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CHEZEMMA,VOUSAIMEREZAUSSI…

Etvous,auriez-vousosérépondreàlapetiteannonce…?

«Hommegénéreuxcherchejeunefemmelibrepourrésideràdomicile.Belle,intéressante,cultivée,entre24et28ans,ouverteauxjeuxcoquins…»C’est unepetite annoncebien surprenante sur laquelleVictoriaMorel tombe ce jour-là, tandis qu’elleparcourtlejournalàlarecherchedesoffresd’emploi.Victorialesaitbien,ellen’arienencommunaveclesfemmesquidoiventrépondrehabituellementàcesdemandes.Pourtant,quelquechoselapousse,surun coup de tête, à envoyer sa candidature. Le besoin d’argent, le frisson de l’interdit… ?Elle en estnéanmoinspersuadée,elleneserapasrappelée.Pourtant,ceCVquidiffèredetouslesautresnepeutaucontrairequ’attirerleséduisantetintrigantLukasMartinez,curieuxdevoircequiapupousserune telle jeunefemmeà luiécrire.Victoria,qui regrettedéjàcruellementsongeste,va-t-elleselaisserprendreaujeu?

—Dites-moilavérité,Victoria.Vousvousattendiezàquoi?Àunmonstre?plaisanta-t-ilàdemi.Ellehaussalesépaulesenlaissantunrirenerveuxfiltrerdesabouche:— Je n’en sais trop rien.À un hommeplus âgé, probablement.Quelqu’un demoins sûr de lui, quiauraiteubesoinde…commentdire?Reprendreconfianceenlui?Ilaffichaunsourireravageurquinemasquapasunecertaineironie:—Jesuisnavrédevousdécevoir.Mêmesielleserefusaitàleluiavouerdevivevoix,elleétaittoutsaufdéçue.Lapreuve,c’étaitquecet emploi lui paraissait plutôt intéressant, désormais. À plusieurs reprises, elle avait laissé sonregard s’attarder sur la bouche ou les mains de Lukas. L’embrasser lui paraissait tout saufdésagréable.

Unehistoired’amour,demusiqueetderédemption.Touchantetirrésistible.

—T’asperdutacrête,remarqua-t-elled’untonunbrinboudeur.Cefutàcemomentexactqu’iltombaamoureuxd’elle.Alicel’arencontrécesoir-là,àundesesconcerts,sonappareilphotodontelleneseséparejamaisenbandoulière–c’estsafaçonàellederegarderlemonde.Lui,ilchantaitsurscène,avecsacrêteiroquoisebleue,sabéquille,sonbrasetsajambedansleplâtre.Aliceapenséquec’étaitunmiraclequ’iltiennedebout–etellenesavaitpasencoreàquelpointelleavaitraison.Après ça…Les amis, les errances, les toits de Londres, lesmontages photo, les chansons, la fenêtred’Alice. Une histoire comme une autre, peut-être – sauf que c’était la leur. Et ce qui devait arriverarriva:AliceestdevenuelemiracledeThomas,sonpetitmiraclerienqu’àlui…ChloéBertrand,unenouvellevoixrenversantedefraîcheuretdespontanéité.

Lecheminparseméd’embûchesd’unadolescentgayversl’acceptationdesoi

C’estladernièreannéedelycéepourEden–lepointfinalàsonadolescenceorageusedansunepetitevilledesÉtats-Unis,coincéentreunemèrefantasqueetunpèreaussirichissimequ’absent.Lasuitedesavie,ilcomptel’écrireailleurs,loindecetuniversétriqué.Ununiverssoudainmissensdessusdessousparlamortd’unautreélève,etparladétressedesonfrère,qui bouleverse Eden.Mais comment pourrait-il s’y prendre pour approcher ce jeune homme, dans unmilieuaussiréfractaireàtouteformededifférence…?La très belle plume de Céline Etcheberry nous livre ici une histoire d’amour poignante qui sonneterriblementjuste.J’avais voulu le suivre pour le remercier et continuer notre discussion. Les vapeurs de l’alcoolmerendaientunpeutropaffectueuxetchassaientmatimiditémaladive.Enentrouvrantlaported’unedeschambres,jel’avaisdécouvert,embrassantavidementl’undesgarçonsmaquillésquil’avaientescortéàlasoirée.J’étaisrestéunlongmomentàlesregarder.Leurssoufflesrauquesetleurscorpspressésl’uncontrel’autreemplissaientlapièced’unetensionpalpableetélectrisante.Jemesentaisvoyeur

maisaussiétrangementprivilégié.Peut-êtremêmejalouxuninstant,devantcetteenvieréciproqueetl’intensitéde leurbaiser.Lorsque lamaindeNathanavaitglissésur laceinturedesoncompagnonpourladéfairedansuncliquetisprometteur,j’avaisrefermélaporteetfuidanslesétages,lesjouesencorerougesd’avoirététémoindecedésirfiévreux.

CélineMancellon

BadRomance

Emma

Chris

C’estentitubantetentâtonnantquejecherchelatentequejepartageavecJo.Jenesaispaspourquoilabandeavoulupasserlasoiréedanscecampingpourri.

Ah,si…pour«pêcher».Cescrétinsétaienttellementdéchirésdèsl’aubequ’ilsn’avaientmêmepasfoutuunputaind’appât

surleurputaind’hameçon!Unpoisson,c’estcon,maispasàcepoint-là.N’empêche que, à cause de leur idée complètement débile, je me retrouve comme une grosse

andouille…unegrosseandouilleavecplusd’alcoolquedesangdanslesveines.Unegrosseandouillequiessaiedésespérémentdemettrelamainsurlabonnecabaneentoile.Unexploitd’yparvenirsurunterraindecettetaille,surtoutenvahidetentesabsolumentidentiques!

Unefichueaiguilledansunemeuledefoin,ouais!—Faitchier,jemarmonne.Jetiresurlatoiled’unetentequej’airéussiàagrippermalgrémonéquilibred’ivrogne,puissourit.

Engrognant,j’ôtemesgodassespesantunetonnepourensuitedéfairelafermetureÉclairdel’entréeetce,sansmevautrerlamentablement.

Lorsque je tombe sur un tissu moelleux qui ne pue pas, je suis surpris mais trop saoul pourcomprendrequec’estjustementlàlesignequ’untrucnetournepasrond.L’idéemêmequeJosoitunfandelessivemedéclencheunstupidegloussement.Nonsansmal,j’enlèvemonjean,suividetrèsprèsparmonT-shirt,etsoupired’aise.

—Sacréeteuf,hein,Jo,jemurmure.J’ai probablement un air niais sur la figure, celui qu’affichent tous les mecs défoncés ayant

glorieusementbaisécommedesdingues.Deuxfranginessuédoises.Desbombes.Soudain…—KAATEE!hurleunevoixfluettecomplètementterrorisée,hystériquemême.J’ouvreaussitôtlesyeuxetmefige.J’aitropbupourquemoncerveauarriveàévaluerlasituation

dansl’immédiat.Jenesuissûrqued’unechose:Jonegueulepasdecettefaçon,donc,cen’estpasJodanscettetentemerdique.

Sic’estpasJo,putain…maisc’estqui?!Plusieurschosessedéroulentensimultané : la fermetureÉclairde la tentes’ouvre,un faisceaude

lumièrem’aveugle,et,enpurréflexeconditionnépardenombreuxpremierscontactssimilairesaveclesforcesdel’ordre,jelèvelesmainsenl’air:

—Héoh!jem’époumone.—Vousêtesqui?cracheunevoixféminine.—Ettoi?!Jeplisselesyeuxengrimaçant,lesmainstoujourssagementlevéesverslehautafindeprouverma

bonnevolontéàcoopérer.—C’estplutôtàmoideposerlaquestion,jevoussignale!Qu’est-cequevousfaitesdanslatentede

masœur?Saleobsédé!Sortezdelà!Lanana,quiqu’ellesoit,alittéralementaboyésonordreetjen’aipaslamoindreidéedecequ’elle

tientd’autredanssamainàpartsalampetorche.Jepriejustepourquecenesoitpasunflingue:jesuisbientropdéchirépourapprécierd’êtretirécommeunlapinlejourdel’ouverturedelachasse.

—Çava,çava,pasbesoindes’exciter!jegrommelle.J’obtempèreetsorsdelapetitetenteenarrachantplusieurspiquetspourfinalementmeprendreles

piedsdansladoublure.Unefoisàl’extérieur,j’essaied’esquiverlasaletédeloupiote,maislagonzessesefaitundevoirde

suivrechacundemesmouvementsavec.Etça,c’estbienchiant.Riendetelpourmehérisserlesnerfs.—Tupeuxéteindretaputaindelampe?—Non.—Tubraquesquoisurmoi,là?—Unfusilharpon.—Charmant.Écoute,c’estuneerreur.Jemesuisplantédetenteet…Unriresarcastiquem’interrompt.—Vouspensezsérieusementquejevaisgoberça?Vousn’êtespaslepremiertaréquienaaprèsma

sœur!OK.OK,onrestecalme.Commentmesortirdelà?Jesuisquasiàpoiletunecingléemetienten

joueavecunfusilharpon.Jenepeuxrienfairecommetoutlemonde?Pasmêmeunecuitedansunputaindecampingdemerde?!

—Jenesavaispasqu’ilyavaittasœurdanscettesatanéetente!jem’exclameenricanant.Mavoixpossèdeunetonalitéplusaiguëqued’habitude,maisc’estseulementpoursoulignerl’aspect

ridiculedesasupposition.Là,ellebraquelefaisceausurmonboxer,puisremonterapidementversmonvisage.Legestedesa

lampe est plus qu’éloquent : pas besoin qu’elleme fasse un dessin expliquant le cheminement de sespensées.

—Désolé, chérie…mais je ne pionce jamais habillé. Fais-moi plaisir : empêche ton cerveau degaloperdanslesplainesàcausedecedétail.

—Appelez-moiencore«chérie»,etjejoueauxfléchettesavecvotreestomacpourcible.Juliette?Juliette…çava?

Unpetitcouinementapeuréluirépondparl’affirmativependantquejepasseunemainlassesurmonvisage,gestequimevautdenouveaudemeprendrelapetitelumièreblanchâtredanslesyeux.J’éructeunjuron.

Jecommenceàm’énerver:j’aisommeil,plusdewhiskyquedeplasmadanslesang,l’airestsaturéd’humiditéetjemelesgèle.

—Écoute,jen’aipasbesoind’abuserd’unemeufpourbaiser.J’aiqu’unseulprincipeetc’estcelui-là,pigé?Maintenant tu tecalmes, t’arrêtesdeme foutre taputain de lampedans la troncheetdemebraquertonfusilàpoiscailledessus.Jevaisrécupérersagementmesfringuesetmetirer.OK?

Elle semblehésiter.Les secondesdurant lesquelles elle tergiversemeparaissent interminables, cequi,forcément,aggravemamauvaisehumeur.

Finalement,ellebaissesafichueloupioteetjesoupire.—Sansdéconner…C’estpastroptôt!jemarmonneentremesdents.Jem’inclineetrécupèremesvêtementssansunregardpourlaformepétrifiée,cellequisetassedans

uncoindelatente.—C’estquoi,cebordel!râleunevoixquejereconnaistoutdesuite.—C’estrien!Jemesuisgourédetente!jerépliqued’unevoixforteàJo.—Sérieux?s’esclaffe-t-ilenretour.Ilavraimentl’airdetrouverçamarrant.Bizarre:moi,pasdutout.Mefairesortiràcoupdefusil

harponalorsquejemetiensunecuitedeclasseinternationale,çanemefaitpasrire…pasmêmeunpeu.Pendantquejelerejoinssurl’emplacementjouxtantceluidesdeuxhystériques,jeperçoisleregard

de la folle furieuse peser surmoi. Je n’y peux rien,mais l’idée qu’elleme garde à l’œil jusqu’à ladernièresecondemedessineunsouriregrimaçantsurleslèvres.

Oui,moiaussijemesurveilleraissijetombaissurmoi-même.Lorsque jem’affaleenfinsur lebonduvet,celui-cisent largementmoins la lessiveetdavantage la

chaussettesale.Jesoupire.—Sérieux?Tuesentrédanslatentedelagrenouilledebénitierd’àcôté?pouffe-t-ilencore.Ilnelevoitpas,maisjehausseunsourcil,allongésurledos,lesbrascroiséssouslanuque,àfixer

lesombresdesbranchesdesmûriersquis’agitentau-dessusdenostêtes.—«Grenouilledebénitier»…?—Carrément.Genrejevaisàl’égliseetjefaisducatéchisme.Quoique,lafrangineal’airplusd’une

bourrineàgrandegueule.Jesouris.Pourmetenirenjoueavecunfusilharpon,poursûr,fautêtrelégèrementbourrinesurlesbords

et…totalementinconsciente.—Jepréfèrelagrenouilledebénitier,précise-t-il.—Elleestbonne?Jesuiscertainqu’ilhochelatêteavecenthousiasme.—Blondinettebienroulée,avecunedégainedebonnesœur.—Etl’autre?Làaussijenepeuxrienyfaire:moi,unemeufquimebraquedessusunflingueenpleinenuitsans

sourciller,çam’intrigueet…çam’exciteaussiunbrin,jedoisl’avouer.D’habitude, rienn’arriveàmesortirdecenéantdans lequel jem’embourbechaquefichue journée

qui passe, du moins, rien qui ne réussisse à réveiller mon intérêt. Je m’interroge parfois sur ce quiparviendrait àme tirer de cette perpétuelle sensation de vide que j’éprouve continuellement. J’ai desparadeséphémères:labaise,l’alcooletleshit.Dumoins,jusqu’àcettenuit.Peut-êtreque…

— Je ne sais pas. Elle portait un grand sweat à capuche et un jean large. Va savoir à quoi elleressemble,etpuisj’étaispresséd’allerdescendrequelquesbièressurlaplage…jel’aipasréellementmatée.

—Ouais,untomboy,quoi!jegrommelletoutenfermantlesyeux.—Peut-être,ouais.Nousnousendormonssurcedernieréchange,pourronflercommelesivrognesquenoussommes.J’ai tellementmal au crâne que j’ai l’impression qu’à toutmoment,mes yeux vont sortir de leurs

orbites pour saluer la foule. La soirée de la veille est floue dans mamémoire et je ne me souviensnettementquededeuxchoses:lesdeuxSuédoisesetlacingléeaufusilharpon.

C’estentanguantpitoyablementquejem’extraisdelafoutuetentetropétroitepourunmecdemongabarit.Sérieux,cetruc-là,c’estpratiquepourlesgossesquifontunmètredixlesbraslevés,paspourmoi.

Jeme frottemachinalement le crâne puism’étire. J’aime la sensation demes cheveux coupés trèscourtssousmapaume,ceticm’apaise;ilmerappellemonpèrelorsqu’ilfaisaitdemême.Çan’arienàvoiraveclestyle,oulamode,maisplutôtaveclesflics:ilsnepeuventpasvouschoperparlacrinièrelorsqu’ilsvousarrêtent.C’estlegenrededétailsauxquelsonprêteattentionquandonempruntela«voieprofessionnelle»quej’aichoisie.

Un bruit de couvert provenant d’à côté m’interpelle. Je fronce les sourcils puis me tourne pourrepérerlataréeaufusilharpon.

Effectivement,sasilhouetteestperduedansunsweatnoirinformependantquelacapuchedel’habitluicouvrepratiquementtoutlevisage.Mesyeuxdescendentplusbas.C’estunréflexedebase:unmecjaugeunefilleàsoncul…etlà,àmoinsd’avoirlesyeuxrayonslaserdeSuperman,impossibledevoirquoiquecesoit:lesiennagequelquepartdanscepantalondeuxfoistropgrandpourelle.

Comme si elle avait senti mon regard, elle pivote le haut du corps dans ma direction. J’imaginequ’ellemedétailleaussi,alorsjefaisroulerchaquemusclecommesic’étaitnormal,l’airderien.Jemedemande ce qu’elle pense de mes tatouages. Ils n’ont pas d’autre fonction que d’impressionner etannoncerlacouleur:jenesuispasquelqu’undebien.Cesontavanttoutdespeinturesdeguerre,deritesde passages, des marques qui me rappellent qui je suis. Même si nombreux ont une signification,l’intégralitédupuzzlen’a riendemystique. Ils sontunavertissement silencieux,comme l’ailerond’unrequinquifendlasurfacedel’eau.

Lorsquemavoisinedecampingm’adresseundoigtd’honneur,masalivepartdanslemauvaischeminpuisjericane,sincèrementamuséparl’audace.

Elleadescouilles,fautluireconnaîtreça.Vumagueuledegangster,àsaplace,unmecyauraitréfléchiàdeuxfoisavantd’exécuteruntelgeste

provocateur.Parcequ’elle a l’air d’unemioche, deplus, unemioche courageuse, je décidede laissercouriretmecontentedesecouerlatêteenréponse.

J’enfilemonjeanuséjusqu’àlacordepourm’asseoirentailleursurl’herbeàmoitiédesséchéedenotrecampement.Mespotessonttousentraindecuverleurbibine,jen’ai,pourl’instant,riendemieuxàfairequ’observer la folleauharpon.Aprèsavoirchopéundespaquetsdecigarettes traînantpar terreparmilescadavresdebouteilles,jem’enallumeune,aspirantunelongueboufféesanscesserdel’épier.

Monintérêts’éveilleencore.Onpourraitlecompareràungroschatparesseuxsedélectantdedormirdurant des heures, perpétuellement plongé dans une sorte de coma éthylique. C’est étrange. Vraimentbizarrequ’enprésencedecettegamine,ilréagisseautant.Levides’efface…unpeu.

Je l’observepréparer religieusement leurpetitdéjeunersurune tablepliante rouge.Quelquechosedanssaposturem’intrigue:elleesttellementraide!Àcroirequ’ellesaitpertinemmentquemonregardsuitchacundesesmouvements.Lamettremalàl’aisemeplaît.J’aimebienl’idéequ’ellesoitréactivedecettefaçon.

Quanduneagréableodeurdecafémechatouillelesnarines,jefronceimmédiatementlessourcils.Jejetteunrapidecoupd’œilautourdemoi : riendenotrecôtéqui ressembledeprèsoude loinàde labouffe.Merde.Jemefrotteaussitôtl’estomac.Lesimplefaitd’avoirconstatél’absencedenourrituremedonnefaim.C’estautomatique.

—Hey ! je l’interpelle enme grattant nonchalamment le ventre, lemégot coincé entre les lèvres.Hey!Lafolleaufusilharpon!

Enentendant lesderniersmots,ellese tourneenfin–malgrécela, impossibledevoirsonvisageàcausedecettesaletédecapuche.

—J’pourraisavoirunpeudetoncafé?Ellenerépondpas,sedétournepourcarrémentmesnober.

Hein?—Hé,oh!J’tedemandepasunmiracle!Unetassedecafé,merde!Tusais–mesmainsfontdes

moulinets dans les airs le temps que je trouve lemot quim’échappe – ces conneries de trucs de bonvoisinage?Ben,j’suistonvoisin,donctunedevraispasêtregentille,ouunechosedanslegenre?

Cettefois-ci,elleregardefranchementdansmadirectiontoutenserranttrèsfort,danssonminusculepetit poing,un inoffensif couteau à tartiner.Lemessage subliminalme fait hausserun sourcilmoqueurtandisquej’aspireladernièreboufféedemacigarette.

—Etlamoindredespolitesses,dugenre«s’ilteplaît»,tuneconnaispas?Elleasifflésaphraseentresesdents.Lesonproduitmerappelleunserpent,celuiqu’ilémetavant

d’attaquer.J’hésiteentrerireetm’énerver.Cettegamine,ellemetue!—Sij’acceptedetefilerunetassedecafé,tumelâches?Etsurtout,toiettespotes,vousfoutezla

paixàmasœur?Voilà laconneriequ’ilne fautpasessayersurmoi :mefilerundeal.Parcequeforcément, jevais

vouloirfaireexactementl’inverse,justeparespritdecontradiction.Quoique…c’estpasforcémentlapetitenonnequej’aienviedetaquiner.Unlargesourireauxlèvres, lesyeuxgrandsouverts, imitantà laperfectionunebelle innocence, je

hochelatête.Ellemejaugedurantunlongmoment,puisfinitparremplirungobeletetvenirmel’offrir.Jeprends

montempspourl’attraper,lesyeuxrivésàsonvisage…enfin,àcequejepeuxenvoir,c’est-à-direpasgrand-chose. Lorsqu’elle se penche en marmonnant face à mon évidente mauvaise volonté, ses yeuxrencontrentlesmiens.Jesuissoudainclouéparleurcouleurinhabituelle:unbleutranslucide,presqueinexistant. Elle détourne trop vite la tête pour que je puissemieux noter d’autres détails. N’empêchequ’uneteinteaussibizarre,jen’aivuçaquechezcertainsgothiquesquimettentdeslentillesdecontactetelle,étantdonnésadégaineactuelle,ellen’apasl’airdugenreàaccessoirisersonlook.

Maintenant,j’attendsaveccuriositédematersapetitefrangine.Unesoi-disantgrenouilledebénitieret une pseudo-rebelle ; y’a de quoi m’occuper jusqu’à ce que les gars émergent de leur sommeild’alcooliques.

—Thanks,jelaremercieenarticulantavecexagération.Jegoûtelecaféenmanquanttoutrecracherillico:c’estdusolubleetc’estinfect.—Commentt’arrivesàboireunetellemerde?!Jel’entendsricaner,etj’aibeaulafixer,elles’obstineànememontrerquesondos.—Kate!J’aimeraisprendremadouche.Kate?C’estsonprénom?Ellen’estpasdugenreàs’appelerKate.Toutenmefaisantcetteréflexion,j’examineattentivementlagaminesortantdelatente,précisément

celledanslaquellejemesuisaventuréquelquesheuresplustôt.Elledoitavoirseizeansàtoutcassermais Jo a raison : c’est une petite bombe sur pattesmalgré cette curieuse robe bleu ciel. Le style devêtementquelesnanasportaientsûrementdansletemps;lesfillesnesortantdelapiaulefamilialequepour se confesser. Le petit col boutonné jusqu’aumenton suffit à lui seul pour vous donner envie desavoircequisetrouvedessous.Unserre-têteblancretientlanappesoyeusedeseslongscheveuxblondpâle,cequirenforcemondésirdeconnaîtrelateintecapillairedesafrangine.Jejetteuncoupd’œilaubasique…

Beaupetitcul,Joal’œil.Mesyeuxchangentnaturellementdecibleetjedécouvrequesagrandesœuralessiensverrouillés

surmoi.Sij’enjugeàsaposturerigide,lefaitquejematesafrangineneluiplaîtpasdesmasses.

Quelleidéedeveniricisansmecs…surtoutsituneveuxpasquedestypesreniflentlesjupesdetasœurette!

Soudain,ellepivoteetluiprendsesaffairesdetoilettedesmains.—Onyva,accepte-t-elled’unevoixsidoucequejem’étrangleaveclerestedujusdechaussette

qu’ellem’afilé.Je les suis du regard tandis qu’elles s’éloignent vers les sanitaires.De frustration que la folle au

harpondisparaissedemonchampdevision, j’aibrutalementenviedemedéfouler.Réaliserdes trucscomplètementdébilessembleêtreunebonneoption.Fouillerleurstentespourendécouvrirunpeuplussurcethallucinantduo?Lesfilerafind’essayerdevoiràquoi«Kate»ressemblesanscemauditpull?Ouréveillermespotesenleurvidantdesbouteillesd’eausurlagueule?

Jememarresilencieusementdecesidéesstupides,etjettelegobeletenplastiquevidedansunsachetvertprévupourça.Aprèsm’êtreremisplutôtadroitementdebout,jefrotteénergiquementmonjeanpourfairetomberlesbrinsd’herbesèche.Cettetâcheeffectuée,jem’approcheensuitedel’unedenostentes,luidonneunvilaincoupdepied,sansoublierd’offrirlemêmetraitementauxdeuxautres.

—Ho!Jenevaispaspassermajournéeàvousattendre,bandedecrevards!Desgrognementsmécontentsmerépondent,cequimeprovoque l’ébauched’unsouriresatisfait. Je

réitèrelessecousses.Ilsrépliquentsur-le-champpardefurieuxpoingsdéformantlefintissu.Devant leur manque de motivation à sortir leurs culs de là, je décide de céder à la tentation de

prendrelaroutedessanitaires.Dèsquejemeplantedevantl’entrée,jeremarquequ’ilssontséparésparsexe.Magrimacedesaleracaillevientaussitôtfendremonvisageendeux:j’optesanshésiterpourceluidesfemmes.

J’ai juste le temps de repérer une crinière cuivrée qu’une capuche la recouvre. La petite folle auharpons’adosseàuneporteencroisantlesbrassursapoitrine,latêtepenchéeverslebas,commesielleadmiraitsesgodasses.

Jem’approche,savourantd’avancedelamettreenrogne.Jenecomprendsabsolumentpaspourquoi,maislefaitestquejetrouveçaaussibonqu’unesucrerie.

—Salutvoisine!Dis-moi,t’asdushampoing,oun’importequeltrucquimousse?jechantonneenm’arrêtantprèsd’elle.

Jekiffesonparfum.Çaneloupepas;ellemejetteunebrèveœilladeassassine:—Tunedevaispasmelâcher?persifle-t-elle.J’entends des cris étouffés derrière moi, alors je jette instinctivement un regard par-dessus mon

épaule:desfemmessesontrenduescomptedemaprésencedansleurlieusaintetmestatouagesainsiquemacarrurefontleuroffice…ellesexécutentdirectunrapidedemi-tour.Y’adesmeufsqueçaexcite,etd’autresqueçaeffraie.Seulelapremièrecatégoriem’intéresse.

JemereconcentresurlaRambodesocéans.—Ouais,mais là j’ai besoin deme laver et à qui veux-tu que je demande ? Remarque, je peux

toujoursvoirsitafrangine…Unenouvelle fois, sesprunelles translucidescherchent àme transpercerpour,unquartde seconde

après, se soustraire aux miennes. D’un geste transpirant de colère, elle me colle une bouteille deshampoingdanslesmainspuismefaitunsignedetêtem’invitantclairementàdégager.

Làencore,soncranmetue.Jeposelentementmonavant-brassurl’encadrementdelaporte,justeau-dessusdesatête;mesmusclesroulent,tendus,sousmapeau.

—T’enasmarredelavie?J’aiparléd’untondoux,presquegentil.Jecroisquec’estcelaquil’afaitsursauter,bienplusquele

sensdemesparoles.—C’estl’impressionquejedonne?Jesecouelentementlatêtededroiteàgauche,sanslaquitterdesyeux.Jesuissérieux.—C’est suicidaire, ton comportement. Perso, je ne frappe pas lesmeufs,mais la bravoure est un

appelaucrimequandonfaittataille,lenaindejardin.—Lestypescommetoi…j’enaidéjàfréquenté.Tunemefaispaspeur.—Tuasvraimentdelachance.Jesuisunenfoiré…maispascegenred’enfoiré.D’autrest’auraient

défoncélagueuleavantdesimplementtebaiser,justepourterappeleroùsetrouvetaplace.Ellesedressetel lecobraprêtàfrapperetenfinjedécouvresonvisage:deminusculestachesde

rousseurshabillentsesjouesetsonnezretroussé.Pasuneseuletracedemaquillage,cequi,d’uncertaincôté,luidonneunairtrèsjeune,maiscequ’exprimentsesyeuxesttropusépourqu’ellen’aitrienvécu.

—C’estquoi,ça?Unavertissement?Unemenace?Savoixfrôlelesaigus.J’aidûtoucherunpointsensibleet,telleprédateurquihumel’odeurdusang,

jeplisselespaupièresencontinuantdel’observer.—Unepiqûrederappel.Tudisavoirfréquentédesmecscommemoi…alorstudevraissavoiràquoi

t’entenir,ettefondredanslepaysagequandillefautpoursauvertoncul.Jen’aipasl’impressionquec’estlecas,vucommenttuessaiesdemechercher.

—C’esttoiquimecherches,enl’occurrence.Je sais qu’elle a raison. Aucune idée sur ce qui me pousse à la provoquer depuis ce matin et

franchement,m’auto-psychanalysern’étantpasundemesloisirspréférés,jepasseau-dessus.—J’essayaisdememontreraimable,là.—Uneréussite,ironise-t-elle.Jem’éloigneensoupirant.Lesmeufstêtues,c’esttropchiant.Jesecouelabouteilledeshampoingpuisentredanslacabinededouchejouxtantprobablementcelle

desafrangine.—Tusais,undecesquatre,tuvasavoirdesproblèmes.C’estpasducourage…maisdelastupidité.Jenesuispaslegenredegarsàmesoucierdesautreshabituellement,niàmemontrerassezsympa

pour leur refourguer des conseils, aussi tordus soient-ils, pourtant cettemeuf…elle a quandmêmeunsacrétrucdansleregard.UntrucquimerappelleceluideDavid.

David…Mamâchoiresecontracte.Jedécideinstantanémentdem’occuperdemesoignons.Lorsque je reviens à notre campement, je remarqueque la souris et sa folle de sœur sont en train

d’emballer leurs affaires.Cen’est pasque j’y accordede l’importancemais je nepeux empêchermacuriositéd’êtretitillée:commentsont-ellesvenues?Commentvont-ellesrepartirdelà?

Jen’aivuaucunebagnoleprèsdesnôtres.Monattentionsedirigeverslestroisgaillardsdenotre«bande»etjevaism’asseoiràlagauchede

Jo.Cedernierportedeslunettesdesoleiletsatignasseblondeestcachéeparunecasquetteaussinoirequelerestedesatenue.

—Bon,onbougedelà?—Ouais,meconfirme-t-il.BennyattenduncoupdefildeRonan,etaprèsonpartpêcher.Jemetourneunpeuplusverslui.—Pêcher?!Encore?Nonmaistutefousdemagueule?Ilmedédieundemi-souriresanschangerdeposition.

—Paraîtqueçadétend,tudevraisessayer.—J’aimapropretechniquepourmedétendreetcen’estsûrementpasmaterunboutdeboisavecun

hameçonpendantdesplombes.Ilapprouveenriantetoncognenospoingsl’uncontrel’autre.—Vas-y, raconte-moi lesdeuxSuédoisesd’hier soir,m’encourage-t-il en laissant son regarderrer

surBennyetErik.Lepremierfixesonportableenserongeantlesonglestandisquel’autreserouleunjoint.—Douées.J’ailâchél’info,unrienarrogant.Joricane.—Sacréqueutard.Jeroulecomiquementdesépaulespourenchaîneravecunmouvementsuggestifdeshanches,cequi

amplifiesesgloussements.—Arrête,sœurBlondie-joli-culvanousfaireuneapoplexie, rigoleJoenmedésignantdumenton

l’emplacementdenosvoisines.Jefroncelessourcilsentournantlatêtedansladirectionindiquée.Lapetitesœurdelafollefurieuse

nous fixe les yeux ronds, rouge comme une tomate mûre : ça teinte même ses oreilles légèrementdécollées.

J’émets un rire étouffé avant de lui adresser un clin d’œil coquin.Aussitôt, la dénomméeKate seplaceentrenous,leregardnoir.Jefeinsdeluiproposerunecigarettealorsquejeviensd’encoinceruneentremeslèvres.Enréponse,ellem’offreunautredoigtd’honneur.Bizarre,aulieudem’énerver,j’enrisdoucement.

—Elleal’aird’êtreunesacréecasse-couilles,lafrangine.J’acquiesceàlaremarquedeJo.—EllemefaitpenseràDavid.Jenesaispaspourquoijeluiaiditça.Cen’estpasfaux,maisiln’yaaucuneraisondemettrelesujet

surletapis.—Ahouais?marmonneJoenseredressantlégèrement,commepourmieuxexaminerKate.Clair,y’a

untruc.Lesyeuxpeut-être?J’saispastrop.Tropflippant,cettecouleur.—Ouais,hein?J’opineunenouvellefois,avecunsourireunpeutropjoyeux.Jom’imitedanslasecondeavecune

expressionsimilaire.Jeleconnaisdepuistoujours,c’estenquelquesortemonmeilleurpote.Leseul,enfait.JerespectebeaucoupBenny, jesupporteégalementErikmaisJo…Joc’estmonfrère,enquelquesorte.

—Arrêteçatoutdesuite:quandt’escontent,t’esencorepluseffrayantqued’habitude.Ellet’atapédansl’œil,ouquoi?T’aslatêted’unmômequitombesurunechouettebicycletteetquivoudraitbienfaireuntourdessus.

J’ailespoilsquisehérissentsousl’insinuation.Uneputaindechairdepoule.—T’esmalade!Jelatrouvemarrante,c’tout.Cetenfoirés’esclaffepuismefileunegrandeclaquedansledos.—Commenttuesdevenutoutpâle!Tum’astué,mec!Jegrogne.—Fous-toiencoredemagueuleetjetefilelaracléedetavie.N’empêche que, à cette réflexion,mon regard se porte sur la folle au harpon toujours en train de

terminerderangerleursaffaires.Elleplieleursdeuxtentestandisquesasœurattendsagementassisesurunénormesacàdos,lesmainsposéessurlesgenoux.

Unepetite2CVarriveencahotantpour s’arrêter auniveaude leur emplacement et cequi en sortm’achève:ungrandtypevêtucommeunprêtre.Ilatoutelapanoplie;pantalonnoiretchemisedemêmeteinteaveclefameuxcolblanc.Enlescrutantpendantqu’ilsedirigeverslesfilles,jeluidonne,àvuedenez,lapetitetrentaine.

Uncureton.Unvraidevrai.Ilestdeleurfamille,ouuntrucdugenre?J’entendsbienlejuronquesouffleJomaisjesuistropoccupéàétudierlaréactiondesdeuxsœurs.

Katene sourit pas ; elle se contentedehocher la tête enguisede salutation,par contre sa cadette estcarrémententransefaceaubonhomme.

—Touts’explique!s’exclameJo,hilare.Leprêtreattrapelesbagagespourlesplacerdansleminusculecoffre.—Juliette?l’interpelledoucementKatepourlasortirdesarêverie.Cettedernièresursaute,luidédieunéclatantsourireets’installedanslevéhicule.Elleluiparlecommesilagamineétaitensucre.Pourquoi suis-jeautant intriguéparcesdeuxmorveuses,enfin, surtout lagrande? J’ensais fichtre

rien.Aumoment où j’ai cette pensée, la folle au harpon croise mon regard et, une fois de plus, cette

couleurd’yeuxatypiquem’envoiedanslescordes,aussiessouffléquesijevenaisdepiquerunsprintdemalade.Combiendetempsonrestelà,àsefixerdansleblancdel’œil?Aucuneidée.

Je lui destine une grimacemoqueuse à la laquelle elle réplique par ce petit geste qu’elle sembleaffectionner.Cequimefaitrire.C’estvraimentconderigolerpouruntrucaussiinsultant.

—Jel’aieu.Jeconnaisleplandecesoir.C’estBenny.MesyeuxabandonnentàregretlapetiteKateaumajeurdressépourglissersurErikqui

s’agite.Danssesprunellesbrilleunecertaineexcitation.Jemedouteillicodelateneurdu«plan»decesoir.Iln’yaqu’unechosequistimuleplusErikqu’unebonnepartiedejambesenl’air,c’estuncasse.Sanspouvoirm’enempêcher,jejettetoutdemêmeunultimecoupd’œilàlaridiculebagnolevertpommeembarquantnosanciennesvoisines.

Jenelaverraisûrementplus.Cetteétrangepenséemedéprime,etj’ensuislepremierétonné.Si Kate regarde résolument droit devant elle, sa petite sœur Juliette, elle, me dévisage, un brin

perplexe.J’examinelaplaqued’immatriculationsansréellementlavoir,justeavantquel’antiquevoiturenedémarrepours’avanceravecdifficultésurlepetitcheminenvahid’herbesetdecailloux.

Lorsqu’elleatotalementdisparu,jesensdenouveaucevidemegrignoterdel’intérieur.Larécréationest terminée et je soupire enme disant que cet interlude était bien distrayant.La seconde suivante, jesecouedoucementlatêtepourmeremettrelesidéesenplace.

J’écoute d’uneoreille distraite les explications du« plan», et le joint quemeproposeErik, déjàdéchiré,vam’êtrevachementutile.

Katherina

Quelquessemainesplustard

Ceboulotvametuer.C’estvraimentcequejemedisenajustantl’ignoblepetitbadgesurmachemiseblanche.Seulement,jesuisobligéed’enpasserparlàsijedésiremettredel’argentdecôté.Prendreunappartement,acheterunevoiture,payermesfraisscolaires:toutefois,cen’estpasenservantdescafésquejepourrairéussiràobtenirlapetitefortunequeçaréclame.

J’ai dix-huit ans dans deux semaines. Après… après, je pourrai essayer un vrai job. Rien nem’empêcherad’avoirmondiplômeencandidatlibresijenepeuxpaslajouerautrement.

Cettepenséemeréconfortetandisquejenouemescheveuxenunequeue-de-chevalfaiteàlava-vite.Lapetiteclochettetinteetjem’obligeànepasjeterunregardhaineuxauxmalheureuxclientsdontjevaisdevoirm’occuper.Jedétestelafoule,etencorepluscegenredetravailoùsourireàtoutboutdechamp,mêmeauxgrosperverslibidineux,faitpartieducahierdescharges.LepèreStefanaétéplusquesympadem’aideràtrouverceboulotd’appoint:pasmoyendeluifairefauxbond.SurtoutpourensuitesubirlesfoudresdeJuliettedurantdessemaines.

Des riresmasculins fusent,me hérissant le poil, et je jette aussitôt un coup d’œil vers le grouped’étudiantsquis’installent.Lys,masupérieurehiérarchiqueàpeineplusâgéequemoi,n’arrivequedansunedemi-heure,d’icilà,jevaisdevoirm’accrocher.

IlsportenttousdestenuesBCBG,cellesqu’arborenttouslesgossesderiches.Jem’armed’unbrocdecaféetm’avanceverseuxsansenregarderunenparticulier,notantmentalementquelaclochette–jevaisviteladétester,cettesaleté,c’estsûr–tinteencoreetplusieursfois.

Génial…plusieurstroupeauxenmêmetemps,çavaêtrelafêtecesoir.—Qu’est-cequejevoussers?jeleurdemandeaussipolimentqu’ilm’estpossibledelefaire,en

posantlebrocsurleurtable.Plutôtmemettrelatêtedansunfouralluméàdeuxcentcinquantedegrésquem’obligeràgrimacerun

fichusouriretoutmielleux.Ilsmedébitentleurcommandechacunàleurtourtoutenricanantcommedesidiots.Jemecontente

d’opinersansleverlenezdemoncalepin.Jemesuisàpeinetournéepourmedirigerverslescuisinesquejesensunebrèvetapesurmesfesses.

Jemefigependantquemonsangdésertemonvisage.Jelesavais.Cetuniformeobligatoire…ilauramapeau.Unechemiseblancheetunejuperouge.Cettedernièreabeautomberjusqu’auxgenouxetnepasêtre

provocante,iln’enfautpasplusàcertainsanimauxenrutpours’exciter.Je me tourne vivement et assassine du regard le groupe, ce qui alourdit considérablement

l’atmosphère:—Qui?jecracheentremesdents.Ilséchangentdefugitivesœilladestoutenriantcommedeshyèness’apprêtantàfestoyer.

—Quoi?faitl’und’eux,bravache.C’estunbrunauxyeuxnoirsetausouriremauvais.Jeconcentretoutemonattentionsurlui.—Quis’estpermiscegeste?—Onnevoitpasdequoituparles,mademoisellelaserveuse!Ladénominationdéclencheunenouvellesalvedepetitsriresniais.—Hey!s’écrieunevoixmasculine,derrièremoi.Onvoudraitbienbouffer,nousaussi ! Ilyaun

problème?Avec la ferme intention de passer mes nerfs sur l’autre groupe de clients, je pivote dans leur

direction,maisundétailinattendumecoupedansmonélan:jereconnaisceluiquivientdeparler.Untelsourireamusé,detelsyeuxgris,froidsetaffûtéscommeleslamesd’uncouteau,jelesaidéjàrencontrés.Aucampingoùjemerendschaqueannéeavecmasœur,pourêtreprécise.

Surlemoment,ilnesemblepasmereconnaître,dumoins,jusqu’àcequenosregardss’accrochent,etlà je saisqu’ilme« remet»,malgré le changementde tenue.Sesprunellesvontdemoi auxétudiantsderrière,plusieurs foisd’affilée.Sonsourire rieurse transformeenunegrimaceplusmarquée.Jen’aiaucuneidéedequivatrinquer:euxoumoi?

Aucamping,iln’apaseubesoindemesortirsonCV,c’étaitécritpartoutsurlui:«jesuisuntruand,unvrai».Ilyaceuxquijouentlesdursrebellespoursedonnerungenre,etilyalesautres,ceuxquiviventetrespirentdanslesang.Cettedernièrecatégorie…ilssontcommelesgrosprédateurs,sivousavezlemalheurdeleurdévoilervotrepeur, ilsvoussautentà lagorge, laissant«pitié»aurayondessurgeléspourvousprésenterentantquemenudujour.

J’inspireungrandcoupsansbaisserlesyeuxsoussonregardperçant.—Pasdeproblème.Jevaisprendrevotrecommande.Il hausse un sourcil et le sourire narquois refait son apparition. Ma subite coopération doit le

surprendre.—Nousétionslàavant!s’énervel’undesbourgeois.—Jen’aipasditlecontraire,jerétorquesanspourautantmetournerversleurtable.Maisqu’est-cequ’ilssontcons,cesriches!Quand j’observe l’inconnu tatoué se lever lentement de sa chaise,mon cœur triple son rythme de

croisière.—Ilaunsouci,lemorveux?s’enquiert-ild’untonpresqueaimable.Çal’ennuiequ’onsoitservis

avantlui?Il nous rejoint d’unedémarche souple puis s’arrête àmonniveau.Là, du coinde l’œil, je le vois

baisser légèrement la tête dans ma direction et je suis sûre qu’il contemple ma coiffure plusqu’approximative.Ilfixeensuitelatabléed’étudiants.

—Mec,çat’emmerdevraimentlefaitqu’elleprennenotrecommande?insiste-t-il.— Chris ! Laisse tomber ! Je veux juste me remplir l’estomac ! râle un de ses potes, un blond

écheveléavecdeslunettesdesoleilsurlenez.—Justement,moiaussi,maissicettebandedetrousduculempêchelagossedefairesonboulot…

onn’estpasprèsdebouffer,explique-t-ilàsonamisansquitterlegroupedesyeux.Jeluilanceuneœilladeirritée.Ilnedoitpasêtrebeaucoupplusâgéquemoi,maisilm’appellela

«gosse».—C’estbon,capitulelebrun.Nulbesoindevérifierpoursavoirqu’ilstremblenttouscommedesfeuillesdansleursvêtementshors

deprix.Chris,donc.Iln’apasunetêteàs’appelerChris.

Commes’ildevinaitque jepensaisà lui, ilsepencheunenouvellefoisdansmadirectionavecunsouriresatisfait:

—Tuvois,lafolleauharpon…Jecomprendsparfaitementoùilveutenvenir.Sapetiteleçondemoralefaitedanslessanitairesdu

camping.Jepincedurementleslèvresetmedirigeverslatableassiégéeparsabande.—Jeprendsvotrecommande?Montonsecnesemblepaslesdéranger.Leblondhirsutegrimaceunsourire,lebrunàlapeaumate

ne lâche pas son téléphone, quant au dernier… le plus maigre et le plus petit d’entre eux, il dortcarrément,lanuqueposéesurleborddudossierdesonsiège.

MoncorpsréagitàlaprésenceprédatricedeChris.Cederniersetientjustederrièremoi,etchacundemesmusclesseraiditaupointoùjedoisserrerlesdentsparcequec’estphysiquementdouloureuxdelesentirainsi,guettantmesfaitsetgestestelunfauveàl’affût.Jesuiscertainequetoutcelal’amuse:monénervement,mesépaulescrispéesdansunepositionquin’ariendenaturel.J’ailesentimentqu’untigrem’épie et ce n’est pas franchement agréable. Je note consciencieusement leur commande : c’estsimple,ilsprennenttouslamêmechose.Idempourceluiquiserendortaussitôtaprèsavoirprononcélenomdesonmenu.

J’opineet,aumomentdepartirverslescuisines,mecognelenezcontreletorseduprésuméfauve.J’exécuteaussitôtunpassurladroite,ilm’imite;unsourirerailleurflottesurseslèvresdévoréesparunebarbenaissante.Jepincelesmiennesettenteuneesquivedel’autrecôtémaislàencoreilm’empêchedepasser.Quandmonregardfurieuxcroiselesien,assurémentréjoui,j’yrépondsparuneœilladequej’espèresuffisammentassassine.

Endéfinitive,sansquenousayonséchangéunseulmot,ils’écartepourenfinlibérerlepassagepuisritfranchementlorsquejem’éloigne.

Mario, le cuistot, me remercie d’un très joyeux « gracias » et je retourne officier au comptoir,m’attelantàdestâchesingratescommerefaireducafé,parcequejerefused’allerrécupérerlebrocquirefroiditsurlatabledecescrétinsdebourgeois.

Jelesensarriversansavoirbesoindevérifier.—Jepeuxt’aider?Montonestgrinçantetmonregarddemeurerivéàlamachine.—Depuisquandtubossesici?—Qu’est-cequeçapeutbientefaire?—Àmoi ?Rien.C’est juste que jemange souvent ici avec les potes et je ne t’avais jamais vue

auparavant.J’endéduisquec’esttoutrécent.Jefermebrièvementlesyeux.—Cesoir.Depuiscesoir.—Tuasl’airjeune.Tutaffesicigenreaprèslescours?—Oui,monsieur-je-veux-tout-savoir.Jel’affronte,lesmainssurleshanches.—C’estbon?L’interrogatoireestterminé?Ilmedédieun largesourireavantdeposersesavant-bras tatouéssur lasurfaceducomptoiretde

s’asseoirsurletabouret,mentonappuyésursespoignets.JesuppliementalementMariod’enclencherlavitessesupérieureafinquetousbouffentleurshamburgers-fritesetsecassentleplusrapidementpossible.

—T’asquelâge?Jevaqueàmesoccupationsenfeignantdelesignorer,luietsaquestion.Matâcheactuelleconsisteà

récurerunegrillesanssavoiràquelappareilellepeutbienappartenir.

Sijeluidisdix-septans…çapourraitrefroidirsesardeurs.Maisimpossibled’enêtresûre.—Dix-huitans.Dansdeuxsemaines,jeprécise,aprèsunecourtepause.Il reste silencieux, alors je lui jetteunpetit coupd’œil.Ungrand sourire amuséétire toujours ses

lèvres.—Ettoi?jemerenseigne,m’étonnantdemaproprecuriosité.—Vingt-deux…dansdeuxsemaines.Jem’arrêtedefrotterlaplaquegraisseuseavecl’épongepourplantermonregarddanslesien.Ses

prunellesmétalliquesmesemblentd’uneteinteplusclairequ’unpeuplustôt.—Tutefousdemoi?Ilsecouedoucementlatêtededroiteàgauchetandisquesonsourires’élargitimperceptiblement.—Tuparlesd’unecoïncidence!jegrommelleenretournantàmabesogne.Ma réflexion lui arrache un rire. Oh pas l’énorme éclat franc, non, un son discret comme s’il ne

s’apercevaitpasqueçavenaitdelui.—Chris!s’exclamesoudainunevoixféminine,nonloindenous.Ellem’estvaguementfamilière,maisjepréfèrenepasyprêterattention:lagrillenoiredecrassele

méritedavantage.Néanmoins,lorsqu’unbruitécœurantdebouchesquisecollentrésonnebientropprochedemoi,jene

peuxrienyfaire:jelesépiefugitivementetlàlespectaclemescieendeux.Cette nana, pendue au cou de Chris et qui lui dévore allègrement les amygdales… ce n’est pas

possible!Celanepeutpasêtreelle!Pourquoiledestins’acharne-t-ilautantsurlapitoyablecréaturequejesuis?!

—Mel?J’aiinvolontairementmurmurésonprénometaprèscela,l’oxygènedécidededéserterd’unseulcoup

mespoumons,m’anesthésiant lesneuronesaupointque j’enoubliecommentondoitprocéderpour lesréalimenter.

Enentendantmavoix,ladélicieusecréatureblondesetourneavecuneexpressionàlafoissurpriseetintriguéemaislorsqu’elleprendletempsderéellementmedévisager,sonteintdevientlivide.

—Katherina?chuchote-t-elleàsontour.Qu’est-ceque…tufousici?—Katherina?répèteChrissansrepousserlajeunefemmeàlatenueprovocantepresséecontrelui.Jesenssonregardperplexenaviguerdemasœuràmoi.—C’estplutôtmaligne,ça!jegronde.T’étaisoù?Bordel,Mel!T’étaisoù!Elles’éloigneduvoyoutatoué,visiblementtoutàcoupmalàl’aisedanssontopdécolletéetsajupe

tout aussi révélatricede saplastiqueavantageuse.Elle tiredessus, commesi ellepouvait rallonger levêtement.

—Pasassezloin…apparemment!Son rire sonne fauxetmacolèregranditpourméchammentsedéverserdanschaqueatomedemon

être.—Mel,tuconnaiscettemôme?Jetiqueenentendantlederniermotqu’ilaprononcé.Ellericaneencore.— C’est ma petite sœur… Katherina. Katherina, je te présente mon petit copain : Christopher

Farwink.Son…petitcopain?!Par réflexe, je le regarde etmesyeuxharponnent ceuxdudit « petit copain » enquestion, celui-là

mêmequisevantait,aucamping,des’êtreroulédanslaluxureavecdeuxSuédoises.

Peut-êtren’étaient-ilspasensembleàcemoment-là?Maisaufonddemoi,jesaisquecen’estpaslecas.

Chris

Safrangine!Sérieusement?L’informationmetue.Iln’yaplusqu’ungrandvideintersidéraldansmatête.MelestlagrandesœurdeKate…Katherina?C’estidiot,maisunlongfrissonmesecouel’échineenprononçantmentalementsonprénomcomplet.C’estclasse,cegenredeprénom.Çafaitprincesserusse.JesensbienlachaleurdelaproximitéducorpsdeMelmaismesyeuxsontirrémédiablementattirés

par la sauvageonnedont lescheveuxétincellent sous la lumièreartificielledes lampes, autantque sonregardpâleemplidefureur.

Etdireque…Jesecouelatête,puismonregardseposesurcellequim’étreintdenouveau.Jesaisquejedevrais

leslaisserdiscuterseules,maismacuriositéfaitvolerenéclatsmonmaigrepourcentaged’éducation.—Tuterendscomptedelasituationdanslaquelleonest?persifleKate,ensepenchantlégèrement

enavant.MamanestmorteilyatroismoisetJulietteveutdevenirbonnesœur!J’observeMelquiestdésormaisplusblanchequedelacraie.—Maman…morte?couine-t-elle.—Salope!cracheKate.L’insultemefaitsursauter.Plusparcequ’ellesembleétrangementdéplacéedanssabouche,quepour

laforme.Quantàsafrangine,ellesetassesurelle-mêmedansmesbras.—Hey,lafolleauharpon…tupourraisyallermolloavectasœur?dis-je,parcequ’àcemoment-là,

etsijeneconnaispastoutel’histoire,Mélaniemefaitpitié.IlfautdirequeKateal’aird’unbarracudaayanttrouvésonpetitdéj’.—Tagueule,lequeutardtatoué!Elleagrognécesparoles.J’auraispresquepujurerlavoirmemontrerlesdents.Unriremesecoue

entièrement parce que vraiment, cette gamine, c’est une bombe à retardement ! La colère que je sensparfoischezellen’arienàenvieràcellequim’habitecontinuellement.

JelibèreMelpuismelève,lesmainsenl’air:—OK,lamôme.Toietmoi…dehors.Cinqminutes.—Vatefairefou…,commence-t-elle,maisjeluilancemonregarddumecquinelaisserapaspasser

uneautreinsultegratuite.Sesyeuxs’unissentauxmiens;ellecomprendetfermeaussitôtlabouchesansterminersaphrase.Je

hochelatête,satisfaitdelavoirobtempérer.Unefoisàl’extérieur,jecherchemonpaquetdecigarettesécrasédanslapochedemonjean,luien

proposemachinalement une…qu’elle décline d’uneœillade noire de rage.Celame fait sourire avantd’allumermaclopepourentireruneboufféequejesouffleparlesnarines,toutenlascrutant.

—Donc,t’eslafranginedeMel.Vousnevousressemblezpas.J’aiencoredroitàunregardmauvaisdesapart.

—Oh,maisqu’est-cequ’ilestperspicace!semoque-t-elle.Avantqu’ellen’aitletempsdeseulementimaginermongeste,jelaplaquecontrelemurd’unemain

sursonépaule.Jesaisparexpériencequec’estunanglemortetquepersonneàl’intérieurdurestaurantnepeutnousvoir.

—Écoute,Katherina…Frisson.—…fautquetuarrêtesdemeparlercommetulefais.Crois-moique,d’habitude,jenesuispasdu

tout,maisalorspasdutout,unmecpatient…avecpersonne,tum’entends?Tunemeconnaispas,alorsjevaisteledireclairement,lamioche:avectoi,depuisquejet’airencontrée,jesuisunesaloperiedeBouddha!Alorstutedémerdescommetuveux,maislorsquetumecauses,montre-moidurespectbordel,mêmesiçatefilelagerbe.Compris?

Jelavoisenfin.Jeladiscernenettementdanssonregardclairdontlespupillessedilatent:lapeur.Jen’en suis pasheureuxpour autant,mais…cette salemerdeuse inconsciente, avec sagrandegueule,pourraits’attirerdesacrésproblèmesjusteenl’ouvrant.Etlà,toutdesuite,jesuissciéquecesoitcettepenséequimerendedingue,etnonlefaitqu’ellem’insulte.

J’ôtemesdoigtsd’ellecommesijevenaisdemebrûler,pourreculerdedeuxpas.Jelacontemplerespirerplusviteavantquemesyeuxnebifurquent,malgréeux,sursapoitrinequisesoulèverapidement.

—Compris.J’acquiesce.—Bien.Maintenant,pourquoit’enveuxautantàMel?—Depuisquandc’esttacopine?medemande-t-elledutacautac.Jesensmeslèvress’étirerenunsouriretaquin.—Enquoicesonttesoignons?—Jepeuxteretournerlaquestion.Jesecouelatêteenriantsilencieusement.—Onest…disons,que…quandonaenviedesefréquenter,onsefréquente.Elleopine.Elleasaisileconceptetneparaîtpasenêtrechoquée.—Tusaisoùellehabite?enchaîne-t-elle.—Oui.—Tupeuxmeledire?—Çadépend.—Dequoi?—Detoi.Pourquoiest-cequetuveuxlesavoir?J’aiquoiàygagner,entefilantl’info?Katericane,détournelesyeuxpourlesplongerdenouveaudanslesmienslasecondesuivante.—Faireunebonneactiondanstavie…purifiertonkarma…Bouddha.C’estàmontourderire.—Jem’enfous.Sijen’airienàygagner,sincèrement,jem’enbranle.—J’tediscequetuveuxsavoir,tumerendslapolitesse,n’est-cepassuffisant?Nosregardssenouent.Lorsqu’onsefixeainsimutuellement, jeressensquelquechosed’étrangeau

fonddemoi.C’esttropfloupourquejeluicolleuneétiquette,n’empêchequec’estlà,etqueçaremuedansmonventrepareilàunenfoiréd’alien.

Sansmettrefinàcecontactvisuel,jetirecommeunmaladesurmonmégotpourrecracheruneénormevolutedefuméebleutée.

—Tucroisquejesuisaussicurieuxqueça?jeluilance,endécoupantchaquesyllabe.Ellenerépondpastoutdesuite.

—Ouais,fait-elleencorepluslentementquemoi,mimétismequimedessineencoreunsouriresurleslèvres.

—Chezmoi.—Quoi,«cheztoi»?—Tafrangine…c’estchezmoiqu’ellecrèche.Sonsilenceestpluséloquentquen’importequelmot.—Quandelleadébarquéenville,ellen’avaitaucunendroitoùdormir.Onpartageleloyer,cegenre

deconneries.Jen’aipaslamoindreidéecequimepousseàexpliquertoutça,maisjelefais.—Oh.Vousêtescoloc’etcopainsdebaise.Pratique.Jenerelèvepaslesarcasme,parcequesijem’yamuse…jevaisfaireuntrucencoreplusstupide

quesimplementluigueulerdessus:commel’embrasserafinqu’ellelaboucle.Techniquequiafaitsespreuvespourmettreunenanaenmodesilencieux.

—Alors,expliquel’embrouilleavecMel.—Mamèreavaituncancerqu’onnepouvaitpasopérer,untrucdontellenepouvaitpasguérir.Ça

faisaitdesmoisqu’elleétaitalitéeàl’hostomaisMelenaeumarredenousaiderets’estcassée.Jelacite:«Jenevaispasmetueràlatâchealorsquejen’aiquevingtans!Jeveuxunevie!Pastoutecettemerde!»etçaaétésesdernièresparolesjusqu’àcequejetombesurelley’aunquartd’heure.

—Quivousaaidées?Aprèssondépart?— Personne. Je cumulais plusieurs petits boulots et j’ai séché l’école jusqu’au décès demaman.

Juliette a sympathisé avec un prêtre sur un forum à la con et en apprenant notre situation, il nous aproposédenoushébergeraufoyerdelaparoisse.Commeça,lesassistantessocialesnousontfichulapaixetnenousontpasséparées.

—Tucumulestoujoursdespetitsboulots.Mêmesisonvisagen’estéclairéqueparlalumièrefaiblardedulampadaire,jeremarquelasubite

rougeurdesesjoues.—Çava, jegère.Jene luienveuxpasd’avoirdésiréunevraievie, je luienveuxdenousavoir

plantéeslàsansnouslaisserunnumérodetéléphone!Aveccequejegagnais,nousaurionspuresteràLandernethabiterensembleaulieudenousretrouverseulesànousbattrecontrel’administration.Toutl’argentquej’avaismisdecôtéestpassédansl’enterrement!C’étaitlespontsquinousattendaient,s’iln’yavaitpaseulepèreStefan!Parcequejesuismineure!termine-t-elle,lavoixtremblantedefureur.

Jecomprendsmieuxsacolère.Lavie,celafaitunmomentquejesaisqu’elleestmerdique.Katealespoingsserrésetjenevoisd’ellequesonprofil.Ellemefaitpenseràunchatonélevéàla

duredanslarue.Crachant,sehérissantdèsqu’onl’approche:noussommestousdepotentielsennemispourelleetjeconnaisparfaitementcesentiment.

—Tuveuxvenirhabiteravecnous?Jesuisconouquoi?Pourquoijeluiproposeuntrucpareil?—Non.Juliettenevoudrajamaisquittercesatanéfoyeravecdescroixdanschaquepièce,explique-

t-elleavecdel’amertumedanslavoix.—Ben…laisse-lalà-bas.Jenevoispascequej’aiditdemalmaisàsonregardassassin,jedevinequej’aifaituneboulette.—C’estmasœur.Jenepeuxpasla«laisser»derrièremoi.Jehausselesépaules.—Sielleestheureusedanscefoyerdenonnes,ilestoùleproblème?Ellesemordlalèvreetj’imaginequ’elledoitréfléchiràmasuggestion.Moi,jesuisplutôtconcentré

surcegestequ’ellefaitavecsesdents.Parceque,àcettesecondepréciseoùmespaupièresparaissentoublierdecligner,jemedemandequeleffetçafaitdemordrecepetitmorceaudechairtendrequ’ellemartyrise.Lorsquesonregardplongedenouveaudanslemien,jedétourneaussitôtmesyeuxcommesilelampadaireexerçaitsurmoiuneinimaginableattraction.

Jedoisêtresacrémentcrevépouravoircegenred’idéedébile.—Jevaisypenser.Maisc’est…sympadeleproposer.—Jenesuispassympa.J’aimejusteleconceptnepasenfoutreunechezmoiencequiconcernele

ménageetlescorvéesdecegenre.Pourça,deuxmeufsvalentmieuxqu’une.Ellericaneetjepoursuisd’undébitrapidequinemeressemblepas:—J’endiscuteraiavectafrangine,maiselledoitprobablements’envouloiràmort,alorsjenecrois

pasqu’ellediranon.Passe-moitonportable.Katemelanceunregardsuspicieux.—Pourquoifaire?—Pourtelevoler.— Ah, ah, ah. T’as plutôt la tête du gars qui se sert directement dans le camion, que celui qui

demandeauproprio.—Ehben, en réalité, tu esmoinsbêteque tu enas l’air.File-moi tonputainde téléphone,que je

puisset’appelerett’indiquermonadresseaucasoùtuacceptes.Sesépaulessedécrispentenfinetj’expirelonguementcommesi,moiaussi,jerelâchaislapression.Elle lesortde lapochedesonpetit tablierpourme le tendre. Jemetsdeuxsecondesde tropà le

prendreparceque,ducoup,mondébiledecerveaufocalisesursatailleetcalculedanslafouléequejepeuxprobablementenfaireletouravecmesmains.

Voilààquoielleressembledansdesfringuesdefille.Agacéparmapropreréaction,jeleluiarracheunpeuabruptementdesdoigts.Jepensaisqu’elleavaitunSmartphonemaisjedécouvreavecahurissementuntéléphonequiafacile

cinqousixansdevieaucompteur.Jeletournedanstouslessensavecprécaution,commesic’étaitunevéritableantiquité.

Cettemerden’asûrementpaslafonctionBluetooth.Ensoupirant, j’entredanssonrépertoirepourn’yvoirquetroisnoms.Jefroncelessourcils.Ilya

«Juliette»,«PèreSte.»etundénommé«Zach».C’estqui,ça?Sonpetitcopain?Je lui lanceunbref coupd’œil pournediscernerque sonprofil car elle le regardqui erre sur le

parking,perduedanssespensées.J’essaiedelavisualiseravecuntype,sanssuccès.Jenel’imaginepasavecunmec.Peut-êtrejusteunpote?Jehausse lesépaules, tapemonprénompuis insèremonnumérodans lacaseendessous,avantde

sortirmonpropretéléphone.—Tonnuméro?jel’interroge,sansleverlenez.Ellemeledonnesansréfléchiretjesourisenl’inscrivantsouslenomde«Folleauharpon».—Putain,Chris!Labouffeestlàetj’vaispaspassermanuitici,hein!s’écrieunevoixdepuisle

seuildurestaurant.C’estJo.—Faisemballermapart!Jemangeraienchemin!jegueuleenretour.Jeredresselatêtepourluirendresonbienetrencontreunsouriregoguenardsurseslèvres.Jehausse

unsourcil.—Untrucmarrant?

—Bye…Christopher,susurre-t-elle.—Y’aunsouciavecmonprénom…Katherina?Je ne peux pas m’empêcher de ressentir encore cet étrange frisson en prononçant le sien et,

clairement,çamefaitchierd’êtreréactifdecettefaçon.Ellerougitenm’entendantetdétourneaussitôtlesyeux.

— T’as pas une tête à t’appeler « Christopher ». Butch, Dan… mais pas un truc comme «Christopher»,bafouilleKate.

Elle avait sûrement voulu s’adresser à moi d’un ton rogue, mais le résultat n’a pas été celuiescompté;jegrimaceméchamment.

—«Zach»?jeluisuggèred’unevoixmielleuse.Ellesursauteetj’enchaînenonsansunecertainecruauté:—T’aspasnonpluslatronched’unmannequinrusse,j’tesignale!Jesuisvexésansencomprendrelaraison,cequim’énerved’autantplus.Sansmême la saluer, je retourne à l’intérieur pour rejoindremes potes et décoller pour la petite

sauterieàlaCitéUniversitaire.Jesuiscomplètementdéchiré,avachisuruncanapésiuséquedesespècesderessortstraversentle

tissuenveloursmarron s’émiettant carrément. J’appuie régulièrementde l’index sur l’und’euxet j’endéduisêtresérieusementdéfoncépourtrouvercepetitjeucaptivant.

—Chris…CettevoixsensuelleappartientàMelquis’installesurmesgenouxetglissesesbrasautourdemon

cou.Jeluidédieunsourireidiotembruméd’alcooltandisquemesdoigtsseplacentnaturellementaubasdesesreins.

