coralie castel to cite this version
TRANSCRIPT
HAL Id: halshs-00802700https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00802700
Submitted on 23 Mar 2013
HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.
Lâarchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinĂ©e au dĂ©pĂŽt et Ă la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiĂ©s ou non,Ă©manant des Ă©tablissements dâenseignement et derecherche français ou Ă©trangers, des laboratoirespublics ou privĂ©s.
Des Nippologies dans les muséesCoralie Castel
To cite this version:Coralie Castel. Des Nippologies dans les musĂ©es : Design et identitĂ© japonaise Ă Paris. Cipango -Cahiers dâĂ©tudes japonaises, Presses de lâInalco, 2009, pp.121-147. ïżœhalshs-00802700ïżœ
Des Nippologies dans les musées
Design et identité japonaise à Paris
Trois expositions, une diversitĂ© dâobjets
Description des trois expositions
- Le musĂ©e du Quai Branly et lâ « esprit Mingei »
- Lâharmonie au quotidien Ă la Maison de la Culture du Japon
- Les Arts Décoratifs et la sensibilité Kansei
Des registres dâobjets mĂ©langĂ©s
Une scénographie muette
A la recherche dâune unitĂ© de propos
Des unités partielles : les matériaux des objets
Des motifs partagés pour un « esprit » japonais
- LâatemporalitĂ© de la culture japonaise
- La langue japonaise comme clé
Une image classique dâun Japon « spirituel »
- Lâ « harmonie »
- Le « cĆur » comme lieu dâune essence
Resituer le discours des trois expositions
Lâempreinte des nihonjin.ron
- La récupération des motifs
- La méthode prescriptive
Entre Japon et Occident, un jeu dâinfluences rĂ©ciproques
- LâidentitĂ© japonaise : une construction en miroir
- Rejet de lâĂ©tranger et ambition universaliste
Conclusion
Trois expositions sur le design japonais se sont tenues à Paris récemment, dans le
cadre de la commémoration des 150 ans de relations diplomatiques entre la France et le
Japon. Du 30 septembre 2008 au 11 janvier 2009, le musĂ©e du Quai Branly a prĂ©sentĂ© Lâesprit
Mingei au Japon : de lâartisanat populaire au design. Du 22 octobre 2008 au 31 janvier 2009,
la Maison de la Culture du Japon Ă Paris1 proposait quant Ă elle Wa : lâharmonie au quotidien,
design japonais dâaujourdâhui. Enfin, du 12 au 21 dĂ©cembre 2008, les Arts DĂ©coratifs ont
accueilli lâexposition Kansei â Japan design exhibition.
Ces trois expositions ont été organisées de façon indépendante, sans collaboration
entre les trois Ă©tablissements. Lâexposition du musĂ©e du Quai Branly a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e en
collaboration avec le musée japonais du Mingeikan. Celle de la MCJP a été élaborée par le
siĂšge de la Fondation du Japon Ă Tokyo, puis installĂ©e dans lâinstitution française ; enfin,
lâexposition des Arts DĂ©coratifs a Ă©tĂ© entiĂšrement rĂ©alisĂ©e par le MinistĂšre de lâEconomie, du
Commerce et de lâIndustrie japonais (METI) et lâOrganisation japonaise du commerce
extérieur (JETRO). Ainsi, ces trois expositions ont été réalisées, en partie pour la premiÚre, et
presque entiĂšrement pour les deux derniĂšres, par des Japonais.
Le sociologue Jean Davallon, dans Lâexposition Ă lâĆuvre2, affirme que lâĂ©laboration
dâune exposition relĂšve dâun propos construit, et quâelle est sous-tendue par une vision du
monde, proposĂ©e par ceux qui lâont conçue. En tant que media, elle ne fait pas que montrer
des objets : elle indique aussi, et surtout, comment regarder ces objets. Elle obéit en cela à des
« stratĂ©gies communicationnelles » La mĂȘme idĂ©e est Ă la base de la rĂ©flexion de
lâanthropologue BenoĂźt de lâEstoile qui retrace lâhistoire des « musĂ©es des autres » en France
dans Le goĂ»t des autres3. DâaprĂšs lui, « parce que la mise en exposition est la traduction
spatiale et sensorielle (en particulier visuelle) de conceptions explicites ou implicites, elle
offre une matĂ©rialisation de visions du monde. Le musĂ©e est Ă la fois lâexpression de courants
artistiques, scientifiques, politiques qui se développent en dehors de lui et un lieu de
production et de diffusion de reprĂ©sentations, qui contribuent pour une part non nĂ©gligeable Ă
dĂ©finir la rĂ©alitĂ© et Ă constituer les cadres dâinterprĂ©tation Ă partir desquels celle-ci est
déchiffrée ».
1 Ci-aprÚs abrégée en « MCJP ».
2 DAVALLON Jean, Lâexposition Ă lâĆuvre, stratĂ©gies de communication et mĂ©diation symbolique ,
Paris : LâHarmattan, 1999 3 De LâEstoile BenoĂźt, Le goĂ»t des autres: de l'exposition coloniale aux arts premiers, Paris :
Flammarion, 2007
Me rĂ©fĂ©rant Ă ces affirmations, je me suis donnĂ© pour tĂąche dâobserver la façon dont
les trois expositions de design ont représenté le Japon. Elles ont pris place dans trois
institutions distinctes, dont les ambitions de dialogue interculturel, de promotion de la culture
japonaise, ou encore commerciale, sont différentes. Plus concrÚtement, quelles représentations
du Japon dans le monde ont Ă©tĂ© exposĂ©es, Ă Paris, pendant lâhiver 2008 ?
Lâanalyse ethnographique de ces expositions sâest dâabord portĂ©e sur lâobservation
attentive des lieux. Les objets, la scénographie, les panneaux explicatifs fournissent des
informations au visiteur; mais plus encore, brochures, plans et autres supports écrits distribués
au public explicitent le propos développé. Les discours recueillis auprÚs de membres de
lâorganisation, cĂŽtĂ© français, permettent Ă©galement de mettre en lumiĂšre certains partis pris de
la mise en exposition. Enfin, les communiqués de presse envoyés par les institutions
organisatrices, et, en retour, lâĂ©cho de ces expositions dans des journaux et revues permettent
dâĂ©valuer la façon dont leurs propos ont Ă©tĂ© perçus et relayĂ©s.
Les discours semblent annoncés différemment selon les institutions qui les véhiculent,
mais au sein mĂȘme de chaque exposition, lâobservation rĂ©vĂšle le caractĂšre hĂ©tĂ©roclite des
objets prĂ©sentĂ©s : la coexistence dâobjets de registres variĂ©s suscite un sentiment de confusion,
renforcé par des scénographies assez discrÚtes. Pourtant, le discours désigne toujours « un »
Japon prĂ©sentĂ© comme homogĂšne. Quels leitmotivs reviennent et permettent dâĂ©tablir la
cohĂ©rence des expositions, tout en esquissant une vision homogĂšne du Japon ? A lâissue de
lâanalyse des donnĂ©es observĂ©es, il apparaĂźtra que le discours portĂ© par les trois expositions
appartient Ă une rhĂ©torique Ă©prouvĂ©e rĂ©currente dans lâensemble de la production de discours
sur le Japon par lui-mĂȘme.
Trois expositions, une diversitĂ© dâobjets
Description des trois expositions
- Le musĂ©e du Quai Branly et lâ « esprit Mingei »
Le musĂ©e du Quai Branly vise Ă prĂ©senter les cultures du monde dans leur diversitĂ©, Ă
travers des expositions accordant une large part Ă lâapprĂ©ciation esthĂ©tique des objets exposĂ©s.
Ici, « de lâartisanat populaire au design : lâesprit Mingei au Japon» se focalise sur la
personne de Yanagi SĂŽetsu (1889-1961) et sur son mouvement (mingei æ°è) de dĂ©couverte
et de mise en valeur de lâartisanat japonais et corĂ©en notamment, initiĂ© Ă partir des annĂ©es
1920. Lâexposition a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e sous la direction de Germain Viatte, commissaire
dâexpositions au musĂ©e du Quai Branly, mais Ă partir dâobjets provenant presque tous du
Mingeikan, le musée fondé par Yanagi en 1936.
La scénographie de la salle est trÚs sommaire. Le fond des vitrines est blanc, et les
objets sont posés sur des supports neutres. Aux murs, quelques cartels résument la démarche
de Yanagi SÎetsu. L'ensemble, trÚs neutre, ne laisse pas voir de parti pris spécifique au musée
du Quai Branly par rapport au contenu issu du Mingeikan.
Les objets de la premiĂšre vitrine sont de provenances gĂ©ographiques et dâĂ©poques trĂšs
variées: un plat créé en 1952 par le potier anglais Bernard Leach, qui a vécu au Japon, cÎtoie
des bols et plateaux chinois ou coréens datés du XVIÚme
au XIXĂšme
siĂšcle, une sculpture de
lâĂ©poque JĂŽmon (-10000 Ă -300) ou encore une urne funĂ©raire dâOkinawa datĂ©e du XXĂšme
siĂšcle.
La vitrine suivante regroupe trois ensembles : « les arts populaires au Japon » présente
des laques, des poteries, des vĂȘtements du Japon datant du XVIIIĂš et XIXĂš siĂšcle ; quelques
pas plus loin, les « arts populaires Ă la pĂ©riphĂ©rie de lâarchipel » exposent des objets corĂ©ens
et dâOkinawa, du XVIĂšme
au XXĂšme
siÚcle ; enfin, « les premiers complices de Yanagi
SÎetsu » présentent des poteries réalisées dans les années 1930 à 1940 par des artistes
influencés par le Mingei.
