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CROWDSOURCING ET DÉVELOPPEMENT D’UN ÉCOSYSTEME D’AFFAIRES : UNE ÉTUDE DE CAS Eric Schenk , Claude Guittard De Boeck Supérieur | « Innovations » 2016/1 n° 49 | pages 39 à 54 ISSN 1267-4982 ISBN 9782807390003 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-innovations-2016-1-page-39.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/03/2021 sur www.cairn.info via Université de Clermont (IP: 195.221.120.100) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 03/03/2021 sur www.cairn.info via Université de Clermont (IP: 195.221.120.100)

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CROWDSOURCING ET DÉVELOPPEMENT D’UN ÉCOSYSTEMED’AFFAIRES : UNE ÉTUDE DE CAS

Eric Schenk, Claude Guittard

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2016/1 n° 49 | pages 39 à 54 ISSN 1267-4982ISBN 9782807390003

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-innovations-2016-1-page-39.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

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n° 49 – innovations 2016/1 DOI: 10.3917/inno.049.0039 39

CROWDSOURCING ET DEVELOPPEMENT

D’UN ECOSYSTEME D’AFFAIRES :

UNE ETUDE DE CASEric SCHENK

BETA-CNRS, INSA de [email protected]

Claude GUITTARDBETA-CNRS, Université de Strasbourg

[email protected]

Depuis l’émergence du concept et sa popularisation par Howe (2008), le crowdsourcing (CS) a acquis une place particulière comme dispositif d’aide à l’innovation. Des plateformes comme InnoCentive affichent des résultats spectaculaires, tant en termes de nombre de participants que de taux de réussite1. L’engouement pour cette pratique induit un besoin de clarification du concept et a fait émerger des propositions de catégorisations (Brabham, 2012 ; Burger-Helmchen, Pénin, 2011 ; Estellés-Arolas, González-Ladrón-de-Guevara, 2012 ; Renault, 2014 ; Schenk, Guittard, 2011 ; 2012). Comme le soulignent Estellés-Arolas et González-Ladrón-de-Guevara (2012), c’est le caractère particulièrement flexible du CS qui permet sa déclinaison sous des formes diverses. Le CS permet l’accès à des connaissances externes à l’entreprise et il constitue donc un outil pour l’innovation ouverte dans sa dimension outside-in (Chesbrough, 2003 ; Pénin et al., 2013).

De toute évidence, l’innovation ne saurait reposer uniquement sur l’ac-cès à des ressources externes. Dans le paradigme de l’innovation ouverte (Chesbrough, 2003), l’innovation résulte d’un couplage entre processus outside-in et inside-out et les capacités internes. Ainsi l’innovation peut être appréhendée dans une logique de partenariats inter-entreprises ou d’écosys-tèmes d’affaires (Moore, 1993, 1996). Si la littérature s’est abondamment

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intéressée au CS dans un contexte d’innovation, l’accent est mis sur l’accès aux ressources externes (Brabham, 2008 ; Afuah, Tucci, 2012) et, dans une moindre mesure, sur les capacités d’absorption des connaissances générées par le CS (Lichtenthaler, Lichtenthaler, 2009 ; Pénin, Burger-Helmchen, 2012). En revanche, le rôle du CS concernant les partenariats d’innovation, notam-ment les écosystèmes d’affaires (ESA), n’a pas été traité par la littérature.

Cet article vise à combler ce « gap » dans la littérature, à travers la ques-tion de recherche suivante : Le CS peut-il servir à développer un ESA, et si oui comment ? Afin d’expliciter le rôle du CS (comme mode d’accès à des connaissances externes) dans le développement d’un ESA (comme proces-sus d’innovation partenariale), il est nécessaire d’approfondir le lien entre connaissances et innovation. À cet égard, l’approche C-K (Le Masson et al., 2006) constitue selon nous une grille d’analyse pertinente.

La méthode employée est une étude de cas : l’entreprise Parkeon, spé-cialisée dans la conception et la fabrication de terminaux horodateurs, a mené en parallèle deux concours de crowdsourcing visant à faire émerger de nouvelles idées de services adossés aux horodateurs.

La suite de l’article est structurée comme suit : la section 1 propose une revue de littérature des théories mobilisées. La section 2 est consacrée à une présentation de la méthodologie employée et du cas. Enfin, une analyse du cas est proposée en section 3.