—Salut,toi…Çava?Mavoixrauquelafaitfrissonner,accentuantmagrimaced’ivrogne.Sesfessessepressentdavantage

contremonentrejambe,frottementquimetirelégèrementdemoncoma.—T’escontented’avoirretrouvétapetitefrangine?Laquestionfranchitleseuildemeslèvresengourdiessansquemoncerveauluienaitdonnél’ordre.

Melfaitlamoue.—Mouais.Jerigole.—Lavache!Cachetonenthousiasme,chérie.Mélaniesecouedoucementsacrinièreblonde,mefaisantinhalersonparfumsucréaveccegestetrès

féminin.—C’estpasça…Jel’aime,c’estmasœur.C’estjusteque…—Quequoi?C’estunechieuse?Ouais.Uneputaindechieuseauxyeuxtransparents.Melsouritàsontour,et,l’espaced’unenanoseconde,mesyeuximaginenttoutuntasdetrucssalaces

avecseslèvrespeintesenrouge.—En quelque sorte.Katherina a un sens aigu des responsabilités pour son âge et ça, c’est grave

pénible. C’était comme si, depuis lamaladie demaman, elle avait décidé que c’était elle le chef defamilleetqu’ilnenousrestait,àJulietteetàmoi,qu’àobéir.Tuvois?

Jefroncelessourcils.— Sans adulte dans la piaule, faut bien que quelqu’un s’y colle, nan ? Je te vois mal cumuler

plusieursboulotspourpayerlesfactures.

Mélanieaunmouvementderecul,stupéfaite:—Jedélireoutuladéfends,là?Sansblague!Cinqminutesavecelleettoiaussitulaconsidères

commeunefichuesainte!Jem’arrêteau«toiaussi».Avecunenonchalancefeinte,jeportelegoulotdemabouteilledebièreà

mabouche,enboisunegorgéepourensuitegrimacer,maismonintérêtestaiguisé.—«Toiaussi»?jerépèteassezfortpourcouvrirlebruitinfernaldelamusique,lessourcilsarqués

etenévitantdecroisersonregard.—Ouais.Zachn’aquedescomplimentspourelle,c’estvraimentchiant,àlafin!—JeneconnaispasdeZach,jetenteavechumour.Çafonctionnepuisqu’ellesemetàglousseretm’explique,aprèsavoirévitéuncoupleivreluifonçant

dedans:—Monex.Onest sortisensembleunan,avantque jemecasse. Il laconsidèrecommeunepetite

sœur,mais j’enavaismaclaquede l’entendredire :«TudevraisêtrepluscommeKate»,ou,«Katececi,Katecela».

Jenesaispaspourquoi,maisjesuissoulagéd’apprendrequelefameux«Zach»estjustel’exdeMeletnonl’actueldelapetitefolleauharpon.Etjenem’appesantispassurlaquestion.

—Pourunefois,tudevraislaissertonegodemerdedecôtéetsoutenirtafrangine.Hein?Melmefixe,interloquée.—Depuisquandtutemêlesdemesoignons?Jehausselesépaules.J’ailecerveauengeléeetmaputaindelangueestplusrapidequelui.—C’estjusteuneidée,jemarmonne,contrarié.Elleaassurétouteseulel’enterrementdetamère,je

croisqu’elleenabavé.MontreauxgensuneautrefacettedetoiquelameufquiécartelescuissesaussivitequetireLuckyLuke.

Ellemefileunebourrade,pouraussitôtbondirloindemescuisses,manquantdepeuderenverserunepauvreétudianteavecdesantenneslumineuses.

—Hey!jeproteste,encherchantàl’attraperparlataille.Mélanies’écarteetj’aivraimenttropbupourréussiràlaramenersurmesgenoux.—Saleconnard!Tuviensdeperdreuneoccasiondet’envoyerenl’air!crache-t-elle,furieuse.Quelquechosedanssesyeuxvertsm’indiquequej’aifaitmouche.Ellen’apasunmauvaisfond,c’est

seulement legenre femme-enfant tropcentrée sur elle-mêmepour capterqu’il y a autre choseque sonnombrilencemonde.

Jelaregardes’éloignertoutenvidantmabièrelorsquejesensquelecanapés’affaisseàcôtédemoi.—Salut,murmureunevoixchaude.Mon sourire ne tarde pas à revenir étirer mes lèvres. Je tourne la tête pour découvrir une jolie

brunetteauT-shirttendusouslapressiond’unevolumineusepoitrine.—Salut,jerépondsenluidécochantuneœilladecajoleuse.J’adorecessoiréesd’étudiants.Ilnenous fautpas longtempspour sympathiser et rapidement trouverunendroitplus tranquille. Je

passe l’heure suivante à lui apprendre à épelermon prénom sans se tromper pendant que je lui offreplusieursorgasmes.Jenesaispascommentunetelleidéem’estvenue,maisçafaitunbienfou.

Katherina

J’enpeuxplus…là,jen’enpeuxvraimentplus!JecontemplelepèreStefanquimesouritavecunecompassionagaçante,toutenprenantdelongues

inspirationsquej’expulsediscrètementparlenezafindecalmermesnerfs.Ilvientdemesuggérerpourlaénièmefoisd’allermeconfesseret,là,toutdesuite,j’aienviedelui

casseruntrucsurlatête.—Pasintéressée.C’estmontonlepluspolietrespectueux,l’ultimegrammedeself-controlqu’ilmeresteaprèscette

épuisanteetstérileconversationquenousvenonsd’avoirtouslesdeux.Sonexpressions’adoucitencoreetlàjem’accrochecarrémentauxbrasdufauteuilsurlequeljesuis

assise.Qu’il servesadaubeverbaleàJuliette, soit,elleveutentrerdans lesordres.Maisputain,qu’il

arrêtedevouloirmeconvertiràsadoctrinedemerde!Ilsemetàrépétersonlongdiscourssurlefaitqueparlerdemesfautessoulageraitmoncœuretmon

âme,quenousavonstousbesoindepardon,«blablabla»etjefrisel’apnée.Jemedressed’unbond.—Excusez-moi,maisjedoisvraimentyaller.Jedoispostulerpourunemploi.Sessourcilsformentimmédiatementunaccentcirconflexe.—Unsecond?medit-ilsuruntondereproche.Tusaistrèsbienquesitulesouhaitais,tupourrais

restericimêmeaprèsavoiratteintlamajorité,etpoursuivrenormalementtesétudes.Etcreverd’uneanémieneuronale?Mercibien!Jeluioffreunsourirehypocrite.—Jegère.Ilmeretourneunemouedubitativealorsjerépète,lesdentsserrées:—Jegère.Dixminutesplus tard, je suisenfin libre. Jesorsmachinalementmonportablede lapochedemon

sweatàcapucheetrepenseàlapropositiondeChris.VivreavecluietMel…çam’assureraitunecertainelibertédemouvementetjenemetaperaisplus

les sermons du père Stefan. Juliette s’entend avec toutes les filles du dortoir et les bonnes sœursl’adorent…Jepeuxm’éloignerunpeud’elleletempsdetrouverunappartement,unebagnole,etdemettredel’argentdecôté.

Vivre avec le voyou tatoué…un frissonme parcourt l’échine. Je n’aime pas desmasses ce foutumisogyne,maisàchevaldonné,onneregardepaslesdents.

J’appuie sur la touche « Appel » et ferme les yeux en écoutant la sonnerie. Une voix rauqueensommeilléemerépondauboutdelacinquième:

—Ouais.—C’estKate.

—Qui?Oh…ouais.Enfoiré.—Çatienttoujours?J’ail’estomacquisetordrienqu’àl’idéed’avoirbesoindesonaide.—Quoidonc?Surlemomentjedouteetcroissérieusementqu’ilaoublié,maisunpetitquelquechosed’amusédans

soninflexionm’alerteetmemetsdirectementsurlesnerfs.—M’héberger…,jemarmonneenmeretenantdejustessed’ajouter«ducon».Jel’écoutepousserunesortedegrognement;dugenredecequel’onfaitlorsqu’ons’étire.—Ouaip.T’asbesoinquejeviennetechercher…enfin,tesaffaires,toutça,oututedémerdes?J’aienviedeluidirequejevaismedébrouiller,maisportermescartonsdanslebusnem’attirepas

desmassesetjeneveuxriendemanderaupèreStefan.—Sicelanet’ennuiepas.Je continue à serrer les dents en songeant que je vais finir par les retrouver enfoncées dansmes

gencives.Ilritdoucement,cequiaggravemamauvaisehumeur.—J’aipasentendulemotmagique!ose-t-ilplaisanter.—S’ilteplaît.Jevaisvomir.—Siçameplaît?Voyonsvoir…OK.Envoie-moil’adressepartexto,j’arrive.Je m’exécute après avoir raccroché.Mon objectif suivant consiste à préparer mes maigres effets

personnels.Lorsque des cris horrifiés essaient de bousiller mes tympans, quelque part, au fond de moi, j’en

devineimmédiatementl’origine.Chris Farwink passe le seuil de la pièce et les quelques jeunes filles présentes se serrent

comiquementlesunescontrelesautres.Commenta-t-ilréussiàentreretàtrouverlechemindudortoir?Çac’estunsacrémystère.

Ilporteundébardeurnoirjustecequ’ilfautdemoulantpoursoulignerchaquemuscledesontorse,dévoilantallègrement lesnombreuxtatouagessursesbras.Sursonjeanusétombeuneceintureencuircloutéagrémentéedechaîneset les talonsdesesbootsdemotardclaquentsur lecarrelage. Ilenfoncenonchalamment lesmains dans ses poches tandis qu’un demi-sourire charmeur étire ses lèvres.Avantd’arriveràmonniveau,ilfeintd’approcherl’unedesadolescentesetcettedernièrereculeillicoavecuneexclamationapeurée.Forcément,unetelleréactionluitireungrandéclatderire.

Jenepeuxpasnierqu’ilestséduisantdanssongenre.Certainesnanasdoiventmêmeletrouvercanon.Lorsque,enfin, il s’arrêtedevantmonhideuxpetit lit, il sort l’unedesesmainsafindebaisserde

l’indexseslunettessursonnezetm’offrirsonregardgris.—T’aspasfinid’emballertestrucs?s’enquiert-ilpourlaforme.Jedésigned’unpoucedirigéversl’arrièremavaliseposéesurlematelas,puisannonce:—Dansuneminute.Ilselaisselourdementtombersurlelitquiexprimebruyammentsonmécontentement.Ducoindel’œil,toutenfinissantderangermesaffairesdansl’undescartons,jel’observejeterun

regardcirculairesurcequil’entoure.Ilfrappesespaumesl’unesurl’autre,lesavant-brasappuyéssursescuissesécartées.

—Tum’étonnesquetuaiesenviedetecasserd’ici,murmure-t-il.Saréflexionmefaitunpeusourire.

Puis,commes’ilsongeaitbrusquementàquelquechosedeprécis,ilsefigeetdemande:—Qu’est-cequit’asdécidée,aufait?—LepèreStefanetsonobsessionpourlaconfession.Surlemomentilnepipemot,maislasecondesuivante,ils’esclaffeàgorgedéployée.—Ah!Lavache!Tuviensdemetuer!dit-ilensetenantlescôtes.Merde,alors!Çaexistetoujours

cetruc-là?J’opine,toujoursensouriant.—Qu’aditmasœurquandtuluiasannoncéquejevenaishabiterchezvous?—J’aipasencoreeuletempsd’enparleravecelle.Ilvientdemerépondred’untonparfaitementindifférentetmoij’étouffeunjuron.—Ellenevapasapprécier,jegrommelleenmerelevant.—Ellen’apasàl’apprécier.Jesuischezmoi,j’faiscequej’veux.Detoutefaçon,jesaiscomment

ladétendre.Ilterminesaphrasesurunsouriresuffisantquinelaisseaucundoutequantàlanaturedelaméthode

employée.Jesecouemachinalementlatête.—Serialqueutard,jeplaisanteenchuchotant.Jemefigeensentantsonhaleinetièdesurmonoreille:—Ouais,souffle-t-il.Etjesuisdoué,Katherina.—Tum’endirastant.Ilsetientjustederrièremoi,légèrementsurmagauchecarilportel’undemesdeuxcartons.—Tuveuxquejeteleprouve?insiste-t-il.Jeperçoissonsourirejusquedansl’inflexiondesavoixetmeraidis.—Non,merci.Lamiennepossèdeundétestableaccentaigrequiluidéclencheunpetitrireviril.—T’esvraimenttropjeune,detoutefaçon.Jenesaispass’iladitçapourluioupourmoi,maisj’ignorevolontairementlanotederegretqueje

croisdécelerdanscesmots.—À labonneheure !Manqueraitplusque tu soisun satyrepervers avecunepréférencepour les

lolitaspar-dessuslemarché!dis-jeavechumeur.—T’asriend’unelolita,commenteChrisenprenantlesecondcarton.UnputaindeRambominiature,

ouais!Jem’arrêtedemarcherendirectiondelaportepourmetournerversluienhaussantunsourcil:—J’ailamêmegueulequeStallone?Illibèreunemainpuismesaisitlementonafindefairepivotermonvisageetlescruterattentivement.—Y’auntruc,deprofil.—Salecon!j’éructeenmelibérantd’unebourradepourreprendrelechemindelasortie.Iléclatederire.Une fois dehors, je suis sincèrement soulagée de n’avoir rencontré ni le père Stefan, ni l’une des

sœursdudortoir.J’appelleraiJulietteàlafindesescourspourl’avertir,maisfilerendouceestdeloinlemeilleurmoyenquetoutsepasseaupoil.

LavoituredeChrisestàsonimage:—UnePontiacGTOJudgede1969…Pourquoiçanem’étonnepas?Ilmelanceunregardsurpris.—Tut’yconnaisenbagnoles?Jehausselesépaulesenadmirantlateinteorangéetypiquedecevéhiculedegrandeclassependant

quesonpropriétairedéposemesaffairesdanslecoffre,àl’arrière.—Allezmonte,petitefandePontiac!sourit-ilens’installantlui-mêmeauvolantdusublimeengin.J’obéisavecenthousiasme.Ilsembleleremarqueret lacommissuredeseslèvress’incurveenune

moueamuséealorsqu’ilfaitvrombirlemoteur.—Ettonpaterneldanstoutcefoutoir…Iln’arienassumé?Saquestionabruptemegèleunbrefinstant.—Jenesaismêmepasquic’est.J’aiessayédeparlerd’untonneutre,commesicedétailn’avaitaucuneimportanceet,sincèrement,

j’adoreraisquecesoitlecas.Chrishocheplusieursfoislatête.Iln’yariendechoquantpourluilà-dedans.Qu’ilprennelefaitque

jesoisnéedepèreinconnucommeunsimpledétailmedécrispelégèrement.—J’n’aipaslemêmegéniteurqueMeletJuliette.Maprécisiondessinedenouveaucettemimiqueàlafoiscooletcharmeusesursabouche.—Deuxblondesauxyeuxverts…pourune rouquineauxmirettes transparentes.Ouais,c’estassez

évident.—J’auraispuressembleràmamère,jerétorqueenl’étudiant.Il penche la tête sur le côté, sans relâcher sa concentration sur la circulation dans laquelle nous

sommespris.—Celasignifiequecen’estpaslecas.Jem’abstiensdecommenteretmecontentedelescruterpendantqu’ilconduitsasuperbePontiac.Sa

mâchoirecarréeestdévoréeparunebarbedequelques jours, cequi enfonce lecloude sonalluredemauvaisgarçon.Sestatouagesremontentjusquesoussonoreille;c’estuneséried’arabesquestribales,alorsqueceuxdesesbrasdévoilentplutôtdesfemmesnuesoudessymbolescommedestêtesdemortsdepiratesetdescroixceltiques.Ilamêmeunrevolveràl’intérieurdubrasquim’estlemoinsaccessiblevisuellement.

—Tutombesamoureuse?fait-ilenarquantunsourcilpar-dessusseslunettesdesoleil.J’émetsungrognementquiressemblefortàunricanementétouffé.—Y’apasderisques.Unlongsouriresedessineaveclenteursursabouche.—Vautmieuxpourtoi.—T’espasmongenre.C’estpuérildemapart,j’ensuisconsciente,maisl’arrogancedecetypem’agace.—Parcequetuasun«genre»?rit-il.—Ouais,ettureprésentesl’opposé.Sonsourires’élargit.—Vas-y,épate-moi.Jerefusedemordreàl’hameçonetcroiselesbrassurmapoitrineavantdepratiquementcollermon

nezàlavitre.—Allez…jesuiscurieux.Attends,jevaisessayerdedeviner…legenrerappeurquiécouteduhip-

hop,j’airaison?Il se met à rire comme si l’idée en elle-même était une blague. Je m’enfonce dans le siège

confortable,deplusenplusboudeuse.—Jemettraismamainaufeuquet’asjamaiseuneserait-cequ’unpetitcopain!L’entendres’esclafferensefoutantdemoimehérisse.—Biensûrquesi!jesiffleentremesdentspourmetournerbrusquementdanssadirection.

Chris ôte ses lunettes pour coincer l’une des branches entre ses dents puis m’octroie une brèveœillademoqueuse.

—Àlamaternelle?suggère-t-il,auborddufourire.—Non!Ilyadeuxans,quandj’étaisencoreaubahut.Jenesaispasquelleobscureraisonmepousseàluiavouerçapourluirabattrelecaquet…maisila

beletbienréussiàmefairesortirdemesgonds.—Unpari…sansdoute.—Connard!Iléclatedenouveauderire.—Jeplaisantais…Allezfaispaslagueule,tente-t-ildem’amadouerpourensuitemechatouillerles

côtesd’unemainalorsquel’autretientlevolant.Jem’agitefurieusementpuisluiadresseundoigtd’honneur.Ilsoupire.—Tuboudes?Jegardelenezrivéàlavitredemaportière.—Lapetitefolleauharpon…?Hé,oh!—Arrêtedem’appelercommeça,c’estchiant.J’aiunprénom,jegrogne.—Katherina…Illeprononced’unetellefaçonquelerougememonteauxjouesetjeremercielecielqu’ilnepuisse

paslevoir.—Kate,jerectifieaussitôt.—Kathe…rina.—Kate!KATE!Bonsang,t’essourd,ouquoi?Cefouturiredemecquiséduitàtourdebrassortencoredesagorgeetj’ail’impressiond’êtreune

cocotte-minuteprêteàexploser.—T’estropmarrante,surtoutquandtuesenpétard.—Distrairetamorneexistencemeravit,jelance,sarcastiqueàsouhait.—Non.(Ilsecouelatête.)Mavieestcool.Jel’aimebien.Boire,baiser,déconner.Unbontiercé.Jelèvelesyeuxauciel.—Carpediem.Ilmerenvoieuncoupd’œilperplexe:—Car…pe,quoi?Là,c’estmoiquitombedesnues.—Carpe diem.Ça veut dire, en gros, vivre au jour le jour sans se soucier du lendemain.On t’a

jamaisapprisça,àl’école?Chrisneparaîtpassevexerlemoinsdumonde.Ilsecontentedehausserlesépaulesdansungeste

fataliste,pourensuiteremettreseslunettessursonnez.—J’aimêmepasfinilecollège.Lesbouquins,toutça,c’estpastropmontruc.Jenerépondspas,monesprits’interrogesurlegenred’enfancequ’iladûavoir.Ilprendmonsilence

pouruneinvitationàs’expliquerdavantage:—J’aimais pas l’école, tu vois ?Et puis, ce que tu as besoin de savoir pour survivre dansnotre

milieu… tu ne le trouves pas dans les livres, ou auprès des profs qui ne veulent qu’une chose : desmômesentrantsagementdanslerang.Enfin…jem’enfousunpeu,deleurbordel.

Quelquechosemetouchedanssamanièredemeledire.Ilmejetteunbrefregard,puisréitèreplusieursfoisd’affilée,brusquementmalàl’aise.—Quoi?J’aidituntrucbizarre?

—Pasvraiment.Jesuismêmeplutôtd’accordavectoi.Un«vrai»sourireapparaîtsurseslèvresetilhochelatête.—Onyest!chantonne-t-ilensuite.Son appartement est gigantesque et possède tous les gadgets high tech dernier cri.De la télé à la

console…ou devrais-je dire « aux » consoles. Lorsque nos yeux se croisent, il sourit en devinant laquestionsilencieusequimedémange.

—Ilentombedeschoses,d’uncamion.—C’estfoulenombrecroissantdeconducteursmaladroits,jeréplique.Samimiques’élargitetsesyeuxgrispétillent.—T’aspasidée.Jeravaleunrireetm’agitesurplace,n’osantmêmepasmedéplacer.Jesuisdanscequiressembleà

uneimmensesalleàmangerdontlesmeublessontenvahisparunindescriptibledésordre.— Je comprendsmieux ton invitation…Ma sœur et leménage, pas franchement un de ses talents

cachés.Ilritdenouveau.—Ouais,c’estsûrquesestalentssesituentailleurs,approuve-t-il.Jesoupire.—Épargne-moilesdétails.Bon…oùest-cequejecrèche?—Dansmonlit.J’aiunblancalorsqu’unvéritablefourirelesecouedelatêteauxpieds.—Putain!Tuverraistatronche!T’estrop,j’tejure!Je lui jette un regard assassin puis pince fortement les lèvres. Lui s’essuie le coin des yeux sans

pouvoirs’empêcherdes’esclaffer toutes lesdeuxsecondes,par intermittence, jusqu’àquesonfouriredisparaisseenfinpourdebon.

—J’ysuisjamaisdansmonpieu,petitevierge.Laplupartdutemps,quandjedorsici,jesquattelecanapéparcequejesuistropbourrépourretrouvermachambresansunfoutuGPS.TanouvellepiaulejouxtecelledeMel.

Super.Leschambressontl’uneàcôtédel’autre.Vafalloirquejemetapelesbruitsécœurantsdeleurscoïts.

—D’ailleurs,elleestoù,Mel?jedemande.Chris hausse les épaules puis s’avance jusqu’à une porte qu’il pousse du pied. L’intérieur est un

véritablecapharnaümoùs’empilelingesaleetpropre–oujustelingesale–pilesdeCDsousblister.Jeregardelesmursoùsontpunaiséssansordredepréférencefemmesnuesdansdesposessuggestivesetvoituresaméricainesdesannéessoixante.

—Quelcharmantcocondouillet…,jemaugrée.—Ta franginepeut rentrerdans cinqminutes commedans cinq jours, alors tebilepas trop et vis

commetul’entends.Jehochelatête,paslemoinsdumondesurprise.—Y’ades règles? jem’enquiersenbougeantun jeannoirduboutdemaConverse,pourvoirau

moinslacouleurdusol.Ilsetourneversmoienfronçantlessourcils,justeaprèsavoirdéposémescartonssurlelitdéfaitqui

nesemblepasavoirétéréarrangédepuisdeslustres.—Commentça,des«règles»?—Couvre-feu,cegenredetruc.

Chrismefaitsignequenon,signifiantqu’iln’ariendesemblableenstock.—Drogue,alcool, sexe? j’insisteenmedisantqu’ildoitbienexisterun interdit à respecterpour

évitertoutproblèmeaveclui.Maisnon,ilcontinueàmecontemplerfixement,àlafoisamuséetperplexe.Jelèvelesbrasauciel,excédée:—Putain!Jepeuxmêmeorganiserunefichueorgiesansquecelanetedérange?!—Situm’invites,jenevoispasoùestlesouci.J’ouvrelabouche,m’apprêtantàl’invectiverdetouslesnomsd’oiseauxdemonrépertoire,quandje

remarquelalueurjoyeuseilluminantsesprunellesgrisesetmeravise:ilsefoutencoredemoi.—Jepensequejepeuxtefairelargementconfiancepoursavoircequiestbonounonpourtoi.Jene

suispastonpère,nitonfrangin.T’esunegrandefillequiamenésabarquejusqu’àprésentsansatterrirdans une maison de redressement… alors, j’dois vraiment t’inventer des foutues règles pour que turespirestranquille?

Jerougissurlechamp.Çaressembleàuncomplimentdanssaboucheetnonàuneinsulte…Superdéstabilisant.

—C’estbon, jegrommelle. Jesupposeque jepeuxpayerun loyer raisonnablesi jemechargeduménageetdelabouffe?

J’essaiedenepastroplaisserpercerl’espoirdansmonton,etsonsilencem’inciteàl’affronterunefoisdeplusduregard.Ilaencorecestupidesouriredumecquis’éclatejusteenm’écoutantdébiterdesconneries–ouplutôtcequ’ilestimeêtredesconneries.

—Jepensequeçaferal’affaire,marchéconclu.—Enréalité,t’esunmecsympa,tulecachesjustetropbien!jetenteavechumour.Sonsourires’effacedanslaseconde.—Putain,non.Nevasurtoutpasimaginerça.C’estjusteque…—…que…?—Que…, répète-t-ilmachinalement, sans savoir visiblement comment il souhaite finir sa phrase,

toutesasuperbeenvolée.Bref,tupeuxrangerlebordel,commeconvenu,ouais.Etils’enfuitsoudainementdelapiècecommesilepèreStefanluiavait,àluiaussi,suggérédepasser

parlacaseconfession.

Chris

Je ferme rapidement la porte de ma chambre, main sur la poignée, pour rester planté là durantquelquessecondes.Putain…c’est vrai, quoi. J’ai besoin d’une raisonpourmemontrer sympa? Jepeuxl’êtresij’veux,c’esttout.Toutcommejepeuxêtreungrosconsil’enviem’enprend.Voilà. Jejetteunderniercoupd’œilaubattantetréalisebrutalementqu’ilyaunemineurequivadormirdansmonlitcesoir.

Je lâche aussitôt la poignée comme si elle était devenue brûlante puis frotte machinalement mespaumes moites sur mon jean. J’ai besoin d’un verre… ou d’évacuer mon trop-plein d’énergie enbaisant.

Soudain,montéléphonesonne:c’estJo.—Tubranlesquoi,monpoulet?LevisagedeKateapparaîtsubitementdansmonesprit.BranlerKate?J’ailesneuronesquicrament

sousl’indécencedel’idée.—Hein?!Latessitureaiguëinhabituelledemaproprevoixm’écorchel’oreille,maiségalementcelledemon

potevugrognementqu’ilmesertdepuisl’autreboutdufil.—Tumatesunpornopouravoirl’airaussicoupable?semarremonfuturancienmeilleurami.Je me racle la gorge avant de lui répondre, question de ne pas avoir l’impression de muer une

secondefois.—Non…non.J’aijusteunenouvellecoloc’.—Oh?fait-il,visiblementintéressé.—LapetitesœurdeMel.—Oh.Ilsemblel’êtrebeaucoupmoins.Cequimefaitautomatiquementrire.—Ellesneseressemblentpasvraiment.—Ah?Regaind’intérêt.JonesupportepasMélanieetcetteaversionesttotalementréciproque.—Dix-septans,presquedix-huit,jelâcheensouriant.—Benmonvieux!Jeronronnepresquesouslecompliment.Jeperçoisdel’enviederrièresesmotset,évidemment,j’en

jubile.—Ouais,bahgardetesidéessalacespourtessoiréesensolitaire.Pastoucheàlagosse.C’estune…

enfin,elleest…bref,c’estpasunjoujousexuel,abruti.—Venantdetoi,j’aienviedirequec’estl’hôpitalquisefoutdelacharité.—Tropjeune.—C’estavided’apprendre,àc’teâge-là.Jesaisqu’ilnefaitqueplaisantermaissesinsinuationstrouventunpeutropéchoavecunepartiede

moi, et ce n’est pas franchement la plus sympa. Je m’assois brusquement sur le bord du canapé,étrangementnerveux.

—Arrêtetesconneries.C’estunegaminequiveuts’ensortir.J’essaiedelesermonneralorsquedansmonesprit,jerestebloquésurunéventuelposted’enseignant

avecuneélèvepotentiellementtalentueuse,surunematièreunpeuparticulière.Josefoutdésormaisnettementdemagueule:ilestmortderire.—Jenesuispasunputaindesatyreperversavecunepréférencepourleslolitas!J’ai quasiment repris mot pour mot la réplique de la petite folle au harpon et quand Jo la

reconnaîtra…Ilmecharrierajusqu’àcequemorts’ensuive.Jefrottemoncrânedemamainlibreenmedisantquemontroublevapasser,quec’esttemporaireet

quec’estjustelanouveautédelasituationquim’exciteunbrin.Lorsquela«nouveauté»enquestionémergedemapiaule,jesursautemalgrémoi.—Tuasunaspirateur?—Hein?Elleme lance un regard impatient depuis le seuil dema chambre, les bras croisés sous ses petits

seins.—Unbalai?insiste-t-elle.—Çaexisteencore,cemachin?—Tutefousdemoi?—Non.Lastupeurs’afficheaussitôtsursonvisage.—Dessacs-poubelles?—J’saispas…peut-être.Maisnemedemandepasoù.—Turigoles?—Non.Etpourinfoetpourt’éviterdegaspillertasaliveinutilement:jenesaispasnonplusoùsont

leséponges,lesproduitsménagers–siparleplusgranddeshasardsj’enai–ettoutcequiressembledeprèsoudeloinàuntrucpourrécurerlabaraque.

—Desfilmsporno,t’enas?Jemanquemecasserlagueuleducanapéenentendantcemotdanssabouche.—Oui…ouiçaj’enaiplein.Desdisquesdursentiers.Tuasunepréférencepourlethème?Jefais lemalin,maisquelquechosepulse troprapidementdansmacage thoraciqueet jeparierais

vingtbilletsquemespupillessontdilatées.Ellem’adresseunsourireironique:—Ahça…lesproduitsd’hygièneintime,t’enas!—C’estimportant,l’hygièneintime.—Jesuiscertainequetun’oubliespasde«la»brossertroisfoisparjour,ellesusurre,railleuse.—C’estparfoispasévident,maisjefaiscequejepeuxpourm’ytenir,oui.Entempsnormal,j’auraisgueulépourqu’ellemelâche.Cequejefaishabituellementaveclesnanas

quandellescommencentàmesaouleruntantinet.Maisaveclesidéespasnettesquejeviensd’avoiràcausedeJo…

Putain,Jo!Làjeréaliseavechorreurquej’étaisencoreautéléphoneavecluietqu’iln’apasdûlouperuneseule

miettedenotreéchange.J’approchedoucementleportabledemonoreille:—Jo?—Ouiii?

Cetenfoiréatoutentendu!—Jeterappelleplustard,là,jesuis…jesuisoccupé.—Ouiii,c’estcequej’aicrucomprendre,monpetitpoulet.Leslolitas,lesfilmsporno,toutça,tout

ça…çaoccupe,c’estsûr,qu’illâched’unevoixsirupeuse.Je raccrochesansmême lui répondreparceque je saisqu’il est écrouléde rire,puis jepasseune

main lassesurmonvisagecontrariépour jenesaisquelle raison.Ah, si. Jene suispasunputaindepervers.

—Jevaisallerausupermarché.C’estuneporcherietapiaule,alors,àmoinsdelaverlesdrapsaugeldouche…etd’habitude,jenesuispascontrelesystème«D»,saufquelà:pasmoyen.

—C’estquoi,unsupermarché?Katemepulvérisedesesprunellespâlesetjelèveaussitôtlesmainsenl’airenriant:—C’estbon,j’déconne!Jet’emmènesituveux.Ellefaitlamoueetjehausseunsourcil.—Ilestsiloindecheztoi?serenseigneKate.—Quellepartietupréfèresdans«supermarché»:«super»ou«marcher»?—Nombredekilomètres?—Plusdedix.Jel’observesedégonflerdefaçonvisible,etmerelèvedusofa.—LesPontiac,c’estcool,murmure-t-elle.Réflexionquimedéclencheencoreunpetitrire.C’estcomplètementdingue!Oubienjen’aijamais

pris le temps de discuter sérieusement avec lesmeufs que je baisais, et j’ai loupé des conversationspoilantes,oubiencellequisetrouveenfacedemoiestunspécimenrarecapabledemefilerdesmauxdeventre,nonpasàcausedesesjérémiadesincessantes,maisparcequejen’arrêtepasdememarrer.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, nous sommes sur le parking du supermarché enquestionetjegaremonjolibébésuruneplacemesemblantrelativementsûrequestionrisquederayure.Jelacajoleunedernièrefoisavantdepartir,sousleregardgoguenarddeKate.

—Net’inquiètepas,bébé!Paparevienttoutdesuite.—J’tepréviens:tuluiroulesunepelle…jetelaisseici.Je ne peux rien y faire, sa vanne me fait sourire. Et ce qui aggrave mon cas, c’est qu’elle est

probablement le seulêtrehumain,avecJo,àosermeparlerdecette façon.Décontractéeetcaustique,sanscraindredeseprendreunpain.

—T’esjalouse?Toiaussituveuxuncâlin?—Jenesuispasenmanqued’affectionàcepoint-là.Jelaprendsunefoisdeplusenflagrantdélit:sesjouessesontlégèrementteintéesderouge.Celutin

desboisavecsacrinièrecuivréeetsesyeuxsipâles,cegnomepourvud’unelanguetropbienpendue…estcentpourcent innocent.Onne la faitpasàunvieuxsingecommemoi : lesnanas troublées, je leshumeàdeskilomètres.

Jeprofitedufaitd’avoirmismeslunettesdesoleilpourladétailler.Elleporteencorecesweattropgrandpourelleetcejeanbaggydontlabraguettemenaceàtoutinstantdesaluerseschevilles.Aucunmecn’arriveraitàsavoiràquoisoncorpsressemble,avecunetelledégaine!

Jesecouelatêtedefrustration.Siseulementsafranginel’aidaitunpeuàs’épanouirdececôté-là…Elles’armed’unpanierenplastique tandisque je la suis, lesmainsdans lespoches. Jeposemon

regardunpeupartout,chopeuntrucauhasarddanslerayonpourlereposerplusloin,aprèsyavoirjetéuncoupd’œil.

—T’asdesallergiesalimentaires?

Saquestionmeprendaudépourvu.—Quoi?—Y’adestrucsquetunedoispasbouffer?—Jenecroispas…j’ensaisrien.—Tumangesbeaucoupoupas?Putain,maisc’estquoicetinterrogatoire?—Ben…euh,çadépend.Ellehocheplusieursfoislatête,l’airsérieux,puiscontinueàécumerlesrayonstoutenremplissant

sonpanierbleu,moisursestalons.Soudain,ellepileencoreetmedemande:—T’aimeslechocolat?Jeclignedespaupières,largué.—Ouais…enfin,j’enmangesansêtrefan.Mais…maispourquoi?Ellelèvelesyeuxaucielensigned’exaspération.—Parcequej’aimeraiscuisinerunmoelleuxauchocolat,alorsautantsavoirsituenmangesounon.Maboucheformelasyllabeavantquejenelaprononce:—Oh.C’estfranchementbizarre,commesituation.Moi,avecunefille,dansunsupermarché.Unefillequi

n’estniunmembredemabande,niunemeufquej’aibaisée.Unequasiinconnuequihabitedésormaisdansmonappartementetquimedemandesi j’aime lechocolatpourmecuisinerungâteau,au lieudem’interrogerpoursavoirsij’aiunecapotearomatiséeàcettesaveur.

Katemeregardeavecimpatienceetjereviensillicoàl’instantprésentpourcontinueràlasuivreàtraverslesrayons,sanspouvoirm’empêcherd’êtremalàl’aise.ElleesttropdifférentedeMel,çadoitêtreçaquimeperturbe.

Soudain,uneboîtededétergenttombedesonpanierquidébordeetelles’accroupitafindemieuxenorganiserlecontenupourqueplusriennes’enéchappe.Cettepositionalemalheurdedévoilersonsous-vêtement.Attention, des petites culottes, j’en ai vu passer depuis le temps, alors ilm’est difficile decomprendrepourquelleraisonunboutdecotonrosem’hypnotiseàcepoint.D’ailleurs,jenesuispasleseuletjerepèreunmiochedansmonchampdevision,quatorzeansàtoutcasser,entraindeloucherluiaussi.

—Tuveuxquejet’aide,gamin?jegronde,maisassezbaspourqu’ilsoitleseulàl’entendre.Ilsursautepourmefixer,lesyeuxarrondisdesurprise,puisesquisseunsourirenarquois.—Parcequetun’étaispas,toiaussi,entraindetedemanderquelgenredeculottec’était,p’t’être?Là,çadevientn’importequoi.Oùestpasséemonaurade tueur,si lesmarmotssemettentàme

défiersanssourciller?J’agitemonpetitdoigt.—T’asletempsdeteposercegenredequestions.Pourlemoment,laisse-lesàceuxdontlematos

estarrivéàmaturité.L’adolescentpincefortementleslèvrestandisquesesyeuxjettentdeséclairs.—Sic’étaittoiquiportaissonpanier,ellen’auraitpaseuàsebaisseretaucundenousdeuxn’aurait

cegenredequestionsentête.P’titcon!—Jamie,l’appellelafemmequil’accompagne,avecunecertaineimpatience.—J’arrivem’man,lance-t-ilavantdem’adresserunclind’œilmachiavélique.JelecontemplesedirigerversKate,incapabledebougertellementjesuisestomaquéparsonculotet

sonmanquedecrainteàmonégard. Il s’agenouille, ramasseunpaquetdebiscuits, le lui tend, tout en

arborantunresplendissantsourireaucharmeenfantin.J’enailamâchoirequisedécroche,surtoutquandelleluirendsonsourire,sansoublierdeleremercier.Denouveau,lesalemômesetourneversmoi,unelueurvictorieuseilluminantsesprunellesbrunes.

—Ça,çametrouelecul!jemurmurepourmoi-mêmeenleregardants’éloignerendirectiondesamère.

JerejoinsKateaupasdecourse,luiarrachepratiquementlepanierdesmainspourensuitesentirlepoidsdesonregardpâle,probablementahuri,surmoi.

—C’est quoi le prochain rayon ? je demande les dents serrées, fixant un point quelconque droitdevantmoi, toujours furieux dem’être fait remettre àma place par un gosse venant probablement dedécouvrirpourlapremièrefoisqu’iladuduvetautourdesabouche.

—Jepensequetupeuxdéjàterendreàlacaisse,medit-elleendétournantlevisage.—Non,çava.—Cen’estpaslapeine,j’tedis.—Etmoij’tedisquejeviens.Etsijamaislegosseperverstraîneencoredanslesparages?Pasmoyen.Onsedéfiemutuellementaumilieudeschips.Katealesmainsposéessurleshanchesetmefusillede

sesyeuxtransparents.—Jedoism’acheterdes servietteshygiéniques, crétin.Tu souhaitespeut-êtrem’aiderà choisir la

marque?Ah.Laboulette.Jemedandine,soudainpastrèssûrdel’attitudeàadopter.Fuir?Fairel’imbécile?—C’estpas…Ma main libre fait des moulinets dans les airs pendant que Kate arque un sourcil de manière

sarcastique.—C’estpas…j’peuxtrèsbienlefaire.J’aichoisidejoueraucon,forcément.—Vraiment?susurre-t-elle,mauvaisecommelapestenoire.Jegrimacetoutensecouantdoucementlatête.J’ailaterribleenviedemedéfilermaisjepeuxêtre

aussitêtuqu’unânebâté,legenredemecquirefusedeperdrelafacealorsqu’ilcrèved’enviedepartirencourant,sensopposédurayonhygièneintimedesmeufs.

—Vrai…ment,jelâchelentement.Cemotvientd’arracherlatotalitédemesorganesinternesavantd’êtreexpulséparmabouche.Kate

sembleabasourdieparmastupideobstination.Elleneparaîtpascomprendred’oùçasort,etàvraidire,moinonplus.Jamaisjen’auraispensémeretrouverunjouràchoisirsestamponsàunenanajustepoursauverlaface.

Unefoisdansleditrayon,mesdoigtssecrispentsurlapoignéedupanieretj’aienviedetoutlâcherpourmetirer.Viderunebièredanslepremierbarsurmarouteressembleraauparadisaprèscetenfer.

Maisqu’est-cequejefous,putain?!LorsqueKateseplantedevantmoiavec,justement,deuxboîtesdetampons,unegrosseetpetite,etun

sourirediaboliqueauxlèvres,jemesensdevenirtrèspâle.—Avecousansapplicateurs?m’interroge-t-elleenprenantunairinnocenttoutcequ’ilyadeplus

ironique.—Un…appli-quoi?jem’étrangle.—Unapplicateur.Enfaitçat’aideàinsérercorrectementletampon,tulemets…Jelèveunemainpourlastopperdirect.

—Jevoistrèsbienoùçasemet.Ilyadeslimitesàcequejepeuxendurer.Jeviensdetrouverlamienneaveccettefichuegamine.

L’imaginerentrainde…d’insérer…OK.Onarrêtelesfrais.—Rejoins-moiàlacaisse,jelâche,sûrementaussiblancquelecarrelagesousnospieds.Maisalorsquemesjambesm’emmènentdéjàverslasortie,jel’entendss’esclafferbruyammentdans

mon dos et je pile net, le corps tendu comme un arc. Je reviens immédiatement surmes pas pour nem’arrêter que lorsque jepeux ladominerde toutemahauteur, ne lui laissant quequelquesmisérablesmillimètresd’espaceentrenous.

Jedoisavoirl’airsacrémentfurieuxparcequ’ellehoquette,lasituationluiéchappanttotalement.Jepencheseulementlatêtealorsquelerestedemapersonnedemeuredroitetraide.Monnezfrôlepresquelesien,mesyeuxlabrûlent.Jepariequ’ellenerespirequ’unefoissurdeux.Etçameplaît.Çameplaîtmêmebeaucoup,cettetensionétouffanteélectriquequinousentoure,malgrélelieuoùnoussommes.

—Provoque-moi.—Hein?Savoixn’estplusqu’unmurmure.—Provoque-moi.Vas-y.Lamiennen’estqu’ungrondementsourd.Sesyeuxs’écarquillent,melaissantdevinerqu’ellenesait

plus quoi penser de ce retournement de situation. En réponse, sa tête esquisse lentement un « non »silencieux.

—Non?j’insisted’untonencoreplusbas.Elleréitèrelemouvement.Jemepenche encore.En réaction, elle entrouvre légèrement les lèvres, faisant basculerma fureur

telleunebalancecédantsouslasurchargedepoidsposésurunseuldesesplateaux,celuiquit’échangelemodefuraxcontrelemodestimulationsexuelle.

—Tul’insèresoù,tontruc?Dis-moi.Explique.Jesuisunmecvachementcurieuxdenature.Ses lèvresnecessentdes’ouvrirpourse fermer, sansque l’ébauched’unmotn’en franchisse leur

barrière.—Katherina…Elledétourneleregardetrougit.Jetetiens.—…n’oubliejamaisça:mêmesiondéconnebienensemble,jesuispasvraimentunmecbien.Ce

quetuviensdefaire,c’estd’atteindremalimite.Malimiteavectoi.Nepassejamaisdel’autrecôtédelaligne, parce qu’après… Il ne faudra pas venir te plaindre de ce qui pourrait… de ce qui arriveraforcément.Pigé?

Kate opine immédiatement. Elle a eu peur, je le sais, j’en suis parfaitement conscient. Elle aprobablementcruquej’allaismemontrerviolent,alorsquecequej’allaisfaireétaitvraimentd’unetoutautre nature.Néanmoins, je ne la détromperai pas, parce qu’il faut qu’elle se rentre dans la tête, unebonnefoispourtoutes,quelesmecscommemoi,çapeutserévélerdevéritablesorduresd’unesecondeàl’autre.

Katherina

Lecheminduretoursedérouledansunsilencedemort.JejetteencoreunefoisunbrefregardàladérobéeàChrisquin’apasdesserrélesdentsdepuisnotreconfrontation.

Jenesuispasunetrouillarde,loindelà,cependant…quandils’estavancéjusqu’àcequesoncorpsfrôlelemien,aveccettelueurnoiredanslesyeux,j’aipenséquemadernièreheurevenaitd’arriver.Uneimpressionnante tempête assombrissait ses prunellesmétalliques et elle paraissait vouloirm’engloutirentièrement dans ses ténèbres. J’étais complètement tétanisée face à ce qui se dégageait de lui à cetinstant–laforcebrute,lacolère,etquelquechosed’autre,d’indéfinissable.

Jevenaisdecomprendrequemesmultiplesprovocationsavaienteuraisondesapatience.Ilm’avaitpourtantavertieunnombreincalculabledefois…

Quelleconne!Cen’étaitpascommesijeneconnaissaispascegenred’énergumènes.Cettemauvaisecatégoriede

mecssoupeaulait,desbombesàretardementprêtesàexploseraumoindretitillementdel’ego.Ilsonttouslemêmetypederegardavantdetoutdévaster.

Oùavais-jelatête?Jel’observedéverrouillerlaported’entrée:ilportedeuxsacs,etmoiunseul,aveclebalaitoutneuf

dansl’autremain.Lorsque nous étions à la caisse, il a payé les achats etmêmemes fichues serviettes hygiéniques !

Parcequ’envérité, jen’utilisepasdetampons.J’aiessayédeprotester, toutefois,unseulregarddesapartasuffiàmedissuaderd’insister.

Dèsquejefranchisleseuil,jen’aiplusqu’uneidéeentête:toutnettoyeretpréparerunrepasdécentpourfaireamendehonorable.Moi-même,jen’auraispasappréciéqu’onsefouteautantdemagueule.

Ducoindel’œil,jel’observeseposersurlecanapéetdémarrerunepartied’unjeuenlignesursaconsole. Apparemment, l’objectif est de débusquer l’adversaire puis de l’éliminer. Il semblecomplètementabsorbéparsamissionvirtuelle,uncasque-microsurlesoreilles.

Jeviensàboutduphénoménaldésordreprésentdanssachambre.Jedécouvremêmeunemachineàlaver le lingedanslasalledebains,bientropneuvepouravoirdéjàservi.J’enlanceuneaprèsavoirenfournélesdrapsdansletambour,medemandantcommentilarriveàvivredansunetelleporcherie.

Je m’attaque ensuite à la cuisine, ce qui me prend deux bonnes heures, mais je peux désormaispréparer le repas. Une bonne lutte avec le four est nécessaire pour comprendre son fonctionnement.Bientôtuneagréableodeurflottedansl’airetjesouris,satisfaite.

Minederien,nousavonssautéledéjeuner,ilestpresque18heures.JepréfèreappelerJulietteavantdemejetersousladouche.Monportableenmain,jecherchesonprénomdanslerépertoireetlancelacommunication.Ellerépondàlasecondesonnerie,commed’habitude.

—Juliette?C’estmoi.—Kate?Oùes-tu?medemande-t-elle,surpriseetinquiète.—Jesuispartiedudortoir.

—Comment?!Ellesemblecomplètementaffolée.Jefermeunbrefinstantlesyeuxensoupirant.—Net’inquiètepaspourmoi,je…Non. Je ne peux pas lui annoncer avoir déménagé chez une racaille tatouée, alors j’opte pour la

versionlaplusoptimiste:—…j’habitechezMel.—Melestrevenue?Là,Julietteestcarrémentsouslechoc.—Ouietnon.Jesuistombéesurelleparhasardàmonboulot,et…jeluiaiditpour…enfin,tusais.—Qu’est-cequ’ellearépondu?Autondesavoix,jel’imaginetrèsbiencramponnéeàsontéléphoneportable.—C’est…c’estMel,aprèstout.—Jevois.Ça,j’ensuiscertaine,jesongeavecamertume.Nousconnaissonsparfaitementnotresœuraînée.Cettedernièren’ajamaisbrilléparsacompassion

ousonempathie.—Çavaaller?s’inquièteJuliette,pourimmédiatementenchaîner:Pourquoiest-cequetuespartie?

Tut’esdisputéeaveclepèreStefan?—Pasvraiment,c’estjusteque…j’aibesoindegarderlecontrôleet…ilestgentil,hein,c’pasla

question,maisvoilà,ilnemelaissepasbeaucoupdemargedemanœuvre.Maisoui,çavaaller,commetoujours.

—Ah.Bon.Jecomprends…Tantmieux,alors.Prendssoindetoi,Kate.NelaissepasMelte…Julietteneterminepassaphraseetjel’enremerciesilencieusement.Noussavonstoutesdeuxl’effet

qu’aMelsurmoncaractèredéjàpastrèsfacile.Jesuisunénormebidond’essenceetelle,uneallumettecraquée.Lerésultatdelarencontredecesdeuxélémentsestplutôtaiséàdeviner.

—Soissage.Cetterequêtedemapartestparfaitementridicule:Julietteesttoutletemps«sage».Seulement,je

détestedireaurevoir.D’ailleurs,elleenrit.—Toiaussi.Jemetsfinànotreconversation,et,lorsquejelèvelatête,mesyeuxcroisentdeuxprunellesgrises:

Chrisn’estpasdutoutàsonjeuvidéoetsembleavoirécoutémadiscussionavecJuliette.Jenesupportepassonregardintensealorsjedétournelemien,ennotantducoindel’œilqu’ilenfaitautantdesoncôté.

Jemerendsensuitedansma«nouvelle»chambre,choisisunT-shirtetunbasde joggingpropresavantdemerendreàlasalledebainsfraîchementrécuréedusolauplafondparmessoins.

Lorsquejebaisselamainpourverrouillerlaporte,jeconstateavechorreurqu’iln’yapasdeverrou,ni même un loquet…mais l’emplacement vide d’une clef aux abonnées absentes. J’appuiemon frontcontrelepandeboisdontlapeintures’écaille,grimacecommeunegossedetroisans: jevaisdevoirdemanderàChrisoùellesetrouve.

La mort dans l’âme, je retourne au salon pour me planter derrière le canapé. Mes yeux vont del’écran, où une grosse mitraillette virtuelle envoie des salves de balles, à l’arrière d’un crâne auxcheveuxtrèscourts.Jenesaispaspourquoi,maisc’estplusfortquemoi:jecontemplesanuque.Ilyaungraindebeautéaucentrequimedonnelasubiteenviedeposerledoigtdessus.Jemeraclelagorgeafindesignalermaprésence.Sanssuccès.Jeréitère,plusfort.Pasplusefficace,finalement,etjefinispartirersursoncasque:

—Youhou!

Ilsursautepuispivotevivementlehautducorpsdansmadirection,l’airsurprisetunpeucontrarié.—J’aiunproblème.Jen’aidroitqu’àunhaussementdesourcilinterrogateur.—Jevoudraisprendreunedouche.Mêmeexpressionsursonvisage,maisdésormais,unelueurpétilledanssesprunellesgrises.—Jenepeuxpasfermerlaporte,parcequelaclefadisparu.Tusaisoùellesetrouve?Tandisqu’unsourireencoindéformesabouche,ilsefrottedoucementsonmentonlégèrementombré

d’unebarbenaissante.—Pourquoifaire?—Lafermer.Laporte.Fermerlaporteaveclaclef.J’ail’étrangesentimentdeparleràunenfantdedeuxans.Trèsagaçant.—Jedisais,donc:pourquoifaire?T’aspeurquejetematependantquetutelaves?—J’aibesoind’unminimumd’intimité.Sonsourires’élargitpourdevenirunétrangerictusnemedisantrienquivaille.—Jevois.Noussouffronstousdenosbesoinsprimaires,hein?Promis,jefrapperaiavantd’entrer.J’aibesoindeplusieurssecondesavantquelesous-entendunemesauteàlafigure,etunefoismon

espritéclairé,j’ailesjouesenfeu.—Crétin!Je…jenevoulaispas…cen’estpas…jenesuispasunanimalcontrôléparses…ses

hormones!jebégaie.Cequimedonnel’airmisérablementcoupable,alorsqu’iln’yapasderaison,enplus.Jeluilance

uneœilladeassassine.—Tupètes lesplombsà caused’unemauvaiseblague sur les tampons,pour ensuite suggérerque

je…queje…!Samimique égrillarde s’efface illico au profit d’une expression gênée et il se gratte l’arrière du

crâne.—Désolépourça.Jenesaispaspourquelleraisonj’aidisjoncté.Enfait,si,maiscen’étaitpasune

bonne raison. Tu ne voulais sûrement pas me rabaisser, ou me « chercher »… juste plaisanter.Seulement…bon,voilà.Jepeuxmemontrertrèsconparfoisetc’estpasunenouveauté.

Sonexplicationbrouillonnen’enétantpasvraimentune,jedécidedepasserau-dessus.Noussommestoussusceptiblesàdiversdegrés,selonlemoment.

—Excusesacceptées.Illèvesoudainementlevisagepournouersesyeuxauxmiens.—J’espèrebien!Cen’estpastouslesjoursqueçaarrive,alorsnote-lesurtoncalendrier!J’opine,unemoueamuséesurleslèvres.—Alors?—Alors,quoi?—Cetteclef?Ceàquoiilrépondparunhaussementd’épaulessignifiantclairementqu’iln’ensaitpasdavantage

quemoisurlaquestion.Jesoupire,vaincue.— Je m’annoncerai, juré ! clame-t-il, en feignant une innocence à laquelle je ne crois pas une

seconde.—Tun’entrespasdutout,point!—Etsij’aienviedepisser?—Tuteretiens!jelanceenmarchantverslasalledebains.Il me faut moins de dixminutes pour en ressortir, une serviette enroulée autour de la tête, et me

précipiter dans la cuisine afin d’éteindre le four. Chris s’y trouve déjà, le postérieur à peine appuyécontrelereborddel’éviertandisqu’ilboitunebière.Lorsquejepassedevantlui,jel’entendsrecracherbruyamment sa boisson. Je lui accorde un rapide coup d’œil tout en sortant précautionneusement lemoelleuxauchocolat.

—Putain!Jeposedélicatementlegâteausurlatableenformica,trèsfièredesonallure.—Quoi?jedemandemachinalement,sansleregarder.—Maisputain!réitèreChris,unpeumoinsfortquelapremièrefois,néanmoins.Jemedécideàl’affronteretjesuisétonnéedelevoirarborerdesyeuxdemerlanfrit.—C’estquoileproblème?—Rien,lâche-t-ilenseretenantvisiblementdesourire.Jefroncelessourcils.—Crache lemorceau ! Sinon, tu peux faire une croix sur le repas de ce soir ! je lemenace, en

désignantlemoelleuxdel’index.Ilgrimace.Lechantageluioffreapparemmentunpénibledilemmeetilpoussefinalementunsoupirde

condamné:—Tantpis,jemourraidefaim.Sijeteledis,çan’arriveraplusjamais,murmure-t-il,sanscacher

sonsourireidiot,cettefois-ci.Ils’éloigne,brusquementpressédemettredeladistanceentrenous.Àpeinea-t-ilquittélacuisine

qu’ilréapparaîtsoudain,penchantuniquementlatêteparl’ouverture.Sonregardseposebienendessousdumien.Ilréussitàboireuneautregorgéedesabière,puissouritencorebêtementavantdeseretirerpourdebondansl’autrepièce.

Jecontemple,durantquelques secondes, l’endroitoù se trouvait sa figureà l’expressionextatique,puis jecherchesurmoicequiabienpuprovoquerune telle réaction.Lorsquemesyeuxeffleurentmapoitrine dépourvue de soutien-gorge, mon visage me brûle littéralement. La fraîcheur régnant dansl’appartementaentraînéuneréactionnormale.L’extrémitédurciedemesseinsestatrocementvisibleàtraverslefintissudemonT-shirtjaune.

—Pervers!jem’exclame,mortedehonte.Sonrirefaitéchoàmoninsulte.Vingtminutesplustard, j’aienfiléunsweatample,et,sansoserleregarderenface,jeluiannonce

que le repasestprêt ; il se lèveducanapéen s’étirantparesseusementpouraller éteindre laconsole.Soudain,sontéléphonesonne.

—Ouais?Petitsilence.—Quoi?Maintenant?Non…Chrisjetteunbrefregarddansmadirection.—J’suiscrevé,là…putain,Jo!J’tedisquejesuisnaze!Il me tourne subitement le dos pendant que je feins de ranger deux bricoles alors que je ne fais

qu’épiersaconversation.—Tusaisoùtupeuxtelacarrer,tacuriosité?gronde-t-ilàvoixbasse,commepouréviterquejene

l’entende.Silencepluslongquelapremièrefoisetfinalement,ilsoupire,excédé.—Detoutefaçontun’enferasqu’àtatête…quoi?MelestavecRonan?Non.Jeneveuxpasde

Ronanici,vousvousdémerdez…ouais,maislà,cen’estpascommed’habitude…Putain!Nemefaispaschier!Oui,jesaisquic’est,hein!C’estmapiaule,jedécidequiyentreounon!

Ilraccrochepuispivotesurlui-même,l’airsérieux:—Petitefemme?Tucroisqu’onpeutarriveràboufferenmoinsd’unquartd’heure?Petitefemme?!—Pourq…—Laissetomber.C’estjusteques’ilsvoientdelanourriturequineprovientpasd’unfast-food,ils

vontnouslajouernuéedesauterellesaffaméesdévastanttoutsurleurpassage.Etçam’emmerdequ’ilsmangentmanourriture.

Jehausseunsourcilsanspouvoirm’empêcherdesourire.—Tanourriture?Chrismelanceuneœilladeagacée.—Ouais.C’estpourmoiquet’ascuisiné,paspourleurssatanésestomacs.Là,j’éclatevraimentderire.—Onpeuttoujoursessayer!jepropose,entredeuxhoquets.Ilmedédie aussitôt unemoue carnassière et nousnousprécipitons commeun seul hommedans la

cuisine.Chrissejettesurlegratinoùj’aimélangédublancdepouletépicéaucurryavecdesmacaronis:ilneprendmêmepaslapeinedes’asseoiret,arméd’unecuillèreàsoupe,laplongedirectementdansleplat.Jelecontemple,abasourdie,endevinantqu’ildoitêtreentraindesebrûlerlalangueetlepalais.Surtoutvulafaçonqu’iladenepasavalerimmédiatementlabouchée,etdefaireentrerdel’airdanssabouche,afindelarefroidir.Celanesemblepaslerebuterpourautant,ilenchaînelescuillerées,lehautducorpspenchéau-dessusdelatable.

Puis,commes’ilavaitréaliséquejenemangeaispas,ilmelanceunregardinterrogateur:—Tun’aspasfaim?demande-t-il,entredeuxbouchées.Jesursaute.—Si…si.Tuneveuxpasuneassiette?Chris secoue négativement la tête, tout en continuant d’enfourner la nourriture à une vitesse

phénoménale.—Pasletemps,explique-t-ilsuccinctement.—C’estcequejeconstate…tuvasfinirpart’étouffer,àcerythme.Ilmefaitencoresignequenon,puism’adresseunclind’œil,unsourireencoinauxlèvres.Enfait,ilest…vraimentbeau.Cette pensée a surgi dansmon esprit sans que je nem’y attende, là, en le dévisageant alors qu’il

engloutitlegratin.Danssondébardeur,avecsestatouagessouslesquelsroulechacundesesmusclesdèsqu’ileffectuemêmeleplusinsignifiantdesmouvements.Mêmesescheveuxsombrescoupéstrèscourts,limiterasés,accentuentsoncôtésexy.

Jedoismegiflermentalementpourreveniràmoi.Netelaissepasavoir!Iln’yariendesexychezlesmauvaisgarçonsdesongenre!Cesontdes

problèmessurdeuxpattes.Lorsque jem’inclinepourmanger,nos têtes se retrouventdangereusementproches.Cetteproximité

merendbizarrementnerveuse,maisj’essaied’agircommesiderienn’était.D’abord, c’est quoi ce surnom « petite femme » ? Être la femme d’un voyou comme lui ?

Certainementpas.Chriss’arrêtebrusquement, lecouvertau-dessusduplatenPyrex,sanspourautantseredresser.Je

me doute qu’il me fixe et, à cette idée, mon estomac se resserre et je ne suis plus du tout certained’arriveràavalerlespâtesquejemâchonneconsciencieusement.

Unedrôledetensionnousenveloppetandisquej’affrontesonregard–ilmescruteréellement,sans

s’encacher.—C’esttrèsbon,commente-t-ilsubitement,d’unevoixlégèrementsourde.Jehausselesépaules,singeantunedécontractionquejesuistrèsloind’éprouver.—C’estjusteungratindepâtesaupoulet.—Peut-être,maisjetrouveçatrèsbon.Personnenecuisinepourmoi,et jenesuispasdugenreà

m’emmerderàfaireautrechosequ’ouvriruneboîtedeconserve,petitefemme.Jeplantemafourchettedansunmacaroni,leporteàmabouchesanspourautantleverlenezduplat.—C’estquoicenouveausurnom?jel’interrogeenm’efforçantdegardermonattitudecool.—Parcequet’escommeunefemmepourmoi.T’habitesici,tuasfaitleménage,labouffe,lavéle

linge…Jegrimace.—Salemacho.Jenemefarciscestâchesqu’enéchanged’unloyermodéré,j’tesignale!Maismoncœur,cetextraterrestre,s’emballecurieusementchaquefoisqu’ilutilisecesurnom.Ilapprochedavantagesonvisagedumien,etjesenssonsoufflesurmajoueainsiquesurmabouche.

Jamaisjen’auraisdûadopterlamêmepositionqueluipourmanger.—Tuasraison.Ilmanqueuntrucpourquetulesoisvraiment.Sa voix est atrocement rauque, ce qui est franchement sexy, allant jusqu’àmedonner une série de

frissonslelongdemacolonnevertébrale.—Jenecroispasavoirpostulépourcette fonction,alors jene risquepasde finirdans ton lit, je

réplique,tendue.—Turougis,mapetitefemme.Quantàmonpieu…tuvasdéjàydormircesoir.—Vatefairevoir!Cen’estpaslamêmechose!Etnon,jenerougispas!—Dis ceque tuveux,mais là, tu rougis.Tu es troublée, je le sais, termine-t-il avecune certaine

arrogance.Jeluijetteunregardassassin.—C’estlasauce:elleesttropépicée.Il s’écarte enfin, éclate de rire puism’accorde un terrible coup d’œil séducteur qui réussit àme

couperlesouffle.Putain…c’estdoncça,sonmodedragueur!Ilaunefaçondemeregarder,commes’ilétaitentraindemetoucherdepartout,commesisesyeux

étaientdevenusdesdoigtséthérés.Unsouriresuffisantdéformeleplinatureldesabouche:—Tuestroublée.Unlongsilences’instaureentrenousetjen’aipaslamoindreidéedecommentfairepourlerompre

leplusrapidementpossible.C’estluiquis’ycolleendétournantleregard:—Bon.Legâteauauchocolat,maintenant.Ques’est-ilpasséàl’instant?C’était…nousétionsentrainde…flirter?

Chris

J’aienviedel’embrasser.Jesuisincapabledem’éloignerd’elle.Jereconnaisfacilementcettedélicieusetensionélectriquequi

parcourel’aine,etc’estunputaindemauvaissigne!C’estseulementlorsquejedécryptel’expressiontroubléedesonvisagequejeparviensàmettredela

distance.Jemeconnaistropbien:jeflirteetlà,jesuisenmodechasseurquitraquesaproie.—Bon.Legâteauauchocolat,maintenant.Sijenelamatepascommeunfoutuchienaffaméreluqueunos,çavaaller.Fortdecetteidée,jemefocalisesurlecouteaupendantqu’ellecoupedespartségales.Cependant,àchacundesesgestes,sescheveux,soncorps,ousesvêtementsdégagentunparfumdoux

et féminin. J’ai les narines qui frémissent et mes pupilles ont probablement la taille d’un terrain defootball,désormais.

Quand elle lève la tête, après avoir déposé unmorceau de gâteau sur une assiette, nos regards secroisentetjeretiensillicolesien.J’acceptecequ’ellemetend,enoubliantdelalibérerdulienquenousvenonsdecréer.

Jevaisl’embrasser.Cettepenséeoccultetoutlerestedansmonesprit.Parcequ’ellesentencoremeilleurquelapâtisserie

qu’elleapréparée,parcequejedevinecequecepullinformedissimule:desseinstenantprobablementdansmes paumes. Parce que ses cheveux libres sur ses épaules paraissent soyeux, surtoutmaintenantqu’ilssontsecs,etqueleurcouleurchaudecaptetoutemonattention.

Jem’approche.Unpas.Elleenreculemachinalementd’un,sansmequitterdesyeux.Surmeslèvressedessineunsourireàlafoiscanailleet tentateur.T’esunputaind’animal !mesouffleunepartiedemoi,cellequinel’ouvrepassouvent:maconscience.

Unprédateurayantdanssonviseurunenouvelleproie,etquiselèchedéjàlesbabinesàl’idéed’engoûter la saveur. Mes yeux caressent longuement son visage jusqu’à presque pouvoir en comptermentalement chaque petite tache de rousseur. Sa mâchoire volontaire, que je voudrais mordiller, sonmenton, sabouche.Elle estnaturellement rose,une teintedélicatequ’aucun rougeà lèvresnepourraitimiter.

