations, que les époux soient de même sexe ou de sexe différent, les dispositions de l'article 13 conduisent, d'une part, à ce

que les mots « père » et « mère » puissent désigner deux hommes ou deux femmes et, d'autre part, à ce que la portée de ces

mots varie selon qu'ils sont ou non placés dans le titre VII du livre Ier du Code civil ; qu'il en résulterait une méconnaissance

des exigences de clarté et de précision de la loi ; qu'en permettant l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de deux

personnes de même sexe sans modifier les dispositions du titre VII du livre Ier du Code civil, ces dispositions rendraient en

outre inintelligibles certains articles du Code civil, notamment ses articles 320, 330, 333, 336 et 336-1 ; que seraient

également incompréhensibles les dispositions de l'article 310 du Code civil relatives à l'égalité entre les enfants ;

37. Considérant que les députés requérants font en outre valoir qu'en s'abstenant d'apporter les modifications nécessaires aux

règles relatives à la présomption de paternité, à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour le compte d'autrui,

les dispositions contestées auraient en outre rendu l'ensemble de ces règles incohérentes et inintelligibles ;

38. Considérant qu'il incombe au législateur d'exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en

particulier, son article 34 ; que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, qui découle des

articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789, impose au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des

formules non équivoques ;

Quant au titre VII du livre Ier du Code civil :

39. Considérant que, s'agissant des règles relatives à l'établissement et à la contestation de la filiation, le livre Ier du Code civil

comprend un titre VII, consacré à « la filiation », et un titre VIII, consacré à « la filiation adoptive » ;

40. Considérant que le titre VII distingue entre la filiation maternelle et la filiation paternelle ; que l'article 320 du Code civil,

qui figure au sein de ce titre VII, dispose : « Tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait

obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait » ; que, par suite, les dispositions de cet article font obstacle à

ce que deux filiations maternelles ou deux filiations paternelles soient établies à l'égard d'un même enfant ; qu'ainsi, en

particulier, au sein d'un couple de personnes de même sexe, la filiation ne peut être établie par la présomption de l'article 312

du Code civil ; que le mariage est sans incidence sur les autres modes d'établissement de la filiation prévus par le titre VII du

livre Ier du Code civil ;

41. Considérant qu'au sein du titre VIII, l'article 358, applicable aux enfants ayant été adoptés en la forme plénière, dispose : «

L'adopté a, dans la famille de l'adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu'un enfant dont la filiation est établie en

application du titre VII » du livre Ier ; qu'en prévoyant, à titre de mesure générale de coordination, que la filiation adoptive

emporte les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier, que

les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe, les dispositions de l'article 6-1 du Code civil n'ont pas

entendu faire obstacle à l'application de la règle selon laquelle, les enfants adoptés, que leurs parents soient de même sexe ou

de sexe différent, bénéficieront des mêmes droits que ceux dont la filiation est légalement établie en application de ce titre VII

;

42. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doit être écarté le grief tiré de ce que l'article 6-1 du Code civil entacherait

le titre VII du livre Ier du Code civil d'inintelligibilité ;

Quant à l'article 13 de la loi :

43. Considérant qu'à l'exception des dispositions du titre VII du livre Ier du Code civil, les règles de droit civil, notamment

celles relatives à l'autorité parentale, au mariage, aux régimes matrimoniaux et aux successions, ne prévoient pas de différence

entre l'homme et la femme s'agissant des relations du mariage, des conséquences qui en résultent et des conséquences relatives

à l'établissement d'un lien de filiation ; que, par suite, en prévoyant que le mariage et la filiation emportent les mêmes effets,

droits et obligations reconnus par les lois, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe, sans

supprimer les références qui, dans ces textes, désignent les « père » et « mère » ou « le mari et la femme », l'article 6-1 du

Code civil ne rend pas ces règles inintelligibles ;

62

44. Considérant que, d'une part, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier la portée des

dispositions de l'article 16-7 du Code civil aux termes desquelles : « toute convention portant sur la procréation ou la gestation

pour le compte d'autrui est nulle » ; que, d'autre part, il résulte de l'article L. 2141-2 du Code de la santé publique que

l'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée d'un

couple formé d'un homme et d'une femme en âge de procréer, qu'ils soient ou non mariés ; que les couples formés d'un homme

et d'une femme sont, au regard de la procréation, dans une situation différente de celle des couples de personnes de même sexe

; que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes dès lors que

la différence de traitement qui en résulte est en lien direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; que, par suite, ni le principe

d'égalité ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi n'imposaient qu'en ouvrant le

mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe, le législateur modifie la législation régissant ces différentes

matières ;

45. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de ce que l'article 13 de la loi serait entaché d'inintelligibilité

doivent être écartés ;

En ce qui concerne l'adoption par des personnes de même sexe ou au sein d'un couple de personnes de même sexe :

46. Considérant que, selon les requérants, la possibilité conférée à deux personnes de même sexe d'adopter un enfant porte

atteinte au « principe de valeur constitutionnelle de la filiation bilinéaire fondée sur l'altérité sexuelle », proclamé par les lois

de la République, ainsi qu'au droit constitutionnel de tout enfant à voir sa filiation établie à l'égard de son père et de sa mère ;

que l'adoption par deux personnes de même sexe porterait en outre atteinte au droit de l'enfant de mener une vie familiale

normale ainsi qu'à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ; qu'il en résulterait également une méconnaissance des

stipulations de l'article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

47. Considérant qu'ils soutiennent encore que, lorsque l'enfant est adopté en la forme plénière par deux personnes de sexe

différent, l'effacement de la filiation antérieure garantirait la préservation du secret de l'adoption et ferait entrer l'enfant dans la

famille de l'adoptant « comme un enfant biologique » ; que la possibilité d'une adoption par deux personnes de même sexe

conduirait au contraire nécessairement à révéler l'orientation sexuelle des adoptants et la nature adoptive de la filiation ; qu'il

en résulterait une atteinte au droit à la protection de la vie privée et à l'égalité devant la loi ;

48. Considérant qu'ils font enfin valoir que, compte tenu notamment des difficultés que rencontreront les couples de personnes

de même sexe pour adopter, la possibilité d'un établissement de la filiation à l'égard de deux personnes de même sexe incitera

ces couples à recourir à l'étranger à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour le compte d'autrui en fraude à la

loi française ;

Quant aux griefs tirés de l'atteinte au principe d'égalité et au droit de mener une vie familiale normale :

49. Considérant, en premier lieu que, d'une part, en permettant l'adoption par deux personnes de même sexe ou au sein d'un

couple de personnes de même sexe, le législateur, compétent pour fixer les règles relatives à l'état et à la capacité des

personnes en application de l'article 34 de la Constitution, a estimé que l'identité de sexe des adoptants ne constituait pas, en

elle-même, un obstacle à l'établissement d'un lien de filiation adoptive ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de

substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, pour l'établissement d'un lien de filiation adoptive, de

la différence entre les couples de personnes de même sexe et les couples formés d'un homme et d'une femme ;

50. Considérant que, d'autre part, en vertu de l'article 356 du Code civil, l'adoption plénière confère à l'enfant une filiation qui

se substitue à sa filiation d'origine ; que le principe d'égalité impose que les enfants adoptés en la forme plénière bénéficient,

dans leur famille adoptive, des mêmes droits que ceux dont bénéficient les enfants dont la filiation est établie en application du

titre VII du livre Ier du Code civil ; qu'une telle exigence est satisfaite par les dispositions de l'article 358 du Code civil précité

