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Concurrences Revue des droits de la concurrence e n COMPETITIONS PRATIQUES UNILATÉRALES Chroniques l Concurrences N° 1-2011 – pp. 91-116 FrĂ©dĂ©ric Marty [email protected] l ChargĂ© de recherche CNRS, Groupe de recherche en droit, Ă©conomie et gestion (GREDEG), UniversitĂ© de Nice-Sophia Antipolis Anne-Lise Sibony [email protected] l Professeur de droit europĂ©en, UniversitĂ© de LiĂšge, professeur invitĂ©, UniversitĂ© catholique de Louvain, professeur invitĂ©, universitĂ© Paris II Anne Wachsmann [email protected] l Avocate Ă  la Cour

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ConcurrencesRevue des droits de la concurrence

enCompetitions

Pratiques unilatérales

Chroniques l Concurrences N° 1-2011 – pp. 91-116

FrĂ©dĂ©ric [email protected]

l Chargé de recherche CNRS, Groupe de recherche en droit,économie et gestion (GREDEG), Université de Nice-Sophia Antipolis

Anne-Lise [email protected]

l Professeur de droit européen, Université de LiÚge, professeur invité,Université catholique de Louvain, professeur invité, université Paris II

Anne [email protected]

l Avocate Ă  la Cour

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n.FrĂ©dĂ©ric [email protected]

Chargé de recherche CNRS, Groupe de recherche en droit, économie et gestion (GREDEG),

Université de Nice-Sophia Antipolis

Anne-Lise [email protected]

Professeur de droit européen, université de LiÚge,

professeur invité, Université catholique de Louvain,

professeur invité, université Paris II

Anne Wachsmann*

[email protected]

Avocate Ă  la Cour

Abstracts1. EUMARGIN SQUEEZE – AS EFFICIENT COMPETITOR: 91The CJEU rules for the first time on a margin squeeze case and confirms that partly regulated tarifs by a dominant operator may be abusive. CJEU, 14.10.10, Deutsche Telekom v. Commission, case C-280/08 P

RELEVANT MARKET – PRIMARY MARKET AND AFTERMARKET: 95 The GCEU overrules a decision of the Commission rejecting a complaint lodged by an association of watchmaker-repairersGCEU, 15.12.10, CEAHR v. Commission, case T-427/08

EXCLUSIONARY CONDUCT – VERTICAL INTEGRATION – ENERGY SECTOR – COMMITMENTS: 97The European Commission renders legally binding the Italian gas incumbent’s commitments on gas transportation asset’s divestitureEur. Comm., 29.09.10, ENI, case COMP/39315

2. FranceEXCLUSIONARY CONDUCT – DISCRIMINATION: 103The Paris Court of Appeal rejects an appeal of a biogas market operator against a decision of the French NCA, which found no exclusionary abuse on the part of EDF or its subsidiaries and rejected its application for interim measuresCA Paris, 02.12.10, Euro Power Technology, v. Fr. NCA, 10-D-14

MARKET FORECLOSURE – DISCRIMINATION – EXCLUSIVITY CLAUSE: 104The French NCA issues an opinion on the online advertising market competition situation, while the European Commission initiates antitrust proceedings relative to Google market practicesFr. NCA, 14.12.10, online advertising, opinion 10-A-29 and Eur. Comm. IP/10/1624, 30.11.10, Google

EXCLUSIONARY CONDUCT – EXCLUSIVITY CLAUSES: 110The French NCA will conduct an additional inquiry into risks of anticompetitive preemption on the market for pay TV (fiber network)Fr. NCA, 16.11.10, pay TV, 10-D-32

RELEVANT PRODUCT MARKET - DOMINANT POSITION – PHARMACEUTICAL SECTOR: 113The French NCA dismisses charges in the cetirizine tablets case for lack of dominant position after a detailed analysis of the market definitionFr. NCA, 17.12.10, UCB pharma, 10-D-37

* Avec la collaboration de Bastien Thomas

1. Union eUropéenne

Compression des marges – Ciseau tarifaire – ConCurrent aussi effiCaCe – approChe par les effets – rĂ©gulation seCtorielle : La CJUE rend son premier arrĂȘt sur l’abus par compression de marge et confirme que le ciseau tarifaire constitue un abus mĂȘme lorsque l’un des Ă©lĂ©ments du tarif de l’entreprise en position dominante a Ă©tĂ© approuvĂ© par le rĂ©gulateur sectoriel (CJUE, 14 octobre 2010, Deutsche Telekom c/ Commission, aff. C-280/08 P)

L’arrĂȘt du 14 octobre 2010 dans l’affaire Deutsche Telekom est le premier rendu par la Cour dans un cas de “compression de marge”, puisque tel est le terme choisi par la Cour de prĂ©fĂ©rence Ă  “ciseau tarifaire”, qui avait Ă©tĂ© utilisĂ© par la Commission1, repris par le Tribunal puis adoptĂ© par l’avocat gĂ©nĂ©ral MazĂĄk2. En l’espĂšce, l’opĂ©rateur historique de tĂ©lĂ©communications en Allemagne avait pratiquĂ© des prix de dĂ©tail pour ses services d’accĂšs Ă  Internet qui, compte tenu du prix d’accĂšs Ă  la boucle locale facturĂ© Ă  ses concurrents, “compressaient” les marges bĂ©nĂ©ficiaires de ces derniers lorsqu’ils offraient aux particuliers leurs propres services concurrents pour l’accĂšs Ă  Internet. En effet, l’accĂšs Ă  la boucle locale de l’opĂ©rateur historique Ă©tait pour les opĂ©rateurs concurrents un passage obligĂ©. Le prix de gros facturĂ© par Deutsche Telekom pour cet accĂšs reprĂ©sentait donc pour les nouveaux entrants sur le marchĂ© de l’accĂšs Ă  Internet un coĂ»t inĂ©vitable. Ils devaient acheter cet accĂšs Ă  une infrastructure essentielle sur le marchĂ© amont dominĂ© par Deutsche Telekom pour pouvoir entrer sur le marchĂ© aval libĂ©ralisĂ©. Comme ces nouveaux entrants ne pouvaient par ailleurs pas espĂ©rer pĂ©nĂ©trer sur ce marchĂ© aval s’ils ne proposaient pas aux clients finals des abonnements Ă  Internet plus avantageux que ceux de l’opĂ©rateur en place, ils Ă©taient pris “en ciseau” entre les deux tarifs de l’opĂ©rateur historique. Autrement dit, leur marge bĂ©nĂ©ficiaire Ă©tait “compressĂ©e” au point que l’entrĂ©e sur ce marchĂ© aval nouvellement ouvert Ă  la concurrence ne pouvait ĂȘtre profitable.

La particularitĂ© de l’affaire, sur le plan juridique, tenait au fait que les tarifs d’accĂšs Ă  la boucle locale avaient Ă©tĂ© approuvĂ©s par la Reg TP, le rĂ©gulateur sectoriel, chargĂ© de superviser, en Allemagne, l’ouverture Ă  la concurrence du marchĂ© des tĂ©lĂ©communications. Cette circonstance n’avait pas empĂȘchĂ© la Commission de considĂ©rer que l’écart entre les prix d’accĂšs Ă  la boucle locale et les prix de vente au dĂ©tail des abonnements Ă  Internet Ă©tait abusif. La Cour, aprĂšs le Tribunal, valide cette analyse et admet l’imputabilitĂ© Ă  l’entreprise dominante d’un Ă©cart tarifaire abusif dans la circonstance oĂč l’un des Ă©lĂ©ments de ce tarif est fixĂ© par le rĂ©gulateur (I). Les autres aspects intĂ©ressants de l’arrĂȘt tiennent Ă  la question que ne peut manquer de se poser le commentateur de tout arrĂȘt postĂ©rieur Ă  la communication de la Commission sur les abus-exclusions : comment la Cour se situe-t-elle par rapport Ă  l’approche plus Ă©conomique envisagĂ©e dans cette communication ? À cet Ă©gard, la lecture de l’arrĂȘt conduit Ă  une rĂ©ponse nuancĂ©e : du cĂŽtĂ© de l’accompagnement de la dĂ©marche de la Commission, on relĂšvera que la Cour, dans ce premier arrĂȘt sur un cas d’abus par compression des marges, se rĂ©fĂšre au critĂšre du concurrent aussi efficient (II). Elle consacre aussi la nĂ©cessitĂ© d’apprĂ©cier les effets des pratiques d’éviction (III). Pour autant, l’analyse de ces effets reste relativement abstraite (IV), et il est difficile de mesurer l’exacte portĂ©e d’une nouvelle formule utilisĂ©e par la Cour dans cet arrĂȘt (V).

I. L’imputabilitĂ© des pratiques tarifaires en prĂ©sence de prix rĂ©gulĂ©s : des prix partiellement rĂ©gulĂ©s peuvent ĂȘtre abusifs

Dans son arrĂȘt, le Tribunal avait jugĂ© que le fait que les prix de dĂ©tail pratiquĂ©s par Deutsche Telekom pour l’accĂšs Ă  Internet aient Ă©tĂ© approuvĂ©s par le rĂ©gulateur sectoriel ne supprimait pas toute marge de manƓuvre dans le chef de l’opĂ©rateur

1 La Commission continue pour sa part d’utiliser le terme « ciseau tarifaire Â». V. dĂ©cision Vivendi, infra.

2 Le point 4 de l’arrĂȘt est explicite sur ce choix terminologique.

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n.le schĂ©ma institutionnel de mise en Ɠuvre du droit de la concurrence  : pas plus que la Commission n’est liĂ©e par les apprĂ©ciations des autoritĂ©s nationales de concurrence sur l’application des rĂšgles de concurrence Ă  un cas donnĂ©, elle ne saurait ĂȘtre liĂ©e par les apprĂ©ciations des rĂ©gulateurs sectoriels – qui peuvent en outre avoir des missions autres que d’appliquer les rĂšgles de concurrence. A fortiori, la Commission n’est pas liĂ©e par une dĂ©cision nĂ©gative d’un rĂ©gulateur9. Le fait que, en l’espĂšce, le rĂ©gulateur allemand puisse avoir commis une erreur d’apprĂ©ciation concernant l’existence d’un abus par compression de marges ne saurait faire Ă©chapper Deutsche Telekom Ă  sa responsabilitĂ© ni la protĂ©ger d’une sanction prise par la Commission, puisque cette derniĂšre n’est pas tenue par les dĂ©cisions du rĂ©gulateur.

En ce sens, la confiance qu’une entreprise en position dominante peut placer dans les dĂ©cisions nĂ©gatives du rĂ©gulateur sectoriel paraĂźt n’ĂȘtre pas lĂ©gitime, en tout cas pas digne de protection. La Cour toutefois ne va pas aussi loin, puisqu’elle considĂšre irrecevable le moyen pris de la violation de la confiance lĂ©gitime, au motif qu’il viserait Ă  remettre en cause les apprĂ©ciations du Tribunal et ne soulĂšverait pas de point de droit10. À la lecture de l’arrĂȘt, il est difficile de dire si cela tient Ă  la formulation du moyen, Ă  la lecture qu’en fait la Cour ou aux deux. Il nous semble en tout cas prudent, du point de vue des entreprises concernĂ©es, de tirer de cet arrĂȘt l’enseignement suivant  : l’approbation d’un tarif par le rĂ©gulateur sectoriel ne crĂ©e aucune assurance quant Ă  sa compatibilitĂ© avec l’article 102 TFUE et toute dĂ©fense tirĂ©e de la confiance lĂ©gitime est Ă  cet Ă©gard hasardeuse. En effet, mĂȘme si, encore une fois, la Cour n’a pas Ă©cartĂ© le principe de cette dĂ©fense dans l’arrĂȘt Deutsche Telekom, il existe nĂ©anmoins des raisons en droit pour considĂ©rer qu’une entreprise ne doit pas placer sa confiance dans les dĂ©cisions nĂ©gatives d’une autoritĂ© qui n’est pas compĂ©tente pour les adopter.

II. La compression des marges des concurrents : l’abus est constituĂ© si la tarification est de nature Ă  exclure des concurrents aussi efficaces

En ce qui concerne l’analyse au fond, l’arrĂȘt rapportĂ© est le premier rendu par la Cour dans une affaire de compression de marges. Il Ă©nonce donc pour la premiĂšre fois les conditions auxquelles ce type de schĂ©ma tarifaire constitue un abus. Rappelons Ă  cet Ă©gard, une fois encore, que l’hypothĂšse de compression de marges ne concerne pas un prix abusif, mais un Ă©cart de prix abusif. C’est l’écart entre le prix d’accĂšs Ă  une infrastructure essentielle (ici la boucle locale) et le prix de dĂ©tail sur le marchĂ© aval qui est concernĂ©. Si cet Ă©cart est trop faible, les concurrents de l’entreprise en position dominante, pour qui le premier de ces prix reprĂ©sente un coĂ»t inĂ©vitable, ne peuvent entrer profitablement sur le marchĂ© aval.

La Cour rappelle que la liste des exemples d’abus contenue dans le paragraphe 2 de l’article 102 TFUE n’est pas exhaustive11 et confirme que la compression des marges peut constituer

9 Sur l’absence de compĂ©tence des autoritĂ©s nationales de concurrence pour adopter des dĂ©cisions nĂ©gatives (constatant, par exemple, l’absence d’infraction Ă  l’article 102 TFUE), v. infra, rubrique « Ă€ noter Â», concl. MazĂĄk dans l’affaire C-375/09.

10 Pt 105 et suiv.

11 Pt 173.

historique3. En effet, celui-ci aurait pu solliciter une hausse de ses tarifs de dĂ©tail et rĂ©duire ainsi l’effet de ciseau tarifaire. DĂšs lors, l’infraction Ă  l’article 102 TFUE consistant en une tarification qui avait pour effet de compresser les marges de ses concurrents lui Ă©tait imputable.

Dans son pourvoi, Deutsche Telekom ne niait pas avoir disposĂ© d’une marge de manƓuvre (il s’agit lĂ  d’une question de fait et une telle prĂ©tention aurait Ă©tĂ© inopĂ©rante au stade du pourvoi)4. En revanche, elle faisait valoir que, en droit, l’existence d’une marge de manƓuvre ne devait pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme suffisante pour Ă©tablir l’imputabilitĂ© d’un abus tarifaire en prĂ©sence de prix rĂ©gulĂ©s5. La Cour Ă©tait donc amenĂ©e Ă  trancher une question qui concerne non seulement l’articulation entre droit de la concurrence et rĂ©gulation sectorielle, mais aussi la portĂ©e de la responsabilitĂ© spĂ©ciale des entreprises en position dominante.

Concernant l’imputabilitĂ© Ă  une entreprise en position dominante d’une pratique tarifaire contraire Ă  l’article  102 TFUE lorsque les tarifs litigieux ont Ă©tĂ© approuvĂ©s par une autoritĂ© de rĂ©gulation, la Cour confirme le raisonnement du Tribunal  : tant que la rĂ©gulation laisse une marge de manƓuvre Ă  l’entreprise en position dominante, l’usage que fait celle-ci de sa marge de libertĂ© lui est imputable. La Cour rappelle Ă  cet Ă©gard la jurisprudence – commune aux articles  101 et 102 TFUE – selon laquelle une restriction de concurrence s’apprĂ©cie par rapport Ă  la concurrence qui est possible (ou “praticable”), compte tenu du cadre rĂ©glementaire6. Ce n’est donc que lorsqu’une entreprise est obligĂ©e par le droit interne Ă  adopter un comportement contraire au droit de la concurrence que celui-ci ne lui est pas imputable. En revanche, lorsqu’une entreprise en position dominante est seulement “incitĂ©e” Ă  maintenir des tarifs contraires Ă  l’article  102 TFUE, cela ne suffit pas Ă  rendre cette disposition inapplicable7. La responsabilitĂ© spĂ©ciale d’une entreprise en position dominante et soumise Ă  une rĂ©gulation sectorielle comprend donc l’obligation d’auto-Ă©valuer la licĂ©itĂ© de son comportement au regard de l’article 102 TFUE, et ce, indĂ©pendamment des apprĂ©ciations du rĂ©gulateur (en l’espĂšce, la Reg TP avait Ă©cartĂ© Ă  plusieurs reprises le reproche tirĂ© d’une compression de marges restrictive de concurrence8).

Cet aspect de la responsabilitĂ© spĂ©ciale d’une entreprise rĂ©gulĂ©e paraĂźtra sans doute bien exigeant aux entreprises concernĂ©es, puisqu’il signifie qu’elles ne doivent pas se fier aux apprĂ©ciations du rĂ©gulateur quant Ă  l’application de l’article  102 TFUE. Cela n’en est pas moins cohĂ©rent avec

3 TPICE, 10 avril 2008, Deutsche Telekom c/ Commission, aff. T-271/03, Rec. p. II-477, pts 85 et suiv., Concurrences, n° 2-2008, cette chronique, p. 112.

4 Par ailleurs, il est apparu devant la Cour que la marge de manƓuvre de Deutsche Telekom ne portait peut-ĂȘtre pas uniquement sur les prix de dĂ©tail. Les tarifs d’accĂšs Ă  la boucle locale, que le Tribunal avait supposĂ©s fixĂ©s par le rĂ©gulateur, comme il y Ă©tait invitĂ©, Ă©taient en effet eux aussi fixĂ©s par le rĂ©gulateur sur la base des propositions de l’opĂ©rateur historique. Ce point de fait est naturellement en dehors du cadre du pourvoi dont est saisie la Cour. Du reste, mĂȘme s’il avait Ă©tĂ© Ă©tabli Ă  un stade antĂ©rieur de la procĂ©dure, l’analyse de l’affaire n’aurait pas Ă©tĂ© modifiĂ©e, puisque la marge de manƓuvre de Deutsche Telekom n’en aurait Ă©tĂ© que plus grande.

5 Pt 66.

6 Pt 80.

7 Pt 84.

8 Pts 70 et 99.

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n.la Commission. Il en va de mĂȘme sur un autre point, qui est une vĂ©ritable question de principe concernant l’insertion d’une l’approche Ă©conomique dans le droit de l’abus de position dominante : faut-il apprĂ©cier les effets des pratiques pour les qualifier d’abusives  ? La Cour rĂ©pond clairement oui, mĂȘme si elle valide une approche relativement abstraite.

III. L’exigence d’apprĂ©ciation des effets

L’arrĂȘt Deutsche Telekom marque une ouverture claire Ă  une analyse des effets. La clartĂ© de la Cour sur la nĂ©cessitĂ© d’une analyse des effets est, sauf erreur, sans prĂ©cĂ©dent. Il faut dire que la question Ă©tait trĂšs clairement posĂ©e : devant le Tribunal, la Commission avait soutenu que, en l’état du droit de l’Union issu de la jurisprudence concernant les abus de position dominante, aucune dĂ©monstration d’un effet anticoncurrentiel n’était nĂ©cessaire19. Le Tribunal avait rejetĂ© cette affirmation et jugĂ© que “l’effet anticoncurrentiel que la Commission est tenue de dĂ©montrer se rapporte aux entraves Ă©ventuelles que les pratiques tarifaires de [l’entreprise en position dominante] ont pu causer au dĂ©veloppement de la concurrence sur le marchĂ© [aval]”20 (effet sur les concurrents donc, plus que sur les consommateurs). La Cour prĂ©cise que c’est Ă  bon droit que le Tribunal a jugĂ© ainsi21.

Elle juge aussi, en rĂ©ponse aux arguments du pourvoi, que, dans une hypothĂšse comme celle en cause, oĂč la compression des marges concerne les tarifs d’accĂšs Ă  une infrastructure essentielle, l’effet d’éviction est automatique  : comme les concurrents n’ont d’autre choix que de recourir Ă  cette infrastructure, ils subissent nĂ©cessairement un effet d’éviction si l’écart entre le coĂ»t d’accĂšs Ă  cette infrastructure et les prix de dĂ©tail avec lesquels les leurs doivent ĂȘtre concurrentiels est trop faible. Autrement dit, l’effet d’éviction rĂ©sulte du caractĂšre nĂ©cessaire de l’accĂšs Ă  l’infrastructure essentielle.

En revanche, la Cour indique – ce qui pourrait peut-ĂȘtre constituer une ouverture Ă  une analyse plus concrĂšte dans d’autres cas – que “en l’absence du moindre effet sur la situation concurrentielle des concurrents, une pratique tarifaire telle celle en cause ne saurait ĂȘtre qualifiĂ©e de pratique d’éviction lorsque la pĂ©nĂ©tration de ces derniers sur le marchĂ© concernĂ© n’est en rien rendue plus difficile par cette pratique22”. Sans doute, le standard est peu exigeant (“moindre effet”, “en rien”) et l’ouverture est donc timide. Il n’est pas non plus Ă©vident d’apercevoir Ă  quelles hypothĂšses factuelles elle pourrait se rapporter (y aurait-il compression de marges si l’accĂšs n’était pas essentiel Ă  l’entrĂ©e sur le marchĂ© aval ?23). Toujours est-il que la Cour a jugĂ© qu’une dĂ©monstration des effets d’éviction est exigĂ©e. Sans constituer une rĂ©volution, il nous semble donc que l’arrĂȘt Deutsche Telekom signale que la Cour est disposĂ©e Ă  laisser une approche plus Ă©conomique de l’abus de position dominante se dĂ©velopper. Un dĂ©veloppement lent est cependant Ă  prĂ©voir, dans la mesure oĂč la Cour, conformĂ©ment Ă  sa jurisprudence antĂ©rieure, mais avec des

19 Pt 246.

20 ArrĂȘt du tribunal, citĂ© supra note 3, pt 235.

21 Pt 250.

22 Pt 254.

23 V. sur ce point la dĂ©cision 10-D-31 de l’AutoritĂ© de la Concurrence, infra (rubrique « Ă€ noter Â»)

un abus. À vrai dire, elle le fait en passant, car l’existence de ce type d’abus n’était pas contestĂ©e par la requĂ©rante, qui soutenait en revanche que les critĂšres d’apprĂ©ciation d’une compression des marges abusive devaient ĂȘtre adaptĂ©s dans le cas oĂč, comme en l’espĂšce, les tarifs de l’entreprise en position dominante Ă©taient rĂ©gulĂ©s12. Il est toutefois intĂ©ressant de relever que, Ă  travers un point non contestĂ©, le critĂšre du concurrent aussi efficace est adoptĂ© par la Cour. Celle-ci Ă©nonce en effet que “pour autant que [l’entreprise en position dominante] dispose d’une marge de manƓuvre pour rĂ©duire ou Ă©liminer une telle compression des marges par l’augmentation de ses prix de dĂ©tail pour les services d’accĂšs aux abonnĂ©s [
], cette compression de marges, eu Ă©gard Ă  l’effet d’éviction qu’elle est susceptible d’engendrer pour les concurrents aussi efficaces que [l’entreprise en position dominante], est susceptible, en elle-mĂȘme, de constituer un abus au sens de l’article [102, TFUE]13”.

Le critĂšre du concurrent aussi efficace, promu par la communication de la Commission sur les abus-exclusions se trouve ainsi admis par la Cour. Il convient de souligner qu’il ne l’est pas uniquement dans l’hypothĂšse particuliĂšre de la compression de marges. En effet, dans le passage le plus important de l’arrĂȘt (pts 174-183), la Cour discute l’insertion de cette forme d’abus dont elle connaĂźt pour la premiĂšre fois au sein de sa jurisprudence. Au point 177 de l’arrĂȘt, c’est en termes gĂ©nĂ©raux que la Cour Ă©nonce la pertinence du critĂšre du concurrent aussi efficace. Elle juge en effet que “l’article [102, TFUE] interdit, notamment, Ă  une entreprise en position dominante de se livrer Ă  des pratiques tarifaires produisant des effets d’éviction pour les concurrents aussi efficaces, actuels ou potentiels14”. Il est vrai que la gĂ©nĂ©ralitĂ© de cette affirmation reste limitĂ©e aux pratiques tarifaires, mais il en est de mĂȘme dans la communication de la Commission15.

Sans doute peut-on considĂ©rer que ce n’est pas la premiĂšre rĂ©fĂ©rence de la Cour Ă  au critĂšre du conçurent aussi efficient : comme la Commission le relĂšve dans sa communication16, la Cour s’y Ă©tait rĂ©fĂ©rĂ©e dans son arrĂȘt AKZO17, lorsqu’elle avait indiquĂ©, Ă  propos des prix prĂ©dateurs que “[c]es prix peuvent Ă©carter du marchĂ© des entreprises, qui sont peut-ĂȘtre aussi efficaces que l’entreprise dominante mais qui, en raison de leurs capacitĂ©s financiĂšres moindres, sont incapables de rĂ©sister Ă  la concurrence qui leur est faite18”. Le critĂšre n’avait toutefois pas la mĂȘme portĂ©e que dans l’arrĂȘt Deutsche Telekom, car il prenait place alors dans l’énoncĂ© d’une justification de l’interdiction des prix prĂ©dateurs. Dans l’arrĂȘt commentĂ© en revanche, il s’agit d’une condition nĂ©cessaire pour que la compression de marges soit qualifiĂ©e d’abus. Sur ce point, l’arrĂȘt est donc d’assez bon augure en ce qui concerne la rĂ©ception par la Cour de l’approche promue par

12 Pt 163.

13 Pt 183, nous soulignons.

14 Pt 177, nous soulignons.

15 Communication de la Commission, “Orientations sur les prioritĂ©s retenues par la Commission pour l’application de l’article  82 du traitĂ© CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes”, JO, C 45, 24 fĂ©vr. 2009, p. 7-20, § 23. Ce paragraphe se trouve dans la partie III, “Approche gĂ©nĂ©rale Ă  l’égard des pratiques d’éviction”, dans la section C, “Pratiques d’éviction fondĂ©es sur les prix”.