Figure 1 : Une vitrine de l'exposition Mingei
Une grande salle ronde au fond de galerie dâexposition est consacrĂ©e à « trois crĂ©ateurs
internationaux au Japon » ayant ĆuvrĂ© entre 1930 et 1950 : lâAllemand Bruno Taut (laques),
lâAmĂ©ricain Isamu Noguchi (luminaires, meubles, terres cuites), et la Française Charlotte
Perriand (mobilier). Lâespace « Yanagi SĂŽri et la question du design » est rĂ©servĂ© aux
créations les plus célÚbres du designer, fils de SÎetsu, réalisées des années 1950 à 1970 : par
exemple, le tabouret Butterfly, créé en 1956, est mis en valeur dans une vitrine séparée.
Sur le chemin de la sortie, une table basse rassemble les « objets en bambou » : des
objets anonymes de lâĂ©poque dâEdo y cĂŽtoient des crĂ©ations de Bruno Taut.
De façon gĂ©nĂ©rale, et jusquâĂ lâintĂ©rieur mĂȘme des vitrines, lâexposition montre une
juxtaposition dâobjets dâorigines trĂšs diverses, de par leurs provenances respectives ou la
période historique dont ils sont issus. Ils répondent à des registres différents : la présence des
objets anonymes procĂšde dâune dĂ©marche de conservation tandis que dâautres, dont les
auteurs sont mis en avant, sont issus dâune dĂ©marche de crĂ©ation.
- « Lâharmonie au quotidien » Ă la Maison de la Culture du Japon
La Maison de la Culture du Japon, en tant quâinstitution, dĂ©pend de la Fondation du
Japon dont le siÚge est à Tokyo. Elle propose réguliÚrement des expositions sur des
thématiques variées, conformément à sa mission de promotion de la culture japonaise.
Lâexposition « Wa : lâharmonie au quotidien » propose des objets trĂšs diffĂ©rents de
ceux du quai Branly. Le visiteur entre par un couloir blanc oĂč sont dâabord prĂ©sentĂ©s des
objets illustrant le concept de « wa » ć, donnĂ© comme une « conception traditionnelle de
lâharmonie »: ils sont prĂ©sentĂ©s comme « synthĂ©tisant des propriĂ©tĂ©s antagonistes ». Sous
cette dĂ©signation se trouvent, entre autres, un tonneau Ă sake, un humidificateur dâair en forme
de bulle, ou un piano Ă©lectrique.
Figure 2: Présentation des objets du premier couloir de l'exposition de la MCJP
Ce couloir mÚne à une vaste salle sombre, aux murs tendus de toile noire, et décorée
de pan de tissus blancs suspendus au plafond. 160 objets y sont annoncés par le dépliant
comme constituant un panorama représentatif des objets utilisés au quotidien par les Japonais
dâaujourdâhui. La date de crĂ©ation de la majoritĂ© de ces objets se situe entre 1980 et 2008,
mĂȘme si quelques piĂšces cĂ©lĂšbres plus anciennes, telles le tabouret Butterfly, dĂ©jĂ vu au Quai
Branly, sont présentes.
Les objets sont installĂ©s dans des vitrines basses dâenviron 1m20 de haut, dont la
largeur occupe presque tout lâespace, et qui forment des couloirs dans lesquels circule les
visiteurs. Les six premiÚres rangées, et deux estrades au fond, présentent des objets regroupés
selon des catégories fonctionnelles4. Les trois derniÚres vitrines présentent des objets répartis
selon six « mots-clés » donnés en rÎmaji puis traduits : kawaii (« mignon »), kurafuto
(« craft »), kime (« finesse de grain »), tezawari (« sensation tactile »), minimaru
(« minimal »), kokorokubari (« prĂ©venance »). Ces mots renvoient dâaprĂšs la brochure à « des
concepts, des sensations ou des goûts particuliÚrement présents dans le design japonais ». Les
catégories fonctionnelles, aussi bien que les concepts, sont introduits par de trÚs courts textes
qui figurent aux extrémités des vitrines. Par exemple, le paragraphe concernant kokorokubari
débute ainsi : « Aux yeux des Japonais, la prévenance est une vertu, et aussi une forme de
sagesse permettant de vivre harmonieusement et agréablement en société ».
Enfin, en retrait de la salle principale, un « espace découverte » propose aux visiteurs
de manipuler une dizaine dâobjets, parmi lesquels une guitare, des cahiers ou une corbeille.
L'exposition est caractérisée par une volonté de proposer un panel trÚs étendu qui soit
« reprĂ©sentatif de la multitude dâobjets » que les Japonais utilisent chaque jour, dâaprĂšs les
termes employĂ©s sur la brochure. Cela aboutit Ă la coexistence, dans la mĂȘme salle,
dâinstruments de musique, de maquettes figurant des voitures, de stylos, et dâune combinaison
de natation de compétition. Certains objets sont signés par des designers célÚbres (telle la
chaise « Hiroshima » de Naoto Fukasawa), dâautres proviennent dâagences moins connues:
lâassemblage apparaĂźt hĂ©tĂ©roclite.
- Les Arts Décoratifs et la sensibilité Kansei
Le musée des Arts Décoratifs accueille réguliÚrement des expositions dédiées au
design. Lâexposition Kansei, Ă©laborĂ©e par le METI5 et le JETRO
6, a rĂ©uni dâaprĂšs la brochure
4 Ces douze catĂ©gories sont dans lâordre : « art de la table », « articles pour le bain », « Ă©lectromĂ©nager
et petit matériel électronique », « technologies numériques », « jouets », « papeterie », « articles divers pour la
maison », « vĂȘtements et accessoires », « emballages et sacs », « vĂ©hicules », « mobilier » et enfin,
« luminaires ». 5 METI : Ministry of Economy, Trade and Industry (MinistĂšre de lâEconomie, du Commerce et de
lâIndustrie japonais). 6 JETRO : Japan External Trade Organization (Organisation du commerce extĂ©rieur japonais).
« les secteurs privĂ©s, publics et universitaires dans un mĂȘme effort de compĂ©titivitĂ©
industrielle ». Lâambition de cette exposition est donc de promouvoir la production japonaise
en matiĂšre de design dans un but commercial.
Au sein de la nef des Arts DĂ©coratifs, lâespace dâexposition de Kansei est divisĂ© en
trois parties. Au centre, une grande salle est occupée par neuf écrans à LED qui diffusent des
scÚnes animées, tirées de rouleaux illustrés du Dit du Genji. Deux sculptures monumentales
occupent lâespace jusquâau plafond : « Ikebana », rĂ©alisĂ©e par lâĂ©cole dâarrangement floral
Ikenobo, est une structure réalisée à partir de baguettes ; tandis que « ScÚne de NÎ » est une
installation amovible réalisée par le designer Kita Toshiyuki. De grandes calligraphies de
Kansei en kanji (ææ§) prĂ©sentent la traduction du mot (« sensibilitĂ© ») et achĂšvent de rendre
le lieu impressionnant.
Le couloir à gauche de la nef propose une exposition de 104 objets, posés sans vitrine
sur des estrades blanches à diverses hauteurs. Les objets sont regroupés en trois thÚmes,
« lâexpression », « le geste » et « le cĆur », qui illustrent des « valeurs kansei » et renvoient
chacun à quatre concepts différents. Tous ces mots sont exprimés en japonais, en kanji ou
hiragana, puis rĂŽmaji, et enfin traduits : par exemple, un panneau Ă©numĂšre « ćäœ, dĂŽsa, le
geste »7.
Comme Ă la MCJP, les objets sont dâusages et de valeurs extrĂȘmement variĂ©s : des
Ă©lastiques en forme dâanimaux aux canettes de soda en passant par le mobilier, la vaisselle, les
bijoux et les tĂ©lĂ©phones portables, lâexposition couvre toutes sortes dâ « objets du quotidien ».
Ils sont tous de production trÚs récente (des années 2000) mais certains modÚles dits
« traditionnels » (bouilloire, fouets pour la cĂ©rĂ©monie du thĂ©âŠ) ne sont pas des crĂ©ations
exclusives du design contemporain.
Le couloir opposĂ© est constituĂ© de six salles : quatre dâentre elles prĂ©sentent chacune
un « maßtre » artisan (en imprimerie, maroquinerie ou teinturerie) et ses productions, et deux
autres sont réservées aux travaux de graphistes japonais. Certains de ces créateurs sont
quelquefois présents dans les salles.
Ici encore, lâexposition prĂ©sente des Ă©lĂ©ments trĂšs divers. Les objets du premier
couloir sont au moins aussi hĂ©tĂ©roclites que ceux de la MCJP ; la prĂ©sence dâinstallations
artistiques, ainsi que la prĂ©sentation du travail dâateliers artisanaux contribue Ă accentuer la
diversité du contenu exposé.
7 Voir plus loin la liste de ces concepts et leurs traductions.
Des registres dâobjets mĂ©langĂ©s
La cohĂ©rence dâensemble de chacune des expositions nâapparaĂźt pas dâemblĂ©e. Or,
rappelons-le, toute exposition construit un propos: quelle vision du Japon les organisateurs
ont-ils voulu donner en sélectionnant ces objets de registres pourtant différents ? Est-il
possible de dégager ce qui les rassemble ?
