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Université Paris I – Panthéon Sorbonne
Master 2 Professionnel
Coopération internationale, action humanitaire et politiques de développement
(M2 CIAHPD)
Mémoire de stage
Darfour : l’humanitaire dans la balance
Réflexion sur l’évolution des relations entre les ONG humanitaires
et la Cour pénale internationale au lendemain du 4 mars 2009
Par Melle Tiphaine Bresteaux
Mémoire réalisé sous la direction de
M. Philippe Ryfman
Année universitaire 2008/2009
2
" L'Université Paris I n'entend donner aucune approbation aux opinions émises dans les mémoires.
Ces opinions doivent être considérés comme propres à leur auteurs."
3
MOTS-CLÉS ET SYNTHÈSE
Darfour ; Cour pénale internationale ; ONG humanitaires ; témoignage ; principes de l’action
humanitaire ; Omar El-Béchir ; lutte contre l’impunité ; indépendance ; mandat d’arrêt.
Le 4 mars 2009, quelques heures après l‟émission par la CPI d‟un mandat d‟arrêt contre Omar El-
Béchir, treize ONG internationales travaillant au Darfour étaient expulsées du Soudan.
Accusées par le régime de Khartoum d‟avoir fourni des renseignements à la CPI et empêchées, de
fait, d‟intervenir au Darfour, les ONG ont mis en avant leur indépendance et leur mandat
humanitaire sans pour autant parvenir à s‟exprimer d‟une seule voix ni à clarifier définitivement
leur position face au travail de la juridiction internationale créée pour lutter contre l‟impunité.
A l‟heure où nombre d‟ONG dénoncent le « brouillage » des frontières entre humanitaire, politique
et militaire, il semble que la justice internationale, incarnée par la CPI, vienne rajouter à la
confusion ; dès lors, la question se pose de la coexistence, sur les terrains de crise ou de post-
conflit, des acteurs et de leurs mandats : assistance humanitaire et justice internationale sont-elles
compatibles ?
Le présent mémoire se propose de revenir sur les évolutions de la relation entre les ONG
humanitaires et la CPI, et d‟en analyser les implications pour les acteurs internationaux de l‟aide :
après avoir rappelé le soutien du secteur non gouvernemental à la naissance de la CPI et la
proximité des missions de chacun des acteurs, nous abordons plus spécifiquement le cas du
Darfour, et démontrons de quelle manière l‟ouverture d‟une enquête de la CPI sur les crimes
commis dans les trois provinces de l‟ouest du Soudan a pu se révéler un facteur de réduction de
l‟espace humanitaire. Un mouvement de réduction qui a atteint son paroxysme le 4 mars 2009.
Dès lors, il nous semble nécessaire d‟analyser les réactions des ONG humanitaires à cette atteinte
directe à leur espace de travail et à l‟exercice de leur mandat : nous abordons, d‟une part, les
stratégies peu coordonnées de réponse aux évènements du Darfour, pour élargir ensuite la réflexion
aux mécanismes mieux construits qui devraient permettre aux ONG humanitaires de définir, dans
le respect de la mission de chacun et pour sortir enfin de la confusion et des risques qu‟elle
comporte pour l‟action de terrain, de nouvelles stratégies responsables de coopération – ou de non-
coopération – avec la CPI.
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KEY-WORDS AND SUMMARY
Darfur ; International criminal court ; relief agencies ; testimony ; humanitarian principles ; Omar
Al-Bashir ; fight against impunity ; independence ; arrest warrant.
On March 4th, 2009, a few hours after the International Criminal Court issued an arrest warrant
against Omar Al-Bashir, thirteen international NGOs received notice that their license to operate in
Darfur had been revoked.
The organizations were accused by Khartoum of passing information to the ICC and therefore had
to cease all operations in Darfur. While most of the expelled NGOs claimed their independence,
reminding both their humanitarian mandate and principles of action, no common statement
emerged that could have clarified the position of NGOs on the ICC‟s work and presence in Sudan.
As many NGOs deplore the growing confusion between the humanitarian, politics and military
action, the global fight against impunity that the ICC personifies, could increase the melting of
borders in ever more complex humanitarian scenes. The possibility for judicial and humanitarian
actors to coexist wherever conflicts break or peace restoration is in process is therefore highly
questioned.
This paper will relate the evolution of NGOs‟ support to the ICC, and examine the case of Darfur
and the reduction of humanitarian space subsequent to the referral, in March 2005 by the Security
Council, of the situation in Darfur to the ICC.
After the mass expulsion of humanitarian aid organizations from Darfur on March 4th, the reactions
of NGOs will be analysed. So will be the risks of public testimony for the implementation of relief
activities, and we will present and discuss the legal tools that can be used by humanitarian NGOs in
order to resolve their dilemma of cooperating or not with the ICC.
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REMERCIEMENTS
A Monsieur Ryfman, pour avoir accepté de diriger ce mémoire et pour ses conseils
avisés, mais aussi pour m’avoir fourni les clés d’un univers multiple tout au long de cette
année de Master.
A Julien Bartoletti, pour m’avoir ouvert les portes d’un monde qui me ressemble et
pour son engagement au quotidien, ainsi qu’à tous ceux dont le travail et l’énergie
passionnée font vivre Solidarités. Ils ont fait de mon stage un épanouissement de chaque
instant.
A mes camarades stagiaires tout particulièrement, pour leur patience et leur
bienveillance… en espérant croiser à nouveau leur route très bientôt !
6
TABLE DES MATIÈRES
Mots-clés et Synthèse ......................................................................................................................... 3
Key-words and Summary ................................................................................................................... 4
Remerciements ................................................................................................................................... 5
Préambule ........................................................................................................................................... 8
Introduction ...................................................................................................................................... 10
Chapitre 1. Secourir et protéger les victimes d‟aujourd‟hui et de demain ............................ 14
1. Incarnations et paradoxes de la lutte contre l‟impunité ........................................................ 14
Prémices de la justice pénale internationale ......................................................................... 15
Les promesses d‟une Cour permanente à vocation universelle ............................................ 17
Le fondement consensuel de la CPI, obstacle au combat universel contre l‟impunité ......... 18
La CPI, instrument politique de lutte contre l‟impunité et de maintien de la paix ? ............ 19
2. CPI et ONG, des affinités conceptuelles pour une parenté historique ................................. 22
La défense du droit international humanitaire ...................................................................... 22
La coalition des ONG pour la CPI, ou la diversité comme source de légitimité .................. 24
L‟adhésion à la coalition : un héritage ambivalent pour les ONG humanitaires .................. 26
Chapitre 2. L‟espace humanitaire au Darfour sous le poids de la justice ............................. 28
1. Le Darfour : de la crise humanitaire à l‟enquête judicaire ................................................... 29
Un théâtre humanitaire complexe ......................................................................................... 29
La réaction internationale tardive ......................................................................................... 30
Génocide au Darfour ? MSF face à l‟administration Bush ou le combat de David contre
Goliath .................................................................................................................................. 32
2. L‟expulsion des humanitaires : un dommage collatéral ? .................................................... 35
L‟espace humanitaire : concept et contours ......................................................................... 35
La CPI au Darfour et le dilemme paix vs justice .................................................................. 36
Entre non-protection et obstacles délibérés, la dégradation du climat de travail pour les
ONG après 2005 ................................................................................................................... 38
Origine des financements et relations de dépendance .......................................................... 41
La dégradation immédiate de la couverture des besoins humanitaires................................. 43
7
Chapitre 3. Une défense chaotique des principes humanitaires en danger ........................... 45
1. L’indépendance comme argument d’autodéfense ................................................................ 45
Un principe commun à réaffirmer ........................................................................................ 45
Plaidoyer humanitaire vs responsabilisation politique ? ...................................................... 48
2. Quand le silence rajoute à la confusion ............................................................................... 52
Un message, plusieurs destinataires ..................................................................................... 53
Le monde non gouvernemental divisé sur le rôle politique de la justice.............................. 55
Un rapport de force défavorable aux ONG .......................................................................... 56
Le silence comme prix du retour ? ....................................................................................... 59
Chapitre 4. La pratique du témoignage, ou comment assumer l‟indépendance ................... 61
1. Témoignage et action de terrain : de l’intégration à l’incompatibilité ? ............................. 61
La parole au service de l‟action ............................................................................................ 62
La valeur du témoignage humanitaire pour la procédure judiciaire ..................................... 64
L‟accès aux victimes et la sécurité des travailleurs humanitaires, principaux enjeux du
silence ................................................................................................................................... 65
2. Le refus du témoignage comme affirmation de la neutralité ................................................ 67
Une obligation de témoigner assouplie avec la CPI ............................................................. 68
L‟immunité testimoniale du CICR, une exception négociée ................................................ 70
Reprendre le contrôle : la politique MSF de coopération avec la CPI ................................. 72
Conclusion ........................................................................................................................................ 77
Bibliographie .................................................................................................................................... 79
Sites Internet consultés ..................................................................................................................... 82
Liste des principaux sigles et acronymes ......................................................................................... 84
Table des Annexes............................................................................................................................ 85
8
PRÉAMBULE
Le thème de ce mémoire s‟est assez rapidement dessiné après que j‟ai eu débuté, en mai 2009, mon
stage de Master 2 au sein du siège de l‟Organisation non gouvernementale (ONG) française
Solidarités. L‟organisation humanitaire, dont les principaux domaines d‟expertise sont l‟accès à
l‟eau et à l‟assainissement, et la sécurité alimentaire, fêtera en 2010 son trentième anniversaire.
Présente dans une quinzaine de pays à travers le monde, Solidarités opérait notamment, jusqu‟au 4
mars 2009, sur le plus grand théâtre humanitaire de la planète : les trois provinces de l‟ouest du
Soudan composant la région du Darfour.
A l‟occasion de mon stage, j‟ai occupé pendant six mois la fonction d‟assistante sur le Desk chargé,
entre autres, du suivi des deux missions de l‟association au Soudan : le Darfour, et le Sud Soudan.
Ayant débuté mon stage près de trois mois après l‟expulsion du 4 mars, je n‟ai pas eu l‟occasion
d‟assister directement à la fermeture de la mission Darfour, ni d‟observer de quelle manière
Solidarités gérait cette crise signifiant par ailleurs la fermeture de sa deuxième plus grande mission
après la République démocratique du Congo ; tous les employés expatriés de Solidarités avaient en
outre quitté le Soudan en mai 2009.
En revanche, il m‟a été donné, au cours de mon stage, d‟assister et de prendre part au règlement
d‟un ensemble d‟éléments relevant pour l‟association de la gestion de l‟après crise : la remise des
rapports finaux des projets interrompus et la clôture des contrats de financement, suivis par de
longues négociations avec les bailleurs de fonds dont l‟objet était de limiter, pour l‟association, le
préjudice financier causé par l‟expulsion du Darfour et la rupture subséquente des contrats ; les
discussions internes autour des conséquences, en termes institutionnels et organisationnels
notamment, de la fermeture de la mission Darfour pour Solidarités ; l‟observation des stratégies
mises en place par les autres ONG expulsées et, au moment du retour au Darfour de certaines
d‟entre elles, les débats sur la pertinence humanitaire d‟une éventuelle réouverture de la mission de
Solidarités au Darfour ; la réorientation de la stratégie de communication de l‟ONG, se détachant
du Darfour pour s‟intéresser aux pays et régions limitrophes – Tchad, Sud Soudan et République
centrafricaine – dans lesquels Solidarités continue d‟apporter son assistance humanitaire ; ou
encore le parcours des travailleurs expatriés revenus du Darfour et le redéploiement par l‟ONG de
ces ressources humaines vers ses autres missions.
La prise de recul par rapport à la gestion quotidienne de la fermeture de la mission Darfour m‟a
ensuite conduit à l‟interrogation suivante : si les modalités, les manifestations et les nombreuses
conséquences de l‟expulsion du Darfour étaient régulièrement discutées et en permanence gérées,
les motifs et les causes de cette expulsion semblaient relever d‟une tout autre sphère, et, sans que
personne ne se refuse radicalement à les évoquer, n‟étaient que rarement mentionnés. Certes,
Solidarités a été, parmi les ONG sommées de quitter le Darfour les 4 et 5 mars 2009, l‟une des
9
premières et des plus virulentes à réfuter clairement les accusations du gouvernement soudanais, et
à dénoncer les conditions de l‟expulsion du pays. Les autorités de Khartoum étaient volontiers
désignées par l‟association comme les premières responsables de la situation : celle de l‟expulsion,
mais également les nombreuses entraves à l‟acheminement de l‟aide humanitaire et à l‟accès aux
populations qui avaient été le lot quotidien, bien avant mars 2009, de la mission de Solidarités au
Darfour pendant de nombreux mois.
Quant au déclencheur de cette série d‟évènements, l‟émission d‟un mandat d‟arrêt par la Cour
pénale internationale (CPI) contre le président soudanais Omar El-Béchir, accusé d‟avoir commis
des crimes de guerre et des crimes contre l‟humanité au Darfour, il était le plus souvent
pudiquement passé sous silence. Ainsi, alors que je questionnais au détour d‟une conversation
informelle l‟un des membres de l‟équipe dirigeante de l‟association quant à la nature des relations
entre l‟ONG et la CPI, ce dernier me répondait laconiquement, et non sans saisir les limites et les
contradictions de son propos : « on n‟en a pas ».
Une véritable interrogation émergeait alors, et avec elle, le sentiment que les ONG ne sortiraient
probablement pas tout à fait les mêmes de la confrontation avec la CPI dans laquelle les avait
placées le gouvernement d‟Omar El-Béchir. En effet, et l‟analyse des réactions et des prises de
positions des ONG humanitaires au lendemain de l‟expulsion du 4 mars 2009 me le confirmât
ensuite, les acteurs non gouvernementaux sont encore loin de maitriser parfaitement toutes les
particularités de cet acteur relativement nouveau des relations internationales que constitue la Cour
pénale internationale, comme d‟analyser toutes les implications que comporte l‟opérationnalisation
de la justice pénale internationale pour leur propre action.
Ainsi, et au-delà d‟un simple travail d‟observation et d‟analyse de ces acteurs passionnants que
sont les organisations non gouvernementales humanitaires, ce mémoire se conçoit-il très
modestement comme une contribution à la meilleure compréhension du rôle et des possibilités
qu‟offre la justice pénale internationale pour les acteurs internationaux de l‟aide, et à l‟évolution
des relations entre ces deux familles d‟acteurs dans le respect de la mission de chacun.
10
INTRODUCTION
Si le Darfour et le Soudan continuent, en cette fin d‟année 2009, d‟occuper de manière constante
l‟espace médiatique, les observateurs semblent s‟intéresser davantage aux stratagèmes développés
par Omar El-Béchir pour sillonner l‟Afrique tout en évitant soigneusement les pays qui ont choisi
de mettre application le mandat d‟arrêt international dont le président soudanais fait l‟objet, qu‟à la
situation humanitaire qui prévaut dans les trois provinces de l‟est du Soudan. Ainsi, le chiffre de
quelques 2,7 millions de personnes vivant encore dans les camps de déplacés à l‟intérieur du
Darfour, alors que la guerre est supposée avoir pris fin entre les provinces de l‟ouest et le régime
soudanais1, est inlassablement rappelé dans les dernières lignes des articles de presse comme un
état de fait, et ne semble pas avoir subi la moindre évolution depuis de longs mois. Seuls les
évènements particulièrement marquants que constituent, pour les opinions publiques occidentales,
les enlèvements de travailleurs humanitaires internationaux ou les incidents subis par les forces
étrangères de maintien de la paix, semblent parvenir à replacer sur le devant de la scène la réalité
du « conflit de basse intensité2 » qui continue de déchirer le Darfour, et les conditions d‟insécurité
dans lesquels évoluent encore non seulement les acteurs internationaux de l‟aide, mais également
les populations déplacées et résidentes de l‟ouest du Soudan.
Au Darfour cependant, les tensions entre justice pénale internationale et assistance humanitaire aux
populations ne se réduisent pas au partage du temps de parole entre un Luis Moreno-Ocampo3 et un
John Holmes4. En effet, en mars 2009, et bien loin des considérations sur l‟occupation de l‟espace
médiatique sans en être pour autant totalement déconnectée, une décision historique de la Cour
pénale internationale allait bouleverser le paysage de l‟aide humanitaire au cœur du plus grand
théâtre d‟opérations de secours de la planète.
Le 4 mars 2009, l‟émission d‟un mandat d‟arrêt par la Chambre préliminaire de la Cour pénale
internationale (CPI) contre le président soudanais en exercice Omar El-Béchir, accusé de s‟être
rendu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l‟humanité au cours du conflit opposant le
pouvoir central de Khartoum aux mouvements d‟insurrection du Darfour, a en effet provoqué une
réaction immédiate et particulièrement brutale du gouvernement soudanais : dans les quelques
heures suivant l‟annonce de la CPI, treize Organisations non gouvernementales internationales et
trois ONG de nationalité soudanaise, présentes pour l‟essentiel dans au moins l‟une des trois
1 « Aujourd'hui, je ne dirais pas qu'il y a une guerre au Darfour. Les causes du conflit ont complètement changé […] C'est
vraiment un conflit de basse intensité, la phase de la guerre à grande échelle est terminée ». Le général Martin Luther
Agwai, à la fin de son mandat de Chef des opérations militaires de la force de maintien de la paix dans le Darfour
(MINUAD), cité par « Il n‟y a plus de guerre au Darfour, selon le Commandant de la MINUAD », AFP, 27 août 2009 ;
disponible sur : http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5gwX_gQMr9iggieY9prsNeSZrVGbA. 2 Ibid. 3 Luis Moreno-Ocampo est le Procureur de la Cour pénale internationale depuis 2003. 4 John Holmes est le Secrétaire général adjoint chargé des affaires humanitaires et le Coordinateur des secours d‟urgence
des Nations Unies.
11
provinces du Darfour, ont vu leur autorisation de travailler au Soudan révoquée5. Ainsi, et si l‟on
considère dans un premier temps le seul enchaînement des évènements survenus les 4 et 5 mars
2009, l‟un des premiers gestes forts de la jeune CPI, qui se mesure pour la première fois à un Chef
d‟Etat en exercice, a induit une conséquence directe et négative pour les seize organisations
humanitaires concernées, dont la plupart étaient présentes au Darfour depuis plusieurs années : la
fermeture de leur mission et la fin brutale de leur action d‟assistance au Darfour, et le départ du
pays sans délai. L‟aboutissement du travail du principal acteur chargé de faire passer la lutte contre
l‟impunité de l‟utopie à la réalité internationale, devenant alors, de fait, un obstacle à la mise en
œuvre de leurs opérations pour les ONG humanitaires qui se sont quant à elles confiées pour
mission de protéger et d‟assister les victimes civiles des conflits, subissant des violations de leurs
droits les plus fondamentaux que la CPI a précisément été conçue pour punir.
Outre le simple enchaînement des décisions prises à La Haye et à Khartoum, une analyse plus
précise des motifs de l‟expulsion des ONG humanitaires conduit également à interroger la nature
des relations entretenues entre ces dernières et la juridiction pénale internationale permanente : le
lien existant entre ONG humanitaires et CPI ne fait en effet aucun doute pour les autorités
soudanaises, qui ont expulsé les acteurs internationaux de l‟aide au motif que ceux-ci coopéraient
et fournissaient des informations à la CPI, et mettaient alors en danger la sécurité nationale. Que
cette accusation formulée par le gouvernement soudanais soit purement opportuniste ou
partiellement sincère n‟importe finalement pas tant : quand bien même il ne s‟agirait que d‟une
tactique élaborée par Khartoum pour bouter hors de son territoire des témoins gênants ou adresser
un message retentissant à d‟autres destinataires que les ONG elles-mêmes, les organisations
humanitaires et la CPI font bel et bien l‟objet d‟une association, dans la rhétorique du
gouvernement soudanais, comme pour une partie de l‟opinion publique internationale au lendemain
des évènements du 4 mars ; une relation entre les acteurs est donc établie, au moins en termes de
perception.
Ainsi, et à l‟heure où nombre d‟ONG et d‟observateurs dénoncent l‟effacement des frontières entre
l‟humanitaire, le politique et le militaire, et les conséquences d‟un tel désordre sur la perception des
intervenants mais également dans les domaines opérationnels et de la sécurité, un nouvel acteur
entre en scène : il semble alors que la présence de la justice pénale internationale, incarnée par la
CPI au Darfour, vienne rajouter à la confusion ambiante.
La situation et l‟enchaînement des évènements survenus en mars 2009 au Darfour posent ainsi la
question centrale, bien que jusqu‟ici souvent évitée, de la coexistence entre les acteurs de la justice
pénale internationale et ceux de l‟aide humanitaire sur un même terrain de conflit : la situation du
Darfour révèlerait-elle une incompatibilité entre la mise en œuvre de l‟assistance humanitaire et la
lutte contre l‟impunité ? Les acteurs peuvent-ils travailler en étroite collaboration sur le terrain, ou
5 A l‟exception de la région autonome du Sud-Soudan.
12
un tel mélange des genres peut-il avoir des conséquences préjudiciables pour l‟atteinte de leurs
objectifs respectifs, comme semble le suggérer le cas du Darfour ?
En outre, il s‟agit également de déterminer comment les tensions mises en lumières par l‟examen
du cas du Darfour sont analysées, anticipées et gérées par chacun des acteurs : quelles sont les
nouvelles stratégies définies et mises en œuvre par les ONG humanitaires afin de prendre en
compte la contrainte supplémentaire que peut représenter la présence de la CPI pour l‟action de
terrain ? A l‟inverse, de quelle manière la CPI envisage-t-elle ses rapports et tente-t-elle d‟intégrer
les préoccupations de ces organisations qui, comme elle-même a déjà commencé à le faire, ont
bouleversé le paysage des relations internationales au cours des dernières décennies ?
S‟il est bien question de caractériser ici l‟évolution des relations entre la CPI et les ONG
humanitaires, ces dernières n‟en restent pas moins l‟objet d‟étude principal6 : le contexte du
Darfour et les développements de la justice pénale internationale fourniront avant tout un éclairage
permettant de mettre en lumière les faits marquants de l‟évolution des ONG humanitaires,
d‟analyser leurs stratégies d‟acteurs, mais également de questionner l‟homogénéité de l‟ensemble
réuni sous le vocable « ONG » et d‟en dessiner, le cas échéant, les lignes de fracture internes.
La question de la compatibilité entre la lutte contre l‟impunité et l‟assistance humanitaire sera tout
d‟abord examinée dans une perspective historique et conceptuelle : l‟examen des caractéristiques et
des mécanismes de fonctionnement pertinents de la jeune Cour pénale internationale devrait
permettre de déterminer en quoi elle constitue une évolution marquante de la lutte contre l‟impunité
et de la défense du droit international humanitaire. La grande proximité des missions que
constituent la lutte contre l‟impunité et l‟assistance humanitaire, dont l‟objet commun n‟est autre
que de protéger et secourir les populations victimes de conflits et autres violations de leurs droits
les plus élémentaires, sera ici soulignée, par un retour sur le soutien historique apporté par les ONG
à la création de la CPI, dans une volonté d‟extension de leur mandat humanitaire aux victimes de
demain.
La présentation rapide de la situation qui prévaut au Darfour depuis 2003, cependant, et l‟analyse
des différentes étapes du conflit qui ont conduit à la constitution d‟un dossier « Darfour » devant la
CPI, mettront en lumière les tensions qui ont résulté, dans ce contexte donné, de la présence d‟un
acteur international supplémentaire chargé de récolter des informations et de mener des enquêtes
afin de punir les responsables de violences commises dans un conflit alors bien loin d‟être arrivé à
son terme. Ainsi, il s‟agira d‟examiner, dans ce deuxième chapitre, de quelle manière le travail et
les décisions contraignantes de la CPI ont pu dessiner des limites nouvelles à l‟action humanitaire
de terrain, et contribuer à réduire les contours de l‟espace humanitaire au Darfour ; nous aborderons
également brièvement la question de l‟emploi du terme de « génocide » pour désigner la situation
6 Le présent mémoire est en effet rédigé dans le double cadre du Master II de Science politique (CIAHPD) et d‟un stage
au sein d‟une organisation non gouvernementale humanitaire.
13
au Darfour, et analyserons les implications d‟une telle qualification à l‟heure où une juridiction
pénale internationale permanente existe précisément pour juger les auteurs d‟un tel crime.
Si l‟on identifie bien une réduction de l‟espace humanitaire au Darfour résultant de l‟ouverture
d‟une enquête et de l‟émission de mandats d‟arrêts contre plusieurs hauts responsables soudanais
par la CPI, il s‟agira alors, dans un troisième chapitre, d‟analyser en détail les réactions des ONG
humanitaires face à la violation de leur espace de travail privilégié. Un examen de la
communication des ONG expulsées au lendemain du 4 mars sera effectué afin de déterminer les
lignes de force d‟une défense par les ONG de l‟espace humanitaire, ainsi que des principes qui
régissent leur action, au Darfour comme ailleurs. Nous tenterons également, grâce au décryptage du
discours des ONG et à la mise en perspective des différents positionnements, d‟apporter des
éléments de caractérisation de l‟ensemble « ONG humanitaires » et des lignes de fracture qui le
traversent.
Après l‟analyse des réactions immédiates des ONG humanitaires à l‟expulsion du 4 mars 2009,
nous tenterons enfin de déterminer de quelle manière celles-ci se révèlent capables, ou non, de
prendre la mesure d‟un tel évènement et d‟élaborer en conséquence une réflexion sur les
mécanismes juridiques qui permettraient de garantir l‟indépendance et la neutralité de leur action.
A cet effet, la question de la compatibilité entre justice pénale internationale et action humanitaire
sera posée de façon pragmatique et concrète : nous nous concentrerons en effet, dans ce quatrième
et dernier chapitre, sur la notion de témoignage, et reviendrons sur le sens qu‟il revêt pour les ONG
humanitaires avant de questionner la possibilité de conjuguer, pour elles, action de témoignage et
action de terrain.
14
Chapitre 1. Secourir et protéger les victimes d‟aujourd‟hui et de demain
La Cour pénale internationale, dont la première Chambre préliminaire a émis le 4 mars 2009 un
mandat d‟arrêt contre le président soudanais Omar El-Béchir, est née de l‟adoption de la
Convention de Rome du 17 juillet 1998 portant Statut de la Cour pénale internationale, au cours
d‟une conférence diplomatique internationale organisée sous l‟égide de l‟Organisation des Nations
Unies (ONU) et réunissant cent cinquante-neuf Etats. Il aura fallu quatre ans pour que le statut de la
CPI, dit Statut de Rome, entre en vigueur, le 1er juillet 2002
7 ; un délai de ratification qui peut
sembler particulièrement court sur l‟échelle de temps de la diplomatie internationale8. La Cour s‟est
effectivement mise en place en mars 2003, avec la nomination des neuf juges qui la composent, du
Procureur et du greffier.
L‟objectif de la CPI, tel que mentionné dans le Préambule du Statut de Rome, est de « mettre un
terme à l‟impunité des auteurs de crimes les plus graves qui touchent l‟ensemble de la communauté
internationale », et de « concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes ».
Un objectif qui ne semble pas, en première analyse, fondamentalement contradictoire avec les
principes d‟humanité et d‟assistance aux victimes de tels crimes qui fondent l‟action humanitaire.
En outre, et nous allons le voir après avoir examiné dans un premier temps les principales
caractéristiques pertinentes de la CPI au regard de ses interactions avec les acteurs étatiques et non
gouvernementaux, la CPI n‟a pas bénéficié d‟un seul soutien de principe de la part des ONG : le
rôle joué par le secteur non gouvernemental dans la genèse et la rédaction des statuts de la première
juridiction pénale internationale permanente a été capital au milieu des années 1990, et, malgré le
rôle prépondérant des ONG de défense des droits de l‟homme, les organisations humanitaires n‟ont
pas été en reste.
1. Incarnations et paradoxes de la lutte contre l’impunité
Il ne s‟agit pas ici d‟entreprendre une présentation exhaustive du fonctionnement de la Cour pénale
internationale ni d‟analyser, dans une logique d‟examen juridique, chacun des articles de son
Statut, mais bien de considérer ses principales caractéristiques au regard de l‟objet d‟étude qui nous
intéresse, à savoir les organisations humanitaires non gouvernementales ; ces caractéristiques
seront dans un premier temps rapidement resituées dans l‟évolution des juridictions pénales
internationales. Par ailleurs, un examen des fondements et du fonctionnement de la CPI ne saurait
faire l‟économie d‟une analyse des liens existants entre la Cour et les Etats souverains dont une
7 Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale est entré en vigueur à l‟issue de sa ratification par le soixantième
Etat, comme prévu à l‟article 126 ; on pourra consulter le texte sur le site Internet de la CPI, à l‟adresse suivante :
http://www.icc-cpi.int/menus/icc/legal%20texts%20and%20tools/official%20journal/rome%20statute?lan=fr-FR. 8 Sylvie KOLLER, « La Cour pénale internationale. Ses ambitions, ses faiblesses, nos espérances », Etudes, tome 398,
2003 (1), pp. 33-42.
15
partie a ratifié le statut portant sa création. Enfin, un accent particulier sera mis sur la nature des
crimes que la CPI est appelée à juger, et notamment ceux relevant de violations du droit
international humanitaire.
Prémices de la justice pénale internationale
Les mécanismes de répression des crimes ont une existence déjà ancienne dans le domaine des
relations internationales : ainsi, les prémices d‟une justice pénale internationale se manifestaient
déjà au XIXe siècle avec la signature, à Genève en 1864, de la Convention pour l‟amélioration du
sort des militaires blessés dans les armées en campagne, qui proposait alors d‟instaurer une Cour
pénale chargée de sanctionner les manquements à ce texte fondateur du droit international
humanitaire9.
C‟est toutefois au lendemain de la Seconde guerre mondiale, qui fut le théâtre d‟exactions et de
crimes particulièrement odieux, que l‟on situe l‟essor de la justice pénale internationale et la
naissance de tribunaux compétents pour juger les responsables de crimes contre la paix, crimes de
guerre et crimes contre l‟humanité. Le Tribunal militaire international de Nuremberg10
, chargé de
juger les membres du régime nazi responsables de tels crimes, et le Tribunal militaire international
de Tokyo devant lequel ont comparu les criminels de guerre japonais11
, ont ainsi vu les définitions
des crimes être élaborées en même temps qu‟étaient posés les premiers jalons de la lutte contre
l‟impunité dans la sphère internationale.
Néanmoins, la fervente activité judiciaire internationale qui a suivi le second conflit mondial
demeure une exception dans la pratique des relations internationales, au moins jusqu‟au milieu des
années 1990 – le climat de la Guerre froide, avec la rivalité entre les deux superpuissances et
l‟effacement des conflits périphériques, se révéla en effet bien peu propice aux avancées de la
justice internationale.
Ainsi, en l‟absence d‟une juridiction pénale internationale devant laquelle pourraient comparaître
les auteurs de violations graves et massives du droit international humanitaire, le conflit
yougoslave, et plus tard les massacres perpétrés sur le territoire rwandais entre avril et juillet 1994,
verront naître des juridictions pénales spécifiquement chargées de juger les responsables des crimes
les plus graves commis au cours de ces deux conflits : le Tribunal pénal international pour l‟ex-
9 Hortensia D.T. GUTIERREZ POSSE, « The relationship between international humanitarian law and the international
criminal tribunals », Revue internationale de la Croix Rouge, vol. 88, n°861, mars 2006, pp. 65-86. 10 Crée par l‟Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes
de l‟Axe, adopté à Londres le 8 août 1945 ; le texte de l‟Accord de Londres est disponible sur le site Internet du CICR,
rubrique « Traités et textes » : http://www.icrc.org/dih.nsf/FULL/350?OpenDocument. 11 Le Tribunal de Tokyo a été créé le 19 janvier 1946, après l‟approbation par le général américain Douglas Mac Arthur,
alors Commandant suprême des forces alliées au Japon de la Charte instituant le Tribunal militaire international pour
l‟Extrême Orient ; ce statut est très fortement inspiré de celui du Tribunal de Nuremberg.
16
Yougoslavie, créé en 199312
, et celui pour le Rwanda, en 199413
. Chacun des deux tribunaux, dont
la force obligatoire des décisions se déduit de leur création par le Conseil de Sécurité dans le cadre
du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, reçoit compétence pour juger les auteurs violations
des lois ou des coutumes de la guerre, de crime de génocide et de crimes contre l‟humanité14
,
perpétrés sur les territoires respectifs de l‟ex-Yougoslavie ou du Rwanda15
; leur compétence
ratione temporis s‟étend par ailleurs à la période seule du conflit en question.
En outre, de la même façon que les tribunaux militaires d‟après-guerre avaient été mis en place par
les Alliés, vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, pour juger les responsables de crimes graves
issus du camp des vaincus, et comportaient donc une dimension politique intrinsèque, la création
des TPI relève d‟une double logique juridique et politique16
. La création du TPIY constitue ainsi
l‟élément judiciaire de gestion de la crise yougoslave par la communauté internationale17
: la mise
en place du tribunal alors même que le conflit se déroulait encore avait ainsi pour objectif
d‟envoyer un message dissuasif aux responsables politiques et militaires impliqués dans le conflit18
.
Il en est de même pour le TPIR, dont le caractère politique est davantage lié à la nature des crimes
qu‟il est chargé de juger, et notamment le crime de génocide19
.
La nature des relations entretenues entre les TPI et les juridictions nationales – la compétence des
tribunaux internationaux prime sur celle des juridictions nationales pour les crimes graves commis
en ex-Yougoslavie et au Rwanda – les distingue par ailleurs des tribunaux spéciaux dits « à
caractère international » qui seront mis en place pour réprimer les infractions graves au droit
international humanitaire au Timor Leste, en Sierra Leone et au Cambodge.
Notamment créés pour répondre aux nombreuses critiques formulées à l‟égard des TPI20
, les
Tribunaux spéciaux à caractère international ont été conçus comme des juridictions mixtes ou
12 Le Tribunal pénal international pour l‟ex-Yougoslavie a été créé par les résolutions 808 (22 février 1993) et 827 (25
mai 1993) du Conseil de Sécurité ; le Statut du TPIY, reprenant les résolutions initiales et actualisé à juillet 2009, est
disponible sur le site Internet du TPIY : http://www.icty.org/sid/135. 13 Le TPIR est créé le 8 novembre 1994 par la résolution 955 du Conseil de Sécurité ; le Statut du TPIR actualisé est
disponible sur le site Internet du TPIR : http://www.ictr.org/ENGLISH/basicdocs/statute/2007.pdf. 14 Patricia BUIRETTE et Philippe LAGRANGE, Le droit international humanitaire, Paris, La Découverte, Coll.