Parréflexe,jem’humecteleslèvresencontemplantlessiennes,telungourmetaffaméfaceàunplatqu’il désire goûter. Sous la poussée de désir physique que j’éprouve, mon corps se tend. C’estdouloureux,maisunedouleurbizarrementagréable.

Jeplongedenouveaumonregarddanslesienpourydécouvriruneémotionprochedecellequisedéversedansmesveines.Moncœursemetàbattrecommeunfou.

Lasonnetteretentit,pulvérisantsansuneoncedepitiécetteintensitéentrenous.—Jo.Jeviensdegrognerleprénomdemonami,irritédecetteinterruption.Katecligneplusieursfoisdes

paupières,commesiellepeinaitàrevenird’unrêveéveillé.

Aprèsunelongueinspiration,jesorsdelacuisinepourallerdéverrouillerlaported’entrée.M’apparaîtJodanstoutesasplendeur:complètementdéchiré.Ilporteseslunettesau-dessusdeson

frontetsesyeuxsontinjectésdesang.Ils’adosseauchambranlepuislèvesabouteilledewhiskybienentaméeenguisedesalutation:

—Oùqu’elleestLolita?chantonne-t-ildesavoixd’ivrogne.—Tutouchesuncheveudesatêteettunepourrasplusjamaispisserdebout.J’écarquillelesyeux,surprisparlamenaceetlegrondementdemaproprevoix,maismonpoteest

tropsaoulpouryprêterattention;ilmepoussed’unebourradebancale.—Ouais,ouais!marmonne-t-ilensouriantbêtement.AprèsluiapparaîtBenny,suivideErik.Jefermebrièvementlesyeux.Putain…ilssonttouslà.Jerefermelaporte,àdesannées-lumièred’êtreaussicontentqu’entempsnormal.Lorsquej’entendsunbruitsourdaccompagnéd’unriretonitruant,jesaisqueJoareconnuKatherina

ets’estprobablementvautrésouslechoc.Avecl’enthousiasmed’uncondamnéàmort,jemedirigeverslacuisine,oùmespotessetrouventdéjàaveclafermeintentiondeviderlecontenudemonfrigo.

Jem’arrêtenetsurleseuil,baisselesyeuxsurJoallongéausol,secouéderire.Quandjelesrelève,BennyalenezdanslegratinetErikmangelegâteauauchocolat.Jeterminemonévaluationdesdégâtsparlavisiondemacolocatairequialesbrascroiséssoussapoitrineetuneexpressiongoguenardesurlevisage.

—Ah !Bordel ! Jevaismourir ! pleurniche Jo, sans arriver à se remettredebout à causede sonhilarité.

Ilmetendunemainaveccertainementl’espoirquejel’aideàseredressersursespieds,maisjelarepoussed’unepichenette:

—Crève.—J’enétaissûr!dit-ilentredeuxcrises.Putain!J’enétaissûr!Jem’approchedeBennypourluiarracherleplatdesmains.Ilm’adresseunemouedigned’unchiot

s’apprêtantàhurleràlamort,etjerépliqueparunregardnoir.Bennylèvelesmainsenl’airensignedereddition.Ensuite,demesdoigtslibres,j’essaiederetirerlegâteaudesmainsd’Erikquis’yaccrochejusqu’àceque je le frappedupieddans le tibia : ila labouche tellementpleinequ’il ressembleàunhamster;ilsefrottelemembreendolori,boudeur.

—Chacal!C’estàmoi!jegrogne.Sousleursprotestations, jerangele toutdansleréfrigérateur.Quandjemeretourne,Jos’estremis

debout,maissembleplusoumoinsstable.Ilestsurtoutbeaucouptropprèsdema«petitefemme».Deuxenjambéessuffisentpourmeplacerentrelesdeux.

—Qu’est-cequ’ila?mechuchoteKate,justederrièremoi.Jecrache,mauvaiscommelapeste:—Rien. Il souffre d’une grosse déficiencementale depuis que samère l’a balancé contre lemur

quandilétaitbébé.Lesautress’étranglentderire,Jolepremier.—Espèced’enfoiré!s’écrie-t-ilavantdes’affalersurl’unedeschaises.T’asdesbières?Je leregardede traversenguised’avertissementet luiaussi, toutcommeBenny, lève lesmainsen

l’air.Ensoupirant,jeretourneaufrigoetensorsunpackdebièresmaislorsquejepivotepourrevenirsurmespas,jevoisqu’ilestdenouveausurKatherina,l’obligeantàsepressercontrel’évierpouréviterdeletoucher,etladévorantdesyeux.Jelâcheunjuronpourluioctroyerunviolentcoupdepiedaucul.Ilpousseuncridedouleurpuiss’écarteillico,enpleurantderire.

—Tulalâches,OK?jelemenaceenagitantunindexfurieuxsoussonnez.Ilsuitledoigtdesyeux,unlargesourireauxlèvres.—Tunedisaispas«toutcequiestàmoi,estàtoi»?—PasKatherina.C’estmapetitefemme!Personnen’ytouche!Ilhausseunsourcil.—T’esunrapide.Jemeraclelagorge:—C’n’estpascequetucrois.C’estmapetitefemme…maispasdecettefaçon.Jel’énonceuntonplusfortquedenécessaire,surtoutparcequejesensleregarddeKatepesersur

moi.D’ailleurs,y’apasquelesien:ilsmedévisagenttousdelamêmefaçon.Aprèsunsilenceinterminable,Bennymurmure:—C’esttropbizarre…pourquoitul’appellestafemme,alors?Jeluimontrelesdents:—Petitefemme.C’estmapetitefemme.Parcequec’estcommeçaetpuisc’esttout!Enréaction,leurstêtessetournentsimultanémentversKatequirougit.Ellehausselesépaulesd’un

airfaussementindifférent.—Justeundealdeménageetdebouffe.—Oh,s’exclament-ilsenchœur,commesicelaexpliquaittout.Lesunsaprèslesautres,ilsregagnentlesalonsousmonregardcourroucé.

Katherina

Jem’éclipsediscrètementdans«ma»chambreafindemepréparerpourpostuleràmontroisièmeemploi…Jesaisquecelavamemangerunquartsupplémentairedemescours,maiscen’estpascommesij’avaislechoix.

Serveusedansunrestaurantetmaintenantdansuneboîtedenuit.Jecontemple,légèrementdéprimée,lecoindelapenderiequej’occupeetmesvêtementsabsolument

pasadaptésàcegenredemilieu,avantdemarmonner:—Jevaisdevoirpiocherdansl’armoiredeMel.Cettesolutionnem’enchanteguère,maisai-jelechoix?Lorsquej’ouvrelaporte,jesuisaccueilliepardesrires:Chrisetsespotesjouentàlaconsoleense

marrant comme des baleines. Je secoue la tête. De vrais gamins. Sans qu’ils ne s’aperçoivent demaprésence,jepénètreencatiminidanslachambredemasœur.

J’ydégotteunpantalonensimilicuir, legenremoulant,assezbrillantpourmefilerlanausée.Monmoral descend encore d’un cran.QuestionT-shirt, étant donné la différencede poitrine, jemanquedejeterl’éponge.Seuluntopdosnulaméormeva.

—Danscettetenue,fous-moisurletrottoiretjemefondsillicodanslepaysage!Celam’énerveparcequebosserlà-basvamerapporterénormémentd’argent,bienplusquemesdeux

autresboulotsréunis.Jeretournedansmachambrepourmechangeretenfileaussitôtunénormesweatpar-dessuslehautmicroscopique.

Sur la pointe des pieds, j’investis ensuite la salle de bains.Mel a eu la bonne idée de laisser dumaquillagetraînerunpeudepartout,autantqu’ilservepourlabonnecause.

—Bravefille!jesouffleenprenantunfardàpaupièresnoir.Voilàbienlaseulechosequejesaisréalisersanstropmerater:lefameuxregardcharbonneux.Cela

mepermetdefairel’impassesurlerougeàlèvrespourmecontenterd’unpeudebaumeprotecteur.Riendetelpourlesassoupliretéviterderessembleràunzombiedéshydraté.

Jem’ingénieà raidirmacrinièreà l’aidedusèche-cheveuxetd’unegrossebrosse ronde–encoremerci,Mel–puisobservemonrefletdanslemiroirébréchéd’unœilcritique.

Çame change, c’est évident. Par contre, je ne saurais dire si ça vaut le coup. Je rabats illico lacapuche sur ma tête : je ne veux absolument pas que les garçons éméchés dans le salon notent lechangement…surtoutChris,enréalité.Jenesuispasd’humeuràessuyersescommentairescorrosifsàproposdematenue.

Monsacàdossurl’épaule,jetracerapidementjusqu’àlaported’entréeetunefoisjustedevant,jelâcheenmarmonnant:

—Jevaisàmonentretiend’embauche.Jen’ailetempsquedeposerlesdoigtssurlebattantqued’autresm’enserrentlebras.Jegrimacetout

enfermantbrièvementlesyeux.—Minute,papillon.

Chris.—C’estquoi,cepantalon?enchaîne-t-il.Jemeraclelagorge,sanspourautantl’affronterdirectement.—C’estpourmonjob…Jenesaispaspourquoimavoixs’estsentieobligéedemonterdanslesaigus,maismaphrasesonne

pluscommeunequestionqu’uneaffirmation,ducoup.—Quelgenredejobréclamequetuportesce…cette…cetruc!s’étrangle-t-il,toujourspostédans

mondos.Jepousseunsoupir,vaincue,puismetourne.Nosregardsseriventimmédiatementl’unàl’autreetle

siens’écarquilleenremarquantmonmaquillage.Sesprunellesgrisesprennentunecurieuseteintesombretandis qu’elles descendent en essayant de traverser le tissu de mon pull. Finalement, elles remontents’accrocherauxmiennes.

—C’estuntravaildeserveuse,jetented’expliquer.—Enlèvetonsweat.Iln’estpasfranchementcoordonnéaveccemachinquitemouledepartout.Tu

cachesquoiendessous?Il semble soudainement avoir une espèce d’illumination,me saisit lamain et grommelle entre ses

dents:—Non.Attends,j’aitroppeurdecequ’ilspourraientvoir…Onvadanslachambre.Unefoisqu’ilarefermélaporte,ils’yadossepourcroiserlesbrassursontorse,l’airfurieux.—Lesweat,merappelle-t-il.J’imitesaposture.—Non.Tun’esnimonpère,nimonfrère.Jem’habillecommecelamechante.—Jesuistonpetitmari.L’entendreprononcercettephraseavecunetelleassurancemehérisse.—Chris!Tun’espasmon«mari»!Etjenesuispasta«petitefemme»!Arrêteavecça!T’esmon

colocataire…monproprio,ouassimilé,maisc’esttout!C’estcarrémentmalsaintondélire,là!Il secoue lentement la tête et à la lueur taquinequi habite désormais ses yeux, je comprends qu’il

prendplaisiràmerendrefolle.—Aucunmariagen’estparfait,mapetitefemme.Jelèvelesbrasauciel,excédée.—T’escomplètementfou,maparole!—Lesweat,tul’enlèvesseuleoutuveuxquejetedonneuncoupdemain?Jeluilanceunregardmeurtrier:—Essaieunpeu,pourvoir.Ilhausseunsourcil.—Tucroisquetupourraism’enempêcher?—Tentedonc,onseravitefixés.—T’escombiendanstonpantalonencuir?Tuasmistonfusilharpondanstonsoutif’?—Salecon!C’estpourleboulot!C’estdéjàassezhumiliantdedevoirporterça,alors,s’ilteplaît,

n’enrajoutepasunecouche!—Jenetelaisseraipassortirsansavoirvu.Je serre les poings puis posemes doigts sur ma capuche et lâche un petit cri frustré. Nous nous

défionsduregardpendantquelquessecondesmaisjefinisparcapituler,d’unecertainemanière:—Sijetemontre,tumelaissesalleràmonentretien?Ilouvrelabouchepuislareferme.Endéfinitive,illâche:

—Montre-moiça,d’abord.—Christopher!—Katherina!mesinge-t-il,undemi-sourireauxlèvres.Avecdesgestes rageurs, j’ôtemonpullpour le jeterenboulesur le litet l’affrontedenouveau,à

deuxdoigtsd’exploser.L’expressionqu’ilaffichedissoutdanslasecondemacolère:ilalamâchoirequisedécroche,unemimiquesimilaireàcelled’unpoissonhorsdesonbocal,cherchantdésespérémentdel’oxygène.Jerougisfaceàunetelleréaction,indubitablementadmirative.

—Putaindebordeldemerde!souffle-t-il,toutendépliantdoucementlesbras.Ilm’ordonned’unmouvementdel’indexdetournersurmoi-même.J’obtempèredemauvaisegrâce.

Quandildécouvremondosnu,ilpousseuneespècedecrirauque.—Petitefemme,turêvessitucroisquejevaistelaissersortiràcetteheuredanscettetenue.Ilneva

pasfalloirtroisminutespourquetut’attiresdesérieuxproblèmesetadiostaprécieusevirginité.Jerécupèremonpull,l’agiteafindeluifairecomprendrequejenesuispasassezdébilepourcourir

lesruesetlemétrosans.—Tonpantalonàluiseulestunchiffonrougepourn’importequelmâlenormalementconstitué.Là,ilpointesonpouceversl’arrière,désignantlaportedelachambreetlesalonderrière.—Lesgarsavaientlesyeuxquileursortaientdelatêtemêmeavectonsweat.J’esquisseunemoueàlafoismoqueuseetdubitative.—Ilneleurenfautpasbeaucoup.Chrismeretourneunregardahuri:—Disdonc, tu t’esmatéedansunmiroir, récemment?Jeveuxdire,sansunjeanoùmêmemoi je

peuxentrerdeuxfoisdedans?Lesmecssont(ilsereprend)noussommesdesputainsd’animauxquandils’agitdecul.

Jerougisfranchement,cettefois.—Arrêtetesconneries,jebougonneendétournantlesyeux.Ilgardelesilencependantquelquessecondes,puisprendunelongueetbruyanteinspiration:—OK. Jeneveuxpas t’empêcherdegagnerdublé,mais là, jevais t’accompagner à ton tafpuis

t’attendresurleparking.Situobtiensleboulot,jejouerailepluspossibleauchauffeur.Jesuispriseaudépourvuparsapropositionetceladoitsevoir.Illèvelesyeuxauciel.—Tumerembourserasl’essence,situveux.C’estmieux?—Jenesaispas…tabagnoleestdugenreàconsommerbeaucoup.J’ai répondu machinalement, l’esprit ailleurs, et ne refixe mon attention sur lui qu’en l’entendant

éclaterd’unrirefranc.Ils’accroupitpourpressersespoingscontreseslèvres,leregardbrillantd’humour,etnelesbaisse,

coudesappuyéssursescuisses,quepourdemander:—Tuneveuxpasencorefaireuntoursurtoi-même?Jerépliqueparunmajeurfièrementdressé.QuandChrisaannoncéàsespotesqu’ilm’accompagnait,ilssesonttouslevésenmêmetemps,avec

unlargesourire:pasdedoute,ilsavaiententenduunebonnepartiedenotreconversationetmouraientdésormaisdecuriosité.

Ilsonttousgrimpédanslavoituredeceluiquis’appelleJo,melaissantseulepassagèredanscelledeChris.Jetrouvequesonblousonencuirdetypeperfecto,celuiavecunetêtedemorttatouéesurlecuirdansledos,renforcesonauradevoyou.

—C’estquelleboîte?

—LePandémonium.Ilafreinésibrutalementenentendantcenomquej’imagineaisémentJol’insultercopieusementdans

levéhiculederrière.Chrissetourneversmoi:—Tutefousdemoi?éructe-t-il.—Non.Après avoirmanipulé le levier de vitesse, il glisse unemain sur le dossier demon siège, la tête

tournée,etentameunemarchearrière.—Mais…qu’est-cequetufabriques?!jem’exclame,abasourdie.—Pasquestionquetubosseslà-bas.Jeconnaisl’endroitparcequec’estnotrerepère,etiln’yaque

dessalaudsenrut.Jeluidonneuncoupdanslescôtes.—Merde!Chris!J’aibesoindecejob!Arrêtedejoueraupapapoule,sinonjedéménagedechez

toi!Ilmejetteunregardglacial.—Uneviergelà-bas…non,maisc’estcriminel.—Quitedisquejesuisvierge,d’abord!Chrisfreinedenouveau,ettoutaussibrusquementquelapremièrefois.C’estsûr,Jovapéterlesplombs.—C’estcommesitul’avaisécritennéonlumineuxsurlefront!rugit-il.JedétachemaceintureetsorsrapidementdelaPontiac.S’ilneveutpasm’yemmener,j’iraiàpied.J’entendsnettementuneportièreclaquer,puisplusieursautres.Probablementsespotesquiviennent

auxnouvelles.—Katherina!Ilacriémonprénomsifortquejesuiscertainequ’iladûsefairemalauxcordesvocales;jepile

puismetournedanssadirection.Chrisfonceversmoiàgrandesenjambées,l’airfurieux.—Tunepeuxpasbosser,là-bas,espèced’inconsciente!—Destaréspervers,y’enapartout!—Ouais,maisaumoins,ailleurs,jenelesverraipasessayerdetetripotersansarrêt!beugle-t-ilen

levantlesmains.C’étaitdoncça…Jeresteunlongmomentinterdite,àlecontempler.Aprèsuneprofondeinspirationdurantlaquelleje

comptejusqu’àcinq,jem’adresseàluid’unevoixcalme:—Chris…onneseconnaîtpasassezpourquecelajustifieunetellepossessivitédetapart.C’est

n’importequoi,tut’enrendscompte,aumoins?Malgrélapénombredelaroutedéserteoùnoussommes,jeparviensànotersapâleursubite.—C’estpasça…j’ail’impressionquelaisseruneviergelà-bas,c’estcommelâcherunchatondans

unchenilremplidemolossesteigneux.Ilbredouillepuisfrottemachinalementsescheveuxcourtsd’unemaintremblante.—Maistuasraison,admet-il.Jen’aipasàmemêlerdetesaffaires.Jesuisdésolé.Jenesaispasce

qui me prend… Vraiment, d’habitude, je m’en fous des chatons. Peut-être que c’est parce que turessemblesàDavid,d’unecertainemanière…ouais,c’estprobablementça.

—QuiestDavid?Chrissursautepuiscligneplusieursfoisdespaupières,commehébété.—Hein?fait-ild’unevoixincertaine.

—Y’aunproblème?C’estJo.SesyeuxnaviguentdeChrisàmoi.—KatevatravaillerauPandémonium,l’informesonamienluiaccordantunbrefregard.—Oh.D’accord…jecomprendsmieux.Johochelentementlatête.—Y’aquedessalaudsenrut,ajoute-t-il,commesicelaexpliquaitsaréaction.Sonamiluitapotegentimentl’épauletoutenesquissantunemoueamusée:—Tuenfaispartie,j’tesignale.Chris réplique par une œillade assassine à son encontre. Ce à quoi Jo rit franchement avant de

retournerverssonproprevéhicule,prèsduquelattendentsagementBennyetErik.Quantàmoi,j’observemonchauffeurmarcherdelongenlarge,sansbutprécis,commes’iltentaitde

secalmeravantdereprendrelevolant.Jen’aipaslamoindreidéedequiestceDavidetjemettraismesdeuxmains à couper qu’il a lâché l’information sans réellement le vouloir, alors je décide de ne pasinsister:cenesontpasmesoignons.

—Çavamieux?Ils’arrête,m’adresseunrapidecoupd’œilavantdenemeprésenterquesondosdécorédelatêtede

mort.Cettedernièremefixedesonsouriregrimaçantdontlesdentstiennentunesortedesabre.—Ouais.Vadanslavoiture…Laisse-moiuneminute.J’obtempèreet,unefoisassisesurmonsiège,jebouclemaceinturedesécurité.Ilsetientlatête,la

secoueplusieursfoiscommepourenchasserlespensées,puisrevients’installerderrièrelevolant.Nousn’échangeonspasunmotdurantletrajet;niaprèss’êtregarésurleparkingduPandémonium.

Undiableennéonnousaccueilleau-dessusdel’entrée.Jedoisavouerqu’ilannoncelacouleur.Je soupire, retire mon sweat et sors de la Pontiac. Lorsque j’affronte le froid mordant extérieur,

j’étouffeunjuron.Dessifflementsenthousiastesattirentmonattention.Benny,EriketJo,évidemment.Monregardglisse

versChrisquineditrien.Ilsecontentedemefixer,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesonjean.Commece sont des habitués, ils s’avancent les premiers vers l’entrée et on les laisse passer sans

mêmelesintercepter.J’aidroitàunebrèveévaluationappréciatricedelapartduvideur…àlaquellejerépondsd’unsourirepoli,justeaucasoùildeviendraituncollèguedetravail.

L’endroit est enfumé, rempli d’hommes, mais aussi de femmes, à la même allure que Chris et sabande.D’ailleurs,ilsensaluentvirilementplusieursspécimensdontcertainsontunelongueurdebarbesinversementproportionnelleàcelledeleurscrânesrasés.

Une blonde au short presque invisible et au top ultra-échancré se jette au cou de Chris pourl’embrassergoulûment.Cedernieracceptelebaisercommesic’étaitabsolumentnormal,maismejetteun regard vif juste après. Jeme suis concentrée à garder un air indifférent, maismon cœur se pinceétrangement dansmapoitrine.Ce qui est idiot. J’en conclus quemonorgane cardiaque est un sombrecrétin.

— Sybil ne peut pas s’empêcher de le tripoter dès qu’elle le voit… c’est vraiment pathétique,s’amuseunevoixfémininederrièremoi.

Jemeretourneaussitôt,pouréprouverunchocintenseendécouvrantlafemmequivientdeparler:elle ressembleénormémentàChris,mêmequestion tatouages,bienenévidencegrâceà sondébardeurnoir.Jeluidonneplusdetrenteansàcausedespattesd’oieauxcoinsdesesyeuxqu’elleplisseenmesouriant. Sa longue chevelure brune est nouée en une longue tresse lui tombant sur la poitrine. C’estvraimentunebellefemme.Soudain,ellemetendunemain:

—Salut,jesuisPatriciaFarwink.Lamèredeceplay-boyjouantauxgrosdurs…tupeuxm’appeler

Pat.Je lui serre gentiment la main en retour, l’œil écarquillé d’étonnement car Chris ne m’avait pas

prévenuquesamèreseraitlà.Jemereprendspuissouris:—KatherinaBell.Maisvouspouvezm’appelerKate.Jesuisicipourlepostedeserveuse.Elleopinesanssedépartirdesonagréableairchaleureux.—Enchantée,Kate.Àlamanièredontmonfilssetordlecoupournousregarder,j’imaginequeluiet

toi,vousvousconnaissez?J’ébaucheunegrimaceamusée.—Oui.C’estmonlogeur…Ilm’héberge le tempsque jegagneassezd’argentpourmeprendreun

appartementdécent.Lasurpriseécarquillemomentanémentlesyeuxgrisdemoninterlocutrice.—EnplusdeMel?Jemeraclelagorge:—JesuislasœurdeMélanie…enfait.—Ouaismaisc’estlejouretlanuit,lesdeuxfrangines,intervientChrisdontjedevinelaprésence

derrièremoi.Katherinasaittenirunemaisonetm’apréparéunchouetterepascesoir.Je note immédiatement que lamère deChris se détendpour de nouveaum’offrir cemême sourire

chaleureuxqu’arboreparfoissonrejeton.Tantderessemblancemetrouble.—Elles’estoccupéedesamèremaladeetdesapetitesœur.Envrai,lejobauPandémonium,c’est

sonsecondboulot,insisteChris.J’ail’étrangesentimentqu’ilchercheàconvaincresamèrequejesuisquelqu’undebien.Latentative

estsiflagrantequ’ellesembles’enamuser:—J’aicompris,Chris.Cen’estpasMel.—Ouais,confirme-t-il,dusoulagementdanslavoix.—Bon,tevoilàembauchée,KateBell.Monexpressiondoitparlerpourmoi,parcequePathochelentementlatêtepourconfirmercedontje

medoutedéjà:—JesuislabossduPandémonium.Chrisseposteàmescôtés.—Prendssoindemapetitefemme,Paty.«Paty»?Jenepeuxpasm’empêcherdeluijeterunregardenbiais,étonnéequ’ill’appelleparsonprénom.—Je l’ai eu très jeune,m’explique-t-elle.Lesgensnousprenaient davantagepour un frère et une

sœurquepourunemèreetsonfils…alors,ilfaitsontimideenpublic.(Puisellesetourneverslui.)Ta«petitefemme»?

Je rougis,mal à l’aise. Du coin de l’œil, je vois Chris ouvrir et fermer la bouche plusieurs foisd’affiléesansparveniràluipondreuneexplicationquitiennelaroute.

—D’accord…,ritPaty.J’imaginequec’esttafaçond’êtreaffectueuxavecelle.—Jenesuisaffectueuxavecpersonne,grommellesonfils,provoquantunnouveléclatderirechezsa

mère.Elleplongesonregarddanslemien,unbrinplussérieux:—Tupeuxcommencerquand?Demain,celateconvient?J’acquiesce.Patyposesurmonépaulesamainfine,abîméepardenombreusesheuresàrécurer,etla

tapote.—Bienvenue auPandémonium, sourit-elle en m’adressant un clin d’œil. Servez-vous une bière,

c’estmatournée.Surce,elleretourneofficierderrièrel’immensebarenformedehuit.Soudain,lamusiquedevientplusforteetlesclientscrientleurjoieàgrandrenfortdesifflements.—Dès 22 heures, le son tourne à fond, m’explique Chris, les yeux rivés à la piste de danse se

remplissantrapidement.—Merci,dis-jeenlefixant.Iltournelatêteversmoi.—Pourquoi?—Pourm’avoiraidéeàobtenircetemploi.Jenesuispasstupide…Jesaisquecequetuasditsur

moim’aaidéeàl’avoir,alorsquetun’étaispastrèschaudpourquejebosseici.Chrisnerépondpastoutdesuite,secontentantdegardersonregardplongédanslemien.—Derien,murmure-t-ilaprèsuncourtsilence.Tuveuxboirequelquechose?—Unebière.—Tuesencoremineure,metaquine-t-il.—Mercidetairecetteinformationafinquejenesoispaslicenciéeavantmêmedecommencer.Ilsourit.—Unebière,alors…Jel’observesedirigerverslebartoutenessayantdemedétendre,jusqu’àcequ’unbrasentouremes

épaulesetqu’unehaleineempestantl’alcoolmecaresselevisage:untypeauxcheveuxblondfilassemescrutedesesyeuxdélavés.

—S’lut,jolicul.Quelleentréeenmatière.Lagrande,classe,quoi.—Pourriez-vousôtervotremain,s’ilvousplaît?Nousnesommespasencoreassezintimespourque

jevouslaissepénétrerdansmonespacevitaldecettefaçon.J’ai usé de mon inflexion sarcastique la plus glaciale, tout en le fusillant des yeux. Il y semble

complètement hermétique, probablement trop saoul pour voir autre chose quemes fesses. Puis, en unclignementdepaupières, unemain agrippe l’intruspar le colpour l’envoyervaldinguer surune table,heureusementvide.

Chris.La rage déforme tellement ses traits que c’en est effrayant. Je ne lui avais jamais vu un telregarddepuisnotrerencontre,mêmedanssesrécentsmomentsdecolère.

Ilnelaissepasunechanceàl’autredeseremettresursespieds.Ilvientcarrémentlechercherpourlesaisir brutalement par les cheveux et là, jeme fige complètement : il lui frappeviolemment le visagecontrelatable.Jomebousculepourtenterdeletirerenarrière,sanssuccès.Leplusterribledanstoutçaestqu’ilneditrien.Pasunmot,pasuneinsultenesortdesabouche;ilsesatisfaitdecognerlatêtedutype sur la surface dure en bois.Mes yeuxhorrifiés sont hypnotisés par le sangqui s’échappedunezcassédublond.

—Chris!hurlesamèreenseprécipitant,maisJolastoppedanssonélan.Lafoulecommenceàs’amasserautourdenousetuneespèced’électrochocm’extraitdematranse,je

merueàmontourverslui.Ilvaletuer…ilvavraimentletuer!Cettepenséenecessedetournerdansmonesprit,et,enfaisantattentionàmeplacerclairementdans

sonchampdevision,jel’appelledoucement:—Christopher.J’aisuivimoninstinct.Quelquechoseaufonddemoiquim’assurequ’ilnemeferaitjamaisdemal.

Une certitude stupide.Malgré lamusique, il semblem’entendre car il arrête de fracasser le crâne du

pauvrebougreéméché,totalementinconscientàprésent.Sesprunellesgrisessonthabitéesparunesorted’absencefurieuse.

—Katherina?murmure-t-ilenfronçantlessourcils.Ilyadeséclaboussuresdesangsursonvisage,maiscen’estpaslesien.—Tulelâches?jesuggère,encoreaveccalmeetdouceur.Chris sursaute, regarde la tête ensanglantée du mec et le libère pour se relever tout en frottant

énergiquementlesmainssursonjean.Cequimaculeillicolevêtement.Ilmejetteuncoupd’œilnerveux:—J’croisque…j’croisquej’aidéconné,là,non?Jenesaispasquoirépondrealorsjesuppliemoncerveaudetrouveruneidée.—Viens,jevaistenettoyerlevisage.Jevoisdeuxgrandscostaudsseprécipiterpourembarquersavictime,toujoursdanslesvapes,donc

maprioritéresteChris.Jepasseunbrasautourdesatailleetilmeserreinstinctivementcontrelui.Samèrem’adresseunlongregardpleindereconnaissanceauqueljerépondsparunfaiblesourire,souslechoc.

Jonousconduitversunesalleàl’écartdubaretdelapistededanse,oùs’empilentdescartons.Ilyaégalementunlitdecamp,unetable,deschaisesdépareillées,unecafetièreetunfrigo.

J’obligeChrisàs’asseoirsurlefinmatelas,ilselaissefairesansprononcerunmot,commeperdudanssespensées,commes’iln’étaitpastoutàfait«revenu»desacrisederage.

—Jevouslaisse,jevaisaiderPatànettoyerlesdégâts.—OKMaisaumomentoùJos’apprêteàfranchirleseuil,jeleretiens:—Ilnerisquepasde…?enfin,lesflicspourraient…Johochelatête,comprenantoùjedésireenvenir,puismedédieunsourirecynique.—Non.Lesgarsd’icinevontjamaischezlespouletsporterplainte……parcequ’ilsonttousuncasierjudiciaire,jeterminementalementàsaplace.Nouséchangeonsunregardentenduavantqu’ilnesortedéfinitivementdelasalle.Ilnemefautque

quelques secondespour découvrir unepile de serviettes propres. J’en trempeune sous le jet audébitchaotiquedurobinet.Cettetâcheeffectuée,jemerapprochedeChrispourlenettoyer.

—Tudevraispeut-êtrefaireuntestHIV…onnesaitjamais.Mavoixn’estqu’unmurmure.Jedébitelesmotscommeilsmeviennent.L’abominableimagedela

tête de ce mec me hante encore. Je sens les yeux de Chris sur moi alors que je m’affaire, et évitesoigneusementdelescroiser.Mesdoigtstremblent.Trèsagaçant.

—Tuaspeurdemoi,maintenant?Ilaposélaquestiond’unevoixenrouéequimeserrel’estomac.J’entreprendsd’essuyersoncou.—Jedevrais?Jeremercieaussitôtlecield’avoirréussiàparlerd’untoncalme.—Non.Jenefrapperaisjamaisunefemme.Jelecrois.Quelquechosedanssamanièredeledire,oudemefixeravecuneintensitéfranche.N’empêche,ilestaussiimprévisibleetsanguinairequ’«eux»,aufinal.Mêmesiquelquepart,ils

sontdifférents, ilyadesréactionssimilaires.JenedoispasmelaisserattendrirparChris.Jedoisabsolumentgarderentêtecequ’ilest,àquiilressemble,«qui»ilmerappelle.

—Bien.J’oseenfinliermonregardausien.Iln’yaplusaucunetracedefureurdanssesprunellesgrises.Il

paraîtmêmeplutôtpaisible.Lentement,illèveunemainpoursaisirlalanièredemonhaut,cellequise

trouveautourdemoncou, et tireunpeudessusavecune trèsgrandedélicatesse. Jehausseun sourcilinterrogateur,ilyrépondparunsourireencoin:

— La vue est super agréable, surtout quand tu te penches avec ce genre de fringues sur le dos.Cependant,jenecroispasquecesoitunebonneidéedem’agiteruntelpanoramasouslenez.

Jemeredresseaussitôtenmeraclantlagorge.Ilritdoucementdemaréaction.—C’estquandtessoirsdeservice?medemande-t-ilbrusquement.—L’annonceparlaitdumardietdumercredi,maiségalementdesweek-ends.Ilpousseungrognementirrité.—Jepeuxéviterdevenirlasemaine,maisleweek-end…çavaêtrechaud.—Pourquoiveux-tu…Néanmoins,jenefinispasmaphrase.Lalumièrevientd’éblouirmamatièregrise:c’étaitl’unedes

raisonspourlaquelleilnesouhaitaitpasquejebosseauPandémonium.—Siyaencoreuntypesaoulquichercheàtetripoter,jepensequejevaislemassacrer.—Maispourquoi?Qu’est-cequecelaàavoiravectoi?Jenesuispastacopine.Chrissefigepuisillâcheunrireamer.—C’estvrai,opine-t-il.C’estabsolumentvrai.Tun’espasmanana,ethabituellementjenesuispas

unmecjaloux.Jenecomprendspasbienmoi-mêmemespropresréactions,alorsjevaisavoirunpeudemalàtelesexpliquer.

Unétrangesilences’instaureentrenous.Finalement,c’estluiquisechargedelebriser:—Pourquoitoietpasuneautre?J’ignore s’il pose laquestion seulementpour lui-même,ou si je suis censée lui répondre.Dans le

doute,j’optepourcreuserlesujet:—Tume…désires?Untrucdanslegenre?jesuggèreprudemment.Jem’attends à ce qu’il semarre,mais non, il se contente de tourner le visage dansma direction,

visiblementsurpris.—Oui…enfin, je te trouve très…tumefais rire.Tuessûrement laseulenana«bien»que j’aie

rencontréeaprèsmamère.Tuosesmetenirtête.Bref…Etpuis,tues…jolie.Lederniermots’étrangledanssagorge,cequimefaitsouriremalgrémoi.—C’estsûrementl’aspect«nouveauté»quit’attire.Ilsegrattepensivementlementontoutenmedétaillant,pourensuites’esclaffer:—Ouais,bon,maispasque…Jefroncelessourcils.—«Pasque»?Ilagiteunemaindanslesairs.—Tesseins.—Hein?!Chrishausselesépaules.—Tesseinsm’excitent.Jepensequeçaparticipegrandementaufaitquejesoisattirépartoi.Etpuis

aussi ton c… tes fesses. Il cache rien, là, ton pantalon.Tes cheveux, aussi.Tonodeur.Tes yeux…ahouais,tesyeux.Wouah!Chaquefoisquetumeregardes,j’ail’impressionqu’onme…

—C’estbon!Tais-toi!jem’écrie,lecœurbattantlachamade.J’ail’impressiond’avoircouruuncentmètresenmoinsdecinqsecondes.Jesuissûrequ’ilneserendmêmepascomptedecequ’ilestentraindedire.—J’aicomprisleconcept,jelâched’unevoixhachée.Cette fois-ci, il éclate véritablement de rire, la tête penchée vers l’arrière. Lorsqu’il s’est un peu

calmé,ilsefrottelespaupièresduboutdesdoigts.—Autantêtrefranc,hein.Jenevaispastedirequetunem’excitespas,alorsquec’estfaux.Maisce

n’estpaspourçaquejevaismejetersurtoi.T’espaslegenredemeufquejepourraijustebaiseravantdel’oublierdansl’heurequisuit.T’es…t’estropjeune.

Là,ilmedédieunlargesourire:—Pourlesexe,onverraçadansdeuxsemaines,lorsquetuserasmajeure.Je lui jette la serviette encorehumidedans la figure ; il la laisseglisser sur lui pour la retirer au

derniermoment,leregardpétillant.—Crétin!

Deuxsemainesplustard

Jen’aipasvraimentvupassercettedernièrequinzainedejours,quinzaineoùj’aimis,l’airderien,Chris à l’essai suite ànotrepremière journéedecolocationassez traumatisante.Tout estpassé siviteentrelesquelquescoursquej’airéussiàsuivresansm’endormir,lesvisitesquej’airenduesàJulietteetmesdeuxemplois.J’aimêmetrèspeuvumoncolocataire;jen’aifaitquelecroisertantnoshorairesnesecorrespondentpas.J’aigardéentêtemesobligationsenverslui,donclamaisonestrestéerelativementpropreetdesrepasl’attendenttoujourssurlatable,mêmesijesuisabsentelorsqu’ildîne.Lelendemainmatin,retrouverdesplatsoùiln’enrestepasunemiettemefaitparfoissourirebêtementavantquejenemereprenne.

Mel est revenue deux jours durant ces deux dernières semaines. Ellem’a tout simplement ignoréemaisjel’aientendusedisputeravecChris.Commentlouperleurconversationquasimenthurléedeboutenbout?Impossible,maisj’étaistropcrevéepourmeleverdulitetleurordonnerdelaboucler.J’avoueavoirsouricommeuneidiotelorsquemasœur,horsd’elle,luiademandédechoisirentreelleetmoietqu’illuiarépliqué:

—Tuessérieuse,Mel?Attends,choisirentretoiquipaiestapartdeloyertouslestrente-sixdumoisettasœurquinettoielapiaule,mefaitàbouffer…putain,queldilemme!

Alorsmafrangineagueulé:—Tulevoiscelui-là?Ben,tupeuxluifaireunecroixdessus!J’aidevinéceàquoiellefaisaitréférenceenécoutantlaréponseironiquedeChris:—C’estpasvraimentunargument,chérie.Sonculn’arienàenvierautien,alorsquitteàmater,je

préfèreceluiquin’ajamaisessuyéunebanquettearrière.Suiteàça,elleapousséuntelhurlementquelesvoisinsontdûfrôlerlacrisecardiaque.Pourfinir

l’affrontementenbeauté,laporteaviolemmentclaqué.

Chris

Deuxsemainesqu’onnefaitquesecroiser…Elledoitêtresacrémentcrevée.J’ouvredoucementlaportedesachambre:jeveuxjustejeteruncoupd’œilpourvérifierqu’elleva

bien.Jeretiensstupidementmarespirationaumomentd’entrer.J’avanceàpasfeutrésjusqu’aulitoùjela

découvreencoredanssonuniformedurestaurant,cequimefaitsecouerlatête.Délicatement,enessayantdenesurtoutpaslasortirdesonsommeil,j’attrapeunboutdelacouetteet

labordejusqu’aumenton.Sansyprendregarde,jemeretrouveentraindelamaterentraindedormir.J’aisubitementlabouchesèche.Lasienneestlégèremententrouverte,ils’enéchappeunsoufflerégulierralentissantétrangementlesbattementsdemoncœur.Jerepèreunemèchequimenacedevenirtombersurseslèvres;jelasaisisentrelepouceetl’indexpourlaplacederrièresonoreille.Concentré,j’aiinclinédavantagemon visage vers le sien, à tel point que je peux presque déposer un baiser sur sa joue. Jedéglutisdifficilement…fautavouerquela tentationestvachementpuissante.Jesuis totalementdéchiréentrecedésirirrationneletlecôtéperversd’untelacte.

C’estvrai,quoi…çafaitpsychopathe.Cen’estquelorsquej’entendslesondemonpropregémissementquejeréalisel’avoirpousséetje

meredressevivement,surlepointdemefoutredesbaffes.Jemedirigefermementverslaporte,maisaumomentdefranchirleseuil,jepile:jen’aipasenvie

demettrelesvoiles.Jen’aipasenviedem’éloignerd’elle.J’aiplutôtenviedem’allongeràsescôtésetdelaserrerdansmesbraspourmenourrirdesachaleur.Jeveuxl’embrasser.Ceviolentetsoudaindésirmetétanisedel’intérieur,faisantressurgirunevoixdemonpasséquiessaiedemepousserauvice,mechuchotant qu’une telle occasion ne se représentera peut-être pas de sitôt, que je devrais céder à latentation. Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, vers ce corps délicieusement endormi, puispenchelatêteenarrière,lesdoigtsdelamaingaucheagrippésauchambranledelaporte.

Jelaveux,putain.Jelaveuxvraiment.Lasonneriedemontéléphonemetuntermeàmatortureetjemeprécipiteausaloncommesij’avais

lediableenpersonneauxtrousses.—Ouais?—Onaduboulot,cesoir.Benny.—Quelgenre?—PèreNoël.«PèreNoël»estunnomdecodesignifiantquenousdevonsrécupérerdufricpourRonan.Encoreun

abruti qui lui a emprunté une somme astronomique en promettant de la lui rendre un mois après,engraisséed’unpourcentageinsensé.Cegenredeplanarriveplussouventqu’onauraitpulecroire.Desgensdésespérés,desvoyous,desjunkies…quitententensuitedefuir,desecacherpourgagnerundélaisupplémentairedérisoire.Leproblèmeétantqu’ilexistetoujoursdesâmescharitablespourlesdénoncer

enéchanged’unedose,d’unpeudefric,d’unefaveur.Nouslesretrouvonstoujours,peuimporteoùilsseplanquent.

Parfois,Ronanfaitactedeprésence,justepourlespectacleetmontrerquiestle«patron».Lamain-d’œuvre,c’estnous.C’estmoi.

—Viensmechercher,jeneveuxpasqu’onpètelepare-brisedemabagnolecommeladernièrefois.—OK,ritBennyavantderaccrocher.J’enfileaussitôtunsweatàcapuche,maiségalementunecasquette,aucasoùilyauraitdescaméras

desurveillance.C’estplusfortquemoimaisjeretourneprèsdelaportederrièrelaquelleKatherinadortpaisiblement

pour l’entrouvrir et vérifier une nouvelle fois qu’elle ne s’est pas réveillée. Non. J’écoute sa doucerespirationàpeineaudibledelàoùjemetrouve,rassuré.

Surlapointedespieds, jesorsdel’appartement,verrouille l’entrée,puisdescendsquatreàquatrelesescalierstoutennouantunfoularddemanièreàcamouflerlebasdemonvisage.

Lesmainsdans lespoches, je traverse leparkingdubâtiment jusqu’à laBMWdeBenny.Ce typechange de bagnole comme de chemise, n’empêche que ce sont toujours des BMW. Celle-ci est noirecommeducharbon.

—Classe,tapoubelle!jelanceenguisedesalutations.—Tuasditaurevoiràtapetitefemmeavantdepartirbosser?rétorque-t-ildutacautac.Jeluirépondsparundoigtd’honneur:Katem’arefiléletruc.—Elledortcommeunbébé.J’aibalancécelaenbouclantmaceinturedesécuritéetheureusementpourmonegoquemonfoulard

cachemonsourireidiot.Eriksepencheentrenosdeuxsièges:—Tul’asbienbordée?Jemetournepourlefusillerduregard.—Toi,j’vaist’épilerlatronchesitumecherches.IlserenfonceimmédiatementaufonddesonsiègesouslericanementdeJo,placéjustederrièremoi.—Vousn’avezpascompris,bandedecons,quec’estunsujetsensible?fait-iljoyeusement.—Jereconnaisquec’estunpetitcanonambulant,sanssesfringuesdegarçonmanqué,admetBenny.—Ouais,c’estuncanon!j’approuveenopinantduchef.—P’tain,t’esamoureux!lanceErikd’untondégoûté,pendantqueBennydémarrelavoiture.—N’importequoi,jemarmonne.Monregardseperddansledéfilementincessantdeslumièresdelaville.—Etqu’est-cequeçapeutvousfoutre?jem’énerve.Sansdéconner!—Moi,jeletrouvemimitoutpleinleChrisgagadesapetitefemme,plaisanteJo.Jelèvelesyeuxauciel:c’estmafête,j’auraismieuxfaitdelaboucler.—Onchangedesujet?jepropose,pleind’espoir.—Oui!crieErik.—Non!s’exclamentBennyetJoàl’unisson,mortsderire.—Qu’est-ce qu’elle t’a fait à bouffer ? se renseigne le conducteur, sans lâcher la circulation des

yeux.—J’croisqueças’appelleuneblanquettedeveau…C’étaitsuperbon.Ilsrâlenttousenchœurdedépit,cequidessineunsouriresatisfaitsurmeslèvres.—Vousavezlesboules,hein?—Merde,mêmetesfringuessententbon,soupireBenny.J’enveuxunecommeça,moiaussi.

—C’estMApetitefemme!jefanfaronne.Jenelaprêtepas.Jamais.—Jusqu’aujouroùuntypevalalever,marmonneErik.Cetteéventualitémeglacelesang.—Çanerisquepasd’arriver,elleaautrechoseàpenser.L’argumentafuséhorsdemaboucheavantmêmequejen’yréfléchissesérieusement.Ilricane,mauvais.—Ouaisbah,jepeuxt’assurerqu’unjouroul’autre,unmecvaluitaperdansl’œil,etelleécartera

lescuisses.Uneflambéedecolèremebrûledel’intérieur.Jeserrelespoings.Mavuedevientfloue.—J’aidit…etputain,tum’écoutes,Erik:j’aiditquecelan’arriveraitpas.Je l’entends vaguement couiner et devine que Jo vient de le frapper en guise d’avertissement.Un

silencedeplombs’abatdansl’habitacledelaBMW.Benny arrête sa bagnole sur un autre parking, qui jouxte une école primaire, et où nous allons

probablementretrouverRonan.Lorsquejerepèresalimousineblanche,unemoueironiquesedessinesurmonvisage:plusvoyantqueça,çanedoitpasexister.

Josortlepremier,suivideErik.JemetourneversBenny:—J’peuxattendreici?Unéclairdetristessepassedanssesyeux;ilsecouenégativementlatête,metirantunlongsoupirde

condamnéàmort.—Tusais,s’ilt’appelleson«chienenragé»,c’estqu’iltientàt’avoirsouslamain.Mamâchoiresecontracteetmonregardsedurcit.—Unjour…j’aimeraislaluiboufferjusqu’àl’os!jegrogneavantdem’extrairerageusementdesa

BMW.Pourtant, c’est d’un pas nonchalant que je me dirige vers l’immense voiture clinquante, une

nonchalancedefaçadequejeperfectionneenbaissantlégèrementmonfoulard.Undesesgorillesouvrelaportièremaisjen’aipasenviedemeglisseràl’intérieur,préférantmecontenterd’appuyerunavant-brascontreletoit.Lacommissuredemeslèvress’incurvesousunméchantsourire,surtoutlorsquemesyeux se posent sur son impeccable smoking de la même teinte que la limousine. Autour de son coupendentdeuxchoses:uneécharpeensoienoireetuneblondepulpeuse,probablementuneprostituée.Unregardvertrencontrelemien.

—Bonsoir,Chris,mesalue-t-ilensouriant.Sonsourireestaussifroidquesonaccentrusse.—Boss.—Vousêtesprêts?s’enquit-ilenpenchantlatêtesurlecôté.Jehaiscetypeduplusprofonddemesentrailles.Jehausselesépaules.—Commed’habitude.—Oùsontlesautres?demande-t-ilencorependantquelablondequiluidévorelelobedel’oreille

melanceuneœilladeaguicheuse.Jedétourneleregard,écœuré.—Là!chantonneBennyentrottinantjusqu’ànous,lesmainsdanslespochesdesonjean.Eriks’agitecommes’ilavaitfroidmaisjeleconnais:c’estseulementl’adrénalinequicommenceà

sedéverserdanssesveines.Danscesmoments-là,ilressembleàunjunkievenantdes’injectersadose.QuantàJo,ilfumetranquillementunecigarettetoutencomparantsesbicepsàceuxdudeuxièmegorillerussedeboutàsescôtésetquisemble totalement l’ignorer.Ducoinde l’œil, jevoisRonandonnerundossiercartonnéàBennyetcedernierlit,avecempressement,lesinformationsconcernantnotreciblede

lasoirée.—Undetesrevendeurs?s’étonne-t-il.Notrepatronhochelentementdelatête.—Ilmedoitplusdetrentemilleeurosdecame.Deuxmoisderab,déjà.Çasuffit,jeveuxmonfric.

Jevaisluilâchermonchiendessus.Jemeraidisinstinctivement.Siseulement…siseulementPatyn’avaitpasbesoindelaprotectiondececonnard.Siseulement…—OK.Jevoisoùc’est,murmureBenny.Tunoussuis?Notrepatronpencheunenouvellefoislatêtesurlecôté.—Non.Cesoir,jesuisoccupé…jemerendsàungaladecharité.Enentendantcesmots,jeluilanceunregardenbiaisauquelilrépondparunclind’œilamusé.—Jesuiscertainquetutrouvesçadrôle,Chris,j’aitort?Jehausselesépaulesavecindifférence.—Maissi,insiste-t-il.Merendreàungaladecharitéaubrasd’uneputequiavaitmaqueuedanssa

bouchey’aàpeineunquartd’heure…leurdonnerdufricalorsque,dansl’heurequisuit,àunesoiréeVIP, tous ces enfants de putains vontme vomir le double afin de se payer leur dope, c’est hautementrisible,n’est-cepas?

Je déglutis péniblement le flot de salive qui envahit subitementma cavité buccale,mais réussis àgardermoncalme.Eriksemetàglousserbêtementetjeluilanceunregardnoirluiintimantdelaboucler.Je le sens, c’est trop tard, alors, à moins de lui écraser mon poing sur la gueule – ce qui n’est paspossiblesansexciterlacuriositédeRonan–jen’aiaucunmoyendestoppercedébile.

—Chris…ilaplusd’avis,depuisqu’ilaune«petitefemme».Jefermelesyeux.L’enfoiré…jevaisletuer.Jevaisluifairelapeau,sansdéconner.Notrebosssepencheaussitôtenavant,l’aird’unrequinayanthumél’odeurdusangfrais.—Unepetitefemme?Oh?Vraiment?Monchiens’esttrouvéunechienne?Jeserreviolemmentlespoings.Restecalme…penseàPaty.PenseàKatherinaquidorttranquillementàlamaison.Toutestcool.Bennysemetàrireetjedoisavouerqu’ilestcrédibledanslerôledumecquitrouveçasuperdrôle.—Cetteblague!Chrisaunepouledanschaqueport!s’exclame-t-il,plutôtconvainquant.MaisjeperçoistoujoursleregardincisifdeRonanquiépielamoindredemesréactions.—C’estvrai,ça,Chris?J’opineavantdetournerlatêtepourcracherauloinunjetdesaliveacide.Il esquisse unemoue déçue,mais je peux de nouveau respirer normalement. Il nemanquerait plus

qu’ilveuillerencontrerKatherina…Rienqu’àcetteidée,monestomacsecontracte.Unefois lebossparti,nonsansm’avoiradressésondétestableclind’œil,nousnous tournons tous

versErikquireculed’unpas,enlevantlesmains.Bennymedevanceenlesaisissantparlecolaupointdeluifairedécollerlespiedsdusol:—T’estellementconquej’aienviedetedémonterlatronche!gronde-t-il.—Maisquoi!chuinte-t-ild’unevoixsuraigüe.—Christ’adéjàexpliqué,àproposdeRonan!S’illuidécouvreuneblessure,Ronanenfoncerason

doigtdedans!Tripleconnard!s’écrieJo,horsdelui.Àmontour,j’avancedanssadirectionetlorsquesesyeuxcroisentlesmiens,ildevientpâle.—Je-jesuisdésolé,Chris…j’tejure!pleurniche-t-il.J’avais…j’avaisoublié!—SijamaisturecommencesàparlerdeKatherina,j’tebute,Erik.

Il acquiesce fébrilement et des larmes roulent sur ses joues creuses. Jo lui octroie une méchanteclaquesurlecrâneavantqueBennynelerelâchebrutalementenserrantlesdents.

—Cen’estpascommesi tunesavaispasdequoi ilestcapable!Abruti !crache-t-ilavantdesedétournerpourrejoindresaBMW.

Nouslesuivonscommeunseulhomme.Letrajetjusqu’àlaplanquedeDenis,lefameuxrevendeurquiatantmisRonanenrogne,nousapris

environ une demi-heure. Mes trois potes sont tous sortis du véhicule une arme à la main : batte debaseballpourJo,flinguepourBenny,pied-de-bichepourErik…Lamiennesesitueauboutdemesbrasetdemesjambes.Ellem’atoujourssuffi,etçaallaitêtrelecaspourcettefois-làégalement.

J’aimêmelaisséDenismefrapperlepremier,pourlefun,pourm’énerver,pourgoûtermonpropresangsurmalangue,puis,j’aiimaginélatêtedeRonanàlaplacedelasienne.C’estmatechniquepourexécuter ce genre de boulot sans états d’âme : visualiser sa sale gueule à la tignasse blonde et la luiécraser de mes poings, de mes pieds. Le ravager d’uppercuts, de coups latéraux. J’atteins alors lesummum de la jubilation. Un sentiment proche de l’orgasme… Ce qui est génial, c’est qu’à chaquenouvellemission,jepeuxdenouveauletuer.VengerDavid.Libérermamère…etmaintenant:protégerKatherina.

Katherina

Jedétestecettesensationhumidecontremabouche.Lorsquejesuisuneloquehumainerongéeparlafatigue,jebavesurmonoreilleretêtreréveilléepar

laditesensationtrèsdérangeantememetd’officedemauvaispoil.Masalehumeuraugmented’uncranenconstatantquejeportemonuniforme.

Super!Jenel’aipaslavéetjevaisdevoirlefaireséchersurleradiateur!Dans un état second, jem’assois sur le bord du lit, doutant de réellement entendre le groupeU2

chanterTheOne à tue-tête dans l’appartement. Par réflexe, j’attrape le radio-réveil : il indique bien7heuresdumatin et après l’avoir remis à saplace, je jetteun regard interrogateur endirectionde laporte.

Chrisestdéjàdebout?Intriguée, je sorsde lapièce sansm’annoncer etuneagréableodeurdecafém’emmène jusqu’à la

cuisine.J’admirelespectacle.Monlogeur,torsenu,dévoilantl’intégralitédesestatouagesquiparaissentdescendre plus bas que la ceinture maintenant son jean en place. Il est en train de préparer le petitdéjeuner.

—Salut!Chrisseretourneensouriant.Monpropresourires’effacecommes’iln’avaitjamaisexisté.Ilaune

blessureprèsdel’arcadesourcilièregauche,ungroshématomesurlajoueetlalèvreinférieurefendue.—Putaindebordeldemerde!jem’exclame.—C’estmoinsterriblequeçaenal’air.Ilsedétourneverssapoêle.—Ehbien,jel’espère!jemarmonne,loind’êtreconvaincue.Mavoixestblanche,probablementautantquemonteint.—C’esttonanniv’,aujourd’hui,nan?Pourfêterça,jet’aifaitunpetitdéj’dechampionne.Lesujetquimepréoccupe,là,toutdesuite,c’estsurtoutl’étatdesafigure.—Ilt’estarrivéquoi,aujuste?Bagarre?LesouvenirdublondinetauPandémoniumestencorefraiscommeungardondansmamémoire.Jem’installeà la tableen formicasans lequitterdesyeux,etnepeuxempêchermonregarddese

promenersurlesdessinscolorésornantsesomoplates.Ilyaundragondéployantsesailestandisquesesgriffes acérées agrippent un glaive. La pointe de l’épée est à peine visible à cause de son pantalon.Lorsqu’ilmefaitface,ilsurprendmonregardposésurluietafficheaussitôtunsourirearrogant.

—Tubaves,petitefemme.—Pasdutout.J’airépondutroprapidementpourquecesoithonnête.Illesait,çasevoitcommelenezaumilieudu

visage. Ses prunelles grises brillent d’une lueur amusée. Comme pour en rajouter, il fait rouler lesmusclesdesespectoraux.Surledroitsetrouveunscorpionet,surlegauche,unenvoldecorbeaux.Jelève les yeux au ciel, feignant d’être indifférente à son cinéma. Ce qui n’est évidemment pas le cas,

puisquemontraîtred’organecardiaques’emballedefaçonprodigieuse.—Tubosses,aujourd’hui?—Non.Jevaisseulementencours.Alors,c’étaitquelgenredebagarre?Ilhausseunsourcil.—Avecuneporte?—Elleaunsacrécrochet,taporte.Ceàquoiilrit,penchantsatêteversl’arrière.C’estidiotmaisj’aimequandilritdecettemanière.—Jel’aifaitsortirdesesgonds,rétorque-t-ilens’attablantenfacedemoi.Jerisaussi.Ildéposelapoêleaucentreavantdem’offrirunefourchette.—Fautreconnaîtrequetuesdouépourça.Desœufsbrouillés?Il opine pour ensuite me jeter un regard de velours par en dessous, un sourire charmeur sur les

lèvres:—Jesuisdouépourbeaucoupdechoses.Jegoûtesacuisineàlaquelleilaajoutédelasaucetomate,etilsembleattendremonverdictavec

impatience,s’humectantsanscesseleslèvres.Devantsonattitude,jeluirépondslaboucheencorepleineetseulementafindelerassurer:

— C’est vachement bon ! je le complimente, tout en faisant attention à ne pas en recracher parinadvertance.

Un sourire heureux très enfantin se dessine sur sa bouche et il plonge joyeusement sa proprefourchettedansleplat.

—Tuneveuxvraimentpasmeracontercequis’estpassé?Nos regards s’accrochent tandis qu’il mastique sa bouchée. Quelque chose de sombre passe

brièvementdanslesienpuisilmefaitsignequenon,avantd’engloutirunenouvellefourchetéed’œufs.Jehausselesépaules.Nousavonstousnospetitssecrets.

—Jet’emmèneencours?propose-t-ilsoudainement.C’esttonanniversaireaprèstout.Jemerelèveaprèsm’êtreessuyélaboucheavecunmorceaudepapieressuie-tout.—Laisse-moiréfléchir…prendrelebusouarriverenPontiacGTOJudge…quelcrève-cœur!Ilsourit.—Elleclaque,macaisse,hein?Jelèvemonpouceenl’air:—Bébéestresplendissante,tuasbienbossé,«papa».Unefoisencore,jeréussisàlefairerire.Jenecomprendspasbienpourquoi,maischaquefoisque

j’yparviens,moncœurs’allègeetc’estunesensationtrèsagréable.—Jevaisprendreunedouche.—C’esttonanniversaire,j’peuxtefrotterledos,situveux,suggère-t-ild’unevoixtraînante,alors

quejem’apprêteàsortirdelapièce.—Mêmepasenrêve!Jel’entendss’allumerunecigaretteens’esclaffantdoucement.Unquart d’heureplus tard, nous sommesdans savoiture. Il porte saveste en cuirdevoyou,mais

aussiunepairedelunettesdesoleilquicacheunpeulestracesdecoups.—OnfêteçaaveclesmecsauPandémonium?mepropose-t-ilsubitement.Jeluilanceunregardenbiais.Ils’enaperçoitettournebrièvementlatêteversmoi:—Quoi?Jegardelesilencequelquessecondessupplémentaires:durantcesdeuxdernièressemaines,ils’est

débrouillépournejamaissetrouveraubar-discothèquedurantmonservice,etjedoisavouerquejem’en

suissentiesoulagée.Maintenantj’aiunpeupeurque,dèsqu’unmecsemontretropentreprenant, il luiexploselatête.

—Rien,dis-jefinalementpourfixerlarouteàtraverslepare-brise.—Accouche!insisteChris,commes’ilavaitoubliéceterribleépisode.Jeprendsuneprofondeinspiration.—Jenepensepasquecesoit…unebonneidée.Ilrestemuetunbrefmoment,puislâche:—Oh.Pourrapidementenchaîner:—Çan’arriverapas.L’autrefois…çam’aprisdecourt,action-réaction,tuvois?Jevois.Jevoismêmetrèsbien.Jevaisdevoirluimettrelenezdedans.—Etsijesuistotalementbourréeetquej’embrasseuntype?—Si tuveuxembrasserunmec, je suis entièrement à tadisposition. Je saismedévouerquand la

situationledemande.—Chris!Ilritensetournantunenouvellefoisdansmadirection.—Quoi?C’estvrai!—Jesuissérieuse!Ilhochevigoureusementlatête.—Maismoiaussi,jesuissérieux.Jelèvelesmainsenl’air,agacée.—Tufaisceluiquinecomprendpas.—Explique-moi,alors.Situnedispasleschosesclairement…—Toietmoi,onn’estmêmepasensembleetpourtantt’esprêtàréduireenbouillieungarsparce

qu’ilmedrague.Tunepensespasqu’ilyaunproblèmequelquepart,là?Encoreunefois,ilmecontempleavantdeserecentrersursaconduite.—C’estinsupportableàcepoint,monattitude?—Cen’estpascequejevoulaisdire,jesoupire.Sij’étaistacopine,tonattitudeseraitàpeuprès

normale.Maisj’ail’impressionquetantquej’habiteraicheztoi,avoiruncopainestexcluetquenotrerelation,entretoietmoi,n’estpastrès…saine.

—C’estpas toiquivoulaisunerègleà respecter?Ehbien je la trouve trèsbonne, ton idée : tantqu’ellehabiteàl’appart’,pasdemecspourKate.Siçatedémangetellement,demande-moi,jesuisunhommeserviable.Putain!

Il a crié le juron en frappant son volant du plat de la main, me faisant sursauter. Après avoirbruyammentrespiré,Chrisreprend:

— T’as raison. Je deviens complètement cinglé quand il s’agit de toi. C’est juste que… tu es…j’éprouvelebesoindeteprotéger,etdemanièreexclusive.J’aisouventenvied’allerplusloin…crois-moitupéteraislesplombssit’arrivaisparfoisàvoircequej’aientêtelorsquejeteregarde,fautcroirequ’untrucmeretient.Tusais,lebien,lemal,d’habitudejem’entamponne.Pourtant,tevouloirdecettemanière…jelesens,c’est«mal».Tuveuxt’ensortir,toutça,jerespecte.Tavolontéesthallucinante.Jeneveuxpastesalir,salirça–ilagiteunemain–cemachinquiterendsi…horsdeportée.D’unautrecôté,j’aipasenviequequelqu’und’autretetouche,simoijenepeuxpas.C’est…c’estunputaindetrucdeouf!Merde!

Jesuisfolle.Iln’yaucuneautreexplication,parcequemoncerveaus’estarrêtéaufaitqu’ilfantasmesurmoi.

—Tufantasmessurmoi?Jevoudraismegifler,là,toutdesuite.Pourquoij’aiditça?Chris tourne la têtedeuxfoisdesuitedansmadirection,et jevoisbienàsessourcilsarquéspar-

dessuslesverresfumésqu’ileststupéfaitquej’aieosémettredetelsmotssurcequ’ilvientd’avouer.Soudain,iléclated’unriresonore.

—Katherina,situm’allumes,jevaisprendrefeuettebrûlerdanslafoulée.Pitié,n’abordepascesujet-là.

—Maistuneveuxpassortiravecmoiparceque…—… tu es quelqu’un de bien quimérite unmec « normal ». Tu es trop jeune,même si à partir

d’aujourd’hui tu es majeure. Bref, je te vois plus tard bosser dans… je ne sais pas, moi, genre unlaboratoire,avecunmarietdeuxgosses,p’t’êtreunchien,letoutdansunevillaachetéeàcrédits.

—Jesuisnulleensciences,jecommenteensouriant.Luiaussisourittoutensecouantlatête.—C’étaitunfoutuexemple.Jesuissûrquetupourrasdevenircequetuveux…quituveux.—Maistoi,non?Samâchoiresecontractesousl’ombredesabarbenaissante.—Non.Moi jeme lèveetdorsdans lamerdepuantedecette chiennedevie.Rienque le faitde

garderlatêtehorsdetoutcebordelmedemandetropd’efforts.J’aimeraisquetut’ensortes.Prouve-moiqu’onpeuts’ensortir.J’demandequeça.

Moncœurseserredansmapoitrineetj’ail’impressiond’étouffer.—Jevaisessayerdetefoutrelapaix,si…sijamaistutrouvesunmec,jeregarderaiailleurs.Loindememettreenliesse,sabonnevolontémetordlesentraillesenmedonnantétrangementenvie

depleurer.—Regarderailleurs,hein?jemurmure.—Ouais.Ilpasseunevitessepuisrépète,del’amertumedanslavoix:—Ouais.

