coeur espion danse de lionel parrini et philippe pilato

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1 COEURESPIONDANSE ! De Lionel Parrini et Philippe Pilato

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Quartz et Jade, frère et soeur, achètent ensemble une maison construite au bord d’une falaise cataclysmique surplombant la mer, vendue par une jeune veuve qui souhaitait ne plus vivre dans un « tombeau de souvenirs ». Lors de l’emménagement, ils découvrent un coffre cadenassé qui a été oublié dans le grenier. Le couple souhaite rendre le bien à la veuve, mais celle-ci refuse affirmant préférer effacer le passé. La curiosité de Jade amène le couple à découvrir une correspondance mystérieuse entre deux auteurs de théâtre… Ils cherchent alors à comprendre ensemble la relation passionnée, poétique et complexe qui unissait les deux hommes, au risque de se perdre eux-mêmes.Duo pour comédiens danseurs ayant un goût pour l'écriture poétique.

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Page 1: Coeur Espion Danse de Lionel Parrini et Philippe Pilato

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COEURESPIONDANSE ! De Lionel Parrini et Philippe Pilato

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Cœurespiondanse

est un objet imaginé et tracé à deux doigts par Lionel Parrini et Philippe Pilato

EAT - SACD En 2010

Et protégé par copyright.com

Présentation Lors de leur deuxième échange télépathique1, Lionel Parrini, artiste protéiforme, et Philippe Pilato, imagineur de textes2, ont réalisé qu’après avoir donné une vie insolente à leurs fantômes personnels Ŕ deux auteurs un peu exaltés qui se rencontrent si violemment que seul le mode épistolaire peut supporter leurs projections nucléaires Ŕ il était tout naturel, pour la scène, que de ces lettres inflammables et de ces spectres joyeux naissent des histoires et des personnages gonflés de chair et de désir. Ce dernier est au cœur du projet de scène présenté ici et on n’a écarté aucun tour de passe-passe pour que la poésie s’incarne, que la dramaturgie s’empare de l’invisible, que les morts sourient et que les larmes des vivants soient des preuves d’amour. Voici donc l’argument de ce ballet chauffé à blanc. « Quartz et Jade, frère et sœur, achètent ensemble une maison construite au bord d’une falaise cataclysmique surplombant la mer, vendue par une veuve qui souhaitait ne plus vivre dans un « tombeau de souvenirs ». Là, ils découvrent un coffre cadenassé oublié dans le grenier. Ils veulent d’abord rendre le bien à la veuve, mais celle-ci refuse, affirmant préférer effacer le passé. La curiosité de Jade les conduit ensuite à découvrir une étrange correspondance entre deux auteurs de théâtre… Ensemble, ils vont chercher à comprendre la relation passionnée, poétique et complexe qui unissait les deux hommes au risque de s’y perdre eux-mêmes… »

1 Pour le premier, voir « Tryptique » publié aux Editions Durand-Peyroles (2010) 2 Le ‘texte’ est un objet de création presque archaïque qui passe par le vieux support de l’écriture et de langues dont les codes sont aujourd’hui assez flottants, d’où la nécessité de parti-pris. On a ici en quelque sorte choisi d’opposer un registre poétique à un idiome banal et quotidien. Que le meilleur gagne !

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Résumé

Quartz et Jade, frère et sœur, achètent ensemble une maison construite au bord d’une falaise cataclysmique surplombant la mer, vendue par une jeune veuve qui souhaitait ne plus vivre dans un « tombeau de souvenirs ». Lors de l’emménagement, ils découvrent un coffre cadenassé qui a été oublié dans le grenier. Le couple souhaite rendre le bien à la veuve, mais celle-ci refuse affirmant préférer effacer le passé. La curiosité de Jade amène le couple à découvrir une correspondance mystérieuse entre deux auteurs de théâtre… Ils cherchent alors à comprendre ensemble la relation passionnée, poétique et complexe qui unissait les deux hommes, au risque de se perdre eux-mêmes…

Distribution

Jade Quartz

La veuve Deux hommes en ombres chinoises

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Flash-back (scène zéro) Lumière trouble, faible. Ombres chinoises. Deux silhouettes masculines. L’une verticale, L’autre assise, presque immobile. Elles vont ensuite exploiter au maximum les possibilités du jeu d’ombres pour jouer/ donner chair à cette scène d’ouverture qui doit chercher à « chauffer à blanc ». Il y a un trapèze dans le décor. La silhouette verticale : (Ŕ en live Ŕ euphorie/ivresse dans les paroles) « Mon très cher, vous, qui êtes si doux, vous savez sans doute que je cherche un endroit sûr où je peux abriter mon cœur, pour une nuit, juste pour rire avec le sourire, rire et dormir, je n’ai pas besoin de lit, je peux glisser à la verticale contre les murs… (On voit son ombre-ligne glisser en s’étirant le long du fond blanc) S’ils sont gentils avec moi, avec ma providence. Mon très cher, acceptez que je vous appelle par votre nom secret, Monsieur l’amour à l’envers de votre chair idiote, je crois bien qu’il s’agit de ça, de ça ou de quelque chose comme ça, qui s’en rapproche, on se comprend n’est-ce pas ? (L’autre, comme légèrement électrocuté par ces propos, a tourné la tête vers Vertical) Mais avant d’aller plus loin, sur la raison de ma présence, par rapport à ce que je tiens dans mes mains, je me présente à mon tour, c’est bien la moindre des choses, (Ici Vertical n’est plus seulement une ligne mais prend forme/chair et s’anime dans un mime exagéré qui incarne charnellement son intensité : les fantômes évoqués ici sont gorgés de vie) Regardez mes mains, elles sont maladroites et tremblantes comme le café qu’on concasse avec un percolateur idiot shooté à la crème du futur. J’ai des idées plein le crâne et il fait drôlement chaud. Permettez que j’enlève mon haut et mon bas, et ce petit coton, parenthèse épaisse d’un sexe en colère mais en congé forcé (mime). Monsieur l’amour à l’envers de votre chair superbe, (L’autre s’est dressé, gêné d’abord, il s’est un peu éloigné mais en glissade, en patineur du lac gelé, puis il baisse la tête pour regarder son corps et il se palpe à cause de la chair) Le lac que vous habitez vient de glacer et regardez mes pieds combien ils sont solides, je viens pour louer un peu de votre temps et de votre espace, il serait vraiment superbe que je puisse glisser sur cette surface splendide sur laquelle Ŕ qu’est-ce que vous croyez ? Ŕ vous avez écrit un alphabet nouveau où toutes les lettres qui apparaissent s’embrassent avec la langue. Bon, permettez, je rentre maintenant (mouvement dansant, les gestes ici peuvent s’accentuer vers la chorégraphie) Bel appartement… - il fait froid tout de même sur le pas de la porte (l’autre a relevé le menton, un peu par défi, un peu comme pour dire « la froideur, c’est mon genre ! ») Splendides statues. Jolies peintures. Le canapé Ŕ du cuir, je suppose ? Aimez-vous les fleurs ? Je veux bien me payer cette croûte, coller mes fesses sur cette chair blanche, douce. (Vertical semble voler dans le décor, allant caresser un tableau puis cabriolant sur un canapé…) Cette chaire moderne ? Voilà, je suis suivi par un psychiatre intelligent et j’ai Ŕ on peut fumer ? Ŕ Merci. Intelligent et il m’a dit : pourquoi toute cette peur ? C’est exact. Pourquoi toute cette peur ? Cette question est superbe, si j’avais un marteau je la clouerais sur la porte de la salle de bain. Maintenant, Monsieur l’amour à l’envers de votre chair discrète, (l’autre a croisé les bras, il attend Ŕ un peu trop d’ailleurs) Permettez que je vous dise que… je suis une machine à tic tac qui réfléchit à l’envers et j’aime tout y compris les vers alexandrins, en écriture, ça veut dire douze pieds, mais vous savez ça... (L’autre a peut-être un geste qui dit « quelle importance ?)