« Repères », n° 196, 2008. 15 Le TPIR connaît également des crimes commis sur le territoire des Etats voisins et s‟inscrivant dans le cadre du conflit
rwandais. 16 Intervention de Rony BRAUMAN, in « Justice pénale internationale et action humanitaire sont-elles conciliables ? »,
Les 5 à 7 du CICR, 17 décembre 2008. L‟intégralité du débat en vidéo est consultable sur blog de Frédéric Joli, porte-
parole du CICR en France, au lien suivant : http://cicr.blog.lemonde.fr/2008/12/17/justice-penale-internationale-et-action-
humanitaire-le-debat-en-video/. 17 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET Témoignage judicaire ou humanitaire ? Historique des
interactions entre MSF et les procédures d’enquête et de poursuites judiciaires, Paris, CRASH/Fondation Médecins sans
frontières, Coll. « Cahiers du CRASH », avril 2007. 18 Il s‟agissait, par l‟usage de la menace judiciaire, de dissuader les dirigeants de mener de nouvelles politiques et actions
criminelles, et ainsi de favoriser les négociations de paix en cours. Dans un contexte de faiblesse du dispositif militaire
international déployé pour maintenir la paix, la mission que se voit confier le TPIY en 1993 est donc double, même si
seule la première composante figure dans ses statuts : une mission de justice, et une mission politique de gestion de
conflits et de rétablissement de la paix. 19 La reconnaissance du génocide des Tutsis et des Hutus modérés au Rwanda a fait l‟objet d‟intenses discussions au sein
du Conseil de sécurité, et constitué l‟une des premières tâches du Tribunal dès son installation. 20 Ces critiques portent à la fois sur des questions de dysfonctionnement interne et de procédure – coût de fonctionnement
des tribunaux, lenteurs dans les enquêtes et les procès, éloignement des tribunaux qui sont établis à l‟extérieur des
territoires du Rwanda et de l‟ex-Yougoslavie, ne permettant pas aux sociétés de s‟approprier le processus judiciaire et
17
« hybrides » , composées de juges à la fois nationaux et internationaux, et mises en place sur la
base d‟un accord négocié entre le gouvernement de l‟Etat concerné et le Conseil de Sécurité des
Nations Unies. Ils doivent ainsi permettre de juger, dans le pays dans lequel elles ont été commises
et dans le cadre d‟un processus de transition politique devant favoriser la réconciliation nationale,
les infractions les plus graves au droit international ; le tout, demeurant sous contrôle onusien
permanent.
Ces juridictions mixtes, imaginées pour pallier certaines défaillances des Tribunaux pénaux
internationaux, semblent être parvenues à créer un nouveau modèle, caractérisé par un contrôle
international exercé sur des instances nationales chargées de faire appliquer partiellement le droit
national et le droit international. Or, si la création d‟une juridiction pénale internationale
permanente semble avoir relégué les TPI au rang d‟instruments obsolètes, cette originalité des
Tribunaux spéciaux « à caractère international » conduit certains auteurs à les considérer comme
l‟une des « nouvelles formes de justice pénale internationale21
», qui pourraient être amenés à
coexister avec une Cour permanente.
Les promesses d’une Cour permanente à vocation universelle
La Cour pénale internationale est définie comme une « institution permanente, qui peut exercer sa
compétence à l'égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée
internationale22
». Le caractère permanent de la CPI, nous l‟avons évoqué, constitue l‟un des
éléments de distinction majeure entre celle-ci et les précédentes formes institutionnelles de la
justice pénale internationale.
En outre, contrairement à d‟autres institutions permanentes créées pour faire respecter le droit
international, la CPI est compétente à l‟égard des personnes, et non des Etats comme l‟est par
exemple, la Cour internationale de justice avec laquelle la CPI ne doit pas être confondue. La lutte
contre l‟impunité des auteurs des crimes les plus graves, qui constitue l‟objectif principal de la CPI,
doit concourir à la prévention de nouveaux crimes23
; à cette fin, la CPI peut prononcer des peines
d‟emprisonnement, allant jusqu‟à l‟emprisonnement à perpétuité pour une personne reconnue
coupable de crimes d‟une « extrême gravité24
».
d‟engager celui de réconciliation nationale – que sur de véritables questionnements juridiques et politiques – discussions
sur la place exacte des TPI dans le dispositif pénal international en structuration, attentes particulièrement élevées de la
communauté internationale qui veut voir comparaître les « responsables les plus importants », accompagnées, non sans
contradictions, de craintes de la part de certaines diplomaties devant l‟indépendance et l‟autorité acquises peu à peu par
les membres des tribunaux, et par la Procureur Carla del Ponte en premier lieu. 21 Renaud DE LA BROSSE, « Les trois générations de la justice pénale internationale. Tribunaux pénaux internationaux,
Cour pénale internationale et Tribunaux mixtes », in Annuaire français des relations internationales 2005, Volume VI,
Bruxelles, Emile Bruylant, 2005. pp. 154-166. 22 Statut de Rome, article premier. 23 Statut de Rome, Préambule. 24 Statut de Rome, article 77.
18
Par ailleurs, la qualité de Chef d‟Etat, de gouvernement ou toute autre qualité officielle, n‟entraîne
aucune immunité face à la CPI, ouvrant ainsi la possibilité d‟étendre la lutte contre l‟impunité
jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir25
.
Au sein de la catégorie des « crimes les plus graves » pour lesquels la CPI est compétente, on
retrouve les principaux crimes internationaux définis à la fois par le droit international coutumier,
par certains traités internationaux et dans les statuts des précédentes juridictions pénales
internationales.
Les crimes relevant de la compétence de la CPI sont au nombre de quatre grands ensembles : le
crime de génocide, les crimes contre l‟humanité, les crimes de guerre, et le crime d‟agression26
;
pour ce dernier toutefois, les Etats n‟étant pas parvenus à trouver un accord sur sa définition au
moment de la rédaction du Statut de Rome, la compétence de la Cour est suspendue jusqu‟à ce
qu‟une définition en soit adoptée et que les conditions d‟exercice soient fixées. Avec la liste et la
définition de ces crimes, les parties à la rédaction du Statut de Rome ont tenté d‟embrasser la plus
grande liste possible, et de définir ainsi un référentiel commun de valeurs universelles.
La vocation universelle de la CPI, qui ne connaît ni restrictions a priori de sa compétence dans le
temps27
ou dans l‟espace, ni limitations à un conflit ou une crise spécifiques, et se démarque ainsi
une nouvelle fois des précédentes juridictions pénales mises en place à l‟échelle internationale,
constitue indéniablement un progrès en matière de droit pénal international28
et de lutte contre
l‟impunité. Toutefois, la rédaction du Statut de Rome et l‟instauration de la CPI furent avant tout
affaire de compromis, de nombreux Etats se montrant réticents devant la possibilité de voir leurs
ressortissants jugés par une instance internationale indépendante, et se retranchant derrière le
principe quasi-absolu de la souveraineté de l‟Etat en droit international.
Le fondement consensuel de la compétence de la Cour, et ses modes de saisine, constituent ainsi
deux des principaux obstacles à une véritable compétence universelle ; le principe de
complémentarité entre la CPI et les juridictions pénales nationales ainsi que la forte dimension
politique qui la caractérise, malgré l‟indépendance des juges et de son procureur, sont autant de
facteurs limitatifs supplémentaires de la compétence de la CPI.
Le fondement consensuel de la CPI, obstacle au combat universel contre l’impunité
A l‟inverse des tribunaux pénaux internationaux, dont le caractère obligatoire procède de leur
création par une résolution du Conseil de Sécurité dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des
25 Statut de Rome, article 27 « Défaut de pertinence de la qualité officielle ». 26 Statut de Rome, article 5 « Crimes relevant de la compétence de la Cour » ; les définitions du crime de génocide, des
crimes contre l‟humanité et des crimes de guerre figurent respectivement aux articles 6, 7 et 8 du Statut de Rome. 27 A l‟exception toutefois du principe de non rétroactivité, l‟article 11 du Statut de Rome se lisant ainsi : « La Cour n'a
compétence qu'à l'égard des crimes relevant de sa compétence commis après l'entrée en vigueur du présent Statut », soit
le premier juillet 2002. 28 Entrée « Cour pénale internationale » in Françoise BOUCHET-SAULNIER, Dictionnaire pratique du droit
humanitaire, Paris, La Découverte, 2006.
19
Nations Unies29
, le fondement de la compétence de la CPI est consensuel. Celle-ci peut poursuivre
un responsable de crimes pour lesquels elle a reçu mandat, à la condition que l‟individu soit
ressortissant d‟un Etat partie au Statut de Rome, ou que le crime ait été commis sur le territoire
d‟un Etat partie30
. Cette limitation stricte de la compétence de la CPI, dépendante de la ratification
du Statut de Rome par les Etats, peut toutefois être nuancée par la disposition selon laquelle un Etat
non partie au Statut de Rome peut, par simple déclaration, accepter la compétence de la Cour à
l‟égard d‟une situation précise31
.
Si ces conditions préalables à l‟exercice de la compétence de la CPI sont remplies, une situation
dans laquelle des crimes semblent avoir été commis peut alors être déférée au Procureur par un Etat
partie au Statut de Rome32
; le Procureur peut en outre ouvrir une enquête de sa propre initiative33
.
Dans ces deux cas de figure, la compétence de la Cour est subordonnée à la ratification de son
Statut par l‟Etat dont l‟accusé est ressortissant ou par l‟Etat sur le territoire duquel le crime a été
commis. Il convient ici de noter que, la majorité des conflits actuels relevant de situations internes
et non internationales, l‟Etat dans lequel le crime a été commis et l‟Etat de nationalité de l‟auteur
présumé de ce crime sera, dans nombre de situations, identique. Dans le cas où l‟Etat en question
n‟a pas ratifié le Statut de Rome, la justice pénale internationale semblera alors bien impuissante
pour juger les responsables de crimes graves34
.
Pour remédier à de telles situations et permettre à la lutte contre l‟impunité de progresser malgré
l‟obstacle que constitue la non-ratification du Statut de Rome par un nombre toujours significatif
d‟Etats, une troisième modalité de saisine de la CPI a été prévue, au carrefour du droit international
public, de la diplomatie et du droit pénal international.
La CPI, instrument politique de lutte contre l’impunité et de maintien de la paix ?
Une situation dans laquelle des crimes graves semblent avoir été commis peut être déférée au
Procureur de la CPI par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, agissant alors en vertu du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies35
. Dans ce cas précis, les restrictions à la compétence
de la CPI précédemment exposées ne s‟appliquent pas : potentiellement, toute situation de violation
grave du droit international peut alors être déférée à la Cour, que l‟Etat sur le territoire duquel elle a
lieu ou dont l‟un des auteurs de crimes est un ressortissant ait ou non accepté la compétence de la
CPI. La compétence universelle semble donc ici se matérialiser, et une nouvelle attribution est
29 Ces résolutions sont énoncées par le Conseil de Sécurité dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies
relatif à l‟« Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d‟acte d‟agression ». 30 Statut de Rome, article 12. 31 Statut de Rome, article 12 §3. 32 Statut de Rome, articles 13 a) et 14. 33 Statut de Rome, articles 13 c) et 15. 34 Entrée « Cour pénale internationale » in Françoise BOUCHET-SAULNIER, Dictionnaire du droit humanitaire, op. cit. 35 Statut de Rome, article 13 b).
20
confiée au Conseil de Sécurité, dans le cadre de son mandat de maintien de la paix et de la sécurité
internationale, qui devient alors compétent en matière de lutte contre l‟impunité.
Le lien est ainsi directement affirmé entre justice et maintien de la paix, comme il l‟avait été
auparavant à Nuremberg et à Tokyo, ou avec les TPI à La Haye et à Arusha.
Ce qui pourrait ici apparaître comme un facteur d‟extension de la compétence de la CPI doit
toutefois être relativisé. Tout d‟abord, c‟est un pouvoir d‟initiative qui est accordé au Conseil de
Sécurité, et le Procureur reste libre de donner suite ou non à l‟affaire qui lui est soumise36
.
Ensuite, la saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité est soumise aux mêmes logiques d‟intérêt et
de pouvoir que toutes les décisions prises par cet organe du système des Nations Unies : les
possibilités de blocage y restent donc nombreuses, et notamment du fait de la possibilité d‟exercice
du droit de veto de la part des cinq membres permanents37
.
En outre, si le Conseil de Sécurité ne peut forcer le Procureur à ouvrir une enquête, il peut exercer
un pouvoir de blocage sur l‟avancée de la procédure judiciaire. En effet, le Statut de Rome prévoit
la possibilité, pour le Conseil de Sécurité et toujours en vertu du Chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, de demander la suspension totale de l‟enquête et des poursuites pendant une période
de douze mois38
; aucune limite n‟étant posée au renouvellement d‟une telle demande, le Conseil de
Sécurité peut donc, potentiellement, immobiliser complètement une procédure en cours devant la
CPI.
L‟espace politique nécessaire au maintien de la paix est ainsi prévu dès la création de la CPI : la
procédure judiciaire peut, pendant un temps, être mise entre parenthèses, dégageant alors un espace
extra-judicaire pour la négociation, dans le cadre de processus de paix ou de réconciliation39
. Une
nouvelle fois, la CPI suit le modèle des TPI qui avaient été conçus tant comme des instruments de
maintien de la paix et de résolution des conflits que comme des appareils judicaires. L‟urgence et
l‟enjeu que représentent les négociations politiques pour rétablir la paix et mettre fin à un conflit
l‟emportent alors sur la lutte contre l‟impunité, et le diplomate possède le pouvoir de faire taire le
juge, au moins pendant un temps : une telle conception, dans laquelle la justice peut être un
instrument au service de la paix, n‟est pas sans soulever d‟importantes contradictions, et en
particulier sur le plan juridique.
Remarquons en outre le paradoxe suivant : pour que l‟utilisation de l‟article 16 ait un sens et que la
suspension temporaire de la procédure judicaire ait un quelconque intérêt en tant que monnaie
d‟échange à la table des négociations de paix, il est nécessaire que les deux processus, judicaire et
36 Sylvie KOLLER, « La Cour pénale internationale. Ses ambitions, ses faiblesses, nos espérances », art. cit. 37 Ibid. 38 Statut de Rome, article 16 « Sursis à enquêter ou à poursuivre ». 39 Intervention de Françoise BOUCHET-SAULNIER, in « L‟humanitaire en pleine confusion », Les 5 à 7 du CICR, 23
juin 2009. L‟intégralité du débat en vidéo est consultable sur blog de Frédéric Joli, porte-parole du CICR en France, au
lien suivant : http://cicr.blog.lemonde.fr/2009/06/23/lhumanitaire-en-pleine-confusion-2/.
21
politique, soient concomitants ; or, à l‟exception de conflits s‟étendant sur plusieurs années, le
temps long de la justice n‟est pas toujours compatible avec l‟urgente nécessité de la paix.
Si cette intervention majeure du Conseil de Sécurité dans le travail de la CPI, malgré les
nombreuses critiques qui lui sont faites, et notamment de la part des organisations de défense des
droits de l‟homme40
, s‟avère plus ou moins justifiable du point de vue de la nécessité d‟instaurer le
dialogue pour parvenir à résoudre les conflits, il n‟en va pas nécessairement de même pour d‟autres
mécanismes politiques insérés dans le Statut de Rome au termes d‟intenses tractations
diplomatiques menées par certains Etats. Ainsi, sous la pression française41
, une disposition du
Statut permet à un Etat partie de refuser, pendant une période de sept ans, la compétence de la CPI
en matière de crimes de guerre qui auraient été commis sur son territoire ou par ses ressortissants42
.
Les Etats-Unis, dont l‟attitude adoptée face à la CPI a varié avec la volonté politique du locataire
de la Maison Blanche, sont quant à eux parvenus, par une série d‟accords bilatéraux conclus avec la
CPI43
, à assurer l‟immunité de leurs ressortissants à l‟égard de la juridiction de la Cour.
Ainsi, quelques années seulement après le début du fonctionnement effectif de la CPI, les
promesses d‟universalité dans la lutte contre l‟impunité souffrent déjà de nombreuses exceptions, et
la volonté politique des Etats reste, dans ce domaine comme bien d‟autres des relations
internationales, déterminante. De tels efforts déployés par certains Etats afin de soustraire leurs
ressortissants à la justice internationale, cristallisent par ailleurs nombre des critiques qui sont
proférées à l‟égard de la CPI.
Pourtant, une analyse qui poserait le conflit d‟intérêt permanent et l‟incompatibilité entre la
souveraineté des Etats en droit international et la compétence de la CPI sur les individus, semble
bien peu pertinente, tant sur un plan juridique qu‟au regard de l‟objectif international de la lutte
contre l‟impunité. D‟abord, parce que le fondement de la compétence de la CPI est consensuel et
respecte, au moins jusqu‟à un certain point44
, la volonté souveraine des Etats, et que la diplomatie
internationale dispose d‟un espace politique réservé au sein même du Statut de la CPI ; mais plus
encore, du fait du principe de complémentarité entre les juridictions nationales et internationales
qui constitue un changement radical par rapport à l‟expérience des TPI ; enfin, car la coopération
avec les Etats est au cœur du fonctionnement de la Cour pénale internationale, et constitue une
condition sine qua none à son bon fonctionnement.
40 Pour le cas du Darfour, ces critiques seront examinées dans le chapitre 3. 41 Sylvie KOLLER, « La Cour pénale internationale… », art.cit. 42 Statut de Rome, article 124 « Disposition transitoire ». 43 Accords conclus en vertu de l‟article 98 du Statut de Rome. 44 La possibilité pour le Conseil de Sécurité de déférer une situation au Procureur de la CPI constitue certes un facteur
limitant à ce sujet ; toutefois, il n‟y a pas là de rupture majeure avec la conception d‟un Conseil de Sécurité pouvant aller,
en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, à l‟encontre de la volonté des Etats lorsque la paix ou la sécurité
internationales sont menacées.
22
En effet, et contrairement aux TPI qui posaient la primauté de l‟échelon international sur l‟échelon
national en termes de juridiction pénale, la compétence de la CPI est subsidiaire par rapport aux
juridictions nationales45
. Ainsi, si un individu fait ou a déjà fait l‟objet d‟enquêtes ou de poursuites
par les juridictions nationales compétentes, la juridiction de la CPI ne s‟appliquera pas : la CPI
semble s‟incliner devant les juridictions nationales.
Toutefois, elle sera compétente si l‟Etat en question se révèle incapable, ou fait preuve d‟un
manque de volonté pour engager une enquête ou des poursuites46
. Le principe selon lequel une
même personne ne peut être jugée deux fois pour le même crime, également repris dans le statut de
la CPI, inclut cette même exception : un individu pourra faire l‟objet d‟une enquête ou de
poursuites devant la juridiction internationale si la procédure engagée devant la juridiction
nationale avait pour but de soustraire la personne à la compétence de la CPI47
.
Une conséquence pratique directe des deux principes de coopération avec les Etats48
et de
complémentarité des juridictions porte en outre sur la possibilité d‟une circulation de l‟information
entre la CPI et les juridictions nationales ; une telle possibilité devra être prise en compte par les
organisations humanitaires souhaitant transmettre des informations à la CPI.
Les mécanismes de la coopération avec la CPI ne devraient cependant pas être étrangers aux
acteurs non gouvernementaux : dans une volonté affichée de ne pas laisser les Etats seuls dessiner
les contours de la lutte contre l‟impunité au XXIe siècle, les ONG ont en effet largement participé
aux débats et contribué à la rédaction du Statut de Rome avant sa signature ; comme nous allons le
voir, la lutte contre l‟impunité semblait, alors, l‟affaire de tous.
2. CPI et ONG, des affinités conceptuelles pour une parenté historique
Malgré les divergences de mandats et de cultures judicaires et opérationnelles entre tous les acteurs
non gouvernementaux présents autour de la table des négociations, un certain nombre de
préoccupations communes étaient partagées à Rome, et ont conduit les ONG à apporter à la CPI un
soutien fort qu‟il convient d‟analyser ici.
La défense du droit international humanitaire
La Cour pénale internationale a pour objectif de sanctionner les crimes les plus graves ayant une
portée universelle : le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l‟humanité. Tous
ces crimes constituent des manquements au droit international humanitaire (DIH) au sens large –
45 Le devoir qui incombe à chaque Etat de « soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes
internationaux » est d‟ailleurs rappelé en Préambule du Statut de Rome. 46 Statut de Rome, article 17 « Questions relatives à la recevabilité ». 47 Statut de Rome, article 20 « Ne bis in idem ». 48 Les dispositions régissant la coopération des Etats avec la CPI seront analysées plus en détails dans le chapitre 4.
23
dont l‟objectif premier n‟est certes pas de punir les coupables, mais bien de protéger les victimes49
– et, dans une certaine mesure, des manquements au droit international coutumier.
Bien avant la naissance de la CPI, des mécanismes de sanction du DIH existaient déjà dans ses
textes fondateurs, et le principe de compétence universelle n‟a pas été inventé avec le Statut de
Rome : les quatre Conventions de Genève de 1947 et leurs deux Protocoles additionnels de 1977,
confient ainsi aux Etats la compétence pour juger les éventuelles infractions au DIH ; en vertu du
principe de la compétence universelle, les juridictions nationales peuvent donc poursuivre les
auteurs de certains crimes graves, même si ces auteurs n‟ont pas de lien avec l‟Etat engageant des
poursuites.
Un tel principe nécessite toutefois d‟importants ajustements de la part des Etats qui doivent adapter
leur droit et leurs juridictions pénales nationales pour l‟appliquer. En outre, si les Conventions de
Genève de 1949 ont été ratifiées par l‟ensemble des Etats et possèdent à ce titre une valeur
coutumière en droit international, ce n‟est pas le cas des Protocoles additionnels de 1977. Par
conséquent, si la compétence universelle à l‟égard des crimes de guerre, entendus comme les
violations graves des Conventions de Genève50
, commis dans le cadre d‟un conflit armé
international, est donc précise et encadrée, la répression des crimes commis au cours des conflits
armés non internationaux n‟avait pas été clairement établie avant l‟élaboration des statuts des TPI
et de la CPI. Le crime de génocide, quant à lui, est interdit en temps de paix comme en temps de
guerre par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en
194851
; des engagements précis et des mécanismes de sanction y sont prévus pour les Etats parties.
Ce texte ne faisant pas l‟objet d‟une ratification universelle, son caractère coutumier a toutefois été
rapidement reconnu52
, et l‟interdiction du génocide s‟impose donc à tous les Etats53
.
Le Statut de Rome propose quant à lui un élargissement de la catégorie des crimes contre
l‟humanité, et pose clairement la possibilité de voir ces crimes commis en temps de paix54
. Quant à
la catégorie des crimes de guerre, la naissance de la CPI voit l‟unification des règles relatives aux
conflits armés internationaux et aux conflits internes55
; les dispositions régissant les situations de
« conflit armé ne présentant pas un caractère international » ne s‟appliquent toutefois pas aux
situations de troubles ou conflits internes56
.
49 Patricia BUIRETTE et Philippe LAGRANGE, Le droit international humanitaire, op. cit. 50 Dans certains cas, les violations aux Conventions de Genève peuvent également entrer dans la catégorie des crimes
contre l‟humanité. 51 Entrée « Génocide » in Françoise BOUCHET-SAULNIER, Dictionnaire pratique du droit humanitaire, op. cit. 52 Dans l‟Avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 28 mai 1951 dans l‟Affaire des réserves à la Convention
pour la prévention et la répression de crime de génocide ; le document est consultable sur le site Internet de la CIJ au lien
suivant : http://www.icj-cij.org/docket/files/12/4283.pdf. 53 Pour une présentation plus détaillée de l‟interprétation et des difficultés d‟application de la Convention génocide, on
pourra consulter l‟entrée « Génocide » in Dictionnaire pratique du droit humanitaire, op. cit. 54 Statut de Rome, article 7. 55 Patricia BUIRETTE et Philippe LAGRANGE, Le droit international humanitaire, op. cit. 56 Entrée « Crime de guerre – Crime contre l‟humanité » in Françoise BOUCHET-SAULNIER, Dictionnaire pratique du
droit humanitaire, op. cit.
24
Le développement de la justice pénale internationale, et notamment la mise en place de la CPI,
contribue ainsi de manière incontestable au développement du droit international humanitaire. Les
efforts entrepris par les juridictions pénales en matière de définition des crimes constituent
probablement leur apport essentiel ; leur jurisprudence, quant à elle, va dans le sens d‟une plus
grande intégration des principes du DIH au droit international coutumier57
.
A cet égard, le soutien historique apporté par les organisations humanitaires, CICR comme
organisations non gouvernementales, à la création de la CPI dans les années 1990, est aisément
compréhensible.
La coalition des ONG pour la CPI, ou la diversité comme source de légitimité
La position des Organisations non gouvernementales, néanmoins, s‟avère plus complexe à
appréhender que celle d‟une institution comme le CICR ; l‟une des raisons principales en étant
l‟absence d‟homogénéité au sein de l‟ensemble « ONG ». En effet, quel point commun entre une
organisation de défense des droits de l‟homme, dont l‟activité consiste à récolter des informations
et à produire des rapports visant à alerter et à mobiliser responsables politiques et opinions
publiques, l‟essentiel de ce travail s‟effectuant bien souvent depuis une capitale européenne ou
nord-américaine, et une organisation humanitaire de terrain qui doit défendre au quotidien, face aux
divers acteurs politiques et militaires en présence, son accès aux victimes de conflits ou de
catastrophes naturelles pour leur apporter aide alimentaire, assistance médicale ou encore moyens
de se construire un abri ? Existe-t-il autant de logiques et de stratégies non gouvernementales que
de grandes familles d‟ONG ?
On peut ici s‟appuyer sur la typologie établie par Philippe Ryfman, qui identifie trois grands
domaines d‟action des ONG : développement et humanitaire, droits de l‟homme, et
environnement ; il s‟agit là des grands domaines « classiques » de l‟action non gouvernementale,
qui ne constituent en aucun cas des catégories figées et hermétiques, et dont le tracé des frontières
suit une constante évolution58
.
La catégorie des ONG environnementales, pour l‟analyse qui nous occupe ici, semble
raisonnablement pouvoir être écartée. Au sein du premier domaine cité en revanche, et sans
préjuger d‟une discontinuité fondamentale entre l‟action humanitaire et le développement, on
opèrera une distinction entre le mandat d‟assistance humanitaire et le mandat de l‟aide au
développement, même si les deux éléments coexistent aujourd‟hui bien souvent au cœur du mandat
d‟une seule et même ONG59
. Mais, s‟agissant ici de se concentrer sur les situations de conflit, qui
57 Patricia BUIRETTE et Philippe LAGRANGE, Le droit international humanitaire, op. cit. 58 Philippe RYFMAN, Les ONG, Paris, La Découverte, Coll. « Repères », n°386, 2004. 59 OXFAM, CARE, Save the children mais aussi Action contre la faim, Médecins du Monde ou Solidarités : pour toutes
ces ONG encore présentes ou expulsées du Darfour, l‟action d‟urgence est indissociable d‟une réflexion portant sur
l‟après crise, quelque soit le terrain d‟action : camps de personnes déplacées, zones de retour, populations hôtes…
25
mobilisent à la fois l‟intervention des ONG d‟urgence et des juridictions pénales internationales, on
s‟intéressera plus particulièrement à la composante humanitaire.
Cette distinction que nous venons de rappeler, ne constituait pas une ligne de fracture stricte il y a
encore une dizaine d‟années, selon laquelle se seraient divisées ONG humanitaires et ONG de
protection des droits de l‟homme au sujet de la création d‟une Cour pénale internationale
permanente. En effet, cette dernière a reçu le soutien franc d‟un grand nombre d‟organisations non
gouvernementales, quel que soit leur mandat.
La lutte contre l‟impunité des crimes les plus graves est, en première analyse du moins, une
ambition louable de la communauté internationale, et l‟on imagine mal qu‟une organisation portant
secours à des victimes sur les terrains de conflits armés, s‟insurge publiquement face aux tentatives
entreprises pour mettre face à leurs responsabilités les bourreaux. A l‟instar de MSF, nombreuses
ont donc été les ONG à se « [réjouir] de l‟apparition d‟un espace d‟arbitrage concernant les
violences et destructions infligées aux populations civiles pendant les conflits60
», et à apporter leur
soutien à l‟initiative.
Certaines de ces organisations ont également rejoint un mouvement crée en 1995 afin de
coordonner les efforts d‟une société civile qui soutenait non seulement la mise en place d‟une Cour
pénale internationale, mais souhaitait également prendre au part au processus d‟élaboration de ses
statuts. La Coalition internationale pour la CPI, qui comptait une centaine de membres en 199861
et
constitue aujourd‟hui un réseau regroupant plus de 2000 organisations, a ainsi pris une part active
aux travaux de la Commission préparatoire à la Conférence de Rome et à tous les autres stades du
processus de création de la CPI62
. La Conférence de Rome de 1998 est à cet égard fréquemment
citée, au même titre que la Convention sur les droits de l‟enfant de 1989 mais surtout, que la
Convention sur les mines antipersonnel signée à Ottawa en 1997, comme une illustration du rôle en
flagrante évolution joué par le secteur non gouvernemental dans la « conceptualisation, la signature
et la mise en œuvre de conventions internationales63
».
La coalition internationale a ensuite donné naissance à des ramifications nationales, donc l‟action et
le plaidoyer portent essentiellement sur la ratification du Statut de Rome dans les Etats non parties,
et sur la mise en conformité des législations nationales dans les Etats parties. En France, Action
contre la faim, Handicap international, Médecins du monde ou encore Médecins sans frontières
sont ainsi membres de la Coalition française pour la CPI, aux côtés d‟Amnesty international et de
la Fédération internationale des Ligues des droits de l‟homme64
.
60 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judicaire ou humanitaire ?, op. cit. 61 Ibid. 62 On trouvera un historique détaillé de la contribution de la Coalition internationale pour la CPI sur son site Internet :
http://www.iccnow.org. 63 Philippe RYFMAN, Les ONG, op. cit. 64 La coalition française pour la CPI compte 45 membres et regroupe entre autres ONG internationales, organisations
militantes et syndicats d‟avocats ; on trouvera une liste complète de ses membres ainsi que de plus amples informations
sur la coalition française pour la CPI sur son site Internet : http://www.cfcpi.fr/.
26
L’adhésion à la coalition : un héritage ambivalent pour les ONG humanitaires
En 1998, si elles apportaient un soutien de principe à la lutte contre l‟impunité, l‟enjeu n‟en était
pas moins pour les ONG membres de la Coalition internationale de mettre les Etats face à leurs
responsabilités internationales en matière de lutte contre l‟impunité, et de tenter d‟amener les plus
réticents d‟entre eux à un compromis acceptable. A ce titre, Fabrice Weissman rappelle que MSF a
rejoint la Coalition internationale en 1998 avec l‟intention de construire un système légal
supranational et indépendant des décisions arbitraires des Etats65
. Loin d‟une conception où les
Etats pourraient choisir de refuser la compétence de la CPI en matière de crimes de guerre, il
s‟agissait de soumettre les Etats à la règle de droit internationale, d‟ouvrir la possibilité de voir des
Chefs d‟Etat responsables de crimes mais à l‟abri de toute poursuite dans leur pays traduits devant
la justice internationale, et de garantir l‟application de sanctions à toute violation des droits de
l‟homme et manquement au droit international humanitaire66
.
Force est de constater, dix ans après la Conférence de Rome, que tous ces objectifs sont encore loin
d‟être atteints : tout d‟abord, l‟absence de ratification universelle du Statut de Rome engendre une
situation hétérogène où les Etats ne sont pas, selon qu‟ils ont accepté ou non la compétence de la
CPI, égaux devant la justice internationale. Un axe important des critiques à l‟encontre du
fonctionnement de la CPI porte d‟ailleurs sur cette inégalité manifeste des Etats devant la justice
internationale, et nombreux sont les analystes ou responsables politiques à pointer du doigt le fait
que les quatre situations à ce jour déférées devant la CPI concernent des Etats africains. Cette
critique doit toutefois être nuancée par le fait que trois des quatre situations ont été déférées par les
Etats eux-mêmes, sans intervention extérieure67
; il n‟en reste pas moins vrai que l‟on imagine mal
le Conseil de Sécurité des Nations Unies demander au Procureur de la CPI d‟ouvrir une enquête sur
la situation de Guantanamo ou sur les violations présumées du droit humanitaire commises par
l‟armée israélienne lors de la guerre du Liban en 200668
.
Enfin, pour revenir à l‟examen de la participation des ONG humanitaires au processus de création
de la CPI en 1998, et sur un ton plus pragmatique, Françoise Bouchet-Saulnier et Fabien Dubuet
rappellent l‟autre enjeu d‟une participation active à la Coalition internationale pour la CPI pour les
ONG comme MSF : il s‟agissait alors de « faire entendre la voix et les contraintes spécifiques des
organisations humanitaires dans une coalition dominée par les organisations de défense des droits
65 D‟après Thierry COPPENS & Françoise SAULNIER, « MSF souhaite que la Cour criminelle internationale accorde
aux victimes et aux témoins les garanties d‟une justice indépendante et effective », Paris, Bruxelles,1998 (Document
remis par MSF en juin 1998 aux négociateurs du traité de Rome instituant la CPI) ; cité par Fabrice WEISSMAN,
« Humanitarian aid and the International criminal court : grounds for divorce », article posté le 20 juillet 2009 sur le blog
« Making sense of Darfur » du Social science research council ; disponible sur :
http://blogs.ssrc.org/darfur/2009/07/20/humanitarian-aid-and-the-international-criminal-court-grounds-for-divorce-1/. 66 Ibid. 67 Simon FOREMAN, « La CPI, une Cour du Nord pour juger le Sud ? », article paru en 2009 dans le dossier « Justice
internationale » du site Internet Grotius.fr, Media et humanitaire ; disponible sur : http://www.grotius.fr/node/133. 68 La saisine de la CPI par le Conseil de Sécurité semblant improbable notamment en raison du droit de veto dont
disposent les Etats-Unis ; il n‟en reste pas moins que le Liban ou l‟Irak pourraient, s‟ils ratifiaient le Statut de Rome,
déférer à la CPI les situations de violations graves du droit international commises sur leur territoire ou à l‟encontre de
leurs ressortissants.
27
de l‟homme69
» ; les risques pour l‟action de terrain liés à l‟opérationnalisation de la CPI étaient en
partie anticipés, et l‟essentiel du travail de MSF a porté sur la mise en place de mesures de
protection des victimes et des témoins, dont les membres des organisations humanitaires, dans le
cadre des procédures pénales à venir70
.
