condition sociale des morisques

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    Condition sociale desMorisques d'Espagne,

    causes de leurexpulsion, sesconsquences... par D.

    Florencio Janer,... [...]

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

    http://www.bnf.fr/http://gallica.bnf.fr/
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    Janer, Florencio (1831-1877). Condition sociale des Morisques d'Espagne, causes de leur expulsion, ses consquences... par D. Florencio Janer,... Traduit pour la premire fois

    en franais par M. J.-G. Magnabal,.... 1859.

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    CONDITION SOCIALE

    DES

    MORISQUES D'ESPAGNE

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    (Extrait de la Revue des Races latines*)

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    CONDITION SOCIALE

    DES

    MORISQUES

    D'ESPAGNE

    UttDE LEUREXPULSION,SES CONSQUENCES

    DANSL'ORDRECONOMIQUEETPOLITIQUE,PAR

    D. FLORENCIO JANERAVOCATDEMADBI,MEMBREDEPLUSIEURSSOCITSSAVASTER

    Traduitpour13premireforsenfranais

    Par M. J.-fci. AIA(llBAL

    iGRiGiDEl'CNIYERSIT,

    (Ouvragecourenntn Espagneparl'Acadmieroyaled'histoire,auconcoursde185T.)

    PARIS

    IMPRIMERIECENTRALEDE NAPOLONCHAINET , ,KlF.BEP. :)

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    NOTE DU TRADUCTEUR

    Bien souvent, en tudiant la belle et harmonieuse langue queparlent les Espagnols et qu'ils appellent, dans leur noble fiert,depuis Charles-Quint, la lengua de Dios, nous nous sommesdemand si cette langue ne produisait plus rien et pourquoi l'onn'entendait presque plus parler, en France, de la littrature

    espagnole. Je n'ignore pas que, contents de nos succs, nous nousbornons savoir que nos uvres littraires qui franchissent les

    Pyrnes sont favorablement accueillies et gnralement tra-duites. Mais de ce que la scne reprsente toutes nos pices de

    thtre, que tous nos romans sont insrs dans les feuilletons

    des journaux, devons-nous laisser dans l'oubli les productionsoriginales des crivains contemporains, nier le mouvement et la

    vie, la renaissance littraire qui s'opre aujourd'hui dans cette

    pninsule ? Non, sans doute. Nous ignorons malheureusement

    trop pour mettre des assertions aussi affirmatives que les ntressur l'tat intellectuel de nos voisins. L'Espagne d'aujourd'hui ases potes lyriques, ses auteurs dramatiques, ses philosophes,ses critiques et ses historiens dont on ne souponne presque pasl'existence en France et dont le mrite est rel et incontestable.Ce n'est pas le moment de prsenter ici le tableau de toute cette

    littrature. Nous ne voulons qu'indiquer comment, en soule-vant un coin du voile d'indiffrence que l'on a jet depuis troplongtemps sur le pays qui nous avoisine, on peut, au lieu du

    repos et de l'inertie, y apercevoir au contraire le mouvement etl'activit. Nous voulons offrir aux lecteurs une page de l'his-toire d'Espagne, qui a mrit au jeune auteur qui s'exerce surla manire d'crire l'histoire, les suffrages d'un des corps savantsles plus laborieux et les plus clairs de ce pays : La conditionsociale des Jlorisques. Notre but sera atteint si l'on trouve que

    l'intelligentdirecteur

    de la Revue des races latinesn'a

    paseu

    tort de faire un gnreux et bienveillant accueil notre essaide traduction, et si nous ne mritons pas qu'on dise de nous :Tradultre traditre.

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    CONDITION SOCIALE

    DES

    MORISQUES D'ESPAGNE

    dementiaimpera firmantur,crudelitatelabuntur.

    INTRODUCTION

    Quand les sectateurs de l'islamisme (1) eurent renvers,

    Cuadalete, l'empire des Visig-oths, en conservant aux vaincus

    l'usage de leur religion, leurs murs et leurs lois (2), ils nesouponnrent peut-tre pas que le feu sacr de l'indpendance

    (1) Islam, rsignation,conformitavecla volontde Dieu: c'est ainsique s'ap-pellela religionde Mahomet.

    (2) Riendeplus incroyablequela rapiditaveclaquelleles Arabess'emparrentde l'Espagneaprs la malheureusebataille de Guadalete.Les vastes provincesdeTarragone,de la Btique,de la Lusitanie restrentsoumisesaujoug du vainqueursuperbequi avait levsoncimeterrepartoutola rsistances'tait offerte.Oporto,

    Braga, Salamanque,Girone, Ilerda et Barcine,virent flotter sur leurs solidesetantiquesmuraillesl'tendarddu croissant.Dans tout le territoiremridionalde lapninsule,onentendait aussi rsonnerles armures lgresdesSarrasins,et l'on yentendaitparlerde Sechelmesaet dela Numidie.

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    brlait dans lesfmontagnes inaccessibles du nord de la pninsule,o s'taient rfugis une poigne d'hommes rsolus mourirplutt que de perdre l'antique libert de leurs anctres.Et, en effet, tous les Espagnols n'acceptrent pas le joug maho-mtan : possds par une foi vive, qui pntrait plus ardemmentleurs curs la vue du danger commun ; lis par une mme loi,adorateurs d'un mme Dieu ; dvous enfin une mme entre

    prise, ces guerriers illustres ne tardrent pas descendre dans la

    plaine et dfier le pouvoir immense des sectaires de Mahomet.C'est donc sur ces- fondements que se reconstituait une nou-

    velle nationalit, et, autour du trne de Pelage, se groupaient tousceux qui nourrissaient le dsir et l'esprance de secouer le jougde l'tranger. Mais avant que nos anctres aient entrevu unavenir sr et souriant, qu'ils aient vu leurs nobles efforts cou-ronns du laurier.de la victoire, que de sang rpandu, que delarmes verses dans la difficile et gigantesque entreprise de la

    reconquista ! Ce n'est qu'une longue suite de combats, une srienon interrompue d'incursions que nous prsente l'histoire dansles premiers temps de cette redoutable lutte commence parPlage, lutte pendant laquelle les rois qui se succdent, descen-

    dant par intervalle des montagnes, sment partout l'extermi-nation, inondent les villes, en massacrent les habitants, et gros-sissent en mme temps leur arme des chrtiens soumis au jougarabe (1).

    Et malgr tout, bien qu'une lutte si sanglante aigrit la hainedes deux races ennemies, on distinguait au milieu d'elles des

    germes de civilisation et de culture qui ne contribuaient pas peu faire disparatre la frocit primitive des reprsailles et de la

    guerre. La haine qui animait les deux peuples, au commencementde la

    conqute,diminuait notablement mesure

    quele

    tempsavanait, et voil pourquoi le vaillant Alphonse Ier, surnommle Catholique n'hsitait pas partager sa couche -nuptiale avecune belle captive musulmane. De ces amours naquit Mauregate,qui plus tard lui succda au trne (2). Les mmes Arabes pri-

    (1)Enparlant desincursionsd'AlphonseIer,voicice quedit Sebast.Salm,Clir.n 13: OmnesquoqueArabes occupatoressupradictorumcivitatum interficiens,christianos secumad patriam duxit.

    Sur le sort desfemmeset desenfantssarrasinslorsdesincursionsd'AlphonseIer

    nouslisonsdansun documentarabe : Las mujeres y los ninos que habia en lasciudadesfueron levadoscautivosal territorio desus enemigos.

    (2) Deserva natus (Sebast.Salm., chr. 19).Ce faitne doitpas nous tonner.

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    sonniers, rpartis entre les principaux chefs des Asturies et

    appliqus pendant la servitude la culture de la terre (1), am-lioraient non-seulement la condition agricole de cette socit

    purement guerrire, mais ils calmaient encore les rancunes pardes liens jusqu'alors inconnus et par les rapports non striles de

    matres, d'esclaves et d'affranchis.En effet, si en commenant la conqute vers les premires

    annes du vme sicle, les deux peuples entrrent dans l'arne,pousss par des besoins aussi contraires que divers; si les Sarra-sins taient appels conserver par la force la moisson recueillie

    dans les plaines de Xrs ; si, en un mot, nos anctres, matresnon-seulement des sauvages montagnes des Asturies, mais aussides monts de la Catalogne, de l'Aragon et de la Navarre, oppo-srent leurs gnreuses poitrines au fer africain pour recouvrerleur territoire perdu ; cette hroque priode de notre histoire,inaugure dans les roches de Covadonga (2), et termine dans la

    plaine toujours fleurie de Grenade, offre, dans ses phases multi-

    ples, une abondante matire d'tude, d'loquentes leons auxrflexions du philosophe comme la pratique de l'homme d'Etat,des traits hroques de modration et de bonne foi pour servir

    d'exemple aux guerriers hautains ou aux conqurants superbes.Le gnie de la guerre, sans trve ni piti, portait de toutes

    parts la mort et la destruction, tant sous les rgnes mmorablesdes Plage et des Bermude des Asturies, que dans les temps glo-rieux des premiers comtes de Barcelone. Les Arabes vaincus res-taient faits prisonniers sur le champ de bataille et taient appli-qus, ainsi que nous l'avons dit, comme esclaves ) la culturedes terres ou au service de quelque grand. Rien ne nous estoffert par l'histoire des premires annes de la conqute en

    Bien plus extraordinairefut la conduite du conqurantAbdelaxizl'anne quisuivitl'irruptiondesMaures; il prit pourpousela reine Egilone,veuveduderniermonarquegoth, Rodrigue,qui avait disparu la bataille de Guadalete.(Rosis,Blblioth. arabe-hisL., tomvi, pag. 323.DonRodrigo, Hist. Arab., tom. IX.)

    (1)Les Sarrasins agissaientaussi de la mme manireavecles chrtienssub-jugus.

    (2) LesArabestravaillaient avec un soin tout particulier tendre leurs con-qutes de l'autrectdesPyrnes,quand apprenantla formationd'une socitetd'un gouvernementsur les rocherslevsdu nord de l'Espagne,ils envoyrentunearmeaguerriepouren dlogerles chrtiensintrpides.Ces derniers,retranchs

    dans lesdfilsde Covadonga,les reoiventavecardeur,les repoussentet les exter-minent sanspargnerun seul soldat, et, poussantleur premiercri de l'indpen-dance,ils tablissentd'une maniresolidedanslesAsturieslesfondementsdela mo-narchieespagnole.

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    Navarre, ni en Aragon, ni en Catalogne (1), touchant les Sarra-sins passs sous le joug de nos anctres, d'aprs les lois de laguerre ; mais dans les Asturies, la paix du royaume naissant sevit trouble par les rbellions d'esclaves et d'affranchis maures,qui, loin de se montrer reconnaissants de la tolrance et de lalibralit des chrtiens, cherchaient briser l'existence de quicon-que partageait avec eux le pain amer de la proscription.

