corps utopiques rabelaisiens
TRANSCRIPT
-
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
1/18
Armand Colin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toLittrature.
http://www.jstor.org
rmand Colin
LES CORPS UTOPIQUES RABELAISIENSAuthor(s): Louis MarinSource: Littrature, No. 21, LIEUX DE L'UTOPIE (FEVRIER 1976), pp. 35-51Published by: Armand ColinStable URL: http://www.jstor.org/stable/23801815
Accessed: 21-02-2016 02:03 UTC
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp
JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of contentin a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship.For more information about JSTOR, please contact [email protected].
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/http://www.jstor.org/publisher/armandcolinhttp://www.jstor.org/stable/23801815http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/stable/23801815http://www.jstor.org/publisher/armandcolinhttp://www.jstor.org/ -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
2/18
Louis
Marin,
the
Johns Hopkins
University.
LES
CORPS
UTOPIQUES
RABELAISIENS
Le texte que je propose aujourd'hui, comme un lieu utopique parmi
d'autres,
a
une
double
et intenable ambition : d'une
part, parler
de
l'utopie,
tenir un discours sur
des
textes
qu'il
est bien
difficile
de
classer
et
qui
semblent
chapper
une
typologie
des
genres que,
cependant,
ils
prsup
posent
1
;
d'autre
part,
montrer
que
ce discours
critique
sur
l'utopie
est un
discours
intenable,
non
qu'il
ne
puisse
tre tenu
il
est
toujours
possible
de
parler
et
d'crire
propos
d'un texte
mais si exact et si
rigoureux
qu'il
cherche
tre
et
peut-tre proportionnellement
son
exacti
tude
et
sa
rigueur,
ce discours
laisse
chapper
ou
plutt
neutralise
ce
que
le
geste
utopique indique,
moins de maintenir active et efficace la contra
diction insoutenable de cette double
fin dans
le
propos
mme
qui
le vise.
Autrement
dit,
en
proposant
nouveau
une
rflexion sur
l'utopie,
ce
n'est pas une simple application ou extension de l'tude que je lui ai consa
cre et
des thses
qui
la sous-tendaient2.
Il
s'agit
de son cart
;
sinon de
sa
critique,
entendue
ici-aujourd'hui,
moins comme l'instauration d'une
instance
judicatoire
qui
la mesurerait
l'aune
du vrai et
du
faux,
que
comme une
digression
ou le
dvoiement
des
trajets d'analyse
dj
parcourus.
Un
retour
l'utopie qui
est
aussi un d-tour de mon discours sur
l'utopie
: en
quoi,
d'ores et
dj,
ce
texte
ici-aujourd'hui
commence travailler.
Discours sur
l'utopie,
discours intenable : les
espaces
de
l'utopie, topo
graphique,
politique,
conomique...
jouent
au sens
o
l'on dit
que
les
pices
d'un
mcanisme,
que
les lments d'un
systme,
que
les
parties
d'une
totalit
jouent, qu'ils
ne
sont
pas parfaitement
ajusts, qu'il
y
a de
l'espace
vide entre ces
espaces
pleins
ou
qu'aussi
bien,
en certains
points,
le mca
nisme
se coince
par
excs. Le discours
tenu alors sur
l'utopie consiste,
par
la lecture construite
du
texte,
faire
cohrer les
espaces
signifis
par
1.
D'une
faon gnrale,
propos
du
genre utopique,
on
pourra
consulter
C. G.
Du
bois,
Problmes
de
l'utopie,
Archives
des
Lettres
Modernes,
n
85,
1968,
I,
Mnard,
Paris.
Voir
galement Regis
Messac,
Esquisse
d'une
chronobibliographie
des
Utopies,
Lausanne,
Club
Eutopia,
2962
(1962),
P.
Versins, Encyclopdie
de
l'Utopie,
des
voyages
extraordinaires
et de
la
science-fiction,
Lausanne,
1972
;
et
la mise au
point
de
R.
Trousson,
Utopie
et roman
utopique
in
Revue
des Scinces
humaines,
Lille
III,
n
155, 1974-3,
Il
se
produit
ici un clatement
du
genre
qui,
la
limite,
rendrait
toute
tude structure
impossible
(p.
368).
Sur les
problmes
thoriques
poss
par
la
notion
de
genre,
entre
autres,
G.-G.
Granger,
Essai
d'une
philosophie
du
style, Colin,
Paris,
1968, p.
191-216
et Claudio
Gillen,
Literature as
System,
Princeton, 1971, p.
107
159.
2. Dans
Utopiques, jeux
d'espaces, Minuit,
Coll.
Critique,
1973, p.
15-50 et
p.
249
256.
35
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
3/18
le texte
utopique,
en
remplissant
de
sa
propre
substance
signifiante
les
espaces
vides entre
eux
ou en
expliquant
les lieux textuels
o ils
s'impli
quent.
En dmontrant leurs
jeux,
en
les articulant
ou en les
expliquant,
le
discours sur
l'utopie
les interdit
par
son
propre
inter-dire.
Le
quasi-systme
de
la construction
utopique, par
lui,
devient un vrai
systme,
une totalit struc
ture
o,
justement,
il
n'y
a
plus
de
jeu.
Tout mon
propos
c'est
l la
double vise de ce
texte,
abruptement
formule
plus
haut
est de restituer
au
texte
utopique
son
jeu,
de le laisser
jouer,
et
pour
cela
de
dplacer
le
jeu
du
quasi-systme utopique,
de
ses
non-consquences,
de ses
incohrences
et de
ses
excs,
de ses
manques
et de ses
trop-pleins,
vers
la
simple
fantaisie,
vers la ludicit du
texte,
de
tirer de ce
jeu,
sans intention
ni
intrt
spcu
latif ou
pratique,
tous les
bnfices
du
plaisir
qu'il
offre,
pour
se
demander
ultrieurement
de
quoi
ce
plaisir
est
la
manifestation instantane3.
Il
s'agira
ici de
l'utopie
rabelaisienne,
de Thlme
donc,
par
une sorte
d'vidence
doxique
accepte
comme telle et aussi
d'un
chapitre
de la Vie
trs
Honorifique
du
grand Gargantua, pre
de
Pantagruel4
que par
un arbi
traire aussi calcul
qu'tait
simplement
accueillie l'vidence de
l'utopie
thl
mite,
nous lui
superposerons
:
accepter
Thlme
comme
reprsentation
utopique pour apercevoir
dans
cette
reprsentation,
la fiction
qui
la
produit
et
qu'elle
dtourne de son libre
jeu
dans
l'image,
y reprer
les
marques
de cette
fiction,
s'interroger
sur
ce
que
ces
marques indiquent
afin de faire
jouer
le texte
au
dtriment
de
la
reprsentation qu'il
signifie,
et
pour
dcou
vrir
qu'en
fin
de
compte,
le texte de
Rabelais
est,
avec
bonheur,
l'utopie
mme,
un immense
corps-de-jouissance.
Structure
Que
Thlme ait
bien des traits
caractristiques
du
genre
utopique,
structure dialogique des voix (Gargantua, Frre Jean), articulation par enca
drement
du
rcit et de la
description,
fondation
d'une institution
par
dli
mitation
d'un
lieu
et
construction
d'une
architecture
qui
l'organise
selon le
principe, pour
ne
pas
dire
le
mcanisme,
de l'inversion dans le
contraire
historique
et
social,
cela
relve
de
l'vidence
dont
je
viens de
parler.
Revenons sur ces diffrents
points
en
marquant
rapidement
la
structure
syntagmatique
du
passage
:
1)
Tout
d'abord une
nappe
narrative,
un
rcit articul en
deux
squen
ces.
Comment
Gargantua
fit btir
pour
le moine
l'abbaye
de Thlme
;
comment
fut
btie et
dote
l'abbaye
des Thlmites :
un dessein
architec
tural et
son
rsultat,
le rcit d'une
origine
et
l'occupation
de cet
espace
d'origine par
une
reprsentation.