De tels risques seront analysés plus en détail au regard de la question spécifique du témoignage, qui
nous semble cristalliser les enjeux de la collaboration entre les ONG humanitaires et la CPI71
.
Après cette présentation et cette première analyse des enjeux de l‟opérationnalisation de la justice
pénale internationale du point de vue des acteurs humanitaires notamment, il s‟agit maintenant de
se pencher plus spécifiquement sur le cas du Darfour, région dans laquelle l‟entrée en scène de la
CPI a entraîné des conséquences directes et particulièrement brutales pour le travail des
organisations humanitaires.
69 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judiciaire ou humanitaire ?, op. cit. 70 Ibid. 71 Dans le chapitre 4.
28
Chapitre 2. L‟espace humanitaire au Darfour sous le poids de la justice
Près de deux ans avant l‟ouverture de l‟enquête de la CPI, le premier épisode majeur dans le conflit
qui déchire aujourd‟hui encore les trois provinces du Darfour est généralement identifié en avril
2003, avec l‟attaque lancée sur l‟aéroport d‟El-Fasher contre les troupes soudanaises par le jeune
mouvement d‟opposition armée du Darfour, la Sudan liberation army (SLA). Cet évènement ne
marque toutefois pas le début de l‟insurrection du Darfour, dont les racines sont évidemment
anciennes et dont la structuration, sous sa forme d‟alors, avait débuté avec les années 2000 ;
l‟attaque d‟El-Fasher constitue pourtant bien une prise de conscience de la part du régime
soudanais de l‟ampleur et de la force acquises par les mouvements de rébellion du Darfour – la
SLA et le Justice and equality movement (JEM) en sont alors les deux principaux –, et provoque le
lancement de la politique de contre-insurrection du gouvernement de Khartoum72
. Une tactique qui
combine opérations aériennes et terrestres contre des cibles identifiées comme soutenant la guérilla,
et s‟appuie à la fois sur l‟armée régulière soudanaise (Sudan armed forces, SAF) et sur des groupes
paramilitaires et autres milices tribales, dont les plus significatives sont les milices arabes janjawid
qui deviennent rapidement le bras armé du gouvernement pour mettre en œuvre sa stratégie de
contre-insurrection73
.
Sans revenir en détails sur les déterminants et autres déroulements du conflit au Darfour, rappelons
simplement qu‟il s‟agit là d‟un conflit dont les origines et les causes sont aussi complexes que
diversifiées, et que la prise en considération de cette complexité a fait défaut tant dans le traitement
médiatique, que politique ou encore militaire de la crise74
.
L‟explication généralement admise sur les origines du conflit et de la crise au Darfour est, à grands
traits, celle d‟une entrée en rébellion en 2002 des populations non arabes de l‟ouest du Soudan,
victimes de la politique de marginalisation et de spoliation du gouvernement de Khartoum75
. Sans
être totalement erronée, cette explication demeure incomplète : le Darfour est en effet, comme le
rappelle Alex de Waal, « un exemple typique de guerre civile au nord-est de l‟Afrique avec de
72 International crisis group (ICG), « Sudan : justice, peace and the ICC », Crisis Goup Africa report, n° 152, 17 juillet
2009 ; disponible sur : http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=6226&l=2. 73 L‟une des explications avancées pour justifier ce soutien et cette instrumentalisation des milices armées par Khartoum
est liée à la composition de l‟armée soudanaise : bien que peu occupent de hautes fonctions, l‟armée soudanaise comporte
une part importante d‟éléments originaires du Darfour, recrutés par Khartoum pour alimenter les rangs et mener pendant
plus de deux décennies une lutte acharnée contre l‟insurrection du sud du pays. Il devient en revanche beaucoup plus
délicat et risqué, pour Khartoum, d‟envoyer combattre ses soldats contre leurs « frères » du Darfour. 74 Plusieurs auteurs peuvent être consultés pour approfondir l‟analyse du conflit au Darfour : parmi les ouvrages de
référence, on mentionnera Julie FLINT et Alex de WAAL, Darfur : A new history of a long war, 2e éd., Londres, Zed
Books, 2008 ; pour une lecture historique des origines du conflit et une mise en perspective des évènements
contemporains, on consultera Joseph TUBIANA, « Misère et terreur au Soudan. A l‟origine des affrontements dans le
Darfour », Afrique contemporaine, n°214, 2005 (2), pp. 207-226 ; la structure ethnique du Darfour est analysée, dans le
cadre d‟une étude réalisée fin 2004 pour Action contre la faim, par Jérôme TUBIANA, « Le Darfour, un conflit
identitaire ? », Afrique contemporaine, n°214, 2005 (2), pp. 165-206 ; on pourra également consulter les nombreux
rapports de l’International crisis group à ce sujet, disponibles sur le site Internet de l‟ICG dans la rubrique Soudan :
http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=1230&l=2. 75 Une carte indiquant la répartition territoriale des principaux groupes ethniques peuplant le Darfour est présentée en
Annexe 2.
29
multiples conflits superposés et une dispersion d‟offensives à grande échelle lancées par l‟armée
gouvernementale et ses clients, d‟une part, les rebelles, de l‟autre76
».
Ainsi, le conflit des identités ethniques, essentiellement entre groupes ethniques arabes et non-
arabes, et l‟effacement qu‟il a produit d‟une identité régionale « darfourienne » qui lui préexistait
dans une certaine mesure77
; la problématique agro-pastorale et le conflit pour la terre entre
agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, ces deux éléments se trouvant par ailleurs étroitement
liés aux appartenances ethniques et exacerbés par des phénomènes naturels tels que les sécheresses
récurrentes de la première moitié des années 198078
; les dynamiques pour l‟appropriation des
ressources naturelles, et notamment pétrolières depuis le début des années 200079
; ou encore
l‟influence de mouvements supranationaux tels que la mouvance islamiste radicale dont l‟agenda
s‟étend bien au-delà du Soudan80
, sont autant d‟éléments à prendre en compte dans une analyse
approfondie de la situation du Darfour. En outre, l‟évolution du conflit depuis 2003, et notamment
les dissensions au sein des mouvements rebelles d‟une part, et l‟émergence de conflits entre ethnies
arabes d‟autre part81
, doit absolument conduire à relativiser une approche qui se réduirait à une
opposition entre l‟insurrection du Darfour et le gouvernement soudanais de Khartoum.
Au cœur d‟une telle complexité, nous allons tenter de dessiner ici les contours de l‟espace
humanitaire qui s‟est ouvert au Darfour afin de secourir et de protéger les populations civiles qui
ont, par millions, tenté d‟échapper aux combats et aux violences depuis de nombreuses années déjà.
Plusieurs facteurs d‟extension ou de réduction de la capacité des acteurs internationaux de l‟aide à
intervenir dans les trois provinces de l‟est du Soudan seront ici analysés, et nous tenterons de
déterminer dans quelles directions l‟ouverture d‟une enquête de la CPI sur les crimes graves
commis au Darfour a pu faire évoluer cet espace.
1. Le Darfour : de la crise humanitaire à l’enquête judicaire
Un théâtre humanitaire complexe
Si les causes et les origines du conflit au Darfour sont mal connues et font souvent l‟objet de
simplifications outrancières, les conséquences humanitaires des affrontements et des violences
commises par les différentes parties au conflit se sont, quant à elles, rapidement manifestées.
Notons tout d‟abord que les attaques contre des villages non-arabes sédentaires, et le phénomène de
l‟armement par Khartoum de milices arabes, avaient connu une recrudescence dans les premières
76 Alex de WAAL, « Darfur and the failure of the responsibility to protect », International Affairs, vol. 6, n°6, octobre
2007, pp. 1039-1054. 77 Jérôme TUBIANA, « Le Darfour, un conflit identitaire ? », art. cit. 78 Ibid. 79 Marc FONTRIER, « Les institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-2007 », Outre-Terre, n° 20, 2007
(3), pp. 405-443. 80 David HOILE, « Darfour : des vérités qui dérangent », Outre-Terre, n° 20, 2007 (3), pp. 81-96. 81 ICG, « Darfur‟s new security reality », Crisis Group Africa report, n°134, 26 novembre 2007 ; disponible sur
http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=5180&l=2.
30
années du XXIe siècle, et fait émerger les mouvements de rébellion essentiellement dominés par
les ethnies Fur, Zaghawa et Massalit du Darfour82
. Selon l‟interprétation des Fur, en outre, le
conflit actuel au Darfour n‟est que le prolongement de celui qui les a opposés, entre 1987 et 1989,
aux tribus arabes nomades en quête de terres préservées après la sécheresse, et qui se sont peu à
peu établies sur le territoire historique de l‟ethnie Fur au cœur des montagnes du Jebel Marra. Les
milices janjawid, bras armé des tribus nomades, avaient alors été responsables de la destruction de
plusieurs centaines de villages Fur83
.
Selon cette lecture, la rébellion qui s‟organise au début des années 2000 ne serait alors, comme le
rapporte Jérôme Tubiana, que « l‟aboutissement de ces attaques, et de l‟incapacité du pouvoir
central à résoudre ces problèmes de manière impartiale, sans prendre parti pour les Arabes84
».
Le niveau de violence atteint toutefois une toute autre dimension au cours des années 2003 et 2004,
qui constituent, de l‟avis d‟une majorité des acteurs, le paroxysme de la crise humanitaire au
Darfour. La population civile des trois régions du Darfour, accusée de soutenir la rébellion, est
prise pour cible par la contre-insurrection gouvernementale. Les bombardements lancés par l‟armée
soudanaise sur les villages, et l‟armement des milices qui se livrent à de multiples exactions contre
la population à travers les trois Etats composant le Darfour85
avaient ainsi poussé, en février 2005,
près de deux millions de personnes à se déplacer à l‟intérieur des frontières du Soudan ou à se
déplacer au Tchad voisin86
.
Le chiffre des déplacés internes (Internally displaced persons, IDPs) atteint aujourd‟hui les 2,7
millions de personnes au Darfour, et deux millions de personnes supplémentaires continuent d‟être
affectées par le conflit dans les trois régions de l‟ouest du Soudan87
. Au total, ce sont ainsi les trois
quarts des habitants des trois Etats du Darfour qui subissent les effets du conflit depuis 200388
.
La réaction internationale tardive
En dépit de ces chiffres particulièrement alarmants, le Darfour est demeuré, pendant toute la
période de la « première guerre du Darfour89
», une crise oubliée. En effet, à l‟exception du Tchad
qui tente de se poser en médiateur et obtient, en septembre 2003, un bref cessez-le-feu qui
82 ICG, « Sudan : Justice, peace and the ICC », op. cit. 83 Jérôme TUBIANA, « Le Darfour, un conflit identitaire? », art. cit. 84 Ibid. 85 La carte intitulée « Darfur, Sudan : Confirmed damages and destroyed villages, February 2003 – August 2009 », qui
figure en Annexe 3, indique la localisation des villages partiellement ou totalement détruits entre février 2003 et août
2009. 86 ICG, « Sudan : Justice, peace and the ICC », op. cit. 87 Le nombre de victimes depuis 2003, quant à lui, varie considérablement selon les sources : il est ainsi estimé à 300 000
selon les Nations Unies, alors que les données du gouvernement soudanais font état de 10 000 morts. OCHA, Darfur
Humanitarian profile, n° 34, Situation au 1er janvier 2009 ; disponible sur :
http://www.unsudanig.org/docs/090330%20DHP%2034%20narrative%201%20January%202009.pdf. 88 La population des trois régions du Darfour est estimée à 6,3 millions d‟habitants. 89 Marc FONTRIER, « Les institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-2007 », art. cit.
31
permettra d‟acheminer l‟aide humanitaire aux déplacés internes au Darfour90
, c‟est bien le silence
qui prévaut parmi les autres membres de la « communauté » internationale91
.
A cette époque, l‟attention des autres Etats comme des quelques medias se préoccupant de la
situation au Soudan est accaparée par les négociations entre Khartoum et les responsables du
mouvement séparatiste du Sud, qui tentent de mettre fin à deux décennies de guerre civile92
.
Comme le rappelle Marc Fontrier, d‟une part, Khartoum prend soin de « dissimuler les
informations en provenance d‟une province où ni les agences internationales ni les observateurs
n‟ont la possibilité de circuler93
» ; d‟autre part, on anticipe alors parmi les diplomaties étrangères
que le Sudan’s people liberation movement (SPLM) sera en mesure, au terme du partage du
pouvoir en cours avec les négociations de Naivasha, d‟influencer Khartoum dans le sens d‟un
abandon de la guerre au Darfour94
.
Ce n‟est que plus d‟un an après le lancement de la contre-insurrection par Khartoum, alors que le
pic de violence est d‟ores et déjà dépassé et que plusieurs milliers de villages ont été détruits et
vidés de leurs habitants, qu‟interviendra la première résolution onusienne sur le Darfour95
. Dans sa
résolution 1547 du 11 juin 2004 relative à la mise en place et aux mécanismes de garantie d‟un
futur accord de paix entre Khartoum et le SPLM, le Conseil de Sécurité mentionne brièvement la
situation au Darfour, à l‟occasion de la remise d‟un rapport par le Secrétaire général : cette
première résolution opère ainsi la « globalisation » de la problématique soudanaise sur le plan
juridique96
.
Le lancement de l‟alerte humanitaire de la part des Nations Unies avait toutefois précédé de
quelques mois ce premier acte juridique. Le Darfour a en effet été mis sur le devant de la scène
internationale en avril 2004, à l‟occasion des commémorations du génocide rwandais survenu dix
ans plus tôt97
. L‟utilisation de ce « prétexte98
» rwandais ne sera pas sans conséquences pour la
qualification future des évènements survenus au Darfour et l‟évolution du traitement médiatique et
politique du conflit : en 2004, le mouvement pour la reconnaissance d‟un génocide au Darfour était
lancé, manipulant des références liées au génocide rwandais comme à la Shoah, et indistinctement
porté aux Etats-Unis notamment par un ensemble d‟intellectuels, de journalistes, de responsables
90 Il s‟agit de l‟accord dit « Abéché I » ; le cessez-le-feu sera très vite rompu, les troupes gouvernementales lançant une
nouvelle opération d‟envergure contre les fiefs rebelles quelques semaines après la signature de la trêve. 91 Marc FONTRIER, « Les institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-2007 », art. cit. 92 Le conflit opposant le Sud Soudan, derrière le Sudan’s people liberation Army/Movement (SPLA/M) de John Garang,
aux autorités de Khartoum, a débuté en 1983 pour prendre fin, en janvier 2005, avec la signature du Comprehensive
peace agreement ; il s‟agit de la deuxième guerre entre le nord et le sud du pays depuis son accession à l‟indépendance,
en 1956. 93 Marc FONTRIER, « Les institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-2007 », art. cit. 94 Ibid. 95 Pour une présentation chronologique et une analyse critique des décisions internationales successives concernant le
Darfour entre 2003 et 2007, et du « décalage permanent » entre les évènements se déroulant au Darfour et les réactions
internationales, on consultera Marc FONTRIER, « Les institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-
2007 », art. cit. 96 Ibid. 97 Jérôme TUBIANA, « La médiatisation du conflit au Darfour », article paru en 2009 dans le dossier « Darfour » du site
Internet Grotius.fr, Media et humanitaire ; disponible sur http://www.grotius.fr/node/41. 98 Ibid.
32
politiques et de militants des droits de l‟homme réunis au sein de collectifs dont Save Darfur
deviendra le plus influent.
Sur le plan médiatique, en outre, ce décalage originel lié à une médiatisation tardive du conflit,
alors que les épisodes de plus forte violence avaient déjà eu lieu, a induit un phénomène de
rattrapage particulièrement pervers. On assiste ainsi à une tentative médiatique de saisir a
posteriori le déroulement des évènements, par le biais du recueil de témoignages des victimes
notamment, qui a contribué à décrire, pendant plusieurs années, la situation au Darfour comme si
celle-ci n‟avait pas évolué depuis 200399
. Comme le rappelle Jérôme Tubiana, les medias passent
alors « à côté de la diminution de la violence, mais aussi des faits marquants qui jalonnent le
conflit100
».
L‟évolution du conflit est ainsi passée sous silence, et avec elle, la fragmentation et la
multiplication des groupes rebelles, notamment au Sud Darfour ; les exactions et violations des
droits de l‟homme commis par les groupes rebelles101
, qui s‟attaquent notamment aux soldats
internationaux de maintien de la paix à partir de la mise en place de la première mission de l‟Union
africaine en octobre 2004, mais continuent, malgré tout, de bénéficier d‟une image positive dans les
medias occidentaux et d‟une audience auprès des responsables politiques américains notamment ;
la résurgence de lignes de fractures au sein de chaque ensemble ethnique identifié, avec la division
des mouvements rebelles du Darfour selon des critères ethniques d‟une part, la réapparition des
conflits entre sous-groupes arabes et la conclusion d‟accords entre arabes et non-arabes d‟autre
part ; ou encore la montée de la violence dans les camps de déplacés au Darfour102
.
Si l‟utilisation du terme de « génocide » pour qualifier la politique de contre-insurrection menée
par le gouvernement soudanais au Darfour séduit et éblouit ainsi une partie des observateurs, elle
est bien loin de faire l‟unanimité, et notamment, nous allons le voir, parmi ceux qui sont témoins
chaque jour de la réalité du Darfour.
Génocide au Darfour ? MSF face à l’administration Bush ou le combat de David contre
Goliath
Sans préjuger encore de la pertinence d‟une telle qualification de la situation au Darfour, il semble
que l‟utilisation du terme de « génocide » ait précipité, au moins dans le discours, la réaction
internationale : comme le rappelle Vincent Chetail, les Etats-Unis ont été les premiers à retenir
99 Jérôme TUBIANA, « La médiatisation du conflit au Darfour », art. cit. 100 Ibid. 101 Ibid. 102 Sur ces trois derniers points – la montée des tensions entre sous-groupes arabes, les relations entre arabes et non-
arabes et le niveau de la violence dans les camps –, on pourra se référer aux travaux de l‟International crisis group avec
« Darfur‟s new security reality », op. cit.
33
cette qualification avec l‟adoption à l‟unanimité, en juillet 2004, d‟une résolution de la Chambre
des représentants103
.
Les européens seront quant à eux plus timides, et le Parlement adoptera en septembre 2004 une
résolution « [exhortant] les autorités soudanaises à mettre un terme à l'impunité des auteurs de
crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de violations des droits de l'homme [commis au
Darfour], lesquels peuvent être interprétés comme constituant un génocide104
» ; il n‟en faudra
toutefois pas moins pour que le Conseil de Sécurité qualifie la situation au Darfour de « menace à
la paix et à la sécurité internationale » et crée, quelques jours plus tard, une Commission d‟enquête
chargée de déterminer si des actes de génocide ont eu lieu au Darfour105
.
Une réaction internationale qui prend donc avant tout des allures de bataille juridique autour de la
qualification des faits et ne se penche que bien peu sur la situation humanitaire prévalant au
Darfour106
: comme le dénonce Vincent Chetail, « les longues tergiversations face aux massacres
perpétrés au Soudan dans la région du Darfour demeurent l‟illustration caricaturale des
controverses sémantiques sur la qualification de „génocide‟, qui font figure de masque grossier à
l‟inaction criante des États107
».
Avant même que la Commission d‟enquête ne publie les résultats de son travail, rappelons une
nouvelle fois que l‟utilisation du terme de génocide par les Etats-Unis notamment, est loin de faire
l‟unanimité : tant la manipulation de la qualification juridique, que l‟inaction des Etats qui résulte
du flou entretenu autour de la qualification des crimes commis au Darfour, sont vivement critiqués
par de nombreux analystes et certains responsables politiques ; en outre, l‟application de la
qualification de génocide à la situation prévalant au Soudan est vivement rejetée par une partie des
acteurs présents sur le terrain du conflit, et notamment des acteurs humanitaires.
L‟ONG Médecins sans frontières s‟aventure rapidement sur le terrain de la qualification juridique
et dénonce l‟« opportunisme politique évident108
» de l‟utilisation du terme ; l‟ONG multiplie à
cette époque les témoignages humanitaires faisant état de massacres au Darfour, mais rejette
catégoriquement l‟élément intentionnel constitutif de la qualification de génocide. En outre,
103 Vincent CHETAIL, « La banalité du mal de Dachau au Darfour : réflexion sur l‟évolution du concept de génocide
depuis 1945 », Relations internationales, n°131, 2007 (3), pp. 49-72. 104 Résolution du Parlement européen sur la région du Darfour au Soudan, P6_TA(2004)0012, adoptée le 16 septembre
2004 ; disponible sur : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2004-
0012+0+DOC+XML+V0//FR. 105 Résolution 1564 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 18 septembre 2004 ; disponible sur
http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N04/515/48/PDF/N0451548.pdf?OpenElement. 106 Sur les plans diplomatique, militaire et humanitaire, la fin de l‟année 2004 voit l‟institution, en octobre, de la Mission
africaine au Soudan (African mission in Sudan, AMIS) qui reçoit pour mandat de contrôler le cessez-le feu d‟avril 2004,
et de sécuriser l‟environnement afin de protéger la distribution de l‟aide humanitaire et de favoriser le retour des déplacés
et des réfugiés ; un Protocole humanitaire et sécuritaire est en outre signé en novembre 2004 dans le cadre des pourparlers
d‟Abuja. Pour plus de détails sur ces accords et sur leur mise en œuvre, ainsi que sur les opérations successives de
maintien de la paix (jusqu‟en 2007) qui ne seront pas ici énumérées en détail, on consultera Marc FONTRIER, « Les
institutions internationales face à la crise du Darfour, 2003-2007 », art. cit. 107 Vincent CHETAIL, « La banalité du mal de Dachau au Darfour : réflexion sur l‟évolution du concept de génocide
depuis 1945 », art. cit. 108 Jean-Hervé BRADOL, Président de MSF-F cité par David HOILE, « Darfour : des vérités qui dérangent », art. cit.
34
certains observateurs estiment que l‟utilisation du terme de « génocide » par l‟administration Bush
et par des groupes militants américains influents tels que Save Darfur109
avait alors pour objectif de
légitimer une opération militaire internationale au Darfour110
.
De manière plus pragmatique, on remarque également que l‟emploi de la qualification de génocide
pour désigner les crimes commis lors de la contre-insurrection soudanaise a conduit à une certaine
radicalisation des parties au conflit, et notamment au durcissement de la position des mouvements
rebelles : Jérôme Tubiana souligne ainsi que « le discours dominant des medias occidentaux […]
contamina la parole des acteurs du conflit, en particulier des rebelles et des déplacés, qui
commencèrent à se désigner comme „africains‟ et à utiliser le mot „génocide‟ à propos de n‟importe
quel incident ayant entraîné des morts. Se sentant soutenus par les médias et par l‟Occident en
général, ils devinrent plus durs dans les négociations111
».
Rony Brauman dénonce également l‟impact négatif d‟une qualification de génocide sur l‟avancée
des négociations de paix112
et l‟encouragement au combat que peut constituer, pour les groupes
d‟opposition armée, la stigmatisation par la communauté internationale d‟un régime soudanais
qu‟elle qualifie de génocidaire.
Si une large part de l‟opinion américaine a probablement été convaincue par la rhétorique de
l‟administration Bush et par l‟intense activité de lobbying d‟organisations militantes, Save Darfur
en tête, les experts mandatés par le Conseil de Sécurité ont quant à eux gardé la tête froide au
milieu de la surenchère médiatico-politique et de la multiplication des appels à l‟intervention
militaire au Darfour. Dans son rapport rendu en janvier 2005, la Commission d‟enquête des
Nations Unies conclut en effet que « le gouvernement du Soudan n‟a pas poursuivi une politique de
génocide au Darfour113
».
109 Pour le point de vue critique d‟une ONG humanitaire sur le rôle de Save Darfur on pourra notamment consulter Jean-
Hervé BRADOL et Fabrice WEISSMAN, « Massacres et démagogie », Libération, 23 mars 2007 ; Fabrice WEISSMAN
« Aider, protéger, punir. Retour sur la crise internationale du Darfour », Note interne (MSF) du 11 mai 2008 consultable
sur le site Internet du Centre de réflexion sur l‟action et les savoirs humanitaires (CRASH) ; disponible sur :
http://www.msf-crash.org/crash/drive/1bbb-fw-2008-aider-proteger-punir-_fr-p._.pdf. 110 Ces mêmes observateurs estiment pour la plupart qu‟une telle opération aurait été « désastreuse », alors même que
l‟intervention militaire en Irak mettait déjà, à cette époque, les Etats-Unis en difficulté ; les conséquences humanitaires
d‟une telle intervention sont également énumérées par plusieurs analystes, dont les spécialistes du Darfour Julie FLINT et
Alex de WAAL, et reprises par David HOILE, « Darfour : des vérités qui dérangent », art. cit. 111 Il illustre ainsi son propos : « Le discours du chef rebelle Abdelwahid Mohamed Nur, exilé en France, s‟orienta bien
plus que lorsqu‟il était sur le terrain vers une critique radicale du régime de Khartoum comme „islamiste‟ ». Jérôme
TUBIANA, « La médiatisation du conflit au Darfour », art. cit. 112 « Outre l‟inflation judiciaire qu‟elle ouvre, le défaut majeur de cette perception des conflits comme „génocides‟ (Ex-
Yougoslavie, Soudan, en attendant les suivants) est qu‟elle les soustrait à l‟histoire et à la politique, pour les soumettre au
seul jugement moral ». Rony BRAUMAN, « Génocide au Darfour, justice et politique », article publié en juillet 2008 et
consultable sur le site Internet du CRASH au lien suivant : http://www.msf-crash.org/crash/drive/7049-rb-2008-genocide-
au-darfour-justice-et-politique-_fr-art-p.4_.pdf.
113 « On the basis of the above observations, the Commission concludes that the Government of Sudan has not pursued a
policy of genocide ». Report of the International Commission of inquiry on Darfur to the United Nations Secretary
General, §518, 25 janvier 2005 ; disponible sur : http://www.un.org/News/dh/sudan/com_inq_darfur.pdf.
Le paragraphe continue ainsi sur la qualification de génocide : « […] one crucial element appears to be missing, at least
as far as the central Government authorities are concerned: genocidal intent »
35
La Commission n‟en retient pas moins que des crimes de guerre et des crimes contre l‟humanité
ont été commis au Darfour, et rappelle que de tels crimes ne sont ni moins graves, ni moins
ignobles que celui de génocide, et constituent de très sérieuses infractions au droit international114
.
En dépit des réticences américaines, les conclusions de ce rapport sont directement reprises à sa
charge par le Conseil de Sécurité des Nations Unies qui défère, en mars 2005, la situation prévalant
au Darfour au procureur de la Cour pénale internationale115
.
Dès lors, un acteur international supplémentaire vient se produire sur la scène déjà bien encombrée
du Darfour.
2. L’expulsion des humanitaires : un dommage collatéral ?
L’espace humanitaire : concept et contours
Pour tenter de décrire les interactions entre les acteurs et la marge de manœuvre de chacun sur un
théâtre tel que celui du Darfour, les analystes de l‟action humanitaire internationale utilisent depuis
une dizaine d‟années la métaphore de l‟espace humanitaire.
Rony Brauman, qui propose une première définition du concept en 1996, établit ainsi les trois
composantes de cet « espace symbolique » : la liberté de dialogue, d‟une part, entendue comme la
« possibilité de parler librement avec les gens au service de qui on travaille, sans subir la présence
systématique de quiconque » ; la liberté de mouvement et d‟évaluation des besoins, ensuite, qui
doit permettre de fonder l‟impartialité de l‟aide et d‟éviter son instrumentalisation politique ; la
liberté de vérification de la distribution des secours, enfin, nécessaire afin de s‟assurer que les
bénéficiaires identifiés deviennent les bénéficiaires réels de l‟aide116
.
Les bases du concept posées, la notion d‟espace humanitaire a fait l‟objet de nombreuses tentatives
de définition et de précisions. Parmi les plus élaborées, on retrouve notamment celle de la
« pyramide de Dunant » développée par Daniel Thürer : au sommet symbolique de la pyramide, on
retrouve l‟objectif d‟humanité ; les règles et principes fondamentaux du droit international
humanitaire constituent la base de la pyramide ; enfin, les principes d‟impartialité, de neutralité et
d‟indépendance représentent les faces de la pyramide et en circonscrivent l‟espace117
. Cette
114 « The conclusion [in §518] that no genocidal policy has been pursued and implemented in Darfur by the Government
authorities, directly or though the militias under their control, should not be taken as in any way detracting from, or
belittling, the gravity of the crimes perpetrated in that region. As stated above genocide is not necessarily the most serious
international crime. Depending upon the circumstances, such international offences as crimes against humanity or large
scale war crimes may be no less serious and heinous than genocide. This is exactly what happened in Darfur, where
massive atrocities were perpetrated on a very large scale, and have so far gone unpunished ». Report of the International
Commission of inquiry on Darfur…, (§522), op. cit. 115 Résolution 1593 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 31 mars 2005 ; le Conseil de Sécurité agit ici en
vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et de l‟article 13 b) du Statut de Rome précédemment étudié. 116 D‟après Rony BRAUMAN, Humanitaire – le Dilemme, Les Editions Textuel, Paris, 1996. 117 Daniel THURER, « La pyramide de Dunant : réflexions sur l‟espace humanitaire », publié en version anglaise sous le
titre « Dunant‟s pyramid – thoughts on the humanitarian space », Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 89,
n°865, mars 2007, pp. 47-61.
36
représentation de l‟espace humanitaire est toutefois particulièrement spécifique à la conception que
recouvre la notion pour les institutions de la Croix-Rouge ; or l‟action des ONG humanitaires ne
s‟inscrit pas nécessairement complètement dans les exigences du CICR, en termes de neutralité et
d‟indépendance notamment.
C‟est pourquoi nous retiendrons ici une acception légèrement différente de la notion, développée
récemment par le groupe URD dans le cadre d‟une étude portant sur l‟espace humanitaire au
Tchad, et fondée sur trois piliers : le pilier du droit, avec le respect du droit humanitaire
international, du droit des réfugiés et du droit national du pays d‟intervention notamment ; le pilier
des principes humanitaires, dont la solidité est ébranlée par un certain nombre d‟évolutions de
l‟humanitaire contemporain – confusion civilo-militaire, pressions financières ou encore enjeux de
perception et de dépendance politique – ; et enfin le pilier « sécurité », dont la prise en compte nous
semble correspondre à une analyse pertinente des contextes humanitaires de ces dernières années
en général, et de celui du Darfour en particulier118
.
Gardant ces notions à l‟esprit, il s‟agit maintenant de déterminer dans quelle mesure l‟entrée en
scène de la CPI au Darfour a pu influencer l‟évolution des différentes variables qui déterminent les
contours de l‟espace humanitaire au Darfour.
La CPI au Darfour et le dilemme paix vs justice
Après que la situation lui a été déferrée par le Conseil de Sécurité, le procureur de la CPI a ouvert
et conduit une série d‟enquêtes préliminaires et de missions de terrain119
. En vertu du principe de
complémentarité qui régit la compétence de la Cour, ce n‟est qu‟après avoir établi qu‟aucune
procédure n‟avait été mise en œuvre, au Soudan, afin de poursuivre les responsables des crimes en
question120
que les deux premiers mandats d‟arrêt ont pu être délivrés.
Les mandats délivrés, pour crimes de guerre et crimes contre l‟humanité, contre Ahmad
Muhammad Haroun, alors ministre d‟Etat chargé des Affaires humanitaires au sein du
gouvernement soudanais, et Ali Muhammad Al Abd-Al-Rahman, l‟un des chefs de milices
janjawid les plus actifs entre 2003 et 2004, ont eu pour effet, comme on pouvait s‟y attendre, de
durcir encore la position du gouvernement soudanais à l‟égard d‟une Cour pénale internationale
dont le Soudan ne reconnaît ni la compétence ni la juridiction, n‟étant pas partie au Statut de
Rome121
. Une telle évolution du rapport de force international n‟a pas été sans répercussions sur le
territoire soudanais, et en particulier sur l‟attitude adoptée par les autorités de Khartoum à l‟égard
118 D‟après François GRUNEWALD et Olivia COLLINS, Groupe URD, Rapport intermédiaire de l’étude [en cours en
octobre 2009] portant sur l’espace humanitaire au Tchad, juillet 2009, non publié. 119 Les enquêteurs de la CPI n‟ont toutefois jamais pu se rendre au Darfour entre 2005 et 2007, n‟ayant pu obtenir de
visas de la part du gouvernement soudanais. 120 « The Prosecution has assessed the existence of national proceedings in the Sudan in relation to those crimes. There
are none. », cité par ICG, « Sudan : Justice, peace and the ICC », op. cit. 121 El-Fatih Mohamed Ahmed Erwa, Ambassadeur du Soudan aux Nations Unies, cité par ICG, « Sudan : Justice, peace
and the ICC », op. cit.
37
des éléments étrangers présents au Darfour, au premier rang desquels on retrouve les travailleurs
humanitaires.
La question qui est ici posée – celle des répercussions des avancées de la justice internationale sur
le travail des organisations qui tentent de limiter les impacts de la guerre sur les populations civiles
– doit tout d‟abord être abordée comme s‟inscrivant dans une problématique plus large et
comportant bien plus d‟implications. En effet, outre la remise en question de la capacité de la CPI à
garantir la sécurité des populations comme des acteurs de l‟aide sur les terrains de conflit122
, c‟est
bien le lien fondamental entre paix et justice, au cœur du mandat de la CPI, qui est questionné par
une partie des acteurs humanitaires, mais aussi des responsables politiques et autres analystes123
.
Or, nous l‟avons évoqué, une affirmation centrale pour la justice pénale internationale telle qu‟elle
s‟est développée au cours de la seconde moitié du XXe siècle est qu‟il n‟y a « pas de paix sans
justice ».
Il est à cet égard incontestable que la justice pénale internationale comporte des éléments d‟une
justice politique, et ne constitue pas une simple transposition du modèle de la justice pénale
nationale à l‟échelon international. L‟observation du discours des ONG fait apparaître sur ce point
un clivage entre celles spécialisées dans la défense des droits de l‟homme, pour lesquelles la lutte
contre l‟impunité est un combat en soi et qui rejettent notamment l‟éventualité d‟une utilisation de
l‟article 16 permettant la suspension des poursuites par le Conseil de Sécurité, et les organisations
humanitaires dont bon nombre ne s‟insurgent pas contre une conception de la justice internationale
comme instrument de gestion des conflits.
Si l‟idée d‟une justice au service de la paix peut ainsi sembler séduisante pour les acteurs de l‟aide,
ce n‟est pas sous cet angle que l‟actuelle Cour pénale internationale semble envisager son rôle. En
témoigne le cas du Darfour, où la formule « pas de paix sans justice » fait l‟objet de l‟interprétation
la plus stricte, au moins pour le procureur Moreno-Ocampo.