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Permettez, vous allez comprendre, je suis là parce que ça ne se voit pas, pas encore, mais je vais ouvrir la bouche, propulser les syllabes doucement, doucement, casser le cristal, je vais Ŕ patience Ŕ me mettre Ŕ promis Ŕ à chanter. (L’autre est interpellé, il semble se calmer, s’ouvrir, attendre d’une manière nouvelle comme on attend un Messie, une révélation) Je suis venu pour ça, n’est-ce pas : votre annonce passe encore à la télé. (Ici créer l’effet sonore (et visuel ?) avec brouillage et annonce incompréhensible comme une pause impossible, venue d’un autre monde dans le chaos insupportable du bruit habituel de la télévision…) Allez, j’y vais ! Je. Je. (Geste de chaman comme pour ouvrir des mondes/cascade à l’envers de papillons qui chutent vers le ciel) Je suis sorcier, je dessine des papillons comme des lèvres bien cachées, (l’air soudain rempli de soupirs, de souffles, de bruits de lèvres, de bruits de baisers etc.) au chômage, désespérées de ne pas faire le chiffre d’affaire escompté. Affaire, est-ce / compter ? (la diction découpe les mots et leurs jeux comme une viande) Comptons sur la providence, ma providence, pour me faire aimer. (L’autre se promène dans cet air enchanté, essayant d’attraper les papillons-lèvres-soupirs-baisers qui sont insaisissables et crèvent comme des bulles) Alors, c’est bon…Je peux dormir chez vous, ici, contre les murs ? (le calme revient, le silence qui fait écho à cette question) Je me ferai doux, transparent, idiot, docile. (Le voici qui se plaque doucement contre la paroi blanche et semble en effet devenir transparent) Et puis ce canapé peut faire mon affaire aussi. A B C D E F G - envie de te dire que pour moi tout est clair. Je suis juste obligé de couper mes ailes et de quitter mon dortoir. Ecoute-moi, écoute-moi, ça vient, je le sens, du bout de la langue, au-dessus de moi, la forme qui encourage les prouesses - écoute ma voix qui change, mue, se renouvelle. Je vais enfin chanter avec ma voix et ma gueule ! Je suis ici un peu comme toi tu es chez toi, c’est ça, c’est ça... H I J K L M AIME - Aime-moi comme ton canapé, please, branche la clim, imite ma main qui tient Ŕ tu vois ? Ŕ le vent : il bouge, il bouge, il cherche son côté, sa racine Ŕ lunette de ciel, regard dans les cimes, tu a vu comme je cause clean ? Ma petite vache. Mon petit Monsieur l’amour à l’envers de votre chair qui brille je ferai de vous ma dernière cible (l’autre s’est accroché au trapèze et se balance distraitement) Vous êtes à moi ce que la cruche est aux abeilles, permettez s’il vous plaît que j’agonise, ici, que je crève, tu as vu comme ta gueule pisse la beauté, et la mienne qui court après ? Allez, s’il te plaît, fais comme si j’étais sympa Ŕ t’as pas du Gin ? Ŕ viens dans mes pompes, je veux dire mes funèbres idées noires qui surfent du délire et aiment si joliment te dire que tu es un Monsieur l’amour à l’envers de votre chair intouchable. Quel fantôme êtes-vous franchement… (Il rit) Je suis si bien. Bien comme une enclume de hasard, oublié, et en attente d’un orage pour composer des baisers. Tic tac toc toc tic tuc pop! Vous entendez ? Toute cette musique pop, toc, c’est ma façon de vous aimer. Peur du kitsch, moi ? Monsieur l’amour à l’envers de votre chair belle, passez bien le bonjour à votre femme, dites lui que je l’aime de vous avoir donné autant de grâce. Une dernière chose. M N O P Q. (Il sort un flingue) Je peux mourir ici ? Le trapèze se fige soudain. Noir. Coup de feu.

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Générique Musique Générique. Un titre s’affiche sur l’écran de l’Ombre chinoise, il change trois fois (morphing) 1 : Cœur Espion Danse

2 : Cœurespondanse 3 : Correspondance

Scène1 Lumière progressive Une pièce lumineuse, grand espace, quasi-vide. Porte-fenêtre donnant sur la falaise et la mer. Un motard équipé d’une combinaison cuir gare sa moto rouge sur cette terrasse, il ôte son casque, secoue ses cheveux, en riant, et descend de sa monture : c’est une jeune femme ; elle se dirige vers un coffre baroque comme un mausolée, elle s’accroupit devant la malle ancienne et tente d’ouvrir le cadenas avec un tournevis récupéré dans son sac à dos. Sans succès. Une silhouette masculine, en smoking, sur le pas de la porte observe la jeune femme. Il n’ose la déranger. Après quelques minutes, il tape délicatement sur la porte. Quartz : Pardon. Je viens pour la visite. C’est bien ici ? La jeune femme sursaute. Jade : T’es con, tu m’as fait peur. Quartz : Alors, ça y est : c’est décidé, tu peux pas t’empêcher de l’ouvrir ? Jade : J’ai appelé la veuve, elle n’en veut pas. C’est cadeau si tu préfères. Quartz : Au prix où coûte la maison : j’appellerais ça plutôt un petit geste commercial... (Regardant sa sœur qui s’acharne sur le cadenas) Jade, pour faire sauter un verrou, le tournevis, c’est … idiot. Jade (lâchant le tournevis) : C’est toi le mec, alors débrouille toi ! Quartz (souriant) : Quel sale caractère ! Je comprends mieux pourquoi tu n’es toujours pas mariée ! Jade : Tu ne comprends rien. Je suis surtout lucide. Regarde-toi. Ça te rend heureux d’être marié ? Quartz (ne relève pas) : T’as vu ma caisse à outils ? Un temps court Jade : Tu crois qu’il y a des bijoux ? Quartz (souriant) : Des bijoux…Ma sœurette ne grandira jamais. (Son téléphone portable sonne) Salut ma chérie. Tout va bien. (…) On nettoie à fond. (…)Je pense que la semaine nous suffira. (…) Dès le week-end prochain, tu peux venir avec les enfants, bien sûr (…) Oh oui…Ils vont craquer. C’est vraiment superbe. (…) Oui, mon cœur. (…) Entendu (…) Moi aussi. (…) Je te laisse. (…) Je le lui dis (…) A plus tard. J’t’embrasse (il raccroche). Elle. Jade : Je sais. Pas moi. (Un temps court) Cette maison je veux bien la partager avec toi et mes chéris préférés. Mais pas avec ta femme, on est bien d’accord ? Quartz : Tu la détestes à ce point pour ne jamais prononcer son prénom ? Pourquoi ? Elle t’a jamais fait de mal, non ? Jade : Tu y arrives où j’appelle un serrurier ? Quartz (s’affairant sur le cadenas, un peu énervé parce que celui-ci résiste) : Tu y crois, toi, à ce qu’elle t’a raconté, la veuve joyeuse ? Jade : Elle t’a fait rire, à toi ? Quartz : Tu parles, dans le genre veuve de guerre et gueule d’enterrement, on fait pas mieux. Jade : En tout cas, riche, la veuve, et grâce à nous…

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Quartz : Pourquoi garder ces lettres ? Des lettres, ça se brûle. Tu te vois, toi, donner ton histoire à des inconnus, comme ça ? Le cadenas saute. Tous les deux ont posé en même temps les mains sur le couvercle et se regardent brièvement, presque gênés. Quartz : T’as senti ? Jade : Ouais… Elle est… chaude… Quartz : Qu’est-ce qui nous prend ? Jade : T’as raison, on se fait des idées. Quartz : Le soleil a dû taper dessus Jade : Dans le placard aveugle du grenier, c’est sûr, oui… Quartz : Ta gueule… Jade : A trois… Quartz : Un… Jade : Deux… Ils ouvrent en même temps, chacun s’empare d’une lettre au hasard comme pour aller plus vite que l’autre, on a vraiment l’impression de deux affamés qui se jettent sur la nourriture en se méfiant de l’autre : comme par défi, Quartz joue ensuite le détachement moqueur tandis que Jade s’accroche à sa lettre. Scène2 Jade a pris la lettre 1et lit le début, Quartz fait la même chose avec la lettre 2. Croisement des voix. #Lettre 1# #Lettre 2 # Jade Quartz « 14 Octobre Ton cœur en épi est sur le coin de mes lèvres Et je sais que cette chose interdite qui nous sépare Brille dans notre lointain silence Je ne cherche rien d’autre qu’à tendre la main… »

« 16 Octobre Y voir fou, Tu De la race de ceux qui voient sans … Avoir à regarder Et franchissent (invisible coup d’aile) Les impossibles Distances… »

Jade : Arrête. J’arrive pas à me concentrer. Quartz : J’allais te dire la même chose. Jade : Fais-voir, l’écriture… Quartz : C’est signé qui, toi ? Jade : Pas signé. Et toi ? Quartz : Moi non plus. Mais c’est daté. 16 octobre Jade (regardant la lettre de son frère) : Pas la même écriture. (Regardant sa lettre) 14 Octobre. Quartz : La veuve et son mari, tu crois ? Jade : Idiot. Tu écrirais à ta femme si vous habitiez le même toit ? Quartz : Non. Mais. Ils ont peut être été… séparés Jade : Ils le sont aujourd’hui (Lisant la lettre 1) : « Je ne cherche rien d’autre qu’à tendre la main

