CONSEILPONTIFICALPOURLAPROMOTIONDELANOUVELLEÉVANGÉLISATION

LESŒUVRESDEMISÉRICORDE

CORPORELLESETSPIRITUELLES

JUBILÉDELAMISÉRICORDETEXTEOFFICIEL

TABLEDESMATIÈRES

PRÉSENTATION

INTRODUCTION

LesœuvresdeMiséricordedansleJubilédelaMiséricorde

LesœuvresdeMiséricordedansleCatéchismedel’Églisecatholique

I–ORIGINEDELAMISÉRICORDEETDESESŒUVRESDANSL’ÉCRITURESAINTE

AncienTestament:«Éternelestsonamour»(Ps136)

LesœuvresetlesactesconcretsdeMiséricordedansl’AncienTestament

NouveauTestament:«Bienheureuxlesmiséricordieuxcarilsobtiendrontmiséricorde»(Mt5,7)

LetexteparadigmatiquedeMatthieu25,31-46

Lesœuvrescitéesdanslechapitre25del’ÉvangiledeMatthieuetleurtraditionjudéo-biblique

L’identificationduChristaux«pluspetitsd’entresesfrères»

Unitéchrétiennedel’amourduprochainavecl’amourdeDieu

TémoignagesdelatraditionsurMatthieu25etlesœuvresdeMiséricorde

ListesinitialesdesœuvresdeMiséricorde

JustificationdanssaintThomasd’Aquindedeuxlistesd’œuvresdeMiséricorde23

II–LESŒUVRESDEMISÉRICORDECORPORELLES

Donneràmangerauxaffamés

PremièreœuvredeMiséricordedansMatthieu25,35

Donneràboireàceuxquiontsoif

DeuxièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,35

Accueillirlesétrangers

TroisièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,35

Vêtirceuxquisontnus

QuatrièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,36

Assisterlesmalades

CinquièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,36

Visiterlesprisonniers

SixièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,36

Ensevelirlesmorts

SeptièmeœuvredeMiséricordedanslelivredeTobie1,17;12,12-13.

III–LESŒUVRESDEMISÉRICORDESPIRITUELLES

Êtrevigilant

Conseillerceuxquisontdansledoute

Enseignerauxignorants

Avertirlespécheurs

Garderunespritconciliant

Consolerlesaffligés

Pardonnerlesoffenses

Supporterpatiemmentlespersonnesennuyeuses

Prier

PrierDieupourlesvivantsetpourlesmorts

CONCLUSION

LesœuvresdeMiséricorde:témoignageconcretdel’amourpréférentielpourlespauvres

LesquatreformesdepauvretédanslesœuvresdeMiséricorde

LesœuvresdeMiséricordeau-delàdelajustice

Marie:mèredelaMiséricorde

Bibliographie

Notes

Copyright

Danslamêmecollection

PRÉSENTATION

L’Écriture sainte reflète la façon dont la miséricorde s’exprime. Au-delà d’unedimensionaffective,lespagesdelaBiblemettentenévidencel’expressionconcrètede lamiséricorde, dans samatérialité tangible et visible. C’est avec raison que lepape François a écrit dans la bulle d’indiction Misericordiae Vultus1 : « Lamiséricorde de Dieu n’est pas une idée abstraite, c’est une réalité concrète parlaquelle il nous révèle son amour qui est comme celui d’un père et d’une mère,émusauplusprofonddeleursentraillespourleurpropreenfant»(MV,6).

Le«grandfleuvedelamiséricorde»nesetarit jamaisparcequel’onrencontredesgensquiendonnentuntémoignageconcretdanslaviedetouslesjours.C’estun spectacle incroyable que celui auquel on assiste, surtout dans les périodes degrande difficulté sociale, économique et à la suite de catastrophes naturelles : unconcoursdesolidaritéquidépasseleslangues,lesraces,lesreligionsetlespays.Ondécouvre qu’il existe un sentiment qui lie tous les hommes et les femmes, parcequ’ils appartiennent tous à la même humanité. Les œuvres de Miséricordecorporelles et spirituelles s’inscrivent dans ce processus de solidarité humaine etmettenten lumièreunede sescaractéristiquesessentielles. «C’estàmoiquevousl’avezfait»(Mt25,40)donnesatoucheparticulièreautémoignagechrétien.Jésuss’est identifié à celui qui a faim, à celui qui a soif, à celui qui est nu et étranger,malade ou en prison, il s’est identifié à celui qui est en proie au doute ou dansl’afflictionetquiabesoind’aide,deconsolationpournepastomberdansl’angoisse.Celademandeégalementdepardonneretd’offrirdesgestesconcretsdebonté,depatienceetdeproximitéàquiconquese trouvedans lebesoin.Commeon lesait,noussommesappelésàprêterattentionàchaquepersonneetà toute lapersonne.C’estunservicedésintéresséquinepeutacquérirtoutesaforcequedans lafoienJésus Christ. C’est une vocation à laquelle nous devons répondre, qui ne peuts’arrêter aux exigences matérielles, mais qui doit être capable d’entrer aussi dansl’âmeoù,souvent,lebesoind’aideestlepluspressant.

Le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation estparticulièrementreconnaissantenversleprofesseurSalvadorPié-Ninotquiamissacompétence théologique et pastorale au service de cette réflexion. Nous avons la

certitudequelalecturedecespagessoutiendra,durantleJubilédelaMiséricorde,les nombreuses personnes qui voudront être témoins, dans le silence de la viequotidienne, de la redécouverte de ces gestes tout simples et concrets quiremplissentlecœurdejoieetoffrentlavraieconsolation.

XRinoFisichellaPrésidentduConseilpontifical

pourlapromotiondelanouvelleévangélisation

INTRODUCTION

LesœuvresdeMiséricordedansleJubilédelaMiséricorde

C’estenpartantdelasituationdenotremondequelepapeFrançoisdanslabulled’indictiondu Jubilé extraordinairede laMiséricorde,MisericordiaeVultus, nousdonne l’explicationde cette grande convocationde l’Année sainte.En effet, cetteexclamation si vraie : « Combien de situations de précarité et de souffrancen’existent-ellespasdanslemonded’aujourd’hui!»(MV,15),annoncebienlasuitedesesréflexions.«AucoursdecetteAnnéesainte,nouspourronsfairel’expérienced’ouvrir notre cœur à ceux qui vivent dans les périphéries existentielles les plusdifférentes,quelemondemoderneasouventcrééesdefaçondramatique.Combiende situations de précarité et de souffrance n’existent-elles pas dans le monded’aujourd’hui !Combiendeblessuresnesont-ellespas impriméesdans lachairdeceuxquin’ontplus de voixparce que leur cri s’est évanoui et s’est tu à causedel’indifférence des peuples riches ! Au cours de ce Jubilé, l’Église sera encoredavantage appelée à soigner ces blessures, à les soulager avec l’huile de laconsolation, à les panser avec la miséricorde et à les soigner par la solidarité etl’attention. Ne tombons pas dans l’indifférence qui humilie, dans l’habitude quianesthésiel’âmeetempêchededécouvrirlanouveauté,danslecynismedestructeur.Ouvronsnosyeuxpourvoirlesmisèresdumonde,lesblessuresdetantdefrèresetsœurs privés de dignité, et sentons-nous appelés à entendre leur cri qui appelle àl’aide.Quenosmainsserrentleursmainsetlesattirentversnousafinqu’ilssententlachaleurdenotreprésence,del’amitiéetdelafraternité.Queleurcrideviennelenôtre et qu’ensemble, nous puissions briser la barrière d’indifférence qui règnesouventensouverainepourcacherl’hypocrisieetl’égoïsme»(MV,15a).

LepapeFrançoissouhaite,àpartirdecetteprésentation,quelepeuplechrétienréfléchissesurlesœuvresdeMiséricordecorporellesetspirituelles:«J’aiungranddésirquelepeuplechrétienréfléchissedurantleJubilésurlesœuvresdeMiséricordecorporelles et spirituelles.Ce sera une façonde réveiller notre conscience souventendormiefaceaudramedelapauvreté,etdepénétrertoujoursdavantagelecœurde

l’Évangile,où lespauvressont lesdestinatairesprivilégiésde lamiséricordedivine.LaprédicationdeJésusnousdresse le tableaudecesœuvresdeMiséricorde,pourquenous puissions comprendre si nous vivons, oui ounon, comme ses disciples.RedécouvronslesœuvresdeMiséricordecorporelles:donneràmangerauxaffamés,donneràboireàceuxquiontsoif,vêtirceuxquisontnus,accueillirlesétrangers,assisterlesmalades,visiterlesprisonniers,ensevelirlesmorts.Etn’oublionspaslesœuvresdeMiséricordespirituelles:conseillerceuxquisontdansledoute,enseignerles ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses,supporterpatiemmentlespersonnesennuyeuses,prierDieupourlesvivantsetpourlesmorts.NousnepouvonspaséchapperauxparolesduSeigneuretc’estsurellesquenousseronsjugés:aurons-nousdonnéàmangeràquiafaim,etàboireàquiasoif?Aurons-nousaccueillil’étrangeretvêtuceluiquiétaitnu?Aurons-nousprisletempsdedemeurerauprèsdeceluiquiestmaladeetprisonnier?(cf.Mt25,31-45).Demême,ilnousserademandésinousavonsaidéàsortirdudoutequiengendrelapeur,etbiensouventlasolitude;sinousavonsétécapablesdevaincrel’ignorancedans laquelleviventdesmillionsdepersonnes, surtoutdesenfantsprivésde l’aidenécessairepour être libérésde lapauvreté ; sinousnous sommes faitsprochesdeceluiquiestseuletaffligé;sinousavonspardonnéàceluiquinousoffense;sinousavons rejeté toute formede rancœur et dehainequi porte à la violence ; si nousavonsétépatientsà l’imagedeDieuquiestsipatientenversnous ; sienfin,nousavonsconfiéauSeigneur,danslaprière,nosfrèresetsœurs.C’estdanschacundeces “plus petits” que leChrist est présent. Sa chair devient denouveau visible entant que corps torturé, blessé, flagellé, affamé, égaré […] pour être reconnu parnous, touché et assisté avec soin. N’oublions pas les paroles de saint Jean de laCroix:“Ausoirdenotrevie,nousseronsjugéssurl’amour”»(MV,15b,15c).

Et c’est pourquoi le pape François présente ce Jubilé extraordinaire de laMiséricorde comme une « année de bienfaits » : «Dans l’Évangile de Luc, noustrouvons un autre aspect important pour vivre avec foi ce Jubilé. L’évangélisteraconte qu’un jour de sabbat, Jésus retourna à Nazareth, et comme il avaitl’habitudedelefaire,ilentradanslasynagogue.Onl’appelapourlirel’Écritureetlacommenter. C’était le passage du prophète Isaïe où il est écrit : “L’Esprit duSeigneurDieuestsurmoiparcequeleSeigneurm’aconsacréparl’onction.Ilm’aenvoyéannoncerlaBonneNouvelleauxhumbles,guérirceuxquiontlecœurbrisé,proclamerauxcaptifsleurdélivrance,auxprisonniersleurlibération,proclameruneannéedebienfaitsaccordéepar leSeigneur”(Is61,1-2).Uneannéedebienfaits :c’estcequeleSeigneurannonceetquenousvoulonsvivre.QuecetteAnnéesainteexposelarichessedelamissiondeJésusquirésonnedanslesparolesduProphète:

dire une parole et faire un geste de consolation envers les pauvres, annoncer lalibérationdeceuxquisontesclavesdanslesnouvellesprisonsdelasociétémoderne,redonner la vue à qui n’est plus capable de voir car recroquevillé sur lui-même,redonner ladignitéà ceuxqui en sontprivés.Que laprédicationde Jésus soitdenouveauvisibledanslesréponsesdefoiqueleschrétienssontamenésàdonnerparleur témoignage. Que les paroles de l’Apôtre nous accompagnent : “Celui quipratiquelamiséricorde,qu’ilaitlesourire”(Rm12,8)»(MV,16).

LesœuvresdeMiséricordedansleCatéchismedel’Églisecatholique

Voici la façon dont sont décrites les œuvres de Miséricorde corporelles etspirituellesdansleCatéchismedel’Églisecatholique2:«LesœuvresdeMiséricordesontlesactionscharitablesparlesquellesnousvenonsenaideànotreprochaindansses nécessités corporelles et spirituelles (cf. Is 58, 6-7 ; He 13, 3). Instruire,conseiller, consoler, conforter sontdesœuvresdeMiséricorde spirituelles, commepardonner et supporter avec patience. Les œuvres de Miséricorde corporellesconsistentnotammentànourrirlesaffamés,logerlessans-logis,vêtirlesdéguenillés,visiter lesmaladeset lesprisonniers,ensevelir lesmorts (cf.Mt25,31-46).Parmices gestes, l’aumône faite aux pauvres (cf. Tb 4, 5-11 ; Si 17, 22) est un desprincipaux témoignages de la charité fraternelle : elle est aussi une pratique dejusticequiplaîtàDieu(cf.Mt6,2-4)»(CEC,2447).

Remarquez que ce texte du Catéchisme se trouve dans la section intitulée« L’amour des pauvres » (CEC, 2442-2449), et précède une citation du concileVatican II affirmant très clairementque lesœuvresdeMiséricordene remplacentpas la justicepuisqu’il faut« satisfaired’abordauxexigencesde la justice,depeurquel’onoffrecommedondelacharitécequiestdéjàdûenjustice3»(CEC,2446).L’articlesuivantprivilégieàsontour«l’amourdepréférence»pourceuxquisontopprimés par lamisère (cf.CEC, 2447). «Amour de préférence » implicitementprésentdanslesœuvresdeMiséricorde,etquiestexpliquéavecclartédansuntextede la Congrégation pour la doctrine de la foi (1987) sur la théologie de lalibération4:«Soussesmultiplesformes:dénuementmatériel,oppressionsinjustes,infirmitésphysiquesetpsychiques,etenfinlamort,lamisèrehumaineestlesignemanifestedelaconditionnativedefaiblesseoùl’hommesetrouvedepuislepremierpéché, etdubesoinde salut.C’estpourquoi elle a attiré la compassionduChristSauveur qui a voulu la prendre sur lui et s’identifier “aux plus petits d’entre ses

frères”(cf.Mt25,40.45).C’estpourquoiaussiceuxqu’elleaccablesontl’objetd’unamour de préférence de la part de l’Église qui, depuis les origines, en dépit desdéfaillancesdebeaucoupde sesmembres,n’a cesséde travailler à les soulager, lesdéfendreet les libérer.Elle l’afaitpard’innombrablesœuvresdebienveillancequirestenttoujoursetpartoutindispensables»(CEC,2448).

I

ORIGINEDELAMISÉRICORDEETDESESŒUVRES

DANSL’ÉCRITURESAINTE

L’étymologiedumot«miséricorde»vientdemisere(«misère,nécessité»)etdecor/cordis(«cœur»)enlatin.Ilsignifie:avoiruncœursolidaireavecceuxquisontdans la nécessité. Aussi, dans le langage courant, on assimile la miséricorde à lacompassion et au pardon. Même si ce rapprochement reste valable, il oublie lavéritablerichessequel’ontrouvedanslaBibleaveccemot«miséricorde».Pourlepeupled’Israël, lamiséricordeprovienteneffetde laréuniondedeuxcourantsdepensée : la compassion, avec lapitiéquecela implique, et la fidélité, aveccommeexigence, l’amour. Il n’est donc pas étonnant que dans les traductions les pluscourantes, il y ait unehésitation entreplusieursmots–miséricorde et amour, enpassantpartendresse,pitié,compassion,clémence,bontéetmêmegrâceoudondeDieu –, nous proposant ainsi un concept plus générique et plus large. Dieu, dudébut à la fin, nousmanifeste, de fait, sa tendresse face à lamisère humaine, etl’homme doit à son tour se montrer miséricordieux envers son prochain, toutcommele«SeigneurDieudemiséricorde»(Sg9,1)etle«DieuetPèredenotreSeigneurJésusChrist,Pèredemiséricorde»(2Co1,3).