REVUE DE LITTERATURE

Le crowdsourcing

Le crowdsourcing, contraction des mots crowd (foule) et outsourcing (externalisation), est une variante du phénomène d’externalisation. Il peut se traduire par externalisation vers la foule ou externalisation ouverte (Lebraty, 2009). Ainsi le CS est une alternative à l’externalisation clas-sique auprès d’une autre entreprise et à la réalisation interne des activités (Ågerfalk, Fitzgerald, 2008). Une condition du développement du CS est l’existence d’un média (Internet) permettant d’atteindre la foule dans un contexte de dématérialisation (Brabham, 2012 ; Estellés-Arolas, González-Ladrón-de-Guevara, 2012 ; Pénin et al., 2013). Ainsi le CS concerne l’ex-ternalisation de tâches dématérialisées via Internet : créativité, résolution de problèmes complexes, production de contenu (Pénin, Burger-Helmchen, 2012). Le CS présente notamment un intérêt lorsque l’entreprise ne possède pas les compétences requises pour résoudre un problème particulier (Afuah, Tucci, 2012).

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La littérature distingue trois types de CS. Le CS de tâches simples (Schenk, Guittard, 2012) repose sur l’intégration d’un grand nombre de contributions individuelles à faible contenu cognitif (exemples : reCAPT-CHA, Mechanical Turk). Le CS est également utilisé dans le domaine créa-tif (Lebraty, 2009 ; Schenk, Guittard, 2011, 2012), par exemple à travers les plateformes Wilogo (création de logos et visuels graphiques) ou eYeka (concours créatifs).

Enfin, le CS peut être implémenté pour les activités de résolution de pro-blèmes complexes, que l’on trouve notamment sur la plateforme InnoCentive (Brabham, 2008 ; Lakhani, Jeppesen, 2007 ; Liotard, 2012). Le CS créatif et le CS de résolution de problèmes permettent l’acquisition de connaissances ou compétences nouvelles et relèvent ainsi de l’innovation ouverte dans sa dimension outside-in (Chesbrough, 2003 ; Pénin et al., 2013).

Les écosystèmes d’affaires

La notion d’écosystème d’affaires (ESA), née des travaux de James Moore au milieu des années 1990, s’appuie sur une analogie avec les écosystèmes en biologie. Ce concept permet de rendre compte du développement des relations interentreprises qui dépassent la coopération ponctuelle pour créer des liens profonds. Ainsi à partir des travaux pionniers de Moore, Torrès-Blay (2000) définit le concept d’ESA comme « une coalition hétérogène d’entreprises relevant de secteurs différents et formant une communauté stratégique d’intérêts ou de valeurs structurées en réseau autour d’un leader qui arrive à imposer ou à faire partager sa conception commerciale ou son standard technologique » (p. 246).

Ce concept d’ESA a largement été étudié ou utilisé par la littérature en Sciences de Gestion (Moore, 2006 ; Iansiti, Levien, 2004 ; Teece, 2007). La plupart des travaux francophones utilisent le concept d’ESA comme cadre conceptuel à une étude de cas (Attour, Ayerbe, 2012 ; Gueguen, Torrès, 2004 ; Loilier, Malherbe, 2012 ; Pellegrin-Boucher, Gueguen, 2005 ; Ronteau, 2009). Koenig (2012) propose quant à lui une analyse critique du concept et de son usage. De l’ensemble de ces travaux et de la définition présentée, il nous semble que deux éléments sont particulièrement fonda-mentaux : le standard technologique et le réseau.

L’apparition d’un standard technologique est à la fois la cause et la consé-quence de la création d’une plateforme caractéristique des ESA. Ainsi que le définit Koenig (2012), « L’agencement est contrôlé par un acteur qui met, selon des règles précisées ex ante, un actif clé à disposition d’autres acteurs, afin que ceux-ci puissent développer une activité propre » (p. 216). Moore (2006) insiste par ail-leurs sur le caractère ouvert et modulaire de cette plateforme. Le point initial d’un ESA est une entreprise leader qui propose une plateforme, mais ce projet

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ne peut conduire à un écosystème que s’il permet à d’autres de partager cette plateforme. Ainsi peut se créer le deuxième élément fondamental : le réseau.