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Vers cette chemise un peu orange que tu portais Et dans laquelle, par ce décolleté de dandy, Tu exhibais des traces de brillants. J’avais peur et j’aurais du, à cet instant de croisement Coller mon oreille près de ton tambour Ecouter le rythme de ce qui s’écoute, Peau contre peau. » Quartz (poursuivant en lisant par-dessus l’épaule de Jade) : « Comme un frère, sans doute, dans le repli de la sagesse Il est courant de faire un demi-tour en marche arrière. Comment porter le menhir du bout des doigts si on ne quitte pas Ses chaussures… ? » Tu comprends toi ? Jade (haussant les épaules) : Chut. (Elle continue la lecture) « Marcher les pieds nus le visage en éclair Fouetter les printemps par sa carapace de lune Bercer sa vie au creux des mains déployées comme un puits Ta paume et la mienne, peut-être, comme des garde-fous Prendre enfin la possibilité de dessiner un cercle Pour s’y noyer entièrement et Ŕ enfin Ŕ Ne plus avoir chaud. » (Un temps) « Ne plus y voir flou. » Quartz (regardant de nouveau sa lettre 2, puis lisant de nouveau le début) : « Y voir fou Tu De la race de ceux qui voient sans avoir à regarder Et franchissent (invisible coup d’aile) Les impossibles Distances »… … une correspondance… Jade : On dirait… Quartz : La veuve et son amant ? Jade (lisant à son tour au dessus de l’épaule de son frère la lettre 2) : « Alors rien Personne Ne Nous Sépare Le don des paumes Dans la transe des tambours Peau à peau Sans et avec les peaux Tu Sur moi Marches En ouvreur En éclaireur… Toi ? Peur ? Et pourtant

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Mon courage A deux mains : La tienne Et la mienne Et le cercle/lac Rappelle-toi : Au menhir tu m’as dit… » Quartz : « N’aie pas peur » Jade : « Peur ? Toi ? Si un jour nous faisons ce que nous disons (Comme tu fais des couleurs/des formes/des masses/des chairs) Alors… … Alors les larmes comme Sérum De Vérité. » (Elle regarde son frère, attendrie) C’est magnifique. Quartz fixe sa sœur, il se rapproche d’elle et la serre contre lui. Jade : On n’a pas le droit de lire la suite. Quartz : Le droit ? Tu veux dire… qu’on a peur, nous aussi ? Comme eux, là ? Jade (le repoussant avec douceur mais fermeté en posant sa main à plat sur le plexus de son frère) : Tais-toi, et lis ! Quartz : « Lettre 3,18 Novembre Tout ce sable que tu dessines avec tes poumons Enlace mon envie de marcher avec toi, aile contre aile. Tu as le don de faire naître des oasis et la volonté de l’ignorer. Je veux la phrase comme un lasso. Envie de prendre un caillou, puis un autre, et l’un envers l’autre violemment : pan ! Peut-être de la poussière, ou bien un début de particules itinérantes. La confusion est un mélange Ŕ à vaporiser dans le cou Ŕ près de l’oreille. » Jade lui vole les feuillets Quartz : Hé ! Jade : « La vérité est une rumeur : une fois son chef d’œuvre accompli, elle disparaît. La chercher, c’est offrir une piste de danse pour Monsieur le mensonge qui donne une version de la vérité Ŕ fausse Ŕ seulement une version. Seulement et atrocement. Que fait-on de tout ce qui ne se voit pas mais qui nous possède ? Ressentir une secousse. Prendre l’émotion Recevoir une gifle Rafale de sensations Prend toi ça dans ta tête Ŕ me dit le vent abdominal Ŕ Prends-toi ça, gigolo Ŕ Il me parle à moi Ŕ Prends-toi ça : L’écho de cette musique improvisée qui embrasse avec la langue, Lèche ma cervelle Ŕ qu’est-ce qu’elle embrasse bien ! Ŕ Obligé de lui dire : Je suis une femme avec un sexe d’homme et j’aime les hommes et les femmes car mon cœur est hermaphrodite !

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Cette ambigüité, dans mon œil, est la fondation de mon équilibre. Jamais je ne choisirai ma place. » Elle s’interrompt pour regarder Quartz presque avec colère : Jade : Et peur de quoi, d’abord, hein ? Quartz : De rien… Donne-moi ça (il reprend les feuilles) « Je suis ce grain de sable Je me laisse bien volontiers pousser Par la force du vent Simplement, j’aime sortir les voiles Ŕ de temps en temps Ŕ Pour que galope le désir Délicieuse dérive que de voir courir celui-ci Vers mon envie de prendre De prendre et simultanément de m’abandonner. Jouir. S’offrir. A tous. Sans tabou. Même les charognes au loin ne me font pas peur. Je veux pleurer le monde joyeusement en m’ouvrant : Laisser la galaxie acharner son destin Me pousser contre la porte, le mur, et tant pis si cela va trop loin Je suis mort en mai il y a déjà bien longtemps. » A ces derniers mots Jade s’est éloignée vers une fenêtre en haletant comme si elle n’arrivait plus à respirer. Quartz : Jade… Elle halète plus fort jusqu’au sanglot. Quartz : Jade, qu’est-ce qu’il y a ?... Tu veux qu’on arrête ? Jade : Non, je veux lire la suite, vite ! Donne ! Scène 3 Les lettres résonnent dans leur tête, en échos. La scène qui suit se dispense donc de lettres visibles. Ils s’adressent des morceaux de textes en souvenirs, qu’ils savent désormais par cœur, comme pour prolonger leurs explorations indiscrètes sur la vie mystérieuse des auteurs de cette correspondance, les lire à haute voix pour se rapprocher de leur chair, de leur existence. Lire pour lier, lire pour délier la langue au-delà de celle qui s’agite dans les feuillets. Ici, la scène se conduit donc comme un ballet, les répliques alternent tandis qu’ils se rapprochent sensuellement l’un de l’autre mais selon des lignes très détournées, très sinueuses, qui semblent suggérer d’abord qu’ils pourraient se fuir, prendre des directions opposées, mais peu à peu se tisse dans leur parcours le rapprochement) Ŕ Chorégraphie de cette déambulation amoureuse. Jade : « Lettre 4, 20 novembre. Je suis mort en mai il y a déjà bien longtemps. » Cette énigme que tu tends comme la corde d’un arc je veux la prendre (paume/chaude/pas piège/pas voler/pas posséder) Et l’écraser contre mon cœur (épi/dard/planté soudain mais pas mal, non, bien et qui devient Eponge gorgée de… Les gifles (de sel) Les coups (mêlés : pieds/poings) Tu les donnes comme tu les reçois, En guerrier tendre, si tendre, comment dire, quel fruit ? (Globules d’amour ont irrigué ton sang jadis et il ne s’en est jamais remis)

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Enlacés/ailés Marcher/glisser avec toi Dans ces boucles de temps/espace ouvertes ensemble un jour par Hasard Le vent stellaire les brouille Nous détache et nous précipite encore et encore l’un contre/avec l’autre sans programme Sans mensonge, sans calcul Et pourtant jamais nous ne perdons notre trace Rien ne se prend qui ne se donne et personne n’est… » Quartz : « …Mort : Ainsi de chair tu étais Et de chair me Faisais ? Ainsi à l’ombre de ton aile ouverte Trop loin devenait si proche ? Si chaud ? Si facile ? Si… » Jade : « …Libre ? Ces courants d’air que tu ouvres partout Comme un enfant qui découvre les vacances Et déchire en haletant (coureur/foreur/creuseur de fond) Tous les murs de papier. » Quartz : « Jamais vu autant d’étoiles Elles rient et parlent toutes en même temps Leurs messages pourtant si… » Jade : « …Clairs : Et le vent solaire de ta liberté Fait sauter toutes les… » Quartz : « …Chaînes : La force de ta liberté 360° à la puissance poétique M’éclate à la gueule Comme une fleur Nucléaire… » Jade (essoufflée) : Mon cher Quartz…Ce viol que nous faisons ensemble… Quartz : Toujours les grands mots. Jade : Ces lettres ne sont pas pour… elle. La veuve… Et aucune n’a été écrite de sa main. Quartz : Tu compte jouer les détectives ? Jade : Si tu l’avais vue devant moi, quand je lui ai montré la malle. Ses yeux…C’est comme. Quartz : Comme… ? Jade (réfléchissant) : La peur qui danse avec la tristesse : la possibilité de découvrir la vérité est imminente mais… Quartz : On préfère l’ignorer pour se consoler avec des rêves. Un temps court, regard réciproque.