16 Note 17 de la Communication préc. (supra note 15)

17 CJCE, 3 juillet 1991, AKZOChemie c/ Commission, 62/86, Rec. p. I-3359.

18 AKZO, préc., pt 72.

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n.des pratiques sur les consommateurs  ? Pourrait-on dĂ©finir, sinon des exigences probatoires, du moins des exigences de motivation plus prĂ©cises concernant le prĂ©judice des consommateurs ? Gageons que les plaideurs sauront poser Ă  nouveau ces questions aux juridictions de l’Union.

Effets d’éviction des concurrents

En ce qui concerne l’analyse des effets d’éviction, l’effectivitĂ© de l’approche Ă©conomique Ă  laquelle la Cour semble disposĂ©e Ă  s’ouvrir en principe – en adoptant le critĂšre du concurrent aussi efficace – dĂ©pendra en pratique de l’application de ce critĂšre. LĂ  encore, il apparaĂźt dans l’arrĂȘt commentĂ© qu’une approche raisonnablement abstraite peut ĂȘtre suffisante.

Le premier Ă©lĂ©ment d’abstraction dans l’approche des effets d’éviction est dĂ©jĂ  connu : il ne s’agira pas d’examiner si un concurrent donnĂ© est ou non aussi efficace que l’entreprise en position dominante. Comme la Commission le recommande dans sa communication et comme l’avait jugĂ© le Tribunal dans l’arrĂȘt qui se trouve ici confirmĂ©, comme la Cour elle-mĂȘme l’avait dĂ©jĂ  jugĂ© dans son arrĂȘt Wanadoo, c’est par rapport aux coĂ»ts de l’entreprise en position dominante elle-mĂȘme que le critĂšre sera appliquĂ©29. La question pertinente est donc de savoir si, en imaginant par un exercice mental que l’entreprise en position dominante se trouve en position de nouvel entrant sur le marchĂ© aval et en tenant compte des coĂ»ts d’accĂšs Ă  l’infrastructure essentielle qu’elle devrait alors subir, ainsi que de ses autres coĂ»ts pertinents, elle pourrait ou non entrer profitablement sur le marchĂ© aval. Comme nous l’avions Ă©crit Ă  propos de l’arrĂȘt du Tribunal30, les entreprises en position dominante sont donc invitĂ©es Ă  appliquer Ă  leur comportement tarifaire une Ă©thique de la rĂ©ciprocitĂ©, exprimĂ©e dans ce qu’on appelle parfois la rĂšgle d’or de la morale  : “Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse.”

L’approche est encore abstraite et gĂ©nĂ©rale en ce que la circonstance allĂ©guĂ©e par Deutsche Telekom, selon laquelle elle aurait Ă©tĂ© soumise Ă  une rĂ©gulation asymĂ©trique, est jugĂ©e sans pertinence31. Le standard Ă  l’aune duquel le critĂšre du concurrent aussi efficace est appliquĂ© est donc celui d’un concurrent hypothĂ©tique, ayant exactement les mĂȘmes coĂ»ts que ceux de l’entreprise en position dominante. Le fait que ce concurrent fictif puisse ne pas correspondre Ă  une hypothĂšse rĂ©aliste – par exemple, parce que l’entreprise en position dominante est la seule Ă  pouvoir rĂ©aliser des Ă©conomies d’échelle – est sans importance. En effet, ce mode de raisonnement ne tire pas sa justification de son ancrage dans la rĂ©alitĂ© des circonstances de chaque espĂšce, mais dans la sĂ©curitĂ© juridique qu’il confĂšre aux entreprises en position dominante, du fait que celles-ci ne peuvent connaĂźtre les coĂ»ts de leurs concurrents mais bien les leurs32.

De la mĂȘme maniĂšre, c’est une approche principielle de l’égalitĂ© des chances entre concurrents qui conduit la Cour Ă  rejeter le moyen pris du fait que le Tribunal n’avait pas examinĂ© concrĂštement les possibilitĂ©s pour les concurrents

29 Pts 196 et 198.

30 Concurrences, n° 2-2008, cette chronique, p. 114.

31 Pt 203.

32 Pt 202.

Ă©volutions qui mĂ©ritent d’ĂȘtre signalĂ©es, admet une approche des effets que l’on peut qualifier de raisonnablement abstraite24.

IV. L’approche des effets reste raisonnablement abstraite

Effets sur les consommateurs

Le fait qu’une apprĂ©ciation relativement abstraite des effets satisfasse aux exigences de la Cour se marque, en ce qui concerne l’apprĂ©ciation des effets sur les consommateurs, dans le raisonnement par lequel la Cour rejette l’objection formulĂ©e par Deutsche Telekom selon laquelle, pour Ă©viter l’abus qui lui est reprochĂ©, elle aurait dĂ» augmenter ses prix de dĂ©tail. Dans le cadre d’un pourvoi, la Cour n’examine naturellement pas la question factuelle de savoir si une telle augmentation des prix de l’opĂ©rateur historique aurait, en l’espĂšce, nuit aux consommateurs allemands. En revanche, elle statue en ce sens que, en droit, “la seule circonstance que la requĂ©rante devait augmenter ses prix de dĂ©tail pour les services d’accĂšs aux abonnĂ©s pour Ă©viter la compression des marges des concurrents aussi efficaces qu’elle-mĂȘme n’est nullement, en tant que telle, de nature Ă  Ă©carter la pertinence du critĂšre retenu25”. Cette affirmation, qui suit le rappel de l’objectif de protection des consommateurs26, trouve sa justification dans l’horizon temporel long auquel se rĂ©fĂšre la Cour. Elle juge en effet que “la compression de marges [
] a Ă©galement pour effet que les consommateurs subissent un dommage du fait de la limitation de leurs possibilitĂ©s de choix et, partant, de la perspective d’une rĂ©duction, Ă  plus long terme, des prix de dĂ©tail en raison de la concurrence exercĂ©e par les concurrents au moins aussi efficaces sur ledit marchĂ©27”.

Il se dĂ©gage de ce passage l’impression que l’effet du comportement reprochĂ© Ă  l’entreprise en position dominante sur les consommateurs est pris en considĂ©ration, mais qu’il peut ĂȘtre Ă©tabli, comme par le passĂ©, par un raisonnement relativement abstrait. En rĂ©alitĂ©, l’adoption du critĂšre du concurrent aussi efficace permet d’affiner une prĂ©somption qui existait dĂ©jĂ  dans la jurisprudence, selon laquelle les consommateurs souffrent d’une altĂ©ration de la structure du marchĂ© ; le structuralisme initial cĂšde le pas Ă  une approche plus en cohĂ©rence avec l’analyse Ă©conomique contemporaine, mais l’approche par prĂ©somption n’est pas remise en cause. Faut-il du reste le regretter ? Ce n’est pas certain. En effet, une exigence de dĂ©monstration in concreto du prĂ©judice subi par les consommateurs paraĂźt impraticable Ă  plusieurs Ă©gards, ne serait-ce que parce que ce prĂ©judice ne peut ĂȘtre Ă©tabli avant d’ĂȘtre rĂ©alisĂ©. Or, il est certain que la Commission n’a pas l’obligation d’attendre que l’abus soit consommĂ© pour le sanctionner28. Pourra-t-on nĂ©anmoins aller plus loin et trouver un meilleur compromis entre une approche tout Ă  fait abstraite et une approche tout Ă  fait concrĂšte de l’effet

24 Nous empruntons cette expression Ă  la Cour elle-mĂȘme, qui l’a utilisĂ©e dans un autre contexte, en matiĂšre de libre circulation des marchandises, dans l’arrĂȘt du 10 fĂ©vrier 2009, Commission/Italie, C-110/05, Rec. p. I-519, pt 31.

25 Pt 181.

26 Pt 180.

27 Pt 182.

28 Voir notamment pt 254.

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n.les pratiques susceptibles de causer un prĂ©judice immĂ©diat aux consommateurs, mais Ă©galement celles qui leur causent prĂ©judice en portant atteinte au jeu de la concurrence
”

Il n’est pas certain que cette modification lexicale soit dĂ©cisive. Du reste, les formules, surtout les mieux ancrĂ©es, ne sont modifiĂ©es durablement que par la rĂ©pĂ©tition d’une nouvelle formule, et la nouvelle rĂ©daction ci-dessus est donc encore trop jeune pour accĂ©der mĂȘme au statut de nouvelle formule. Il faut donc se contenter pour l’heure de relever que la Cour fait peut-ĂȘtre ici une ouverture vers une conception de la notion de restriction de concurrence qui ne serait plus aussi structuraliste que par le passĂ©. La responsabilitĂ© spĂ©ciale des entreprises en position dominante ne serait plus de prĂ©server la structure du marchĂ©, mais la concurrence. Souhaitons longue vie Ă  cette nuance  ! Elle pourrait en effet ĂȘtre importante pour l’introduction d’une approche plus Ă©conomique, dans la mesure oĂč elle pourrait signifier qu’il ne suffit plus d’établir que le comportement en cause est de nature Ă  provoquer une altĂ©ration de la structure de marchĂ© (Ă©viction d’un concurrent) pour conclure Ă  un abus. Le prĂ©judice rĂ©sultant, pour les consommateurs, du comportement de l’entreprise en position dominante pourrait ne plus ĂȘtre prĂ©sumĂ© Ă  partir de l’effet sur la structure du marchĂ©42. Ce serait du reste cohĂ©rent avec le critĂšre du concurrent aussi efficace consacrĂ© dans le prĂ©sent arrĂȘt : l’abus ne serait pas constituĂ© par l’éviction de n’importe quel concurrent, mais seulement par celle d’un concurrent aussi efficace.

À petits pas donc, et pour toutes les raisons qui prĂ©cĂšdent, il est possible de lire dans l’arrĂȘt Deutsche Telekom plusieurs indices de la rĂ©ceptivitĂ© de la Cour Ă  l’approche mise en avant par la Commission sur les abus-exclusions. À tout le moins, la Cour ne fait pas obstacle au dĂ©veloppement d’une approche plus Ă©conomique des abus-exclusions.

A.-L. S n

dĂ©limitation de marChĂ©s de produits – marChĂ© primaire et marChĂ© de l’aprĂšs-vente : Le Tribunal de l’UE annule la dĂ©cision de la Commission de rejeter la plainte d’une association d’horlogers-rĂ©parateurs (Trib. UE, 15 dĂ©cembre 2010, CEAHR c/ Commission, aff. T–427/08)

Saisie par la ConfĂ©dĂ©ration europĂ©enne des associations d’horlogers-rĂ©parateurs (“CEAHR”) de pratiques allĂ©guĂ©es d’entente et d’abus de position dominante contre six fabricants de montres de luxe, la Commission europĂ©enne (“la Commission”) avait, dans une dĂ©cision du 10 juillet 2008, rejetĂ© la plainte en l’absence d’un intĂ©rĂȘt communautaire suffisant pour poursuivre l’enquĂȘte.

La CEAHR avait alors formé devant le Tribunal un recours en annulation contre cette décision de rejet (voir cette revue,

42 Sur cette infĂ©rence caractĂ©ristique de la jurisprudence europĂ©enne en matiĂšre d’abus de position dominante, voir E. Rousseva, Rethinking Exclusionary Abuses in EC Competition Law, Hart Publishing, OUP, 2010 ; L. Lovdahl Gormsen, “The conflict between economic freedom and consumer welfare in the modernisation of Article 82 EC”, European Competition Law Journal, 2007, p. 329-344 ; L. Lovdahl Gormsen, A Principled Approach to Abuse of Dominance in European Competition Law, Cambridge UP, “Cambridge Antitrust and Competition Law Series”, 2010.

de Deutsche Telekom de compenser par des subventions croisĂ©es les pertes qu’ils subissaient, du fait du comportement en cause, en ce qui concerne les abonnements Ă  Internet (ils auraient pu se rattraper sur le prix des communications tĂ©lĂ©phoniques). Selon la Cour, le Tribunal Ă©tait en droit de ne pas Ă©tendre son analyse au-delĂ  du marchĂ© concernĂ© (l’accĂšs Ă  Internet et non les communications tĂ©lĂ©phoniques) pour apprĂ©cier la viabilitĂ© des concurrents33. Le contrĂŽle effectuĂ© par le Tribunal, que la requĂ©rante jugeait excessivement restreint et “incompatible avec l’état de la science Ă©conomique” est donc jugĂ© suffisant par la Cour34.

V. Vers une nouvelle formule de l’abus ?

La jurisprudence de la Cour se construit par formules35. Les formules de la Cour, ce sont ces paragraphes familiers qui reviennent d’arrĂȘt en arrĂȘt, comme des refrains de la jurisprudence. En ce qui concerne l’abus de position dominante, la formule historique est celle de l’arrĂȘt Hoffmann-La Roche selon laquelle “l’article [102, TFUE] vise les comportements qui sont de nature Ă  influencer la structure du marchĂ© oĂč, Ă  la suite prĂ©cisĂ©ment de la prĂ©sence de l’entreprise en question, le degrĂ© de concurrence est dĂ©jĂ  affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours Ă  des moyens diffĂ©rents de ceux qui gouvernent une compĂ©tition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opĂ©rateurs Ă©conomiques, au maintien du degrĂ© de concurrence existant encore sur le marchĂ© ou au dĂ©veloppement de cette concurrence36”. Cette formule est rĂ©pĂ©tĂ©e dans la plupart des arrĂȘts – sinon tous – rendus en matiĂšre d’abus de position dominante. Elle l’est encore dans l’arrĂȘt commentĂ©37.

Toutefois, ce paragraphe si souvent rĂ©pĂ©tĂ© de l’arrĂȘt Hoffmann-La Roche n’est pas la seule formule de l’abus. Une autre, presque aussi frĂ©quemment prĂ©sente38, est issue des arrĂȘts United Brands et Michelin I lus conjointement  : “L’article [102, FTUE] visant non seulement les pratiques susceptibles de causer un prĂ©judice immĂ©diat aux consommateurs, mais Ă©galement celles qui leur causent prĂ©judice en portant atteinte Ă  une structure de concurrence effective39, il incombe Ă  l’entreprise qui dĂ©tient une position dominante une responsabilitĂ© particuliĂšre de ne pas porter atteinte par son comportement Ă  une concurrence effective et non faussĂ©e dans le marchĂ© commun40”. Cette derniĂšre formule, qui Ă©tait encore citĂ©e telle quelle dans l’arrĂȘt Wanadoo41 subit une lĂ©gĂšre modification dans l’arrĂȘt rapportĂ©. En effet, la rĂ©fĂ©rence Ă  la structure du marchĂ© – issue de l’arrĂȘt United Brands – disparaĂźt dans le passage suivant  : “L’article [102, TFUE] visant ainsi non seulement

33 Pts 233-236.

34 Pt 244.

35 Voir sur ce point L. Azoulai, “La fabrication de la jurisprudence communautaire”, dans P. Mbongo et A. Vauchez (dir.), Dans la fabrique du droit europĂ©en : ScĂšnes, acteurs et publics de la Cour de justice des CommunautĂ©s europĂ©ennes, Bruylant, Bruxelles, 2009, p. 153.

36 CJCE, 13 fĂ©vr. 1979, Hoffmann-La Roche c/ Commission, 85/76, Rec. p. 461, pt 91.

37 Pt 174.

38 Nous n’avons pas effectuĂ© de comptage prĂ©cis.

39 CJCE, 21 fĂ©vr. 1973, Europemballage et Continental Can c/ Commission, 6/72, Rec. p. 215, pt 26.

40 CJCE, 9 nov. 1983, Michelin c/ Commission, 322/81, Rec. p. 3461, pt 57.

41 CJCE, 2 avril 2009, France TĂ©lĂ©com c/ Commission, C-202/07 P, Rec. p. I-2369, pt 105.

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n.des trois hypothĂšses de marchĂ©s possibles dans une situation telle que celle de l’espĂšce46, les deux autres Ă©tant :

– l’existence, d’une part, d’un marchĂ© regroupant tous les produits primaires (toutes marques confondues) et, d’autre part, d’un marchĂ© des piĂšces dĂ©tachĂ©es et des services de rĂ©paration nĂ©cessaires pour l’usage et l’entretien de ces produits ;

– l’existence, d’une part, d’un marchĂ© de tous les produits primaires (toutes marques confondues) et, d’autre part, de marchĂ©s secondaires des piĂšces dĂ©tachĂ©es et des services pour chaque marque.

Une telle dĂ©limitation d’un “marchĂ© de systĂšme” diffĂšre de la pratique des autoritĂ©s françaises dans ce secteur, qui tend Ă  segmenter nettement marchĂ© primaire et marchĂ© de l’aprĂšs-vente. Le Conseil de la concurrence, suivant en cela la Cour d’appel de Paris, a ainsi eu l’occasion de dĂ©finir :

– un “marchĂ© des montres haut de gamme ou montresde luxe” 47;

– un “marchĂ© de la rĂ©paration horlogĂšre” caractĂ©risĂ© par “la qualification de la main d’Ɠuvre et par le type de produits rĂ©parĂ©s, montres et horloges de haut ou de trĂšs haut de gamme, seuls produits pour lesquels une rĂ©paration coĂ»teuse se justifie”48.

On relĂšvera le fait que le Conseil de la concurrence avait Ă©galement eu l’occasion de retenir un segment des “montres dont le prix est supĂ©rieur Ă  1 000 â‚Źâ€49.

Pour le Tribunal, la Commission ne s’est pas trompĂ©e sur l’utilisation de la notion de “montres de luxe ou de prestige” Ă  la place de la notion de “montres qui valent la peine d’ĂȘtre rĂ©parĂ©es”. Il relĂšve en effet que la Commission n’a pas commis d’erreur dans la mesure oĂč la demande de piĂšces de rechange n’existe que pour les “montres chĂšres”, de 1 500 Ă  4 000 euros, soit 60 Ă  160 plus que le prix de la montre la moins chĂšre “remplissant sa fonction principale de façon fiable”, soit 25 euros (§ 73-74).

En revanche, le Tribunal ne suit pas la Commission dans la seconde partie de son raisonnement qui consiste Ă  agrĂ©ger piĂšces de rechange, d’une part, et services aprĂšs-vente, d’autre part, dans un mĂȘme marchĂ© pertinent.

S’agissant des piĂšces de rechange propres Ă  une marque de montre, la Commission a en effet considĂ©rĂ© que ce marchĂ© peut ne pas constituer un marchĂ© pertinent dans le cas oĂč “le consommateur peut se tourner vers les piĂšces de rechange fabriquĂ©es par un autre producteur” ou bien lorsque “le

46 Cf. R. O’Donoghue et A. Jorge Padilla, The Law And Economics of Article 82 EC, Hart Publishing, 2006, p. 103.

47 ArrĂȘt de la Cour d’appel de Paris, 9 dĂ©c. 1997, Rolex  ; dĂ©c. Cons. conc. n°  03-D-60, 17 dĂ©c. 2003, relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre dans le secteur de l’horlogerie de luxe, § 28 ; arrĂȘt de la Cour d’appel de Paris, 29 juin 2004, Marcout-Soulhol c/ Cartier ; dĂ©c. Cons. conc. n° 05-D-46, 28 juil. 2005, relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre par la sociĂ©tĂ© Jaeger-Lecoultre, §  2, voir notamment obs. A. Wachsmann, Concurrences, n° 4-2005, p. 75.

48 DĂ©c. Cons. conc. n° 05-D-46, 28 juil. 2005, relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre par la sociĂ©tĂ© Jaeger-Lecoultre, § 2.

49 DĂ©c. Cons. conc. n°  06-D-24, 24 juil. 2006, relative Ă  la distribution des montres commercialisĂ©es par Festina France, § 25.

Chronique ProcĂ©dures, infra, pour les moyens procĂ©duraux soulevĂ©s par la CEAHR) et a obtenu gain de cause avec l’arrĂȘt du 15 dĂ©cembre 2010.

La CEAHR avait en effet considéré dans sa plainte que les fabricants de montres de luxe, en refusant de continuer à approvisionner les réparateurs de montres indépendants, avaient abusé de leur position dominante et avaient participé à une entente.

Cette question de la dĂ©limitation des marchĂ©s pertinents dans le cas des services aprĂšs-vente a Ă©tĂ© souvent abordĂ©e par les juridictions de l’Union europĂ©enne. La Cour et le Tribunal ont ainsi eu l’occasion de constater l’existence d’un marchĂ© des piĂšces de rechange d’une marque, distinct de celui du produit primaire et des piĂšces de rechange des autres marques. Tel avait Ă©tĂ© le cas dans l’affaire Hugin43 , oĂč la Cour de justice avait considĂ©rĂ© qu’il existait une demande spĂ©cifique de piĂšces dĂ©tachĂ©es Hugin pour les caisses enregistreuses de mĂȘme marque, celles-ci ne pouvant ĂȘtre remplacĂ©es par les piĂšces dĂ©tachĂ©es faites pour les caisses enregistreuses d’une autre marque. Dans les affaires Hilti44 et Tetra Pak45, un marchĂ© propre Ă  une marque de produits avait Ă©tĂ© dĂ©fini : respectivement un marchĂ© des clous compatibles avec les pistolets de scellement Hilti et un marchĂ© des cartons destinĂ©s aux machines de conditionnement Tetra Pak.

Dans la prĂ©sente affaire, alors que la CEAHR considĂ©rait qu’il existait un marchĂ© des “services de rĂ©paration et d’entretien des montres qui valent la peine d’ĂȘtre rĂ©parĂ©es” (§ 50), la Commission avait estimĂ© que les activitĂ©s de service d’entretien et de rĂ©paration ne constituaient pas un marchĂ© pertinent mais devaient ĂȘtre examinĂ©es “conjointement avec le marchĂ© primaire” (§ 53), c’est-Ă -dire avec les produits eux-mĂȘmes, “montres de luxe ou de prestige” (§  52). De mĂȘme, la Commission avait considĂ©rĂ© qu’elle ne disposait pas des Ă©lĂ©ments pertinents pour conclure que “la fourniture de piĂšces de rechange” constituait un marchĂ© distinct (§ 57). C’est donc sur un “marchĂ© pertinent” trĂšs Ă©largi constituĂ© du “marchĂ© primaire des montres de luxe ou de prestige”, comprenant les “marchĂ©s de l’aprĂšs-vente connexes de rĂ©paration et d’entretien, d’une part, et des piĂšces de rechange, d’autre part” (§ 57), que la Commission a analysĂ© l’existence d’une Ă©ventuelle entente et d’une Ă©ventuelle position dominante collective des fabricants.

En somme, la CEAHR reprochait Ă  la Commission d’avoir effectuĂ© un double mouvement dans son analyse : d’une part, une rĂ©duction des produits en cause aux seules montres de luxe ou de prestige au lieu d’une catĂ©gorie plus large des montres “valant la peine d’ĂȘtre rĂ©parĂ©es”, qui semblait cependant assez vague et moins claire que la notion de “montres de luxe” ; d’autre part, une agrĂ©gation, dans le mĂȘme marchĂ©, des produits (les montres) avec les services aprĂšs-vente et les services de rĂ©paration et de fourniture de piĂšces.

La dĂ©limitation retenue par la Commission correspond en rĂ©alitĂ© Ă  celle d’un “marchĂ© de systĂšme” (§  103) incluant Ă  la fois les produits et les piĂšces dĂ©tachĂ©es et les services nĂ©cessaires pour l’entretien de ces produits. Il s’agit de l’une

43 CJCE, 31 mai 1979, Hugin Kassaregister et Hugin Cash Registers, aff. C-22/78.

44 TPICE, 12 déc. 1991, Hilti, aff. T-30/89 et CJCE, 2 mars 1994, Hilti, aff. C-53/92.

45 TPICE, 6 oct. 1994, Tetra Pak International, aff. T-83/91.

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n.sur le fondement de la seule analyse dĂ©veloppĂ©e dans la dĂ©cision de rejet de la plainte, que les services de rĂ©paration et d’entretien des montres appartenaient au mĂȘme marchĂ© que les montres de luxe ou de prestige.