    Les premiers Arabes vaincus se trouvrent donc soumis la

    puissance des chrtiens en tat d'esclavage, condition misrableds le principe, jusqu' ce que ft amlior le sort de leurs ma-

    tres, seigneurs dj de quelques villes, de quelques cits, et que l'onpt consigner dans les fueros, qui fixaient les territoires recon-

    quis, des garanties d'une considration meilleure et plus avanta-

    geuses pour l'Arabe rendu ou prisonnier. L'histoire manqueencore de clart pour que nous puissions tablir, sans aucuneespce de doute et avec toute la vrit dsirable dans un pareilgenre d'tudes, les droits qu'obtinrent vainqueurs et vaincus. Leseul fait certain que l'on connaisse, c'est que dans les premierstemps de la conqute, Maures et chrtiens disposaient de leursesclaves leur

    gr ; un grandnombre les donnaient aux

    glisesou aux monastres des villes rtablies, pour leur service et leurstravaux des champs (2); d'autres se voyaient rpartis entre les

    grands ou conservs pour le rachat des chrtiens qui tombaiententre les mains des Maures. La conversion de l'esclave notre

    foi, la pit ou l'lvation des matres, amlioraient beaucoup lacondition du premier, en le faisant passer la classe des affran-chis. Les fils et les petits-fils des Arabes, esclaves ou affranchis

    par le baptme de leur pre et le leur, pouvaient aspirer au clri-cat (3). A la vue d'une modration si louable, au milieu des murs

    grossires et belliqueuses des cours d'Oviedo d'abord et puis de

    (1)Lelecteurcurieux qui voudra connatreavecsoinl'histoirede cettepoquepourra, outreles livresles plus connussur cet vnement,consulterlessuivants:Cronicade los principesde Asturiosy Cantabria, porF. FranciscoSota,Madrid;1681.Historiade las grandezasde la ciudad e igltsia deLon,porFr. AtanasioLobera; Valladolid,1596.Analesdel reinode Galicia,porD. FranciscoHuertay Vega; Santiago,1736.Historia de la ciudad y cortede Leony de sits reyesporelP. Risco,Madrid,1792.Historia critica de Espana, por Masdeu.Historiade la fundacion y antigiiodad de San Juan de la Pena y de los reyesde Sobrarbe,AragonyNavarro, porD. Juan BrizMartinez;Zaragoza,1620.

    (2)Coutumeque noustrouvonsconsignedansun documentdel'anne1293.(3) Voyer*Risco,Espag.sacre, t. XXXVII,append.VII,page313,dontle con-

    texteappuienosdductions.

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    Lon, la contemplation d'actes de tolrance, dignes d'poques

    plus rcentes, pourrions-nous douter que les vertus du christia-nisme, dont l'emblme sauveur servait de guide et de soutien

    nos anctres, ne ft la cause de mesures si humaines et si fra-

    ternelles?Que les temps s'avancent, et nous trouverons sans aucun doute

    des poques encore plus heureuses pour la population musul-

    mane, qui entrait peu peu sous l'empire de la conqute espa-gnole. Matres de territoires dj assez vastes , les rois d'Asturie

    et de Lon, comme ceux d'Aragon et de Navarre, avaient

    moins besoin de les tendre que de les conserver. Ds lors,la

    guerre cesse d'tre une ncessit sociale aussi imprieuse qu'aumoment o les chrtiens se trouvaient pauvres et sans ressourcesau sommet des montagnes ; et si la haine de race, l'horreur des

    envahisseurs et l'antipathie religieuse se ravivaient et s'exasp-raient au milieu du combat, la politique exerait son influence

    dans les conseils des rois, et les grands prfraient utiliser sur

    une plus grande chelle le travail du vaincu que de le conserverdans un honteux esclavage ou de l'gorger sur le champ dabataille. Les vues nouvelles et sages des monarques qui pou-

    vaient avancer sans courir tant de risques, sans livrer les ter-nels combats que furent obligs de soutenir les Fruelas et les

    Ordonos; l'ambition d'un grand nombre de seigneurs de Lon,de Navarre et d'Aragon, possesseurs de territoires plus ou moins

    tendus; la mme tolranee vanglique qui au milieu des ba-

    tailles levait toujours la voix en faveur des vaincus, tout con-tribuait heureusement amliorer le sort de la race arabe quechaque jour amenait sous le joug. Nous ne devons plus voirde nouveau l'esclavage natre sur les champs de bataille : les

    traits entre vaincus et vainqueurs obtiendront pourles

    premiersla condition de vasselage. Au lieu d'une guerre mort, on admet-tra l'ennemi comme tributaire ; et loin d'anantir par le fer toutce qui semble avoir rapport l'islamisme, les chrtiens respec-teront la religion, les lois, les murs et les proprits des Sarra-sins. Voici l'poque o apparaissent pour la premire fois dansles pages ensanglantes de la reconquista espagnole les vassaux

    mudejares. L'existence des mozarabes dans l'Espagne sujette au

    croissant rsultait de la ncessit de conserver le terrain con-

    quis par les mahomtans; l'existence des mudejares dans l'Es-

    pagne chrtienne tait fille de la tolrance vanglique, nonmoins que du nouveau cours que prenaient les intrts de nos

    monarques. Quand dans la conqute on n'avait d'autre objet que

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    de recouvrer le terrain perdu, il taitimpossible que

    du milieudes combats l'ide de vasselage pour les vaincus pt prendre nais-sance ; mais mesure que nos anctres pntraient dans le curde la pninsule, ils crurent opportun de conserver leurs acquisi-tions, non-seulement par le fer, mais aussi par la bonne foi destraits. Qui doute que les arts toujours opposs la guerre aient

    pu par l mieux se dvelopper ? Quels moyens plus efficacespour gurir les blessures des dissensions particulires et desdiscordes civiles? Ce fut alors que les rois de Castille, ainsi queceux d'Aragon , dont le front tait dj orn du diadme du

    comtat de Barcelone, admirent au nombre de leurs vassaux despopulations musulmanes entires, en respectant leurs proprits,leurs lois, leur religion, leurs murs. Chose rare, ces mmeshommes qui, au dire d'un grand nombre d'historiens, avaient

    signal leur entre dans notre patrie par les crimes les plus hor-

    ribles, l'incendie des temples, la destruction des monastres, leviol des vierges consacres au Dieu des chrtiens, et en laissancie toutes parts des traces de leur brutalit et de leur fanatisme, se

    voyaient maintenant non-seulement respects par les Espagnols,mais conservs avec l'exercice de leur religion, tolrs avec leurs

    rites, leurs croyances et leurs coutumes musulmanes. La capitu-lation de Sena, en 1038, est le premier exemple d'une si sublime

    tolrance, mille fois rpte et observe dans les conqutes deHuesca et de Lerida, de Guadalajara et de Tolde.

    Les princes de Castille eurent ds ce moment, dit un cri-vain consciencieux (1), deux espces diffrentes de sujets sarra-

    sins, les vassaux maures et ceux qu'on nommait proprement mu-

    dejares. Les premiers taient des princes, de petits rois, des

    capitaines qui, vaincus par les armes chrtiennes. rendaient

    hommage pleito nos rois, avec promesse de leur garder fid-

    lit, et conservaient, sous cette forme de vasselage, leur libertcivile et politique; les seconds taient des citoyens qui, protgs

    par le pouvoir des monarques, garantis par la scurit de capitu-lations plus ou moins tendues, vivaient en paix dans les citsarraches la domination de l'islamisme, au milieu de la popu-lation chrtienne, contents d'tre respects dans la pratique deleur religion et de leurs lois. Comme consquence ncessaire desdivers accidents qui obligeaient les premiers reconnatre la su-

    prmatie des rois de Castille, les conditions du vasselage ne

    (1) DonJos Amadorde 105Rios: Estudioshisloricossobre los mozarabes,mudejaresy moriscos

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    pouvaient manquer d'tre varies. Pour les uns, elles consistaient

    payer certains tributs annuels aux Etats chrtiens, avec l'enga-gement formel de se rendre aux Corts du royaume, de ne ja-mais lever des armes pour sa perte ; ils jouissaient, en change,de tous les bienfaits de cette espce de protectorat qui les met-tait couvert des violences de rois plus audacieux ou plus puis-sants. Elles se bornaient pour d'autres se reconnatre commevassaux de la couronne, dans toute la vritable acception de ce

    mot, sans se dpouiller de leurs armes, conservant la seigneurieet garde des forteresses et chteaux o ils avaient t vaincus,ou

    qu'ilsavaient

    reusen

    hrdit,au nom et sous l'obissance

    des mmes souverains. Mais la condition sociale et politique des Maures sous la domi

    nation chrtienne n'tait pas la mme, mesure qu'avanaitrapidement la reconquista. Depuis la prise de Valence par donJaime le Conquistador, celles de Cordoue et de Sville par le roisaint Ferdinand, nous voyons qu'avec des mudejares, les sceptresd'Aragon et de Castille reoivent aussi sous leur protection d'au-tres classes de Sarrasins, savoir : les convertis, les esclaves, les

    affranchis.

    Les conversos (convertis) taient des Maures qui, soit par lapersuasion de nos prlats et de nos prdicateurs, soit pousss pard'autres intrts, embrassaient le christianisme et obtenaient, enrecevant les eaux du baptme, les droits et privilges des chr-tiens d'origine (1), appels vieux chrtiens. De sages disposi-tions qui garantissaient leur nouvel tat, les dfendaient avectoute la rigueur de la loi contre les insultes du fanatisme, facili-taient les mariages, rglaient enfin les rapports de pre et de fils,de mari et de femme. Tout cela, avec une insigne tolrance, setrouve consign dans les codes d'Aragon, ainsi

    quedans les

    lois fondamentales de Castille. Et ct de semblables disposi-tions, qui rvlent l'esprit conciliateur de nos anciens rois, nous

    voyons des ordonnances dures, des dcrets terribles qui enlventaux apostats le droit d'hritage, la disposition de leurs biens, or-donnent leur perscution jusqu' les envoyer au bcher, et laconfiscation de leurs biens durant l'espace de cinq ans aprs leurmort.

    Les Maures esclaves, comme tous ces malheureux tres quel'humanit a marqus au front du sceau d'une injuste rproba-

    (1) On les considraitseulementincapablespourarriver l'piscopat.VoyezlesSietepart lias, part. i, tit. V, loi 23.

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    tion, souffraient le sort plus ou moins cruel que leur prparait

    la volont tyrannique ou compatissante de leurs matres. Ils pou-vaient nourrir cependant l'esprance d'amliorer leur malheu-reuse condition en remplissant les formalits qu'exigeait la loi

    pour entrer dans la classe des affranchis. Elles n'taient autres

    que le baptme, la prescription aprs un certain nombre d'an-

    nes, la fuite en pays ennemi, la dnonciation de quelques gra-rves malheurs contre l'Etat, le crime du matre prostituant lafille esclave, la convention tablie au moment de la vente, et la

    promesse de la libert au moment de la mort du matre ; toutesconditions qui, tant en Castille qu'en Aragon et Valence, se

    trouvaient rgles, en marquant, avec certaines diffrences, lesdroits et les obligations des affranchis et des patrons, pour ce

    qui concernait l'affranchissement.