;

51. Considérant, en outre, que la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789 implique le respect de la vie privée

; que, toutefois, aucune exigence constitutionnelle n'impose ni que le caractère adoptif de la filiation soit dissimulé ni que les

liens de parenté établis par la filiation adoptive imitent ceux de la filiation biologique ; que, par suite, le grief tiré de ce que la

possibilité d'une adoption par deux personnes de même sexe porterait atteinte au principe d'égalité et au droit à la protection de

la vie privée doit être écarté ;

52. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de reconnaître aux couples

de personnes de même sexe un « droit à l'enfant » ; qu'elles ne soustraient pas les couples de personnes de même sexe aux

règles, conditions et contrôles institués en matière de filiation adoptive ; qu'en effet, ces dispositions ne modifient pas la règle,

fixée par le premier alinéa de l'article 353-1 du Code civil, aux termes duquel : « Dans le cas d'adoption d'un pupille de l'État,

d'un enfant remis à un organisme autorisé pour l'adoption ou d'un enfant étranger qui n'est pas l'enfant du conjoint de

l'adoptant, le tribunal vérifie avant de prononcer l'adoption que le ou les requérants ont obtenu l'agrément pour adopter ou en

étaient dispensés » ; qu'il n'est pas davantage dérogé à la règle, fixée par le premier alinéa de l'article L. 225-2 du Code de

l'action sociale et des familles, aux termes duquel : « Les pupilles de l'État peuvent être adoptés soit par les personnes à qui le

service de l'aide sociale à l'enfance les a confiés pour en assurer la garde lorsque les liens affectifs qui se sont établis entre eux

justifient cette mesure, soit par des personnes agréées à cet effet, soit, si tel est l'intérêt desdits pupilles, par des personnes dont

l'aptitude à les accueillir a été régulièrement constatée dans un État autre que la France, en cas d'accord international

63

engageant à cette fin ledit État » ; que s'appliquent également les dispositions de son article L. 225-17 qui prévoit : « Les

personnes qui accueillent, en vue de son adoption, un enfant étranger doivent avoir obtenu l'agrément prévu aux articles L.

225-2 à L. 225-7 » ; qu'ainsi, les couples de personnes de même sexe qui désirent adopter un enfant seront soumis, comme

ceux qui sont formés d'un homme et d'une femme, à une procédure destinée à constater leur capacité à accueillir un enfant en

vue de son adoption ;

53. Considérant, d'une part, que la conformité à la Constitution d'une loi déjà promulguée peut être appréciée à l'occasion de

l'examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ; qu'en l'espèce les dispositions

contestées affectent le domaine des articles L. 225-2 et L. 225-17 du Code de l'action sociale et des familles ; que les

dispositions relatives à l'agrément du ou des adoptants, qu'ils soient de sexe différent ou de même sexe, ne sauraient conduire

à ce que cet agrément soit délivré sans que l'autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l'exigence de

conformité de l'adoption à l'intérêt de l'enfant qu'implique le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que,

sous cette réserve, les dispositions des articles L. 225-2 et L. 225-17 du Code de l'action sociale et des familles ne

méconnaissent pas les exigences du dixième alinéa du Préambule de 1946 ;

54. Considérant, d'autre part, que les dispositions contestées ne dérogent pas aux dispositions de l'article 353 du Code civil,

selon lesquelles l'adoption est prononcée par le tribunal de grande instance à la requête de l'adoptant si les conditions de la loi

sont remplies « et si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant » ; que ces dispositions, applicables que les adoptants soient

de même sexe ou de sexe différent, mettent en oeuvre l'exigence résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution

de 1946 selon laquelle l'adoption ne peut être prononcée que si elle est conforme à l'intérêt de l'enfant ;

55. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le dixième

alinéa du Préambule de 1946 doit être écarté ; qu'il en va de même du grief tiré de ce que les droits de l'enfant seraient

inégalement protégés selon qu'ils sont adoptés par des parents de même sexe ou par des parents de sexe différent ;

Quant aux autres griefs :

56. Considérant, en premier lieu, que la tradition républicaine ne saurait être utilement invoquée pour soutenir qu'un texte

législatif qui la contredit serait contraire à la Constitution qu'autant que cette tradition aurait donné naissance à un principe

fondamental reconnu par les lois de la République ; que la législation républicaine antérieure à la Constitution de 1946 relative

aux conditions de l'adoption et aux conditions d'établissement de la maternité et de la paternité a toujours compris des règles

limitant ou encadrant les conditions dans lesquelles un enfant peut voir établir les liens de filiation à l'égard du père ou de la

mère dont il est issu ; que notamment, l'action en recherche de paternité a vu son régime juridique modifié par la loi du 16

novembre 1912 sur la déclaration judiciaire de paternité naturelle et que l'action en recherche de paternité des enfants

adultérins a été interdite jusqu'à la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972 sur la filiation ; que de même les règles relatives à l'adoption

de l'enfant mineur ont été modifiées par la loi du 19 juin 1923 sur l'adoption ; qu'ainsi, en tout état de cause, doit être écarté le

grief tiré de la méconnaissance d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de « caractère

bilinéaire de la filiation fondé sur l'altérité sexuelle » ; qu'il en va de même du grief tiré de la méconnaissance d'un principe

constitutionnel garantissant le droit de tout enfant de voir sa filiation concurremment établie à l'égard d'un père et d'une mère ;

57. Considérant en deuxième lieu, que, si les dispositions de l'article 55 de la Constitution confèrent aux traités, dans les

conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n'impliquent que le respect de ce

principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ; qu'ainsi, en tout état de cause,

doit être rejeté le grief tiré de la méconnaissance de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

58. Considérant, en troisième lieu, que l'éventualité d'un détournement de la loi lors de son application n'entache pas celle-ci

d'inconstitutionnalité ; qu'il appartient aux juridictions compétentes d'empêcher, de priver d'effet et, le cas échéant, de réprimer

de telles pratiques ;

59. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'ouverture de l'adoption par des couples de personnes de même sexe et au

sein de ces couples n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles précitées ; que les dispositions des articles 1er et 13 de

la loi déférée, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, doivent être déclarées conformes à la

Constitution (...).

64

Cour de cassation, Première chambre civile - 28 janvier 2015

Demandeur(s) : le procureur général près la cour d’appel de Chambéry

Défendeur(s) : M. René X... ; M. Mohammed Y...