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Jade : Tu sais, toi, ce qui est arrivé à son mari ? Quartz : Je sais que cette maison est désormais la nôtre. Jade regarde son frère et plonge une main hasardeuse dans le coffre. Elle en ressort une photo. Jade : Un menhir… (Elle tourne la photo) « Page blanche/perdue/retrouvée ?/introuvable ? Ce blanc, ce blanc… M’émeut… Pages mêlées » Quartz : On dirait une énigme. Jade : Ou une lettre qui a été perdue…alors, dans l’attente douloureuse…des mots se sont mis à courir sur le verso du papier glacé. Quartz (sourire): Petite dévoreuse de mots…on dirait que tout cela t’inspire… Jade : Pas toi ? Elle plonge de nouveau une main dans le coffre et en ressort un morceau de papier qu’elle tend à son frère. Quartz « 14 Février! Ambroisie ! Plaftchhh ! Il tombe sur le sol et bat encore. Pourquoi faut-il que le temps détruise tout sur son passage? Heureusement l’ambroisie est là, et il suffirait juste de quelques gouttes pour déplier de nouveau l’immense drap céleste. (Et dessiner des ailes) » Quartz plonge la tête dans la malle. Jade : AM-BROI-SIE ! Ça fait si longtemps que je n’avais plus entendu ce mot... Quartz : Je crois rêver, regarde ! Une fiole ! (Il ouvre le bouchon et sent.) Surprenant mais...tentant ! Il va boire une gorgée. Jade (posant sa main sur la main de Quartz qui s’apprête à boire) : Attends ! Et si c’était… ? Quartz boit. Jade : Alors ?... Ambroisie ? Quartz : Putain, c’est bon comme… Jade : … des mots qui se transforment en chair…Pince-moi… Moi aussi j’ai l’impression de marcher dans un rêve… Quartz : Goûte ! Jade boit une gorgée Jade (raclement de gorge prononcé): Ta mère ! Quartz : La même que la tienne, merci. Jade : Fort mais…rudement bon ! Quartz imitant sa sœur, plonge une main hasardeuse dans la malle. Il en sort un morceau de nappe de papier déchiré. Quartz (surpris, petit rire court) : Ça, c’est au moins le résultat d’une beuverie. (Il regarde le parchemin bon marché) Bourré mais pas ivre mort : y a la date. Jade : Tais-toi, et lis ! Quartz : « 5 Mars. Je veux ton adresse postale Pour t'arracher de ton nid Et t'emmener sur le littoral Avec ma vieille Suzuki

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Je veux ton adresse postale Pour brûler tout ce qui t'ennuie Les doutes, la peur, les lois pénales Et rire avec toi sous les draps de la nuit. » Une brise clandestine. Le morceau s’échappe des mains de Quartz. Jade récupère la lettre et s’empresse de continuer la lecture. Jade : « Je veux ton adresse postale Parce que l'heure tourne (déjà minuit) Et toujours pas d'éclipse frontale Entre toi et mon envie de lit De lit, pas d'interprétation infernale Je parle de la scène ou poussent les vies La scène - bien sûr - ce lieu à pétales Qui transforment les textes en bruit Je veux ton adresse postale Parce que je suis ton ami Il faut bien que je te cale Sur ma vieille Suzuki Tu vois, rien de bien amoral, Juste le besoin de lancer un cri Vers la scène, tu sais bien, les pétales Qui transforment les temps en petits fruits. » Jade : La scène… ? Quartz : Toi qui voulais devenir actrice, ça tombe bien. Jade : Tu m’as bien dit que le mari de la veuve écrivait des pièces ? Quartz, fouillant la malle. Quartz: Des pièces, des lettres, des chansons, tout ce que tu veux, mais il n’écrivait pas à sa femme… Jade : Alors, l’autre, c’est qui ? C’est quoi ? Quartz : Un truc au soufre qui a fait fuir la belle veuve, un truc si beau pourtant qu’elle n’a rien brûlé… Quartz sort un texte, son visage s’éclaire. Il lit la date, puis le texte. Au fur et à mesure de la lecture, sa sœur se rapprochera de lui, pour finir derrière son dos, légèrement en décalé, comme une ombre. Scène 4 Quartz : « 8 mars.

Bonne nuit toi nuit

moi aube pas jour encore entre deux ces quelques heures vides où sur la scène la poussière est retombée en nous voyant

partir ou de loin arriver le vent siffle dans mes oreilles

le casque tourbillonne au-dessus dans le ciel d'encre j'entends les deux voix confuses qui répètent notre éclipse

le meilleur moyen de ne pas te rattraper c'est d'être ainsi ton passager éclair dans ton dos les bruissements de tout ce que tu veux écrire/crire/éclore sur scène

mes yeux piquent de l'impatience des pétales

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les deux comédiens s'invectivent le texte est difficile

ils comprennent qu'il passera par leur corps ou ne passera pas le courant d'air siffle et soulève la poussière autour de leurs pieds nus

rien de plus doux, de plus discret que le bruit d'une moto dans une entrenuit de théâtre l'autre pièce se joue là

en ligne droite/éclair en tourbillon autour de leurs têtes

l'illusion est parfaite: tout ce temps nous sommes assis l'un en face de l'autre

le regard posé sans scrupules sur l'or franc du regard de l'autre: entre nous tandis que le vin danse encore dans la bouteille,

les matériaux du rêve que nos doigts échangent et caressent légèrement comme d'impossibles soies »

Un silence, lourd. Jade : Quartz ? Quartz : Je… (Dans sa gorge, un sanglot qui empêche les mots)... Quartz sort comme un fou, étouffant un cri de détresse, laissant voler les papiers derrière lui. Son ombre se détache en arrière-plan, découpée dans le vent solaire du bord de la falaise. Scène 5 Jade lève la tête, au fond Quartz écarte les bras et semble menacer le ciel de ses poings. « Lettre 9, 12 Mars » s’affiche en lettres de néon. Ici, comme dans la scène 3 : les lettres résonnent dans leur tête, en échos. La scène qui suit se dispense donc de lettres visibles. Mais ici pas de chorégraphie, leur préoccupation n’est pas de se chercher ou de se fuir à travers les textes mais de trouver ensemble - plus franchement - l’énigme de la correspondance. Exercice sans protection forcément éprouvant. Jade : « Entre-temps Ŕ si l’on veut parce qu’entre eux le temps…-- il y avait eu un hiver sans fin justement… » Quartz : « Un hiver de faim du monde » (il tague ‘faim’ à la craie rose sur un mur) Jade : « Un de ces hivers où on perd presque l’adresse de son meilleur ami » Quartz : « Où en fouillant le fond de ses poches on ne trouve soudain pas de quoi payer le taxi qui devait nous jeter devant sa porte » Jade : « Et où les trains ne partent ni n’arrivent plus jamais quand enfin on se trouve sur le quai, tremblant, en nage, fou… » Quartz : « Il, livré à lui-même Ŕ indécision, neige molle, trop de voyages comme du qat bleu de Yémen Ŕavait quand même Ŕ parce qu’il avait une chance folle dont il ne doutait pas Ŕ reçu une lettre encore détrempée de l’eau pure du lac virtuel Ŕ comment avait-il pu, sans s’en apercevoir, s’en éloigner autant, sans… sans… bouger… ni faire un geste qui… - une lettre écrite dans une langue inconnue dont chaque signe pourtant claquait comme un phare blanc absolu. »

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Jade : « Les lettres s’égarent et un beau jour vous sautent à la gueule comme des fleurs à retardement Ŕ ma vie était là, au cœur du creux de ce Pistil Alors il ne s’agissait plus de lire Fini de rire Il était de question de… » Jade est tombée à genoux, la tête en avant, ses bras tendus au sol devant elle, poings serrés, ses cheveux balaient le sol. En ombre, Quartz a sorti son téléphone mobile. Jade (secouant ses cheveux derrière lesquels elle parle d’une voix nouvelle, grave) : On ne joue plus… On ne joue plus… On ne joue plus… Tu te rappelles ? Quand on était… Quand on était ?... Tu te… ? Quartz (au téléphone/sa voix aussi est changée) : Chérie ?... C’est le vent de la falaise… (Il doit parler plus fort, presque crier) Chérie !... Dis-moi, vite ! C’est comme ça que je t’appelais ?... Non, je ne suis pas fou… Ou plutôt… Ecoute, je vais te dire une chose terrible… Je… Tu ne comprendras pas, mais… Jade (complètement affolée, déroutée, veut ramasser les feuilles éparses) : Elles brûlent ! Quartz ! Quartz (il continue à crier contre le vent) : … Une chose… terrible !... Jade (n’osant plus toucher les lettres étalées sur le sol autour d’elle, elle se penche pour les lire ainsi) (Au bout d’un moment elle va se tourner vers Quartz qui ne la voit pas, s’adresser à lui Ŕ Et Quartz, qui finit par raccrocher sans avoir pu être plus clair avec sa femme, va s’approcher et tendre l’oreille, écouter en cachette Jade et la lettre 10) Voix de Jade et de Quartz : Chuchotements ricochets qui se croisent sans se percuter. Jade : « 16 mars Vertige zéro Variation zéro Suspect zéro (n’avancez pas, ne dites rien, personne ne vous interroge) Crime zéro : le crime de confiance libre totale sans engagement sans rien Pas de cadavre Pas de preuves Et le sang comme de l’eau s’est évaporé » Quartz (au vent) : … Mon cœur !... mon cœur !... Jade : « Zéro faute (pas de rouge-encre sur les transparences d’aquarelles) Degré zéro du/de l’eau du lac Pas froid, non, pas chaud non plus Juste zéro degré » Quartz jette le téléphone dans la mer avec furie. Jade : « Alors, vous dites que… ? Remarquez qu’on ne vous a rien demandé, hein ? Que quand vous avez trempé la pointe de votre pied dans… ? » (Ici, Jade n’a plus besoin de lire, elle se lève et improvise une danse qui exprime l’errance.) « Mordillements zéro entre deux eaux claires superposées Ŕ clair sur clair Degré zéro des ombres et des lumières On n’est ni aveugle Ni ébloui