    Les mudejares, pour l'intressante histoire desquels il existe desdocuments plus que suffisants dans nos archives, taient les Sar-rasins qui, durant la conqute, obtinrent, comme nous l'avons

    dj dit, une condition plus avantageuse, soit qu'une dfense

    hroque de leurs places l'et obtenue des guerriers chrtiens,soit que la politique de ces derniers la leur et accorde pour

    verser moins de sang. Les traits taient de toutes les faonsgards avec bonne foi et religieusement dans leurs points les

    plus essentiels. Ils servaient de base aux obligations et droitscivils des Maures mudejares, avec des diffrences, des uns auxautres, en Castille comme en Aragon, suivant les points diverssur lesquels s'appuyaient les capitulations respectives. Voil

    pourquoi aussi nous avons observ plus ou moins de latitude,plus ou moins d'esprit de libert ou de restriction , suivant quenous examinons les conventions de Tudela ou de Tortose, les fue-ros de Caseda, d'Escalone, de Calatayud et de Tolde ; les capi-

    tulations de Valence, de Cordoue ou de Sville; les cartas-pue-blas ; enfin les privilges des villes et les franchises accordessoit des bourgs ou des villages, soit des villes entires demusulmans. Comme exemple de latitude et de tolrance, l'histoirenous offre, entre beaucoup d'autres, le privilge que don Jaimele Conqurant concda aux Maures de la valle d'Uxo, en leur

    permettant d'y rsider, leur remettant les dlits et les peinesqu'ils avaient jusqu' ce moment encourues et les dettes contrac-tes avec les juifs ; ils purent continuer avec leur zuna ou lois

    particulires, enseigner lire publiquement le Koran (1) leurs

    (1)Kur'ann,rt avecl'articleAlkoran,la lgende;proprement,,ce quise lit.

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    enfants, et faire aussi en public toutes les prires musulmanes ;

    ils obtinrent la permission de trafiquer dans toute l'tendue duterritoire seigneurial en payant les droits d'usage, moins la pre-mire anne, dont ils furent dispenss; on leur accorda enfin l'au-torisation royale pour juger par eux-mmes leurs propres pro-cs sur les eaux, pour administrer les rentes des mezquitas, etnommer les alcadis et alamines suivant leurs anciennes coutu-mes. Point de chrtien ou de converti qui pt habiter au milieud'eux sans leur volont expresse ou leur permission ; ils obtin-rent sauf-conduit et scurit pour les personnes et les biens, pour

    euxet

    pourleurs

    descendants, et de leur ct ils promirent depayer la dme, de contribuer la conservation de l'Etat et desautres vassaux leurs voisins, de ne jamais s'approcher du lieu oudes lieux o se faisait la guerre, de ne point secourir les enne-mis des monarques aragonais (1). Moins heureux, d'autres mu-

    dejares furent plus tard dans quelques villes l'objet de certaines

    dispositions qui, tout en maintenant intacte leur libert de con-science, et toujours inaltrable le respect de leurs proprits, leurdfendait cependant de se servir d'esclaves ni de domestiqueschrtiens ; de manger, de se baigner avec eux, de les soigner

    dans les maladies, de les enterrer dans leurs cimetires; il neleur tait pas non plus accord de clbrer en public les cr-monies de leur culte, ni de faire sujet de discussions les mys-tres de la religion chrtienne. Et au milieu, de ces restrictions

    justes et quitables qu'exigeaient, au dire d'un crivain national,non moins notre dignit que la propre conservation des vassaux

    mudejares, dans une poque o la guerre religieuse avait vive-ment enflamm l'enthousiasme de la multitude, on peut remar-

    quer que, si d'une part on ne donne aux Maures aucune auto-

    rit sur les chrtiens, on leur accordait cependant plus de consi-dration qu'aux juifs, puisque leur parole faisait foi sur le seulfait de prendre Dieu tmoin (2). Les uns et les autres contri-buaient au soutien de l'Etat par le dix pour cent de leurs rentes

    (1) Voyezla collectiondiplomatique(espagnole).(2)Dansl'indicationdes limitesde Ciuranafaite en 1172parle roi d'Aragon,

    AlphonseIer,lesSarrasinsanciens,Alabez,Juseferet JusefAvinaramdonnrentleurfoi soussermentquetelles taient les ancienneslimitesdela ville,et d'aprsleurtmoignageonlesfixade nouveau.(Arch.de la couronned'Aragon,parchemin

    122dela collectiond'Alphonse1er.)Lorsde la redditionde Vlez,en 1487,deuxMaurestmoignrentaussi,enjurant surleur loidevantun officierpublic,del'-tenduedes limitesdela ville.(Archivesde Vlez.)Les exemplesde cette espcequenousoffrentlesdocumentsde la conqutesont trs-nombreux.

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    qu'ils payaient la couronne, ou bien aux matres, chapitres

    ou prlats dont ifesdpendaient.Qu'on n'aille pas cependant croire que', malgr la varit que

    prsente durant la reconquista, la lgislation chrtienne sur larace soumise, on ne puisse dcouvrir un certain systme poli-tique qui, ne marchant pas directement l'absorption de la po-

    pulation musulmane, soit par la force, soit par la ruse, condui-sait lentement l'unit, unit qui, obtenue dans la monarchie, de-vait l'tre aussi par le peuple espagnol dans la religion, commeil l'obtint plus tard dans la forme de gouvernement. En effet,

    quoique sans but systmatique impossible raliser durant laconqute, quand la base de tout trait pacifique entre les chr-tiens et les mudejares tait une entire libert de conscience,nous trouvons dans l'histoire des tendances trs-marques pourfondre autant que possible les deux -races sans force ni violence.Ainsi laissant aux Maures leurs mosques, mezqllitas, les vain-

    queurs ne consacraient au culte de Jsus-Christ qu'une d'entreelles, d'ordinaire la principale, comme il arriva Jaen, Cor-

    doue, Sville (1). C'est dans des vues semblables qu'Alphonsele Sage tablit, en 1254, dans cette dernire ville, des coles de latinet d'arabe, affranchissant du droit de passage, portazgos, les per-sonnes qui s'y rendaient. Pour preuve de la tolrance qui exis-tait entre les deux peuples, il suffira de citer l'exemple de l'hom-

    mage que le roi maure de Grenade rendit la mmoire du dfuntsaint Ferdinand, en envoyant, en 1260, aux crmonies religieusesde l'anniversaire, clbr dans la cathdrale de Sville, diverschevaliers de sa cour et cent Sarrasins qui y assistrent respec-tueusement, tenant dans leurs mains autant de cierges de cireblanche (2). Durant la guerre de Grenade, du temps des rois

    catholiques, priode grandiose de notre histoire, o la cruautfut si souvent mle l'hrosme, un grand nombre de places

    (1)Cette coutumese continuadurant la guerrede Grenade,o l'on donnadenombreusespreuvesde l'quit castillane et de la fureurguerrire.Partout on

    purifiaitlamezquitaprincipaledesMaures,en chantantleTeDeumlaudamus,avecles crmoniesprescrites cet effet,et onlaissaitdansla nouvelleglisele calice,la patneet les ornementsavec lesquelson avait dit la premiremesse. LeursAltessesavaient aussi avec elles,pourlaisserdansles lieuxqu'ellesallaientres-taurer, quelquesimages,les unessculptes,les autrespeintes.) Voyezla Histo-

    ria sexitana de la antigidady grandems de la rmdad rie Velez,pardonFran-ciscoBedmar.Grenade1652.(2) Cela n'arriva pas, ce semble, une seulefois. Voyezles Analesecclesias-

    ticos y seculares de la muynobley muyleal cuidadde Sevilla, par donDiegoOrtiz deZuiga.

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    tombrent aupouvoir

    deschrtiens, grce

    la douceur et l'ha-bile politique de ces monarques qui accordaient des rcompensesspciales, relatives aux contributions et la remise du tant pourcent, aux habitants des villes qui ouvraient spontanment leurs

    portes, tandis que par une rsistance tmraire, les habitantsrestaient captifs et taient vendus comme esclaves sans obtenir detrait (1).

    Les efforts que faisait en Aragon le roi don Pedro III n'taient

    pas moins remarquables pour attirer peu peu les Sarrasins deses royaumes au sein de l'Eglise catholique. Il chargea les gou-

    verneurs, les vques et les consuls ou chanceliers des villes etcits, de s'occuper de la prdication avec ardeur et constance, or-donnant spcialement aux autorits de Valence de seconder avecassiduit les efforts de Fray Juan de Piugvents, religieux domi-

    nicain, prdicateur remarquable, possdant fond l'idiome arabe,et qui enseignait les doctrines de la foi aux Maures de ce

    royaume (2). Les rois avaient confi une entreprise aussi difficile

    qu'importante aux pres de l'ordre de Saint-Dominique, qui, en

    1281, tinrent un chapitre dans la ville d'Estella et rsolurent qu'ontablirait, ce qui eut lieu, une tude gnrale de langue arabe

    dans le couvent de Valence. Don Jaime II faisait encore un pasde plus dans le sentier difficile de la fusion des deux races, en or-donnant que les Maures de Valence et d'Aragon viendraient en-tendre les sermons pour lesquels ils auraient t d'avance prve-nus; et presque en mme temps la reine dona Blanca, pouse dece monarque, assignait une certaine rente au monastre de Saint-

    Dominique de Jativa pour qu'on y enseignt la langue arabe (3).Enfin en 1313, mais non sans offenser les mudejares, le mmeJaime II leur interdit l'usage des armes sur la voie publique, les

    obligea s'agenouiller ou s'loigner la rencontre du Saint-Sacrement, et leur dfendit de rciter leurs oraisons haute voix,dans les rues et les places publiques.

    Les mmes sentiments religieux animaient don Pedro IV, quandil ordonna en 1348, sous les peines les plus svres, qu'aucun Mauren'ost avoir un commerce charnel avec une femme chrtienne (4).Mais durant les rgnes de don Juan Ier, de don Martin (el humano)

    (1) Colecciondiplomatica.

    (2)Real cedulade

    1279.(3) Ethbraqueaussi.(4) Voyezdans la Colecciondiplomatica le documentrapportantle fait qui

    motiveunepareilledisposition.

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    l'humani, et de don Ferdinand d'Antequera, on put obtenir encore

    plus de la race subjugue, puisque sans violence aucune, grce auzle vanglique de l'antipape Benot de Luna et des prdications desaint Vincent Ferrier, des milliers d'infidles furent convertis auchristianisme. Et, bienqu'aprs l'apostasie de quelques-uns d'entreeux, le roi Alphonse V et obtenu par un bref du pape Martin V l'-tablissement d'un tribunal particulier d'inquisition Valence (1),les Maures de ce royaume, ainsi que ceux de la Catalogne, de

    l'Aragon et de la Castille, continuaient, tous, d'tre aifectueux etsoumis nos monarques, jusqu'au moment o les tendards d'Isa-

    belle et de Ferdinand, flottant sur les murs de Grenade, l'hor-loge des temps marquait dj l'heure de l'extinction des vas-saux mndejares et de l'apparition d'une autre race de vassaux

    qui allaient tre dsigns sous le titredeMorisques($iomw).>>

    (1) Parunbrefexpdien 1422qui nommaitpourinquisiteurgnrallematreAndrsRos.