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Chambéry, 22 octobre 2013), que le ministère public a formé opposition au mariage

de M. X..., de nationalité française, et de M. Y..., de nationalité marocaine résidant en France, sur le fondement de

l’article 55 de la Constitution, de l’article 5 de la Convention franco marocaine, du 10 août 1981, relative au statut

des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, et des articles 175 1 du code civil, 422 et 423 du code

de procédure civile ; que MM. X... et Y... ont saisi le tribunal d’une demande tendant, à titre principal, à

l’annulation, subsidiairement, à la mainlevée de l’opposition ;

Sur le premier moyen, [...] :

Attendu que le procureur général fait grief à l’arrêt d’écarter la Convention franco marocaine au profit des

principes supérieurs du nouvel ordre public international instaurés par la loi du 17 mai 2013 et en conséquence de

ne pas reconnaître une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes ;

Attendu que le motif de droit énoncé par l’arrêt pour ne pas reconnaître la supériorité du traité sur la loi suivant le

principe habituel de la hiérarchie des normes ne peut constituer un des termes d’une contradiction donnant

ouverture à cassation ; que le moyen est donc irrecevable ;

Sur le second moyen :

Attendu que le procureur général fait grief à l’arrêt de donner mainlevée de l’opposition au mariage de MM. X... et

Y..., alors, selon le moyen :

1°/ que, selon l’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou

approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou

traité, de son application par l’autre partie » ; que la Convention bilatérale franco marocaine du 10 août 1981 a

été régulièrement ratifiée par la France, traduite en droit français par le décret n° 83 435 du 27 mai 1983 et

publiée au Journal Officiel du 1er juin 1983, et a fait l’objet de réciprocité ; que dès lors, cette Convention a une

valeur supra légale ; qu’ainsi, en écartant l’application de l’article 5 de la Convention prévoyant que « les

conditions de fond du mariage tels que l’âge matrimonial et le consentement, de même que les empêchements,

notamment ceux résultant des liens de parenté ou d’alliance, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi

de celui des deux Etats dont il a la nationalité », pour faire prévaloir les dispositions prévues à l’article 202 1,

alinéa 2, du code civil, instauré par la loi du 17 mai 2013 selon lesquelles « deux personnes de même sexe peuvent

contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’Etat sur le

territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence, le permet », la cour d’appel a violé l’article 55 de la

Constitution du 4 octobre 1958 ;

2°/ que, selon l’article 3 du code civil, « ...les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les

Français même résident en pays étrangers » ; que selon l’article 5 de la Convention franco marocaine du 10 août

1981, « les conditions de fond du mariage tels que l’âge matrimonial et le consentement, de même que les

empêchements, notamment ceux résultant des liens de parenté ou d’alliance, sont régis pour chacun des futurs

époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité » ; que selon l’article 4 de ladite Convention, « la

loi de l’un des deux Etats désignés par la présente Convention ne peut être écartée par les juridictions de l’autre

65

Etat que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public » ; que l’article 5 précité n’est pas contraire ni

manifestement incompatible à la conception française de l’ordre public international tel qu’envisagé par la loi

française du 17 mai 2013, en ce qu’il ne heurte aucun principe essentiel du droit français ni un ordre public

international en matière d’état des personnes ; qu’en écartant l’application de la Convention franco marocaine au

profit de principes supérieurs d’un nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013, la cour

d’appel a violé l’article 3 du code civil ainsi que les principes du droit international privé ;

Mais attendu que si, selon l’article 5 de la Convention franco marocaine du 10 août 1981 relative au statut des

personnes et de la famille et à la coopération judiciaire, les conditions de fond du mariage telles que les

empêchements, sont régies pour chacun des futurs époux par la loi de celui des deux Etats dont il a la nationalité,

son article 4 précise que la loi de l’un des deux Etats désignés par la Convention peut être écartée par les

juridictions de l’autre Etat si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public ; que tel est le cas de la loi

marocaine compétente qui s’oppose au mariage de personnes de même sexe dès lors que, pour au moins l’une

d’elles, soit la loi personnelle, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le

permet ; que, par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, l’arrêt se trouve

légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi

Président : Mme Batut

Rapporteur : M. Hascher, conseiller

Avocat général : M. Sarcelet

Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau ; SCP Spinosi et Sureau ; Me Rémy-Corlay

66

CEDH – « Ravon c/ France » - 21 février 2008

(…)

I. Sur la violation alléguée de l’article 6§1 de la convention et de l’article 13 combiné avec l’article 8

15. Les requérants se plaignent de ce qu'ils n'ont pas eu accès à un recours effectif pour contester la régularité des visites et

saisies domiciliaires dont ils ont fait l'objet en application de l'article L.16 B du livre des procédures fiscales. Ils invoquent

l'article 6§1 de la Convention ainsi que l'article 13 combiné avec l'article 8.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

24. Quant à l'exception d'irrecevabilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement, l'article 6§1 étant manifestement

inapplicable sous son volet pénal en l'absence d'«accusation en matière pénale », seul est à déterminer s'il l'est en revanche

sous son volet civil. Il s'agit en l'espèce de vérifier si la procédure à laquelle les requérants revendiquent l'accès vise à voir

trancher une « contestation » – réelle et sérieuse – sur un « droit » de « nature civile » que l'on peut prétendre, au moins de

manière défendable, reconnu en droit interne, étant entendu que l'article 6 § 1 n'assure par lui-même aux « droits et

obligations de caractère civil » aucun contenu déterminé ni ne vise à créer de nouveaux droits matériels dénués de base

juridique dans l'Etat concerné.

La Cour note que le Gouvernement concède qu'il y avait en l'espèce « contestation » au sens de l'article 6§1 ; celle-ci – cela

ressort en particulier des moyens développés par les requérants devant la Cour de cassation – avait trait à la régularité des

visites domiciliaires et saisies dont ils avaient fait l'objet, au regard notamment de leur droit au respect du domicile. Le

Gouvernement ne met pas davantage en cause le caractère « réel et sérieux » de cette « contestation » (lequel ressort au

demeurant des circonstances de la cause). Seul porte à controverse le « caractère civil » du droit qui est l'objet de celle-ci.

A cet égard, il est vrai que, comme le soutient le Gouvernement, la Cour a confirmé dans l'arrêt Ferrazzini que « le

contentieux fiscal échappe au champ des droits et obligations de caractère civil ». Force est cependant de constater que la «

contestation » dont il est présentement question ne relève pas d'un contentieux de cette nature. Comme indiqué

précédemment, elle porte sur la régularité des visites domiciliaires et saisies dont les requérants ont fait l'objet : en son

coeur se trouve la question de la méconnaissance ou non par les autorités de leur droit au respect du domicile. Or le

caractère « civil » de ce droit est manifeste, tout comme l'est sa reconnaissance en droit interne, qui résulte non seulement

de l'article 9 du code civil – auquel renvoie d'ailleurs le Gouvernement – mais aussi du fait que la Convention, qui le

consacre en son article 8, est directement applicable dans l'ordre juridique français.

En conséquence, la Cour conclut à l'applicabilité de l'article 6§1 et au rejet de l'exception d'irrecevabilité soulevée à cet

égard par le Gouvernement. (…)

2. Sur le fond

27. Lorsque, comme en l'espèce, l'article 6§1 s'applique, il constitue une lex specialis par rapport à l'article 13 : ses

exigences, qui impliquent toute la panoplie des garanties propres aux procédures judiciaires, sont plus strictes que celles de

l'article 13, qui se trouvent absorbées par elles. Il y a lieu en conséquence d'examiner le présent grief sur le terrain de

l'article 6§1 uniquement, et donc de vérifier si les requérants avaient accès à un « tribunal » pour obtenir, à l'issue d'une

procédure répondant aux exigences de cette disposition, une décision sur leur «contestation ».

La Cour rappelle à cet égard que seul mérite l'appellation de « tribunal » un organe répondant à une série de critères – telle

l'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties – et jouissant de la plénitude de juridiction, et que, pour qu'un tel «

tribunal » puisse décider d'une contestation sur des droits et obligations de caractère civil en conformité avec cette

disposition, il faut qu'il ait compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait ou de droit pertinentes pour le litige

dont il se trouve saisi. Par ailleurs, à l'instar des autres droits garantis par la Convention, le droit d'accès aux tribunaux doit

être concret et effectif.

