dépistage et traitement des infections á cytomégalovirus chez la femme enceinte

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mise au point | formation Prévention des infections transmises de la mère à l’enfant Dépistage et traitement des infections à cytomégalovirus chez la femme enceinte L’infection à CMV est la 1 re cause d’infection congénitale dans les pays développés où le poids de l’infection congénitale est très important. La primo-infection maternelle est le plus souvent asymptomatique ou se traduit par un syndrome infectieux banal, ce qui le plus souvent ne conduit pas au diagnostic de l’infection fœtale. En France, les études de prévalence montrent que 50 % des femmes enceintes sont séronégatives pour le CMV (figure 1) soit environ 400 000 femmes par an. 1 % d’entre elles font une primo-infection durant la grossesse avec comme conséquence 0,7 % de nouveau-nés infectés. L’infection fœtale survient dans un délai de 4 à 8 semaines après l’infection maternelle. À partir d’une contamination du placenta les atteintes fœtales sont diverses (atteinte rénale, digestive, hépatique, cérébrale) mais dans 90 % des cas l’infec- tion congénitale à CMV est asymptomatique (tableau I). Si l’atteinte du cerveau est tardive et rare, elle est un facteur pronostique majeur. Les infections fœtales/néonatales surviennent le plus souvent au cours d’une primo-infection mais une partie d’entre elles surviennent au décours d’une infection maternelle secondaire (réinfection /réactivation). Lors d’une étude réalisée à l’hôpital Necker à Paris entre 2007 et 2012 chez 23 enfants atteints d’anomalies cérébrales OptionBio | mardi 18 juin 2013 | n° 492 13 La transmission materno-fœtale (TMF) des infections maternelles bactériennes ou virales est une préoccupation obstétricale. Parmi les bactéries impliquées dans les infections néona- tales, certaines sont des bactéries commensales dont le portage fait l’objet d’une surveillance tel le streptocoque B. De nombreux virus peuvent, lors d’une primo-infection de la mère durant la grossesse, être transmis au fœtus avec pour celui-ci des conséquences variables selon d’une part le genre du virus en cause et d’autre part le moment de la contamination maternelle. © MOPIC | Figure 1. Enquête de prévalence du CMV chez les femmes de 15-49 ans, selon l’âge et le pays de naissance – France métropolitaine – 2010.

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Prévention des infections transmises de la mère à l’enfant

Dépistage et traitement des infections à cytomégalovirus chez la femme enceinte

L’infection à CMV est la 1re cause d’infection congénitale dans les pays développés où le poids de l’infection congénitale est très important. La primo-infection maternelle est le plus souvent asymptomatique ou se traduit par un syndrome infectieux banal, ce qui le plus souvent ne conduit pas au diagnostic de l’infection fœtale.

En France, les études de prévalence montrent que 50 % des femmes enceintes sont séronégatives pour le CMV (figure 1) soit environ 400 000 femmes par an. 1 % d’entre elles font une primo-infection durant la grossesse avec comme conséquence 0,7 % de nouveau-nés infectés.L’infection fœtale survient dans un délai de 4 à 8 semaines après l’infection maternelle. À partir d’une contamination du placenta les atteintes fœtales sont diverses (atteinte rénale, digestive, hépatique, cérébrale) mais dans 90 % des cas l’infec-tion congénitale à CMV est asymptomatique (tableau I).Si l’atteinte du cerveau est tardive et rare, elle est un facteur pronostique majeur.Les infections fœtales/néonatales surviennent le plus souvent au cours d’une primo-infection mais une partie d’entre elles surviennent au décours d’une infection maternelle secondaire (réinfection /réactivation).Lors d’une étude réalisée à l’hôpital Necker à Paris entre 2007 et 2012 chez 23 enfants atteints d’anomalies cérébrales

OptionBio | mardi 18 juin 2013 | n° 492 13

La transmission materno-fœtale (TMF) des infections maternelles bactériennes ou virales est une préoccupation obstétricale.Parmi les bactéries impliquées dans les infections néona-tales, certaines sont des bactéries commensales dont le portage fait l’objet d’une surveillance tel le streptocoque B.De nombreux virus peuvent, lors d’une primo-infection de la mère durant la grossesse, être transmis au fœtus avec pour celui-ci des conséquences variables selon d’une part le genre du virus en cause et d’autre part le moment de la contamination maternelle.

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| Figure 1. Enquête de prévalence du CMV chez les femmes de 15-49 ans, selon l’âge et le pays de naissance – France métropolitaine – 2010.

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babilité d’une infection congénitale symptomatique. L’absence d’anomalies cérébrales à la fois à l’échographie et à l’IRM exclut le risque d’être symptomatique dans 88 % des cas (tableau II).