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Juste Zéro » Quartz, après une crise de rage et d’impuissance, s’est approché dangereusement du bord de la falaise, s’est retourné vers la maison, ouvrant les bras devant lui d’un air perdu, un air d’enfant qui ne sait plus… Quartz : « On avait dit pas d’interrogatoire Oui, pardon, OK, déformation professionnelle Je retourne mes questions Dans votre pied des pointes ? Des mordillements ? Quand ? Vous ? Dites ? Rien ? Personne ? » Jade : « Degré zéro du bruit : Un souffle glisse en planeur tout près de la surface de l’oreille Des mordillements ? De lobe ? Degré zéro de la sensualité » Quartz : « Voilà : Ecoutez et regardez bien : Pas de sous-entendus Pas de surprises cachées dans les ombres parce que pas d’ombres Prêt ? Moteur ! » Jade : « !Degré zéro, enfin, des belles pales d’hélicoptère Qui hachent ! les cœurs parce que les cœurs sont des Fleurs !-zéro Qui emplissent le ciel clair Ŕ clair ! Ŕ de neige multicolore

- Le ciel zéro du bonheur ! » A la fin de cette lettre Jade et Quartz sont collés au même mur mais de chaque côté sans savoir que l’autre… et ainsi ils se cherchent comme deux danseurs l’un contre l’autre mais séparés… Scène 6 Une rafale de vent plus violente fait pivoter le plateau (intérieur vers extérieur), ouvre la porte-fenêtre en la faisant battre (il faut une vraie violence de nature ici) et aspire en quelque sorte Jade qui se retrouve dehors à quelques mètres de Quartz. Battus par le vent, ils se regardent comme deux orages, deux guerriers, deux héros… Quartz : Je me disais… pour nous calmer… un petit tour à moto sur la corniche ?... Jade : Je me disais… Ton ambroisie… qui a mis du feu dans ma gorge… Je me disais… Tu te rappelles, quand on se battait tous les deux ? Personne ne gagnait… On était aussi fort l’un que l’autre… Quartz (se redressant, se prenant au jeu de leur vieille complicité) : Et ça, tu te souviens ? (Il a arraché une manche de sa chemise et lui montre un grand tatouage sur son épaule qui représente l’Ankh, signe de vie.

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Jade sans un mot arrache sa manche à elle et le défie de son épaule à elle qui porte le même signe. Le début de la lettre 11 projeté sur un drap flottant (comme une oriflamme), on voit l’Ankh, la date, les premiers mots…

21 mars

Tu cloues tes peurs avec les miennes aux portes des magasins d’inutilités….

Menton en avant, ils se défient de plus belle : Quartz : Tu as déjà prié, toi ? Jade : Et toi ? Quartz : Tu sais ce que nous risquons, Jade : Et toi ? Ici, ils lancent les mots/syllabes comme des cris de guerre Jade : Ouvreur ! Quartz : Creuseur ! Jade : Li ! Quartz : Bé ! Jade : Ra ! Quartz : Teur ! Ici le ton change Jade (voix suave, sensuelle, comme si elle soufflait vraiment une vapeur d’or) : Au souffle D’or … Tes rires-cygnes en Amulettes Porte-‘heur ! Entre les Bandelettes Sur Quartz (fier, heureux, comme citant ses exploits) : Cœur ! Foie ! Reins ! Sous langue ! Œil ! Aisselle Pied ! Les mains de Jade et Quartz se joignent en double prière : Jade et Quartz (comme un serment de noces) : Toi-Ankh est-ce que le monde (te) sait ?

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Scène 7 Lumière chaude, brumeuse. Dans cette scène, le texte est entendu comme s’il s’agissait d’un chœur lointain et invisible. Jade et Quartz sont spectateurs-acteurs. « Lettre 12, 25 mars …La fermeture éclair … » Quartz descend la fermeture éclair du blouson de Jade et le lui ôte, il plonge sa main dans une des poches et en ressort une clé « …comme une clé pour ouvrir le monde, s’interroger, je suis né en Mai, dans une pluie de papillons. » Il grimpe sur la moto comme un cavalier chevauche son cheval, Jade le suit. Ils se regardent et Quartz ne résiste pas à jouer au prince en baisant la main de sa sœur. « J’ai défait ma peur et craqué mes chaussures, baiser la main d’une fenêtre qui donnait victoire à des klaxons. Un président de la république venait d’être élu, le 19 mai 1974. » Jade passe son autre main dans les cheveux de son frère et effleure ses joues. « Dans mes globules, l’amnésie et déjà une envie immense de mer. » Ils se regardent, encore, toujours. « Le sein, le lait, la chair qui s’épaissit, la langue, le langage, et l’amour du regard dans le visage de ceux que l’on nomme par le nom de père, mère (et réciproquement.) » Quartz, à son tour, glisse sa main dans les cheveux de Jade, sur ses joues, le cou, ose même les alentours de ses seins. « Grandi entre deux falaises, l’envie précoce de se hisser tout en haut des deux tours naturelles, pour contempler le néant. » … Puis, il dessine avec ses doigts des ronds sur les lèvres de sa sœur. « Parfait Brillant Exactement comme l’intuition, avec son tam-tam, et ses paroles silencieuses : Tu vois ? Je te l’avais bien dit. » Jade lui capture un doigt avec sa bouche. Puis deux. Concentrée, elle ne lâche pas prise. « Puis, l’envie encore de se hisser Grandir Plonger Dans le néon bleu du néant » Jade et Quartz, par un effet de lumière général, deviennent à présent des silhouettes, puis disparaissent au fur et à mesure. « Et Plouffff Ploufffff Plouufffff Je m’appelle avec deux ailes Je suis de la race des coquelicots Ne sait rien qui puisse se dire en dehors de respirer l’oxygène Et glou Glou Glou Sans interruption J’ouvre et je me perds Défile des diaporamas étincelants Et des mots lumineux » Le chœur s’arrête. Changement de lumière, froide et claire. Quartz et Jade, au devant de la scène, comme par magie, tapis sur un sol de lettres, déchiffrent ensemble une missive, avec un enthousiasme partagée, une complicité visible.

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Quartz : Défile des diaporamas étincelants Jade : Et des mots lumineux Quartz : Mercure Jade : Neptune Quartz : Vénus Jade: Les dunes Quartz : L’or magnifique, solitaire. Jade : Les auréoles Quartz : L’aube Jade : Le fond Quartz : La fonte Jade : Le plein Quartz : Le cœur Jade: Les couleurs Quartz : Le poumon Jade : Et son double ! Ils se regardent et éclatent de rire. Quartz : L’univers Jade : Les « je t’aime » Quartz : Et moi, Jade : Moi Quartz : Moi ! Jade : Aussi ridicules que les planctons - mes amis ! - J’embrasse le fond et pousse mes deux pieds sur les fossiles Quartz : L’instinct de survie Jade : Je remonte comme une torpille et franchit la ligne médiane Quartz : L’horizon Jade : Fusée d’amour qui perce le soleil ! Quartz : Je décolle et dépasse les lointaines falaises Ŕ Mes mamelles - Jade : Cerf volant sans tuteur je cherche la sueur des rêves Quartz : Pluies d’ivresse qui guérit les peaux aventurières, Jade : Tambour de baroudeur je compte ma seule prière : Quartz : Manger la vie avec le cœur vulnérable Jade: Aucune radinerie Quartz : Juste l’indécence de l’offrande Jade : Je suis à la terre Quartz : Comme à la mer, Jade : A cet espace si grand Quartz : Que l’on nomme Avec prudence Jade : Les nuits dans le doute, près des bougies Quartz : Avec la peur au ventre : Jade et Quartz (ensemble) : Mystère et boule de sommeil… Silence. Jade pose sa tête sur l’épaule de Quartz. Au loin, La mer semble irréelle en agitant des serpentins phosphorescents. L’ombre noire de la veuve dans ses longs voiles vient masquer comme un nuage les deux visages égarés de ce couple interdit

La veuve : Gardez ce coffre, cette tombe, je n’en veux pas. Je ne veux plus de souvenirs. Je ne veux plus rien. Je n’avais qu’une vie, qu’un bonheur Ŕ quelque chose de trop grand pour moi m’a tout pris, alors foutez-moi la paix avec cette histoire…

Voix Homme : Permettez s’il vous plaît que j’agonise, ici, que je crève, tu as vu comme ta gueule pisse la beauté, et la mienne qui court après ? Allez, s’il te plaît, fais comme

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si j’étais sympa Ŕ t’as pas du Gin ? Ŕ viens dans mes pompes, je veux dire mes funèbres idées noires qui surfent du délire et aiment si joliment te dire que tu es un Monsieur l’amour à l’envers de votre chair intouchable.