28. Selon la Cour, cela implique en matière de visite domiciliaire que les personnes concernées puissent obtenir un contrôle

juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant,

des mesures prises sur son fondement ; le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d'irrégularité, soit

de prévenir la survenance de l'opération, soit, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à

l'intéressé un redressement approprié.

29. Il ressort de l'article L.16 B du livre des procédures fiscales que les ordonnances autorisant les visites domiciliaires ne

sont susceptibles que d'un pourvoi en cassation. La Cour a eu l'occasion, dans le contexte de l'article 5 § 3 de la Convention

67

et du contrôle du délai raisonnable dans lequel une personne arrêtée ou détenue doit être, soit jugée, soit libérée durant la

procédure, de dire que le pourvoi en cassation est un recours interne utile et qu'il doit être épuisé sous peine d'irrecevabilité

de la requête devant la Cour. Toutefois, il ne s'ensuit pas nécessairement que ce pourvoi constitue une voie de recours

effective aux fins du contrôle de la régularité, en droit et en fait, des ordonnances autorisant les visites domiciliaires sur le

fondement de l'article L.16 B du livre des procédures fiscales. Il incombe donc à la Cour d'examiner concrètement si, dans

ce cadre, le contrôle de la Cour de cassation, statuant sur pourvoi du requérant, apporte des garanties suffisantes au regard

de l'équité du procès, exigée par l'article 6 de la Convention. Or elle considère qu'à elle seule, la possibilité de se pourvoir

en cassation – dont les requérants ont d'ailleurs usé – ne répond pas aux exigences de l'article 6§1 dès lors qu'un tel recours

devant la Cour de cassation, juge du droit, ne permet pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations

litigieuses.

30. La circonstance que l'autorisation de procéder à des visites domiciliaires est délivrée par un juge – de sorte qu'à

première vue, un contrôle juridictionnel incluant un examen de cette nature se trouve incorporé dans le processus

décisionnel lui-même – ne suffit pas à combler cette lacune. En effet, si, comme la Cour l'a jugé sur le terrain de l'article 8

de la Convention dans l'affaire Keslassy à laquelle le Gouvernement se réfère, cela contribue à garantir la préservation du

droit au respect de la vie privée et du domicile, l'on ne saurait considérer que l'instance au cours de laquelle le juge examine

la demande d'autorisation est conforme à l'article 6§1 alors que la personne visée par la perquisition projetée – qui ignore à

ce stade l'existence d'une procédure intentée à son encontre – ne peut se faire entendre.

31. Certes, l'article L.16 B prévoit en outre que les opérations s'effectuent sous le contrôle du juge qui les a ordonnées, de

sorte que, pendant leur déroulement, les personnes dont les locaux sont concernés ont la possibilité de le saisir en vue

notamment d'une suspension ou de l'arrêt de la visite. Cependant, s'il s'agit là aussi d'une garantie que la Cour prend en

compte dans le contexte de l'article 8 de la Convention (ibidem) et dans laquelle on peut voir une modalité propre à assurer

un contrôle de la régularité des mesures prises sur le fondement de l'autorisation délivrée par ledit juge, cela ne permet pas

un contrôle indépendant de la régularité de l'autorisation elle-même. Par ailleurs, l'accès des personnes concernées à ce juge

apparaît plus théorique qu'effectif. En effet – cela ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation – les agents qui

procèdent à la visite n'ont pas l'obligation légale de faire connaître aux intéressés leur droit de soumettre toute difficulté au

juge (et ils ne l'ont pas fait en l'espèce), lequel n'est tenu de mentionner dans l'ordonnance d'autorisation ni la possibilité ni

les modalités de sa saisine en vue de la suspension ou de l'arrêt de la visite ; la présence des intéressés n'est d'ailleurs pas

requise (il suffit que deux témoins tiers soient présents) et la loi ne prévoit pas la possibilité pour ceux-ci de faire appel à un

avocat ou d'avoir des contacts avec l'extérieur ; en outre, en l'espèce en tout cas, les coordonnées du juge compétent ne

figuraient pas sur les ordonnances d'autorisation et n'ont pas été fournies aux requérants par les agents qui ont procédé aux

visites. De surcroît, en raison d'un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, les intéressés n'ont plus la faculté

de saisir le juge qui a autorisé les opérations après l'achèvement de celles-ci : il ne peut plus connaître a posteriori d'une

éventuelle irrégularité entachant ces opérations, une telle contestation relevant, selon la Cour de cassation, du contentieux

dont peuvent être saisies les juridictions appelées à statuer sur les poursuites éventuellement engagées sur le fondement des

documents appréhendés.

32. Quant à l'accès à ces dernières juridictions, en tout état de cause, il suppose que des poursuites soient subséquemment

engagées contre les intéressés, ce qui ne fut pas le cas en l'espèce.

33. Il reste la possibilité évoquée par le Gouvernement d'engager une action à l'encontre de l'agent judicaire du Trésor pour

rupture du principe d'égalité devant les charges publiques ou de saisir le juge judiciaire sur le fondement de l'article 9 du

code civil. Cependant, outre le fait que le Gouvernement n'apporte aucune précision sur les modalités de ces recours, la

Cour note qu'en tout état de cause, selon les propres dires de ce dernier, ils permettent l'obtention d'une indemnisation dans

l'hypothèse de dégâts occasionnés lors d'une visite domiciliaire plutôt qu'un contrôle de la régularité de la décision

prescrivant celle-ci et des mesures prises sur son fondement, de sorte que l'on ne peut y voir le « contrôle juridictionnel

effectif » requis.

34. Il résulte de ce qui précède que les requérants n'ont pas eu accès à un « tribunal » pour obtenir, à l'issue d'une procédure

répondant aux exigences de l'article 6§1 (…), une décision sur leur « contestation ».

35. En conséquence, la Cour conclut au rejet de l'exception du Gouvernement tirée du non épuisement des voies de recours

internes et à la violation de l'article 6§1 de la Convention (…)

68

Cass. 1re civ., 20 mars 2014, n° 13-16.829

LA COUR - (...)

Vu l'article 9 du Code civil, ensemble les articles 8 et 10 de la Convention EDH ;

o Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 4 décembre 2009, M. G., imitateur, dans le contexte de la chronique satirique qu'il

anime quotidiennement de 8 heures 45 à 8 heures 55 sur les ondes de la station de radio dite RTL, a contrefait la voix d'une

petite fille, dans le dialogue suivant :

«- Cette semaine dans l'école des fans Philippe R. recevait une nouvelle candidate, une charmante petite fille, bonjour

comment tu t'appelles ?

- Mathilde.

- Et tu es fan de qui Mathilde ?

- De mon papy.

- De ton papy, il est gentil ton papy ?

- Oui il est très gentil, n'est-ce pas, il me chante des chansons euh pour m'endormir le soir.

- Des chansons, pas mal, pas mal, tu peux nous en chanter une Mathilde ?

- J'ose pas, n'est-ce pas.

- Tu es timide mais fais comme s'il n'y avait personne, chante juste pour moi, allez.

- Il court il court le fuhrer, le fuhrer du bois mesdames - Barbie tu dors ; Jean Moulin, Jean Moulin va trop vite

- Bravo Mathilde, tu chantes très bien et il est venu avec toi ton papy ?

- Oui, vous voyez il est là-bas, n'est-ce pas.

- Ah c'est le Monsieur qui tend le bras pour te saluer ?

- Tu es bête, n'est-ce pas, c'est pas pour te dire bonjour qu'il fait ça, mon papy, c'est pour saluer ses amis, n'est-ce pas.