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    CONDITIONSOCIALEDESMORISQUESD'ESPAGNE.

    I.

    Aprs huit ans d'une lutte sanglante et continuelle, aprs une

    longue srie de crimes et de combats plus ou moins violents,l'empire des musulmans

    quiformait

    F avant-gardede l'islamisme

    en Europe, tombe sous les coups victorieux des chrtiens.

    La constitution sociale du peuple arabe n'admettait pas uneexistence tranquille : les fils du dsert devaient avancer ou reculer;leur religion, leurs murs, leur politique toujours en. lutte avecles populations voisines, les obligeaient tantt commencer les

    hostilits, tantt repousser les agressions trangres. Quand ar-riva le jour o la victoire n'accorda plus ses faveurs aux armesdes Sarrasins, le peuple musulman tourna les yeux vers le sol

    primitif d'o il tait sorti aussi puissant que superhe ; mais

    malgr tout son apparat, comme dit un historien (1), l'empiredes Maures tait un monument lev sur le sable. .

    Grenade, la ville aux cent tours, le dernier rempart de la puis-sance maure en Espagne, devait oublier ces brillants jours devaleur et d'hrosme o ses rois, au lieu de rendre hommage auxsouverains de Castille, ne savaient que fabriquer des lances et despes pour les brandir contre les chrtiens (2). L cimeterre, autre-

    (1)WashingtonIrwing,-(2) Rponsequefit Muley-Hazenaux ambassadeurscastillansquilui rclamaient

    le tribut de vasselage.

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    fois victorieux, avait arbor le croissant sur les palais (alcazares)

    de nos monarques; mais le fer castillan, dont la foi et l'audaces'taient fait une arme, arrachait chaque instant aux Maures denouvelles forteresses et portait le glorieux tendard de la croixdes Pyrnes et de Covadonga jusqu'aux sommets d'argent de

    l'Alpujarra. Les trois collines sur lesquelles s'levaient avec ma-

    jest les Torres bermejas; le palais de l'Alhambra, o les roismaures avaient runi tout le faste et toute la splendeur de l'Asie ;le chteau de l'Albaiein, dont les fortes murailles donnaient toutescurit leurs plaisirs; toutes ces forteresses, qui, selon l'ex-

    pressionde Chateaubriand, semblaient jeter autant de dfis aux

    princes chrtiens, venaient enfin d'enrichir le double sceptre d'I-sabelle et de Ferdinand (1). L'arrogante rponse de Muley-Hazenavait t comme le chant du cygne pour les Maures d'Espagne.

    Grenade soumise, quel souriant avenir ne se prsentait-il donc

    pas la royale contemplation des monarques espagnols! Il yavait toutefois ncessit d'tablir un systme de gouvernementqui ft fraterniser vainqueurs et vaincus, et ft confi des per-sonnes sages et prudentes, sachant viter les ressentiments entreles Maures et les chrtiens. Rien de plus facile en apparence

    qu'une tche si mritoire, si l'on jetait les yeux sur les capitula-tions au moyen desquelles les Sarrasins avaient honor le gou-vernement des rois catholiques, et qui marquaient d'avance la

    rgle par laquelle la race vaincue devait tre rgie sous le sceptredes vainqueurs. En effet, parmi les capitulations gnrales envertu desquelles Grenade ouvrit ses portes aux monarques espa-gnols le 2 janvier 1492, se trouvaient en termes formels :

    1 Queles rois assureraient tous les Maures la scurit en-tire pour leurs biens et leurs possessions avec la facult d'a-

    cheter , vendre, changer,faire le commerce avec

    l'Afrique,sans payer d'autres impts ni d'autres droits que ceux qu'exi-geait la loi musulmane ;

    2 Que les rois catholiques, tant en leur nom qu'au nom deleurs descendants, s'obligeaient respecter jamais les rites

    (1) Touslesvaincusne sesoumirentpasde bonnehumeur au nouveaurgimedu vainqueur.La plusgrandepartiedesMauresopulents,telsqueleaAbencerrages,les Abdilvares,les Aldoradineset d'autres refusrentde rester Grenadesousle

    jougd'un ennemicontrelequelils avaientcombattuvaillamment.Ilspassrenttous

    descontrestrangres.Ungrandnombreemportaavec lui sonindustrie,sa ri-chesseet sesinstinctsbelliqueux Fez,prfrantpourla plupart cacherlahontedeleur dfaiteloindupaysqueleursaeuxavaientconquis,et qu'ilsavaientDerduparleur mollesseet leursdiscordes.

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    musulmans, ne pas dtruire les mosques, les tours de almu-

    hedanos d'o ils appelaient le peuple la prire, ne pas em-pcher les appels, les prires, ne pas dfendre que leurs bienset leurs rentes fussent appliqus la conservation du cultemahomtan. La justice devait continuer d'tre administreentre Maures par des juges musulmans, conformment leurslois et tous les effets civils relatifs aux hritages, aux ma-

    riages, la dot, etc., devaient aussi tre rgls conformment leurs murs et coutumes ;

    3 Que les alfaquies continueraient de rpandre l'instruc-tion dans les coles publiques, recevoir les aumnes, les dota-

    tions, les rentes assignes l'instruction publique avec uneabsolue indpendance, et interdiction des chrtiens;

    4 Qu'aucun rengat ne serait inquit, ni insult pour sa

    conduite passe ; 5 Que les contestations et litiges entre Maures et chrtiens

    seraient dcids par des juges des deux partis, et que les em-

    ploys maures continueraient remplir leurs emplois res-

    pectifs.

    Les descendants de Tarif et de Mouza restaient ainsi, par la

    condition que le sort leur avait faite, associs d'une certaine fa-on la nationalit espagnole, tout en conservant formellementleur religion, leurs lois, leurs costumes, leurs usages et leursmurs.

    Il ne semblait donc pas difficile de trouver des personnages il-lustres qui, mis la tte du pays nouvellement conquis, et res-

    pectant l'esprit et la lettre du trait solennel de la capitulation,sauraient le maintenir dans une paix et dans une harmonie com-

    plte. On nomma, par un choix excellent, pour le sige archi-

    piscopal de Grenade, FrayHernando de Talavera, hommepieux etrespectable sous tous les rapports; pour capitaine gnral, don Ini-

    go Lopez de Mendoza, deuxime comte de Tendilla, aussi bon guer-rier que politique habile et protecteur dcid des Maures ; pour lastricte observance et interprtation du trait de capitulation, Her-nando de Zafra, actif secrtaire des rois aussi bien que loyal che-valier. Tous ces personnages taient tellement dignes par leur no-

    blesse, leur exprience et leurs vertus, et si convenablement choisis

    pour lamission qui leur tait confie, que, malgr l'existence d'l-ments de

    discorde entre les soldats vainqueurs et quelques Mau-res indompts qui prfrrent la libert des montagnes, les roiscatholiques se lourent bientt de la bienveillance, de la douceur.

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    de la modration avec lesquelles ce clbre triumvirat inauguraitleur gouvernement. Quand Ferdinand et Isabelle se sparrentde ces hommes illustres qu'ils laissaient la tte de la conqutepour revenir en Catalogne, o les appelaient des affaires politi-ques avec la France, ils chargrent le prlat de sonder doucement

    l'esprit des Maures, afin de leur inculquer peu peu les doctri-nes sacres de la foi chrtienne. Rien n'eut autant d'influence quele caractre pieux de Fray Hernando, second dans le gouver-nement par le comte de Tendilla et par Hernando de Zafra, pourcimenter la paix, en favorisant la fusion des deux races qui peu-

    plaient le sol de Grenade. Il semblait en vrit difficile que l'a-miti ou la concorde pt rgner entre deux peuples rivaux quis'taient toujours combattus avec fureur et acharnement. Mais en

    prtant l'oreille aux douces paroles d'union et d'amour que ce pr-lat faisait entendre, Maures et chrtiens commencrent par dpo-ser leurs vieilles haines, et rendirent au pays des services incal-culables en inaugurant une re nouvelle de tranquillit et de bon-heur.

    En effet, il ne sortait que des paroles d'amour et de mansu-tude des lvres du vnrable

    archevque, qui, parson zle van-

    glique, renouvelait les temps des aptres (1). Talavera visitaitles malades, les soignait de ses mains vertueuses, secourait lesncessiteux, vtissait les malheureux, invitait sa table un grandnombre de personnes, parents ou amis, tous dsireux d'admirerce saint homme. Accoutums au traitement despotique des rois

    Beni-Nazares, les Arabes trouvaient grandement trange la con-duite simple et librale de Fray Hernando, et comme il arrive

    quand on reoit un accueil agrable l o on l'attend fier et hau-

    tain, ils accouraient tous, pleins d'esprance, vers leur nouveau

    pasteur, chez lequel ils trouvaient toujours protection et secourscontre leurs maux.

    (1)L'archevque,remplissantles instructionsdes rois catholiquestout faitconformes soncaractre, non-seulementvisitaitles infirmes,rpartissaitenau-mnestoutson revenu,soutenaitles faibles,levaitlesorphelins,mais,malgrsongeavanc,il commenatudierl'arabepourconverseravecles Maures,et recom-mandacettelangueauxclercset auxfrrespour pouvoirleurinspireravec facilitlesmaximesde l'vangile.Sousses auspices,onpubliala grammaireet le diction-naire arabedeFr. PedroAleala; on fondale couventdes Franciscains,et onbnit

    diversesmosquesqui furentaffectesau cultechrtien.VoirSumariode la vkia del primerarzobispode Granada D. Fr. Hernandode Talavera y desa gloriosamuerte,porun anonimo,Granada,1564.Histo-ria.de la vida desan Geronimo,parel P. Sigiienza,tom.Ill, liv.II, chap.xxxu.-- Historiaecclesiastica,por Pedrosa,etc., etc.

