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Archéologie Nous ne sommes pas les premiers hommes à explorer l’intérieur

de Madre de Dios !

Chapter · October 2013

CITATIONS

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2 authors:

Some of the authors of this publication are also working on these related projects:

Film : Néandertal à Bruniquel View project

Expedition ULTIMA PATAGONIA 2019 View project

Luc-Henri Fage

Le Kalimanthrope

14 PUBLICATIONS   82 CITATIONS   

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Maria Jose Manneschi

University of Chile

5 PUBLICATIONS   22 CITATIONS   

SEE PROFILE

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au verso:

le projet 2010

Compte rendu de l’expédition spéléologique et géographiquefranco-chilienne en Patagonie • Janvier-février 2008

En haut : habitat d’Indiens canoéros àl’entrée d’une grotte. L’emplacement deshuttes était délimité au sol par unaménagement en os de baleines, présentantun foyer de surface. Une sépulture,éparpillée, présente un crâne calcité (ci-dessous) et quelques os longs, dont untibia a été daté de 910 ans BP ±30 (BétaAnalytic) prouvant un usage pré-hispanique de la côte Pacifique par lesNomades de la mer. Photos FranckBréhier.

Les premières explorations de la région furentfaites, à la fin du XVIe siècle, par l’EspagnolSarmiento de Gamboa. Il explora les canaux

Trinidad et Conception qui bordent Madre deDios au nord et à l’est, et mena quelques incur-sions à terre, rencontrant épisodiquement des In-diens en canoës, prenant possession de l’île au nomdu roi d’Espagne. À la fin du XIXe siècle, le méde-cin Richard Coppinger, à bord du navire anglaisAlert compléta les observations ethnographiquessur les rivages du canal Trinidad et signala unegrotte dont le sol était jonché de squelettes hu-mains. Enfin, des prospections géologiques eurentlieu dans les années quarante en vue de l’établisse-ment de la mine de calcaire, installée finalementsur l’île de Guarello.

Aussi quand Centre Terre s’intéresse pour la pre-mière fois à Madre de Dios, il était établi que si lespopulations autochtones aujourd’hui disparuesavaient fréquenté les rivages de l’île, il semblait im-possible qu’elles aient pu pénétrer profondémentdans les montagnes et les forêts difficiles d’accèsde Madre de Dios.

Les découvertes archéologiques réalisées dansdes grottes côtières en 2000 et 2006 ont d’ailleursconfirmé cette fréquentation côtière. Ici commeailleurs dans les montagnes calcaires de la Terre,les hommes ont entretenu des relations particu-lières avec les cavernes, qui offrent des abris natu-rels, des lieux de sépultures et permettent unebonne conservation des vestiges. Ainsi, la sépul-ture de la grotte Ayayema, datée de 4520 ans BP,celle de la cueva de la Cruz, vieille de 250 ans BPet surtout la Grotte du Pacifique, ornée de 20 des-

sins au charbon de bois et de 30 peintures à l’ocre,en étaient la preuve éclatante. Deux autres sépul-tures ont été découvertes en 2006 dans le senoBarros Luco.

Les Indiens Kawésqar, ou Nomades de la mer,étaient organisés en petits groupes de chasseurs demammifères et d’oiseaux marins, collecteurs de co-quillage et de rares végétaux. Ils naviguaient dansles canaux de l’archipel, par clans regroupés sur descanoës monoxyles dont les bordures, relevées avecdes planches de bois mal équarries, ne pouvaienten faire des embarcations de haute mer. Ils s’ins-tallaient sur des plages pour de courts séjours, etune fois que la nourriture fournie par la mer était

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MARÍA JOSÉ MANNESCHI SALASLUC-HENRI FAGE

ArchéologieNous ne sommes pas les premiers hommes àexplorer l’intérieur de Madre de Dios !