Pour définir lemot «miséricorde », les Livres de l’AncienTestament utilisentdeux expressions. Il existe d’abord le terme hesed, pour indiquer une attitudeprofondedebontémaisaussidegrâceetd’amour.Etensuite, letermerahamquiexprime,àl’origine,l’amourmaternelpleindebonté,detendresse,depatience,decompréhensionetd’aptitudeaupardon.Latraductiongrecquelapluscourantedecesdeux termes, et sonusagehabitueldans leNouveauTestament, est eleos,quel’onentenddansl’invocationliturgiqueduKyrieeleison(Seigneur,prendspitié!),et dans le mot eleemosyna qui signifie « aumône » en latin. Pour être clair, lamiséricordebibliqueexprimedonclesentimentquel’onéprouvefaceàunbesoinou à unmalheur, ainsi que l’actionqui découle de ce sentiment, et qui signifie :

avoir de la compassion ou de la pitié, compatir, ressentir une affection profonde(telleunemère),êtrecompatissant,pleind’amour,éprouverunattachementouunetendre émotion, s’apitoyer, offrir une aide, fruit d’une relation de fidélité etd’actionsconcrètes5,etc.

AncienTestament:«Éternelestsonamour»(Ps136)

Lepsalmistenecessederépéterlesinvocations«Prendspitiédemoi,Seigneur!»(Ps4,2;Ps6,3;Ps9,14;Ps25,16;Ps50,1,etc.)oudeproclamerlesparolesd’actionsdegrâce«RendezgrâceauSeigneurcarilestbon,éternelestsonamour»(Ps107,1).C’estcettemiséricordequeDieumanifestetoutaulongdel’histoire,etnotamment au peuple élu. L’origine d’une telle expression se trouve dans latraditionjuivelorsdelavocationdeMoïse:«J’aivulamisèredemonpeuplequiest en Égypte. J’ai entendu son cri devant ses oppresseurs ; oui, je connais sesangoisses.Jesuisdescendupourledélivrer»(Ex3,7-8).L’attitudemêmedeDieuprovient de sa fidélité à l’Alliance. En effet : « J’ai entendu le gémissement desIsraélites asservis par les Égyptiens et je me suis souvenu de mon Alliance »(Ex6,5).Etdonc,dans samiséricorde,Dieunepeut supporter lamisèrede sonpeupleélu,puisqueparl’Alliance,ilaengendréunêtrede«sarace»(Ac17,28).

C’est au Sinaï que se manifeste le caractère fondamental de la miséricorde deDieu envers sonpeuple : «Yahvé,Yahvé,Dieude tendresse et de pitié, lent à lacolère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa grâce àdesmilliers, tolère faute,transgressionetpéché»(Ex34,6-7;cf.Nb14,19;Jr3,12-25;Lm3,22-27).Cette miséricorde prend une tournure profondément humaine dans l’expérienceprophétique,lorsqueleprophèteOséerévèlequelecœurdeDieu«estbouleversé;toutes [ses]entrailles frémissent»aumomentoù ildécidedenepasaccorder sonpardonetdepunirlepeupled’Israël.Ainsi,«jenedonneraipascoursàl’ardeurdemacolère[…],carjesuisDieu[…],etjeneviendraipasavecfureur»(Os11,8…9).D’oùlasynthèseparfaitedeceprophète:«Carc’estl’amourquimeplaîtetnonlessacrifices»(Os6,6).

Bienque lesprophètes annoncent toujours lespires catastrophes, ils annoncentégalement la tendresse du cœur de Dieu, comme l’exprime cette exclamationremplie d’émotion : « Ephraïm est-il donc pour moi un fils si cher, un enfanttellementpréféré, que chaque fois que j’enparle je veuille encoreme souvenirdelui?C’estpourcelaquemesentrailles s’émeuventpour lui,quepour luidéborde

matendresse!»(Jr31,20;cf.Is49,14-16;54,7).Ainsi,Israëlalaconvictionquela miséricorde de Dieu dépasse toute expérience humaine : « Quel est le dieucomme toi, qui enlève la faute, qui pardonne le crime, qui n’exaspère pas pourtoujourssacolère,maisquiprendplaisiràfairegrâce?»(Mi7,18).C’estpourquoi,le cri du psalmiste est vraiment vivant lorsqu’il invoque le fameux psaume duMiserere:«Pitiépourmoi/Miséricorde,Dieu,entabonté,entagrandetendresseeffacemonpéché»(Ps51,3).

Alors que la miséricorde de Dieu ne connaissait pas d’autre limite quel’endurcissement du pécheur (cf. Is 9, 16 ; Jr 16, 5.13), l’histoire de Jonas aprèsl’exil, offre une nouvelle perspective universaliste au moment de la satire sur lescœursfermés,quirefusentlatendresseimmensedeDieu:«TuesunDieudepitiéetde tendresse […], richeengrâceet te repentantdumal» (Jon4,2).Nonsansraison, Ben Sirac le Sage dit clairement : « La pitié de l’homme est pour sonprochain,mais la pitié du Seigneur est pour toute chair » (Si 18, 13).On parlesurtoutdu«Seigneurdemiséricorde»(Sg9,1;cf.Si47,22),de«compassion»,de«pitié»etde«bonté»(Si5,6;Sg6,6;12,22).

Le psalmiste reprend toute la tradition d’Israël, de façonmagnifique avec uneapprocheclairementuniversaliste:«Yahvéesttendresseetpitié,lentàlacolèreetpleind’amour;ellen’estpasjusqu’àlafinsaquerelle,ellen’estpaspourtoujourssarancune;ilnenoustraitepasselonnospéchés,nenousrendpasselonnosfautes[…].Commeestlatendressed’unpèrepoursesfils,tendreestleSeigneurpourquilecraint»(Ps103,8…13).Ettoutcela,«carprèsdeYahvéestlagrâce»(Ps130,7),puisqu’«éternelest sonamour» ; invocation liturgiquerepriseavec insistance,vingt-sixfoisdanslepsaume136!

Donc,Dieurestefidèleàsespromessesmalgrél’infidélitédel’homme.C’estparsamiséricordequel’onespèreenunelibérationdéfinitivedetoutmal.Etc’estainsiqu’apparaîtdans l’histoiredusalut, laqualitédusalutfuturetdéfinitif,commelerappellesibienleSeigneuràJérusalem:«Carlesmontagnespeuvents’écarteretlescollines chanceler, mon amour ne s’écartera pas de toi, mon alliance de paix nechancellerapas»(Is54,10;cf.Jr31,3;Mi7,20;Ps85,8;Ps90,14;Ps106,45;Ps130,7,etc.).

Dans l’Ancien Testament, la miséricorde devient progressivement un termetechnique qui désigne l’« aumône » comme œuvre de charité, pour définir uneaction bénéfique (dans le sens de « bienfaisance ») spécialement en faveur despauvres(cf.Pr21,26;Dn4,24;Tb1,3;4,5-11;Si7,10;17,22;présentaussidansleNouveauTestament,dansMt6,2-4;Ac9,36;10,2;24,17).

LesœuvresetlesactesconcretsdeMiséricordedansl’AncienTestament

OntrouvedesactesdeMiséricordevisibleschezleprophèteIsaïe(Is58,6-7)quiont apparemment inspiré Matthieu (Mt 25, 35) dans son énumération lors dujugementfinal:«Lejeûnequejepréfère:défaireleschaînesinjustes,délierlesliensdujoug,renvoyerlibreslesopprimés,etbrisertouslesjougs?N’est-cepaspartagertonpainavecl’affamé,hébergercheztoilespauvressansabri,situvoisunhommenu,levêtir,nepastedéroberdevantceluiquiesttaproprechair?»

Deplus,onretrouvebienchezLuc(Lc4,16-21et7,22)l’annoncedelamissionetlesœuvresduprophètequiservirontàannoncerlamissiondeJésus:«L’espritduSeigneurYahvéestsurmoi,carYahvém’adonnél’onction;ilm’aenvoyéporterlanouvelleauxpauvres,panserlescœursmeurtris,annoncerauxcaptifslalibérationetauxprisonniersladélivrance,proclameruneannéedegrâcedelapartdeYahvéetunjourdevengeancepournotreDieu,pourconsolertouslesaffligés»(Is61,1-2).

Pourjustifiersaconduite,Jobrappelleaussitoussesactesdecharité:«Ai-jeétéinsensibleauxbesoinsdes faibles, laissé languir lesyeuxde laveuve?Ai-jemangéseul mon morceau de pain, sans le partager avec l’orphelin ? […] Ai-je vu unmiséreuxsansvêtement,unpauvresanscouverture?[…]Ai-jeagitélamaincontreun orphelin, me sachant soutenu à la porte ? » (Jb 31, 16-17.19.21). Il avait,auparavant, refuséd’accepter lesaccusations : «Tuasexigéde tes frèresdesgagesinjustifiés, dépouillé de leurs vêtements ceux qui sont nus, omis de désaltérerl’hommeassoifféetrefusélepainàl’affamé»(Jb22,6-7).

BenSirac leSage,auteurdulivrede l’Ecclésiastique,rappellecesœuvres :«Aupauvre également fais des largesses, pour que ta bénédiction soit parfaite.Que tagénérosité touche tous les vivants,même auxmorts ne refuse pas ta piété.Ne tedétourne pas de ceux qui pleurent, afflige-toi avec les affligés. Ne crains pas det’occuper desmalades, par de tels actes tu te gagneras l’affection » (Si 7, 32-35).«Danslapuissancedel’Espritilvitlafindestemps,ilconsolalesaffligésdeSion»(Si48,24).

Et Tobie ajoutera à son tour avec « ensevelir les morts » : « Aux jours deSalmanasar,j’avaisfaitsouventl’aumôneàmesfrèresderace,jedonnaismonpainauxaffamés,etdeshabitsàceuxquiétaientnus;etj’enterrais,quandj’envoyais,lescadavresdemes compatriotes,jetéspar-dessuslesrempartsdeNinive.J’enterraisdemême ceux que tua Sennachérib […]. Alors, je dérobais leurs corps pour lesensevelir»(Tb1,16-18).

NouveauTestament:«Bienheureuxlesmiséricordieuxcarilsobtiendrontmiséricorde»(Mt5,7)

Pour réaliser le dessein du salut, Jésus Christ a souhaité être « semblable auxhommes»(Ph2,7)afind’expérimenterlaconditiondeceuxqu’ilsouhaitaitsauver.Lamiséricordequ’ilmanifesteenverslesfoulesengénéralvientdelà(cf.Mt9,36:«Àlavuedesfoulesileneutpitié»;Mt14,14:«Endébarquant,ilvitunefoulenombreuseetileneutpitié»;Mt15,32:«J’aipitiédelafoule»).L’ÉvangiledeLuc en donne un aspect plus personnel lorsqu’il évoque le « fils unique » d’uneveuve (cf. Lc 7, 13) ou bien les parents en détresse (cf. Lc 8, 42 ; 9, 38.42). Iltémoigned’unebienveillanceparticulièreà l’égarddesfemmesetdesétrangerscar«toutechairverralesalutdeDieu»(Lc3,6).C’estpourquoiJésusfaitpreuvedecompassion et de miséricorde envers tous, puisqu’il est « un grand prêtremiséricordieux»(He2,17).Oncomprendalorspourquoilesaffligéss’adressentàluiaveccetteinvocation:«Seigneur,prendspitié!»(Kyrieeleison!)(Mt15,22;17,15;20,30-31).

Dieu,comme«Pèredemiséricorde» (2Co1,3 ; Jc5,11), accordeàPaul lamiséricorde(cf.1Co7,25;2Co4,1;1Tm1,13)etlaprometàtouslescroyants(cf. Mt 5, 7 ; 1 Tm 1, 2 ; 2 Tm 1, 2 ; Tt 1, 4 ; 2 Jn 3). La perspective demiséricorde,dansl’histoiredusalut,estpleinementprésentedanslesdeuxcantiquesde Luc sur l’enfance de Jésus. Le premier dans leMagnificat deMarie (cf. Lc 1,50.54)etlesecondaveclecantiquedeZacharie(cf.Lc1,72.78).Paulrésumeraenune phrase – à la fois emphatique et paradoxale – cette surabondance demiséricorde : «CarDieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pourfaireàtousmiséricorde»(Rm11,32).

«SoyezmiséricordieuxcommevotrePèreestmiséricordieux»(Lc6,36).SelonMatthieu, il s’agit d’une condition essentielle pour entrer dans le Royaume descieux:«Bienheureuxlesmiséricordieuxcarilsobtiendrontmiséricorde»(Mt5,7),queJésusreprendduprophèteOsée(cf.Mt9,13;12,7etOs6,6 :«Carc’estl’amourquimeplaîtetnonlessacrifices»).Àl’instardubonSamaritain(cf.Lc10,30-37), cette tendresse devrait rendre possible lamiséricorde de celui qui offense(cf.Mt18,23-33), puisqueDieu fait toujourspreuvedemiséricorde (cf.Mt18,32). Le jugement final dépendra ainsi de la miséricorde exercée, mêmeinconsciemment, tout comme Jésus a fait avec les personnes les plus démunies(cf. Mt 25, 31-46). Car l’amour de Dieu est uniquement présent chez ceux quiexercentlamiséricorde:sil’unadesbiensdumondeet,qu’envoyantunhomme

danslanécessité,illuifermesaporte,commentl’amourdeDieupeut-ilentrerchezlui?(1Jn3,17).

LetexteparadigmatiquedeMatthieu25,31-46

Cetexteestunesynthèsedeladoctrineetdesexigencesdel’Évangileentier,danslequel les frèreset sœursduFilsde l’hommesonttousdespersonnesdémuniesetmarginalisées de notre monde. Il est présenté sous forme de jugement final,semblableauxscènesdeJugementquisetrouventdanslalittératureapocalyptique(cf.Jl3,1-3;Dn7,7-27;Is11,4),etdontfaitécholeNouveauTestament(1Co6,2 : «Les saints jugeront l’univers» ;cf.Ap20,4).Ces scènes,quiprennent lepointdevuedufaibleetdesopprimés,quiobtiendrontlalibérationdanslajusticeduRoyaumedeDieu,révèlentaussilafaçondontseraprésentéleJugementdernier.L’injustice dumonde présentmontre donc qu’elle n’est pas permanente, puisquel’actiondeDieuproduiraunrenversementdel’ordreétabliactuel.

Le Jugement s’adresse à toutes « lesnations », sansdistinction aucune (Mt25,32).C’estuneformuledanslaquellerésonnentlesparolesdeladernièreprophétie:«Maismoi je viendrai rassembler toutes les nations et toutes les langues, et ellesviendrontvoirmagloire»(Is66,18).EtledernieravertissementdeLuc:«Veillezdonc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doitarriver,etdevoustenirdeboutdevantleFilsdel’homme»(Lc21,36).Cetteinter-prétationuniversalisteduJugement s’adressepourainsidireà tous leshommesetfemmes,etpréfigurel’ÉvangiledeMatthieulorsqu’ildit:«C’estqu’eneffetleFilsdel’hommedoitvenirdanslagloiredesonPère,avecsesanges,etalorsilrendraàchacun selon saconduite » (Mt16,27),ouencore laparabolede l’ivraie,où« lechampestlemonde»(Mt13,36-43).

ForceestdeconstaterquecetteinterprétationuniversalistedeMatthieu(Mt25)– dont le fil conducteur est l’identification du « plus petit des frères » à toutepersonne démunie – occupe une place importante depuis le XX

e siècle. Elle estpartagée par la plupart des spécialistes de diverses confessions chrétiennes ayantanalysé ces versets (Mt 25). On trouve justement dans la constitution pastorale,GaudiumetSpes6,duconcileVaticanII,cetteapprocheuniversalisteproposéeparMatthieu(Mt25,40)commefondementuniverselde l’amourduprochain.«Denos jours surtout, nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain den’importe quel homme et, s’il se présente à nous, de le servir activement : qu’il

s’agissedecevieillardabandonnédetous,oudecetravailleurétranger,méprisésansraison, ou de cet exilé, ou de cet enfant né d’une union illégitime qui supporteinjustement le poids d’une faute qu’il n’a pas commise, ou de cet affamé quiinterpellenotreconscienceennousrappelantlaParoleduSeigneur:“Chaquefoisquevousl’avezfaitàl’undecespluspetitsdemesfrères,c’estàmoiquevousl’avezfait”(Mt25,40)»(GS,27).