La notion de réseau d’entreprises prend aujourd’hui une toute nouvelle importance, en particulier dans le domaine de l’innovation (Nooteboom, 2004). C’est ce que mettent très clairement en évidence Loilier et Malherbe (2012) dans leurs travaux sur la genèse des ESA. Ils font un rapprochement avec le concept plus récent d’innovation ouverte (Chesbrough, 2003) qui, bien que centré sur l’innovation, met aussi en évidence l’importance de l’ouverture et du réseau. En revenant, sur les travaux pionniers de Moore (1996), Loilier et Malherbe (2012) insistent sur les diverses phases du pro-cessus conduisant au développement d’un ESA. Leurs travaux ont pour ori-ginalité de s’intéresser à la phase de genèse d’un ESA en mobilisant les tra-vaux de Teece (2007) sur les capacités dynamiques.

Si la notion de capacité dynamique est au centre de l’émergence d’un d’ESA, le développement de ces écosystèmes est à rattacher au poids crois-sant du numérique (Gueguen, Torrès, 2004), qui favorise la modularité et l’ouverture des plateformes ESA. L’évolution d’un ESA possède pour l’entre-prise leader une dimension stratégique, et fait partie de sa stratégie d’inno-vation (Gawer, Cusumano, 2014). En particulier pour cette entreprise, la recherche de partenaires et d’activités nouvelles autour de la plateforme renvoie à la notion d’exploration au sens de March (1991). En effet l’enjeu n’est pas uniquement de sélectionner des partenaires ou activités complé-mentaires dans une base existante, mais aussi de faire émerger un réseau d’acteurs et d’activités nouvelles, ce qui implique l’acquisition de nouvelles connaissances.

Dans cet article, nous nous intéressons à un aspect particulier de l’inno-vation au sein d’un ESA : l’offre de services nouveaux. Cette question est étudiée par Attour et Ayerbe (2012) à travers une double grille de lecture : la théorie des ESA et la théorie C-K proposée par Le Masson et al. (2006).

La théorie C-K

La théorie C-K (Le Masson et al., 2006) s’inscrit dans la lignée des tra-vaux qui, depuis Simon (1969), cherchent à comprendre le processus de conception de produits ou de services nouveaux. Cette théorie représente l’activité de conception comme le couplage entre deux processus : l’expan-sion de l’espace des concepts (C) et l’expansion de l’espace des connais-sances (K). Les connaissances renvoient ici à des propositions qui possèdent un statut logique pour le concepteur (par exemple des règles scientifiques ou des standards techniques de conception). Pour Le Masson et al. (2006), le processus de conception commence lorsqu’une question qui nécessite des

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connaissances nouvelles est posée. Dans la terminologie C-K, cette question est appelée concept. Les concepts sont des propositions (ou des groupes de propositions) qui n’ont pas de statut logique dans l’espace des connaissances. Il s’agira par exemple de propositions créatives et d’idées dont la faisabilité n’est pas encore établie.

Le processus de conception a alors pour finalité l’implémentation du concept dans une solution réalisable. Pour cela, une acquisition de connais-sances est nécessaire, ainsi qu’une éventuelle adaptation du concept initial. Appliqué à l’émergence d’un nouveau service, l’espace des concepts renvoie à l’ensemble des prestations offertes (Attour, Ayerbe, 2012). Par ailleurs, l’espace des connaissances renvoie aux dimensions de front office/back office, à la gestion de la relation avec les utilisateurs et au modèle économique de financement du service (Lenfle, 2005).

Le rôle du crowdsourcing dans l’émergence de services nouveaux au sein d’un ESA peut s’exercer de deux manières. Le CS de résolution de problèmes complexes vise à lever les verrous scientifiques et techniques présents dans le processus d’innovation, notamment par l’expansion de l’espace des connais-sances (K). D’autre part, le CS créatif est lié à la production de nouvelles idées, donc indirectement de concepts (C). Il nous semble alors qu’une lec-ture du CS à la lumière de la théorie C-K est utile pour mieux comprendre le rôle du CS dans le développement d’un ESA.