- A côté de lui, la dame blonde c'est ta maman ?

- Oui, n'est-ce pas, c'est ma maman.

- Et comment elle s'appelle ta maman ?

- Marine.

- C'est joli Marine, qu'est ce que tu voudrais garder comme cadeaux Mathilde ?

- Un coucou suisse, on aime beaucoup les suisses avec mon papy, n'est-ce pas, mais attention, un vrai coucou, pas celui avec

le minaret et le médecin qui sort pour chanter.

- Pas mal, pas mal. » ;

que Mme L. et M. C., agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fille, Mathilde C.-L.,

née le 7 avril 1999, ainsi que M. L., ci-après les consorts L., ont assigné en dommages-intérêts M. G. et la Société pour

l'édition radiophonique Ediradio, ayant pour nom commercial RTL, pour atteinte portée à leur vie privée ;

o Attendu que, pour débouter les consorts L., l'arrêt relève, par motifs propres ou adoptés, que les propos litigieux ont été

tenus en direct dans un sketch radiophonique par un imitateur humoriste, que la scène est purement imaginaire, caricaturale,

aucune confusion n'étant possible pour les auditeurs avec une émission d'information, que le recours à l'enfant n'était qu'une

façon, pour l'humoriste, de brocarder M. L., alors président du Front national, qu'il appartient au juge de concilier la liberté

de l'information avec le droit de chacun au respect de sa vie privée, que l'homme politique doit faire preuve d'une grande

tolérance, d'autant plus lorsqu'il est connu pour ses positions polémiques, qu'en l'espèce M. G. s'est livré, certes en des termes

outranciers et provocateurs, dans « la chronique de Laurent G. », émission à vocation comique et parodique, à une satire

humoristique et caricaturale exclusive d'une atteinte à l'intimité de la vie privée, que, pour singulier que soit le choix opéré

par M. G. d'utiliser la figure symbolique d'une petite-fille pour faire rire de son grand-père, homme politique, la convention

de lecture inhérente à un sketch de cette nature comme la recherche d'un effet comique résultant de l'invraisemblance de la

scène excluent toute atteinte à la vie privée de l'enfant, la voix utilisée n'étant pas la sienne, mais celle de M. G. et aucune

information n'étant livrée sur son compte, autre que son prénom et son âge approximatif, toutes choses qui, comme son

ascendance, relèvent de l'état civil, que le caractère imaginaire manifeste fait que ni les sentiments supposés de l'enfant ni le

type de relations qu'elle entretient avec son grand-père ou ce dernier avec elle ne se trouvent révélés au public ;

o Qu'en statuant ainsi, quand le droit de chacun au respect de sa vie privée et familiale s'oppose à ce que l'animateur d'une

émission radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne de l'enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir

des propos imaginaires et caricaturaux à l'encontre de son grand-père ou de sa mère, fussent-ils l'un et l'autre des

personnalités notoires et dès lors légitimement exposées à la libre critique et à la caricature incisive, l'arrêt, qui relève que, si

les noms de C. et de L. n'étaient pas cités, l'enfant était identifiable en raison de la référence à son âge, à son prénom exact, à

celui de sa mère Marine et d'un tic de langage de son grand-père, la cour d'appel, méconnaissant les conséquences légales de

ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs :

o Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a écarté l'atteinte à la vie privée de Mathilde C.-L., l'arrêt rendu le 23 janvier

2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris (...) pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles (...)

69

CE, ord., 9 janvier 2014, « Min. Intérieur c/ Sté Les Productions de la Plume

et Dieudonné M'bala M'bala »

(...) 1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens

justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à

laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait

porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un

délai de quarante-huit heures » et qu'aux termes de l'article L. 522-1 dudit code : « Le juge des référés statue au terme d'une

procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L.

521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) » ;

2. Considérant que le ministre de l'Intérieur relève appel de l'ordonnance du 9 janvier 2014 par laquelle le juge des référés du

tribunal administratif de Nantes a suspendu l'exécution de l'arrêté du 7 janvier 2014 du préfet de la Loire-Atlantique portant

interdiction du spectacle « Le Mur » le 9 janvier 2014 à Saint-Herblain ;

3. Considérant qu'en vertu de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, il appartient au juge administratif des référés

d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait

porté une atteinte grave et manifestement illégale ; que l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de cet article est ainsi

subordonné au caractère grave et manifeste de l'illégalité à l'origine d'une atteinte à une liberté fondamentale ; que le deuxième

alinéa de l'article R. 522-13 du Code de justice administrative prévoit que le juge des référés peut décider que son ordonnance

sera exécutoire aussitôt qu'elle aura été rendue ;

4. Considérant que l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des

autres droits et libertés ; qu'il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à

l'exercice de la liberté de réunion ; que les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés

fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ;

5. Considérant que, pour interdire la représentation à Saint-Herblain du spectacle « Le Mur », précédemment interprété au théâtre

de la Main d'Or à Paris, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que ce spectacle, tel qu'il est conçu, contient des propos de

caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l'apologie des

discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale ; que l'arrêté contesté du préfet

rappelle que M. Dieudonné M'bala M'bala a fait l'objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos

de même nature ; qu'il indique enfin que les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive

tension, des risques sérieux de troubles à l'ordre public qu'il serait très difficile aux forces de police de maîtriser ;

6. Considérant que la réalité et la gravité des risques de troubles à l'ordre public mentionnés par l'arrêté litigieux sont établis tant

par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l'audience publique ; qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a

été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la

cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque

sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne

humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par la tradition républicaine ; qu'il appartient en

outre à l'autorité administrative de prendre les mesures de nature à éviter que des infractions pénales soient commises ; qu'ainsi,

en se fondant sur les risques que le spectacle projeté représentait pour l'ordre public et sur la méconnaissance des principes au

respect desquels il incombe aux autorités de l'État de veiller, le préfet de la Loire-Atlantique n'a pas commis, dans l'exercice de

ses pouvoirs de police administrative, d'illégalité grave et manifeste ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par

l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à la requête présentée, sur le fondement

de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative, par la SARL Les Productions de la Plume et par M. Dieudonné M'bala

M'bala et à demander le rejet de la requête (...) présentée par ce dernier devant le juge des référés du tribunal administratif de

Nantes ; (…)

70

Conseil d’Etat, ord., 6 février 2015, « Commune de Cournon d’Auvergne »

Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 6 février 2015 au secrétariat du contentieux du

Conseil d’Etat, présentés pour la commune de Cournon d’Auvergne, représentée par son maire ; la commune

demande au juge des référés du Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1500221 du 5 février 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif

de Clermont-Ferrand, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d’une

part, suspendu l’exécution de l’arrêté du 2 février 2015 du maire de la commune de Cournon d’Auvergne portant

interdiction du spectacle de M. Dieudonné M’Bala M’Bala prévu le 6 février 2015 dans cette commune et, d’autre

part, enjoint au maire de laisser se dérouler ce spectacle le 6 février 2015 dans la salle du Zénith de Cournon ;

2°) de rejeter la demande de première instance de la société Les Productions de la Plume et de M. Dieudonné

M’Bala M’Bala ;

elle soutient que :

- l’ordonnance est insuffisamment motivée ;

- la condition d’urgence ne pouvait pas être regardée comme remplie en première instance, faute pour les

requérants de démontrer l’existence d’un préjudice financier ;

- l’arrêté litigieux ne porte pas d’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales d’expression

et de réunion, l’interdiction étant la seule mesure permettant, en l’espèce, d’assurer le maintien de l’ordre public ;

(...)