Une fois remise en cause la dĂ©limitation retenue par la Commission, les consĂ©quences s’enchaĂźnent quant Ă  la qualification des pratiques et de la position des fabricants de montres :

– la Commission n’ayant pas pu Ă©tablir que la part de marchĂ© des fabricants de montres est infĂ©rieure Ă  30 % sur les marchĂ©s des piĂšces de rechange propres aux enseignes, elle ne pouvait conclure Ă  l’application de l’exemption prĂ©vue par le rĂšglement sur les restrictions verticales ;

– de mĂȘme, la Commission n’a pas examinĂ© “la position que les fabricants de montres suisses dĂ©tiennent sur les marchĂ©s des piĂšces de rechange spĂ©cifiques Ă  leurs propres enseignes”, sur lesquels il ne saurait ĂȘtre exclu qu’ils dĂ©tiennent “une position dominante, voire un monopole, Ă  tout le moins pour ce qui concerne certaines gammes de leurs piĂšces de rechange, qui constituent des marchĂ©s pertinents” (§ 151).

Le Tribunal en conclut que la Commission a commis plusieurs erreurs manifestes d’apprĂ©ciation et annule la dĂ©cision de rejet de la plainte. Les pendules sont dĂ©sormais remises Ă  l’heure


A. W. n

Ă©viCtion antiConCurrentielle – intĂ©gration vertiCale – engagements : La Commission europĂ©enne accepte les engagements de l’opĂ©rateur historique italien visant Ă  supprimer les entraves Ă  l’accĂšs au marchĂ© gazier italien et Ă  mettre fin Ă  des pratiques allĂ©guĂ©es d’éviction anticoncurrentielle (Comm. eur., dĂ©c. art. 9 R.1/2003 du 29 septembre 2010, ENI, aff. COMP/39315)

La dĂ©cision de la Commission europĂ©enne, rendant obligatoires les engagements proposĂ©s par ENI pour mettre fin Ă  la procĂ©dure lancĂ©e Ă  son encontre pour verrouillage anticoncurrentiel du marchĂ© gazier italien, s’insĂšre dans la dĂ©sormais longue sĂ©rie d’affaires relatives au secteur de l’énergie closes au travers d’une procĂ©dure d’engagements sur la base de l’article 9 du rĂšglement n° 1/2003. Elle doit, Ă  ce titre, ĂȘtre remise en perspective avec la politique europĂ©enne en matiĂšre Ă©lectrique et gaziĂšre avant de faire l’objet d’une analyse, portant successivement sur les pratiques concernĂ©es et sur les engagements rendus obligatoires par la dĂ©cision de la Commission.

I. Une procĂ©dure d’engagements prenant place dans le contexte particulier des interventions de la Commission dans le secteur Ă©nergĂ©tique

L’enquĂȘte sectorielle sur le fonctionnement des marchĂ©s europĂ©ens du gaz et de l’électricitĂ© avait Ă©tĂ© lancĂ©e en 2005, seulement deux ans aprĂšs le deuxiĂšme train de directives libĂ©ralisant le secteur (directives du 26 juin 2003 n° 2003/54 relative au secteur Ă©lectrique et n°  2003/55 relative au secteur gazier). Ses conclusions, publiĂ©es en janvier 2007,

consommateur peut se tourner vers un autre produit primaire afin d’éviter une augmentation de prix sur le marchĂ© des piĂšces de rechange” (§ 79).

DĂ©terminer la possibilitĂ©, pour le consommateur, de se tourner vers les piĂšces de rechange fabriquĂ©es par des concurrents revient Ă  examiner s’il existe un marchĂ© unique des piĂšces de rechange ou bien une “multitude de marchĂ©s de piĂšces de rechange spĂ©cifiques aux enseignes” (§  84). Le Tribunal, se fondant sur la position provisoire de la Commission dans le cadre de la prĂ©sente affaire, ainsi que sur la pratique dĂ©cisionnelle des autoritĂ©s nĂ©erlandaise et suisse, constate que la substituabilitĂ© entre les piĂšces de rechange de diffĂ©rentes marques n’est pas Ă©tablie par la Commission (§ 90).

S’agissant de la possibilitĂ©, pour les consommateurs, de se tourner vers un autre produit primaire pour contourner l’augmentation du prix des piĂšces de rechange, le Tribunal relĂšve notamment qu’“une augmentation modĂ©rĂ©e du prix des piĂšces de rechange demeure d’un montant nĂ©gligeable par rapport au prix d’une montre de luxe ou de prestige neuve” (§ 96). Il en dĂ©duit que la possibilitĂ© de recourir Ă  un autre produit primaire n’est pas Ă©tablie.

Le Tribunal considĂšre ensuite que pour qu’un marchĂ© de systĂšme puisse ĂȘtre reconnu, il faut Ă©tablir qu’“un nombre suffisant de consommateurs se tournerait vers les autres produits primaires dans le cas d’une augmentation modĂ©rĂ©e des prix des produits ou services appartenant aux marchĂ©s de l’aprĂšs-vente pour rendre une telle augmentation non rentable” (§ 105). Or, la Commission a considĂ©rĂ© que le prix des piĂšces de rechange est “mineur et dĂ©pourvu d’importance” par rapport au prix des montres (§ 106). Le Tribunal en conclut que la Commission “n’a pas dĂ©montrĂ© qu’une augmentation modĂ©rĂ©e du prix de piĂšces de rechange par un certain producteur causerait un dĂ©placement de la demande vers les montres des autres producteurs, rendant une telle augmentation non rentable” (§ 107). Par consĂ©quent, il ne saurait ĂȘtre exclu qu’il existe des “marchĂ©s pertinents sĂ©parĂ©s constituĂ©s par les piĂšces de rechange spĂ©cifiques aux enseignes, en fonction de leur substituabilitĂ©â€ (§ 109).

S’agissant des services de rĂ©paration et d’entretien des montres, Ă©galement agrĂ©gĂ©s au marchĂ© primaire des montres, le Tribunal constate qu’il existe des entreprises spĂ©cialisĂ©es dans ce domaine, ce qui constitue un indice de l’existence d’un marchĂ© distinct (§ 112). Plus sĂ©vĂšrement, il relĂšve que mĂȘme si le cas des marchĂ©s primaires et des marchĂ©s de l’aprĂšs-vente est spĂ©cifique (voir Ă©galement sur ce point la communication de la Commission du 9 dĂ©cembre 1997 sur la dĂ©finition du marchĂ© en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, §  56) et mĂȘme s’ils peuvent ĂȘtre analysĂ©s dans le cadre d’un mĂȘme marchĂ©, la Commission doit Ă©tablir qu’il existe un degrĂ© suffisant d’interchangeabilitĂ© en vue du mĂȘme usage entre tous les produits ou les services considĂ©rĂ©s, la substituabilitĂ© ne s’apprĂ©ciant pas “au seul regard des caractĂ©ristiques objectives des produits et des services en cause”, mais prenant “en considĂ©ration les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l’offre sur le marchĂ©â€ (§ 67 et 115), ce qu’elle n’a pas fait dans le cas prĂ©sent.

Le Tribunal en conclut, comme pour les activités liées aux piÚces de rechange, que la Commission ne pouvait conclure

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n.effectivement de prĂ©venir le risque de conflits d’intĂ©rĂȘts entre la gestion des actifs de transport et les dĂ©cisions prises dans les autres activitĂ©s des groupes ouvertes Ă  la concurrence.

De telles stratĂ©gies pouvaient en outre ĂȘtre d’autant plus facilement mises en Ɠuvre que les interconnexions entre les diffĂ©rents rĂ©seaux nationaux sont sous-dimensionnĂ©es (elles furent conçues Ă  des fins de secours mutuels ou d’échanges limitĂ©s et non dans la perspective d’un marchĂ© unifiĂ©), que les capacitĂ©s disponibles font souvent l’objet d’opportuns contrats de rĂ©servation, Ă  long terme, au bĂ©nĂ©fice des opĂ©rateurs historiques et que les rĂ©gimes d’équilibrage sont souvent conçus d’une maniĂšre favorable aux opĂ©rateurs en place.

Afin de rĂ©pondre Ă  ces difficultĂ©s, la Commission fit de premiĂšres propositions dans le cadre de la prĂ©paration du troisiĂšme paquet de directives allant dans le sens d’un ownership unbundling, en d’autres termes, d’une dĂ©s-intĂ©gration verticale des opĂ©rateurs historiques51. Étant donnĂ© l’opposition rĂ©solue de certains États membres, il fallut trouver un compromis  : le modĂšle du gestionnaire indĂ©pendant de rĂ©seau de transport (ITO, Independent Transmission Operator) fut rendu possible aux cĂŽtĂ©s des modĂšles de la sĂ©paration patrimoniale et du gestionnaire de rĂ©seau indĂ©pendant (ISO, Independent System Operator) introduits par les directives de 2003 sur l’électricitĂ© et le gaz52. Le systĂšme du gestionnaire de rĂ©seau de transport indĂ©pendant doit dans ce cadre apporter des garanties suffisantes en matiĂšre d’autonomie de gestion, compromis s’établissant bien en-deçà des volontĂ©s initiales de la Commission.

Cependant, des procĂ©dures individuelles sur la base de l’article 102 du TraitĂ© furent lancĂ©es parallĂšlement Ă  l’enquĂȘte sectorielle Ă  l’encontre d’opĂ©rateurs historiques de nombreux États membres, notamment l’Allemagne, la Belgique, la France et l’Italie53. L’instruction de ces diffĂ©rents cas, concernant des opĂ©rateurs majeurs des secteurs Ă©lectriques et gaziers europĂ©ens, tels E.On, RWE, EDF, GDF Suez ou ENI, fut menĂ©e indĂ©pendamment des discussions lĂ©gislatives sur le troisiĂšme paquet de directives54. Cependant, si la sĂ©paration patrimoniale – sous forme de cession par les groupes verticalement intĂ©grĂ©s de leurs actifs de transport – fut refusĂ©e Ă  la Commission, il apparaĂźt que bon nombre des dĂ©cisions individuelles en cause se traduisirent in fine par de tels remĂšdes structurels. Second trait remarquable, les mesures correctives en question ne furent pas prononcĂ©es sur la base de l’article 7 du rĂšglement n° 1/2003, mais rendues obligatoires dans le cadre d’une procĂ©dure d’engagements volontaires suivant l’article 9 du mĂȘme rĂšglement.

Le recours Ă  une telle procĂ©dure, commun aux cas E.On (26  novembre 2008) et RWE (18 mars 2009), mais aussi

51 Commission européenne, Proposition de directive modifiant la directive 2003/55/CE concernant des rÚgles communes pour le marché intérieur du gaz, COM(2007) 529 final, 19 septembre2007.

52 Conseil europĂ©en, Directive relative aux conditions d’accĂšs aux rĂ©seaux de transport de gaz naturel, 13 juillet 2009.

53 Commission europĂ©enne, Competition: Commission has carried out inspections in the EU gas sector in five Member States, MEMO/06/205, 17 mai 2006.

54 U. Scholz et S. Purps, “The application of EC competition law in the energy sector”, Journal of European Competition Law & Practice, vol. 1, n° 1, 2010, p. 37-51.

avaient mis en exergue un ensemble de dysfonctionnements des marchĂ©s de l’énergie faisant obstacle Ă  la construction d’un marchĂ© intĂ©rieur concurrentiel50. Les prĂ©occupations de la Commission concernaient tant les marchĂ©s de gros de l’énergie que les possibilitĂ©s de dĂ©veloppement de stratĂ©gies anticoncurrentielles au travers du contrĂŽle des rĂ©seaux de transport. Le caractĂšre trop Ă©troitement oligopolistique des diffĂ©rents marchĂ©s nationaux Ă©tait Ă  la fois expliquĂ© et aggravĂ© par les conflits d’intĂ©rĂȘts liĂ©s au caractĂšre verticalement intĂ©grĂ© des opĂ©rateurs historiques. Ces derniers, bĂ©nĂ©ficiant dĂ©jĂ  de leur poids sur le marchĂ© (dĂ» aux capacitĂ©s installĂ©es), pouvaient en outre utiliser stratĂ©giquement leur contrĂŽle du rĂ©seau de transport pour verrouiller l’accĂšs au marchĂ© aux nouveaux entrants. En effet, comme l’a mis en Ă©vidence l’enquĂȘte sectorielle, les intĂ©rĂȘts du groupe en matiĂšre d’activitĂ©s de production et de fourniture (de gaz ou d’électricitĂ©) peuvent gĂ©nĂ©rer quelques distorsions quant Ă  la gestion des actifs de transport.

Celles-ci peuvent ĂȘtre regroupĂ©es en trois ensembles. Les premiĂšres distorsions correspondent Ă  des conditions d’accĂšs au rĂ©seau qui sont discriminatoires Ă  l’égard des nouveaux entrants. Le gestionnaire de rĂ©seau peut avantager les filiales de son groupe sur le marchĂ© aval, par exemple en dĂ©gradant aux points de vue techniques ou tarifaires les conditions d’accĂšs au marchĂ© des concurrents. Un deuxiĂšme ensemble de stratĂ©gies d’éviction anticoncurrentielle correspond Ă  la transmission d’informations privilĂ©giĂ©es quant Ă  la stratĂ©gie commerciale et aux activitĂ©s des concurrents. Dans le cas d’espĂšce, le rĂ©gulateur sectoriel ne serait pas en mesure de garantir que les murailles de Chine requises par les rĂšgles de sĂ©paration fonctionnelle sont rĂ©ellement effectives. Enfin, un troisiĂšme ensemble de difficultĂ©s peut provenir de distorsions induites dans les choix d’investissements du gestionnaire d’infrastructures. En effet, des investissements qui seraient optimaux pour le rĂ©seau de transport, considĂ©rĂ© isolĂ©ment, peuvent en fait dĂ©truire de la valeur s’ils sont considĂ©rĂ©s au niveau du groupe intĂ©grĂ©. Une extension des capacitĂ©s peut ĂȘtre souhaitable au point de vue du consommateur, accroĂźtre les ressources du gestionnaire de rĂ©seau, mais parallĂšlement accroĂźtre la contestabilitĂ© du marchĂ© national et donc mettre en cause la dominance de la filiale de fourniture du groupe. Un sous-investissement stratĂ©gique dans les capacitĂ©s de transport de gaz ou d’électricitĂ© peut donc ĂȘtre observĂ©. Il peut mĂȘme induire un sous-investissement dans des actifs de production de la part des nouveaux entrants, dans la mesure oĂč ces derniers peuvent anticiper d’éventuelles entraves en matiĂšre d’accĂšs au marchĂ©. Les questions de sous-investissements stratĂ©giques posent, comme nous le verrons, des difficultĂ©s spĂ©cifiques en matiĂšre de politiques de concurrence.

L’intĂ©gration verticale est donc vue par la Commission comme une structure industrielle offrant aux opĂ©rateurs historiques non seulement des incitations mais aussi la possibilitĂ© de mettre en Ɠuvre des stratĂ©gies d’exclusion anticoncurrentielle. Selon elle, les rĂ©gulateurs nationaux ne disposaient pas des ressources et des compĂ©tences juridiques nĂ©cessaires pour s’assurer que les rĂšgles de sĂ©paration fonctionnelle introduites par les directives de 2003 permettent

50 P. Lowe, I. Pucinkaite, W. Webster et P. Lindberg, “Effective unbundling of energy transmission networks: Lessons from the Energy Sector Inquiry”, Competition Policy Newsletter, n° 1, printemps 2007, p. 23-34.

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n.propres (en Italie et en Lybie), des contrats d’achats Ă  long terme avec d’autres producteurs, mais il exploite – en partenariat avec des groupes Ă©trangers – l’intĂ©gralitĂ© des capacitĂ©s d’importation de gaz naturel sur le marchĂ© italien, qu’il s’agisse de gazoducs ou du terminal portuaire GNL de Panigaglia. Non seulement ENI exerce un contrĂŽle sur les infrastructures nĂ©cessaires Ă  ses concurrents pour importer du gaz sur le marchĂ© italien, mais il dĂ©tient en outre des droits de transport particuliĂšrement Ă©levĂ©s sur ces derniers et a rĂ©servĂ©, Ă  long terme, un volume significatif des capacitĂ©s disponibles (§  18). ENI exerce, selon la Commission, une influence dĂ©terminante sur la gestion au jour le jour des infrastructures, sur les dĂ©cisions d’affectation des capacitĂ©s Ă  court et Ă  long terme, mais aussi sur les dĂ©cisions d’extension de ces derniĂšres. Or, celles-ci sont indispensables aux concurrents d’ENI pour accĂ©der au marchĂ© italien de la distribution de gaz (§ 32), dans la mesure oĂč aucun fournisseur n’a la capacitĂ© ni les incitations idoines pour dĂ©velopper des infrastructures alternatives.

Les griefs de la Commission s’articulent donc autour de la thĂ©orie des infrastructures essentielles (“facilitĂ©s essentielles”). En effet, la Commission souligne qu’une entreprise dominante utilisant ce type d’infrastructure pour accĂ©der au marchĂ© et refusant dans le mĂȘme temps son accĂšs Ă  ses concurrents (actuels ou potentiels), ou le leur accordant dans des conditions discriminatoires par rapport Ă  celles de ses propres activitĂ©s aval peut ĂȘtre sanctionnĂ©e sur la base de l’article 102 TFUE57. La jurisprudence europĂ©enne a dĂ©gagĂ© trois conditions cumulatives pour qu’un refus d’accĂšs Ă  une telle infrastructure constitue un abus de position dominante.

Il faut tout d’abord que le refus porte sur un produit ou service indispensable Ă  l’exercice d’une activitĂ© sur un marchĂ© aval. Il est ensuite nĂ©cessaire de montrer que ce refus est de nature Ă  Ă©liminer ou Ă  empĂȘcher une concurrence effective sur le marchĂ© considĂ©rĂ©. Enfin, il est requis de la Commission qu’elle montre que ce refus ne repose pas sur des bases objectives.

Il est Ă  relever que, dans ses orientations de fĂ©vrier 2009 relatives Ă  l’application de l’article 102 aux stratĂ©gies d’éviction mises en Ɠuvre par les opĂ©rateurs dominants, la Commission avait relevĂ© que d’éventuelles obligations d’accĂšs prononcĂ©es sur la base de la thĂ©orie des infrastructures essentielles devaient ĂȘtre conditionnĂ©es Ă  la rĂ©alisation d’un Ă©quilibre des incitations, pour tenir compte des effets sur les incitations Ă  investir tant de l’opĂ©rateur dominant que des entrants potentiels. Cependant, il est supposĂ© qu’une obligation d’accĂšs ne jouera pas dĂ©favorablement sur ces incitations Ă  investir, dĂšs lors que “l’entreprise dominante a acquis sa position sur le marchĂ© amont grĂące Ă  des droits spĂ©ciaux ou exclusifs ou Ă  un financement au moyen de ressources d’Etat58”.

Dans le cas d’espĂšce, la Commission a effectivement considĂ©rĂ© que l’accĂšs aux capacitĂ©s de transport Ă©tait objectivement nĂ©cessaire aux concurrents d’ENI pour exercer leur activitĂ© sur le marchĂ© aval, que leur reproduction est impossible ou dĂ©raisonnablement difficile pour des raisons techniques, juridiques ou Ă©conomiques, et enfin que les refus d’accĂšs en question peuvent ĂȘtre de nature Ă  conduire Ă  leur exclusion.

57 Commission europĂ©enne, aff. IV-34689, Sea Containers/Stena Sealink, 21 dĂ©c. 1993.

58 Commission europĂ©enne, “Orientations sur les prioritĂ©s retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du TraitĂ© CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes”, communication 2009/C45/02, JOUE, C45/7-20, 24 fĂ©vr. 2009, § 82.

effectuĂ© par exemple par EDF (17 mars et 11 aoĂ»t 2010  ; voir cette chronique, revue Concurrences, n°s 2 et 4-2010), est d’autant plus Ă  relever que les cas E.On et RWE furent les deux premiers cas pour lesquels des engagements structurels furent proposĂ©s et acceptĂ©s, pour mettre un terme Ă  une procĂ©dure engagĂ©e sur la base de l’article 10255.

La dĂ©cision de la Commission dans l’affaire ENI permet donc de s’attacher Ă  l’analyse des pratiques incriminĂ©es (II), avant d’évaluer les engagements acceptĂ©s par la Commission Ă  l’aune de leurs caractĂšres nĂ©cessaires et proportionnĂ©s (III).

II. Les pratiques incriminées

Il s’agit successivement de s’attacher aux prĂ©occupations concernant la concurrence exprimĂ©es par la Commission dans le cas d’espĂšce et de les discuter dans le contexte plus gĂ©nĂ©ral du fonctionnement de la concurrence sur les marchĂ©s europĂ©ens du gaz et de l’électricitĂ©, caractĂ©risĂ©s par la puissance de marchĂ© d’opĂ©rateurs historiques intĂ©grĂ©s verticalement.

À l’instar des procĂ©dures lancĂ©es contre RWE en mai 2006, E.On en dĂ©cembre 2006, EDF et Electrabel en juillet 2007, la procĂ©dure lancĂ©e en mai 2006 contre ENI le fut parallĂšlement Ă  la rĂ©alisation de l’enquĂȘte sectorielle menĂ©e par les services de la Commission de 2005 Ă  2007. Une procĂ©dure formelle fut ouverte le 20 avril 2007, et la Commission communiqua le 6 mars 2009 ses griefs au groupe italien, Ă  propos desquels il fit part de son dĂ©saccord le 1er octobre 2009. Il n’en dĂ©cida pas moins d’accepter une procĂ©dure d’engagements, en faisant le 4 fĂ©vrier 2010 une premiĂšre proposition qui fut amendĂ©e le 8 juillet56.

La Commission faisait grief Ă  ENI d’avoir mis en Ɠuvre un ensemble de pratiques visant Ă  mettre Ă  profit son contrĂŽle des capacitĂ©s de transport pour Ă©vincer ses concurrents du marchĂ© du transport de gaz vers l’Italie et du marchĂ© aval de la fourniture de gaz. De telles pratiques, susceptibles d’ĂȘtre sanctionnĂ©es sur la base de l’article  102 TFUE, passaient, selon la Commission, par des dĂ©cisions d’exploitation et de gestion des capacitĂ©s de transport du gaz vers l’Italie ayant pour effet d’entraver l’accĂšs des tiers et, ce faisant, de verrouiller le marchĂ© italien. Un tel abus de position dominante passait par trois stratĂ©gies. La premiĂšre Ă©tait une stratĂ©gie d’accumulation de capacitĂ©s (capacity hoarding), conduisant Ă  empĂȘcher l’accĂšs des tiers Ă  ces derniĂšres  ; la deuxiĂšme, une stratĂ©gie de dĂ©gradation des conditions d’accĂšs aux capacitĂ©s, passant par l’établissement de conditions d’accĂšs discriminatoires  ; la troisiĂšme, enfin, rĂ©sidait dans une limitation volontaire des capacitĂ©s disponibles, passant par un sous-investissement stratĂ©gique.

De telles stratĂ©gies reposent sur la position de force sur le marchĂ© gazier italien que dĂ©tient l’opĂ©rateur historique. Non seulement ce dernier dĂ©tient des capacitĂ©s de production

55 O. Koch et al., “The RWE gas foreclosure case: Another energy network divestiture to address foreclosure concerns”, Competition Policy Newsletter, n° 2, 2009, p. 32-34.

56 Notons que le recours Ă  la procĂ©dure d’engagements n’implique pas de reconnaissance de culpabilitĂ©. Ainsi, comme ENI, EDF a dĂ©cidĂ© d’accepter une telle procĂ©dure aprĂšs avoir refusĂ© d’admettre les griefs (faute de contestation). N. Bessot et al., “The EDF long term contracts case: Addressing foreclosure for the long term benefit of industrial customers”, Competition Policy Newsletter, n° 2, 2010.

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n.rĂ©seau. Ce type d’incrimination modifie indubitablement le cadre habituel d’application de la thĂ©orie des infrastructures essentielles. Il est dĂ©jĂ  vrai qu’à court terme, le propriĂ©taire d’une infrastructure essentielle ne peut opposer un refus Ă  une demande d’accĂšs sur la base d’une utilisation de sa part de 100 % des capacitĂ©s installĂ©es. Il doit prendre toutes les mesures nĂ©cessaires pour accĂ©der Ă  de telles demandes61. Cependant, Ă  long terme, une telle approche pourrait conduire Ă  des obligations de nouveaux investissements ne tenant pas seulement compte des besoins de l’entreprise concernĂ©e mais aussi de ceux de ses concurrents (§ 57).

L’argument reprend l’hypothĂšse du conflit d’intĂ©rĂȘts inhĂ©rent Ă  l’intĂ©gration verticale sur les marchĂ©s de l’énergie, qui induirait d’inexorables distorsions d’investissements de la part des groupes contrĂŽlant les actifs de rĂ©seau. Il n’en demeure pas moins que cette idĂ©e constitue une forme d’extension de la dĂ©jĂ  trĂšs controversĂ©e thĂ©orie des infrastructures essentielles62. Une entreprise dĂ©tenant un tel actif pourrait-elle se voir reprocher de ne pas investir suffisamment pour faciliter l’entrĂ©e ou l’expansion de ses concurrents sur le marchĂ© aval63 ?