L’ETUDE DE CAS

Méthodologie

Le choix d’une étude de cas (Yin, 2009) pour notre recherche s’explique de deux manières. D’une part, notre travail se veut exploratoire et dans une approche constructiviste (Thiétart, 2014), nous cherchons à travers l’analyse détaillée d’un phénomène, à inférer des éléments afin d’enrichir les théories existantes. D’autre part entre novembre 2013 et décembre 2014, nous avons été en mesure de récolter des données primaires et secondaires (tableau 1) concernant l’entreprise Parkeon, membre du pôle de compétitivité Véhicule du Futur (VdF), qui a mis en œuvre de manière parallèle deux démarches de CS. Remarquons que les données secondaires recueillies sont des données internes produites par les partenaires durant le projet.

Des entretiens semi-directifs ont été réalisés en suivant trois guides. Le premier, à visée exploratoire, avait pour but d’identifier les acteurs, leurs relations, la démarche menée ainsi que les résultats généraux (source 1, tableau 1). Le deuxième, à visée d’approfondissement, avait pour but de

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comprendre les détails des processus mis en œuvre par Parkeon, à la fois du point de vue interne et du point de vue de la relation avec les partenaires dans le projet (sources 2 et 3, tableau 1). Enfin, le dernier guide d’entretien avait pour but d’apporter des compléments et précisions sur certains points apparus dans l’analyse des premiers entretiens (source 4, tableau 1).

Pendant les entretiens l’un des auteurs posait les questions, tandis que l’autre auteur prenait des notes et posait des questions de précision. Notons que chaque interlocuteur a été interrogé deux fois pour validation de ses propos et apporter d’éventuelles précisions. Pour finir, une analyse théma-tique avec triangulation des sources primaires et secondaires nous a permis de construire une compréhension des processus de CS mis en œuvre. Notre travail a été présenté régulièrement pour validation à nos interlocuteurs (responsable du projet au sein de l’entreprise et interlocuteur au sein du pôle VdF). L’utilisation de différentes sources et les interactions régulières avec nos interlocuteurs renforcent la validité interne de notre recherche.

Tableau 1 – Sources primaires et secondaires

Sources primaires (ordre chronologique de recueil)

1. Un entretien téléphonique semi-directif d’une heure avec l’interlocuteur du projet au sein du pôle de compétitivité VdF.

2. Premier entretien téléphonique semi-directif d’une heure avec le porteur du projet au sein de l’entreprise.

3. Entretien face-à-face semi-directif d’une heure avec l’interlocuteur du projet au pôle de compétitivité VdF ainsi qu’un responsable de programmes au sein du pôle de compétitivité VdF.

4. Second entretien téléphonique semi-directif d’une heure avec le porteur du projet au sein de l’entreprise.

Sources secondaires

5. Documents de synthèse (« Contest analysis and lessons learnt ») produits par les partenaires à l’issue de la démarche de CS.

6. Internet : http://www.clustercrowd.ch/en/http://www.clustercrowd.ch/en/projects/Parkeon-Cluster-Contesthttps://clustercrowd.atizo.com/projects/ideas/2237/stellen-sie-sich-einen parkautomaten-vor-den-sie-m/http://cordis.europa.eu/projects/rcn/101331_en.htmlhttp://www.future-mobility.eu/http://www.parkeon.com/http://www.parking-net.com/parking-industry-blog/parkeon/parking-meterhttp://www.vehiculedufutur.com/http://www.vehiculedufutur.com/lettre/64/

Présentation du cas

Depuis 40 ans, l’entreprise Parkeon s’est spécialisée dans la conception et la fabrication de terminaux de paiement de titres de transports et de

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terminaux horodateurs. L’entreprise emploie plus de mille salariés à travers le monde et a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 185 millions d’Euros (dont 85 % à l’exportation) avec plus de 200 000 horodateurs installés à tra-vers le monde et notamment dans des métropoles comme New York, Paris, Madrid. Ainsi Parkeon est un des leaders dans son secteur.

Les terminaux horodateurs comme plateforme d’ESA

L’horodateur Parkeon est un système numérique et modulaire (Baldwin, Clark, 2000), susceptible d’évoluer afin d’intégrer des technologies plus ou moins récentes : clavier, écran tactile, lecteur de carte à puce, puce NFC, connexion Internet, etc.