épuisée, allaient chercher fortune plus loin. Lesdeux principales sources ethnographiques, MartinGusinde (dans les années 1920) et José Emperaire(1947-1948) n’ont malheureusement pu étudierque des populations déjà largement acculturées,victimes du contact avec le monde « moderne »amené par les navires d’exploration européens etensuite par les marins chilotes. Victime des mala-dies européennes et des rapts d’enfants et defemmes, la population est passée de 5000 âmes aumilieu du XIXe siècle à 70 un siècle plus tard. Au-jourd’hui subsiste une poignée de Kawésqar, sé-dentarisés dans les années cinquante au postemilitaire de Puerto Edén, à dix heures de naviga-tion au nord de Madre de Dios. Enfin, attirés parla base de Guarello à qui ils fournissaient du pois-son, des coquillages et des crustacés, deux couplesde Kawésqar ont vécu dans une cabane sur un îloten face de Guarello jusqu’en 1995; ils venaient oc-casionnellement chasser les otaries au débouchédu seno Azul, sur les récifs de l’océan Pacifique. Lamarée rouge (un parasite des bivalves mortel pourl’homme) et le décès de leurs conjoints, ont signéla fin de cette réminiscence du nomadisme Ka-wésqar. Gabriela Paterito et son beau-frère Fran-cisco Aroyo, tous deux septuagénaires, ont été des

nôtres au milieu de l’expédition, pour une émou-vante visite de la grotte du Pacifique avec ses pein-tures rupestres.

C’est dans ce cadre ethnographique que com-mence l’expédition 2008, qui, avec trois décou-vertes archéologiques surprenantes, jette unéclairage nouveau sur les premiers « explorateurs »de l’île.

S’il n’y avait pas d’archéologue dans l’équipe, lajeune anthropologue physique de l’université duChili, María José Manneschi Salas, se donnaitcomme objectif d’évaluer les sépultures décou-vertes en 2006 dans le Barros Luco, de préleverdes échantillons pour datation, et d’étudier les in-formations bio-anthropologiques à partir des os-sements humains, s’inscrivant dans lareconstruction des styles de vie.

La piste des Kawésqar à l’intérieur des terres

LUC-HENRI FAGE

Coup sur coup, trois découvertes étonnantesont été réalisées sur le chemin que nous avons suivipar voie de terre pour rallier le seno Soplador à lagrotte de la Baleine, située sur la façade océaniquede l’île. Un trajet nécessitant deux jours de marchesoutenue, avec de nombreux obstacles… L’évi-dence sautait aux yeux : nous n’étions pas les pre-miers hommes à rentrer profondément àl’intérieur de l’île ! Mais qui, pourquoi et à quelleépoque?

La doline Calafate : le 25 janvier, une prospec-tion spéléologique a permis de trouver des tracesde présence humaine, en plein cœur de l’île Madrede Dios. Il ne s’agit pas à proprement parler d’unegrotte, ni même d’un abri-sous-roche, mais laparoi légèrement en dévers offre un abri sûr contrela pluie et une protection totale contre le vent. Lefond n’est pas plat et ne permet pas l’installationd’un campement confortable. Sur les éboulis ausol, de nombreux coquillages ont été trouvés,moules et patelles, ainsi que des ossements d’oi-seaux marins (cormoran ou albatros), l’ensembleétant dispersé autour d’un foyer. À l’intérieurd’une petite galerie rocheuse d’une vingtaine decentimètres de haut, d’autres coquillages et unmorceau de bois à demi calciné ont été repérés.Selon toute vraisemblance, il s’agit de vestiges re-lativement récents (quelques centaines d’années?).

L’abri du Cerfeuil : le 27 janvier, au col donnantaccès aux falaises tombant dans l’océan, nousavons atteint, vers 200 m d’altitude, un abri-sous-roche, vaste, plat et relativement sec, mais très ex-posé au vent. Au milieu de cet abri, une zone dedeux mètres carrés environ a été aménagée. Le solest recouvert d’os, d’oiseaux pour la plupart, de di-vers coquillages (patelles, moules), d’un grandnombre de charbons de bois et d’un morceau debois à demi calciné qui semble avoir été scié. Troistessons de verre ont été trouvés, l’un en forme depoinçon, les deux autres ayant pu servir de grattoir.L’un d’eux est poli comme s’il avait été trouvé surune plage, mais il présente des éclats montrantqu’il a servi. Un os long d’albatros, dont une ex-trémité a été taillée en pointe, présente des petitesincisions parallèles, pouvant être des traces de bou-cherie sinon de rongeurs. La présence du verre, quidoit provenir de verres flottés ramassés sur la plage