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 février 2015 présenté par la société Les Productions de la Plume et M.

Dieudonné M’Bala M’Bala, qui concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la

charge de la commune de Cournon d’Auvergne ;

ils soutiennent que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a pu relever à bon droit que la condition

d’urgence est remplie, le spectacle étant prévu ce soir ;

- il existe une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression, la liberté du travail

et la liberté de réunion ;

- le risque de trouble à l’ordre public n’est pas avéré ; (...)

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce

sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une

liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la

gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement

illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures » ;

2. Considérant que la commune de Cournon d’Auvergne relève appel de l’ordonnance du 5 février 2015 par

laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a suspendu l’exécution de son arrêté du

2 février 2015 interdisant le spectacle de M’Bala M’Bala, dit « Dieudonné », prévu le 6 février 2015 dans cette

commune ;

3. Considérant qu’en vertu de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, il appartient au juge

administratif des référés d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à

laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale ; que l’usage par le

juge des référés des pouvoirs qu’il tient de cet article est ainsi subordonné au caractère grave et manifeste de

l’illégalité à l’origine d’une atteinte à une liberté fondamentale ;

71

4. Considérant que l’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties

du respect des autres droits et libertés ; qu’il appartient aux autorités chargées de la police administrative de

prendre les mesures nécessaires à l’exercice de la liberté de réunion ; que les atteintes portées, pour des exigences

d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ;

5. Considérant que, pour interdire la représentation, le maire de la commune de Cournon d’Auvergne a relevé que

ce spectacle comporte « de nombreux propos antisémites », semblables à ceux pour lesquels son auteur a fait

l’objet de « nombreuses condamnations pénales » ; qu’il comporte par ailleurs des propos portant atteinte à la

dignité humaine ainsi que le geste et le chant dits « de la quenelle » ; que le maire s’est également fondé sur ce

que ces propos et ces gestes, dans un contexte national caractérisé par « les tragiques évènements qui se sont

déroulés sur le territoire français les 7, 8 et 9 janvier 2015 » et compte tenu, à la suite de ces évènements, de

l’attitude de M. Dieudonné M’Bala M’Bala, qui a motivé l’ouverture d’une procédure judiciaire « pour apologie

du terrorisme », sont également de nature à mettre en cause la cohésion nationale et à porter « une atteinte grave

au respect des valeurs et principes républicains » ; que le maire a enfin retenu que l’émotion ressentie localement,

tenant à ce qu’une des victimes de l’attentat du 7 janvier était originaire de la région, la réalisation sur le territoire

de la commune de tags « dirigés contre les communautés juives et musulmanes » dans la nuit du 21 au 22 janvier,

et les messages reçus à propos de ce spectacle pouvaient laisser craindre des incidents violents ; qu’eu égard à ces

différents éléments et à la circonstance que tous les effectifs des forces de l’ordre étaient, selon lui, mobilisés dans

le cadre du plan « vigipirate », le maire a estimé que l’interdiction de ce spectacle constituait la seule mesure de

nature à assurer le maintien de l’ordre public ;

6. Considérant toutefois qu’ainsi que l’a relevé le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand,

il ne résulte ni des pièces du dossier ni des échanges tenus au cours de l’audience publique que le spectacle

litigieux, programmé dès le mois de juin 2014 dans la salle du Zénith de Cournon d’Auvergne, qui a déjà été

donné à plusieurs reprises notamment à Nantes en décembre, puis à Pau et Toulouse les 9 et 10 janvier derniers,

y ait suscité en raison de son contenu, des troubles à l’ordre public, ni ait donné lieu, pour les mêmes raisons, à

des plaintes ou des condamnations pénales ; qu’il ne résulte pas davantage de l’instruction qu’il comporterait les

propos retenus par le maire dans les motifs de son arrêté ; que, pour les motifs énoncés par le juge des référés et

qui ne sont pas sérieusement contestés en appel, ni le contexte national, ni les éléments de contexte local relevés

par le maire et rappelés ci-dessus, notamment pas les messages de soutien ou de protestation, principalement

reçus à la suite de son arrêté et dont un seul évoque la possibilité d’une manifestation, ne sont, en l’espèce, de

nature, par eux-mêmes, à créer de tels risques ; que les diverses condamnations pénales de M. Dieudonné

M’Bala M’Bala ou sa mise en cause devant le juge pénal pour d’autres faits ne l’établissent pas davantage ; que si

la tenue d’un tel spectacle appelle certaines mesures de sécurité, la commune se borne à affirmer, sans apporter de

précisions de nature à étayer son argumentation, que ces mesures ne pourraient être prises du fait de l’existence

du plan « vigipirate » et du niveau d’alerte retenu et justifieraient ainsi son interdiction ;

7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune de Cournon d’Auvergne n’est pas fondée à

soutenir que c’est à tort que, jugeant que l’arrêté litigieux portait une atteinte grave et manifestement illégale à la

liberté d’expression et à la liberté de réunion, en raison de ce qu’aucun de ses motifs pris individuellement ou

collectivement ne pouvait le fonder légalement, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand,

dont l’ordonnance est suffisamment motivée, en a suspendu l’exécution ; qu’il n’y a pas lieu de mettre à la

charge de la commune de Cournon d’Auvergne la somme demandée par la société Les Productions de la Plume et

M. Dieudonné M’Bala M’Bala au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

(…)

72

CE, 9 novembre 2015, « Alliance générale contre le racisme et le respect

de l'identité française et chrétienne »

(...) 1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre la même circulaire ; qu'il y a lieu de les

joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que le recours formé à l'encontre des dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou

d'une instruction doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée

d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont

illégales pour d'autres motifs ; qu'il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles

prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle

entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure ;

3. Considérant qu'après avoir rappelé le contexte général dans lequel s'inscrit la représentation du spectacle « Le

Mur » de M. M'bala M'bala, la circulaire attaquée du ministre de l'Intérieur prescrit aux préfets l'interprétation qu'il

convient de faire des textes et de la jurisprudence relative aux cas dans lesquels la préservation de l'ordre public

justifie que soient prises des mesures d'interdiction de certaines représentations, tout en les incitant à faire preuve

d'une vigilance particulière à l'égard des représentations des spectacles de M. M'bala M'bala ;

4. Considérant qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police de prendre toute mesure pour prévenir une

atteinte à l'ordre public ; que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre

public ; que l'autorité investie du pouvoir de police peut, même en l'absence de circonstances locales particulières,

interdire une manifestation qui porte atteinte au respect de la dignité de la personne humaine ;

5. Considérant que l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du

respect des autres droits et libertés ; qu'il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les

mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion ; que les atteintes portées, pour des exigences d'ordre

public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ;

6. Considérant, en premier lieu, qu'il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police administrative de prendre

les mesures nécessaires, adaptées et proportionnées pour prévenir la commission des infractions pénales

susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public sans porter d'atteinte excessive à l'exercice par les citoyens de

leurs libertés fondamentales ; que, dans cette hypothèse, la nécessité de prendre des mesures de police

administrative et la teneur de ces mesures s'apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de

l'imminence de la commission de ces infractions ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l'ordre public

qui pourraient en résulter ; qu'il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, le ministre de l'Intérieur, qui n'a

au demeurant pas édicté de critères contraignants, n'a pas méconnu l'étendue des pouvoirs de police administrative

en rappelant que l'autorité qui les détient peut, pour apprécier la nécessité d'interdire la représentation d'un

spectacle, tenir compte de l'existence de condamnations pénales antérieures sanctionnant des propos identiques à

ceux susceptibles d'être tenus à l'occasion de nouvelles représentations de ce spectacle, de l'importance donnée aux

propos incriminés dans la structure même du spectacle ainsi que des éventuelles atteintes à la dignité de la personne

humaine qui pourraient en résulter ; que la circonstance que les propos et gestes en cause sont diffusés sur internet