Par leur fonctionnalité première, les horodateurs se trouvent au centre d’un ESA qui regroupe l’opérateur de gestion des stationnements (qui peut être un organisme public ou privé) et les prestataires de solutions de paiement (banques et autres intermédiaires de paiement). Cet écosystème est amené à se développer, par exemple avec l’émergence des solutions de paiement sans contact. Plus généralement les technologies intégrées dans les horodateurs peuvent permettre d’offrir des services nouveaux, base de l’émergence des smart cities. (Komninos et al., 2013). Ainsi l’une des orien-tations stratégiques de Parkeon est d’ouvrir sa plateforme pour y intégrer de nouveaux prestataires de services (Figure 1).

Figure 1 – L’horodateur comme plateforme d’ESA

Source : Parkeon

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L’évolution de l’ESA autour de la plateforme horodateur soulève plusieurs questions pour Parkeon : quels services faut-il adosser à l’ESA ? Quels sont les prestataires éventuels ? En 2013, l’entreprise Parkeon a mis en œuvre deux concours de CS visant à répondre à ces questions.

Le projet Parkeon Pulse your City

Le projet Parkeon Pulse your City est le résultat d’une convergence d’in-térêts entre différents acteurs. D’un côté, les représentants du projet euro-péen ELMOs (ELectroMObility solutions for cities and regions2) : Pôle de compétitivité VdF, Atizo, Mundi, cluster TIC de Berne. D’un autre côté, l’entreprise Parkeon à la recherche de concepts de services pouvant être implémentés à travers leurs horodateurs. Ainsi le projet Parkeon Pulse your City avait pour objet d’organiser une compétition ouverte au grand public pour imaginer de nouveaux services associés aux horodateurs de la société. En effet, les technologies embarquées dans les horodateurs (Figure 1) per-mettent l’intégration de nouveaux services TIC : effectuer un paiement, imprimer un ticket ou un coupon, consulter et renseigner des informations via Internet, ou encore contrôler d’autres objets physiques.

Le projet Parkeon Pulse your City a été réellement lancé en avril 2013, avec deux concours de CS distincts.

– Un premier concours, en direction du grand public (General Public competition), a été diffusé sur la plateforme Atizo3. La durée totale de ce projet était de 5 mois incluant la préparation, le concours à proprement parler (4 semaines) et la sélection des vainqueurs. Les attentes à l’égard des participants étaient exprimées de manière générale : « Imaginez un horodateur que vous aimez - Si l’on transforme un horodateur en kiosque inte-ractif, de quels applications ou services devrait-il disposer ? ». La somme totale versée par Parkeon aux vainqueurs s’est élevée à 2000 Euros. Concernant le rapport contractuel entre les contributeurs et Parkeon, les conditions générales d’utilisation (CGU) d’Atizo ont été appliquées.

– Un second concours, visant a priori les professionnels du secteur des TIC (ICT cluster competition), a été diffusé via la plateforme Clustercrowd gérée par Mundi consulting, avec une durée totale prévue de 9 mois. Ce concours fonctionne bien selon le modèle du CS au sens de Lebraty (2009). En effet il s’agit d’une externalisation ouverte sans restriction a priori quant à la nature des participants. Mais le niveau de technicité demandé et sa conception le réservait de facto aux prestataires de services

2. Projet avec un budget total de 2,2 millions d’Euros sur la période 2011-2014, cofinancé par le 7e PCRD de l’Union Européenne.3. Ce concours a été également relayé sur la plateforme Clustercrowd gérée par Mundi consulting.

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TIC. Il s’agit ainsi d’une forme de CS « dégradé », à la frontière entre le CS « pur » et l’appel à partenariats, mais gardant une caractéristique fon-damentale du CS : open call via Internet, à visée exploratoire. Le concours devait se dérouler en trois phases : une première phase ouverte à tout prestataire de service TIC, une seconde phase de développement de concept, et une dernière phase où entre 3 et 8 finalistes devaient présen-ter leurs idées devant un jury lors de la semaine européenne de la mobi-lité. Dans la première phase, les attentes à l’égard des participants étaient les suivantes : description courte avec explication de 1000 caractères, description du modèle d’affaires, et présentation de trois visuels (inter-face graphique, scénario utilisateur). Concernant les aspects de propriété intellectuelle et de confidentialité, des conditions générales d’utilisation ad hoc ont été développées par les partenaires du projet.L’évaluation a posteriori des deux concours est sans appel : avec 479 idées

proposées et 17 idées récompensées réparties entre 13 participants, le projet grand public est considéré comme un « vrai succès », alors que le projet à l’attention des prestataires TIC a été un échec puisqu’aucune proposition n’a été reçue. À l’issue de ce projet, un questionnaire a été envoyé par le porteur de projet à des répondants potentiels afin d’expliquer l’absence de participa-tion au concours. 41 réponses ont été recueillies, révélant des causes variées de non-participation : projet non-pertinent pour l’entreprise prestataire, conditions générales trop complexes, délai trop court, etc.