Chris

—C’estsûr?Siçadérange,j’peuxlefaireautrement,Paty.Mamèremedédieunsourireaffectueuxtoutenservantunclient.—Non.C’estl’anniversairedelapetite.Ellebossedur,ellelemérite.Jesuisentièrementd’accord.—Ellearriveàquelleheure?Jezyeutemachinalementl’écrandemonportable.—Dans…bientôt.Letempsderécupérersapetitesœuretdesechangeràl’appart’.Mamèreesquissecettemouequejeluiconnais,commesielleconnaissaitunsecretmeconcernant.

Çam’agace.—Vousêtesensemble?s’enquiert-elle,sûrementpour la forme,parcequ’ellesembledéjàenêtre

persuadée.—Non.Jenesuispaslebongarspourelle.—Jecomprends.Monpetitdoigtmeditqu’elleestpourtantlabonnenanapourtoi.Lesmiens,dedoigts,semettentàpianotersurlecomptoiraussirutilantqu’unmiroirastiqué.—Jevaismecontenterdesmeufsfaciles.Patysouritunenouvellefois.—OK.AlorsjepeuxdireàJazequ’elleestlibre?—Nemelancepassurlesujetquifâche,Paty.J’enaidéjàbouffécematinavecelle.—Avec…ta«petitefemme»?J’appuiemonfrontbrûlantsurlasurfacelisserafraîchissante,puisfermelesyeux.—Éclate-toi…jet’enprie.Jemetorturedéjàtoutseulcommeungrand,maisjenerefusejamaisun

coupdemainquandils’agitdejeterduselsurmesblessures!jemurmure,maisjesaisquemamèrem’aentendupuisqu’elleritdoucement.

—ÉtantdonnétaréactionlorsqueFabs’estmontréunpeupressant,c’estassezévident.Jememordslalèvre.—Désolé.—Descentainesde femmesdoivent te remercierpourça…ne teprendspas la tête.Alors?Pour

Jaze?—Cecon?Non.Sagueulenemerevientpas.J’inspirelonguement:—Enfin, oui. Je voulais dire oui. Il peut…Non ! Bordel, non ! je termine enm’exclamant pour

releverlatêteetcroisersonregardrieur.Jegémis.—C’estoui,ouc’estnon?IlneveutpasfinircommeFab,alorsildemanded’abordlapermission.

C’estmignon,tunetrouvespas?—Totalement!jericane.Tunelevoispas,là,maisjecraquecompletpourluiàl’intérieurdemon

petitcorps.J’imaginecetypequiaautantdetatouagesquemoi,avecsatronchedemannequin,laserrerdansses

braspourl’embrasser,et…—Putain,sers-moiunverre.Labrûlurede l’alcool le longdemagorgen’apaiseen riencette tempête ; ellegronde férocement

dansmesentrailles.Jenesuispasletypequ’illuifaut.J’émetsunbrefrireacideetvideunpeuplusmonverredewhisky,sousl’œilattentifdemamèrequi

mesurveille,l’airderien.DepuisquemaroutearecroisécelledeKatherina,c’estlebordeldansmoncerveau,etjeneparlemêmepasdesautresorganes.

Sijememetsavecelle,jevaisforcémentluiattirerdesemmerdes.J’appuielescoudessurlecomptoirpourmeprendrelatêteentrelesmains.Faitchier…faitchier…jesuislargué!Lorsquemontéléphonesonne,jelesorsdemapochesansvraimentregarderlenomquis’affiche.—Chris?C’estmoi.Katherina.—Tu arrives ? je demande, avant d’ingurgiter le fonddemonverre tel unmédicament à la vertu

miraculeuse.—Euh…justement,c’estàcepropos.Tucroisquetupourraisvenirnouschercher?Aufait,Juliette

nem’accompagnepas,enfin,bref,tantmieuxquelquepart.Savoixestmalassurée,çam’intrigue.—Ouais,mais…pourquelleraison?C’estpourtanttoiquiassortitoutuncirquecematinendisant

quetuteradineraispartespropresmoyens.—C’estàcaused’unecopine,elle…j’ai…j’aifaitunparistupidequej’aiperdu.Elleestlà,avec

moi.Effectivement,j’entendsunrirefémininenbruitdefond.—Elle est trop sexy ! hurle soudain ladite voix inconnue, comme si le téléphone avait changé de

main.—Maist’espasbien?!N’importequoi!s’énerveKate.Cettephrasealepouvoirmagiquedefairecourirmonsangàcontresensdansmesveines.—Jesuislàdansdixminutes.Jeraccrocheetcontemplemonportablepourremarquer le tremblement involontairedemesdoigts.

«Elleesttropsexy».Vraiment…j’avaisbesoindeça.Qu’ellesoit«sexy».Mamères’avancejusqu’àmonniveau:—Unproblème?—Non.Jedoisfinalementallerlachercher…jem’attendsaupire.—Pourquoi?Jelèvelenezdel’écrandemontéléphone.—Sacopine,celleavecquiellevientà laplacedesa frangine,adit textuellement,enparlantde

Kate:«elleesttropsexy».Quandunemeufsortçaàproposd’uneéventuellerivale,çaveutdirequejevaispleurerdeslarmesdesang.Putain!

Mamèreéclatefranchementderire,lesmainsposéessurseshanches.—Etpourqu’ellemedemandedevenirlarécupérer,alorsqu’ons’estpresquedisputésàcesujet…

jevaisprendrecher.—Courage,fils!Jazevaêtresupercontent!lance-t-elledansmondos.

Jesimulelaperted’équilibre,commesijevenaisderecevoirunviolentcoupdanslescôtes,etcen’est pas très éloigné de la vérité. Pareil à un condamné àmort, je traverse lePandémonium afin derejoindremaPontiac.

Dixminutesplustard,jesuisdevantlaported’entréedemonappartement,hésitantencoreàmettrelesclefsdanslaserrure.Lorsquejefranchisenfinleseuil,jesuistendu.Inconsciemment,jeretiensmarespirationenavisantunenanaauxcheveuxaussinoirsquesesyeux,dugenreplutôtcharmant.Ellemesourit.Àsafaçondememater,nuldoutequ’ellemetrouveàsongoût.

—Salut.T’eslacopinedeKate?Elleselèveaussitôtducanapépourmetaperlabise,enrestantunpeutroplongtempscolléeàmoi.

Jem’écarte pour jeter un regard anxieux en direction dema chambre, puis vers la salle de bains,medemandantd’oùvaémergermafolleauharpon.

—Enchantée!JesuisAmandaGonzales.Toi…tudoisêtreChris,c’estça?Jehochelatêtesansluiprêterattention,nerveux.Elleglousse.—T’esvraimentaussicanonqu’ellemel’avaitdit!JebaisselesyeuxsurladénomméeAmanda,subitementintéressé.—Elleaditquej’étaiscanon?jerépète,étonné.Jel’auraisdavantageimaginéentraindemerhabillerpourl’hiveretlesautressaisons,maisl’idée

qu’ellemetrouvebeaumeplaîtdavantage.Amandaglousseencore.—Kate!crie-t-elle.Notrechauffeurestlàetjeletrouvetrophot!C’estlaportedelasalledebainsquis’ouvre,etencoreunefois,j’oubliederespirer.Katherina porte une espèce de minishort en jean et un T-shirt ample noir qui dévoile une de ses

épaules par son col trop large. Je la regarde enfiler une doudoune dans une sorte d’état second. Sescheveuxontétédisciplinésetcascadentdanssondosenunenappesoyeuseenflammée.Lemaquillageestsophistiquémaisfaitressortirsesyeuxdemanièrefascinante.

Jedévoretoutduregard.Seshanches,sescuisses,sesmolletsfuselésprotégésparuncollantsatinéqui les galbe à me torturer. Sa poitrine qui tend délicieusement le tissu fluide. Son visage… elleressembleàuntopmodeld’unmagazineposantpourunlookdecity-girlbranchée,àlafoisdécontractéethorriblementsexy.J’enaidéjàmatédanslesrevuesdemamère.Lelongcollierquiseglisseentresesseinsvaavoirmamortsurlaconscience…sûr.

Nos regardssenouentenfin,et jecomprendsbienqu’elleattenduncommentairedemapart.Maisqu’est-cequejepourraisluidire?Jen’airienenstockavecdesmots.Parcontre,j’aitouteunepanopliedegestesquimeviennententête.Mesyeuxnepeuventrienyfaireetcaressentencorefoissescuisses.Monsangsemetàpulserdansmesveinesaurythmesourddemoncœur.Latensionquejesensprèsdemon aine me tourmente et si j’écoutais ce qu’elle me murmure tout au fond de moi, je traîneraisimmédiatementKatedansmachambre.

—Chris?tente-t-elle.Jel’entendsnettement.Jesuisjustefoutrementincapabledeluirépondre.Sijem’yamuse,mavoix

serabeaucoup trop rauque,divulguant le terrible secretque j’essaiede cacher, là, toutde suite.Je laveux.Bordel…jelaveux!

Nous ne sommes pas seuls, alors jeme contente d’agiter les clefs de la bagnole pour lui signalerqu’ony va.Lorsque je lui tourne le dos,mabouche est tellement sèche que j’ai l’impression d’avoirbouffé du sable. Amanda glousse encore ; ce ricanement idiot me tape sur les nerfs. Les types duPandémoniumvontsejetersurelletelsdesloupsaffaméssurunagneau.

Àcettepensée,jemepasseunemainsurlevisagepuisdémarrelavoiture.Katemefixecommesielles’attendaitàcequej’exploseàtoutinstant.Cequiestassezprochedelavérité.

Celafaitcinqminutesquejeroulequandjeremarqueducoindel’œilqu’ellesoulèvelégèrementlesfessesdanslebutdetirersurceminusculeshort.Lapartiedemoncerveaulaplusintelligentecomprendqu’elleremetseulementlevêtementenplace,maisl’autre,cetteabrutiefinie,nevoitdanscemouvementdecroupequ’une invitation implicite. Jem’étrangleavec l’airque jeparviensà inspirer.Ça, c’estdel’exploit.S’étoufferenrespirant.Elleperçoitcetaffreuxson,sefigeetrougit.

—J’ail’airridicule,c’estça?Ellesembleàlafoisgênéeetdéçue.Jelui jetteunregardenbiais,abasourdi.Putain!Ridicule?

Putain!Maisoùellevachercherça?!—Non.Commeprévuletondemavoixestrauque,etjefermebrièvementlesyeuxtoutenmemaudissant.—T’esencolère?—Non.Jesuisjusteenrut,bordel!—Situl’es.Ellemerenddingue.—Jenesuispasencolère.J’essaiedegardermoncalme.Enfin,jefeinsdel’êtreetçaal’aircrédibleàl’oreille.—Alorspourquoi tu fais cette tête commesi tuvoulais tuerquelqu’un?Tun’aspasdesserré les

dentsdepuisl’appart’.Jefrappelevolantduplatdelamainetaperçoislesursautd’Amandadanslerétroviseur.—Tutesouviensdenotreconversationdecematin?Kateacquiesce,curieused’entendrelasuite.—Voilà.Onestenpleindedansetjem’entraîneàprendresurmoi,maistesquestionsnem’aident

pasvraiment.—Tumetrouvessexy?demande-t-elle.Lorsquejevoisdemesyeuxlesourirequ’ellearbore, j’appuiesur lapédaledefrein.Unmélange

d’innocenceetdeflirt:jeviensdeperdredesneurones.J’inspiredoucement,enprenantmontemps,puisj’expireparlabouche.Jerépètel’opérationdeuxoutroisfoisavantderedémarrerlavoiture.

—Çaveutdireoui?insisteKatherina.Unrireauparfumdefoliesortd’entremeslèvres.Jesecouelatête.Lesnanas…maiscommentellesfonctionnent?Bonsang!C’estunemiseàl’épreuvequ’ellem’aconcoctée,sûr.J’aiterriblementenviedeluimontrercequ’il

encoûtedejoueravecmondésir.Jeleferaismêmevolontierssijen’étaispascertaindem’ybrûlermoi-même les ailes, pour finir complètement carbonisé. Ce soir, je vais devoir probablement me foutreminablepourrésisteràelleetàmesproprespulsions.

Àpeinegaré sur le parkingduPandémonium, jem’éjecte la bagnole.Monpremier réflexe est dem’allumeruneclopepourentirerplusieursboufféesd’affilée.Jem’adosseàmaportière,l’espritenfeu.J’ai leshormonesenfusion,etcelanes’arrangepaslorsqueKate,suiviedesacopine,medépasse,etquemesyeuxseposentnaturellementsursesfessesbienmisesenvaleurparcefoutushort.

Jemefaisdumal.C’estvraimentdouloureuxdesuivrechaquemouvementchaloupédecettepartiedesonanatomie,enmêmetemps,c’estbon.Vraimentbon.Jesuisdevenumasochiste.

Ah!Putain!Jesuismort!Soudain,jeréalisequelesloupsattendent, tapisdansl’ombreduPandémonium,alorsjejettemon

mégotetjelesrejoinsencourant,nonsansafficherunefaussedécontraction.Jenesuispasdétendu.Jesuismêmetoutlecontraire.Maisvoilà,questiondefierté,jeneveuxpasmontrerqu’àl’intérieur,jene

suisqu’unpauvreanimalgémissantquibavecommeunmalheureux,lalanguependante.

Katherina

C’étaitvraimentunemauvaiseidée.JesenslaprésencedeChrisderrièremoi.Soncorpsn’apasbesoindetoucherlemien:jesaisqu’il

estterriblementprochecarilémanedenotreproximitéuneétrangechaleur.Lorsqu’Amanda,matrèsexubéranteetrécenteamie,m’aproposéceplan,aprèsm’avoirextorquéla

raisondemamauvaisehumeuraurestaurantqu’ellesquatteallègrementàlongueurdetempspourtrompersonennui,puisquesonpèreenestlepropriétaire,ellepeutselepermettre:j’aisuquecelamemèneraitàcegenredesituationtendue.

Elleaposélesmainssurseshanchesgénéreuses,unsouriregoguenardauxlèvres:—Cequicompte,cen’estpascequeluiveutoudécide,maiscequetoituveux.Voilàcommentacommencéledébutdelafin.Cequejeveux?Est-cequejedésirevraimentunerelationplusintimeavecChris?Touslesjours,jemesurprendsà

lecontempler.Passeulementsesmusclesbiendessinésparunartistesacrémentinspiré,ousestatouagesquil’habillentd’uneauraaugoûtdedanger,maissessourires,samanièrederire,demeregarderquandilcroitsûrementquejeneleremarquepas.

Ceque jeveux?Jeveuxessayerau lieuderegretter,mais j’aipeur.Une trouillephénoménalemecrispeleventreàl’idéedefairelàuneerreursansnom.Mavieesttellementcompliquéeencemoment!Est-cequej’aivraimentdutempsàconsacreràmaviesentimentalepourlemomentdésertique?Sanscompterquej’ail’expérienced’unbulotdanscedomaine…

Amandaaacquiescéenlisanttoutcelasurmonvisage.—Mets-luienpleinlavue,alors.Pasquelquechosedetrophuppé,çarisquededresserunebarrière

entrevous,maisunetenuesexy,ça,c’estsûr.S’iltecolletoutelasoirée,tuaurasdéjàparcourulamoitiéduchemin.Jevaist’aider,etenéchange,jet’accompagneàtapetitefête!

Elleafrappédanssesmainsensautillantsurplace,bienplusexcitéequemoi.JesecouelatêteenmeremémorantcesouvenirtandisquenousentronsdanslePandémonium.Une

foisàl’intérieur,j’essaied’ignorerlesregardsmasculinsunpeutropappuyés,meretenantdejustessedecourir enfiler le costume de Bozo-le-clown pour faire cesser cette mascarade. Je suis sincèrementsoulagéequeChrissoitàmescôtés.Ilmeprotège,jelesais,jelesenspartouslesporesdemapeau.Pourtant,ilrestesilencieux.Ilafficheuneexpressionsombreetsamâchoirecontractéem’apparaîtplutôtcomme le signequ’il estd’unehumeurmassacrante.Maishormiscesélémentsvisibles, j’éprouveunesensationdesécuritéjamaisressentieauparavantavecquiquecesoit.

JesaluePaty,etquandJazequiestdeservicemefixe,l’airahuri,jenepeuxm’empêcherdesourire.LaréactiondeChrisnesefaitpasattendre:ilseplaceaussitôtdanssonchampdevision,unecigarettecoincéeentreses lèvres.Sesyeuxsebaissentsurmoipouraccrocher lesmiens.Ilsontuneteinteplusobscurequ’habituellement,unelueurplussauvage?

Ils s’étrécissent légèrement.Nous restons là, à nous scruter pendant je ne sais combien de temps.

Soudain, ilglisseunemainaucreuxdemes reinset jene respireplus.C’estencorepirequand ilmepressecontre luid’unmouvementbrusque.Pendantun instant jecroisqu’ilvam’embrasseret,àcettepensée,mesoreilles bourdonnent.Mais non, c’était uniquement pourm’éloigner de la trajectoire d’unduodetypescomplètementbourrés.

Jene saispascequ’il litdansmon regard,ou surmonvisage,maisun sourirecarnassier étire sabouche.Et,plus important : ilcontinueàmegardercontre lui. IlporteunsimpleT-shirtnoirsoussonperfectodecuiretunjeanlargeuséàplusieursendroits.Surcertainsmecs,cesvêtementsdonneraientuneallurenégligée,maissurChris,celarenforcejustesoncôtévoyousexy.

DesamainlibreilsortsonbriquetdetypeZippoets’allumeunecigarette.Jen’entendsplus lamusique, jesavoureuniquementcettefausse impressiond’êtresacopine,qu’il

medonneenme tenantde façonaussi possessive.Avoir la sensationde lui appartenir n’est pas aussidésagréablequejel’auraiscru,c’estmêmeplutôtlecontraire.

Jepose instinctivement lespaumessurson torse,cequimevaut immédiatementunnouveauregardaigudesapart.

—Merci.Mavoix est affreusement rauqueet je le sens frissonner sousmesdoigts.Découvrir cette sortede

pouvoir que j’ai sur luime serre un peu la poitrine. J’aimerais ajouter quelque chose, je ne sais pasexactementquoi, seulementChrisnem’en laissepas l’occasion et s’écartevivementpourdemander àAmanda,curieusementcalme:

—Tuboisquoi?J’auraisjuréqu’ilm’auraitposélaquestionenpremieretneseseraitadresséàellequesurunton

rogue,vusonattitudecolérique.Cen’estpaslecaset,inexplicablement,çameblesse.—UnMojito!Chrishochelatête,esquisseunpasverslebarpuiss’arrêtepoursetournerversmoi:—Ettoi?Sonaccentestbeaucoupplusfroid.Pincementaucœur.—Pareil!J’ailâchécemotavecl’abominableenviedem’enfuirencourantpourpleurerdansuncoin.Cen’estpasmongenrederéagirdecettefaçon,néanmoins,danscettetenue,jemesensfragile,mise

ànue…etàquelquescentimètrescarrésdetissuprès,c’estpratiquementlecas.Encoreunhochementdetêtedesapart,puisildisparaîtdanslafoule.J’essaied’enfournerlesmains

danslespochesdecethorribleshort:peineperdue,ilestvraimenttropminuscule.Jepousseunjuronentremesdents.

—Ah!Jesuisamoureux!s’exclameunevoix.C’estledénomméJo.Unlargesourireamicalscindesonvisageendeux;ilporteencoreseslunettes

sursoncrâneetunT-shirtrougeremplacelenoirhabituel.Chrislebousculed’unbrusquecoupdehanchedanslasienne,autantpourlepoussersurlecôtéquepourappuyerl’avertissement.

—OùsontBennyetErik?s’enquiert-ilenguisedesalutations,pourensuitenousoffrirnosverres.NousleremercionspendantquelagrimacedeJos’élargitimperceptiblement.—Àunebaise-partyduboss.—Charmant,marmonneAmandaavantdeboireunegorgéed’alcool.Ellesoupiredecontentementpuism’adresseunclind’œilcomplice.SoncommentaireluivautleregardintéressédeJo,quisepencheaussitôtverselle.—Bonsoir…moi,c’estJo.Ellel’observeunbrefinstantentresescils,puissourit:

—Amanda.—Enchanté…Amanda.Ilprendsamaindanslasienneet,telunvéritablegentlemand’unautresiècle,luioffreunbaisemain.

Faceaucinémadesonami,Chrisplongelenezdanssachopedebièrepourcacherlesourireamusésedessinant sur ses lèvres.Nos regards se croisent. Je souris àmon tour, ravie de partager avec lui cemomentdedétente.

—Culsec!s’écriesoudainAmanda.Jelacontemple,incrédule.—Hein?Non!Monamiedescendlecocktailàbasederhumcommesic’étaitunsimplelaitfraise.Sonaudacelui

vautuneacclamationenthousiastedelapartdeJo.Unefoisladernièregoutteingurgitée,elleselèchelalèvresupérieuretoutenm’encourageantàfaire

commeelle.MesyeuxvontdemonverreàChris,dontjesensleregardpesersurmoi.Riennetransparaîtsursonvisage;ilsecontentedemefixersanscesserdesirotertranquillementsabière.

J’inspireuneprofondegouléed’airpourmedonnerducourage.Jenesuispasunegrandebuveuse,etj’ai peur des conséquences…Bon sang. C’est complètement idiot ! De nouveau, je glisse unœil endirectiondemonlogeur,maislàencore,j’ensuispourmesfrais:silenceradio.

Tantpis.C’estmonanniversaire,aprèstout!Etavantquejenechanged’avis,j’entreprendsdesifflermonMojito.L’alcoolm’incendielagorge;

dansmonentêtement, j’aidumalànepasen laissers’écoulerpar lescoinsdemabouche.Lorsquejedécolleenfinleverredemeslèvresengourdies,jetoussedemanièrepathétique.Monstatutdenovicedelapicoledéclenchel’hilaritédetous…enfin,saufdeChris.Ilrestelà,plantédevantmoi,silencieux,àmescruterjusqu’àmerendrenerveuse.

Amandamedonneunegrandeclaquedansledos,autantpourm’aideràfairepasserlerhumquepourmeféliciterd’avoirsautédanslegrandbain.Jenemesenspasfièrepourautant.

Une douce chaleur envahit peu à peumon corps, dénouant agréablementmesmuscles. La têtemetournelégèrementetj’aienviederirepourtoutetn’importequoi.Cettecurieuseeuphorieestvraimentlabienvenue.

Mon amie me saisit subitement la main et me tire vers elle. Je me laisse faire sans pouvoirm’empêcherdesourirebêtement.

—Allonsdanser!Ah!Voilàuneidéequ’elleestbonne!Je hoche la tête enguise d’assentiment.Nous confions nos verres vides à Jo qui les accepte avec

classe.Lorsque jedépasseChris, je sensson regardmesuivreavecattention,mêmeaprèsavoiratteint la

pistecentrale.Vais-jearriveràbougersachantqu’ilm’épiedelàoùilsetrouve?Unevaguedetracmesaisitdelacimedescheveuxauxorteils,maisleMojitofaitsonofficeetjefinisparpouffer.Jenepeuxpas rester plantée là, aumilieu des autres danseurs, tel un piquet de bois. Je décide donc de suivreAmandaquionduledéjàaurythmedelamusique.Sansavoirécumélesboîtesdenuitouexcellerdanscedomaine,jenedétestepasdanser;c’estl’instantrêvépourautorisermoncorpsàs’exprimer.Lederniertubeàlamoderésonnetoutautourdenouset jemelaisseporterpendantqu’Amandamedédielepluséclatantdesessourires.

Nousattironsl’attentiondequelquestypes,néanmoins,jedécidepourlesignorer.Jemedéfouledetoutes les tensions accumuléesdurant cesderniersmois.Pourune fois, j’ai réellementmonâge.C’estenivrant,libérateur,jemesensaussilégèrequ’uneplume.Amandasemetàhurlerpuisàsautersurplace,

battantrégulièrementl’airdesonpoing.J’éclatederireavantdel’imiter;nouschantonsmêmeàtue-têtelesquelquesparolesquenoussommesparvenuesàretenir.Uneautrechansonarrive,nouscoupantdansnotreélanàcausedesontempobeaucouppluslangoureux.Jem’arrête,essoufflée,complètementravie.Monamieafficheunairsimilaireaumien,dumoinsjusqu’àcequesesyeuxs’écarquillent.Jeneréalisepas immédiatement lacausedesonétonnement.Jesuis ladirectiondesonregardetmeretourne.Moncœurs’emballe.Plusieursdanseurss’écartent,tellelamerRougefaceàMoïse.C’estChris.

Monsourires’effriteaufuretàmesurequ’ilavancelentement.Ilaindéniablementquelquechosedechangé,jelevoisbienenlecontemplantmarcherd’unpasfélinjusqu’àmoi.Unfélin,c’estexactementceàquoiilressembleencetinstant,etvisiblementilestl’affût.Saproie?Aucundoutesurlaquestion:ils’agitdemoi,parcequ’ilnemequittepasdesyeuxuneseuleseconde.

Lamusiquesensuellerésonnantautourdenousluivacommeungant,accentuantcettecurieuseauraqu’ildégageetqui se répanddans l’air, pareille àunevaguebrûlante. J’aiunepenséeétrange. Jemedemande si, lorsqu’il fait l’amour, il émane de lui la même chose. Ça expliquerait le comportementénamourédel’autrefille,cellequiluiasautéaucoulapremièrefoisquejesuisvenue,quelquesjoursplustôt.

Sonvisageestfermé;pasl’ombred’unsourirenevientétirersabouche.Parcontre,ilyaquelquechosed’incandescentdanssonregard.Quandilm’aenfinrejointe,jen’osepasleverlesyeuxplushautsque son torse.Moncœurpalpite dansmapoitrine, et à un tel point que je suis presque certainequ’ill’entend toutaussibienquemoi.Soncorps frôle lemien.Ni luinimoinebougeons réellement. Jeneréussispasàquantifierletempsqueçadure,nousdeux,là,l’unenfacedel’autre,maisj’ail’impressionquec’estuneéternité.Finalement, ilglisseunemainaucreuxdemesreinset jeretiensbrièvementmarespiration.Jetrembledepartout,commesij’allaism’effondrer.Desamainlibre,ilmesaisitlementonentrelepouceetl’indexafindem’obligeràreleverdoucementlatête.

Ilfaudraitquejedisequelquechose,n’importequoi,pourdésamorcercetteambianceentrenous.Elleme fait furieusement penser à une grenade dégoupillée pouvant exploser à tout moment, mais j’ai labouchesècheetc’estencorepirelorsquenosyeuxtissentuneconnexionélectrique.Quandilsembleêtresûrquejenevaispastenterd’échapperàcetintensecontactvisuel,ilacceptedelibérermonmenton,nonsansavoir laissésonindexcaressermamâchoire.J’ai les lèvresentrouvertescar ilmefautd’uncoupbeaucoupd’oxygènepourresterdebout,là,faceàlui.Soudain,sansmequitterdesyeux,ilmesaisitlatailledesdeuxmainspuissebaisselégèrement,commes’ilallaitexécuterunporté.Monregardlesuitetlui, l’abandonne.Non, il ne va pasme soulever du sol, il remonte bien avant de s’être véritablementaccroupi, caressant mon corps du sien, arrêtant son visage au niveau de ma ceinture. Là, ses brasm’encerclentplus franchement, tandisqu’ilenfouit sa têtedans le tissudemon topen remontant. Je lesensplusque jene l’entendsréellementprendreuneprofonde inspiration. Il semetsoudainàosciller,entraînantmon corps avec le sien avec un naturel désarmant. Son nez se niche entremes seins et, làencore, je sens qu’ilme respire. Il ne relève la tête que pourm’adresser uneœillade enflammée.Unhoquets’échappedemabouche;sesprunellessontquasimentnoires.Jenesaissic’estdûàl’éclairageduPandémonium,ouàautrechose,maislefaitestlàetcechangementestaussiinquiétantquefascinant.

Ilreprendsalenteascension,sanss’écarter.Jefermelesyeuxensentantcequisepressecontremahanche.Jenesuispasnaïveaupointd’enignorerlanature.Sabouchefrôlelapeaufine,plutôtréceptive,demoncoupendantqu’ilcontinuedenousemporterdanscebalancementquin’ariend’unedanse,toutenyressemblantd’unecertainefaçon.C’estréguliermaistrèslent,ceva-et-vientlatéraldenosdeuxêtressoudésl’unàl’autre.Mesmainsreprennentenfinvie:ellesnesavaientplusquoifaire,commeoubliéesàleurtristesort,etlesvoilàdésormaisguidéesparunechaleuraffolanteprenantnaissancedansmonbas-ventre.Jeposemesdoigtsfébrilessursesbicepsquejesensimmédiatementdurciràcecontact.Ilme

serre unpeuplus contre lui,m’étouffant presque,mais c’est loind’être désagréable.Unepartie de sabouche vient caresser contre mon oreille. Je savoure le rythme et la tiédeur de son souffle, rapide,profond.Quandilglissefurtivementsalanguehumideàl’intérieur,desflammesmedévorentvive.Ellessont ardentes et électriques ; sous le choc, j’ouvre subitement les yeux, dégrisée.Mon corps se tend,commeaffamé,etc’estunefaimquejenereconnaispas.Ils’enrendcomptepuisqu’ilsefigependantquelquessecondes.Puisjediscernesonsourirecontremapeau,etsaréponsem’annihile:ilcomprimedavantagelapreuveflagrantedesonexcitationcontremoncorps,précisémentlàoùj’aisichaudquemonsangsembleentréenébullition.

Je ne sais plus comment respirer : ma poitrine se soulève demanière totalement anarchique. Sesmains quittent mes omoplates ; elles descendent avec une lenteur diabolique jusqu’à mes fesses et,seulementunefoiscetobjectifatteint,iléloignesonvisagedumien.Sonétrangeregardcaptivantsemblerecéler les mystères d’un monde qui m’est inconnu. Il déborde de promesses au message obscur,indéniablementattirant.Nousnefeignonsplusdedanser,sinousavionspunommerçaainsi.Non,nousnousdévoronsmutuellementdesyeux.Ilprendautantqu’ilmedonne;jefaisexactementlamêmechose.Puis,sansquejem’ysoispréparée,ilmesaisitfermementparlesfessesetmesoulèvedeterre.Jelâcheuncridesurprisetoutenm’agrippantàsesépaules,pendantquemesjambess’enroulentautomatiquementautour de sa taille. Il émet un rire dénué d’humour ; tout en sensualitémasculine. Et c’est ainsi qu’ilm’emporte,avecunedéconcertantefacilité,jusqu’àunénormecubedeboisquiprotègel’unedesbaffles.LorsqueChrism’ydépose avecunegrandedélicatesse, je sens sesmuscles jouer sousmesdoigts. Jefrissonne.

Immobile,ilsecontentederesterentremescuissesdurantd’interminablessecondes.Sespaumessontdésormais appuyées sur la surface rugueuse du caisson. Nos regards s’accrochent de nouveau. Jeremarquequelesienestunpeuplusclairquesurlapiste.Pouruneraisoninexplicable,j’ensuisdéçueettriste.

—Donne-moiunmoment.Sa voix est extrêmement basse. Je ne suismême pas certaine d’avoir bien compris le sens de sa

requête,etceladoitseliresurmonvisagecarilsourit.C’estunsourireunpeutropameràmongoût,puisChrispenchelatête,medissimulantsubitementsesyeux.Jenepenseplus,jeréagis.Mesmainsseposentnaturellement sur ses cheveux. Je constatequ’ils sontmaintenantunpeuplus longsque lorsquenous nous sommes rencontrés la première fois. Il me laisse faire. Je sais qu’il ne va pas bien : lesmusclesdesesbrassonttendusàl’extrême.Sonpiedtaperégulièrementlesol.Jedevineplusquejenevoislemouvement,seulsignedecettecolèrequimugitparfoisenluitelunfauveprêtàtoutdéchiqueter.J’aiunevagueidéedel’objetdesafureurcettefois,sansenêtrecertaine:moi.Jel’aiencoreprovoqué,enchoisissantunetenuequinepouvaitpaslelaisserindifférent,alorsqu’ilm’avaitpromisdemelaissertranquille.Seulement,voilà,jeneveuxpasqu’ilmelaissetranquille.C’estlepremiermecquimedonnel’impressiondepouvoirmecomprendre,m’acceptertellequejesuis,mevouloirtellequejesuis.Moiaussi,jeleveuxtelqu’ilest.Unseulregarddeluietj’ailecœurquibatlachamade,lesoufflecourt.Saseuleprésencesuffitàmesentirprotégéedumondeentier.Unseulcontactavecsapeauetjedeviensunamascrépitantdeflammes.Est-cedel’amour?Jen’ensaisrien.

—Putain,gronde-t-il,toujourslatêtebaissée.Putain!Jecaresseinstinctivementlatexturedoucedesescheveux.Jechercheàleréconforter.Mespensées

sontconfuses,çapartdanstouslessens,semélangeetjesuisperdue.Sesdoigtssaisissentbrusquementletissudemonhaut,au-dessusdemeshanches.Jesenspresqueses

ongles m’érafler la peau avant qu’il ne presse son front contre ma poitrine. Mon cœur menace des’éparpillerenunmillierd’atomes.Lorsqu’il relèvesonvisage,sadétressepoignardeunboutdemoi

enfouisiloinquej’avaisignorésonexistencejusqu’àcetinstant.—Tumedonnesencoreunmoment?souffle-t-ild’untonéraillé.Jen’aipaslamoindreidéedecequ’ilréclameréellement,maisj’acceptedeplusieurshochementsde

tête. Je retiensdouloureusementmes larmes. Jevaispleurer sansmêmeen connaître la raison…c’estabsurde.C’estabsurdeceterribleflotd’émotionsquimesubmerge.Absurdeetincontrôlable.

—Nemeregardepascommeça.Savoixn’estqu’unmurmureécorchévif.Jenecomprendspas.Jenecomprendsplusrienàrien.Jele

regarde comment ? Il réalise que je suis larguée, quelque part dans ses prunelles grises, il s’en rendcompte.Alors,ildécidedem’acheverd’unedernièrephrase:

—Nemeregardepascommesituavaisbesoindemoi.

Chris

C’estuneodeurdecaféquimetiredemoncoma.Moncerveau…y’auntrucquicloche.Uncinglél’aprobablement ôté dema boîte crânienne pour jouer de la batterie avec avant de le remettre en placen’importecomment.J’aiunsalegoûtdanslaboucheetmalangueestaussisèchequ’unboutdebois.

Jegrogne.—Réveille-toi, laBelle au bois dormant, s’amuse une voix que j’identifie facilement,malgré les

brumesépaissescernantmonespritembrouillé.Soudain,desorteilsheurtentmajoue,pourvivementseretirerlasecondesuivante.Lecontactdema

barben’estprobablementpasaussiagréablequejel’auraisvoulu.J’ouvreunœil,repèreunejambenuedefemmepasloindemafigure,metournesurlagauchepourrencontrerlesourirenarquoisdeJo,deboutàcôté.Mesyeuxreviennentàlapairedegambettesetjepanique.Jemeredresse,lapeurauventre.

J’aifaituneconnerie.Non…non,NON!Lorsqu’unecrinièreblondeémerged’endessousducoussinducanapésurlequelonestétendustous

lesdeux,jesuisàlafoissoulagéetdéçu.Àgenoux,lesfessesappuyéescontremestalons,jecachemonvisage derrière mes paumes subitement moites. J’ai le cœur qui bat comme un fou sous l’effet del’adrénaline.Lesimplefaitd’avoirimaginéqu’onaitpucoucherensemble,elleetmoi,m’amisdanstousmesétats.

—Putain!jemurmure,avantderetirerunàunmesdoigts.Joéclatederire,maisiln’yaaucunetraced’humour.—Tu t’es fait une petite frayeur ?Non, tu ne l’asmême pas embrassée et pourtant, je ne t’avais

jamaisvudansunétatpareil.Tuméritesunemédaille.Moncœurcessedefonctionner.Monregardcroiselesien.—Pourquoij’aidormicheztoi?J’aiposélaquestionparcequ’ilfautbienquejesache,néanmoins,unegrandepartiedemoiaimerait

sepasserdelaréponse.Oublier,c’estparfoismieuxquedeconnaîtrelavérité.Monpotemetendunetassefumante.—Boisça,d’abord.PuisilmedésigneSybildumentonetjecomprendsqu’ilneveutpasparlerdevantelle.J’acquiesce

en acceptant le mug rempli de café. Je m’installe plus confortablement après avoir repoussé un peubrutalement les pieds demon « coup » le plus régulier. Je ne peux rien y faire : toutesmes penséestournentautourdeKatherinaetessaientdereconstituerlasoirée.

Sybilmarmonnedesinjuresàmonencontrepuisselève,furieuse.Ellen’apasdutoutunetêtesexyauréveil. Ses yeux sont gonflés et ses cheveux partent dans tous les sens. Je la suis du regard pendantqu’elle se réfugie dans la salle de bains de Jo. Une fois certain qu’elle ne peut pas entendre notreconversation,j’affrontemonami,quis’estassisàmêmelesol,prèsdemoi:

—J’aidéconné?Ilesquisseunsouriretriste.

—Unpeu,ouais.Jefermelesyeux,crispé.—Merde.Combiensuruneéchellesurdix?—Oh,vingt,facile.—Putaindebordeldemerde!J’ouvrelesyeuxpourdégustermapunitiondivine:j’aitellementmalaucrânequ’ondiraitquemes

globesoculairessontreliésàmescheveuxetd’autresorganes.Çamefaitmaljusquedanslesongles.J’avaleimmédiatementunegorgéedubreuvagenoir.Monestomacsecalmelégèrement.—Jemesouviensquedequelquesbricoles.Kate…Là, le souvenir me brûle. Kate dans ses vêtements sexy qui se déhanche sur la piste avec une

expressionéblouissantesurlevisage.Unbonheurdontjenesuispasl’origine.Çamerenddingue,plusencore que les mouvements sensuels de son corps qui oscille en rythme avec la musique. Le mondes’efface.Ilnedevientqu’unegrossetachefloueetjenevoisqu’elle.Etcetairqu’elleaffiche…Legoûtdelahainesurmalangue.Parcequec’estsacopinequiluiprocurecettejoieenfantineetnonmoi.

Lereste…j’abaissedenouveaulespaupièresetdéglutispéniblement.—Ouais,Kate-la-bombequiaterrassétacervelle,plaisanteJo.Aprèsvotrepetitshow,tuasfoncé

dehorspourtenterdedémolirunchêne.Jeregardeaussitôtmesphalanges,stupéfait.C’estunvéritablecarnage,onvoitpresquel’osetrien

quedeconstaterlesdégâts,çamedéclencheunevaguededouleur.Johausselesépaules,fataliste.—J’aipasréussiàt’arrêter.Tuhurlaispleindechosesetjen’enaipascomprislamoitié.—Pleindechoses?jerépète,anxieux.Monamimescrutelonguement,commes’ildoutaitdemeslacunes.—«Ellenepeutpasavoirbesoindemoi»,ouencore«jenepeuxpasêtreavecelle»,cegenrede

trucs. En tout cas, c’est l’arbre qui a gagné. Tu t’es ensuite calmé, enfin, si je peux dire ça. J’airapidement arrêté de compter les bouteilles que tu as assassinées. Sybil est arrivée et tu l’as laisséet’allumer comme il faut. Lorsque tu as semblé avoir joué suffisamment les connards en pelotant unegonzesse sous lenezde ta«petite femme», tum’asdemandéde les ramener, ceque j’ai fait.Findel’histoire.

Iln’yaplusaucunegouttedesangdansmoncorpsetjedoisêtreaussiblancquelesmursdelapiauledeJo.

—Chris…,murmure-t-il,delapeinedanslavoix.Jecligneplusieursfoisdespaupières,hébété.—C’estvachementbiendetapart,cequetufaispourcettenana.Maistut’interdisdel’approcher

comme tu en crèves d’envie et c’est en train de…Mec, tu changes. J’te dirais bien que c’est un bonchangement,mais jen’en suispas sûr.T’étaisdéjàpas très stableaprès…enfin,David,mais là…çadevientflippant.

Jesensmesyeuxs’étrécirtandisquemesdoigtsserrentmatasse.Jesaisoùilveutenveniretçanemeplaîtpas.Pasdutout,même.Jogigote,malàl’aise,etsonregardfuitlemien.Lesilence,chezmoi,n’estjamaisdebonaugure.

—Tudevraispeut-êtrelalaisserpartir,tuvois?suggère-t-il,incertain.Hiersoir,monpote,onatouscru que tu allais la prendre, là, sur la piste.Vous avez jeté, à vous seul, des litres d’essence sur lesbraiseshormonalesdechaqueputaindeclientprésent.Ettuneluiasmêmepasrouléunepelle!Tusaisquetuasbesoindetoutetatête…Lesboulotss’enchaînentetRonan…

Moncorpsseraiditenentendantceprénom.J’avaled’untraitcequimerestedecafé.Laisserpartir

Kate ?Non. Je n’arrive pas àme souvenir comment c’était avant elle, et j’imagine encoremoins sonabsenceàl’appartement.

—Non.Ma bouche a réagi avant que je ne décide réellement de donnerma réponse à Jo. Il soupire puis

secouedoucementlatêtededroiteàgauche.—Tuvasluifairedumal,tusais.Etàelleaussi,sanslevouloir.J’aienviedevomir.—C’estpasmonbut,jerétorque.Aprèscesmots,monestomacsesoulèvesousunenauséedeclassemondiale.—Jeveuxjustel’aideràs’ensortir.Yadesmomentsoùjusteunemaintenduepeutchangerlecours

deschoses.Monamimejetteunregardnoir.—Tuveuxaussilabaiser.C’estvrai.Jemerepliesurmoi-même,lefrontposésurmesgenoux,lemugencoreentremesdoigts.—Ouais,mais…pascommelesautres,jemurmure,ouplutôt,jegémis.Jetelejure:cen’estpas

pourlajetercommeunemerde.Jesenssubitementsamainsurmonépaule.Iladûserelever.—Laisse-lapartir.Trouve-luiunappart’,maisarrêtededéconner.TuasfaillituerFabparcequ’il

l’avaittouchée.TupèteslesplombsquandErikparled’elled’unefaçonquitedéplaîtalorsquevousnesortezmêmepasensemble.Chris…onnepeutpasmettrelesgensencage,mêmepourlesprotéger,ettoi,tuesentraindel’enfermerdansuneprisondorée.

Ilaraisonmaisilnecomprendpas.Ilnecomprendpasparcequ’ilneressentpascequej’éprouvepourKatherina.Quand elle est près demoi, j’ai le sentiment quemonmonde est normal, que tout estlumineux,drôle,tranquille,quevivreestenfinpossible.Dèsqu’elleentredansunepièce,c’estunsoleilvers lequel je ne peux m’empêcher de graviter. Je me nourris de chacune de ses expressions : joie,contrariété,colère…C’estfou.Jesuisfou,maiscettefoliemeconvient,jepeuxtrèsbienmelevertouslesmatinsavec.

—Non.—Chris,soupireJo.Jelefusilleduregard.—Cenesontpastesoignons.—Jetedisçaparcequejesuistonami.Jemelèveàmontouretcherchemonjeandesyeux.Ilfautquej’ailleréparerlamerdequej’aifoutue

avec Kate. Peut-être qu’elle s’est déjà barrée et, à cette idée, mon estomac se révulse et je coursdégueulerdanslelavabodelasalledebains,leschiottesétantdéjàoccupéesparSybil.

Vite.Ilfautquejemegrouille.Vite.Vite.Franchirleseuildemonpropreappartementmesembleunobstacleinsurmontable.Jen’arrêtepasde

me demander si je vais la retrouver furieuse, triste ou indifférente. La dernière option m’est justeinsupportable.

J’inspirecommeunboxeuravantd’entrersurlering,plusnerveuxquejamais.Enrefermantlaporte,jen’entendsquelesilenceetlà,j’ailapeurauventre.Jemeraclelagorgepouréviterquelapaniquetransparaissedansmavoix:

—Kate?jel’appelledoucement.J’avancedequelquespasdanslesalon.

—Katherina?Aucune réponse. Je me précipite dans sa chambre et lorsque mes yeux tombent sur la penderie,

constatantquesesvêtementss’ytrouventtoujours,jerespireànouveau.Jesorsdelapièce,légèrementplusdétendu,puismedirigeverslacuisine.Jen’yentrepastoutdesuite,jelacontemple,latêtepenchéeau-dessusdesonbol.Jem’adosseauchambranledelaportetoutencroisantlesbrassurmontorse.SiSybilneressembleàrienauréveil,cen’estpaslecasdeKate.Sescheveuxluidonnentunairencoreplussauvageon,etsonexpressionensommeilléeestplussexyquerepoussante.

Ellesaitquejesuislà,jelevoisàlaraideurdesesépaules.J’épielemoindredesesmouvements,savourantlesimplefaitdelaregarder,çamesuffit.Çasuffitàmafolieetàmesentir«bien».

Finalement,ellecessederemuersoncaféet relève la tête.Ellenesemblepasencolère,maissonexpressionmetordlesboyaux.Unecertainetristesseamère,résignée.

—Salut.Savoixaussipossèdecetaccentdelapersonnequiabdique.—Salut,jerépondsavecprudence.Désolépourça.J’aitoutdesuitedonnémesexcuses,depeurdenepouvoirlefaireparlasuite,selonlatournureque

prendralaconversation.Kateselève,lebolàlamain,etsonregardévitesoigneusementlemien.—Tun’asàpasl’être.Ellevidelecafédansl’éviersansl’avoirbu.—Je…Lebruitdubolquiheurtebrutalementlaparoieninoxm’interrompt.Elleneseretournepasetjene

voisplusd’ellequesondos,sesbrastendusetsesdoigtsquis’agrippentaureborddel’évier.—Onvafairecommesiriennes’étaitpassé,OK?C’estma ligne. Pourtant, çame désespère qu’elle prononce lesmots que jem’apprêtais à lâcher.

C’estàn’yriencomprendre.—Jemesuisconduitcommeuncon.Situsouhaitesquejem’explique,jeleferai.Jesuissincère.Jenevaispasfairesemblantdenepasavoireuuneeffroyableérectionenlaserrant

dansmesbras.Jenemecachepasdeladésirer,parcequejeveuxqu’ellelesache,c’estcommeça.Elleémetunpetit rire sarcastiqueetmoncœurexplosequand je lavois s’essuyer la figure. Jene

distinguequelesmouvementsdesonbras,maispasbesoindemefaireundessin.Ellepleure.—C’estenpartiemafaute.Jen’avaispasàm’habillerdecettefaçon.Çanemeressemblepas…ça

nemevapas.Lesderniersmotsne sontqu’unmurmure éteint. Jeme retiensd’aller l’étreindre et cedésir est si

puissantquemesjambesentremblent.—Si.Çatevavachementbien.Tuétaisvraimentsexy…trop,même,si tuveuxmonavis.Etpuis,

c’étaittonanniversaire,tuavaisledroitdetefairebelle.Cette fois-ci, elle éclate vraiment de rire, mais lorsqu’elle pivote enfin vers moi, son regard est

furieux.—Jenel’aifaitquepourquetumeregardes.Pasparcequec’étaitmonanniversaire.Cetaveuéparpillemespenséesetjesuisincapabled’yrépondreimmédiatement.—Jeteregardetoutletemps.Mêmesansshortmicroscopique.Sesyeuxs’écarquillentunbrefinstantetjesuisheureuxd’avoirbienrépondu.Soulagé.Ellehausse

lesépaulesavecunefausseindifférence,maisilestclairquec’estcequ’elleespéraitdemapart.Monregardlasuittandisqu’ellerangelesaffairesdupetitdéjeuner.

Elleneportequ’unbasde joggingetunT-shirt,mais jenepeuxretenirmonsangdebouillir.Mon

corpssesouvienttropbiendel’empreintedusien.—Tutravaillesaujourd’hui?Katesecouelatête.—Lescours?j’insiste.Unenouvellefois,ellemefaitsignequenon.—Tuveuxquejet’emmènequelquepart?Jenet’airienoffertpourtonanniversaire.Uncurieuxsourireincurveseslèvres:àlafoisironiqueetmélancolique.Jecomprendsàquoielle

pense,etçanem’aidepasvraimentàmaîtrisermespulsions.—Jeveuxdire,àpartça.Lui démontrer avec enthousiasme l’étendue de son pouvoir sur mes plus bas instincts n’est pas

réellementuncadeau.—Çatediraitdefaireuntouràlaplage?Elle était en train de ranger une boîte de céréalesmais elle suspend son geste pourme regarder,

étonnée.—Enpleinhiver?Quelledrôled’idée.Cependant,àl’inflexiondesavoix,jedevinequelapropositionluiplaît.Etbizarrement,àmoiaussi.

Puiselledéclined’unmouvementnégatifdetête.Çam’agace.—Jevaisbossermescours.Jedécollemonépauledel’encadrementdelaporte.—Tupourraislefairecesoir.Ellemelanceunrapidecoupd’œiletl’éclairquiybrilleressembleàdumépris.Jedétesteça.—Situnesaispasquoifairedetesdixdoigts,jetesuggèredepeloterSybil.Ilsembleraitquecette

activitésoitcapabledet’occuperpendantunsacréboutdetemps.—Jalouse?L’éventualité dilate d’avance mes pupilles. Un rire grinçant sort de ses lèvres d’un rose délicat,

parfaitementassortiàsonteintpâlederousse.—DecettepétasseauQIprochedeceluid’unehuître?Jenecroispas,non.Et Jo qui me suggère de la laisser partir… comment est-ce que je pourrais faire ça ? Rien

qu’échangerdeshorreursavecellemecomble,m’exciteautantquenosfousriresounotredanseérotiquedelaveille.

—C’esttoiquiparlesd’elle,jesouligne,enprenantunmalinplaisiràlafairesortirunpeuplusdesesgonds.

Cequifonctionneàmerveillepuisqu’ellem’affronte, totalementfurieuse, lesmainssur leshanchestandisquesesprunellesatypiquesm’assassinent.Moncorpsjubileetsetend;desmilliersdecourantsélectriquesmeparcourent.Elleestsibelle,encolère.C’estpeut-êtrecelaquimepousseàl’énerver.

—Difficiledefaireautrementquandtuasunsuçondelatailled’uneassiettedanslecou!Jegrimace.FoutueSybil, pirequ’une sangsue.C’estplus instinctif quecalculé, j’essaied’attraper

unemècheflamboyantedesescheveux,maisellerepoussebrutalementmesdoigts.—Jesuisvraimentdésolé.Jenemesouviensquedetoncorpscontrelemien…Pourlereste,c’est

Joquim’arafraîchilamémoire.Etlefaitdemeprendrelepieddelablondeenquestiondanslagueuleenmeréveillant.Maisça, jenesuispasassezconpour le luidire.Jedésireavant tout l’apaiser.Ellea ledroitde

m’envouloiràmort,mêmesicelamefaitchierdel’admettre,parcequejen’aimepasdesmassesêtreceluientort.

Jetenteencoredesaisirlamèchedecheveux,cellequim’attire,maiselletapeunpeuplusfortsur

mesdoigts:—Arrêteça,m’ordonne-t-elle.Jehausseunsourcil.—Quoi?Sisesyeuxavaientétédevéritablesflingues,jeseraisinstantanémentmortperforéparleursballes.

Nousnousdéfionsduregard.Soudain,ellelâched’unevoixgrondante:—Tuferaismieuxd’allerprendreunedouche.Tupuesleparfumdegonzesseetl’alcool.Touché-coulé.Jemefigeetseulmonregardréussitàlasuivrependantqu’ellesortdelacuisine.Dixjours.Dixputainsdejoursqu’ellem’évite.VoilàceàquoijepensependantqueBennydémolitle

portraitd’unautrerevendeurinconscient.Ronan,jelesais,alesyeuxrivéssurmoipendantqu’ilfumepaisiblement sa cigarette.Benny se redresse légèrement, essoufflé, puis lâche finalement le T-shirt dupauvremec.Latêtedutypetombemollementsurlesolenbétonduhangaroùnousnoustrouvons.Moi,jesuis assis sur un petit container jaune, et je tire une latte de ma propre clope avant de grimacer dedouleur.

Tes doigts n’étaient pas assez amochés comme ça, hein, fallait ajouter une petite couchesupplémentaire?

Enl’absencedeJoetErik,prissurunboulotdetransport,j’aidûgérerpasloindehuittypesquinem’ontpasfaitdecadeaux.Jen’enaipasfaitnonplus,d’ailleurs.Mesyeuxsedirigentautomatiquementversleurscorpsétendusparterreetjesouris,unriencruel.Ilssontencoredanslesvapes.MonT-shirtestdéchiréettientencoreparje-ne-saisparquelmiraclesurmondos.Heureusementqu’ilestnoir,onn’yvoitpastroplesang,quecesoitlemienouceluidemesadversairescomplètementKO.

—Aufait,Chris…,commenceRonan.Jepivotedanssadirection,mêmesi le regardermedonne toujoursautant lahaine. Ilesquisseune

moueréjouie,commes’ilconnaissaitparfaitementmessentimentsàsonégard.Cequidoitêtresûrementlecas.Jenedisrien,j’attendsseulementqu’ilpoursuive.

—Melaacceptédevenirhabiterchezmoi…Çanetedérangepas?Je détourne la tête, tire encore sur ma cigarette puis expulse la fumée par les narines : moins

douloureuxpourmagueuledémolie.—Jedevraisl’être?Vatefairefoutre,toiettesjeuxpervers,connard.Ilritdoucement.—Peut-êtrepas,puisquesafranginecrèchecheztoi.Elleestcomment?Meln’apassumeladécrire

correctement.Remarque,aprèscequ’ellevenaitdepicoler,riend’étonnant.Je suis gelé de l’intérieur et ne parviens plus à réfléchir normalement. Je dois agir comme

d’habitude.Fautpasquejeluidonnematièreàs’intéresser.Restecool.—J’sais pas. Elle fait juste leménage et la bouffe en échange d’une chambre. Je ne lamate pas

vraiment,c’pasmacame.Tuveuxquejetelaprésente?Çapeutmarcher.Jepeuxbluffer.Denouveau, je l’affronte enprenant soindegarderunecertaine indifférencedans le regard. Ilme

scrutedesesyeuxvertsperçants,jenecillepas,pasmêmeuneseconde.Jesourisavecdécontraction.—T’asbesoind’unebonniche?jel’interrogeavecmonplusbelaird’enfoiré.—Dequoivousparlez?intervientBenny.Je le remercie de tout cœur de vouloir entrer dansmon jeu. Je croise son regard puis hausse les

épaules:—Debobonne.Ilfroncelessourcils,puiss’exclamecommes’ilsesouvenaitseulement.—Lelaideronquirécureteschiottes?J’éclate de rire. Un rire en partie sincère parce que nous savons tous deux à quoi ressemble le

«laideron»enquestion.Ilmedonneunetapeamicaledansledos.—Perso,jepréféreraisadmirerMelavecjusteuntablier.Jelavoisbiennettoyermatuyauteriedans

cettetenue.Ilfeintdefrissonnerd’anticipation.Ilmesuffitd’unseulcoupd’œilversRonanpourconstaterque

notrecinémal’aconvaincu,pourl’instant,dumoins.Dèsquenousposonsunorteilàl’extérieur,j’aileportablequimedémange.Pourtant,jesuisobligé

d’attendrequeRonansebarreavecsalimousineàlateintevirginalemaisquicontientplusdeprostituésqueletrottoirdeBellevue.Bennymarched’unpasnonchalantjusqu’àsaBMWetmoi,versmaPontiac.

Aumomentoùj’ouvrelaportière,Ronanm’interpelle.Jemepétrifie.C’étaittropbeau…—Faudraqu’onsefasseunpetitrepasàquatre!Toi,«Bobonne»,Meletmoi!Monsangse transformeenglacepilée.MonregardcroiseceluideBenny, faceàmoi,etquiallait

entrerdanssabagnole.Ilal’airchoqué.Peut-êtrededécouvriràquelpointmonvisageestsubitementblême,ouàquelpointle«chienenragé»peutêtremortdetrouilledefaçonaussiflagrante.

Je lève le bras pour faire un signe de la main à notre ordure de patron ; il le prendra pour unassentiment,maislà,toutdesuite,jem’enbranle.Lessecondess’écoulentavecunecurieuselenteurausablierdutemps,etj’ail’impressiondetoucherl’éternitédudoigt.

—Ilestparti,murmureBenny.Je sors illicomon téléphone pour contacterKate.Elle ignore le premier appel, puis le second, et

finalementjen’aipasd’autrechoixquedelaisserunmessage:—C’estmoi. Écoute, je dois te parler… te voir, c’est important. Rappelle-moiKatherina, s’il te

plaît…j’déconnepas.Je raccroche, le regard rivé sur l’écran tactile. Je serre tellement les dents que je risque dem’en

briserunesouslapression.—Respire,tenteBenny.Ilnevapaschercheràlarencontrerdanslestrenteminutes.—Jenevaispasprendrecerisque.Queljouronest?Mercredi?Quelleheure?Dixheures…Elle

doitêtreencoreàlafac.J’yvais.Moncerveauturbineàpleinrégimeetjedémarrelavoitureenleplantantlà.Jen’aimêmepasbouclé

ma ceinture. Ilme fautmoins d’un quart d’heure pour arriver à destination et durant ce court laps detemps,jen’aipascesséd’essayerdelajoindre,sanssuccès.Jesuisfoud’angoisseetdecolère.Jesuisfurieuxqu’elle ignoremesappelsalorsqu’ils’agitdesasécurité.Jemegareà l’arracheetsorsde labagnole comme un dératé. Les étudiants que je croise me jettent de drôles de regards, mais je m’encontrefous, je vérifie juste qu’il n’y a pas un des gorilles deRonan-le-cinglé qui traîne dans le coin.Soudain,jelarepère,elleetsachevelurecuivrée.Elleestprèsd’uneespècedeparcoùquelquesélèvessontassisetdiscutent.Elleparleavecungrandtypeàlatignassechâtaine.Elleluisourit.Jedisjoncte.Jelesensparfaitement.Chaquebarrièrecède ;cellesquiendiguenthabituellementmarage.Mais lapeurqu’il lui arriveunehorreurdontRonana le secret et l’impressionqu’elle a refuséde répondreàmescoupsdefilsinquietssimplementparcequ’ellepapoteavecunabrutid’étudiant,ça,çamefaitpéterlesplombs.Çadétruitlesbarrières.J’ailesangquimebrûle.

Jenem’enaperçoispas immédiatement,mais j’avancedanssadirection.J’aurais jurécourir,maisnon, mon pas est régulier, presque tranquille. Elle me remarque enfin et son sourire s’évapore

instantanément–etellefaitbiend’arrêterdesourire,jenel’auraispassupportéunesecondedeplus.—Chris?Ilyaunproblème?L’inquiétudedanssavoixn’estpasfeinte,maisj’aienviedeluihurlerdessuspourluidemandersi

ellenesefoutpasunpeudemagueule:j’aiessayédelajoindreunebonnedizainedefois.—Tonportable,jecracheentremesdents,enplantantmesyeuxdanslessiens.Ellesursaute,puisfroncelessourcils.Quandellebaissesonvisage,sacapuchelesoustraitàmavue.

Je la contemple fouiller dans son sac à dos et en sortir son dinosaure. Après quelques instants, ellemurmure:

—Ilétaitsurvibreur…Désolée.Jehochelatête.D’accord.Unebarrièreoudeuxseremetenplace.Maisilyaencoreletype.—Ilestarrivéquoiàvotrevisage?medemande-t-iljustement.Savoixauneinflexionsèchequimefaitpéterunebarrièreàelleseule.Jemetourneversluietje

saisquemonregardestceluiduchienenragéquiveutt’arracherchaquemembred’uncoupdegueule.—T’esquitoi?Onseconnaît?Non?Bonalorsfermetabouche.Jem’avanced’unseulpasetKateposeaussitôtunemainsurmonbraspourm’inciteraucalme.Mais

calme,jenelesuispas.Jesuistoutsaufça.—Chris…JeteprésenteZach,insiste-t-elle.Jeluijetteunregardahuri.Tupensessérieusementqu’apprendrequecetéchalasbienpropresurluiest ton«Zach»vame

permettredereprendremesesprits?Turêves!Ellecomprendparfaitementlemessage,jelevoisbien,maismesuppliesilencieusement.Jepousse

unhurlementàl’intérieurdemoi.C’estunevéritabletempête,unouraganquisedéchaîneetpourtant,vudel’extérieur,jerespireseulementunpeuplusfort.Puiselles’adresseàlui,sansmelâcher,etlecontactdesesdoigtssurmapeaubrûlantemefaitdubien:

—Écoute,Zach…IlyaunproblèmeetjedoispartiravecChris.OK?Letypeopine,toutenmelançantuneœilladesuspicieuse.—Situasbesoindemoi,tusaisoù…Mais il n’a pas le temps de terminer sa phrase : cesmots, ceux-là, précisément, ont eu raison de

l’infimesang-froiddontjefaisaispreuvejusqu’àmaintenant.Jesuissurlui.Jesaisissaputaindevesteenlaineauniveauducouetapprochesonvisagedumienpourqu’ilvoiebienchaquesaloperiededémonquej’abriteàl’intérieurdemacarcasse.Commed’habitude,danscesmomentsderage,jenedisrien.Katem’entourelatailledesesbrasetc’estbiencegestequisauvecetrouduculdesefairedémonterpièceparpièce.Ellemetireversl’arrièreetrelâchercetabrutiestdouloureux,mesdoigtscrispésontdumal.

Mêmesijemelaisseentraîner,jen’arrivepasàdétachermesyeuxdessiens:j’ylisdelacolèreenréponseàlamienne,maiségalementdelapeur.Jesourisméchamment,unedernièrefois,l’invitantàmeprovoquer : celamedonnerait laminusculeexcusequ’ilme fautpour lui faire regretterd’êtredans lerépertoiredeKatherina.

UnefoisquenousnoussommessuffisammentéloignésdeZach,ellemesuitsansprononcerunmot.Jemarched’unpasrapide,justepourluirendrelatâchedifficile.C’estpuérilmaisjem’enfous.Jeluienveux.J’aieupeur.Jedétesteavoirpeur.Toutvapartirensucettesi jememetsàangoissercommeçapourelle.

Derrièrelevolant,j’attendsàpeinequ’ellebouclesaceinturepourdémarrerentrombe.LemoteurdelaPontiacrugitcequejetais,etçamefaitunbiendemalade.

—T’esvraimentqu’unsaleconpsychopathe!hurle-t-ellesubitement.

Nous sommes sur une petite route déserte, je roule sans savoir où je vais. Je ne réponds pas àl’insulte,maisjesensmamâchoirejouerlesétaux.

—Tuallaisvraimentluitapersurlagueuleparjalousie?!Espècedemalade!Jeleconnaisdepuisquej’aidixans!

Jequittelaroutedesyeuxletempsdeluijeterunregardnoir,puistendsunindexverselle:—Putain!Nemeparlepasde…de…(Jepinceleslèvres.)Putain!Mesdoigtssefermentenpoingpourfinalementsereposersurlevolantquejeserrecommesic’était

lecoudecepetitenfoiré.—J’étaisinquiet.Mavoixestgrondante,tandisqu’elleroulelelongdemonœsophage.—Inquietdequoi?Çafaitdixjoursqu’onnes’estmêmepasparlé!Jemetourneunenouvellefoisbrutalementdanssadirection.—Àquilafaute,bordel?!Ellelâcheunrirecaustique.—Àceluiquisautetoutcequiporteunsoutif!rétorque-t-elle,acide.Jepousseuncriquiressembleàrugissementtoutentapantfurieusementlevolant.—C’estçaquit’emmerde?Parcequejebaisedesmeufs,maispastoi?Tuveuxenêtre,chérie?Jefreinebrusquement.Ilfautquejesortedelavoiture.C’estlefoutoirdansmatêteetiln’yaplus

quemesémotionsbrutesauxcommandes.Dèsquejesenslefroidsurmonvisage,jelibèretout.Faceàmoi,iln’yaqu’unchampinterminable

etjeluihurlemafrustration,mapeur,mesdésirs,madouleur.Çarâpemagorgecommeunebrossedemétal.Maisçanesuffitpas.