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Archéologie

En haut : représentation en perspectivecavalière de la pointe sud-ouest de Madrede Dios, avec les principaux sitesarchéologiques. Nos découvertes ont mis enévidence un chemin ancien de chassepratiqué par les Indiens depuis le senoSoplador jusqu’à la baie de la Baleine(grotte Bahia Historica).

En bas : quelques os d’albatros, des restesde coquillages et un foyer : la dolineCalafate est un des jalons de ce cheminantique. Le témoignage de Raúl Edén apermis de le corréler avec une traditionorale des Kawésqar, selon laquelle lesanciens partaient chaque année cueillir lesbébés albatros dans les nids sur lesfalaises… en partant du Soplador. PhotoJean-François Hayet.

en contrebas, indique un usage de cet abri à la pé-riode hispanique.

Ces deux découvertes ressemblaient fort à desjalons sur un chemin vers ou depuis l’océan. In-diens? Naufragés rescapés sur la côte ayant cherchéune échappatoire? Nous nous perdions en conjec-tures, quand le chaînon manquant a été découvertle 1er février… Ce jour-là, une équipe, débarquéenon sans peine sur la vaste plage qui occupe lefond de la baie où s’ouvre la grotte de la Baleine,a pu reconnaître un grand nombre de cavités et ré-surgences au pied des falaises. Il est à noter que desfalaises absolument verticales et plongeant dans lamer interdisent tout accès entre la plage et la grottede la Baleine.

La découverte la plus stupéfiante fut celle-ci :Un habitat aménagé dans une grotte de la Baie

de la Baleine. À l’extrémité sud, le porche d’en-trée de la grotte Bahia Historica présente les restesd’un ancien habitat humain, une « cabane en os debaleine », deux mètres au-dessus du niveau de lamer. Cette découverte, unique pour les archipels,consiste en un aménagement sur le sol sablonneuxd’os de baleine (vertèbres, fragments de mâchoireset de crânes), disposés selon deux ovales accolées,sans doute pour bloquer la base des peaux d’ota-ries d’une hutte troglodyte ! des os longs de mâ-choire de baleine sont posés en biais sur la paroi,peut-être pour former une entrée. Au centre, ondistingue les restes d’un foyer (charbons). Uncrâne humain scellé par la calcite a été photogra-phié à 15 m de distance, à l’intérieur dans lagrotte, et des os longs humains aux abords de lacabane complètent la découverte. Un tibia a puêtre daté de -910 ans BP ±40 ans (Bêta Analytic250743), prouvant bien l’antériorité pré-hispan-nique de cet abri, bien avant l’arrivée des explora-teurs européens…

On a donc tous les indices d’une piste tradi-tionnelle et ancienne fréquentée par l’homme par-dessus les montagnes. Mais là encore, il restait uneinconnue de taille : pourquoi tous ces efforts ?

La chasse aux albatrosGrâce à quatre Kawésqar de Puerto Edén, venus

visiter la grotte du Pacifique, nous avons pu éclai-rer les motivations de ce chemin de la préhistoire.Raúl Edén s’est en effet souvenu d’une traditionorale transmise par les anciens : autrefois, ils par-taient en expédition terrestre, une fois l’an, captu-rer les jeunes albatros dans les nids, installés sur lesfalaises au-dessus de l’océan…

Tout correspond: le départ depuis le Soplador,les deux jours de marche aller, ainsi que la fré-quence exceptionnelle d’os d’albatros consommésdans les abris qui émaillent le trajet… Cet exem-ple prouve que la collaboration entre les Kawés-qar et Centre Terre porte ses fruits et doit êtrepoursuivie.