Toutefois ces deux
squences
ont la carac
tristique
d'tre embotes l'une dans
l'autre. Le rcit du
projet
fonctionne
comme un
cadre
pour
la
description
de son
rsultat,
mais cet
encadrement
est brouill en ce
que
le
contenu des
chapitres
dborde ce
qu'indique
leur
titre,
le cadre narratif ne contient
pas
exactement
l'image
descriptive
:
celle-ci
est
dplace
;
ainsi,
le titre du
chapitre
52 n'en
nomme
que
la
premire
partie
puisque
la
deuxime
expose
quelques
lments de
la
rgle
de l'ordre de
Frre
Jean,
les
principes
de
l'institution
;
mmes
remarques
propos
du
3. J'ai
dvelopp
ces
remarques
dans
Le
Neutre,
le
jeu
:
temps
de
l'Utopie
in
Discours
de
l'Utopie,
coll.
10/18, Paris,
1976.
4.
Que je
citerai dans l'dition de
l'Intgrale,
le
Seuil,
Rabelais,
uvres
compltes,
tablie
par
G.
Demerson, Paris,
1973.
Sur les
utopies
la
Renaissance,
voir
E.
Dermen
ghem,
Thomas Morus et les
Utopistes
de la
Renaissance,
Paris, Pion,
1927 et les
Utopies
la
Renaissance, colloque international,
avril
1961,
Bruxelles,
PUB
et
Paris,
PUF, 1963.
36
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
4/18
chapitre
53
et
plus complexes
encore : les
moyens
de
la construction
(les
dotations
diverses)
sont
donns,
en
revanche,
son rcit
proprement
dit
est
absent :
nulle trace de l'dification
elle-mme.
Mais le rsultat de
ce
procs
est
longuement
dcrit et
de
ce
point
de
vue,
l'interruption
de la
description
par
le
pome
de
l'inscription
n'en est
point
vritablement
une
puisqu'elle
est
une
partie
du discours
qui
se
poursuit
dans les
chapitres
suivants. L'ins
cription
a
cependant
un certain
effet textuel de
rupture
:
aprs
elle,
l'abbaye
devient
manoir.
2)
Ensuite
une
nappe descriptive
dont la
premire
phase
dveloppe
la
description
amorce dans
le
rcit,
comment tait
le
manoir des Thl
mites
,
pour
se
poursuivre
dans celle des
vtements
des
religieux
et
reli
gieuses
de Thlme et celle des
rgles
informant leur existence
quotidienne.
Quant
l'nigme
en
forme de
prophtie,
il est
remarquable
qu'elle pointe
le
procs
de
construction
oubli
au
chapitre
53
puisque
c'est en
creusant
les fondements
qu'elle
fut
trouve
en
une
grande
lame
de bronze . Cette
deuxime
inscription
porte
bien un
rcit,
mais
comme
inscription,
elle fait
partie
de la
description
elle-mme.
Enfin
le
dialogue
final entre
Gargantua
et
Frre Jean
renvoie,
tout en le
dplaant,
au
dialogue inaugural
entre les
deux
protagonistes
o
ft
dcide
la cration
de l'ordre.
Le
Dsir-Loi
Ainsi dessine
trs
grands
traits,
la
structure
du texte
fait
apparatre
une
sorte d'rosion
gnralise
du rcit
par
la
prsence
insistante
de
l'image
que porte
la
description
: le dcor
passe
au
premier
plan
;
le rcit
encadre
l'image
mais il
l'encadre
de
faon
incertaine
puisque
la
reprsentation
a
constamment tendance
en sortir. Mais le rcit
inaugural
en est-il vraiment
un ?
Certes,
ses
points
d'ancrage
sont bien une srie de verbes au
pass
simple mais la plupart d'entre eux sont des verbes qui n'assertent pas un
fait ou
un vnement
mais
modifient
une assertion
: le rcit
porte
sur
la
modalit du
dsir ou du
vouloir. Aussi relve-t-il
en
fait moins
de
l'histoire
que
du
discours,
discours du dsir
et de la
loi,
parole performative qui
cre
l'espace
et
le
lieu,
l'institution
et
l'architecture
par
le
simple
fait de se
prof
rer,
mais
qui,
en
mme
temps,
est nonce dans le
constatif
historique
du
pass
narratif
: dsir d'un
seul,
Instituteur
de
la
loi,
loi d'un
dsir,
et
peut-tre,
en
fin de
compte,
cart entre
le dsir
et
la loi
que
le
nom
de
Thlme
7
porte
inscrit
en
lui-mme
puisque
la volont
de
Dieu
s'y
accorde,
sans
que
nulle
part,
ne soit vritablement
problmatise
l'aporie,
avec le dsir
de
l'homme.
Ainsi,
comme
souvent,
le nom de
l'Utopie
manifeste dans
son
unit savante
une scission.
Thlme,
ce n'est
ni la volont
divine ni le dsir
humain
et c'est
l'un
et
l'autre.
La
reprsentation
y
effectue
la
synthse
de
la loi
et du
dsir
dans l'cart
producteur
et de
la loi et du
dsir. Le
jeu
sur
le nom ouvre une
distance
que
la nomination
couvre
de son unit
profratoire
en faisant tre
ce
qu'elle
nomme.
5.
Cf.,
entre
autres,
Vtopiques, jeux
d'espaces,
p.
53-86 et
87-114.
6.
Cf.
E.
Benvniste,
Problmes
de
linguistique
gnrale,
II,
Gallimard,
Paris,
1974,
p.
187-189.
7. Sur
le
nom
Thlme,
voir
en
particulier
P.
Nykrog,
Thlme, Panurge
et la
dive
Bouteille
in
Revue
d'Histoire littraire
de
la
France,
juillet-septembre
1965,
n"
3,
p.
385-397
;
pour
une autre
rfrence
toponymique,
voir
n
1, p.
1
de
l'dition
de
l'Abbaye
de
Thlme
par
Raoul
Morcay,
Droz, Giard, Genve-Lille,
1949. Dans
le
mme
sens,
A.
Lefranc,
Les
Navigations
de
Pantagruel, Leclerc,
Paris,
1905,
p.
4-5.
On
retrou
vera
les
mmes
tensions
entre
la
gographie
et
l'tymologie
avec
le nom de
l'le
Utopie
chez
Th.
More. Cf.
nos
remarques
sur le
nom
propre
en
Utopie,
dans
Utopiques,
p. 115-131.
37
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
5/18
Or cette
mme
dualit,
nous
la retrouvons
tous les niveaux
discur
sifs
du
texte.
Le
principe
fondamental
de la
construction de
l'abbaye
est
celui
de
la contradiction : il
s'agit
d'instituer
un
ordre
contradictoire
de tous les
autres,
un
ordre
qui
est moins l'anti-ordre
que
le non-ordre
: moins un
contraire
qu'une
ngation
interne
l'acte de
parole
qui
simule,
dans
la
nomination,
la
sphre
indfinie
des
possibles
tangente
la ralit
historique
et
sociale
en cet
unique point qu'est
le
non/nom
8
. Le
premier
trait de la
nouvelle
institution
est
cela
ne
nous
surprendra pas
un trait
spatial
:
Premirement
donc,
dit
Gargantua,
il
n'y
faudra
j
btir murailles au
circuit
car toutes les autres
abbayes
sont
firement mres.
L'abbaye
possible
du Moine est
situe dans le
pays
de
Thlme : ce lieu est
dj
circonscription d'espace
par
un nom
qui
unifie et distancie
la fois volont
transcendante,
loi et
apptit
naturel,
impulsion,
dsir. Or ce lieu de
l'abbaye
est un lieu
non
clos,
ni ouvert
puisqu'il
est
dj
lieu,
lieu-dit
dans
un nom
qui
le
spcifie,
ni ferm non
plus puisqu'on
n'y
btira
point
de
murailles
au
circuit
,
pour
le
circonscrire
9.
On
pourrait
ritrer la mme
analyse pour
les autres
caractristiques
du nouvel
ordre.
Ainsi le
rglement
du
temps
dans
l'abbaye-manoir
ou
celui du recrutement des
pensionnaires
:
l'horaire
clt
le
temps
par
la
rptition,
retour
rgulier
du
mme
symbolis par
la sonne
rie de
la
cloche,
image
mobile de l'ternit
. Cette clture
de
Thlme
sera
neutralise,
non
pas par
cette mauvaise
a-temporalit,
mais
par
la distri
bution alatoire du contenu du
temps
selon les occasions et
opportunits
.