LeCatéchismedel’Églisecatholique(enplusdesaprésentationsurlesœuvresdemiséricorde–CEC,2447) s’appuied’ailleurs surMatthieu (Mt25)pourposer lefondementthéologiqueduChrist-médecin:«Sacompassionenverstousceuxquisouffrent va si loin qu’il s’identifie à eux : “J’étais malade et vous m’avez visité”(Mt25,36)»(CEC,1503);etdurespectdelapersonnehumaine:«Ledevoirdese faire le prochaind’autrui et de le servir activement se fait pluspressant encorelorsquecelui-ciestplusdémunienquelquesdomainequecesoit.“Chaquefoisquevousl’avezfaitàl’undecespluspetitsdemesfrères,c’estàmoiquevousl’avezfait”(Mt25,40)»(CEC,1932).

Il en est ainsi pour le texte du Jugement dernier (Mt 25, 31-46) sur l’amourexprimédanslesœuvresdeMiséricorde:«QuandleFilsdel’hommeviendradanssa gloire, escorté de tous les anges, alors il prendra place sur son trône de gloire.Devant lui seront rassemblées toutes lesnations, et il séparera lesgens lesunsdesautres, tout comme leberger sépare lesbrebisdesboucs. Ilplacera lesbrebis à sadroiteetlesboucsàsagauche.AlorsleRoidiraàceuxdedroite:“Venez,lesbénisde mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis lafondationdumonde.Carj’aieufaimetvousm’avezdonnéàmanger,j’aieusoifetvousm’avezdonnéàboire, j’étaisunétrangeretvousm’avezaccueilli,nuetvousm’avezvêtu,maladeetvousm’avezvisité,prisonnieretvousêtesvenusmevoir.”Alorslesjustesluirépondront:“Seigneur,quandnousest-ilarrivédetevoiraffaméetde tenourrir, assoiffé etde tedésaltérer, étranger etde t’accueillir,nu etde tevêtir,maladeouprisonnieretdevenirtevoir?”EtleRoileurferacetteréponse:“Envéritéjevousledis,danslamesureoùvousl’avezfaitàl’undecespluspetitsdemesfrères,c’estàmoiquevousl’avezfait.”Alorsildiraencoreàceuxdegauche:“Allezloindemoi,maudits,danslefeuéternelquiaétépréparépourlediableetsesanges.Carj’aieufaimetvousnem’avezpasdonnéàmanger,j’aieusoifetvousnem’avezpasdonnéàboire,j’étaisunétrangeretvousnem’avezpasaccueilli,nuetvousnem’avezpasvêtu,maladeetprisonnieretvousnem’avezpasvisité.”Alorsceux-ciluidemanderontàleurtour:“Seigneur,quandnousest-ilarrivédetevoiraffamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te pointsecourir?”Alorsilleurrépondra:“Envéritéjevousledis,danslamesureoùvous

nel’avezpasfaitàl’undecespluspetits,àmoinonplusvousnel’avezpasfait.”Etilss’eniront,ceux-ciàunepeineéternelle,etlesjustesàunevieéternelle.»

Lesœuvrescitéesdanslechapitre25del’ÉvangiledeMatthieuetleurtraditionjudéo-bibliqueLes trois analogies présentes dansMatthieu 25 : « J’avais faim et j’avais soif »,

«J’étaisunétrangeretj’étaisnu»,«J’étaismaladeetj’étaisprisonnier»,reprennentune tradition existante de l’Ancien Testament, notamment dans Isaïe 58, 6-9(enchaînés,opprimés,affamés,vagabonds,nus,blessés);61,1-2(pauvres,meurtris,captifs, prisonniers) ; Jb 22, 6-7 (nus, affamés, assoiffés) ; 31, 17.19.21.31.32(orphelins,nus,pauvres,innocents,étrangers);Tb1,16-17(affamés,nus,morts);4,16(affamés,nus);Si7,34-35(affligés,malades);42,8;63,1(nus,affamés).

IlexisteégalementuneanalogieentreMatthieu25etlesdifférentesénumérationsdes vertus en lien avec la miséricorde dans le Nouveau Testament : « dans lacompassion, l’amour fraternel, la miséricorde, l’esprit d’humilité » (1 P 3, 8) ;« l’exhortation, en exhortant.Que celuiquidonne, le fasse sans calcul ; celuiquipréside,avecdiligence;celuiquiexercelamiséricorde,enrayonnantdejoie.Quevotre charité soit sans feinte, détestant lemal, solidement attachée au bien ; quel’amourfraternelvouslied’affectionentrevous,chacunregardantlesautrescommeplusméritants,d’unzèlesansnonchalance,danslaferveurdel’esprit,auserviceduSeigneur,aveclajoiedel’espérance,constantsdanslatribulation,assidusàlaprière,prenantpartauxbesoinsdessaints,avidesdedonner l’hospitalité.Bénissezceuxquivouspersécutent ;bénissez,nemaudissezpas.Réjouissez-vousavecquiestdans lajoie, pleurez avecquipleure » (Rm12,8-15). «Vousdonc, les élusdeDieu, sessaints et ses bien-aimés, revêtez des sentiments de tendre compassion, debienveillance, d’humilité, dedouceur, depatience » (Col 3, 12). « Souvenez-vousdes prisonniers, comme si vous étiez emprisonnés avec eux, et de ceux qui sontmaltraités,commeétantvousaussidansuncorps»(He13,3).

Ontrouveégalement,dansla littératurejuive,destémoignagessurles«œuvresde charité » et d’« aumône », sans oublier que la miséricorde dans le langagerabbiniqueétaituntermetechniquepourdésignerl’actedecharitécommeexercicedelamiséricorde.L’affirmationdutraitérabbiniquePirkeiAvotquirésumetoutelatraditionde 200 av. J.-C. à 200 ap. J.-C., est en cela significative. Il y est écrit :«L’universreposesurtroispiliers:laTorah,leculteetlesactesdecharité7.»

Étant donné que cette tradition existe déjà, l’énumération des six œuvres deMiséricorde dans Matthieu 25 n’est pas une nouveauté, puisqu’elle reprend defaçon plus développée les écrits juifs et bibliques. En revanche, le texte est

appréciablepoursaqualitépoétiqueetstylistique,avecl’énumérationdessixœuvresregroupéesentroispairescommel’imagesymboliquedutriptyque.Iln’estdoncpassurprenantque,danslatraditionchrétienne,unteltexteaitservidefondementàsixdes sept œuvres de Miséricorde corporelles, auxquelles on a ajouté par la suitela septième (chiffre parfait) avec « ensevelir lesmorts » de Tobie (Tb 1, 17-18),ajoutconfirméparsaintThomasd’AquincitantdesécritscommeceluideTobieouencoreceluidesdisciplesquienterrèrentJésusauSépulcre8.

L’identificationduChristaux«pluspetitsd’entresesfrères»Deplus,ilestimportantdesouleverlaquestiondel’identificationdu«pluspetit

d’entre ses frères » auChrist,dans toutacted’amouretdemiséricorde.Une telleapprocheappliquéeàDieuestdéjàprésentedans l’AncienTestament:«QuifaitlacharitéaupauvreprêteàYahvéquipaieralebienfaitderetour»(Pr19,17),maisaussidansleconcileVaticanIIquiaffirme:«LeChristlui-même,danslapersonnedespauvres,réclameàhautevoixlacharitédesesdisciples»(GS,88).

C’est dans les Évangiles également que nous trouvons une telle identification,lorsqueJésusaffirme : «Quivousécoutem’écoute,quivous rejettemerejette,etquimerejette,rejetteCeluiquim’aenvoyé»(Lc10,16).Cequisupposealorsqu’ilapparaîtaussidanslesénoncésd’identificationdeMatthieu25,40:«C’estàmoiquevousl’avezfait»,etdeMatthieu25,45:«Àmoinonplusvousnel’avezpasfait»,reprisdans:«Quiconqueseseradéclarépourmoidevantleshommes,leFilsde l’homme aussi se déclarera pour lui devant les anges deDieu ;mais celui quim’aurareniéàlafacedeshommesserareniéàlafacedesangesdeDieu»(Lc12,8).CequeLucmontrelorsqueleSeigneurs’adresseàPaulquiapersécutélesdisciplesdeJésus:«Pourquoimepersécutes-tu?»(Ac9,4;22,7;26,14).

Le parallèle avec cette identification est encore plus visible dans l’Évangile deMatthieu, lorsqu’il affirmeexplicitement : «Quivousaccueillem’accueille,etquim’accueilleaccueilleCeluiquim’aenvoyé.Quiconquedonneraàboireàl’undecespetits,rienqu’unverred’eaufraîche,entantqu’ilestundisciple,envéritéjevousledis,ilneperdrapassarécompense»(Mt10,40.42).

SaintCyprienetsaintAugustincommententcetteidentificationauChristpourmener à la pratique de ces œuvres de Miséricorde, et permettre d’atteindre leSeigneur par les plus démunis : «Qui ne prête pas attention à celui qui souffremépriseleSeigneurprésentenlui»(saintCyprien,DeOpereeteleemosynis,23),et«Chacundevouss’attendàrecevoirleChristassisauciel:voyez-led’abordgisantsous les portiques ; voyez-le souffrant la faim et le froid ; voyez-le indigent etétranger»(saintAugustin,Sermon25,8).Oubienencore:«Ennous,leChristest

encore pauvre, le Christ est encore pèlerin, le Christ est malade, le Christ estemprisonné.Ceseraitl’offenserdeparlerainsi,s’iln’avaitpasditparailleurs:“J’aieufaimetvousm’avezdonnéàmanger,j’aieusoif…”»(Ps136).LarègledesaintBenoît9(Vesiècle)reprendraaussicetteidentificationprogrammatique:«TousleshôtesquiarriventserontreçuscommeleChrist.Eneffet,lui-mêmedira:“J’étaisunhôteetvousm’avezreçu”(Mt25,35)»(RB,53,1).

En citant Matthieu 25, 40 dans son encyclique Mysterium Fidei10, lebienheureuxPaulVIannoncequelaprésenceduChristchezlesplusdémunis,estune nouveauté. Il nous donne une vue d’ensemble sur les différentes formes deprésence du Christ au sein de l’Église. Il reprend ainsi les formes de présencedéveloppéesdanslesécritsdesaintCyprien:«deuxoutroisréunisensonnom»,«l’Églisepèlerine»,«laprédicationdel’Évangile»,«legouvernementdel’Église»,«lemodesublimedusacrementdel’Eucharistie».EtildéclarenotammentcommeunenouveautélaprésenceduChristchezlesdémunis:«IlestprésentàsonÉglisequi accomplit les œuvres de Miséricorde, non seulement parce que, quand nousfaisonsunpeudebienàl’undesesfrèreslesplushumbles,nouslefaisonsauChristlui-même(cf.Mt25,40),maisaussiparcequec’est leChrist lui-mêmequiopèreces actionspar lemoyende sonÉglise y venant toujours au secoursdeshommesavecsacharitédivine»(MF,19).

Unitéchrétiennedel’amourduprochainavecl’amourdeDieuRemarquezquepourMatthieu(Mt25,31-46),l’amourestlecritèreaumoment

du Jugement, ce que l’on retrouve dans la prédication de Jésus qui proclamel’amourcommelepremierdescommandementsdansl’ÉvangiledeMatthieu.UnequestionsubsistealorsdansMatthieu5,21-48:«Carsivousaimezceuxquivousaiment,quellerécompenseaurez-vous?Lespublicainseux-mêmesn’enfont-ilspasautant ? » (v. 46.) Ou encore dans Matthieu 22, 34-40, qui pose une autrequestion:«Maître,quelestleplusgrandcommandementdelaLoi?»(v.36.)Iln’est pas surprenant que saint Jean de la Croix ait dit dans une citation bienconnue:«Auseuildenosvies,nousseronsjugéssurl’amour11.»

Ilest importantdeconserver lecaractèreanonymedel’identificationauChrist,retranscriteicidanscettetriplequestion:«Seigneur,quandnousest-ilarrivédetevoiraffaméetdetenourrir,assoifféetdetedésaltérer,étrangeretdet’accueillir,nuetdetevêtir,ouprisonnieretdevenirtevoir?»(Mt25,37-39;reprisàl’inversev.44).Àcettequestiondélicate,qu’il convientdecomprendrecorrectementd’unpointdevuethéologique, leconcileVaticanIIproposedeuxtextes fondamentaux

qu’il fautvraimentgarderà l’esprit :LumenGentium12,16etGaudium et Spes,22.«Eneffet,ceuxqui,sansqu’ilyaitdeleurfaute,ignorentl’ÉvangileduChristetsonÉglise,maischerchentpourtantDieud’uncœursincèreets’efforcent, sousl’influence de sa grâce, d’agir de façon à accomplir sa volonté telle que leurconsciencelaleurrévèleetlaleurdicte,euxaussipeuventarriverausalutéternel.Àceux-là mêmes qui, sans faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à uneconnaissanceexpressedeDieu,maistravaillent,nonsanslagrâcedivine,àavoiruneviedroite,ladivineProvidencenerefusepaslessecoursnécessairesàleursalut.Eneffet, toutcequi,chezeux,peutsetrouverdebonetdevrai, l’Église leconsidèrecommeunepréparationévangéliqueetcommeundondeCeluiquiilluminetouthommepourque,finalement,ilaitlavie»(LG,16).Ilestexpliquéparailleursdanslaconstitutionpastoraleque:«CelanevautpasseulementpourceuxquicroientauChrist,maisbienpourtousleshommesdebonnevolonté,danslecœurdesquels,invisiblement,agitlagrâce.Eneffet,puisqueleChristestmortpourtousetquelavocationdernièrede l’hommeest réellementunique,à savoirdivine,nousdevonstenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon queDieu connaît, la possibilitéd’êtreassociéaumystèrepascal»(GS,22).

Par cette approche (du caractère anonyme de l’identification au Christ), il estimportantdesoulignerqu’ils’agitbiendepersonnesde«bonnevolonté»(GS,22).C’est pourquoi, et comme l’indique LumenGentium, on parle de personnes qui«cherchentDieud’uncœursincèreets’efforcent[…],àaccomplirsavolontételleque leur conscience le leur révèle ; […] qui, sans faute de leur part, ne sont pasencoreparvenuesàuneconnaissanceexpressedeDieu,maistravaillent,nonsanslagrâcedivine».Remarquonsqu’iln’estaucunementditdanscepassageque,danscesconditions, le salut s’obtient grâce à un substitut de discernement et dephilanthropie simplement « naturel ». En effet, ce texte du Concile exclut cettepossibilité,enrappelantquelesalutnepeuts’obtenir«sanslagrâcedeDieu».Cecicontredirait,enplus,l’affirmationmêmedeLumenGentiumquiévoqueégalement«lanécessitédelafoietduBaptême»(cf.Mc16,16;Jn3,5)etquirappelleque«l’Égliseestnécessaireausalut»(LG,14).

Donc,ensomme,ils’agitde«personnesquiaimentvéritablementetàquiilestdonnél’Espritdevéritéd’unefaçonnondévoiléepournous13»,comme«lessaintscachés14»,«leschrétiensenattente»(K.Barth),«l’Égliselatente»(P.Tillich)ou« les chrétiens anonymes ». Sans oublier que « ce serait une erreurdepenser quecette dernière expression – ce qui importe n’est pas le terme – devrait atténuerl’importancedelamission,delaprédicationetduBaptême.Carcequedictecette

thèse est objectivement enseigné par le concileVatican II dans LumenGentium,16»(K.Rahner).

Onperçoitainsil’unitéchrétiennedel’amourduprochainavecl’amourdeDieu,caràcesdeuxcommandements«serattachetoutelaLoi,ainsiquelesprophètes»(Mt 22, 40). Sans oublier que « personne n’a jamais vu Dieu. Si vous avez del’amour les uns pour les autres […], vous demeurerez enmon amour. »Et ainsi,« celui qui n’aimepas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer leDieu qu’il ne voitpas»(1Jn4,12.20).Toutelasignificationdel’amourduprochainpourconnaîtreDieu–particulièrementimportantepourl’hommedenotremonde–vientdelà.Etce, à condition que cet amour du prochain soit inconditionnel et sans réserve,puisque c’est uniquement de cette façon que le prochain peut être identifiéimplicitementauChrist (cf.Mt25,40.45)pournepas tomberdanscequePauldénonce, lorsqu’il affirme : «Quand je distribuerais tousmes biens en aumônes[…],sijen’aipaslacharité,celanemesertderien»(1Co13,3;cf.Mc8,36).Ainsidonc,donnerauxpauvrestoutcequel’onpossèdeetmanquerdecharitén’estpasuneconditionsuffisantepourmeneruneviechrétienne!