73

ne fait pas obstacle à l'interdiction de représentation d'un spectacle ; que la circonstance alléguée que les mesures

envisagées par la circulaire se révèleraient insuffisantes est sans incidence sur sa légalité ;

7. Considérant que la circulaire attaquée du ministre de l'Intérieur rappelle aux préfets qu'il leur appartient

d'informer les maires sur les conditions dans lesquelles ils peuvent légalement interdire la représentation d'un

spectacle dans le cas où le risque que soient tenus des propos et gestes de nature à porter atteinte à la dignité de la

personne humaine est établi avec un degré suffisant de certitude, de les assister dans l'édiction de telles mesures ou,

lorsque les conditions de l'interdiction sont réunies, de se substituer à ces derniers ; qu'il résulte de ce qui a été dit

au point précédent que, ce faisant, le ministre de l'Intérieur n'a pas méconnu l'étendue des pouvoirs de police ni, en

tout état de cause, méconnu les principes de nécessité et de proportionnalité auxquels est subordonnée l'édiction de

mesures de police ;

8. Considérant, en troisième lieu, que des propos et gestes, notamment ceux à caractère antisémite, incitant à la

haine raciale et faisant l'apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la

Seconde Guerre mondiale, peuvent porter atteinte à la dignité de la personne humaine, alors même qu'ils ne

provoqueraient pas de troubles matériels ; qu'ainsi, le ministre de l'Intérieur n'a pas excédé sa compétence en

mentionnant, au nombre des éléments permettant de justifier l'interdiction de la représentation d'un spectacle par

l'autorité de police, les propos ou scènes qui seraient susceptibles de porter atteinte à la dignité de la personne

humaine ;

9. Considérant, enfin, qu'eu égard à l'objet de la circulaire attaquée, l'association requérante ne peut utilement

invoquer une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ;

10. Considérant qu'il résulte de tout de qui précède que, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-

recevoir opposées par le ministre de l'Intérieur, l'AGRIF, la SARL Les productions de la Plume et M. M'bala

M'bala ne sont pas fondés à demander l'annulation de la circulaire qu'ils attaquent ; (...)

74

CEDH, 26 novembre 2015, n° 64846/11, « Ebrahimian c/ France »

LA COUR - (...)

En droit (...)

o 63. C'est le principe de laïcité, au sens de l'article 1er de la Constitution française, et le principe de neutralité des

services publics qui en découle, qui ont été opposés à la requérante, en raison de la nécessité d'assurer l'égalité de

traitement des usagers de l'établissement public qui l'employait et qui exigeait, quelles que puissent être ses

croyances religieuses ou son genre, qu'elle obéisse au strict devoir de neutralité dans l'exercice de ses fonctions. Il

s'agissait, selon les juridictions nationales, d'assurer la neutralité de l'État afin de garantir son caractère laïc et de

protéger ainsi les usagers du service, les patients de l'hôpital, de tout risque d'influence ou de partialité, au nom de

leur droit à la liberté de conscience (...) . Il ressort ainsi clairement du dossier que c'est bien l'impératif de la

protection des droits et liberté d'autrui, c'est-à-dire le respect de la liberté de religion de tous, et non ses convictions

religieuses, qui a fondé la décision litigieuse.

o 64. La Cour a déjà admis que les États pouvaient invoquer les principes de laïcité et de neutralité de l'État pour

justifier des restrictions au port de signes religieux par des fonctionnaires, en particulier des enseignants exerçant

dans des établissements publics (...). C'est leur statut d'agent public, qui les distingue des simples citoyens « qui ne

sont aucunement des représentants de l'État dans l'exercice d'une fonction publique » et qui ne sont pas « soumis,

en raison d'un statut officiel à une obligation de discrétion dans l'expression publique de leurs convictions

religieuses » (Ahmet Arslan et autres c. Turquie, no 41135/98, § 48, 23 février 2010) qui leur impose, vis-à-vis des

élèves, une neutralité religieuse. De la même manière, la Cour peut accepter dans les circonstances de l'espèce que

l'État qui emploie la requérante au sein d'un hôpital public, dans lequel elle se trouve en contact avec les patients,

juge nécessaire qu'elle ne fasse pas état de ses croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions pour garantir

l'égalité de traitement des malades. Dans cet esprit, la neutralité du service public hospitalier peut être considérée

comme liée à l'attitude de ses agents et exigeant que les patients ne puissent douter de leur impartialité. (...)

o 66. La question principale qui se pose en l'espèce est donc de savoir si l'État a outrepassé sa marge d'appréciation

en décidant de ne pas renouveler le contrat de la requérante. (...) L'avis du 3 mai 2000 précité énonce ainsi

clairement que la liberté de conscience des agents doit se concilier, exclusivement du point de vue de son

expression, avec l'obligation de neutralité. La Cour réitère qu'une telle limitation trouve sa source dans le principe

de laïcité de l'État, qui, selon le Conseil d'État, « intéresse les relations entre les collectivités publiques et les

particuliers » (...), et de celui de neutralité des services publics, corollaire du principe d'égalité qui régit le

fonctionnement de ces services et vise au respect de toutes les convictions.

o 67. Or, la Cour souligne qu'elle a déjà approuvé une mise en œuvre stricte des principes de laïcité (désormais

érigée au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit (...)) et de neutralité lorsqu'il s'agit d'un principe

fondateur de l'État, ce qui est le cas de la France (...). Le principe de laïcité-neutralité constitue l'expression d'une

règle d'organisation des relations de l'État avec les cultes, qui implique son impartialité à l'égard de toutes les

croyances religieuses dans le respect du pluralisme et de la diversité. La Cour estime que le fait que les juridictions

nationales ont accordé plus de poids à ce principe et à l'intérêt de l'État qu'à l'intérêt de la requérante de ne pas

limiter l'expression de ses croyances religieuses ne pose pas de problème au regard de la Convention (...).

o 68. Elle observe à cet égard que l'obligation de neutralité s'applique à l'ensemble des services publics, ainsi que

l'ont maintes fois rappelé le Conseil d'État, et la Cour de cassation récemment (...), et que le port d'un signe

d'appartenance religieuse par les agents dans l'exercice de leurs fonctions constitue, par principe, un manquement à

leurs obligations (...). Il ne ressort en effet d'aucun texte ou d'aucune décision du Conseil d'État que l'obligation de

neutralité litigieuse pourrait être modulée selon les agents et les fonctions qu'ils exercent (...). La Cour est

consciente qu'il s'agit d'une obligation stricte qui puise ses racines dans le rapport traditionnel qu'entretiennent la

laïcité de l'État et la liberté de conscience, tel qu'il est énoncé à l'article 1er de la Constitution (...). Selon le modèle

français, qu'il n'appartient pas à la Cour d'apprécier en tant que tel, la neutralité de l'État s'impose aux agents qui le

représentent.La Cour retient toutefois qu'il incombe au juge administratif de veiller à ce que l'administration ne

75

porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience des agents publics lorsque la neutralité de l'État

est invoquée (...)

o 70. La Cour relève que la requérante, pour qui il était important de manifester sa religion par le port visible d'un

voile en raison de ses convictions religieuses, s'exposait à la lourde conséquence d'une procédure disciplinaire.