Toutefois,
l'intervention
de la voix de
Gargantua opre l'quivalence
entre
la libre
disposition
des activits selon les circonstances
et
les
rgles
dictes
par
bon sens
et
entendement, et,
du mme
coup,
le
fais ce
que
voudras
au
long
des heures et des
journes
reviendra
au
mme
:
Si
quelqu'un
ou
quelqu'une
disait :
*'
beuvons
",
tous buvaient
;
si
disaient
jouons
,
tous
jouaient...
De
mme
pour
la
sgrgation
sexuelle
ou les
vux. La
parole
de la
Loi-Dsir
(de)
Thlme,
par
le mcanisme
de la
contradiction,
dict la
rgle
de
la
non-rgle.
Mais celle-ci est une contradiction en elle
mme,
la contradiction de toute
utopie,
le
jeu
du double bind
par
o
le dsir
apparat
comme
toujours dj
li
et dtermin
10
:
l'utopie,
dans un
mme et
unique
geste,
ouvre
l'espace
neutre
(ou autre)
de l'cart entre le
oui et le
non,
le lieu de nulle
part
et le comble
par
une
image,
une
reprsen
tation o les contraires
pralablement
neutraliss sont rconcilis harmo
nieusement,
mais dans
l'imaginaire.
Mme dualit
au
niveau de l'nonciation et
de
ses
reprsentants
dans
le
texte
:
le
devis
de
l'abbaye
est le
fait
du Moine
:
Gargantua
voulait
(le)
faire
abb
de
Seuill... il lui voult donner
l'abbaye
de
Bourgueil...
Oultroyez-moi
de fonder
une
abbaye
mon
devis.
Or,
c'est
Gargantua
qui
promulgue,
dans un
geste
fondamental,
le
premier
dispositif
de
la
rgle
:
il
n'y
aura
pas
de murailles
;
il en est de mme
pour
le
rglement
du
temps
:
Car, disait Gargantua, la plus vraie perte du temps qu'il st tait de
compter
les heures.
Certes,
Gargantua
et
Frre Jean
dialoguent
mais c'est
Gargantua
qui parle,
dict,
promulgue,
ordonne,
dcrte,
frre
Jean se tait.
Ds
aprs
le don de la
terre et
du
lieu,
l'ambigut
de
ce faux
dialogue
8.
Les textes
philosophiques
fondamentaux
sont ici
Aristote,
De
l'Interprtation
16
a
2,
30
;
Kant
dans la
Critique
de la Raison
pure
sur
la
catgorie
de
la
ngation
et les
jugements
indfinis
(Analytique
transcendantale),
et
E.
H
Husserl,
Ideen,
3e
partie,
chapitre
x.
9.
Sur
le
fonctionnement
smantique
de la
catgorie
du
neutre,
A.
J.
Greimas,
Du
Sens,
Seuil,
Paris,
1970, p.
141-145.
10.
Sur
ce
point,
outre les
rfrences freudiennes
fondamentales
(Au-del
du
prin
cipe
de
Plaisir,
Le Moi et le
a,
etc.),
voir J.-F.
Lyotard,
Discours, Figure, Klincksieck,
Paris, 1971, et en particulier, p. 269-270 et 354.
38
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
6/18
apparat
au
principe
mme
de
la fondation
:
(Frre
Jean) requit
Gargantua
qui/
institut sa
religion
au contraire de toutes les autres.
A
qui
donc ce
il
se
rfre-t-il
?
Frre Jean
demande-t-il,
lui le
moine,
Gargantua
d'instituer
son ordre au contraire
de
tous
les autres
ou
requiert-il
de Gar
gantua
qu'il
institue,
lui
Gargantua,
sa
religion
l'inverse
des autres ? Plus
gnralement,
au-del de la connotation
juridique
et
lgale
des
impersonnels
ft
ordonn,
ft
dcrt
...
on
peut
se demander
qui
est le
sujet
instau
rateur
des lois ?
Qui
est
le
nomothte
?
Est-ce
la
parole
du Prince Donateur
dans
l'impersonnalit
du
Soi de l'Etat
?
Sont-ce
Gargantua
et
Frre
Jean,
l'impersonnel
rfrant
aux
ils
des
compagnons
d'armes,
suzerain et
vassal ? N'est-ce
pas
plutt, hypothse
scandaleuse,
ni
frre
Jean
ni
Gargan
tua,
mais
Thlma,
le
Dsir-Loi
qui
se manifeste
ainsi
dans
la dualit du
dialogue
et
qui
y
trouve,
quivoquement,
l'expansion
de son cart et
de sa
synthse.
Jeu
de mots
Toutefois,
voici
plus
surprenant
encore
: il
n'est
pas
tout
fait
vrai
que
Frre Jean se taise
aprs
la demande initiale.
En
fait,
il intervient
deux
fois.
Il
coupe
par
deux
fois le
discours fondateur
par
lequel
la Loi se
promul
gue
et
le
Dsir
s'accomplit
(dans
la
Loi,
dsir
;
dans le
Dsir, loi).
Deux
coupures incongrues, impertinentes,
intempestives
et
cependant
dans les deux
occurrences,
les
coupures
sont
prsentes
comme
justifiant
les noncs
de la
voix du Destinateur-Narrateur
:
Voire
dit le Moine et
non sans
cause...
A
propos,
dit
le Moine...
Elles
lgitiment
les
deux
lois de la
non
constitution
de
l'abbaye,
celle
de
la
non-clture
(ou
le
non-contenant)
et celle
du
non-contenu
(les
femmes admises
y
seront des
non-religieuses).
Or
ces
deux
justifications
sont des
calembours,
des
jeux
de mots.
Le
jeu,
le
jeu
du
signi
fiant littralement fonde le discours du signifi dans sa cohrence et son
intelligibilit,
tout en
l'interrompant
: inversion
qui opre
dans
le texte
mme,
dans son
organisation
signifiante,
le
principe
de
constitution de
ce
dont
le texte
parle,
la cration d'une nouvelle
religion
par
les
contra
dictoires de celles
dj
existantes.
Le
premier
de
ces
jeux
de mots
est
peut
tre
le
plus
parfait
et
le
plus
simple
dans sa force
disruptive-fondatrice
:
O
mur
y
a
et d'avant et
derrire,
y
a force
murmur.
Le calembour
se
constitue en
dcrivant sa
propre
organisation
littrale
et
graphique
et
constitue
du mme
coup
le
signifi
je
veux
dire le mot faisant
sens
justifiant
la
premire
non-loi dicte
par
Gargantua.
Mur devant
,
voil la
syllabe qui
vient
avant
;
mur
derrire
,
voici la
seconde,
double
mur
qui
enclt dans sa relation
phoniquement
circulaire
(les
murailles
au
circuit)
un silence de la voix, un blanc typographique, la conspiration (le souffle
commun,
con-spiration)
mue
et tue
la
fois,
en mouvement
l'un
vers
l'autre
et en
silence
:
dplacement
et condensation
des
signifiants
mur
(1)
et mur
(2)
qui,
par
mtonymie
et
mtaphore,
constituent
un mot rsultant
de
leur
compression
latrale
rciproque,
mot semblable ses
composants
puisqu'il
les
rpte
et
cependant
autre
qu'eux,
mlange
confus de
voix,
murmur
,
proprement
con-spiration
mue
et tue.
Ce
qui signifie
que
s'il
n'y
a
pas
de
mur au
circuit,
il
n'y
aura
pas
de
murmur
et
de
conspiration
mutue.
S'instau
rera
1'
autre
de
cette
conspiration,
l'accord
spontan
des
dsirs
dans
la
volont
droite,
c'est--dire
trs exactement
conspiration
mutue,
mutuelle.
Il
n'est
que
de
lire le dbut du
chapitre
57
comment
taient
rgls
les
Thl
mites leur
manire de
vivre
pour
s'en
convaincre.
Le
jeu
de
mots,
jeu
et
jeu littral , qui coupe le discours narratif du Dsir-Loi dans son nonc,
39
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
7/18
constitue en
fait
par
cette
coupure
mme,
le
texte
utopique
dans sa ralit de
texte.