J’entendslaportièreclaqueretjeladevinederrièremoisasavoirbesoindevérifier.—Jesuisdésolée.Cen’estpascequejevoulaisdire.Jelaissemonregarderrersurcelopindeterredésert.— C’est exactement ce que tu voulais dire, je rétorque d’une étrange voix éraillée. Je suis

complètementfou,c’estvrai.J’essaiejustedeteprotéger,j’aimeraisquetulecomprennes.—Meprotégerdequi?Detoi?Unsourireamersedessinesurmeslèvres.—Non.Maisdumondedanslequeljevis.C’estunveninquirongetout,toutcequ’ilaàoffrir,c’est

lamort.Tun’esqu’àlafrontière,tupeuxencoreréussiràresterdel’autrecôté.Peuimportecombienjeteveux,quisuis-jepouréteindretalumière?Ilfaudraitêtreaveuglepournepaslavoir.Ilfaudraitêtresanscœurpourvouloirlasouffler.Jenesuispastotalementsanscœur…surtoutquandils’agitdetoi,Kate.

Unlongsilenceaccueillemonpetitdiscourspathétique.—C’estunpeumadécision,non?Tunepeuxpaschoisiràmaplacequijepeuxaimer.Jemedésintègre. J’ai lasensationquechaqueboutdemonêtres’envolecommeautantdecendres

prisesparlabrise.Jemeretourneetjecontemplesonvisageétrangementsérieux.Jen’oseycroire.Jemesuissûrementtrompédanslesensdecesmotsqu’ellevientdemurmurer.

—Non,jenepeuxpas,jeconfirme.J’inspirelonguement.—Tuesamoureuse?Laquestionmetue.Laréponseaaussicepouvoir.C’eststupidecettefaçondefaire,maisjen’arrive

pasàleluidemanderdemanièreplusdirecte.Elleacquiescesansdétournerleregard.

—Dequi…?Letempss’écouleauralenti,commepourmetorturer.Etpuisellelèvelebrasetjenequittepasdes

yeuxsamainquis’immobilisedanslesairs.Ellemedésignedudoigt.Je ne respire plus. En deux enjambées, je la rejoins près de la Pontiac, je saisis brutalement son

visagedesdeuxmainsetmabouchefondsurlasienne.C’estsibon.C’esttellementbon,mieuxquetoutce que j’avais pu imaginer. Elle entrouvre naturellement les lèvres, j’y glisse ma langue avecempressement,l’enroulantautourdelasienne,quineparvientpasàsuivrelerythmequejeluiimpose,cequirendnotreéchangeencoreplusdélicieux.Cen’estpasromantique,j’ensuisconscient,c’estsauvage,brutal.Maisjenesuisqu’unpauvreaffaméàquionoffreunpeudecequivaluiredonnervie.Jereviensde loinpour renaître là, surcetteboucheexquise.Ellegémitdoucement, lespaumescontremon torse.J’avalelesoncommelemetsleplussavoureuxquej’aiejamaiseulebonheurdedéguster.Mesmainsquittentsonvisagejusqu’àlasouleverdeterreparlesfesses.Sesjambess’enroulentautourdemataille.J’adorelessentirdecettefaçon,c’estenivrant,bienplusquen’importequelalcool.Sansm’arrêterdel’embrasser avec toute la passion dont je suis capable, je la porte jusqu’au capot de la voiture et l’ydépose.Jesenssesdoigtssecrispersurmanuque.Elledoitprobablementcroirequejevaism’arrêterlà.Je souris intérieurement. Un typhon n’arriverait pas à me détourner d’elle cette fois-ci. Mes mainslibèrentsesfessespourremonterverssataille.Jeveuxlatoucher.Touchersapeau,contemplerdanssesyeuxqueleffetçaluifait.

Katherina

Sans compter quelques flirts, je n’ai eu qu’un seul véritable petit copain durantmon adolescence,maisilnem’ajamaisembrasséecommelefaitChrisencetinstant.Ilnemelaisseaucunrépit,aucunechancederéfléchir,jenepeuxquetenterdelesuivre.Où?Jenesaispas.

Jesenssesdoigtsquis’aventurentsousmonsweatetmonT-shirt.Jefrissonne.Ilsnesontpasfroids,Chrisn’ajamaisfroid,peuimporteoùilsetrouve,oucommentilestvêtu.C’estjusteque…jepanique.Unpeu. Je nage en eaux troubles. Sonbaiserm’anesthésie l’esprit,medonne envie de plus.Dequoi,exactement?Jen’aiencorejamaisfaitl’amourLorsquesesongleseffleurentmonsoutien-gorge,j’aiunmouvementderecul.Ildétachealorsseslèvresdesmiennesetjepeuxenfinreprendremonsouffle.Sonregards’estobscurcidefaçonimpressionnante.Ilneretirepassesdoigtset,sansmequitterdesyeux,iltiresurlefintissupourfrôlerdupoucel’extrémitédurciedemonsein.Uncurieuxsons’échappedemabouche.Cela ressembleàunhoquet sansenêtreun. Ilmesourit. Ilyaquelquechosede terriblementsensueldanscesourire.Ilrecommence,maiscettefois-ci,ensepenchantsurmoipourm’embrasserdanslecou.

Soudain, il remontemes deuxhauts superposés et j’ai le souffle coupé par lamorsure de la briseglacée.Moncorpsbrûleetjetrembledefroid.C’estdéstabilisant.Jesuislà,allongéesurlecapotdesaPontiac,offerteàsesmainsetsabouche.C’estimpudiqueetj’aienviedemecacherlevisagederrièremesmains,maisjemeretiens.Lorsquejesenssabouchesurmesseins,mesmusclesseraidissent.J’aienvie d’explorer cette sensation, et d’un autre côté, je veux tout arrêter. Il les embrasse délicatement,déposantunepluiedebaisersqui sont àpeinedes effleurements.Çame rend folle, assezpourque jemurmuresonprénom.Jesupplie.Qu’ilarrête.Qu’ilcontinue.Jeveuxluiappartenir.Jeveuxm’enfuiretrevenirenarrière,quandc’étaitplusrassurant.Plussimple.

C’estenivrantdesentirsonvisagesurcettepartiedemoi,cellequiesttoujourscamoufléepardesvêtements. Il offreundouxcoupde langueà lapointedresséedemon sein.Unevagueenflamméemeconsume.Moncorpss’arc-boute, jenelecontrôleplus.Pasplusquemesdoigtsquiplongentdanssescheveux. Me voir si réactive à la caresse l’encourage à poursuivre sa torture, il n’y a aucun doute,puisqu’ildédie lemêmesuppliceà l’autresein.Mescuissess’écartentdavantage,c’estunmouvementinstinctif, totalement involontaire de ma part. Il ajuste ses hanches dans cet espace et je sens sonexcitation tandisqu’ilondulesurmoi.Uneseulefois.Sûrementpourvérifierqueleffetcelaasurmoncorpsà l’agonie.J’aiuneétrangepressiondans lebas-ventre.Elleest familière, je l’aidéjàéprouvéeauparavant,maisjamaisavecunetelleintensité.Jen’entendsplusriend’autrequenosrespirationsquis’entremêlent.Ilmurmuremonprénom,leslèvresàpeineposéessurmonventre,puisserallongesurmoipour onduler une seconde fois,m’arrachant un gémissement dont j’ai immédiatement honte. J’aimeraispouvoirmieuxmecontrôler,commej’ailesentimentqu’illefait,maisjen’yparvienspas.

Mesdoigtsabandonnentsescheveuxtandisqu’ilseredressetrèslentement.Sonregardestflouetsestraitstendus.Nousnousobservonsl’unl’autre,incapablesdeparler.Cetinstantdureetjerecommenceàsentir lefroid.Chriss’enrendcompte ; il redescendmonsous-vêtementavecunetrèsgrandedouceur,

puismonT-shirtetmonsweat.C’estagréablederetrouverlachaleurdemeshabits,maisd’unautrecôté,jeressensunegrandefrustration.Ilmeprendlamain,m’aideàmeredresser,puisàdescendrelesfessesde laPontiac, seul témoinde cet instant entrenous. Ilme fait glisserde façonà cequemoncorps seretrouvenaturellementcontrelesienpourm’entourerdesesbras,etm’étreintàm’étouffer.JerépondsenglissantlesmainsentresonblousonetsonT-shirt,m’étourdissantdececontact.Jesuissiprochedeluiàtantdeniveaux.C’estsûrementàçaqueressemblelebonheur.J’ensuiscertaine.

—Mapetitefemme,murmure-t-il,latêtenichéedansmoncou.C’estunsobriquet,maisquandilleditdecettemanière,j’ydevined’autresmots.Ceux-là,nilui,ni

moinesommesprêtsàlesprononcer.Nousretournonsàl’intérieurdelavoiture.Jen’aipasterminédebouclermaceinturequeChrispose

unemain surma cuisse et je le regarde, intriguée. Ilme sourit,mais ses yeux demeurent étrangementgraves.

—Ilfautqu’onparle.Moncœurs’emballe.Ilvafairemachinearrièreetmedirequ’onnepeutpasêtreensemble.Jenerépondspas,jerestelà,lecœuraffolé.Ilsemblemalàl’aiseetdétourneleregardverslepare-

brise,sanspourautantôtersesdoigts.—Tusais,jenegagnepasmavieenbossantdansuneusine.—Tun’aspasleprofil,effectivement.Ilgrimaceencoreunbrefsourire.—Monbossestunvéritableenculé.Legenrequ’ilvautmieuxéviter.Monpèreturbinaitdéjàpour

luiavantdemourirdansunefusilladeentrelesflicseteux.Mamèreavaitdeuxchoixpoursubvenirànosbesoins:soitellefaisait le trottoir,soitelleouvraitsonbar.Danslesdeuxcas,elledevaitpasserparRonan…Ronan,c’estmonpatron. Il acceptaitdeprotéger sonbusinessàune seulecondition :que jetravaillepourlui.

Je comprendsmieux pasmal de choses, surtout les hématomes qui apparaissent régulièrement.Mais…

LorsquejesuisavecChrisetquejeledésireautant,quejeveuxtantdelui,quejel’écoutemettredesmotssurmespirescraintes,j’aisubitementl’impressiondereniertoutcecontrequoijemesuisbattuedurantmavie.

—Son truc, c’estme faire dumal. Il cherche sans arrêt un nouveaumoyen deme rendre fou. Sadernière trouvailleapresque faillim’envoyerchez lescinglés…tusais, leshostosoù ils t’abrutissenttoutelajournéeavecdesmédocs?Àuncheveuprès,jeportaisleurblouseblancheenbavantcommeunanimal.

—Tupensesqu’ilessaieraitdet’atteindreenseservantdemoi?Sesprunellesgrisesseplantentaussitôtdanslesmiennes.J’ydécouvreuneterrifianteombrequiles

assombrit.—C’estmêmesûr.Rienquelefaitqu’ilsachequetuexistestefousdéjàdansdesalesdraps.Mais

aveclesallusionsd’Erik,etmaintenantMel…—Mel?jerépète,stupéfaite.Uneexpressionirritéedéformeuncourtinstantsonvisage.—C’estuneidiote.Ellepenseprobablementqu’ilpeutluioffrirtoutcequ’elledésire.Tasœurn’est

pasvraimentméchante,maisellenevoitpasplusloinquelaficelledesonstring.Je ne suis pas vraiment à l’aise avec le fait que Chris ait couché avec ma sœur. Et sa dernière

remarquemelerappellecommeunepiqûredeguêpe.C’estrapideetdouloureux.Deplus,quisuis-je,

désormais,pourcritiquersatendanceàtomberpourdesracaillesetdesvoyous?—Kate?L’inquiétudetranspiredanssavoix,maisj’évitedecroisersonregard.—Rien.—Vulatêtequetutires,c’estpas«rien».J’agiteunemaindanslesairs.—Toietmasœur.Unpetitsilenceprendsesaisesdansl’habitacledelaPontiac.—Oh,fait-ilaprèsplusieurssecondes.—C’estunpeubizarre,cettesituation.Denouveau,ils’abstientderépondreimmédiatement.Jedevinequ’ildoitchoisirconsciencieusement

sesmots.—C’étaitunerelationoccasionnelleetconsentie,explique-t-il,nonsansunecertaineprudence.Jegrimace.—Tum’endirastant…Ilseraclelagorgeetôtesamaindemajambepourseplacerfaceàsonvolant.—Écoute…jenesuispasunmoineettasœur,excuse-moidumot,c’estune«chaudasse».Unmec

seuldanssonappartementavecunemeufquisetrimballeàpoildumatinausoir,y’adeschosesquisontforcéesd’arriver.Jeneteconnaissaispas,jenesavaismêmepasquetuexistais.Jetejurequedepuisquetuasposéunpieddansl’appart,jenel’aipasretouchée…Tumecrois?

Jeluijetteuncoupd’œilsuspicieux.—Putain,j’telejure!insiste-t-il.Jenetementiraispassurça,parcequejen’aipashontedemoi,

mêmequandjefaisdesconneries,jelesassume.Jesoupirepuispasseunemaindansmescheveuxemmêlés.—Jetecrois.Ilparaîtsincèrementsoulagé.—EtSybil?Jeletaquine,maiscequesous-entendmaquestiondemeurel’unedemesangoissesleconcernant.Je

nesuispasstupide,j’aibienvuqu’ilétaitun«hommeàfemmes»etquecesdernièresleluirendaientbien.Jeneveuxpasêtrequ’unepassade,unerelationexotiqueentredeuxnanaspromptesàouvrirleurscuisses.

Ils’humecterapidementleslèvresavantd’esquisserunsourireàlafoisinsolentetgamin.—Hygièneintime.Ceclind’œilàl’unedenosconversationsmedonneenviederépondreàsonsourire.—Etmoi?Chris ouvre et ferme la boucheplusieurs fois de suite.Unemultituded’émotionsdéfilent dans ses

yeuxà la teintedemétal. Je croise lesbras sousmapoitrineetpatiente. Il se frottemachinalement lecrâne,leregardsubitementrivéaulevierdevitesse.

—Mafolie…Il a prononcé ces mots dans un souffle à peine audible et je ne suis pas sûre de les avoir bien

entendus.Chrisrelèvebrusquementlatêtepoursepencherenavant,levisageprèsdumien:—Mapetitefemme,dit-ild’unevoixplusferme.J’approcheégalementlatête.—Siunjour,y’auneputaindeconnotationmachistedanstamanièredem’appelercommeça,nedors

plusqued’unœil,lanuit.

Ils’inclinedavantage,etjesenssonsoufflesurmabouche.Deprès,lateintedesesyeuxestencoreplusfascinante.

—Jesuisdéjàunconnarddemacho.Jevaispour répliquermais ilnem’en laissepas le tempsetm’embrasse,avecunecertaine forme

d’ardeur. J’effleure sa joue de l’index. Elle est râpeuse à cause de sa barbe naissante.Doucement, ils’écarte,nonsansavoirpresséseslèvressurmondoigtdésormaissuspendudanslesairs,leregardrivéaumien.

—Pour en revenir àRonan…Reste vigilante.Cet enfoiré pourrait te faire suivre, il a des chienspartoutdanslecoin.

—Deschiens?Sonexpressionsedurcit,amère.—Jesaisdequoijeparle…jesuisl’und’entreeux.Chrismeramènefinalementàl’appartement.Durantletrajet,noussommesrestéssilencieux,maisce

n’étaitpasdérangeant.Parfoisjeleregardaisavantdedétournerrapidementlatête,parfoisc’étaitluiet,dans ces moments-là, je ne pouvais pas m’empêcher de sourire comme une idiote. On se conduisaitcommedeuxcrétins,àpoufferetsourirepourrien.C’étaitétrangemaisçafaisaitdubienenmêmetemps.

Ils’arrêtesurleparkingsanscouperlemoteur;ilnefaitquemedéposercarildoitrécupérerJoetErik.J’airepéré,surlabanquettearrière,unsac-poubelle,etluiproposedelejeterpourlui.Sonregardvadecedernieràmoi,puisilsecouelatête.

—Jeleferaienrevenant.—Ilyaquoiàl’intérieur?—UnT-shirtdansunsaleétat.Iln’aeuaucuneinflexionparticulièreendisantcela.Jesupposequelevêtementaunrapportdirect

aveclesblessuresdesonvisage.Sesparolesmereviennententête:«Deschiens…jesuisl’und’entreeux».

Je n’aime pas ça.Mais je ne peux rien dire à ce propos… je ne saismême pas si nous sommesvraimentencouple,dorénavant.

J’opine.Ilsourit.—Turentrestard?Je suismal à l’aise ;ma question ressemble à celle que posent toutes les nanas vivant avec leur

copain,alorsj’enchaîne:—Pour savoir si je t’attendspourmanger, jepréciseen faisant semblantdechercherun trucdans

monsac.—Nem’attendspas.Lesourirequ’ilaffichetransparaîtjusquedanssavoix,jen’aipasbesoindevérifier.Ilabiensenti

ma gêne, et ça ne fait que me mettre davantage mal à l’aise. Pour la peine, je lui tourne le dos enmarmonnantun«àplus».

Jen’aifaitquequelquespasquemontéléphonetombedelapocheouverte,cellequejetrifouillaisjustepourmedonnerunecontenance.Jecracheunjuronentremesdentsenéprouvantunsentimentprochedel’humiliationpuismepenchepourleramasser.C’estunvieuxmodèle,lechocn’amêmepaségratignélacoque.Soudain, lemoteurde laPontiac rugitderrièremoiet je tourne la têtevers lavoiture.Chrissouritdetoutessesdents,lesyeuxrésolumentfixéssur…jesuisladirectiondesonregardenrougissant.Ilmematelesfesses!

—Crétin!j’articule.

Iléclatederire.Jelevoisdétachersaceinturepoursortirdesabagnole.Jemerelève,intriguée.Ilcourt à petites foulées pourme rejoindre. Je n’ai que le temps d’ouvrir la bouche,mais pas celui del’interroger : il saisit mon visage de ses deux mains ; une paume sur chacune de mes joues, etm’embrasse.Sesbaiserssontàsonimage;àlafoisdouxetdéchaînés.Unesortedepassionincontrôlée,unpeubrutale.Salanguem’envahit,jen’arrivepas,làaussi,àsuivresesmouvementssensuels.Jecroisque,lorsqu’ilm’embrasse,jesuisplussonnéeencorequ’aprèsunMojito.Lorsqu’iléloignesonvisagedumien,jesuisessouffléeetj’ailespenséesunpeuéparpillées.

—Tuoseraisquittertonpetitmarisansmêmeunbisou?Quelgenred’épousees-tu?—Maisonn’estpasmariés.J’ai répondu machinalement, sans réfléchir. J’ai du mal à reprendre mes esprits, c’est le mode

«piloteautomatique»quimesauveduridicule.Jetrouvevraimentabsurded’êtreaussiréactivequandilme touche… Il rit doucement puis s’humecte les lèvres sans libérermon visage. Il dépose un rapidebaisersurmaboucheencoreanesthésiée.

—Tum’appartiens,çavauttouslesmariages.—Putaindemacho,jesouffle,lecœurbattantlachamade.Ilhausseunsourcil.—Ouais,etmêmepashonte.Brusquement, ses doigts quittent ma figure pour agripper fermement mon postérieur ; je lâche un

hoquetsurpris.—Toutça…estàmoi,gronde-t-il.Ilneplaisantepas,sontonestvraimentpossessif.D’uncôté,jetrouveçaplaisant,maisdel’autre,

j’aienviedemerebiffer.Àmontour,jeprendssesfessesàpleinesmains.—Etça,c’estàmoi!jel’imite.Sonexpressionvautbientoutl’ordumonde,etjememordsl’intérieurdelajouepournepaséclater

de rire. Plusieurs secondes s’écoulent avant qu’il ne retrouve l’usage de la parole, stupéfait parmonaudace.Moi,jesongequetripotersonarrière-trainestloind’êtredésagréable.

—Putain…jetrouveçatropexcitant.Ilparaîtsincèrementétonnéetlàjenepeuxplusretenirmonfourire.Finalementils’écartedemoi,

pourtendreundoigtendirectiondenotreimmeuble:—Va,préparerlabouffe,«femme»!Je lui fais aussitôt undoigt d’honneur, lui provoquant unnouvel accès d’hilarité, avant de repartir

verslaPontiac.Après avoir nettoyé l’appart’ et pris une douche, je m’installe confortablement sur le canapé,

simplement vêtued’un short en coton et d’unT-shirt.L’intégralité demes survêtements est en train detourner dans lamachine à laver.Mes cours sont étalés autour demoi, jem’attelle à la tâche. J’ai undevoirenhistoiremédiévaleàrendre:jedoisrédigerl’introetledéveloppementsurl’encadrementdesfidèlesparl’ÉgliseduXIesiècle.Jenouemacrinièreenunchignonpuiscommenceànoterlesidéesquime viennent sur le sujet. Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque j’écris « les sacrements dumariage».

Lasonneriedemontéléphonem’interromptetjerépondssansregarderlenomquis’affiche:—Allô?—Tuaspréparélabouffe?faitunevoixamuséequejereconnaisimmédiatement.—Non.Jebossemescours.—Ah.Bon,netardepastrop,j’ailadalle.

Jejure;ilritetjeraccroche.Jemitrailledesyeuxmonportableavantdemereconcentrersurmoncalepin.Moinsd’uneminuteaprès,montéléphonesonnedenouveau,etlàencore,leregardrivésurl’undemesbouquins,jeneprêtepasattentionàl’identitédemoninterlocuteur.

—Allô?—Tuaspréparélabouffe?Chris.Jevaisletuer.—J’t’aiditquejebossaismescours,t’essourd?Ilignoreavecsuperbemoninflexionirritée.Jedétestequ’onmedérangequandj’étudie.—Ouais,maisj’aivraimentlescrocs.Ça l’amuse, c’est clair comme de l’eau de roche. Je raccroche sans même prendre la peine de

répondre. Pendant une minute, je fixe mon téléphone que j’ai lâché brutalement sur la couette danslaquelles’enroulehabituellementChris.Unefoiscertainequ’ilnevaplusmedéranger,jecommenceàinscrirema seconde idée pour le devoir : « l’éducation religieuse ». La sonnerie retentit, me faisantpousseruncridefrustration.

—Quoi,encore!j’aboie.LeriredeChrismerépond.Jevaisluiarracherlesyeux!—Tuaspréparéquoipourmanger,’titefemme?Ils’éclatevraiment!—Putain,Chris!Tuvasavoiruneomeletteassaisonnéeaucyanuresitucontinuesàm’emmerder!Àl’autreboutdufil,iln’enpeutplus;lesondesonrirefaitmêmevibrerletéléphonepressécontre

mon oreille. Je raccroche une nouvelle fois et lorsqu’il se met à chantonner la mélodie la secondesuivante,jedisjoncte:

—Jevaistetuer,Chris!J’tejurequejeneplaisantepas!J’aihurlécommeunefolle.Mêmesid’uncôté,safaçondefairemedonneenviedesourirebêtement,

j’aitellementpeudetempsàconsacreràmesétudesquelestressengendrémemetrapidementlesnerfsenpelote.

—Kate?faitunevoixdouce,interloquée.Matensiondescendenflèche.—Juliette?!Excuse-moi,jecroyaisque…enfin,oublieça.—Çava?insiste-t-elle,visiblementinquiète.Jemeraclelagorge,subitementmalàl’aise.—Oui,oui.C’estjusteuncopainquis’amuseàmerendredinguealorsquejebosse,etj’aicruque

c’étaitencorelui…maisoublie.Tuasunproblème?—Pasvraiment…(Ellenesemblepasconvaincue.)Jet’appelaispourlepique-niquedelaparoisse,

cedimanche.LepèreStefanaimeraitquetuysois,etmoiaussi.Ah.Merde.Jamaisilnemerayedesalistedebonnesactions,celui-là?—Tusais,jetravaillelesamedisoir,etjusqu’àsixheuresdumatin.Jerisquedenepasêtretrèsen

formepourle«pique-nique»dumidi…—Oh.Jen’ypensaisplus,c’estvrai.Je ferme les yeux. Juliette paraît si déçue. Je dois terriblement luimanquer. Je décide de faire un

effort,mêmesicelasignifiemangerdupouletfroidenpleinhiver–cesprêtres,tousdesmalades–encompagniedupèreStefan.

—OK,jeserailà.Jeferaiunesiestel’après-midi.Juliettepousseuneexclamationraviequimeréchauffelecœur.—Merci!Merci!Vivementdimanche!

Jeraccrocheensoupirant.Ceprêtreauramapeau.

Chris

Je raccroche, furieusement tentéde la rappeler encoreune fois. J’aimalauxcôteset les coupsdepoingreçusunpeuplustôtdanslajournéen’ysontpourrien.

Unecamionnettegrisesegaresurleparkingsurlequelj’attends,adosséàmaPontiac.C’estErikauvolantpendantqueJocomatesur lesiègepassager,des lunettesdesoleilsur lenez, labouchegrandeouverte.Jemeredressepuism’approchedelaportièredecedernieretl’ouvredoucement,intimantd’ungesteàErikdelaboucler.Puisj’approchemabouchedel’oreilledeJoethurleleplusfortpossible:

—Debout,espècedegrossefeignasse!Ilbonditcomiquementsursonfauteuiletenperdmêmesapairedelunettesquitombesursescuisses.

Unepaumesurlecœur,ilpivoteaussitôtlatêteversmoi,l’aircomplètementlargué.—T’esvraimentunconnard,toi!éructe-t-il,encoresouslechocdesonréveilenfanfare.Jehochevigoureusementlatête,ungrandsourireauxlèvres.D’unebourrade,ilmepousseetdescend

duvéhicule.—Commentc’était?jel’interroge.—Chiant,grommelle-t-il.Erikconduitcommeunpiedetj’aieulagerbetoutdulong.—Hey!s’écriel’intéressé,vexé.Joluijetteunregardmauvais.—T’asbaisél’examinatricepourqu’elleterefiletonpermis?C’estpaspossibleautrement.—Vatefairefoutre!grogneErikavantdeclaquersaportière.Puismonpotesetourneversmoi:—Etpourquoit’asl’airaussicontent,toi?Je hausse les épaules sans parvenir à effacer mon sourire débile. Les yeux de Jo se plissent,

suspicieux.—Tut’esenvoyéenl’air,c’estça?Pendantquemoij’essayaisdesurvivreàlafaçondeconduirede

cetrouducul,tufrétillaisdelaqueuesanslamoindrehonte?J’éclatederiretoutensecouantlatête.—Non!Je…Nemeregardepascommeça,j’tepromets!T’asmatémagueule?Cequ’ilfaitdanslaseconde,m’examinantsoustouslesangles.—Mouais…, fait-il, toujours dans le doute, avant de soupirer.Audébut, tranquille.Ondépose le

matos chez leChinois, super content parce que c’est de la bonne came. PuisErik a la bonne idée depeloterleculdesafilleetlà,y’aBruceLeeetsespetitsfrèresquidébarquentetjepassevingtminutesàlecalmerpouréviterqu’onseprenneunebranlée.Plusdelivraisonaveccetidiotfiniàl’eaudejavel!

Ilappuiesadernièrephraseendésignantleditcrétindupouce,par-dessussonépaule.Moi?Jememarre,j’auraispresquevouluêtrelàpourvoirçademespropresyeux.

—Pourlapeine,c’estcepetitconquivanettoyerlacaisse,annonce-t-ilensuite.—T’asvraimentgerbé?!Ilesquisseunsouriremauvais:

—Àtonavis?Illaramèneraaugarageaussi,tiens.—Enfoiré ! s’exclameErikdepuis l’arrièreduvéhicule,probablementdéjàen traind’enlever les

restesdurepasdeJo.—Soiscontentquejenetetannepasleculenplus!grogne-t-il.Puisilplantesesyeuxdanslesmiensavantderemettreseslunettesenplace.—Ettoi?C’étaitcomment?—Sportif.—Tantqueça?Ah,tumedéposeschezmoi?J’aibesoind’unebonnedoucheetdepioncer.J’opineenmedirigeantversmaPontiac;Jomesuit,lesmainsdanslespoches.Unefoisinstallés,jedémarremonpetitbébé.—EncoreundébilequiacrusefairedufricsurledosdeRonan.Monpassagerbâillebruyamment.—C’estlacrise,mec.Fautlescomprendre.J’émetsunpetitricanement.—Lacrise,moncul.Ilsdoiventsefaireplusdebléquenous.Ducoindel’œil,jenotequeJotournelatêtedansmadirection.—T’asjamaisvoulugérerladope.Làencore,j’acquiesce,leregardrivéàlaroute.— Ça et les putes, je n’y touche pas. Je préfère tabasser des salauds que de pauvres meufs. Et

détruirelesgensaveclamerdequ’ildeale,çamefaitpastriper.Johochelatête.Jesaisqu’ilpenselamêmechosequemoi.—Ouais,nous,onpréfères’occuperdesmissions«PèreNoël»,plaisante-t-ilenétirantunpeuplus

sesjambes.Jeris.—Çanenouschangepasbeaucoupdubahut,saufquemaintenant,onestpayéspourlefaire.Iléclateaussiderireavantqu’unsilencepaisibles’instauredanslavoiture.Jejetteunregardparen

dessous:àtraverslepare-brise,jevoisdegrossesmassesnuageusesgrises.—Onvaseprendreunerincée,jemarmonne,questionderéalimenterlaconversation.J’aienviedeluiparlerdeKate.J’aivraimentenviedepartagerçaaveclui,maisquelquechoseme

retient,commesilefaitdel’annonceràhautevoixpourraitnousattirerdesproblèmes.—Jemedemandecequetapetitefemmet’acuisiné…Chezmoi,y’aqu’unsandwichpérimédansle

frigo.Illitdansmespensées,ouquoi?jesongeenluijetantunbrefcoupd’œil.—Rienpourtoi.—T’esqu’unegrosseradasse,grommelleJo.Jemeraclelagorge,hésitant.—Je…J’aicommencémaphraseaveclaréelleintentiondetoutluilâcher,maislesmotsbutentcontremes

lèvres.Monamiseredresse,soudainattentif.Ilasûrementdevinéquelsujetjem’apprêteàaborder.Faischier!

—J’ai…Mesdoigtstripotentinutilementlevolant.—Kateetmoi…—Tudéconnes?!s’écrie-t-ilsubitement,nemelaissantmêmepasterminer.J’essaiederestercool,maisjedoisavoirl’airsacrémentcoupable.

—Putain!Maist’esobligédebeuglercommeça?jem’énervepourgagnerdutemps.—Unjour,taqueuet’emmèneradirectauciel,etceneserapasleseptième!gronde-t-il,furieux.—J’aipascouchéavecelle,OK?OK?J’essaiedeteparlersérieusement,là!Sansdéconner!Jorestemuetdurantunpetitmoment,puismedemanded’untonplusserein:—Tunel’aspassautée?Jeluilanceuneœilladeassassine.—Non.C’estpaslegenredemeufqu’on«saute».Ilesquisseuncurieuxsourire.—D’accord.Jereformule:tunel’aspasdépucelée?Je détache une main du volant pour lui mettre un coup de poing dans l’épaule ; ce qui le fait

exagérémentcouinercommeunegonzesse.—Quandtuledisdecettefaçon,c’estencorepluspervers.—Jesuisungrospervers.Jegrimace.—C’estjusteque…enfin,onaparlé…Joglousseetjelèvelesyeuxauciel.—Putain,t’esvraimentuneplaie,toi.Onaparlé…parcequejevenaisdepéterlesplombs.Ronana

encorefaituneallusionàsonsujet,àcausedesaconnedefranginequiaparléd’ellequandelleétaitdéchirée.Bref,jemesuisruéàsafacpourvoirsitoutallaitbien,etc’estlàqu’ons’estunpeu…frité,tuvois?

Joopine,ilneritplus.Jemeracledenouveaulagorge.—Ensuite…ensuite,ona roulé.Ons’estencoreengueulé.Ellem’aditqu’ellem’aimaitet je l’ai

embrassée.C’étaitchaud,mec…putain,superchaud.Jemurmurelesderniersmots,labouchesècheetl’espritbrûlévifparlesouvenirdenotreéchange

surlecapotdemaPontiac.—SiçaressemblaitàvotreshowauPandémonium,jeveuxbientecroire,plaisante-t-il.Ellet’adit

qu’ellet’aimait?—Oui…bon,pascommeça(j’agiteunemaindanslesairs)maisc’estcequeçavoulaitdire.C’était

pareil.JevoisJoarquerlessourcilsetçam’agace.Jemetournefranchementverslui:—Ellemel’adit,alorsarrêtedefairecettetête,là!Ilhausselesépaules.—Jesuisnéaveccettetête,monpote.—Crétin,jemarmonne.Ils’esclaffejoyeusementetnereprendlaparolequ’unefoiscalmé.—C’estquoilasuite?Vousallezsortirensemble,cegenredeconneries?—Jen’ensaisrien.J’aipeurqueRonanluifassedumal.—C’estplusqueprobable.Jepousseungrognement.—Pourtant…j’aivraimentenviedevivreçaavecelle.J’enaibesoin.—Besoin?faitJo,perplexe.J’inspireprofondément.Merde.Jedétestem’auto-psychanalyser.—Jenesaisplusquij’étaisavantelle.AvantqueKatearrivedansmavie.Etlepire,c’estquejene

veuxpasm’ensouvenir.C’estdingue,hein?Monamigardelesilencedurantpresqu’uneminuteavantdechuchoter:

—Mec…t’esdanslamerde.T’esdansunebellemerde.Unriresansjoiemerâpelagorge.—C’estaussicequejepense,monpote.C’estaussicequejepense.AprèsavoirdéposéJochezlui,jen’avaisvraimentaucunepenséesalaceentête;j’étaisseulement

content de rentrer et retrouverKate. Sauf que…dès que je pose un pied dans le salon,mon premiercerveausemetillicoenmodeveilleafindepermettreàl’autre,pasforcémentleplusfutédesdeux,deprendrelescommandes.

Ma petite femme, celle qui réussit àme rendre fou de colère, de joie et de bien d’autres chosesencore,enmoinsdetempsqu’iln’enfautpouréternuer,aeulabonneidéedes’étendresurmoncanapé…cequiest,d’unecertainefaçon,s’offriràmoi,enfin…sic’estunenana,etnonl’undemespotes.

Elledort allongéesur lecôté,unbrascoincé sous la tête.Mesyeuxs’égarent sur sonvisagepourcaresser sa mâchoire, son cou, sa poitrine qui monte et descend régulièrement. Le mouvementm’hypnotise. Je m’approche doucement. Une fois tout près d’elle, je m’accroupis lentement afin depouvoirl’observertoutmonsoûl.J’aimeraiscompterlestachesderousseursquiparsèmentsonnezetunpeusesjoues.Enpleinjour,onnelesvoitpastrèsbien;ellessontlà,biensûr,maisdiscrètes,commepeintesavecretenue.Mafigureesttellementprochedelasiennequesonsoufflepaisiblem’effleure.

Katemarmonnedanssonsommeilpuisbouge.Lacouverturedanslaquelleelleestenrouléedescendetlà,jenerespireplus:elleneportepassonéternelsurvêtementmaisunshortdélavé.Lavisiondesacuissenuem’empêchededéglutir.Moncœurs’emballe,faisantcourirplusvitelesangdansmesveines.

Pourtant, lorsquemes yeux reviennent à son visage, quelque chose enmoi crie que je devrais lalaisser tranquille, que tout ce que je vais lui apporter, ce sont des drames. Parce quema vie n’a étéqu’unesuccessiondecatastrophesetmonexistence,lesténèbresd’unenuitsanssoleil.

Katherina

Je rêve de lui.Ce n’est pas surprenant : depuis que j’habite ici, fantasmer sur cemec est devenuquelquechosederécurrent,merappelantdefaçonhumilianteàquelpointl’êtrehumainestgouvernéparsesinstincts.Maiscerêve-làdiffèredesautres:ilestsacrémentréaliste!J’airéellementl’impressiondesentirsamainsurmacuisse,sonsouffledansmoncouetderespirersonodeur:celleducuirdesaveste,desonafter-shave,desamarquepréféréedecigarettes.

—Dring,dring,memurmureunevoixchaudeàmonoreille.Unlongfrissonremontelelongdemacolonnevertébrale.—Dring?jerépète,encoreàmoitiéendormie.Unrire,maisc’estunsondouxetgrave,trèstendre.—J’imitaisunréveil.J’ouvreunœil.Chris.LevisagedeChris,plusprécisément.—C’estpasfameux.Onauraitdavantageditlasonneried’untéléphoneàl’agonie.L’inflexion dema voix est affreusement rauque,mais c’est normal : son nez, sa bouche, ses joues

grignotées par une barbe éternellement naissante sont bien trop proches demoi.Comment fait-il pourentretenircettelégèreombreduveteuse?Jenel’aijamaisvurasénettementuneseulefoisdepuisnotrepremièrerencontre…Illatailleauciseau?Celafaitpartieducahierdeschargesdu«badboy»?

Sesprunellesmétalliquesm’épinglent.Ilyacettenotesauvagedanssafaçondemeregarder:commesiunanimalincontrôlableyfaisaitlescentpas,unanimaldetypefauvequimeguette.Lorsqu’ilmefixedecettemanière,jen’arriveplusàrespirernormalement.

Ses lèvres réduisent légèrement ladistancequi les séparedesmiennes. Jeveuxqu’ilm’embrasse.J’adorerais qu’il le fasse, mon corps entier se contracte dans ce fébrile espoir, mais soudain, il seredressesansmequitterdesyeux.

—Jevaisprendreunedouche…Tunebossespas,cesoir?Jesuisfrustréeet…paniquée.Jemeredressevivement,totalementréveillée.—Merde!jesouffle.Il rit encore puis disparaît dans la salle de bains. Je passe unemain dansmes cheveux emmêlés.

Pendantquejesuisdanslacuisineentraindeboireunverred’eau,j’entendsleballond’eausemettreenrouteetsourisdistraitement.J’essaiederepousserl’imagedeChrisnusouslepommeaudedouche,sestatouages humides, chaquemuscle roulant sous sa peau.Une pression délicieusement « désagréable »compressemonbas-ventreetjefermelesyeuxengrimaçant.Énervée,jejetteleresteducontenudemonverredansl’évier.

Jedevienscinglée.Unefoisdanslachambre,jemetsmonjeanleplusmoulantetunT-shirtnoirégalementtrèsprèsdu

corpsàl’effigied’ungroupederock:çaferal’affairepourcesoir,auPandémonium.Jemedirigeverslasalledebainsetfrappe.

—Ouais?

—Jepeuxentrer?—Ouais.J’ouvre laporteet retiensmarespiration.Chris.Encore. Ila justeuneservietteridiculementpetite

nouéeautourdeshanches,sescheveuxsontmouillésetscintillentdanslalumière.Sapeauhumidebrilleaussi.Unmannequinmusclépourunefoutuepubdeparfumpromettantdefairetombertouteslesnanas,voilààquoiilressemble.Jenemerendscomptequej’aitroppoussél’examenquelorsqu’ilesquissecedemi-sourirearrogantquejeluiconnais.

—Mecoiffer,j’annoncedifficilement,parcequej’ailabouchesèche.Ilmedétailleàsontourenpartantdelatête,s’arrêteàmeshanches,puisrevientpromptementàmon

visage.Jesubis lacaressedesesyeuxleplusstoïquementpossible, tendue.Soudain, ils’écarteetmedésignelaplacedevantlui,cellefaceaulavaboetaumiroir,etce,sanscesserdesourire.Jevoudraisbien moi aussi avoir un tel degré d’assurance, mais ce n’est pas le cas. La personne sexuellementexpérimentéeici,c’estlui,pasmoi.

Me faire une queue-de-cheval.Voilàmon objectif, et je n’ai qu’à oublier qu’il est là.Mon espritricaneenentendantcetteidée.Chrisrestejustederrière;jenepeuxexécuterlemoindremouvementsansfairerencontrermesomoplatesetsontorse.Dedouxfrôlementsquim’électrisent.

Qu’est-cequ’ilfabrique?Jeluijetteunrapidecoupd’œilencoin,grâceàlaglace.Ilselavelesdents…dumoins,iltientsa

brosseàdents,tandisquenosregardssecroisent.Y’acommeungoûtd’intimitéaufaitquenoussoyonstous les deux là, dans cet espace étroit et embué, autant collés l’un à l’autre. Je saisis ma brosse àcheveuxpuisdémêlemacrinière.Jesensencorepesersesyeuxsurmoi,ouentoutcassurlaqueue-de-chevalquejeviensderéaliser.Sestraitssesontcrispésetjedonneraischerpourconnaîtresespensées.Il croisemon regarddans lemiroir, et se reprend aussitôt pour se nettoyer énergiquement les dents…avantdes’arrêterquelquessecondesaprès.

—Tuaslescheveuxlongs.Étrangeconstatation,mêmevenantdelui.—Passilongsqueça,jerétorque,intriguée.—Assezlongspour…Maisilneterminepassaphrase.Denouveau,nouscroisonsleferàl’aidedelaglace.Ilsouritmais

sesyeuxontquelquechosedebrûlant.Jemelanceavantdeneplusavoirlecourage:— Chris… je sais que ça te paraître idiot, mais j’ai besoin de le savoir. Est-ce qu’on est…

«ensemble»?Sonsourires’effaceimmédiatement.—Tumedemandessijesuistonmec?J’opinedoucement,sanslâchersonregarddumien.—Tuveuxunedéclaration,untrucdugenre«officiel»?C’estprobablementabsurdederessentirunetelleémotion,maisçamefaitmal,là,danslapoitrine.

Jechercheàm’écarter,maisilmeprenddevitesseensepenchantsurmoi.Jesuisprisonnièreentresesbrasetlavasque.

—Tuchoisisbientonmomentpourmeposerunequestionpareille,mechuchote-t-ilàl’oreille.J’éprouveunecurieusechaleur,uneespècedefluxquasipalpablequinousentoure,luietmoi.Jene

répondspas,detoutefaçon,jenesauraispasvraimentquoidire.—Cejeantefaitunculexcitantettoitumedemandesça…Savoixaencorebaisséd’uneoctave.Jeperçoissonsoufflesurlapeaufinedemoncouetmoncœur

s’emballe.

—Jedétestecesconneriesde«couple»,alors…jevaislafairesimple:tonculettoutcequ’ilyaautourm’appartient.C’estbon?

Je lâche un hoquet surpris lorsqu’il presse ses hanches contre la partie la plus charnue de monanatomie.Ilest…effectivement…excité.Pasdedoute.

—Ettoi?J’airéussiàparlerd’unevoixpresquenormaleetjenesuispaspeufièredemoi.—Quoi,moi?Jen’aipasbesoindejeteruncoupd’œilaumiroirpoursavoirqu’ilsourit.—Tonculetcequ’ilyautour…çam’appartient?—Tumevoudrais…àcepoint-là?s’enquit-il,séducteur.Quelquepart,aufinfonddemonespritquicontientautantdebuéequecettepièce,jedevinequ’ilya

uneautrequestionderrièrecelle-ci.—Oui.—Vraiment?Ilronronnequasimentetmoijechavire,là,àl’intérieurdemoi:jesuissurlepontd’unnavirequi

tanguesouslesvaguesdéchaînéesd’unemerparticulièrementhouleuse.Salanguevienttaquinerlelobedemonoreillepourensuitelemordillergentiment.

—Dis-moiàquelpointtumeveux…dis-lemoi,allez.Marespirationestlaborieuse;savoix,plusqu’unmurmureérotique.Sesmotscamouflentavecbrio

despropositionsindécentesderrièrel’écrand’uneterriblesimplicité.Jedoism’échapper.Jedoispartirtravailler.Jeveuxrester…

—Jeteveux.Montimbrevoilémefaithonte.Jefermelesyeux.Ilembrassemanuque.—Àquelpoint?Soisplusprécise,petitefemme.Encoreunbaiser.Puisunautre.Iltraceuneligneavecuneminutied’unelenteurquimerendfolle.Sansprévenir, jem’éloignebrusquementetmoncœuramigrédansmagorge.Chaquepulsationest

affreusementdouloureuse.Jem’appliqueàneregarderdeluiquelapartiesupérieuredesoncorps.—Jedoisallerbosser,jedébitevivementavantdem’enfuirdelasalledebains.—Jet’accompagne,lance-t-il,dèsquej’aifranchileseuil.Lasoiréevaêtrelongue.Très,trèslongue.Lamusiquebatsonpleinet jenefaisquecourird’une tableà l’autre.Jesuismoitedesueuret je

détestecettesensation.Jejetteuncoupd’œilversChris:iloccupeunetablevideetsuischacunedemesalléesetvenuesduregardtoutenbuvanttranquillementsabière.Ilporteunjeanlarge,undébardeurnoirmoulant et un sweat dont la capuche qu’il a relevée lui donne l’air d’un cambrioleur prêt à passer àl’action.Mes yeux rencontrent les siens ; il me sourit avant de porter le goulot de sa bouteille à sabouche. Des jeunes d’à peu prèsmon âge, troismecs et deux filles, s’installent à l’emplacement quijouxte le sien.Chris les ignore,mais pas les nanas vêtues toutes les deuxd’une robe aussi échancréedevantquederrière.Ellesn’arrêtentpasdetournerlatêteverslui.Leurcinémam’agace.Soudain,unemouen’incurvantqu’uneextrémitédeseslèvressedessineetilm’adresseunpetitsignedelamainafinque je le rejoigne.Je lève lementonetplisse lesyeux. Ilhausseunsourcilet réitèresongeste. Je luitournepurementetsimplementledos:jen’obéispasau«doigtetàl’œil».JerejoinslebaretJazemefile une autre commande tout enm’offrant un sourire timide. Il a vu queChris était là, et il se tient àcarreau.Monplateauestpour les jeunesquiviennentd’arriver. Jesoupire.Àcroireque ledestin lui-mêmeseplieauxexigencesde«monsieur».C’estvraimentinjuste,maisleboulot,c’est leboulot.Je

feinsde l’ignorer tout enétant certaineque sesyeuxgrisneme lâchentpasune seconde tandisque jedéposelabouteilledeGin,lesverresetlessodassurlatableàcôtédelasienne.

Un des mecs, un blondinet aux yeux pétillants d’humour, me remercie chaleureusement, et jem’apprête à lui rendre poliment son sourire quand des doigts me saisissent brutalement la taille. Lasecondesuivante,jesuisassisesurlescuissesdeChris,l’airprobablementchoquée.

—Jevoudraisuneautrebière,mamzellelaserveuse,faitunevoixsuaveàmonoreille.J’essaiedemerelevermaisilmeretient.—Lâche-moi,jegronde,lesdentsserrées.Jevaisteservir.Ilritdoucementpuismelibèrenonsansm’octroyerunepetiteclaquesurlesfesses:— Je m’ennuie. Tu ne veux pas jouer avec moi ? Je serais le client pervers et toi la serveuse

cochonne.Jeluilanceuneœilladeassassineàlaquelleilrépondparunlargesouriresincèrementenjoué.—Jetravaille,là,j’tesignale.J’aipasletempsdetedivertir.—Tupeuxtrèsbienfairelesdeux:travaillerett’amuseravecmoi…Làsesyeuxquittentlesmienspours’arrêternonchalammentauniveaudemesseinsetlesfixeravec

insistance.Estomaquée,jeleregardeboirelentementunegorgéedesabière.Ilabientôtvingt-deuxansoubiendix?Franchement,j’hésite.—Jesensqueçavient…,sourit-il.—Quoi?—Moncôtépervers.Jeluibalancemontorchonàlafigureavantdeluitournerledosetmarcherendirectiondubar.Je

l’entendséclaterderirepuiss’exclamer:—Ohoui!Moveyourass,baby!Je m’arrête pour de nouveau le mitrailler des yeux et constater à quel point il y est hermétique.

Lorsquejerejoinslecomptoir,c’estPatquiofficie.Ellemelanceunregardamusétoutenpréparantlesplateauxdesautresserveuses.

—C’estunvraigamin,parfois,hein?Jesouris,unbrinmalàl’aise,puisopinebrièvement.J’aivraimentenviedeluiposerlaquestion.Vu

leurrelation,quiseraitmieuxplacéquesapropremèresurlaquestiondesrelationssentimentalesdesonillustrerejeton?

—Pat…—Oui?Jegigote,malàl’aise.J’ail’impressiond’agirenfourbeenglanantdesinformationsauprèsd’elleau

lieud’interrogerdirectementleprincipalintéressé.—Chris…iln’ajamaiseu…enfin,despetitescopinesavecquicelaaété«sérieux»?Patsuspendsesgestespuissembleréfléchiràlaquestionavantdesecouerdoucementlatête.—Ellesluiontcouruaprèsasseztôt.Commetouslesados,uneseulechosel’intéressait.Personne

n’a la fibre sensible dans la famille. Chris est à l’image de son père… C’est pas un romantique.Pourquoi?Vousvousêtesdécidésàtenterlecoup?

Jebaisseaussitôtlatêtepourtomberenadmirationdevantlasurfacemiroitanteducomptoir.— Ilm’a surtout expliqué la raisonqui fait quenousnepouvonspas l’être. Jenepensepasqu’il

veuillevéritablements’engagerdansquelquechosedesérieux.—Faut lui laisser le temps.Vivezçaau jour le jour,vousverrezbienoùcelavousmène,suggère

doucementPat.Jesaisjusteque…Kate?JerelèvelesyeuxetcroiseunregardquasimentidentiqueàceluideChris,enversionplusdouce.

—Jeconnaismonfils.Jepeuxt’assurerqu’iltientbeaucoupàtoi…Samanièred’agiresttotalementdifférented’avecsesflirtshabituels.

Enentendantcesmots,mesyeuxsedirigentnaturellementversChris,quimedévisagetoujours,latêtepenchéesurlecôté,l’airintrigué.Jemeraclelagorgepuisacceptelabièrequ’ellevientdedécapsuler.

—Mhm.C’est tout ce que je suis capable de répondre. Je prends la bière en main et m’apprête à la lui

apporter,quandjemefigesoudain.Sybil.Ellesetientdeboutprèsdelui,dansuneminijupeencuirquinelaisseplusrienàl’imagination,pasplusqueleboutdetissuluiservantdetop.Mesyeuxdescendentsurlabouteillequejetiensetl’idéedelaluifracassersurlecrânemetitille.Cettenanaesttoutcequejenesuispas.Blonde,grosseins;«sexuelle».Qu’est-cequejesuiscenséefaire?Agircommesiderienn’étaitou«marquermonterritoire»?Forcément,j’optepourlasecondeoption,parcequejenesupportepas l’idée qu’elle le pense encore libre. Ce qui me rend dingue, c’est de constater qu’il discutetranquillementavecelle,commesic’étaitparfaitementnaturelqu’unefemmeremueducroupionsoussonnezavecleflagrantespoirdeseretrouverdanssonlit.

J’avance en prenant soin d’afficher une expression dégagée. Je vois qu’il m’a repéré du coin del’œil;ilafficheaussitôtcedemi-sourireaussiarrogantqu’amusé.Jeregretteamèrementdenepasporterleshortd’Amanda,justequestiondetenirunpeuladistanceavecmiss«bombesexuelle».

Dèsquej’atteinslatable,jeluitendssabière.Toujourstoutsourire,ildéplielebraspourlasaisir,mais au dernier moment, je ramène la bouteille en verre près de ma poitrine. Il me lance un regardinterrogateur.Jeportelegoulotàmeslèvres…d’accord,jen’aiaucuneexpérienceencequiconcernelesrelationsetlesexe,maisjenesuispastotalementinnocente.Moiaussijepeuxjouer.Toutenplantantmes yeux dans les siens, je donne un long coup de langue au goulot. Chris ne sourit plus du tout etintérieurement,jejubile.Cen’estpastout;ohnon,jeneveuxpasm’arrêterensiboncheminalorsqueleregarddeSybilnavigueentreluietmoietqu’ilfaitcettetête!

Jeportedenouveaulegoulotàmeslèvres,sanslequitterdesyeux,puisrenverselatêteenarrièreafind’enboireunebellegorgée–etjenesuispasfandelabière,bonsang!–unemainposéesurlahanche.Lorsquej’enlèvelegoulot,jefaisexprèsdelaissers’échapperunpeudelaboissonalcooliséeaucoindemabouche,pourleléchersensuellement.Chrisn’apasprononcéunseulmotmaissonregardincandescentparlepourlui.

Finalement,avecunpetitsourireencoin,jeluidonnesabière;ill’acceptesanspourautantdétachersesprunellesdesmiennes.

—Taserveusecochonnet’a-t-elledonnéentièresatisfaction,cherclientpervers?L’airentrenouscrépited’électricité,etSybilnesemblepastrèscontente.Jesuisauxanges.—Vienst’asseoirsurmesgenoux…tulesaurasassezvite.Savoixestgrave,enrouée,atrocementsexy.J’ailecœurquibataffreusementvite.Voilàcequec’est

defairelamaligne,pousséeparlajalousie.C’estquoilamarcheàsuivre,maintenant?Dois-jem’enfuiravantqu’ilnemetraînedanslasalledereposàcausedemaprovocation?

Jesecouelatête,balançantmaqueue-de-cheval,dédaigneuse.—JesuisdésoléemonsieurFarwink,maisj’aid’autresclientsàsatisfaire.Ilhausseunsourciletsonregards’assombrit.—Putain,t’asdelachancequejenepuissepasmelever,là,toutdesuite,marmonne-t-il.C’est troppourSybil : elle sebarrenon sansm’avoir adresséuneœillademauvaiseà laquelle je

répondsparunemimique ironique.JemereconcentresurChrisdont les traits sontcrispéscommes’ilsouffraitphysiquement.

—Unproblème…technique?jesuggère,amusée.

Non.Arrêtedepousserlebouchon,Kate!jemesermonnementalement.Maisjenepeuxrienyfaire.Jesuispossédéeparledémondelajalousieetjeveuxqu’ilenbaveunpetitpeu.

Ilcroiselesbrassursontorsetoutensecalantplusprofondémentdanslepetitsofa.—Pasvraiment,commence-t-ilens’exprimantavecunecertainelenteur.Justeuneputaind’érectionà

causedetapetitedémonstration.Des sons étranglés se font entendredepuis la table d’à côté et jem’interdis de regarder dans leur

direction.J’aiprovoquéletigre,ilfautquej’assumemaintenant.—Ah.C’estennuyeux.Jenoteque l’intonationdemavoixest largementmoinsassurée.Merde.Chris esquisseun sourire

carnassierpuistapotesesgenoux:l’invitationesttrèsclaire.—Situnevienspast’asseoirlàetmeforceàmelever,tuvasprendrecher.Ce n’est pas unemenace en l’air, je le sais,mais j’ai vraiment envie de battre en retraite. Je ne

contrôleplusmoncorpsdèsqu’ilmetoucheetlà,jesuisentraindebosser!Jereculeinstinctivementd’unpas,cequiprovoqueunautrehaussementdesourcil…maisaussiune

certaine lueurd’excitationdanssesyeux.Jepivotesurmoi-mêmeet, toutenm’efforçantdenepasmemettre à courir, jem’éloigne le plus rapidement possible. Onm’attrape à bras-le-corps et je connaisl’identitédeceluiquisetrouveauboutdubrasenquestion.Jefermelesyeux;jesuisdéjàvaincue.

—Tuvasoù,là?souffleChrisàmonoreille.—Fairecepourquoionmeverseunsalaire,jemurmure.Ilmemorddoucementlecoupuisl’embrasse.—Vilaine.Tumerendsvraimentdingue.—J’enaiautantàtonservice.D’unmouvementrapide,ilmefaittournerdemanièreàcequel’onpuisseseregarderenface,son

corpspressécontrelemien,metenantfermementdansl’espacedesesbras.Ilsouritmaislateintedesesyeuxdemeuretourmentée.—C’étaitquoi,ça?J’humectebrièvementmeslèvres.—Jevoulaissavoirsielleétaitàbonnetempérature.Tabière.Chrisplisselespaupières.—J’avaisplutôtl’impressionquetucherchaisàfairegrimperlamienne.—Detempérature?jefeinsl’innocence.—Oui.Tum’allumes,mapetitefemme…j’aimeplutôtça.Mon véritable objectif était moins noble. Je souhaitais juste faire dégager Sybil et détourner

l’attentiondeChrisdecetteblondasse.—Jeveuxsurtoutquecesoitplus«officiel»entrenous…QuedesmeufscommeSybilarrêtentdete

tournerautouravecunticket.Ilsemblesincèrementsurpris.—T’esjalouse?—C’estassezévident,non?jebalance,acerbe.Chrisneditplusrienpendantuncertaintemps,ilsecontentedemescruter.Àenjugerparsonexpression,ilyréfléchitsérieusement…etmoi,jepatiente,nerveuse.Soudain,il

penchelatête,rapprochantsonvisagedumien.Nosregardssontconnectés,créantunedélicieusetensionentrenous.

—OK,chuchote-t-il.—OK,pour…?

Pour toute réponse, il m’embrasse. Je pourrais presque m’entendre soupirer d’aise. C’est assezétrangecommesensation:avoirlesentimentderespirerenfinalorsquej’aimaboucheunieàlasienne.Sesbrasm’entourenttoujourslatailletandisquemesdoigtsseglissentinstinctivementdanssescheveux.J’aimequecesdernierssoientpluslongsetjecroisqueChriss’endoutepuisqueçafaitunmomentqu’ilnelesapascoupés.Jeneparvienstoujourspasàsuivrelerythmequesalangueimposeàlamienne;çamedonnel’impressionqu’ilconquiertunterritoire,qu’ilpourraitmedévorerentièrements’illepouvaitet, quelque part, c’est bizarrement enivrant. J’adore cette sensation. Mon ancien petit copain nem’embrassaitjamaisdecettefaçon.

Lorsqu’ildétacheenfinseslèvresdemiennes,celles-cisonttoutesengourdies;jesuisessouffléeetluiaussi.

—Vabosseravantquejenemeconduisevraimentcommeledernierdessalopardsenrut.J’aimequandils’adresseàmoidecettevoixrauque.Jeluirépondsparunsourireetsonexpression

s’adoucitinstantanément.—Situfaiscettetêteaprèsunsimplebaiser…merde,qu’est-cequeceladoitêtreaprèsunebonne

bais…Jefroncelessourcilsetlemotqu’ils’apprêtaitàprononcermeurtimmédiatementdanssagorge.Il

afficheunairfaussementinnocenttoutenmelibérant.—Saleobsédé,jegrogneendétournantlesyeux.—Çamerendcurieux,c’tout.JevaisvoirsiBennyestdanslecoin,enchaîne-t-ilsansmelaisserle

tempsdel’incriminerdavantage.J’acquiesceetm’éloignepourpresquepercuterSybildontlagrimacedepestemedonnejusteenvie

deluijeteruntrucàlafigure.Ellemesuitdesyeuxsanscesserd’arborercettemimique;j’ailamainquimedémange.

Oùestdoncmonfusilharpon,quejerègleceproblèmeunebonnefoispourtoutes?Jesecouelatêteetcontinuemonserviceensongeantquelesserveusesquiportentdestalonshautsde

dixcentimètressontvraimentmasochistes.Le lendemain lorsque jeme réveille, la finde lanuitme revient aussitôt en tête et jeme redresse

vivement pour vérifier que Chris n’a pas investi mon lit en douce, pendant que je dormais. Je suissoulagée–maisaussidéçue–denepasl’ytrouver.

J’aidûcarrémentlutteravecluipourluibarrerl’accèsdelachambre,malgrésespromessesdesetenirsage,etautresmensongeséhontésquedébitaitsabouche,alorsquesesyeuxexprimaientclairementquesesintentionsn’avaientriendechaste.Finalement, j’aieugaindecauseenluiexpliquantqu’ilmefallaitplusdetempspourpasser«ce»cap.Aprèsunemoueboudeuse,ilasoupirépours’installersurlecanapé.

J’avaisenviededormiraveclui,vraiment.Seulement,voilà…iln’apasl’airdugenreàsecontenterderoupillertranquillementsansavoirlonguementtranspiréauparavant.

Jemelèvepuissorsdelachambre.C’estplusfortquemoi,maisenentendantsarespirationquifrôleleronflement,jem’approchesubrepticementdusofa,lesourireauxlèvres.Mesyeuxontjusteletempsdeglobalementl’effleureravantquejenerecule,lespulsationscardiaqueserratiques.

Ilest…bonsang!Ilestàpoil!Je détale jusqu’à la cuisine. Mon corps entier tremble sous le choc. Je ferme les yeux, mais le

souvenirbrefdecettevisionm’empêchedepenseràquoiquecesoitd’autre.—Mêmepasuncaleçon!Çanetientpaschaudpourtantuncaleçon…merde!jemurmure,plantéeau

milieudelapièce.

Des bras m’enlacent brusquement et je pousse un cri effrayé totalement ridicule. Je m’ébroue etm’écartevivementdeChris.Mesyeuxvérifientillicos’ilabienpasséunsous-vêtement.C’estlecas,etje respire de nouveau normalement, une main sur la poitrine tandis qu’il me contemple, surpris etperplexe.

—Tuvasbien?s’enquit-ilenmeregardantd’undrôled’air.Jefermelesyeuxunpeupluslongtempsquenécessaire.—Tum’assurprise,c’esttout.—J’voisça…t’essûrequeçava?Tagueule!Passeàautrechose!—Maisoui!jemarmonne,irritéeparmespropresréactions.Jeluitourneledospourmettrelacafetièreenroute.—Tuvasencours?—Oui.Toi,tajournée?Nousnoustournonsl’unversl’autred’unmouvementpresquesynchrone.Ilmedédieunsouriregamin

avantdeprendreunetasseets’appuyerd’unemainsurlebordduplandetravailquijouxtel’évier.—J’faisdelapeintureaujourd’hui,meconfieChris,unrienmystérieux.—Taguerlesmursdelaville?jesuggère,amusée.Jeprendslebrocdecaféetluienverseunebonnerasadedanssonmugpourensuitemeservir.—Non.J’aipassél’âge.Petitsilence.Letondesavoixpossèdeunenoterieuse, j’endéduisdoncquecen’estpasunsujet

sensiblepourlui,alorsjemepermetsd’assouvirmacuriositésurlafaçondontilgèresontemps:—Untrucillégal?—Jenefaisjamaisdes«trucs»légaux.Cette conversation l’amuse, c’est plus qu’évident. Je bois une gorgée du breuvage amer pour

immédiatementmerendrecomptequej’aioubliédelesucrer.Ilmefixeensouriantdecefameuxdemi-sourire au copyright «Chris Farwink », puis s’approche de sa démarche nonchalante pour prendre lenombreadéquatdemorceauxdesucredecannedanslaboîteenferquitrônesurlatable.Unefoisassezprèsdemoi, il les libèredoucement. J’ai le nez rivé au contenudema tasse. Il pressedavantage soncorps à moitié nu contre le mien pour ouvrir le tiroir à ma gauche et saisir une petite cuillère pourégalementdoucementlalâcherdansmonmug.

—T’esunvraipetitdur,hein…,jetenteavechumour,sanspourautantoserl’affronter.Desesdoigtslibres,iljoueaveclesmèchesrebellesdemescheveux:—Ouais…jesuisdur,rétorque-t-il,suave.Jem’échappeaussitôt.Mapriorité:mettredeladistancephysiqueentrenous.—Ah,ah,ah.Ducoindel’œil,jelevoiss’installersurl’unedeschaises,pensif.—T’esvraimentbizarre,cematin…pourquoi?J’ouvre labouchepour immédiatement la refermer.Dois-je luidire lavéritéetessuyerensuiteses

taquineries,oubienmentiretsauvermonego?—Uncaleçon,c’esttropdifficileàsupporterpourdormir?Jedétestel’accentaigredemavoix,maisàmadécharge,jen’aipasl’habitudedevoirunmecàpoil

endehorsdescoursdebiologieoudesfilms;etlorsquelesacteurscouchentensembledanscesderniers,leurappareilgénitaln’estpasengrosplan,dumoins,pasdanslegenredefilmquemoijeregarde.

Chrisfroncelessourcils,puissonvisages’éclaired’unlargesourire.J’aienviedemegifler.Oului.Oui,j’aimeraisbienluieffacercesalerictus.