Avancées dans le traitement de l’infection congénitale à CMVL’utilisation d’immunoglobulines hyper immunes afin d’ob-tenir une immunisation passive a fait l’objet de plusieurs études qui ont montré des résultats décevants quant à leur intérêt.

majeures liées au CMV, il a été montré que 87 % d’entre eux avaient été contaminés lors de la primo-infection maternelle mais que 13 % l’avaient été après infection maternelle secondaire.

Faut-il dépister l’infection à CMV chez la femme enceinte ?Une évaluation réalisée en 2004 par l’ANAES avait conclu à une non recommandation de la sérologie CMV pendant la grossesse.Il a été considéré qu’une sérologie systématique permettrait certes le diagnostic des primo-infections mais que, compte tenu de l’absence de standardisation des tests et des difficul-tés d’interprétation, une sérologie systématique risquerait de conduire à des excès de diagnostic et d’IVG.De plus, en cas de primo-infection avérée, l’absence de consen-sus sur la stratégie de prise en charge, la difficulté d’établir un pronostic et l’absence de traitement pouvait faire craindre un risque d’IMG en excès.Aujourd’hui des avancées ont été réalisées concernant le dia-gnostic de la primo-infection maternelle.

Diagnostic de la primo-infection à CMVCe diagnostic repose sur le profil sérologique (IgM, IgG) au 1er trimestre de la grossesse.Un résultat IgG négatif, IgM négatif exclut une primo-infection (sauf PI très récente).Un résultat IgG positif, IgM négatif exclut une primo-infection récente.Un résultat IgG positif, IgM positif traduit une primo-infection.La présence d’IgM peut cependant, dans certaines situations, ne pas correspondre à une primo-infection maternelle récente. Une persistance des IgM est possible jusqu’à un an après la primo-infection. Des IgM peuvent être détectées en cas de réactivation ou de réinfection à CMV. Enfin il existe des possibles réactions croisées avec d’autres virus (EBV, B19…).Le diagnostic de la primo-infection peut aujourd’hui s’appuyer sur un test complémentaire indispensable, l’index d’avidité des IgG. Ce test est basé sur l’évaluation de l’affinité des IgG pour les antigènes CMV. Lors de la primo-infection, les IgG ont une affinité faible pour les antigènes CMV. La réponse IgG mature pendant une période de plusieurs semaines à plusieurs mois, puis les IgG ont une affinité élevée qui se maintient toute la vie.Plusieurs trousses commercialisées permettent de déterminer l’index d’avidité des IgG.Un résultat d’avidité faible traduit une primo-infection de moins de 3 mois et un résultat d’avidité élevée exclut une primo-infec-tion dans les 3 derniers mois. Les résultats d’avidité intermé-diaire peuvent poser un problème d’interprétation (figure 2).

Avancées concernant le pronostic de l’infection fœtale par l’imagerieLa pratique d’une IRM du cerveau fœtal permet d’affiner le pronostic. La présence d’anomalies cérébrales à la fois à l’échographie et à l’IRM a une VPP de 100 % quant à la pro-

Tableau I. Morbidité et mortalité néonatales de l’infection congénitale à CMV.

5 - 10 %Infection sévère

5 - 10 %Infection modérée

90 %Asymptomatique

Signes cliniques

RCIUMicrocéphalieHépatitePurpuraHypotonieConvulsions

HépatomégalieSplénomégalieIctèreThrombopéniePétéchies

Aucun

Conséquences

Mort néonatale 30 % Séquelles 60 % à 30 % 13 %

Défaillance hépatiqueCIVD

ChoriorétiniteRetard mentalEpilepsie, surdité

Surdité

Données de la littérature (Pass 1980, Fowler 1999).

| Figure 2. Stratégie de dépistage du CMV – Hôpital Necker Paris – 2011.

N = 4 931 femmes dépistées au premier trimestre (11 SA)

2 038 (41,3 %) 201 (4,1 %) 2 692 (54,6 %)

IgG – IgM + ou équivoque IgG +

IgM – IgG + IgM –

118 (58,7 %) 83 (41,3 %)

Index avidité élevé Index avidité basse ou intermédiaire

45 38

Avidité basse Avidité intermédiaire

72 cas de résultats de PCR CMV +

le liquide amniotique et/ou dans les urines à la naissance

24 % de transmission fœtale

5 infections sévères avec lésions cérébrales et IMG

1 fausse couche

11 nouveau-nés : 9 asymptomatiques + 2 déficits auditifs

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Tableau II. Sensibilité et spécificité de l’échographie et de l’IRM dans l’estimation du risque d’infection congénitale symptomatique.