TémoignagesdelatraditionsurMatthieu25etlesœuvresdeMiséricorde

ListesinitialesdesœuvresdeMiséricordeAumilieuduIIesiècle,Hermasénumèreunevingtained’«œuvresdubien»qui

expliquentlafaçondontilfautvivreavecautrui;ceàquoiestappelélechrétien:«assister lesveuves,visiter lesorphelinset les indigents, racheterde l’esclavage lesserviteursdeDieu, êtrehospitalier […],ne s’opposeràpersonne,êtrecalme […],pratiquer la justice,garder la fraternité, supporter la violence, êtrepatient,n’avoirpasderancune,consolerlesâmesaffligées,nepasrejeterceuxquisontinquietsdansla foi, mais les convertir, leur rendre du cœur, reprendre les pécheurs, ne pasaccablerlesdébiteursetlesindigents15.»

De son côté, saint Irénée de Lyon (130-200) commente fréquemment lechapitre25del’ÉvangiledeMatthieuetexpliquequelorsqu’ondonneaudémuni,ondonneàDieu.Ildresseluiaussi,unparallèleaveclelivredesProverbes:«Mêmesi l’onpensequeYahvén’apasbesoindecequivientdenous,nousavonsbesoind’offrirquelquechoseàYahvé.Salomondisait:“QuifaitlacharitéaupauvreprêteàYahvé16”»(Pr19,17).LeSeigneurdit:«Lorsquej’avaisfaimvousm’avezdonné

àmanger ; lorsque j’avais soif vousm’avez donné à boire ; lorsque j’étaismaladevousavezprissoindemoi,etlorsquej’étaisenprisonvousêtesvenumevisiter17.»

Ensuite,Origène(185-254)innoveetouvrelavoiesurlesœuvresdeMiséricordespirituelles,fidèleàsonexégèseallégoriquedeMatthieu25,34-46:«Outrelepainet le vêtement qui servent au corps, les âmes doivent se nourrir de nourriturespirituelle[…],etsevêtirdediversesvertus,parl’enseignementdeladoctrine,afind’accueillir l’autre avec un cœur rempli de vertus, et finalement se consacrer auxfaiblespour lesréconforter, les instruire, lesconsoler, lescorriger ; […]chacundecesgestess’appliqueauChrist18.»

SaintCypriendeCarthage(†258)aécritunbreftraitéDesbonnesœuvresetdel’aumône19, qui mentionne deux textes bibliques classiques d’où proviennent lesactesde miséricorde:«lesactesdemiséricordequidoiventaccompagnerlaprière».Ils’agitdeTobie1,16-18,avec«l’aumône»etla«sépulturedesmorts»maisaussid’Isaïe 58, 6-9, avec « les enchaînés », « les opprimés », « les affamés », « lesvagabonds»,lesdénudés»et«lesblessés».

Lactance(250-325)dresseplustarduneliste–analogueàlalistetraditionnelle–et met en avant la nouvelle dénomination de ces actes comme « œuvres deMiséricorde » : « Si quelqu’un n’a pas de nourriture, partageons avec lui ; siquelqu’unvientànous,dénudé,habillons-le;siquelqu’unestvictimed’injusticeàcaused’unpuissant,libérons-le.Quenotremaisonsoitouverteauxpèlerinsetauxsans-abri.Quejamaisnousnenouslassionsdedéfendrelesintérêtsdesorphelinsetde protéger les veuves. Les grandesœuvres deMiséricorde consistent à sauver lesprisonniersdel’ennemi,visiteretconsolerlesmaladesetlespauvres.Sidespauvresetdesétrangersmeurent,neleslaissonspassanssépulture.Telssontlesœuvresetles devoirs de Miséricorde car celui qui les assume offrira à Dieu un sacrificeauthentiqueetreconnaissant20.»

Saint JeanChrysostome (347-407), connupour sa formulation « sacrementdufrère » (etparticulièrement lesorthodoxesM.Skobtosov,O.Clement, etc. ;maiségalement les catholiques H.-U. von Balthasar, Y. Congar, J.-M. R. Tillard…),résumebiencetteapprochedanssescommentairessurMatthieu25lorsqu’ilfaitlelienimpliciteavecl’Eucharistieàpartird’untexteclassique:«TuveuxhonorerlecorpsduSauveur ?Lequel adit : “Ceci estmoncorps” (Mt26,26), etqui aditaussi:“J’aieufaimetvousm’avezdonnéàmanger.Cequevousn’avezpasfaitàl’undecespluspetitsdemesfrères,àmoinonplusvousnel’avezpasfait”(Mt25,31-46).HonoredoncleChristenpartageanttesbiensaveclespauvres»(Mt,50,3-4).

SaintAugustin (354-430),quantà lui,commentera les sixœuvresdeMatthieu25,enlesrapprochantaveclesdeuxformesd’œuvresdeMiséricorde,corporellesetspirituelles,distinguoquisegénéraliseraàpartirdesesécrits:«Quifaitl’aumônen’estpasuniquementceluiquidonneàmangeràceluiquiafaim,quidonneàboireàceluiquiàsoif,quihabilleceluiquiestnu,quiaccueille lepèlerin,quicachelefugitif,quivisite lemaladeouleprisonnier,quisauveleprisonnier,quicorrige lefaible,quiaccompagnel’aveugle,quiconsoleceluiquiestdanslapeine,quiguéritle malade, qui oriente le vagabond, qui conseil celui qui doute, qui donne lenécessaire à celui qui en a besoin, mais aussi celui qui est indulgent avec lepécheur21. » Ilconfirmeradansd’autresdesesécritsqu’« ilexistedeux formesdemiséricorde:donneretpardonner–donnerlebienquel’onpossèdeetpardonnerlemalquel’onreçoit22.»

Dans cette même lignée, saint Grégoire le Grand († 604) interpréteraspirituellementlesquatreactesdeMiséricordedeJob29,12-13:«Carjedélivraisle pauvre en détresse et l’orphelin privé d’appui. La bénédiction du mourant seposaitsurmoietjerendaislajoieaucœurdelaveuve.»

Mais ce n’est qu’avec Pierre le Mangeur († 1179), dans son commentaire surMatthieu25,quelanotion«ensevelirlesmorts»deTobie(Tb1,17-18;2,4;12,12-13;cf.InEvangelia,145)estbeletbienintégrée,marquantainsiunepréférencedansl’histoirepourlesepténaire,symboledeplénitude(lesseptsacrements,lesseptpéchés capitaux, etc.).Le chiffre7dans lesœuvresdeMiséricorde sera largementdivulguéet facileàmémorisergrâceà l’utilisationdeseptverbespourdésigner lesœuvrescorporelles:visito,poto,cibo,redimo,tego,colligo,condo,etdeseptautresverbespourlesœuvresspirituelles:consule,carpe,doce,solare,remitte,fer,ora.

JustificationdanssaintThomasd’Aquindedeuxlistesd’œuvresdeMiséricorde23

SaintThomasd’Aquin (†1274) confirmera,d’unpointde vue théologique, laprésencededeuxlistes.Avecd’unepart,lesseptœuvresdeMiséricordecorporelles,dont six proviennent du chapitre 25 de l’Évangile deMatthieu et la septième deTobieaveclasépulturedesmorts.Et,d’autrepart,parallégorie,lesseptœuvresdeMiséricorde spirituelles, qui seront largement divulguées à partir de ce saint. Lajustificationthéologiquedecettedoublelistesurlamiséricordeestprésentéecommele fruit de la charité, puisque « la miséricorde est la meilleure des vertus »,permettant ainsi un enrichissement doctrinal et une motivation évangéliquenouvelle,auxquelslesthéologiensprécédents24étaientassezpeusensibles.

II

LESŒUVRESDEMISÉRICORDECORPORELLES

ChaqueœuvredeMiséricordecorporelleproposeunremèdeàunedéficienceduprochain. En effet, l’homme, dans son corps, peut constamment expérimenter lemanquederessourcesnécessaires,qu’ellessoientinternes(nourritureetboisson)ouexternes(vêtementettoit),ouencoresouffrirmomentanémentdecarencesinternes(maladie) ou externes (privation de liberté ou sépulture). Les sept œuvres demiséricorde traditionnelles, dites corporelles, répondent à tout cela (cf. I. Noye).Voustrouverezparlasuitequelquescommentairessuccinctssurchacuned’elles.

Donneràmangerauxaffamés

PremièreœuvredeMiséricordedansMatthieu25,35LeNotrePèredit:«Donne-nousaujourd’huinotrepaindechaquejour»(Mt6,

11;Lc11,1-4).EnPalestine,lanourrituredebaseétaitlepain,tantetsibienquepour désigner le fait de se nourrir, on utilisait l’expression « manger du pain »(Gn37,25).Unetelleimportanceseretrouvedansl’appellationdeDieu,àquiondemandelepainlorsqu’onditquec’est«Lui[qui]donnelepainàtouslesvivants»(Pr136,25)ou«Silepainmanque,toutmanque»(cf.Am4,6;Gn28,20).

La faim est caractéristique dans l’expérience du désert du peuple de Dieu :«Souviens-toidetoutlecheminqueYahvétonDieut’afaitfairependantquaranteansdans ledésert,afindet’humilier,det’éprouveretdeconnaître le fonddetoncœur:allais-tuounongardersescommandements?Ilt’ahumilié,ilt’afaitsentirlafaim, il t’adonnéàmanger lamanne » (Dt8,2-3).Cettedramatique expériencepermetdecomprendredefaçonsignificativel’expressionprophétique:«Voicivenirdesjours–oracledeYahvé–oùj’enverrailafaimdanslepays,nonpasunefaimdepain,nonpasunesoifd’eau,maisd’entendrelaparoledeYahvé»(Am8,11).

Parmi les aliments du désert, le pain a différentes significations symboliques.D’abord, lamanne, qui est qualifiée de « froment des cieux », « pain des forts »(Ps78,24-25)etde«nourrituredesanges»(Sg16,20).Onlevoitaussicommesymbole de la « Parole de Dieu » (Dt 8, 3 ; Is 55, 2.6.11), des « voies del’intelligence»(Pr9,5)etmêmede«sagesse»(Si15,3;cf.Si24,18-20).

D’autre part, la faim est caractéristique des pauvres ; ceux que Jésus appellebienheureux,ceuxquiont«faim»,donc«soifdejustice»(Mt5,6).Aussi,lorsdelapremièretentation,laréponsedeJésusreprisedulivreduDeutéronome(Dt8,3)résonne:«L’hommenevitpasseulementdepain,maisdetouteparolequisortdelabouchedeDieu»(Mt4,4;Lc4,4).

Par ailleurs, laLettrede saint Jacques répondant à laproblématiquede l’Égliseprimitive nous laisse unmessage très clair : « À quoi cela sert-il,mes frères, quequelqu’undise:“J’ailafoi”,s’iln’apaslesœuvres?Lafoipeut-ellelesauver?Siunfrèreouunesœursontnus, s’ilsmanquentde leurnourriturequotidienne,etquel’und’entrevousleurdise:“Allezenpaix,chauffez-vous,rassasiez-vous”,sansleurdonnercequiestnécessaireàleurcorps,àquoicelasert-il?Ainsienest-ildelafoi:siellen’apaslesœuvres,elleesttoutàfaitmorte»(Jc2,14-17).

L’undespassagesdel’encycliqueCaritasinVeritate25(2009)deBenoîtXVIenestunesynthèse,puisquel’œuvredeMiséricorde«donneràmangerauxaffamés»estprésentéecommeuneresponsabilitéecclésiale,issuedel’actionmêmedeJésusdeNazareth,encitantlechapitre25del’ÉvangiledeMatthieu:«Dansbiendespayspauvres,l’extrêmeinsécuritévitale,quiestlaconséquencedescarencesalimentaires,demeureetrisquedes’aggraver:lafaimfaucheencoredetrèsnombreusesvictimesparmi les innombrablesLazareauxquels iln’estpaspermisde s’asseoir, comme lesouhaitait Paul VI, à la table du mauvais riche. Donner à manger aux affamés(cf.Mt25,35.37.42)estunimpératiféthiquepourl’Égliseuniverselle,quirépondaux enseignementsde solidarité etdepartagede son fondateur, leSeigneur Jésus.Éliminerlafaimdanslemondeestdevenu,parailleurs,àl’èredelamondialisation,uneexigenceàpoursuivrepoursauvegarder lapaixet la stabilitéde laplanète.Lafaimnedépendpastantd’unecarencederessourcesmatérielles,qued’unecarencede ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de natureinstitutionnelle […]. Le droit à l’alimentation, de même que le droit à l’eau,revêtentunrôleimportantpourl’acquisitiond’autresdroits,encommençantavanttout par le droit fondamental à la vie. Il est donc nécessaire que se forme uneconscience solidaire qui considère l’alimentation et l’accès à l’eau comme droitsuniverselsdetouslesêtreshumains,sansdistinctionnidiscrimination»(CV,27).

La faim symbolise donc lanécessité d’unenourriture véritable, et l’Évangile deJeanprécisequeseulJésusestenmesuredelarassasier,carilestlui-même«paindevie » (Jn6, 5-35).Deplus, il est très révélateurde constater quedès l’origine, lacélébration eucharistique recentre tout autourdupartagedupainque l’on remet,«lafractiondupain»(Lc24,35;Ac2,42;20,7),expressionquimontrebienquel’EucharistiepartdugestedupartageetdudonqueJésusafait:«Puis,prenantdupain, il rendit grâce, le rompit et le leurdonna, endisant : “Ceci estmon corps,donné pour vous” (Lc 22, 19 ; 1 Co 11, 24) ». C’est pourquoi le sacrement del’Eucharistieseraainsiappelépar leconcileVaticanII« lasourceet lesommetdetoutelaviechrétienne»(LG,11).

Donneràboireàceuxquiontsoif

DeuxièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,35« Après quoi, sachant que désormais tout était achevé pour que l’Écriture fût

parfaitement accomplie, Jésus dit : “J’ai soif” » (Jn 19, 28). La soif de Jésus,tourmentterriblepourlescrucifiés,commémorel’angoissemortelledupsaume69,22:«Pournourriture,ilsm’ontdonnédupoison,dansmasoifilsm’abreuvaientdevinaigre.»Sentimentd’autantplusprofondqu’ils’accompagnedudésirardentdeJésusderejoindre lePère,selonl’invocationdespsalmistes :«Dieu,c’esttoimonDieu[…],monâmeasoifdetoi»(Ps63,2),ainsique«MonâmeasoifdeDieu,duDieu vivant ; quand irai-je et verrai-je la face deDieu ? » (Ps 42, 3), et quirésonnesifortdansle«Donne-moiàboire!»(Jn4,7),adresséparJésuslui-mêmeàlaSamaritaine.

Deplus,l’eaudanslaBibleaunesignificationsymbolique.Ainsi,l’eauquijaillitdurocherdansledésertetquisymboliseledondeDieuaupeupleélu(cf.Ex17,1-7;Nb20,1-13).L’eaudevientàsontourunsymboledeDieului-même,contenudanslabelleprièredupsaume42,2-3:«Commelanguitunebicheaprèsleseauxvives,ainsilanguitmonâmeverstoi,monDieu.MonâmeasoifdeDieu»,oudansletexteprophétiquedeJérémie2,13:«Ilsm’ontabandonné,moi,lasourced’eauvive»(cf.Is12,3;Jr17,13).

On se souvient que, dans le Nouveau Testament, le ministère apostoliquetraversedesdifficultés etdes épreuves,dont « la faimet la soif » (1Co4,11 ;2Co 11, 27). Aussi, donner à boire, ne serait-ce qu’un verre d’eau, aux disciplesenvoyésparleSeigneurestungestequeleSeigneurn’oublierapas(cf.Mt10,42;Mc9,41).Iln’estalorspassurprenant,qu’uneespérancedelibérationsoitformulée

defaçonsiclairedansl’Apocalypse:«Jamaisplusilsnesouffrirontdelafaimnidelasoif;jamaisplusilsneserontaccablésniparlesoleil,niparaucunventbrûlant»(Ap7,16).