Interrogé en février dernier sur les risques de voir se multiplier les atrocités et se bloquer les
négociations de paix en cours si de nouvelles poursuites étaient engagées, ce dernier reconnaissait
certes la nécessité de voir de telles négociations se tenir, mais mettait en garde les négociateurs :
« si [le président] El-Béchir est inculpé, il ne sera pas la personne avec qui négocier », affirmant
122 Notamment par le rôle dissuasif qu‟entend assumer la justice internationale, qui constitue l‟une des pierres angulaires
de la lutte contre l‟impunité à l‟échelle internationale. 123 On pourra notamment consulter l‟analyse de Fabrice WEISSMAN, qui discute les fondements des « trois grandes
vertus » prêtées à la CPI – offrir une protection effective aux populations civiles et aux secouristes, participer à la
pacification et à la réconciliation des sociétés en guerre, constituer l‟embryon d‟un ordre international plus juste – ; la
formule « pas de paix sans justice » y est notamment mise en perspective avec la notion de « guerre juste ». Fabrice
WEISSMAN, « Humanitaire et justice : les raisons d‟un divorce. Secourir les victimes ou collaborer avec la CPI… »,
article publié en 2009 sur le site Internet Grotius.fr, Media et humanitaire ; disponible sur :
http://www.grotius.fr/node/411.
38
également que « les négociateurs [devaient] apprendre à s‟adapter à la réalité. La CPI est une
réalité ». Et d‟ajouter que pour les populations du Darfour, la situation « ne pourrait être pire124
».
Pour les humanitaires, la CPI au Soudan est en effet bel et bien une réalité. Parallèlement à
l‟évolution du conflit au Darfour, à l‟éclatement des mouvements d‟insurrection, à la multiplication
des actes de banditisme visant les ONG et à l‟accroissement général de l‟insécurité dans la région,
l‟ouverture du dossier Darfour à la CPI semble avoir contribué à aggraver les tensions entre le
gouvernement soudanais et les acteurs internationaux présents sur son territoire, et notamment les
ONG humanitaires occidentales.
Entre non-protection et obstacles délibérés, la dégradation du climat de travail pour les
ONG après 2005
Indirectement, d‟une part, et nous l‟avons évoqué, les accusations de génocide brandies à l‟endroit
des plus hauts responsables au sein du gouvernement soudanais, accusations qui relèvent
précisément du mandat de la CPI, ont provoqué une certaine radicalisation parmi les parties au
conflit soudanais. Du côté des mouvements rebelles, nous l‟avons mentionné, leur légitimité à
combattre le gouvernement de Khartoum s‟est accrue à mesure que les accusations de génocide se
multipliaient de la part des diplomaties, des medias et des sociétés civiles occidentales ; même s‟il
ne s‟agit nullement ici de poser le travail de la CPI comme une justification quelconque au
comportement des dirigeants de la SLA ou du JEM, le durcissement de la position des groupes
rebelles qui a pu en résulter est l‟un des facteurs de l‟échec des pourparlers d‟Abuja et de la mise
en œuvre du Darfur peace agreement.
Quant aux responsables politiques soudanais, Ahmad Haroun et Omar El-Béchir en tête, on
comprend aisément dans quelle mesure de telles accusations peuvent constituer un point de non
retour et renforcer la nécessité, pour ces individus, de se maintenir au pouvoir : on pourrait dès lors
tout à fait les voir entrer dans une dynamique de fuite en avant, avec une nouvelle radicalisation des
moyens mis en œuvre afin de conserver le pouvoir et l‟immunité de fait qui l‟accompagne. Fabrice
Weissman pousse quant à lui l‟analyse à l‟extrême et estime qu‟une telle « radicalisation n‟est pas
nécessairement un mal » : en effet, pour le chercheur membre du Centre de réflexion sur l‟action et
les savoirs humanitaires, « l‟une des façons de mettre fin aux conflits et à leurs atrocités est de
conduire à la victoire rapide de l‟un des belligérants125
».
124 À la question « Could the pursuit of justice result in the exacerbation of atrocities or hardships in Darfur? Could it
impede the recently begun peace negotiations between the government and the Darfur rebel group, the Justice and
Equality Movement, in Doha? », le Procureur de la CPI répond : « No. For people in Darfur, nothing could be worse. We
need negotiations, but if Bashir is indicted, he is not the person to negotiate with. Mr. Bashir could not be an option for
[negotiations on] Darfur, or, in fact, for the South. I believe negotiators have to learn how to adjust to the reality. The
court is a reality. » Luis MORENO-OCAMPO, in « Prosecuting Sudan », Foreign policy, Février 2009 ; disponible sur :
http://www.foreignpolicy.com/story/cms.php?story_id=4698&page=0. 125 Fabrice WEISSMAN, « Darfour : secourir ou punir ? », article publié en 2009 sur le site Internet Grotius.fr, Media et
humanitaire ; disponible sur : http://www.grotius.fr/node/210.
39
Revenant à la réalité du Darfour et de manière tout à fait directe, en outre, l‟ouverture d‟une
enquête de la CPI a contribué à la stigmatisation des ONG internationales par le gouvernement
soudanais, manipulant à l‟envi l‟ancienne rhétorique colonisatrice et dénonçant les acteurs
internationaux de l‟aide comme des agents de l‟occident.
En effet, de nombreuses ONG, et notamment parmi celles qui ont quitté le Darfour, dénoncent
aujourd‟hui les blocages administratifs récurrents : difficultés dans l‟octroi des visas, blocages des
permis de déplacement, de résidence et de travail, difficultés dans les recrutements ou procédures
plus restrictives, difficultés à importer du matériel, renvois de chefs de mission ou demandes de
fermetures de mission126
.
A titre d‟illustration de ce rapport de force, on cite volontiers, parmi les membres de MSF, un
évènement survenu en juin 2005 : quelques jours après l‟annonce par le Procureur de l‟ouverture
d‟une enquête sur le Darfour, le chef de mission et un responsable de terrain de l‟ONG ont été
arrêtés et inculpés pour « espionnage, publication de faux rapports et atteinte à la sécurité
nationale » ; le rapport en question avait été publié trois mois plus tôt, à l‟occasion de la journée
internationale de la femme, et dénonçait les « viols commis au Darfour par les forces armées
nationales et les milices pro-gouvernementales127
».
Le cas de Ahmad Muhammad Haroun et son parcours au sein du gouvernement soudanais est
également symptomatique de l‟attitude de Khartoum, relevant ici de la pure provocation. Un mois
après l‟ouverture de l‟enquête de la CPI, l‟ancien ministre de l‟Intérieur est nommé, en juillet 2005,
ministre d‟Etats aux Affaires humanitaires ; un poste particulièrement stratégique lorsque l‟on sait
que le HAC est à l‟origine de la plupart des blocages déplorés par les ONG humanitaires. Il sera
également, quelques mois après avoir été placé sous 51 chefs d‟accusation relevant de crimes de
guerre et de crimes contre l‟humanité par la CPI, placé à la tête d‟un Comité chargé d‟enquêter sur
les violations des droits humains au Darfour128
.
Enfin, au lendemain de l‟émission du mandat d‟arrêt contre le président Omar El-Béchir le 4 mars
2009, outre l‟expulsion de treize ONG internationales qui sera étudié plus avant, l‟insécurité s‟est
encore accrue pour les travailleurs humanitaires, avec l‟enlèvement au Nord Darfour, confirmé le
12 mars, de quatre employés travaillant pour la section belge de MSF, parmi lesquels trois étaient
des volontaires internationaux.
Depuis mars, les enlèvements de ce type se sont multipliés au Darfour : si les employés de MSF ont
été relâchés quelques jours plus tard, les deux membres de l‟ONG irlandaise GOAL ont passé plus
d‟une centaine de jours en captivité avant d‟être libérées en octobre 2009. Plus récemment, c‟est un
126 URD, « Le Soudan, la Cour Pénale Internationale et les humanitaires : des relations risquées », 15 décembre 2008 ;
article disponible sur le site Internet du Groupe URD, dans la rubrique « Espace humantaire » :
http://www.urd.org/newsletter/spip.php?article1. 127 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judiciaire ou humanitaire ?, op. cit.
Cet évènement pose en outre la question de l‟utilisation, par la CPI, des documents produits par les ONG humanitaires,
qui sera analysée, avec celle du témoignage, dans le chapitre 4. 128 ICG, « Sudan : Peace, justice and the ICC », op. cit.
40
employé du CICR qui a été enlevé fin octobre 2009 dans l‟Est Darfour, près de la frontière avec le
Tchad. Le Tchad qui a connu, quant à lui, un premier évènement de cette nature avec l‟enlèvement,
en août 2009, d‟un travailleur expatrié de MSF-H à Adé, village frontalier du Soudan accueillant
une dizaine de milliers de déplacés tchadiens.
Si l‟on peut ainsi établir que la saisine de la CPI et la réquisition par le procureur Moreno-Ocampo
d‟un mandat d‟arrêt à l‟encontre du président soudanais en exercice, en privilégiant la voie
judiciaire à un règlement politique, ont été l‟un des facteurs de la réduction de l‟espace humanitaire
au Darfour à partir de 2005, le point d‟orgue de ces tensions entre le mandat de la CPI a bel et bien
été atteint les 4 et 5 mars 2009, avec le mandat d‟arrêt contre Omar El-Béchir et la brutale réaction
du Soudan.
Le 4 mars 2009, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale délivrait en effet un
mandat d‟arrêt à l‟encontre du président soudanais Omar El-Béchir, pour crimes contre l‟humanité
et crimes de guerre suite à la demande formulée par le procureur Luis Moreno-Ocampo le 14 juillet
2008 ; la riposte de Khartoum n‟allait pas tarder, et se diriger contre l‟une des cibles les plus aisées
à atteindre parmi les « agents de l‟occident » présents sur son territoire : les acteurs internationaux
de l‟aide opérant au Darfour.
En effet, quelques heures seulement après l‟émission du mandat d‟arrêt contre le président
soudanais, dix ONG internationales se sont vues notifier leur expulsion du pays ; le lendemain, 5
mars, trois ONG supplémentaires ont été visées par la mesure d‟expulsion du gouvernement
soudanais qui, par l‟intermédiaire du HAC, notifiait aux ONG la révocation immédiate de leur
permis de travail au Soudan.
Au même moment, trois ONG soudanaises129
se voyaient également notifier la révocation de leur
enregistrement auprès du HAC, signifiant pour elles la dissolution pure et simple.
La justification avancée par Khartoum est la suivante : les ONG sont accusées d‟avoir coopéré avec
la CPI et d‟avoir transmis des documents au Procureur dans le cadre de l‟enquête ouverte contre le
président Béchir, d‟avoir plaidé auprès de la communauté internationale et du Conseil de sécurité
pour un accroissement des pressions sur le Soudan, et d‟avoir produit des rapports erronés sur la
situation au Darfour130
. Selon Khartoum, les ONG auraient ainsi enfreint les règles régissant l‟aide
humanitaire au Soudan, les principes de neutralité et d‟impartialité en tête ; une telle collaboration
entre les ONG humanitaires et la CPI constitue, pour le gouvernement soudanais, une menace pour
la sécurité nationale, et justifie la révocation du permis de travail des ONG.
129 Khartoum Centre for human rights and environmental development, AMAL Center for the Rehabilitation of the
Victims of Violence, et SUDO. 130 Ministère soudanais des Affaires humanitaires, Commission pour l‟aide humanitaire (HAC), « Humanitarian situation
in Sudan », 2009, disponible sur :
http://www.hac.gov.sd/picture_library/report/Humanitrain%20situation%20in%20sudan0.pdf.
41
Origine des financements et relations de dépendance
L‟origine des financements des ONG expulsées est également utilisée par le gouvernement
soudanais, comme un argument prouvant que la neutralité et l‟indépendance affichées par les
acteurs humanitaires ne sont pas une réalité. En effet, qu‟il provienne de donateurs privés ou
d‟institutions publiques, gouvernementales ou supra-gouvernementales, le financement des
opérations menées par les ONG internationales est d‟origine « occidentale » pour Khartoum. A
fortiori, l‟étroite collaboration entre une partie des ONG et les agences onusiennes – notamment le
Programme alimentaire mondial pour les distributions de nourriture, l‟UNICEF ou encore le Haut
Commissariat aux Réfugiés – conduit le gouvernement soudanais à considérer les ONG comme de
simples prestataires de service des agences, voire comme des agents – littéralement – à la solde des
Etats occidentaux, au premier rang desquels les Etats-Unis et l‟Union européenne. Ainsi, les
organisations financièrement soutenues ne sauraient être que politiquement engagées131
.
Nous abordons là une question qui n‟est pas spécifique à l‟intervention humanitaire dans le
contexte soudanais, ni même directement en lien avec la problématique de la « cohabitation » entre
la justice internationale et l‟action humanitaire sur un même terrain de crise. La question de
l‟indépendance des ONG face à leurs sources de financement est en effet récurrente, soulevée tant
par les analystes pour lesquels l‟ONG est objet d‟étude, que par le grand public ou les medias ;
c‟est en outre un questionnement permanent, quasi-quotidien, pour les acteurs de l‟humanitaire.
Il ne s‟agit pas ici de discuter une nouvelle fois la nature des liens qui unissent les ONG et les
donateurs leur permettant de mettre en œuvre les opérations, de déterminer lequel du financement
privé ou du recours aux deniers publics permet la plus grande indépendance dans l‟action. Il ne
s‟agit pas non plus de nier l‟origine occidentale de la plupart des fonds reçus par les ONG, qu‟il
s‟agisse des Etats européens ou nord-américains, des citoyens ou autres personnes morales
ressortissantes de ces Etats, des mécanismes de financement de l‟aide humanitaire de l‟Union
européenne, ou encore des bailleurs multilatéraux du système des Nations Unies. Ce caractère
« occidental » n‟est en outre pas seulement applicable à l‟origine des fonds mais également pour
une large part à la nationalité des travailleurs humanitaires internationaux.
Sans se pencher sur le débat du « lourd parfum d‟Occident132
» qui flotte sur l‟action humanitaire
internationale, évoquons simplement le fait que la récente montée en puissance des bailleurs
multilatéraux tend à assouplir le lien entre l‟Etat donateur et l‟organisation recevant des fonds pour
mettre en œuvre son action ; en outre, la diversification des sources de financement – bailleurs
multilatéraux, coopérations nationales, donateurs privés – constituerait probablement une bonne
manière pour les ONG de garantir leur indépendance face à leurs financeurs.
131 Etienne ARCHAMBAULT, « Vu de Khartoum : les ONG internationales expulsées du Soudan. Ni indépendantes, ni
impartiales… », article publié en 2009 dans le dossier « Darfour » du site Internet Grotius.fr, Media et humanitaire ;
disponible sur http://www.grotius.fr/node/117. 132 Pierre MICHELETTI, Humanitaire : S’adapter ou renoncer, Paris, Marabout, 2008.
42
Outre la question de l‟origine des financements comme obstacle à l‟indépendance des ONG,
l‟analyse de l‟argumentaire du gouvernement soudanais nous conduit à aborder, brièvement encore,
un autre débat particulièrement sensible et omniprésent pour l‟humanitaire contemporain : celui de
la réforme des Nations Unies qui, poursuivant l‟objectif louable d‟une meilleure coordination entre
les acteurs humanitaires, confère sur le terrain un rôle particulièrement important aux agences
onusiennes. Sous l‟égide du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA), rattaché au
Secrétariat général des Nations Unies, le schéma proposé aux ONG et celui d‟une plate-forme
sectorielle de coordination des intervenants, le cluster, pilotée par une agence des Nations Unies.
Nous reviendrons plus tard sur l‟impact de l‟expulsion du 4 mars sur la coordination de l‟aide au
Darfour, et sur l‟évolution du rôle des agences onusiennes et du système des clusters ; notons
simplement ici que la volonté de coordination aboutit parfois à l‟uniformisation de la réponse
humanitaire apportée – tant sur le plan des zones d‟intervention que des modalités techniques de
l‟aide – et accroit la confusion entre les différents acteurs.
Enfin, il est un élément fondamental bien que non explicité dans l‟annonce du gouvernement
soudanais, celui de la nationalité des ONG expulsées : six américaines (CARE, CHF international,
IRC, Mercy corps, PADCO, Save the children US), trois françaises (Action contre la faim,
Médecins sans frontières France et Solidarités), deux britanniques (OXFAM Grande-Bretagne et
Save the children Grande-Bretagne), une norvégienne (Norwegian refugee council) et une
néerlandaise (Médecins sans frontières Hollande). Certes, ces nationalités sont parmi les plus
représentées si l‟on observe l‟Etat d‟origine des ONG humanitaires présentes au Darfour, du moins
est-ce vrai pour les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France.
Mais ces trois dernières nationalités sont également celles de trois des pays membres du Conseil de
Sécurité des Nations Unies ; surtout, il s‟agit, au moins pour deux d‟entre eux, des pays qui ont
d‟abord manifesté leur soutien fort à la poursuite par la Cour pénale internationale du président
soudanais, avant de tenter de nouvelles approches par la négociation. On peut donc en conclure,
comme l‟ont fait bon nombre d‟observateurs et d‟acteurs au lendemain du 4 mars, que cette mesure
d‟expulsion des ONG internationales est un signal envoyé par le gouvernement soudanais aux trois
puissances133
.
La nature de ce signal est multiple : la démonstration de force liée à la dimension arbitraire de cette
mesure d‟expulsion semble davantage avoir relevé d‟un calcul politique national que d‟un jeu
diplomatique international ; le gouvernement soudanais réaffirme sa souveraineté en tant qu‟Etat,
et démontre sa capacité à refuser les interventions étrangères sur son territoire, une qualité qui n‟a
pourtant jamais véritablement été remise en cause.
La dimension humanitaire du message, quant à elle, ne dénote guère avec l‟attitude adoptée par
Khartoum à l‟égard de la population du Darfour depuis le début du conflit : au mieux, un
désintérêt, au pire, une politique de destruction organisée. Ainsi, au-delà de la simple
133 Cf. infra.
43
démonstration de force, il semble que l‟expulsion des ONG internationales doive avant tout se
comprendre comme un élément de la stratégie du Soudan, dans le processus de négociations en
cours afin de trouver une issue au conflit du Darfour.
La dégradation immédiate de la couverture des besoins humanitaires
A titre de remarque préliminaire, il convient de noter que malgré l‟évolution de la violence et la
multiplication des sources d‟insécurité pour les travailleurs humanitaires, malgré les importantes
restrictions d‟accès et en dépit des nombreuses entraves posées par les autorités soudanaises, la
plupart des observateurs s‟accordent sur le constat suivant : au début de l‟année 2009, la crise
humanitaire était sous contrôle au Darfour, devenu le théâtre de la plus importante opération d‟aide
internationale de la planète. Ou, comme le résume Fabrice Weissman, « les politiques de secours
[…] étaient parvenues à éviter famine et épidémies et à faire tomber les taux de mortalité et de
malnutrition sous leur niveau d‟avant-guerre134
» ; en cela, osons affirmer sans arrière pensée que
les organisations humanitaires remplissaient leur mandat au Darfour. Une donnée qu‟il convient de
garder à l‟esprit à l‟heure d‟examiner les conséquences de leur expulsion.
Bien que la quantification précise du vide laissé par les ONG expulsées du Soudan le 4 mars soit
sujette à controverse, il est possible d‟obtenir un certain nombre de données de base en recoupant
les informations diffusées par les ONG, les agences onusiennes, les medias ou encore, le
gouvernement soudanais. Ainsi, on estime que les 13 ONG internationales représentaient, avant
l‟expulsion, environ la moitié de l‟aide humanitaire apportée au Darfour ; les quelques 250
travailleurs humanitaires expatriés expulsés et 5 000 employés soudanais représentaient, quant à
eux, environ 40% de l‟effectif des travailleurs humanitaires.
Le 4 mars 2009, alors que la décision d‟émettre un mandat d‟arrêt à l‟encontre du président
soudanais Omar El-Béchir émanait directement de la Cour pénale internationale, ce sont ainsi seize
ONG, dont treize ONG humanitaires internationales, qui ont été visées par la réaction sans appel du
gouvernement soudanais ; au-delà des conséquences pour les travailleurs humanitaires et de
l‟impact sur les structures, ce sont plusieurs millions d‟habitants du Darfour qui allaient se voir
privés d‟une aide humanitaire vitale. Quelle va être, alors, la réaction des ONG expulsées ?
Si la décision d‟expulsion, prononcée par un Etat souverain sur son territoire, laisse peu de place à
l‟interprétation, il s‟agit désormais d‟analyser les réactions des ONG humanitaires expulsées face
aux accusations particulièrement graves proférées à leur encontre par Khartoum, mais également,
quant aux modalités concrètes de mise en œuvre de la décision par les autorités soudanaises.
134 Fabrice WEISSMAN, « Darfour : secourir ou punir ? », art.cit.
44
Au-delà des réactions immédiates et des accommodements au lendemain de l‟expulsion, nous
tenterons enfin de déterminer135
comment les ONG humanitaires, qui possèdent une expérience
certaine d‟évolution dans des contextes instables et en reconfiguration permanente, prennent en
compte la nouvelle donne que constitue l‟opérationnalisation d‟une juridiction pénale internationale
permanente, construisent des stratégies d‟adaptation au contexte et élaborent, le cas échéant, des
mécanismes notamment juridiques permettant de défendre l‟espace humanitaire.
135 Dans le chapitre 4.
45
Chapitre 3. Une défense chaotique des principes humanitaires en danger
1. L’indépendance comme argument d’autodéfense
Par sa décision de révoquer le permis de travail d‟une partie des ONG internationales et de trois
ONG nationales travaillant au Darfour, le 4 et le 5 mars 2009, le gouvernement soudanais fait
preuve d‟une réactivité toute particulière. Pour nombre de ces ONG, la surprise ne fut toutefois pas
totale : nous l‟avons vu, la réduction de l‟espace humanitaire au Darfour n‟a pas été enclenchée par
la seule émission du mandat d‟arrêt à l‟encontre du président soudanais, mais préexistait à cet
évènement ; le climat, à la fois international avec l‟imminence de la décision de la Chambre
préliminaire de la CPI, et interne au Soudan, avait placé les ONG dans une situation d‟attente – de
nombreux acteurs et observateurs font ainsi remarquer que « beaucoup d‟ONG internationales
avaient déjà préparé leur valise „au cas où‟ »136
.
L‟ampleur et la brutalité de la décision d‟expulsion n‟en furent pas pour autant moindres.
Il s‟agit ici d‟analyser les réactions « à chaud » des ONG expulsées, et de tenter de dessiner, à
grands traits, les constantes dans leur communication ou à l‟inverse, les principales divergences. La
forme de communication retenue pour cette analyse est celle du communiqué de presse, et plus
largement, du media que constitue le site Internet des ONG en question137
. Nous allons le voir,
plusieurs caractéristiques peuvent être identifiées dans la communication, qui nous permettront
d‟émettre des hypothèses successives et d‟aboutir à une classification des ONG.
Un principe commun à réaffirmer
L‟un des motifs invoqués par le gouvernement soudanais pour justifier l‟expulsion de treize ONG
internationales portant sur leur coopération présumée avec la Cour pénale internationale, l‟on
pouvait raisonnablement s‟attendre à ce que les ONG en question, dans leur réaction, se prononcent
sur cette question et réfutent, le cas échéant, les accusations de Khartoum. La lecture des
communiqués de presse ne permet toutefois pas de dégager un positionnement clair et unanime des
ONG humanitaires sur cette question.
136 Etienne ARCHAMBAULT, « Vu de Khartoum : les ONG internationales expulsées du Soudan. Ni indépendantes, ni
impartiales… », art. cit. 137 Il s‟agit là d‟un choix méthodologique qui peut être discuté. Ce choix répond notamment à des considérations
pratiques de temps – une analyse exhaustive de toutes les prises de parole publique, directement ou reprises par d‟autres,
pour l‟ensemble des supports de communication s‟avérait en effet particulièrement fastidieuse – et d‟information
disponible – de nombreux éléments relevant de la « gestion de crise » ne sont pas rendus publics par les ONG qui
semblent tenir à conserver un niveau relativement élevé de confidentialité à ce sujet. Le support du communiqué de
presse présente en outre l‟avantage d‟avoir été utilisé par l‟ensemble des ONG expulsées – à l‟exception de l‟organisation
PADCO, pour laquelle aucun document n‟a pu être trouvé –, et sa publication par le biais du site Internet augmente
considérablement sa diffusion, autant qu‟elle le rend potentiellement accessible à quiconque chercherait à se documenter
à ce sujet.
46
Parmi les ONG expulsées, on retrouve dans une majorité des communiqués de presse une
affirmation, voire une réaffirmation, de l‟indépendance de l‟organisation face à la Cour pénale
internationale. Cette mise en avant de la notion d‟indépendance ne correspond pas toujours,
néanmoins, à la défense claire d‟un principe central de l‟action humanitaire internationale.
L‟importance conférée à l‟affirmation par les ONG humanitaires de leur indépendance vis-à-vis de
la CPI, si elle semble fondamentale au regard des allégations de Khartoum, est cependant variable
dans les documents émis : ainsi, il s‟agira d‟une simple phrase au détour du second communiqué de
presse émis après deux jours après l‟évènement pour CARE138
; en revanche, l‟indépendance sera
réaffirmée avec insistance et non sans un certain degré de pédagogie par CHF International139
ou
Médecins sans frontières140
.
En outre, un petit nombre parmi les ONG répondent ainsi directement à l‟accusation lancée par
Khartoum, et affirment n‟avoir jamais transmis d‟informations à la CPI ; la plupart d‟entre elles,
cependant, se satisfait d‟une affirmation simple de leur indépendance, et affirme n‟avoir aucune
opinion sur le travail de la CPI sans mentionner précisément la nature de leur relation avec la
juridiction pénale internationale permanente141
.
L‟examen des communiqués de presse révèle ainsi que pour une majorité des ONG expulsées, et
notamment celles parmi les ONG britanniques et américaines ayant réaffirmé leur indépendance
par rapport à la CPI – toutes ne l‟ayant pas fait –, la communication relève davantage des
« dénégations confuses sur leurs liens supposés ou réels avec la Cour142
», que d‟un positionnement
clair et marqué. Au lieu d‟une clarification de la situation, le discours des ONG semble donc
rajouter à la confusion ambiante autour du positionnement et de la coopération ou non des ONG
humanitaires avec la CPI ; une telle confusion se révèle sans aucun doute favorable au
gouvernement soudanais qui semble se réjouir devant la défense maladroite des ONG, et continue
de manipuler l‟opinion soudanaise en proférant des accusations d‟espionnage sans pour autant être
en mesure de retenir des charges précises contre les ONG ni ne fournir la moindre preuve
susceptible d‟étayer ces accusations143
. A cet égard, il convient de souligner que la décision de
Khartoum d‟expulser treize ONG internationales du nord du pays, tout comme la surenchère
d‟annonces gouvernementales invitant notamment tous les acteurs internationaux de l‟aide à avoir
138 « CARE is completely independent of the ICC. », in « CARE forced to cease all aid operations in North Sudan and
Darfur », Communiqué publié le 6 mars 2009 sur le site Internet de CARE ; disponible sur :
http://www.care.org/newsroom/articles/2009/03/sudan-darfur-operations-humanitarian-20090306.asp et repris en Annexe
4.B. 139 « CHF has no affiliation with the International Criminal Court in any way and has at no point provided the ICC with
any information », in « CHF International asked by Sudanese government to leave Darfur », Communiqué publié le 5
mars 2009 sur le site Internet de CHF International; disponible sur : http://www.chfinternational.org/node/33002. 140 « MSF réitère avec fermeté que l'association est totalement indépendante de la Cour pénale internationale, que MSF
ne coopère pas avec elle, ni ne lui fournit d'informations. », in « La section néerlandaise de MSF expulsée du Darfour »,
Communiqué publié le 4 mars 2009 sur le site Internet de MSF-F ; disponible sur :
http://www.msf.fr/2009/03/12/1230/la-section-neerlandaise-de-msf-expulsee-du-darfour/ et repris en Annexe 4.D. 141 Par exemple « The agency is completely independent of, and has no position on, the actions of the International
Criminal Court.», in « Mercy Corps confirmes registration to operate in Sudan has been revoked », Communiqué publié
le 4 mars 2009 sur le site Internet de Mercy Corps ; disponible sur : http://mercycorps.org/pressreleases/15000. 142 Fabrice WEISSMAN, « Humanitaire et justice : les raisons d‟un divorce...», art. cit. 143 « NGO expelled from Darfur considered ICC cooperation », Reuteurs du 16 mars 2009 ; disponible sur
http://www.reuters.com/article/worldNews/idUSTRE52F6SX20090316?sp=true.
47
quitté le Soudan dans les douze mois, relèvent en grande partie de la stratégie politique nationale et
notamment de la nécessité, pour le National congress party au pouvoir, de resserrer ses rangs par
l‟emploi d‟une rhétorique antioccidentale à l‟approche des élections générales prévues au début de
l‟année 2010.
Si toutes les ONG expulsées n‟affirment pas avec la même précision et la même intensité leur
indépendance vis-à-vis de la CPI, il en est en outre une minorité qui choisissent de ne pas
mentionner la CPI dans leur communiqué de presse publié en mars, et qui laissent planer le doute
sur la nature de leurs relations avec la CPI : c‟est le cas d‟Action contre la faim, du Norwegian
refugee council ou encore de Save the children, pour les deux branches britanniques et américaines
du réseau international victimes de la mesure d‟expulsion, respectivement les 4 et 5 mars 2009.
Pour quiconque en douterait, une rapide recherche sur les sites Internet de ces ONG permet de
vérifier qu‟elles se définissent bien comme des organisations humanitaires indépendantes et
neutres ; on peut dès lors s‟interroger sur les raisons les ayant conduit à passer sous silence leur
positionnement par rapport à la CPI. S‟agit-il d‟un oubli, bien malencontreux pour ce qu‟il laisse
planer de doute et permet au gouvernement soudanais d‟exploiter à l‟envi les soupçons de
collaboration, non seulement au sujet des organisations en question mais également, pour
l‟ensemble de la communauté humanitaire ? S‟agit-il d‟un silence coupable144
, destiné à masquer
une collaboration effective ?
La décision de coopérer ou non avec la CPI appartient bien sûr à chaque ONG, dans le cadre des
modalités prévues par le Statut de Rome qui seront examinées plus avant ; rappelons simplement
que l‟action humanitaire et la sécurité du personnel de secours reposent, pour une part importante,
sur la perception qu‟en ont les autres acteurs en présence – bénéficiaires mais également autorités
locales et nationales, groupes armés,… De fait, la décision d‟une ONG, qu‟elle choisisse de
coopérer ou omette simplement de rappeler qu‟elle ne coopère pas, aura donc un impact en termes
de perception sur l‟ensemble des organisations humanitaires présentes sur le terrain d‟intervention.
A ce titre, on peut donc entendre qu‟une ONG humanitaire qui soutiendrait le travail de la CPI et
tenterait d‟adjoindre à son action humanitaire, en dépit de toutes les contradictions qui ont pu être
mentionnées ici, une contribution à la lutte contre l‟impunité, se trouve dans une position
inconfortable, ne pouvant ni nier sa volonté de coopération, ni la clamer. Il n‟en reste pas moins
que, même si elle s‟adresse en son nom propre, le discours d‟une ONG aura nécessairement des
répercussions sur la manière dont sont perçues toutes celles dont la mission et le mandat sont
identifiés comme proches, et que cette problématique doit être prise en compte.
144 L‟emploi du terme « coupable » doit ici être précisé : il ne s‟agit évidemment pas de prononcer un jugement, qu‟il soit
d‟ordre moral ou juridique précisément, sur la décision de coopérer qu‟auraient pu prendre les ONG ; l‟emploi de ce
terme fait uniquement référence aux accusations émises par le gouvernement soudanais, qui se révèleraient en partie
fondées s‟il était avéré que certaines organisations avaient effectivement coopéré ou transmis des documents à la CPI.
48
La communication de Save the children peut ainsi être considérée comme allant dans ce sens,
même si le communiqué de l‟ONG se révèle plus complexe qu‟il n‟y parait. En effet, si l‟ONG ne
confirme ni n‟infirme son soutien à la CPI, elle ne lui réaffirme pas son support comme elle le
faisait en mars 2005, dans la première ligne du document de cadrage diffusé suite à l‟émission d‟un
mandat d‟arrêt à l‟encontre de six des chefs de la Lord’s resistance army (LRA) en Ouganda145
. La
mise en perspective des réactions d‟une partie des ONG humanitaires expulsées le 4 mars 2009 du
Darfour, avec certaines de leurs prises de position antérieures sur le travail et la coopération avec la
CPI, permettent ainsi d‟identifier un premier élément de rupture, au moins en matière de soutien
public : si Save the Children soutenait ouvertement la mission et le travail la CPI en 2005, aucun
élément abondant dans ce sens n‟a pu être relevé au lendemain de l‟émission d‟un mandat d‟arrêt
contre le président soudanais.
Le spectre est ainsi particulièrement large, en matière de positionnement des ONG humanitaires
face au travail de la CPI : allant du passage sous silence de l‟existence même de la Cour, à
l‟affirmation timide de l‟indépendance voire de l‟ « absence d‟avis » sur les travaux de la CPI,
jusqu‟au positionnement clair réaffirmant la non-coopération, l‟absence de relations de travail et la
non fourniture de documents ou d‟informations.
Outre un positionnement éventuel par rapport à la Cour pénale internationale, il est deux autres
éléments que l‟on retrouve de façon récurrente dans la communication des ONG à la suite de
l‟expulsion du 4 mars : le premier porte sur des conséquences humanitaires au Darfour d‟un tel
évènement, et s‟il est systématiquement présent dans le discours des ONG, la place qui lui est
accordée varie de manière significative ; le second porte sur la dénonciation des motifs et des
conditions de l‟expulsion, et prend la forme d‟une réponse adressée à Khartoum.
Plaidoyer humanitaire vs responsabilisation politique ?
Toutes les ONG rappellent, dans leurs communiqués de presse comme dans leurs diverses prises de
parole publiques à l‟issue de leur expulsion le 4 mars, les raisons de leur présence au Darfour, et
insistent sur leur mandat et leur mission humanitaires. En dehors de toute référence à la CPI, les
principes d‟indépendance, de neutralité et d‟impartialité de l‟aide humanitaire sont par ailleurs mis
en avant. De plus, une partie des ONG expulsées retrace brièvement l‟historique de leur présence
au Darfour et dans le reste du Soudan, le cas échéant, et indique avec force précisions la nature des
programmes d‟assistance qui étaient menés, les zones géographiques couvertes, ainsi que le
nombre de leurs bénéficiaires. Les ONG sont également unanimes sur les risques que comporte une
telle expulsion pour la situation humanitaire au Darfour ; il semble à ce titre que la diffusion, par
certaines d‟entre elles, de données sectorielles et chiffrées sur la nature de l‟aide et le nombre de
personnes aidées, serve notamment à dresser une vue d‟ensemble, et à quantifier la part de l‟aide
145 « Child protection concerns related to the ICC investigations and possible prosecution of the LRA leadership »,
Document interne (Save the children), 30 mars 2005.