Les Kawésqar à la grotte du PacifiqueLe 8 février, Gabriela Paterito, 74 ans environ,

son troisième mari, Raúl Edén, sa fille Maria-Isa-bel, ainsi que Francisco Aroyo, âgé lui de 70 ans,prennent pied dans la grotte du Pacifique, invitéspar Marcelo Agüero Faridoni et les représentantsde la CONADI. La première surprise est qu’elleconnaît parfaitement la grotte, ou du moins lazone d’entrée. Elle raconte être venue là au tout

début de ses séjours occasionnels à Madre de Dios(elle venait alors à la rame dans une chaloupe, de-puis Puerto Edén !), mais que par la suite, elle apréféré s’installer dans une crique sur l’île de Tarl-ton, de l’autre côté de l’embouchure du seno Azul,quand elle venait chasser les loups de mer à la nais-sance des petits, installés en colonie sur un récifsitué à un bon mile de la côte.

Pour elle, cette grotte est un piège quand letemps devient mauvais.

La seconde surprise est qu’elle n’a jamais vu lespeintures, sans doute effrayée par les esprits quipeuplent les ténèbres dans la partie profonde de lagrotte. Elle montre beaucoup plus d’intérêt pourles ossements d’animaux, chassés et consommés,qui jonchent l’amas coquiller qui recouvre le solde la partie profonde de la grotte, que pour lespeintures.

Enfin, devant les peintures, elle reconnaît aussi-tôt la couleur ocre que sa mère préparait dans leseno Norte, quand elle était enfant. Sa mère étaitune vraie Nomade de la mer, et elle n’a jamais suce qu’elle faisait de cet ocre, mais on sait par lespièces ethnologiques conservées au musée dePunta Arenas, qu’il servait notamment à décorerles canots et les rames de motifs géométriques etpar les témoignages ethnographiques qu’à cer-taines occasions (comme les décès), les Kawésqars’en ornaient le visage ou le corps, ou bien déco-raient certains bâtons mortuaires.

Encore plus intéressant est son témoignage surune possible interprétation des peintures de lagrotte ; bien que cela soit une pure hypothèse, elleestime qu’elles ont été faites dans un but funéraire,probablement pour signaler le décès de personnesbloquées dans cette grotte par le mauvais temps, etmorts de faim. Cela ne correspond pas tout à fait

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Archéologie

Ci-dessous : détail des éclats de verreancien qui semblent avoir servi d’outil.Photo Luc-Henri Fage.

pour signaler un décès, isoléou collectif. Seules de vraiesfouilles archéologiques del’amas coquiller, épais d’aumoins 50 cm, soit un volumeestimatif de 50 m3, pourraientconfirmer ce fait en mettantau jour des ossements hu-mains, et en datant lescouches d’occupation.

La visite de la grotte s’estterminée par une étrange cé-rémonie. Gabriela, doyennede la communauté, tenait àtémoigner devant nos camé-ras, pour les plus jeunes, de ceque fut le passé des Nomadesde la mer. Elle a donc par-couru la grotte, de l’entréejusque devant les peintures,en décrivant ce qu’elle voyaitdans la langue de leurs ancê-tres, qu’ils ne sont plus que 5à comprendre. Elle a égale-ment raconté sous les pein-tures comment sa mèrepréparait cette couleur ocre.Quand on sait qu’ils ne sontplus qu’une quinzaine, oncomprend l’importance testi-

moniale de ce document cinématographique,dont une copie en DVD leur sera adressée, pourservir à l’éducation des rares enfants Kawésqar dePuerto Edén…

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Archéologie

En haut : Raúl Edén et Gabriela Pateritosous les peintures de la grotte du Pacifique.Photos Marc Pouilly.

En bas : photomontage de l’abri duCerfeuil. On distingue en bordure de lapartie plane aménagée, les pierres qui ledélimitent. Au centre une multitude d’osd’albatros, des fragments de coquillages, desrestes de coïpo (rongeur), du bois calcinéjonchent le sol. Photos Richard Maire.

Commission Nationale deDéveloppement Indigène (CONADI)

Pour la CONADI, le projet de recherche sur l’île de Madrede Dios a eu des significations particulières. En effet, au-delàdu cadre de la loi indigène, les expéditions spéléologiquesqui se sont déroulées sur cette île ont conduit à des oppor-tunités nouvelles pour la gestion publique des peuples ori-ginels. Comme entité spécialisée dans ce domaine, la Com-mission s’implique dans ces actions.