Comment
? En introduisant
par
cette
coupure
dans
l'nonc,
le
plaisir,
en
l'rotisant
comme
texte,
le
temps
bref d'une
rplique
en
forme
de
jeu
". En
laissant
aller
le
signifiant,
dans son audition comme
dans son
criture,
sa
libert
propre,
la
signification
dtermine
par
sa relation
la
reprsentation
se
trouve la fois
coupe
et
substitue
et
en
fin de
compte
produite.
L'conomie
discursive
ainsi
ralise,
celle d'une
laborieuse
justification thorique
de
l'absence
de murs est
compense
et
substitue
par
une
dpense
libre
phonique
graphique,
mur/
mur,
celle-ci ralisant
mais
comme
texte,
comme
objet-texte
phmre,
ce
dont
le
discours n'en finit
pas
de
discourir
coups
d'dits,
de
dcrets,
de
pouvoirs.
Ainsi
Thlme
est-elle
indique
au lieu
du
texte :
l'utopie
est
dans le
jeu
et
le
plaisir
du
jeu signifiant.
Mais
elle ne
peut
se trouver l
qu'
une seule
condition :
qu'auparavant
la
reprsen
tation
dans
le discours
(narratif-descriptif)
ait laborieusement
occup
la scne.
L'utopie n'apparat
comme
plaisir
du
texte
que
si le texte s'instaure
par
dchirure,
coupure
:
jouissance
dans les
contiguts
du
discours
de la
repr
sentation
l2.
L'image
Utopie,
Thlme,
drape,
par
le
jeu
de
mots,
de sa
position
rfrentielle de
discours,
de sa situation d'nonc
pour
s'instaurer
mais
alors
l'image,
un
instant,
s'interrompt
comme
reprsentation
comme
plaisir
du
signifiant,
comme
texte
:
plaisir qui
est
comme
la rsolution
et l'acm
de
la
jouissance
de la
coupure.
Autrement
dit,
le
jeu
de mots du
Moine en
interrompant
par
deux
fois
l'dit de la
non-rgle,
le
discours
du
Dsir-Loi,
par
le
plus
futile
et le
plus
ridicule des
discours,
par
un
propos
qui
n'est
qu'un
jeu
et de
la
pire espce,
celui
du
calembour
vaut
par
cette
interruption
mme. Elle
est
la
marque
dans la linarit du
discours,
sa
surface
signifiante,
du
geste utopique
le
plus profond
:
le
mot
le
plus
lger pointe
le
plus
dense
qui
n'est
pas
parole.
Le
jeu
la surface
djoue
ce
que
nous
avons
appel
avec Bateson le
double bind
de
la
rgle-non-rgle.
D'o
cette
suggestion,
qui
n'est
point
un
concept, que l'utopie
est une
espce
de
principe
de
d-jeu qui
instantanment
,
en
un
point
de
l'espace
de
son
propre
discours,
en un moment de son
temps
linaire,
dlie l'ordre de
l'image,
l'ordre de
la
reprsentation
o le dsir se laisse
prendre
en
s'accom
plissant
: clair instantan du
mot
qui
est comme l'absolu de la non
synthse.
Dliaison de
la liaison
du dsir
dont l'effet de
lecture
du discours
utopique
est
d'incongruit,
d'incohrence,
je
dirai
en
pensant
Nietzsche,
d'intempestivit
: un
enjouement qui
djoue.
Car les deux
jeux
de
mots
du
Moine sont
la
fois
incongrus
et
cependant
en situation de discours :
partir
des
mots,
du
signifiant
libr
de
sa
congruence,
de
sa coalescence au
signifi,
la
non-clture
de Thlme se trouve
justifie
et
ralise comme
plaisir
du
texte
;
de
mme,
le loisir
heureux,
le non-travail
des Thlmites.
Reprsentation
:
le
gomtral
Il nous faut entrer
alors dans la
reprsentation
: comme nous l'avons
dj
remarqu,
le
point
de
jonction
entre
la narration
et
la
description,
le
rcit et
l'image
en
forme
discursive est un lieu
brouill,
incertain. L'nonc
initial de
la
description
est celui d'un
trac
totalisateur,
planimtrique
:
le
11. La
rfrence
essentielle
est
ici
bien
videmment
S.
Freud,
Le mot
d'esprit
dans
ses
rapports
a\ec
l'inconscient,
Gallimard,
Paris,
1953,
et en
particulier p.
138-147
et
p.
156-158.
12.
Dans
cette
perspective,
l'ouvrage
essentiel
sur Rabelais
est celui de J.
Paris,
Rabelais au
futur,
Seuil, Paris,
1970. Voir
galement
la belle
tude de F.
Rigolot,
Les
langages de Rabelais , dans Etudes rabelaisiennes, 1972.
40
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
8/18
gomtral
du
plan.
Or le verbe
qui
l'articule
obit au
temps
caractristique
du
rcit
pur,
temps
de l'vnement du
pass.
Le btiment
fut
en
figure
hexagone.
Le
problme gnral
de
la
description synoptique
est d'inscrire
une
image,
un
visible dans le lisible : la
linarit du
signifiant linguistique
n'implique-t-elle pas
la traverse de
l'espace
crit
par
un
parcours
temporel
de lecture
qui
dissout
l'ordre de
l'espace
dans celui
de la dure
et
du
temps.
Par
suite,
en
nonant
le
plan
global
ds
la
premire
phrase,
est dclench
par
le
processus
de mmorisation
nonciative,
une sorte de
feed
back
de
lecture
qui
permet
l'inscription,
dans
le
trac initial et
totalisant,
de tous
les
traits
successifs de
la
description
Ainsi
l'hexagone
de Thlme
est
dessin,
l'espace
cltur mentalement
par
une
ligne gomtrique que
renforce la simi
larit des tours.
Toutes
semblables,
seuls leurs
noms
diffrent mais tout
en
situant Thlme dans
le cosmos
gographique,
ils introduisent leur
tour,
un
mouvement
circulaire de clture et de centration. La carte de
l'abbaye
manoir se
dploie rgulirement
par application
systmatique
du
principe
de
symtrie
;
une
srie de
duplications par oppositions
binaires sont
gnres par
la rotation d'un axe tournant
autour
du
centre
:
nord-sud
;
est-ouest
;
masculin-fminin
;
eau-terre
; chaud-sec/froid-humide,
etc.
Thlme est un
paradigme
de
ville,
un centre
producteur,
un
omphalos
de structuralit
partir duquel
s'organise
l'espace
extrieur
spatio-gographique galement
spcifie par
les
jeux
du masculin et
du
fminin.
Dans la structure du
plan
entrent en
concurrence
deux formes de base
de
l'espace utopien
:
le
carr et
le cercle.
Les
axes
nord-sud,
est-ouest
dfi
nissent un carr
;
l'introduction
de
Bel-Air et de Glaciale cre
un
dsquilibre
qui peut
tre
compens
soit en
passant
une
structure
octogonale
soit en
dynamisant
le
plan
lui-mme
dynamique qui
est
celle de la
lecture
de
la
description
par
la rotation
rgulire
des divers axes
organisateurs
14.
Le
paradigme
du lieu architectural est matrice
de
l'espace.
Mais nous
constatons
que
seul un
demi-espace
est
gnr
par
la structure
profonde
du
manoir-abbaye
:
l'espace
occidental,
la
partie
fminine.
D'o ce
blanc
dans
une carte
cependant
bien
remplie,
cette terra
incognita
de
l'espace
masculin :
espace
de
l'agriculture
?
Gographie
du travail
?
Dans
l'difice
lui-mme,
nulle
part
ne se
trouvent
inscrits les lieux de
la
nourriture
: o sont
les cuisines
?
Les salles
manger
?
Absence
pour
le
moins
surprenante
chez
Rabelais.
Ainsi les
lieux
du
jeu
et de
la culture sont-ils
surdtermins,
ceux
du travail et de la
nourriture,
censurs
;
le
haut
est
magnifi,
le
bas
pass
sous silence1S. Cette exclusion du travail et de la nourriture
signifie
Thlme
en
son discours comme
espace
de loisir et
de
culture
(en
attendant de
voir la nourriture
sous toutes
ses
fonctions tre le
jeu
du texte
lui-mme).
13. A ce
sujet, Utopiques..., p.
76-82 et
p.
257-265.
14. Sur
le
plan
de
l'abbaye,
on
consultera la mise
au
point
par
A.