Sensibilité % Spécificité % VPP % VPN %Échographie+

63,6 94,4 77,8 89,5

IRM+

51 100 81 67

Échographie +IRM +

54,5 100 100 87,8

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Streptocoque B, herpès, gonocoque : risque néonatal

L’infection materno-fœtale représente une cause importante de morbidité et de mortalité néonatale. Sa gravité potentielle selon les germes transmis rend compte de l’intérêt, quand cela est possible, d’un diagnostic précoce et d’un traitement.

Streptocoque BLe streptocoque B (SGB) est un commensal de la flore vaginale dont le dépistage du portage chez la femme enceinte est bien codifié.En cas de portage de SGB (chez la femme enceinte ou non), en l’absence d’infection maternelle, l’antibiothérapie est inutile et dangereuse sur les germes de la flore commensale.Le dépistage du portage du SGB est recommandé, depuis 2001, par l’ANAES, systématiquement entre la 34e et la 38e semaine d’aménorrhée pour les grossesses normales et en cas de rup-ture prématurée des membranes (RPM) ou d’accouchement prématuré (MAP). Il est réalisé à partir d’un prélèvement vaginal, le prélèvement ano-rectal étant inutile.Chez les femmes enceintes ayant des antécédents de SGB, ce dépistage est inutile.Des tests rapides de dépistage sont disponibles mais la mise en culture du prélèvement doit être réalisée.Un dépistage positif s’accompagnera de mesures préventives d’une TMF consistant en une antibiothérapie per partum dès l’arrivée de la mère en salle de travail.Les recommandations préconisent l’administration de pénicilline G (5 M UI IV/4 h) ou d’amoxicilline (2g IV/4h).

En cas d’allergie à la pénicilline, la clindamycine ou des céphalosporines de 3e génération (malgré un risque d’allergie croisée) peuvent être utilisées. L’administration d’érythromycine est actuellement déconseillée en raison du niveau de résistance du SGB à cette molécule.Des études ont montré l’intérêt d’effectuer chez la femme enceinte un dépistage par une technique de PCR en temps réel dès son arrivée en salle de travail. La sensibilité de la PCR est meilleure que celle de la mise en culture et cette technique semble particulièrement adaptée en cas de MAP ou RPM. Le coût limite actuellement son indication.Un candidat vaccin (polysaccharide du SGB type III) est en cours de développement et une évaluation de son intérêt prophylac-tique chez la femme enceinte a déjà été réalisée aux États-Unis.

Herpès génitalCette affection fréquente (15 à 25 % des femmes) est due essentiellement au virus HSV2. Le risque de transmission au nouveau-né existe chez la femme enceinte bien que l’herpès néonatal soit rare (2 à 7 cas pour 100 000 naissances en France soit 15 à 50 cas par an).

L’utilisation des 3 antiviraux prescrits couramment pour le traitement de l’infection à CMV hors grossesse (ganciclovir, foscavir, cidofovir), ainsi que celle du valaciclovir, un anti-herpétique efficace à dose élevée pour le traitement préventif de l’infection à CMV chez les greffés, a été envisagée. Leur néphrotoxicité, leur tératogénicité inconnue et le mode d’admi-nistration (voie IV) limitent l’utilisation de ces molécules.Un essai (Cymeval II) de traitement par le valaciclovir de femmes enceintes dont le fœtus est infecté (signes extra cérébraux ou cérébraux non sévères à l’échographie ou signes biologiques fœtaux) est en cours. Toutes les mères incluses dans l’essai

sont ou vont être traitées par Zelitrex (2 comprimés /4/jour). Le critère de jugement principal est l’état clinique du nouveau-né. Une analyse intermédiaire de cet essai a été réalisée en sep-tembre 2012 et a montré que 72 % des nouveau-nés infectés étaient asymptomatiques.Un essai de vaccination est également en cours (essai de phase II) avec injection d’un vaccin anti-CMV recombinant à 0,1 et 6 mois.Les premiers résultats montrent une efficacité de 50 % et une probabilité de faire une primo-infection à CMV significativement moins importante chez les femmes vaccinées (p = 0,02).Néanmoins un vaccin ne sera pas mis sur le marché avant de nombreuses années.En conclusion, des outils validés existent désormais pour envi-sager un dépistage anténatal de l’infection à CMV bien qu’il n’y ait toujours pas de traitements curatifs ou prophylactiques validés et l’indication d’un dépistage pendant la grossesse mériterait d’être rediscutée.Ce dépistage permettrait de diagnostiquer la plupart des infections fœtales sévères qui sont actuellement sous diagnostiquées. |

SourceD’après une communication de Marianne Leruez-Ville (Hôpital Necker, Paris).CEMI 18 – Prévention des infections transmises de la mère à l’enfant – Mars 2013.