La veuve (tragique) : Une chose terrible ! Le dos de Jade vient à présent épouser le sol. Quartz l’imite. Les grands enfants regardent le plafond. Puis, main dans la main, ils vont s’endormir. L’ombre de la veuve se dissipe. Scène 8 Jade et Quartz baillent, comme par un enchantement. Quartz : Je crois bien que je vais rêver la lettre numéro treize Ŕ tu es superstitieuse ? Jade : Idiot. Quartz : Tu l’aimes bien ce mot, hein… ? (Un temps court) Alors tu m’accompagnes ? Grande mimique de joie confiante de Jade qui fait oui de la tête. Ils ferment les yeux. Ombre Chinoise : n’est visible que la silhouette assise. Elle se lève et se dirige, là, où se trouvait la silhouette verticale. Elle se plie comme pour ramasser quelque chose, puis se relève, tenant dans ses mains une arme. L’ombre chinoise disparaît laissant place à une projection : une main tient un pistolet, le doigt presse la détente : au bout du canon un drapeau qui porte l’Ankh. Gros plan sur le tireur Ŕ le Mari de la Veuve ? - et dit Ŕ « Poisson d’avril » Ecran Noir. Générique ( Morphing) Tout d’abord : Correspondance Ensuite Cœurespondanse Et enfin Cœur Espion Danse Ecran noir : Générique défilant, phrase après phrase … « De l’autre côté de l’eau, tandis que tes embruns me giflent… Tandis qu’en tonnerre lumineux tu grondes et que Je te regarde rouler en orage vivant tes peurs-fleurs… Ces claques de vent gorgées de pétales rouges de coquelicots, Les pierres volantes en météores de ton ventre, Et ces regards-éclairs que tu lances sur le monde comme des épées de verre… » Un halo de lumière sur Jade et Quartz. Jade (au sol dans une chorégraphie lente) « Alors je dis Tes larmes éclatantes de cristaux de sel Cisaillent la peau tendue sur mes pommettes Et me tirent de mon sommeil de conte : Quelque sortilège A fait jadis de moi une gentille bête Et de Prince sache que je n’ai plus que ces traces brillantes Jetées comme poudre aux yeux du vent quand je suis en forme Et que les brises agacées gonflent mes voiles : » Quartz (au sol dans une chorégraphie synchronisée avec sa sœur) « Alors je cingle !

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Et rien Ni les murs fracassants d’écume Ni les avions atomiques Ni les cris des méchants Ne peut briser ma course : Immobile sur le bord fragile de ma falaise Balayé par les courants d’air marin Je traverse en pirate tes eaux territoriales : » Jade : « Il y a tant de belles histoires à lire Que tu as jetées au désordre des mers, cher plongeur de mai, et moi, bête tendre et solitaire, né de quelque magie… » Les chorégraphies s’arrêtent. Quartz se réveille en sursaut, L’écran disparaît : Quartz (se dressant) Jade, Jade, réveille-toi. Réveille-toi ! Jade : Hein ? Déjà Quartz : Nous sommes Jade: Nous sommes… ? Quartz : Nous sommes Vivants ! Jade : Hein….Evidemment que nous sommes… Quartz : Alors nous devons trouver. Jade : Quoi ? Trouver quoi ? Quartz : La vérité. Le mari de la veuve. Et si. Et s’il avait été tué ? Volontairement. Jade : Recouche-toi. Quartz : Un meurtre, je te dis ! Jade (relève le buste difficilement et élève légèrement la voix): Par qui ? Il plonge sa main dans la poche intérieure de son veston noir et en sort une lettre froissée. Quartz : A ton avis ? Ecoute-ça. (Il lit la lettre) « Est-ce tu m’emmèneras en Corse, un été, sur cette plage bien cachée où il fait bon la nudité ? Partager le jus d’une noix de coco qui aura échoué dans nos paumes. Fouler le sol en exhibant l’empreinte de nos traces heureuses, éphémères. Puis, Jouer au ballon Ŕ jaune Ŕ M’élancer follement sur la gauche comme un goal - sans cage - pour récupérer du bout des doigts la folle balle et réussir in extrémis à l’élever dans l’espace infini des perspectives bleues Puis Perdre l’équilibre : disparaître Ŕ encore ! Ŕ Un petit peu Ŕ un court moment - dans la mer cristalline et complice ! Splouuuuuuuuuuuuuuuuuuffffffffffffffffff !!!!!!!!!! Plongeon d’enfant qui ne vieillit pas Ouvrir les yeux et regarder les poissons. » Jade : Et alors ? Quartz : Tais-toi, j’ai pas fini ! « Je te vois, poisson. Je te vois, sable Je te vois petit caillou orphelin Reprendre une bouffée d’oxygène Te revoir toi. Et ton sourire : deuxième soleil ! »

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Regard de Quartz vers sa sœur Quartz : « Mes joues comme des cascades de diamants liquides Jouer encore Jouer longtemps comme des gosses puis imiter les lézards. L’avant-sieste les yeux ouverts Regarder les courbes acrobatiques de nos avions cracheurs de feu Ecrire en silence notre amitié de l’entre deux Et bien plus que ça. Bien plus que ça. Bien plus. » Un temps court « Les yeux se ferment. Ecouter le vent, Ses murmures : Caresse sans peaux Je sens Nous partons ensemble » Deuxième regard de Quartz vers sa sœur. « Sans bouger Allongés Ensemble Nous partons : Plongeon d’enfants qui ne vieillissent pas Ŕ Deux hommes, nus, sur une plage sauvage, dorment, flottent, lévitent... L’éternité attend. » Jade : C’est beau, mais j’ai sommeil. Quartz : Tu ne comprends pas ? Deux hommes nus… Jade : Et alors ? Quartz : « Deux hommes, nus, sur une plage sauvage, dorment. » Il y a un espace, et puis « L’éternité attend. » Jade : Et bien, qu’ils dorment et faisons pareil, tu veux ? Quartz : « Dorment »…est à la fin de la phrase. Jade : Et alors ? Quartz : L’éternité attend parce qu’elle est impatiente, exaspérée comme l’auteur de cette lettre. « Deux hommes, nus, sur une plage sauvage, dorment. » Cette lettre ne demande qu’à réveiller ce qui dort… Ils étaient amants, où ils allaient le devenir. L’un ou l’autre. Ça ne peut pas être autrement et… Ça s’est mal passé. Et… Jade : Et… ? Quartz : Un meurtre je te dis ou bien…Un suicide. (Scrutant la lettre) Franchement… « Ballon jaune ». Jaune… Ce n’est pas la couleur de l’infidélité ? Jade s’allonge de nouveau sur le dos et ferme les yeux Jade (Lentement et exaspérée en même temps) : Il faut brûler ou noyer toutes ses lettres, n’en laisser plus aucune. Et retrouver la paix. Notre paix. Jade replonge dans son sommeil. Quartz, debout, immobile, regarde sa sœur le poing écrasant la lettre… Lumière qui diminue jusqu’au noir total. Puis, Lumière trouble, faible. Ombres chinoises. Deux silhouettes masculines. L’une verticale. L’autre assise, presque immobile. (Voix off Ŕ en live Ŕ pas d’euphorie dans les paroles)