En premier lieu, en tant que service public spécialisé, laCONADI a pu apporter des ressources complémentaires auxactivités de recherche dans la zone d’étude, ce qui a permisnon seulement de dater de manière sûre la couche subac-tuelle de certains sites archéologiques du secteur mais aussid’identifier des peintures rupestres dans la province d’UltimaEsperanza, manifestations traditionnellement associées auxpeuples terrestres mais qui, grâce à ces nouvelles décou-vertes, ont pu être mises en relation avec des communautésde chasseurs-cueilleurs maritimes. L’archéologie des canauxde Patagonie sud-occidentale peut désormais suivre unenouvelle ligne de recherche.

Du point de vue de la gestion publique, les découvertesqui ont mis en valeur l’île Madre de Dios et ses alentours ontincité diverses instances gouvernementales à prendre desmesures de protection de ce site. Ces décisions vont impli-quer une coordination croissante entre les secteurs chargésde la sauvegarde et de la conservation du lieu, dont laCONADI, au vu de l’importance patrimoniale du peuple Ka-wésqar et comme base pour de nouvelles recherches.

La participation de membres de la communauté indi-gène Kawésqar de Puerto Edén à l’expédition de 2008 apermis l’ajout d’un point de vue ethno-archéologique à la

connaissance du lieu. Cette approche est soutenue par laCommission depuis plusieurs années. Elle a apporté des in-formations nouvelles aux chercheurs qui ont pu comprendreles différents aspects du processus d’appropriation du milieupar le peuple Kawésqar. Ces derniers ont pu se déplacer surdes lieux connus par la tradition et qui constituent un im-portant réservoir de connaissances et de sens. L’île Madre deDios est située à la frontière probable entre les groupes Sae-lam (Kawésqar du nord) et Tawokser (Kawésqar du sud) etsa signification culturelle se manifeste par la rencontre desrécits oraux relatifs aux contacts entre ces deux commu-nautés.

La participation des Kawésqar demeurant à Puerto Edéna permis une meilleure connaissance, et surtout une nouvelleforme de connaissance, qui réconcilie les visions parfois op-posées de la science et de la culture. C’est un fait capital quicontribue à la reconnaissance des droits des peuples origi-naires face à leur propre histoire, qui les légitime eux-mêmes,mais légitime aussi les participants non indigènes.

Ainsi, la prise en compte globale des perspectives de re-cherche a jeté une lumière nouvelle et importante sur l’in-terprétation du site, et permit une relation différente entrele chercheur et son sujet d’étude.

Pour cela, nous considérons que la participation de laCommission Nationale de Développement Indigène a permisun apport réel aux recherches et a ouvert des voies d’inté-gration efficaces. La CONADI doit figurer en position centraledans les défis futurs. Nous espérons voir ces expéditions sepoursuivre et nous souhaitons nous y investir plus étroite-ment.

Nelson Aguilera Aguilagui

avec les observations que nous avions réalisées en2006, et qui nous permettaient d’affirmer que lagrotte avait servi à de nombreuses reprises. Maiscertaines peintures ont pu être faites précisément

L’objectif principal de nos recherches au coursdu mois de février 2008 était de déterminer lemode de vie et les paléopathologies apparentes àpartir des ossements humains retrouvés dans plu-sieurs sépultures de l’île de Madre de Dios et plusprécisément dans les grottes et abris sous roche duseno Barros Luco dans le Nord-Ouest de l’île.

En l’absence d’un responsable archéologique, letravail réalisé s’est limité à une inspection visuelledu matériel et des ossements sur le sol des sépul-tures.

Une première sépulture a fourni au moins troisindividus, un subadulte de 13 à 16 ans, un adulteféminin et un autre de sexe indéterminé. Les sque-lettes sont disloqués et les os éparpillés sur le solde la grotte.