Il est d’ailleurs Ă  relever qu’ENI a Ă©tĂ© sanctionnĂ©e par l’autoritĂ© de concurrence italienne en 2006, sur la base d’un abus de position dominante, Ă  la suite de la dĂ©cision de l’une de ses filiales de ne pas accroĂźtre les capacitĂ©s d’un gazoduc permettant d’importer du gaz depuis la Tunisie (AutoritĂ  Garante della Concorrenza e del Mercato, dĂ©c. du 15 fĂ©vrier 2006). L’intervention d’ENI aurait privĂ© sa filiale de s’engager dans des transactions profitables. À ce titre, la stratĂ©gie de l’opĂ©rateur historique ne fait pas sens en dehors d’une logique d’impediment competition. La Commission semble donc tendre Ă  considĂ©rer qu’une insuffisante prise en compte des besoins des concurrents dans les programmes d’investissements de l’opĂ©rateur de rĂ©seau constitue un outil de verrouillage du marchĂ©. La frontiĂšre entre les domaines respectifs de la concurrence et de la rĂ©gulation sectorielle est remise en question dĂšs lors qu’il s’agit d’agir sur les structures de marchĂ© ou de contrĂŽler les choix d’investissements des opĂ©rateurs64. Une telle intervention concerne Ă©galement la conciliation entre les exigences du droit de la concurrence et les droits fondamentaux des entreprises65, qui occupe Ă©galement une large place quant Ă  l’évaluation de la procĂ©dure d’engagements elle-mĂȘme.

III. La discussion des engagements

Une part croissante – sinon hĂ©gĂ©monique – des procĂ©dures contentieuses engagĂ©es par la Commission dans le domaine Ă©nergĂ©tique sur la base de l’article 102 du TraitĂ© se conclut au travers d’engagements. En matiĂšre de contentieux liĂ©s Ă 

61 La Commission souligne qu’“un propriĂ©taire dominant d’une installation essentielle est tenu de prendre toutes les mesures possibles pour lever les contraintes imposĂ©es par l’absence de capacitĂ©s et d’organiser son activitĂ© de maniĂšre Ă  libĂ©rer un volume maximal de capacitĂ©s sur cette installation essentielle” (§ 56).

Voir Commission européenne, déc. 98/190/CE, Frankfurt Airport, 1998 et déc. 94/119/CE, port de RÞdby.

62 U. Scholz et S. Purps, op. cit.

63 R. Whish, Competition Law, 6e Ă©d., Oxford University Press, 2008, p. 697.

64 A. Perrot, “Les frontiĂšres entre rĂ©gulation sectorielle et politique de la concurrence”, Revue française d’économie, vol. 16, no 4, 2002, p. 81-112.

65 U. Scholz et S. Purps, op. cit.

Cette stratĂ©gie d’exclusion passe donc, selon la Commission, par trois types de pratiques. La premiĂšre correspond donc Ă  une stratĂ©gie de prĂ©emption des capacitĂ©s disponibles. ConformĂ©ment au “modĂšle” de comportement anticoncurrentiel fondĂ© sur l’intĂ©gration verticale mis en exergue dans l’enquĂȘte sectorielle, celle-ci se traduit par un ensemble de comportements se dĂ©clinant du refus d’accĂšs pur et simple (§  46) Ă  la sous-Ă©valuation des capacitĂ©s disponibles (§  48), en passant par le maintien d’un niveau de performance volontairement faible en matiĂšre de gestion des capacitĂ©s disponibles (§ 47). Il s’agit dans tous les cas de dissuader les concurrents de demander un accĂšs au rĂ©seau pourtant obligatoire dans le cadre des directives europĂ©ennes et indispensable pour exercer une activitĂ© de fournisseur sur le marchĂ© italien.

De la mĂȘme façon, la Commission fait grief Ă  ENI d’avoir acquis d’importants droits d’usage sur les capacitĂ©s en question, sur la base de contrats de long terme, et de limiter au travers de telles stratĂ©gies de prĂ©emption les capacitĂ©s disponibles pour ses concurrents (§  49). Il est clair que l’existence de capacitĂ©s de transport de l’énergie conditionne les capacitĂ©s d’entrĂ©e des concurrents sur le marchĂ©. À ce titre, la Commission considĂšre avec une extrĂȘme mĂ©fiance la rĂ©servation de capacitĂ©s sur le long terme par les opĂ©rateurs dominants. Cependant, Ă  cĂŽtĂ© du caractĂšre potentiellement verrouillant de ces contrats, il convient de mettre en exergue leur caractĂšre favorable en termes de bien-ĂȘtre du consommateur, notamment au regard de la sĂ©curitĂ© d’approvisionnement. À ce titre, une analyse au cas par cas des effets de ces clauses apparaĂźt indispensable. La Commission fait donc face Ă  une difficile conciliation entre efficacitĂ© concurrentielle et objectifs Ă  long terme, liĂ©s aux incitations Ă  l’investissement59.

À cĂŽtĂ© des stratĂ©gies de prĂ©emption de capacitĂ©s au profit de l’opĂ©rateur dominant, des stratĂ©gies de dĂ©gradation des capacitĂ©s au dĂ©triment des concurrents furent mises en Ɠuvre. Il s’agit en d’autres termes de pratiques de marchĂ© relevant d’une impediment competition, c’est-Ă -dire ne faisant pas sens Ă©conomiquement pour l’entreprise les mettant en Ɠuvre, en dehors de la dĂ©gradation des conditions d’accĂšs au marchĂ© des firmes concurrentes60. Non seulement ENI propose des conditions d’accĂšs aux infrastructures qui sont discriminatoires vis-Ă -vis de certaines firmes bĂ©nĂ©ficiant d’accords bilatĂ©raux, mais elle engage Ă©galement un ensemble de pratiques de marchĂ© visant Ă  retarder la mise Ă  disposition des capacitĂ©s ou Ă  proposer celles-ci dans des conditions sous-optimales pour les concurrents – en l’occurrence des contrats Ă  court terme, interruptibles ou non fermes – voire en organisant des ventes distinctes et non coordonnĂ©es de capacitĂ©s sur des segments de rĂ©seau pourtant complĂ©mentaires.

Le troisiÚme ensemble de pratiques dont il est fait grief à ENI porte sur le sous-investissement stratégique dans les actifs de

59 J.-M. Glachant et A. Hauteclocque, “Long-term energy supply contracts in European competition policy: Fuzzy not crazy”, Robert Schuman Centre for Advanced Studies – Loyola de Palacio Chair Working Paper Series, n° 2009-06, European University Institute, Florence, 2009.

60 N. Giocoli, “Competition vs property rights: American antitrust law, the Freiburg school and the early years of European competition policy”, Journal of Competition Law and Economics, vol. 5, n° 4, 2009, p. 747-786.

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n.rĂ©seau, se traduisant par des refus d’accĂšs Ă  l’infrastructure essentielle et des pratiques de compression des marges. La Commission considĂ©rait que RWE avait volontairement crĂ©Ă© des goulets d’étranglement dans l’accĂšs des concurrents au rĂ©seau de gaz – au moyen de rĂ©servations excessives pour son compte propre, de mesures techniques et de gestion visant Ă  rĂ©duire les capacitĂ©s disponibles ou encore de refus d’accĂšs non justifiĂ©s objectivement.

À l’instar d’E.On, RWE s’engagea dans une procĂ©dure nĂ©gociĂ©e. Il proposa de cĂ©der ses actifs Ă  un tiers ne posant pas a priori de problĂšmes de concurrence. AprĂšs la rĂ©alisation d’un test de marchĂ© et la discussion des propositions, la Commission rendit les engagements obligatoires dans une dĂ©cision d’aprĂšs laquelle la cession se fera sous la supervision d’un mandataire indĂ©pendant et l’identitĂ© du repreneur devra faire l’objet d’une approbation prĂ©alable.

De façon moins spectaculaire, la mĂȘme logique a Ă©tĂ© Ă©galement Ă  l’Ɠuvre dans le rĂšglement de la procĂ©dure ouverte Ă  l’encontre de GDF Suez. La Commission a acceptĂ©, le 3  dĂ©cembre 2009 (voir Concurrences, n°  1-2010, cette chronique, p. 112, obs. A.-L. Sibony), les engagements qu’a proposĂ©s GDF Suez pour mettre fin Ă  la procĂ©dure entamĂ©e sur la base d’un verrouillage du marchĂ© gazier français. À l’instar du cas ENI, les manƓuvres anticoncurrentielles allĂ©guĂ©es tenaient Ă  des limitations volontaires d’investissements (dans le dĂ©veloppement de terminaux portuaires LNG) et dans des stratĂ©gies de prĂ©emption de capacitĂ©s d’importation au moyen de contrats de rĂ©servation Ă  long terme (stratĂ©gies de capacity hoarding). Si les mesures correctives ne prirent pas, dans le cas d’espĂšce, la forme de cessions d’actifs de transport, GDF s’engagea Ă  rĂ©duire radicalement ses rĂ©servations de capacitĂ©s69. Une mĂȘme logique de rĂ©duction des engagements Ă  long terme a Ă©galement occupĂ© une place centrale dans les engagements proposĂ©s par EDF et rendus obligatoires par la dĂ©cision de la Commission du 17 mars 2010.

C’est dans ce contexte qu’ENI s’engagea dans une procĂ©dure nĂ©gociĂ©e, malgrĂ© sa rĂ©cusation des griefs formulĂ©s Ă  son encontre (§  63). L’opĂ©rateur historique transalpin proposa de se dĂ©faire de ses parts dans les gazoducs internationaux exploitĂ©s dans le cadre d’entreprises communes Ă  des investisseurs agrĂ©Ă©s par la Commission. Il proposa Ă©galement de cĂ©der ses participations dans les gestionnaires de rĂ©seaux. Ces diffĂ©rentes cessions devraient ĂȘtre par ailleurs rĂ©alisĂ©es sous l’égide d’un mandataire indĂ©pendant et ne pas ĂȘtre conditionnĂ©es Ă  un prix de cession minimal. En outre, ENI s’engage Ă  fournir au repreneur tous les services auxiliaires et Ă  transfĂ©rer les personnels nĂ©cessaires pour garantir l’exploitation des infrastructures de transport cĂ©dĂ©es (§ 71).

La Commission a accueilli favorablement les engagements d’ENI, les considĂ©rant comme proportionnĂ©s au problĂšme de concurrence identifiĂ© et adĂ©quats dans la mesure oĂč il n’existe pas, Ă  son sens, de mesures correctives alternatives, de nature comportementale, susceptibles de rĂ©pondre de façon aussi efficace et moins contraignante aux problĂšmes de concurrence concernĂ©s (§ 90). La prĂ©fĂ©rence de la Commission pour les remĂšdes structurels est donc rĂ©affirmĂ©e sur la base de la difficultĂ© – sinon de l’impossibilitĂ© – pour une autoritĂ© en

69 U. Scholz et S. Purps, op. cit.

une forclusion des marchĂ©s passant par des contrats Ă  long terme, le cas de Distrigaz fournit un exemple. Distrigaz Ă©tait accusĂ©e par la Commission d’avoir verrouillĂ© le marchĂ© de la distribution du gaz en Belgique par la conclusion de contrats Ă  long terme. Pour mettre fin Ă  la procĂ©dure, la compagnie gaziĂšre belge s’engagea, en octobre 2007, Ă  limiter volontairement ses capacitĂ©s Ă  conclure de tels contrats (Commission europĂ©enne, dĂ©cision du 11 octobre 2007, Distrigaz, cas COMP/37.966). Le recours Ă  la procĂ©dure d’engagements sur la base de l’article  9 du rĂšglement n° 1/2003 ne se limita pas aux questions liĂ©es aux contrats Ă  long terme, mais porta sur l’une des dimensions centrales de l’enquĂȘte sectorielle, en l’occurrence la question du contrĂŽle des actifs de transport et des pratiques anticoncurrentielles qui en dĂ©coulent de façon quasiment inhĂ©rente pour la Commission.

À ce titre, les cas E.On, RWE et GDF Suez sont particu-liĂšrement intĂ©ressants tant sur la question des pratiques incriminĂ©es – en relation avec l’affaire ENI – que sur celle des mesures correctives qui ont Ă©tĂ© finalement prononcĂ©es.

La dĂ©cision relative Ă  E.On, le 26 novembre 2008, a constituĂ© une double nouveautĂ©66. Il s’agissait non seulement de la premiĂšre affaire s’étant traduite par des cessions d’actifs dans le secteur Ă©nergĂ©tique, mais aussi de la premiĂšre dĂ©cision rendant obligatoires des engagements proposĂ©s sur une base volontaire par l’entreprise elle-mĂȘme, sur la base de l’article 9 du rĂšglement n° 1/2003. Deux ensembles de pratiques Ă©taient reprochĂ©es Ă  E.On. Le premier portait sur les marchĂ©s de gros de l’électricitĂ©. Cela concernait des manipulations de prix passant par des retraits stratĂ©giques de capacitĂ©s et diverses stratĂ©gies visant Ă  limiter les investissements des concurrents dans le domaine de la production en leur proposant des contrats Ă  long terme ou des parts dans des projets de nouvelles capacitĂ©s67. Le deuxiĂšme ensemble de pratiques anticoncurrentielles portait sur le marchĂ© de l’équilibrage. E.On aurait Ă©tĂ© favorisĂ© par le gestionnaire du rĂ©seau de transport, en l’occurrence sa propre filiale.

Pour Ă©chapper Ă  une dĂ©cision sur le fond pouvant aboutir au constat d’une infraction Ă  l’article 102 et donner lieu Ă  une amende, E.On proposa en fĂ©vrier 2008 un certain nombre d’engagements tenant Ă  la cession d’actifs de production (quelque 5 000 MW, soit 20 % de ses actifs de production en Allemagne), mais aussi et surtout Ă  la cession de son rĂ©seau de transport. Ainsi, pour la premiĂšre fois, la sĂ©paration patrimoniale pour laquelle la Commission plaidait vainement Ă©tait rĂ©alisĂ©e dans le cadre d’une procĂ©dure contentieuse, conclue sur la base d’engagements volontaires.

Un mĂȘme type de remĂšde fut appliquĂ© pour le second Ă©nergĂ©ticien allemand, RWE68. Dans le cas d’espĂšce, la Commission accepta les engagements proposĂ©s le 18 mars 2009. Ses griefs reposaient sur des stratĂ©gies d’éviction mises en Ɠuvre au dĂ©triment des concurrents devant accĂ©der au

66 P. Chauve et al., “The E.On electricity cases: An antitrust decision with structural remedies”, Competition Policy Newsletter, n° 1, 2009, p. 51-54.

67 Rappelons que la Commission a considĂ©rĂ© qu’E.On, dans le cas d’espĂšce, Ă©tait susceptible d’abuser individuellement d’une position dominante collective dĂ©tenue avec RWE.

68 O. Koch, op. cit.

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n.Ă  des exigences d’adĂ©quation et de proportionnalitĂ© avec la prĂ©occupation de concurrence exprimĂ©e par la Commission72, mais aussi d’absence de remĂšde ayant des effets Ă©quivalents et pouvant s’avĂ©rer moins contraignant. Dans le cas d’E.On, les cessions d’actifs proposĂ©es par l’entreprise allemande, qui avaient alors une ampleur inĂ©dite, Ă©taient justifiĂ©s aux yeux de la Commission par le fait qu’une mesure structurelle permettait seule de supprimer les risques relatifs aux manipulations anticoncurrentielles du marchĂ© de l’équilibrage par le gestionnaire du rĂ©seau de transport. En effet, la seule alternative serait un contrĂŽle des opĂ©rations au jour le jour, lequel s’avĂšrerait bien plus coĂ»teux, sinon impossible Ă  mettre en Ɠuvre73. Ce faisant, l’argument sur l’inefficience voire l’inefficacitĂ© intrinsĂšque des rĂšgles imposĂ©es en matiĂšre de sĂ©paration fonctionnelle, qui occupait une place centrale dans les propositions de la Commission aprĂšs l’enquĂȘte sectorielle de 2007, se retrouve exactement en matiĂšre d’apprĂ©ciation des propositions d’engagements74.

Le raisonnement suivi pour E.On fut Ă©galement appliquĂ© pour RWE. La cession du rĂ©seau de transport apparaĂźt Ă  la Commission comme le moyen le plus appropriĂ© pour rĂ©gler les problĂšmes de risques d’éviction anticoncurrentielle, le moyen le moins contraignant pour parvenir Ă  ce rĂ©sultat (du fait des difficultĂ©s du contrĂŽle du respect des engagements comportementaux au jour le jour) et enfin un remĂšde proportionnĂ© Ă  l’objectif assignĂ©.

Cependant, l’évaluation de la proportionnalitĂ© des mesures correctives prĂ©sente quelques spĂ©cificitĂ©s, dĂšs lors qu’il ne s’agit pas d’une dĂ©cision sur le fond en application de l’article 7 du rĂšglement n° 1/2003 mais d’une procĂ©dure nĂ©gociĂ©e. En effet, la Commission souligne dans sa dĂ©cision relative Ă  ENI qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de remĂšdes imposĂ©s Ă  une entreprise Ă  titre de sanction, mais de mesures correctives “volontairement proposĂ©[e]s par l’entreprise cherchant Ă  mettre fin Ă  la procĂ©dure sans adoption d’une dĂ©cision reconnaissant formellement l’existence d’une infraction” (§ 85). ConformĂ©ment Ă  l’arrĂȘt Alrosa75, elle dispose d’une marge de discrĂ©tion pour Ă©valuer l’adĂ©quation et la proportionnalitĂ© des engagements. Cependant, le contrĂŽle de proportionnalitĂ© se limite dans le cas d’espĂšce Ă  la vĂ©rification de la capacitĂ© des engagements proposĂ©s Ă  rĂ©pondre aux prĂ©occupations de concurrence et au fait que l’entreprise concernĂ©e n’ait pas proposĂ© d’engagements d’une nature moins contraignante. Par voie de consĂ©quence, la Commission n’est pas tenue Ă  rechercher elle-mĂȘme l’existence d’une telle alternative. L’évaluation se limite aux propositions faites par l’entreprise elle-mĂȘme.

En d’autres termes, il n’est nullement requis qu’elle compare les propositions de l’entreprise avec les mesures correctives qu’elle aurait Ă©tĂ© susceptible de dĂ©cider dans le cadre d’une Ă©ventuelle dĂ©cision sur le fond. En d’autres termes, le

72 TPICE, 19 juin 1997, Air Inter/Commission, T-260/94, Rec. p. II-997, pt 144 ; TPICE, 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T-65/98, Rec. p. II-4653, pt 201 et suiv.

73 P. Chauve et al., op. cit.

74 N. Kroes, “More competitive energy markets: Building on the findings of the sector inquiry to shape the right policy solutions”, European Energy Institute, Bruxelles, 19 sept. 2007, SPEECH /07/ 547.

75 CJUE, 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C-441/07 P, non encore publiĂ© au Recueil.

charge de l’application des rĂšgles de concurrence de s’assurer – au jour le jour – que la gestion du rĂ©seau de transport se fait de façon Ă©quitable et ne sert pas de levier pour la mise en Ɠuvre de stratĂ©gies d’éviction anticoncurrentielle au dĂ©triment des concurrents du groupe verticalement intĂ©grĂ©. Les rĂ©ticences de la Commission Ă  l’égard des mesures correctives de nature comportementale la conduisent donc, dans l’évaluation des propositions d’engagements dans chaque cas individuel, Ă  accueillir trĂšs favorablement les solutions conduisant Ă  une sĂ©paration patrimoniale identique Ă  celle prĂ©conisĂ©e dans ses projets initiaux pour le troisiĂšme paquet de directives70. Enfin, Ă  l’instar de la dĂ©cision relative Ă  GDF Suez, ENI doit s’engager Ă  rĂ©duire ses rĂ©servations Ă  long terme de capacitĂ©s sur les gazoducs permettant d’importer du gaz sur le marchĂ© italien.

L’observation de telles procĂ©dures d’engagements se traduisant par des cessions volontaires d’actifs pourtant a priori stratĂ©giques et rĂ©munĂ©rateurs pour les groupes de l’énergie pose deux types de questions. Un premier a trait Ă  l’indĂ©pendance de ces remĂšdes structurels par rapport aux projets initiaux de la Commission relativement au troisiĂšme paquet de directives Ă©lectriques et gaziĂšres. Le second porte sur la compatibilitĂ© de telles mesures correctives avec les droits fondamentaux des opĂ©rateurs Ă©conomiques, notamment en matiĂšre de proportionnalitĂ© de ces derniĂšres.

Bien que la plupart des enquĂȘtes qui donnent lieu depuis maintenant deux ans Ă  des rĂšglements au travers de procĂ©dures nĂ©gociĂ©es aient Ă©tĂ© lancĂ©es parallĂšlement Ă  l’enquĂȘte sectorielle, la Commission a, Ă  plusieurs reprises, affirmĂ© l’absence de lien direct entre les deux. Elle se dĂ©fend, de la mĂȘme façon, de pousser les entreprises faisant l’objet d’enquĂȘtes sur la base d’une violation de l’article  102 Ă  proposer des remĂšdes structurels qu’elle n’a pu obtenir du Conseil et du Parlement europĂ©ens71. En outre, la Commission argue du fait que le compromis rĂ©alisĂ© au printemps 2009 n’invalide en rien le fait que la sĂ©paration patrimoniale puisse s’avĂ©rer la meilleure rĂ©ponse Ă  apporter dans le cadre de dĂ©cisions relatives aux pratiques mises en Ɠuvre par une entreprise donnĂ©e. Quoi qu’il en soit, la position sans cesse rĂ©affirmĂ©e par la Commission selon laquelle le conflit d’intĂ©rĂȘts est inhĂ©rent aux structures verticalement intĂ©grĂ©es, les rĂ©ticences rĂ©itĂ©rĂ©es Ă  l’égard des mesures correctives de nature comportementale ainsi que les prĂ©cĂ©dents dĂ©sormais assez significatifs tant en nombre qu’en importance indiquent indubitablement aux entreprises faisant l’objet de poursuites que des propositions d’engagements seront d’autant plus favorablement accueillies qu’elles reposeront sur de telles mesures structurelles.

Les mesures correctives qui peuvent ĂȘtre prononcĂ©es dans le cadre d’une procĂ©dure contentieuse doivent satisfaire

70 Notons que la Commission europĂ©enne, dans sa dĂ©cision, statue sur le fait que le transfert des actifs de transport du gaz Ă  la Caisse des DĂ©pĂŽts italienne ne pose guĂšre de problĂšmes de concurrence dans la mesure oĂč celle-ci jouit d’une indĂ©pendance de gestion pour ses activitĂ©s du domaine “concurrentiel”, quand bien mĂȘme celle-ci est, comme ENI, propriĂ©tĂ© de la RĂ©publique italienne (§ 103). De la mĂȘme façon, l’absence d’expĂ©rience de cette derniĂšre dans le domaine de la gestion des rĂ©seaux de transport de gaz ne pose pas de problĂšmes aux yeux de la Commission (§ 109). Il convient en tout Ă©tat de cause de considĂ©rer que la cession du gestionnaire de transport Ă  un autre groupe intervenant dans la fourniture de gaz ne ferait que dĂ©placer le problĂšme et qu’une Ă©ventuelle prise de contrĂŽle par une entitĂ© contrĂŽlant d’autres rĂ©seaux de transports dans l’espace europĂ©en risquerait de poser des problĂšmes concurrentiels d’une autre nature.

71 O. Koch, op. cit.

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n.Euro Power Technology introduisit un appel contre cette dĂ©cision. Ses diffĂ©rents moyens furent tous, in fine, rejetĂ©s par la Cour, faute, Ă  nouveau, d’élĂ©ment probant. Parmi ces diffĂ©rents moyens, relevons quelques dimensions intĂ©ressantes, bien que sans rĂ©elles surprises.

Un premier point tient Ă  la question des mesures conservatoires. La Cour souligne que l’AutoritĂ© a eu raison de statuer dans une seule et unique dĂ©cision sur la saisine elle-mĂȘme et sur la demande de mesures conservatoires. Elle confirme qu’une demande de mesures conservatoires est nĂ©cessairement un accessoire d’une saisine au fond. Le rejet de cette derniĂšre a donc mĂ©caniquement pour effet d’entraĂźner celui de la premiĂšre citĂ©e, sans qu’il ne soit nĂ©cessaire de l’examiner au fond.