—Oh,fait-ilseulementavantdeplongerlenezdanssatasse.Jenesuispasdupeuneseuleseconde:ilseretientfranchementd’éclaterderire.—Oh?Tudiraisquoisijemetrimballaistoutenuedansl’appart’?Puisavantmêmequ’ilneréponde,jeréalisecequejeviensdedébiteretajouterapidement:—Non,oublieça.Ilsecontentedesourireetsesyeuxpétillent.—D’habitude,j’enporteun,explique-t-il.—D’habitude…?Ilpenchelatêtesurlecôtétoutenm’observantentresescilsavantdefairejouersespectorauxetles

tatouagesquilesornent.—J’aimatélachaînepornoducâbleet,danscesmoments-là,jepréfèreêtreàl’aise.Jedétournelatête.—Épargne-moilesdétails,jem’étrangle.J’entendssonpetitrire,lesjouesenfeu.—C’estdetafaute…un:tum’asallumé,etcommeilfaut.Deux:tut’escarrémentdéfiléequandon

estrentrés.C’étaitçaoujem’incrustaisdanstonlit…quisetrouveêtrelemien,d’ailleurs.Tum’asditquetun’étaispasprête,OK,jenesuispastotalementunconnard.Maisputain…laprochainefoisquetumefaisuntrucpareil,j’tebouffelapartiedetoiquin’ajamaisvulesoleil.

Surcesbellesparoles,ilboitunelonguegorgéedecafépuisexprimebruyammentsoncontentement.Moi?Jen’aiqu’undésir:partirtrèsviteencours,l’airétantdevenusubitementtrèssuffocantdanslapetitecuisine.Jem’enfuisdirectdansmachambresansmêmepenseràd’aborddéposermatassedansl’évier.Quelleidiote!

—Attends-moi!C’estChris,aumomentoùj’ouvrelaported’entrée.Machinalement,jemetourneverslui.Ilamisun

jeannoir,unT-shirtàlagloiredesRollingStonesetsonperfecto.Ilaaussiseslunettesdesoleil,doncimpossiblededécryptersonregard,mais ilsembleégalementmedétailler.Jeporteuncargokaki troplargeetunpullàcolroulénoir.Jetrouvequ’ilestunbrinmoulantmaisc’estleseulaveccetypedecol.

Quandilestassezprèsdemoi,ilm’empoignesoudainlepantalonentirantdessus,auniveaudelaceinture.

—Qu’est-cequetufabriques?— Je vérifie qu’il te serre bien à ta taille, je ne veux pas qu’on puissemater ton cul quand tu te

penches.Ilasortiçaleplusnaturellementdumonde.—Commesionmataitmoncul,jemarmonneenlevantlesyeuxauciel.—C’estunbasique.Jefranchisleseuiletils’occupedefermerderrièrenous.—Unbasique?—Culetensuite,seins.D’accord.Jevois.—Etlatête?C’estenoption?j’ironise.Ilpivotedansmadirection.—C’estimportant…enfin,labouche.Jesuisfranchementécœurée.—Desanimaux…,jegrommelle.

Ilmefaitsursauterenm’embrassantrapidementlecouavantdecommenceràdescendrelesmarches:—Ouais,approuve-t-ilsanslamoindrehonte.C’estbienpourçaquejevérifiequemapetitefemme

nevapasalimenterleursidéessalaces.—C’estunpeul’hôpitalquisefoutdelacharité.Je le suis touten installantunedesansesdemonsacàdos surmonépauleetgrimace.Chris s’en

aperçoitetmefaitsignedeleluipasser.Quandilleprend,ilémetunpetitgrognement:—T’asfoutuquoi,dedans?Desbriques?Jenepeuxpasm’empêcherdesourire:—Tun’esfinalementpasunecausetotalementperdue…Chris-le-gentleman.Ilprendl’airhorrifiéetfeintdefrissonner:—C’estparcequec’esttoietqu’ilsemblelourd.Nevapast’imaginertoutuntasdetrucsbizarre!—Dieum’engarde!jesoupire,ensingeantuneinflexionpincéebourgeoise.Ça le fait rire. Nous entendons des voix dans la cage d’escalier. Des voisins ? J’ai la surprise

d’apercevoirunetêtevaguementfamilièreetChrismarmonneunjuron.Ilpatientesurlamarchecommes’ilm’attendait.Suppositionquis’avèreexactepuisqu’ilmêlesoudainsesdoigtsauxmiens.

Je jette un coup d’œil étonné à nos mains jointes avant que mes yeux ne glissent vers les deuxadolescents en train demonter lesmarches, tandis que nous, nous les descendons.Mon regard croiseceluidugarçonquimesembleunpeufamilier,etilparaîtsincèrementétonnédemevoir.Sesprunellesbifurquent rapidementversChris, avantde revenir surmoi.Un large sourire sedessine sur sabouchejuvénile.

—Hey!mesalue-t-ilavecenthousiasme.Voushabitezici?—Hello!Oui.(JelanceunbrefregardencoinversChrisquinepipemot.)Noushabitonsdanscet

immeuble.L’adoenfournelesmainsdanslespochesdesonjeanavecunecertainedécontraction.—Onyva?Sinontuvasêtreàlabourreàlafac,lâcheChrisquim’écrasedésormaislesdoigts.Quellemouchelepique?—Ehbien…,jecommence,pourdireaurevoiràmoninterlocuteur,quitendsubitementlamainvers

moi.—Jamie.JamieSundone.Soncopainlefixeavecdesyeuxinquiets.Àmonavis,ilaremarquéqueletypequim’accompagnait

n’était pas vraiment du genre aimable. Je réponds de mes doigts libres, afin de faire honneur à soncourage,oubiensoninconscience.

—KateBell.—C’estbon,là?grogneChris.Jehoche la têtepuis fais un signed’adieu à Jamiequi clignedesyeux, tout en souriant.Quelques

marchesplustard,jegrondeChris:—C’étaitquedesados.T’aimespaslesenfants,ouquoi?Ilpileetmefixe,labouchegrandeouvertedestupéfaction:—Un:oui,j’aimepaslesmioches.Çabramepourrien,çatecollecommedelaglu,çasemouche

surtesfringues…maislàn’estpaslaquestion.Ce«Jamie»,là,c’pasunbébé,c’estunpetitmonstremutantboufféparseshormones.

Jefroncelessourcilspendantquenousrejoignonslehalldubâtiment.—C’estencoreungosse.Chrisricaneméchamment,puissecouelatête.—Ungossequimataittoncul,ouais.

—Hein?!Turacontesn’importequoi!Illâchesubitementmamainpoursedésignerlui-même:—J’aiétéunado,jesaistrèsbienàquoiilspensent!s’exclame-t-ild’untonpresquepaternaliste.Jeledévisage,éberluée,puisluiemboîtelepasdansleparking.Avantdedéverrouillersaportière,il

agiteletrousseaudeclefsdanslesairs.—Etilsnepensentqu’àçalesannéessuivantes;voirejusquesurleurputaindelitdemort:lecul,

pointbarre!Unado,çafantasmedesefairedépucelerparunemeufplusâgée.Unadulte,çafantasmedebaisertoutcequibouge…etunvieux,desetaperunejeunette.

Jem’installesansarriveràtrouverunerépliqueappropriée.Unefoisderrièrelevolant,ilajoute:—Je t’interdisde luiadresser laparolequand jenesuispasavec toi…Àcetâge, ils sonthyper

sournois.Jenepeuxrienyfaire:j’éclatederire.—Etelletrouveçadrôle,grommelle-t-ilavantdedémarrersaPontiac.Je suis dans la cafétéria lorsquemon portable sonne. Je jette un coup d’œil à l’écran : « numéro

inconnu».Curieuse,j’acceptel’appel.—Allô?—Kate?C’estJo.Jo ?Comment a-t-il eumon numéro ?C’est probablement Chris qui le lui a donné… enfin, je

suppose.—SalutJo,commentçava?Jenesuispastrèsàl’aise.Jen’aijamaisréellementdiscutéavecl’amideChris.—Bien,bien…Dis-moi,j’organiseunepetiteteufpourl’anniversairedeChris,et…Jem’arrêtebrusquementdanslafiled’attente,leportablecoincéentrel’épauleetl’oreille.Merde!

Cen’étaitpasuneblague?—…normalement,ilétaitdeuxjoursaprèsletien,maisiln’avoulurienfaire.Bref,justequestion

demarquerlecoup,tuvois?Enentendantlemécontentementdesétudiantsderrièremoi,jereprendsfissamaprogression.—Ou-ouais.Biensûr.Pourquand?Qu’est-cequejevaispouvoirluioffrir?—Samedisoir.Après-demain,donc.—Où?AuPandémonium?Je bosse le samedi soir… est-ce que Pat accepterait de me donner ma soirée pour fêter

l’anniversairedesonfils?—Non,chezmoi.Jepasseraitechercher,pourluifairelasurprise.—D’accord.Versquelleheure?—Mhm…genre,18heures?C’estbon?Chrism’aditquetubossaispasmal…Jesourisbêtement.L’idéequ’ilparledemoiàsespotes,jenesaispas…çamefaitplaisir.—Pasdeproblème.Nousnoussaluonsavantderaccrocher.Tandisquejepaieladamequigèrelacaisse,monespritse

focalisesurl’idéedeluioffriruncadeauspécial.Oui,maisquoi?Qu’est-cequipourraitfaireplaisiràunmeccommelui?Dusexe?Jericane,éclatquimevautquelquesregardsencoinalorsquejemedirigeversunetablelibre.Soudainmesyeux tombent surunenanaassiseen facedemoi.Endessousdesescheveuxhirsutes

noir corbeau,un tatouage tribaldépasseducolde sonT-shirt et jepense tenirundébutdecadeau. Jesourisunenouvellefoisavantd’attaquermasalade.

Lerestedelajournéesepassenormalement,sauflorsquejemanquem’endormirencoursdephilo.Enattendantlebus,j’appellePatetluidemandesiellepeutmedonnermonsamedisoirenprécisantquec’est pour fêter l’anniversaire de Chris chez Jo. Elle accepte mais juste avant de terminer notreconversation, je me racle la gorge et me renseigne sur l’adresse d’un bon tatoueur. Dans un premiertemps,j’aiseulementunlongsilenceenréponse,avantqu’ellenefinisseparmedemander,hésitante.

—Tuessûre?Tusais,untatouage…enfin,jesuismalplacéepourtedireça…Jesouris.Mêmesielleal’airdesortirtoutdroitd’unfilmdebikers,Patresteavanttoutunemère.—Oui,jesuissûre.Ellesoupirepuism’indiquelaboutiquedesonpropretatoueur,celuiquiaréaliséceuxdeChris,me

précise-t-elle.Pataparfaitementcomprislaraisond’unetellerequêtedemapart.Maisjesuisdécidée.D’unpointdevueextérieur,celasembleextrêmedesefairemarquerlecorpspourunmec…maisc’estChris.D’unefaçonoud’uneautre,jesuisdéjàimprégnéedeluidebiendesmanières.

Jemanquem’endormiraumoinsunedizainedefoisdanslebus;ils’enestfalludepeupourquejeratemonarrêt.Quand,aprèsdixminutesdemarche,jemeretrouvedevantlaportedel’appartement,jem’interroge sur ce que je vais bien pouvoir préparer pour le dîner. Grâce au Pandémonium et auxgénéreuxpourboiresde certains clients, jegagne correctementmavie, j’aimêmepu laisser tomber leboulot au restaurant.Ungros soulagement pourmonorganisme.Techniquement, je pourrais déjà louermonpropreappart’,mais jedoisencorepassermonpermisetacheterunevoiture.Aufonddemoi, jen’aipastrèsenviededéménager,alorscesobjectifsmefournissentuneexcuseidéale.

Aprèsavoirinsérémondoubledesclefsdanslaserrure,jeréalisequ’elleestdéjàdéverrouillée.Jefroncelessourcils.MêmelorsqueChrisestlà,ilfermelaporte.Jepasselatête,unpeuanxieuse,etmesyeux rencontrent deux prunelles d’un curieux vert dont l’éclat froid me glace le sang. Un type d’unequarantained’annéesencostumenoirmefixe,tranquillementassissurlecanapé,unejambecroiséesurl’autre,toutenfumantunecigarette.

J’entrepourdebonetmasœurMelapparaîtrapidementdansmonchampdevision.Elleamaigri.—Mel?Elle sursaute comme une enfant prise en faute puis esquisse une grimace qui se veut peut-être

souriante.Descernescreusentsesyeuxetsonteintestanormalementpâle.—Hé…salut.Jepasseencoupdeventrécupérerdesaffaires.Jelascrutelonguementavantdelâcherdemontonleplusneutre:—Jevois.Puis je tourne la têteendirectiondu type, toujours silencieuxsur lecanapé.Ducoup,Mel se sent

dansl’obligationdenousprésenter,ets’avancejusqu’àmoi.—Kate…jeteprésentemonpetitami,Ronan.Ron…c’estmapetitesœur,tusais,Katherina.Ilyaquelquechosedeparticulierdansl’inflexiondesavoixetmesyeuxseplantentaussitôtdans

ceuxdemasœur.Elledétournevivementlessiens.Quelleconneriea-t-elleencorefaite?Jemereconcentresurl’individuprénommé«Ronan».Alorsc’estluilemecdontjedoismeméfier?Merde.Il est séduisant, mais sans plus. Il émane de lui une aura malsaine, indéfinissable mais

indubitablementmauvaise.Masuspicionestflagranteetelle lui tireunsourirederequin.Ronanlaisseses yeux errer surmoi avant de replonger son regard dans lemien etmon corps se tend :oui, il estdangereux.

—Alors,c’estvousla…«petitefemme»?s’enquit-ild’untonamusé.Jem’abstinsdetoutcommentaire,m’empêchantdecillersoussonregarddénuéd’humanité.Meltente

d’émettreunrire,sûrementpourdétendrel’atmosphère,maisilsonnetellementfauxqu’ilproduitl’effetinverse.Ronan,sansmequitterdesyeux,tireuneboufféedesacigarettepourensuitel’expulserparlesnarines,toutennonchalance.

—Vous…(ilsereprendavecunsourireencoin)tu?Jepeuxtetutoyer,n’est-cepas?Tun’espaslegenrehabitueldemonpetitchienenragé.C’est…surprenant.

Jecomprendsquedanssabouche,celasignifiequ’ilvacreuserlaquestion,etj’aiuneterribleenvied’appelerChris. Jen’aimepasce type.Touten luimedonneenvied’allercherchermonfusilharpon.Pourquoimasœursemaqueavecuntelindividu?

Jeluijetteunebrèveœillade;peineperdue,ellen’osetoujourspasm’affronter.Jepincedurementleslèvresetmespoingsseserrentd’eux-mêmes.

—Excusez-moi…Jevaisdéposermesaffairesdanslachambre,jereviens.Ronangrimace,visiblementamusé : il sedouteque jevais téléphoneràChrismaisnesemblepas

s’enformaliser.Unefoislaportefermée,j’ailecœurquibatàcentàl’heure.Mesdoigtstremblenttellementqueje

laissetomberleportable.JeleramasseenjurantpuischercherapidementChrisdansmonrépertoire.Jesuisvraimentsoulagéed’entendresavoixdèsladeuxièmesonnerie.

—Hey!Petitefemme!Tonmaritemanque?J’aipasencore…—Chris,jel’interrompsavecl’impressionquemoncœurpulsedansmagorge.Rienqu’autimbredemavoix,ildevinequ’ilsepassequelquechose;jefermelesyeuxetdéglutis

péniblementtandisquesoninflexionperdtoutenotedegaîtéquandilenchaîne:—Unproblème?—Y’a…Mel.Maisaussi…letype,là.Unterrifiantsilenceaussiépaisqu’unepuréedepoisrépondàmesproposdécousus.—Ronan?s’enquit-ilavecuneétrangedouceur.—Ou-oui.—Tuesoù?—Dansmachambre.—Trèsbien,Katherina.Legaragen’estpasloin,j’arrive.Toutdesuite.Ils’estencoreexprimédecetontranquille,commes’ilcherchaitàm’apaiser,maisaufonddemoi,je

saisqu’iln’estpassicalmequeçaencetinstant.J’inspireprofondémentpuissorsdelapièceenprenantsoin d’afficher une expression neutre. Mel continue de remplir de gros sacs à la va-vite et je merapproched’elle:

—Uncoupdemain?Ellemefait«non»de la tête,puisplace lescheveuxblonds lui tombantsur lesyeuxderrièreses

oreilles:sesmainstremblent.—Çava?Encore une fois, elle se contente d’opiner et ça me rend dingue. Je jette un bref coup d’œil en

directiondusofa;Ronanattendpaisiblement.Elleapeurdeparlerdevantlui?Mesyeuxreviennentàmasœuralorsqu’elledisparaîtdanssonanciennechambre.Soudain, la porte s’ouvre brutalement,m’incitant à pivoter surmoi-même, le souffle coupé par la

surprise. C’est Chris. Il porte une espèce de combinaison noire tachée de peinture dont les mancheslonguespendentsurseshanches.Sondébardeurblancn’estpasmoinsmaculé.Sescheveuxpartentunpeu

danstouslessenscommes’ilavaitpassédeuxcentsfoislesdoigtsdansleurmasseopaque.Alorsqu’ilesttoujourssurleseuil,sonregardseposedirectementsurmoipourdescendredehautenbas,commes’ilvérifiaitquelquechose,avantdesereportersursonvisiteurassissurlecanapé.

—Chris!s’exclamecedernier,nonsansuncertainenthousiasmequimefaitfroiddansledos.JevoislesmâchoiresdeChrissecontracteretleregardnoirqu’iladresseàMel,denouveauprèsde

moi,lafaitcouinercommeunanimal.Jeposemachinalementunemainsursonavant-brasetlasenssedétendre.Chrisentreenfinsansfermerlaportederrièrelui,etenvoyantJoetBennyarriver,essoufflés,j’encomprendslaraison.JoestpâlecommelamortetilyaclairementunelueurinquiètedanslesyeuxdeBenny.

—Tuasfini?grondeChrisensetournantversmasœur.Illafoutcarrémentàlaporte?!Jesuispluschoquéequ’étonnée.—Quelmanquedetactpourunenanaquetuasbaisée.Ronans’estlevétoutenprononçantcetteremarqueauvitriol;luiparaîts’amuserauplushautpoint.

Jeserrelesdents.Cettepetitepiqueétaitaussipourmoi,j’ensuissûre.Questiondeplanterledoigtlàoùçafaitmal.L’airderien,ChrisvientseplacerentreRonanetmoi,toutentournantledosàcedernier.Jenel’aijamaisvuaussisilencieuxetnesaisplusquelleattitudeadopter.

Uncoupd’œilsurJoetBennymesuffitpourconfirmermonimpressionquelasituationestexplosive.—Tunem’offrespasàboire,Chris?badineRonan.MesyeuxcroisentceuxdeChris.Ilssonttellementobscurcisqu’onpourraitcroirequelesténèbres

leshabitent.Ilest…effrayant.—Tuastoutcequ’iltefautdanstalimo…Ici,jen’aiquedelabièrebonmarché,Boss.Iladébitésondiscoursd’unevoixmonocorde.Unlongsilences’abatsurnous.ChristournetoujoursledosàRonan,préférantfixersonattentionsur

moi.Ronansoupire.—Quelhôtepitoyable tu fais…enfin,bon,passons. J’ai reçuune très intéressantevidéo surmon

portable…tuveuxlaregarder?LesnarinesdeChrisfrémissentetilsedécidefinalementàtournerlatêteversl’hommequ’ilappelle

«Boss».—Chuispasbranchévidéos,Boss.—Tudevraisvisionnercelle-ci,insisteRonan.Lesex-copinesdebaiseontunefaçonbienàellesde

sevenger.Sybil,c’estça?Absolumentcharmante.C’estcrispédanschacundesesmusclesqueChrissedirigefinalementverssonpatron.Toutsourires,

notreinvitésurpriseluitendsontéléphoneportablederniercri.AprèsunvifregardencoinjetéàRonan,Chrislancelavidéo.Aufuretàmesurequelessecondess’égrainent,ildevientlivide.Sesdoigtsserrentl’appareilcommes’ilallaitsimplementl’écraser.

Unefureursansnomdéformesestraits,luidonnantunairsauvage,voiredémoniaque.Ronanesquisseunsourirejubilatoire.Sansréfléchirpluslongtempsjem’approcheàmontouretluiarracheleportabledesmains:jedoism’yreprendreàdeuxfoisavantqu’ilacceptedelelibérer.Jerelancelavidéo.C’estChrisetmoi,hiersoir,auPandémoniumpendantquenousnousembrassions.Jecomprendsmieux.

—Ah!L’amour!déclaresubitementsonchefavecemphase.Chris ferme les yeux, probablement pour dissimuler ce qu’il ressent. Je me tourne vivement vers

Ronanaveclaterribleenviedeluiarracherlecœur.— Il faut absolumentquenousdînions tous ensemble, unde ces soirs ! chantonneRonanavantde

récupérersontéléphonepourpasseruncoupdefil.Ilparledansunelangueslave,probablementenrusse.Mellerejointetilglissenaturellementunbras

possessifautourdesataille.Etilss’envontsansquej’aielamoindrechanced’échangerunmotavecmasœur.Personneneparle,pasmêmequanddeuxgorillesapparaissentpourprendrelesdiverssacsdanslesquelsMelarassemblésesaffaires.L’und’euxmebousculeparinadvertance,etenunéclair,Chrisluibarrelechemin.Leregardquiluitdanssesyeux,jenelereconnaispas.C’estdelahainepure…celuid’unmeurtriersurlepointdecommettresoncrime.LemastodonteetChrissedéfientmutuellementmaislorsquecedernier réduitunpeuplus ladistanceentreeux, l’incitant silencieusementàdéclencherunebagarre,Jolesaisitparlesépaulespourleforceràreculer.L’autreenprofitepoursortirsansfermerlaporte.Latensionquirègnedansl’appartementestinsoutenable.Ellepèsesurnous,rendantl’airpresquecompact.D’unebourrade,ChrisselibèredeJo.Ilesttoujoursaussitenduetpersonnen’oseromprelesilence,maistousnosyeuxsontbraquésverslui.

Soudain, il explose. Il claque laporte,puis sedéchaîne surelle, lui administrantcoupsdepiedetcoupsdepoing,toutencriant.Sesproposn’ontaucunsens;cesontjustedeshurlementsenragés.

Jo etBenny semettent à deux pour l’empêcher de se démolir davantage les phalanges, néanmoinsavecbeaucoupdemal.Ilsluiparlentchacunàleurtour,tropbaspourquejepuisseensaisirlateneur.Jolèvelatêteversmoi,Chrisl’imite.Ilrespirebruyamment,sesyeuxencorevoilésd’unefureurquisemblenéanmoinss’atténuer.Jenesaispascequ’illitsurmonvisage,maisvisiblement,celal’aideàreprendrelecontrôledelui-mêmeetsesamislerelâchentdoucement.Monregardtombesursesdoigtsécorchésd’avoirfrappélaporteavecunetelleviolence,puisremontepourselierausien,déjàplusclair.

—Onteleconfie,murmureJoavantdefairesigneàBennydelesuivreàl’extérieur.Après leurdépart, lesilencereprendsesaises.J’aienviedeserrerChrisdansmesbras,sansêtre

certainequ’ilacceptecettemarqued’affection,dansl’étatdanslequelilsetrouve.Ilseredresse,inspireprofondémentsansmelâcherdesyeux.Jemedétendsunpetitpeu.Ilsedirige

verslasalledebainset,instinctivement,jelesuis.Jelecontempleouvrirlerobinetdulavabo,adosséeauchambranle,lesbrascroiséssousmapoitrine.Chrispassesesdoigtsamochéssousl’eaufroidesansprononcerunfichumot.

—L’eau…c’estpasundésinfectant.Maremarquetombeàplat.Cesilencevametuer,ausenslittéralduterme.Jem’avancedanslapièce

pourfarfouillerdansl’armoirederrièrelui:j’yaiplacéleminimumsyndicalentermesdemédicamentsàposséder.

Ilmeregardedanslemiroirmaisjefaisminedel’ignorer.Unefoisl’antiseptiquedanslesmains,jeprendségalementtroissachetsdegazesstériles.Lorsquejemeretourne,nosyeuxsecroisent.Letempssesuspend,équilibristeployantsousunpoidsbeaucouptroplourd.

—Jevaistesoignercorrectement.Son silence va réellement avoirma peau.Encore quelques secondes pendant lesquelles nous nous

scrutonsl’unl’autresansdévoilerlanaturedenospensées,puisilbaisselatête,arrêtelerobinetpourfinalements’asseoirsuruntabouretoùtraîneuneservietteéponge.

Jem’accroupisprèsde lui, concentrée surma tâcheconsistant àouvrir laprotectiondesgazes. Jesaisisdélicatement l’unede sesmainspuis tamponne leplusdoucementpossible les écorchuresde lafibre imbibéededésinfectant ; ilne tressaillemêmepas.Est-ilàcepointhabituéà ladouleur?Cetteidéemetordl’estomac.Cen’estquelorsquejem’attelleàl’autremainqu’ilsedécideenfinàmeparler:

—Tuvasbien?Savoixestextrêmementbasseetgrave,commesidiscuterluidemandaituneffortincommensurable.Jenepeuxretenirunricanementamer.

—C’estplutôtmaligne.Denouveau, il retournedanscemutismequim’angoisse. J’auraispréférédescris,des insultes,un

comportementagitéquece fauxcalmeetce silence. J’ai eupeur. Je le reconnais.Peurpourmasœur,pourmoi.Maisj’aiégalementeupeurqueChrisdisjoncte,donnantàsonbossleparfaitprétextepourunepunitionexemplaire,voirepourletuer.Parcequ’ilauraitdépassélesbornes,oujusteparcequeRonanen a le pouvoir. Je comprends désormais les réticences de Chris à s’engager. Ce qu’il cherchait àm’expliquer. Son monde est aussi pourri que le mien, mais dans le sien… la mort est une actriceomniprésente.

Puis, je sens des doigts surma tête. Jeme fige. Ils exercent une pression afin de rapprochermonvisagedusienetseslèvressepressentbientôtsurmonfront.J’écarquillelesyeux;cegestem’apriseparsurprise.C’estidiot.Pourquoimoncœurmefaitaussimal?

Jenemerendscomptequejepleurequequandmespropreslarmesmouillentmesjoues.Lapeur…oui,c’estsûrementàcausedelapeur.Nousn’avonstoujourspasparlédecequ’ilvientdesepasser.Chrissecontentedemesuivred’une

pièce à l’autre tandis que je m’occupe les mains à des besognes palpitantes comme ranger soninextricablebazaroupréparerlerepas.J’aiunevagueidéequantàlaraisondesoncomportement:soitilveutdiscutermaisnesaitpasparquelboutcommencer,soitilveutêtresûrquejenem’effondrepascommeunpeuplustôtdanslasalledebains.Maislesavoircontinuellementderrièremoimestresseplusqu’autrechose.

—Tuveuxboireunebière?jeluidemande,enévitantdeleregarderfranchement.Jesuisgênée.Un,parcequej’aipleurécommeunegamineapeuréedevantlui,moiquiadorejouer

lesduresàcuire.Deux,parcequecettecombinaisonsurluiestvraimentsexy.Pouruneobscureraison,ellemefaituncertaineffet.Ilressemblevaguementàunpiloted’essai.

Ils’assoitàtablependantquejeterminelapréparationdemeslasagnes.Jeprendssonsilencepourun«oui»etparschercherdeuxbièresdanslefrigo.Jenesuispasfriandedesblondes–petitepenséepourSybil–maisj’aibesoind’unverre.Lepostérieurappuyécontrelebordduplandetravail,jetentededécapsulerlamienne;sanssuccès.Lesdécapsuleursetlesouvre-boîtesmedétestent,c’estofficiel.Chris se penche en avant, m’enlève ma bouteille pour l’ouvrir avec autant d’agilité que de rapidité.Quandilmelarend,nosdoigtssefrôlentetunpetitcourantélectriquetraversemapaume.

Jeboisunegorgée,appréciantpluslafraîcheurdelaboissonalcooliséequesasaveur.—Tusaispourquoiilnousamontrécettevidéo?lâche-t-ilsubitementd’unevoixdénuéed’émotion.—PournousprouverqueSybilestunepiètrecinéaste?jeproposeavantdeporterlegoulotdema

bièreàlabouche.—Parcequejeluiaimentiàtonsujet.Jeluiairacontéquetun’étaispasmameuf…quetun’étais

rienpourmoi.Pasparcequej’aihonte,tulesaisça.Pourteprotégerdesesidéestordues.Oui,j’avaisbiensaisiquecetypeétaituntaré.—Ilm’afaitmatercettevidéopourmemontrerqu’ilsavaitbienquejeluiavaismenti.Pourqueje

comprennequedésormais, ilva t’incluredanssonpetit jeude torturepsychologiqueauquel ils’amuseavecmoi.

OK.Chrisveutparler.Jedoism’attendreàquoi?—Pourquoi?J’ose enfin plonger mes yeux dans les siens et n’y rencontre qu’un vide glacial. Mon cœur se

compressedouloureusementdansmapoitrine.Jedétestelevoirdanscetétat.Jedétestevraimentça.—Pourquoiils’amuseavectoidecettefaçon?j’insiste.

Christientsabièresansmêmeytoucher.—Commejetel’aiditl’autrefois.Àcausedemonpère…demamère.Ilatoujoursvoulusetaper

mamère.C’étaituneobsession,chezlui.C’estellequimel’aexpliquélorsquecefoum’amislamaindessuspour fairedemoisonputaindeclébard.Maisc’estmonpaternelquiaobtenudePatycequ’ildésirait et ça l’a rendu complètement dingue. Je représente àmoi seul le fait qu’il n’a jamais gagné,alors…

Mabièreremontelelongdemonœsophage;j’aienviedevomir.Jelaposesurlafaïence.—Iltetortureenguisedevendettacontretonpère?—Oui.Jelâcheunjuron.Chrisnepeuts’empêcherdesourire,maiscelan’atteintpassesyeux.—Etpourça,iladéjàutiliséquelqu’un.David.SiDavidestmort…c’estàcausedemoi.Àtousles

niveaux,jesuisresponsablesicegaminestmortavantmêmedefêtersamajorité.Ilsepasseunemainsurlevisage,lespaupièrescloses.—J’aipasenviequ’ilt’arrivelamêmechose,Kate.Ilvisedirectementtoutceàquoijetiens.C’est

pasunebonneidéedecontinuer…—C’esttroptard.Jelecoupedanssonélan.—Iladéjàcomprislanaturedenotrerelation,doncpeuimportecequetuferas,maintenant…ilm’a

danssonviseur.Etiladéjàlamainsurmasœur,apparemment.AuregarddeChris,jesaisqu’ilmedonneraison.Unlongsilences’étireentrenous,jusqu’àcequ’il

murmure,lesprunellesrivéesauxmiennes:—S’il tetouche…tefaitdumal,d’unequelconquefaçon…jeletuerai,Kate.Jeletueraipourde

bon.J’enairienàfoutredelataule.J’aidéjàétéendétention,çanemefaitpaspeur.Non.Là,jesuisterrorisé à l’idéequ’il tedétruise comme il adétruitDavid. Jene le supporteraispas, tum’entends?Tu…

Ils’humecteleslèvres.Moi,j’ailatêtequibourdonne.—Tun’aspasdelafamille,quelquepart?Loind’ici?Unetanteperduedansunbled?Putain…jeneveuxpaspleurer.—Non.—Jepourraist’aider…àtrouveruneplanque.—QuiplanqueraitJuliette?EtMel?Jenem’enfuiraipas,Chris.Ilseprenddoucementlatêteentrelesmains,coudesposéssursescuisses,doigtsemmêlésdansses

cheveux.—Quellemerde.C’estmafaute.J’aimeraiseffacercettepressionquim’obstruelagorge.Jem’approchedeluisansréellementsavoir

cequejedoisfaire.Jeluisaisisdoucementlespoignetsetlesécartepourl’obligeràmeregarder.Ilnepleurepas.J’ail’impressionquepeuimporteladouleurouceàquoiilpense,Chrisn’estpasdugenreàverseruneseulelarme.

—Arrête.Arrêtedepenserça.Nousnousfixonsl’unl’autreetjeretiensbrièvementmonsoufflelorsquesesmainsviennentsurmes

hanches.Ellesglissentjusqu’aubasdemesreinspourm’attirerd’unseulmouvementàlui.Ilenfouitsonvisage dans les plis demon pull tout en inspirant bruyamment.Mes doigts caressent naturellement lamassesoyeusedesescheveuxenungestequiseveutréconfortant.

Quelquechosechange.C’estdiffus,imprécis,maisc’estlàetcelanousenveloppe.Chrislesentaussicarsa têteremonteauniveaudemesseins tandisqu’ilm’amèneencoreplusprèsde luidans l’espace

ouvertdesesjambes.Ilredresselatêteafinquenosregardssenouent.Jeconnaisdésormaiscetteexpression.Ilaenviede

moi.Ils’écartedavantage:—Tunepartiraspas?Ilyaquelquechosedebrisédanssavoix.J’aideslarmesquimepicotentlesyeux.Non.Non,jeneveuxpaspleurer.—Jen’irainullepart.Chrisselèvelentementdesachaise,sanspourautantmelibérer.—J’aibesoindetoi.J’ai la bouche sèche. Je sais ce que ces paroles signifient.Ma tête bourdonne encore.Mon cœur

tambourinesifortdansmapoitrinequej’aipeurqu’ilensorte.Sonregardnequittepaslemiendurantcequimesembleêtreprochedel’éternité.

Je suis nerveuse. Je veux lui appartenir de cette façon, mais le fait est là : je suis terriblementnerveuse.Ilmecaresselajoueenl’effleurantdesapaume,toutens’inclinantdoucementversmoi.Seslèvressepressentsurlesmiennesetilm’embrasseavecuneétonnantedouceur,luiqui,habituellement,semblesiavideetunpeubrutaldanssesbaisers…Jesuisdéstabilisée…profondémentémue.Jesensqu’ilm’entraîneverslachambre,unpasaprèsl’autre,lentement,sanscesserd’enroulersalangueautourdelamienne.Jemelaisseguiderdanstouslessensduterme.Jem’accrocheàsanuque;j’aipeurdemenoyer sous le flux d’émotions aussi différentes les unes des autres. Une douleur sourdeme torture lapoitrine.Jusqu’àprésent,jen’arrivaispasàycolleruneétiquette;jesubissaisseulementsonattaque…maisjecroisquec’estdel’amour.Çan’arienàvoiraveclesidéesvéhiculéesparlesfilmsouleslivresromantiques.Toutcequejeconstate,c’estqueçafaitmal.ChaquefoisqueChrismontrecequ’iléprouvepourmoi,quecelasoitpardesparolesoudesactes,jesouffreàcetendroitprécis,nichédansmacagethoracique.Aimer est difficile, c’est ce que j’apprends un peu plus chaque jour avec lui. Jeme sensfragile,perdue,etjenesuispascertainedepouvoirchangerça.

NoussommesdevantlelitetChrismetlentementfinànotrebaiser.Danslapénombredelapièce,jeparvienspresquem’oublier dans sesyeux. Il ybrûleun feu auquel jedésireme réchauffer, justepourarrêterdetremblercommeunefeuilleagitéeparlevent.

Ils’humecteencoreleslèvres.J’esquisseunsourireencourageantetilyrépondfaiblement.C’estlapremièrefoisquejelevoissipeusûrdelui.

—C’estdifférent,dit-ilcommes’ilavaitludansmonesprit.J’essaiedecomprendre.—Quandy’ades…dessentiments…(ilbutesurlemot,c’estterriblementmignon,quelquepart)Je

saispas…j’ailapression.Putain.Jecrains,là.Tuvasencoreplusflipper.Il passe une main dans ses cheveux tandis que l’autre demeure au creux de mes reins. Peut-être

devrais-jefairequelquechose?—Tuveuxquejemedéshabille?Satêteaunmouvementdereculassezcomique.—Wow.—Wow?jerépète,larguée.Ilémetunpetitrireétranglé.—Non,c’estjusteque…Chriss’interromptpourdardersurmoiunregardenflammé.—Oui.Jeveuxbien.Etlasecondesuivante:

—Non.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Ouiounon?—Non,c’estmoiquivaislefaire.Ilsembledéterminé.Jesourisànouveau.Mesyeuxrestentrivésàsonvisageconcentrépendantqu’il

saisitdélicatementlebasdemonpull.Jelevoisprendreunelongueinspirationlorsqu’ilroulevêtementsurlui-mêmedemanièreàlefairepasserpar-dessusmatête.Jel’aidedanslamanœuvreenlevantlesbrasenl’airetl’instantd’après,jenesuisplusqu’enT-shirt.

—Ahoui…y’aplusieurscouches.Jerisdoucementàsaplaisanterie,luiaussi.Nousrépétonsl’opérationetjemeretrouveensoutien-

gorge,lecœurbattantlachamade.Instinctivement,mesbrassecroisentpourchercheràcachermesseins.Il les a déjà vus, je le sais. Même bien vus… c’est plus fort que moi, je ne peux rien y faire. Ils’agenouille pour s’attaquer aux boutons de mon pantalon cargo. J’oublie de respirer tout en ayantcurieusement chaudde le contempler, là, le visage à ce niveau.Chris s’humecte une nouvelle fois leslèvres–çadoitêtreunticnerveuxetçamerassureunpeuqu’ilnesoitpasaussiàl’aisequejel’avaisimaginé.Sesdoigtsdéfontlepremierbouton,puislesecond.Jefrissonne.Ils’enrendcompteetlèvelesyeuxversmoi.Nos regardss’accrochent l’unà l’autreet j’éprouveencorecette satanéedouleur ;elleenflepourpresquem’empêcherderespirer.Jel’aime.Jel’aimevraiment.Ildéfaitlesdernierssansmelibérer de l’emprise de ses prunelles si sombres, surtout dans la pénombre de la chambre aux voletsentrouverts.

Lorsquesonregardsefixesurlehautdemaculotte,jeregretteimmédiatementportercelle-là:elleestdotéed’unpetitnœudenfantin.

Ilnevapasplusloin,préférants’occuperdemesConversesqu’ildénouenonsanssebattreaveclelacet.Leschaussettessuiventlemêmechemin.Quandjedevinesonhésitationàmeretirermonjean,jepuisedansma réservede courage : je neveuxpasqu’il croieque jeme force enquoi que ce soit etbaisse levêtementen toilemoi-même. Ilm’observe faire, laboucheouverte, la respirationsubitementbruyante.Jem’endébarrassemaladroitement,lecœurauborddeslèvrestantilbatfortetàunevitessefulgurante.

Jesuisausummumdelagêne.Jenemesuisjamaissentieaussidémuniedetoutemavie.Chris,lui,semblehypnotiséparmaculotte.Sesmainsseposentsurmeshanchesetjefermelesyeux:jeneveuxpasvoircequ’ils’apprêteàfaire.Déjàpercevoirsesdoigtssurmapeaunuemeprovoqueunechairdepoulequinedoitrienàlatempérature,maisjesuffoquecarrémentlorsqu’ilappuieseslèvrestièdesetdouces sousmonnombril. Jedéglutispéniblement lepeude saliveprésentedansmabouche.C’est lepremierbaiserd’unelonguesériequidessineunincandescentdemi-cercle.Sesdoigts,surlescôtés,seglissentsous l’élastiquedemonsous-vêtementpourfinirsurmesfesses.Oh,unbref instantseulement,maisjusteassezpourquejesoispleinementconscientedecettecaresse.

—Tuaslapeausidouce,murmure-t-il,commeémerveillé.J’ai les joues en feu. Son compliment me touche. Quand je le sens se remettre debout, je rouvre

automatiquement lesyeux,qui trouventaussitôt lesmiens. Il s’écartedemoipuissaisitunboutdesondébardeur,auniveaudesomoplates,pourl’enleverd’unmouvementfluideetgracieux.Ill’abandonneànospieds,oùgisentdéjàmesvêtements,pareilsàdesarmesoubliéessurlesold’unchampdebataille.

Christorsenuestunspectacledontjenemelasseraiprobablementjamais.Àcausedesesnombreuxtatouages,maisaussidesesmusclesparfaitementdessinésnonpaspardenombreusesheurespasséesensalle de musculation, mais à force d’avoir sué lors de ses combats, et probablement de toutes cesactivités illégalesquiont façonné soncorpsau jour le jour.Cela lui confèreuneauradangereuse très

fascinante. C’est mon tour d’humecter mes lèvres, et ce geste involontaire dessine sur sa bouche cesourireencoinquimerendfolle.Mesyeuxrencontrentdenouveaulessienset,visiblement,çaluiplaîtdeconstaterl’effetqu’ilmefait.Jenepeuxpasluienvouloir.Samainattrapelamiennepourm’aideràgrimpersurlelit.Jemesenshorriblementgauche,pasdutoutsexycommelesactricesdesfilmsdanscegenredescènes.

Jem’allonge sur le dos et le contemple ; il déboucle sa ceinture, un genou appuyé sur le bord dumatelas,prèsdemespieds.Néanmoinsilsemblehésiteràretirersacombinaison,ladézippantàpeine.Ilenfouillelapochepuisenextraitcequejedevineêtreunpréservatif.

Lesmecs…toujourséquipés,jesongeavecunecurieuseamertume.Chriss’étendau-dessusdemoisanslaissersoncorpstoucherlemien;seuleslesmancheslongues

mechatouillentenmefrôlant.Ilglisselepréservatifsouslecoussinsurlequelmatêterepose.Sonvisageest siprocheque jemeperdsdans lacontemplationde sa jouegrignotéeparune faiblepilosité.Sansvraimentypenser,mesdoigtslacaressent.C’estàlafoisdouxetpiquant,selonlesensdanslequeljelesfais passer. Ce paradoxe me fait sourire bêtement. Il pivote la tête et l’incline suffisamment pourm’embrasser.Jesavourecetinstant;seslèvressurlesmiennesquinecessentdes’éloignerpourmieuxrevenir,plongeantsensuellement,brièvement,salangue,pourrendrececourtcontactaussiélectrisantquebrûlant.Désormais, j’ai lesdoigtsdans sescheveux. Je faismonpossiblepour l’attireràmoietqu’ilm’embrasse plus longuement – sa petite tortureme rend dingue. Il résiste, ce qui a immédiatement undrôled’effetsurmoi.Jesensseréveillerunaspectdemapersonnalitédontj’ignoraisl’existenceetquisembleplutôtincontrôlable:toutenréactionsetnonenréflexions.Moncorpssetendnaturellementverslesienpendantquesesmainssefaufilententremondoset lacouverture. Ildégrafemonsoutien-gorgeavecunedextéritémerappelantcruellementàquelpointiladel’expertisedanscedomaine.Cettepenséeme parasite et refroidit légèrementmes nouvelles ardeurs. Chris a dû percevoir ce changement car illaissedésormaispeserdavantagesonpoidssurmoi.Lasensationdesapeaucontrelamiennecréeunesortedebrûluredansmonbas-ventre.Seslèvresquittentmabouchepourdévorergentimentmamâchoire,entamant une progression d’une lenteur intolérable versma gorge pendant que ses doigts soulèvent letissulâchedemonsoutien-gorge.Ilsaisitunboutdemonsous-vêtemententresesdents,ettiredoucementdessus. Ses mains vont et viennent le long de mes cuisses, qui se sont écartées d’elles-mêmes.Apparemment satisfait d’avoir libéré plus oumoinsma poitrine de son ultime entrave, il s’emploie àembrasserchaquemamelon.J’écarquille lesyeuxpuis lesbaisseverssonvisagepouryrencontrer lessiens : ilm’observe, scrutant lamoindredemes réactions.Cetteattentionme touche. Il faitglisser lesbretellesdusoutien-gorgelelongdemesbraspourlejeternégligemmentdanslachambre.J’éprouvelesubitbesoindemordrequelquechose.Mesdentsseplantentnaturellementdans lachaird’unedemesmainstandisquel’autresecrispesurledessus-de-lit.

Moncœurdoitsûrementfaireunbruitassourdissant.Mespenséess’éparpillentlorsqueChristorturemonventre,puismonnombril. Il rampesurmoi,versmespieds, et je sens lapeau fermede sesbrascontremescuisses,sesmainssurmeshanchess’attardantsurlefaiblerempartdemaculotte.J’aisoudaincemouvementinstinctifderesserrerlesjambes,cognantmesgenouxàsescôtes.Ils’arrêteaussitôtetseredresse,rapprochantsonvisagedumien.Ilretiregentimentledoigtdemabouchepuisdéposeunbaiserdouxettendresurmeslèvres,commepourmerassurer.J’aipaniquéetill’asenti.

Je suis certain qu’il doit avoir l’impression d’apprivoiser un animal craintif, mais tout ceci estnouveaupourmoi.Jenesaispasàquoijedoism’attendre.Luilesait.Jen’airiend’unedesesaventuresexpérimentéesd’unsoir,d’uneSybil…Jevaisfatalementledécevoir,non?

—Hey,murmure-t-ild’unevoixtrèsrauque.Détends-toi.Sansblague?

Jenerépondspas,tropdéboussolée.Ilm’offreencoreunbaiserchaste,tandisquel’unedesesmainslissetendrementmescheveux.

—Tusais,situassipeurqueça…On…enfin,onn’estpasobligésdelefairetoutdesuite.Une grande partie de moi a terriblement envie d’accepter cette porte de sortie. Je ne suis pas

trouillardehabituellement,maislà,jeseraissûrementcapabledemarchersurdesbraisesardentespourrepoussercetteétapedansnotrerelation.Jesaisnéanmoinsquejevaisrefuser,parcequemoiaussi jedésiresincèrementvivreçaaveclui.JeveuxquecelasoitChrisquimefassefranchirlepas.Luietpasunautre.

—Non…c’estbon.Jeleveuxvraiment,Chris.Mavoixestenrouéeetj’aidûmalàlareconnaître.Ils’humecteleslèvres.C’est idiot,maiscettepreuvemanifestequ’ilestenpartieaussipauméque

moimefaitsourire.—Vraiment?Ilinsiste…paracquitdeconscience?Jesupposequeceladoitêtreunepremièrepourlui.—Vraiment,jeconfirmedutonleplusassuréqu’ilm’estpossibled’avoir.Ilm’embrassedenouveau.—Tumefaisconfiance?J’opinesanslequitterdesyeux.Ilsourit,taquin:—D’accord,mais tu sais… jevaisdevoir te l’enlever… taculotte.Mêmesi je l’aimebeaucoup,

hein.Elleestvraimentmignonnetoutplein.Jesuisplutôtbon,Kate,maispasàcepoint-là.Laculotteaupetitnœud:fautqu’elles’enaille.

Jenepeuxrienyfaireetpouffederire.C’estmagique,sapetiteblaguem’adétenduecommesi lepoids qui m’oppressait s’était évaporé en un clin d’œil. Cette fois-ci, lorsque sa bouche couvre lamienne, l’échange n’a rien de chaste, c’est le baiser sauvage auquel il m’a habituée. Celui qui,terriblementconquérant,nemelaissepasreprendremonsouffle.Chriss’installemieuxentremesjambesetjesensaussitôtl’ampleurdesondésir.Ill’appuiesciemmentetdirectementcontremapropreintimité.Cettepressionmedéclencheuneétrangesensationbrûlantedontleséchosserépercutentdanslerestedemoncorps, annihilant dans la foulée toutepensée cohérente. Il réitère et je ne sais pas comment c’estpossible,maiscecurieuxplaisirestencoreplusdévastateurqueleprécédent;ungémissementincontrôlés’échappe dema gorge pourmourir surmes lèvres. Chris se tortille légèrement ; il ôte le bas de sacombinaisonetdèsqu’ilenest libéré,medévorelesépauleset lesclaviculesdebaisersenfiévrés.Jem’arc-boute.Jeveuxencoreressentircequ’ilvientdemefaireéprouverunpeuplustôt.Ilpencheunpeusoncorps sur le côté, sanspour autant entièrementquitter saplace initialemais jeperçoisunede sesmains sur mon ventre et elle descend inexorablement, de plus en plus bas jusqu’à se faufiler sousl’élastiquedemaculotte.Ellenes’arrêtepasetjegoûtesonsouffleanormalementrapidesurlapeaufinedemapoitrine.Mesbrasenserrentsubitementsoncou.Jem’yaccrocheleplusfermementpossiblepourmereteniràsaforce,ypuiserlecouragededécouvrirjusqu’auboutcequim’attend.Ilacceptel’étreinte,m’octroyantdescaressesdans lecou ;alternantmordillementset savantscoupsde languependantquequelques-uns de ses doigts s’insinuent encore plus loin, là où unemoiteur éloquente les accueille. Ilétouffe un juron, une plainte ou un grognement, j’ai des doutes. Ses lèvres sont désormais immobiles,totalementfigées…peut-êtretropconcentréesàinspirerleplusd’oxygènepossible.Jecomprends,parcequec’estexactementcequej’essaiedefaire.Lacaressequ’ilm’octroieseconcentresurunseulpoint;sur ce bouton que je découvre si sensible qu’il est capable de me propulser dans le vide. Je suisassujettieparcesvagues incessantes,bienpluspuissantesquelesdeuxpremières.Concrètement, jenesavaispasqu’unepartiedemoiétaitcapablederépondreàcegenredestimulationd’unemanièreaussi

intense. Mes hanches ondulent d’elles-mêmes et Chris les accompagne en accentuant sensiblement lerythmedesesdoigts,ainsiqueleurspassagessurcepointsisensiblenichéaucreuxdemoi.

Sans cesser deme torturer, il se détache un peu pourm’embrasser. Sa languem’envahit de façonbrutale,cherchantàdominermabouche.Mesonglesseplantentdanslachairdesanuque.Monêtreentiervibrejusqu’àcequejesentel’undesesdoigtsmepénétrer.Pasénormément,maissuffisammentpourmefairepousserunpetitcriplaintif.Chrisseraidit,leretirepresqueàcontrecœurtandisquesontorsesebaisseetsesoulèveàunetrèsgranderapidité.Sesyeuxsenouentauxmiens.Ilalestraitscrispés.

—Désolé,mapetitefemme,s’excuse-t-ild’unevoixbizarrementhachée.Sijepouvaisfaireensortequetun’aiespasmal…crois-moique…

Ilneterminepassaphrase,néanmoinsj’aitrèsbiencompris.Detoutefaçon,ilfautenpasserparlà.Ilm’adresse un sourire contritmalgré ses prunelles qui demeurent voilées par une lueur curieusementprimale.Ilrécupère–pasassezdiscrètement–lepréservatif,pouraussitôtdisparaîtredemonchampdevision.Jemeredressemachinalementetlorsquejevoissatêteentremesjambes,lapaniquerevientaugalop.

Qu’est-ceque…?!Ilmeretiremaculotteets’endébarrasseenmoinsdetempsqu’iln’enfautpourledire.Quandson

visages’approcheànouveaudecetendroit-là…jecouine,affolée:—Non!Ilm’adresseunregardsurprispuissouritd’unairassurémentcarnassier:—Ohquesi!lâche-t-ilengrondant,avantdem’écarterlescuissesd’ungeste.Lasecondesuivante,aucontactdesalangue,jemeliquéfieintégralement.—Chris!jem’étrangle.Jevaismourirdegêne–etprobablementd’autrechose–pendantsesbrasmetiennentfermementpar

lesjambes,m’immobilisantavecuneterrifiantefacilité.Je viens d’être jetée dans un précipice et je n’ai aucune autre solution que de m’agripper à la

couverture,latêterenverséeenarrière.Cequej’éprouvefaitpasserlessensationsantérieurespourdepetitesbrisesprintanières,comparéesàl’ouraganquedéclenchel’audacieusecaresseàlaquelleChrisseconsacreencetinstant.

Moncerveaunesuitplus;ils’estbriséenmillemorceauxsurlerocherdelaluxure.Jecrie,j’ensuisconsciente,sansréellementréalisercequisortdemabouche:simesproposontunsensous’ilssontinarticulés.Moncorpssetendbrusquement,puiséclateetconvulse.J’aiàpeineassezdeluciditépourm’apercevoirqueChrisacessésonsuppliceetsembleoccupéàautrechose.Jenavigueeneauxtroubles.

—Ma’titefemme?—Mhm?—Inspire.—Inspire?…Oh!Il est enmoi enune seulepousséeet j’ai l’impressionquemonventre sedéchire sous l’intrusion.

Chris ne bouge plusmais son visage, qui est de nouveau près dumien, semble taillé dans lemarbre,commes’ilvivait,luiaussi,unmomentdouloureux.

—Ça…çava?Sasollicitudemetouche.—Ou-oui.Jemens.Jemenspourlui,maisilestévidentquejenesuisplussurlepetitnuagedemonorgasme.

Lachuteaétédure.Ilsemetbientôtàbougeràl’intérieurdemoi,etmoncorpssembles’habituerpetitàpetitàcetteintrusion.Jedesserrelégèrementlesdents.Mesbrascherchentunenouvellefoisleréconfort

desoncouafindelepressercontremoi.Ilselaissefairepourpasseràuntempoau-dessusdesacadenceet là, le plaisir renaît soudain enmoi.Moins fulgurant et tétanisant que celui qui m’a emmenée à lajouissance:ilmetireversunesortedeplénitudetroublante.Chrisaccélèreettoutmoncorpsrépondàl’appel.C’estfrénétique,grisant.

—Bébé…!Cesurnomsonnecommeunesupplique.Soncorpsentier secontracte.Lesyeuxquasimentclos, le

soufflecourt,jel’observeafficheruneexpressiontotalementinédite.CommesiChrissombraitquelquepartentrelasouffranceetlalibération.

Ils’écroulesurmoi,larespirationerratique:—Putain…jet’aime!Je suis sous le choc.Cettedéclaration, jenem’yattendaispas.Maisvraimentpas. Ilm’embrasse

plusieursfoislecouetlorsquemesdoigtss’évadentsursesépaules,jesensqu’ilalachairdepouleettrembleunpeu.Ilroulejusqu’auborddulitpours’yasseoiretjecomprendsqu’ilestentrainderetirerlepréservatif,cequimefaitstupidementrougir.

—…trucdedingue.Ilamurmurécesmotsvisiblementpourlui-mêmealorsjenesuispassûredelesavoirbienentendus.

J’agrippe le drap pour le remonter sur moi. Je le regarde se lever dans la splendeur de sa nuditémasculine.J’aidenouveaulesjouesenfeuensongeantquecemerveilleuxcorpsétaitemboîtéaumien,unpeuplustôt.Ilsortdelachambre,certainementpourserendredanslasalledebains.Jemeredressepouraussitôtcherchermaculotte.

Oùl’a-t-illancée?Jen’aipas trèsenvied’allumer la lumièreennoussachant tous lesdeuxnuscommedesvers.Me

voilààquatrepattessurlelitàtenterderepérercesatanésous-vêtement.Jegrimace.Cettepartie-làdemonanatomieestdouloureuse,j’aipresquepitiéd’elle.

—Positionvachementintéressante,s’amuseunevoixquej’identifieimmédiatement.Enmoins d’une seconde, je suis pudiquement de retour sous le drap sans oser le regarder. Il rit

doucement.C’estlahonte.J’essaied’aplatirmacrinièredelamain,carcettedernières’enestdonnéeàcœurjoiepours’emmêler.

—Jecherchaisma…monsous-vêtement,j’expliqueenleregardantuniquementducoindel’œil.Jeperçoissonsourire,mêmealorsqu’ilsetienttoujourssurleseuil,mêmeàtraverscettepénombre

salutaire.Est-cequ’ilsesouvientdesadéclaration?Ouest-cequecelaluiajusteéchappédanslefeude

l’action?—Tuverrasçademain…Quoi?—…Çava?Ilgrimpesurlelitpourmerejoindre,jesuistenduecommeunarc.—Oui,jesouffle.J’aivraimentenviedeluiposerunequestionstupide.J’aimeraissavoircequelui…enfin,s’iln’est

pastropdéçu.Ilnesemblepasmécontent,aucontraire,maisjevoudraisbienqu’ilconfirme.Appuyésursesavant-bras,lesfessesàl’air,ilm’observeetçamerendsubitementnerveuse.—T’essûrequeçava?insiste-t-il.Jeluijetteunbrefregard,unpeuirritée:—Oui!Tuveuxvérifier,peut-être?Chriséclated’unrirefranctoutens’allongeantsanscomplexesurledos.Jevaismourir:comment

ose-t-ilmedonnerunevueaussiimprenablesursonsexe…?—J’adoreraisvérifier,m’annonce-t-il,entredeuxhoquets.C’est plus fort quemoi, je ris àmon tour. Puismon angoisse revient à la surface et jeme racle

machinalementlagorge.—C’était…c’étaitcomment?Monintonationmisérablemedonneenviedemegifler.Ilseredresse,apparemmentétonnéparmaquestion.—C’estplutôtàmoideteledemander.Jehausselesépaules,feignantunedécontractionquejesuisàdesannées-lumièred’éprouver.—Jenecroispas,non…—Hein?—Jen’aipasautantd’expériencequelesautres…tesex.Ilsefrottepensivementlementonetl’attentedesaréponsevametuer.—Trèsdifférent.Ça sonnedouxdans sabouche,presque tendre. Jedécidedoncde leprendrepourunavispositif,

maisn’empêche,jeveuxensavoirplus.—Différentcomment?Christournelatêteversmoipuismescrute,ceterribledemi-sourireauxlèvres:—Différent.Jelâcheungrognementpastrèsféminin,cequiluiprovoqueunnouvelaccèsd’hilarité.—Tuesvraimentmapetitefemme,maintenant.J’aifaitdetoiuneépousepresquehonnête.Jeluioffreunepetitetapesurlatête;ilenprofitepourm’attraperlebrasetm’attirerbrusquementà

lui.Lemouvementqu’ilm’obligeàexécutern’avraimentriend’élégantmaisjemeretrouvetoutcontrelui, prisonnièrede sesbras, extrêmement conscientedu contact de son torse contremesomoplates.Etégalementd’«autrechose»quisepressesansaucunepudeurcontremonpostérieur.Jefermelesyeux.Ilfrottelentementsonmentonàlajonctiondemoncouetdemonépaule.Sabarbenaissanterâpesanspitiémapeau.

—Jen’aipasdequoicomparer.Jemetétanise.Quoi?—Jesuislapremière…quetu…?!Ilrit.—C’esttoiquim’asdépucelé,d’unecertainefaçon.—Tudéconnes?—Non.Etmoi?Jemesuismontréàlahauteur?—Attends…commentçasefait?Ilsoupire.—Jecherchaisavanttoutàtirermoncoup,bébé.Bébé?Jerougis.C’esttellement…kitsch.—Alors, lesvierges,crois-moique je lesévitais, termine-t-ilenesquissantunegrimaceque je la

perçoissurmapeau.Bon,revenons-enànosmoutons:j’étaisàlahauteur?Jecontemplelonguementunpointinvisiblesurlemur.—C’était…Le souvenir de sa tête entremes jambes refait surface dansmon esprit et j’ai l’impression que la

miennevaexploser.Jefermelabouche,subitementincapabledefinirmaphrase.Aupetitrirearrogantqu’ilémet,jecomprendsqu’iladevinélanaturedemespensées.

—Ouais,jevoistrèsbienquelmomenttuaspréféré,fait-il,suave.—Crétin!j’éructeencherchantàm’échapper.Maisilresserresonétreintetoutenriant.—J’adorequandtut’énerves…Sérieusement,l’idéequ’aucunmecn’aposésasalepaluchesurtoi,

çameplaît.Êtrelepremier,ouais…putain,ouais,j’aime.J’aime…jecesseillicodemedébattre.Sachaleurm’enveloppe,mespaupièressebaissentetjeme

laissebercerparsarespiration.—J’aimeaussilefaitquecesoittoi,jemurmure.Soncorpssepresse–commesic’étaitpossible–unpeuplusaumien.—Tuneveuxpasmangeruntrucavantdedormir?Ilyatantdetendressedanssavoixquej’éprouveencorecetteintolérabledouleurdanslapoitrine.Je

marmonneun«non».Monestomacesttellementnouéquejenepourraisrienavaler.Jem’endors,rassuréeparsonodeur,saprésence…ensécurité.

Chris

Lorsque jepasse laportedugarage, tous les regards sebraquent surmoi,et ils semblent inquiets.Moi?J’aiencorecesourirecomplètementdébilesurleslèvres.Ilestlàdepuiscematin,etjel’airepérédanslemiroir,aprèsmadouche.

Jos’approche,unebarresoucieuseplissantsonfront.—Çava?s’enquit-il.—Ouais,ettoi?Jemedirigeversmoncasieroùsetrouveuneautrecombinaisonpastropdégueulasseetcommenceà

mechanger.—T’essûr?insisteJo.C’estidiot,maisçamerappellemaconversationavecKate.Jememarre.—Bordel!C’estpasvrai!s’exclamemonami.J’enfilelevêtementsansmettrelesmanches:ellessont tropétroitespourmesbicepsetmegênent

dansmesmouvements.—Quoi?Jelèveenfinlatêteverslui.Ilmefixed’unairahuri.—Vousavezbaisé.Jeprendsaussitôtmonairleplusinnocent.—Dequoituparles?—C’estlaseulefaçonquetuconnaisdetecalmer?On dirait qu’il m’accuse d’un crime et ça m’agace. Benny se ramène, pressé de se mêler à la

conversation.Probablementqueleverbe«baiser»aattirétoutesonattention.—Dequoivousparlez?serenseigne-t-il,trèsintéressé.Jelèvelesyeuxaucielpourensuitelacermeschaussuresdesécurité.—IlabaiséKate,souffleJo,encoresouslechoc.Je l’assassinedu regard. Jen’aimepasqu’ilutilisece termequand il s’agitd’elle. Il ledevineet

arboreunsourireironique.—Non!Sérieux?C’étaitcomment?Jemeredressedetoutemahauteurdansuneattitudevirile,faisantjouerlesmusclesduhautdemon

corpspourleurdestiner,chacunàleurtour,leregarddédaigneuxdumecquiassuretroppourpartagerçaaveclecommundesmortels.

—Benmonsalaud,souffleBenny.Vutatronche,c’étaitleNirvana.Monsourirecentpourcentimbécileheureuxrefaitsurface;jenepeuxpasl’enempêcher.—C’estmapetitefemme,jelâche,unrienpossessif.—J’enveuxuneaussi,gémitcomiquementBennypendantqueJosecouelatête.Il réprouve, c’est évident,mais jem’en cogne.Kate est àmoi et j’ai obtenud’elle quelque chose

qu’aucunautremecn’aura.Cetteidéemefaitcarrémentplaner.C’estàlafoistrèsflippantetexcitant.

—J’espèrequetuluioffrirasaumoinsdesfleurs,lanceJo,sarcastique.—Maisputain!Pourquoiçatefoutautantenrogne?!jem’énerve.D’unecertainefaçon,ilgâchecebonheurquejeressensetçamegonfle.Ilmefoudroieduregard.—Ronan,crache-t-ilentrelesdents.Çamecalmedirect.Macolèretombeenpoussière.—Detoutefaçon,ilavaitcomprisavant,jemurmured’unevoixblanche.C’esttroptard.Jemesersdel’argumentdeKatesanslamoindrehonte.Ilfermebrièvementlesyeux,pourlesrouvrir

surunregardplusclairetamical.—C’estquandmêmebondetevoircommeça.Jedétournelatête.Mesdoigtssaisissentunmasquecenséfiltrerlesodeursdelapeinture.—Jevaislaprotéger,Jo.Unpetitsilences’instauredurantlequelBennys’éclipsediscrètement.—Jesais.—Elleestsuperimportantepourmoi.Jesuisvraiment…heureux.Merde,mec.Rienquedeledireà

hautevoixj’aienviedemeflinguer.Unriregênés’échappedemagorgeetjefrottemachinalementmescheveuxdelamain.—Jesais,crétin.Çacrèvelesyeux,chuchoteJoenm’offrantuneaccoladeamicale.—Quandvousaurezfinidevousfairedespapouilles,lesamoureux…faudraitpenseràvenirnous

aideràpeindrecetteputaind’Audi!beugleErik.Jeluitendsmonmajeuretilyrépondenseprenantlesbijouxdefamilleàpleinemain.Jehausseun

sourciletilcomprendqu’ilafaituneconnerie.Jelesuisdesyeuxpendantqu’ilrecule,leregardaffolé,àlarecherched’uneéchappatoire.Jericaneméchammentavantdemettrelemasqueetdepencheravecexagérationlatêtesurlecôtédroit,puislegauche.Jefaiségalementcraquermesphalanges,poingdanslapaume.

Bennysemarredéjàenluimimant lefaitqu’ilvaprendrecher.Jometendunebombedepeinturebleueetjeleremercied’unclind’œil.