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    dant de la sagesse et de la vertu, a toujours t plus fort que le

    feu des passions et le bruit des combats.La plus grande tranquillit rgnait dans le pays de Grenade

    et promettait une longue dure, si un homme, clbre dans lesfastes de la Castille par l'heureuse trempe de son me, n'etavec une rigueur hors de propos, pouss au baptme des Maures,tant de ceux qui se convertissaient peu peu que des autres qui,fidles leur religion, n'avaient jamais pens embrasser la foichrtienne. Les rois catholiques avaient plac Grenade, en1499, pour aider le pieux Talavera dans la tche difficile de con-

    vertir les Maures, l'archevque de Tolde, Don Fray FranciscoJimenez de Cisneros, qui, par sa rputation de docte prlat, de

    politique entendu, jouissait d'une juste renomme la cour deCastille. Mais dans cette occasion, il mrita le titre d'impatient.Ennemi de toute lenteur, il prfra imposer le baptme aux Mau-res par la force que par la pit et la mansutude ; le zle avec

    lequel il le proposa fut si exagr, si tyrannique, que les infidles

    effrays s'empressrent tous de le recevoir. Bien que quelques-unsdes Maures principaux se plaignissent intrieurement d'un pareil

    changement dans la religion de leurs anctres, ils ne ne seraientpas hasards empcher un si complet triomphe sur l'islamisme,si quelques ministres de la justice, violant ouvertement le pactede capitulation, n'eussent, sous le prtexte du baptme, cruelle-ment poursuivi les rengats et leurs enfants. Les esprits s aigri-rent ; on signala Cisneros comme la cause de l'extirpation de lafoi musulmane, et quoique ce dernier, inflexible dans sa rsolu-

    tion, ft enfermer les mcontents et livrer aux flammes sur la

    place de Bibarrambla des milLers de livres mulsulmans sur la

    religion et la politique (1), il n'y eut aucun moyen d'viter unerupture entre les Maures et les chrtiens. Cisneros mme fut as-

    sig dans son palais parles habitants de l'Albaicin. trouvant durde s'accommoder un changement de religion, contraire auxclauses solennelles des capitulations qui proclamaient la libertde conscience, non moins qu'indigne de leur antique valeur et deleur renomme, de contempler, impassibles, un rigorisme si inat-tendu. Mais le tumulte s'apaisa de lui-mme, quand se prsentaau milieu des rebelles indigns, ce saint homme qui, par des r-

    (1)Sansestimerles enluminurescoteuses,le travaildes perles,l'or et l'argentdont la pluparttaientorns.

    Rebelliony castigodelosMoriscosde Granada, porMarmolCarvajal.AlvarGomez,deRebusgestis; LafuenteAlcantara. Hhtoria de Granada.

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    sultats si heureux, avaitinaugur

    la conversion des Morisques.Les paroles du vieux Talavera apaisrent la sdition. Pendant qued'un ct Cisneros se rendait la cour des monarques catholiqueset parvenait justifier sa manire d'agir; leur arrachait la durealternative par laquelle un ordre royal forait les musulmans sefaire baptiser tous, sans retard, ou abandonner leur patrie, etviolait ainsi les traits ; d'un autre ct les mcontents allrent sefortifier dans les pres sommets des Alpujarras, o ils dployrentles anciens tendards de leurs rois et se dclarrent en rvolteouverte.

    Trois fois conscutives, les chrtiens durent tirer le fer pourtouffer l'insurrection des Maures, soit dans les valles d'Almeriaet de Ronda, soit dans les sierras de l'Harabal, de Villaluenga etde Bermeja, alors que prirent dans la mle de braves guerriersde l'arme de Ferdinand, qui commandait en personne. Une r-

    bellion si dplorable fut accompagne d'vnements sanglants et

    lamentables, et l'on vit renatre entre les deux peuples, dontl'illustre Talavera avait dj obtenu la fusion, les haines et les

    vengeances d'autrefois. L'archarnement devint gnral entre lesdeux

    races ;et bien

    que quelquesfamilles des vaincus se soient

    prsentes de nouveau pour recevoir le baptme, pendant qued'autres prfraient migrer en Afrique, il n'tait plus possiblede maintenir cet esprit de tolrance proclam et observ durantle temps de la reconquista. Les chrtiens taient indigns, les

    monarques espagnols, pousss par les conseils des courtisans

    jaloux dfenseurs de l'unit religieuse. Alors les Maures virentse promulguer dans toute la pninsule des lois gnrales quileur imposaient l'obligation de se convertir la foi catholique,ou de se transporter sur les ctes de Barbarie, en abandonnant

    pour toujours leurs foyers. Une mesure si cruelle frappa, en1501, les Sarrasins de l'Andalousie ; ceux qui ne voulurent passe faire baptiser, s'loignrent par mer, avec la triste ncessitde laisser leurs fils et leurs filles de moins de quatorze ans, ettout l'or et les pierres prcieuses qu'ils avaient. On ordonna, sousdes peines svres, l'expulsion des Maures qui habitaient lesroyaumes de Lon et de Castille. On leur indiqua le chemin paro ils devaient se rendre sur le territoire musulman, et cet ordrene reut cependant pas son effet, parce qu'ils furent baptiss, tant

    Avila, Toro et Zamora qu' Madrid, Guadalajara et Tolde. Mais, chose rare, soit crainte d'tre victimes de mesuresviolentes, ou soit qu'effectivement ils dsirassent entrer dans lesein de l'Eglise chrtienne, les Maures du faubourg de Truel, en

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    Aragon,demandrent

    spontanmentle

    baptme, qu'ils reurentvolontiers; et ds-lors les seigneurs de Valence et d'Aragon,craignant de perdre par une semblable innovation leurs vassauxles plus productifs, non moins que de voir le roi cder aux sug-gestions de son pouse Isabelle et dcrter le baptme commeloi gnrale dans le royaume d'Aragon, obtinrent de Ferdinandla promesse que rien ne serait chang relativement aux Maures.Leurs dsirs furent confirms et assurs en 1510, par le privilgeque les tats gnraux obtinrent de ce monarque dans le&cortstenues Monzon. Tels sont les premiers vnements qui signa-

    lent dans notre patrie l'existence des Morisquss.

    II.

    Les mmorables commotions politiques qu'prouvait la nation

    espagnole dans les premires annes du rgne de Charles Ie1*n'influrent pas peu sur le malheur de la race maure d'Aragon etde Valence, qui avaient travers les rgnes prcdents sans con-traintes ni violences. Ainsi de mme qu'en Castille, les communi-

    dades furent l'expression de la fraternit feinte entre le peuple etles nobles pour venger les injures vraies ou supposes de l'em-

    pereur, les germanias n'eurent d'autre caractre, Valence, quecelui d'une vritable lutte entre la noblesse et le peuple.

    Au milieu de ces deux colosses qui se livraient bataille, entrela rudesse des plbiens et l'insupportable tyrannie des seigneurs,la classe musulmane vivait assez faible pour se ranger du ctdu peuple, trop humble pour suivre le parti des nobles. Elle d-

    pendait de ces derniers cependant, et, laissant la pioche qui lui

    servait pour cultiver la terre, elle dut prendre la pique pt lemousquet pour dfendre les droits des barons de Valence; et, for-mant de nombreux corps de troupes, les Morisques volrent pourrprimer les excs des bataillons que les artisans de Valenceavaient improviss. C'est que si le peuple, group autour de son

    drapeau sacr, mit en droute les forces des nobles et dispersasouvent les troupes royales; il dsola aussi les campagnes du

    royaume, les saccagea, les livra aux flammes et commit d'hor-ribles cruauts sur les populations morisques, qui n'taient cou-

    pablesd'autre crime

    qued'tre vassales de ses ennemis.

    Les seigneurs et les chevaliers se livrrent aussi des excs et des sacrilges non moindres, et les descendants de Tarif souffrirentde cruelles douleurs tant que dura cette guerre sanglante etacharne. Ils ne respirrent un instant qu'au moment o, fatigus

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    deverser le sang musulman, dtests des barons du royaume,les partisans du peuple cessrent le carnage et exigrent de ces

    malheureux le choix entre la hache du bourreau ou l'eau saintedu baptme. Ils n'hsitrent pas, et les descendants de ces maho-mtans, respects par la politique et la tolrance des monarquesespagnols du moyen ge; les lils et les frres de ces victimes desfureurs du peuple, sacrifis, en expiation injuste des dsordrescivils, se convertirent au christianisme, n'osant pas affronter le

    martyre pour la religion de leur faux prophte. Les souffrances de larace morisque augmentrent ds-lors considrablement. Il sem-

    blait que ce peuple, qui quelques sicles auparavant tait matrede presque toute l'Espagne, dt disparatre de la surface d'uneterre o il avait tabli son empire par toutes les horreurs d'unelutte interminable.

    Inform du baptme que les germanos ou comuneros deValence ve-naient d'imposer aux Maures de ce royaume, pouss par Sa SaintetClement VII, qui lui conseillait de les expulser de ses Etats, s'ils

    n'abjuraient tous leurs erreurs (I); injuri enfin par son ennemi,Franois Ier de France, qui lui reprochait sa tolrance, lui em-

    pereur de catholiques, pour maintenir dans l'intrieur de sa maisonles ennemis de la vritable foi (2), Charles couta le conseil des

    thologiens qui le poussaient imposer aux Maures le baptmeou les menacer de les jeter hors de l'Espagne. Les avis furentdivers (3) ; mais enfin le mme esprit d'intolrance et de svritqu'avait essay Cisneros dans l'enseignement des Maures deGrenade, ayant domin, leurs descendants, qui habitaient l'Ara-gon et Valence, ne purent rester sans tre outrags et sans seprparer la vengeance. On avait tabli que nul Maure ne pour-

    rait sortir du lieu qu'il habitait, sous peine de demeurer l'esclavedu premier qui le saisirait. Remarquable moyen de contreveniraux anciennes dispositions qui avaient rgl les rapports entrechrtiens et Maures durant la reconquista (4).

    (1)Bullecrite donAlonzoManrique,archevquedeSeville,inquisiteurgne-ral danslesroyaumesd'Espagne,enl'anne1534.

    (2) Leshistoriensassurentqu'unmotifassezfutileagit surl'esprit de CharlesVpourlui faireprendredes mesures contre lesMorisques.On racontequele roiFranoisIersetrouvait,aprslabatailledePavie,captifau chteaudeBenisano,lieu

    occupparles Maures,quesesvoisinsse livrrentd'unemaniretrange la joiependantlesjoursdefte,et qu'unjour, incommodparleurcontinuelcharivariquil'empchaitdedormir,ilfithonte l'empereurde lestolrerdans sesEtats.

    (3)VoyezuneordonnancedeCharlesVdonne Madridle 4 avril 1325,(4)Ordrepublien octobre1525.