Le tableau 2 reprend les principaux éléments qui différencient le concours grand public et le concours dédié aux prestataires TIC.

Tableau 2 – Les concours du projet Parkeon Pulse your City

Concours grand public Concours prestataires TIC

Public visé Tout public Prestataires de services dans le domaine des TIC

Production attendue Idées générales – 3 lignes maximum

Description détaillée du service, incluant le modèle économique et des visuels

Rétribution des participants

2000 Euros partagés entre les vainqueurs

Vainqueur : implémentation commerciale du service Finalistes : présentation lors de la semaine de la mobilité

Diffusion Plateforme généraliste Atizo Plateforme propriétaire Clustercrowd

Nombre d’idées proposées 479 propositions – 17 idées récompensées

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ANALYSE ET DISCUSSION

Le CS au service du développement d’un ESA

Comme nous l’avons souligné précédemment, les horodateurs consti-tuent la plateforme d’un écosystème qui comprend les acteurs de la gestion du stationnement et divers prestataires de services (services TIC, monétique, commerces de proximité, etc.). Les technologies embarquées au sein des horodateurs et leur connectivité croissante (Web, objets physiques) ouvrent des perspectives quasiment illimitées pour l’innovation de services au sein de cet ESA. La littérature portant sur les ESA souligne l’importance de la modularité de la plateforme comme facteur de succès de ces écosystèmes. Comme nous l’avons rappelé dans la première partie, l’existence d’un réseau d’entreprises partenaires est le deuxième attribut qui caractérise un ESA.

Le cas étudié s’inscrit dans cette logique, puisque l’entreprise cherche à ouvrir sa plateforme à des prestataires de services numériques afin de créer ce réseau. Les deux projets mis en œuvre par Parkeon visent à faire émerger des idées de services adossés aux horodateurs et à identifier des partenaires. Ces concours constituent donc la première phase du développement d’un réseau de partenaires constitutif d’un ESA. Il est à noter que le deuxième concours de CS, qui avait directement vocation à chercher des partenaires autour de la plateforme de l’horodateur, a été un échec et n’a donc pas rempli le rôle souhaité. Le premier concours avait des ambitions plus limitées (faire émerger de nouvelles idées). Son succès a été le facteur déclencheur d’une démarche de recherche de partenaires, contribuant ainsi à l’évolution du réseau constitutif de l’ESA.

Afin de répondre à notre question de recherche (le CS peut-il servir à développer un ESA ?), nous proposons une lecture des concours organisés par Parkeon à la lumière des typologies de CS et de la théorie C-K.

Les cas Parkeon : mise en pratique de deux types de CS

Une première étape de notre analyse consiste à comparer ces deux concours au regard de la nature des compétences mobilisées par les partici-pants (compétence créative vs. compétence d’ingénierie). Pour le concours grand public, l’expression succincte d’idées nouvelles mobilise des connais-sances expérientielles d’usage associées à l’aptitude créative des individus (Amabile, 1988). La nature générique de ces compétences se traduit par l’existence d’une base importante de répondants potentiels. S’agissant de la génération d’idées créatives (idéation), la question ne se pose pas en termes de complexité de la connaissance ou de son caractère tacite. L’idéation est

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associée à l’expérience personnelle et aux besoins individuels des utilisa-teurs. Le concours grand public est un exemple de CS créatif tel que nous l’avons présenté.

Pour le concours prestataire TIC, la demande exprimée par Parkeon concernait les conditions d’une future implémentation (description détail-lée du concept, modèle d’affaires, visuel utilisateur). La participation au concours implique une capacité d’idéation (proposer un nouveau concept), mais également la mobilisation des compétences en ingénierie de la presta-tion de services TIC (Lenfle, 2005). Ce concours de CS constitue donc une forme hybride entre le CS créatif et le CS de résolution de problèmes, centré sur les compétences d’ingénierie.