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Scène 9 La silhouette verticale : Je suis si bien. Bien comme une enclume de hasard, oubliée, et en attente d’un orage pour composer des baisers. Tic tac toc toc tic tuc pop. Vous entendez ? Toute cette musique, c’est ma façon de vous aimer. Monsieur l’amour à l’envers de votre chair belle, passez bien le bonjour à votre femme, dites-lui que je l’aime de vous avoir donné autant de grâce. Une dernière chose. M N O P Q. (Il sort un flingue) « Je peux mourir ici ? » Il dirige l’arme vers sa tête, hésite, puis finalement dirige le canon vers l’homme assis. Coup de feu. La silhouette assise se lève et se dirige vers le tireur. Elle lui prend l’arme sans que la silhouette verticale ne manifeste la moindre résistance. L’autre silhouette(s’est levée) : Les balles à blanc n’y changeront rien. Impossible, Monsieur le Commissaire en essayant de reconstituer les faits de prouver quoi que ce soit. Il faudrait… fouiller le passé géologique, retourner chaque grain de sable pour l’interroger, inverser les cours de la mer pour la faire parler à l’envers, éventrer les nuages qui photographient nos destins, ouvrir en mille-feuilles le bleu à mémoire du ciel, attraper au filet les grands oiseaux blancs, les éventrer car leurs entrailles mélangent le temps et les secrets. Il faudrait… Mais je vois bien que depuis toujours vous ne croyez plus à l’innocence de personne. Je pourrais aussi bien rester là à gober des mouches et des corneilles, vous continueriez à bourrer votre pipe de gros gris et à plisser vos yeux de chat. Alors, Monsieur le Commissaire Ŕ vos dents serrant le tuyau de la pipe, l’ironie qui tire la commissure de vos lèvres de commissaires, cette salive sur vos dents qui prend des clichés anthropométriques sans le vouloir Ŕ la souris vous sourit et vous salue » Noir. Musique de générique. Pendant ce temps, sous nos yeux, nous devinons les silhouettes de Jade et Quartz. Ils rigolent Le décor bouge, s’articule, se métamorphose, disparaît. A présent, le plateau est quasi vide. Nous sommes hors de la maison, près de la falaise, à quelques mètres seulement du vide. Quartz dévore une brioche pendant que sa sœur embrasse le soleil avec son front les yeux fermés. Quartz : Sœurette, plus que deux lettres et à nous la liberté ! Jade (Presque en colère) : Quelle liberté ? Et puis, je n’aime pas que tu m’appelles, Sœurette. Quartz : Laquelle tu veux ? La bleue ? La rouge ? Jade : Et si nous les lisions ensemble ? Quartz : On commence par… Jade : La bleue ! (Jade vient se coller près de son frère, face à la mer) Quartz : « Tu étais là, au pied du mur, tenant la corde que j’ai eu un peu de mal à descendre. » Jade : « Tu étais là, ouvert comme un nuage bleu pour amortir ma chute. Je me suis relevé sans blessure, traversant tes brumes bleues comme ton double décalé. » Quartz : « Et nos solitudes se sont reconnues Ŕ partagées comme un même fleuve se sépare en ouvrant des bras. » Jade : « L’asphalte de trottoir fondait de plaisir sous nos pieds de sable et d’eau. » Quartz : « Mêlant nos souffles, les plumes de nos ailes, nos peaux translucides (elles frémissent comme des gels d’eau, des voiles de crème transparente…), nos sourires, les grains de lumière de nos yeux, nos enfances, nous avons décidé d’interroger ce qu’un jour tu avais baptisé l’entredeux, pour jouer encore et encore à dissiper les ombres encore et encore Ŕ quand je dis interroger… « Jade : « Nous n’étions pas des policiers… des traqueurs… et la méchanceté faisait se dresser nos poils et nos plumes et nos cheveux flottants et nos sourcils, ‘comment ! Encore vous, madame la méchanceté ?’ »

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Quartz : « Et d’un même souffle décalé pourtant et double et autre et étranger et pourtant si simple si proche si frais tandis que nous échangions un de ces regards de côté complices et glisseurs. » Jade (elle a du mal à tenir la lettre, elle tremble) : « Et d’une même buée double et décalée ensemble nous avons… » Quartz : « …soufflé sur la méchanceté du monde et tandis qu’elle fuyait en protégeant sa tête de ses bras telle une sauterelle déconfite Ŕ perdant ses taches d’ombre comme des gouttes de sang dans son sillage… » Jade regarde son frère. Jade : « …nous avons sifflé la méchanceté du monde » Ils se fixent. Puis de nouveau regardent la lettre. Jade et Quartz (ensemble) : « Vertige bleu » Quartz prend la main de Jade et lui prend la lettre qu’elle n’arrive plus à lâcher. Il parvient toutefois à lui ôter et la réduit en boule puis la jette dans le vide. Quartz (tendant la lettre rouge à sa sœur) : Tu commences ? Jade prend timidement la lettre et la déplie méticuleusement. Jade : Tu penses qu’ils s’aimaient d’un amour fou, c’est ça ? Quartz : D’après toi, Jade ? Pour écrire autant …Tu lis ? Jade : « 22 Avril. Tintement de l’instant quartz sur une plage de galets. » Quartz (dans le vague, regardant la mer) : « Le pire c’était après le raccrochage, hier. J’étais soudain ce verre tremblant d’un bonheur de cristal, cette mer ambrée soudain agitée dans la danse de ses cubes de banquise. J’étais certain de ne plus avoir envie de la revoir. » Jade : Où tu vois ça ? Quartz fixe Jade. Quartz : Nulle part. On continue ? Jade fronce les sourcils et continue la lecture Jade : « Tintement de l’instant quartz sur une plage de galets Dans l’œil brillant du rétroviseur de ma moto coquelicot. Je me souviens d’un échange téléphonique où l’eau télescope l’eau Au bord d’un parking écrasé par un soleil renaissant et bien caché dans mon cuir Je flirte avec un cellulaire qui me donne Ŕ généreux et fidèle Ŕ la voix de celui qui prononça un matin de colombes : Quartz : « Ma bouche sur votre bouche vous rend mot pour mot » Jade : « Je le sais près de la mer. Il me le dit, le murmure Je quitte mon blouson noir…et me hisse sur un petit muret avec vue sur le temps azur et son collier de perles infinies. Mon cheval rouge, immobile, docile, juste à côté, m’attend Le prince réchauffe mon oreille. Je l’entends. Je l’écoute et me surprend à bouger encore Ŕ comment garder son sang froid avec la voix chaude d’un Prince poète dont le pouvoir est l’invisibilité? - les muscles de mes lèvres pour lui dire à mon tour combien j’aime la pluie des syllabes qui nous habille à cet instant là ». Quartz : « Je ne veux pas, je veux voir et être vu dans cet instant de… grâce et d’eau…

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Jade : « Tintement de l’instant quartz sur un parking vide : mes pieds imitent, timides, des cerceaux invisibles que je dessine dans mes rêves sans rênes quand je joue à l’enfant. (Quand je parle, mes chaussures perdent de leur peau.) » Quartz : « Elles muent pour (te) renaître… » Jade : « Je suis la seule ombre du coin qui danse dans la lumière, à côté de la peinture blanche qui oblige les voitures à se mettre ici, ou bien là, ou bien ici…je sautille comme un jongleur de bandes lactescentes ! » Quartz : « Je l’écoute et en même temps je me souviens « Trop de si : je vous aime exactement comme vous pensez que je vous aime. Et vous m’aimez sans si. » Jade : « Je m’accroupis et le lui dis. Il rit et mes poumons explosent aussitôt de joie, en dedans, sans dégâts, juste pour le rejoindre encore, me rapprocher de lui. Tintement d’éclats de rires sur l’horizon platine d’une mer qui joue la ligne claire unificatrice. » Quartz : « L’ivresse pure, c’est cela. » Jade : « L’incroyable, c’est ça: des âmes s’embrassent sous les yeux de tous mais sans laisser de traces, incognito. » Quartz : « Libre comme le vertige des alpinistes qui grimpent sans destination. » Jade : « Insaisissable comme la vitesse de deux amants Ŕ séparés par la géographie Ŕ qui réussissent pourtant à se toucher sans se déplacer. » Quartz : « Deux cellulaires et des cellules sanguines qui jouent des claquettes dans le tunnel de la dimension « l’autre chair » reliant l’emprise avec l’abandon. » Jade : « La confiance avec la lumière. » Quartz et Jade (ensemble) : « Respiration simultanée. » Jade : « Le mois de Mai pointe le bout de son nez. Je lui parle de champagne. » Quartz : « De vignes, d’écriture » Jade : « De lectures » Quartz : « De falaises. » Jade : « De mers » Quartz : « De clichés » Jade : « Des clichés qu’il faut détourner en intégrant quelques éléments nouveaux. Pour ne pas se faire enclocher. » Quartz : « Nous parlons de libertés » Jade : « Et de dates » Quartz : « Des bains printaniers et du calme » Jade : « Des repas à partager… Et de mon cheval rouge qui peut porter deux hommes au bout d’une victoire à fêter, un événement qui viendra sans doute : une intuition personnelle ... » Quartz : « Il me parle du centre du monde, lui, qui croit en l’infini. » Jade : « Il me parle de ses voyages en voiture ou en train, lui, qui aime tant faire la planche pour écouter les courants marins. Il me parle » Quartz : « De son premier bain De nous aussi Leurs voix se brisent, presque : » Jade « De nous » Quartz : « Il parle de nous »