Lasymboliquedel’eauquiprendtoutsonsenslorsduBaptêmechrétien,devientalors essentielle. En effet, l’eau, tout comme le Baptême, purifie, car « c’est leBaptême qui vous sauve à présent et qui n’est pas l’enlèvement d’une souillurecharnelle,maisl’engagementàDieud’unebonneconscienceparlarésurrectiondeJésus Christ » (1 P 3, 21). Le Baptême est donc perçu comme « le bain de larégénérationetdelarénovationenl’EspritSaint»(Tt3,5;cf.Jn3,5).D’ailleurs,cesacrementduBaptêmeestsymboliquementannoncéavecl’eauquisortducôtédu Christ crucifié (cf. Jn 19, 34), ce que plusieurs Pères de l’Église et grandsthéologiens (saintAugustin et saintThomas d’Aquin notamment) ont interprété.ApprochequiaégalementétéreprisedansLumenGentium(LG,3) lorsqu’ilaétéquestiondesdébutsdel’Église(cf.Jn19,34).

Lethèmedel’eauetdelasoifesttoutàfaitsignificatifdanslemessagedusynodedesévêquesaupeupledeDieu26 en2012, lorsqu’il s’agitdedécrirenotreépoqueactuelle,àtraversl’exclamationdelaSamaritaine:«Seigneur,donne-moicetteeau,ainsijen’auraiplusjamaissoif»(Jn4,15).Ledébutdecemessagecommencepar:«Laissons-nousilluminerparunepagedel’Évangile:larencontredeJésusaveclaSamaritaine(cf.Jn4,5-42).Touthommeseretrouveunjourauborddupuitsavecune cruche vide (comme la Samaritaine), et l’espoir de puiser le désir au plusprofondde son cœur, celui qui est le seul à pouvoir donner un sens réel à notreexistence.Nombreuxsont lespuitsaujourd’huidisponiblespourapaiser la soifdel’homme,cependantilimportedefairepreuvedediscernementafind’éviterleseauximpures. Il est urgent de bien approfondir sa recherche intérieure, afin dene pastomberdansdesdésillusionsquipourraientdétruire.ToutcommeJésusaupuitsdeSychar, l’Égliseressentcedevoirdes’asseoiràcôtédeshommesetdes femmesdenotre temps, pour rendre le Seigneur présent dans leur vie, afin de pouvoir lerencontrer,carseulsonEspritestl’eauquidonnelavraievieéternelle.Jésusestleseulàpouvoirnoussonderauplusprofonddenotrecœuretnousrévélerlavérité:“Ilm’adittoutcequej’avaisfait”,confesselafemmeàsesvoisins.Cetteparolequirépondàlaquestiondelafoi“Neserait-ilpasleChrist?”,montrequeceluiquiareçulavienouvelledelarencontreavecJésus,nepeutfaireautrementqu’annoncerlavéritéetl’espéranceauxautres.LapécheresseconvertiesefaitmessagèredusalutetconduittoutelavilleversJésus.Lafoulepasseainsidel’accueildutémoignageàl’expériencepersonnelledelarencontre:“Nousnecroyonspluspourcequetuas

dit ; nous l’avons écouté et nous savons qu’il est véritablement le Sauveur dumonde27.”»

PourconclurecetteœuvredeMiséricorde–complémentairede laprécédente :«donneràmangerauxaffamés»–,ilestbondereprendrel’unedesparolesdelatoutedernièreencycliquedupapeFrançois,Laudato si’28 (2015), lorsqu’il aborde« laquestionde l’eau».Audébutdesaréflexion, ilconstateavec luciditéquedespeuplesentiersetnotamment lesenfants,meurentoudeviennentmaladesàcausede l’eau non potable qu’ils ont bue, pendant que se développe la pollution de lanappephréatique,menacéeparlesdéchargesdesusinesetdesvilles.C’estpourquoilepapeaffirme : «L’accèsà l’eaupotableet sûreestundroithumainprimordial,fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des personnes, et parconséquentilestuneconditionpourl’exercicedesautresdroitshumains.»Donc,priverlespauvresdel’accèsàl’eausignifie«nierledroitàlavie,enracinédansleurdignitéinaliénable»(LS,30).

Accueillirlesétrangers

TroisièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,35Les paroles deMatthieu 25, 35 « J’étais un étranger et vousm’avez accueilli »

résument toute l’histoired’Israël.En effet, l’hôtedepassagequidemandeun toitqu’iln’apas,rappelleàIsraëlsaconditionpasséed’étrangeretd’hommedepassagesurlaterre,commecestextesl’attestent:«L’étrangerquirésideavecvousserapourvous comme un compatriote et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez étéétrangersaupaysd’Égypte»(Lv19,34;Ac7,6).«Écoutemaprière,Yahvé,prêtel’oreilleàmoncri,nerestepassourdàmespleurs.Carjesuisl’étrangercheztoi,unpassant comme tousmes pères » (Ps 39, 13). « Par conséquent, pour aller à lui,sortonsendehorsducamp[…].Carnousn’avonspasici-basdecitépermanente,maisnousrecherchonscelledel’avenir»(He13,13-14).

Cetétrangerabesoind’êtreaccueilliet traitéavecamour,aunomduDieuquil’aime(«Ilaimel’étranger»,Dt10,18).Encasdegrandesdifficultés,ildevraêtreprotégé(cf.Gn19,8;Jg19,23-24),etiln’hésiterapasàdérangersesamiss’iln’apaslesmoyensd’aiderunétrangerinattendu(cf.Lc11,5-8).

Abrahamestunexempled’accueilgénéreuxetreligieuxaveclestroispersonnagesàMambré,paradigmed’hospitalité (cf.Gn18,2-8),ainsiqueJob,qui s’envante(cf. Jb 31, 31-32), et le Christ lui-même, qui approuve les soins qu’il reçoit(cf.Lc7, 44-46) et qui à son tour est accueilli par les disciples d’Emmaüsqui le

reconnaissentaumomentde«lafractiondupain»(Lc24,13-33).Touscesgestesd’accueil envers l’étranger sont unemanifestation concrète de « que votre charitésoitsansfeinte[…]avidededonnerl’hospitalité»(Rm12,9.13).

Danslatraditionchrétienne,onsaitbienquelarègledesaintBenoît(Vesiècle)demandeauxmoinesd’accueillir,aveccettecitationquireprendMatthieu25,40:«TousleshôtesquiarriventserontreçuscommeleChrist.Eneffet,lui-mêmedira:“J’étaisunhôteetvousm’avezreçu”»(RB,53,1).Elledécritensuitelafaçondontlesmoinesdoiventsecomporterenversleshôtes:«Danslessalutations,onmontretouslessignesdel’humilitéàtousleshôtesquiarriventouquipartent.Oncourbela têteoubienonseprosterneà terrepouradorereneux leChristqu’onreçoit»(RB,53,6-7).

Vêtirceuxquisontnus

QuatrièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,36Aucun autre saint n’est autant enraciné dans la mémoire populaire que saint

MartindeToursaveclemanteauqu’ilpartageaetdonnaàunmendiant.Lerécitleplusconnudesaviesepassedurantl’hiver337,lorsqueMartin,soldatdel’arméeroyale,rencontreprèsdelaportedelavilleunmendiantgrelottantdefroid,àquiildonnelamoitiédesacape,l’autremoitiéappartenantàl’arméeromaine.LeChristluiapparaît lanuitsuivante,vêtude lamoitiéde lacapepour leremercierdesongeste. Il s’agit sans aucun doute d’un exemple concret de l’œuvre deMiséricordedansMatthieu25,36,carMartinnesavaitpasqu’iltrouveraitleChristlui-mêmedanslepauvremendiant.

DanslaBible,lanuditéestnégative,soitcommefruitdupéché(cf.Gn3,7),soitcommecelledel’esclavevendu(cf.Gn37,23),duprisonnier(cf.Is20,4;Ac12,8) et du possédé (cf. Mc 5, 1-20). Il s’agit en effet, de la nudité du marginalhumilié,quel’ontrouvedanslelivredeJobquiparleainsidespauvres:«Ilspassentlanuitnus,sansvêtements,sanscouverturecontrelefroid[…].Ilss’envontnus,sansvêtements;affamés»(Jb24,7.10).

La Bible de fait, propose une attitude de compassion envers la nudité etconseille:«Donne[…]teshabitsàceuxquisontnus»(Tb4,16).Ellerendgrâceà celuiqui « couvred’unvêtement celuiqui estnu » (Ez18,16) etdemandede«vêtirl’hommenu»(Is58,7).UntelacteestperçudansMatthieu25,36,lorsdujugementfinal,commeuneœuvredeMiséricorde.

Paroppositionàlanudité,l’habitreprésentedanslaBiblelaconditionspirituelledel’homme,notammentleblancquiindiqueladimensioneschatologiquedusalutpour tout être associé àDieu (cf.Qo 9, 8 ; Si 43, 18). Le livre de l’Apocalypseinsistetoutparticulièrementsurlacouleurdublancdansladescriptiondumondecéleste(cf.Ap2,17;14,14),présentdanstoutelaBiblepourdécrirelesêtresduciel (cf.Ez9,2 ;Dn7,9 ;Ap1,13-14,etc.).Ainsi, lecontrasteentre le« jeunehommenu»(Mc14,51-52)–symboledelamortdeJésus–etle«jeunehommevêtudeblanc» (Mc16,5)–quiannonce la résurrectiondeJésusChrist– révèleconcrètement lasignificationprofondede«vêtirceuxquisontnus»deMatthieu25,36.Carc’estencroyantenlaRésurrectionquelejeunes’«habille[enblanc!]»commesignedesapleineespérance!

Ainsi, la traditionpaulinienne souligne avec forceque lanudité (expressiondu« vieil homme ») disparaît parce que « vous avez revêtu le nouveau, celui quis’achemineverslavraieconnaissanceenserenouvelantàl’imagedesonCréateur»(Col3,10;Ep4,24),parl’intermédiairedelafoietduBaptême.«BaptisésdansleChrist,vousavezrevêtu leChrist» (Ga3,27), sachantque« lanuditénepourrajamaisvous séparerduChrist » (Rm8,35), car «nousnevoudrionspas eneffetnousdévêtir,maisnousrevêtirpar-dessus,afinquecequiestmortel soitengloutiparlavie»(2Co5,4).

Assisterlesmalades

CinquièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,36«Lamaladieetlasouffranceonttoujoursétéparmilesproblèmeslesplusgraves

qui éprouvent la vie humaine.Dans lamaladie, l’homme fait l’expérience de sonimpuissance,deseslimites,desafinitude.Toutemaladiepeutnousfaireentrevoirlamort»(CEC,1500).

Dans l’Ancien Testament, lemalade par excellence est Job qui demande à sesamis de s’occuper de lui : « Écoutez, je vous prie, mes griefs, soyez attentifs auplaidoyerdemes lèvres » (Jb13,6), et il répète : «Écoutez, écoutezmesparoles,accordez-moicetteconsolation»(Jb21,2).

LestémoignagessurlesvisitesauprèsdesmaladesnesontpastrèsnombreuxdanslaBible,etBenSirac leSage lesdéfinitcommeunacted’amourpour levisiteur :«Necrainspasdet’occuperdesmalades,pardetelsactestutegagnerasl’affection»(Jb7,35).Cetexteexpliquelapositionjuivequimetl’accentsurlevisiteuretnon

surlemalade,contrairementàMatthieu25,36,oùc’estlemaladequiaunedignitéetdoitêtrereconnu,puisqu’ils’agitduChristlui-même!

Dans ce cas, « le malade a une sacramentalité christique qui le transforme ensacrementduChrist» (L.Manicardi).Unetelleapprochedemandeauvisiteurdedécouvrir, dans sa rencontre avec le pauvre et l’invalide, un chemin et uneinterpellationquipeuventl’ameneràl’assimilerauChristqui«étantriches’estfaitpauvre»(2Co8,9).

UneautreformedevisiteauxmaladesestapparuedansleNouveauTestament,ets’articuleentroistemps:lavisite,laprièreetlerite.Cederniersousdeuxformes:l’imposition des mains et l’onction de l’huile. Ainsi, dans le livre des Actes desapôtres(Ac28,7-10),Lucracontel’accueildePaulchezPublius;etdanslalettredeJacques(Jc5,14-16),ilestditquel’ondoitappelerlespresbytreslorsquel’onestmalade. Voici les deux textes : « Le père de Publius, en proie aux fièvres et à ladysenterie, était alité. Paul alla le voir, pria, lui imposa les mains et le guérit »(Ac28,8).«Quelqu’unparmivousest-ilmalade?Qu’ilappelle lespresbytresdel’Église et qu’ils prient sur lui après l’avoir oint d’huile au nom du Seigneur. LaprièredelafoisauveralepatientetleSeigneurlerelèvera.S’ilacommisdespéchés,ilsluiserontremis»(Jc5,14-15).

La tradition chrétienne considère ce dernier texte comme la base et le germebiblique du sacrement de l’onction des malades, évoqué lors de la mission desdouze : « Ils […] faisaient des onctions d’huile à de nombreux infirmes et lesguérissaient»(Mc6,13).CesacrementestainsiexpliquéparleconcileVaticanII:«Avecl’onctionsacréedesmaladesetlaprièredespresbytres,toutel’ÉgliseconfielesmaladesauSeigneursouffrantetglorifiépourlessoulagerdelessauver(cf.Jc5,14-16).Illesencouragemêmeàs’unirlibrementàlaPassionetàlamortduChrist(cf.Rm8,17;Col1,24;2Tm2,11-13;1P4,13)etainsiàcontribueraubienduPeupledeDieu»(LG,11).

Ilfautremarqueràcesujetquecen’estqu’àpartirduXIesièclequecesacrement

sefaitappelerl’«extrême-onction»,carilvientaprèsl’onctionduchrétienlorsduBaptême et de laConfirmation. Il sera progressivement compris dans la pratiquecommele«sacrementdelamort»(XV

esiècle).LeconciledeTrenteapréféréparlerd’« extrême-onction », dans le sens de « sacrement d’achèvement de la viechrétienne»,bienquel’appellation«onctiondesmalades29»aitaussiétéutilisée.LeconcileVaticanII,poursapart,ademandédereprendrel’appellation«onctiondesmalades », etnon« extrême-onction», car ilne s’agitpas «uniquementd’unsacrementpourceuxquisontsurlepointdemourir30.»

Visiterlesprisonniers

SixièmeœuvredeMiséricordedansMatthieu25,36On trouve en toile de fond de cette œuvre de Miséricorde les passages

emblématiquesdelaBiblequiannoncentlalibérationauxprisonniers:«proclamerlalibertéauxcaptifs»(Lc4,18),ouquiévoquelefaitde«proclamerl’amnistieauxcaptifs»(Is61,1).Maisilexisteaussid’autrespassagesquiinvitentàsesouvenirdesprisonniers comme des compagnons de prison, ce que recommande la lettre auxHébreux(13,3):«Souvenez-vousdesprisonnierscommesivousétiezprisonniersaveceux»,ou lepsaume142,8 : «Fais sortirdeprisonmonâme» ;ouavec lesréférences fondamentales, reprisespar Jésus lui-même : « J’étais enprison et vousêtesvenusmevoir»(Mt25,36).

Il n’est pas surprenant que dans le Nouveau Testament, il existe une relationparticulière entre les membres de la communauté chrétienne et les frèresemprisonnéspourleurfoi,commelerappelleJésusdansLuc21,12:«Onporterales mains sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et auxprisons.»LalettreauxHébreuxs’adresseenl’occurrenceàcesdestinataires:«Vousavez pris part aux souffrances des prisonniers ; vous avez accepté avec joie laspoliationdevosbiens,sachantquevousétiezenpossessiond’unerichessemeilleureetstable»(He10,34).

La proximité de la communauté par la prière d’intercession à Pierre, qui setrouvaitenprison,enestlapreuve:«TandisquePierresetrouvaitenprisonbiengardé,l’ÉglisepriaitpourqueDieuintercèdepourlui»(Ac12,5).PaulàsontourexprimesagratitudeauxPhilippinspourleurproximitéetlesaidesreçueslorsdesadétention(cf.Ph1,13-14.17;2,25;4,15-18).