—VienslàmonpetitSchtroumpf,jelanceàl’intentiond’Eriktoutenagitantl’aérosol.Cedernierlèveunbrasdevantlui,doigtsécartés,commesicelapouvaitm’arrêter.—Faispaslecon,Chris…j’aiunrencardcesoir.Merde!—J’espèrequ’elleaimelebleu,jerétorque,unegrimacesadiquesurlevisage.Jem’élancesubitement.Luiaussisemetàcourirdanslegarage.Jesauteavecagilitépar-dessusles

siègesd’uneFordquenousavonsrécemmentdésosséeetaumomentoùilessaiedes’enfermerdansleschiottes,jel’attrapeparlecou.

—T’esmort,jegrogne.—Non!Chris!Merde!Pitié,bordel!Jelemaintiensfermement;ilestquasimentpliéendeux,latêtesurmesgenoux.—Unep’titeteinture,monbonmonsieur?—Connard!couine-t-ilententantdes’échapper.Je lâche un rire de méchant et lui bombarde les tifs de bleu électrique. Ses insultes ne font

qu’amplifiernosrires.Unefoissatisfait,jelelibèreetilmelanceimmédiatementuneœilladenoire.—C’estpleindeproduitschimiques,cettemerde!cracheErikd’untonaccusateur.—Çanepeutquet’arranger,répliqueJoensetenantlescôtes.—Bandedetrousducul!crie-t-ilavechargneens’emparantd’untorchonprèsdeluipours’essuyer

brutalementlescheveux.

Benny,Joetmoi-mêmeéchangeonsunregardamusé,formantsimultanémentun«oh»muetavecnosbouches.

Le garage nous est essentiel pour repeindre les voitures volées, qui elles-mêmes servirontprincipalement à transporter la dope de Ronan. Elles finiront abandonnées dans un coin perdu, aprèsseulement deux ou trois utilisations. Erik a chouré uneAudiA4 grismétallisé et depuis hier, nous lapeignonsenrouge.Ladernièretoucheseradeluimettreunefausseplaqued’immatriculation.

Avantd’entrerdanslacabineoùm’attendlabagnole,Jomeretientparlebras.—Dis-moi,jefaisuneteufsamedisoir,chezmoi.Tuenes?—Uneteuf?jerépète,surpris.Habituellement,Jon’aimepastroporganisercegenredebeuveriesdanssatanière.Quantàmoi,je

nesuispastrèschaudpourembarquerKatedanscetypedesoirée.Jepréféreraispasserlanuitseulavecelle,dansnotrelitpourêtreprécis.J’enronronned’avance.Merde.C’estdevenu«notrelit»etl’idéenemedonnepaslagerbe.

—C’est…que…euh…Undrôledesourireretroussesalèvresupérieure:ilsefoutdemagueule.Jemerenfrogne.—Unenuitdebaiseett’asdéjàunelaisseautourducou?Putain,mec,tumedéçois.—Jet’emmerde,Jo.—Situtemetsàjapperquandellearrive,jetejurequejevaisvomir.Lorsquejefaisminedeluioctroyeruncoupsurlatête,ilexécuteunbondenarrièreens’esclaffant.—Alors,turamènerastoncul?Detoutefaçon,Kate,ellebosse,non?Jegrommelleun«ouais».Bon,onpourratoujours«le»faireplustard…commentjepeuxnommer

ça ?Baiserestexclu. J’aimepas l’imagequeça renvoied’elle.Ons’envoieen l’air?Non,çasonnecommedelabaise.Putain…«onfaitl’amour»?

J’ailanausée.JeregardeJo,l’œilvitreuxdumecàl’agonie.—T’enfaisunetronche,plaisante-t-il.—Tagueule,Jo.Jeviensdemefairepeurtoutseul.Surcesmots,jepénètredanslacabine.Quand j’ensors, lesgars sontdéjàavachis,unebièreà lamain, surunvieuxcanapéayantvudes

joursmeilleurs,peut-êtredurantlapréhistoire.Jesuisfourbuetlapeinturem’arefiléunsalemaldetête.Toutenlesrejoignant,jebaissemonmasquepourlelaisserpendreautourdemoncou.Bennytrouvelecouragedechercherunecanettedanslaglacièrepourmel’offrir.

Jel’accepteavecjoie.— Je préfère casser la gueule aux dealers deRonan, tiens,marmonne Jo en jetant un coup d’œil

écœuréàsacombinaison.Jesouris,puisdescendsplusieursgorgéesdebièreenregardantlatignassebleued’Erik,nonsansune

certainesatisfaction.Ilmefusilleduregardetjefeinsdeluienvoyerunbaiser.Monportablesonneetjel’extraismachinalementdelapochedemonvêtement.

C’estKate.UnmessagedeKate,enfait.«Jeparsbosser.@plus…Bisous»Jejetteautomatiquementuncoupd’œilparl’uniquepetitefenêtredelapièce:ilfaitdéjànuitetça

mecontrariequ’elleparteseuleauPandémonium.Jefroncelessourcilsetluiréponds:«Jepourraist’emmener.J’aifini,là…(etpuisjenepeuxm’empêcherdefinirmontextopar:)…

Bisousaussi…tusaistrèsbienoù.»J’attendsavecimpatiencesaréponseetm’empressedelaliredèsquemontéléphonevibre.

«Non,jeprendslebus.Bisoussurlajoue?T’estropmignon!»—Oh,oh,jerisdoucement,amusé.Ellemeprovoque,là?Jeremarquequemespotesmeregardentbizarrement,maisjepréfèrelesignorer.«Lajoue?Non,jepensaisàunendroitplushumide.Situastoujoursmallà, j’peuxlesoigner

avecmalanguemagique.»J’envoiepuisavaleladernièregorgéedebière,lesyeuxrivésàl’écran.—’tain,ilsensontdéjààl’étapedessextos,ricaneErik.—Leorange,çavabienaveclebleu,jelâcheenguisedemenace,sansleverlenezdemonportable.Ilétouffeunjuron,maismefoutlapaix.«CRÉTIND’OBSÉDÉ»J’éclatederire.«Tum’asdonnématièreàl’être,donctechniquement,c’esttafaute.»Deuxsecondesaprès,monportablevibredenouveau.«Jenecroispas,non.Techniquement,tuétaisdéjàuncrétind’obsédéavantmoi.»« T’esma première petite vierge, bébé… çame donne des idées vraiment cochonnes, bien plus

qu’avant.Donc,techniquement,tumerendsencorepluspervers.»Jenepeuxpasm’empêcherdepouffercommeunidiotenluienvoyantmontexto.Saréponse,quinetardepas,metue.Jesuisbluffé:ellearéaliséundoigtd’honneurjusteavecdes

parenthèsesetd’autressignesdeponctuation.Jetournel’écrandanstouslessensensouriantbêtement.LetéléphonedeBennysonneetunsilencedeplombnousécrasedanslehangar.Onreconnaîttousla

musiquedesDents de lamer signalant un appel deRonan. L’humour deBenny a toujours été sourced’interrogationssursasantémentale.

—Ah,leboss!s’exclame-t-ilavecunegaîtéqu’onpourraitcroiresincère.Cetypearatéunecarrièred’acteur.Nousécoutonsreligieusementsesréponses.Bennymelanceune

brèveœilladesoucieuse;mesmusclesseraidissent.—Oui,ilestlà…Vraiment?Onpourrait…non,cen’estpas…oui…oui,trèsbien.Jevaislelui

dire,boss.Ildétachesonportabledel’oreillepourlefixer,contrarié.—Lâchetout,jel’encouraged’unevoixtendue.—Bordel,souffle-t-ilenmetournantledos.—C’estquoileproblème?l’interrogeJo.—UnPèreNoël…maisRonanveutqueChriss’enoccupetoutseul.Putain!Faischier!s’exclame-

t-ilensuiteenseprenantlatêteentrelesmains.—Ilveutqu’ilfasseça…maintenant?s’étonneJo.Jesouris,maisiln’yaaucunetracedejoiedanscettegrimace.Lapunitioncommence…cellepourluiavoirmenti.Enfoiré.Enfoirédepsychopathe.Jehausselesépaules,feignantl’indifférence.—Jedoisalleroù?jemerenseigneavecdécontraction.CequimevautunregardirritédelapartdeBenny.Erikneditrien,ilsetassesurlui-mêmedansle

canapé.C’estenpartiesafaute,maisjeneluienveuxpas.Iln’apasétéleseulàmerder.—Lemuséedeshorreurs,m’indiquesuccinctementmonamiBenny,toujourssoucieux.C’est lenomque l’ondonneaudomainedeRonan. Je soupire. Jevais rentrerdansun saleétat et

effrayermapetitefemme.—UnPèreNoëlàdomicile…jevaismetaperConanleBarbare.Maplaisanterietombeàplat.Lorsquenotrecharmantpatronfaitcetypedemissionchezlui,çavire

souventaucombatdegladiateursdansunearène.Bref, jevaisêtre làpourdivertir ses invités toutenessayantdefoutreuneracléeàundesesdealers.

Jehausseunsourcil:—Jecroisquejevaisgarderlacombinaison.Lesang,c’estsalissant,etmapetitefemmerisqued’en

faireunesyncope,sinon.Cetteblagueamèren’apasplusdesuccèsquelaprécédente.—Onvientavectoi,annonceJo,déterminé.Jelèveunemaindanssadirection.—Jepréfèrequevousn’assistiezpasauspectacle.Ilsnepourraientpas restersans intervenir. Je lesconnais tousdepuis trop longtemps.Jemedirige

versmoncasierpourrécupérermavesteencuiretmonjeanpropre.DepuisqueKategèrelelinge,mesvêtementssententl’assouplissant.Tuparlesd’uneodeurdevoyou:vanilledesîles…çamecastreetjetrouveçamignon.Yavraimentquelquechosequinetournepasrond,chezmoi.

J’enfilemon blouson, sort mon paquet de clopes pourm’allumer une cigarette sous leurs regardsfixes.

—Putain, arrêtez de flipper, bande demères poules ! jemarmonne, le filtre coincé au coin de labouche.Cen’estpaslapremièrefoisetsûrementpasladernière.

—Chris…,murmureJo.Jesaistrèsbienqueçalerenddingue.Joetmoi,onseconnaîtdepuistoujours.Onagrandiensemble.

C’étaitunvraipetitconàl’époqueetlorsdenotrepremièrerencontre,ons’estfrittéjusqu’às’écrouler,ensang,épuisésetmortsderire.

Jeluilanceunebrèveœilladetandisquejechangedechaussures.—Cen’estpascommesij’avaislechoix,Jo.—Laisse-moiveniravectoi.J’teprometsdenerienfairedestupide.—Niet.Jemeredresseavecunsourireamusé,puism’approchedeluipourluitapotergentimentlajoue:—Tuseraiscapabled’avoirlatriqueenmeregardantmefairedémolir.Çaseraitgênant.—P’titcon,grimace-t-ilenrepoussantmesdoigts.J’éclatederire; l’ambiances’allègeunpetitpeu,maisàpeine.Lorsquejem’apprêteàfranchir le

seuildugarage,Bennymelance:—Appelle-nousdèsquec’estterminé!Cequisignifiequesijeneleurtéléphonepas,c’estquejeseraiprobablemententraindemeviderde

monsangdans«l’arène».J’opineetsors.LetypedelasécuritépostéauportaildelabaraquedeRonanressembleàl’idéequejemefaisdes

militairesrussesrecyclésdansleprivé:unevéritablearmoireàglace,pirequelesgorillesquisuiventquotidiennementmonbosscommesonombre.Cheveuxtrèscourts,blondsetl’airaussijoyeuxqu’unmurcriblé de balles. Un vrai cliché ambulant. Il reconnaît ma bagnole et accessoirement ma gueule et,mitrailletteachetéeaumarchénoircontre le torse, ilhoche la têteafindesignaleràceluiqui tient lesmanettesdesgrillesqu’ilpeutmelaisserpasser.JegaremaPontiacdansleparkingsous-terrainabritantlespetitsjoujouxàquatrerouesdeRonan.Àmesyeux,c’estduvéritablegâchisqu’untypecommeluipossèdecetteimpressionnantecollectiondevoitures.J’abandonnemavestesurlesiègepassager.

Là, près de l’ascenseur, j’ai encore droit à un « Monsieur-Propre-ex-militaire ». Dès qu’ilm’aperçoit,ilsemetàbaragouinerenrussedanssonoreillettepuisopineetappuiesurunbouton.Lesportes s’ouvrent immédiatement et j’entre à l’intérieur de la petite cabine. Adossé contre l’une des

parois,celledufond,jecroiselesbras.Iln’yaquetroisétagesdanssapiaule,maiscefeignantdeRonanafaitinstallerdesascenseurspartout.

Les portes s’ouvrent sur sa petite sauterie et plusieurs regards se tournent vers moi : intrigués,dégoûtésouaffamés.Jejetteunrapidecoupd’œilàcellequimedévoredesyeuxtoutentrempantseslèvrescharnuesdansunecoupedechampagneetsouris.Entempsnormal,j’auraisétéravideluioffrirsonmomentd’exotisme,justequestiondelibérerunpeudelapressionquimegardetendudepuisquej’aiquittélegarage.Maismaintenantj’aiKate,etjepréféreraismefairearracherlesdentsavecunepinceàépilerquededéconneretlafairepleurer.Jedétestelesmeufsquichialent.PourKate,c’estdifférent.Jenesupportecarrémentpas:çamedéchirelesorganesenlambeaux.

Jetraverselasalleavecnonchalance,commesijenedétonnaispasavecmacombinaisonnoire,mondébardeuretmestatouages.Chaqueœilladesnobchoquéeaccentuemonsourire.

Jefinispartrouverceluiquihantemespirescauchemars.Ilestdansunepiècejouxtantla«salledebal », entouré d’un véritable harem de nanas vêtues de robes longues argentées, dorées… toutes tropbrillantes,dequoirendreunepiehystérique.Blondes,brunes,rousses…y’adequoifaire.PasdetracedeMel.Làaussijefeinsd’ignorerlesregardsappuyésdesaffamées,jemeconcentresurlui.Illèvelesyeuxdansmadirectionpuisgrimaceunsourireencoinetmefaitsigned’approcherd’ungestedelamain.

Connard.T’aimesmetraitercommetonputaindeclebs,hein?J’obtempère,larageauventre.—Boss,jelesalue,sanscillersousl’attentiondesesprunellesvertesperçantes.—Chris…Savoixpâteusem’indiqueunétatd’ivresseavancée.Sûrementpourçaqu’ilneprendpaslerisquede

leversonculdesonfauteuildeprincedelapègre.—Tuveux…(ilagitelesdoigts)boirequelquechose?—Non.J’aibesoind’avoirl’espritclairetmescapacitésautop.Jeregrettemêmed’avoirprisunebièreau

garage.Ronandevinelaraisondemonrefusetsourit.J’ailesnerfsenéventail.—Siraisonnable,monpetitchienenragé…,articule-t-il,amusé.Alors,est-cequetul’asbaisée?Je

meposelaquestiondepuishier…etj’aimeraissavoirsitul’assautée.Tusais,lapetitefranginedeMel.Jemeraidis.Cetteenflurechercheàmeprovoquer.Ilveutmevoirdisjoncter.—Non.Cen’estpasunmensonge.Jen’aipas«baisé»Kate.—Non?répète-t-il,surpris.Jeledivertis,etmoi,jeravalelabilequiremontelelongdemagorge.—Oùestletypequejedoistabasser?Changerdesujetdeconversation.OK,jenel’aipasfaitdanslafinesse,maisjem’enbranle.—Elleneressemblepasvraimentàcequetuconsommesd’habitude,fait-il,l’airsongeur.Jeprendssurmoipournepasfermerlesyeuxetluidévoileràquelpointjemeretiensdeluiappuyer

lecrânecontremongenou.—C’estparcequejenelaconsommepas.Ilattenddéjàdansl’arène?Ilm’adresseunlongregardscrutateur;jeserrelesdentsetsubisstoïquementl’examen.—Qu’est-cequetufousavecelle,alors?—J’aibienunepetiteliste,maisellen’estpasàjour,jelâcheavecironie.J’en peux plus. J’atteins mes limites. Son sourire se fait carnassier. Il a faim et je viens de lui

balancermonbrasenguised’apéro.Merde.Ilboitavecunelenteurexagéréeunegorgéedesonverredevodka.Cemecneboitquedelavodka,toujours,etprovenantuniquementdesonfrigidairedebled,s’il

vousplaît.—Détaille-la-moi,taliste,susurre-t-il.Putaindedétraqué.—Bouffe,ménage,linge…Jerenifleaussitôtunboutdemondébardeurpourluioffrirunegrimacesardonique.—Vanilledesîles.Jerismentalementetçamefaitdubien.Ilsembledéçu,voireénervé.Tantmieux.—C’estHarris,tacibledecesoir.Ilattenddansl’arène.J’arrived’icivingtminutes.Je suis de nouveau impassible et me contente de hocher imperceptiblement la tête. Il me faut

largement moins de temps que ça pour atteindre le niveau sous-sol et m’enfermer dans une pièceaseptiséeservantdevestiaire. Jesorsmonportablepuisappelle illicoKate. J’aibesoind’entendre lesondesavoix.

Ellerépondauboutdequatrièmesonnerie,enfinellehurleplutôtàcausedufondmusicalbruyant.—Chris?—Hey,mapetitefemme.Jesouris,idiotquejesuis,simplementheureuxdel’entendre.—Çava?Ellesembleinquiètequejel’appelleàcetteheure.Quejesuiscon.—Trèsbien,jevoulaisjustesavoirsiçaroulaitpourtoi,auboulot.—Oui…enfin,y’adumonde,doncc’estplutôt«mouvementé».Ettoi?Tufaisquoi?Jejetteunregardcirculaireàcettepièceatrocementblanche.—Jebosseaussi.Non,bébé, jem’apprêteàme faire fracasserpouramuserunepetitebandedebourgeoisaunez

remplis de cocaïne et je préférerais de très loin être avec toi, à passer ma langue sur chaquecentimètredetoncorps.

—Peinture?suggère-t-elle.Ilyamoinsdebruitsdefond,jesupposequ’elleadûtrouveruncoinplustranquille.Jegrimace.—Plusoumoins.Lesangenguisedepeintureetmatrogneenguisedetoile,disons.—T’essûrqueçava?insisteKate.Je soupire puis passe nerveusement les doigts dansmes cheveux. Je suis accolé à l’un desmurs,

nageantdanslesprémicesd’uneadrénalinefamilière.—Ouais.Tuneveuxpas…Jem’interromps.Çasedemandecommentcegenredetruc?«Dis-moidesmotsdoux?»Merde.—Dis-moiquelquechosedesympa…,jemurmure,lesyeuxsûrementexorbitésd’avoirprononcéune

telleconnerie.—Chris?s’affolemapetitefemme,àl’autreboutdufil.Enmêmetemps,jelacomprendsunpeu.Jenerépondsrien,etelleledit,enfin…—Jet’aime,Chris.Jen’aiplusdesalivedansmabouche,mespaupièressefermentd’elles-mêmes.J’ailecœurquibat

commeunmalade.Oui.C’estexactementcequejevoulaisentendre.Bébé,t’eslameilleure.—Jet’aimeaussi,Kate.Putain!T’aspasidéeàquelpoint!

Jeraccroche,incapabledepoursuivrenotreconversation,larespirationchaotiqueettremblante.Pourlapremièrefoisdemonexistence,jen’aipasenviedemebattre.J’aiseulementbesoindelaserrerdansmesbras.Çameperturbe.

Jem’accroupis, le téléphone toujoursdans lamain.J’appuie le frontsurmonpoing,ensueur.Monportablesemetàsonner:c’estKatequirappelle.Jenedevaisvraimentpasêtredansmonétatnormal.Jesouristristementpuisl’éteins.Jevaismefairemassacrer:jen’aipaslatêteaucombatàvenir.Merde.

Lorsquema tête cognebrutalement leplancherpoussiéreuxde lapetite arèneentouréedegrillage,

j’éprouve une sorte de lassitude.C’est juste la sixième fois queHarrism’envoie au tapis et là jemedemandesimonnezn’estpastoutsimplementbousillé.

Je relève péniblement la tête et mes yeux croisent ceux de Ronan : il est à la fois furieux etcruellementcontent.

—Tunousfaisquoi,là,monchienenragé?Turessemblesd’avantageàunteckelquisefaitenculerparundoberman.

Mamâchoiresecontractesousl’insulte.Jecracheunjetdesaliveetdesangsanscesserdelefixer.Ronanaleslèvrespincéesetunéclatdéchaînéfaitluiresesprunelles.

Viensunpeudansl’arène,salemerde.Onverraquiestleteckel.Jesaisquemonregardexprimenettementcettepenséeetjem’entamponne.Ilmefaitsèchementsigne

de me rapprocher du grillage qui sépare sa tête de la mienne, puis chuchote avec une abominableinflexion:

—Jecroisquetuasbesoind’unpetitcoupdepoucepourtemotiveràluiéclaterlagueule.J’écarquillelesyeuxetils’éloignebrusquement,sonportableàl’oreille.Jemeredresse,lecœurau

borddeslèvrestandisquemesdoigtss’agrippentauxfilsdeferentrelacés.—RONAN!jehurle.Danslapanique,j’aicriésonprénom.Jenel’utilisejamais,parcequ’ilconsidèrequec’estunfoutu

manquederespectquenous,saleracailleetmain-d’œuvre,salissionssonpatronymeavecnosbouchesqu’ilestimeimpures.

Ilsefigepuissetournecomplètementdansmadirectionetunsourireeffroyableétireseslèvres.Jelui fais « non » de la tête. J’ai compris son plan et là, je lui offremes couilles sur un plateau pourl’arrêter.Monattitudenelaisseaucuneambiguïtéetjemerendscomptequ’ilestjusteravidelatournurequeprennentlesévénements.Denouveau,ilrevientversmoi:

—Tutouchesencoreunefoislesol,etjelafaisveniriciassisterauspectacle,pigé?Jefermelesyeuxetdéglutispéniblement.Legoûtâcredemonpropresangdévaledansmagorge.—Jevaislerétamer,jesouffle.Ilacquiesce,satisfait.—Bien.Maréputationestenjeu,Chris.Jeneplaisantepas.JemetourneversHarris.C’estunIrlandaistoutenmuscles,dugenre,situleplantesdansl’estomac,

ilvapenserquec’estunesaloperiedemoustique.Lapègrerussequitaquinelesdealersirlandais.Unebellemerde. Je prends une profonde inspiration, crache encore un peu de sang puis fais craquermescervicales toutenplantantmesyeuxdansceuxporcinsdemonadversaire.Cedernieresquisseunsalerictusenréponse.Jedénouemesépaules,sautillesurplace.

PlutôtletuerquedefairevenirKateici,auxcôtésdeRonan.Lesilencem’étreint.Jenesuispluslà.Jenesuisqu’unseulmot:rage.Dixminutesplustard,Harrisgîtsurleslattesdebois,leregardvitreux.Jepensequ’ilnemanquepas

grand-chosepourqu’ilpassedel’autrecôté.Mescordesvocalessontligotées:dansl’étatdanslequelje

suis,jeneseraismêmepasfichudeprononcermonproprenom.Ronan parade parmi ses invités qui le félicitent avec enthousiasme. Nos regards se croisent et il

arboreunemineréjouiequimetordlesboyaux.J’aiencoretropd’adrénalinedanslecorpspoursentirladouleur,maisjesaisquejevaisdouillerdemainmatin.Jesorsdel’arènecommeunautomatequiconnaîtlecheminsanséprouverlebesoinderéfléchirpourserendreaupoint«B».

Lapremièrechosequejefais,c’estdeprendremonportableetappelerJo.—Chris?Jenerépondspas.Jenesuispasprêt.Non,jen’yarrivepas,c’esttout.—Tuveuxqu’onviennetechercher?demande-t-ilensuiteavecprécipitation.Làencore,seullesilences’exprimepourmoi.—D’accord…maissoisprudentsurlaroute,monpoulet.Je raccrochepuisenfilemaveste.Toutceque jedésire,c’estvoirKate.Peut-être laserrercontre

moisijenem’évanouispasavant.Çameferaitvraimentchierdetomberdanslesvapesavantd’avoirpurespirersonodeur.

Une foisà l’appartement, jevaisdirectprendreunedouche.Enexaminant le refletdemonvisage,

danslemiroirau-dessusdulavabo,jegrimace.Cesimplegesteappuiesurl’interrupteurinvisibledeladouleuretjedéguste.

JefarfouilledanslespochesdemacombinaisonpourenextrairemontéléphoneportableetenvoyeruntextoàKate:

«Jevienstechercher…Tufinisàquelleheure?»Saréponsemetdesplombesàarriveretçam’agace.«Dansuneheure.Merci,jen’avaispastrèsenvied’attendrelebusde6heures».« Tout le plaisir est pourmoi. Je t’attendrai sur le parking…Lemec près de laPontiac, c’est

moi.»Je souris, ce qui me déclenche illico des douleurs. Si seulement je n’étais pas dans un tel état.

Commentjevaisfairepourleluicacherunpeu?Meplanquerderrièreunfoulardetdeslunettes?«Pourquoituprécises?Y’abeaucoupdemecstatouésavecdesPontiacsurleparking?»«Délitdesalegueule…j’aipeurquetunemereconnaissespas.»Cettefois-ci,laréponsemetlargementplusdetempsàarriver.«Commentça?»Jemeraclelagorgepuispassenerveusementunemaindansmescheveuxencorehumides.«Net’inquiètepas…riendegrave.»«Tuasgagné.Jem’inquièteàmort,maintenant!»Unsoupirs’échapped’entremeslèvres.Jerangemontéléphonepourenfilerdesvêtementspropreset

partirenquêted’arnicadans l’armoire. Jem’enétalesur lenezet le frontpuis range le tube.Sansunregard en arrière pour l’appartement, je prends ma veste, un foulard – je laisse tomber l’idée deslunettes–etverrouillelaporte.Endescendantlesmarches,jemanquedepeud’écrabouiller…monsalepetitcondeperversdevoisin.Jam…Jam-quelque-chose.

Jeledépasseenluioctroyantunbrefcoupd’œil:ilsembleinerte,envracsurlesescaliers.Encorequelquesmarchesetj’ailevisagecolériquedeKatequiapparaîtdansmonesprit.Jem’arrête,baisselatête,vaincud’avanceparseséventuellesrécriminationssurlefaitquejen’aipasaidécemorveux.

—Putain…,jecrache,lesdentsserrées.J’exécuteundemi-touràcontrecœur.Jelecontempledurantplusieurssecondes,luietlestracesde

vomiquimaculentsavestejusqu’àsabouche.

P’titconquiboitcommeuntroupourgerbersestripes.Jelebougedelapointedemachaussuredanslacuisse.Cequinelesortabsolumentpasdesoncoma

dejeuneivrogneenherbe.Jeréitère.—Ho,l’morveux!Ilmarmonne sans ouvrir les yeux alors jeme penchemais, face au relent putride qu’envoient ses

lèvresentrouvertes,jegrimace.—Tuvaspioncertoutelamatinéeici?Tamèrevatescalper,lemioche.Ilouvreenfinunœilvoiléd’alcool.—Merde…,souffle-t-ilententantdeseredresser.Sanssuccès.Jelechopeparlecolpourlesouleveràboutdebrasetlemettredebout.Ilvacillemais

sembleteniràpeuprès.Voilà.J’aifaitmabonneaction:mapetitefemmenem’envoudrapasàmort.Jen’aidescenduqu’unemarcheavantqu’ilrâle,àl’agonie,dansmondos:

—Mamèrevamemassacrersij’rentredanscetétat!Jelèvelesyeuxauciel,cequimeprovoqueunnouvelélancementassezbrutal.J’ajustemonfoulard

par-dessusmonnezexplosépuispivotepourluifaireface.—Tupeuxpasallerchezunpoteletempsdedécuver?jegrogne.Ilsouritbêtement.—Non,Einstein…sinonj’yseraisdéjà.Frapperlesmorveux,c’estmal.Frapperlesmorveux…c’estmal.—Jet’emmène,maissitul’ouvres,mêmepourrespirer,jetejettedanslapremièrebenne!Pigé?J’aiappuyémamenaced’unindextendudanssadirection.Sonsourires’élargit.Jeplisselesyeux,

soupçonneux:—Ettubranchesmameuf…t’esmort.Legaminarquesessourcils,ironique,maismesuit,muetcommeunecarpe.Unefoisdanslavoiture,jeluilaisseletempsdemettresaceinturedesécuritétoutenlesurveillant

ducoindel’œil.—J’aienviedevomir,geint-ilensetenantleventre,quasirecroquevillésurlesiège.Mesyeuxvontdeluiàlaroute,plusieursfoisd’affilée,etjesuiscomplètementpaniqué.—Ouvrelafenêtre!Situsalopesmesfauteuils…jemesersdetatronchecommepare-chocs!—Ilestoùleboutonpourdescendrelafenêtre?chuchote-t-ilavantdegonflersesjouescommeun

hamster.—C’estuneauthentiquePontiacGTOJudgede1969…Putain!C’estpasélectrique,crétin!Tourne

lapoignée…manivelle!LaMA-NI-VELLE!Agacé, jene tiensplusque levolantd’unemain, lebustepenchésurmonpassager,et tournemoi-

même la poignée afin de faire descendre cette fichue vitre. J’ai à peine le temps de me réinstallercorrectementquelepetitgéniesaoulpasselatêteparl’ouvertureetrendbruyammentl’alcoolingéré.Ilfinitlerestedutrajetjusqu’auPandémoniumcommeceschiensincapablesderésisteràunevoiturequiroule, vitre baissée.À l’idée qu’il y ait des traces de vomi sur l’aile demonbébé, j’ai les nerfs quiéclatentcommedupop-corn.

Dèsquej’aigarélabagnole,jesorstandisquel’ignoblemômeserassoitsurlefauteuil.Çan’apasloupé:debelleséclaboussuresjaunâtressalissentlacarrosserieetjemeprendslatêteentrelesmainsengémissant.

—Chris?Jemetourne.C’estKate.—Oh.Déjàlà?

Jevérifiemachinalementquelefoulardestenplace,maisellemescruted’unregardperçant.—Montrelesdégâts.Je secoue la tête et me dirige vers la portière qui abrite le nuisible. J’ouvre brutalement et

heureusementpourluiqu’ilétaitmaintenuparlaceinture,sinonilseseraitmisérablementvautrésurlegoudron.

—Dégagedelà,Ja…Merde.C’estquoisonnomdéjà?—Jamie?!s’exclameKate,étonnée,lorsqu’elles’arrêteàmescôtés.Jelèvel’index.—C’estça,Jamie-dégueulis!—Qu’est-cequ’ilfaitavectoi?m’interroge-t-elleensepenchantverslemôme.Quand ses doigts vont pour se poser sur l’épaule du gamin, je les repousse par réflexe. Elle me

réprimandeaussitôtd’unregard.—Iladuvomipartoutsurlui,jejustifie.D’accord,cen’estpas laseuleraison,maisplutôtmefairearracher la langueparuncrabequede

relancercesujetavecelle.Tantbienquemal,jelesorsdelàpourl’installersansaucunégardsurlabanquettearrière,maislui

ôtegentimentlesgodassesetsavestedégoûtantepourlesfourrerdansunsac-poubelle.J’enaitoujoursàportéedemain.MesyeuxcroisentceuxdeKate,probablementsurpriseparmonattitude:

—C’estparcequ’ilmedégueulasseraitlabanquette,sinon.Elleesquisseunsourireencoin.—Jemedisais,aussi.Maintenantquej’aigérélegosse,jem’approchedemapetitefemmepourlaserrerdansmesbras.Ah!Sonparfum!Jemeretiensdejustessederonronnerdeplaisirdelasentirainsitoutcontremoi.Quandjesenssa

mains’aventurersurmontorse,j’ailespaupièresquiseplissentd’anticipationet…jebondisenarrièrelorsqu’ilstententdetirersurleboutdetissumecouvrantlapartieinférieureduvisage.

—Montre.Nousnousdéfionsmutuellementduregard.—Montreoùjeneposepasmesfessesdanstavoiture.—Jeneveuxpas.Jem’obstinemais j’ai une excellente raison : si jamais elle voitma tête dans cet état, je suis sûr

qu’onne…«ferapasl’amour»cesoir.Cettedernièrepartierésonnebizarrementdansmonesprit.Sexe.Jesuissûrqu’onneferapasdusexe.Voilà.Ça,çasonnebien.

Kateposelesmainssurseshanchespendantquesesprunellestranslucidesmetranspercent.—Maispourquoi,nomdeDieu!—Jesuisvraimentabîmé.Jebalancelesaffairesducomateuxdansmoncoffrepuisleferme.—Justement,jeveuxvérifier.Katem’asuivi.Jesoupiremaisl’affronte,cettefois-ci.—Tuprometsdenepast’enfuirenhurlant?—Çaneserapaslapremièrefoisquejetevoisdansunsaleétat.—Nonmaislà,c’estmoche.Trèsmoche.Je la contemple durant un court instant, puis abaisse lentement le foulard. Kate pousse une

exclamation horrifiée où se mêle un beau juron. Quand elle approche ses doigts de mon visage, j’ai

instinctivementunmouvementderecul.—Netouchepas…sinonjerisquedecouiner,etunmecquicouine,c’estpasdutoutviril.Je plaisante. J’essaie d’en rire,mais je sais, là, quelquepart au fonddema carcasse, qu’avoir la

gueulefaçonartabstrait…c’estmavie.Monexistencepourraitserésumeràunnezdéfoncé.Pouruneraisonquejenecomprendspas,j’aihonte,etjedétestecesentiment.JemedétournesèchementdeKatepourm’installerderrièrelevolant.

—Chris…Ohnon!Non,jeneveuxpasquetuaiesdelapeinepourmoi,Katherina…Alors,tais-toietmonte

danscettebagnole.—Monte.Mon ordre se répercute plutôt durement dans l’habitacle. Je la sens m’observer alors qu’elle

s’apprêteàm’obéir.Ellenesaitpascommentréagiràmonchangementd’humeur,etàvraidire,moinonplus. C’est juste qu’il y a une voix qui traîne dansma tête, et les choses qu’elle raconteme tordentl’estomac.C’estlamêmequim’apousséàcachermagueulederrièreunfoulard.

Unefoisqu’elleabouclésaceinturedesécurité,jefaisrugirlemoteurdelaPontiac.Cequin’estpastrèsdifficilequandlefauvesouslecapotnedemandequeça.Uncoupd’œildanslerétromeconfirmeque le gamin roupille. Un autre, en biais, m’indique également que Kate continue à me fixer, ce quiamplifiemonmalaise.

—Commencepasàavoirpitiédemoi.J’aigrondécesmots.—Cen’estpasdelapitié,murmure-t-elle.—Non?Jelavoissecouerdoucementlatête.—C’estpourçaquetuasmis…(Sonindexs’agitepourdésignerlefoulardautourdemoncou.)…ce

truc?Tupensaisquej’allaisêtredégoûtéeouavoirpitiédetoi?Jegigotesurlefauteuiletmesmainssecrispentsurlevolant.—Oui.Cen’estpastotalementlavérité,maisjen’aipasenviedefouillerdanscecoin-làdemesémotions,

alorsjeluimensunpeu,paromission.—Jenevaispastedirequej’aimetevoirdansunétatpareil,maisjeneterejetteraipasparceque…Elleneterminepassaphrase.Toutenmoiseraiditetj’étouffedirectcettesaloperiedevoixquime

chuchote des choses que je refuse d’entendre. Pas maintenant. Pas en cet instant alors que nouscommençonsjusteàvivreune«vraie»relation.

« Tu n’es pas celui qu’il lui faut… »me dit-elle, en parvenant à se hisser hors de la cage danslaquellejedésirelacloîtrer.

«Tagueule.»«Elleméritemieux.»«Ferme-la.»«Elletequittera…unjouroul’autre,parcequetun’esbonpourpersonne.»Jefermelesyeux,lamâchoirecontractéepuislesrouvrepourfixerlarouteàm’enbrûlerlesrétines.

Lerestedutrajetsedérouledansuncurieuxsilence.Unefoissurleparkingdel’immeuble,j’aidenotreamilejeuneivrogneàsortirdelaPontiac.Cen’estquelorsquenoussommestousdansl’ascenseur,moisoutenantcetimbécilequinousséparel’undel’autrequej’annonced’unevoixsourde:

—Jepensequ’ondevraitlelaisserpioncersurnotrecanapé.—Mhm.

Jeluilanceunrapideregard,pouressayerdedevinersonhumeur.Katesemblesoucieuse…oupeut-êtrequ’elleréfléchitsimplementàmonattitude.

—Tupourraisenvoyerunmessageàsamère?Ildoitavoirsonportablesurlui…Attends.Justeavantl’ouverturedesportes,jerécupèreletéléphonedeJamieetleluitends.—C’estunvieuxmodèle,s’ilestjusteenveilleonn’aurapasbesoinducodepin…Je parle. Je dis tout ce qui me passe par la tête pour l’empêcher de trop penser. Elle vérifie en

activantl’écrantandisquejesorsl’apprenti-buveurdelacabined’ascenseur.— C’est bon… je viens de trouver sa mère dans son répertoire : je lui indique juste qu’elle ne

s’inquiètepas,quesonfilsestcheznous.J’opinepuislalaisseouvrirlaporteavecsondoubledesclefs.Unquartd’heureplustard,Jamieronflesurmoncanapéetjelaregardes’éclipserdanslasallede

bains.Jevaisdanslachambreetcommenceàmedéshabiller.C’estjusteencaleçonquejem’allongesurlelit.Jecontempleleplafondsansréellementleregarder,lesbrascroiséssouslanuque,lecerveauenmiettes, alors que je tente d’ordonner mes pensées. Je n’ai peur de rien. Vraiment. Il n’y a rien quim’effraieencebasmonde,pasmêmelamort…lamienne.Seulement,cesoir,dansl’arène,j’aieupeur.PeurpourKate.Àl’idéequeRonanlaforceàvenirdanscettesalledeshorreurs,j’étaissoudainementredevenucepetitgarçoneffrayé:celuiquiaperdusonpère.Celuiquiveutprotégersamère.CeluiquiatuéDavid.Mespaupièresseferment.J’aimal.Departout.

Jemerendscomptequejemesuisassoupilorsquejesensquelquechosedefroidsurmonvisage.Jen’ouvre qu’un œil, parce que l’autre est prisonnier d’une serviette éponge glacée. C’est Kate. Ellegrimaceetjeréaliseluiavoirencerclélepoignetdemesdoigts.Jelarelâcheaussitôt.

—Mhm…merci.Je maintiens moi-même la serviette remplie de glaçons, lui permettant ainsi de s’installer plus

confortablementàmescôtés.Elleestvêtued’unbasdejoggingetd’undébardeur.Monœils’arrêteauniveau de sa poitrine. Durant quelques secondes, je suis hypnotisé… puis mes doigts libres lesapprochent sans que je leur en donne l’ordre. Sans le vouloir, elle me coupe dans mon élan ens’allongeant sur le dos. En la voyant de nouveau grimacer, je fronce les sourcils – et le geste meprovoquedesélancements:

—Unproblème?Elledétournevivementlatêtepuiséteintlalampesurlatabledechevet.—Aucun,souffleKate.J’écarte lesglaçonsdemafigurepourattendrepatiemmentquemavues’acclimateà lapénombre.

Katesetournepoursepositionnersurleventre,enlaissantéchapperunsoupirdesoulagement.—Tuasmalquelquepart?—Euh…ouais.Audos.Monsecondcerveauchoppelaballeaubond.—Tuveux…enfin,jepourraistemasser…—Non!La forceavec laquelleellem’a répondume fait sursauterde surprise. Jepanique :plusde sexe?

Quoi?Onl’afaitqu’unefoiset…çaaétésidouloureuxqueça?Elleneveutplus?Oualorsc’estparcequejeressembleàQuasimodo?Putain!Jepaniquevraiment!

—C’estparceque…Jemeraclelagorge.—…tuasencoremalàcetendroit-là?Kateredresselatêtedesonoreiller:

—No-on!Cen’estpas…!Rienàvoir!—Oh.C’estmagueule?C’estça?Parcequejeressembleàundestableauxde…de…commentil

s’appelledéjà,letypequipeintdesyeuxàlaplacedelabouche?—Picasso?Non,vraiment,Chris.Unpetitsilences’instaureentrenous.—Pourquoi?Tuasenviede…,commence-t-elled’unepetitevoixquineluiressembleguère.Jemeracledenouveaulagorgeetreposelesglaçonssurmonœil.—Jesuisunmec.J’aitoujoursenviedebaiser.Aumomentmêmeoùjeprononcelederniermot,jemetraited’idiot.Jesaisquelà,c’estmort.S’ily

avaitencore,yadeuxsecondes,uneminusculepossibilitéqu’onfinissepars’envoyeren l’aircesoir,là…c’estfoutu.

—Jevois.SontonestencoreplusglacéquelaneigedeSibérie.Merde.—Cen’estpascequejevoulaisdire!jedébite,trèsvite.—Non?Sarcasme.—Non.Désolé.Sincèrementdésolé.Katesoupirepuisvientposersatêtesurmontorse.—Jesais.Jesuissoulagéetlaserrecontremoidemonbraslibre.C’estétrange…onnefaitrienhormissetenir

l’uncontrel’autremaisçameplaît.—Jesuistropcrevée.C’esttout.Mesdoigtscâlinentmachinalementsonépaule.Çaaussi,çameplaît.—Dors,petitefemme.Jesuislàetjeveillesurtoi.

Katherina

Lorsquej’ouvrelaportedufrigo,l’urgencedefairedescoursesmesauteàlafigure.Ilest14heuresetChrisdortencore.Jenesaispluspourquoij’aitrouvél’idéedeluioffriruntatouageaubasdemondossigéniale:iln’yariendesuperàsouffrircommeunedamnée.J’ail’impressionqu’onm’alabourélapeauavecdel’acide.

J’aioptépourlejeanbaggyetlesweatàcapuche.Unsacàdossurl’épaule,jedécidedemerendreàla banque en espérant que Chris sera réveillé à mon retour. Lui et ses hématomes dignes de RockyBalboa.

Jen’arrivepasà lecerner.Cen’estpasdansmeshabitudesdepousser lesgensàseconfier ; j’aiplutôtgrandiavec leconcept :«moins tuendis,mieuxc’est».Toutceque j’ai réussiàcomprendre,c’estquesontravail,celuiquiluioffrecesblessuresetseshématomes,estunsujetsensibleentrenous.Je devine qu’il se pense pas assez bien pourmoi, alors que demon côté, je n’ai pas une aussi hauteopiniondemoi-même.

Jemerendssagementàl’abridebus,lesécouteursdemonMP3–toutneufetgénéreusementoffertpar Chris Farwink industries import/export – dans les oreilles. Mains dans les poches, j’attendspatiemment.

Soudain, des vrombissements résonnent jusque dans le goudron sous mes pieds. Les quelquespassagersàmescôtéssefigent,lesyeuxronds.Quandmonregardsedirigemachinalementverslasourceduraffut,moncœurcessedebattre.JereconnaîtraisentremillecesdizainesdemotosHarleyDavidsonqui passent… surtout leurs blousons ornés d’un squelette d’ange qui tient un glaive, un peu comme letatouagedeChris,maisdifférent.Les«BlackAngels».Monpassésurgitdevantmesyeuxetjen’aiplusunegouttedesalivedanslabouche.

Pourquoi sont-ils revenus ? Leur club n’est pas de cette ville. Kurt, un orphelin quemes grands-parentsavaientrecueilli,bravesgensd’unecinquantained’annéesàl’époque,avaitrejoint,avantmêmed’êtremajeur,cettebandededurs-à-cuire.Decejour-là,laviedemamèreavaitétéunenferàcausedelui ; elle s’était retrouvée sans arrêt obligée de protéger cet imbécile qui trempait dans des affaireslouchesdetraficsentoutgenre,voiredemeurtres.

Jelescontemples’éloignerlecœurbattant.Jen’aijamaisconsidéréKurtcommeunmembredenotrefamille.Mafamille,c’étaitmamère.Mafamille,c’estdésormaismessœursMeletJuliette.Malgrélesilencedemamèreàcesujet,j’aitoujourseul’intimeconvictionquemonpèrebiologiqueétaitl’undesmembres…unBlackAngel.Unmembred’unclubdontlesloganest«Rendez-vousaveclamort».Jetiredavantagemacapucheafindecachermonvisage;jetrembledel’intérieursansarriveràmedécidersic’estdecolèreoudetrouille.

Montéléphonesonneetjen’entrepastoutdesuitedanslebus.C’estMel.—Mel?Maisellenerépondpas.J’entendsjustedesreniflementsetdessanglotsétouffésauboutdufil.Sous

leregardimpatientduconducteur,jegrimpelesquelquesmarches.

—Situnemedispascequinevapas…Commentveux-tuquejet’aide?Elleraccroche.Quelleidiote!Montéléphonesonneànouveauunesecondeaprès:—Putain,Mel!jem’énerve.—Hein?Mince!C’estChris.—Non…j’aicruquec’étaitmasœur,jemarmonnetoutenmemassantlefrontduboutdesdoigts.—J’ailamèredumorveuxquiadébarquéàl’appart’complètementhystérique.Jesourismalgrémoi.Ilnesemblepastrèscontentd’avoirétéréveilléenfanfare.—Et?Ellearécupérésonfils?—Ouais…jedétestequ’onmetiredulitpourmehurlerdessus.Surtoutquandj’airienfaitdemal.

T’esoù?—Danslebus…Jevaisàlabanque.Petitsilencedurantlequelj’entendslamachineàcafécrachoterenfond.—Pour?bâille-t-il.—Joueraugolf?jesuggère,unbrinironique.Cequimevautundrôledecoupd’œildelapartdelagrand-mèreassisesurlesiègejouxtantlemien.—P’titepeste…Mais,àl’inflexiondesavoix,jesaisqu’ilsourit.—Pourtirerdel’argentpourfairedescourses,iln’yaplusrienàbouffer.—Quandtuasbesoindefricpourça,tumedemandes.—Jepaiemapartduloyer.Jel’écouteriredoucement.—Maintenantquetucouchesaveclepropriétaire,ilvasemontrerflexible.Salemacho.Jesourisàmontour.—Pourquoipensais-tuquec’étaitMel?Ellet’aappelée?Ellesanglotait,plutôt.—Oui,je…croisqu’elleadesproblèmes.Denouveau,Chrisprendsontempsavantdeparler:—LesmeufsquibaisentavecRonanonttoujoursdesproblèmes.Ilaprononcécesmotssansuneoncedeméchancetéoudemoquerie,c’estjusteunfait.Jefermeles

yeuxpuispinceleslèvres.—Jeteramèneuntruc?jepropose,pourchangerdesujet.—Mouais.J’aimeraisbiendespignonsdepouletsaucemexicaine.—OK.Delaviandepourlecarnivore.Je raccroche puis rangemon portable. Dès que j’ai réinstallémes écouteurs, je pressemon front

contrelavitrequimesemblefraîche.Commentvais-jesortirMeldelà?Dèsquejesorsdelabanque,jeprendsladirectiondufast-fooddontlaspécialitéestlepouletsous

toutessesformes.Surlechemin,lorsqu’unefortemusiquederockm’agresselestympansetquemesyeuxtombentsurlesénormesmotosornéesd’angessquelettiquesquioccupentpresquetoutletrottoir, jemetétanise.Des rires gras surgissent non loin demoi ; je baisse automatiquement la tête, les battementsaffolésdemoncœurroulantdansmapoitrine.

Jenesaispascommentjevaispouvoirleséviter.Traverserlarue?TantpispourlepouletdeChris!

Je relève le visage pour vérifier la circulation… et mes yeux rencontrent deux prunelles noisetteintriguées.Sonlargebandananoirceintsonfront,retenantdescheveuxsombresmi-longs.

Merde.Un coup d’œil sur le terrible gilet en cuir arborant la mascotte du club ainsi que leur nom est

suffisant:c’estl’ennemi.Jemanquedéglutirdetraverset,sanschercheràledétaillerdavantage,mejettepratiquementsouslesrouesd’un4x4quej’évitedejustesse.L’adrénalinecourtplusvitequemonsangdansmesveines.

—Hey!faitunevoixmasculinedansmondos.Horsdequestiondeme retourner. Je l’ignorepourm’empresserde rejoindre le trottoir d’en face.

Alorsquejepenseavoirmisassezdedistanceentreeuxetmoi,onmesaisitfermementlebras.—Hey!Petite!T’asfaittombertonportefeuille.Mespaupièress’abaissenttandisquejeretiensdifficilementunriresarcastique:unBlackAngelqui

merapportemonportefeuille;c’estd’uncomique.Jemedégaged’unmouvementbrusquequileprendparsurpriseetrécupèremonbiensansleregarderfranchement,marmonnantàpeineunremerciement.

—Hey…Ilinsiste.Merde.—…jesuisungentil,p’tite.Pasbesoindepaniquercommeça.Je lui adresse uneœillade furibonde. Si je panique, ce n’est pas à cause de lui,mais de ce qu’il

représente.Cetypedoitêtreàpeineplusâgéquemoi;songiletdecuirnoirarborepeudepatchs,ildoitêtreunmembreassezrécent.Les«anciens»,enrèglegénérale,sontbardésd’écussonsreprésentatifsdeleurs « faits d’armes », c’est-à-dire des violences perpétrées au nom de la bande, et qu’ils estimentglorieux.

—Kate?!Cettevoix-là, je la reconnaiset jepourraispariermonsalairequemonvisageestdésormaisaussi

blancquelemurdelaboutiqueprèsdelaquellejemetrouve.L’inconnufaceàmoiécarquillelesyeux,leregardrivépar-dessusmonépaule.—Tulaconnais,Kurt?—Sijelaconnais?ritlavoix.C’estmachèrepetitenièce.Leregarddumecbrunfaitplusieursfoislanavetteentreceluiqui,jelesens,s’approchedenous,et

moi.Jeserrelesdentsetmaudisledestind’êtreuntelsalopard.—Tanièce?Sansdéconner?Jemetourne.J’affrontemonpassé.Celuidemamère,demessœurs,lenôtre.KurtParsonBell.Ilavieillisansavoirréellementchangé.Laquarantainetasséeluivabien.Sescheveuxblondssont

pluscourtsquedansletemps,plusternesaussi.Sesyeuxvertssontdélavésparl’alcooletladrogue.Unebarbe naissante lui dévore samâchoire carrée aux joues légèrement creuses.Kurt demeure séduisant,même s’il semblemoinsmusclé. Sûrement que la bière a fini par avoir raison de ses abdominaux. Ilm’observeenretour,pensif.J’examinemachinalementlespansdesongiletdecuirqu’ilaenfilésurunevestedematière etde couleur identique. Ils sont agrémentésde ces fameuxpatchs et leplus terrifiantd’entre tous retient mon attention dégoûtée : le « 1 % » annonçant à quel point c’est un dangereuxspécimendelacommunautédesbikers.Ilyenaunautre,aussi:celuiquimontrequ’ilestprésidentd’unchapitre;unchapitredanscemilieuéquivautàunesuccursaleducluboriginel.

—J’auraispourtantjuréquetunereviendraisjamaisdanscetteville.Ilsemblepluss’adresseràlui-mêmequ’àmoi.—J’enaiautantàtonservice.Kurtesquisseunlargesourireetsonregardpétilled’humour.

—Tuastoujourscesalecaractère.Ilfautquejeparte.Vite.—Excuse-moi…j’aidestrucsàfaire.Mon«oncle»s’interpose.—Tunevaspasdéjàmequitter,non?Çafaitquoi…cinqans?Onadestasdechosesàsedire.Mespoilssehérissentsousletondoucereux.Nosyeuxs’accrochent,sedéfientimplicitement:jen’ai

pas le choix. J’imagine que s’il est revenu, c’est pour le business ou une vengeance, et qu’il est plusintéresséparlesinfosquejepourraisavoirsurcettevillequeparlesdétailsdemaviepersonnelle.

—Jet’offreuncafé?insiste-t-ilsanssedépartirdecetteinflexionamicalequimefichelanausée.Je me contente d’acquiescer. Black Angel nouvelle recrue m’attrape par le coude, comme si je

m’étaissubitementtransforméeenunevieilledameimpotenteincapabledetraverserlaruesansaide.Lesourirequ’ilm’adressemedonnelaterribleenviedeluioctroyeruncoupdegenoubienplacé.Cestypesonttellementl’habitudequelesnanassetraînentàleurspieds,mêmecellesprovenantd’unmilieusocialàl’autrepôleduleur,quel’arroganceetlamisogyniesontmonnaiecourante,chezeux.D’unebourradefurieuse,jemelibèreencoredecetapprenticriminel.

NousnousdirigeonsversleurQGtemporaire:cebard’oùprovenaitlamusiquerocketaucharmantpatronymephallique–LePiston.Futuneépoque,avantnotredépartdecetteville,oùlesBlackAngelsrégnaientenmaîtresurlebusinessundergroundproliférantdanslesrues.Lejourdenotredéménagement,lamafiarusseavaitdéjàcommencéàinvestirleslieux,lesvirantmanumilitari.Legangs’affichantsousletitreronflant–etunbrinprétentieux–de«BlackAngelsMotorcycleClub»,autrementdit,laBAM-C,inférieurennombre,avaitdoncoptépourcéderceterritoire.Leprésidentinternationalavaitapprouvécechoix,d’autantplusque«bosser»aveclesRussesleurrapportaitbienplusqu’avectouteautreethnie.Lepognonavanttout,malgrélesbeauxdiscourssurleclanetla«famille».

CommeKurtavaitrejointleclubavantsamajorité,nousavionstrèstôtsouffertdesconséquencesdeson choix de carrière. Nous n’avions connu que cette ambiance-là. Cela avait façonné l’attitudeprovocatrice deMel, éternellement attirée par cet univers glauque. Cela avait façonnémon caractèreégalement:jeneplaisantaispaslorsquej’avaisditàChrisquej’avaisl’habitudedesmecscommelui.SeuleJuliettesemblaits’enêtresortieindemne,enquelquesorte.Voilàlegenredefamillequel’onnousavaitimposé.Traficd’armes,dedrogues,prostitution…etdesvaleursmoralestrèsdiscutables,surtoutencequiconcernelamanièredetraiterlesfemmes.

Il me suffit de franchir le seuil du Piston pour atterrir dans un monde parallèle où la seule loiautoriséeestlaleur.Lesflicsnesontpasassezfouspouryentreretjouerlescaïds,ilspréfèrentcollerdescontraventionssurlespare-brisequederisquerperdreunorteilenpassantl’entréedecetendroit.Cequisecomprendquandunseulbrefregardcirculairevousrenvoieàplusieursgarsbarbus,tatoués,l’œilcirconspect,arborantfièrementletrèscélèbre«1%»enguised’avertissement.

Kurtpasseunbrasautourdemoncou,toutendécontraction,contrastantavecmonallurerigide.—Hey,lesgars…jevousprésentemanièce:KatherinaBell.C’estlamômedeGrace,précise-t-il

devantleurhaussementdesourcilsinterrogateurs.Plusieursmesaluentd’unvaguementhochementdetête,d’autresdesouriresvicelards.Sansôtersonbras–quejevoudraisdétacherdurestedesoncorps–Kurtsepencheunpeupluspuis

medésigned’ungestedelamainceluiquiaramassémonportefeuille.—Etcetabruti,c’estDon.—Don?jerépètemachinalement.Ledénommé«Don»s’installeaucomptoirpuism’envoieunclind’œilégrillard:—C’estunpotecanadienquim’asurnommécommeça,parcequeje«donne»beaucoupdemoi-

même,chantonne-t-ilenaccentuantlemotfrançais,avecunsouriresuavesurleslèvres.J’aienviedevomir.Jevoistrèsbiendequoiilparle:lesorgiessontlégiondansleurssoirées.—Elleboitquoi,lapetitenièce?medemandeceluiquifaitofficedebarman.Ilestmassif,arboredelongscheveuxgrisetdoitavoirplusdecinquanteans.—Unlaitfraise?glousseDonavantdeporterlegoulotdesabièreàlabouche.—Uncafé.Kurtôteenfinsonbraspuism’octroieunepetite tapedans ledospourensuite rejoindre le fameux

brunquiadore«donner»etenfrançaiscanadien,s’ilvousplaît.Jelesuisàcontrecœuretm’assoissurletabouretlibreentrelesdeux.

Lesautresretournentàleurspartiesdebillardouleursdiscussionsinterrompuesparnotrearrivée.—Tuesrevenuedepuisquand?attaqueKurt.Seulesatêtepivoteversmoitandisqu’ildescendplusieursgorgéesd’alcool.—Pastrèslongtemps.Jechoisisderesterprudemmentévasive.Ilopine.JesensDonserapprocherdemoiettousmesmusclessecontractent.Jerepoussel’idéede

luibalancermoncafébrûlantàlafigure,justepourluiapprendreàrespecterl’espacevitald’autrui.—C’pastonportablequivibre?chuchote-t-il.Jesursauteetsors trèsvitecedernierdemonsacàdos…etpanique.C’estChris.Jemeredresse

commesij’avaisétémontésurressortsetaccepterapidementl’appel.—Oui?—Tuesalléeletuertoi-même,ceputaindepoulet?faitunevoixgrognon.—Non…c’estjusteque…JejetteunregardenbiaisàKurtquim’observeavecunsourirefroid.—…ilyavaitdumondeàlabanque,bébé.Unpetitsilenceaccueillemaréplique.Chrisestpeut-êtremortsouslechoc.Cen’estpasmongenre

d’utiliseruntelsobriquet,maisaumoins,encomprenantquej’aiuncopain,lesdeuxtypesquineperdentpasunemiettedemaconversationsemontrerontpeut-êtremoins«invasifs».

—«Bébé»?répètefinalementChris.Jeperçoissonsourire.C’estpaslemomentdetefoutredemoi!—Jepensearriverd’iciunedemi-heure.—Bon…jeseraidéjàpartiaugarage.Putain!—Qu’est-cequ’ilsepasse?—Jesuisentraindemedemanderàquandremonteladernièrefoisoùmabouches’estposéesurla

tienneetjen’arrivepasàm’ensouvenir…c’estchiant.Jenepeuxrienyfaire:sonaccentboudeurmefaitsourirebêtement.—Onserattraperacesoir,jeproposeàvoixbasse.Denouveau,unpetitsilenceréceptionnemasuggestion.Ilseraclelagorge:—Ben…cesoir…Tuvois,jen’aipasréellementenvied’yaller,maisJotientabsolumentàceque

jesoisàsapetitefiesta.Jerisquederentrertard…Laprécautionaveclaquelleiladébitécesmotsaccentuemonsourire.C’estvrai,lasurprisedeJo!—C’estpasunsouci,jebosse,detoutefaçon.—Ouais.Chrisnesemblepastrèscontent.—Àcesoir…bébé,termine-t-il,moqueur.Jem’étrangle;cequiluidéclencheunfourire.

Je range mon téléphone en remarquant que mes doigts tremblent. Pour ma défense, il n’y a pasl’ombred’uneautrefilledanscebar…cequiestétrange,parcequ’habituellementcestypesaimentavoirdesnanasassezdécorativesdansleurtanière.S’iln’yenapas,c’estqueforcémentilsplanifientunsalecoupetilsneveulentpasdetémoinsquipourraient«volontairement»ounonlesbalancerauxflics.Jedevrais être flattée de la confiance queKurtme témoigne juste en autorisantma présence parmi eux,pourtant, ce n’est absolument pas le cas. Je feins une décontraction que je n’éprouve pas sous leursprunellesattentives.Kurtvideunpeuplussabouteilledebièreengrimaçantunsourireencoin.

—T’asunmec?Cen’estçalavraiequestion.Enréalité,ilveutconnaîtrel’identitédumecenquestion.Jeboisculsecmonexpressotièdeenmeretenantdelerecracherenspraysurlecomptoir:lebarman

devraits’entenirauxbièresetauwhisky;ilpourraitseservirdesoncafécommearmelétale.—Oui.—Oh…Ilestducoin?JeplongelesyeuxdansceuxdeKurt.—Oui,maisilestdugenrebagnoleancienne,etpasmoto.Enclair,cen’estpasunbiker.Kurtesquisseunemoue.Messagereçu.—Quoideneuf?Tubosses?—Ouais.—Commentvatamère?—Morte.Kurt ne dit plus rien et quelque chose passe dans ses yeux. Est-ce une véritable tristesse ou ai-je

rêvé?Ilboitencoreunelonguegorgéedesabière,grimacepuisposelabouteillesurlecomptoir.—Désolé,Kate.Cettefois-ci,c’estmoiquigardelesilence.Iln’ajamaisétélàpourmamère,nipourl’enterrement:

j’aitoutpayédemapoche.Sesexcuses,j’enairienàfaire.—Tesfrangines,ellessontoù?L’interrogatoire reprend et j’appréhended’aborder le cas deMel. Je ne peuxpas luimentir parce

qu’ilsauraittôtoutarddetoutefaçon.—Ici,avecmoi.Juliettecommenceunnoviciat.Kurt affiche aussitôt une grande stupéfaction pour finalement éclater d’un rire sonore, la tête

renverséeenarrière,cequiattireirrémédiablementlesregardscurieuxdeses«frères»surnous.Ilsecalmeetprenddenouveausabièrepourjoueravec,lesyeuxrivéssurl’étiquette.

—EtMel?—C’estMel.Égaleàelle-même.—Elletraîneavecdesgars?IlchercheàsavoirsiMelfaitpartied’ungangquelconque.—Oui.Kurttournevivementsonvisagedansmadirection,l’œilaiguisé.—Qui?Unsourireamicalsedessinesurseslèvres,maisjenem’ytrompepas.—Uncaïdrusse.Ronan.Safaussemimiquechaleureuses’effacedanslasecondeetsesdoigtssecrispentsurleverredesa

bouteille.Monregardremontepours’accrocherausien.Ilestlàpourlavengeance.—C’estsapute?

Il a prononcé cette phrase avec une douceur excessive, tranchant horriblement avec la nature duderniermot.

—Jenel’auraispasprésentédecettefaçon,jerétorquedemontonleplusneutrepossible.Dons’estencoreapproché,sonmentonpresquesurmonépaule.Sonhaleinemesouffledesrelentsde

bière.—Ettoi,petite…tonmec,c’estaussil’undesleurs?Moncœurvibredansmapoitrine.—Pasvraiment.IlbossepourluimaisuniquementparcequeRonanmenacesamère.Ilneluiapas

juréfidélitéouuneconneriedecegenre.Illehait.Kurtpivotelégèrementsursontabouretpuissepencheenavant,avecundrôlederictus:—Vraiment?C’estquisadaronne?—Pat.LapatronneduPandémonium…oùjebossequelquessoirsparsemaine.Lafaçondont jemesuissentieobligéedetout luibalancerainsimerendfurieuse.Jemeredresse,

dévoréeparlacolère.Ilfautquejesorted’ici.—C’estbon?Tuastouteslesinfosquetuvoulais?Unéclairglacéilluminesesprunellesdélavées.—Pastoutàfait,articuleKurtavecexagération.File-moilenomdetonmec,machérie,ettupourras

t’enaller.Jeveuxl’entendredetabouchepourévitertoutmalentendu.Monregardseplantedanslesien:—Pourquoi?Soncurieuxsourirerevientsurseslèvrestandisqu’ilhausselesépaules.—Parceque…quetu leveuillesounon, tufaispartiedemafamille,etquejeprendssoindema

famille.Jevérifieraisquec’estunbongarspourtoi.Mespoingsseserrent.—Tuprendssoindetafamille?Mavoixagrimpédansunetessitureplusaiguëquelanormale.—Depuisquandest-cequ’onesttafamille,oncleKurt?Tun’esmêmepasvenupourl’enterrement

demaman!Sesmâchoiressecontractentetsesyeuxs’assombrissent.—J’étaisentaule,poussin.Tamère…c’étaitquelqu’undebien.Unegrandeâme.Elleasouventaidé

leclub,parlepassé.Sionnes’étaitpasengluéscesdernièresannéesdansuneguerrecontrelesHuesos,sijen’avaispasétéencabane…jeseraisvenu.Biensûrquejeseraisvenu.

Jenesuispastonpoussin,connard!Voilàcequej’aienviedehurlerencetinstant.Sesyeuxperforentlesmiens:ilnemelâcherapasaussifacilement.D’unemainlasse,jerenversema

capuche.—Oh,lajoliepetiterousse!s’amuseDon,quejefusilleduregardavantdelâcher.—ChrisFarwink…etc’estunmecbien.C’estRonanl’enflure.Kurtetmoi,nousnousscrutonsdurantd’interminablessecondes,puisillâcheavecunenonchalance

sonnantcommeunavertissement:—Sachejustequ’onestderetour,Kate.Jesuisderetour.

