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24 heures Vendredi 22 septembre 2000 Rubrique SOCIÉTÉ (p.43) ENQUÊTE L’EXPLOITATION VÉCUE DE L’INTÉRIEUR Dans la peau d’un couseur de baskets Le sportif américain Jim Keady vient de (sur)vivre durant un mois, avec le salaire d’un ouvrier d’une usine de sous-traitance Nike, dans la banlieue de Djakarta : 2 francs par jour ! Premières impressions, tirées de son journal inédit. Gilles LABARTHE / INFOSUD ’est comme un affamé que je vais aller me coucher, cette nuit. J’ima-gine que les ouvriers ressentent la même chose chaque soir. Mon estomac me fait mal, ma tête, est broyée, le moral à zéro. Ce n'est pas une vie pour un être humain çà.». Difficile de survivre en Indonésie, avec le salaire: d'un, employé des usinés Nike. Même sans travailler, le sportif - et théologien - américain Jim Keady en sait désormais quelque chose. «C Depuis le mois d'août, cet ancien entraîneur de foot de l’université new- yorkaise de Saint John s'exerce à Tangerang, banlieue industrielle de Djakarta. Sa performance ? Vivre avec moins, de 2 francs par jour. Tenir un journal. Et, dénoncer les conditions de travail inhumaines dans les usines de sous-traitance Nike ou Adidas. Son séjour commence très fort. A peine débarqué dans la capitale indonésienne, il est le témoin d’un attentat à la bombe qui vient perturber une manifestation d’étudiants. Nous sommes le 1 er août. La terreur règne sur, la ville. «La démocratie en Indonésie fait seulement ses premiers. pas. C'est ,cette réalité-là que Nike exploite. Tous les jours sont dominés par la peur et le désespoir. Aux multinationales ensuite d’en tirer parti.» «Comme des esclaves» Fébrile, naïf, révolté, Jim veut juger sur pièce. Avec son assistante il se rend dès le lendemain à Tangerang, banlieue industrielle de Djakarta. «Notre maison pour les mois à venir ? Une boîte en ciment avec des matelas à même le sol. Le lotissement est au milieu d'une zone surpeuplée, polluée et misérable où vivent les employés de Nike. Notre voisinage ? Une décharge, des égouts putrides à ciel ouvert. bordés d'un bidonville sombre. sale, et sans espoir.» Le décor, est planté, il leur reste à passer à l’action. « Demain, je vais commencer à vivre avec le salaire d’un ouvrier de Nike. Avec ce que la compagnie lui verse pour ses huit heures de travail quotidiennes, six jours 24 heures – 22 septembre 2000 Le couseur de baskets (pf – sept 00) p.1/2 Après avoir partagé les conditions de vie d’un ouvrier de Nike, le sportif – et théologien – américain Jim Keady propose un nouveau slogan au fabricant américain : « Just stop it » (arrête !), à la place de « Just do it » (fais- le seulement), que prône la fameuse marque de sport.

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24 heures

24 heures Vendredi 22 septembre 2000Rubrique SOCIT (p.43)ENQUTE LEXPLOITATION VCUE DE LINTRIEURDans la peau dun couseur de basketsLe sportif amricain Jim Keady vient de (sur)vivre durant un mois, avec le salaire dun ouvrier dune usine de sous-traitance Nike, dans la banlieue de Djakarta:

2 francs par jour! Premires impressions, tires de son journal indit.

Gilles LABARTHE / INFOSUD

C

est comme un affam que je vais aller me coucher, cette nuit. Jima-gine que les ouvriers ressentent la mme chose chaque soir. Mon estomac me fait mal, ma tte, est broye, le moral zro. Ce n'est pas une vie pour un tre humain .. Difficile de survivre en Indonsie, avec le salaire: d'un, employ des usins Nike. Mme sans travailler, le sportif - et thologien - amricain Jim Keady en sait dsormais quelque chose.

Depuis le mois d'aot, cet ancien entraneur de foot de luniversit new-yorkaise de Saint John s'exerce Tangerang, banlieue industrielle de Djakarta. Sa performance? Vivre avec moins, de 2 francs par jour. Tenir un journal. Et, dnoncer les conditions de travail inhumaines dans les usines de sous-traitance Nike ou Adidas.

Son sjour commence trs fort. A peine dbarqu dans la capitale indonsienne, il est le tmoin dun attentat la bombe qui vient perturber une manifestation dtudiants. Nous sommes le 1er aot. La terreur rgne sur, la ville. La dmocratie en Indonsie fait seulement ses premiers. pas. C'est ,cette ralit-l que Nike exploite. Tous les jours sont domins par la peur et le dsespoir. Aux multinationales ensuite den tirer parti.

Comme des esclaves

Fbrile, naf, rvolt, Jim veut juger sur pice. Avec son assistante il se rend ds le lendemain Tangerang, banlieue industrielle de Djakarta. Notre maison pour les mois venir? Une bote en ciment avec des matelas mme le sol. Le lotissement est au milieu d'une zone surpeuple, pollue et misrable o vivent les employs de Nike. Notre voisinage? Une dcharge, des gouts putrides ciel ouvert. bords d'un bidonville sombre. sale, et sans espoir. Le dcor, est plant, il leur reste passer laction.

Demain, je vais commencer vivre avec le salaire dun ouvrier de Nike. Avec ce que la compagnie lui verse pour ses huit heures de travail quotidiennes, six jours par semaine. Soit 2 francs suisses par jour. Cest l que lexercice de Jim se complique. La somme est tout juste suffisante pour deux maigres rations de riz midi et le soir: un peu de riz et des lgumes.