« Il est certain qu’une pastorale qui prête attention aux prisonniers devraégalement se tourner vers leurs proches, en leur offrant leur soutien afin qu’ilspuissent les assister au mieux […]. Les formes de présence chrétienne dans lesprisons sontmultiples et variées, car “visiter lespauvres”nepeut être séparéd’untravail politique et d’une réflexion qui, au nom de la dignité et des droits del’homme, cherchent à définir les peines qui ne privent pas de la liberté tout enprévoyantlesactesderéparation»(L.Manicardi).

Ensevelirlesmorts

SeptièmeœuvredeMiséricordedanslelivredeTobie1,17;12,12-13.

ÊtreprivédesépultureenIsraëlétaitperçucommeunmalhorrible(cf.Ps79,3),faisantpartiedeceschâtimentsdontonmenaçaitlesimpies(cf.1R14,11-13;Is34,3;Jr22,18-23).LasépultureétaitdoncchezlesJuifs,unactedepiétéetunepratiquepieuse.CommelemontrentlesexhortationsdeBenSiracleSage:«Quetagénérositétouchetouslesvivants,mêmeauxmortsnerefusepastapiété»(Si7,33). «Mon fils, répands tes larmes pour unmort, pousse des lamentations pourmontrertonchagrin,puisenterrelecadavreselonlecérémonialetnemanquepasd’honorersatombe»(Si38,16).

Le livredeTobieoffreuntémoignagevivantdecettepratique :«AuxjoursdeSalmanasar,j’avaisfaitsouventl’aumôneàmesfrèresderace,jedonnaismonpainauxaffamésetdeshabitsàceuxquiétaientnus;etj’enterrais,quandj’envoyais,lescadavresdemescompatriotes,jetéspar-dessuslesrempartsdeNinive.J’enterraidemêmeceuxquetuaSennachérib»(Tb1,16-18).«Lorsquevousétiezenprière,toietSarra, c’étaitmoiquiprésentais vos suppliquesdevant laGloireduSeigneuretquileslisais;etdemêmelorsquetuenterraislesmorts.Quandtun’aspashésitéàte lever et à quitter la table, pour aller ensevelir un mort, j’ai été envoyé pouréprouvertafoi»(Tb12,12-13).

Tobieajoutedonc«ensevelirlesmorts»commebonneœuvre,après«donneràmangerauxaffamés»et«donneràboireàceuxquiontsoif».C’estprobablementcette énumération qui entraînera l’ajout d’une nouvelle œuvre, à la suite des sixautresdeMatthieu25.

On trouve chez saint Thomas d’Aquin une explication plus profonde de cetajout. Pour lui, le silence sur la sépulture, dans les six premières œuvres deMiséricorde, est dû au fait qu’elles sont d’« une importance plus immédiate » etdonc«netombentpasdansledéshonneurdeceuxquirestentsanssépulture,carlescœurs miséricordieux doivent avoir de l’affection pour le défunt même après lamort, c’est pourquoi, ceux qui enterrent les morts sont louables, comme parexempleTobieetlesdisciplesdeJésusquienterrèrentleChristdanslatombe31.»

Cette référence explicite de la sépulture de Jésus donne une réponse pourcomprendrecetteœuvredeMiséricorde,carunefoisencorepoursaintThomas,«leChrist, par sa Résurrection, annonce à travers lui l’espérance de la Résurrection,pourtousceuxquisetrouvententerrésconformémentaupassagedel’ÉvangiledeJean (Jn 5, 25-28) : “Je vous le dis, l’heure vient – et c’estmaintenant –, où lesmorts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entenduevivront32.”»C’estpourquoi,danslaconfessionpascalelaplusanciennequiunitlamort à la résurrectionde Jésus, il existeuneallusionexplicitede la sépulture– le

samedi saint ! – comme constat de la mort qui est à son tour, grâce au Christressuscitéausépulcre,chemindeRésurrection!(cf.1Co15,3-5).

Et l’incinération ? Depuis 1963, une instruction de la Congrégation pour ladoctrine de la foi, au n° 1176 du Code de droit canonique (1983), précise quel’Église catholique – bien qu’elle maintienne sa préférence pour l’inhumationtraditionnelle – accepte d’accompagner religieusement ceux qui ont choisil’incinération,àconditionquelesmotifsnesoientpasexpressémentantichrétiens.D’où l’importance de prêter une attention particulière à cette célébrationliturgique!

Cette nouvelle pratique de l’incinération nous invite à réfléchir sur le sensprofonddelamortpourtoutepersonne,conscientsquelafoichrétienne«affirmelasurvivanceetlasubsistanceaprèslamortd’unélémentspirituelquiestdouédeconscienceetdevolontéensorteque le“moi”humainsubsiste.Pourdésignercetélément, l’Église emploie lemot “âme” consacré par l’usage de l’Écriture et de laTradition.SansignorerquecetermeprenddanslaBibleplusieurssens33.»

Il s’agit, en somme, de la foi en l’immortalité de la personne ou du « moihumain»(oudel’âme),quisurvivratellequelle,transforméeparl’actionsalvatricedeDieuenJésusChrist,quand«Dieuseratoutentous»(1Co15,28)dans«uncielnouveauetuneterrenouvelle[…]oùiln’yauranimort,nideuil,nipleurs,nipeine»(Ap21,1.4)!

III

LESŒUVRESDEMISÉRICORDESPIRITUELLES

Lesêtreshumainssouffrentdedéficiencesquirelèventdeladimensionspirituelleet auxquelles répondent lesœuvres deMiséricorde spirituelles. Soit en implorantl’aide de Dieu (septième : prière), soit en intervenant auprès d’un proche parl’instructionouleconseil(deuxième:remèdesauxdéficiencespar l’enseignement,oupremière:parleconseil),soitenconsolant(quatrième:contrelasouffranceetlatristesse),ouencoreenréagissantauxdysfonctionnementsdesonaction(troisième:en avertissant, cinquième : en pardonnant, ou sixième : en supportant). C’estpourquoi les œuvres de Miséricorde spirituelles ont plus de valeur que les aidesmatérielles, bien qu’il existe des situations plus urgentes pour ces dernières(cf.I.Noye).

Or, ces septœuvres deMiséricorde spirituelles, contrairement aux septœuvrescorporelles,ontétéconfiéesàchaqueindividudèssonorigineetc’estlaraisonpourlaquelleellessontproposéescommerègledeviepourchaquechrétien,etpourtoutchrétienafindelesmettreenpratique.Leurapparitiondatedel’époquepatristique,notamment avecOrigène (185-254), et son interprétation allégoriqueduchapitre25del’ÉvangiledeMatthieu.SaintAugustinasuivicette lignedeconduiteets’yestconsacréd’unefaçonparticulière,ainsiquesaintThomasd’Aquin,notammentdanslemondeuniversitaireduXIII

esiècle.Ces sept œuvres de Miséricorde spirituelles peuvent se regrouper en plusieurs

parties.Troisœuvresinitialesdevigilanceoùl’ontrouve:1.conseillerceuxquisontdansledoute;2.enseignerauxignorants;3.avertirlespécheurs.Ensuite,troisœuvrescentralesautourdelaréconciliationforméespar:4.consolerlesaffligés;5.pardonnerlesoffenses;

6.supporterpatiemmentlespersonnesennuyeuses.Etenfin,uneœuvredesynthèse:7. laprière, recentrée sur laprièreadresséeàDieupour lesvivantset lesmorts

(cf.J.-F.Keenan).Enpartantdececadre,voiciunenotesuccinctesurchacuned’elles.

ÊtrevigilantLapratiquedestroisœuvresdeMiséricordespirituelles–conseillerceuxquisont

dansledoute,enseignerauxignorantsetavertirlespécheurs–montrecommentsedécentrerdesoi-mêmeetinviteàunenouvellevigilance,constituéedecompassionetd’amourenversceluiquidoute,quiignoreouquipèche.

ConseillerceuxquisontdansledouteLa tradition biblique insiste sur l’importance du conseil. Ainsi : « Le salut se

trouve dans un grand nombre de conseils » (Pr 11, 14). « Le conseil du sage estcommeunesourcedevie»(Si21,13).«Lesdoctes/guidesspirituelsresplendirontcommelasplendeurdufirmament»(Dn12,3).

Maisalorsquelestlecritèrepourunbonconseil?VoicilesparolesdusageBenSirac qui répond à cette question de vérité et à l’importance décisive de laconscience juste, qui va à la recherchede la vérité : «Tiens-toi au conseil de toncœur, car nul ne peut t’être plus fidèle. Car l’âme de l’homme l’avertit souventmieuxqueseptveilleursenfactionsurunehauteur.Etpar-dessustoutcela,supplieleTrès-Haut,qu’ildirigetespasdanslavérité»(Si37,13-15).

BlaisePascal(1623-1662)présenteavecclarté,dansuntexteparadigmatique,laforcedelaraisonlorsqu’ondouteouencore,lorsqu’onsaitaccepterlalimitedenepouvoir aller plus loin. Ce qui se joue ici, en fait, est l’exercice de la liberté, enconseillantetense laissantconseillerpourdiscerner lavérité,à laquellePascalsaitrépondreparunéquilibredélicat(cf.R.Fisichella):«Ilfautsavoirdouteroùilfaut,assureroùilfaut,ensesoumettantoùilfaut.Quinefaitainsin’entendpaslaforcede la raison. Il y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant toutcommedémonstratif,manquedeseconnaîtreendémonstration;ouendoutantdetout, manque de savoir où il faut se soumettre ; ou en se soumettant en tout,manquedesavoiroùilfautjuger34.»

Si l’on observe notre époque actuelle, peut-être pouvons-nous dire que le plusurgentestdeconseillerpardesinterrogations,notammentlorsquelesensdelavie

etdel’avenirestenjeu,avecdes«questionsdefondquicaractérisentleparcoursdel’existencehumaine:Quisuis-je?D’oùviens-jeetoùvais-je?Pourquoilaprésencedumal?Qu’yaura-t-ilaprèscettevie35?»

EnseignerauxignorantsQuand Philippe demande au fonctionnaire en train de lire le prophète Isaïe :

«Comprends-tudonccequetulis?»,lefonctionnaireluirépond:«Etcommentlepourrais-je […], si personne neme guide ? » (Ac 8, 30.31). Souvenons-nous dutextedeJésusqui,commeéducateurdeconscienceexigeant,affirmeparcettemêmelignedeconduite:«Nevousfaitespasnonplusappelerdirecteur:carvousn’avezqu’undirecteur,leChrist»(Mt23,10).Ils’agitd’untextequireprendcequiestditsurJésus:«Pournousentoutcas,iln’yaqu’unseulDieu,lePère,dequitoutvientetpourquinoussommes,etunseulSeigneur,JésusChrist»(1Co8,6).Onvoitdonc,defaçonévidente,queJésusleMessieestceluiqui«instruitceluiquinesait pas » car « dans la vie commedans lamort, nous appartenons auSeigneur »(Rm14,8)(cf.A.Ziegenaus).

Mais ce qui ressort ici et qui est fondamental, c’est de montrer comment«donnerraisonàl’espérancequiestennous»(1P3,15).SaintJeanPaulII,dansl’encycliqueFidesetRatio36(1998),insistebeaucoupsurcettetachedécisivepournotremondeactuel,enaffirmantqu’«ilestillusoiredepenserquelafoi,faceàuneraison faible,puisse avoirune forceplusgrande ; au contraire, elle tombedans legranddangerd’êtreréduiteàunmytheouàunesuperstition»(FR,48).Ilconclutdoncenaffirmantqu’«iln’yapaseneffetdepréparationplusurgenteaujourd’huiquecelle-ci :conduireleshommesàladécouvertedeleurcapacitédeconnaîtrelavéritéetdeleurdésird’allerverslesensultimeetdéfinitifdel’existence»(FR,102).

DanssapremièreexhortationapostoliqueEvangeliiGaudium37 (2013), lepapeFrançoisasouhaitéclarifiercequ’ilfallaitenseigneràceuxquiignorenttoutdelafoichrétienne.Ils’estrecentrésurle«cœurfondamental»enprécisant:«Touteslesvéritésrévéléesprocèdentdelamêmesourcedivineetsontcruesaveclamêmefoi, mais certaines d’entre elles sont plus importantes pour exprimer plusdirectementlecœurde l’Évangile.Danscecœurfondamentalresplendit labeautéde l’amour salvifiquedeDieumanifesté en JésusChristmort et ressuscité.En cesens, le concile Vatican II a affirmé qu’“il existe un ordre ou une hiérarchie desvérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec lefondement de la foi chrétienne38”. Ceci vaut autant pour les dogmes de foi que

pour l’ensemble des enseignements de l’Église, y compris l’enseignementmoral »(EG,36).

Ilpréciseunpeuplusloin:«Ainsi,commelecaractèreorganiqueentrelesvertusempêched’exclurel’uned’ellesdel’idéalchrétien,aucunevéritén’estniée.Ilnefautpas mutiler l’intégralité du message de l’Évangile. En outre, chaque vérité secomprendmieuxsion lametenrelationavec la totalitéharmonieusedumessagechrétien, et dans ce contexte toutes les vérités ont leur importance et s’éclairentréciproquement. Quand la prédication est fidèle à l’Évangile, la centralité decertainesvéritéssemanifesteclairementetilenressortavecclartéquelaprédicationmoralechrétiennen’estpasuneéthiquestoïcienne,elleestplusqu’uneascèse,ellen’est pas une simple philosophie pratique ni un catalogue de péchés et d’erreurs.L’ÉvangileinviteavanttoutàrépondreauDieuquinousaimeetquinoussauve,lereconnaissant dans les autres et sortant de nous-mêmes pour chercher le bien detous.Cetteinvitationn’estobscurcieenaucunecirconstance»(EG,39).

AvertirlespécheursIls’agitd’uneœuvredeMiséricordeinspiréed’untexteclassiquedel’Évangilede

Matthieu sur les conflits au sein de la communauté, où l’on passe d’une penséejuridiqueàuneperspectiveplusecclésiologiqueetpastorale :«Sitonfrèrevientàpécher,valetrouveretreprends-le,seulàseul.S’ilt’écoute,tuaurasgagnétonfrère.S’iln’écoutepas,prendsencoreavectoiunoudeuxautres,pourquetouteaffairesoitdécidée sur laparolededeuxou trois témoins.Que s’il refusede les écouter,dis-le à la communauté. Et s’il refuse d’écoutermême la communauté, qu’il soitpourtoicommelepaïenetlepublicain»(Mt18,15-17;cf.Tt3,10).

LaquestiondelacorrectionfraternelleestrelativementprésentedansleNouveauTestament et l’on perçoit à l’usage un véritable réalisme ! Il convient de noterd’ailleursquelacorrectionnedoitpasêtreunjugement,maisunservicedevéritéetd’amourduprochain,carl’ons’adresseaupécheur,noncommeàunennemimaiscommeàunfrère (cf.2Th3,15)afindepouvoirparvenirà remettre sur leboncheminunfrèrequiallaitàsaperte(cf.Jc5,19-20;Ps51,15).

Cettecorrectionfraternelles’exerceavecfermeté(cf.Tt1,13),maissansaspérités(cf.Ps6,2),sansexacerbationnihumiliationenversceluiquiestrepris(cf.Ep6,4). Un jeune peut corriger un ancien, à condition qu’il ait conscience de sacondition(cf.1Tm5,1).Deplus,ilestvraique«toutecorrectionneparaîtpassurlemomentêtreunsujetdejoie,maisdetristesse.Plustardcependant,ellerapporteàceuxqu’elleaexercésunfruitdepaixetdejustice»(He12,11).

La correction fraternelle exige undiscernement : trouver lemoment opportun,agir de façon à faire grandir et non diminuer l’estime que le frère porte sur lui-même,éviterqu’ellesoit l’uniqueformederelationaveccefrère,nes’engagerquesur les choses essentielles, essayer de soulager plutôt que de juger ou condamner,reprendreensachantquel’onestaussipécheuretdemandeurdecorrection.Alors,si tous ces éléments sont réunis, la correction fraternelle évoquéedans l’œuvredeMiséricorde « avertir les pécheurs » pourra donner les fruits de paix et debénédiction(cf.L.Manicardi).