Un deuxiĂšme point tient dans la dĂ©finition des marchĂ©s pertinents. Euro Power Technology soutient que l’AutoritĂ© a commis une erreur dans la dĂ©finition du marchĂ© pertinent en n’établissant pas de distinction Ă  partir des technologies de valorisation Ă©lectrique du biogaz (micro-turbines et moteurs). L’enjeu tenait au fait que, dans une dĂ©finition restrictive, Verdesis, la filiale d’EDF visĂ©e, aurait dĂ©tenu une forte position dominante. La Cour rappelle que la dĂ©finition des marchĂ©s pertinents en droit de la concurrence se fait en fonction de la substituabilitĂ© des produits pour les consommateurs et non en fonction des diffĂ©rentes technologies de production disponibles pour fournir ceux-ci.

Enfin, un troisiĂšme point est relatif aux conditions dans lesquelles les opĂ©rateurs historiques peuvent mener leurs stratĂ©gies de diversification. La Cour prĂ©cise Ă  nouveau qu’un opĂ©rateur historique ne doit pas interdire, par les rĂšgles de concurrence, des diversifications sur des marchĂ©s aval ou connexes, notamment par l’intermĂ©diaire de filiales, du moment que les services dont ces derniĂšres bĂ©nĂ©ficieraient de sa part font l’objet d’une juste rĂ©munĂ©ration reflĂ©tant la rĂ©alitĂ© des coĂ»ts, conforme aux pratiques standard du marchĂ© et n’introduisant pas de ce fait de distorsions de concurrence au travers de subventions croisĂ©es (voir l’avis 94-A-15 du 10 mai 1994 du Conseil de la concurrence sur les problĂšmes soulevĂ©s par la diversification des activitĂ©s d’EDF et de GDF au regard de la concurrence).

Au final, la Cour d’appel rejette l’ensemble des moyens d’Euro Power Technology (Ă©galement les accusations de dĂ©nigrement, d’appui indu sur l’appartenance au groupe EDF, de pressions sur des fabricants de turbines pour qu’ils accordent des remises discriminatoires Ă  la filiale d’EDF ou de manƓuvres envers certaines collectivitĂ©s territoriales pour qu’elles privilĂ©gient des marchĂ©s de grĂ© Ă  grĂ© au dĂ©triment supposĂ© du nouvel entrant, dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s dans cette chronique).

F. M. n

contrĂŽle de proportionnalitĂ© est des plus spĂ©cifiques dans le domaine des procĂ©dures nĂ©gociĂ©es. Les engagements pris par l’entreprise peuvent donc aller bien au-delĂ  de ce qui serait nĂ©cessaire pour rĂ©pondre aux prĂ©occupations de concurrence de la Commission, ce qui peut faire craindre un phĂ©nomĂšne d’overfixing imputable, en l’occurrence, Ă  la firme elle-mĂȘme76.

Ce faisant, il est possible que dans une situation d’information incomplĂšte et imparfaite, une entreprise, craignant d’ĂȘtre sanctionnĂ©e Ă  tort,puisse ĂȘtre conduite, connaissant la position de la Commission en matiĂšre de mesures correctives de nature structurelle, Ă  proposer de tels engagements mĂȘme si elle considĂšre qu’elle n’a pas mis en Ɠuvre de pratiques contraires Ă  l’article  102, de façon Ă  ne pas s’exposer Ă  une sanction Ă©levĂ©e77. Se posent en filigrane des questions relatives au contrĂŽle juridictionnel des dĂ©cisions rendant des engagements volontaires obligatoires et de la proportionnalitĂ© de ces derniers.

F. M. n

2. France

Ă©viCtion antiConCurrentielle – disCrimination : La Cour d’appel de Paris rejette un recours formĂ© contre une dĂ©cision de l’AutoritĂ© de la concurrence ayant conduit Ă  rejeter une saisine pour des stratĂ©gies d’éviction allĂ©guĂ©es sur le marchĂ© de la valorisation Ă©lectrique du biogaz (CA Paris, ch. 5-7, 2 dĂ©cembre 2010, Euro Power

Technology ; contre Aut. conc., dĂ©c. n° 10-D-14 du 16

avril 2010 relative à des pratiques mises en Ɠuvre dans

le secteur de la valorisation Ă©lectrique du biogaz)

La sociĂ©tĂ© Euro Power Technology exerce son activitĂ© dans la distribution de micro-turbines et de moteurs Ă  gaz et dans le dĂ©veloppement de projets de petites unitĂ©s de production Ă©lectrique exploitant le biogaz. Ce dernier, extractible dans les dĂ©charges, est destinĂ© Ă  ĂȘtre revendu sous forme d’électricitĂ© Ă  EDF, sur lequel pĂšse une obligation d’achat dont les termes sont particuliĂšrement favorables Ă  ses fournisseurs. ParallĂšlement Ă  des conflits de nature commerciale, Euro Power Technology avait saisi le Conseil de la concurrence le 17 juin 2008 pour des pratiques mises en Ɠuvre par EDF et certaines de ses filiales. Celles-ci auraient pour objet de l’évincer du marchĂ© de la valorisation Ă©lectrique du biogaz. Elle avait, dans le mĂȘme temps, demandĂ© le prononcĂ© de mesures conservatoires. Le 16 avril 2010, l’AutoritĂ©, statuant sur le fond, rejeta sa saisine, faute d’élĂ©ment probant. Elle rejeta Ă©galement par la mĂȘme dĂ©cision sa demande de mesures conservatoires (Concurrences, n° 3-2010, cette chronique).

76 J. Farrell, “Negotiation and merger remedies: Some problems”, dans F.  LĂ©vĂȘque et H. Shelanski (dir.), Merger Remedies in American and European Union Competition Law, Edward Elgar, Cheltenham (U.K.), 2003, p. 95-105.

77 O. Sautel, La pertinence d’une procĂ©dure d’engagement en matiĂšre de contentieux  : Une analyse Ă©conomique et son application au cas de l’iPhone, JournĂ©es de droit Ă©conomique – CREDECO/ GREDEG, “Les procĂ©dures nĂ©gociĂ©es en droit de la concurrence”, Sophia-Antipolis, juin 2010. À paraĂźtre dans les Dossiers de la Revue internationale de droit Ă©conomique.

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n.par l’AutoritĂ© et Ă  la responsabilitĂ© particuliĂšre de France TĂ©lĂ©com, l’opĂ©rateur dominant sur le marchĂ© considĂ©rĂ©...

L’avis 10-A-29 prĂ©sente donc un double intĂ©rĂȘt. Le premier intĂ©rĂȘt porte sur l’analyse du marchĂ© de la publicitĂ© en ligne et sur l’évaluation du comportement de marchĂ© de Google. Le second est relatif Ă  la feuille de route qu’établit l’AutoritĂ© au travers de cette analyse. Cet avis lui permet en effet de tracer une ligne de partage entre les domaines de la concurrence, les domaines de la rĂ©gulation sectorielle et les domaines lĂ©gislatifs, d’annoncer les modalitĂ©s de son suivi des pratiques de marchĂ© de Google, mais aussi, de façon bien plus surprenante, d’obtenir des engagements de la part de l’opĂ©rateur dominant.

I. Une analyse du marché de la publicité en ligne et une évaluation de la compatibilité des pratiques de Google avec les rÚgles de concurrence

La premiĂšre dĂ©cennie de ce siĂšcle a donnĂ© lieu Ă  un nouveau passage de tĂ©moin en termes de dominance, dans le domaine de l’informatique au sens large. Si les annĂ©es quatre-vingt et quatre-vingt-dix avaient marquĂ© le remplacement d’IBM par Microsoft en tĂȘte de l’agenda des autoritĂ©s en charge de l’application du droit de la concurrence, il apparaĂźt indubitablement que ces derniĂšres annĂ©es ont vu la montĂ©e en puissance des prĂ©occupations relatives Ă  la puissance de marchĂ© de Google et Ă  la stratĂ©gie menĂ©e par ce dernier. La turbulence technologique des marchĂ©s considĂ©rĂ©s Ă©tant ce qu’elle est, l’attention semble dĂ©jĂ  se porter sur les risques concurrentiels liĂ©s Ă  la place des rĂ©seaux sociaux, au premier rang desquels figure Facebook.

Cependant, comme le relĂšve l’AutoritĂ© dans son avis, ce dernier ne constitue pas encore un concurrent significatif pour Google sur le marchĂ© de la publicitĂ© en ligne. Au contraire, il est craint que Google ne se livre Ă  des pratiques commerciales ayant pour effet le verrouillage de son marchĂ© et la mise en Ɠuvre de stratĂ©gies de levier pour Ă©tendre sa dominance Ă  des marchĂ©s situĂ©s en aval ou Ă©tant connexes. Tirant profit de sa puissance de marchĂ© vis-Ă -vis de ses partenaires commerciaux, il mettrait en Ɠuvre Ă  leur encontre des agissements opaques et arbitraires.

L’AutoritĂ© dĂ©finit le marchĂ© de la publicitĂ© en ligne comme un marchĂ© autonome. Elle distingue Ă©galement, au sein de ce dernier, deux marchĂ©s spĂ©cifiques. Le premier est celui de la publicitĂ© reposant sur un affichage sur une page Internet donnĂ©e (display). Le second est celui de la publicitĂ© liĂ©e aux recherches (search). Ces deux marchĂ©s prĂ©sentent de fortes spĂ©cificitĂ©s. L’objectif d’une campagne fondĂ©e sur le display tient principalement Ă  l’accroissement de la notoriĂ©tĂ©. Celle d’une campagne de publicitĂ© liĂ©e aux recherches est plus orientĂ©e vers un objectif de performance, c’est-Ă -dire d’achat. En d’autres termes, cette seconde forme de publicitĂ© est situĂ©e plus en aval dans le tunnel dĂ©cisionnel menant Ă  l’acte d’achat (§ 156). Il s’ensuit des modĂšles Ă©conomiques forts diffĂ©rents. Alors que les campagnes du premier type font l’objet d’une facturation en fonction du nombre d’impressions (sur Ă©cran), celles qui sont axĂ©es sur le search sont facturĂ©es au nombre de clics. Cependant, la publicitĂ© liĂ©e aux recherches est d’autant plus attractive pour les annonceurs du marchĂ© que le coĂ»t d’accĂšs financier des campagnes est bien moins Ă©levĂ© que les

forClusion – disCriminations – Clauses d’exClusivitĂ© : L’AutoritĂ© de la concurrence publie un avis rĂ©vĂ©lant son analyse du fonctionnement du marchĂ© de la publicitĂ© en ligne et la Commission europĂ©enne ouvre des enquĂȘtes approfondies sur les pratiques de marchĂ© de Google (Aut. conc., avis n° 10-A-29 du 14 dĂ©cembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicitĂ© en ligne; Comm. eur., communiquĂ© IP/10/1624 du 30 novembre 2010)

Le 30 novembre 2011, la Commission europĂ©enne annonça l’ouverture d’une sĂ©rie d’investigations relatives aux comportements de marchĂ© de Google (COMP C-3/39.740, COMP C-3/39.775 et COMP C-3/39.768). Ces procĂ©dures portent sur la possibilitĂ© de mise en Ɠuvre, de la part de l’entreprise dominante sur le marchĂ© des moteurs de recherche, d’un ensemble de pratiques de marchĂ© abusives. Celles-ci peuvent par exemple conduire Ă  un traitement inĂ©quitable des fournisseurs concurrents de services de recherche en ligne de nature verticale (c’est-Ă -dire de comparateurs de prix) tant dans les rĂ©sultats naturels de recherches que dans les rĂ©sultats de recherches en matiĂšre de liens commerciaux. Google surĂ©lĂšverait, dans le mĂȘme temps, la position de ses propres services, dans ces mĂȘmes rĂ©sultats de recherches. Par ailleurs, la Commission se prĂ©occupe des effets concurrentiels des clauses d’exclusivitĂ© introduites par Google vis-Ă -vis de ses clients, sur le marchĂ© de la publicitĂ©. Elle s’inquiĂšte Ă©galement des Ă©ventuelles restrictions techniques en matiĂšre de portabilitĂ© des campagnes commerciales vers d’autres plateformes commerciales. Google empĂȘcherait que de mĂȘmes formats de publicitĂ© soient utilisĂ©s sur sa plateforme et sur les plateformes concurrentes, et aurait exercĂ© des pressions sur des constructeurs de PC et des dĂ©veloppeurs de logiciels pour entraver le dĂ©veloppement d’outils permettant de tels transferts. En d’autres termes, Google aurait volontairement entravĂ© l’interopĂ©rabilitĂ© en matiĂšre de transferts des campagnes publicitaires avec les opĂ©rateurs concurrents.

Ainsi, la Commission suspecte de la part de Google la mise en Ɠuvre d’un ensemble de pratiques de marchĂ© potentiellement constitutives d’abus de position dominante, passant par des discriminations Ă  l’encontre des concurrents, le recours Ă  des clauses d’exclusivitĂ© de nature Ă  verrouiller le marchĂ© de la publicitĂ© en ligne et enfin des pratiques visant Ă  restreindre les possibilitĂ©s techniques de dĂ©veloppement des mĂȘmes campagnes publicitaires pour sa plateforme et les plateformes concurrentes.

Dans un tel contexte, l’avis rendu quinze jours plus tard par l’AutoritĂ© de la concurrence revĂȘt une dimension bien spĂ©cifique. MalgrĂ© son intitulĂ©, il peut ĂȘtre lu comme une analyse du pouvoir de marchĂ© de Google et comme une premiĂšre Ă©valuation de ses pratiques de marchĂ©. Ce faisant, l’avis peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme annonçant la position de l’AutoritĂ© pour d’éventuelles procĂ©dures contentieuses futures. À ce titre, une telle dĂ©marche n’est pas sans faire Ă©cho Ă  l’avis 10-A-13 du 14 juin 2010, certes relatif Ă  une question diffĂ©rente, celle de l’utilisation croisĂ©e des bases de clientĂšle, mais nĂ©anmoins fort instructif quant Ă  l’évaluation concurrentielle des offres de convergences numĂ©riques

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n.en l’occurrence le service de vente d’espaces publicitaires de Google permettant d’associer les annonces Ă  des mots clĂ©s. ConformĂ©ment aux prescriptions de la littĂ©rature Ă©conomique, la procĂ©dure d’enchĂšres dĂ©veloppĂ©e par Google repose sur un mĂ©canisme d’enchĂšres Ă  la Vickrey, c’est-Ă -dire au second prix80. Ce faisant, a priori, le fonctionnement mĂȘme des enchĂšres rend difficile l’exercice d’un pouvoir de marchĂ© (§ 235). Google ne peut en effet jouer sur le volume des requĂȘtes pour les diffĂ©rents mots clĂ©s. Il n’en demeure pas moins que la façon dont les enchĂšres sont mises en Ɠuvre pose quelques questions en termes de concurrence. Celles-ci portent notamment sur l’opacitĂ© de la procĂ©dure suivie, mais aussi sur les doutes relatifs aux modalitĂ©s de classement des rĂ©sultats de recherche.

Il apparaĂźt en effet, au vu du questionnaire sur lequel l’AutoritĂ© a basĂ© son avis, que les prix pratiquĂ©s par Google sont trĂšs proches de la capacitĂ© maximale Ă  payer des annonceurs (§  238). Les pressions Ă  la hausse des prix pourraient ĂȘtre accrues par la mise aux enchĂšres des mots clĂ©s, laquelle pourrait donner lieu Ă  quelques risques de manipulations (§ 240). Celles-ci peuvent par exemple passer par la participation de Google lui-mĂȘme ou de ses filiales aux enchĂšres, contribuant Ă  pousser les prix Ă  la hausse de façon artificielle. De telles pressions sur les entreprises pourraient ĂȘtre encore accrues si Google mettait aux enchĂšres des mots clĂ©s correspondant Ă  des noms de marques (§ 247).

Au-delĂ  de la question du fonctionnement du processus d’enchĂšres, une seconde prĂ©occupation de concurrence est liĂ©e au classement des publicitĂ©s sur le moteur de recherche. En effet, la position des annonceurs sur la page Internet lorsque les mots clĂ©s saisis sont ceux qui ont Ă©tĂ© acquis lors du processus d’enchĂšres pose problĂšme. En effet, les annonceurs ne sont pas seulement classĂ©s Ă  partir du prix acquittĂ© mais Ă©galement en fonction d’un score de qualitĂ© prenant en compte le nombre de “clics” attendus pour chaque “impression” (affichage Ă  l’écran). En d’autres termes, Google pourrait classer une annonce susceptible de gĂ©nĂ©rer de nombreux clics devant celle de l’entreprise ayant remportĂ© les enchĂšres sur les mots clĂ©s (§ 97). À nouveau, les critĂšres retenus pour Ă©tablir les classements apparaissent comme insuffisamment transparents et peuvent laisser craindre de possibles manipulations.

Face Ă  ces risques, les entreprises partenaires de Google ne disposent que de peu d’alternatives. En effet, ne pas participer aux enchĂšres de Google revient Ă  se priver de quelque 90 % des recherches rĂ©alisĂ©es sur Internet. La position de force de Google sur la face “consommateurs/recherche” du marchĂ© fait que son pouvoir de nĂ©gociation sur la face “annonceur” ne connaĂźt que peu de contrepoids (§ 255). Cette situation est d’autant plus marquĂ©e que Google renforce son attrait auprĂšs des internautes par des services exclusifs et est protĂ©gĂ©e contre de nouvelles entrĂ©es sur ce marchĂ©.

L’attractivitĂ© pour la demande est par exemple consolidĂ©e au travers de Google Books ou encore de YouTube. Dans le premier cas, les moteurs de recherche concurrents ne peuvent indexer les douze millions d’ouvrages numĂ©risĂ©s Ă  la fin de 2009 du fait de clauses d’exclusivitĂ©. De la mĂȘme façon, dans

80 W. Vickrey, “Counter speculation, auctions, and competitive sealed tenders”, Journal of Finance, vol. 16, 1961, p. 8-37.

campagnes de type display. En effet, les coĂ»ts de rĂ©alisation des campagnes sont extrĂȘmement faibles et il n’existe pas de montant minimal d’achat (§ 159).

La publicitĂ© liĂ©e aux recherches constitue donc Ă  elle seule un marchĂ© pertinent (§ 188), et ce, d’autant plus que les solutions alternatives n’occupent pas une place comparable sur le marchĂ©. Il en est par exemple ainsi de la publicitĂ© contextuelle (le retargeting). Il s’agit de publicitĂ©s liĂ©es aux pages prĂ©cĂ©demment consultĂ©es, qui sont susceptibles de s’afficher sur de nouvelles pages que viendrait consulter l’internaute concernĂ©. Si ce type de publicitĂ© se fonde Ă©galement sur un centre d’intĂ©rĂȘt effectif, il n’en demeure pas moins qu’il ne s’agit plus obligatoirement d’un besoin immĂ©diat matĂ©rialisĂ© par une recherche active (§  163). Si ces publicitĂ©s peuvent Ă©ventuellement “rattraper” un consommateur qui n’aurait pas immĂ©diatement rĂ©alisĂ© son achat, elles ne permettent pas pour autant d’identifier de nouveaux besoins et de prĂ©senter le produit Ă  de nouveaux clients (§  172). Le marchĂ© de la publicitĂ© liĂ©e au search constitue donc un marchĂ© pertinent au sens du droit de la concurrence et un marchĂ© dĂ©terminant pour l’économie du secteur.

L’AutoritĂ© souligne par ailleurs les difficultĂ©s rencontrĂ©es dans le cas d’espĂšce pour dĂ©finir les limites du marchĂ© pertinent considĂ©rĂ©. Il est par exemple impossible d’utiliser sur ce type de marchĂ© le test du monopoleur hypothĂ©tique (le test SSNIP, small but significant non transitory increase in price). L’AutoritĂ© est donc contrainte de procĂ©der par itĂ©rations, du produit concernĂ© vers ses substituts les plus proches. Cette dĂ©marche prĂ©sente l’avantage de ne pas se laisser contraindre par des notions de substituabilitĂ© stricte. Elle est cependant particuliĂšrement difficile Ă  mettre en Ɠuvre dĂšs lors que les prix sont flous. Cela est particuliĂšrement le cas dans le marchĂ© de la publicitĂ© en ligne fondĂ© sur la recherche. En effet, non seulement les prix sont dĂ©finis au travers de procĂ©dures d’enchĂšres qui sont caractĂ©risĂ©es, comme nous le verrons, par une certaine opacitĂ©, mais ce marchĂ© est de plus un marchĂ© biface78, avec la coexistence d’un versant gratuit pour les internautes utilisant le moteur de recherche et d’un versant payant pour les annonceurs, le degrĂ© de performance de l’un jouant sur l’autre (§ 179).

Ces difficultĂ©s relevĂ©es, l’AutoritĂ© conclut Ă  l’existence d’une position dominante sur le marchĂ© de la publicitĂ© liĂ©e aux recherches sur Internet (§ 228). Un ensemble de traits saillants de ce marchĂ© confortent cette Ă©valuation. Google jouit d’une part de marchĂ© particuliĂšrement Ă©levĂ©e (plus de 90 %), affiche une profitabilitĂ© apprĂ©ciable (son revenu d’exploitation avant impĂŽts dĂ©passe 35  % de son chiffres d’affaires) et ses prix sont durablement et significativement supĂ©rieurs Ă  ceux pratiquĂ©s par ses concurrents. En outre, le fonctionnement de ce marchĂ© facilite potentiellement l’exercice par Google de son pouvoir de marchĂ©.

En matiĂšre de liens commerciaux79, les mots clĂ©s font l’objet d’une procĂ©dure d’enchĂšres (§  61). AdWords est

78 P. Crocioni, “Leveraging of market power in emerging markets: A review of cases, literature, and a suggested framework”, Journal of Competition Law and Economics, vol. 4, n° 2, 2008, p. 449-534.

79 Il s’agit des liens apparaissant au-dessus ou Ă  droite des “rĂ©sultats naturels” de la recherche par mots clĂ©s, dĂšs lors qu’il s’agit des mĂȘmes mots que ceux qui ont Ă©tĂ© acquis par l’entreprise.

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n.Par exemple, dans son avis, l’AutoritĂ© souligne que l’exclusivitĂ© nĂ©gociĂ©e avec la bibliothĂšque de Lyon, d’une durĂ©e de vingt-cinq ans, est manifestement disproportionnĂ©e par rapport aux investissements consentis (§ 305). De telles durĂ©es peuvent faire en sorte que les effets verrouillants des clauses excĂšdent largement les gains induits. L’exclusivitĂ© peut devenir un outil de forclusion du marchĂ©84. L’accroissement de l’attractivitĂ© du moteur de recherche pour les internautes se paiera par les annonceurs sur la seconde face du marchĂ©, par le renforcement ou la pĂ©rennisation de la dominance de Google.

Outre les barriĂšres tenant aux contenus, Google serait Ă©galement susceptible de protĂ©ger et de consolider sa position dominante sur le marchĂ© des moteurs de recherche au moyen de barriĂšres techniques artificielles. Il en est par exemple ainsi des difficultĂ©s faites aux moteurs de recherche concurrents pour l’indexage des contenus de YouTube, par le refus de transmettre les site maps, c’est-Ă -dire les descriptifs exhaustifs nĂ©cessaires (§ 313).

Les barriĂšres techniques passent Ă©galement par une sĂ©rie de comportements susceptibles de rĂ©duire artificiellement l’interopĂ©rabilitĂ© avec des sites concurrents en matiĂšre de contenus. Il en va ainsi en matiĂšre d’interfaces avec les autres plateformes de recherche en ligne. Par exemple, les annonceurs ne peuvent techniquement transfĂ©rer leurs campagnes de publicitĂ© entre Google et ses concurrents. Elles doivent concevoir des contenus spĂ©cifiques. Une telle nĂ©cessitĂ© a mĂ©caniquement pour effet d’accroĂźtre le coĂ»t relatif des campagnes crĂ©Ă©es pour des moteurs de recherche dotĂ©s d’une faible part de marchĂ© (§ 314). L’AutoritĂ© se fait Ă©galement l’écho de possibles pratiques de Google ayant pour effet d’empĂȘcher la commercialisation d’un logiciel permettant de transfĂ©rer les campagnes d’AdWords de Google vers AdCenter du moteur de recherche de Microsoft Bing (§ 315).

En matiĂšre de stratĂ©gie d’éviction, l’AutoritĂ© Ă©voque Ă©galement d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles reposant sur des mĂ©canismes de levier. Elle s’interroge – tout comme la Commission europĂ©enne – sur l’opacitĂ© des modalitĂ©s de classement des sites Internet dans les rĂ©sultats des recherches et dans l’établissement des scores de qualitĂ©, lesquels pourraient permettre de servir de support Ă  de telles stratĂ©gies (§ 318). De telles questions se posent notamment en matiĂšre de moteurs de recherche verticaux. L’AutoritĂ© consacre Ă  ce propos de longs dĂ©veloppements Ă  la question des requĂȘtes gĂ©ographiques et Ă  la position de marchĂ© du site des “Pages jaunes”. Google ne risque-t-il pas d’ĂȘtre en mesure d’étendre la position dominante qui est la sienne sur le secteur des moteurs de recherche vers ce marchĂ©, en jouant sur les classements des sites concurrents de ceux de ses propres activitĂ©s actuelles ou potentielles dans le domaine ?