49
humanitaire qui a été forcée à quitter le Darfour entre le 4 et le 5 mars 2009. Le pourcentage de
l‟aide que représentaient les treize ONG internationales expulsées, s‟il est quelque peu surestimé
dans une partie des communiqués publiés dès le 5 mars, converge vers le chiffre approximatif de
50% du volume de l‟aide.
La plupart des ONG semble donc dans ancrer son discours dans une action de plaidoyer
humanitaire au lendemain de l‟expulsion, cherchant à mobiliser l‟opinion et les décideurs
politiques sur la situation d‟urgence qui demeure au Darfour, et sur son évolution probable après le
retrait d‟environ la moitié de l‟aide humanitaire jusque là dispensée. A ce titre, il n‟est bien sûr
question que de projections, et CARE semble faire le plus preuve d‟honnêteté, annonçant le 4 mars
être encore en train d‟évaluer les conséquences pour les personnes à qui elle délivrait son aide146
;
un diagnostic clair et sincère de l‟état des besoins humanitaires au Darfour et de l‟impact réel du
départ de seize ONG, soudanaises et internationales, fait par ailleurs toujours défaut plus de six
mois après l‟évènement. En effet, des diagnostics conjoints ont bien été menés par les agences
onusiennes et le gouvernement soudanais, qui permettent de dresser un tableau de la situation
humanitaire au Darfour bien moins alarmant que ce à quoi l‟on pouvait légitimement s‟attendre,
avec l‟arrêt brutal de la moitié des activités d‟assistance humanitaire au Darfour. S‟il semble que la
situation soit effectivement moins critique, six mois après l‟expulsion, qu‟une partie des acteurs ne
l‟avait craint, les diagnostics conjoints relativement optimistes n‟en sont pas pour autant accueillis
avec la plus grande confiance par les ONG humanitaires expulsées du Darfour.
Cependant, à l‟exception de ces quelques rapports périodiques publiés par OCHA et des données
recueillies par le Famine early warning system mis en place par l‟Organisation des Nations unies
pour l‟agriculture et l‟alimentation (Food and agriculture organization, FAO) dès la fin du mois de
mars 2009, la tendance dominante est celle d‟une absence d‟informations sur la situation
humanitaire au Darfour. Parmi les indicateurs de cette diminution significative de l‟information, on
remarquera notamment la non publication ou la fréquence réduite de certains documents-clé
comme le Darfur humanitarian profile, bulletin trimestriel fournissant des données chiffrées sur la
situation humanitaire des populations du Darfour et sur la qualité de l‟accès, dont aucun n‟a été
produit depuis fin 2008.
Dans la communication des ONG expulsées, les divergences apparaissent rapidement entre les
celles qui présentent un simple aperçu, par ailleurs souvent chiffré et précis, de leur action
humanitaire et des besoins qu‟elles laissent non couverts en quittant le Darfour, et celles qui tentent
déjà de mettre le gouvernement soudanais face à ses responsabilités envers les citoyens du Darfour.
Dans le premier cas, le plaidoyer humanitaire est une fin en soi, et ne mentionne quasiment pas les
146 « We are assessing what this means for the 1.5 million people who now receive food, water, sanitation, livelihood and
health assistance from CARE. », in « Statement from CARE regarding operations in Sudan », Communiqué publié le 4
mars sur le site Internet de CARE; disponible sur : http://www.care.org/newsroom/articles/2009/03/sudan-darfur-CARE-
operations-humanitarian-20090304.asp et repris en Annexe 4.B.
50
causes politiques qui ont conduit à, ou pourraient permettre de sortir d‟une telle situation ; dans le
second, le plaidoyer humanitaire est mis en perspective avec l‟irrespect dont fait preuve le
gouvernement soudanais du travail et des organisations humanitaires, et avec les autres facteurs de
réduction de l‟espace humanitaire intervenus avant même l‟expulsion du 4 mars et qui ont d‟ores et
déjà été évoqués ici.
Le discours se charge alors d‟une dimension que l‟on qualifiera de politique, au sens où il s‟agit bel
et bien d‟une dénonciation des pratiques et du rapport de force établis par le gouvernement
soudanais ; davantage qu‟établie au lendemain de l‟expulsion, il semble plus exact d‟affirmer que
cette dénonciation est poursuivie : rappelons en effet que les ONG assumant un mandat de
plaidoyer humanitaire n‟avaient pas attendu le 4 mars 2009 pour dénoncer l‟attitude de Khartoum à
l‟égard de la population du Darfour et des acteurs nationaux ou internationaux de l‟aide.
L‟examen détaillé des communiqués de presse révèle ainsi de profondes disparités, sur le ton
comme sur la nature du message adressé au gouvernement soudanais, entre les organisations. Selon
cet angle d‟analyse, les ONG humanitaires expulsées du Darfour peuvent alors être regroupées en
deux catégories distinctes : la majorité des ONG britanniques, américaines et scandinaves que l‟on
associe traditionnellement à leurs consœurs « anglo-saxonnes » constituent un premier ensemble
mettant l‟accent, dans sa communication et dans sa gestion de l‟expulsion, sur la dimension
humanitaire de la crise, insistant sur les besoins des populations du Darfour, et adoptant une
attitude relativement neutre à l‟égard de Khartoum.
A ce titre, le vocabulaire employé pour désigner la mesure d‟expulsion et les conditions dans
lesquelles elle a été mise en œuvre par les autorités soudanaises est généralement factuel et ne
laisse que peu transparaitre le caractère arbitraire d‟une telle décision. C‟est ainsi que CARE
« accuse réception d‟une lettre du gouvernement soudanais annulant [son] autorisation de travailler
dans le pays147
», que Save the children UK informe avoir « reçu une lettre des autorités
soudanaises lui demandant de suspendre [ses] opérations au Soudan148
», que OXFAM, faisant par
ailleurs appel de la décision, « espère trouver rapidement une issue à la situation149
», ou encore que
Mercy Corps informe sur un ton d‟évidence que « le gouvernement soudanais n‟a pas fourni de
motif justifiant sa décision150
».
147 « CARE acknowledges receipt of a letter from the government of Sudan today canceling our registration to operate in
the country. », in « Statement from CARE regarding operations in Sudan », 4 mars 2009, art. cit. 148 « Save the Children UK has received a letter from the Sudanese authorities asking us to suspend our operations in
Sudan », in « Save the children UK‟s statement on being asked to suspend operations in Sudan », Communiqué publié le
5 mars 2009 sur le site Internet de Save the children UK ; disponible sur :
http://www.savethechildren.org.uk/en/41_7653.htm et repris en Annexe 4.E. 149 « The agency said it is appealing the decision and hopes the matter can be resolved quickly », in « Oxfam confirms
that license to operate in northern Sudan revoked », Communiqué publié le 4 mars 2009 sur le site Internet d‟OXFAM
UK ; disponible sur : http://www.oxfam.org.uk/applications/blogs/pressoffice/?p=3815. 150 « The Government did not offer a reason for this decision. », in « Mercy Corps Confirms Registration to Operate in
Sudan Has Been Revoked », Communiqué publié le 4 mars 2009 sur le site Internet de Mercy Corps ; disponible sur :
http://mercycorps.org/pressreleases/15000.
51
Le ton et le contenu diffèrent en revanche du côté des ONG françaises, MSF en tête, qui réfutent
avec force les accusations du gouvernement soudanais, dénoncent avec une plus grande virulence
l‟expulsion et ses modalités, et accusent à leur tour clairement le gouvernement soudanais d‟une
instrumentalisation de l‟aide humanitaire à des fins de politique interne et internationale.
Toutefois, la cohérence d‟une telle distinction entre ONG de culture anglo-saxonne d‟une part, et
ONG françaises ou européennes issues du mouvement sans frontières d‟autre part, suppose que
l‟on accepte une hypothèse et une exception. La première, est que l‟on ne se limite pas à l‟étude des
seuls communiqués émis le jour même ou dans les quelques jours qui ont suivi le 4 mars, mais que
l‟on prenne également en considération des prises de parole intervenues plus tard ; l‟exception
concerne l‟ONG américaine International rescue comitee (IRC), dont le schéma de communication
semble obéir aux mêmes logiques que les françaises, hors MSF.
En effet, à l‟exception de MSF qui « proteste avec la plus grande vigueur » contre une décision « à
la fois brutale et violente » mettant la population du Darfour dans une situation d‟« otages
d‟agendas politique et judiciaire151
», la communication des deux autres ONG françaises expulsées
reste, dans un premier temps, presque aussi mesurée que celles de leurs consœurs britanniques ou
américaines. Ce n‟est que quelques semaines plus tard que ACF-F et Solidarités rejoindront le
positionnement public fort pris par MSF, alors même que de nouvelles raisons leur auront été
données de s‟insurger contre le comportement de Khartoum à leur égard et de mettre en doute la
capacité des autorités soudanaises à gérer seules la situation humanitaire au Darfour.
La communication d‟ACF-F est à ce titre particulièrement intéressante. En première analyse, la
comparaison des deux communiqués de presses émis par l‟ONG, à exactement trois mois
d‟intervalle, est en effet quelque peu déstabilisante. Le premier152
, publié le 5 mars, adopte un ton
relativement neutre notamment à l‟égard des autorités soudanaises, qui sont tout de même
« [appelées] au respect des principes humanitaires » ; il est fait état d‟une « demande d‟expulsion
[…] de la part des autorités soudanaises » qui n‟enlève par ailleurs rien à la confusion ambiante.
Aucune mention n‟est faite de la CPI, et l‟essentiel du message porte sur la situation humanitaire
du Darfour et sur les conséquences humanitaires directes de l‟expulsion d‟ACF.
Le second communiqué d‟ACF-F153
, en revanche, adopte un ton radicalement différent. L‟accent
est mis sur les trois mois qui se sont écoulés depuis l‟expulsion, toute mention directe de la CPI
demeure absente, mais le responsable la dégradation de la situation humanitaire au Darfour est
151 Les trois citations sont issues de « Expulsion de la section française de Médecins Sans Frontières du Nord Soudan »,
Communiqué publié le 5 mars 2009 sur le site Internet de MSF-F ; disponible sur :
http://www.msf.fr/2009/03/05/1221/expulsion-de-la-section-francaise-de-medecins-sans-frontieres-du-nord-soudan/ et
repris en Annexe 4.D. 152 « Vive inquiétude sur le sort des millions de personnes sous perfusion humanitaire », Communiqué publié le 5 mars
2009 sur le site Internet d‟ACF ; disponible sur :
http://www.actioncontrelafaim.org/presse/communiques/communique/browse/3/article/61/soudan-action-contre-la-faim-
sous-le-coup-de-lexpulsion-demandee-par-le-gouvernement/ et repris en Annexe 4.A. 153 « 3 mois après son expulsion : Allons-nous laisser des centaines de milliers de Darfouris sans assistance ? »,
Communiqué publié le 5 juin 2009 sur le site Internet d‟ACF ; disponible sur :
http://www.actioncontrelafaim.org/presse/communiques/communique/browse/3/article/61/3-mois-apres-son-expulsion-
allons-nous-laisser-des-centaines-de-milliers-de-darfouris-sans-assista/ et repris en Annexe 4.A.
52
clairement désigné : les autorités soudanaises, dont la décision d‟expulser treize ONG
internationales est enfin qualifiée de « brutale et totalement infondée ».
Un bref aperçu des conditions d‟expulsion qui ont suivi la décision du 4 mars doit permettre de
mieux comprendre l‟absence de discours audible et coordonné des ONG humanitaires ; à la lumière
des déroulements et des négociations intervenues entre le gouvernement soudanais et une partie des
ONG, nous mettrons également à l‟épreuve la distinction fondée sur la nationalité qui vient d‟être
établie, et examinerons s‟il est possible d‟en fournir de plus précise.
2. Quand le silence rajoute à la confusion
Si l‟on observe la globalité des prises de parole des ONG expulsées du Darfour, nous l‟avons
évoqué, ce sont l‟hétérogénéité du discours et la diversité dans les réactions qui constituent les
éléments les plus frappants. Dans la presse comme dans les analyses produites par les acteurs et
observateurs des ONG, le terme de « confusion » est employé de manière récurrente. Il est vrai que,
même si toutes les ONG ont émis des déclarations publiques et que leurs noms ont été
invariablement alignés dans les articles de presse, entretenant l‟illusion d‟une profonde cohésion
entre les expulsés du Darfour, la prise de parole s‟est faite de manière individuelle pour l‟essentiel,
du moins dans les premiers temps. Ainsi, comme le rappelle Christian Troubé, il aura fallu aux
ONG de nombreuses semaines avant de parvenir à tenir un discours cohérent154
.
Parmi les ONG humanitaires expulsées, certaines comptent parmi les plus importantes de la
planète, en termes de volumes de projets et de financement mais également en termes de
notoriété155
. Elles disposent, pour la plupart, de services entiers dédiés à la communication et aux
relations avec les medias, avec des postes occupés par des professionnels du secteur. L‟hypothèse
d‟une incapacité, d‟un manque de moyens ou d‟expérience pour analyser l‟évènement et ses
implications, et élaborer rapidement une stratégie de communication, semble ainsi pouvoir être
rapidement écartée. En outre, même si le cas du Darfour semble inédit par son ampleur, le
phénomène de l‟expulsion d‟une ONG humanitaire par les autorités du pays d‟intervention a connu
des précédents156
.
Il semble donc qu‟il faille chercher ailleurs les justifications au relatif silence des ONG qui, malgré
les communiqués de presse examinés précédemment et les mentions dans de nombreux articles de
presse, n‟ont pas occupé l‟espace médiatique de manière constante et marquée. Il ne s‟agit pas d‟un
véritable silence, donc, mais plutôt d‟épisodes où la communication des ONG brille par son
absence. En outre, l‟hétérogénéité qui préside aux quelques prises de position des ONG rend le
discours d‟autant plus inaudible pour une opinion publique qui ne saisit pas nécessairement les
154 Intervention de Christian TROUBE, in « L‟humanitaire en pleine confusion ? », Les 5 à 7 du CICR, art. cit. 155 On citera OXFAM, CARE, Save the children, Médecins sans frontières ou encore Action contre la faim. 156 Médecins sans frontières a par exemple été expulsé du Niger en 2008 ou d‟Ethiopie en 1985.
53
nuances entre les mandats de MSF, de CARE ou de Mercy Corps ; une opinion pour laquelle une
telle dynamique de démarcation de la part des ONG humanitaires vis-à-vis de la Cour pénale
internationale peut par ailleurs s‟avérer tout à fait incompréhensible : dans le registre simplifié des
valeurs du Bien manié par de nombreux les medias en effet, l‟assistance humanitaire, la paix et la
justice ne sont pas destinées à entretenir des relations de tension.
Un message, plusieurs destinataires
Les réactions des ONG doivent donc être mises en perspective avec le contexte humanitaire et
sécuritaire qui prévalait, au moment de l‟expulsion et juste après, au Darfour et à Khartoum.
Tout d‟abord, si treize ONG internationales ont été officiellement expulsées du Darfour les 4 et 5
mars, cela ne s‟est pas pour autant traduit, pour leurs employés internationaux, par une escorte des
autorités soudanaises jusqu‟à l‟aéroport de Khartoum suivie d‟un atterrissage à Londres, Paris ou
Washington quelques heures plus tard. Comme le décrit l‟IRC après que tous ses volontaires
expatriés ont quitté le nord du Soudan, ce n‟est qu‟au terme d‟un processus « épuisant, stressant et
frustrant, [long de] deux mois157
», que les membres de l‟ONG auront pu se soustraire aux
pressions des autorités soudanaises. Solidarités indiquera également a posteriori que «trois
personnes de [son] équipe ont été retenues durant plus d‟un mois, leurs passeports confisqués et
elles ont été menacées158
».
Ainsi, comme l‟analyse Françoise Bouchet-Saulnier, les ONG expulsées auront vécu pendant
plusieurs semaines sous « terreur administrative et judicaire159
», ne maitrisant pas leur propre
sécurité et devant s‟accommoder des requêtes paradoxales des autorités soudanaises, lesquelles
brandissaient des menaces de poursuites pénales si tous les membres ne quittaient pas rapidement
le territoire, mais exigeaient simultanément le règlement de dossiers et procédures administratives
nécessitant la présence d‟employés internationaux à Khartoum.
En outre, et nous l‟avons évoqué, la mesure d‟expulsion prise par le gouvernement soudanais en
réponse à l‟émission d‟un mandat d‟arrêt de la CPI contre Omar El-Béchir était à la fois un signal
politique interne et international. La nationalité de onze des treize ONG expulsées, nous l‟avons vu,
est celle d‟un Etat membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Or, les
diplomaties américaine, britannique et française avaient été, dès la requête du procureur Moreno-
Ocampo le 14 juillet 2008 d‟une inculpation d‟Omar El-Béchir, sollicitées par Khartoum et
d‟autres capitales africaines, qui souhaitaient voir le Conseil de Sécurité recourir à l‟article 16 du
Statut de Rome et suspendre les poursuites pendant une année au moins.
157 « The final IRC staff have now left northern Sudan following an exhausting, distressing and frustrating two-month
process, which included the forced closure of our offices, seizure of assets and termination of staff contracts», in
« IRC officially leaves Darfur, North and East Sudan », Communiqué publié le 16 mai 2009 sur le site Internet de l‟IRC ;
disponible sur : http://www.theirc.org/news/irc-officially-leaves-darfur1615.html et repris en Annexe 4.C. 158 « Solidarités dénonce son expulsion du Darfour », Communiqué publié le 5 mai 2009 sur le site Internet de
Solidarités ; disponible sur : http://www.solidarites.org/Actualites/Communiques.htm#050509 et repris en Annexe 4.F. 159 Intervention de Françoise BOUCHET-SAULNIER, in « L‟humanitaire en pleine confusion ? », Les 5 à 7 du CICR,
art. cit.
54
Alors que les juges de la CPI étaient sur le point de se prononcer au sujet de la requête du
Procureur, la France, soutenue par le Royaume-Uni, envisageait sérieusement, en septembre 2008
d‟invoquer l‟article 16 et de suspendre les poursuites – sans qu‟il ne soit par ailleurs clairement
précisé si les seules poursuites visant Omar El-Béchir, ou l‟ensemble de l‟enquête de la CPI au
Darfour feraient l‟objet d‟une telle suspension160
. Il s‟agissait alors pour Paris de tenter de favoriser
le processus de paix et le retour de Khartoum à la table des négociations, et une invocation de
l‟article 16 était assortie d‟un certain nombre de conditions posées par Paris et Londres, portant sur
la cessation des combats et la négociation avec les groupes insurgés du Darfour de la part du
gouvernement soudanais, sur la coopération du Soudan avec l‟ONU pour le déploiement de la force
mixte de maintien de la paix (Mission des Nations Unies et de l‟Union africaine au Darfour,
MINUAD), sur la normalisation des relations avec le Tchad voisin et enfin, sur la prise de mesures
judiciaires à l‟encontre des deux personnalités soudanaises sous le coup d‟un mandat d‟arrêt de la
CPI, le ministre des Affaires humanitaires Ahmed Haroun et le chef de milice janjawid Ali
Kushayb161
. Outre le paradoxe soulevé par une telle prise de position de la diplomatie française
soutenue par son voisin d‟outre-manche, la France ayant été à l‟origine de la décision du Conseil de
Sécurité de déférer la situation du Darfour à la CPI et les Etats-Unis se retrouvant, de fait, les
derniers défenseurs de l‟enquête et des poursuites au Darfour alors qu‟ils ont longtemps été
farouchement opposés à la CPI, une telle stratégie diplomatique s‟est vite heurtée aux crispations
soudanaises. En effet, comme les Etats-Unis d‟ailleurs, le Soudan a toujours tracé une « ligne
rouge » dans ses rapports avec la CPI, et se refuse invariablement à livrer ses ressortissants à la
juridiction pénale internationale, comme le rappelait froidement l‟ambassadeur du Soudan à l‟ONU
au lendemain des propositions émises par Paris162
.
Une telle prise de position de la France en faveur de l‟utilisation de l‟article 16 a par ailleurs fait
l‟objet de vives protestations de la part des ONG spécialisées dans la défense des droits de
l‟Homme, qui craignent un « recul notoire en matière de justice pénale internationale et [la création
d‟] un dangereux précédent163
» et dénoncent un procédé qui risque de voir les auteurs présumés de
violations graves du droit international humanitaire brandir la menace de la violence « pour se voir
attribuer par le Conseil de Sécurité un statut d‟impunité164
». Les ONG humanitaires présentes au
Darfour, et contre lesquelles Human rights watch craignait précisément que la violence de
160 « Paris marchande l‟inculpation d‟Omar Al-Bachir », Le Monde, 19 septembre 2008. 161 « Débats et négociations autour d‟une éventuelle inculpation pour „génocide‟ du président soudanais », article publié
en septembre 2008 sur le site Internet de l‟Association Internet pour la promotion des droits de l‟Homme (AIDH-
Genève) ; disponible sur : http://www.aidh.org/Justice/02enqu-darfour05.htm. 162 «Nous sommes reconnaissants à la France de s'engager pour régler les problèmes créés par le procureur de la CPI […]
Oui au déploiement sans limite de l'ONU, oui à l'aide humanitaire, oui au processus de paix, mais il n'y aura pas d'accord
s'il s'agit de livrer nos citoyens : c'est notre ligne rouge ». Abdalmahmood Abdalhaleem Mohamad, l'ambassadeur du
Soudan à l'ONU, cité par « Paris marchande l‟inculpation d‟Omar Al-Bachir », Le Monde, art. cit. 163 « Réaction aux propos de Nicolas Sarkozy lors de la Conférence de presse donnée ce 23 septembre à New York »,
Communiqué publié le 23 septembre sur le site Internet de la FIDH ; disponible sur : http://www.fidh.org/Reaction-aux-
propos-de-Nicolas,5875. 164 Richard DICKER, Directeur du programme « Justice internationale » de Human rights watch, cité par AIDH,
« Débats et négociations autour d‟une éventuelle inculpation pour „génocide‟ du président soudanais », art. cit.
55
Khartoum ne se retourne165
, sont quant à elles restées particulièrement silencieuses au moment de
la possibilité d‟une suspension des poursuites évoquée par Paris.
Elles le seront encore six mois plus tard, bien que parfaitement conscientes que la décision prise
par le gouvernement soudanais de les expulser du nord du pays contenait essentiellement un signal
fort envoyé aux diplomaties française, britannique et américaine, lesquelles avaient alors
abandonné la possibilité d‟un recours à l‟article 16 et rappelaient leur soutien à la justice pénale
internationale après la décision prise par les juges de la CPI de délivrer un mandat d‟arrêt contre
Omar El-Béchir.
La situation « particulièrement inconfortable » et le sentiment de ne pas être les seuls destinataires
du message qui leur était adressé, sont précisément analysés par Françoise Bouchet-Saulnier
plusieurs mois après l‟expulsion, qui décrit ainsi le dilemme dans lequel se sont trouvées plongées
les ONG : « nous étions pris en otage d‟un rapport de force qui n‟était pas le nôtre […] Si nous
prenions la parole directement, on entérinait le fait que nous étions des messagers de notre propre
gouvernement, donc l‟indépendance passait par [le fait de] ne pas en appeler à nos opinions
publiques et à nos gouvernements, [afin de ne pas faire] finalement le jeu dans lequel on nous avait
contraints à rentrer166
», et synthétise en ces termes : « en appeler à la protection diplomatique
[revenait à] faire le jeu d‟une politisation et d‟une identification nationale de notre statut d‟ONG
qui n‟était certainement pertinent167
». La directrice juridique de MSF-F dénonce en outre un
rapport de force qui n‟a été que « trop peu assumé et décodé » par les véritables destinataires, à
savoir les diplomaties des Etats membres du Conseil de Sécurité, et met en lumière les tensions
existant entre les ONG de défense des droits de l‟Homme et les ONG humanitaires168
autour de
l‟émission du mandat d‟arrêt contre le président El-Béchir et de ses conséquences au Darfour.
Le monde non gouvernemental divisé sur le rôle politique de la justice
En effet, il convient ici de noter le décalage important dans l‟accueil de la décision de la CPI de
placer le président soudanais sous mandat d‟arrêt international, entre les ONG humanitaires et
celles spécialisées dans la défense des droits humains : alors que les premières, ou du moins pour
treize d‟entre elles, subissent directement les conséquences négatives de cette décision et se voient
interdire l‟accès à l‟un des plus grands théâtres humanitaires de la planète, les secondes « se
félicitent de la délivrance du mandat d‟arrêt de la CPI [qui constitue] une étape cruciale en matière
de justice internationale169
», saluent « une initiative sans précédent170
», ou encore expriment leur
165 AIDH, « Débats et négociations autour d‟une éventuelle inculpation pour „génocide‟ du président soudanais », art. cit. 166 Intervention de Françoise BOUCHET-SAULNIER, in « L‟humanitaire en pleine confusion ? », Les 5 à 7 du CICR,
art. cit. 167 Ibid. 168 Ibid. 169 « Soudan-Darfour / CPI : La CPI délivre un mandat d‟arrêt contre le Président Omar el-Bechir », Communiqué publié
le 4 mars 2009 sur le site Internet de la Fédération internationale des droits de l‟homme ; disponible sur
http://www.fidh.org/La-CPI-delivre-un-mandat-d-arret.
56
« grande satisfaction [….] au nom des victimes du Darfour171
». Chacune de ces organisation
rappelle en outre que l‟émission du mandat d‟arrêt ne constitue que la première étape d‟un long
processus judiciaire destiné à rendre justice aux victimes du Darfour, et appelle les Etats et le
Conseil de Sécurité à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le président soudanais soit
traduit devant la CPI.
En outre, si elles sont conscientes du danger que représente l‟émission de ce mandat pour les
acteurs internationaux présents au Darfour – Human Rights Watch (HRW) rappelle ainsi
qu‟ « après [la requête, le 14 juillet 2008, du procureur Moreno Ocampo pour la délivrance d‟un
mandat d‟arrêt contre Omar El-Béchir], les responsables du gouvernement soudanais avaient
implicitement mais aussi explicitement menacé de représailles les forces internationales pour le
maintien de la paix ainsi que les travailleurs humanitaires172
» –, elles semblent se réfugier, non
sans une certaine naïveté, derrière le droit dès lors que le thème est abordé. Ainsi, à la question de
savoir « quel sera l'effet du mandat sur les agences humanitaires et les forces de maintien de la paix
sur le terrain », HRW rappelle que le droit international « interdit les attaques contre les missions
humanitaires ou de maintien de la paix et définit ces attaques comme des crimes de guerre » et
« exige que le gouvernement garantisse l'accès total, sûr et sans entraves du personnel humanitaire
à toutes les personnes qui en ont besoin au Darfour, ainsi que l'apport de l'assistance humanitaire,
en particulier aux personnes déplacées dans leur propre pays et aux réfugiés » ; or, comme le
souligne judicieusement l‟organisation de défense des droits humains, « le mandat d'arrêt n'a
aucune incidence sur l'obligation de Khartoum de se conformer au droit international173
».
Un rapport de force défavorable aux ONG
En dépit du rappel incessant des obligations juridiques de Khartoum de la part des ONG
spécialisées dans la protection des droits de l‟homme, le comportement et les décisions prises par
les autorités soudanaises sont parfois bien éloignées du cadre du droit.
Les ONG humanitaires l‟ont expérimenté à l‟occasion de leur expulsion du nord du pays. En effet,
et comme certaines de ces ONG l‟ont annoncé dès le 5 mars, la mesure d‟expulsion s‟est
accompagnée d‟une saisie des biens et des actifs financiers des ONG : voiture, ordinateurs, argent
liquide seront ainsi confisqués, bureaux mis sous scellés et comptes bancaires gelés pour une durée
indéterminée. Il convient ici de souligner le préjudice financier que représente, pour les ONG, une
170 « La CPI décerne un mandat d'arrêt contre le président soudanais, Omar el Béchir », Communiqué publié le 4 mars
2009 sur le site Internet d‟Amnesty International ; disponible sur : http://www.amnesty.org/fr/news-and-
updates/news/icc-issues-arrest-warrant-sudanese-president-al-bashir-20090304. 171 Jean-Marie FARDEAU, Directeur du bureau parisien de Human rights watch, in « Le mandat d‟arrêt contre Omar El-
Béchir est une grande satisfaction », L’Express du 4 mars 2009 ; disponible sur
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/le-mandat-d-arret-contre-omar-el-bechir-est-une-grande-
satisfaction_744657.html. 172 « CPI : Le mandat d‟arrêt contre El-Béchir est un avertissement envers les leaders responsables d‟abus »,
Communiqué publié le 4 mars 2009 sur le site Internet de Human rights watch ; disponible sur
http://www.hrw.org/node/81232. 173 Les trois citations sont extraites de « Questions et réponses au sujet du mandat d‟arrêt visant le président soudanais El-
Béchir », une analyse des principaux points soulevés par le mandat d‟arrêt de la CPI, publiée le 4 mars 2009 sur le site
Internet de HRW ; disponible sur : http://www.hrw.org/en/news/2009/03/04/questions-et-r-ponses-au-sujet-du-mandat-d-
arr-t-visant-le-pr-sident-soudanais-el-b-.
57
telle cessation des activités, qui se sont en outre vues imposer, par un décret spécial, le versement
de six mois d‟indemnités de licenciement à leur personnel soudanais, soit six fois plus que ne le
prévoyait le droit du travail soudanais. Solidarités estime ainsi à 1,37 millions d‟euros la valeur des
biens saisis174
, ce qui représente une part de son activité non négligeable pour cette ONG de taille
moyenne.
Pour les ONG bénéficiant de subventions publiques, la cessation des activités au Darfour
concomitante à l‟expulsion les place en outre dans une situation particulièrement délicate face aux
bailleurs de fonds et à leurs exigences contractuelles. Sur ce point, de longues négociations ont
alors été entamées entre les interlocuteurs, les bailleurs institutionnels cherchant par ailleurs à user
de la voie diplomatique pour faire pression sur Khartoum et tenter de recouvrer les actifs saisis175
;
plusieurs mois après l‟expulsion, la liquidation des contrats de financement des projets menés au
Darfour n‟est pas parvenue à son terme, et le risque financier pour les ONG est encore présent.
Plusieurs mois après l‟expulsion, il est un autre phénomène que l‟on observe parmi les treize ONG
internationales qui ont quitté le Darfour et le nord Soudan, et qui pourrait bien constituer une ligne
de fracture au sein de cet ensemble, plus pertinente que ne l‟était la classification selon les critères
de nationalité des ONG expulsées. On constate en effet que, alors qu‟une partie des ONG négociait
encore avec le gouvernement soudanais pour faire sortir du pays ses employés ou récupérer en
partie les biens et les actifs saisis, certaines avaient d‟ores et déjà entamé des négociations d‟un
autre ordre, qui devaient aboutir à un accord permettant à chacun de ne pas perdre la face.
Ainsi, pour certaines ONG expulsées en mars, la possibilité a été rapidement évoquée de revenir
dans le pays grâce au jeu des mouvements internationaux. Si une partie des ONG expulsées en
mars avait annoncé clairement et immédiatement leur volonté de retourner travailler au Darfour,
celles qui sont parvenues à orienter en ce sens les négociations avec Khartoum sont toutefois
restées particulièrement discrètes sur les possibilités qui s‟offraient à elles de retourner combler les
ruptures d‟approvisionnement de l‟aide humanitaire qu‟elles avaient laissé avec leur départ, mais
également de se voir remettre les biens et les actifs saisis par le gouvernement soudanais au
moment de l‟expulsion.
Si des rumeurs sur le retour de certaines ONG circulaient déjà auparavant, l‟information a été
dévoilée en juin 2009 par John Holmes. Se félicitant qu‟une crise humanitaire ait pu être évitée
immédiatement après le départ des organisations humanitaires expulsées, mais rappelant également
qu‟une partie des besoins humanitaires au Darfour demeuraient non couverts et exigeaient des
efforts constants de la part des agences d‟aide, le Secrétaire général adjoint aux affaires
humanitaires et Coordinateur des secours d‟urgence des Nations Unies rapportait de son voyage au
Soudan deux informations d‟importance : d‟une part, il indiquait que le gouvernement soudanais
était prêt à accueillir de nouvelles ONG, et notamment des ONG avec « de nouveaux noms et de
174 « Solidarités dénonce son expulsion du Darfour », 5 mai 2009, art. cit. 175 « Europe, UK press Sudan to return seized aid », Reuters, 8 septembre 2009 ; disponible sur :
http://www.reuters.com/article/africaCrisis/idUSHEA850965.
58
nouveaux logos176
» ; ensuite, il révélait que « quatre des agences expulsées du Darfour en mars –
CARE, Mercy Corps, Save the Children et PADCO – avaient complété leurs formalités
d‟enregistrement à Khartoum177
».
Sur ces deux points, les informations révélées par John Holmes ont suscité des réactions
immédiates de la part des acteurs concernés. Le gouvernement soudanais, pour sa part, a dans un
premier temps démenti avoir ouvert de telles possibilités quant au retour ou à l‟arrivée au Soudan
de nouvelles ONG internationales ; après plusieurs déclarations contradictoire, le Secrétaire d‟Etat
soudanais des Affaires humanitaires Abd El Baghi El Jilani annonçait finalement, plus de six mois
après l‟expulsion de mars 2009, que son ministère était parvenu à l‟accord suivant afin de permettre
aux ONG expulsées de revenir au Soudan et de récupérer leurs biens : les ONG devraient être
représentées, chacune, « par une organisation qui porte le même nom mais d‟un autre pays. Par
exemple, l‟ONG américaine CARE peut être représentée par une autre CARE mais pas
américaine178
».
Du côté des ONG citées par John Holmes, chacune démentit la déclaration du Secrétaire général
adjoint, rappelant le fonctionnement et la nature juridique des mouvements internationaux.
Continuons ici d‟examiner l‟exemple de CARE : la branche américaine expulsée le 4 mars a
démenti l‟information divulguée par John Holmes, qu‟elle a interprété comme une possibilité de
retour au Soudan pour CARE US ; dans ce même communiqué, l‟ONG informait en revanche du
dépôt par la fondation CARE international, organisation de droit suisse, d‟une candidature pour son
enregistrement au Soudan, en insistant sur le fait que CARE US et la Fondation CARE
international étaient deux organisations distinctes et séparées179
. Mercy Corps et Save the children
adoptaient la même stratégie, marquant les distinctions juridiques et opérationnelles entre les
différentes branches d‟un mouvement international d‟ONG.