Les objets de lâexposition de la MCJP tenus pour reprĂ©sentatifs de ce qu'utilisent les
Japonais aujourdâhui ne sont pourtant pas tous dâun usage domestique quotidien. Parmi les
articles de vaisselle, les tĂ©lĂ©phones portables, les cahiers dâĂ©colier et les luminaires, on trouve
un tonneau de sake, un tenori-on (instrument de musique numĂ©rique), ou mĂȘme un parc
(Moerenuma, à Sapporo) conçu par le designer Isamu Noguchi : il comprend plusieurs
structures de divertissement et est représenté ici par des photographies dans la catégorie
« jouets ».
Dans lâexposition Kansei, des chaises cĂŽtoient des montres, un vĂ©lo, des bouteilles en
plastique, un robot thĂ©rapeutique dĂ©diĂ© aux personnes malades, une guitare Ă quatre cordesâŠ
tous de fabrication trĂšs rĂ©cente. Lâintention est de montrer la vitalitĂ© du design moderne, mais
lâajout dâun fouet en bois pour le thĂ©, dâun Ă©ventail ou dâamulettes shintĂŽ introduit Ă©galement
une dimension qui se veut « traditionnelle ».
Le musĂ©e du Quai Branly juxtapose Ă©galement des objets dâordres historique et
géographique variés, décris plus haut. Ce mode de présentation fait fondre les objets du passé
et les objets contemporains sous une mĂȘme Ă©tiquette, celle de « mingei ».
Une scénographie muette
Le mĂ©lange des types dâobjets est accentuĂ© par les scĂ©nographies respectives des
expositions : en effet, la juxtaposition des objets ne sâaccompagne que de trĂšs peu dâĂ©lĂ©ments
explicatifs, et lorsquâils sont prĂ©sents, ils sont dâaccĂšs difficile.
A la MCJP, peu dâexplications sont fournies au visiteur. Mises Ă part les quelques
phrases dâentrĂ©e, sous le chapeau de « Wa : harmonie », et les courts cartels qui introduisent
les catĂ©gories dâobjets, aucune indication nâest donnĂ©e dans les vitrines sur leur fonction ou
leur origine. Seul un numĂ©ro y figure, qui renvoie Ă la brochure, distribuĂ©e Ă lâentrĂ©e, laquelle
comporte davantage dâexplications. Cependant, il sâagit dâun document de 40X60 cm, pliĂ© en
huit, qui comporte les photographies des 160 objets ainsi les indications de nom, date,
crĂ©ateur et fonction. La police dâĂ©criture est trĂšs petite, lâimpression dans des dĂ©gradĂ©s de
bleu ; lâordre des objets est parfois diffĂ©rent de celui de lâespace dâexposition. Autant dire que
dans la salle, qui est sombre, la lecture de la brochure est assez malaisée. De plus, une certaine
confusion semble rĂ©gner quant Ă la dĂ©limitation de lâespace musĂ©al : certaines piĂšces exposĂ©es
Ă lâair libre, notamment un four et une machine Ă laver, sont frĂ©quemment manipulĂ©s par les
visiteurs, lesquels sont vite rappelĂ©s Ă lâordre par les gardiens.
Au musĂ©e du Quai Branly, la signalĂ©tique nâest pas plus explicite. Rappelons que les
objets sont mis sur le mĂȘme plan, sur un fond blanc, et sous un Ă©clairage neutre. Ils sont
placés à différentes hauteurs dans les vitrines. Les vignettes qui comportent leur nom, leur
date de création et leur origine sont trÚs sommaires, et posées au pied de la vitrine, au sol.
Elles comportent des numéros, qui sont repris sur un schéma au sol, au centre de la vitrine,
lequel figure la disposition de chaque objet, afin de faire correspondre objets et vignettes. Ce
systĂšme rend lâinformation que comportent les vignettes, dĂ©jĂ succincte, encore plus discrĂšte
et difficile dâaccĂšs : il faut se baisser pour pouvoir les lire. Les diffĂ©rences dâĂ©poques et
dâorigines gĂ©ographiques, ou bien de dĂ©marches (conservation, crĂ©ation) nâapparaissent pas.
Trois trÚs petits écrans de dix pouces faisant défiler des photographies complÚtent faiblement
la scénographie. Quelques paragraphes sur la vie et les positions intellectuelles de Yanagi
SÎetsu figurent sur des panneaux, mais leur contenu est repris presque intégralement dans la
petite brochure de quatre pages au format A5. Il figure Ă©galement sur ces pages une interview
de Germain Viatte, laquelle est le seul texte qui Ă©mette quelque mise en regard du mouvement
Mingei avec lâhistoire du Japon, sa modernisation puis la pĂ©riode militariste. Aucune
information nâest donnĂ©e sur lâusage des objets.
Figure 3: Les vĂȘtements prĂ©sentĂ©s par l'exposition Mingei sont mis en valeur pour leur esthĂ©tique; un
simple carton donne leur date de fabrication approximative, mais aucune autre information n'est fournie.
Par contraste, la scénographie du premier couloir consacré aux objets, au musée des
Arts Décoratifs, donne une impression de luxe. Les éclairages sont nombreux, les éléments
sur lesquels sont disposĂ©s les objets Ă lâair libre sont en noir et blanc brillants. De nombreuses
calligraphies habillent lâespace, en blanc sur des panneaux noirs, qui mettent en avant et
expliquent des concepts. Chaque objet est numéroté, possÚde un titre japonais, une date et une
provenance. Cependant, lâusage des objets nâest pas expliquĂ© en salle. Il faut pour cela se
reporter Ă la brochure : trĂšs fournie, elle comporte 53 pages, et reprend lâintĂ©gralitĂ© des textes
de lâensemble de lâexposition, avec en outre des textes signĂ©s par les membres organisateurs.
Pour chaque objet, une photographie en couleur accompagne un paragraphe expliquant
lâusage et le rapport au concept qui lui est associĂ© (cf. figure 4). La densitĂ© des informations
fournies pour chaque objet dans le livret est telle quâil semble peu probable que le visiteur sây
reporte de façon systématique.
Figure 4 : Description des Ă©lastiques en forme
d'animaux; cet objet est présenté dans la catégorie de la valeur mottai
Par ailleurs, lâĂ©criture japonaise, autant syllabaires que kanji, est omniprĂ©sente dans les
trois expositions, et particuliÚrement dans celle des Arts Décoratifs. Les « concepts »
définissants les objets sont calligraphiés dans la brochure, ainsi que sur de grands panneaux
verticaux suspendus. De façon générale, on peut dégager un procédé récurrent de présentation
de lâobjet : il est associĂ© Ă un concept en japonais, lequel est calligraphiĂ©, puis transcrit en
alphabet romain, avant dâĂȘtre Ă©ventuellement traduit, et, enfin, viennent les explications (cf
figure 5).
Figure 5 : Présentation de la "valeur" karoyaka
(la brochure l'associe au concept de kokoro)
Or, lâĂ©criture japonaise est incomprĂ©hensible Ă la trĂšs grande majoritĂ© des visiteurs
Français. En tant que telle, il sâagit dâune Ă©criture muette, qui, plus que dâapporter des
informations supplémentaires, semble faire obstacle à la compréhension. Elle apporte surtout
une unité visuelle aux expositions, par la multiplication des supports qui y ont recours.
La confusion des registres dâobjets et le peu dâinformations accessibles contribue Ă un
sentiment dâuniformitĂ© des expositions. Ce sentiment est soutenu par la rhĂ©torique employĂ©e :
elle englobe lâensemble des Japonais, il y est question de façon rĂ©currente dâun « esprit » qui
les caractĂ©riserait. Le communiquĂ© de presse de la MCJP mentionne lâharmonie comme « une
vertu japonaise par excellence », et donc commune à tous les Japonais, qui gouverne
lâensemble de la production de design nipponne. Lâambition de la MCJP est de montrer ce
quâutilisent « les Japonais » quotidiennement. Dans le cas des Arts DĂ©coratifs, ceci est
particuliÚrement évident : le « kansei» est par exemple matérialisé par la sculpture « ScÚne de
nÎ » qui manifesterait « cette sensibilité des Japonais qui ressentent intimement cet espace
comme une enceinte sacrĂ©e ». Les concepts Ă©numĂ©rĂ©s par la mĂȘme exposition sont formulĂ©s
de façon encore plus emphatique, et insistent sur le fait quâil sâagit des notions partagĂ©es par
tous les Japonais. Par exemple, le mot hyĂŽjĂŽ èĄšæ , traduction littĂ©rale dâ « expression », est
prĂ©sentĂ© comme un concept de « ce que les Japonais appellent lâ « expression » dâun objet ».
Regardons concrÚtement, à présent, les objets et leur mise en valeur : à partir de quels
indices ce sentiment dâunitĂ© est-il induit ?
A la recherche dâune unitĂ© de propos
Des unités partielles : les matériaux des objets
Tout dâabord, l'unitĂ© des objets est rĂ©alisĂ©e par la matiĂšre dont ils sont faits.
Ainsi, lâespace rĂ©servĂ© aux objets en bambou dans lâexposition Mingei est rĂ©vĂ©lateur.