Un second grand ensemble de pratiques anticoncurrentielles que pourrait mettre en Ɠuvre Google rĂ©side dans les abus d’exploitation. Ceux-ci pourraient ĂȘtre facilitĂ©s par l’opacitĂ© des mĂ©canismes d’enchĂšres, permettant de mettre en Ɠuvre des stratĂ©gies de discrimination tarifaire (§ 334), mais aussi par les possibilitĂ©s que se rĂ©serve Google de clĂŽturer sans

84 J. Lubek, “Comment apprĂ©cier les effets des exclusivitĂ©s en matiĂšre de distribution  ?”, Concurrences, n° 4-2010.

le second cas, les caractĂ©ristiques de l’indexation des vidĂ©os sur YouTube, filiale de Google, font que les moteurs de recherche concurrents ne sont pas en mesure de les restituer dans leurs rĂ©sultats dans les mĂȘmes conditions que Google. Ces caractĂ©ristiques sont potentiellement inductrices de pratiques anticoncurrentielles


En effet, la position de marchĂ© de Google peut la mettre en situation de commettre deux types d’abus. Le premier correspond aux abus d’éviction, le second aux abus d’exploitation.

Les abus d’éviction correspondent Ă  toutes les pratiques que peut mettre en Ɠuvre un opĂ©rateur dominant pour Ă©liminer des concurrents sur une autre base que celle des mĂ©rites. Il peut s’agir de stratĂ©gies d’érection de barriĂšres Ă  l’entrĂ©e, de jumelages de produits, de prix prĂ©dateurs, de certains types de remises de fidĂ©litĂ© ou encore le recours Ă  des exclusivitĂ©s “verrouillantes”. Notons que pour la plupart des pratiques visĂ©es, une entreprise dominante peut engager une dĂ©fense sur la base de l’efficience. En effet, les pratiques en question ne sont pas interdites per se mais ne sont sanctionnĂ©es sur la base de l’article 102 que si les dommages Ă  la concurrence excĂšdent les gains d’efficacitĂ© ou si ces derniers ne sont pas suffisamment rĂ©percutĂ©s sur les consommateurs.

La position de marchĂ© de Google la rend susceptible aux yeux de l’AutoritĂ© de mettre en Ɠuvre de telles stratĂ©gies d’éviction. Tout d’abord, deux types de barriĂšres artificielles Ă  l’entrĂ©e peuvent rĂ©duire la contestabilitĂ© de sa position. Le premier correspond Ă  des barriĂšres contractuelles relatives Ă  des clauses d’exclusivitĂ© quant aux contenus ; le second, Ă  des barriĂšres de nature technique.

Les exclusivitĂ©s dont peut jouir Google sur certains contenus indexĂ©s peuvent effectivement s’avĂ©rer anticoncurrentielles. Par exemple, l’exclusivitĂ© sur les ouvrages numĂ©risĂ©s constitue une telle barriĂšre. Cependant, il ne saurait ĂȘtre question de considĂ©rer ces derniĂšres comme anticoncurrentielles per se. Elles peuvent Ă©galement ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme favorables aux consommateurs, dans la mesure oĂč sans elles Google ne se serait pas engagĂ© dans cet effort de numĂ©risation. Elles ont rendu possibles des investissements en les protĂ©geant du parasitisme des autres acteurs du marchĂ©81. Il s’agit donc de rĂ©aliser un Ă©quilibre entre ces diffĂ©rents effets. En d’autres termes, il convient d’évaluer si l’exclusivitĂ© consentie est proportionnĂ©e aux investissements rĂ©alisĂ©s (§  302) et si les effets de verrouillage n’induisent pas un dommage excessif Ă  la concurrence. L’AutoritĂ© rĂ©affirme en l’espĂšce la dĂ©marche qui avait Ă©tĂ© inaugurĂ©e par le Conseil de la concurrence dans sa dĂ©cision n°  08-D-10 du 7 mai 2008 relative Ă  la tĂ©lĂ©vision de rattrapage82. En l’espĂšce, l’autoritĂ© en charge de l’application du droit de la concurrence doit mener une Ă©valuation au cas par cas en s’attachant successivement au champ de l’exclusivitĂ©, Ă  sa durĂ©e et Ă  la possibilitĂ© pour des concurrents de trouver des alternatives. La question de la durĂ©e de l’exclusivitĂ© peut ĂȘtre dĂ©terminante, comme l’a montrĂ© l’affaire de la double exclusivitĂ© relative Ă  l’iPhone83.

81 A. Perrot, “Relations verticales et contrats d’exclusivitĂ©â€, Concurrences, n° 4-2010.

82 J.-P. Gunther, “Les stratĂ©gies verticales”, Concurrences, n° 4-2010.

83 G. Duflos et E. Pfister, “Accords de fourniture exclusive et concurrence  : Principes d’analyse et application au cas iPhone”, Concurrences, n° 3-2010.

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n.Cela peut, par exemple, ĂȘtre le cas dans des domaines pour lesquels l’intensitĂ© concurrentielle est faible ou quand le jeu des exclusivitĂ©s ou des ventes couplĂ©es peut verrouiller un marchĂ© et rĂ©duire de façon indue la libertĂ© de choix des consommateurs. De tels risques sont ainsi sensibles dĂšs lors que le jeu des exclusivitĂ©s – par exemple, par le contrĂŽle des contenus audiovisuels – risque de structurer le marchĂ© dans un modĂšle de silos. Auquel cas, la question d’un encadrement des exclusivitĂ©s de distribution peut ĂȘtre posĂ©e comme l’avait Ă©voquĂ© le rapport Hagelsteen pour le marchĂ© de gros de la tĂ©lĂ©vision payante85.

NĂ©anmoins, l’AutoritĂ© souligne que la rĂ©gulation spĂ©cifique doit demeurer l’exception et ne point constituer la rĂšgle. Celle-ci n’est pleinement efficace que si trois conditions sont rĂ©unies, Ă  savoir des obstacles avĂ©rĂ©s au fonctionnement concurrentiel des marchĂ©s, l’incapacitĂ© du droit de la concurrence Ă  apporter des rĂ©ponses adaptĂ©es et suffisantes, et un caractĂšre proportionnĂ© des rĂ©ponses de la rĂ©gulation sectorielle aux problĂšmes de concurrence identifiĂ©s. Dans le cas d’espĂšce, les outils dont dispose l’AutoritĂ© lui semblent suffisants pour prĂ©venir de tels comportements, voire “mettre ainsi des bornes aux agissements de Google susceptibles d’endommager une compĂ©tition effective entre les acteurs” (§ 349).

L’AutoritĂ©, s’appuyant alors sur les procĂ©dures lancĂ©es par la Commission europĂ©enne, dĂ©veloppe une dĂ©monstration de la capacitĂ© des rĂšgles de concurrence Ă  remĂ©dier aux risques dĂ©finis pour la concurrence. Pour celle-ci, l’ensemble des comportements de marchĂ© susceptibles de se traduire par des abus d’éviction ou des abus d’exploitation – Ă  l’exception des questions spĂ©cifiquement liĂ©es Ă  l’économie de la presse sur lesquelles nous reviendrons – ne justifie pas une intervention ex ante Ă©manant d’une autoritĂ© de rĂ©gulation sectorielle, ou une rĂ©glementation. Les raisons sont principalement de trois ordres. Tout d’abord, une intervention prĂ©coce et par trop rigide pourrait ĂȘtre prĂ©judiciable Ă  la dynamique de marchĂ© considĂ©rĂ©e (§  354). Ensuite, la turbulence des marchĂ©s considĂ©rĂ©s peut expliquer et rendre tolĂ©rable l’apparition de positions dominantes qui ne seront que transitoires (§ 360). Enfin, il apparaĂźt que l’imposition d’une rĂ©gulation n’est pas aussi lĂ©gitime lorsque l’entreprise tire sa dominance de ses seuls mĂ©rites, Ă  l’instar de Google, que lorsque celle-ci tire ses racines d’un monopole lĂ©gal ou de droits exclusifs comme cela est le cas pour les industries de rĂ©seau.

Il s’ensuit l’établissement par l’AutoritĂ© d’une feuille de route en matiĂšre de contrĂŽle concurrentiel des pratiques de marchĂ© de Google. Celle-ci prĂ©sente l’originalitĂ© de mettre en exergue – pour certains points – l’impact d’engagements pris par Google. L’originalitĂ© d’une situation au travers de laquelle une autoritĂ© de concurrence obtient d’une entreprise des engagements volontaires dans le cadre d’une procĂ©dure consultative doit ĂȘtre soulignĂ©e. Il en est ainsi, par exemple, en matiĂšre de durĂ©e des clauses d’exclusivitĂ© nĂ©gociĂ©es en contrepartie de la numĂ©risation des ouvrages86. C’est Ă©galement le cas pour certaines prĂ©occupations de concurrence relatives au domaine de la presse. En effet, l’AutoritĂ© craignait que

85 M.-D. Hagelsteen, Les exclusivitĂ©s de distribution et de transport dans le secteur de la tĂ©lĂ©vision payante, rapport remis au Premier Ministre, janv. 2009, 54 p.

86 “Google semble d’ailleurs en avoir pris conscience en prĂ©cisant au cours de l’instruction qu’elle n’appliquerait pas cette clause du contrat.” (§ 305)

prĂ©avis les comptes AdWords de certains annonceurs. Un tel risque de discriminations occupait une large place dans l’affaire Navx (AutoritĂ© de la concurrence, dĂ©cision n° 10-D-30 du 28 octobre 2010 relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre dans le secteur de la publicitĂ© sur Internet), concernant des pratiques discriminatoires entre des fabricants de GPS et les fournisseurs de bases de donnĂ©es pour la localisation de radars fixes et mobiles. Notons que Google a rĂ©pondu Ă  ces prĂ©occupations de concurrence au travers d’une procĂ©dure d’engagements.

Cette derniĂšre affaire conduit d’ailleurs l’AutoritĂ© Ă  souligner la capacitĂ© du droit de la concurrence Ă  apporter une rĂ©ponse efficace Ă  de tels risques (§  341). Ce faisant, l’avis ainsi prĂ©sentĂ© s’oriente vers une prĂ©conisation quant aux possibles interventions de l’autoritĂ© en charge du droit de la concurrence, d’autoritĂ©s de rĂ©gulation sectorielle, voire du lĂ©gislateur dans de tels domaines.

II. Des effets des avis sur la concurrence

L’évaluation rĂ©alisĂ©e par l’AutoritĂ© de la concurrence dans le cadre d’une procĂ©dure consultative prĂ©sente quelques particularitĂ©s. Elle ne peut ĂȘtre assimilĂ©e Ă  l’évaluation classique rĂ©alisĂ©e dans les procĂ©dures contentieuses. Comme le souligne l’AutoritĂ© elle-mĂȘme, il ne s’agit pas, dans le cadre d’une telle procĂ©dure, de se prononcer sur le comportement ou sur les pratiques d’un opĂ©rateur donnĂ© au regard des articles  101 et 102 TFUE. Seule une saisine contentieuse permet en effet de se prononcer sur la licĂ©itĂ© d’une pratique donnĂ©e (§ 107).

Pour l’AutoritĂ©, non seulement l’évaluation rĂ©alisĂ©e ne peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e de façon trop directe comme une apprĂ©ciation de la compatibilitĂ© de la stratĂ©gie de Google avec les rĂšgles de concurrence, mais il convient de noter que les fortes turbulences sur le marchĂ© considĂ©rĂ© peuvent conduire Ă  des Ă©valuations quelque peu diffĂ©rentes si une procĂ©dure contentieuse venait Ă  ĂȘtre rĂ©alisĂ©e dans quelques mois (§ 108). Selon les termes mĂȘmes de l’AutoritĂ©, l’avis a pour objet d’éclairer le fonctionnement du secteur en fournissant un “guide de lecture des comportements qui pourraient, au regard des circonstances qui leur sont propres et de leur impact sur le marchĂ©, constituer ou non des abus de position dominante” (§ 297). Un tel guide de lecture a cependant quelques effets sur les anticipations des acteurs du marchĂ© et donc sur sa future dynamique concurrentielle.

L’avis peut ĂȘtre lu Ă  la fois comme un signal donnĂ© aux opĂ©rateurs du marchĂ©, au premier rang desquels figure Google, mais aussi comme les prĂ©conisations de l’AutoritĂ© concernant le partage des responsabilitĂ©s entre les interventions concurrentielles et la rĂ©gulation sectorielle. Nous avons vu que la dĂ©cision Navx est mise en exergue pour tĂ©moigner de la capacitĂ© du droit de la concurrence Ă  gĂ©rer les risques de verrouillage anticoncurrentiel des marchĂ©s ou les risques de discrimination au travers de procĂ©dures d’engagements.

Pour l’AutoritĂ©, la situation de Google ne justifie pas la mise en place d’un cadre rĂ©glementaire spĂ©cifique. Des mesures de rĂ©gulation spĂ©cifiques visant Ă  corriger certains risques peuvent se justifier dans certaines circonstances (§  347).

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n.certains articles repris de titres de presse Ă©crite ne puissent plus ĂȘtre rĂ©fĂ©rencĂ©s sur Google dĂšs lors que les entreprises de presse s’opposeraient Ă  leur insertion dans les pages de Google ActualitĂ©s (§  383). Elle indique qu’elle veillera Ă  l’application, en France, d’engagements pris par Google devant l’autoritĂ© de concurrence italienne de ne pas mettre en Ɠuvre ce genre de pratiques (§ 384).

Il convient en effet de noter qu’au-delĂ  des problĂšmes de concurrence liĂ©s au marchĂ© de la publicitĂ© en ligne et des moteurs de recherche verticaux, l’AutoritĂ© s’attache Ă©galement aux effets de la stratĂ©gie de Google sur les entreprises de presse. Elle s’attache notamment au risque de parasitisme induit par Google ActualitĂ©s. En effet, ce service de Google regroupe par thĂšmes une sĂ©lection d’articles de presse disponibles en ligne. Proposant le meilleur de la presse sur un portail unique, il risque de devenir le point d’entrĂ©e des internautes au dĂ©triment des sites des entreprises de presse (§ 379), avec les avantages qui peuvent en dĂ©couler en termes de ressources publicitaires. Google ne se contentant pas de rĂ©fĂ©rencer les articles mais offrant un contenu Ă©ditorial (ne serait-ce que par le regroupement thĂ©matique des articles), il peut bĂ©nĂ©ficier des meilleures compĂ©tences et des meilleurs contenus sans supporter les coĂ»ts de production de l’information (§  382). Relevons que l’AutoritĂ© propose Ă©galement une Ă©volution de la lĂ©gislation (en l’occurrence, la loi Sapin du 29 janvier 1993) pour offrir plus de garanties aux titres de presse en matiĂšre de transparence quant aux ressources publicitaires.

En annexe de son avis, l’AutoritĂ© rĂ©capitule les diffĂ©rentes prĂ©occupations de concurrence pour lesquelles elle est susceptible d’intervenir. La reproduction d’une forme abrĂ©gĂ©e de ces derniĂšres prĂ©sente en outre l’intĂ©rĂȘt de souligner Ă  nouveau de quelle façon une procĂ©dure consultative peut implicitement revĂȘtir la forme de prĂ©occupations de concurrence appelant des engagements de la part de l’entreprise visĂ©e. Une telle situation peut avoir pour effet indirect de voir l’AutoritĂ© jouer sur la dynamique concurrentielle du marchĂ© considĂ©rĂ© en dehors d’une procĂ©dure contentieuse et d’une dĂ©cision sur le fond. La question du contrĂŽle juridictionnel, dĂ©jĂ  posĂ©e pour l’ensemble des procĂ©dures nĂ©gociĂ©es dans le cadre des compĂ©tences contentieuses, pourrait donc Ă©galement ĂȘtre posĂ©e dans le cadre des compĂ©tences consultatives dĂšs lors qu’elles produisent des effets directs sur la concurrence.

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Voir tableau page suivante

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PrĂ©occupations de concurrence mises en exergue par l’AutoritĂ©

Grille d’analyse de l’AutoritĂ© de concurrence

Suites que l’AutoritĂ© se propose de donner

Accords d’exclusivitĂ© liĂ©s aux contenus

Vérification de la limitation du champ, de la durée des clauses, de leur proportionnalité avec les investissements consentis

Refus des clauses d’exclusivitĂ© sur les ouvrages numĂ©risĂ©s portant sur la numĂ©risation ultĂ©rieure par un concurrent

ProcĂ©dure Ă©ventuelle de l’AdlC

Obstacles à l’indexation des contenus de YouTube par les moteurs de recherche concurrents

VĂ©rification de l’absence d’obstacles techniques Ă  l’indexation (dĂ©fense possible sur la base de l’efficience)

ProcĂ©dure europĂ©enne en cours ; Ă  dĂ©faut, procĂ©dure de l’AdlC

Obstacles Ă  l’utilisation simultanĂ©e par plusieurs plateformes de publicitĂ©s liĂ©es Ă  la recherche

VĂ©rification de l’absence d’obstacles techniques Ă  la portabilitĂ© (dĂ©fense possible sur la base de l’efficience)

Procédure européenne en cours

Possibilités de manipulations dans les enchÚres AdWords

Examen de l’algorithme, Ă©valuation des possibilitĂ©s de manipulation

Procédure européenne en cours

Participation de Google Ă  ses propres enchĂšres

VĂ©rification de la proportionnalitĂ© du montant des enchĂšres et du service, et vĂ©rification de l’absence de prime d’éviction

ProcĂ©dure europĂ©enne en cours ; Ă  dĂ©faut, procĂ©dure de l’AdlC

Manque de transparence et caractĂšre discriminatoire de l’application des rĂšgles relatives Ă  AdWords. Fermetures sans prĂ©avis de comptes de certains annonceurs

Engagements rendus obligatoires par la décision 10-D-30 du 28 octobre 2010

Mise en avant de Google Maps dans les recherches de type “gĂ©ographique”

Examen des rĂšgles de classement, Ă©valuation des risques de sous-estimation du classement des pages jaunes

ProcĂ©dure europĂ©enne en cours ; Ă  dĂ©faut, procĂ©dure de l’AdlC

Clauses d’exclusivitĂ© dans les contrats publicitaires AdSense1*

Évaluation de l’impact sur la concurrence, justification sur la base de l’efficience

Procédure européenne en cours

Opacité concernant le taux de partage des revenus entre Google et AdSense

Demande de modification des contrats et de clarification des taux de répartition

Engagements pris devant l’autoritĂ© de concurrence italienne. L’AdlC surveillera leur application en France.

Inadéquation de la loi Sapin pour garantir la transparence du marché de la publicité en ligne pour les éditeurs

Obligations minimales de redditions de comptes, mĂ©canisme Ă©ventuel d’audit par un tiers certificateur

Évolution lĂ©gislative

Parasitisme de Google Actualités

Possibilité de déréférencement sur Google Actualités, sans risque de déréférencement sur le moteur de recherche

Engagements pris devant l’autoritĂ© de concurrence italienne. L’AdlC surveillera leur application en France.

CrĂ©ation de kiosques numĂ©riques, encouragĂ©s sur le principe par l’AdlC, mais devant s’accompagner de garanties concurrentielles

Projet Ă  soumettre pour avis Ă  l’AdlC, pour l’évaluation de sa compatibilitĂ© avec les rĂšgles de concurrence

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n.conservatoires visant Ă  la suspension de telles clauses (Cons. conc., dĂ©c. 08-D-10, TĂ©lĂ©vision de rattrapage, 7 mai 2008) et Ă  leur faire droit dans d’autres (Cons. conc., dĂ©c 08-MC-01, iPhone, 17 dĂ©cembre 2008).

La dĂ©cision de l’AutoritĂ© analysĂ©e porte sur les risques liĂ©s au contrĂŽle par un opĂ©rateur dominant Ă  partir du contrĂŽle de contenus audiovisuels sur la pĂ©rennitĂ© et le dĂ©veloppement de la concurrence. Dans le cas d’espĂšce, diffĂ©rentes pratiques sont allĂ©guĂ©es Ă  l’encontre du groupe Canal Plus, les unes relevant de l’article  101 TFUE, les autres de l’article  102. Pour ce dernier article, les pratiques incriminĂ©es relĂšvent d’abus d’exploitation et d’abus d’éviction, passant pour ces derniers par des clauses d’exclusivitĂ©, des ventes couplĂ©es ou des dĂ©nigrements. Les griefs relatifs Ă  l’article 101 concernent Ă©galement des questions d’exclusivitĂ©, au travers d’ententes nouĂ©es avec des chaĂźnes de tĂ©lĂ©vision Ă©ditrices de contenus. Nous n’abordons dans cette chronique que la question spĂ©cifique des abus d’éviction susceptibles de dĂ©couler, dans le cas d’espĂšce, des clauses d’exclusivitĂ©. En effet, les diffĂ©rents griefs relatifs Ă  l’article 102 portant sur les comportements discriminatoires, les stratĂ©gies de couplage ou encore les pratiques de dĂ©nigrement furent rejetĂ©s. Ils n’appellent pas de remarques particuliĂšres. Par contre, plus intĂ©ressante est la question de la possible forclusion du marchĂ© de la tĂ©lĂ©vision payante, et notamment le marchĂ© Ă©mergent de la fibre, Ă  partir d’un bloc d’exclusivitĂ©s dĂ©tenu par un opĂ©rateur dominant sur les chaĂźnes thĂ©matiques les plus attractives. La question, comme nous le verrons, n’a pas Ă©tĂ© tranchĂ©e dans le cadre de cette dĂ©cision, l’AutoritĂ© dĂ©cidant in fine de renvoyer l’affaire Ă  l’instruction (§ 379). AprĂšs avoir dĂ©crit Ă  grands traits l’affaire, en nous attachant Ă  l’importance de la question des contenus et des clauses d’exclusivitĂ© affĂ©rentes dans l’économie du secteur (I), nous traiterons de la dĂ©cision de l’AutoritĂ© et de l’évaluation des effets de telles clauses sur la concurrence et le bien-ĂȘtre (II).

I. De la question des contenus audiovisuels et de l’importance des clauses d’exclusivitĂ©

Le 1er aoĂ»t 2007, le Conseil de la concurrence fut saisi par le groupe AB sur la base d’un ensemble de pratiques anticoncurrentielles qu’aurait mis en Ɠuvre Ă  son encontre le groupe Canal Plus. Ces derniĂšres consistaient en divers abus d’éviction et d’exploitation. MalgrĂ© le retrait de la saisine d’AB, le 13 mai 2008, le Conseil poursuivit l’instruction et joignit l’affaire Ă  une saisine de France TĂ©lĂ©com en date du 5 novembre 2008. Celle-ci portait sur l’accaparement de chaĂźnes thĂ©matiques au moyen de clauses d’exclusivitĂ©, de pratiques de couplages anticoncurrentielles et de diverses pratiques de dĂ©nigrement et de pression sur les Ă©diteurs de chaĂźnes Ă  l’encontre de l’opĂ©rateur issu du secteur des tĂ©lĂ©communications. La saisine prenait place dans un contexte de dĂ©veloppement de la concurrence Ă  partir des contenus, entre les acteurs traditionnels de la tĂ©lĂ©vision payante et les opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communications qui sont de nouveaux entrants sur le marchĂ©. Il est d’ailleurs Ă  relever que la saisine de France TĂ©lĂ©com Ă©tait concomitante au lancement de ses propres chaĂźnes - sur le devenir desquelles il sera nĂ©cessaire de revenir -, mais Ă©galement des dĂ©bats autour du dĂ©veloppement des rĂ©seaux de fibre optique et de leurs consĂ©quences sur l’équilibre futur du secteur.

Ă©viCtion antiConCurrentielle – Clauses d’exClusivitĂ© : L’AutoritĂ© de la concurrence demande un supplĂ©ment d’instruction pour Ă©valuer les risques de prĂ©emption du marchĂ© de la diffusion de contenus audiovisuels sur la fibre optique au moyen de clauses d’exclusivitĂ© (Aut. conc., dĂ©c. n° 10-D-32 du 16 novembre 2010 relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre dans le secteur de la tĂ©lĂ©vision payante)

Dans le contexte de la convergence numĂ©rique, la question des clauses d’exclusivitĂ© relatives aux contenus audiovisuels a suscitĂ© de nombreuses prĂ©occupations de concurrence et a Ă©tĂ© au centre de nombreux contentieux ces derniĂšres annĂ©es. Si, comme dans de nombreux autres domaines, les clauses d’exclusivitĂ© ne sauraient ĂȘtre interdites per se au regard des gains d’efficience qui peuvent leur ĂȘtre associĂ©s et de la sĂ©curisation induite de certains investissements spĂ©cifiques, il n’en demeure pas moins qu’elles sont susceptibles de gĂ©nĂ©rer un verrouillage des marchĂ©s, particuliĂšrement lourd de consĂ©quences sur les marchĂ©s Ă©mergents87. Ce dernier peut advenir d’autant plus rapidement que les effets de rĂ©seaux peuvent conduire les dĂ©tenteurs des droits sur les contenus les plus attractifs Ă  contracter avec les opĂ©rateurs ayant la base de clientĂšle la plus large. De plus, la gĂ©nĂ©ralisation de modĂšles de type “double exclusivitĂ©â€, par lesquels certains fournisseurs d’accĂšs Ă  Internet se rĂ©serveraient les contenus les plus attractifs, peut conduire Ă  un verrouillage des consommateurs d’autant plus significatif que les coĂ»ts de changement d’opĂ©rateur seront Ă©levĂ©s88.