D’un côté, le concours grand public répond aux critères qui condi-tionnent le succès d’une démarche de CS (Afuah, Tucci, 2012) : foule de taille importante, plateforme de CS généraliste relativement connue, inves-tissement faible pour les contributeurs, contributions facilement évaluables. D’un autre côté, le concours destiné aux prestataires de services TIC se trouve à la frontière entre une démarche de CS et un appel à partenariats. Bien qu’étant ouvert à un nombre théoriquement important de contribu-teurs, ce concours n’a pas su attirer de contributeurs. Cet échec s’explique par la plus faible audience d’un tel concours liée à la plateforme propriétaire ainsi que par une problématique de timing. Au-delà de ces observations, une lecture par la théorie C-K permet de mieux comprendre la place du CS pour le développement d’un ESA.

Apport de la théorie C-K

Le CS semble particulièrement indiqué pour soutenir l’expansion des espaces des concepts et des connaissances nécessaires à l’innovation dans les services (Attour, Ayerbe, 2012 ; Lenfle, 2005).

Le concours grand public est considéré comme un succès dans la mesure où les récompenses prévues ont été attribuées pour des idées de services nou-veaux. La mise en œuvre d’une idée de service proposée lors du concours, l’offre de coupons commerciaux via les horodateurs, est d’ailleurs un projet en cours chez Parkeon. Ce concours contribue donc à l’innovation dans les ser-vices proposés sur la plateforme et à la création d’un réseau d’entreprises par-tenaires. Paradoxalement, si ce concours a permis l’émergence de concepts nouveaux utiles pour l’évolution de l’ESA, il n’a pas fourni à Parkeon les connaissances nécessaires pour leur mise en œuvre. Pour reprendre la ter-minologie proposée dans le cade de la théorie C-K, ce concours a généré un accroissement dans l’espace des concepts. Mais la mise en œuvre des idées de services nécessite une étape d’acquisition de connaissances (par exemple

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recherche et sélection des partenaires éventuels, évaluation des projets), qui est partiellement déconnectée du concours. En d’autres termes le CS est un succès, mais l’implémentation de ses résultats requiert un accroissement des connaissances pour Parkeon. La pertinence du CS se situe donc très en amont dans la dynamique d’évolution de l’ESA : l’identification de concepts nouveaux.

Au regard de ses caractéristiques, le concours prestataires TIC s’apparente à un appel à partenariats ayant pour vocation d’identifier des idées nou-velles ainsi que des prestataires potentiels. Le projet devait faire émerger des concepts, mais également des études technico-économiques, des études de marché et un « prototype » de concept. Ainsi ce concours avait aussi pour ambition d’assurer une partie du processus d’apprentissage. En indui-sant une expansion de l’espace des concepts mais également de l’espace des connaissances, le bénéfice de ce concours était donc potentiellement plus élevé pour Parkeon, puisqu’il aurait permis de créer directement le réseau de partenaires au sein de L’ESA. Ces éléments d’analyse sont repris dans le tableau 3.

Tableau 3 – Connaissances et concepts dans les concours Parkeon

Concours grand public Concours prestataires TIC

Livrable attendu Idées simples : briques élémentaires

Projet de service nouveau : module complet

Expansion de l’espace des concepts

Oui Oui

Expansion de l’espace des connaissances

Non Oui

Le CS au service du développement d’un ESA

Nous interprétons le succès comparé des deux concours comme le résultat de deux phénomènes. Par sa nature, le CS est plus adapté à la production de briques de connaissances (modules, tâches, idées créatives) qu’à la conception de systèmes de connaissances (Afuah, Tucci, 2012 ; Pénin, Burger-Helmchen, 2012 ; Schenk, Guittard, 2011, 2012). Par ailleurs, la dynamique des ESA repose en grande partie sur les notions de modularité et de réseau. En sol-licitant une multitude d’individus pour la production d’idées de concepts, le concours grand public répond à la fois à un critère de base du CS et à un facteur d’évolution de l’ESA. En effet les idées de concepts constituent des « briques élémentaires » de connaissance qui ne sont que les premiers élé-ments dans un projet d’implémentation d’un service nouveau.