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    On leur dfendit de vendre nior,

    niargent,

    nibijoux, nisoies, ni btes, ni troupeaux, ni marchandises ; on leur intima

    l'ordre d'avoir un signe distinctif sur leur chapeau, sous peined'tre esclaves (1); de ne point porter des armes, ni de travailler les

    jours de ftes pour les chrtiens ; de se mettre genoux et dequitter leurs bonnets quand passerait le saint sacrement ; de sup-

    primer les prires publiques et de fermer les mosques. En mme

    temps on lana des anathmes contre les Espagnols qui ne d-nonceraient pas les transgresseurs au tribunal de l'inquisition, eton publia un dit du pape o, sous peine de la grande excom-

    munication, on dfendait de contrevenir aux dcrets impriaux.Enfin on marqua le jour o les mahomtans devaient tous tre

    baptiss ou sortir sans dlai du royaume.L'insurrection des Morisques dans la Sierra d'Espadan, pous-

    sant le cri de l'indpendance, fut le fruit de ces dispositions ma-lencontreuses. Les bataillons espagnols tombrent sur ces mal-heureux rebelles, et peut-tre l'autorit impriale ne se ft pastrouve dans une position agrable, parce qu'il tait difficile derduire des hommes qui se dfendaient du milieu des rochers

    inexpugnables, si un gentilhomme estim des Maures n'tait par-venu les apaiser (2). De mauvaise foi, et seulement pour sortird'une treinte semblable et loigner d'eux les mousquets castil-

    lans, les Maures d'Aragon et de Valence se prsentrent pourrecevoir le baptme. Auparavant, ils adressrent cependant

    l'empereur la ptition suivante : Ques'ils obissaient ses ordres

    royaux en recevant la baptme, ils demandaient que l'inquisitionne toucht, de quarante ans, ni leurs tiens ni leurs personnes ;que, pendant autres quarante, on ne les fort pas changer ni

    l'habit ni le langage des Maures ; que dans les lieux o se rencon-treraient des chrtiens nouveaux et vieux, on indiqut pour lesnouveaux des cimetires particuliers ; que l'on tolrt les cou-tumes maures dans les mariages pendant un espace de quaranteans ; qu'on leur laisst porter des armes, puisqu'au temps descommunidades et des germanias, tout Maures qu'ils taient, ilsavaient loyalement servi Sa Majest et vers leur sang pour sacause (3).

    Mais les insurrections de ces Maures, qui, baptiss, reurent le

    (1)Ordrepublieaussiau moisd'octobre1525.(2) Memorableexpulsionde iosMoriscosde Espana porFr. Marcde Guadala-

    jara. ,(3)Documentosineditos.

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    nom de Morisques ou nouveaux convertis (1), pour les distinguer

    des chrtiens vieux ou de race, tant Grenade, lorsque les roiscatholiques rgnaient encore, que dans Valence et en Aragon,quand Charles V ceignit la couronne d'Espagne, dcidrent, on

    peut le dire, du sort futur du peuple sarrasin, qui avait t

    jusque-l maintenu dans sa religion, tolr dans ses murs,

    respect dans ses foyers. Aprs la victoire des armes chrtiennessur les Morisques soulevs dans l'Alpujarra et la sierra d'Espa-gne, quand la rigueur du fer eut touff le sentiment patriotiquequi avait fait voler les Sarrasins la dfense de leur religion,toute

    fusion,tout

    rapprochemententre chrtiens et

    Morisquestait impossible. La guerre de religion, rallume de nouveau,ne pouvait s'teindre que par l'extermination de la race la plusmalheureuse ou la moins puissante. L'Autrichien Charles voyait,il est vrai, tous les Maures de l'Espagne baptiss ; mais derrirece coteux et sanglant baptme restait une lutte de civilisationfuneste pour les vaincus : les Morisques n'taient chrtiens que de

    nom, tant que le peuple de Mahomet conservait sa religion in-

    trieure, sa langue, ses costumes, ses murs, son ternelle hainecontre les vainqueurs.

    En effet, peine amortie entre les deux races, aprs la recon-quista, la haine se rallume de nouveau avec toute sa fureur,quand on vit mconnues la foi des traits et la validit des ancien-nes capitulations. De toutes parts jous, les Morisques devinrentinsolents, se mirent en rapport avec les pirates turcs et berbres,remplirent de terreur les populations des ctes et causrentdes pertes immenses l'agriculture et au commerce. Nos bis-aeux mmes finirent par manquer de scurit individuelle tantdans les villages que dans la campagne, tant dans les grandesvilles

    quedans celles de faible

    population.En vain les rois Catho-

    liques avaient ordonn tous leurs ministres de la guerre et dela justice de traiter les nouveaux convertis avec amour et man-

    sutude; en vain la reine Jeanne, fille et hritire de ces

    monarques, leur accordait Grenade un dlai de six ans pourquitter leur costume mauresque, et plus tard l'empereur Charles Y prorogeait pour un dlai non moindre une semblablemesure (2). Les Maures fermaient dessein, comme dit Marmol,

    (1)Moriscos,nuevosconversos,nuevamenteconvertidos.EnAragon,tornadizosenlangageoutrageant.

    (2)Demandeparles cortsantrieurementdj.Entrelesmesuresqueproposaientauxrois catholiqueslesprocurateursde Castilleet deToldel'an 1480,ledimanche

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    les oreilles toutes les prdications des prlats, des curs, des

    religieux, parce qu'ils faisaient plus d'attention aux rites etcrmonies de la secte de Mahomet qu'aux prceptes de l'Eglisecatholique (1). Ils taient riches et matres de leurs biens ; maisils soupiraient toujours, au souvenir de la libert plus grandedont ils jouissaient sous leurs anciens rois. Fatigus de l'op-

    pression et de l'injustice non moins que de la surveillance que lesnouveaux monarques exeraient sur eux, ils abhorraient chaque

    jour de plus en plus le nom du chrtien, s'instruisaient en se-cret des rites et des crmonies musulmanes, et, confiants dans

    des fictions chimriques, dites jofores ou pronostics, ils espraientrevenir leur tat primitif, s'appeler publiquement Maures, trelibres et matres une seconde fois de toute l'Espagne. Ils simu-laient un christianisme qu'ils n'avaient pas (2) ; car s'ils enten-daient la messe et se confessaient, c'tait par pure crmonie ; ilsreniaient ensuite des sacrements si divins ; s'ils tolraient le bap-tme de leurs enfants, ils les lavaient immdiatement aprs dansleurs maisons, les circoncisaient et leur donnaient des nomsarabes ; et si les fiances se prsentaient pour recevoir la bn-diction nuptiale, habilles la chrtienne, comme l'exigeaientles prtres, ds qu'elles rentraient dans leurs demeures, on lesdshabillait et on les vtissait la mode arabe, on clbrait lesnoces avec des danses, des instruments et des mets maures (3).Ils travaillaient le dimanche , n'tablissaient aucune diffrenceentre les jours de fte ; mais ils observaient les vendredis, selavaient et, la porte ferme, faisaient la zal (prire Maho-

    met) (4). Ils accueillaient enfin les Turcs et les Maures dansleurs alcarias, dans leurs maisons, leur donnaient des indications

    pour tuer, voler, faire prisonniers les chrtiens; eux-mmes par-

    fois les prenaient et se les vendaient; les corsaires venaientainsi s'enrichir en Espagne, comme qui va aux Indes, et des fa-

    milles entires de Morisques passaient avec eux en Afrique (5).Parmi les chrtiens, ceux qui ne pouvaient ni ne devaient tol-

    rer une semblable conduite, taient les prtres ; comme oints du

    Seigneur et chargs de la garde de l'arche sainte, ils dploraient

    6 fvrier: .Item mas; que los Moros Judiosvivan apartados,e tragancapuzes,e senates,e no tenganoficiossobreloschristianos.

    (1) Rebeliony castigodelosMoriscosde Grenada,porMarmolCarvajal.(2)Voyezla collectiondiplomatique.(3)Rebellionet chtimentdes Maures,parMarmolCarvajal.(4)Id. Cuantomostrabanseragudos- - excusaparanon aprenderlas.(5) Id.

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    - gq

    plus que les sculiers les excs et les lgrets des Morisques.

    Quelques-uns des plus zls dfenseurs de la splendeur de l'Eglisecatholique vinrent trouver l'empereur Charles, le priant d'aviseraux moyens de couper court de semblables abus (1). Ce

    monarque rsidant Grenade, en 1526, institua des visiteursecclsiastiques qui, parcourant le pays, purent connatre le d-

    plorable tat o se trouvait la religion chrtienne parmi les

    nouveaux convertis. Dans leurs mmoires, ils assurrent que tantqu'on laisserait les usages et les murs mauresques, on pourraittrouver ensemble l'apparence et la ralit. Par ordre du mmeCharles

    V,on ne tarda

    pas runir une assemble de

    thologiens,compose en grande partie d'vques qui, aprs examen des m-moires des visiteurs, des capitulations et des conditions de paix quiavaient amen la reddition des Maures, de l'accord pass entre euxet l'archevque Cisneros, des pragmatiques des rois et des avisdes savants, dclarrent que tant que les convertis se vtiraientet parleraient comme les Maures, jamais ils n'abandonneraientleur sedte et ne seraient bons chrtiens. On leur ordonna doncd'abandonner leur langue, leur habit maure ; de cesser leurs bains

    qu'ils aimaient ; de laisser ouvertes les portes de leurs maisons les

    jours de fte, les vendredis et les samedis ; de ne plus se livreraux leylas et aux danses mauresques ; on enjoignit aux femmesde ne point se teindre les pieds, ni les mains, ni la tte ; dese marier suivant les prescriptions de l'Eglise catholique, laissantles maisons ouvertes les jours de la noce; d'entendre la messe;de ne pas exposer des enfants ; de n'avoir aucune relation avecles gacis de-barbarie, soit libres, soit esclaves (2). Mais peinedes ordres si svres furent-ils promulgus, que les Morisquesvinrent les contredire ; ils prsentrent des mmoires o, tout en

    faisant des promesses, ils exposaient, par des raisons politiques etmorales, la difficult et le sentiment pnible qu'ils prouvaientd'abandonner le costume et le langage naturels. A force de sup-pliques et de larmes l'empereur se laissa toucher de piti, etavant de sortir de Grenade, il fit suspendre les effets de l'accord

    jpass avec les thologiens et approuv par lui, et ordonna d'enarrter pour le moment l'excution trop difficile. Et quand plustard, en 1530, Charles Quint tant, commele dit un historien, ab-sent de ces royaumes, son pouse l'impratrice faisait envoyer

    (1)Fueron el lieenciado.Pardo,abad mayorde la Iglesia deSan SalvadordelAlbaicin,y los canonigosbeneficiadosdela misma.

    (2)Rbellionet chtimentdesMauresde Grenade,parMarmol

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    3

    ques,entirement

    perdus,sans ordre, sans accord, comme des

    brebis sans pasteur et aussi Maures qu'avant de recevoir le baptme ; que la cause d'un pareil dsordre tait le manque de moyens pour pouvoir les corriger, leur interdire les crmonies et les rits maures qu'ils pratiquent publiquement, sans crainte d'aucun chtiment. Tel tait l'tat des choses relativementaux Morisques quand Philippe II monta sur le trne. Et quoique

    pour l'amlioration d'une situation si dplorable, il se tnt Valence un conseil synodal prsid par l'archevque D. Martin

    de Ayala, concile recommenc en avril 1565; quoique en octobre

    de la mme anne, divers vques, suffragants de cette mtrople, se fussent runis en assemble, on n'obtenait aucun fruit de

    toutes ces mesures. L'vque Segrian n'hsitait pas d'affirmer

    qu'aprs quarante ans de vigilance, d'enseignement et de prdica-tions, les Morisques de Valence restaient aussi Maures qu'aupara-vant.