176 « Authorities have also „said publicly and privately that not only remaining NGOs, but also new NGOs, including
NGOs with new names and new logos, are welcome‟, [John Holmes] said » in « Aid groups‟ expulsion still reverberating
within Darfur – top UN official », Communiqué publié le 11 juin 2009 sur le site Internet de l‟Organisation des Nations
Unies, rubrique « News centre » ; disponible sur :
http://www.un.org/apps/news/story.asp?NewsID=31108&Cr=darfur&Cr1. 177 « Four of the agencies booted from Darfur in March – CARE, Mercy Corps, Save the Children and PADCO – have
completed their initial registration process in Khartoum, Mr. Holmes told reporters after the meeting. » in « Aid groups‟
expulsion still reverberating within Darfur – top UN official », UN News centre, art.cit. 178 Traduction de l‟arabe au français d‟un article paru dans le quotidien El Ayam le 29 septembre 2009, dont le titre peut
être traduit en français par « Le Secrétaire d‟Etat aux Affaires humanitaires : les biens des ONG expulsées seront remis à
des ONG ayant les mêmes noms mais venant d‟autres pays ». 179 « Holmes implied in his statement that CARE USA, which was one of the 13 aid agencies expelled from Sudan in
March, would be allowed to return to Sudan. This however is not the case. CARE USA‟s registration in Sudan remains
void, and CARE USA will not resume operations in North Sudan.
CARE International Foundation (Switzerland) has applied for a registration to operate in Sudan in order to provide
humanitarian and development assistance to poor and vulnerable communities. CI Switzerland is a distinct and
independent organization registered in Switzerland, under Swiss law, and is separate from CARE USA. » in « Response
to John Holmes‟ statement on expelled agencies in Sudan », Communiqué publié le 12 juin 2009 sur le site Internet de
CARE US ; disponible sur : http://www.care.org/newsroom/articles/2009/06/responsetojohnholmes-20090612.asp et
repris en Annexe 4.B.
59
De tels développements intervenus quelques mois après l‟expulsion du 4 mars permettent de poser
de nouvelles hypothèses dans l‟analyse de la gestion de l‟évènement et de la communication qui l‟a
accompagné ; ils interrogent en outre une caractéristique organisationnelle aujourd‟hui très
répandue dans le monde des organisations non gouvernementales : la structuration en réseaux
internationaux.
Le silence comme prix du retour ?
L‟hypothèse que l‟on peut émettre, tout d‟abord, porte sur la tentative de dégager des lignes de
force et de rupture dans l‟examen des réactions et de la communication des ONG humanitaires
expulsées au lendemain du 4 mars. Nous avons évoqué ici une différenciation selon la nationalité
d‟origine des ONG, tout en admettant qu‟une telle approche n‟était pas entièrement satisfaisante.
Les développements qui viennent d‟être présentés nous conduisent à envisager la communication
en fonction de la volonté, d‟une part, et de la possibilité, d‟autre part, d‟un retour au Darfour peu de
temps après l‟expulsion. Clarifions tout d‟abord le point suivant : les ONG expulsées ne peuvent
toujours pas retourner directement au nord Soudan, et doivent jouer le jeu des réseaux
internationaux si elles souhaitent voir l‟une de leurs branches affiliées avoir une chance de
travailler au Soudan ; quant aux ONG nationales dissoutes, elles ne semblent avoir d‟autre choix
que de se reformer sous un autre nom et d‟adopter un nouveau logo. En outre, les autres membres
de réseaux internationaux qui souhaitent prendre la place de leurs consœurs expulsées doivent se
conformer à toutes les procédures d‟enregistrement en vigueur au Soudan ; à ce sujet, les
informations disponibles, de manière informelle, à la fin de l‟année 2009 font état de formalités
administratives demeurant particulièrement fastidieuses et exigeantes, et il semble que les ONG
« retournées » doivent franchir avec succès un important nombre d‟étapes avant de finalement
parvenir à quitter la capitale soudanaise et réussir à travailler enfin au Darfour.
Malgré cela, on note bien une différence significative dans la communication des ONG expulsées,
et notamment quant à l‟attitude adoptée à l‟égard de Khartoum : si certaines ONG comme MSF,
l‟IRC ou Solidarités adoptent, nous l‟avons vu, un positionnement particulièrement critique et
dénoncent avec virulence tant les motifs que les conditions de l‟expulsion, d‟autres comme CARE,
Save the children ou encore OXFAM adoptent un ton bien plus consensuel. Si l‟on admet que MSF
constitue là une exception, étant la seule ONG disposant d‟un réseau international à ne pas moduler
son discours en fonction de ses perspectives de retour, l‟on peut ainsi émettre l‟hypothèse que la
faible virulence du discours de certaines ONG expulsées est liée à leur volonté et à la possibilité
qu‟elles entrevoyaient alors de retourner au Soudan.
Permettons-nous à ce titre deux remarques conclusives : tout d‟abord, il ne s‟agit pas d‟émettre ici
un jugement sur les choix opérés par les ONG, ni de dresser un procès d‟intention à celles qui
semblent privilégier la possibilité de retourner assister les populations du Darfour, plutôt que
d‟entreprendre une dénonciation publique des conditions dans lesquelles l‟aide humanitaire
60
demeure strictement encadrée par les autorités soudanaises dans les trois provinces de l‟ouest du
pays. Ensuite, il convient de remarquer que la question du retour et de l‟utilisation du réseau
international à cet effet, fait l‟objet de débats internes particulièrement animés au sein de certaines
ONG humanitaires, notamment entre les instances dirigeantes et les départements opérationnels.
Paradoxalement, ce sont parfois ces derniers qui semblent freiner le mouvement de retour, mettant
l‟intérêt institutionnel d‟une réouverture de la mission Darfour pour l‟organisation en balance avec
les quelques informations qui parviennent du terrain, parmi lesquelles on retrouve les éléments
suivants : permanence des blocages administratifs qui préexistaient à l‟expulsion, difficultés de
déplacement et réduction manifeste de l‟espace humanitaire, insécurité liée notamment aux risques
d‟enlèvement des travailleurs humanitaires, ou encore exemple fourni par les quelques
« retournées » qui seraient encore immobilisées à Nyala ou même à Khartoum.
Outre les tensions qu‟il peut provoquer au sein d‟une ONG, remarquons enfin que le phénomène du
recours aux réseaux internationaux pour contrer la mesure d‟expulsion des autorités soudanaises
favorise indéniablement les ONG qui présentent cette caractéristique organisationnelle. En effet, si
la possibilité existe pour CARE, OXFAM, Mercy Corps ou Save the children, pour ACF ou pour
MSF, de recourir à ce mécanisme pour retourner au Soudan, on imagine mal quelles possibilités
pourraient avoir l‟IRC, le Norwegian refugee council ou Solidarités de retourner au Darfour dans
les conditions actuelles posées par le gouvernement soudanais – en dehors, bien sûr, de la création
ad hoc d‟une nouvelle organisation qui porterait un autre nom et un logo différent, option qui
semble à ce jour peu probable.
Nous l‟avons vu, les ONG expulsées du Darfour rappellent, au lendemain du 4 mars 2009, de
manière quasiment unanime les principes dans lesquels s‟inscrivent leur action humanitaire, et
notamment le principe d‟indépendance qui régit, dans une interprétation plus ou moins restrictive,
leur rapport à la Cour pénale internationale. Après cette réaffirmation, il s‟agit désormais
d‟analyser plus précisément quelles sont les raisons qui conduisent certaines des ONG humanitaires
à mettre en avant leur indépendance comme nécessité opérationnelle et à clamer haut et fort ne pas
entretenir de relations de travail, ni fournir le moindre document à la CPI. Surtout, et alors que le
souhait de ne pas collaborer ne saurait constituer un argument suffisant pour échapper à une
éventuelle requête officielle de la CPI, nous allons tenter d‟examiner dans quelle mesure la défense
de l‟indépendance est véritablement un choix pour les ONG humanitaires, et de quelle manière
elles peuvent, si elles décident de s‟en donner les moyens plutôt que d‟ignorer les réalités de la
justice pénale internationale, poser les jalons d‟une coexistence responsable permettant à chaque
acteur d‟accomplir sa mission et de préserver ses intérêts.
61
Chapitre 4. La pratique du témoignage, ou comment assumer l‟indépendance
Parmi les accusations proférées par le gouvernement soudanais aux ONG humanitaires pour
justifier leur expulsion du Darfour le 4 mars 2009, on retrouve, aux côtés de la coopération avec la
CPI, la production de faux rapports et le plaidoyer auprès de la communauté internationale et du
Conseil de Sécurité des Nations Unies pour une intensification des pressions sur le Soudan. Outre
leur action humanitaire directe, la prise de parole des ONG constitue donc bien, du moins dans le
discours, un élément de discorde et un motif de l‟expulsion pour Khartoum.
Le développement et l‟opérationnalisation des juridictions pénales internationales ont placé dans
une situation particulièrement délicate, depuis une quinzaine d‟années, celles parmi les ONG
humanitaires qui avaient ancré dans leur pratique opérationnelle une dénonciation systématique des
situations de violence ou encore des violations des droits humains et des principes de l‟action
humanitaire, et désignaient une telle mission par l‟emploi du terme de « témoignage ». En effet, en
conférant à nouveau à la notion de témoignage sa signification de recherche d‟une vérité judiciaire,
l‟essor des juridictions pénales internationales a obligé les ONG, comme nous allons le voir, à
préciser leur interprétation de la notion polysémique. Nous tenterons ensuite de démontrer qu‟une
telle évolution a mis en lumière le conflit existant entre les différentes conceptions du témoignage
pour les acteurs judiciaires et pour ceux de l‟aide internationale, transformant alors la définition et
la pratique du témoignage en un enjeu d‟indépendance pour les ONG humanitaires.
1. Témoignage et action de terrain : de l’intégration à l’incompatibilité ?
Depuis l‟origine du mouvement sans-frontières, comme pour la plupart des grandes ONG anglo-
saxonnes, le témoignage humanitaire est indissociable de l‟action de terrain, et fait partie intégrante
du mandat humanitaire. Le témoignage n‟est pas simplement connecté, en lien avec l‟action de
terrain, il s‟en nourrit. D‟où, la notion d‟intégration, qui est aujourd‟hui une tendance marquée
parmi les ONG humanitaires180
, entre les activités opérationnelles de l‟ONG et son action de
plaidoyer : comme nous allons le voir, le témoignage relève d‟une acception toute particulière pour
les ONG humanitaires dont les messages d‟alerte, dénonciations, et autres propositions se fondent
sur l‟expérience et la connaissance du terrain, sur les observations effectuées et sur les données
recueillies dans le cadre des missions opérationnelles.
Face à cette conception du « témoignage humanitaire », nous aborderons ensuite le témoignage
dans son acception judiciaire, et tenterons de mettre en évidence les points de tension qui peuvent
intervenir entre les deux notions.
180 Philippe RYFMAN, Les ONG, op. cit.
62
La parole au service de l’action
L‟ambigüité de la notion de témoignage est reconnue par les organisations qui continuent, malgré
tout, de placer le terme au cœur de leur mandat humanitaire. Des efforts de clarification importants
ont néanmoins été entrepris depuis la fin des années 1990, et l‟apparition des juridictions pénales
sur la scène internationale n‟est bien sûr pas étrangère à cette démarche. En France, la tentative qui
semble la plus aboutie a été menée par l‟ONG Médecins sans frontières181
, qui détermine les deux
éléments principaux sur lesquels repose la fonction de témoignage humanitaire : « le refus de
cacher les crimes de masses derrière le spectacle ou l‟illusion de l‟action de secours » et « la
volonté d‟assumer une fonction d‟alerte et de responsabilisation des acteurs de la violence, dans le
temps de l‟action de secours182
». Notons que pour cette organisation en particulier, comme pour
toutes les ONG se réclamant du sans-frontiérisme, la définition du témoignage humanitaire est un
enjeu identitaire qui relève de la défense d‟un certain mythe de la création : face à un CICR qui
respecte la loi du silence devant le blocus du Biafra en 1968, c‟est en effet la prise de parole
publique, avec le témoignage de Max Récamier et Bernard Kouchner183
, qui constitue l‟acte
fondateur du mouvement sans-frontières. Dès lors, témoignage et action de terrain constitueront les
deux piliers du mouvement.
Le témoignage est ainsi conçu comme étant au service de l‟action humanitaire ; dans le sens
humanitaire du terme, le temps du témoignage n‟est pas différent du temps de l‟action, ce qui
constitue une différence fondamentale avec le témoignage judiciaire qui, lui, appartient au temps de
la justice et intervient donc en décalage par rapport à la situation humanitaire à laquelle il se réfère.
On le voit, la fonction première du témoignage humanitaire est d‟avoir un impact sur l‟évolution de
la situation humanitaire : en dénonçant les violences dont elle est témoin, l‟ONG entend attirer
l‟attention sur des « situations d‟échec184
» et mettre les acteurs face à leurs responsabilités.
Les destinataires d‟un tel message sont multiples, bien que précisément identifiés : dans une
logique qui pourrait relever de celle du « bénéfice du doute », il s‟agit d‟alerter les responsables
locaux et les autorités du pays concerné sur les conditions humanitaires dans lesquelles se trouvent
une partie de la population ; s‟il est toutefois peu fréquent que les autorités n‟aient pas
connaissance de telles situations, il n‟est en revanche pas rare qu‟elles en soient en partie
181 Ce travail a donné lieu à la rédaction par Françoise Bouchet-Saulnier et Fabien Dubuet du document intitulé
Témoignage judiciaire ou humanitaire ? Historique des interactions entre MSF et les procédures d’enquêtes et de
poursuites judiciaires, publié en avril 2007 dans la collection des Cahiers du CRASH ; disponible sur : http://www.msf-
crash.org/crash/publications/2009/05/11/59/temoignage-judiciaire-ou-humanitaire-historique-des-interactions-entre-msf-
et-les-procedures-denquetes-et-de-poursuites-judiciaires/.
Ce document ne constitue pas la « ligne officielle » de l‟organisation MSF ; il s‟agit néanmoins d‟une étude élaborée à
partir de l‟expérience de MSF, par des membres de l‟organisation et sur laquelle se fondent nombre des interventions
publiques des membres de MSF, notamment la Directrice juridique de la branche française de l‟organisation, Françoise
Bouchet-Saulnier. 182 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judiciaire ou humanitaire ?, op. cit. 183 « Biafra. Deux médecins témoignent », Bernard KOUCHNER et Max RECAMIER, Le Monde, 27 novembre 1968. 184 Intervention de Françoise BOUCHET-SAULNIER, in « Un divorce de raison ? MSF et la Cour pénale
internationale », Rencontre-débat du 8 avril 2009 ; l‟intégralité du débat en vidéo est disponible sur le site Internet du
CRASH au lien suivant : http://www.msf-crash.org/crash/rencontre-debats/2009/06/15/294/un-divorce-de-raison-msf-et-
la-cour-penale-internationale/.
63
responsables. Le témoignage vise donc ici, a minima, à porter la situation à la connaissance des
acteurs, afin d‟éviter qu‟une ignorance des faits ne serve de justification à leur inaction ; en outre, il
s‟agit bien souvent pour les ONG de mettre un Etat face à ses responsabilités sur la scène
internationale, et de le placer dans une position particulièrement inconfortable parmi ses pairs. On
retrouve cette utilisation du plaidoyer/témoignage chez nombre d‟ONG anglo-saxonnes, et en
particulier chez OXFAM qui met en avant ses actions de plaidoyer au même titre que son la
dimension opérationnelle de son action humanitaire dans les situations d‟urgence ou que ses projets
de développement menés à travers le monde.
Outre les autorités locales, le témoignage humanitaire des ONG cherche également à interpeller les
gouvernements et opinions publiques des Etats dont elles sont originaires, là encore avec des
objectifs nombreux : mettre les membres de la communauté internationale, Etats mais aussi organes
du système des Nations Unies, face à leurs obligations humanitaires, et notamment face à leur
responsabilité de protéger ; les inciter à réagir et éventuellement à user des mécanismes de pression
dont ils disposent185
; mobiliser les Etats et opinions autour d‟une crise humanitaire afin d‟obtenir
leur soutien, matériel et financier, nécessaire à la mise en œuvre d‟opérations d‟assistance
humanitaire pour limiter les effets de ladite crise186
…
Par ailleurs, et dans un récent mouvement d‟évolution, un élément du témoignage humanitaire
porte désormais sur l‟action d‟assistance elle-même, et sur les modalités d‟accès aux victimes : on
retrouve ici toutes les prises de position des ONG autour de la notion d‟espace humanitaire et de sa
réduction, qui peut être liée à de nombreux facteurs. Nous l‟avons abordé dans le cas du Darfour, la
réduction de cet espace dédié à l‟intervention humanitaire ne saurait être le seul fait des autorités
légales : mouvements d‟opposition armée, banditisme mais également composantes militaires des
opérations de maintien de la paix, constituent autant de facteurs de pression sur cet espace qu‟il est
nécessaire chaque jour de protéger.
Prenons garde toutefois à ne pas assimiler ici les différentes pressions qui peuvent peser sur
l‟espace humanitaire : pour les juridictions pénales internationales en effet, la limitation de l‟espace
de travail et de l‟action des ONG humanitaires n‟est bien évidemment pas un objectif en soi ; elle
peut, en revanche, devenir une forme de risque collatéral, qui sera mis en balance avec
l‟importance que revêtent parfois les informations détenues par les acteurs humanitaires pour
l‟avancée de la procédure judiciaire.
185 Les moyens peuvent être diplomatiques, militaires, économiques ; ils peuvent viser à faire cesser les violences, à
rétablir la paix, à permettre l‟acheminement de l‟aide, à limiter la propagation d‟une crise humanitaire… 186 Selon que l‟ONG tire ses ressources de dons privés ou de subventions publiques, l‟interlocuteur et les modalités de
sollicitation seront différentes, mais la finalité reste la même.
64
La valeur du témoignage humanitaire pour la procédure judiciaire
Comme le rappelle Claude Jorda, la procédure devant la CPI est de nature essentiellement
testimoniale187
, et se fonde également sur les éléments recueillis du terrain par les enquêteurs
dédiés. Or, les ONG humanitaires étant habituellement présentes sur les théâtres de crise ou les
terrains de post-crise où ont été commises les violations graves du droit international faisant l‟objet
d‟enquêtes devant les juridictions pénales internationales, leur témoignage est bien souvent
considéré comme précieux par ces dernières.
En effet, les cas ne sont pas rares où les acteurs humanitaires neutres et impartiaux sont les seuls à
bénéficier d‟un accès aux victimes. Dans les situations de conflit interne tout particulièrement,
aucune des parties au conflit – ni les autorités ou l‟armée gouvernementale, ni les groupes
d‟opposition armée – n‟a accès à l‟intégralité du territoire. Ainsi, au Darfour, les zones contrôlées
par les mouvements rebelles sont inaccessibles au gouvernement soudanais qui, même s‟il le
souhaitait, ne serait pas en mesure d‟apporter une assistance humanitaire aux populations s‟y
trouvant. Quant aux agences des Nations Unies, les contraintes sécuritaires très fortes qui encadrent
leur action de terrain conduisent à une multiplication des no-go areas : un très grand nombre de
zones qui, si elles sont les plus dangereuses, ne s‟en trouvent pas moins dans des situations de
vulnérabilité très élevées, sortent ainsi du terrain d‟intervention potentiel des acteurs humanitaires
onusiens. Enfin, les agents de terrain des ONG humanitaires, qu‟ils prodiguent des soins ou
facilitent l‟accès à l‟eau potable, qu‟ils organisent des distributions de nourriture ou fournissent des
matériaux pour construire un abri, sont en contact direct avec les populations aidées188
–
populations qui sont traditionnellement identifiées, dans la terminologie humanitaire, comme les
« bénéficiaires » de l‟action, et dont une partie accèdera au statut de « victimes » dès lors que la
justice pénale tentera de désigner et de punir leurs bourreaux. Les ONG médicales en particulier,
sont capables de constater et de documenter les atteintes à l‟intégrité physique des personnes qui
viennent chercher assistance auprès d‟elles : elles constituent ainsi des sources d‟information « de
première main » avec une haute valeur ajoutée189
. Le réseau de contacts constitué par les ONG, et
qui commence bien souvent avec leur personnel local, peut en outre se révéler particulièrement
utile dans le cadre d‟une enquête de terrain commandée par le procureur de la CPI.
L‟information dont disposent les ONG humanitaires semble donc, en première analyse,
particulièrement précieuse de par son exactitude et sa spécificité ; l‟examen des documents internes
des organisations et le témoignage de travailleurs humanitaires devant les juridictions pénales
internationales devraient alors permettre de faire progresser les enquêtes. Le gouvernement
soudanais aurait-il donc raison de se méfier des travailleurs humanitaires opérant sur son territoire,
bien souvent loin de son contrôle ?
187 Intervention de Claude JORDA, in « Justice pénale internationale et action humanitaire sont-elles conciliables ? », Les
5 à 7 du CICR, art. cit. 188 URD, « Le Soudan, la Cour Pénale Internationale et les humanitaires : des relations risquées », art. cit. 189 Ibid.
65
Rien n‟est moins sûr. En effet, l‟importance cruciale du témoignage des humanitaires dans la
procédure pénale internationale doit être relativisée, et ce, pour plusieurs raisons.
L’accès aux victimes et la sécurité des travailleurs humanitaires, principaux enjeux du
silence
Tout d‟abord, l‟accès exclusif des ONG humanitaires ou du CICR aux victimes doit être mis en
perspective. Sans remettre en cause le fait que ces acteurs puissent être, à un moment donné, les
seuls présents sur un terrain précis, rappelons que dans une majorité des terrains d‟intervention, les
intervenants présents simultanément, ou se succédant, sont nombreux : outre la population et les
parties au conflit, on peut retrouver les personnes réfugiées ou déplacées, les militaires des forces
internationales de maintien de la paix, le personnel des Nations Unies, des acteurs économiques
étrangers ou locaux, des enquêteurs ou observateurs envoyés par des organisations de défense des
droits de l‟homme… Ainsi, les cas où les ONG humanitaires, ou encore le CICR, sont les seuls à
disposer de l‟information qui pourrait faire la différence au cours d‟un procès, sont finalement
assez rares190
.
Ensuite, faut-il le rappeler, le mandat des ONG humanitaires n‟est pas celui de la CPI ; il s‟agit là
d‟une vérité simple et juridiquement fondée, qu‟aucun procureur ni aucun travailleur humanitaire
ne saurait raisonnablement remettre en cause. Une telle affirmation implique des différences
fondamentales en termes d‟objectifs et de motivations : la vocation d‟une ONG humanitaire n‟est
pas de désigner des coupables ou de condamner des criminels ; elle a en outre des conséquences
pratiques évidentes : les travailleurs humanitaires ne sont pas des enquêteurs expérimentés, et la
préservation de preuves pour l‟utilisation qui pourrait en être faite dans une procédure pénale est
rarement leur première préoccupation191
. Par ailleurs, en dehors de quelques cas particuliers, les
travailleurs humanitaires sont rarement les témoins oculaires d‟un crime mais en sont le plus
souvent indirectement informés, ou interviennent après que le crime a été commis192
.
Ainsi, si les ONG humanitaires sont effectivement capables d‟indiquer l‟existence de victimes,
voire de les identifier et d‟apporter des éléments de qualification du préjudice qu‟elles ont subi,
elles ne sont pas pour autant en mesure de reconnaître les auteurs des crimes, ni d‟apporter les
preuves de leur culpabilité, ou encore de remonter la chaine des responsabilités. Les ONG
humanitaires se révèleraient alors « assez inutiles193
» dans le cadre d‟une procédure pénale
internationale.
190 Intervention de Johanna Grombach-Wagner, in « L‟humanitaire en pleine confusion ? », Les 5 à 7 du CICR, art. cit. 191 « Le rôle des ONG dans les enquêtes et les poursuites de la CPI », site Internet de la Coalition pour la Cour pénale
internationale ; disponible sur : http://www.iccnow.org/?mod=roleofngos. 192 Intervention de Rony Brauman, Rencontre-débat CRASH 2009 (divorce) 193 Intervention de Françoise Bouchet-Saulnier, in « L‟humanitaire en pleine confusion ? », 5 à 7 du CICR, art. cit.
66
Cette affirmation du caractère « inutile » de la parole ou des documents des ONG humanitaires
peut sembler paradoxale, et en particulier pour une organisation comme MSF qui fait du
témoignage, nous l‟avons vu, un pilier de son action ; elle n‟en relève pas moins d‟une certaine
tendance, observée chez les acteurs humanitaires – CICR en tête, mais également MSF – à
minimiser l‟impact de leur prise de parole. Le jugement de Jakob Kellenberger, président du CICR,
est à cet égard sans appel : « l‟époque dans laquelle nous vivons tend à surestimer l‟impact de la
prise de parole194
».
Si de tels acteurs semblent privilégier une pratique parcimonieuse de la prise de parole publique, et
plus encore de l‟intervention dans un tribunal, c‟est essentiellement en raison des conséquences
directes du témoignage pour l‟action de terrain.
En effet, la véritable préoccupation pour les ONG humanitaires qui ne sont, on l‟a vu, pas
fondamentalement hostiles à la lutte contre l‟impunité, concerne l‟impact que peut provoquer le
témoignage judiciaire sur l‟action de terrain. L‟indépendance et la neutralité sont, nous l‟avons
évoqué, conçues comme des nécessités opérationnelles pour des organisations telles que le CICR
ou les ONG issues du mouvement sans-frontières ; le témoignage et la coopération avec la CPI
constituent, a minima en termes de perception, une menace sur les principes fondamentaux de
l‟action humanitaire.
Le cas du Darfour est à ce titre exemplaire : sans préjuger de la bonne foi des accusations du
gouvernement soudanais, ni affirmer avec certitude qu‟aucune des ONG expulsées le 4 mars 2009
n‟a jamais coopéré, il n‟en reste pas moins que l‟argument de la CPI a été utilisé, et que son
utilisation a conduit à l‟impossibilité, pour treize ONG internationales, d‟exercer leur mandat
humanitaire. Le comportement de Khartoum illustre parfaitement la prise de conscience, chez les
individus susceptibles de faire l‟objet d‟enquêtes internationales, de l‟existence d‟un risque
judicaire réel lié à la présence d‟acteurs étrangers, aussi humanitaires soient-ils, sur le territoire
national ; une prise de conscience que peut accompagner, de façon immédiate, la décision de
neutraliser de telles organisations195
.
Le danger du témoignage, forme particulièrement visible de collaboration avec la CPI, pour les
organisations humanitaires, est donc bien de se voir refuser l‟accès aux populations à secourir sur le
terrain ; si l‟interdiction de travailler au Soudan196
semble une mesure particulièrement radicale, on
peut aisément imaginer que les restrictions d‟accès se manifestent à une échelle plus réduite, avec
un accès limité à certaines zones comme c‟est aujourd‟hui le cas pour les organisations qui
demeurent au Darfour.
194 « The age in which we live – loquacious as it is, swift to pass judgment and ever ready to express an opinion – tends to
overestimate the impact of speaking out. » Jakob KELLENBERGER, « Speaking out or remaining silent in humanitarian
work », Revue internationale de la Croix Rouge, vol. 86, n°855, septembre 2004, pp. 593-610. 195 Anne Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales : la quadrature du
cercle ? », vol. 88, n°861, mars 2006, pp. 169-186. 196 A l‟exception du Sud Soudan autonome.
67
Outre la problématique, cruciale, de l‟accès pour les acteurs de secours, la question de leur sécurité
est également posée. Certes, comme le rappellent Françoise Bouchet-Saulnier et Fabien Dubuet,
« le risque supplémentaire que créerait, pour le personnel de secours sur les terrains de conflit, sa
participation à des procédures judicaires n‟est pas facile à évaluer197
». La sécurité n‟en reste pas
moins, pour une large part, affaire de perceptions. La nécessité de « neutraliser » les organisations
peut être interprétée, par des individus risquant de faire l‟objet d‟enquêtes internationales, de façon
radicale, obligeant les travailleurs humanitaires dont la sécurité serait directement menacée à se
retirer des terrains d‟intervention.
La sécurité est, en outre, affaire d‟acceptation. Une collaboration, réelle ou supposée, des acteurs
humanitaires avec la CPI leur fait courir le risque de voir la qualité du dialogue avec les parties au
conflit se détériorer198
; une telle détérioration du dialogue aura en retour un impact négatif tant du
point de vue de l‟accès que de la sécurité.
L‟enjeu du témoignage de travailleurs humanitaires devant la CPI, ou de la fourniture de
documents internes, est ainsi loin d‟être anodin. Avec leur accès aux victimes et la sécurité de leur
personnel remis en cause, c‟est toute la dimension opérationnelle du travail des ONG humanitaires
qui est ébranlée ; autant dire, la raison même de leur existence et la condition la plus élémentaire de
leur fonctionnement.
Aussi comprend-on qu‟une partie d‟entre elles aient fait le choix de refuser de témoigner devant la
Cour pénale internationale ; nous allons maintenant tenter de déterminer dans quelle mesure ce
choix peut véritablement en être un, et d‟examiner les modalités spécifiques qui régissent les
interactions entre la CPI et deux organisations humanitaires d‟importance.
2. Le refus du témoignage comme affirmation de la neutralité
Les principaux motifs avancés par les acteurs humanitaires qui souhaitent tenir éloignés de la
procédure judicaire les éléments dont ils disposent et dont certains pourraient, probablement,
contribuer à faire progresser la lutte contre l‟impunité à travers le monde, viennent d‟être exposés.
Rappelons qu‟il ne s‟agit pas ici de juger ces arguments sur un plan moral, ni d‟établir une
quelconque hiérarchie des valeurs entre la justice et les principes et finalités de l‟aide humanitaire ;
il s‟agit avant tout d‟identifier ces justifications, d‟en analyser le fondement et les implications
pratiques et juridiques, d‟en discuter la cohérence le cas échéant, et de dégager les grandes
tendances des prises de position des ONG et des autres acteurs humanitaires devant la montée en
puissance de la Cour pénale internationale.
197 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judiciaire ou humanitaire ?, op. cit. 198 Anne Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales : la quadrature du
cercle ? », art. cit
68
Nous l‟avons vu, qu‟elles soient ou non les seuls acteurs extérieurs sur un conflit, les organisations
humanitaires sont souvent perçues comme détenant des informations qui pourraient être utiles,
voire déterminantes, dans le cadre d‟un procès pénal. Dès lors, l‟on peut raisonnablement imaginer
que la justice pénale internationale ait prévu des dispositions afin de recueillir de tels témoignages
ou documents199
; le témoignage au cours d‟un procès pénal n‟est en outre pas une simple formalité
dont les organisations non gouvernementales peuvent choisir de s‟acquitter ou non.
Après avoir examiné, comme nous venons de le faire, les risques que peuvent induire, pour l‟action
humanitaire de terrain, la collaboration voire le témoignage devant la CPI, deux questions
essentielles se posent pour les organisations humanitaires : peuvent-elles être obligées à
témoigner ? Et, si tel est le cas, quelles sont les possibilités offertes par la CPI pour limiter au
maximum l‟impact d‟une telle collaboration, fut-elle forcée, sur l‟image de l‟organisation et, au
final, son action de terrain ?
Une obligation de témoigner assouplie avec la CPI
Conséquence directe de leur création dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies
par le Conseil de Sécurité, les Statuts des Tribunaux pénaux internationaux imposent aux Etats une
obligation de collaborer avec eux200
; une obligation que les Etats doivent répercuter au niveau
national, et peuvent donc contraindre toute personne physique ou morale relevant de leur
juridiction à fournir les éléments de preuve requis par le TPI201
. Les organisations humanitaires
dont le Tribunal tenterait d‟obtenir la coopération peuvent toutefois avoir recours, si elles le
souhaitent, à un ensemble de mécanismes prévus dans les Statuts et réaffirmés dans la
jurisprudence conçus pour « minimiser l‟impact de cette action sur leurs activités opérationnelles et
réduire le plus possible […] la publicité qui pourrait en résulter202
».
Il existe donc bien une obligation de témoigner devant les TPI, assortie de garanties de protection
des sources et de mécanismes de non-divulgation de l‟information qui peuvent permettre aux
organisations humanitaires, sous réserve qu‟elles remplissent les conditions pour bénéficier de
telles dispositions, de témoigner ou de fournir des documents sans que la perception de leur action
de terrain n‟en soit affectée. Remarquons ici que certaines ONG humanitaires utilisent déjà de tels
mécanismes de protection dans leur transfert d‟information à d‟autres acteurs dont le mandat porte
plus précisément sur la dénonciation de crimes et la désignation de responsables : même si elles
tiennent à rester particulièrement discrètes que cette pratique, il n‟est en effet pas rare que des ONG
humanitaires portent à la connaissance d‟ONG de protection des droits humains notamment, des
éléments qu‟elles mêmes ne peuvent se permettre d‟utiliser.
199 Kate MACKINTOSH, « Note for humanitarian organizations on cooperation with international tribunals », Revue
internationale de la Croix Rouge, n° 853, mars 2004. pp. 131-146. 200 Statut TPIY, article 29 ; Statut TPIR, article 28. 201 Anne Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 202 Ibid.
69
Les Tribunaux spéciaux à caractère international présentent des obligations et des mécanismes
similaires à ceux des TPI, à l‟exception notable que leur pouvoir contraignant se limite, lui, au
territoire national de l‟Etat dans lequel ils sont institués203
. Comme le détaille Kate Mackintosh, s‟il
est concevable que la police sierra léonaise puisse arrêter un travailleur humanitaire présent sur le
territoire national pour l‟obliger à comparaître devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone,
aucune obligation n‟existe pour les autres Etats de collaborer et de forcer leurs ressortissants à
témoigner, dès lors qu‟ils auraient quitté la Sierra Leone204
.
Le fondement consensuel de la Cour pénale internationale introduit une distinction majeure entre
les obligations qui pèsent sur les Etats parties au Statut de Rome, et les autres ; pour les premiers,
c‟est une obligation générale de coopérer qui est posée205
.