GarderunespritconciliantPratiquer les trois œuvres de Miséricorde spirituelles – consoler les affligés,

pardonner les offenses et supporter lespersonnes ennuyeuses– favorise l’esprit deconciliation. Et l’on retrouve ces trois œuvres chez une personne conciliante,attributfondamentaldudiscipleduChrist.Unepersonneestdenatureconciliantesielleéprouveelle-mêmelebesoindeseréconcilieravecDieu.Onnepeut,eneffet,consoler,pardonneretsupporterlesinjusticesavecpatiencesil’onnereconnaîtpasquel’onaunedetteenversleChrist,quinousoffreenpermanencelapossibilitédenousréconcilieravecDieu(cf.J.-F.Keeman).

ConsolerlesaffligésJérusalemdanssonhistoireafaitl’expérienced’unabandontotal.Privéedetoute

consolation de la part de ses alliés (cf. Lm 1, 19), elle disait : « Yahvé m’aabandonnée ; leSeigneurm’aoubliée » (Is49,14 ;54,6-10).Mais en réalité, leSeigneurétait sonvéritableconsolateur lorsqu’ilproclamait : «Consolez, consolezmonpeuple,ditvotreDieu»(Is40,1),«Yahvéaconsolésonpeuple,ilprendenpitiésesaffligés»(Is49,13).

Dieuaeneffetconsolésonpeupleaveclabontéd’unpasteur(cf.Is40,11;Ps23,4),l’affectiond’unpère,l’ardeurd’unfiancéoud’unépoux(cf.Is54)etaveclatendressed’unemère(cf.Is49,14-15;66,11-13).C’estpourquoiiladonnéàsonpeuple sa promesse (cf. Ps 119, 50), son amour (cf. Ps 119, 76), la Loi et lesprophètes (cf. 2 M 15, 9) et les Écritures (cf. 1 Mc 12, 9 ; Rm 15, 4) qui luipermettentdedépasserlapeine,etdevivredansl’espérance.

Jésus,àsontour,annoncécommeleMessie«consolationd’Israël»(Lc2,25),etreconnu comme « consolateur » (1 Jn 2, 1), proclame « bienheureux ceux quipleurentcarilsserontconsolés»(Mt5,5).Ildonneaussiducourageàceuxquisesententaccablésparleurspéchésouparlamaladie–carilestvenupoureux(cf.Mt

9,2.22)–etoffresonsoutienàtousceuxquisontfatiguésetquisontdanslapeine(cf.Mt11,28-30).

Paul,poursapart,décritdanssadeuxièmelettreauxCorinthiens,lesbasesd’unethéologiechrétiennedelaconsolation:«BénisoitleDieuetPèredenotreSeigneurJésus Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nousconsoledanstoutenotretribulation,afinque,par laconsolationquenous-mêmesrecevonsdeDieu,nouspuissionsconsoler lesautresenquelquetribulationquecesoit»(2Co1,3-5).

Paul rappelle à son tour que le Christ est la source de toute consolation (« laconsolation du Christ » : 2 Co 1, 3-7) et qu’au sein de l’Église, la fonctionconsolatriceestessentiellepuisqu’elletémoignequeDieuconsoleenpermanencelespauvresetlesaffligés(cf.1Co14,3;Rm15,5;2Co7,6;Si48,24).

Ilestintéressantdenoter,parailleurs,quel’Apocalypsedécritl’imageémouvanted’uncielnouveauetd’une terrenouvelledans lesquels laplusgrandeconsolationseraque«Dieuessuieratoutelarmedeleursyeux»(Ap7,17),car«demort,iln’yenauraplus ;depleur,decrietdepeine, iln’yenauraplus,car l’ancienmondes’enestallé»(Ap21,4).

PardonnerlesoffensesL’histoiredelarévélationbibliqueestl’histoiredelarévélationdeDieu«capable

depardonner»(cf.Ex34,6-9;Ps86,5;103,3),affirmationquidépasselaloiduTalion(«œilpourœil,dentpourdent»,Ex21,24),pleinementréaliséeavecJésusChrist lorsqu’il affirme : « Vous avez entendu qu’il a été dit : tu aimeras tonprochainettuhaïrastonennemi.Ehbienmoijevousdis:aimezvosennemis,etpriezpourvospersécuteurs,afindedevenirfilsdevotrePèrequiestauxcieux,carilfaitleversonsoleilsurlesméchantsetsurlesbons,ettomberlapluiesurlesjustesetsurlesinjustes.Carsivousaimezceuxquivousaiment,quellerécompenseaurez-vous?Lespublicainseux-mêmesn’enfont-ilspasautant?»(Mt5,44).

Ce texte fondamental du christianisme présente de façon unique « uneabsolutisation extrême » (U. Luz) de cet amour de l’ennemi, présent de façonglobale dans le judaïsme et dans d’autres religions ou philosophies (bouddhisme,taoïsme,stoïcismechez lesGrecs…).Ladifférenceavectouscescourantsestcetteconception chrétienne deDieumanifesté en Jésus, qui agit de façon particulièredans l’histoire. De fait, ce postulat de l’amour extrême de l’ennemi répondspécialementàl’amourextrêmequeDieuapourJésusqui,«ayantaimélessiensquiétaientdanslemonde,lesaimajusqu’àlafin»(Jn13,1).

On ne peut nier, d’un point de vue humain, que cet amour de l’ennemi estsûrementcequ’ilyadeplusexigeantdanslesparolesdeJésusChrist,etconsidérédepuis les temps anciens comme le signe distinctif de la vie et de la conduitechrétiennes. Il s’agit d’un commandement propre au christianisme et des plusnouveaux : « Celui qui n’aime pas celui qui nous hait, n’est pas chrétien39 »,puisquel’amourdesennemisestune«loifondamentale40»et«essencesuprêmedelavertu41»(cf.W.Kasper).

C’estpourquoi,poursaintThomasd’Aquin,lepardondesennemis«appartientà la perfection de la charité42. »D’où l’importancedupardonpour réaliser cetteœuvredeMiséricorde,bienprésentedanslaprièreduNotrePère:«Pardonne-nousnosoffensescommenouspardonnonsaussiàceuxquinousontoffensés»(Mt6,12;Lc11,4).

Le sacrement de Pénitence ou de la Réconciliation est également d’uneimportance décisive. C’est ce que nous rappelle le pape François pour l’AnnéejubilairedelaMiséricorde:«TantdepersonnessesontdenouveauapprochéesdusacrementdeRéconciliation,etparmiellesdenombreuxjeunes[…],pourvivreunmoment de prière intense, et redécouvrir le sens de leur vie. Avec conviction,remettonsaucentrelesacrementdelaRéconciliation,puisqu’ildonneàtoucherdenosmainslagrandeurdelamiséricorde.Pourchaquepénitent,ceseraunesourced’une véritable paix intérieure. Je ne me lasserai jamais d’insister pour que lesconfesseurssoientunvéritablesignedelamiséricordeduPère»(MV,17).

Il conviendrait de redonner toute sa valeur à la préparation pénitentielle, pourintroduire l’Eucharistie ou encore pour exprimer concrètement la conditionpécheresse de la communauté chrétienne (cf. LG, 8). Car cette préparationpénitentielleestprésentedanslesritesinitiauxdel’EucharistielorsquelepeupledeDieu s’adresse au Seigneur en se reconnaissant pécheur, ou lorsqu’il se prépare àaccueillirledondeDieu.Ils’agitd’un«actepénitentiel»souventassociéauxtroisinvocations«Seigneur/Christ/Seigneur,prendspitié»(Kyrie/Christe/Kyrieeleison),dans lequel pasteurs et fidèles se reconnaissent ensemble pécheurs. Selon laPrésentation générale du Missel romain43, cet acte pénitentiel comporte unedynamiquederéconciliation,digned’êtrepriseenconsidérationpuisque«leprêtreinviteà l’actepénitentielqui[…]estréalisépartoute lacommunautéenutilisantune formule de confession générale ; le prêtre la conclut par une absolution »(PGMR,29).

OncomprenddoncpourquoilaCommissionthéologiqueinternationale,pourleGrandJubiléde l’année2000,apubliéMémoireetRéconciliation : l’Égliseet les

fautes dupassé, où la dimension ecclésiale est ainsi expliquée : « Sa demande depardon ne doit pas être comprise comme une affectation de feinte humilité, nicommelereniementdesonhistoirebimillénaire,assurémentrichedeméritesdansleschampsdelacharité,delacultureetdelasainteté.Aucontraire,ellerépondàuneexigencedevéritéàlaquelleellenepeutrenoncer:àcôtéd’aspectspositifs,ellereconnaît les limites et les faiblesses humaines des différentes générations desdisciplesduChrist.Reconnaîtrelavéritéestsourcederéconciliationetdepaix[…],l’Église ne peut pas passer le seuil du nouveaumillénaire sans inciter ses fils à sepurifier, dans la repentance, des erreurs, des infidélités, des incohérences, deslenteurs.Reconnaître les faiblessesd’hier, c’est faireactede loyautéetdecourage.Cequiouvreunlendemainnouveaupourtous.»

SupporterpatiemmentlespersonnesennuyeusesLatraditionsapientiellesouligneavecconvictionque,faceàdesfrèresquiirritent

lesage,«mieuxvautunhommelentàlacolèrequ’unhéros,unhommemaîtredesoiqu’unpreneurdevilles»(Pr16,32).«Parlapatienceunjugeselaissefléchir,lalanguedoucebroie lesos » (Pr25,15). «Mieuxvaut la find’une choseque sondébut,mieuxvautlapatiencequelaprétention»(Si7,8).

Jobseral’exempledepatience,commelerappellecepassage:«Ilyavaitjadis,aupaysdeUç,unhommeappeléJob,unhommeintègreetdroitquicraignaitDieuetsegardaitdumal»(Jb1,1)etquidit:«Nu,jesuissortiduseinmaternel,nu,j’yretournerai.Yahvéavaitdonné,Yahvéarepris :quelenomdeYahvésoitbéni !»(Jb1,21).«Jobluirépondit:“Tuparlescommeunefolle.SinousaccueillonslebonheurcommeundondeDieu,commentnepasaccepterdemêmelemalheur!”Entoutecetteinfortune,Jobnepéchapointenparoles»(Jb2,10).Danslalettrede saint Jacques, on parlera de la fameuse « patience de Job », en précisant qu’ils’agit d’une expression de la miséricorde du Seigneur : « Nous proclamonsbienheureuxceuxquiontdelaconstance.VousavezentenduparlerdelaconstancedeJobetvousavezvuledesseinduSeigneur;carleSeigneurestmiséricordieuxetcompatissant»(Jc5,11).

Pour sa part, Jésus dans sa patiencemontre que loind’être implacable avec lespécheurs(cf.Mt18,23-35),ilétaittolérant«afindedevenirfilsdevotrePèrequiestauxcieux,carilfaitleversonsoleilsurlesméchantsetsurlesbons»(Mt5,45).Cettepatience,toutcommel’amour,estun«fruitdel’Esprit»(Ga5,22;cf.1Co10, 13 ;Col 1, 11),mûrie par l’épreuve (cf. Rm 5, 3-5 ; Jc 1, 2-4), qui génèreconstanceetespéranceetquinedéçoitjamais(cf.Rm5,5).C’estpourquoil’hymne

pauliniendel’amourproclameque«l’amourprendpatience»et«supportetout»(1Co13,1-13).

Il faut en l’occurrence se rendre compte que « la patience est un art » (L.Manicardi).Ettoutparticulièrementlorsqu’onsupporteavecpatience,librementetdans l’amour, une relation avec quelqu’un qui peut être fastidieux, antipathique,ennuyeux,lent,limité,onserapprochealorsdel’amourdel’ennemi(cf.Mt5,38-48 ;Lc6,27-35).Mais c’est égalementunart lorsqu’une telle attitude conduit àuneréflexionsursoi-mêmepourdécouvrirennouscequiestégalementdérangeantetinsupportablepournousetquipeutaussil’êtrepourlesautres,carDieudansleChristnousasupportésavecpatienceennousaimantsanscondition:«Montrez-vous au contraire bons et compatissants les uns pour les autres, vous pardonnantmutuellement,commeDieuvousapardonnédansleChrist»(Ep4,32).

Prier

PrierDieupourlesvivantsetpourlesmortsPourconclure,surcesseptœuvresdeMiséricordespirituelles,ilreste:prierDieu

pour lesvivantsetpour lesmortscommesynthèseclé,car laprièreestundondeDieudanssarelationavecl’homme.Eneffet:«Laprière,quenouslesachionsounon,estlarencontredelasoifdeDieuetdelanôtre.Dieuasoifquenousayonssoifdelui»(CEC,2560).Enfait:«Laprièrechrétienneestunerelationd’allianceentreDieuet l’hommedans leChrist»(CEC,2564) ;elleestdoncà l’originedetouteslesœuvresdeMiséricorde.

Pour comprendre le sens de la prière et sa relation avec la vie, la traditionchrétienne a comme ligne de conduite le fameux diptyque de la règle de saintBenoît (Ve siècle), « prie et travaille » (ora et labora), qui a marqué toute laspiritualité, non seulementmonastiquemais aussi générale.Dans lemême esprit,saintIgnacedeLoyolaaexpliquécediptyquedecettefaçon:«PriezcommesitoutdépendaitdeDieuettravaillezcommesitoutdépendaitdevous»(cf.CEC,2834).

Deplus, cetteœuvredeMiséricorde souligne l’importancede la « communiondes saints » dans l’Église, comme le rappelle leCatéchismeromain (XVI

e siècle) :« Comme cette Église est gouvernée par un seul et même esprit, tous les biensqu’elleareçusdeviennentnécessairementunfondscommun44.»Enfait,ils’agitdelacommuniondesmembresdel’Église:ceuxquisontenpèlerinagesurlaterreetlesbienheureuxduciel,tousqualifiésde«saints»,parleurBaptême.

C’estainsiqueleconcileVaticanIIdécrirala«communiondessaints»:«Tous(lesdisciplesduSeigneur,pèlerinsetdéfunts),cependant,àdesdegréset sousdesformesdiverses,nouscommunionsdans lamêmecharitéenversDieuet envers leprochain,chantantànotreDieulemêmehymnedegloire.Eneffet,tousceuxquisontduChrist etpossèdent sonEsprit constituentune seuleÉglise et se tiennentmutuellementcommeuntoutdansleChrist(cf.Ep4,16).Donc,l’uniondeceuxqui sontencoreenchemin,avec leurs frèresqui se sontendormisdans lapaixduChrist,neconnaîtpaslamoindreintermittence;aucontraire,selonlafoiconstantede l’Église, cetteunionest renforcéepar l’échangedesbiens spirituels » (LG,49).Aussi«Unmembresouffre-t-il?Touslesmembressouffrentaveclui.Unmembreest-ilàl’honneur?Touslesmembresseréjouissentaveclui(cf.1Co12,26)»(LG,7).

Oncomprenddoncque, lorsqu’onpriepourunepersonnevivante,on laplacesous le regard bienveillant et plein d’amour de Dieu, et on invoque pour cettepersonneledondeDieuetsabénédiction,afinqu’enLui,elletrouvelechemindelavie(cf.Ep1,3-14).Cecinesignifiepasquel’ondoitforcéments’attendreàcequenotredemandeseréaliseconcrètement,carlorsqu’ilyaunedemandeconcrète,laprièred’intercessionchrétienneplacetoutedemandedansladimensionpluslargedel’invocationduChristdansleNotrePère:«Quetavolontésoitfaitesurlaterrecomme au ciel » (Mt 6, 10). Invocation qui a été reprise par Jésus lui-même àGethsémani:«Quetavolontésoitfaite»(Mt26,42).

Ainsi, laprièred’intercessiond’abordnousprépare,puisnous renddisponiblespouraccepteretvivrelavolontédeDieu,quellequ’ellesoit.Telleest«laconfiancequenousavonsenLui,etsinousluidemandonsquelquechoseselonsavolonté,ilnousécoute» (1 Jn5,14).Voilàpourquoi l’expressionclassiqueet trèspopulaire«SiDieuveut»(Ac18,21;1Co4,19;Jc4,15)faitconstammentallusionauprofondetparfoisinsondable«mystèredelavolontédeDieu»(Ep1,9)!