Blunt,
Philibert
de
l'Orme,
A.
Zwemmer, Londres,
1958,
p.
8-14,
avec les rfrences
Heulhard,
Rabe
lais et ses
voyages
en
Italie, Paris,
1891,
p.
5 et
surtout
C.
Lenormant,
Rabelais
et
l'architecture
de la
Renaissance,
Paris,
1840. Sur
les
questions gnrales
de l'urbanisme
utopique,
consulter R.
Klein,
la
Forme
et
l'Intelligible,
2e
partie, chap.
XIII,
p.
312,
Gallimard,
1970
et F.
Choay,
l'Urbanisme,
Utopies-ralits, Seuil, Paris,
1965.
De
F.
Choay galement,
l'article trs
suggestif
dans
la Nouvelle
Revue
de
Psychanalyse,
Le dehors
et
le dedans
,
n
9, 1974,
p.
239-251 et son article
dans
Critique,
avril
1973,
Figures
d'un discours mconnu
. Intressante
galement
dans une
bibliographie
im
mense,
la
chronique
de R. Le
Moll,
La ville idale
,
dans
Bibliothque
d'Humanisme
et de
Renaissance,
t.
XXXIII,
1971, Droz,
Genve.
15. Cf.
les
analyses
de M.
Baktine,
traduction
franaise
:
L'uvre de F.
Rabelais et
la
culture populaire au Moyen Age et la Renaissance, Gallimard, Paris, 1970.
41
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
9/18
Allgories
du
corps,
mutilations,
fantasmes
Au centre
de
ce
centre
qu'est
Thlme,
une
fontaine
orne des
Trois
Grces
portant
cornes d'abondance 1< . L'eau
en
jaillit par
les
mamelles,
bou
ches, oreilles,
yeux
et autres ouvertures
du
corps
.
Pudeur
tonnante,
mais
en
mme
temps
indication
ngative
: le
corps
de la ville
utopienne
est un
corps
sans assimilation
ni
excrtion,
corps
abstrait
asexu,
un
corps
non vivant.
La fontaine centrale
symbolise
bien
nourriture
et
production,
mais
elle n'en
est
que
l'allgorie,
comme le
plan
total
de Thlme
en est une
autre,
embl
matique
du
corps
humain,
mais d'un certain
corps
:
Pour
bien
ordonner
un
difice,
il faut avoir
gard
la
Proportion qui
est une chose
que
les
architectes
doivent
surtout observer
exactement...
car
jamais
un
btiment ne
pourra
tre bien ordonn s'il n'a cette
proportion
et
ce
rapport
et
si
toutes
les
parties
sont
l'gard
les
unes des autres ce
que
celle du
corps
d'un
homme
bien
form
(c'est
moi
qui
souligne)
sont
tant
compares
ensemble...
le
centre du
corps
est
naturellement au
nombril,
car si un
homme couch
(id.)
qui
a
les
pieds
et
les mains
tendus,
on met
le
centre d'un
compas
au
nombril et
qu'on
dcrive un
cercle,
il
touchera
l'extrmit des
doigts
des
mains et des
pieds.
Et comme le
corps
ainsi tendu a
rapport
un
cercle,
on trouvera
qu'il
est
de
mme
un
carr
Ainsi,
travers ce
texte architec
tural
de
Vitruve,
l'homme et le monde sont-ils
rconcilis
par
un
systme
d'analogies gomtriques organises par
le
cercle et le carr 1S. Plus
prcis
ment,
le
corps
humain est
intgr
ou inscrit dans un
systme
gomtrique qui
assure cette
correspondance
et
cette rconciliation. Une belle harmonie est
ainsi obtenue mais au
prix
de ne considrer le
corps que
dans son essence
de
corps,
c'est--dire dans sa
perfection
adulte,
dans
un
juste
milieu
entre
1'
infantia
,
la
naissance
et la
dcrpitude
de la mort
;
au
prix
galement
d'une
opration
d'cartlement ou d'encartement du
corps
entre
les
points
remarquables
du carr et du
cercle,
les
quatre
sommets
et
le
centre,
en
le
couchant sur
le
plan
et en
plantant
dans son
nombril,
la
pointe
du
compas
qui
dcrit la circonfrence du cercle et
y
enclt le carr :
corps
vu hors
point
de
vue,
carte
du
corps qui permet
de le saisir dans
son universalit
abstraite.
Mais
cette
inscription
mme dans sa
clart
intelligible,
parce qu'elle y implique
le
corps,
laisse en
suspens,
dplace,
condense
ou efface
certains de ses lieux :
ainsi
le
point
central est-il
le
nombril,
l'omphalos
qui,
selon
une
archaque
tradition,
enracine la demeure au
point
focal
de
son
espace
et
permet
la
communication de la terre
et du ciel. Mais le
centre est aussi
la
tte,
lieu du
nous
,
de
la raison et
du
logos
:
aussi,
en ce
point remarquable,
faut-il
concentrer
tte et
nombril,
mettre la tte au
lieu du
nombril,
le
sur-dterminer
par
l'un et
par
l'autre
et
crer une
espce
de monstre
double tte ou
percevoir par
une
imagination
fantastique,
au
lieu du
ventre,
un
visage
et du
nombril,
un il
cyclopen
;
moins de concevoir la
tte
l'aplomb
du nom
bril,
hors
espace,
au
point
de vue
hors
point
de vue
du
gomtre
maniant
souverainement son
compas
et
construisant ses
figures parfaites
19,
tte-il
16.
Sur la fontaine
centrale,
le modle
parat
bien
en avoir
t trouv dans
Francesco
Colonna,
le
Songe
de
Poliphile.
Cf.
Lote,
Vie et
uvre de
Rabelais, Paris, 1938,
p.
203.
Une lecture du
texte
du
Songe...
est sur
ce
point
particulier
trs
significative (voir
la
description
de
Geloiastos).
17.
Vitruvius,
Ou
Architecture
(trad,
anglaise), Dover,
New
York,
BK
III,
chap. I,
3,
p.
73.
(Cit
dans
la traduction de
Claude
Perrault,
2*
d.
1675).
18. Le livre
fondamental
ce
sujet
reste celui
de
R.
Wittkower,
Architectural
Principles
in the
Age
o)
Humanism,
Londres, Tiranti,
1961.
Voir en
particulier p.
14
sqq.
19. Cf. nos
remarques
ce
sujet
dans
Vtopiques... p.
333-334.
42
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
10/18
transcendant et universel du
perspecteur-dominateur,
Gargantua
ou la Loi
Dsir,
Thorie
qui
rgle
d'en haut aussi
bien
l'ordonnance des
tracs de la
reprsentation
que
l'ordre de
la nouvelle
religion
du
Moine
et
que
la
logique
du discours narratif et
descriptif
o
elle se formule.
A
la
surdter
mination
du centre
(tte-nombril,
intersection des
diagonales
du carr et
point
gnrateur
du
cercle)
s'oppose
l'effacement de
l'anti-tte,
le lieu du
bas,
le
lieu
du sexe :
pointer
ce
blanc dans la carte du
corps
de l'homme adulte et
bien
form,
en-cart dans le
cercle et
le
carr,
c'est du
mme
coup remarquer
une autre
absence dans la
tte,
tte rduite
l'il
thorique
o se condensent
en un
point
unique,
les
espces
du
monde et
o elles
se
reproduisent,
ordonnes et
rgles,
dans
l'espace
de
reprsentation,
l'absence de
l'axe
de
l'oralit
:
le trou de
la bouche renvoie une
tout
autre
forme de
disparition,
celle
de
l'absorption,
de
l'ingestion,
et
par
elles un autre
trou,
celui
de
l'excrtion,
de
l'expulsion
;
axe de l'oralit
qui
s'articule aussi bien
celui
de la
gnitalit
et
aux cavits de
la
matrice et
du
vagin 0.