Une intervention trop tardive des autoritĂ©s en charge de l’application du droit de la concurrence risquerait de s’avĂ©rer inefficace. Elle pourrait ne plus ĂȘtre en mesure de contrecarrer l’éviction des concurrents d’un opĂ©rateur particuliĂšrement dominant ou du moins la structuration de l’industrie au travers de diffĂ©rents contrats d’exclusivitĂ© selon un modĂšle de silos89. SymĂ©triquement, une intervention trop prĂ©coce risquerait d’affecter nĂ©gativement la dynamique des marchĂ©s. Un faux positif – c’est-Ă -dire une entreprise qui verrait une clause d’exclusivitĂ© dont elle est la bĂ©nĂ©ficiaire annulĂ©e ou suspendue Ă  tort – engendrerait alors un coĂ»t Ă©conomique particuliĂšrement Ă©levĂ© tant pour l’entreprise concernĂ©e que pour le bien-ĂȘtre du consommateur90.

Les autoritĂ©s de concurrence sont donc conduites Ă  une difficile Ă©valuation au cas par cas des effets concurrentiels de ces clauses et des Ă©ventuels gains d’efficience qui leur sont associĂ©s. La pratique dĂ©cisionnelle a progressivement dĂ©gagĂ© un ensemble de critĂšres d’apprĂ©ciation tenant au champ et Ă  la durĂ©e des clauses incriminĂ©es, Ă  leur proportionnalitĂ© avec les investissements des parties contractantes et Ă  leur effet sur la concurrence. L’application de ces critĂšres a conduit dans certains cas Ă  refuser des demandes de mesures

87 A. Perrot, “Relations verticales et contrats d’exclusivitĂ©â€, Concurrences, n° 4-2010.

88 Aut. conc., avis 09-A-42, relations d’exclusivitĂ© entre activitĂ©s d’opĂ©rateurs de communications Ă©lectroniques et activitĂ©s de distribution de contenus et de services, 7 juillet 2009.

89 J.-P. Gunther, “Les stratĂ©gies verticales”, Concurrences, n° 4-2010.

90 P. Bougette, F. Marty, J. Pillot et P. Reis, “ApprĂ©ciation des clauses d’exclusivitĂ© par les autoritĂ©s de la concurrence  : Le cas des marchĂ©s de haute technologie”, Concurrences, n° 3-2010, p. 65-74.

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n.de diffuseur technique. En outre, l’abonnement venant en sus du forfait rĂ©glĂ© par l’abonnĂ©, se pose un problĂšme d’attractivitĂ© de l’offre pour les consommateurs, dĂšs lors que les contenus proposĂ©s sont disponibles sur d’autres plateformes. La diffĂ©renciation et l’attractivitĂ© des offres doivent donc passer par des contenus spĂ©cifiques. Or, dans le mĂȘme temps, Canal Plus dispose de larges exclusivitĂ©s et en nĂ©gocie des extensions. Ce faisant, un second modĂšle de dĂ©veloppement, fondĂ© sur la diffĂ©renciation de l’offre, a Ă©tĂ© envisagĂ©. L’opĂ©rateur de tĂ©lĂ©communications confectionne ses propres bouquets de chaĂźnes thĂ©matiques payantes pour proposer une offre propriĂ©taire.

Il s’agit donc de savoir si, au moyen d’une stratĂ©gie d’assĂšchement du marchĂ© de gros des contenus passant par la nĂ©gociation de clauses d’exclusivitĂ©, Canal Plus est effectivement en position de mettre en Ɠuvre une stratĂ©gie d’éviction anticoncurrentielle au dĂ©triment des opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©phonie mobile sur le marchĂ© de la tĂ©lĂ©vision.

Évaluer ce risque suppose de s’attacher Ă  la puissance de marchĂ© des deux types d’acteurs. D’une part, malgrĂ© un effritement de sa part de marchĂ©, il ne saurait ĂȘtre question de ne pas reconnaĂźtre Ă  Canal Plus une position dominante. Tout d’abord, sa part de marchĂ© dĂ©passe toujours 50  % et demeure trois fois plus Ă©levĂ©e que celle de son premier concurrent (en l’occurrence, Free). Ensuite, son niveau de prix demeurant plus Ă©levĂ© que celui de ses concurrents, sa part de marchĂ© en valeur s’élĂšve au-delĂ  de la part qu’il dĂ©tient en volume. Enfin, le fait qu’il n’ait pas Ă©tĂ© contraint de baisser ses prix malgrĂ© l’érosion de sa part de marchĂ© tĂ©moigne de sa dominance. Face Ă  lui, la puissance de marchĂ© des opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©phonie mobile doit ĂȘtre relativisĂ©e. Free ne possĂšde pas d’offre tĂ©lĂ©visuelle propre (§ 281) et les deux autres opĂ©rateurs affichent des taux de souscription Ă  leurs bouquets payant extrĂȘmement faibles. Le taux n’est que de 16,2  % chez SFR et ne s’établit qu’à 7,3  % dans le cas d’Orange, pourtant engagĂ© dans l’intĂ©gration amont vers l’édition de chaĂźnes propriĂ©taires.

Il n’en demeure pas moins que la faiblesse de ces positions ne doit pas cacher que les opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communications demeurent les principaux vecteurs de croissance du secteur de la tĂ©lĂ©vision avec les offres multicanaux et leur avantage potentiel en termes de modes de consommation non linĂ©aires des programmes (§  285). Cependant, leur dĂ©veloppement potentiel peut ĂȘtre entravĂ© par une stratĂ©gie d’assĂšchement du marchĂ© de gros des contenus (§ 287).

En effet, alors que les engagements pris en 2006 dans le cadre de la fusion Canal Sat-TPS avaient Ă©largi le nombre de chaĂźnes disponibles, la nĂ©gociation des accords d’exclusivitĂ© tend Ă  nouveau Ă  le restreindre radicalement. Canal Plus dĂ©tient en effet l’exclusivitĂ© sur les chaĂźnes qu’elle Ă©dite elle-mĂȘme, mais Ă©galement sur quelque trente chaĂźnes additionnelles, en l’occurrence les plus attractives pour les tĂ©lĂ©spectateurs (§ 55). En effet, sur les 60 chaĂźnes thĂ©matiques payantes disponibles fin 2008, Canal Plus dĂ©tenait les exclusivitĂ©s satellites sur 35 d’entre elles, sur 33 en ADSL et sur 30 pour la fibre. Canal Plus est d’autant plus en position de force pour nĂ©gocier de tels droits exclusifs qu’il dispose d’une large base d’abonnĂ©s sur laquelle il peut aisĂ©ment amortir les coĂ»ts d’acquisition de ces derniers. Il bĂ©nĂ©ficie en outre de son intĂ©gration verticale

La comprĂ©hension du contentieux suppose de dĂ©finir les activitĂ©s d’édition et de distribution de contenus audiovisuels. Le secteur de l’édition correspond Ă  la crĂ©ation de chaĂźnes thĂ©matiques Ă  partir de contenus audiovisuels achetĂ©s auprĂšs de producteurs. La distribution correspond Ă  l’agrĂ©gation dans des bouquets de ces diffĂ©rentes chaĂźnes payantes et de leur commercialisation auprĂšs des abonnĂ©s. Il convient Ă©galement de distinguer, en aval, une activitĂ© de transport, consistant en l’acheminement et en la diffusion des bouquets sur diffĂ©rentes plateformes d’accĂšs pouvant ĂȘtre le cĂąble, le satellite, l’ADSL ou encore la tĂ©lĂ©phonie mobile.

Du fait de la convergence numĂ©rique, la structure du marchĂ© connaĂźt de fortes turbulences. Sont dĂ©sormais prĂ©sents sur le marchĂ©, aux cĂŽtĂ©s des opĂ©rateurs traditionnels, de nouveaux venus issus du monde des tĂ©lĂ©communications. Il en dĂ©coule des dynamiques de firmes diffĂ©rentes et des modĂšles de dĂ©veloppement diffĂ©rents dont l’un des paramĂštres essentiels tient au contrĂŽle de contenus audiovisuels spĂ©cifiques permettant de diversifier les offres. Aux cĂŽtĂ©s d’un modĂšle d’intĂ©gration verticale allant des droits sur les contenus jusqu’à l’abonnĂ©, existe Ă©galement un modĂšle dans le cadre duquel des opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communications acquiĂšrent des bouquets de chaĂźnes pour les proposer Ă  leurs abonnĂ©s. L’entrĂ©e de ces derniers ne constitue pas la seule Ă©volution que connaĂźt la branche. Tout d’abord, certains d’entre eux tentent - ou ont tentĂ© -, avec une rĂ©ussite trĂšs relative, de s’intĂ©grer verticalement vers l’édition et la distribution, afin de proposer des offres propriĂ©taires. Ensuite, le dĂ©veloppement de la fibre optique contribue Ă©galement Ă  rabattre les cartes du jeu concurrentiel et Ă  favoriser le dĂ©veloppement des modes de consommation non linĂ©aires de la tĂ©lĂ©vision, en l’occurrence la tĂ©lĂ©vision de rattrapage et la vidĂ©o Ă  la demande, lesquels constituaient un avantage des opĂ©rateurs utilisant des technologies ADSL.

Ces Ă©volutions prennent place dans un marchĂ© marquĂ© depuis 2006 par la prĂ©sence d’un opĂ©rateur dominant intĂ©grĂ© verticalement, issu de la concentration de Canal Sat et TPS. Outre son poids sur le marchĂ© en termes de nombre d’abonnĂ©s, cet opĂ©rateur dominant dĂ©tient de substantiels droits exclusifs. L’ampleur des exclusivitĂ©s dĂ©tenues qu’il dĂ©tient pose d’autant plus de problĂšmes de concurrence, selon ses compĂ©titeurs, que celles-ci sont peu Ă  peu Ă©tendues Ă  la fibre optique, laissant craindre la mise en Ɠuvre d’une stratĂ©gie de prĂ©emption du marchĂ© et d’éviction des opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communications. Le risque que ces exclusivitĂ©s constituent le levier d’une stratĂ©gie d’éviction anticoncurrentielle visant les opĂ©rateurs de tĂ©lĂ©communications peut ĂȘtre d’autant plus mis en exergue que certaines clauses d’exclusivitĂ© visent spĂ©cifiquement ces opĂ©rateurs et ne portent pas sur les opĂ©rateurs n’exploitant que des rĂ©seaux cĂąblĂ©s (§ 72).

La question de l’accĂšs aux contenus est en effet dĂ©terminante pour les opĂ©rateurs issus des tĂ©lĂ©communications. Ces derniers ont adoptĂ© deux modĂšles de dĂ©veloppement distincts. Dans le premier, ils se bornent Ă  diffuser techniquement des offres tĂ©lĂ©visuelles existantes, confectionnĂ©es et commercialisĂ©es par des distributeurs tiers. Ces derniers – dont Canal Plus – disposent alors d’une relation commerciale directe avec l’abonnĂ© et reversent en contrepartie une somme forfaitaire annuelle Ă  l’opĂ©rateur, calculĂ©e sur la base du montant de l’abonnement. L’opĂ©rateur est cantonnĂ© Ă  une simple activitĂ©

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n.rĂ©el des clauses en question. Suivant l’arrĂȘt Tomra91, un abus peut ĂȘtre constatĂ© dĂšs lors que les accords “tend[ent] Ă  verrouiller une partie significative de la demande”. Une telle position constitue un net recul par rapport aux objectifs affichĂ©s de converger vers une approche plus Ă©conomique, non plus basĂ©e sur des catĂ©gories juridiques formelles mais sur l’évaluation des effets concrets des pratiques en cause92


Dans le mĂȘme temps, la dĂ©fense de Canal Plus rĂ©side dans l’insuffisance d’une exclusivitĂ© qui ne porterait que sur l’ADSL et non sur la fibre qui apparaĂźt comme une technologie substituable (§  347). En d’autres termes, l’extension de l’exclusivitĂ© est indispensable pour bĂ©nĂ©ficier des gains d’efficience qu’elle permet.

Une dĂ©cision sur le fond permettra de s’attacher Ă  la fois Ă  la façon dont les dommages Ă  la concurrence seront Ă©valuĂ©s et Ă  la façon dont les justifications ou les gains d’efficience potentiels seront apprĂ©ciĂ©s. Dans le cadre de sa dĂ©cision, l’AutoritĂ© doit notamment se prononcer sur la lĂ©gitimitĂ© des clauses d’exclusivitĂ© portant sur les chaĂźnes directement Ă©ditĂ©es par Canal Plus (§  361) et sur celles d’éditeurs indĂ©pendants (§ 364). Dans l’ensemble des cas, un supplĂ©ment d’instruction lui est apparu comme nĂ©cessaire et justifie Ă  son sens un renvoi Ă  l’instruction.

La position que prendra l’AutoritĂ© dans sa dĂ©cision sur le fond prĂ©sentera de nombreux intĂ©rĂȘts. Un premier tiendra Ă  la nature de l’examen rĂ©alisĂ©. Il est espĂ©rĂ©, au vu de l’attitude de l’AutoritĂ©, qu’une Ă©valuation sur le fond des impacts Ă©conomiques des clauses d’exclusivitĂ© sera rĂ©alisĂ©e. La tension entre approche fondĂ©e sur des critĂšres formalistes et approche plus Ă©conomique fondĂ©e sur les effets est ici indĂ©niable. Un deuxiĂšme intĂ©rĂȘt tiendra au traitement des chaĂźnes directement Ă©ditĂ©es par Canal Plus. Une remise en cause des exclusivitĂ©s relatives Ă  ces derniĂšres reviendrait Ă  introduire un raisonnement de type “infrastructures essentielles”. Enfin, le troisiĂšme intĂ©rĂȘt, et non des moindres, sera de prĂ©ciser encore la position des autoritĂ©s de concurrence sur la question de l’évaluation des clauses d’exclusivitĂ© sur des marchĂ©s Ă©mergents. En effet, le cas pose la question des risques de prĂ©emption de l’exclusivitĂ© de la distribution en exclusivitĂ© sur les rĂ©seaux de fibre optique (§ 370), lesquels pourraient non seulement se traduire par l’absence de concurrence sur ces derniers, mais aussi, en retour, avoir pour effet de figer les positions concurrentielles sur les marchĂ©s amont. Ce faisant, la stratĂ©gie de prĂ©emption d’un marchĂ© aval au travers d’une stratĂ©gie de levier pourrait Ă©galement prĂ©senter l’avantage de consolider, voire de renforcer la position dominante en amont. Le risque serait alors que loin de rabattre les cartes, l’apparition d’une nouvelle donne technologique conduise a contrario Ă  ossifier les positions de marchĂ©, voire Ă  aggraver la dominance. Cela met Ă  nouveau en exergue la question dĂ©terminante du timing optimal de l’intervention des autoritĂ©s de concurrence dans le cadre des marchĂ©s Ă©mergents, question qui fait directement Ă©cho Ă  l’avis n° 10-A-29 du 14 dĂ©cembre 2010 de l’AutoritĂ© quant au fonctionnement concurrentiel du marchĂ© de la publicitĂ© en ligne (voir cette chronique).

91 Trib. UE, 9 sept. 2010, Tomra/Commission, T-155/06, non encore publié au Recueil.

92 D. GĂ©radin et N. Petit, Judicial Review in European Union Competition Law: A Quantitative and Qualitative Assessment, 2010, document de travail disponible en ligne sur SSRN: http://ssrn.com/abstract=1698342.

qui fait de lui le dĂ©tenteur de droits particuliĂšrement attractifs aux yeux des tĂ©lĂ©spectateurs dans le domaine du cinĂ©ma et du football (§ 298). Or, le contrĂŽle de tels contenus constitue une variable clĂ© dans les nĂ©gociations avec les Ă©diteurs de chaĂźnes et pourrait peser dans des demandes de contreparties en termes d’exclusivitĂ© de diffusion.

II. De la position de l’AutoritĂ© de la concurrence vis-Ă -vis des pratiques allĂ©guĂ©es

Canal Plus aurait-il donc pu, en nĂ©gociant des exclusivitĂ©s Ă©tendues au domaine de la fibre optique, essayer d’évincer, au moyen d’une stratĂ©gie de levier, les opĂ©rateurs tĂ©lĂ©phoniques de ce marchĂ© en phase de dĂ©marrage, en les privant de contenus audiovisuels indispensables Ă  l’attractivitĂ© de leur offre (§  338)  ? Une telle stratĂ©gie ne permettrait-elle pas Ă©galement de les affaiblir sur le marchĂ© ADSL mĂȘme, en les empĂȘchant de se doter d’une offre propriĂ©taire indispensable pour justifier aux yeux des consommateurs le paiement d’un abonnement additionnel mais aussi pour rendre attractif ce dernier par rapport aux offres de Canal Plus ?

Il s’agit donc de s’attacher aux conditions dans lesquelles les exclusivitĂ©s sont obtenues et d’évaluer leur impact. Il conviendrait dans ce cadre de se livrer Ă  une Ă©valuation de leur champ, de leur durĂ©e, de leur proportionnalitĂ© par rapport aux investissements consentis, de leur impact potentiel en termes d’éviction de la concurrence mais aussi des gains d’efficience qui peuvent leur ĂȘtre associĂ©s. Il apparaĂźt, en tout Ă©tat de cause, que les modalitĂ©s au travers desquelles les contrats d’exclusivitĂ© sont conclus peuvent susciter quelques effets excluant les tiers. En effet, l’exclusivitĂ© serait notamment imposĂ©e aux Ă©diteurs au travers d’un mĂ©canisme de remises fidĂ©lisantes, calculĂ©es sur une base forfaitaire, accordĂ©e sans justification objective, quel que soit le mode technique de diffusion, faisant qu’un opĂ©rateur de tĂ©lĂ©communications devrait compenser l’ensemble de la prime pour bĂ©nĂ©ficier des droits de diffusion (§ 339). En outre, Canal Plus mettrait Ă  profit sa position verticalement intĂ©grĂ©e sur le marchĂ© pour faire pression dans les nĂ©gociations avec les Ă©diteurs pour coupler l’obtention des droits tĂ©lĂ©visuels dĂ©tenus par le groupe Canal Plus avec la signature d’un contrat d’exclusivitĂ© de distribution de la chaĂźne concernĂ©e sur son offre (§ 341).

De tels accords d’exclusivitĂ© ne peuvent ĂȘtre prohibĂ©s per se dans la mesure oĂč ils peuvent gĂ©nĂ©rer des gains d’efficience au profit du consommateur. Cependant, ils sont susceptibles de constituer une restriction de concurrence dĂšs lors qu’ils ont pour effet concret ou potentiel de restreindre l’accĂšs au marchĂ© des concurrents. Il convient donc de s’attacher aux effets concrets de l’accord en cause sur le marchĂ© mais aussi “de prendre en compte l’existence sur le marchĂ© d’autres contrats du mĂȘme type, afin de dĂ©terminer si cet accord contribue Ă  un effet cumulatif de fermeture du marchĂ© rĂ©sultant de l’ensemble des contrats similaires” (§  353). Par exemple, dans une Ă©valuation sur la base de l’article 101, l’autoritĂ© en charge de l’application des rĂšgles de concurrence doit vĂ©rifier si un concurrent serait bien en mesure de construire une offre crĂ©dible malgrĂ© l’ensemble des accords d’exclusivitĂ© nouĂ©s sur le marchĂ©. Il n’est mĂȘme pas nĂ©cessaire, dans le cadre de la jurisprudence europĂ©enne, dans le cadre d’une procĂ©dure sur la base de l’article 102 de dĂ©montrer un effet concurrentiel

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n.La qualification de ce retrait requĂ©rait au prĂ©alable que soit Ă©tablie une position dominante d’UCB. C’est sur cette question que se focalise la dĂ©cision de l’AutoritĂ©.

Une position dominante non établie grùce à une interprétation dynamique

Pour le ministre, cette problĂ©matique Ă©tait simple dans la mesure oĂč le marchĂ© en cause devait se limiter Ă  celui de la molĂ©cule du Zyrtec  : la cĂ©tirizine. En rĂ©alitĂ©, cette affaire soulevait trois questions principales sur la dĂ©finition du marchĂ© pertinent, concernant les distinctions entre :

– un marchĂ© des mĂ©dicaments incluant la seule molĂ©cule gĂ©nĂ©riquĂ©e ou d’autres molĂ©cules alternatives ;

– un marchĂ© “ville” et un marchĂ© hospitalier ;

– un marchĂ© des mĂ©dicaments remboursables ou non.

La premiĂšre Ă©tape de la dĂ©finition des marchĂ©s, lorsqu’il s’agit d’analyser la gĂ©nĂ©rification d’un mĂ©dicament princeps, se rĂ©sume souvent, s’agissant des autoritĂ©s de concurrence, comme on l’a dĂ©jĂ  soulignĂ© Ă  diverses reprises95, Ă  celle prĂ©conisĂ©e par le ministre. En se limitant ainsi Ă  la molĂ©cule concernĂ©e, la position dominante du titulaire du brevet venant Ă  expiration est par principe Ă©tablie96.

En l’espĂšce, se rĂ©fĂ©rant classiquement Ă  la classification ATC (Anatomical Therapeutic Chemical classification system), qui regroupe les mĂ©dicaments selon leurs indications thĂ©rapeutiques, l’AutoritĂ© indique que d’un point de vue pharmacologique, la cĂ©tirizine appartient Ă  la classe des antihistaminiques H1 (“anti-H1”) de seconde gĂ©nĂ©ration, destinĂ©e Ă  combattre diverses allergies (§ 12).

Or, l’AutoritĂ© ajoute que d’autres molĂ©cules anti-H1 existent (§  13-20)  : la loratadine (commercialisĂ©e sous la marque Clarytine par Schering-Plough, qui dispose Ă©galement d’Aerius Ă  base de desloratadine), la fĂ©xofĂ©nadine (commercialisĂ©e par Sanofi-Aventis sous la marque Telfast), l’ébastine (commercialisĂ©e par Alimirall sous la marque Kestin), etc. En outre, comme indiquĂ© ci-dessus, UCB, tout en retirant le Zyrtec, venait de lancer le Xyzall avec une nouvelle molĂ©cule (la lĂ©vocĂ©tirizine).

L’AutoritĂ© rappelle que dans le secteur pharmaceutique, la pratique dĂ©cisionnelle des autoritĂ©s de concurrence française et europĂ©enne est “fondĂ©e Ă  titre principal sur l’usage thĂ©rapeutique” (§ 40).

L’AutoritĂ© relĂšve Ă  ce propos que ces diffĂ©rents antiallergiques “au regard de leur indication thĂ©rapeutique, apparaissent donc, pour l’autoritĂ© de santĂ© [l’AFSSAPS], substituables Ă  Zyrtec” (§ 48). Le constat est le mĂȘme aprĂšs enquĂȘte de la DNECRF auprĂšs des mĂ©decins prescripteurs (§ 49). L’AutoritĂ© insiste d’ailleurs sur le rĂŽle prĂ©pondĂ©rant des mĂ©decins pour dĂ©terminer s’il y a ou non substituabilitĂ© entre plusieurs mĂ©dicaments (§ 55). Indiquant enfin qu’il existe une grande proximitĂ© des prix remboursables de ces spĂ©cialitĂ©s (§ 52) et

95 Cf. not. obs. A. Wachsmann, Concurrences, n° 4-2009, p. 117-119 et obs. A. Wachsmann, Concurrences, n° 4-2010, p. 120.