Il comporte des piĂšces de mobilier, notamment des tabourets, et mĂȘle des objets anonymes de
lâĂ©poque dâEdo, achetĂ©s par Charlotte Perriand, Ă des crĂ©ations de Bruno Taut. LâunitĂ© de
lâespace est donc crĂ©Ă©e par le matĂ©riau bambou qui « semble incarner pour lâĂ©tranger le
matĂ©riau type du Japon 8», et fait lâunitĂ© des objets par sa qualitĂ© japonaise mĂȘme.
La japonitĂ© des objets des deux autres expositions semble, de la mĂȘme façon, ĂȘtre
contenue par le matériau dans lequel ils sont faits. Par exemple, on trouve à la MCJP un
manteau « fabriqué à partir de riz », une enceinte en laque, une corbeille en laque sur inox, de
la vaisselle en tissu de kimono moulé dans de la résine; aux Arts Décoratifs, un sac fait en
fibre de riz, un téléphone en laque, des lanternes en papier⊠autant de matériaux naturels qui
évoquent le Japon. Ceci se retrouve également au niveau de la scénographie : les panneaux
explicatifs de lâexposition Mingei semblent faits de papier washi. Les pans de tissus accrochĂ©s
au plafond de la salle de la MCJP ont également été conçus pour ressembler à ce type de
papier.
La japonitĂ© semble aussi transparaĂźtre dans lâusage des objets liĂ©s Ă lâalimentation. La
prédominance des objets issus de ce registre est frappante : bols, pots à sauce soja,
autocuiseurs de riz, thĂ©iĂšres, couteaux de cuisine, rĂąpe Ă radis blanc, fouet Ă thĂ©, coupes Ă
sake, couverts, baguettes⊠Ce qui fait lâidentitĂ© du Japon semble ĂȘtre liĂ© Ă ce que les Japonais
mangent et Ă leur façon de manger. Ainsi, tout objet relevant de lâalimentaire est, de façon
privilégiée, le support du discours des expositions.
8 Citation tirĂ©e du texte du cartel figurant sur lâespace « les objets en bambou ».
Figure 6 : une partie des "visuels pour la presse" de l'exposition de la MCJP:
trois des six objets prĂ©sentĂ©s ici ont trait Ă lâalimentation
A travers les matériaux mobilisés qui créent des unités partielles, et les références à la
nourriture, lâidentitĂ© japonaise des objets semble façonnĂ©e par des Ă©lĂ©ments rĂ©fĂ©rant Ă la
nature; en d'autres mots, une identité présentée comme naturelle.
Des références partagées pour un « esprit » japonais
Les expositions se font Ă©cho sur de nombreux points; parmi ceux-ci, elles partagent
l'argument dâun Japon atemporel, le recours Ă la langue japonaise comme clĂ© de concepts
spĂ©cifiques, ou la mise en avant de l'harmonie comme valeur Ă lâorigine de la qualitĂ© du
design japonais. Tout ceci fait rĂ©fĂ©rence Ă un « esprit », dont le lieu semble ĂȘtre le « cĆur »
japonais, le kokoro ćż.
Dans les brochures et les communiqués de presse, la rhétorique de ces thématiques
abonde, et laisse apparaßtre une réelle convergence des discours.
- LâatemporalitĂ© de la culture japonaise
Au musĂ©e du Quai Branly, cette atemporalitĂ© est marquĂ©e, dĂšs lâentrĂ©e, par la
juxtaposition dâobjets plus ou moins anciens. Ainsi prĂ©sentĂ©, le mouvement Mingei apparaĂźt
comme sâinspirant dâun « esprit » qui aurait traversĂ© les siĂšcles, et qui se donnerait Ă voir dans
les objets issus de la culture japonaise, toutes Ă©poques confondues. Câest dâailleurs le
sentiment suscitĂ© par lâutilisation du terme « redĂ©couverte » afin de qualifier la valorisation de
lâartisanat populaire entreprise par Yanagi SĂŽetsu : son emploi suggĂšre quâil sâagit de mettre
en lumiĂšre, Ă travers ces objets dâartisanat, un caractĂšre (« spirituel », dâaprĂšs les textes de la
brochure), qui leur aurait Ă©tĂ© propre de tout temps, qui aurait Ă©tĂ© oubliĂ©, et que Yanagi nâaurait
fait que remettre sur le devant de la scĂšne. Enfin, lâespace rĂ©servĂ© Ă Charlotte Perriand met
lâaccent sur la continuitĂ© entre artisanat et design, en rapportant les propos de cette derniĂšre
concernant les objets Mingei : « lâesprit de vĂ©ritĂ© qui a prĂ©sidĂ© Ă ces Ćuvres est un esprit
éternel9 ».
A la MCJP Ă©galement, la rĂ©currence des expressions telles que « aujourdâhui comme
hier », « depuis longtemps » ou « traditionnel » est frappante : elles sont présentes sur chaque
cartel dâexplication, bien quâils soient succincts, et insistent sur la continuitĂ© entre passĂ© et
présent. Les objets et leurs procédés de fabrication « conservent en eux quelque chose de cet
artisanat dâautrefois ». Le concept central de lâexposition, dont provient le titre, est celui de
« wa », « lâharmonie », et sa lĂ©gitimitĂ© provient de son caractĂšre trĂšs ancien : le communiquĂ©
de presse rappelle quâil est mentionnĂ© dans la premiĂšre Constitution de ShĂŽtoku Taishi en
604. Le design moderne est dĂ©fini par la formule : « la fabrication dâobjets au Japon : quand le
passĂ© sâintroduit dans le futur ». Enfin, toujours dâaprĂšs ce communiquĂ©, la scĂ©nographie
Ă©tablie par lâagence japonaise Tonerico « perpĂ©tue la tradition » de la maison Japonaise, en
proposant une « architecture minimaliste de lâespace » 10
.
Lâexposition des Arts DĂ©coratifs, quant Ă elle, prĂ©sente le « kansei » comme une
notion nĂ©e avec le Dit du Genji en lâan mil et qui sâactualise, en tant que « faisceau de
traditions japonaises façonnĂ©es au cours du temps » dans le design dâaujourdâhui, comme une
notion immuable traversant les siĂšcles : câest ce qui justifie la coprĂ©sence des illustrations des
rouleaux enluminés et des objets des années 2000. Ces scÚnes présentées sur un support
technologique moderne (de grands écrans à LED) montrent des images animées pixellisées,
dans un style évoquant de vieilles pellicules de cinéma. Sur les panneaux et brochures, le style
de calligraphie utilisĂ© est le style reisho, archaĂŻsant et peu courant. Lâanachronisme des effets
visuels vise Ă renforcer le propos : il sâagit de montrer le kansei comme « transmis depuis
cette Ă©poque », et qui, « de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration, sâest perpĂ©tuĂ© jusquâĂ aujourdâhui ».
9 Extrait du discours dâintroduction dâune exposition aux grands magasins Takashimaya Ă Tokyo en
1941. 10
Selon les termes du communiqué de presse.
Le caractĂšre immuable de la japonitĂ© apparaĂźt donc ĂȘtre lâun des points centraux sur
lesquels les trois expositions sâaccordent.
- La langue japonaise comme clé
Le recours Ă la langue japonaise est Ă©galement un point commun aux trois
expositions : elles mettent en avant des concepts, présentés comme spécifiquement japonais et
difficilement traduisibles.
Les titres des trois expositions, dĂ©jĂ , comportent des mots japonais, suivis dâun double
point (:), qui introduit une explication, laquelle nâest pas nĂ©cessairement, ou pas seulement, la
traduction littĂ©rale stricte du terme japonais. Celui-ci est donc prĂ©sentĂ© dâemblĂ©e comme
intraduisible.
La brochure de lâexposition de la MCJP annonce que « tout comme les mots, les objets
sont rĂ©vĂ©lateurs de notre sensibilitĂ© », afin dâintroduire la classification des objets en six
concepts japonais11
. De la mĂȘme façon, les mots-clĂ©s exprimant la sensibilitĂ© « kansei » du
design, aux Arts DĂ©coratifs, seraient des notions purement japonaises, qui sâexpriment eux-
mĂȘmes par « des mots propres Ă la culture et de la vie quotidienne des Japonais ». Ils sont
particuliÚrement abondants : les quatre concepts associés aux trois thÚmes forment un total de
quinze mots japonais comme autant de clés de compréhension du design nippon (cf. tableau).
Classification des objets de lâexposition Kansei en thĂšmes et mots-clĂ©s conceptuels
THEMES
PRINCIPAUX
« èĄšæ hyĂŽjĂŽ -
expression »
« ćäœdĂŽsa â le
geste »
« ćż- le cĆur »
MOTS-CLES
ASSOCIES AUX
THEMES
« ăăăăkagerou -
passer de lâombre Ă la
lumiÚre »
« ăă€ăăăshitsura
eru - aménager
lâespace »
« ăăŁăă mottai -
la valeur essentielle »
«ă«ăă nishiki - le
brocart »
« ăăȘăshinaru â
fléchir »
«ăăŠăȘă motenashi -
lâaccueil »
«ăăăăŸă tatazumai - lâallure »
« ăŻă¶ăhabuku -
éliminer le superflu »
« ăăăăkaroyaka â
léger »
« ăăkime - le grain » « ăăoru - plier » « ăăăłmusubi - le
nĆud ».
11
Pour rappel : il sâagit des concepts suivants : kawaii (« mignon »), kurafuto (« craft »), kime (finesse de
grain), tezawari (« sensation tactile »), minimaru (« minimal »), kokorokubari (« prévenance »).