Fantasmes de lecture
peut-tre,
mais
qu'on
relise,
en forme de
contrepoint,
le
projet
de
Panurge
touchant
une manire bien nouvelle
de btir les murailles de
Paris
dans
les
chapitres
centraux du
deuxime livre
ou
l'exploration
de la
bouche
de
Pantagruel par
le
narrateur,
qu'on
construise le texte rabelaisien dans son
paisseur
de
corps-de-texte
et l'on
tissera,
par
une autre
espce
de
lecture
que
le
parcours
linaire
des
signes
de
discours,
le texte
utopique
dans cet
cart
de
profondeur
: les
trous des
vagins,
l'ouverture des
sexes fminins
clturent
la ville
comme
un immense
corps
rotique
ouvert
cependant que
l'orifice bant
de la bouche du
gant,
lieu
de
l'ingestion
comme
du
vomis
sement,
opre
l'absorption
du narrateur du discours
dans le texte
du
corps
de
son
rcit.
La
question
que
pose
et
laisse ouverte
la
reprsentation
de Thlme est
en
fin de
compte
la suivante
: comment
concilier
le
corps
vu,
le modle
essentiel
du
corps
et le
corps
vcu,
forme vivante d'une
matire
? Comment
rconcilier l'homme et
le
monde
sans
payer
l'harmonie
qui
a nom
bonheur
et c'est bien l la fin de
l'utopie
au
prix
fort d'une mutilation du
corps
? Est-il
possible
de combler l'cart entre la vie
et le
logos
sans
rduire
le
corps
vivant au
corps
rationnel,
reprsent,
opr
s
par
les
instruments
de la
raison,
gomtrie
des
proportions,
des
symtries,
des
rptitions
rgles
du
mme
?
Le
corps
vivant
texte
L'ide
laquelle
prludaient
les calembours
du Moine dans le discours
impratif
de
la
Loi-Dsir
est
peut-tre
que
le
corps
utopique
n'est autre
que
le
texte,
le
texte comme
corps
vivant,
que
l'utopique
n'est
pas
cher
cher
dans
la
reprsentation
que
raconte
et
dcrit le
discours,
mais dans
les
lieux
de
jouissance
dans
lesquels
ce discours
mme
s'espace,
se
ponctue
et
se
cre
par
l
mme en texte
de bonheur.
L'utopique
s'inscrivait
dans le
discours
que
nous
lisons
pour
le constituer
en
corps-texte
vivant.
Thlme,
nous l'avons
vu,
est la
projection
allgorique
sur
le sol
(ou
sur le
plan)
du
corps
couch
d'un homme
bien
form
dont le
nombril est
la fontaine
aux
trois
allgorie
du
corps
du
texte
qu'il
s'agit
maintenant
d'explorer
:
quels
sont
20. Cf.
ce
sujet
les
suggestions
de
F.
Choay,
art. cit. et
surtout
M.
Baktine,
p. 302-365.
43
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
11/18
les
sphincters,
les
orifices du texte
? En un
sens,
les
deux
jeux
de mots du
moine sont les lieux de
perforation
du
discours,
comme les narines de ce
corps qui
nous ont
permis
de
flairer
d'tranges,
enivrantes et
rpugnantes
odeurs,
ou ses oreilles
par lesquelles
nous
avons t
soudain l'coute de
curieuses
sonorits,
de
surprenantes
sigmfiances,
de
grossiers borborygmes,
les
vents
du
texte.
Mais il est d'autres orifices
plus importants,
qui
en
creusent
jusqu'
la matrialit
typographique
:
l'inscription
sur
la
grande
porte, l'nigme
en forme de
prophtie
trouve aux
fondements de
l'abbaye
;
bouche
du
texte
par
o l'on
entre
dans
l'abbaye,
cul
et/ou
vagin
du texte
par
o l'on en sort mais sur
lequel
le
reprsent
du discours est
fond,
grande
lame de bronze
que
le narrateur ne
manque pas
de nous
dcrire
en forme de
conclusion
de son discours.
Comme
tout
l'heure,
avec le
Moine,
ce n'est
pas
le
jeu
de mots
qui
est
l'espace
textuel
de
l'Utopie.
C'est
la fois
le moment et le lieu
de
l'cart dans le
temps
et
l'espace
du
discours,
de
l'espace
ment
et
du silence dans
la
surface de
significations
;
c'est cette
pulsation
entre deux instances de
langage
qui
manifestent
l'utopique. L'inscription
et
l'nigme
ouvrent le
discours,
cassent son
isotopie
et
occupent,
dans
le
mme
mouvement,
les
ouvertures,
les chancrures
par
leur
forme discursive
propre
comme les calembours de Frre Jean
interrompaient
les
rglements
de la
non-rgle
de
Thlme et
cependant
s'articulaient eux
par
un lien
la
fois
incongru
celui de l'association
libre sur le
signifiant phonique
et
gographique
et
logique
celui de la
lgitimation
de
la
non-clture et
du non-travail.
Le cri
Ainsi il
est
ais de voir
que l'inscription
de
la
porte
d'entre
reprend
et
dveloppe
les dits
de la
non-rgle
de
l'abbaye
promulgus
par
la
voix
du
Prince
Thelema, tout en les dplaant et en introduisant par
l mme la
contradiction
explicite
d'une
enceinte
religieuse,
morale,
juridique, conomique
et sexuelle dans ce
qui
tait
propos
comme le
lieu de
la non-clture.
Cy
n'entrez
pas...
".
Mais il est
galement important
de
noter
que
le
pome
crit sur la
porte
est
l'exacte
contrepartie
du
cry
c'est--dire de ce
boniment
destin
convoquer
une
reprsentation
populaire
d'un
mystre
ou d'une
farce
: les
dits de
Gargantua-frre
Jean sont
repris
et
dvelopps
dans un
boniment de batteleurs
pour
la
reprsentation
de
Thlme.
L'inscription
sur la
porte
de Thlme
opre
le
dplacement
du contenu de l'nonc la forme et
la
modalit de l'nonciation. C'est
le
mode
et
la
modalit
de
celle-ci
qui
travestissent
le contenu de celui-l en faisant
driver
ses
modes
pro
pres qui,
nous l'avons
indiqu,
modalisaient les constatifs
descriptifs
et narra
tifs du discours. Ce
travestissement,
cette drive n'annulent
pas
le
contenu.
Celui-ci reste valide comme la
modalit nonciative n'est
pas
le
simple
orne
ment
plaisant
d'un
contenu
srieux. Mais dans
le
mme
geste,
toute
la
repr
sentation de
Thlme
qui
va
suivre
est installe sur les trteaux du
spectacle
populaire
'a. La
reprsentation
devient
quivoque
et cette
ambivalence
est
globalement
produite
par
la
structure formelle
du texte
;
mais le
point capital
est l'effet de
dplacement,
de drive
ou d'cart
par lequel
est
produit
un
espace
de
jeu
dans
lequel
le lecteur est
absorb,
ingr
dans et
par
le texte
:
cart
que j'appelle
la bouche du
texte,
son orifice
d'entre : nous allons
21.
Nous
renvoyons
ici
l'analyse
de M.
Baujour,
le Jeu de
Rabelais, l'Herne,
n
2,
Paris,
1969, p.
89-106. Voir
galement
F.
Desonay,
En relisant
l'abbaye
de
Thlme
,
in F.
Rabelais,
IV" Centenaire de
sa
Mort, Droz,
Giard, Genve, Lille, 1953, p.
93-103.
22. Cf. M. Baktine, op. cit. p. 156-157 et 163-1-9.
44
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
12/18
manger-lire
le texte et nous serons
mangs-lus par
lui :
constitus
en un
corps-autre,
un
corps
d'effets de
sens-plaisirs
parce que
nous aurons lu le
texte
comme
corps.
L'nigme
La
question
que pose l'nigme
la fois dans son contenu-forme et
pour
le
soi-disant
mtalangage
de la lecture
interprtative,
est la suivante : comment
allons-nous tre
expulss par
le texte de Thlme ou
et c'est
la
mme
question
dans
son
ambivalence
comment allons-nous
natre,
tre
engendrs
(ou
rgnrs) par
lui ? Nous disons
qu'il s'agit
l de la
mme
question
non
seulement
de
par
l'ambivalence
du
double
orifice
du
vagin
et
de
l'anus mais
aussi
parce que
le
pome que
nous
lisons la fin du discours de Thelema
est
celui
qui
est
trouv aux
fondements
de
Thlme,
parce que
la
proraison
du
discours,
sa
partie
noble,
sa fin comme
achvement
perfection
est
aussi sa
base,
son
fondement
culier
.