Un autre abri contient les restes du corps d’unseul individu masculin de 30 à 40 ans dont lesquelette est disloqué. La datation au 14C d’un mé-tacarpe a donné 690 BP ±40 ans (Bêta Analytic)confirmant un usage précolonial du Barros Luco,puisqu’il faudra attendre 300 ans avant l’arrivéedu premier Européen sur l’île, Sarmiento de Gam-boa, qui la baptise Madre de Dios au nom du roid’Espagne.

Une troisième cavité est un site possible d’habi-tation, avec des fragments de branches d’arbre, ducharbon, quelques plumes d’oiseau, des os d’ota-ries et un aménagement de zones plates avec desrochers.

Une dernière cavité, proche de Guarello, pré-sente quelques os d’animaux, mais aussi de deuxhumains, un adulte de sexe indéterminé et un en-fant de 5 à 7 ans.

Les difficultés d’accès rendent les recherches ar-chéologiques dans les archipels de Patagonie peufréquentes. Les découvertes actuelles ont mis enévidence pour la première fois l’utilisation desgrottes karstiques par les Kawésqar comme abrisou sépultures. Il reste encore beaucoup d’interro-gations archéologiques sur le peuple Kawésqar : surles coutumes funéraires et leur évolution, sur l’ori-gine et sur le processus d’adaptation des Kawésqarà la vie nomade dans les canaux.

42 Ultima Patagonia 2008

La communautéKawésqar

Le territoire Kawésqar comprenaitles canaux intérieurs de la PatagonieOccidentale, depuis le golfe de Penasjusqu’à la péninsule de Brecknock enpassant par le détroit de Magellan. Au-jourd’hui, ces canaux sont toujours par-courus par le trafic maritime sur unedistance de près de 300 miles.

Tous les canaux de l’archipel Wel-lington étaient entièrement parcouruspar les anciens, et, jusqu’à récemment,par les derniers représentants du peu-ple Kawésqar, aujourd’hui rassemblés àPuerto Edén.

Il ne fait aucun doute que les dé-couvertes réalisées sur Madre de Diospar les chercheurs de Centre Terre sontd’une très grande valeur pour notrepeuple. Pour la première fois, les disci-plines scientifiques et la connaissanceancestrale des peuples autochtones sesont unies, et de cette union est née lacompréhension, la connaissance et l’ap-prentissage des anciennes expressionsculturelles du peuple Kawésqar. Malgrésa faible importance numérique, notrepeuple a toujours réclamé que son im-portance culturelle et historique soitreconnue par l’État. Méconnaître sonexistence équivaut à méconnaître lerôle tenu jusqu’à nos jours par cet im-portant peuple autochtone fuégien.

Il ne fait aucun doute que, parmi lessecrets révélés depuis peu sur les pre-miers habitants des canaux austraux,l’île de Madre de Dios n’a été que lapointe de l’iceberg de cette explorationet que la totalité de l’île Wellingtongarde encore de très nombreux secrets,que seuls les derniers représentants dupeuple Kawésqar aujourd’hui à PuertoEdén peuvent révéler. Il est importantde faire participer ceux qui en connais-sent l’histoire, transmise de généra-tion en génération par la traditionorale : ce sont à eux que revient la mis-sion d’interpréter les données, et dediffuser les con nais sances acquises ànous, descendants du peuple Kawés-qar, mais aussi à la société chilienne etau monde entier. Le peuple Kawésqara aussi le droit d’être reconnu commepartie intégrante du patrimoine cultu-rel du pays, d’être protégé, maintenu etrespecté au sein de la nation chilienne.

JUAN CARLOS TONKOPATERITO,

PRÉSIDENT DE LACOMMUNAUTÉ INDIGÈNE

KAWÉSQAR DE PUERTO EDÉN

Premières études sur les sépultures Kawésqar de l’archipel

MARÍA JOSÉ MANNESCHI SALAS

Ci-contre : grotte du Dyke, habitat temporaire avec foyer etrestes de squelettes humains. Photo L.-H. Fage.

Crâne de la grotte sépulcrale n° 2 duBarros Luco. Photo Marc Pouilly.

Archéologie

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