Cette exposition insiste encore sur le fait que les concepts exprimant lâessence du
design japonais se traduisent par des mots purement japonais : les « wakotoba [âŠ] par
opposition aux kango, mots sino-japonais empruntés à la langue chinoise classique ».
Lâusage de mots incomprĂ©hensibles pour le public induit une impression dâopacitĂ©
des concepts mĂȘmes. Les deux sont indissociables : le commissaire gĂ©nĂ©ral de Kansei
souhaite « quâau terme de cette exposition, le public français ait fait la dĂ©couverte de cette
nouvelle approche du design japonais et acquis la connaissance dâun nouveau mot : kansei ».
Le design est prĂ©sentĂ© comme relevant dâune sensibilitĂ© exclusivement japonaise, et sa
comprĂ©hension ne peut donc passer que par lâemploi du mot japonais.
Une image classique dâun Japon « spirituel »
- Lâ « harmonie »
Le design prĂ©sentĂ© par des concepts opaques aux non-japonophones dessine lâimage
dâun Japon difficile Ă saisir : sensible et spirituel, sa comprĂ©hension ne peut ĂȘtre quâintuitive.
Cet « esprit » japonais qui transparaßtrait dans les objets est caractérisé par le recours au motif
de « lâharmonie », wa ć.
Lâharmonie est mise en valeur en tant que concept propre au Japon dans les trois
expositions de design, et particuliĂšrement dans celle de la MCJP, qui en a fait son titre. Elle le
définit comme une des « valeurs les plus prisées par le peuple japonais ». Pour appuyer cette
affirmation, le communiquĂ© de presse mentionne, nous lâavons dĂ©jĂ vu, la phrase dâouverture
de la Constitution de 604 :« le Wa, valeur éminemment respectable, repose sur un principe,
qui est dâĂ©viter toute discorde ». Cette formule historique se rĂ©fĂšre Ă une notion dâharmonie
sociale ; or, elle est ici amalgamĂ©e Ă une idĂ©e dâharmonie esthĂ©tique. En effet, ce wa-lĂ
permettrait la fusion entre éléments anciens et modernes, ou encore entre industrie et artisanat,
et fonderait la qualitĂ© propre du design japonais. La scĂ©nographie repose sur la mĂȘme idĂ©e,
dâaprĂšs les membres organisateurs : Ă©purĂ©, en noir et blanc, lâespace dâexposition est
« extrĂȘmement japonais » en ce quâil est caractĂ©risĂ© par « la beautĂ©, lâordre et lâharmonie ».
Lâexposition des Arts DĂ©coratifs fait Ă©galement rĂ©fĂ©rence Ă lâharmonie, « Ă©lĂ©ment de
la culture spirituelle et traditionnelle du Japon », en tant que principe de fusion Ă lâorigine de
la spĂ©cificitĂ© du design japonais. Quant Ă celle du musĂ©e du Quai Branly, si elle nâappuie pas
explicitement sur le terme, câest encore lâidĂ©e de fusion et de symbiose entre lâartisanat
populaire et le design moderne qui sous-tend son propos, et qui permet de faire figurer des
Ćuvres de designers cĂ©lĂšbres Ă cĂŽtĂ© dâobjets populaires
- Le « cĆur » comme lieu dâune essence
Lâ « esprit » que dĂ©crivent les trois expositions trouve son essence dans le « cĆur »
des Japonais. Le kokoro en tant que concept est une notion qui a été mise en valeur par les
« Ă©tudes nationales » kokugaku au XVIIIĂšme siĂšcle. En rĂ©action Ă lâinfluence chinoise12
, la
recherche dâune essence premiĂšre du Japon a amenĂ©, au fil de relectures de textes du VIIIĂšme
siĂšcle comme le Kojiki ć€äșèšou le Man.yĂŽshĂ» äžèé Ă lâĂ©mergence du concept de
kokoro, qui relĂšverait dâune comprĂ©hension intuitive, la comprĂ©hension rationnelle relevant
de la logique chinoise.
Ce « cĆur » est prĂ©sent plus ou moins explicitement dans les trois expositions : on le
trouve dans le kokorokubari des objets de la MCJP, traduit par « prévenance » du créateur
envers lâutilisateur. Pour comprendre le design des objets, il sâagit, dâaprĂšs la brochure de
Kansei, de saisir « le mouvement qui se produit dans le geste ou le cĆur »13
de celui qui le
crĂ©e : dâoĂč le concept de dĂŽsa, « mouvement ». En manipulant lâobjet, « il nâest pas rare que
lâutilisateur commence Ă ressentir de lâĂ©motion » : le « cĆur » est un sentiment qui se
transmet du producteur Ă lâutilisateur de lâobjet. Pour dĂ©crire une lampe en forme de roseau, la
brochure indique que « pour les Japonais, la vision des eulalies beige clair ondulant sous le
vent Ă©voque lâautomne et donne un sentiment dâĂ©phĂ©mĂšre face au temps qui passe ».
Lâinsistance de Kansei sur le recours exclusif aux wakotoba pour dĂ©signer « des
reprĂ©sentations saisies par les cinq sens », et qui dâaprĂšs la brochure, ne sâĂ©criraient
quâexclusivement en hiragana et non en kanji, relĂšve aussi de la rhĂ©torique du kokoro, dont la
pureté est corrélée à son origine premiÚre.
Si le kokoro dans ces trois expositions renvoie à une considération esthétique, il
Ă©voque Ă©galement Ă la dimension physiologique du cĆur comme organe. Il est le lieu
physique oĂč se cristallise lâ « esprit japonais ». Le musĂ©e du Quai Branly tient en effet, sur les
pas de Yanagi SĂŽetsu, à « rĂ©vĂ©ler la beautĂ© des objets dâusage quotidien et leur dimension
spirituelle », laquelle donne Ă voir « lâesprit des peuples ». Le kansei est « une riche
sensibilitĂ© » sur laquelle lâexposition tente de « lever le voile », comme une « philosophie ».
12
Notamment en philosophie et en politique, par le biais du confucianisme. 13
Je reviendrai plus loin sur la tournure approximative utilisée ici.
La brochure de la MCJP présente encore cet esprit comme bien mystérieux : elle interroge
« ce qui fait quâau premier coup dâĆil, un design est perçu, sans quâon sache exactement
pourquoi, comme spécifiquement japonais ».
Resituer le discours des trois expositions
Les expositions Wa et Kansei ont été réalisées par des Japonais, quant à celle du
musée du Quai Branly, bien que réalisée par une institution française, elle prend sa source
dans l'institution japonaise qui lui a fourni les objets, accompagnés des discours qu'ils
véhiculent. Le propos relayé par les trois expositions est, à l'arrivée, similaire et basé sur les
mĂȘmes arguments. Quelle place occupe ce discours dans le panorama des images diffusĂ©es
par le Japon sur lui-mĂȘme ?
Lâempreinte des nihonjin.ron
- Des références éprouvées
Le propos homogĂšne des expositions est centrĂ© sur des rĂ©fĂ©rences Ă lâanhistoricitĂ© du
Japon, à la langue japonaise comme clé de concepts exclusivement japonais, et à un « esprit »
formulĂ© notamment par les concepts dâharmonie et de cĆur. Or, ces rĂ©fĂ©rences font Ă©cho aux
thĂšses des nihonjin.ronæ„æŹäșșè«, dans lesquels se retrouvent les mĂȘmes Ă©lĂ©ments.
Travaux culturalistes produits par les Japonais sur eux-mĂȘmes, ils sont dĂ©finis par
Jacqueline Pigeot14
comme les « essais que les Japonais ont depuis la guerre consacrĂ©s Ă
lâanalyse de leurs particularitĂ©s nationales, de leur sociĂ©tĂ©, de leur culture ». En tant que genre
littéraire identifié et étiqueté comme tel dans les étagÚres des libraires, il est apparu aprÚs-
guerre et a explosé à partir des années 1960. Il est cependant à noter que des ouvrages parus
dÚs le début du 20Úme
siĂšcle sây apparentent, tant dans le schĂ©ma formel que dans le contenu15
.
Toujours trĂšs vivante aujourdâhui, la catĂ©gorie recouvre des milliers de titres : Harumi
Befu16
en a recensé des formes diverses qui se déploient dans un continuum entre travaux
14
PIGEOT Jacqueline, Les japonais peints par eux-mĂȘmes, Le dĂ©bat, 1983, n° 23, pp. 19-33 15
Notamment, La structure de lâiki, de Kuki ShĂ»zĂŽ, publiĂ© en 1930, dans lequel lâauteur dĂ©finit une
notion proprement japonaise, lâiki, donnĂ©e comme clĂ© de lâesthĂ©tique traditionnelle. 16
BEFU Harumi, Hegemony of homogeneity : an anthropological analysis of "Nihonjin.ron",
Melbourne : Trans Pacific Press, 2001
scientifiques et essais populaires : ouvrages, articles académiques, de magazines ou de
journaux, ils forment un phénomÚne culturel de masse.Befu a également effectué une
typologie des principaux motifs autour desquels se cristallisent ces « traités sur les Japonais ».
Or, il apparaĂźt quâils sont prĂ©cisĂ©ment ceux que je viens d'Ă©numĂ©rer.
Tout dâabord, lâanhistoricitĂ© de lâessence japonaise est au cĆur du nihonjin.ron. Les
heurts de lâHistoire sont passĂ©s sous silence, et Pigeot cite des auteurs de nihonjin.ron
(Umesao Tadao, Nishio Kanji) dont la littĂ©rature âplaide pour lâimmutabilitĂ© japonaiseâ.