Ilexisteégalementdansl’Écriturelaprièrepourlesmortsquis’appuieavecfoienla Résurrection, « car, s’il n’avait pas espéré que les soldats tombés dussentressusciter,ilétaitsuperfluetsotdeprierpourlesmorts»(2M12,41-45).Ils’agitd’uneprièrequi,pour l’Église, incarne lacommuniondessaints,notammentavecceuxquisontmortsetquipermetd’exprimersafoienlavieéternelle,faisantdelabelle citation biblique « l’amour est plus fort que lamort » (Ct 8, 6) une réalitévivante!

CONCLUSION

LesœuvresdeMiséricorde:témoignageconcretdel’amourpréférentielpourlespauvres

La formule « amour et optionpréférentiels pour lespauvres » (que reprendundocument aussi universel que le Catéchisme de l’Église catholique avec sonCompendium)résumeparfaitementlesensdesœuvresdeMiséricordecorporellesetspirituelles comme témoignage concret et visible de l’amour et de l’optionpréférentiels pour les pauvres. Il s’agit d’une formule qui vient, à l’origine, ducontinent latino-américain pendant la période de l’après-Concile et qui, à forced’être utilisée, est devenue une référence pour toute l’Église catholique. C’estpourquoielleaétéajoutéedansleCatéchismedel’Églisecatholiquepubliéen1992.

Parallèlement, le pape François, lors de sa première exhortation apostolique en2013, Evangelii Gaudium, a fermement ancré cette idée, en démontrant quel’option et l’amour préférentiels ne sont pas facultatifs pour notre Église, maisreprésententunequestionfondamentaledel’Évangilepuisque«Dieuleuraccorde“sapremièremiséricorde”»(EG,198).Lepapementionneànouveaucette«optionpréférentiellepourlespauvres»danssatoutedernièreencyclique,commeexigencefondamentaledu«biencommun»(LS,158).

De plus, le pape François a rappelé avec fermeté dans l’exhortation EvangeliiGaudiumquecettequestion«estunmessagesiclair,sidirect,sisimpleetéloquentqu’aucune herméneutique ecclésiale n’a le droit de le relativiser […]. Cela vautavant tout pour les exhortations bibliques qui invitent, avec beaucoup dedétermination,àl’amourfraternel,auservicehumbleetgénéreux,àlajustice,àlamiséricordeenverslespauvres»(EG,194).Lepapeavait,peudetempsauparavant,répondu à la question suivante : « Pour les plus favorisés, ceux qui ne sont nipauvresnidansunesituationmarginale,commentdoivent-ilsréalisercetteoptionetcetamourpréférentielspourlespauvresàtraverslesœuvresdeMiséricorde?»Laréponse (reprise de PaulVI et sans doute peu connue) est une fine réflexion quiproposeuneorientationirréfutablepourbonnombredechrétiens«nonpauvres»:«Lesplusfavorisésdoiventrenonceràcertainsdeleursdroitspourmettreavecplus

de libéralitéleursbiensauservicedesautres»(EG,190;cf.PaulVI,OctogesimaAdveniens,23,1971).

Dans cette exhortation apostolique du pape François, toute une partie estconsacrée«aulieuprivilégiédespauvresdanslePeupledeDieu»(EG,197-201)etlemot «miséricorde » y apparaît explicitement : « Les pauvres ont une place dechoixdanslecœurdeDieu,aupointqueluimême“s’estfaitpauvre”(2Co8,9).Àceuxquiétaientaccablésparlasouffrance,opprimésparlapauvreté,ilassuraqueDieu les portait dans son cœur : “Heureux, vous les pauvres, car leRoyaume deDieuestàvous”(Lc6,20) ; il s’est identifiéàeux :“J’aieufaim,etvousm’avezdonné à manger”, enseignant que la miséricorde envers eux est la clef du ciel »(cf.Mt 25, 35-36) (EG, 197). « Pour l’Église, l’option pour les pauvres est unecatégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique, politique ouphilosophique. Dieu leur accorde “sa première miséricorde45”). Cette préférencedivineadesconséquencesdanslaviedefoidetousleschrétiens,appelésàavoir“lesmêmessentimentsquisontdansleChristJésus”(Ph2,5).Inspiréeparelle,l’Égliseafaituneoptionpourlespauvres,entenduecommeune“formespécialedeprioritédans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition del’Église46”. Cette option – enseignait Benoît XVI – “est implicite dans la foichristologiqueenceDieuquis’estfaitpauvrepournous,pournousenrichirdesapauvreté”. Pour cette raison, je désire une Église pauvre pour les pauvres. NoussommesappelésàdécouvrirleChristeneux,àprêternotrevoixàleurscauses,maisaussiàêtreleursamis,àlesécouter,àlescomprendreetàaccueillirlamystérieusesagessequeDieuveutnouscommuniqueràtraverseux»(EG,198).

Cetteoptionetcetamourpréférentielspourlespauvrespermettentdepercevoiret de comprendre les différentes formes de pauvreté que l’on retrouve dans lesœuvresdeMiséricordecorporellesetspirituelles.

LesquatreformesdepauvretédanslesœuvresdeMiséricordeIl est intéressant de remarquer que les quatorze œuvres de Miséricorde

énumérées, sept corporelles et sept spirituelles, correspondent à quatre formes depauvreté (cf. W. Kasper). La plus élémentaire est la pauvreté physique ouéconomique, comme manquer de nourriture ou d’eau pour rassasier sa faim ouapaisersasoif,nepasavoirdetoit,d’habitsoud’abri,ceàquoil’onpourraitajouterle chômage, les maladies et les handicaps graves. Cette pauvreté figure dans lespremière,deuxième,troisièmeetquatrièmeœuvresdeMiséricordecorporelles.

Àcettepauvretéphysiques’ajoutelapauvretéculturelle,avecl’analphabétisation,l’absence ou la rareté de possibilité de formation, et donc d’avenir, entraînantl’exclusion sociale et culturelle. Pauvreté présente dans les première, deuxième ettroisièmeœuvresdeMiséricordespirituelles.Latroisièmeformedepauvretéest lapauvretésocialeetrelationnelle,danslaquelleapparaissentlasolitudeetlereplisursoi,lamortduconjoint,ladisparitiond’unproche(amioufamille),lesdifficultésen toutgenredecommunicationsociale interneetexterne, ladiscriminationet lamarginalisation jusqu’à l’isolement (prison ou exil). Pauvreté présente dans lescinquième,sixièmeetseptièmeœuvresdeMiséricordecorporellesainsiquedanslescinquièmeetsixièmeœuvresdeMiséricordespirituelles.Enfin,ilexistelapauvretéspirituelle, comme le fait de se sentir désorienté, ressentir un vide intérieur, de ladétresse ou du désespoir sur le sens de l’existence même, la confusion morale etspirituelle,lelaisser-aller,l’absenceoulamarginalisationdeladimensionreligieuse,l’apathie, l’indifférence à tout. Pauvreté que l’on retrouve dans les quatrième etseptièmeœuvresdeMiséricordespirituelles.

IlestévidentquelesœuvresdeMiséricordecorporellesetspirituellesnécessitentune fécondité mutuelle. En fait, l’aide matérielle sous-entendue dans les œuvrescorporelles est évidente pour la pauvreté physique, bien que la miséricordechrétienne cherche également à pallier la pauvreté culturelle, sociale et spirituelle,auxquelles répondent les œuvres de Miséricorde spirituelles. Tout cela doitpermettreàlapersonnequiestdanslanécessitédenepasresteréternellementdansunesituationdedépendance,maisdepouvoirprogressivementassumer,dansunecertainemesure,«uneaidepours’aidersoi-même»(W.Kasper).D’oùl’importanced’uneapproche intégraledesœuvresdeMiséricordeavec, à l’esprit, lesdifférentesformesdepauvreté.

LesœuvresdeMiséricordeau-delàdelajusticeIlestintéressantdeconstaterquenilesœuvresdeMiséricordecorporellesniles

œuvresdeMiséricordespirituellesne fontallusionauxcommandementsde laLoide Dieu, comme c’est le cas dans le jugement de l’Évangile de saint Matthieu(Mt 25) avec les six œuvres d’amour miséricordieux, où aucun pécheur n’estcondamnépourn’avoirpasrespecté l’undescommandements.Enrevanche,Jésuscondamnel’oublidubien–cequel’onappelleengénérallespéchésparomission–car ils’agitdefairepreuvede laplusgrandejusticepossible,commelerappelle leSermonde lamontagne : «Sivotre justicene surpassepascelledes scribesetdespharisiens,vousn’entrerezpasdansleRoyaumedescieux»(Mt5,20).

Cette « justice supérieure » proposée dans le Sermon sur la montagne deMatthieu est une intensification de la qualité de la vie (et pas seulement de laquantité)faceàDieu,carilnes’agitpastantd’accomplirlaloidanssesmoindresdétails,maisplutôtdelaréaliserpardesdonsetdesservices,à l’imagedel’amourextrême deDieumanifesté en Jésus (« les aima jusqu’à la fin », Jn 13, 1). Étantdonnéquelamiséricordedépasse la justice(puisqu’ellechercheàportertoutesonattentionauxautresavecamouretgénérosité),onpeutpécherparomissiondanscetamour pour les pauvres et les plus démunis. Et inversement, on devientradicalement plus sensible et solidaire envers toute forme de pauvreté et demarginalisation. Telle est la réflexion du pape François lorsqu’il écrit : « Lamiséricorde n’est pas contraire à la justice,mais elle illustre le comportement deDieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de seconvertiretdecroire»(MV,21).

CommelerappelleBenoîtXVI:«L’amour–caritas–seratoujoursnécessaire,mêmedans la société laplus juste. Il n’y a aucunordre justede l’Étatquipuisserendre superflu le service de l’amour. Celui qui veut s’affranchir de l’amour seprépare à s’affranchir de l’homme en tant qu’homme. Il y aura toujours de lasouffrance, qui réclame consolation et aide. Il y aura toujours de la solitude.Demême, ilyauratoujoursdessituationsdenécessitématérielle,pour lesquellesuneaideestindispensable,danslesensd’unamourconcretpourleprochain47.»

Ainsi, laréflexiondupapeFrançoissurlesœuvresdeMiséricordecorporellesetspirituelles à l’occasion du Jubilé « sera une façon de réveiller notre consciencesouventendormiefaceaudramedelapauvreté,etdepénétrertoujoursdavantagelecœurdel’Évangile,oùlespauvressontlesdestinatairesprivilégiésdelamiséricordedivine»(MV,15).

Marie:mèredelaMiséricordeLa lecture attentive de l’Annonciation (cf. Lc 1, 26-38), du cantique du

Magnificat(cf.Lc1,46-55.50)–oùla«miséricorde»estexplicitementcitée–ainsiquedesNocesdeCana(cf.Jn2,1-12)etdeMarieaupieddelacroix(cf.Jn19,26-27), nous donne une synthèse biblique précieuse de l’action de lamiséricordedivine à traversMarie.Car, en cetteAnnée jubilaire, c’est elle qui peut illuminerpleinement la réalisation des œuvres de Miséricorde corporelles mais aussispirituelles.

Onpeut également se remémorer avec joie, leSalveRegina (XIe siècle), qui est

l’undeschantslesplusconnusdelaVierge,etdanslequeloninvoquela«mèredemiséricorde».Ouencoreleslitaniesdurosaire(XII

esiècle),quilacitentcomme«lamèredelagrâcedivine»,cellequidonne«lasantéauxmalades,laconsolationauxaffligés, le soutienauxchrétiens.»Tantd’expressionsquirappellentexplicitementlesœuvresdeMiséricorde.

L’annoncefinaledupapeFrançoisnouspermettraainsideconclurecettepensée:«Que ladouceurdesonregardnousaccompagneencetteAnnéesainte,afinquetous puissent redécouvrir la joie de la tendresse de Dieu. Personne n’a connucommeMarie la profondeur dumystère deDieu fait homme. Sa vie entière futmodeléeparlaprésencedelaMiséricordefaitechair.LamèreduCrucifiéressuscitéestentréedanslesanctuairedelamiséricordedivineenparticipantintimementaumystèredesonamour»(MV,24).

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NOTES

1.Enfrançais:LeVisagedelaMiséricorde.Ci-aprèsMV.

2.1992.Ci-aprèsCEC.

3.PaulVI,Décretsurl’apostolatdeslaïcs,ApostolicamActuositatem(1965),8.

4.Congrégationpourladoctrinedelafoi,LibertatisConscientia(1987),68.

5. cf. l’analyse étymologique de cemot dans la lettre encyclique de Jean Paul II,DivesinMisericordia,52.

6.PaulVI,Constitutionpastoralesurl’Églisedanslemondedecetemps,GaudiumetSpes(1965).Ci-aprèsGS.

7.PirkeiAvotouÉthiquedesPères,I,2.

8.cf.SaintThomasd’Aquin,Sommethéologique,ci-aprèsST(IIaIIae,q.32,a.2ad.1).

9.Ci-aprèsRB.

10. PaulVI, Lettre encyclique sur la doctrine et le culte de la Sainte EucharistieMysteriumFidei(1965),ci-aprèsMF.

11.InMaximesetsentencesspirituelles,56,citédansMV,15.

12.PaulVI,Constitutiondogmatiquesurl’ÉgliseLumenGentium(1964),ci-aprèsLG.

13.H.-U.vonBalthasar.

14.SaintAugustin,«Latentessancti»,Decatechizandirudibus,XXII,40.

15.Pasteurd’Hermas,précepteVIII,38,10.

16.SaintIrénée,AdversusHaereses(Contreleshérésies),livre4,I,6.

17.SaintCyprien,ibidem,100,613.615.

18. Origène, Commentarii inMatthaeum (Commentaires sur l’Évangile selon saintMatthieu),72.

19.SaintCyprien,DeOpereeteleemosynis.

20.Lactance,ÉpitomédesInstitutionsDivines,60,6s.

21. Saint Augustin, Traité de la foi, de l’espérance et de la charité, chap. LXXII,(«L’aumônelaplusnobleestdepardonneràsesennemis»).

22.SaintAugustin,Sermon42,1etDeCivitateDei,XXI,22.

23.Œuvres deMiséricorde corporelles : donner àmanger aux affamés, donner àboireàceuxquiontsoif,vêtirceuxquisontnus,accueillirlesétrangers,assisterlesmalades,visiterlesprisonniersetensevelirlesmorts.Œuvres de Miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute,enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner lesoffenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour lesvivantsetpourlesmorts.

24.cf.ST,IIaIIae,q.23,aa.2-3.

25.Enfrançais:L’Amourdanslavérité.Ci-aprèsCV.

26.MessagesurlaXIIIeassembléegénéraleordinairedesévêques,Lineamenta,«LaNouvelleÉvangélisationpourlatransmissiondelafoichrétienne»,1.

27.Ibidem.

28.Enfrançais,«Louésois-tu».Ci-aprèsLS.

29.ConciledeTrente,Décretsurlessacrements,1694.

30.PaulVI, constitutionconciliaire sur la sainte liturgie,SacrosanctumConcilium(1963),73.

31.ST,IIaIIae,q.32,a.2,ad.1.

32.ST,IIIa,q.51,a.1.

33.Congrégationpourladoctrinedelafoi,lettreRecentioresepiscoporumsynodisurquelquesquestionsconcernantl’eschatologie(1979),3.

34.BlaisePascal,Pensées,IV,268.

35.JeanPaulII,LettreencycliqueFidesetRatio(1998),1.

36.Enfrançais:LaFoietlaRaison.Ci-aprèsFR.

37.Enfrançais:LaJoiedel’Évangile.Ci-aprèsEG.

38.PaulVI,Décretsurl’œcuménisme,Unitatisredintegratio(1964),11.

39.SaintClément,DeuxièmelettreauxCorinthiens,13s.

40.Tertullien,Delapatience,6.

41.SaintJeanChrysostome,InMatthaeum,18,3s.

42.ST,IIaIIae,q.25,a.8.

43.1970.Ci-aprèsPGMR.

44.I,X,10.

45.JeanPaulII.

46.JeanPaulII,SollicitudoreiSocialis,1988.

47.BenoîtXVI,LettreencycliqueDeuscaritasest(2005),28.

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