Si le cri tait le boniment d'entre
d'une reprsentation de place publique, l'nigme
on le sait
est l'apoca
lypse
allgorique
d'un
jeu,
celui
de la
pelote
;
mieux
encore,
elle
est,
dans
le
texte
de
Rabelais,
le
collage,
la citation du
pome
d'un
autre,
Mellin de Saint
Gelais.
Rabelais
cependant
introduit
la
pice
ainsi
rapporte par
deux vers
qui
sont siens
et
qui
justement
pointent
le bonheur
comme
la fin
de l'attente
humaine.
Pauvres humains
qui
bonheur attendez/levez vos
curs...
De
mme,
il donne une conclusion de
dix vers
qui
ouvre une direction d'inter
prtation,
de
dchiffrement de
l'nigme
sinon
inattendue,
du
moins
qui
ren
force le
caractre
apocalyptique
du
pome
en ritrant
les
affirmations
ren
contres tout au
long
de Thlme et
en
particulier
dans le cri
d'entre,
d'une
sgrgation
entre
les
lus,
les
utopiens
et les
autres :
Reste,
en
aprs
ces
accidents
parfaits/ que
les lus
joyeusement
refaits/soient
de
tous
biens et
manne cleste/et d'abondant par rcompense
honnte/enrichis
soient
;
les
autres
en
la
fin/soient dnus.../
Tel
ft l'accord23...
L'abbaye-manoir,
avons-nous
suggr,
est
un
corps
architectural
cosmique oprant
travers la
gomtrie
des
proportions
et
des
symtries
l'accord entre l'homme
et le monde
le bonheur. Le
discours
qui l'expose
entre rcit
et
description
en
est la
reprsentation,
l'image
insistante,
l'accomplissement
imaginaire
dans
l'har
monie
de la
Loi et du
Dsir,
Thelema
.
Si
une
apocalypse
est
la base de
l'difice,
cela
signifie
que
le
rcit
d'une
catastrophe historique
et
cosmique
fonde dans le
microcosme,
le
macrocosme
naturel,
social,
politique,
moral. Le
fondement est
moins
un
sol,
une base
qu'un
renversement
avnement
: le
nouveau
Monde,
celui du
bonheur
parfait
est
un monde
renvers.
La
grande
flamme de
l'clair
qui
met
fin les eaux
et
l'entreprise
dans
le
pome
de
Mellin de
Saint-Gelais,
est
l'instant
unique
du retour
du monde
nouveau,
de
l'espace
de
bonheur
que
Rabelais
annonce dans
l'introduction et
esquisse
dans
la conclusion
qu'il
ajoute
son
emprunt
en
collant la
citation son
propre
discours.
Il faut
que
Thlme soit
fonde
sur un renversement
pour
qu'ad
vienne le
monde
nouveau.
Il faut
que
Thlme
soit dtruite
pour que
le
monde
du
bonheur
advienne.
A
vrai
dire,
cette
dernire formulation
est
trompeuse,
car
elle
laisse
entendre
deux
temps
et deux
moments,
le
temps
de
l'histoire et
celui de la
parousie,
le moment
du
ngatif,
de
la rvolution et celui
de l'affir
mation
synthtique
qui
l'accomplit
comme
fin de l'histoire.
En
fait,
en
plaant
l'apocalypse
au
fondement de
l'difice,
1'
origine
du
procs
de construe
23. Sur une
direction
d'interprtation
religieuse,
Emile V.
Telle,
Thlme
et le
paulinisme
matrimonial
rasmien : le
sens
de
l'nigme
en
prophtie
in F.
Rabelais,
IV Centenaire... p. 104-119. Voir galement l'analyse de M. Baktine, op. cit. p. 232 sqq.
45
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
13/18
tion de la
reprsentation
utopique,
tout en offrant sa
lecture la fin du
discours
qui
la
dcrit,
Rabelais
signifie que
le
monde
nouveau,
l'utopie
n'est
pas
la
synthse
qui
accomplit
le mouvement
d'une
dialectique historique
et
naturelle,
au
prix
d'une
ngation
de la
ralit,
mais est
l'autre de la ralit
et de l'histoire. Le
renversement est le
fondement,
le
fondement,
le renverse
ment. Mais
peut-tre
convient-il
en ce
point
d'aller
plus
loin
encore
:
le
Monde
nouveau n'est
pas
l'autre
de
ce monde-ci
: ce renversement-fondement
est
celui
qu'opre
et
ralise la
construction-reprsentation
de
l'abbaye-manoir.
Il
est
l'autre
de la
reprsentation utopique,
son envers :
il
indique
le
geste
utopique
dans la
reprsentation
o il
s'accomplit
et se neutralise.
D
jeu
interprtatif
Toutefois
l'analyse
pour
ne
pas
dire
l'interprtation
que
nous
venons
de
proposer
est celle
de
tout
discours sur
l'utopie,
discours
qui
comme nous le disions au dbut transforme les jeux de l'utopie en systme
et
les
annule,
mtalangage
qui
dit le
sens
d'un discours
premier
qui
le dtien
drait sans le
savoir,
et
qu'un
discours de vrit
accomplit
en lui fournissant
une
conscience
de
soi :
interprtation peu
diffrente en son fond de celle
que
propose
Gargantua,
car dans les deux
cas,
est
superpos
au
pome
nigma
tique
un discours
qui
en
dit la vrit :
hermneutique
directe de
Gargantua
qui
le
lit comme
prophtie
religieuse
de
l'vangile
de
l'Esprit
;
interprtation
indirecte
du discours
mtautopique qui
le
comprend
comme
une
espce
d'all
gorie philosophique
de
l'utopie
et de son
geste
le
plus profond.
Mais voici
que l'interprtation
du Moine
d-joue
toutes
les
interprtations
et
jusqu'aux
oprations
de
collage
de
Rabelais
puisqu'elle
en revient
la
signification
finale et
premire
que l'nigme
avait
hors-discours,
hors
du
livre de Rabelais
:
celle du jeu de pelote. Par un signifi simple, mais qui suppose le dcodage le
plus
complexe
et
peut-tre
le
plus
savant,
le Moine
non
seulement rabaisse le
sens
en
jeu
celui d'un
jeu,
mais
djoue
le
jeu
de
la citation
colle dans
le
discours de
Rabelais
et
remet le
pome
de Mellin de
Saint-Gelais hors
discours.
L'interprtation
du
Moine est le
jeu
d'un
jeu
d'un
jeu.
Elle consiste
remettre
en
jeu
tout le discours de
Thlme et le
discours
sur
Thlme,
l'uto
pie
et
le
discours sur
l'utopie.
Si sa tirade
est
le dernier mot du
passage
et du
livre,
elle ne
l'est
pas parce qu'elle
en
livrerait
la
vrit
ultime. Le
montre,
sans autre forme de
procs,
le fait
que
le
sens
propos
n'est
pas
au-del
de
celui,
religieux,
de
l'vanglisme
gargantuesque
ou
mtalinguisti
que
du discours sur
l'utopie.
Il
est
en
de
et en
de
du discours mme de
Rabelais , de son livre. C'est en ce sens que nous sortons et du discours et
du
livre
par
leur
interruption
mme et
que
cette
interruption
fait du discours
et du
livre,
le texte-du-bonheur. Relisons la tirade
du Moine dans les
pre
mires
ditions
:
Je
pense
que
c'est la
description
du
jeu
de
paume
et
que
la
machine
ronde est
l'esteuf et ces nerfs et
boyaux
de btes innocentes sont
les
raquettes
et ces
gens
chauffs et dbattants sont les
joueurs.
La
fin
est
que,
aprs
avoir
bien
travaill,
ils s'en vont
repatre
et
grande
chre
Travail
qui
est
un
jeu,
le dbat
immdiat de la lecture
et
de
l'criture,
jeu
qui
est un travail
parce que
l'essence
pure
du
jeu
est
subtile,
presque
insaisis
sable
et
que
le
discours
qui
vise s'en
saisir,
aprs
s'tre
bien
chauff,
ne le
peut qu'en
se dsaisissant et
de lui-mme et de son
objet.