Pour ce qui est du savon, shampoing, dentifrice, il faudra compter sur les heures supplmentaires pour se les offrir. En ralit, cela signifie entre dix-huit et trente heures de travail en plus par semaine. Mme avec cela, un ouvrier ne peut toujours pas joindre les deux bouts. Cest vraiment dgueulasse. Mousse raser, recharge de gaz, trousse de premier secours, visites mdicales? Oublie Jim!

Face aux faits, toutes les dclarations de bonnes intentions du gant Nike pour ses employs dans les pays du Sud (salaires et logements dcents, produits de base assurs, accs aux soins) volent en clat. Les ouvrier travaillent comme des esclaves, sont contraints de sendetter pour assurer le minimum vital. Ils sont pigs dans un cercle infernal.

Une premire semaine passe. Le thologien de choc sen tient son budget. Il rencontre des ouvriers travaillant pour Nike ou Adidas. Il note les cas de malnutrition, le manque de garantie de Nike pour les soins mdicaux de base, les problmes respiratoires des ouvrires dus aux produits chimiques utiliss dans les usines, et les interdictions de regroupement et de dfense des droits qui psent sur les employs.

Jim Keady tente aussi de rentrer dans les usines. Peine perdue: elles sont trop bien gardes. Il se fait chaque fois refouler au portail. Mais surtout, soumis au rgime de louvrier indonsien, le sportif amricain saffaiblit vue dil. Aprs seulement deux semaines, Jim le footballeur est sur la touche. Lessiv, affam, amaigri.

Le journal de Jim Keady est disponible sur: www.nikewages.orgSite officiel de Nike: www.nikebiz.com

Dmarche originale et courageusePour Michel Enger, membre de la campagne Clean Clothes pour des habits produits dans la dignit (CCC) lance en Suisse en janvier 1999 par lAction de Carme, la Dclaration de Berne et Pain pour le prochain, la dmarche de Jim Keady est originale et courageuse. De plus, elle tombe pile poil: Au moment des Jeux olympiques, elle permet de tmoigner dune autre ralit.

Faut-il pour autant jeter nos baskets Nike la poubelle et mettre une croix sur cette marque? Nous navons jamais prn le boycott, rappelle Michel Enger: Car finalement, ce nest pas tant Nike que ses employs qui en souffriraient. Notre but est de responsabiliser les entreprises, de les amener offrir des conditions de travail acceptables, des salaires dcents.

vos plumes!

propos de dcence, Clean Clothes a calcul ce que coterait Nike le doublement des salaires de ses quelque 110'000 ouvriers indonsiens: 20 millions de dollars par an, soit 3% de son budget publicit. Une paille en regard de la fortune du PDG de Nike, Philip Knight, value 5 milliards de dollars. Ne jetez pas vos baskets, mais ne vous gnez pas pour envoyer Nike une lettre de protestation. Clean Clothes compte sur le public pour faire pression sur les entreprises.

Dans cet esprit, 55'000 cartes postales intitules Quand pourrais-je mhabiller vraiment clean? ont dores et dj t adresses par des consommateurs aux principaux distributeurs de vtements en Suisse. Clean Clothes demande aux entreprises que leur code de conduite (quand elles en ont un!) se rfre explicitement aux conventions de lOrganisation internationale du travail (OIT) et garantissent notamment les droits syndicaux des travailleurs. Les distributeurs doivent par ailleurs prendre les mesures pour que leur code de conduite soit respect sur toute la chane de confection et accepter le principe des contrles indpendants.

Le pire: pour lheure, Ackermann, Levis et Nike nont fait aucun cas des demandes des consomma-teurs en Suisse, note la CCC.

Le mieux:Adidas, C&A, Calida, Coop, Manor, Spengler et Vgele progressent lentement

Le meilleur:Migros, Mabrouk (Switcher), Veillon et H&M semblent prendre au srieux les proccupa-tions du public. Pour preuve, ces derniers viennent de signer un accord avec Clean Clo-thes prvoyant la ralisation dun projet pilote de contrle indpendant dans deux pays asia-tiques.

Jo. F.

Une pine dans les JO

Cela fait trois ans que Jim Keady simplique dans le pendant amricain de la campagne Clean Clothes pour soutenir les habits produits dans la dignit. Il a port son combat jusque dans sa propre cole.

Son universit de Saint John se fait sponsoriser par Nike? Jim Keady lance une recherche sur les conditions de travail garanties par la firme amricaine et dnonce les violations des droits fondamentaux. Ladministra-tion le somme de porter les quipements Nike et de la boucler? Le footballeur dmissionne en 1998. Laffaire fait grand bruit et Jim saisit la balle au bond. Un an plus tard, il postule pour un emploi de six mois dans une usine produisant pour le gant Nike. Rponse de lentreprise: Nous ne sommes pas intresss par votre offre. Jim Keady ne sest pas laiss abattre: il va prsenter ces jours son exprience en Indonsie vivre durant un mois avec le salaire de base dun ouvrier cousant des baskets Nike aux jeux de Sydney. Laboutissement de trois longues annes dentrane-ment

G.L / Infosud

Renseignements sur la campagne Clean Clothes: Dclaration de Berne, (021) 624 54 17.

Internet: HYPERLINK http://www.cleanclothes.ch www.cleanclothes.ch

Aprs avoir partag les conditions de vie dun ouvrier de Nike, le sportif et thologien amricain Jim Keady propose un nouveau slogan au fabricant amricain: Just stop it (arrte!), la place de Just do it (fais-le seulement), que prne la fameuse marque de sport. (Keystone/William West)

UTILE

24 heures 22 septembre 2000Le couseur de baskets (pf sept 00)p.1/2