    La situation des Morisques de Grenade n'tait pas plus sou-riante dans les premires annes du rgne de Philippe II. L'op-

    pression que les chrtiens exeraient sur eux avait t renduedure et

    insupportable :en 1560, on leur avait dfendu

    d'employerdes esclaves noirs, de faire usage des armes, de se rfugier dansles domaines des seigneurs pour chapper la perscution, de

    jouir de l'immunit ecclsiastique. On en comptait beaucoup qui,aprs avoir vu leurs fautes et leurs dlits oublis, avaient con-tract mariage et vivaient dans des terres seigneuriales dans uneespce de tranquillit, appliqus leurs devoirs et aux travauxdes champs. Mais les greffiers ayant commenc revoir des pa-

    piers pour chercher des motifs, et la justice les pressant avec ri-gueur, les malheureuxn'avaient d'autre ressource que de se confier

    aux montagnes, et se joignant d'autres brigands, d'autresvoleurs, ils commettaient de plus grands crimes sans qu'il y etun moyen de les prendre. Aux outrages que les Morisquesavaient souffrir se joignit bientt le lourd fardeau des contribu-tions, la svrit, l'insolence et la rapacit des percepteurs, ledsordre et la furie des soldats qui, sous prtexte de poursuivredes dlinquants, des relaps, se logeaient dans les fermes et lesmaisons des Morisques, et se livraient, outre les dpenses qu'ilsoccasionnaient, aux excs, la violence. Ces derniers se laissaientaller par-dessus tout, comme dit

    Marmol,aux

    drglementset

    l'impudeur qu'entrane avec elle la licence militaire quand ellen'est pas retenue par la crainte de Dieu. Heureusement, commeon le comprit plus tard , les dlits qu'ils commettaient taient

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    on ne devait pas leur permettre d'avoir des (gacis) chrtiens nou-

    vellement convertis pour esclaves. Mais que dire, s'crie Mar-mol, du sentiment qu'prouvrent les Morisques quand ils enten-dirent publier les chapitres sur la place de Bib-el-Bonut, sinon

    que leur trouble fut tel qu'aucune personne de bon sens necessera d'entendre leurs terribles vux, tant tait grande la co-lre qu'ils manifestaient, en se provoquant les uns les autresavec des dmonstrations menaantes. Ils disaient que Sa Majestavait t mal conseille, et que la pragmatique pourrait tre lacause de la destruction du royaume. Et cherchant reconnatre

    tout doucement leurs forces avant de prendre les armes avec unefrocit sauvage, ils commencrent se runir en public, en

    secret, donnant d'un ct sujet aux jeunes de dire, par l'exempledes vieux, qu'un tel joug leur tait plus dur que la mort mme;et d'un autre ct, convenant que les principaux d'entre eux arr-teraient la furie d'une conduite semblable, qu'ils appelaientmalencontreuse avec une feinte humilit, ils mettaient profitune prudente intelligence pour demander la suspension d'une tellemesure. Pour cela ils nommrent des personnes, afin d'instruireSa Majest et les membres de son conseil. En effet, les Moris-

    ques prsentrent des plaintes rptes Philippe II, et Fran-cisco Nunez Muley, personnage illustre de sa race, qui, par son

    ge et son exprience, avait une grande habitude de ce genred'affaires, parla au prsident de la chancellerie, don Pedro Deza,lui exposa, dans un discours aussi modr qu'loquent, les pr-

    judices, l'inopportunit et l'injustice des svres mesures par les-

    quelles on opprimait un peuple converti.Mais tout fut inutile. Le prsident rpondit que la pragmatique

    ou les chapitres dont on prescrivait l'observance taient sacrs,justes, rendus aprs une mre dlibration et avec l'accord le plusprofond, et qu'on ne les rvoquerait pas; qu'il tait inutile dedpenser leur argent en vain, qu'ils n'avaient plus venir lacour pour un pareil sujet, parce que les raisons apportesavaient t donnes autrefois et n'taient pas plus susceptiblesde considration ; enfin que Sa Majest voulait plus de foi que de

    farda (argent, impt) ; qu'il prfrait sauver une me tous lesrevenus que les Morisques pouvaient lui donner, parce que sonintention tait de les voir tre et paratre bons chrtiens. Et quoi-que le bon marquis de Mondejar se rendt la cour, et travaillt

    suspendrel'excution des

    articles, comme un actede

    justiceet un moyen d'arrter le conflit menaant, le roi, aprs l'avispralable du conseil, approuva la conduite de don Pedro Dezaw

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    Les Morisques,bien

    que ce coupde main n'et

    pas russi, necessaient de poursuivre leurs funestes projets. Le bruit de ce quis'tait pass Grenade vola promptement de bouche en bouche,et pendant que le marquis de Mondejar appelait aux armes leschevaliers et tous ceux qu'il pouvait runir dans les villes, pour-voyait les postes de munitions et de vivres, envoyait des espions la suite des insurgs, avisait le roi et lui demandait des ren-forts et de Fardent ; les Morisques se divisaient en deux bandesou partis et soulevaient toute la Sierra. D'autres brigands et

    Morisques des montagnes croyaient l'heure arrive de choisir et

    d'lever pour chef un des leurs, issu de sang royal, et se consi-drant non moins offens par les chrtiens que les autres de sarace. On signala comme roi, qui l'on prta mme serment, au

    grand tonnement de Farag, qui se regardait comme le principalauteur de rbellion, un jeune descendant des princes Ommiades,

    baptis sous le nom de Fernando de Valor, et appel chez les

    Morisques Aben-Humeya. Le nouveau souverain arbora l'ten-dard du croissant, et par une habile politique nomma Farag son

    alguazil major et donna bientt au soulvement une impulsion

    remarquable.Mais, pour le malheur des chrtiens, si le nouveau roi tait

    jeune, dou de nobles qualits, s'il recommandait la tolrance ses sectaires, Farag-Aben-Farag tait un tigre ayant soif du

    sang humain, et, suivi de trois cents brigands ou voleurs, il par-courait tout le royaume, semant partout, sans piti, l'pouvante,le martyre, la dsolation et la mort! Que de jours pleins d'a-mertume pour les vieux chrtiens qui, en compagnie des Moris-

    ques, habitaient les terres de l'Andalousie ! S'il est vritable-ment triste d'imaginer, dit Marmol, plus forte raison l'est-il

    d'crire, les abominations et les iniquits que commirent dans cesoulvement les Morisques, les bandits de l'Alpujarra et des au-

    tres parties du royaume de Grenade. Leur premier acte fut de

    proclamer le nom et la secte de Mahomet, en dclarant qu'ilstaient Maures, trangers la sainte foi catholique qu'eux etleurs aeux avaient tant d'annes professe. Et en mme temps,sans respect pour les choses divines et humaines, comme ennemis

    de toute religion, de toute charit, pleins d'une rage cruelle,d'une colre diabolique, ils pillrent, brlrent, dtruisirent

    les glises, mirent en morceaux les images vnrables, dmoli-rent les autels et mettant leurs mains violentes sur les ministresde Jsus-Christ qui leur enseignaient la foi, leur administraientles sacrements, ils les tranrent travers les rues et les places

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    en eutqu'un trs-petit

    nombrequi pt

    se sauver dansquelqueforteresse en esprant du secours de Grenade (1). Et les hros

    d'aussi horribles exploits taient les descendants de ces valeureuxArabes qui, durant la reconqvista, avaient honte de frapper unennemi sans dfense ; c'taient les fils de ces nobles guerriersmusulmans qui avaient donn tant de preuves d'abngation etd'hrosme durant la guerre contre les rois Catholiques ; c'taientles descendants dgnrs et abrutis de ceux qui prtendirentdonner des lois de courtoisie aux Castillans ; qui flchissaient le

    genou devant la vieillesse et devant la beaut ; qui, au milieu

    du tumulte des combats, de l'enthousiasme de la mle, cou-vraient le vaincu de leur bouclier et tendaient au moribond leurmain protectrice. Ceux qui subjugrent la Syrie, l'Egypte,l'Afrique, la Perse et l'Espagne; qui s'assirent en matres sur letrne de l'empire grec et mesurrent leurs cimeterres victorieuxavec la terrible pe de Charlemag-ne ; ceux qui jurrent fidlit

    nos Alphonse et nos Ferdinaud, en versant leur sang pourmaintenir les couronnes de Pierre III d'Aragon et de Charles V,se transformaient maintenant en vils assassins de leurs frres,les vieux

    chrtiens,et terminaient avec une fureur effrne la vie

    de ceux qui vivaient dans les Alpujarras. Et ces vieux chrtiens,fils, frres, hritiers de ceux qui, non contents de voir flotter surles minarets de Grenade l'tendard castillan, voulurent effacer dela surface de la terre la religion, le nom, l'idiome et\le costumedes sectateurs de Mahomet, furent, peut-tre par une secrte vo -lont divine, traits avec une inhumanit si terrible. La nationla plus puissante, la plus superbe, la plus triomphante, peut bien

    prendre exemple sur ce drame sanglant, auquel donnrent nais-sance l'irrflexion, Fintolrance et le fanatisme.

    Fatigus enfin de tuer, de brler, craignant la gravit deleur propre fureur, les Morisques se rfugirent dans la partie la

    plus impntrable des montagnes, emmenant avec eux leurs fa-milles et leurs objets prcieux. Aben-Humeya dsapprouvait tantde cruauts, et pendant qu'il empchait qu'elles se renouvelassent,il organisait sa maison royale, prenait ds femmes, nommait des

    capitaines, se proposait d'tablir sa nation sur le pied de guerre

    (1) Les historiensrapportentdiversementles cruautsdesrebelles. Marmol,dansson Histoirede la rbellion,donne de longs dtailssur le martyredeschrtiens.Mais il existe un livre trs-rareet trs-curieuxqui perptuespcialementla m-moirede ces terribles vnements.Il a t imprim Grenadeen 1671; il estencastillanet distinctde celuiqui existeen latin.