En second lieu se dĂ©gage lâargument du langage, qui pour Harumi Befu « est
inĂ©vitablement au cĆur des nihonjin.ron » car les traits fondamentaux propres aux Japonais
qui y sont énoncés sont exprimés en japonais par des concepts tenus pour difficiles à traduire.
Le moteur de lâargument de lâunicitĂ© par le langage est que le japonais nâest parlĂ© que par les
Japonais, et quâil est parlĂ© par tous les Japonais : câest ce quâil appelle lâ « isomorphisme
parfait » entre lâaire linguistique (les locuteurs de langue maternelle japonaise), la terre (les
habitants du pays) et la culture. Celui-ci induit que la logique de la langue japonaise serait
diffĂ©rente de celle des langues occidentales, et par lĂ -mĂȘme, que le mode de pensĂ©e de ses
locuteurs serait fondamentalement différent.
Enfin, ce qui fait lâidentitĂ© japonaise dâaprĂšs les nihonjin.ron relĂšve de lâintuitivitĂ©, et
corrĂ©lĂ©e Ă lâemploi des motifs tels que lâharmonie ou le cĆur. Pigeot qualifie lâharmonie de
« dogme » autour duquel est organisée la structure sociale japonaise telle que dépeinte par les
nihonjin.ron. Quant au kokoro comme lieu de lâessence de la culture, Befu le dĂ©crit comme
une notion immanente, une « substance » de la quintessence japonaise, qui renvoie à un
sentiment de nostalgie dâun Japon pur et premier.
Les expositions reprennent les rhĂ©toriques des nihonjin.ron, ce qui permet dâaffirmer
quâelles sâinscrivent dans ce type de dĂ©marche. La structure du nihonjin.ron est rĂ©guliĂšre et
propose des schémas-types de la culture japonaise17
: un paradigme proprement japonais est
dĂ©gagĂ© (issu dâun registre Ă©cologique, linguistique, psychologiqueâŠ) qui permet ensuite Ă
lâauteur de dĂ©crire de nombreux aspects de la culture japonaise de façon « impressionniste »
plus que sous la forme dâun dĂ©veloppement dialectique. Le mĂȘme procĂ©dĂ© est Ă lâĆuvre dans
les expositions, qui articulent des discours homogÚnes sur le Japon à partir de concepts érigés
17
Par exemple, le nihonjin.ron de Suzuki Hideo oppose le paysage de forĂȘt, typiquement japonais, au
paysage dĂ©sertique de lâOccident : le premier serait la cause de la capacitĂ© dâanalyse aiguĂ« propre aux Japonais,
par contraste avec la seconde, qui dĂ©terminerait lâesprit de synthĂšse : cf. SUZUKI H., Shinrin no shikĂŽ Sabaku
no shikĂŽ (âPensĂ©e forestiĂšre, pensĂ©e dĂ©sertiqueâ), Tokyo : Nippon HĂŽsĂŽ Shuppan KyĂŽkai, 1978.
en paradigmes : le mingei au Quai Branly, lâharmonie Ă la MCJP, et le kansei aux Arts
DĂ©coratifs.
- La méthode prescriptive
LâhomogĂ©nĂ©itĂ© des expositions est annoncĂ©e comme Ă©tant une donnĂ©e prĂ©-requise des
objets prĂ©sentĂ©s ; pourtant, elle nâest que crĂ©Ă©e par la scĂ©nographie et la rhĂ©torique issue des
nihonjin.ron, qui font coexister et rassemblent un mĂ©lange dâobjets hĂ©tĂ©roclites.
Cette rhétorique est entretenue par des formules standardisées et des arguments
lourdement martelĂ©s. A la MCJP, lâ « harmonie » se dĂ©cline Ă chaque phrase ; la rhĂ©torique
de la symbiose et de la fusion (des valeurs, des procĂ©dĂ©s de fabricationâŠ) est le terreau de
presque tous les textes émis par les commissaires et repris sur le communiqué de presse. Le
musée du Quai Branly construit ses textes (de la scénographie et de la brochure) autour des
champs sĂ©mantiques du populaire, de lâanonymat et du spirituel. Quant Ă Kansei, la quantitĂ©
importante de textes appuyant le propos de lâexposition rend particuliĂšrement frappant le
procĂ©dĂ© de standardisation des formules : la sensibilitĂ©, lâesprit, la nature, la tradition ou la
philosophie sont autant de termes-clés qui se retrouvent dans chaque phrase de la brochure. Ils
sont parfois associĂ©s au sein de tournures qui en deviennent abstraites : par exemple, on lâa
vu, dĂŽsa est « le mouvement qui se produit dans le geste ou le cĆur » ; ou bien, « le sens
esthĂ©tique [est] mĂ»ri au sein dâune culture profondĂ©ment prĂ©sente ». De plus, les paragraphes
décrivant les objets exposés reprennent systématiquement le concept japonais qui lui est
rattaché ; ils sont donc particuliÚrement répétitifs.
Les brochures dâexpositions ne sont pas des objets conçus pour ĂȘtre lus de façon
extensive par les visiteurs. Aussi, la répétition et la standardisation des formules sert un souci
aigu de communication du propos ; quelque soit le passage que lira le visiteur, lâessentiel du
message contenu par lâexposition lui sera transmis.
Or, les expositions, et donc leurs textes, au moins dans le cas de Wa et Kansei,
proviennent des institutions japonaises qui les ont réalisées en grande partie, puis transposées
en France. Lâexposition des Arts DĂ©coratifs est explicitement organisĂ©e de bout en bout par le
METI, prenant place dans une dĂ©marche plus large de promotion industrielle Ă lâĂ©tranger,
intitulĂ©e « Kansei et crĂ©ation de valeur », initiĂ©e par le mĂȘme ministĂšre japonais en mai 2007.
Les Arts DĂ©coratifs ne semblent donc pas avoir pris part au processus dâĂ©laboration de
lâexposition parisienne. Quant Ă la MCJP, elle prĂ©sente habituellement des expositions
élaborées en interne à Paris, ou en partie en amont par la Fondation. Cependant, dans le cas
de Wa, le siĂšge japonais a Ă©tĂ© particuliĂšrement dirigiste. Les commissaires de lâexposition
Ă©taient tous Japonais ; la scĂ©nographie est dâhabitude laissĂ©e Ă une agence française, mais
cette fois-ci lâagence Ă©tait Ă©galement japonaise. Du choix des objets jusquâĂ leur transport, en
passant par le contact avec les entreprises les ayant produits, tout a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© par lâĂ©quipe
japonaise. Les textes prĂ©sentĂ©s dans lâexposition sont habituellement Ă©laborĂ©s Ă partir dâune
base en japonais fournie par le siĂšge de la Fondation, qui laisse le soin Ă lâĂ©quipe en France de
traduire, enrichir et adapter le contenu au public français. Or, cette fois-ci, la consigne a été de
ne faire que traduire fidÚlement les textes de la signalétique, par ailleurs beaucoup plus courts
quâĂ lâaccoutumĂ©e.
Tout ceci relÚve de la valeur « prescriptive » qui caractérise le mode de
fonctionnement des nihonjin.ron selon Befu. Celui-ci postule que les faits énumérés dans les
nihonjin.ron et les théories qui en sont dégagées sont donnés comme des observations, alors
quâil sâagit dâun « idĂ©al positif » : les Japonais dĂ©crits dans ces traitĂ©s, et les caractĂšres qui
leur sont associĂ©s, deviennent des standards normatifs. Câest la mĂȘme idĂ©e quâĂ©nonce Pigeot
lorsquâelle affirme que les nihonjin.ron insistant sur le consensus social sont moins des
« objets dâanalyse » que des « formules conjuratoires ». De la mĂȘme façon, les institutions
organisatrices des expositions en amont, au Japon, ont prescrit une vision du Japon Ă diffuser
en France. Ainsi, la Fondation du Japon a formulé explicitement son désir de laisser les objets
ĂȘtre « parlants », afin de donner Ă voir un Japon intuitif, apparentĂ© Ă celui des nihonjin.ron, et
de lâimposer auprĂšs du public parisien.
Au musée du Quai Branly, en revanche, si les objets proviennent du musée japonais,
les commissaires insistent sur l'indépendance, tant financiÚrement que pour la formulation du
propos, dont ils ont bĂ©nĂ©ficiĂ© vis Ă vis du Mingeikan. Pourtant, nous lâavons vu, le propos est
Ă©galement proche de celui des deux autres expositions. En cela, lâimage renvoyĂ©e par le Japon
en Occident apparaßt parfaitement assimilée. Cette appropriation illustre le jeu du miroir tendu
par l'Autre dans la construction de l'identité japonaise.
Entre Japon et Occident, un jeu dâinfluences rĂ©ciproques
- LâidentitĂ© japonaise : une construction en miroir
Le discours dâidentitĂ© par une essence culturelle, produit par le Japon sur lui-mĂȘme,
est donc installé et repris en France par les institutions exposantes qui le véhiculent à leur
tour.
Dans le cas du musée du Quai Branly, la démarche pourtant indépendante de
l'institution japonaise aboutit Ă un propos balisĂ© et marquĂ© des mĂȘmes arguments que les
expositions élaborées au Japon.