Cependant, il ne fait pas de doute que, postérieurement à la publication de l'avis du Conseil d'État du 3 mai 2000,

elle savait qu'elle était tenue de se conformer à une obligation de neutralité vestimentaire au cours de l'exercice de

ses fonctions (...). L'administration le lui a rappelé et lui a demandé de reconsidérer le port de son voile. C'est en

raison de son refus de se conformer à cette obligation que la requérante s'est vue notifier le déclenchement de la

procédure disciplinaire, indépendamment de ses qualités professionnelles. Elle a alors bénéficié des garanties de la

procédure disciplinaire ainsi que des voies de recours devant les juridictions administratives. Elle a par ailleurs

renoncé à se présenter au concours d'assistante sociale organisé par le CASH, alors qu'elle était inscrite sur la liste

des candidats que cet établissement a dressée en parfaite connaissance de cause (...). Dans ces conditions, la Cour

estime que les autorités nationales n'ont pas outrepassé leur marge d'appréciation en constatant l'absence de

conciliation possible entre les convictions religieuses de la requérante et l'obligation de ne pas les manifester puis

en décidant de faire primer l'exigence de neutralité et d'impartialité de l'État.

o 71. Il ressort du rapport de l'Observatoire sur la laïcité, en sa partie « État des lieux concernant la laïcité dans les

établissements de santé » (...), que les différends nés de la manifestation des convictions religieuses de personnes

travaillant au sein des services hospitaliers sont appréciés au cas par cas, la conciliation des intérêts en présence

étant faite par l'administration dans le souci de trouver des solutions à l'amiable. Cette volonté de conciliation est

confirmée par la rareté du contentieux de cette nature porté devant les juridictions, ainsi qu'il ressort de la circulaire

de 2005 ou des études récentes sur la laïcité (...). Enfin, la Cour observe que l'hôpital est un lieu où il est demandé

également aux usagers, qui ont pourtant la liberté d'exprimer leurs convictions religieuses, de contribuer à la mise

en oeuvre du principe de laïcité en s'abstenant de tout prosélytisme et en respectant l'organisation du service et les

impératifs de santé et d'hygiène en particulier (...) ; en d'autres termes, la réglementation de l'État concerné y fait

primer les droits d'autrui, l'égalité de traitement des patients et le fonctionnement du service sur les manifestations

des croyances religieuses, ce dont elle prend acte.

o 72. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour estime que l'ingérence litigieuse peut passer pour proportionnée au but

poursuivi. Partant, l'ingérence dans l'exercice de sa liberté de manifester sa religion était nécessaire dans une

société démocratique, et il n'y a pas eu violation de l'article 9 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour :

o Déclare, à l'unanimité, la requête recevable (...)

o Dit, (...) qu'il n'y a pas eu violation de l'article 9 de la Convention (...)

76

CE, 5 juillet 2013, « OEuvre d'assistance aux bêtes d'abattoirs »

(...) 1. Considérant qu'il résulte du 1° du I de l'article R. 214-70 du Code rural et de la pêche maritime, dont l'OEuvre d'Assistance

aux Bêtes d'Abattoirs a demandé l'abrogation, qu'une exception à l'obligation d'étourdissement des animaux avant l'abattage ou la

mise à mort est admise si cet étourdissement n'est pas compatible avec la pratique de l'abattage rituel ;

2. Considérant qu'il appartient au Premier ministre, en vertu de ses pouvoirs propres conférés par l'article 37 de la Constitution,

d'édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire et tendant à ce que l'abattage des animaux soit effectué dans

des conditions conformes à l'ordre public, à la salubrité et au respect des libertés publiques ; que lorsque le législateur est intervenu

dans ce domaine, il incombe au Premier ministre d'exercer son pouvoir de police générale sans méconnaître la loi ni en altérer la

portée ; que relève ainsi du pouvoir réglementaire, contrairement à ce que soutient la requérante, tant l'obligation d'étourdissement

dans les établissements d'abattage que les différents cas de dérogation à cette obligation ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime : « Tout animal étant un être sensible doit

être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. » ; qu'aux termes

de l'article L. 214-3 du même code : « Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi

qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité. / Des décrets en Conseil d'État déterminent les mesures propres

à assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances

lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage des animaux. (...) » ;

que l'article R. 214-75 du même code prévoit un régime d'habilitation des sacrificateurs « par les organismes religieux agréés, sur

proposition du ministre de l'intérieur, par le ministre chargé de l'agriculture » ;

4. Considérant que s'il est soutenu que le recours au terme « d'abattage rituel » serait insuffisamment précis, ce moyen doit être

écarté dès lors que la dérogation prévue au I de l'article R. 214-70 du Code rural et de la pêche maritime par les dispositions

contestées repose sur un système d'habilitation préalable sous le contrôle du juge administratif ; que la dérogation ainsi encadrée

ne peut davantage être regardée comme autorisant « un mauvais traitement » au sens de l'article L. 214-3 du Code rural et de la

pêche maritime ;

5. Considérant que la disposition contestée a été édictée dans le but de concilier les objectifs de police sanitaire et l'égal respect des

croyances et traditions religieuses ; que, s'il résulte du principe de laïcité que celui-ci impose l'égalité de tous les citoyens devant la

loi sans distinction de religion et le respect de toutes les croyances, ce même principe impose que la République garantisse le libre

exercice des cultes ; que, par suite, la possibilité de déroger à l'obligation d'étourdissement pour la pratique de l'abattage rituel ne

porte pas atteinte au principe de laïcité ;

6. Considérant que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon

différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme

l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas

manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ; qu'en prévoyant la possibilité de déroger à

l'obligation d'étourdissement imposée aux établissements d'abattage par le I de l'article R. 214-70 du Code rural et de la pêche

maritime, le pouvoir réglementaire a entendu définir le champ d'application de cette mesure de protection dans le respect de la

liberté de culte et de croyance garantie par la Constitution ; qu'ainsi la dérogation instituée par les dispositions contestées n'est

ouverte pour l'abattage rituel que lorsque celui-ci n'est pas compatible avec le recours préalable à l'étourdissement ; que, par suite,

le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté ;

7. Considérant, enfin, que si le paragraphe 1 de l'article 3 du règlement du 24 décembre 2009 sur la protection des animaux au

moment de leur abattage ou de leur mise à mort, qui a abrogé la directive du 22 décembre 1993, fait obligation aux États membres

de prendre les mesures nécessaires afin d'épargner « toute douleur, détresse ou souffrance évitable lors de la mise à mort », il

résulte, d'une part, du paragraphe 4 de l'article 4 du même règlement que « pour les animaux faisant l'objet de méthodes

particulières d'abattage prescrites par des rites religieux » l'étourdissement préalable à la mise à mort n'a pas été rendu obligatoire

« pour autant que l'abattage ait lieu dans un abattoir » et, d'autre part, des termes mêmes du 1° du I de l'article R. 214-70 du Code

rural et de la pêche maritime que la dérogation prévue par le pouvoir réglementaire ne porte que sur l'étourdissement préalable ;

que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du 1° du I de l'article R. 214-70 du Code

rural et de la pêche maritime seraient contraires à ce règlement ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'OEuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs n'est pas fondée à demander

l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation ; (...)