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    - fti

    et de demander du secours aux Maures d'Afrique. A cette fin,il envoyait Alger son frre Abdala avec des captifs pour pr -sent, et Habaqui, dans une seconde ambassade, pendant que,sans donner aux autorits de Grenade le temps de sortir deleur stupeur, il repoussait les capitaines Digo de Gasca et

    Diego de Quesada, propageait l'insurrection aux sons de trompeet enseignes dployes travers Almeria, les Alpujarras, le mar-

    quisat de Zenete, les montagnes de Ronda et la terre de Velez

    Malaga (1).Mais le soulvement gnral des Morisques, la nouvelle des

    cruels supplices que souffraient tous les vieux chrtiens rsidantdans leurs districts ou provinces (tahcis) et l'audace mme d'Aben-

    Humeya, rpandant la terreur chez les habitants de Grenade,

    obligeaient en change le valeureux marquis de Mondejar semettre en campagne. Ce dernier, avec une arme rduite, sortit,le 3 janvier 1569, pour secourir Orjiva, envelopp par un partide rebelles. Il arrive son but, non sans en venir auparavant auxmains avec trois mille cinq cents Morisques environ, qui es-

    sayrent, mais en vain, de l'arrter au passage du pont de Ta-blate. Il parcourut ensuite la province de Poqueira, les places

    de Pitres et Jubiles, d'Ujijar, Cadiar, Paterna et Andarax, soute-nant des escarmouches avec les rvolts qui essayaient de d-fendre les gorges et les dfils des montagnes. Ses soldats sacca-

    geaient les habitations des Morisques et passaient un grand nombrede ces derniers au fil de l'pe, irrits qu'ils taient de la rsistance

    opinitre qu'on leur opposait. Trois cents hommes et un grandnombre de femmes emprisonns dans Jubiles prirent tous parles mains de la soldatesque, qui, au milieu de l'obscurit de la

    nuit, les crut des jeunes gens dguiss, parce qu'une Morisque

    avait courageusement rsist aux dsirs lascifs d'un des vain-queurs.Quelle interminable srie de honteuses et lamentables disgrces

    inauguraient les vnements prcdents ! En vain les escarmou-ches et les reprsailles se succdaient les unes aux autres ; envain les armes du roi Catholique prouvaient de fortes pertes ;quoique de nombreuses populations morisques s'en rapportassent la clmence du marquis de Mondejar, les soldats castillans in-

    disciplins et avides de rapines, traitaient galement les Mauresennemis et arms et ceux qui, sans dfense, avait trouv un re-

    (1) Histoirede la ville de Sgovieet Abrgdes Histoiresde Cstille,par Diegode Colmenares.Sgovie;DiegoDiez,1637.

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    fugedans la

    sauvegardedu roi. Une semblable conduite rendait

    encore plus violentes les vengeances des Morisques ; on perdaitmisrablement d'illustres capitaines et un grand nombre de

    soldats. En change, le fer de ces derniers, toujours dgain, ne

    pardonnait jamais, et ils assassinaient sans piti les vieillards,les femmes et les enfants des vaincus.

    Tels taient les dplorables rsultats de l'avarice et de l'impu-dicit des soldats, de l'impritie des capitaines, de la rivalit des

    chefs, enfin du discrdit des ministres. Un grand nombre s'en-tendaient l'administration de la justice et de la guerre, dans le

    royaume de Grenade; mais leurs opinions, leurs dsirs taient sicpposs, si divers, qu'on adressait au monarque les mmoires les

    plus contradictoires, de sorte que ce dernier, plein d'indignation,rsolut d'envoyer sur le thtre de la guerre son propre frre na-

    turel, le valeureux don Juan d'Autriche. Le jeune chef tait ac-

    compagn de capitaines expriments, de troupes aguerries ; son entre Grenade, on lui fit une rception solennelle, quoi-qu'il rencontrt sur ses pas plus de quatre cents vieilles femmes

    chrtiennes, veuves et orphelines des victimes de la rbellion,dont les

    plaintesle

    poussaient la

    vengeance.Ds ce moment on

    refrna avec nergie la licence des soldats, et on tablit de toutes

    parts la police la plus svre.Pendant ce temps, les forces et le courage d'Aben-Humeya

    s'taient accrus, grce aux secours de quelques Turcs, de quel-ques capitaines audacieux. Une proclamation circulait, assurantl'aide d'une puissante escadre de Aluch-Ali, gouverneur d'Alger,recommandant divers ordres aux principaux insurgs, l'exclu-sion toutefois de Farag-Aben-Farag qui cherchait le dtrner.Aussi actif qu'infatiguable , imitant, dans sa cour grossire, la

    splendeur des anciens Alhamars ; prodiguant l'or et les faveurs ses fiers partisans ; maintenant le cimeterre lev pour punirles excs de ses sujets et des sujets trangers, le chef des Mauresse conciliait l'affection de tous les rebelles que, suivant l'imp-tuosit ou la modration de leur fureur, il conservait dans les

    postes de l'Alpujarra, ou qu'il lanait pour semer la mort dans lesvalles et jusqu'aux frontires mmes d'Almeria et de Malaga.Ses incursions menaaient dj la campagne fleurie de Grenade,dont le fruit tait, de toutes parts, la droute des compagnies chr-

    tiennes, passesau fil de

    l'pesi elles n'avaient

    pasle bonheur

    de mourir en combattant. Si les rebelles, dans leurs marches ra-

    pides, surprenaient des dtachements ; si leurs positions inexpu-gnables taient souvent investies par les soldats de don Juan

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    d'Autriche ou du marquis de Los Velez,qui

    avait succd au

    marquis de Mondejar dans la charge de capitaine gnral, le

    plus souvent aussi ces derniers se voyaient obligs de cder etde se retirer prcipitamment dans leurs citadelles, parce queles Morisques, en nombre incroyable, surgissaient de toutes

    parts.Tels taient les progrs de l'insurrection, que ce mme Aben-

    Humeya, aid de vaillants gurillas et la tte de dix millehommes, assigeait la ville de Berja, o le marquis de Los Veleztenait ses quartiers avec des forces suprieures. Ce dernier, averti

    par des espions maures qu'il avait fait parler dans la torture,put cependant rsister au choc imptueux des rebelles. Une

    troupe d'aventuriers berbres, couronns de guirlandes de fleurs,signe de leur ardent dsir de mourir martyrs pour la dfense deleur secte, combattirent avec tant d'intrpidit, qu'ils enfoncrentune compagnie de soldats de la Manche et pntrrent jusqu'la place, occupe par le marquis lui mme.

    Don Juan d'Autriche avait gard de grands renforts Gre-

    nade, tout en ayant garni les citadelles d'Oria et de los Velez, etfait tous les

    prparatifspour la campagne. On travaillait en

    mme temps, par ordre du roi son frre, l'expulsion des fa-milles morisques qui taient restes tranquilles Grenade, etcette mesure tait excute avec promptitude et fermet ; on nelaissa dans leurs demeures que les vassaux mudejares, grce leurs continuelles reprsentations.

    Ce fut, dit Marmol, un spectacle digne de piti que de contem-

    pler un si grand nombre d'hommes de tout ge, la tte baisse,les mains croises, les visages baigns de larmes, d'un air dou-loureux et triste, se voyant obligs d'abandonner leurs foyers,

    leurs familles, leur patrie, leurs trsors et tous les biens qu'ilsavaient, incertains mme de ce qu'on ferait de leur tte. Gre-nade fut, il est vrai, plus tranquille ; mais ce ne fut pas un lgersentiment de compassion qu'inspirait la solitude de ces quartierso les Morisques se livraient toutes leurs rcrations, leurs

    passe-temps, au milieu de la prosprit, de l'ordre et de lamollesse dans leurs demeures, leurs jardins, leurs vergers.

    Presque en mme temps et au grand regret des rebelles, le

    marquis de Los Velez repoussait un corps de cinq mille hommes

    commands par Hosceyn, capitaine turc, et par Zaguer,oncle

    de Aben-Humeya. D'autres troupes essayrent de dloger leschrtiens d'Ujijar, mais elles furent battues et obliges de pren-dre la fuite. L'aspect de cette guerre lente et acharne ne chan-

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    hh

    geait cependant pas, jusqu' ce qu'un grand vnement vnt

    incliner la balance de la victoire en faveur des armes du roiCatholique. Ce fut la mort de ce chef

    -regard comme roi par les

    rebelles, qui, malgr la pourpre dont il avait su se revtir etmalgr le pouvoir qu'il vit en ses mains, ne devait pas s'asseoirsur le trne dj renvers des Alhamars. pris d'une jeune veuve,d'une rare beaut, convoite par un Morisque appel Alguacil,il prit trangl par les amis de ce dernier, qui saccagrent sa

    demeure, se partagrent ses femmes, montrrent qu'ils n'avaient

    d'autre but que la vengeance et la satisfaction de leurs dsirs.Ainsi

    mourut Aben-Humeya,dans son lit

    effmin,sans avoir

    le temps de saisir ses armes, sans amis, sans parents pour op-poser quelque rsistance (1). S'il ne put se montrer ni comme roini comme homme, il sut maintenir seul l'enthousiasme de larvolte qui, sans cela, n'et paru qu'une pure insurrection d'une

    poigne de brigands.Les Morisques qui osaient tenir tte au pouvoir de Philippe II,

    ne restrent pas sans chef. Proclam souverain et successeur

    d'Aben-Humeya, le perfide Aben-Abo distribuait ses amis les

    charges principales, runissait de nouveaux volontaires, recru-

    tait des Turcs et des Berbres, armait jusqu' huit mille arque-busiers,, avec lesquels il put bientt cerner la ville et le fort

    d'Orjiva, repousser le duc de Sesa qui accourait son secours,et s'emparer de la place. Commands par divers gurilleros, lesrvolts surprenaient non-seulement les convois et dispersaientles escortes chrtiennes, mais ils parcouraient avec insolence la

    campagne mme de Grenade. Ils ne s'en virent expulss quevers la fin de 1563, quand don Juan d'Autriche entra lui-mmeen campagne, pntrant par les frontires d'Almeria et se

    rendantmatre

    des citadelles de G-alera, Seron, Tijolaet Pur-

    chena. Le caractre conciliateur de don Juan temprait d'uncot les horreurs de la guerre, et pendant que d'un autre il d-

    tachait des troupes qui poursuivaient sans relche les rvolts, il

    rpandait ses proclamations conciliatrices, entamait des corres-

    pondances avec les capitaines des Morisques prompts se rendresur la promesse du pardon, et recevant en outre des rcom-penses et des garanties pourune vie tranquille. Ce fut alors qu'onimagina des lettres crites en arabe adresses au nom des re-

    belles, rpandues par les chefs espagnols, afin de les rduire

    (1)Premire partie de PIlisto-ire gnraledu Monde,parAntoniodeHerrera.Valladolid,1616,p. 760.

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    l'obissance et de dconcerter les plans d'Aben-Abo et de ses

    plusardents dfenseurs. Sur ces

    entrefaites,le duc de Sesa

    ga-gnait la citadelle de Velez, de Benaudalla, de Lenteji; et, non moinsheureux, le capitaine don Antonio de Luna mettait en fuite Darra,le brave gurillero ; fortifiait Competa, Maro et Nerja ; rtablis-sait la tranquillit sur la cte d'Almunecar et repoussait dansl'intrieur de l'Espagne les Morisques de Borje, Comares, Cutaret Benamargosa. Comme ncessit pour pacifier le plus prompte-ment possible le pays soulev, non moins que comme essai pourexpulser ceux qui d'ailleurs avaient t l'objet de soupons,on ordonnait aussi l'migration gnrale des Morisques de

    Grenade, en les indemnisant de la valeur de leurs biensmeubles et des troupeaux qu'ils avaient, et on les conduisaitavec humanit au centre de la Manche et des deux Castilles.La plus grande partie se fixa et s'tablit de nouveau Cas-