En outre, les dispositions selon lesquelles « les États Parties font droit […] aux demandes
d'assistance de la Cour liées à une enquête ou à des poursuites », et concernant notamment le
rassemblement d‟éléments de preuve ou la comparution volontaire des témoins206
, donnent lieu à
diverses interprétations parmi les services juridiques des organisations humanitaires. Pour Kate
Mackintosh, Directrice juridique de MSF-H, le choix de termes peu contraignants dans le Statut de
Rome laisse l‟obligation qui pèse sur les Etats en matière de comparution des témoins contre leur
gré sujette à interprétation207
; pour Anne-Marie La Rosa, Conseillère juridique du CICR, il s‟agit
avant tout d‟un aveu de faiblesse de la part de la CPI, qui laisse ainsi entendre qu‟elle ne
« possèderait pas les pouvoirs nécessaires pour contraindre un témoin à comparaître208
». Cette
dernière rappelle en outre qu‟il n‟est pas exclu que certaines législations nationales, au cours de la
mise en compatibilité de leur droit pénal avec le Statut de Rome, « dépassent les exigences [de
celui-ci] et prévoient des sanctions en cas de résistance des témoins209
».
Les Etats non parties, quant à eux, ne sauraient se voir imposer de telles obligations. Une
possibilité de coopérer avec la CPI est toutefois prévue210
, relativement contraignante pour les Etats
non parties ; par ailleurs, ils restent évidemment liés par les exigences conventionnelles et
coutumières du droit international en général, et du droit international humanitaire en particulier211
.
Par ailleurs, des mécanismes similaires à ceux prévus dans les statuts des TPI doivent permettre
« d‟inciter les témoins à comparaître ou à fournir des éléments de preuve212
» à la CPI. Les
organisations humanitaires peuvent donc négocier avec le Procureur pour que celui-ci s‟engage à
« ne divulguer à aucun stade de la procédure les documents ou renseignements qu'il a obtenus sous
la condition qu'ils demeurent confidentiels et ne servent qu'à obtenir de nouveaux éléments de
203 Anne-Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 204 Kate MACKINTOSH, « Note for humanitarian organizations on cooperation with international tribunals », art. cit. 205 Statut de Rome, article 86. 206 Statut de Rome, article 93. 207 Kate MACKINTOSH, « Note for humanitarian organizations on cooperation with international tribunals », art. cit. 208 Anne-Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 209 Ibid. 210 Statut de Rome, article 87. 211 Anne-Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 212 Ibid.
70
preuve, à moins que celui qui a fourni l'information ne consente à leur divulgation213
», ou encore
pour que l‟impact d‟une publicité de l‟information soit limité au maximum214
.
Enfin, la règle relative à la confidentialité215
doit permettre de garantir le secret professionnel
devant la CPI : c‟est précisément sur le fondement de cette règle qu‟a été établie l‟immunité de
témoignage du CICR, dont d‟autres organisations humanitaires telles que MSF tentent de suivre
l‟exemple.
L’immunité testimoniale du CICR, une exception négociée
Le Comité international de la Croix rouge est une organisation humanitaire très particulière, qui ne
saurait être rangée parmi les Organisations non gouvernementales humanitaires, mais ne relève pas
non plus de l‟humanitaire d‟Etat. Il s‟agit certes d‟une association privée de droit suisse,
indépendante dans la mesure où ses membres ne sont désignés par aucune autorité
gouvernementale. Mais le CICR, organe fondateur du Mouvement de la Croix rouge et du
Croissant rouge, tient sa spécificité du double mandat qui lui a été confié par les Etats : il s‟efforce
d‟une part d‟apporter assistance et protection aux victimes des conflits armés internationaux216
mais également de troubles et tensions internes à travers le monde217
; d‟autre part, le CICR a été
désigné comme le « gardien » des Conventions de Genève et son mandat recouvre un travail de
protection, de diffusion et de préparation des éventuels développements du droit humanitaire
international218
.
Par ailleurs, et contrairement aux ONG, le CICR possède la personnalité juridique internationale :
celle-ci procède de son statut de sujet des Conventions de Genève, de son statut consultatif auprès
de l‟Assemblée Générale des Nations Unies, mais aussi d‟autres textes parmi la jurisprudence des
juridictions pénales internationales qui seront mentionnés plus avant219
.
213 Statut de Rome, article 54 §3 (e). 214 Statut de Rome, article 68. 215 Règlement de procédure et de preuves de la CPI, Règle 73. 216 Le droit des conflits armés internationaux est codifié dans les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et dans
le Protocole I additionnel de 1977 ; les Conventions de Genève ont fait l‟objet d‟une ratification universelle et confient en
outre au CICR un mandat exclusif en temps de guerre, portant sur la visite des lieux d‟internement, le contrôle de
l‟application des Conventions, la recherche de personnes disparues et le regroupement de familles dispersées. 217 Le droit des conflits armés non internationaux est quant à lui régi par l‟article 3 commun aux quatre Conventions de
Genève de 1949 et par le Protocole II additionnel de 1977, relatif à la protection des victimes des conflits armés non
internationaux ; ce dernier ne faisant pas l‟objet d‟une ratification universelle, le CICR se fonde en outre sur les Statuts
du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui « encouragent le CICR à mener une action [de
protection et d‟assistance aux victimes] dans les situations de violence interne non couvertes par les Conventions de
Genève ». Source : site Internet du CICR, rubrique « Le mandat » ; disponible sur :
http://www.icrc.org/web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/section_mandate?OpenDocument. 218 Entrée « Croix-Rouge, Croissant-Rouge » in Françoise BOUCHET-SAULNIER, Dictionnaire pratique du droit
humanitaire, op. cit. 219 Le thème de la personnalité juridique internationale du CICR a donné lieu à de nombreux écrits et publications,
notamment dans la Revue internationale de la Croix Rouge dont on pourra consulter les archives en ligne pour
approfondir cette question ; pour une analyse de la personnalité juridique du CICR mise en perspective avec son
immunité testimoniale devant la CPI, on consultera Gabor RONA, « The ICRC privilege not to testify : confidentiality in
action » , Revue internationale de la Croix Rouge, n°845, mars 2002. pp. 207-219. Une version actualisée de cet article à
février 2004, à destination des délégués du CICR, non publiée dans la Revue est disponible sur le site Internet du CICR :
http://www.icrc.org/web/eng/siteeng0.nsf/html/5WSD9Q?OpenDocument
71
L‟action du CICR repose en outre sur un ensemble de principes plus nombreux et plus étendus que
ceux dans lesquels s‟inscrivent généralement les acteurs non gouvernementaux de l‟humanitaire.
Ainsi, si les Conventions de Genève ne font référence qu‟à deux principes, exigeant des
organisations de secours qu‟elles soient humanitaires et impartiales, les principes régissant l‟action
humanitaire du CICR et des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge sont au
nombre de sept : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et
universalité220
. Plus qu‟une nécessité opérationnelle, les principes de neutralité et d‟indépendance
sont donc, pour le CICR, des obligations juridiques.
Avec le développement et l‟opérationnalisation des juridictions pénales internationales, le CICR a
rapidement été confronté au dilemme du témoignage de ces membres dans le cadre de procédures
pénales. Avant même l‟entrée en vigueur du Statut de Rome, une affaire soulevait la question de la
possibilité, pour le CICR, de s‟opposer au témoignage de l‟un de ses anciens interprètes devant le
Tribunal pénal pour l‟ex-Yougoslavie221
.
La décision rendue en 1999 dans l‟affaire Simic222
reconnaissait alors au CICR, sur la base d‟une
règle internationale de caractère coutumier, un privilège absolu de non divulgation des
informations : afin de préserver la confidentialité des informations récoltées dans le cadre de
l‟exercice de son mandat, le CICR peut ainsi s‟opposer au témoignage de l‟un de ses
collaborateurs, ou anciens collaborateurs, devant une juridiction pénale internationale223
. Si
l‟immunité testimoniale est ainsi reconnue au CICR, la décision du TPIY se fonde sur la
personnalité juridique internationale de l‟institution, et sur le mandat qui lui a été confié par les
Etats au titre des Conventions de Genève : une telle reconnaissance de la spécificité du CICR ne
permet pas d‟étendre l‟immunité qui lui est conférée à l‟ensemble des acteurs humanitaires.
S‟appuyant sur la jurisprudence Simic, le CICR est parvenu à faire reconnaître son statut particulier
et à obtenir des mécanismes renforcés de protection de ses informations devant la nouvelle Cour
pénale internationale. La dérogation accordée au CICR au titre de la préservation du secret
professionnel résulte, comme le rappelle Gabor Rona, d‟un compromis entre la position du CICR,
ce dernier plaidant pour une protection absolue des informations dont il dispose, et la volonté de
certains Etats de voir se régler la question de la divulgation des informations à disposition du CICR
et potentiellement utiles à l‟enquête au cas par cas224
.
220 Entrée « Croix-Rouge, Croissant-Rouge » in Françoise BOUCHET-SAULNIER, Dictionnaire pratique du droit
humanitaire, op. cit. 221 Anne-Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 222 Le Procureur c/ Blagoje Simic, Milan Simic, Miroslav Tadic, Stevan Todorovic et Simo Zaric - Affaire n° IT-95-9-
PT. 223 Un examen détaillé de la décision rendue dans l‟affaire Simic a été proposé par Stéphane JEANNET, « Recognition of
the ICRC's long-standing rule of confidentiality - An important decision by the International Criminal Tribunal for the
former Yugoslavia », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°838, juin 2000, pp. 403-425. 224 Gabor RONA, « The ICRC privilege not to testify : confidentiality in action » , Revue internationale de la Croix
Rouge, art. cit.
72
Adoptée en juin 2000, la règle 73 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI confère ainsi
au CICR le droit de refuser de divulguer ses informations confidentielles225
. Cette immunité de
témoignage doit ici être entendue au sens large, et ne se limite pas au témoignage d‟individus
devant la Cour : cette dernière considère en effet comme « couverts par le secret professionnel et ne
pouvant donc être divulgués, y compris dans le cadre du témoignage d‟une personne travaillant ou
ayant travaillé en qualité de représentant ou d‟employé pour le Comité international de la Croix-
Rouge, tous renseignements, documents ou autres éléments de preuve qui seraient tombés en la
possession du Comité dans l‟exercice ou en conséquence des fonctions que celui-ci assume
conformément aux statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-
Rouge226
».
Dans le cas où les éléments protégés par le secret professionnel seraient d‟une importance
particulièrement grande, la CPI se réserve la possibilité de « [mener] des consultations avec le
Comité pour résoudre la question par la concertation227
» ; c‟est toutefois bien au CICR
qu‟appartient la décision ultime de divulguer ou non les informations récoltées dans le cadre de
l‟exercice de son mandat humanitaire228
.
Ainsi, ce sont donc bien la mission unique et le statut spécifique du CICR qui lui ont permis de se
voir reconnaître une immunité de témoignage devant les juridictions pénales internationales, et les
négociations menées avec la CPI n‟ont abouti à une dérogation que pour lui seul. Toutefois, et nous
allons le voir, la jurisprudence des TPI ainsi que l‟introduction de la règle de protection de la
confidentialité dans le Règlement de procédure et de preuve de la CPI, permettent aux
organisations humanitaires qui le souhaitent d‟entamer des négociations et de se prévaloir d‟une
certaine forme d‟immunité de témoignage. Une brèche dans laquelle peu d‟ONG humanitaires ont
finalement tenté de s‟engouffrer, à l‟exception notable de Médecins sans frontières.
Reprendre le contrôle : la politique MSF de coopération avec la CPI
Plusieurs raisons nous ont conduit à examiner ici le cas de l‟ONG humanitaire probablement la
plus emblématique du mouvement sans-frontières. Tout d‟abord, on comptait au nombre des ONG
internationales expulsées du Darfour en mars 2009 deux sections du mouvement international
MSF : à ce titre, l‟examen des dispositions prises par l‟ONG pour encadrer ses relations avec les
juridictions pénales internationales apparaît donc particulièrement pertinent, même si MSF ne
semble pas avoir attendu qu‟un évènement majeur comme celui de l‟expulsion du Darfour ne
survienne pour se poser la question de la nature de ses relations avec la CPI. Ensuite, une partie des
225 Pour une analyse plus complète de l‟adoption de la règle 73 du RPP, on consultera Stéphane JEANNET, « Testimony
of ICRC delegates before the International Criminal Court », Revue internationale de la Croix-Rouge, n°840, décembre
2000, pp. 993-1000. 226 Règlement de Procédure et de preuve de la CPI, Règle 73 §4. 227 Règlement de Procédure et de preuve de la CPI, Règle 73 §6. 228 Gabor RONA, « The ICRC privilege not to testify : confidentiality in action » , Revue internationale de la Croix
Rouge, op. cit.
73
sections nationales et le réseau international ayant atteint une taille et des capacités institutionnelles
et financières substantielles, plusieurs sections de MSF sont parvenues à développer en interne leur
propre analyse de l‟environnement normatif international, avec la création de départements
juridiques dont les postes sont occupés par des juristes spécialistes des matières pertinentes ; il
s‟agit là d‟évolutions institutionnelles que des ONG de taille plus modeste, comme Solidarités pour
citer un exemple parmi les ONG françaises expulsées du Darfour, ne sont pas encore en mesure
d‟atteindre. Enfin, et c‟est là une conséquence directe de la présence dans la structure de juristes
dédiés à l‟analyse et à la définition des positions de l‟ONG par rapport aux évolutions du droit,
plusieurs documents majeurs ont été produits et publiés par les sections ou les membres de MSF
sur les questions qui nous intéressent ici ; notons qu‟il s‟agit là d‟une exception notable : pour les
autres ONG, il s‟avère plus difficile d‟identifier quelques documents-clé qui reprennent clairement
les questionnements et les positionnements arrêtés sur ces points. De tels documents existent
parfois sans être rendus publics229
, ne favorisant pas alors une compréhension par l‟extérieur de la
stratégie de l‟ONG ; il est en outre des ONG au sein desquelles aucune note interne de cadrage des
relations avec la CPI n‟a été produite.
Nous avons donc choisi d‟examiner ici la tentative qui nous semble la plus aboutie de clarifier,
voire d‟infléchir, les obligations qui pèsent sur les ONG humanitaires en matière de témoignage et
de productions de documents devant les juridictions pénales internationales.
Une première piste qui mérite d‟être explorée est celle de la jurisprudence des TPI : en effet, si la
décision Simic accordait une immunité testimoniale au seul CICR, une autre décision du TPIY
fournissait des indications plus pertinentes quant aux mesures que les juridictions pénales
internationales pourraient adopter pour « accommoder les acteurs humanitaires230
».
Au cours du jugement de l‟affaire Bradjnin par le TPIY, un journaliste correspondant de guerre
ayant publié plus tôt un entretien avec le prévenu, avait été cité à comparaître par le tribunal ; le
journaliste, Jonathan Randal, avait fait appel de la citation à comparaître, conduisant la Chambre
d‟appel du TPIY à trancher231
.
Dans sa décision rendue en décembre 2002, la Chambre d‟appel avait d‟abord reconnu le rôle
capital joué par les correspondants de guerre qui portent à l‟attention de la communauté
internationale les « horreurs et les réalités des conflits232
», et dont le travail d‟investigation et de
diffusion permet aux citoyens d‟exercer leur droit à l‟information ; elle soulignait ensuite
l‟importance, pour les correspondants de guerre, de continuer d‟être perçus comme des
« observateurs indépendants et non des témoins à charge potentiels », estimant enfin que
« contraindre les correspondants de guerre à témoigner régulièrement […] pourrait entraîner de
229 Anne-Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 230Ibid. 231 Pour une analyse détaillée des circonstances et des motifs ayant conduit le TPIY à citer Randal à comparaître, on
consultera Kate MACKINTOSH, « Note for humanitarian organizations on cooperation with international tribunals »,
art. cit. 232 Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin et Momir Talic - Affaire n° IT-99-36-AR72.2, § 36.
74
graves conséquences sur leur capacité d‟obtenir des informations et donc sur leur capacité
d‟informer le public des questions d‟intérêt général233
».
La Chambre d‟appel des TPI reconnaissait ainsi une immunité de témoignage aux correspondants
de guerre, tempérée par un principe de subsidiarité : une injonction de comparaître ne pourra être
délivrée à un correspondant de guerre que si le TPI démontre l‟intérêt direct et l‟importance
particulière pour l‟affaire des informations dont il dispose, et prouve que ces informations ne
peuvent raisonnablement être obtenues d‟une autre source234
.
A la lecture d‟une telle décision, on imagine rapidement la résonnance qu‟elle peut avoir pour les
organisations humanitaires qui estiment nécessaire à la bonne mise en œuvre de leur action de
terrain et à la sécurité de leurs équipes de bénéficier d‟une immunité de témoignage devant les
juridictions pénales internationales. En effet, et comme le souligne Kate Mackintosh, « s‟il y a un
intérêt public à recevoir des informations provenant de régions en guerre, il y a indéniablement un
intérêt public pour les victimes de ces conflits à recevoir de la nourriture, un abri ou des soins
médicaux de la part des acteurs de l‟aide235
».
Outre la reconnaissance d‟une utilité publique au non-témoignage de certains acteurs, toujours sous
la réserve introduite par le principe de subsidiarité, la décision Randal présente un autre point
d‟intérêt majeur pour les ONG humanitaires, qui tend à réconcilier témoignage humanitaire et
témoignage judicaire. En effet, la décision de la Chambre d‟appel ne portait pas sur la
confidentialité des sources, l‟interview obtenue par Jonathan Randal ayant d‟ores et déjà été
publiée dans le Washington Post236
, mais bien sur les conséquences pour le correspondant de guerre
d‟être perçu comme un informateur partial et non comme un observateur indépendant, s‟il devait
être amené à témoigner. La Chambre d‟appel reconnaît ainsi qu‟il est bien différent pour un
journaliste de publier les informations obtenues dans le cadre d‟une interview, et de témoigner sur
la base de ces informations contre la personne interviewée.
Appliqué aux ONG humanitaires, un tel raisonnement différencie clairement la signification, en
termes de perception du rôle et du positionnement de ces acteurs, d‟une prise de parole publique et
délibérée – le témoignage humanitaire – de la fourniture contrainte d‟informations devant une Cour
pénale – le témoignage judicaire. Surtout, une telle analyse permet de préciser les raisons pour
lesquelles l‟immunité de témoignage est réclamée, et de les rendre beaucoup plus compatibles avec
la mission humanitaire de l‟ONG mais également beaucoup plus audibles pour les observateurs
extérieurs : ainsi, l‟organisation peut clairement exprimer qu‟elle refuse de divulguer ses
informations, non pas parce qu‟elle souhaite les garder secrètes et représenter par conséquent un
obstacle à la justice et à la lutte contre l‟impunité, mais bien parce qu‟il lui est nécessaire de
233 Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin et Momir Talic - Affaire n° IT-99-36-AR72.2, §44. 234 Anne-Marie LA ROSA, « Organisations humanitaires et juridictions pénales internationales », art. cit. 235 « If there is a public interest in receiving information from a war zone, there is an arguably even greater public interest
in the victims of conflicts receiving food, shelter and medical treatment from humanitarian players ». Kate
MACKINTOSH, « Note for humanitarian organizations on cooperation with international tribunals », art. cit. 236 Ibid.
75
continuer d‟être perçue comme neutre pour mener à bien son action. Ou, comme le résume Kate
Mackintosh : une ONG peut « publier un communiqué de presse et un rapport sur les violences à
l‟encontre des civils, sans pour autant sacrifier son droit à refuser de témoigner sur ces évènements
devant un tribunal237
».
La Cour pénale internationale fait sienne, en matière de dérogations à l‟obligation de coopérer et de
restrictions liées à un principe de subsidiarité, la jurisprudence des TPI. Les organisations
humanitaires peuvent donc, quand elles l‟estiment nécessaire, tenter d‟obtenir le bénéfice des
dispositions relatives à la protection des témoins et des sources d‟information qui ont été exposées
ici.
Toutefois, les mécanismes de dérogations ont un fonctionnement répondant à une logique de cas
par cas : les ONG doivent présenter, pour chaque affaire, un argumentaire appuyant leur demande
d‟exemption de témoignage ; les demandes successivement exprimées n‟en doivent pas moins
« être fondées sur des arguments de principe, exprimant une politique générale claire et constante,
et [non] pas [reposer] sur des arguments de convenance ou d‟opportunité développés de façon ad
hoc dans chaque cas particulier238
». Il semble que ce soit en partie ce paradoxe apparent entre
réitération et continuité dans les argumentaires qui ait conduit MSF à s‟interroger en profondeur sur
la nature de ses liens avec la CPI. Le groupe de travail international établi en 2003 avait en effet
pour mission, d‟une part, de « répondre, de façon concertée, aux différentes demandes de
coopération239
» et d‟autre part, d‟aboutir à l‟adoption d‟une politique générale de l‟ONG, qui serait
ensuite négociée avec les instances de la CPI.
L‟adoption en 2004 de la « politique de coopération de MSF avec la CPI240
» ne s‟est toutefois pas
faite sans de nombreux débats internes et reculades, le mouvement international se refusant dans un
premier temps à affirmer clairement son positionnement ; en outre, aujourd‟hui encore, le
document adopté est parfois rebaptisé, non sans une certaine pertinence, en politique de « non-
coopération » de MSF avec la CPI241
.
Malgré cela, il semble que la stratégie juridique de MSF, fondée à la fois sur la jurisprudence et sur
les mécanismes de protection du secret professionnel mis en place par le Règlement de procédure
et de preuve de la CPI, soit devenue opérationnelle. Comme le présentent Françoise Bouchet-
Saulnier et Fabien Dubuet, MSF a fait le choix d‟opérer plusieurs distinctions fondamentales,
237 « Simply put, you can issue a press release and a report about violence against civilians without sacrificing the right to
refuse to testify about those events in court ». Kate MACKINTOSH, « Note for humanitarian organizations on
cooperation with international tribunals », art. cit. 238 Françoise BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judiciaire ou humanitaire ?, op. cit. 239 Ibid. 240 Il s‟agit d‟un document interne, non rendu public. 241 Fabrice WEISSMAN, « Humanitaire et justice : les raisons d‟un divorce… », art. cit.
76
desquelles découlent un traitement différencié entre le choix institutionnel de l‟organisation, le
choix de ses membres et le statut des documents242
.
Sans analyser en détails cette stratégie, notons simplement les quelques éléments marquants
suivants : la subsidiarité est acceptée par l‟organisation, qui entend limiter sa contribution aux
procédures pénales internationales aux seuls contours dessinés par ce principe. Comme pour
d‟autres organisations, on retrouve des points de tension entre les intérêts de l‟organisation et
l‟expression de la liberté individuelle de ses employés : MSF entend résoudre ce dilemme en
faisant le choix de ne pas imposer de clause de confidentialité à ses employés – à la différence du
CICR et des agences onusiennes notamment – et en proposant un « soutien juridique » à ceux de
ces employés qui auraient fait le choix de témoigner ; un soutien juridique qui se révèle un moyen,
pour l‟organisation, de garder le contrôle sur les informations communiquées et de limiter autant
que possible la publicité autour du nom de MSF. Concernant le statut des documents, enfin, MSF
entend bénéficier des mécanismes de protection des sources prévus par le Statut de Rome, qui
permettent à certains documents de demeurer confidentiels et de n‟être être utilisés qu‟afin de
rassembler de nouveaux éléments de preuve.
Une fois les contours de sa stratégie juridique dessinés, MSF a été en mesure d‟entamer des
négociations avec le bureau du Procureur de la CPI ainsi qu‟avec les juges, au terme desquelles la
politique de coopération de la MSF avec la CPI a été reconnue par cette dernière.
242 Pour une présentation plus précise de la politique de coopération de MSF avec la CPI, on consultera Françoise
BOUCHET-SAULNIER et Fabien DUBUET, Témoignage judiciaire ou humanitaire ?, op. cit.
77
CONCLUSION
Le principe de subsidiarité dans la coopération et la fourniture d‟informations qui régit les rapports
entre le CICR, MSF et la CPI, pourrait bien être la clé permettant de résoudre le dilemme portant
sur la compatibilité, ou non, des missions et des implications opérationnelles de l‟assistance
humanitaire et de la justice pénale internationale.
En effet, comme nous l‟avons discuté, il n‟existe pas d‟incompatibilité fondamentale entre les
missions et les vocations des acteurs que représentent les ONG humanitaires d‟une part, et la Cour
pénale internationale d‟autre part ; nous en voulons pour preuve, le soutien historique des
premières à la création de la seconde, qui continue d‟être assumé par une majorité des ONG et
même revendiqué par une minorité.
S‟il n‟existe pas d‟incompatibilité théorique, des ajustements du travail et de la mission de la CPI
n‟en demeurent pas moins nécessaires du point de vue d‟une partie de ceux qui, sur le terrain,
travaillent au quotidien à limiter au maximum les conséquences tragiques des guerres et des
conflits, et souhaiteraient voir la CPI assumer avec plus d‟enthousiasme son rôle politique et
devenir, quitte à être présent sur les terrains de conflits, un véritable acteur de leur résolution.
A cet égard, les attentes de chacun face à la CPI semblent en outre un bon indicateur des lignes de
fracture qui divisent le monde non gouvernemental, et plus spécifiquement le milieu des ONG
humanitaires et celui des organisations de défense des droits de l‟homme ; ces dernières demeurent
en effet, nous l‟avons évoqué, intransigeantes dès lors qu‟il s‟agit de lutte contre l‟impunité et
rejettent catégoriquement l‟utilisation par les Etats des mécanismes politiques prévus dans le Statut
de Rome.
Pour un certain nombre d‟ONG également, la compatibilité des missions ne se vérifie qu‟à la
condition que chacune soit menée à bien par des acteurs différents : un élément récurrent dans
l‟analyse faite par les ONG de leurs rapports avec la CPI porte ainsi sur l‟impossibilité pour un
même acteur d‟assumer les deux rôles.
Le cas du Darfour est à ce titre exemplaire : la coexistence des deux missions, quand bien même
elles seraient effectivement menées à bien par des acteurs distincts, présente un risque important de
confusion et peut constituer une menace pour la préservation de l‟espace humanitaire.
Chacun s‟accordant sur le constat qu‟il n‟existe donc pas d‟incompatibilité fondamentale, ni pour
autant de compatibilité absolue entre les missions des ONG et celle de la CPI, nous conclurons
donc avec les recommandations de ceux qui soulignent simplement la nécessité de prendre en
78
considération les rythmes et les espaces nécessaires à l‟accomplissement de la mission de chacun,
et refusent de choisir entre le secours aux victimes présentes et la protection des victimes futures243
.
Mais une telle différenciation du temps de l‟assistance et du temps de la justice, si elle est
nécessaire, ne devrait pas pour autant sembler suffisante aux ONG. En effet, la clarification de leur
positionnement face à la CPI est devenue, avec le précédent malheureux de l‟expulsion du Darfour,
un véritable enjeu d‟indépendance pour les ONG. En cela, et même s‟il peut paraître plus aisé
d‟ignorer la présence d‟un voisin qui risque de devenir encombrant, ou plus confortable de
continuer de gérer, voire de subir, au cas par cas les demandes de collaboration avec la CPI, une
telle attitude ne saurait constituer une véritable stratégie pérenne et responsable.
Les exemples étudiés ici démontrent qu‟une coexistence encadrée est tout à fait possible entre les
ONG humanitaires et la CPI, dès lors qu‟une réflexion de fond sur la nature de la contribution à la
lutte contre l‟impunité a été initiée, et qu‟une posture stratégique construite est affichée face à la
CPI.
Avec une telle nécessité de clarifier les positions vis-à-vis de la justice pénale internationale, osons
en outre affirmer que c‟est non seulement leur rôle d‟acteur primordial sur les terrains de conflits,
mais aussi au cœur des relations internationales, qui demeure à assumer par les ONG, notamment
humanitaires. Ces dernières sont en effet devenues, des situations comme celle du Darfour en
attestent, des acteurs influents dont l‟impact opérationnel s‟accompagne d‟un pouvoir symbolique
non négligeable.
La réflexion sur la posture à adopter devant l‟essor des juridictions pénales internationales pourrait
ainsi s‟inscrire dans une dynamique plus globale, pour les ONG, de prise de responsabilités à la
mesure du statut qu‟elles ont acquis.
243 On consultera notamment les interventions de Simon FOREMAN et de Françoise BOUCHET-SAULNIER, in
« L‟humanitaire en pleine confusion ? », Les 5 à 7 du CICR, art. cit.
79
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Tribunal pénal international pour le Rwanda www.ictr.org
Tribunal pénal international pour l‟ex-
Yougoslavie
www.icty.org
United Nations Sudan Information gateway www.unsudanig.org
Presse et medias Internet
Agence France Presse www.afp.com
BBC www.news.bbc.co.uk
Foreign affairs www.foreignaffairs.com
Foreign policy www.foreignpolicy.com
Grotius www.grotius.fr
« L‟humanitaire dans tous ses états », Blog de
Frédéric Joli, porte-parole du CICR en France
www.cicr.blog.lemonde.fr
L‟Express www.lexpres.fr
Le Monde www.lemonde.fr
Libération www.liberation.fr
« Making sense of Darfur », Blog du Social
science research council consacré à l‟analyse
du conflit au Darfour
www.blogs.ssrc.org/darfur
Reuters www.reuters.com
Sudan Tribune www.sudantribune.com
83
ONG internationales expulsées du Darfour
ACF www.actioncontrelafaim.org
CARE www.care.org
CHF international www.chfinternational.org
IRC www.theirc.org
Mercy Corps www.mercycorps.org
MSF-F www.msf.fr
MSF-H www.artsenzondergrenzen.nl
Norwegian Refugee Council www.nrc.no
Oxfam GB www.oxfam.org.uk
PADCO www.aecominterdev.com
Save the Children UK www.savethechildren.org.uk
Save the Children US www.savethechildren.org
Solidarités www.solidarites.org
Autres ONG
Amnesty international www.amnesty.org
AIDH www.aidh.org
FIDH www.fidh.org
GOAL www.goal.ie
Human rights watch www.hrw.org
MDM www.medecinsdumonde.org
Save Darfur www.savedarfur.org
84
LISTE DES PRINCIPAUX SIGLES ET ACRONYMES
ACF Action contre la faim
AI Amnesty international
CARE Cooperative for assistance and relief everywhere
CHF Cooperative housing foundation
CICR Comité internationale de la Croix Rouge
CPI Cour pénale internationale
CRASH Centre de réflexion sur l‟action et les savoirs humanitaires
DIH Droit international humanitaire
FIDH Fédération internationale des Ligues des droits de l‟homme
HAC Humanitarian aid Commission
HCR Haut commissariat aux réfugiés
HRW Human rights watch
ICC International criminal court
ICG International crisis group
IRC International rescue committee
IDP Internally displaced person
JEM Justice and equality movement
MDM Médecins du monde
MSF Médecins sans frontières
OCHA Office for the coordination of humanitarian affairs
Bureau de coordination des affaires humanitaires
ONG Organisation non gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
OXFAM Oxfam Committee for famine relief
SAF Sudan armed forces
SLA/M Sudan liberation army / movement
SPLA/M Sudan people’s liberation army / movement
TPI Tribunal pénal international
TPIR Tribunal pénal international pour le Rwanda
TPIY Tribunal pénal international pour l‟ex-Yougoslavie
URD Groupe urgence, réhabilitation, développement
85
TABLE DES ANNEXES
Annexe 1 : Carte du Soudan ............................................................................................................. 86
Annexe 2 : Les groupes ethniques du Darfour ................................................................................. 87
Annexe 3 : Aperçu des villages détruits au Darfour entre 2003 et 2009 .......................................... 88
Annexe 4.A : Communiqués de presse – Action contre la faim ....................................................... 89
Annexe 4.B : Communiqués de presse – CARE .............................................................................. 91
Annexe 4.C : Communiqués de presse – IRC .................................................................................. 93
Annexe 4.D : Communiqués de presse – MSF ................................................................................. 96
Annexe 4.E : Communiqués de presse – Save the children ............................................................. 99
Annexe 4.F : Communiqués de presse – Solidarités ...................................................................... 100
86
ANNEXE 1 : CARTE DU SOUDAN
87
ANNEXE 2 : LES GROUPES ETHNIQUES DU DARFOUR244
244 D‟après Jérôme TUBIANA, « Le Darfour, un conflit identitaire ? », art. cit.
88
ANNEXE 3 : APERÇU DES VILLAGES DÉTRUITS AU DARFOUR ENTRE 2003 ET 2009
89
ANNEXE 4.A : COMMUNIQUÉS DE PRESSE – ACTION CONTRE LA FAIM
ONG Action contre la faim
Site Internet http://www.actioncontrelafaim.org
Communiqué
Date 5 mars 2009
Lien
http://www.actioncontrelafaim.org/presse/communiques/communique/browse/3/article
/61/soudan-action-contre-la-faim-sous-le-coup-de-lexpulsion-demandee-par-le-
gouvernement/
Texte
Vive inquiétude sur le sort des millions de personnes sous perfusion humanitaire
SOUDAN - 05/03/09
Action contre la Faim a fait l‟objet d‟une demande d’expulsion mercredi 4 mars de la part des
autorités soudanaises. Les bureaux de l’organisation à Khartoum ont été mis sous scellés et
l’ensemble des programmes menés par ACF au Soudan a été interrompu.
ACF déplore cette décision et tient à faire part de son inquiétude pour le sort des millions de
Soudanais.
Présente au Soudan depuis 1985, Action contre la Faim y mène des programmes d‟assistance
alimentaire, de traitement de la malnutrition mais aussi d‟accès à l‟eau et l‟assainissement. En
2008, l‟association est venue en aide à près de 450 000 personnes au Soudan dont 80% au
Darfour. Dans cette région, près de 2.5 millions de personnes survivent principalement grâce à
l‟aide humanitaire. ACF y a distribué 800 000 rations alimentaires et près de 10 000 tonnes de
nourriture.
« Si Action contre la Faim doit cesser ses activités au Soudan, 450 000 personnes seront alors
immédiatement privées d‟une assistance d‟urgence et livrées à elles-mêmes pour boire et se
nourrir », déclare François Danel, directeur général d‟ACF.
Comme d‟autres organisations humanitaires opérant dans le pays, Action contre la Faim appelle
les autorités soudanaises au respect des principes humanitaires afin de ne pas précipiter des
millions de personnes dans une situation impossible. L‟aide fournie par la dizaine d‟ONG sous
le coup de l‟avis d‟expulsion représente 60 à 80% de l‟aide humanitaire totale du Darfour.
Communiqué
Date 5 juin 2009
Lien
http://www.actioncontrelafaim.org/presse/communiques/communique/browse/2/article
/61/3-mois-apres-son-expulsion-allons-nous-laisser-des-centaines-de-milliers-de-
darfouris-sans-assista/
Texte
3 mois après son expulsion : Allons-nous laisser des centaines de milliers de
Darfouris sans assistance ? SOUDAN - 05/06/09
3 mois après son expulsion ainsi que celle de 12 ONG internationales et 3 ONG locales, Action
contre la Faim prend la parole pour alerter sur le sort des populations du Darfour. Malgré
les déclarations rassurantes du gouvernement soudanais, force est de constater qu‟aucune
solution viable pour pallier le départ des organisations d’aide n’a été mise en œuvre.