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Jade : « Je voudrais lui dire » Quartz : « Mais il faut Continuer Entrecouper Continuer les épisodes » Jade : « Il faut Couper la conversation » Quartz : « Se rencontrer pour de bon Se croiser Bientôt » Jade : « Se croiser En vrai En chair je veux dire Pour permettre au tintement De se faire avec nos quatre pieds Sur un même point » Quartz : « Il faut Je sais bien S’arrêter De parler Raccrocher Se rencontrer Se taire Raccrocher. Se télescoper En vrai… » Jade (sursautant) : Quoi ? Quartz : « Plus de tonalité… » Jade : « 180 Km/h sur mon compteur Le cœur ivre Et comblé De te savoir vivant. » Un temps. Scène 10 Elle ouvre sa main. Le vent pousse la lettre dans le ciel, puis la mer. Un temps long. Jade regarde son frère. La réplique qui suit est prisonnière d’une torpeur, d’une lenteur : chaque mot prononcé met du temps à sortir (sans effet de ralenti cependant : il s’agit d’une difficulté, d’une « gravité »)

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Jade : Nos cœurs espions dansent dans la correspondance de ces deux hommes. Tu les entends ? C’est comme si, je ne sais pas pourquoi, nous étions leurs enfants. Nous sommes si proches. D’eux. Je ne comprends pas. Comment cela est possible ? Quartz : Nous sommes si proches, oui. (Il la prend par la taille et l’attire contre elle) Tu as peur ? Je n’ai plus peur, moi. Un temps court Jade : Certaines lettres se sont envolées avant qu’on ait pu les lire. C’est plus fort que moi, je me demande maintenant ce que nous ne savons pas. Quartz (tendrement, lui met le doigt sur la bouche) : Chut… Ce que nous savons, tu veux dire… Un temps. Leurs bouches se rapprochent sans jamais s’atteindre. Lumière qui diminue progressivement jusqu’au noir. Le texte qui suit en voix off est entendu dans la plus profonde des obscurités. Voix off (ton du secret, de la confidence, une caresse vocale…): Je veux tout savoir de vous Où vous êtes né Quel jour Quel temps il faisait Si vous étiez turbulent Ou déjà très doux Je veux tout savoir Votre premier amour Votre première peur Votre premier vice Votre première connerie innocente ? Votre oubli Votre rêve Votre peau Et la couleur de votre cœur : ses premiers jours Je veux tout savoir de vous La première fois La première fois Pour l’amour Pour l’amour Et puis la première fois Pour la chair La première fois pour les danses : Les amants Et les sourires Et puis aussi La première fois avec la plume Dites-moi L’encre, les mots Les phrases Vos doigts sur le stylo Je veux tout savoir La première phrase écrite pour vous La première phrase par nécessité Pour qui ?

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Comment cela s’est-il passé ? Je veux tout savoir Parce que vous venez de très loin, n’est-ce pas ? Lorsque je vous lis Je tremble malgré moi Votre nudité pudique : cristalline Me rend la vue trouble et tout devient parfaitement clair : J’aime passionnément vous lire parce que dans les reflets de vos effets Vous me faites l’honneur d’exister Mais pas seulement Vous êtes un accoucheur de phrases-bijoux et vous gardez Ŕ pourquoi ? Ŕ un amour pour la discrétion Comme je vous comprends, Votre quête pour l’anonymat Ŕ je me trompe ?Ŕ est votre épagneul fidèle, intelligent. Car au-delà de votre écriture Ŕ picturale et gourmande d’indicible Ŕ sondeuse de transparence - il y a l’humain qui me parle. Me touche Me bouleverse C’est comme si… Comme si nous avions un jour… Habité le même ventre Lumière trouble, faible. Deux hommes en chair et en os. L’un debout, l’autre assis, presque immobile. Le mari de la veuve : … « Monsieur l’amour à l’envers de votre chair superbe, le lac que vous habitez vient de glacer et regardez comme mes pieds sont solides, je viens pour louer un peu de votre temps et de votre espace, il serait vraiment superbe que je puisse glisser sur cette surface splendide sur laquelle Ŕ qu’est-ce que vous croyez ? Ŕ vous avez écrit un alphabet nouveau où toutes les lettres qui apparaissent s’embrassent avec la langue. » (Un temps court) Non, franchement, c’est pas possible, tu trouves pas que j’en fais trop ? L’ami du mari : Dans le jeu ou dans l’écriture ? Le mari de la veuve : Salaud. Je parle du jeu, bien sûr. L’ami du mari (se levant) : Non, tu me plais beaucoup dans tes excès (sourire, il se rapproche de lui). Mais je crois que c’est le moment de faire une pause. Un plongeon, ça te dit ? Sourire complice, l’ami du mari jette le texte au sol, ils quittent la pièce. Lumière trouble, faible. Ombres chinoises. La veuve. La veuve : …Une chose horrible je vous dis ! Ils étaient sur la plage. Une partie de la falaise s’est effondrée. Mon mari n’a pas survécu ! L’écran des Ombres chinoises disparaît laissant place à un nouveau halo de lumière où pataugent Jade et Quartz. Quartz (comme un enfant) : Regarde ce que j’ai retrouvé dans le placard du grenier. Un répondeur ! Jade (absente) : Ah… Quartz : On va voir s’il marche. (Il se met à quatre pattes pour faire les branchements, puis regarde sa sœur tout en continuant à manipuler le vieil objet désormais branché à la prise de courant) Ça ne va pas, Jade ? Un temps court Jade : Qu’est-ce que tu vas dire à ta femme ? Quartz, par inadvertance, appuie sur un des boutons du répondeur

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Il y a un Bip. Puis le répondeur se met en marche. Voix du répondeur : Vous avez un message. Message du répondeur : (durant toute la lecture du message, Jade et Quartz, se fixent et restent totalement immobiles Ŕ comme les menhirs - …cela jusqu’au noir final) « C’est drôle d’être ce verre de vin ambré couché sur les glaçons, ces joues vitrées qui comme à la télévision font des gros plans de tes empreintes digitales écrasées contre moi comme un enfant écrase son nez contre un carreau l’hiver pour voir la chaleur de dedans la maison et voit fumer le gâteau du goûter… Drôle d’être le pied de ce verre qu’entre deux doigts tu fais valser dans le soleil de presque-mai, et ces gouttes qui s’atomisent et s’élancent dans ta gorge et noient ton rire de fête et mêlent nos ivresses enfantines, oui, ce rire était une fontaine de jouvence, la vengeance alcoolémique d’un enfant qui a trouvé trop long l’hiver et trop froids les carreaux givrés… Drôle cette chaleur de braise qui accueille les bris de glace et d’ambre quand j’atterris dans le lac tumultueux de tes entrailles… Drôle, soudain, cette libération des glaces, cette fonte, cette joute heureuse à 180 000 kilomètres/seconde… Drôle d’être ce téléphone que tu fais danser pour jeter des ombres claires sur le macadam et que tu bois comme du champagne Ŕ drôle que tu sois ce téléphone qui me renverse en riant sur les galets et que je bois comme du champagne… » Clair obscur Les silhouettes de Jade et Quartz Ŕ (chorégraphie de l’impossible réunion qui doit pourtant triompher, de l’exacerbation du désir impossible, de la guerre éternelle du malentendu et des faux coupables : loi du désir, insatiable, interminable (ralentissement du bord infini du trou noir, avant cette chute dans l’antimonde qui ne se produit jamais) Ŕ mais leur voix est celle de… Voix du mari : Jade ! Voix de l’ami : Quartz ! Voix du mari : Jade ! Voix de l’ami : Quartz ! Leurs voix tremblent, chauffent à blanc, comme la montée du désir, de la promesse du plaisir. L’illusion que doivent créer alors la chorégraphie ou le mime est la suivante : Voix du mari : Jade ! Voix de l’ami : Quartz ! Voix du mari : Jade ! Voix de l’ami : Quartz ! Les deux corps se rapprochent, semblent se traverser, s’écartent très doucement, puis chacun se retourne sur l’autre, ou plutôt sur ce qui vient de se passer Ŕ de se transgresser, de se traverser, et qui ne s’oubliera pas. Voix du mari : Quartz ! Voix de l’ami : Jade ! Voix du mari : Quartz ! Voix de l’ami : Jade ! Silence des souffles (courts, d’après l’amour, la course, la rencontre, le passage fatal…) Chacun semble découvrir son corps changé, se palpe, se cherche, puis tout encore à cette surprise tend à nouveau le bras vers l’autre, vers l’impossible durée de l’union avec l’autre… Fondu au noir (au blanc ?)