De plus, pour les trois expositions, ce propos est accepté et largement diffusé au grand
public: ce qui sâobserve notamment dans la presse qui a couvert les trois expositions. Les
articles les évoquant reprennent les mots employés dans les communiqués de presse. Les
formules sont parfois rigoureusement identiques, ce qui suggÚre un simple copié-collé de la
source. Cependant, le discours dĂ©veloppĂ© plus en longueur dans le numĂ©ro spĂ©cial dâAD
(Architectural Digest) dédié au design japonais, sur lequel je me suis concentrée, montre une
vĂ©ritable rĂ©cupĂ©ration de la rhĂ©torique des nihonjin.ron : « Et si lâessence du design se
trouvait bel et bien au Japon ? Sans que lâon sache exactement pourquoi, il nous arrive de
distinguer, dans une myriade dâobjets venus du monde entier, ceux issus du pays du Soleil
Levant. Comme si, malgrĂ© la globalisation Ă outrance, lâĆil arrivait Ă reconnaĂźtre ce « petit
quelque chose » dâĂ©minemment nippon ».
SensibilitĂ©, comprĂ©hension intuitive, harmonie, atemporalitĂ© : les mĂȘmes motifs sont
repris, et dessinent les axes sur lesquels se bĂątit lâimage du Japon en France.
PrĂ©cisĂ©ment, lâidentitĂ© japonaise que proposent les nihonjin.ron vaut pour et par sa
diffusion Ă lâĂ©tranger. « Cette dĂ©finition de soi ne vaut comme telle que parce quâelle est
acceptĂ©e par lâextĂ©rieur » :câest pour cette raison, dâaprĂšs Befu, que « le gouvernement
japonais dĂ©pense tant dâĂ©nergie Ă propager les nihonjin.ron Ă lâĂ©tranger » en finançant leur
traduction en anglais, ou, ici, en exportant des expositions culturalistes.
Ici, les expositions Wa, Mingei et Kansei réactualisent un jeu de projections entre
Japon et Occident qui leur est bien antĂ©rieur dans la dĂ©finition de lâidentitĂ© japonaise. Il sâagit
dâun complexe jeu de miroirs, qui fonctionne par contact et rĂ©action, dans les deux sens et sur
une large Ă©chelle historique. Lâimage de soi donnĂ©e par le Japon sâest construite dans une
confrontation permanente avec lâĂ©tranger. Michael Lucken lâa montrĂ© dans le cas de la
formulation des concepts artistiques Ă la fin du XIXĂšme siĂšcle (Lucken18
) ; Laurence Caillet a
Ă©galement notĂ© que les thĂ©ories actuelles Ă©mises par des Japonais sur le Japon, pour ĂȘtre
plébiscitées, doivent faire un détour par la recherche Occidentale (Caillet19
). Ici, ce
mouvement est illustrĂ© par un article rĂ©digĂ© par une commissaire de lâexposition du musĂ©e du
Quai Branly, cÎté français, publié dans la revue Mingei, au Japon, afin de rendre compte de la
rĂ©ception de lâexposition en France20
. Par ailleurs, elle attribue son succĂšs Ă lâeffort
dâadaptation du contenu au public français. En dâautres termes, le Japon qui y a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© a
fait mouche car il correspond déjà à une image trÚs photogénique du Japon à laquelle le public
français est sensible : le jeu de miroir est sans fin.
- Rejet de lâĂ©tranger et ambition universaliste
Cette identité japonaise ainsi construite englobe à la fois deux tendances paradoxales
et complĂ©mentaires. Parce quâelle est purement japonaise, elle exclut les Ă©trangers, qui ne
peuvent la comprendre. Mais dans le mĂȘme mouvement, parce quâelle est spirituelle,
lâessence japonaise a une vocation universelle : il sâagit de la diffuser le plus largement
possible dans le monde.
Les nihonjin.ron sont toujours construits dans un rapport de comparaison et de
diffĂ©renciation, mĂȘme implicite, Ă lâOccident. En effet, le discours vĂ©hiculĂ© par les
expositions se donne comme concernant lâensemble de la population japonaise, et exclut tous
les non-Japonais de toute comprĂ©hension de cette identitĂ©. Lâanecdote relevĂ©e par le musĂ©e du
Quai Branly, indiquée sur le cartel présentant les « objets en bambou », montre bien que les
concepts japonais sont inaccessibles aux étrangers : Yanagi SÎetsu trouvait les objets achetés
par Charlotte Perriand de trÚs mauvais goût.
Le procĂ©dĂ© dâexclusion des non-Japonais est Ă©galement rĂ©cupĂ©rĂ© lorsque les
journalistes dâAD expliquent quâil est nĂ©cessaire de passer par « la sĂ©mantique japonaise »
pour tenter de comprendre la spĂ©cificitĂ© du design japonais. Lâun des journalistes juxtapose
les concepts japonais sans les traduire, et ironise sur leur opacité (« Kawaii, kurafuto,
minimaru⊠rien que cela ! »). Il écrit plus loin que le « kokoroburaki (sic21
)[est] une vertu
18
LUCKEN M., Lâart du Japon au vingtiĂšme siĂšcle, Paris : Hermann, 2001, pp. 23-27 19
CAILLET L. (dir.), Ethnographies japonaises, introduction, Ateliers, 2006, n°30, pp. 9-34 20
SHIRAHA Akemi, « Compte-rendu de lâexposition au musĂ©e du Quai Branly »
(ă±ă»ăă©ăłăȘăŒçŸèĄé€šć±èŠ§äŒć ±ć), in The Mingei (æ°è), n° 675, mars 2009, pp. 50-54 21
Il sâagit en rĂ©alitĂ© de « kokorokubari ».
proche de la sagesse ». Le terme japonais nâest pas employĂ© par souci dâexactitude : les
syllabes en sont négligemment mélangées. Le recours au concept japonais semble plutÎt
relever de la reprise de lâexotisation par la langue au compte des Français. Enfin, lorsquâil
conclut que « lâĂ©nigme de lâitem nippon nâen reste pas moins Ă percer », la diffĂ©rence
insurmontable entre les Japonais et le reste du monde, argument premier des nihonjin.ron, est
définitivement scellée dans son discours.
Cependant, cette essence purement japonaise est, plus encore, Ă vocation universelle.
Lâarticle de la revue Mingei citĂ© plus haut affirme que la plus grande qualitĂ© de lâexposition a
Ă©tĂ© de fasciner le public par le « discours universel » qui sâen dĂ©gageait : par la « parole
silencieuse » des objets se dĂ©gageait une « vĂ©ritĂ© commune avec lâOccident ». Le texte signĂ©
par le Ministre de lâEconomie, du Commerce et de lâIndustrie du Japon, en introduction de la
brochure de lâexposition aux Arts DĂ©coratifs, prĂ©sente la sensibilitĂ© kansei comme un concept
que le Japon a « Ă©lucidĂ© » et quâil sâagit de « diffuser dans le monde ». Le propos prend ses
racines dans un Japon essentialisé, mais il a une ambition internationale.
Lorsque le design japonais est présenté comme réussissant la symbiose entre passé et
prĂ©sent, et entre artisanat et industrie, il sâĂ©rige en modĂšle. Il ne sâagit pas seulement de
donner une image du Japon Ă voir Ă lâextĂ©rieur, mais de montrer Ă©galement que les qualitĂ©s de
ce Japon sont un exemple Ă suivre, en lâoccurrence, pour le design en gĂ©nĂ©ral, dâoĂč quâil soit.
De la mĂȘme façon, la mise en avant des designers internationaux au sein de lâexposition
Mingei montre que des étrangers se sont installés au Japon afin de puiser leur inspiration aux
sources dâune essence spĂ©cifiquement japonaise, qui leur a permis dâĂ©lever leur crĂ©ation Ă un
niveau transcendant les frontiĂšres, voire le temps : ce mĂȘme « niveau plus Ă©levĂ© » qui est
atteint grùce à la fusion des valeurs que permet le « wa ».
Lâarticle de LibĂ©ration22
traitant de nos trois expositions soulĂšve ces questions, en
rapportant en guise dâintroduction les propos du couturier Issey Miyake : «Il est possible
dâenvisager des mesures qui permettraient de refonder la nation sur un design ayant sa place
dans le monde entier» : le design semble ĂȘtre un support idĂ©al pour les aspirations
internationales de lâessence japonaise.
22
FEVRE Anne-Marie, France-Japon, relations dâharmonie, LibĂ©ration, 4 novembre 2008, consultable en
ligne : http://www.liberation.fr/culture/0101166925-france-japon-relations-d-harmonie (derniĂšre consultation:
27/11/08)
Conclusion
Les trois expositions Mingei, Wa et Kansei sâinscrivent dans la rhĂ©torique des
nihonjin.ron: elles sont, en elles-mĂȘmes, des nihonjin.ron. Le Japon qui y a Ă©tĂ© donnĂ© Ă voir
est un Japon théorisé dans cette littérature ; les expositions sont des éléments qui font partie
de la promotion de ce Japon Ă lâĂ©tranger. Elles en reprennent les procĂ©dĂ©s dâargumentation et
de persuasion. Par leur tenue Ă Paris Ă lâhiver 2008, lâacceptation de leur propos et lâĂ©cho
quâelles ont reçu dans les media, elles illustrent et rĂ©actualisent la construction de lâimage du
Japon produite par lui-mĂȘme en regard de lâOccident.