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Le concours prestataires TIC avait quant à lui pour ambition de faire émerger des solutions « clés en main » pour Parkeon, en proposant à la fois des idées nouvelles, mais aussi des partenaires et leur mise en œuvre concrète sur la plateforme horodateur. Au regard de la littérature, l’échec de ce concours de CS n’est pas tout à fait surprenant. En outre ce concours, visant de facto un cercle restreint de prestataires TIC, il ne s’appuie pas sur la force de la foule au sens large tel que développé dans les travaux de Surowiecki (2005).

Le cas Parkeon nous informe quant au rôle du CS comme support à l’in-novation de services dans un ESA autour d’une plateforme TIC. Il s’avère que l’ouverture et la modularité sont à la fois facteurs de succès pour une démarche de CS et déterminants de l’évolution d’un ESA. De plus, le cas Parkeon confirme et complète deux résultats concernant l’innovation de services dans les ESA (Attour, Ayerbe, 2012). Le premier concerne la place de l’usager dans l’évolution d’un ESA. Le CS s’inscrit dans cette logique puisqu’il permet aux utilisateurs potentiels d’exprimer leurs besoins et sou-haits. Le second concerne le rôle de l’entreprise leader dans l’évolution de l’ESA. Si Parkeon possède une place privilégiée au sein de l’ESA du fait de sa maîtrise des technologies liées à l’horodateur, elle joue également un rôle moteur dans l’émergence de nouveaux services. Le CS facilite ce rôle dans la mesure où l’interaction avec les contributeurs est externalisée vers un site de crowdsourcing (Atizo dans ce cas) selon des modalités relativement standardisées.

CONCLUSION

Par une étude de cas, nous avons cherché à comprendre si le crowdsourcing peut contribuer à l’évolution d’un écosystème d’affaires basé sur des horoda-teurs modulaires, numériques et connectés, et selon quels mécanismes. La théorie C-K a été mobilisée afin de répondre à cette question.

En 2013, l’entreprise Parkeon a mis en place deux concours de CS. Outre la créativité, les compétences mobilisées pour la participation à ces deux concours étaient sensiblement différentes : compétences d’usager pour le concours grand public et compétences métier pour le concours presta-taires TIC. La lecture du cas à la lumière de la théorie C-K est éclairante : le concours grand public, considéré comme un succès, est associé à l’émergence de nouveaux concepts. La mise en œuvre des concepts issus de ce concours impose l’acquisition de connaissances, ce qui renvoie au problème de la valorisation des connaissances acquises par le CS. Le concours prestataires TIC, qui devait apporter conjointement des concepts et des connaissances,

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est indéniablement un échec. Ainsi dans le cas étudié, le CS contribue à la phase amont du développement d’un ESA à travers l’exploration de concepts nouveaux. En revanche, l’expansion conjointe de l’espace des connaissances et de l’espace des concepts à travers le CS a été un échec.

L’évolution de l’ESA possède une dimension stratégique pour l’entreprise leader et fait partie de sa stratégie d’innovation. Étant à l’origine du proces-sus de CS, l’entreprise leader a un rôle moteur dans l’évolution de l’ESA. La mise en œuvre du CS pour l’identification de nouveaux services et de partenaires potentiels est un moyen pour Parkeon d’asseoir sa position de leader. Le cas met également en avant la convergence entre certaines condi-tions de succès du CS et les facteurs d’évolution d’un ESA : l’ouverture et la modularité. Enfin, il souligne le rôle des usagers qui deviennent providers de nouveaux concepts de services.

Si le CS est une source potentielle de valeur pour l’entreprise, les démarches ne sont pas toujours couronnées de succès. La mise en œuvre d’un projet CS nécessite au préalable une connaissance des ressources internes (compétences détenues) et externes (compétences de la foule) ainsi qu’un modèle d’articulation entre ces deux types de ressources. Le succès du concours de CS s’explique notamment par l’existence des compétences requises au sein de la foule et la capacité de Parkeon de les intégrer. Ce phé-nomène s’inscrit dans une vision stratégique de la connaissance. Le mana-gement de la connaissance est un facteur déterminant pour le succès de la démarche de CS. Etant au cœur du processus d’innovation, le management de la connaissance constitue un fondement des capacités dynamiques (Teece et al., 1997) de l’entreprise.

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