Depuis mi mars, une chape de plomb s‟est abattue sur les habitants du Darfour dans
l‟indifférence générale. C‟est pourtant l‟avenir de centaines de milliers de personnes dont il est
question.
Après 24 ans de présence au Soudan, Action contre la Faim (ACF), comme d‟autres ONG, a été
contrainte d’interrompre sans délai l’aide vitale qu‟elle procurait aux populations dans le
besoin. Cette décision brutale et totalement infondée des autorités soudanaises à l‟encontre
d‟Action contre la Faim est sans précédent. Le président soudanais Omar El Béchir, par cet
acte, piétine les principes humanitaires et, plus important encore, prive des centaines de
milliers d‟hommes, de femmes et d‟enfants d‟une assistance de première nécessité.
Déjà, les conséquences du départ des 13 ONG internationales représentant entre 40 et 50% du
volume de l‟aide humanitaire au Soudan se font vivement ressentir: suite à la seule expulsion
d‟ACF, c‟est l‟aide apportée à plus de 450 000 personnes qui est mise en péril.
Plus grave, à court et moyen termes, les perspectives pour les populations soudanaises sont
particulièrement préoccupantes et l‟on ne peut que craindre une dégradation de leurs conditions
90
d‟existence avec l‟arrivée de la saison des pluies. Celles-ci sont synonymes dans de nombreuses
régions d‟une recrudescence marquée des maladies causées par un accès limité à une eau de
qualité et à l‟augmentation des taux de malnutrition.
Aucune des solutions de remplacement envisagées par les autorités soudanaises ne paraît
vraisemblable ou viable. Outre le manque de capacité des ONG présentes, l‟ensemble des
acteurs humanitaires pouvant potentiellement prendre en main les programmes interrompus
devrait faire face à une série de problématiques : climat de défiance entre les autorités
soudanaises et les ONG, manque de moyens (humains, financiers et logistiques), mépris
généralisé des principes humanitaires, accès limité aux victimes, etc.
Concrètement, ces expulsions mettent durablement en péril l’aide apportée aux centaines
de milliers de personnes victimes du conflit et dépendantes de l‟aide humanitaire. Les carences
dues à l‟arrêt des activités des 16 ONG se font sentir et les mesures cosmétiques prises pour
pallier ces manques laissent présager une situation inquiétante pour les mois à venir.
Ces expulsions sont le résultat de tensions grandissantes où la dénégation des principes
phares de l’action humanitaire, tels que l’impartialité, l’indépendance et la neutralité, mène à la mise en péril de l‟accès aux populations vulnérables. Dans ce contexte créé de toutes
pièces par les autorités soudanaises, les populations civiles ainsi que les acteurs humanitaires
se retrouvent dépendants d’enjeux relevant de la politique internationale et détachés des
impératifs humanitaires.
Afin de contrer cette tendance, les membres de la communauté internationale ainsi que les
acteurs humanitaires impliqués dans la crise actuelle au Soudan devraient s’engager
activement en faveur de la réalisation des objectifs suivant
Obtention et respect de l‟accès humanitaire à l‟ensemble des populations soudanaises
Instauration de systèmes d‟évaluation de la situation humanitaire impartiaux et
indépendants
Construction d‟une relation entre le Gouvernement du Soudan et les ONG
internationales fondée sur les principes humanitaires ainsi que les lois soudanaises.
Plus de 3 mois après son expulsion, ACF n‟a toujours pas reçu d’explication officielle quant
aux motifs exacts de cet acte. Mais conformément à son mandat, Action contre la Faim est
toujours prête à porter assistance aux populations du Darfour qui en ont cruellement
besoin et émet le souhait de pouvoir retourner au Soudan. Ce retour sera conditionné au
respect des principes humanitaires afin de garantir la mise en œuvre d’une aide efficace,
transparente et fondée sur les seuls besoins.
91
ANNEXE 4.B : COMMUNIQUÉS DE PRESSE – CARE
ONG CARE
Site Internet http://www.care.org
Communiqué
Date 4 mars 2009
Lien
http://www.care.org/newsroom/articles/2009/03/sudan-darfur-CARE-operations-
humanitarian-20090304.asp
Texte
Statement from CARE Regarding Operations in Sudan ATLANTA (March 4, 2009) - The humanitarian organization CARE released the
following statement today regarding its operations in Sudan:
CARE acknowledges receipt of a letter from the government of Sudan today canceling
our registration to operate in the country. We are assessing what this means for the 1.5
million people who now receive food, water, sanitation, livelihood and health assistance
from CARE. CARE is among a number of international organizations who received the
letter revoking the license to operate.
CARE has operated in Sudan for 28 years, implementing projects in agriculture, water and
sanitation, livelihoods, education and health in North and South Kordofan and Khartoum.
For the past six years, CARE has undertaken emergency lifesaving assistance in Darfur
and neighboring Chad. Sudan is one of CARE's largest operations in East and Central Africa
with over 650 staff in the country, the majority of whom are Sudanese nationals with
approximately 30 expatriates employed to assist people in the IDP (internally displaced
persons) camps and rural areas. The Khartoum headquarters manages 13 sub-offices
throughout North Sudan.
Our priorities continue to be full humanitarian access and a just resolution to the
conflict so that people can live in peace.
Communiqué
Date 6 mars 2009
Lien
http://www.care.org/newsroom/articles/2009/03/sudan-darfur-operations-
humanitarian-20090306.asp
Texte
CARE Forced to Cease All Aid Operations in North Sudan and Darfur
GENEVA (March 6, 2009) - CARE has ceased all aid operations and is removing
international staff from Sudan, following the Government of Sudan's decision to
revoke CARE's license to operate in the country. CARE is one of the largest aid agencies
in Sudan, providing life-saving aid to more than 1.5 million people across Northern Sudan
and conflict-affected Darfur.
CARE has been instructed to close operations and hand over all its assets (including
computers and vehicles) in the country to the Government of Sudan. All international staff
have been told to leave the country immediately. At least 12 other agencies in Sudan
have also been instructed by the government to close activities.
"Sudan is one of the poorest countries in the world. This will have a devastating impact on
the millions of people in Sudan who rely on humanitarian assistance for food, safe drinking
water, and health care," said Robert Glasser, Secretary General of CARE International,
headquartered in Switzerland. "CARE is extremely concerned about how the poorest, most
vulnerable people of Sudan will cope as the country's largest aid agencies are forced to close
their programs and this vital flow of aid is shut down."
CARE is an independent, non-political humanitarian organization. "We hope to be able
to return to the country in the near future and resume providing life-saving aid to the people
of Sudan. We plan to appeal the government's action," Glasser said. CARE is completely
independent of the ICC.
CARE has operated in Sudan for 28 years, implementing projects in agriculture, water and
sanitation, livelihoods, education, and health in North and South Kordofan and Khartoum.
For the past six years, CARE has undertaken emergency life-saving assistance in Darfur
and neighboring Chad, in what is the largest humanitarian emergency in the world today.
Sudan is one of CARE's largest operations in East and Central Africa with more than 650
staff in the country, the majority of whom are Sudanese nationals with approximately 30
expatriates employed to assist people in the IDP (internally displaced persons) camps and
rural areas. The Khartoum Headquarters manages 13 sub-offices throughout North Sudan.
92
Communiqué
Date 12 juin 2009
Lien
http://www.care.org/newsroom/articles/2009/06/responsetojohnholmes-
20090612.asp
Texte
Response to John Holmes' Statement on Expelled Agencies in Sudan
CARE USA wishes to respond to the statements made by John Holmes, the U.N. Under-
Secretary-General for Humanitarian Affairs, on Thursday June 11, 2009.
Holmes implied in his statement that CARE USA, which was one of the 13 aid agencies
expelled from Sudan in March, would be allowed to return to Sudan. This however is not
the case. CARE USA‟s registration in Sudan remains void, and CARE USA will not resume
operations in North Sudan.
CARE International Foundation (Switzerland) has applied for a registration to operate in
Sudan in order to provide humanitarian and development assistance to poor and vulnerable
communities. CI Switzerland is a distinct and independent organization registered in
Switzerland, under Swiss law, and is separate from CARE USA.
About CARE: CARE International is an independent, non-political, non-religious
confederation comprised of the following organizations: CARE Australia, CARE Canada,
CARE Danmark, CARE Deutschland, CARE France, CARE Japan, CARE Nederland,
CARE Norge, CARE Österreich, CI Switzerland, CARE Thailand/Raks Thai Foundation,
CARE International UK, and CARE USA. The confederation secretariat is based and
registered in Geneva, Switzerland. CARE International operates emergency response and
development programs in nearly 70 countries around the world.
93
ANNEXE 4.C : COMMUNIQUÉS DE PRESSE – IRC
ONG International rescue comittee
Site Internet http://www.theirc.org/
Communiqué
Date 4 mars 2009
Lien http://www.theirc.org/news/irc-forced-to-close-darfur-aid-programs0304.html
Texte
IRC Forced to Close Aid Programs in Darfur, North and East Sudan 04 Mar 2009 - The International Rescue Committee says the Government of Sudan has
ordered the closure of its humanitarian aid programs in Darfur as well as North and
East Sudan – a decision that puts at risk the lives of 1.75 million men, women and children
who depend on the IRC‟s lifesaving programs.
Other aid organizations received similar orders to suspend their services.
The IRC received notice today that its license to operate in Darfur and the North and East of
Sudan had been revoked No explanation was provided. .
The directive shuts down IRC medical care, water, sanitation, and education programs and
other vital services for some 650,000 people in Darfur and a further 1.1 million people in
North and East Sudan.
“We are extremely distressed by the forced closure of our aid operations,” says George
Rupp, the IRC‟s president and CEO. “It appears the international aid effort in the region is
being shut down and that raises grave concerns about the welfare of millions of Sudanese
people who rely on humanitarian aid for survival.”
The IRC hopes the safety of all humanitarian workers in Sudan will be given priority and
guaranteed.
The IRC has been one of the largest providers of humanitarian aid in Darfur since 2004 and
the North and East of Sudan since 1981. It is an independent, impartial, non-sectarian
global relief organization and has no affiliation with the International Criminal Court
or any political, religious, governmental or armed movements. Its mission in Sudan is
entirely humanitarian in nature.
“We have been delivering aid to vulnerable people in Sudan for 28 years and remain
committed to helping Sudanese communities across the country recover and rebuild,” says
Rupp.
To Help
Keep humanitarian aid in Sudan: Please sign our urgent petition and tell your friends and
family.
Make a gift: Your donation will help the IRC assist victims of the Darfur crisis who have
fled across the border into Chad, as well as refugees and displaced people fleeing violence
and devastation elsewhere around the world.
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Media Contacts
Communiqué
Date 5 mars 2009
Lien http://www.theirc.org/news/dire-consequences-after-sudan0305.html
Texte
Dire Consequences After Sudan Expels Aid Agencies 05 Mar 2009 - The mass expulsion of humanitarian aid organizations from Darfur is having
immediate and alarming consequences, with thousands of people already being denied
critical health services.
The government of Sudan terminated work licenses of the International Rescue Committee
and 12 other international aid groups in Darfur yesterday and today, decimating the relief
effort in a region where more than two million people remain displaced and dependent on
foreign assistance.
An IRC clinic that provided medical care for tens of thousands of people in the South
Darfur town of Kass was shut down today by government officials. Other IRC clinics and
water programs were still in operation today, but at a drastically reduced scale.
"Our clinics have a month's worth of medicines and supplies and there's enough fuel to run
our water pumps for two weeks, but after that, the situation will become very bleak, very
94
fast," said Kurt Tjossem, who oversees IRC programs in the Horn and East of Africa.
In sprawling Kalma Camp in South Darfur, the two largest providers of health care, one of
which is the IRC, have been ordered to shut down. This will leave 91,000 people without
essential medical services.
In Kass, also in South Darfur, the IRC and three other agencies that provide water are being
forced to close their operations -- meaning 100,000 people will be without clean drinking
water.
In Zalingei, in West Darfur, the IRC and the only other provider of water are being ousted.
That is another 100,000 people who will be without access to safe water.
"If the Sudanese government doesn't reverse its decision, the humanitarian impact
could be devastating," says Tjossem. "We provide clean water for people to drink. We
work to prevent the spread of disease and ensure that hundreds of thousands of people have
medical care when they are sick. These are programs that keep people alive. If they
disappear, I fear many lives will be lost."
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fled across the border into Chad, as well as refugees and displaced people fleeing violence
and devastation elsewhere around the world.
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Communiqué
Date 30 mars 2009
Lien http://www.theirc.org/news/sudan-expelled-aid-groups0330.html
Texte
Sudan: Expelled Aid Groups Support Effort by Remaining Ones to Fill
Program Gaps 30 Mar 2009 - International Rescue Committee health, water and other lifesaving programs
in Darfur, North and East Sudan are gradually being taken over by other aid groups –
although at drastically reduced levels.
The IRC and 12 other international relief agencies expelled from northern Sudan earlier
this month have been working closely with the UN, remaining aid groups and the
Government of Sudan to help them fill programming gaps left by the forced-out
organizations.
Still, it is an enormous challenge to quickly replace the vital services that represented
around half of all humanitarian assistance in Darfur, as well as aid for millions of
people in the north and east. Speed is especially critical now as the rainy season approaches
and brings with it the increased threat of cholera and malaria.
“Most sanitation and hygiene programs carried out by the expelled agencies have stopped,
which creates an enormous health risk,” says Kurt Tjossem, who oversees the IRC‟s
programs in the region.
The IRC ran sanitation programs for 158,000 people in Kass, Kutum and Nyala in South
Darfur and hygiene programs for tens of thousands more in West Darfur.
“To the best of our knowledge, no other groups have taken over these services. If these
programs don‟t resume quickly, the camps could become breeding grounds for contagious
diseases,” adds Tjossem.
IRC clinics in Darfur that were shut down immediately after the expulsion order have been
reopened by other agencies, but only basic services are available and hours of operation
have been sharply cut.
“Many of the IRC‟s former clinics in Darfur used to operate 24 hours a day and that was
essential in large camps like Kalma that shelter tens of thousands of people,” Tjossem
explains. “Now these clinics are unable to offer inpatient care and other critical medical
services.”
The situation is also worrisome in the states of Blue Nile, Kassala, Red Sea and South
Kordofan, where 56 former IRC clinics that served hundreds of thousands of people are
suddenly lacking the IRC‟s regular supply of medicines, staff training and other support.
To date, there has been no indication that people deprived of services are moving
elsewhere to search for them. However the IRC is actively putting contingency plans in
place in Chad and Southern Sudan as a precaution.
95
IRC emergency experts have been dispatched to eastern Chad, where the IRC provides
humanitarian aid to 59,000 Darfur refugees in Oure Cassoni and Bredjing camps. The IRC
is also set to expand medical services in the Sudanese state of Northern Bahr el-Ghazal, just
south of Darfur, in the event of new arrivals.
The IRC, an independent, impartial and secular aid organization, has been a lifeline to
conflict-affected communities throughout Sudan for 28 years. The IRC provided
humanitarian aid to more than 650,000 people in Darfur and 1.1 million others in the North
and East of Sudan.
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Donate Now: Your gift will help the IRC assist victims of the Darfur crisis who have fled
across the border into Chad, as well as refugees and displaced people fleeing violence and
devastation elsewhere around the world.
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Communiqué
Date 16 mai 2009
Lien http://www.theirc.org/news/irc-officially-leaves-darfur1615.html
Texte
IRC Officially Leaves Darfur, North and East Sudan 16 May 2009 -
After more than 28 years of providing vital humanitarian assistance in northern Sudan, the
International Rescue Committee (IRC) has officially closed out its activities in the wake of
mass aid agency expulsions and continuing concerns about the welfare of Sudanese
civilians.
The IRC delivered essential aid to more than 800,000 people in Darfur at the peak of its
programming – a leading provider of health, water, sanitation, education, women‟s health
and protection services. IRC teams also supported more than 1.1 million Sudanese people in
North and East Sudan, focusing on essential health care, water, sanitation and livelihoods.
“The final IRC staff have now left northern Sudan following an exhausting, distressing
and frustrating two-month process, which included the forced closure of our offices,
seizure of assets and termination of staff contracts” says Kurt Tjossem, who oversees IRC
programs in the Horn and East of Africa.
“IRC and other agencies have been subjected to years of frequent harassment and
bureaucratic obstacles that impeded the urgent delivery of aid to communities across
Sudan,” adds Tjossem. “I would like to thank IRC’s Sudanese staff who have shown
great dediation and courage to bring help to the most vulnerable.”
The expulsion of the IRC and 12 other international agencies occurred immediately after the
decision by the International Criminal Court (ICC) on 4th March to indict the Sudanese
President.
The IRC strongly affirms that it has never cooperated with the ICC in any way or provided
information to the court. The IRC is an independent and impartial global relief agency
whose mission is purely humanitarian in nature.
The expelled agencies provided around half of all humanitarian aid to Darfur alone and the
full impact of the expulsions remains to be seen. Some activities carried out by the IRC have
been assumed by other agencies, but most are stop-gap measures without the resources or
funding to continue on a long-term basis.
“With the impending heavy rainy season almost upon us – time that regularly causcs
flooding and helps to spread potentially fatal water-borne diseases – there are particular
concerns that sanitation services will not meet the gaps,” says Tjossem.
The IRC has contingency plans in place in Chad and Southern Sudan in case the situation
forces people to seek refuge elsewhere. Our teams also continue to support hundreds of
thousands of people in Southern Sudan as it rebuilds after years of civil war.
A global leader in emergency relief, the IRC remains committed to helping the people of
Sudan now and in the future.
Learn More
How the IRC is assisting Darfur refugees in Chad
96
ANNEXE 4.D : COMMUNIQUÉS DE PRESSE – MSF
ONG Médecins sans frontières - France
Site Internet http://www.msf.fr/
Communiqué
Date 4 mars 2009
Lien
http://www.msf.fr/2009/03/12/1230/la-section-neerlandaise-de-msf-expulsee-du-
darfour/
Texte
La section néerlandaise de MSF expulsée du Darfour Le gouvernement du Soudan a informé aujourd'hui la section néerlandaise de l'organisation
internationale Médecins Sans Frontières (MSF) de son expulsion du Darfour.
Le gouvernement du Soudan a informé aujourd'hui la section néerlandaise de MSF de son
expulsion du Darfour.
L'organisation médicale est outrée de cette décision qui prive plus de 200 000 patients de
l'accès à des soins médicaux essentiels.
Trois jours plus tôt, le gouvernement avait ordonné à MSF d'évacuer tout son personnel
international d'un certain nombre de ses programmes dans l'Ouest et le Sud Darfour le 4
mars au plus tard.
Convoquée à une rencontre avec les autorités peu de temps après l'annonce faite par la
Cour pénale internationale concernant la mise en accusation du président Omar el-Béchir, la
section néerlandaise de MSF a appris qu'elle devait cesser toutes ses activités au Darfour et
préparer son personnel à quitter immédiatement le pays.
Aucune autre explication à cette décision n'a été fournie. La section néerlandaise de
MSF apportait des soins médicaux à la population sur trois sites du Sud Darfour, dans les
zones de Kalma, Muhajariya et Feina.
Cette expulsion survient au moment où une épidémie de méningite, une maladie souvent
mortelle si elle n'est pas traitée, est déclarée dans le camp de Kalma, où vivent plus de 90
000 personnes déplacées.
Autre conséquence de cette décision, environ 70 000 personnes sont laissées sans aucun
accès à des soins de santé à Muhajariya, puisque le seul hôpital de la région va devoir
fermer. Les cliniques de santé situées à Feina et dans les environs, où MSF soignait en
moyenne 3 000 personnes par mois, devront également fermer.
MSF réitère avec fermeté que l'association est totalement indépendante de la Cour
pénale internationale, que MSF ne coopère pas avec elle, ni ne lui fournit
d'informations. « Il est absurde que nous, organisation indépendante et impartiale, soyons
mêlés à un processus politique et judiciaire », déclare Arjan Hehenkamp, directeur des
opérations de MSF Hollande. « MSF a travaillé sans relâche pour fournir une assistance
médicale aux personnes du Darfour depuis le début de la crise. C'est tout à fait
inacceptable que ces personnes soient privées de soins médicaux essentiels. »
Cet ordre de quitter le Darfour a été adressé à la section hollandaise de MSF, pas aux
autres sections de MSF qui ont des programmes au Darfour. Mais l'ordre précédent
d'évacuer le personnel international concerne également la section française de MSF et a des
conséquences sur les activités médicales pour la population dans deux localités de l'ouest
Darfour, Zalingei et Niertiti.
Communiqué
Date 5 mars 2009
Lien
http://www.msf.fr/2009/03/05/1221/expulsion-de-la-section-francaise-de-medecins-
sans-frontieres-du-nord-soudan/
Texte
Expulsion de la section française de Médecins Sans Frontières du Nord Soudan MSF proteste avec la plus grande vigueur contre cette expulsion, entraînant l'arrêt
forcé de programmes médicaux indispensables.
L'action humanitaire et les populations du Darfour sont pris en otage d'agenda
politique. Paris, Khartoum, le 5 mars 2009 - Ce matin, les autorités soudanaises à Khartoum ont
annoncé l'expulsion immédiate de la section française de Médecins Sans Frontières (MSF).
Cette décision, à la fois brutale et violente, fait suite à celle, hier, d'expulser la section
97
hollandaise de l'organisation. MSF est consternée par cet ordre qui rend la population du
Darfour otage d'agendas politique et judiciaire. L'organisation proteste avec la plus
grande vigueur contre cette décision.
« L'ordre d'expulser MSF du Darfour aura des conséquences sans précédent pour les
populations de la région. La majorité d'entre elle reste dépendante de l'aide humanitaire
internationale, explique le Dr Christophe Fournier, président du conseil international de
MSF. L'arrêt soudain de nos programmes médicaux, y compris des projets chirurgicaux,
nutritionnels et de soins de santé primaire dans une grande partie du territoire du Darfour
aura un effet immédiat et dévastateur sur les populations. »
Avec l'expulsion d'un nombre important d'acteurs humanitaires, des centaines de milliers de
personnes resteront sans l'aide indispensable à leurs besoins vitaux : soins médicaux,
nourriture, eau et sanitation. Des épidémies de méningite dans le camp de Kalma et à
Niertiti - où environ 130.000 personnes ont besoin d'être vaccinées en urgence - risquent de
ne pas être prises en charge.
Les trois sections MSF qui restent présentes au Darfour se sont engagées à poursuivre leur
assistance médicale dans les zones où elles travaillent actuellement. Toutefois, leur action
est loin d'être suffisante par rapport à l'ampleur des besoins au Darfour.
« Même si la possibilité de fournir une assistance humanitaire indépendante au Darfour s'est
considérablement réduite ces dernières années, les décisions du gouvernement du Soudan
prises cette semaine ne font qu'aggraver le sort des populations déplacées et résidentes,
ajoute le Dr Christophe Fournier. Les populations et les acteurs humanitaires sont prises au
piège de considérations politiques, ce qui est inacceptable. »
MSF réaffirme avec fermeté que l'organisation est indépendante de la Cour Pénale
Internationale, ne coopère pas avec elle ni ne lui fournit d'informations.
MSF travaille au Soudan depuis 1979 et au Darfour depuis 2003. MSF a été expulsée de
5 lieux de l'Ouest et du Sud Darfour - Feina au Jebel Marra, Kalma, Muhajariya, Niertiti
and Zalingei- où elle fournissait jusqu'alors une aide médicale vitale grâce à 42
volontaires internationaux et 868 Soudanais. Les équipes MSF toujours présentes au Darfour poursuivent leurs activités à Golo et Killin
dans l'Ouest Darfour, et à Kebkabiya, Kaguro, Serif Umra, Shangil Tobaya et Tawila dans
le Nord Darfour. Avant l'expulsion, près d'une centaine de volontaires internationaux et
1.625 Soudanais ont travaillé sans relâche pour délivrer des soins médicaux à des centaines
de milliers de personnes au Darfour.
Communiqué
Date 22 avril 2009
Lien
http://www.msf.fr/2009/04/22/1289/darfour-msf-denonce-les-conditions-de-son-
expulsion-et-explique-les-raisons-de-son-silence/
Texte
Darfour : MSF dénonce les conditions de son expulsion et explique les raisons
de son silence Les sections française et hollandaise de Médecins Sans Frontières tiennent à dénoncer la
procédure d‟expulsion à laquelle elles ont été soumise par les autorités soudanaises depuis le
4 mars 2009, date de l‟émission du mandat d‟arrêt contre M. Omar El Béchir, président du
Soudan.
Paris - Amsterdam / 22 avril 2009. L‟émission de ce mandat a été immédiatement suivie
par l‟expulsion ou la dissolution de seize ONG présentes au Darfour, assurant jusqu‟alors
près de 40 % de l‟aide humanitaire dans la région. A présent, l’aide risque d’être
davantage octroyée en fonction d’agendas politiques qu’à partir d’une évaluation
indépendante menée en fonction des observations de terrain.
Pour justifier cette expulsion, les autorités soudanaises ont accusé les sections expulsées de
MSF de collaboration avec la Cour pénale internationale et ont mené une campagne de
propagande autour d‟une rhétorique anti-occidentale dont les ONG seraient les
représentants. Les allégations diffusées par la presse ont créé un climat d‟hostilité,
98
accentuant les risques encourus par les acteurs de secours au Darfour.
Les enlèvements de personnels humanitaires commis au cours de ce dernier mois en
témoignent. MSF n‟a pas été épargnée par cette campagne de dénigrement. Au-delà de
l’enlèvement de quatre volontaires de la section belge de MSF libérés trois jours plus
tard, l‟organisation a par exemple été accusée d‟utiliser des médicaments périmés,
discréditant ainsi la qualité de ses activités médicales.
Immédiatement après l‟ordre d‟expulsion, la sécurité nationale soudanaise s’est
appropriée l’ensemble des biens et servie de véhicules et de matériel d’identification
MSF. Les actifs matériels et financiers de MSF ont par ailleurs été saisis par les autorités,
pour un montant estimé à 1 million d‟euros pour chaque section. Deux semaines après
l‟annonce de l‟expulsion, un décret ministériel a été promulgué, nous obligeant à payer un
montant équivalent à six mois de salaire à l’ensemble de nos personnels, en supplément
à ce que stipulait jusqu’alors le droit du travail soudanais. L’organisation n‟a eu d‟autre
choix que de s‟acquitter de cette somme : les passeports de ses derniers expatriés étaient
détenus par les autorités, les empêchant ainsi de quitter le pays. De fait, ces manœuvres
administratives ont placé nos expatriés en situation d’otage, empêchant toute
communication pendant les six dernières semaines.
Aujourd’hui, les possibilités d’intervention au Darfour pour une organisation
indépendante de toute considération politique sont plus que jamais questionnées. MSF
reste cependant prête à se mobiliser pour fournir une assistance d‟urgence si les conditions
d‟intervention de manière neutre, indépendante et impartiale sont à nouveau réunies.
MSF travaille au Soudan depuis 1978 et fournit une assistance vitale dans différentes
régions du Nord Soudan. Depuis 2003, MSF intervient au Darfour et a pratiqué plus de 3
millions de consultations, 60 000 hospitalisations, 10 000 accouchements ou encore 12 000
interventions chirurgicales. Aujourd’hui, six projets MSF sont toujours ouverts au Nord
Soudan, leur avenir restant suspendu aux conditions de sécurité et à une nette amélioration
des conditions d’interventions au Darfour.
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ANNEXE 4.E : COMMUNIQUÉS DE PRESSE – SAVE THE CHILDREN
ONG Save the children UK
Site Internet http://www.savethechildren.org.uk/
Communiqué
Date 5 mars 2009
Lien http://www.savethechildren.org.uk/en/41_7653.htm
Texte
Save the Children UK's statement on being asked to suspend operations in
Sudan Ken Caldwell, Save the Children UK‟s director of international operations, made a
statement on being asked to suspend Save the Children UK operations in Sudan.
Thursday 5 March 2009
"Save the Children UK has received a letter from the Sudanese authorities asking us to
suspend our operations in Sudan. This has very worrying implications for the 50,000
children we are currently supporting in Khartoum and the north-east of the country.
These are some of Sudan‟s most vulnerable children - many are living in camps having been
forced to flee their homes by the ongoing conflict.
"Save the Children UK is providing essential support to these children and their families,
helping to protect them from abuse, get them access to clean water and get them back into
school. We don‟t know what the outcome of these developments will be, but we do know
that if we are forced to stop our work the lives of thousands of children could be at risk."
Communiqué
Date 7 mars 2009
Lien http://www.savethechildren.org.uk/en/41_7671.htm
Texte
At least one million children at risk by Sudan aid suspension The safety and survival of a million Sudanese children is at grave risk, not only in Darfur
but across the whole of northern Sudan.
Saturday 7 March 2009
The suspension of aid agencies, including Save the Children, means children across the
country, including Darfur, are without access to lifesaving food, water and healthcare. Other
aid agencies were asked to suspend operations by the Sudanese authorities earlier this week.
When the reality of that suspension is calculated, it means over a million children will not
be receiving essential support.
“Save the Children and other agencies have been doing vital work in Sudan for decades,”
said Ken Caldwell, Save the Children's Director of International Operations. “When we are
suddenly asked to stop our work a huge number of people who rely on us are going to
suffer. We are deeply worried that we are not able to help the children who need us.”
Aid agencies currently provide basic services like providing clean water and sanitation.
Since having to suspend our work in northern Sudan it is unclear for how long local
communities will be able to maintain these essential services.
In Darfur many children have become separated from their families whilst fleeing the
fighting, or trying to find food or work. These children end up living on the streets and in
many areas are forcibly recruited as soldiers by the various fighting forces. Around
Khartoum, tens of thousands of people live in a camp constructed largely of bamboo and
cloth.
“Save the Children is working in Sudan for a reason and that reason is to provide life-saving
support for children,” said Ken Caldwell. “Their situation will only deteriorate until we can
get back to work.”
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ANNEXE 4.F : COMMUNIQUÉS DE PRESSE – SOLIDARITÉS
ONG Solidarités
Site Internet http://www.solidarites.org/
Communiqué
Date 5 mars
Lien http://www.solidarites.org/Actualites/Communiques.htm#050309
Texte
SOUDAN : SOLIDARITES est victime d’une mesure d’expulsion, de la part
des autorités soudanaises, qui a pour conséquence d’interrompre une aide
humanitaire vitale pour la population du Darfour.
SOLIDARITES s‟est vue notifier son expulsion par les autorités soudanaises mercredi 4
mars et ses bureaux ont été mis sous scellé, ses comptes en banque bloqués, et tout son
matériel saisi (véhicules, ordinateurs, foreuse…).
Cette décision concerne également une dizaine d‟ONG internationales qui représentent
environ 70% de l‟aide humanitaire, soit 1,5 million de personnes secourues, dans la région
du Darfour. Ces expulsions vont avoir des conséquences très graves pour les populations
dont la survie dépend de l’assistance internationale.
En effet, à partir de nos bases de Khartoum, Nyala, Muhadjeria, Seleah, Shaeria, Kutrum,
Nertiti, Golo, et El Daein, l‟équipe de SOLIDARITES au Darfour (42 expatriés et 320
soudanais) apporte une aide à 300.000 personnes en matière d‟accès à l‟eau potable et à
l‟assainissement, en produits alimentaires et de première nécessité. Ainsi, SOLIDARITES a
distribué en un an 480.507 rations alimentaires, soit 8 663 tonnes de nourriture au total.
SOLIDARITES rappelle avec force ses principes qui sont notamment l’impartialité des
secours déterminés par la seule urgence des besoins humanitaires des populations, et en
toute indépendance. En effet, et contrairement aux affirmations de certains médias
soudanais, nous n’avons aucune relation de travail avec la Cour Pénale Internationale.
Enfin, nous appelons les autorités soudanaises à assurer la sécurité des membres de notre
mission au Soudan, expatriés et Soudanais, et à réexaminer leur décision, afin de permettre
la poursuite de l‟aide humanitaire vitale pour les populations en danger.
Communiqué
Date 5 mai 2009
Lien http://www.solidarites.org/Actualites/Communiques.htm#050509
Texte
SOLIDARITES dénonce son expulsion du Darfour
SOLIDARITES réfute les allégations évoquées par les autorités soudanaises pour
justifier son expulsion du Darfour (non-respect des règles régissant l'aide humanitaire au
Soudan, mise en cause de la sécurité nationale et collaboration avec la Cour Pénale
Internationale). Par ailleurs, SOLIDARITES dénonce les conditions de son expulsion par
les autorités soudanaises, comme celle de 12 autres ONG internationales et de 3 ONG
soudanaises, et craint de graves conséquences pour les populations brusquement laissées
sans secours.
SOLIDARITES a été expulsée du Darfour le 4 mars dernier par les autorités soudanaises,
suite à la décision de la Cour Pénale Internationale d‟émettre un mandat d‟arrêt à l‟encontre
du président soudanais pour crimes de guerre et crimes contre l‟humanité au Darfour.
C‟est la population vulnérable du Darfour qui en sera la première victime, après l‟expulsion
de ces ONG qui représentaient environ la moitié de l‟aide internationale.
Nous rappelons que SOLIDARITES, présente au Darfour depuis 4 ans, avec 42 expatriés et
320 Soudanais, apportait une aide à 300.000 personnes, déplacés ou résidents, en matière
d‟eau potable et d‟assainissement, d‟aide alimentaire et de produits de première nécessité,
ainsi qu‟en soutien à l‟agriculture, l‟élevage et l‟éducation. Aujourd‟hui, nous sommes très
inquiets pour le sort de ces populations.
Nous voulons également dénoncer les conditions de notre expulsion : saisie de tous nos
biens pour une valeur de 1,37 million d‟euros, occupation de nos bureaux, trois personnes
de notre équipe ont été retenues durant plus d‟un mois, leurs passeports confisqués et elles
ont été menacées. Enfin, à la faveur d‟un décret unilatéral, SOLIDARITES s‟est vu imposer
le paiement d’indemnités 6 fois supérieures à la normale.
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Nous dénonçons l’instrumentalisation politique de l’aide humanitaire au Darfour.
SOLIDARITES intervient toujours activement dans cette région, au Sud Soudan, au Tchad et
en République Centrafricaine, et reste prête à y faire face à de nouvelles urgences. Nous
réaffirmons les principes d‟impartialité de l‟aide humanitaire, fondée exclusivement sur les
besoins vitaux des populations, et sur l‟indépendance.