Ainsi
expul
ss
du
discours,
sommes-nous
gnrs
dans
le texte comme
corps-heureux,
le
temps de dire-lire-crire Bonne chre car rien ne s'crit plus ensuite :
46
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
14/18
blanc de la
page,
blanc
du
discours,
fin
du
texte,
absence
de
mots
qui
est le
dernier
mot,
lieu
non-lieu,
utopie.
Que
la
diffrence se
glisse subrepticement
la
place
du conflit...
la
diffrence
n'est
pas
ce
qui masque
ou dulcore le conflit. Elle
se
conquiert
sur
le
conflit. Elle est au-del et ct
de
lui.
Le texte institue au
sein de la rela
tion humaine
courante
une
sorte
d'lot,
manifeste
la
nature asociale du
plaisir...
fait entrevoir la vrit
scandaleuse
de la
jouissance
:
qu'elle
pourrait
bien
tre,
tout
imaginaire
de
parole
tant
aboli,
neutre24.
Fantastique
fantasmatique
Nous
proposons
en
ce
point
et en
guise
de
conclusion
la
lecture
du
chapitre
32 du
Pantagruel
Comment
Pantagruel
de sa
langue
couvrit
toute une
arme
et
de
ce
que
l'auteur
vit
dans
sa bouche.
Chapitre
double
ment
fantastique
en
ce
qu'il
relve de
ce
qu'on appellerait aujourd'hui
lit
trature
fantastique
mais aussi
fantastique
au sens de
fantasmatique
: texte
qui fait jouer le fantasme en le mettant en scne dans un rcit et par cette
reprsentation
de
reprsentation,
indique
la
fantasmatique
de
tout
texte et
celle
en
particulier
du texte
utopique
que
nous venons
de
reconnatre
dans
Thlme,
l encore
au double sens du discours
utopique
et du
discours
sur
l'utopie,
redoublement
o
s'indique pratiquement
le fantasme
thorique
du dsir de vrit et de savoir.
Ecriture
Lecture
Quelques
thmes
de lecture
dont
nous
ne
pratiquerons pas
faute de
place
et
de
temps,
l'instanciation
minutieuse
sur le texte
propos25.
Qu'en
est-il
d'abord de l'arbitraire de la mise en relation de ce voyage et de ce sjour
intracorporel
avec
la
reprsentation
utopique,
Thlme
? On sait
que
le livre I
ft
crit
aprs
le
livre
II,
Gargantua
aprs Pantagruel,
si
bien
que
l'ordre
d'criture
se trouve invers dans celui de
la lecture. Du mme
coup,
la
super
position
sur
la conclusion de
Gargantua,
Thlme,
de celle de
Pantagruel,
l'exploration
de l'intrieur
du
corps
du
gant,
n'est
pas simplement
un
artefact
d'interprtation
visant dmontrer une
thse,
mais
une
opration
analytique
tendant
prendre
en
compte
la
rciprocit
de l'criture
et
de la lecture26 et
constituer le texte
comme l'tat
construit de la
lecture
Pour l'instant
donc,
qu'il
nous suffise
de
dire
que
le
chapitre
32
du
Pantagruel
a
quelque
chose
voir avec
l'Utopie
et le
discours de Thlme. En d'autres
termes,
il
y
a un
rapport
tablir et
dsimpliquer
entre le
voyage
et
le
sjour
dans
'ailleurs (l'autre ou le Nouveau Monde), entre le rcit de voyage et la cons
truction
et la
description
du
Nulle Part de
l'Utopie.
De
plus,
on
a souvent
soulign
la liaison
historique
entre
l'Utopie
et
l'Amrique
grce
laquelle,
comme
dans
le
livre de Thomas
More,
l'histoire se
fantasmatise
la
mesure
24.
R.
Barthes,
le
Plaisir
du
texte, Seuil, Paris, 1972,
p.
27.
25. Il faut
ici relire en
la confrontant avec
les
analyses
de
M.
Baktine,
l'tude de
ce
passage
par
E.
Auerbach
dans
Mimesis,
the
Representation of
Reality
in
Western
Literature,
Princeton,
1953
(trad,
amricaine
de
W.
Trask),
p.
262-284. Elle
a
constitu
le
point
de
dpart
de
notre
propre
travail
dont nous
prsenterons
ailleurs une
version
complte.
26. On rencontre
un
problme
trs voisin
avec
le
livre
I et
le
livre
II
de
l'Utopie
de Th. More
; pour
Rabelais,
voir la Prface
de l'dition du
Gargantua par
V.
L. Saulnier
chez
Droz,
Genve,
1970.
27. Meschonnic, Pour la potique, Gallimard, Paris, 1973, p. 204-301.
47
This content downloaded from 128.233.210.97 on Sun, 21 Feb 2016 02:03:27 UTCAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsphttp://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp -
7/24/2019 Corps Utopiques Rabelaisiens
15/18
de
l'historicisation du fantasme : le
continent
nouvellement dcouvert
recle
un
potentiel d'utopie qui
ne sera
pas puis
de
sitt,
son
inscription
dans la
ralit de
l'espace gographique
et
historique
permettant
l'incessant
drapage
de la vision
utopique
vers le
projet politique
et social de ralisation de
l'utopie
dans
cette autre
terre,
par-del
l'Atlantique.
Corps
profond
Deuxime
thme de
lecture directement
li
celui
que
nous
venons
d'exposer
:
dans
le
plan
de
Thlme,
nous
avons
discern
l'image
d'un
corps
conformment toute une tradition de l'architecture idale de
Vitruve
nos
jours.
Mais
ce
corps
est un
corps
bien
dfini,
celui
d'un
homme adulte
abstrait,
d'un homme
couch,
tendu
l'horizontale,
bras
et
jambes
carts
et
tendus,
fich
au sol
par
la
pointe
du
compas gomtrique
plant
dans son
nombril,
circonscrit
par
un cercle et encadr
par
un
carr.
Or dans
le
chapitre
32,
nous
lisons
le rcit
d'un
voyage
dans un
corps
ou
plutt
dans
une
bouche,
dans un corps immense, mais rduit une bouche : langue, dents, pharynx,
larynx,
gorge.
Corps-bouche
profond, pais,
obscur avec des
montes et des
descentes,
dans
lequel
on
voyage,
on
sjourne
;
corps
dfini comme
orifices et
cavits. La
question
est alors de nouveau
:
qu'en
est-il du
rapport
entre
l'utopie
et le
corps
? Et
cette
question
est celle de
l'espace
et du
lieu
:
quelle
est la relation entre le
paradigme
ou
l'pure
gomtrique
du
corps
ten
due
intelligible,
rationnelle
et
la
profondeur
abysmale,
le
creux,
la
cavit,
l'orifice du
corps
vivant.
Utopie,
jeu(x) d'espace(s),
avions-nous
titr
un
essai
sur Thomas More
:
mais de
quels espaces
s'agit-il
? Le
corps
est aussi
espace
et
architecture
de
lieux,
comme l'criture
dployant
le discours
oral,
dvidant
son
fil
au
long
de ses
lignes
mais
tissant
par
l
un texte
qui
en excde la
linarit ainsi
dploye
:
espace gomtrique
intelligible
du
logos
ou lieux
instantans,
intenses et obscurs
des
pulsions vivantes,
lieux du
bios.
Topique
topologie
Troisime thme
qui
drive du
prcdent
:
le
corps gomtrique
de Th
lme tait
la
projection
sur
le
sol de
la
terre,
la
go-graphie,
l'inscription
dans des
noms,
de
l'espace
cosmique.
Corps
d'architecture,
Thlme tait
analogique
au
corps
du
Cosmos,
son
analogon
et son
modle
rduit,
la mta
phore
ralise du
Grand Ordre dans le Petit
Ordre
et
rgle par
tout un
systme
de
proportions.
Or le
corps-bouche
de
Pantagruel
est aussi
un
monde,
le
Monde,
mais dans un
autre
sens.
D'abord,
il
est dans le cosmos
28
;
il est
debout, vertical, la tte dans le ciel, au-dessus des nuages : ce n'est pas une
relation une
gomtrie
astronomique,
celle des
constellations clestes
qui
le
dfinit,
mais une
relation
pratique
,
mtorologique
aux lments
du
Monde.
Il est dans
le
ciel,
dans le
cosmos,
mais il est aussi
cosmos
: la
bouche
est
un monde
complet
avec
ses
montagnes,
ses
plaines,
ses