Germain Viatte, interrogĂ© par une revue dâart23
dans une trÚs courte interview, résume
le propos de Mingei en deux paragraphes : il évoque successivement la « dimension
spirituelle » essentielle propre au Japon, puis lâambition quâil a eu de montrer « lâuniversalitĂ©
des techniques ». La juxtaposition des deux idĂ©es, dans cette synthĂšse, montre quâelles
forment lâarmature minimale du propos de lâexposition : essence japonaise et universalisme.
Jâai montrĂ© en quoi il sâagissait de deux tendances prĂ©sentes dans les discours Ă©mis par les
institutions exposantes et ceux qui les ont relayés. Mais de façon plus générale, le discours sur
lâuniversalisme du modĂšle japonais semble ĂȘtre vĂ©ritablement une part constituante des
théories culturalistes.
Cette dynamique nâest cependant pas neutre : pour le philosophe Bernard Stevens24
,
elle peut poser problĂšme en ce quâelle rĂ©active la thĂ©matique du « dĂ©passement de la
modernitĂ© » par le Japon, laquelle porte une « coloration idĂ©ologique » quâil juge dangereuse.
En effet, il rappelle comment, dans les annĂ©es 1930-1940, les philosophes de lâĂ©cole de KyĂŽto
en ont fait la justification de lâultranationalisme et de lâimpĂ©rialisme dâalors. La recherche de
la spĂ©cificitĂ© japonaise sâaccompagnait dâune « rĂ©interprĂ©tation de la philosophie hĂ©gĂ©lienne
de lâhistoire », dans laquelle le Japon est placĂ© en « terme ultime de lâavĂšnement de lâEsprit ».
La « vocation spirituelle » nâĂ©tait alors quâun prĂ©texte, le projet universaliste Ă©tant au
contraire tout Ă fait concret, puisquâil sâagissait de remettre chaque nation Ă sa place, avec le
Japon Ă leur tĂȘte. Le « dĂ©passement de la modernitĂ© », titre du colloque de 1942, sâexprime
23
GEOFFROY-SCHNEITER BĂ©rĂ©nice, âLe Mingei ou la beautĂ© dans lâordinaire⊠», in LâĆil n° 607,
novembre 2008 24
STEVENS Bernard, « Ambitions japonaises, nouvel asiatisme et dépassement de la modernité », in
Esprit n°213, juillet 1995, pp. 5-29
aujourdâhui sous la forme dâun « nouvel asiatisme » : ce qui le rend inquiĂ©tant est lâusage qui
en est fait par les néo-nationalistes, pour lesquels la puissance économique du Japon est
corrélée à la vocation universelle de la culture japonaise.
Sâil semble donc nĂ©cessaire dâĂȘtre prudent sur ses Ă©ventuelles implications politiques
et idĂ©ologiques, Stevens concĂšde que lâidĂ©e dâessence japonaise universelle reste nĂ©anmoins
bonne Ă penser dans certains domaines, tels que lâesthĂ©tique. Lâanalyse des trois expositions
Mingei, Wa et Kansei montre comment le design est un support privilégié dans le
développement de cette rhétorique
La culture, comme essence insaisissable, se veut ici incarnée dans des objets concrets.
Retracer leur processus de sélection permet de mettre à jour la « vision du monde » qui les
sous-tend, et qui les dépasse. La mise en perspective historique de Stevens vaut donc pour une
mise en garde quâil apparaĂźt nĂ©cessaire de garder Ă lâesprit : la manipulation de lâaltĂ©ritĂ©
japonaise décrite ici comprend des enjeux qui vont bien au-delà des portes des institutions
muséales.
Coralie Castel, 17/12/2009
BIBLIOGRAPHIE
Matériaux primaires :
Presse :
AD (Architectural Digest), numéro spécial design japonais, novembre 2008.
BOUCRELLE, V., « Kansei, la nouvelle valeur du design », PlanÚte Japon, n° 13
FEVRE, A.-M., France-Japon, relations dâharmonie, LibĂ©ration, 4 novembre 2008,
consultable en ligne : http://www.liberation.fr/culture/0101166925-france-japon-relations-d-
harmonie (derniĂšre consultation: 27/11/08)
GEOFFROY-SCHNEITER BĂ©rĂ©nice, âLe Mingei ou la beautĂ© dans lâordinaire⊠», in LâĆil
n° 607, novembre 2008,
consultable en ligne : http://www.artclair.com/oeil/archives/docs_article/60031/le---mingei---ou-la-beaute-
dans-l-ordinaire.php (derniĂšre consultation: 17/12/09)
SHIRAHA Akemi, « Compte-rendu de lâexposition au musĂ©e du Quai Branly »
(ă±ă»ăă©ăłăȘăŒçŸèĄé€šć±èŠ§äŒć ±ć), in The Mingei (æ°è), n° 675, mars 2009, pp. 50-54
Communiqués de presse officiels :
Kansei, communiqué de presse en ligne : http://www.jetro.go.jp/france/topics/20081121308-
topics (derniĂšre consultation: 4/12/08)
Wa : lâharmonie au quotidien : communiquĂ© de presse papier.
Catalogues dâexposition :
MusĂ©e du quai Branly, Paris, 2008. Lâesprit Mingei au Japon. Catalogue dâexposition (Paris,
Musée du quai Branly, 20 septembre 2008 -11 janvier 2009). Paris : Musée du quai
Branly/Actes Sud, 2008
Maison de la culture du Japon Ă Paris / the Japan Foundation, Paris, 2008. Wa : l'harmonie au
quotidien - design japonais d'aujourd'hui. Catalogue dâexposition (Paris, Maison de la culture
du Japon Ă Paris, 22 octobre 2008 â 31 janvier 2009). Tokyo : Fondation du Japon, 2008.
Dépliants distribués gratuitement :
Lâesprit Mingei au Japon
Wa : lâharmonie au quotidien
Kansei
Matériaux secondaires :
BEFU H., Hegemony of homogeneity : an anthropological analysis of "Nihonjinron",
Melbourne : Trans Pacific Press, 2001
BENEDICT R., The Chrysantemum and the sword, Boston : Houghton Mifflin, 1946
BUTEL, J.-M., #005 Exposition : L'esprit Mingei au Japon - musée du Quai Branly, podcast
disponible sur http://japethno.blogspot.com/ (derniĂšre consultation 25/05/09)
CAILLET L. (dir.), Ethnographies japonaises, Ateliers, 2006, n°30, pp. 9-34
CHAPPUIS R., La japonité selon Jeanne d'Arc, Critique internationale, 2008, n° 38, pp. 55-
72
DAVALLON J., Lâexposition Ă lâĆuvre, stratĂ©gies de communication et mĂ©diation
symbolique , Paris : LâHarmattan, 1999
DE LâESTOILE B., « Quand lâanthropologie sâexpose », Critique â revue gĂ©nĂ©rale des
publications françaises et étrangÚres, n° 680-681, vol. 60, jan-fév 2004, pp. 5-15
DE LâESTOILE B., Le goĂ»t des autres: de l'exposition coloniale aux arts premiers, Paris :
Flammarion, 2007
DOI T., Amae no kĂŽzĂŽ (en français : Le Jeu de lâindulgence), Tokyo : KĂŽbundĂŽ, 1971
GONSETH M.-O., HAINARD J., KAERH R. (éd)., Le musée cannibale, Neuchùtel : Musée
dâethnographie, 2002
HOBSBAWM E., RANGER T., The invention of tradition, Cambridge : Cambridge
University Press, 1983
IVY, M., Discourses of the vanishing: modernity, phantasm, Japan, Chicago : University of
Chicago Press, 1995
LUCKEN M., Lâart du Japon au vingtiĂšme siĂšcle, Paris : Hermann, 2001
OGUMA E., Tan.itsu minzoku shinwa no kigen : the myth of the homogeneous nation, Tokyo:
Shin.yĂŽsha, 1995
PIGEOT J., Les japonais peints par eux-mĂȘmes, Le dĂ©bat, 1983, n° 23, pp. 19-33
RAISON B., Lâempire des objets, Paris : Ă©ditions du May, 1989
SABATA T., Nikushoku bunka to beishoku bunka (« la culture carnivore et la culture du
riz »), Tokyo : KÎdansha, 1972
STEVENS B., « Ambitions japonaises, nouvel asiatisme et dépassement de la modernité », in
Esprit n°213, juillet 1995, pp. 5-29
SUZUKI H., Shinrin no shikĂŽ Sabaku no shikĂŽ (âPensĂ©e forestiĂšre, pensĂ©e dĂ©sertiqueâ),
Tokyo : Nippon HĂŽsĂŽ Shuppan KyĂŽkai, 1978
TIPTON E., CLARK J. (Ă©d), Being modern in Japan : culture and society from the 1910s to
the 1930s, Honolulu : University of Hawaii Press, 2000
UMESAO T., Le Japon Ă lâĂšre planĂ©taire, Paris : Publications orientalistes de France, 1983
UMESAO T., Keynote address: the comparative study of collection and representation, by
Umesao Tadao, Japanese Civilization in the Modern World, XVII, Collection and
representation, Senri Ethnological Studies n° 54, 2001, pp. 1-14
VLASTOS S., Mirror of modernity : invented traditions of modern Japan, Berkeley :
University of California Press, 1998
YOSHIDA K., âTĂŽhakuâ and âMinpakuâ within the history of modern Japanese civilization:
Museum Collections in Modern Japan, by Yoshida Kenji, Japanese Civilization in the
Modern World, XVII, Collection and representation, Senri Ethnological Studies n° 54, 2001,
pp. 77-104