96 Cf. not. obs. F. Marty, Concurrences, n° 3-2010, p. 94.

Toujours en matiĂšre de temps relatifs entre la procĂ©dure concurrentielle et la dynamique des marchĂ©s Ă©mergents, il est Ă  relever que si la saisine de France TĂ©lĂ©com Ă  l’encontre des pratiques de Canal Plus Ă©tait contemporaine du lancement des chaĂźnes propriĂ©taires du premier citĂ©, deux mois aprĂšs le renvoi pour complĂ©ment d’instruction, la donne concurrentielle est Ă  nouveau bouleversĂ©e. En effet, Ă  l’heure oĂč le devenir d’Orange Sports apparaĂźt incertain (au moment mĂȘme ou la LFP va lancer ses appels d’offres pour les droits audiovisuels du football), une sociĂ©tĂ© commune rĂ©unissant Canal Plus et France TĂ©lĂ©com est envisagĂ©e pour conduire Ă  la fusion d’Orange CinĂ©ma / SĂ©ries et TPS Star


F. M. n

dĂ©limitation de marChĂ©s de produits - position dominante – seCteur pharma- Ceutique : L’AutoritĂ© de la concurrence prononce un non-lieu dans l’affaire de la cĂ©tirizine en comprimĂ©s faute de position dominante aprĂšs une analyse dĂ©taillĂ©e de la dĂ©finition du marchĂ© (Aut. conc., dĂ©c. n°10-D-37 du 17 dĂ©cembre 2010 relative Ă  des pratiques mises en

Ɠuvre sur le marchĂ© de la cĂ©tirizine en comprimĂ©s)

En droit français, le secteur de la pharmacie est sous la surveillance active des autoritĂ©s de concurrence et constitue aujourd’hui l’un des domaines privilĂ©giĂ©s d’application (ou de tentative d’application) des rĂšgles en matiĂšre d’abus de position dominante. La prĂ©sente dĂ©cision est la troisiĂšme rendue par l’AutoritĂ© de la concurrence (“l’AutoritĂ©â€) dans ce secteur depuis sa crĂ©ation en 2009, les deux autres concernant Ă©galement des pratiques allĂ©guĂ©es d’abus de position dominante93. Au niveau europĂ©en, aprĂšs l’adoption par la Commission de son rapport final d’enquĂȘte sectorielle en 2009, certaines investigations semblent ĂȘtre en cours, la seule affaire notable, Astra Zeneca, Ă©tant dĂ©jĂ  ancienne et ayant Ă©tĂ© confirmĂ©e rĂ©cemment par le Tribunal94.

Dans la prĂ©sente affaire, le ministre de l’Économie avait saisi le Conseil de la concurrence en janvier 2008 Ă  propos de pratiques du laboratoire UCB Pharma (“UCB”) auquel il reprochait d’avoir retirĂ© du marchĂ© son antihistaminique, le Zyrtec, trois mois avant l’expiration du brevet qui le protĂ©geait, pour le remplacer par le Xyzall. .

Pour le ministre, la pratique avait un objet et un effet anticoncurrentiels. En termes d’objet, le retrait du Zyrtec par UCB avait rendu impossible sa substitution par les gĂ©nĂ©riques, dans la mesure oĂč ceux-ci sont substituĂ©s en pharmacie Ă  l’aide d’une ordonnance oĂč figure la marque du mĂ©dicament princeps (§ 3). Le ministre considĂ©rait Ă©galement que cette pratique avait eu un effet anticoncurrentiel dans la mesure oĂč le chiffre d’affaires des gĂ©nĂ©riqueurs avait Ă©tĂ© rĂ©duit du fait d’un “rĂ©trĂ©cissement du marchĂ©â€ de la molĂ©cule du mĂ©dicament princeps, la cĂ©tirizine (§ 6).

93 DĂ©c. Aut. conc. n°  09-D-28, 31 juil. 2009, relative Ă  des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique, voir obs. A. Wachsmann, Concurrences, n° 4-2009, p. 117 ; dĂ©c. Aut. conc. n° 10-D-16, 17 mai 2010, relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre par la sociĂ©tĂ© Sanofi-Aventis France, voir obs. F. Marty, Concurrences, n° 3-2010, p. 94.

94 Trib. UE, 1er juil. 2010, AstraZeneca, aff. T-321/05  ; voir obs. A.  Wachsmann, Concurrences, n° 4-2010, p. 120.

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n.Une pratique qui aurait pu faire l’objet d’un examen approfondi

La pratique d’UCB consistant Ă  retirer le Zyrtec avant l’expiration de son brevet avait, selon le ministre de l’Économie, pour objet d’entraver le dĂ©veloppement de ses gĂ©nĂ©riques.

Une telle pratique n’est pas sans rappeler celle mise en Ɠuvre par AstraZeneca, qui avait cessĂ© de commercialiser son mĂ©dicament pour le remplacer par une version plus moderne, retardant de ce fait sĂ©rieusement l’entrĂ©e de gĂ©nĂ©riqueurs sur le marchĂ©. Cette pratique avait Ă©tĂ© sanctionnĂ©e par la Commission100.

Cette pratique Ă©voque Ă©galement l’engagement pris par le laboratoire Schering-Plough, au cours d’une procĂ©dure de mesures conservatoires, de ne pas cesser la commercialisation de son produit Subutex, quand bien mĂȘme une nouvelle version de ce celui-ci, le Suboxone, serait commercialisĂ©e101.

Ainsi, si UCB avait Ă©tĂ© en position dominante, il lui aurait Ă©tĂ© probablement difficile d’échapper Ă  la qualification de pratique abusive


A. W. n

À noterabus de position dominante – dĂ©Cisions nĂ©gatives : L’Avocat gĂ©nĂ©ral MazĂĄk conclut en ce sens que les autoritĂ©s nationales de concurrence n’ont pas le pouvoir d’adopter des dĂ©cisions nĂ©gatives, constatant que les pratiques qui leur sont dĂ©fĂ©rĂ©es ne constituent pas des violations de l’article 102 TFUE. (Conclusions

AG MazĂ k, 7 dĂ©cembre 2010, Tele 2 Polska, aff. C–375/09)

L’avocat gĂ©nĂ©ral explore le sens Ă  donner Ă  l’article  5 du rĂšglement (CE) n°  1/2003 – qui Ă©numĂšre les pouvoirs des ANC et ne prĂ©voit pas celui d’adopter des dĂ©cisions constatant l’inapplicabilitĂ© des articles  101 et 102 TFUE. Il en donne successivement une interprĂ©tation littĂ©rale, une interprĂ©tation systĂ©mique et une interprĂ©tation tĂ©lĂ©ologique. Ces trois mĂ©thodes d’interprĂ©tation aboutissent Ă  un rĂ©sultat convergent : seule la Commission a le pouvoir d’adopter des dĂ©cisions nĂ©gatives (art. 10 du rĂšglement (CE) n° 1/2003).

A.-L. S n

100 Comm. CE, dĂ©c. COMP/A.37.507F3, 15 juin 2005, Astra-Zeneca, voir not. obs. A. Wachsmann, Concurrences, n° 3-2005, p. 77-78.

101 Cf. DĂ©c. Cons. conc., n°  07-MC-06, 11 dĂ©c. 2007, relative Ă  une demande de mesures conservatoires prĂ©sentĂ©e par la sociĂ©tĂ© Arrow GĂ©nĂ©riques, §  161, voir not. obs. A. Wachsmann, Concurrences, n° 1-2008, p. 117-119.

que le transferts des prescriptions de Zyrtec se sont dirigĂ©s vers Xyzall mais aussi vers ses concurrents (§ 50), l’AutoritĂ© arrive Ă  la conclusion que ces diverses spĂ©cialitĂ©s contre les allergies appartiennent Ă  un mĂȘme marchĂ©, beaucoup plus large donc que la seule cĂ©tirizine (§ 53 et 57).

Pour la seconde question posĂ©e par la segmentation des marchĂ©s en cause, marchĂ© “ville” et marchĂ© hospitalier, l’AutoritĂ© rappelle qu’elle est rĂ©guliĂšrement envisagĂ©e (§ 43) et mise en lumiĂšre Ă  plusieurs reprises dans sa pratique dĂ©cisionnelle passĂ©e97.

En effet, l’AutoritĂ© considĂšre en gĂ©nĂ©ral que, outre les conditions de vente des produits (en officine pour le marchĂ© de la ville, avec des prix rĂ©gulĂ©s, et au moyen d’appels d’offres pour le marchĂ© de l’hĂŽpital, avec des prix libres), plusieurs critĂšres conduisent Ă  segmenter de tels marchĂ©s. C’est notamment en raison : i) de la nature des demandeurs intermĂ©diaires, grossistes et pharmacies pour le marchĂ© de la ville, Ă©tablissements hospitaliers publics et privĂ©s (cliniques) pour le marchĂ© hospitalier ; ii) de la nature des demandeurs finaux, patients (et, in fine, l’assurance maladie) en ville par rapport aux hĂŽpitaux ; iii) d’une Ă©lasticitĂ© diffĂ©rente des prix des acheteurs, forte Ă  l’hĂŽpital mais faible en ville car les prix sont rĂ©gulĂ©s pour limiter les dĂ©penses de l’assurance maladie98.

En droit européen, la Commission a déjà, de son cÎté, envisagé une telle délimitation en matiÚre de contrÎle des concentrations99.

Pour la troisiĂšme question de l’analyse des marchĂ©s en cause, la segmentation envisagĂ©e par l’AutoritĂ© concerne la diffĂ©rence entre le caractĂšre remboursable et non remboursable des mĂ©dicaments (§ 44). De façon assez traditionnelle, l’AutoritĂ© en dĂ©duit en l’espĂšce que les produits en vente libre et aux prix libres et les produits nĂ©cessitant une ordonnance et ayant un prix fixĂ© par les pouvoirs publics n’appartiennent pas au mĂȘme marchĂ© (§ 45 et 46).

Pour conclure, l’AutoritĂ© dĂ©limite un marchĂ© national de la vente en ville des antihistaminiques de seconde gĂ©nĂ©ration remboursables, sur lequel UCB ne dĂ©tenait que 32,6 % des parts de marchĂ© contre 45,9 % pour son concurrent direct, Schering-Plough. Aucune position dominante ne peut donc ĂȘtre constatĂ©e par l’AutoritĂ© (§ 69).

L’AutoritĂ© dĂ©finit Ă©galement un marchĂ© de la vente en ville des antihistaminiques non remboursables, sur lequel, lĂ  encore, aucune position dominante d’UCB n’est Ă©tablie en raison de la puissance de Pfizer et de l’entrĂ©e des gĂ©nĂ©riques sur ce marchĂ© (cf. § 62 et 73).

Cette approche pragmatique de la dĂ©finition des marchĂ©s (qui, en l’espĂšce, ne se contente pas d’isoler la molĂ©cule gĂ©nĂ©riquĂ©e) est suffisamment rare pour ĂȘtre soulignĂ©e.

97 Cf. par exemple, dĂ©c. Cons. conc. n°  07-MC-06, 11 dĂ©c. 2007, relative Ă  une demande de mesures conservatoires prĂ©sentĂ©e par la sociĂ©tĂ© Arrow GĂ©nĂ©riques, §  80; dĂ©c. Aut. conc. n° 09-D-28, 31 juil. 2009, relative Ă  des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique, § 91-94; dĂ©c. Aut. conc. n° 10-D-16, 17 mai 2010, relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre par la sociĂ©tĂ© Sanofi-Aventis France, § 58.

98 Cf. dĂ©c. Aut. conc. n° 10-D-02, 14 janv. 2010, relative Ă  des pratiques dans le secteur des hĂ©parines Ă  bas poids molĂ©culaire, § 55.

99 Cf. par exemple, Comm. CE, dĂ©c. COMP/M.3354, 26 avril 2004, Sanofi-Synthelabo c/ Aventis, § 35.

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n.parmi les considĂ©rations pertinentes que “les avantages structurels [d’une entreprise verticalement intĂ©grĂ©e comme France Telecom] sont intrinsĂšques Ă  une structure d’entreprise intĂ©grĂ©e de sorte que leur exploitation ne constitue pas en soi-mĂȘme, et en [l’]absence de donnĂ©es permettant de conclure autrement, un abus de position dominante”. La Commission relĂšve Ă©galement que “le choix prĂ©tendument erronĂ© du rĂ©gulateur ne constitue pas [une] infraction au sens de l’article 102 du TraitĂ©â€, prĂ©cision certes Ă©vidente mais sans doute bienvenue aprĂšs l’arrĂȘt Deutsche Telekom.

Si cette dĂ©cision n’appelle pas de commentaire approfondi sur le fond, on ne peut s’empĂȘcher de relever que, sur la forme, elle ne fait pas honneur Ă  la Commission. Le commissaire Ă  la concurrence pourrait lĂ©gitimement en vouloir Ă  ses services de lui avoir fait signer une dĂ©cision qui contient plusieurs fautes d’orthographe et de langue. Parmi ces derniĂšres, la plus choquante est certainement celle-ci  : “Vivendi considĂšre que ce qui prĂ©cĂšde infringerait l’article 102 du TraitĂ© par objet”. Sans mĂȘme s’attarder ici sur le fait que l’article 102, contrairement Ă  l’article 101 du TraitĂ©, ne fait pas de distinction entre les comportements ayant pour objet de fausser la concurrence et ceux qui ont cet effet, on ne peut que regretter que les expressions “constituer une infraction à”, “constituer une violation de” n’aient pas retenu l’attention des relecteurs du projet de dĂ©cision.

A.-L. S n

prix prĂ©dateurs â€“ Compression de marges â€“ Ciseau tarifaire : L’AutoritĂ© de la concurrence dĂ©cide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procĂ©dure dans une affaire concernant des marchĂ©s publics de services de capacitĂ© (Aut. conc,. dĂ©c. n° 10-D-31 du 12 novembre 2010 relative Ă  des pratiques mises en Ɠuvre sur le marchĂ© des services de capacitĂ©)

L’AutoritĂ© de la concurrence avait Ă©tĂ© saisie par le ministre de l’Industrie, Ă  la suite d’une enquĂȘte de la DGCCRF sur deux marchĂ©s publics portant sur des “services de capacitĂ©â€, c’est-Ă -dire des services de tĂ©lĂ©communications permettant de relier plusieurs sites d’une mĂȘme entreprise ou collectivitĂ©, en l’espĂšce ceux, d’une part, de l’universitĂ© de Nice Sophia et, d’autre part, du CNRS (dĂ©lĂ©gation PACA). L’AutoritĂ© souligne que l’enquĂȘte rĂ©alisĂ©e par la brigade interrĂ©gionale d’enquĂȘtes PACA-Languedoc-Roussillon-Corse de la DGCCRF ne permet de conclure ni Ă  des pratiques de prix prĂ©dateurs, ni Ă  un abus consistant en un ciseau tarifaire. L’AutoritĂ© relĂšve, en ce qui concerne les prix prĂ©dateurs, qu’une comparaison entre les prix et les coĂ»ts (qui n’avait pas Ă©tĂ© faite par les enquĂȘteurs) rĂ©vĂšle que France Telecom avait couvert tous ses coĂ»ts. En ce qui concerne la compression de marges, l’AutoritĂ© souligne que cette qualification n’est pas applicable en l’espĂšce, puisqu’il Ă©tait possible de rĂ©pondre aux appels d’offre en utilisant diffĂ©rents moyens techniques. Il n’était pas indispensable, pour les concurrents de France TĂ©lĂ©com, de louer certains services intermĂ©diaires (LAN 1) auprĂšs de l’opĂ©rateur historique. DĂšs lors, il importait peu que France TĂ©lĂ©com ait proposĂ©, dans sa rĂ©ponse Ă  l’appel d’offres, des tarifs infĂ©rieurs aux tarifs de gros facturĂ©s aux autres opĂ©rateurs pour l’accĂšs Ă  ces services intermĂ©diaires.

A.-L. S n

abus automatique – obligation lĂ©gale d’affiliation – rĂ©gime ComplĂ©mentaire de soins de santĂ© – entreprise ChargĂ©e d’un serviCe d’intĂ©rĂȘt Ă©Conomique gĂ©nĂ©ral : L’Avocat gĂ©nĂ©ral Mengozzi conclut Ă  la compatibilitĂ© avec l’article 102 TFUE d’un dispositif français d’assurance complĂ©mentaire soins de santĂ© reposant sur l’affiliation obligatoire des professionnels d’un secteur (boulangerie-pĂątisserie) (Conclusion AG Mengozzi,

11 novembre 2010, AG2R PrĂ©voyance, aff. C–437/09)

La Cour est saisie d’une question prĂ©judicielle (posĂ©e par le TGI de PĂ©rigueux) concernant un Ă©ventuel abus automatique de position dominante qui serait crĂ©Ă© par l’obligation lĂ©gale d’affiliation des entreprises du secteur de la boulangerie artisanale en France Ă  un seul organisme d’assurance santĂ© complĂ©mentaire. Dans ses conclusions rendues dans cette affaire, l’avocat gĂ©nĂ©ral Mengozzi revient sur la jurisprudence Albany102, Ă  propos de l’application Ă  un organisme d’assurance obligatoire de la qualification d’entreprise103. Il considĂšre que le cadre rĂ©glementaire français en cause dans l’affaire au principal se distingue de celui de l’affaire Albany et que, bien que le dispositif comporte de forts Ă©lĂ©ments de solidaritĂ©, l’organisme chargĂ© de la gestion de l’assurance complĂ©mentaire sectorielle est bien une entreprise. Il conclut Ă©galement en ce sens que l’article 106, paragraphe 2, concernant les entreprises chargĂ©es d’un service Ă©conomique d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral est de nature Ă  exclure la qualification d’abus en l’espĂšce.

A.-L. S n

Compression de marges – Ciseau tarifaire : La Commission europĂ©enne dĂ©cide de ne pas donner suite Ă  une plainte arguant d’effets de ciseau tarifaire (Comm. eur., dĂ©c. C(2010) 4730 du 2 juillet

2010, Vivendi et Iliad/France Telecom, aff. COMP/39653)

La Commission confirme sa dĂ©cision de ne pas poursuivre l’enquĂȘte sur les pratiques de France TĂ©lĂ©com dont Vivendi et Illiad s’étaient plaintes, allĂ©guant des effets de ciseau tarifaire (compression de marges) empĂȘchant l’accĂšs rentable des opĂ©rateurs alternatifs au marchĂ© de la tĂ©lĂ©phonie fixe et du triple play. La Commission ne se prononce pas au fond. Elle fait usage de son pouvoir discrĂ©tionnaire de ne pas donner suite Ă  toutes les plaintes, au motif qu’il n’existe pas un intĂ©rĂȘt de l’Union suffisant pour poursuivre l’enquĂȘte.

En l’espĂšce, les considĂ©rations dĂ©cisives sont les suivantes  : premiĂšrement, les effets des pratiques en cause sur le fonctionnement du marchĂ© intĂ©rieur paraissent limitĂ©s  ; deuxiĂšmement, la probabilitĂ© d’établir une infraction apparaĂźt limitĂ©e. À propos du premier motif, la Commission relĂšve que les effets des pratiques en cause sur le marchĂ© interne sont limitĂ©s en ce qu’elles n’ont pas empĂȘchĂ© le marchĂ© français de l’accĂšs Ă  Internet de devenir l’un des marchĂ©s les plus compĂ©titifs du monde. À propos du second motif, la Commission relĂšve

102 CJCE, 21 sept. 1999, Albany, C-67/96, Rec. p. I-5751.

103 Pt 51 et suiv. des conclusions.

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C o n c u r re n c e s est une revue tri m e s t rielle couvrant l’ensemble des questions de dro i t s

c o m mu n a u ta i re et inte rne de la concurre n c e. Les analyses de fond sont effectuées sous fo rm e

d ’ a r ticles doctrinaux, de notes de synthĂšse ou de ta bleaux juri s p ru d e n t i e l s. L’ a c t u a l i tĂ©

jurisprudentielle et législative est couverte par dix chroniques thématiques.

EditorialElie Cohen, Laurent Cohen-Tanugi,Claus-Dieter Ehlermann, Ian Forrester,Thierry Fossier, Eleanor Fox, Laurence Idot,Frédéric Jenny, Jean-Pierre Jouyet, Hubert Legal, Claude Lucas de Leyssac, Mario Monti,Christine Varney, Bo Vesterdorf, Louis Vogel,Denis Waelbroeck...

InterviewSir Christopher Bellamy, Dr. Ulf Böge, Nadia Calvino, Thierry Dahan, John Fingleton,Frédéric Jenny, William Kovacic, Neelie Kroes,Christine Lagarde, Mario Monti, Viviane Reding,Robert Saint-Esteben, Sheridan Scott,Christine Varney...

TendancesJacques Barrot, Jean-François Bellis, MurielleChagny, Claire Chambolle, Luc Chatel,John Connor, Dominique de Gramont,Damien Géradin, Christophe Lemaire,Ioannis Lianos, Pierre Moscovici, Jorge Padilla,Emil Paulis, Joëlle Simon, Richard Whish...

DoctrinesGuy Canivet, Emmanuel Combe, Thierry Dahan,Luc Gyselen, Daniel Fasquelle, Barry Hawk,Laurence Idot, Frédéric Jenny, Bruno Lasserre,Anne Perrot, Nicolas Petit, Catherine Prieto,Patrick Rey, Didier Theophile, Joseph Vogel...

PratiquesTableaux jurisprudentiels : Bilan de la pratiquedes engagements, Droit pénal et concurrence,Legal privilege, Cartel Profiles in the EU...

HorizonsAllemagne, Belgique, Canada, Chine, Hong-Ko n g ,India, Japon, Luxe m b o u rg, Suisse, Sweden, USA...

Droit et Ă©conomieEmmanuel COMBE, Philippe CHONÉ,Laurent FLOCHEL, Penelope PAPANDROPOULOS,E t i e n n e PF I S T E R, F r a n c i s c o RO S AT I, D av i d SP E C TO R. . .

ChroniquesEN T E N T E SMichel DEBROUX

Laurence NICOLAS-VULLIERME

Cyril SARRAZIN

PR AT I QU E S U N I L AT É R A L E SFrĂ©dĂ©ric MARTY

Anne-Lise SIBONY

Anne WACHSMANN

PR AT I QU E S R E S T R I C T I V E SE T C O N C U R R E N C E D É L OYA L EMuriel CHAGNY

Mireille DANY

Marie-Claude MITCHELL

Jacqueline RIFFAULT-SILK

DI S T R I BU T I O NNicolas ERESEO

Dominique FERRÉ

Didier FERRIÉ

CO N C E N T R AT I O N SOlivier BILLIARD, Jacques GUNTHER, David HULL,Stanislas MARTIN, Igor SIMIC, David TAYAR,Didier THÉOPHILE

AI D E S D’ ÉTATJean-Yves CHÉROT

Jacques DERENNE

Christophe GIOLITO

PRO C É D U R E SPascal CARDONNEL

Christophe LEMAIRE

Agnùs MAÎTREPIERRE

Chantal MOMÈGE

RÉ G U L AT I O N SJoĂ«lle ADDA

Emmanuel GUILLAUME

Jean-Paul TRAN THIET

SE C T E U R P U B L I CBertrand du MARAIS

Stéphane RODRIGUES

Jean-Philippe KOVAR

PO L I T I QU E I N T E R NAT I O NA L EFrédérique DAUDRET-JOHN

François SOUTY

Stéphanie YON

Revue des revuesChristelle ADJÉMIAN

Umberto BERKANI

Alain RONZANO

BibliographieCentre de Recherches sur l’Union EuropĂ©enne( U n iversitĂ© Paris I – Pa n t h Ă© o n - S o r b o n n e )

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Concurrences N° 1-2011 I Chroniques I Pratiques unilatérales 116

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n.rupture d’un Contrat d’approvisionnement exClusif : L’AutoritĂ© de la concurrence rejette, faute d’atteinte grave et immĂ©diate, une demande de mesures conservatoires dans le secteur des serviettes industrielles, mais dĂ©cide de poursuivre l’instruction au fond s’agissant de la rupture anticipĂ©e d’un contrat de fourniture exclusive de serviettes (Aut. conc., dĂ©c. n° 10-D-33 du 30 novembre

2010 relative Ă  une demande de mesures conservatoires

présentée par la société Roland Vlaemynck Tisseur)

A.W. n

disCrimination – droits audiovisuels : L’AutoritĂ© de la concurrence prononce un non-lieu au bĂ©nĂ©fice d’une sociĂ©tĂ© de gestion collective en relevant notamment que le mĂ©canisme de rĂ©partition des droits de diffusion dĂ©noncĂ© par une association de rĂ©alisateurs de tĂ©lĂ©vision n’a pas d’impact anticoncurrentiel et que les rĂšgles de composition des instances de cette sociĂ©tĂ© de gestion collective, qui prĂ©voient un traitement diffĂ©renciĂ© entre les rĂ©alisateurs et les scĂ©naristes, ne sont pas discriminatoires (Aut. conc., dĂ©c. n° 10-D-34 du 9 dĂ©cembre 2010 relative

à des pratiques mises en Ɠuvre dans le secteur de la

gestion des droits d’auteurs d’Ɠuvres audiovisuelles)

A.W n

* AdSense est une application fournie par Google Ă  des Ă©diteurs de sites offrant une fonction de recherche. Les rĂ©sultats de cette derniĂšre comprennent Ă  la fois des rĂ©sultats “naturels” et des liens commerciaux. Les gains associĂ©s aux publicitĂ©s doivent ĂȘtre rĂ©partis entre les deux contractants (§ 100).