Chris

—Jedoisencoreacheterdeuxoutroisconneries…Tuviensavecmoi?Jegrogne.Non,jen’aipasenvied’allerfairedescoursespoursasauterie.J’adoreJomaisvoilà,ce

soir, jenevoulaisqu’unechose:meretrouverentêteàtêteavecKate.Êtreavecelle, lasentircontremoi,respirersonodeur…pascelledenosconsdepotescomplètementbourrés.

Commes’ilavaitsuivilecoursdemespensées,monamimefileunegrandeclaquedansledostoutens’esclaffant.

—Faispaslagueule!Tuhabitesavecelle,bonsang…ellenevapass’envoler.Jeluijetteunregardmauvaispuislesuissurleparkingdelapetiteépiceried’appoint.Nosregards

sontsimultanémentattirésparlestroisHarleyDavidsongaréesprèsdel’entrée.—Pasmal,siffleJo,lesmainsdanslespoches.—Ouais.Onaencorelesyeuxsurlesenginsenpassantleseuil.Enrico,proprioespagnold’unecinquantaine

d’années,nousaccueilled’unbrefhochementdetête.Ilsemblebizarrementnerveux.Jehausseunsourcilavantdecomprendrelaraisondesonanxiété.Troismotardsd’ungangetdeuxracaillesdelarue…dansunsipetitmagasin.Jorestecooletsemetmêmeàchantonner.Moi,parréflexe,jemeredressedetoutemahauteur.Onlescôtoieaurayonalcool,onsesurveillelesunslesautres,l’airderien.Latensionquiplane subitement dans un nombre de mètres carrés aussi restreint est limite palpable. Jo saisit deuxbouteillesdewhisky,puism’interpelle:

—Chris…?J’opineetmesyeuxluirépondentclairement:«Ouais,onsetire.»Pourtant,undétailme fait tiquer…enentendantmonprénom, l’und’euxs’est soudainement tourné

versmoi.Unbrunassezjeunedontlefrontestcachéparunlargebandananoir.Ilmefixeaveccuriositéetjeluirendsfranchementl’examensanssourciller.Ilgrimaceunsourire.Lebikersortunecigarettedelapochedesavesteenjean,puiss’approchedemoid’unedémarcheindolentependantqueJorèglelanote.

—S’lutmec…T’aspasdufeu?J’aiméchammentenviederefuser;quelquechosem’énervedanssonattitude,sansparveniràdéfinir

exactement quoi. Jo surgit pourme prendre de vitesse, ce qui n’est pas difficile puisque je suis restéplanté là à dévisager le type. Mon ami range ensuite son briquet alors que notre interlocuteur fumeallègrementjusteàcôtédelapancartesignalantqu’ilestinterditdecloperdanslemagasin.Legarsleremercieencored’unegrimacequisonneunpeutropcommeunsourireironique.

— On vient juste d’arriver dans le coin… Y’a des boîtes sympas ici, avec des meufs pas tropfarouches?

Jelanceimmédiatementunregardd’avertissementàJo:s’ilévoquelePandémonium,jelebouffe.—LePistonestunbardemotards,suggèrecalmementmonpote.Jesuissoulagéqu’ilaitcompris.Lesdeuxtypesquiaccompagnentlecheveluricanentavecluiquand

cederniersetournebrièvementdansleurdirection,avantdeserefixersurmoi.—Ouais…onconnaît.Maiscommentdireça…laviandelà-bassembleavoirpasmaldekilomètres

aucompteur.Jojouelejeuenjoignantsonrireauxleurs.Mesnerfss’étalentcommeunéventail.—Désolélesgars,onanotrepropreboucherie,plaisanteJoenleuradressantunclind’œil.Lebikerlâchesonmégotpourl’écraserdelapointedesabotte,puisrelèvelatête:—Vouspourriezenprêterunpeuàdesvoyageursdepassage…nan?Commesicettephraseavaitétéunsignalinvisible,sescompagnonsserapprochent,unrienmenaçant.

Jem’avanced’unpas,d’unseul,etc’estsuffisantparcequejeledépassed’unetête:—Jeprêtequedalle.Ilhausseunsourcil.—Pourquoi?—Quandontouchecequim’appartient,çamerendagressif.L’inconnugrimaceunenouvellefois,maisilyadelacolèredanssonregard.—Ahouais?fait-ilavecunaccenttraînantquisonnefaux.Jeplisselesyeux.—Ouais.J’ai confirmé d’une voix extrêmement basse, mes yeux dans les siens, sans même cligner des

paupières.Jomeposeillicounemainsurl’épaule.— On vous souhaite bonne chasse, les gars ! Et bienvenue chez nous ! lance-t-il en me tirant

discrètementverslasortie.Je le laisse faire, parcequ’au fonddemoi, je sais que c’est ladécision laplus raisonnablevu la

situation,maismonregardnelâchepasceluiduchevelu,etce,jusqu’àladernièreseconde.Unefoisdehors,etéloignésdel’épicerie,Jomefrappel’arrièredelatête:—Putain!Là,tufaischier,Chris!beugle-t-ilavantdesemettreauvolantdesavoiture.—Quoi!j’aboieenretour.Ildémarrelemoteurnonsansm’avoirjetéuneœilladefurieuse.—C’estdesBlackAngels,petitcon!Onnejouepasàquialaplusgrosseaveccesmecs!Jemefrottemachinalementlecrânepuisbouclemaceinturedesécurité.—Jem’encogne,dequisontcestypes.Aprèsça,jemetourneverslui,unsourireéblouissantauxlèvres:—Etilestévidentquej’enaiuneplusgrossequelui.BeaucoupplusGROSSE.Jopousseuncrifrustréquimeprovoqueimmédiatementunfourire.Lorsquenousfranchissonsleseuildel’appartementdeJo,Eriknoussautepratiquementdessus.C’est

lesyeuxbrillantsdeconvoitisequ’ilsaisitlesacenpapiercontenantlesdeuxbouteillesdewhisky.Josepencheversmoipourmechuchoteràl’oreille:—Jereviens,jedoisallerchercherquelqu’un,meconfie-t-ilavantdem’adresserunclind’œilsuivi

d’unetapesurl’épaule.—Qui?jedemandetoutenrendantlessalutationsauxquelquespotesquis’avancentspontanément

versmoi.Maisilnerépondpas;normal,ilestdéjàparti.Lamusiqueestsympa.Monregardtombesurceluiquigèrelasono:c’estBennyquis’amuseàjouer

lesDJ.Aprèsavoirchopéunebièredansl’unedesglacièresetévitéuneblondeunpeuéméchée,jelerejoinsàsatabledemixage.

—Yo,jelanceavantdeporterlegoulotdelabouteilleàmeslèvres.Ilrelèveuncourtinstantlevisagedansmadirection,esquisseundemi-sourirepuissereconcentresur

satâche.— J’aurais juré que tu serais resté chez toi ce soir, hurle-t-il tout en laissant son corps battre la

mesuredutitrequ’ilmixe,lamoitiéd’uncasquesurl’oreille.—Moiaussi,jegrommelleavantdedescendreunenouvellegorgéedebière.Mesyeuxerrentsurlesautochtonesquidansent,s’embrassent,rient.Jen’enconnaisquelamoitié.Etsij’envoyaisuntextoàKate?Justepourvérifierquetoutvabien.Soudain,leslumièress’éteignentetjemeredresse,tendu,auxaguets.Quelquesinvitésrâlent,enfin,

surtout les femmes. Les mecs, eux, ils viennent dumême ruisseau quemoi, alors ça les rend surtoutnerveux.Puis jediscernedes lueursvacillantesparmi lapetite foulecompacte.Cettedernières’écartecommeunseulhommepourlaisserpasser…

Labouchegrandeouverte,avecprobablementl’aird’unecarpeKoïqu’onvienttoutjustedepêcher,je contemplema petite femme qui s’avance versmoi en tenant un énorme gâteau pourvu de plusieursbougies.Joestderrièreellepourveilleraugrain.Elleportecefameuxshortcapabledem’envoyerdirectenenferetunevesteencuir,souslaquellejedistinguedutissudoré.

Ceputaindehaut.Elleaceputaindehaut…!J’ailagorgesècheetquandunflashm’éblouit,jemetournemachinalementverslasource.C’estcet

imbéciled’Erikquivientdem’immortaliserentraindereluquerKatherina,labaveauxlèvres.J’essaiedeluienleversonappareilphotonumérique,maisils’écartevivementdemoi,uneexpressionjubilatoiresurlevisage.Jepasserapidementl’indexsurmoncoupourluisignifierqu’ilestmortavantdeposerdenouveaumesyeuxaffaméssurKate.

Ellen’osepasleverlenezdelapâtisserietandisquenosamischantonnentuneversiontrèsbourréede « Joyeux anniversaire ».Ce con de Jo. J’ai l’impression d’avoir eu l’idée saugrenue d’avaler unebouledebowlingtantunecurieusepressionm’obstruelagorge.Sansvraimentyréfléchir,j’abandonnemabièresurlatablequ’occupeBennypuisfrottemespaumesmoitessurmonjean.

Kateesttellementbellequeçamefaitmaldelaregarder.Jerefrènedumieuxquejepeuxlastupideenvied’allerl’aider,parcequejelasensanxieusedefairetomberceténormegâteau.Quandelleestimeêtreassezproche,nosyeuxsecroisent. Jenesaispasvraimentquelle tête jedois faireencet instant,maisc’estsûrementquelquechosed’inéditétantdonnélavitesseaveclaquelleellebaissesesfabuleusesprunellestranslucides.

MonregardglissesurJo,toujoursderrièremapetitefemme.Dois-jeletueroul’embrasser?J’hésitepuissecouedoucementlatête,complètementlargué.

—Joyeuxanniversaire,Chris,murmureKate.Jel’entendscarBennyaeuleréflexedebaisserlevolumedelasono.Surl’instant,jesuisincapable

deprononcerunseulfoutumot,alorsjemecontentedelasoulagerdesonfardeaupourledéposersurunepetitetablepastroprempliedegobeletsetdebouteillesvides.

—Jecroisquelatraditionveutquetusouffleslesbougies.JepivoteversKatequiestdésormaisàmescôtés.Jelasensintimidéeet,parréflexe,jeluientoure

lesépaulesd’unbrasprotecteur.ElleglisseaussitôtunemainentremonblousonetmonT-shirt,aubasdemesreins,etcecontactm’électrise.Cettenanaestmagicienne.C’estcarrémentdinguel’effetqu’ellemefait.

Jeprendsunegrandeinspirationetéteinslespetitesbougiesparseméessurlacrèmefouettéeenunseulsouffle,plongeantlapiècedansl’obscuritétotalecettefois.Aussitôt,jelaramènecontremoi.Meslèvrestrouventfacilementlessiennesets’écrasentcontreelles.Malangueneluilaisseaucunrépitettant

pis si elle n’arrive pas à respirer normalement. J’ai l’impression qu’une éternité s’est écoulée depuisnotredernierbaiser.Cen’estquelorsquejesenssesdoigtssurmontorsequejecomprendsqu’elletentedemerepousser.

Jegrognedefrustrationpourimmédiatementchercherdenouveaulecontactsavoureuxdeseslèvresmaislavisionsoudainedesonvisageenfeumecoupedansmonélan,mefaisantclignerbêtementdespaupières.Unidiotarallumélalumièreettoutlemondenousregardeavecunairentenduplutôtsalace.Je passe des doigts tremblants dans mes cheveux. Avant, ils étaient trop courts pour que je puissem’adonneràcetic,maislorsquej’aidevinéqueKatelespréféraitpluslongs,j’aiarrêtédelescouper.Nosyeuxselientetelleal’airtoujoursautantsurlescharbonsardents.Jefroncelessourcils.

—Quelquechosenevapas?Elle me fait doucement « non » de la tête. Jo surgit près de nous tel un diable de sa boîte, tout

sourires.—Bonanniversaire,monpote!C’est le signal pour démarrer l’avalanche d’accolades et de vœux énoncés d’une voix pâteuse.

L’incessant défilé éloignebientôtKate demoi,mais je la surveille en lui jetant de petits coups d’œilréguliersjusqu’àcequejetrouvelemoyendem’échapperenfinpourlarejoindre.Mesdoigtssemêlentauxsiensetjel’entraînedanslaseulechambredel’appartement.

J’ail’impressionqu’untonnerregrondedansmoncorps.Jevibreentièrement…jenesaispascequec’est.Çaressembleàdel’adrénaline,sansréellementenêtre.

Kateseraclelagorgeetjeréaliseêtrerestéfaceàlaportequejeviensdefermer,alorsjepivotesurmoi-même.Jenem’attendaispasàlavoircesoir,àcettefête,surtoutdanscettetenuequimerappelledessouvenirs.Quecesoitleshortportélorsdesonpropreanniversaire,oucehautquim’arendudingueaupointdevouloirtuercepauvreFab.

—Dequellemanièreas-tuprévudem’achever?J’aimeraismepréparerpsychologiquement.Mavoixestaffreusementrauque…c’estcelledumecenrut,plusanimalequ’humaine.Katecligneplusieursfoisdespaupières,unpeuperdue.—Hein?Jedésignesesvêtementsdel’indexetsaréactionnesefaitpasattendre:elletournelatêtesurlecôté

toutenrejetantsescheveuxenarrière.Vas-y…joue-lasexy,jevaiscreverd’hypertension.—C’estpaslebut.—Dem’achever?—Oui.—Tumerassures.Ellegigoteunpeusurplace.Jedoisréellementressembleràunputaindefauvequialescrocs,età

vraidire,cen’estpastrèséloignédelavérité.—C’estmoncadeau?Katesursautepuisessaied’arborerunaircourageuxquejetrouveimmédiatementmignon.—Non.C’est…Elleseracleencorelagorge.—…c’estautrechose,termine-t-elledansunchuchotement.—Ah?—Ouais.Silenceayantpourfondsonoreleboucanensourdinedesivrognessedéchaînantdel’autrecôtédela

porte.Mesyeuxladétaillentpuisdévientverslelit.C’estvraimentmochede«faireça»danslelitd’un

pote,maisjesuisàcheveud’imploser.Rienàfoutredelamorale.—Nousdevrionspeut-êtreretourneravec…,commenceKate,enesquissantunmouvementversmoi

etlaportedevantlaquellejemetienstoujours.—Non…jenecroispas,non.Ellesepétrifie,stupéfaite.—Tuesencolère?Je lève lesyeuxvers leplafond, feignantderéfléchirà l’étatdans lequel jemesens,pouraussitôt

plantermonregarddanslesien,unsourireauxlèvres:—Non.Ellesemblesoulagée.—C’estquoimoncadeau?Kateestdenouveausurlaselletteetçam’intrigue.Sesyeuxpapillonnentdepartout,commesielle

réfléchissaitàunmoyendesefairelabelle.—Jetelemontreraiplustard,élude-t-elle.Çasemontre?Çanesedonnepas?—Montretoutdesuite.Là,ellepaniquecarrément.—Maintenant?!Lesmainsdanslespoches,jem’adossefranchementàcequinousséparedesinvités,unsourireen

coinincurvantl’extrémitédemabouche.—Oh,ouais…maintenant.—Je…jepensequ’il…vautmieuxattendred’êtreàlamaison.Jehausseunsourcil.— Kate… si tu cherches à m’obliger à venir récupérer moi-même mon cadeau, j’te préviens :

j’demandequeça.Mapetitefemmes’humecterapidementleslèvres.—C’estpastroplelieu…,tente-t-elleunedernièrefois.Mesyeuxcaressentinstinctivementlapartielaplusintimedesoncorps,sagementcachéederrièrece

boutdevêtementquineméritequasimentpasl’appellationde«short».—Ons’enfoutdulieu.Montre-moi.Vu l’inflexion de ma voix, je frôle l’âge de pierre, prêt à la traîner dans la première caverne

disponible.—D’accord,lâche-t-ellesubitement,unpeuchancelante.Soudain,elletournesurelle-mêmeetôtesavesteavecunelenteurquimerendfou.Jechercheunbref

instantcequ’elledésiretantmonmontreretlà,jelevois,aubasdesesreins.Sansmêmem’enrendrecompte,jemedécolledupandeboispourm’approcherdoucementd’elle.

J’ailecœurquipulseétrangementdanstouteslespartiesdemoncorps,commeunebouledeflipper.Sontatouageesttoujoursprotégéparunpansementtransparentetlapeauestencoreunpeurouge.

—C’est…c’estquoicommeplante?jel’interroged’unevoixsourde.—Du…dulierre.Mes yeux examinent attentivement chaque détail du tatouage. La plante grimpante a forcément une

signification un peumystique, connaissant Kate. Elle forme un « C » artistique aumilieu du dos quipourraitêtreaussilagardedecequiressembleàuneépée,sansvraimentenêtreunepuisqu’ellefinitparunepointeenformedeflèche.C’estcommesilaplantedessinaitunmessagecodé,imitantunglaivedontlapointesetermineàlanaissancedesesfesses.

Elleavraimentdûdéguster.Jesuisaccroupi,lesdoigtssiprèsdutatouagequejepourraisletoucher,maislacraintedeluifaire

malmeretientdelecaresser.—C’estpourçaquetuavaismalaudos?—Mhm.C’est…enfait,çaforme…—Uneflèchedefusilharpon.Jetermineàsaplaceensouriantcommeunidiot.—Ouiet…euh…L’initialedemonprénom.Lemessageestclair.—Jesais.Jelevois.Putaindebordeldemerde!Letatouagerestetrèsfémininetonpourraitpeut-êtrecroiredeprimeabordqu’ils’agitjusted’une

plante désirant grimper le long de sa colonne vertébrale :mais j’ai tout compris. Jeme relève etmedébarrassevivementdemaveste.MonT-shirtsuitrapidementlepas.

Jesuistatouésursapeau.Sapeauàelle.CelledeKate.Putain!Lorsquejecommenceàdébouclermaceinture,mapetitefemmese tournevivementversmoi,pour

s’écrier:—Chris!Maisqu’est-cequetufais?!Unsourirequejedevinecarnassierétiremabouche.—Jevaisprofiterdemoncadeaud’anniversaire.J’ôtemeschaussurespourenvoyerbaladermonjean.Jenesuisplusqu’encaleçon,quinecacherien

delapreuveflagrantedemondésirpourelle.Jetrouveçacomplètementcraquantqu’elleessaiedenepasregarderfranchementcetendroit-làdemonanatomie.Craquantetexcitant.Jedoisêtreunpeuperverssurlesbords.

—N’importequipeutentrer,Chris!Lepoucepointépar-dessusmonépaule,jerétorqued’untonàlafoissérieuxetmoqueur:—Tuveuxquejeleurdisedenepasnousdéranger?Leregardhorrifiéqu’ellemelancemefaitrire,maisunseulcoupd’œilsursesjambesfuseléestue

cetéclatsurmeslèvres.Mesyeuxremontentpourcaresserlerestedesoncorpsetfinalements’ancrerdanslessiens.

—J’aitrèsenviedetoi.Kateporteunemainàsagorgeetjeperçoissonhésitation,peut-êtremêmeundébutd’excitation;je

me faufile dans la brèche en laissant lentement courir mes doigts sur mon torse. Elle suit leursmouvementsde sesprunelles sipâles, si fascinantes. Jem’approchedoucementetmapetite femmenereculepas,cequiestbonsigne…enfin, jecrois.Lorsque jepeuxsentir lachaleurdesoncorps, je ladominedetoutemahauteur.

Ilyaquelquechosedesombrequi seglissedansmondésir, ledémultipliant. Jesaisis lepremierboutondesonshortetledéfais.Jemelèchemachinalementleslèvrespuism’attelleausecondbouton.Jereculesubitementafindem’asseoirsurlereborddulit.Pourcequej’aientête,c’estlapositionidéale.

—Chris,jepenseque…Jel’interrompsenl’attrapantparsonshortouvertpourlatirerbrutalementàmoi.Uncharmanthoquet

s’échappedesabouche.—Quoi?T’asvraimentpeurqu’onnoussurprenne?Un«oui»éraillémeconfirmequec’estbienlàsacrainte.Jedéboutonneletroisièmelascar,plutôt

récalcitrant.

—Ilsn’entrerontpas,Kate…oupeut-êtrequesi.Jerelèvelatêteetnosregardssenouent,électriques.Sansquejenelaquittedesyeux,mesdoigts

obstinésfontenfincéderledernierbouton.—C’estvraiqu’ilyapleindemondeàcôté,jechuchoted’untonsuave.Lesourirequisedessinesurmeslèvresn’ariendetendre,etpourtant,aulieudel’effrayer,ilsemble

l’hypnotiser.Toujourssans la libérerdupoidsdemonregard, jebaisseunpeubrusquementsonshort.Pas totalement, juste assezpourdévoiler son sous-vêtement : adieu culotte innocente, bonsoirdentellenoireaffriolante.Cettefois-ci,monsourireestclairementamuséetravi.Monregards’attachedenouveauausien:

—Oh,Kate…vilainefille.Cemurmuretaquinluifaitmonter lerougeauxjouesetellesecacheaussitôt lesyeuxderrièreune

paume.—Jet’enprie,pasdecommentaire.Un rire silencieuxme secoue. J’approchemabouchede sonbas-ventre, juste à la lisièredu sous-

vêtement,etluioffreunpetitcoupdelanguequilafaitfrissonner.—Chris…—Mhm?Unautre,maiscettefois-cisurletissulégèrementtransparent.—Je…jenecroispasquecelasoitunebonneidée…Troisième attaque, sur le duvet clair qui me nargue derrière sa fine barrière noire. Kate laisse

échapperunesortederâleténuàpeineplusbruyantqu’unerespiration.—Qu’est-cequin’estpasunebonneidée?Ma voix est si basse que moi-même, j’ai dûmal à la reconnaître. J’hésite à l’aider à se libérer

totalementdesonshortqui luientravelescuisses,oubienàlegarderpourla torturer.Mespaumesseglissentdumieuxqu’ellespeuventderrièreladentelleafindecajolersesfesses.

—Faireça…ici.Ou…—Ou?Toutenpressantcettepartiecharnued’elle,jel’amèneunpeuplusàmoietcettefois-ci,malangue

parvient à trouver ce délicieux chemin, restant sagement sur le tissu râpeux de la culotte.Kate planteimmédiatementsesdoigtssurchacunedemesépaules.Saréactionmefaitsourire,unsourired’animaldévoréparlafaim.

Jeréitère,toutenlevantlesyeuxpourlacontempler.Latêtelégèrementrenverséeversl’arrière,lespaupièrespresquecloses,laboucheentrouverte…toutenelleexprimeuncertainabandon.

—Ou…?j’insisteavantdeluimordillerdoucementlebas-ventre.Encorecetadorablehoquetpuissonregardvoiléselieaumien.—…verrouillelaporte?suggère-t-elledansunsouffle.Je recule un peu la tête pour pouvoir la scruter avec attention… puis lui refuse sa demande d’un

mouvementdegaucheàdroite.Jevoisclairementlapaniquelagagnerdenouveau,alorsjem’empressed’accentuermacaresse,laseulechosequisoitcapabledebalayersesappréhensions.Instinctivement,sescuissescherchentàs’ouvrirdavantagemaisellessontentravéespar leshort.LorsqueKatepousseunelongueplaintefrustrée,j’accentuelesva-et-vientsurcepointsensible,toujoursàtraversladentelle.Sesdoigtssontdésormaisentraindemartyrisermescheveux.Jesouffreégalement.Mondésirestentièrementconcentrédansmonérection,presquedouloureuse,maisjegardeencorelecontrôle.

—Chris!C’estunesupplique.Unordre.Uneprière.Jesaiscequ’elleveutet je le luidonneraisvolontiers,

néanmoinsunepartiedemoiy trouvesoncomptede lui faireatteindre leparoxysmedesonexcitationsans lui accorder davantage : je veux qu’elle se dépasse. Qu’elle désire plus. Qu’elle lâche prise.Qu’elleoubliequelaporten’estpasferméeàclefetquen’importequipeutnoussurprendred’uninstantàl’autre.Qu’ellemeveuilleenellemalgrélelieuinadéquat.

Ses mains quittent mes cheveux et je la regarde, satisfait, descendre d’elle-même son short. Sesjambes tremblent alorsqu’elle s’attaqueà sa culotte échancrée, et j’observe sonvisage sans réussir àcroisersesyeux.Quandenfinsesprunellessenouentauxmiennes,lalueursauvagequileshabiteattisemonenvied’elleetc’estmoiquimebrûle.Jecherched’unemainlepréservatifquej’ailaissétomberdiscrètementsur le litsans laquitterdesyeux,endéchireavecprécaution laprotection.Je libèremonérectionetmedéconnectebrièvementdesesmagnifiquesyeuxletempsdepréparercorrectement.Aprèsluiavoirsaisileshanches,jel’inviteàmechevaucher.Jeperçoissubitementsanervosité.Uncoupd’œilverssonvisagecrispémeconfirmequ’elleappréhende.Jeserre lesdentspuism’apprêteàendurer lasouffrance provoquée par l’effort incommensurable de ne pas la pénétrer directement. Je décide del’exciterdenouveauàl’aideduboutdemonérection,cequiestpourmoiunvéritablesupplice.Quandjesens qu’elle s’effondre presque sous l’attaque, en un coup de reins je suis enfin en elle. Ses brasencerclentaussitôtmanuqueetjesenslecontactdesonhautdorécontreunepartiedemontorse.Nousnesommespastotalementnusl’unetl’autre,etc’estétrangementexcitant,presqueautantquel’idéed’êtresurpris,quidonnaitdéjàcettepetitesaveurd’interdit.

Lesmainstoujourssurseshanches,jel’inciteàs’éloignerunpeu.Àregret,parcequej’aimequandelle s’accroche àmoi de cettemanière. Je luimontre comment bouger dans cette position, les doigtsplantésdanssapeau.J’ailamâchoirecontractéeàforcederésistercontreledésirbrûlantd’accentuerlerythmedesesondulations.DèsqueKates’enhardit,laissantsoninstinctconduireladanse,jem’autoriseà pencher un peu la tête en arrière, mon regard dans le sien. Nos respirations ressemblentprogressivement à des gémissements.Nous ne nous sommesmêmepas embrassés une seule fois et çadonneuncôtéplusrude,plusviolent,plus«baise».JedétestecemotpourévoquerKateetmoi,maisdanscecontexte,çaréduitmonespritencendre.C’estterriblementbon.Ellequim’enserreàsaproprecadenceetjepeuxl’admirertoutmonsoûltandisqueleplaisirs’inscritsursonvisage.C’estvraimentbeau.Elleestvraimentbelle.

Puisvientl’instantoùjen’ytiensplus.Jeveuxplusd’elle…plusfort.J’ailatêtedanslesflammes,lecorpsraided’unbesoinaussipuissantqu’avide,vraimentbestial.

Jel’entraînesurlelit,lacouchesurleventre.Ellemelaissefairemaishoquetteunenouvellefois.J’embrasse son dos ; je voudrais tant lécher son tatouage. Cette marque qui prouve au monde entierqu’ellem’appartient.Jelaprendsdecettemanière,pourluidémontrerqu’elleestàmoi.C’estuninstinctprimalquimeguideetquidoitremonterauxoriginesdel’humanité.Noscrisoscillententregrondementsetgémissements, ils semélangent au rythmedemescoupsde reins. Jemurmure sonprénom, telleunelitaniemagique,commesijenemesouvenaisderiend’autre.Ellesecontracteautourdemoietlefaitdecomprendreque jeviensde lui donner sonpremierorgasmede cette façon, çaprécipite lemienet jem’effondre sur elle, secoué comme jamais je ne l’ai été, la respiration haletante, dévasté par lajouissancelaplusfulgurantedetoutemavie.

—Joyeuxanniversaire…,souffle-t-elle.Cettephraseimprobablemedéclencheunfourire,qui lui-mêmenousarracheaussitôtdesplaintes,

autant à elle qu’à moi, toujours prisonnier de sa chaleur humide et tendre, malgré la protection dupréservatif.

Jeme retire pour rouler sur le côté afin deme débarrasser de ce dernier.Un bref regard dans sadirection durant l’opérationme révèle qu’elle reste allongée sur le ventre etm’observe entre ses cils

abaissés.—Espècedebrute.Elleaprononcécesmotsàvoixbasse,avec lascivité.Êtreà l’originedecette intonationsexyme

procureuneflambéed’arrogance.Jehausseunsourcil.—Tun’as pas aimé ? je l’interroge en feignant l’innocence, alors que je sais qu’elle a beaucoup

apprécié.Katesecacheillicolevisaged’unemaintandisquel’autreesttendueversmoi.—Jeneveuxpasterépondre!Je ris une nouvelle fois tout en rampant jusqu’àme placer au-dessus d’elle, comme si je désirais

subitement faire quelques pompes. Mes doigts dégagent rapidement sa nuque afin que je puissel’embrasseràcetendroitprécis.Puismeslèvresdescendentpourretrouvercefabuleuxprésentqu’ellem’aoffert.Lepremierdugenre…etilmegalvanise.

—J’adoremoncadeau,jeronronne.—J’espèrebien!s’exclameKate,d’unevoixétoufféeparlacouverture.Jesourisbêtementenledétaillant.Jenepourraisjamaism’enlasser.D’ellenonplus,d’ailleurs.Je

déposeensuiteunepluiedebaiserssursondélicieuxpostérieurdont laseulevuesuffità ravivermonsecondcerveau,décidémentjamaisrassasié.Ilordonneàl’unedemesmainsdesefaufilerlàoùunchantdesirènel’appelle.

—Chris!megrondemapetitefemmeenluibloquantl’accès.Jepressemoncorpscontrelesien,afinqu’ellesentebienquejesuisdéjàprêtpourunsecondround.

Katepousseuncriquihésiteentre le rireet lapanique.Lorsqu’elle tentedem’échapper, je lacouvrecarrémentdetoutmoncorps.

Jepenchesuffisammentlatêtepourquenosregardsserencontrent,tandisquemonsexeenérections’appuiecontresesfesses.Ellemelanceuneœillademi-figue,mi-raisin.

—Commelesscouts…,commence-t-elle.Jesouris.—…toujoursprêts!jetermineavantdeluiembrasserleboutdunezetmefrotteràellesansaucune

pudeur.Descoupsfrappésàlaportenousfigentl’unl’autre.—Bordel!Chris!râleJo.J’éclatederiresanspourautantlibérermaproie.—C’estmachambre,ducon!Tufaischier!—Jesuissûrqu’elleavupire,tapiaule!M’emmerdepas!jerétorqued’unevoixforte.UnmouvementdeKate,toujourssousmoi,m’arracheungrognement.J’entendsmonamimarmonner

pendantquemabelleessaiedetrouveruneouverturepours’échapper.—T’asintérêtàchangerlesdraps!m’ordonne-t-ildepuisl’autrecôtédelaporte,unrienmenaçant.J’adresseunregardsuppliantàKate–autantpourluidemanderd’accepterundernierpetitcoupvite

fait, bien faitquepourm’aider à changer ensuite lesdraps–elleme foudroie en retour. Jepousseunsoupir,vaincuetexcitéàmort;jelarelâche.

Néanmoins,jedécidedemevengerdesonmanquedecoopérationassezévident.Jemedébarrassedemon caleçon puism’allonge sur le dos, les bras croisés sous la nuque, lemembre aussi dressé qu’undrapeaudansunecaserne. Je la fixepartir à la recherchede sapetite culotte, savourant à l’avance lemomentoùsesyeuxvontseposersurmoi.

C’est de toutes mes dents que je souris lorsque ses mirettes se transforment en soucoupes endécouvrantàquelpointellemefaituneffetdedingue.Ellenepivotepasassezvitesurelle-même;j’ai

euletempsdenoterlateintedesonvisage:rougecerise.—Maisqu’est-cequetufabriques?!grommelleKate,enessayantdecachersontrouble.Parcequ’elleesttroublée.Jelesais.—Mapetitefemme…Jesaisbienquecelavatefaireunchocintense,maislesbébésnenaissentni

dansleschoux,nidanslesroses.Ellelâcheunjurontoutenenfilantmaladroitementsonshortpar-dessussonsous-vêtement.Jepoursuis,suaveetmoqueur:—Enfait,pourfairedesbébés…Fautunequeue,enfin,unpénisenérection.Jebaisseunbrefinstantlesyeuxsurmonproprematosquirefusedepasserenmoderepos.—Chris!elles’étrangle.Elleseretientpéniblementderiremaismetourneobstinémentledos.—Etilfautégalementunvagin.Là,c’estàtoidejouer.Jetapotelematelasdemanièreaudible.—Allez,allez…Jesuissûrqu’uncourspratiquedebiologiedevraitgravet’aiderpourlafac.Ellesetournedansmadirectiond’ungestebrusqueetjevoisbienqu’ellehésiteentrem’insulterou

s’esclaffer.Jehausseunsourcilpuisreplacemesbrassousmanuquesanslaquitterdesyeux.—J’peuxpasretournerlà-basdanscetétat,monépouse.Ellem’imiteenarquantelleaussiunsourcil,lesmainssurleshanches,toutenfaisantbienattention

denepaslaissersonregards’égarerauniveauinférieurdemonanatomie.—C’estquoicechantageàdeuxballes,petitmari?— Oh, oh… – je souris. Y’a rien de « petit » chez ton époux, femme. C’est bien le problème,

d’ailleurs,là,toutdesuite.Maistusaisdénombrer,jesuisfierdetoi…deuxballes,ouais,lecompteestbon.Tuméritesd’êtreàl’écoledesgrands.

—Salaud!s’écrie-t-ellepourensuitebondirsurlelit.Instinctivement,jelaréceptionneparlataille,àboutdebras,etunefoiscertainquesonpostérieurne

vapasdétruiremonoutillagereproductif,jedétachelentementmesdoigts.Kateestau-dessusdemoi,sesgenouxcontremeshanches.Siellenes’étaitpasrhabillée,j’auraipu

m’enfouirenelleetj’enmeursdefrustrationàcetinstant.Jeneredressequelatêteet,lesyeuxétrécis,jesusurre:

—Jeconnaisuntrucvieuxcommelemondepourm’aider…T’enes?Ellemeretourneunregardsuspicieux.—Jem’attendsaupire,avectoi…J’affiche immédiatement une expression innocente mais mes doigts agiles profitent de ce moment

d’inattentiondesapartpoursaisirlessiensetlesposersurmonmembreraide.—Coursdebiologiemasculine…go!jechantonne.Kateparaîtdéconnectéeetnesaitvisiblementpluscomment réagir.Tantque jenesuispascertain

qu’ellenevapasretirersamain,jegardelamiennedessus.Cecontactàluiseulestprochedemefairegrimperaurideau;lesyeuxpresqueclos,jel’observe.

—Embrasse-moi,bébé…J’aimurmuré cettedemanded’unevoix rauquependantque j’imprimeànosdoigts jointsde longs

mouvements de va-et-vient sur mon sexe. Ça a le mérite de la sortir de cette espèce de transe danslaquelleelleétaitplongée.

Ellehésiteunpeupuiss’inclinedemanièreàpressersabouchesurlamienne.J’ouvreaussitôtleslèvres,commepourl’encourageràprendrel’initiative.Mapetitefemmes’exécuteetjeperçoistrèsvite

lapointedesalangue;toutentimiditémaisçam’excitedavantagequesielles’étaitmontréeexperte.Jepasseàuntemposupérieurdanslerythmedelacaresseet, lorsquejesensqu’ellegèretrèsbientouteseule,retirelentementmesdoigtspourprendresonvisageencoupe.Kates’ensorttellementbienquejen’arriveplus àmemontrerpatient et envahit sabouchecomme j’aime le faire avec elle. J’interrompsnotreéchange,letempsdelaféliciterd’untonsourd,auborddel’implosion:

—T’es…vachementdouée,mafemme.Maiscecomplimental’effetdeluifaireperdresaconcentrationetl’accidentdeparcoursestunbrin

douloureux.Kates’enrendcompteetsetétanise.—Par-pardonChris!Jesecouenégativementlatête.—Çaarrive.Vas-ydoucement…enfindoucementdanslegeste,maisplusrapidedansle…ahaaa…

putain!Ouais!Commeça!Putaindebordeldemerde!Jeserrelesdents,incapabledelaregarderenfacetantjesuisparasitépardesdésirsquejenepeux

pasluiimposermaintenant.C’estunevierge…jedoisyallerdoucement.Putain,quec’estbon!—Net’arrêtepas!Ilyauneurgenceférocedansl’inflexiondemavoix,maisjenepeuxrienyfaire.Jemeretiensdéjà

deluiarrachersonshort,oudeguiderfranchementsatêteverscetorganequidevientlepointcentraldemoncorps.Gravitéinversée!

Soudain,jesenslalibérationveniretjel’accueilledansungrognement.—Jet’aime,bébé!Jesuisàl’agonieetjemerépandsdanssesdoigts,dansunétatprochedelabéatitude.Jel’embrasse

avecdouceur;j’ailecœurapaiséetc’esttrèsrare.—T’esàmoi–jechuchoteentredeuxbaisers–tuserastoujoursàmoi.Lesderniersmotssonnentdansmabouchecommeuneaffirmationetcettesalopedepetitevoix,celle

quiseplaîtparfoisàmetorturerdansmoncrâne,ricaneméchamment.Jeluiécraselagueule.Katesouffleun«oui»avantdepresserseslèvrescontrelesmiennes.Levraibonheur,c’estdene

plussouffrir.Etcetteréponsedesaparteffaceladouleur.Unefoisderetouràl’appartement,jenepeuxpasm’empêcherdelasuivredesyeux.Toutm’éblouit.

Safaçondemarcher,dereplacersescheveux,mêmelestracesdefatiguesursonvisage.Jel’accompagnejusqu’ànotrechambreetmedéshabilletandisqu’elleenfaitdemêmedesoncôté.Jemerésigneenlacontemplant enfiler son vieux bas de jogging ; j’aimerais qu’elle soit du genre à dormir nue… enfin,surtoutquandjesuisaulitavecelle.

Ellesepelotonnedansmesbras,cequej’accepteavecempressement.C’estainsiquelemondedoitêtre…toujours.

Katherina

Troischosesmeréveillent.Lapremière,c’estlebrasdeChrisentraversdemagorgequim’empêchede respirer normalement. La seconde : le chant de la sonnette. La troisième semélange de façon trèsdésagréableàladeuxième:c’estcesatanéradioréveil!

C’est lorsque jemedemandepourquoiest-ceque j’aibienpu leprogrammerencebeaudimanchematinquelepique-niqueavecJuliettemereviententête.

JerepousselebrasdeChris.J’éteinscemauditréveiletm’extraisdulitavecl’éléganced’unoursqui sort tout justede sonhibernation.Lesyeuxmalouverts, jemedirigecommeuneautomatevers laported’entrée,toutenzigzaguantpouréviterlebazarquemoncherlogeurs’appliqueàmettrederrièrelui.Ilressembleàunouragan,mêmequandilchercheseulementsesclefsdevoiture.

LorsquelevisagedeJamieapparaît,j’aiunmomentdevidedansmonesprit.—Jamie?!Maisqu’est-ceque…?Ilgigoteunpeu,malàl’aise.— Je voulaism’excuser pour… le comportement demamère. L’autre fois.C’étaitma faute alors

que…bref.Jem’efface pour l’inviter à entrer : j’ai besoin de boire un café pourme réveiller complètement,

j’écouteraisesexplicationsensuite.—Tuveuxuntruc,unchocolatchaudou…,jecommenceenmarmonnantavantd’êtrecoupéedans

monélanparl’apparitiondeChrisseulementvêtudesoncaleçon.Il m’adresse un sourire adorable, mais qui se désagrège à une vitesse étourdissante lorsque son

regardrepèreJamiederrièremoi.—Tufousquoichezmoi,l’morveux?Le fort tauxd’agressivitédans savoixmedonneenviede soupirerde lassitude. Jamien’estqu’un

gamin…Quandest-cequ’ilsedécideraàlecomprendre?—Quelaccueilchaleureux!Tuesunhôtedegrandeclasse,mec! ironiseJamieenenfournant les

mainsdanssespoches.JelanceuneœilladeàChrisenguised’avertissement,etilsefaitundevoirdel’ignorer.Adieubonne

humeur…bonjourmonsieurgrognon.—Ilestvenus’excuserpourl’attitudedesamère,j’expliqueaveclapatienced’unmoinebouddhiste.Chrismerenvoieunregardpeuamène.—Letéléphone,c’estpasfaitpourleschiens.Jelèvelesmainsenl’airensigned’impuissancetoutenmedirigeantverslacuisine.—C’estnotrevoisindepalier!J’argumente tout en sachant pertinemment que rien de ce que je pourrais dire ne parviendra à

traverserlebrouillarddesonentêtement.Lesdeuxmesuivent.Chriss’emploieàseplacerentreJamieetmoi.Untelcomportementpuérilmemetdemauvaispoil.Jepréparelecafé,metsenmarchelamachinesousl’œild’aigledemoncherettendre.

—Tuaspeurquejemeperdeentreletiroirdedroiteetceluidegauche?Ilsepositionnejustedansmondos,siprèsquejepeuxfacilementpercevoirlachaleurquisedégage

desoncorps.Jeregardesesdoigtss’agripperàlafaïence,m’emprisonnantvolontairementdansl’espacedesesbras.Sarespirationestprofonde,lente,commes’ilcherchaitàgarderlecontrôle.

Moncœur rateunbattement surdeux. Jen’aipaspeurde lui, justede ses« crises»de colère, àdéfautdepouvoir lesnommerautrement.J’aisouventcettequestionqui revient, telunressacobstiné :« Est-ce qu’il est furieux, là ? » et l’incertitude qui suit cette interrogation m’empêche de respirernormalement.Chrisestdéfinitivementimprévisible.Sijedevaislecompareràquelquechose,ceseraitauciel:uninstantd’unbleuchaleureux,lasecondesuivante,noirdegris,annonciateurdetempête.

—Tumefaisuncafé?Jefermelesyeux,soulagée.Jeneveuxpasqu’ils’énervecontrecepauvreJamieparcequ’ilsesent

ridiculementendanger.—D’accord.Après,jedoismepréparer.Ils’écartedoucementpendantquenotrejeuneinvitéseraclelagorgepourrappelersaprésencedans

lacuisine.—Tepréparer?Pouralleroù?Il y a une tensionpalpable dans l’intonationde la voix deChris. Je verse le café dans nos tasses

respectiveset,aprèsluiavoirpassélasienne,jesucrelamienne.—Pique-niqueavecJulietteàlaparoisse.—Tunem’avaisriendit…Çadérangesijeviens?—Jamie?Tuveuxunchocolatchaud?—Uncafé,çameconvient,merépondsobrementl’adolescent.Jemetourneenfin.Jamies’estassisàlatableenformica; jeluitendsunmugremplidubreuvage

ameretdéposeégalementlaboîteenfercontenantlesucredecanne.J’oseaffronterleregarddeChrisetn’ydécèleriendeparticulier.— Bien sûr que tu peux venir… j’ai juste pensé que tu trouverais ça barbant. Moi je trouve ça

barbant,j’ajouteaprèsunecourtepausedurantlaquellej’avaleunpeudecafé.Soudain,levisagedeChriss’éclairecommes’ilavaitunepenséeparticulièremententhousiasmante.

IlpivoteversJamieetcedernierseraiditinstinctivement.Jelecomprends,lepauvre.—T’eslibre?L’adolescentluirenvoieunregardsuspicieux.—Pourquoifaire?Mon machiavélique logeur boit une longue gorgée de café, tandis que son sourire diabolique est

perceptiblederrièrelatassecolléecontreseslèvres.Qu’est-cequ’ilaentête?—TuveuxveniravecnousrencontrerlajeunesœurdeKate?Ah!Voilàdoncsonplan…aussidiscretqu’unéléphantdansunmagasindeporcelaine.LesyeuxdeJamies’agrandissentetunelueurd’intérêtlesillumine.—Justement…en fait, si jeme suis incrusté chezvous, c’était pour éviter lenouveaumecdema

mère,avoue-t-il,leregardfuyant.Jeveuxbienveniravecvous.Unsilencecompatissantaccueillesadéclaration.Uneheureplustard,jesuisvêtuedemonsiconfortablejeanbaggy,d’undébardeuretdemonsweatà

capuche.Chris, lui…est égal à lui-même : sexyendiablemêmeavecdesvêtementsusésqui feraientnégligés surd’autres.Sonblousonencuir,unT-shirtnoir, son jeanpresqueaussi largeque lemienet

effilochéàplusieursendroits.Jamieasagementattenduqu’onseprépare,assissur lecanapé.Lorsquenotre conducteur le dépasse en lui faisant signe de se lever sans même le regarder, l’adolescent,probablementpresséderencontrermapetitesœur,luiobéitsansréfléchir.

Chrisouvrelaporteetlepoussepratiquementdevantlui.Quandc’estmontour,iltirebrutalementsurmonpantalon,auniveaudelataille.Jeluijetteunregardagacé.

Sourireinnocentpourlui.—Simplecheckd’usage…encoreplusmaintenantquetumetsdespetitesculottesdecochonne.Jeréussisl’exploitdem’étrangleravecmapropresaliveetvérifierapidementducoindel’œilque

Jamienel’apasentendu.Non,ilpatientequelquesmarchesplusbas.L’ascenseurdanscetimmeubleestunecalamité,surtoutendescente.Àcroirequ’ilaprislepartidudépartementdelasantédupaysennousobligeantàpratiquerunminimumdesport.

Chrissifflotejusqu’àcequenousatteignionssaPontiac.Là,ils’arrêteetchopeJamieparl’oreillequi grogne mais ne se débat pas. Sous mon regard interloqué, il le trimballe ainsi pour ensuite luidésignerdesesdoigtslibresl’ailedesachèrevoiture.

—Turemarquesquelquechose,lemioche?Jamieselibèred’unebourradepuissefrottemachinalementl’oreilletoutenluilançantuneœillade

assassine.Jesupposequec’estdavantagesonegoquiasouffertquesonlobe.Chrisinsisteetréitèresonmouvementdemain,lessourcilsarqués.L’adolescentsedécide,ensoupirant,d’examinerlacarrosseriepourfinalementseredresseretsecouernégativementlatête.

—J’voisrien,annonceJamie.Chrisopinevigoureusement.—Voilà,c’estça:tunevoisrien.Plusaucunetracedetagerbe.Tumedoisunpolish,lemorveux.

Ne crois pas que ce sont des paroles en l’air. La prochaine fois que mon petit bébé a besoin d’unnettoyage, tu vas t’y coller… et dans la joie… le bonheur et l’allégresse. Comme si rien d’autre nepouvaittefaireplustriquerquedelalustrer,pigé?

Jamielefixelesyeuxronds,laboucheouvertedestupéfaction.—Sinonquoi?dit-ilenfin.Monorageuxamoureuxsepencheverslui,unrictusmauvaisflottesurseslèvres.—Sinonj’tebotteleculaupointoùmêmet’asseoirseraunsupplice.Jamieseredresse,croiselesbrassursonmaigretorsepuishausseunsourcil.—Quandjeregardetonvisage,j’émetsdesdoutessurtacapacitéàme«botterlecul»commetu

dis.Je sourismalgrémoi. Le gamin est rusé et jeme retiens violemment de rire. Chris s’humecte les

lèvresetsepincel’arêtedunezpourinspirerprofondément.—OK.Jereconnaisquej’enaichiéavecceluiquim’adécorélaface…Lateinteanormalementsombredesesprunellesquandilplantedenouveausonregarddansceluide

Jamieeffaceimmédiatementmamimiqueamusée.—…maiscetype,lemorveux,ilfaisaitpresquedeuxfoismatailleetnotrepoidsàtouslestrois

réunis.GenreTerminatorirlandais.Laquestionquetudoisteposerestcelle-ci:demande-toidansquelétatilestsimoijemetiensdevanttoienunseulmorceau.

Jamiedevientpâlecommeunlingepuisacquiescedoucement:ilacompris.—Jenettoieraitacaisse,lâche-t-ild’unevoixblanche.Enréponse,Chrisretrouvesagaîtéetluitapotemêmegentimentlesommetducrâne.—Bravepetit.Ildéverrouillesaportière,ensuitelamiennepuiscelledelabanquettearrière.

— En route ! lance-t-il, comme si l’idée d’aller pique-niquer avec des prêtres lui procurait unbonheurincommensurable.

Jesuisentraindebouclermaceintureensilence.Lessautesd’humeurdeChrismeperturbentplusquejenelevoudrais.Ilposeunemainpossessivesurmacuissetoutenm’adressantunsourireencoin.

—C’estoùlerepasaveclescuretons?Jemeraclelagorge.—Leparcderrièreledortoiroùtum’asrécupéréelapremièrefois.Chrisopinepuisdémarrelemoteur.—Maispourquoitafrangineparticipeàcegenredetrucs?m’interrogeJamie,curieux.—Parcequ’elleveutdevenirnonne,j’expliqued’untonmorne.Lesonqu’éructenotrepassageràl’arrièreressembleàunrireétouffé.Chrishésiteàfairedemêmeet

je le contemple, de profil, semordre la lèvre inférieure pour éviter de s’esclaffer franchement.Leursréactionsm’énervent.Moi, je ne trouve pas ça drôle. J’ai le sentiment impuissant qu’elle s’apprête àgâchersavie.Jem’agitesurmonsiège.Chriss’enrendcompteetsesdoigtsviennentunenouvellefoispresserma cuisse. Ce geste affectueux est un rien farouche. Je fixemon regard sur la circulation quidéfileau-delàdemavitre.Messœurs…quandils’agitd’elles,j’angoissetoujoursdenepasréussiràfaire aussi bien que notremère.Déjà, j’ai essayé de joindre plusieurs foisMel, sans succès. Elle nerépond ni à mes coups de fil, ni à mes messages. Je vais finir par devoir aller directement chez ce«fameux»Ronanpourenfinsavoircequ’ilsepasse.MaisjedoutesérieusementqueChrismeconduiragentimentchezlui,sansémettrelamoindreobjection.Jeporte,sansypenser,monpouceàlaboucheafind’enmaltraiterl’ongleavecmesdents.

MarelationavecChris.LeretourdeKurt.Mesétudes.Leboulot.Meletsonamourmalsainpouruncaïddelamafiarusse.Julietteetsondésird’entrerdanslesordres.

C’estvraiment…étouffant.Parfois,j’aicetteidéequimetraversefugacementl’esprittelleuneétoilefilante : celle de tout plaquer et m’enfuir. Tout laisser sans un seul regard en arrière. Une éphémèreétincelled’enviepousséeparl’épuisementdegarderlatêtehorsdel’eauenversetcontretout.Ramasserchaqueproblèmeàlapelle,commecesbagnardsd’antanenchaînésàleurbouletquilèventdescaillouxdel’aubeaucrépuscule.J’aimeraisquecelas’arrête…j’enpeuxplusdetoutecettecaillasse.

—Hey,petitefemme?JemetourneversChrispourclignerdespaupières,surprise.Ilmesourit.—Nousysommes…Ànouslespetitsprêtres.J’essaie de lui rendre son souriremais vu son froncement de sourcils, le résultat ne doit pas être

terrible.Uneportièreclaque;c’estJamiequiestsortidelavoiture.—Quelquechosenevapas?Est-cequejepeuxtenterune«amorce»?—Jen’aipasdenouvellesdeMeletçam’inquiète.Chrisdétournelatête,samainquisetrouveencoresurlevolantdesaPontiacsecrispantexactement

enmêmetempsquesamâchoire.—Tuveuxquejem’enoccupe?mepropose-t-ilaprèsunbrefmutisme.Avantderépondre,j’essaiedetrouverlesbonsmots,ceuxquinelebraquerontpas.—C’estgentil…Maisc’estmasœur.Jevoudraisvérifierparmoi-mêmesiellevabien.Ilmefait«non»delatête.S’ilavaitaccepté,celam’auraitsincèrementétonné.—C’esttropdangereuxpourtoi, là-bas.Jeneplaisantepas.Ilpourraitteforceràresteraumusée

deshorreurs.Jeme raidis. Je sais qu’il a raison. Ce n’est pas comme si j’ignorai les risques, ou que jem’en

fichais.J’optepourunreplistratégiquetemporairetoutenouvrantmaportière.—Onenrediscuteraplustard,jemarmonnepourensuitesortirdelavoiture.Chrisnetardepasàmerattraperpendantquejem’avancesurlepetitsentiersinueuxmenantauparc

del’ÉgliseSainteMarie,àlaquellemadouceJuliettevoueunamoursansborne.Jamienoussuitdeloin,lesmainsdanslespochesdesonjean;ilsembleunpeunerveux.

JechercheJuliettedesyeuxetlarepèrefacilement,elleetsachevelurepâle.LepèreStefanestàsescôtésetmoncœurseserre.Jesuisconscientequ’ilnousaétéd’unegrandeaidedurantlapériodenoiredenotrevie,maisjeleconsidèrecommeunpoisonquisedistilledansl’espritfragiledemapetitesœur.Jelesoupçonned’êtreunexaltédeladoctrinequ’ildissémineavanttantdegénérosité.Unbrasseposesurmesépaules tendues.C’estChris.Sentir sachaleur, soncorps rassurantprèsdumienm’aideàmedétendre. Iln’apasbesoindeparlerpourque j’aie le sentimentd’êtreà l’abridudanger. Jepourraisdevenirtrèsvitedépendantedecettesensation…moiquiaiedûnecompterquesurmoi-mêmepourmeprotéger, depuis tellement longtemps que je ne me souviens plus vraiment de ce que c’était que depouvoircomptersurquelqu’un,avantdel’avoir,lui,dansmavie.

Nousavançonslentementsouslesregardscurieuxdesautresinvitésàcepique-niquehorsdutemps.On vient de franchir une ligne invisible qui nous propulse à une époque bigote. Des cols sages, desexpressions soi-disant bienveillantes… des faux-semblants, surtout, ouais ! Un summum d’hypocrisiejamais atteint. Combien de ces gentils pères de famille tabassent leurs femmes dès la nuit tombée ?Combiendemèresindignesoublientleursenfantspourcoucheravecmonsieurlejardinier?Combiendeparentsrenientleurprogénituredontilsétaientpourtantsifierspourleslaissermourirdefaim,quelquepart,sousunpont?Justeparcequ’ilsnesontpasdevenuscequ’ilsauraientaiméqu’ilssoient?Maisaujourd’hui, c’est dimanche alors, après lamesse, ils jouent aux bons chrétiens pleins d’empathie. Jen’iraispasjusqu’àaffirmerquetouscachentleurvéritablenature,non.Peut-êtrequedanslelot,ilyenacertains vraiment investis, persuadés de gagner leur salut dans cette dévotion aveugle envers unDieuqu’ilsn’ontjamaisvu.Seulement,dansleursyeux,encetinstantprécis,cequenousreprésentons,Chrisetmoi,c’estunappelaubénévolatquisetientdebout.Unesortedemission.Ilssontlanormalité,quantànous…noussommescettepartiedelapopulationvitenégligéedèsquelelundipointeleboutdesonnez.C’est écœurant. Révoltant. Je n’ai pas envie de laisser Juliette entre les mains de cette bande defanatiquesengluésdansleurspréjugésnocifs.

—C’estbientasœur,là,non?J’opineetsonétreinteseraffermit.Lerestedecemémorablemomentsedérouledansuneambiance

unpeusurréaliste.JamiedévorantdesyeuxJuliettequirougitàchaqueœilladeénamouréeunpeutropappuyée.LepèreStefanetsasollicitudeexacerbée:«Tunetravaillesplusaurestaurant?»«Pourquoies-tupartiedudortoir?»«Tonnouvelemploi?»«Tesétudes?».

Lemeilleurinstantdemeureceluioùilcomprendquemonlogeurestaussimonpetitami.Unesortedejoiemauvaises’emparedemoietjepousselevicejusqu’àembrasserChrissousleregardchoquédesconvives,lesieninclus.Jamaisjenemelasseraidecetteexpressionnettementréprobatricequ’ilafficheimmédiatement.

Finalement, la séance poulet froid se termine sans incident. Après une dernière embrassade avecJulietteetlapromessedel’appelerplussouvent,l’échangedenuméroentreJamieetellesousleregardsatisfait de Chris, nous déposons l’adolescent, complètement aux anges, au bas de notre immeublecommun.

Une fois qu’on se retrouve seuls, je remarque queChris ne coupe pas lemoteur, et je lui jette unregardinterrogateurauquelilrépondparunsourireunrienfacétieux.

—Sionpartaitenvadrouille,touslesdeux?

—Tuveuxdire…commeunrencard?Ilhochelatête,visiblemententhousiaste.—Où?Chrishausselesépaulestoutenparaissantréfléchir.—Mangeruneconnerie…Undessertdignedecenomaprèscettebouffeimmonde?Uncinéensuite?

L’inverse?FaireunesortiedecoupleavecChris…Jenesaispas.Leconceptenlui-mêmeestsacrémentétrange!—Situveux…,jebredouille,priseaudépourvuparsaproposition.Déjà, la foisoù ilm’avaitsuggéréunebaladeà lamer, l’imagedenousdeuxmarchantaubordde

l’eaudevantlesoleilcouchantm’avaitfilédesaigreursd’estomacs.C’esttellementpeului…peumoi.Heureusementqu’ils’étaitcomportécommeunvraisalaudlaveille,celam’avaitévitédecéder.

Ilmedédieunsourireéblouissantscindantpresquesonvisageendeux.J’ailesoufflecoupéparuntelbonheurenfantin.

Chrism’emmène en centre-ville pour garer sa voiture dans une allée qu’il estime sans risques, àl’abri des petitsmalins qui pourraient être tentés par ce véhicule de collection.Tandis que nous nouséloignons,ilnecessedeseretournerpourluilancerdepetitscoupsd’œil,sanspourautantmelâcherlamain.Ildonnel’impressiond’abandonnersonenfantaubordd’uneautoroute!

C’estcurieuxdeme tenir sur le trottoir à sescôtés,mesdoigtsmêlésauxsiens, commeuncouplenormal. Je ne sais pas pourquoi je trouve cela « absurde ». Soudain, il s’arrête pour fixer l’enseigned’une boutique. Je l’imite. C’est un vieux disquaire.À l’époque duMP3, oùmême lesCDs sont uneespèceenvoiededisparition,laprésenced’untelmagasindanslapartielaplusrécentedenotrevillesembleunpeuhorssujet.

—Çateditqu’onyentre?propose-t-ilaveclatêted’ungaminquiveutfaireuntourdansletrainfantôme.

Jehausselesépaulespuisluisourisenretour.—Jenetesavaispasadeptedesvinyles.Chrissecouelatête.— C’est pour ma mère. J’aimerais lui trouver un trente-trois tours du groupe Scorpions. Je me

souviensqu’ellelesécoutaitàlongueurdetempslorsquej’étaisgosse.Jepressesamain.Maisalorsquenousatteignonspresquelaboutique,monregardestattirépartrois

énormesHarleyDavidsongaréesprèsde l’unedesvitres.D’instinct,mes jambes refusentd’allerplusloin.Chris s’en rend compte etme jette un coup d’œil interrogateur. La salive désertema bouche enquelquessecondes.

—Tuneveuxpasplutôtqu’ongrignoteun trucavantd’écumer les rayonsdecedisquaire?J’aiàpeinetouchéaupouletdupique-nique…

Jeletire, lapaumemoite,pourleguiderdanslesensinverse.Parcequelerésultatdel’équation:BlackAngels+Chrisestd’unesimplicitéàpleurer,etpasdejoie.

À mon grand désespoir, il ne semble pas prêt à me suivre, bien au contraire. Mes paupièress’abaissentetjemeretrouve,moi,àpriertouslesdieuxdisponiblesdem’accorderunrépitdivin,entredeuxcatastrophes.

—Kate,pourquoitufais…,commence-t-il,avantd’êtreinterrompuparuncauchemarvivant.—Hey!C’estpasmisslaitfraise?Merde. Vraiment… J’aimerais que la fatalité arrête de s’acharner sur ma pauvre carcasse, juste

question d’apprécier une toute petite heure de vie « normale ».Don…Don-le-Black-Angel qui adore

«donner»simessouvenirssontexacts.QuandmesyeuxcroisentceuxdeChris,jedevine,non,jesaisquelasuitedesévénementsrelèverad’unsigneprécurseurd’apocalypse.Sesdoigtsseresserrentsurlesmienspendantqu’ilsetourneversletypeadossécontrel’encadrementdelaportedudisquaire.Lesbrascroiséssurletorse,ilasurluicegiletdecuiràl’effigieduclubdontilfaitpartie,par-dessusunevesteenjeanayantconnudesjoursplusglorieux.

—Tuleconnais?s’enquiert-ilsanscesserdefixerDon,àmoinsdedeuxmètresdenous.—Sionveut.Là, Chris pivote lentement la tête dansma direction. Les traits de son visage sont désespérément

neutres.—Commentça?J’inspirelonguement.—Leprésidentdeleurclubdemotardsest…enquelquesorte,unmembredemafamille.Ilhausseunsourciletl’éclatfroiddesesprunellesgrisesmerendnerveuse.—Enquelquesorte?répète-t-ild’untongrave.—C’estlefrèreadoptifdemamère.Un silence aussi épais que la muraille de Chine nous cerne à nous étouffer. Les secondes qui

s’égrènentavantqu’ilnereprennelaparoleserévèlentinterminables.—Tuasdes…soucisaveceux?Je comprends parfaitement ce qu’il entend par « soucis », alors je lui fais doucement signe que

«non»delatête.—Fautjustelesignorer,Chris.Ilnerépondpas,sonregardplongédanslemien.Unfolespoirfaitroulermoncœurpalpitantdansle

niddemacagethoracique,etjetente:—Onlesnobe,ontraceloindecetteboutique…C’estlameilleurechoseàfaire.Chrisrestetoujoursétrangementmuet,fouillantmonâmeàlarecherched’unechosequej’ignore.—Tumedemandesdefuirunmecqui t’interpelleen temanquantderespect,et laqueueentre les

jambesenplus?Ilaquasimentpasséchaquesyllabeauhachoir,etsoudainc’estunvéritableétauquiemprisonnemes

doigtstandisqu’ilm’obligeàlerejoindred’ungesteferme.Unefoisquejesuisassezprochedelui,ilentouremoncoud’unbraspossessifpourpenchersonvisageprèsdumien:

—Sijetelâche…tutereculesleplusloinpossible.Pigé?J’opinetandisquemonsangdécideneplusavoirlecouraged’irriguermoncerveau.Don semble nous suivre des yeux sans changer de position alors que nousmarchons vers lui. Son

regardnavigueentreChrisetmoi;undétestablesourireencoinincurvesabouche.—Ons’connaît,non?fait-ilàChrislorsquenoussommesenfinfaceàlui.Chrispenchelatêtesurlecôté.—Ons’estcroisés…ouais.Letypequicherchaitdelaviande,c’estça?LesouriredeDonsetransformeenunegrimacepasfranchementsexy.—Ettoi…letypequin’aimepasprêter,j’aitoutbon?LerictusquisedessinesurleslèvresdeChrispourraitêtrecomparéàceluid’unrequinquivientde

humerunegouttedesangdansl’océan.—Exact.Alors…commeça,tutepermetsderefourguerunsurnomàmafemme?Sesmotsont leparfumdelamenaceetflottentdansl’air, toutautourdenous,suspendusàdesfils

invisibles.LamimiquegoguenardedeDondisparaîtillicoetilseredresselentement,dépliantsesbras.Finil’attitudedécontractée.IlévalueChrismaiscederniernesedonnemêmepascettepeine.

—C’étaitpasméchant.Kateestlaniècedenotreprésident…justeunemarqued’affection.JesenslepoidsdubrasdeChriss’allégersurmesépaulesetlapaniquemegagne.—Affection?répète-t-il.T’aspasàtemontrer…«affectueux»avecmacopine.Surtoutsituveux

gardertagueuleintacte.Ettuneluimanquespasderespect.AumomentoùDons’apprêteà répliquer,unemain s’abat sur sonépaule.Derrière lui surgitKurt.

Nos regards s’accrochent et dans lemien, je suis certaine qu’il peut y lirema requête silencieuse decalmersonpetitadjudantavantquecelanedégénère.

—Don…rentre.L’ordreestsimple.Donpincedurementleslèvres.C’esttellementévidentqu’iln’appréciepasdese

retrouver dans l’impossibilité de défendre ce qu’il considère comme son « honneur ». Il obtempère àcontrecœur,nonsansavoiréchangéuneœilladeenchiendefaïenceavecChris.JeremercieKurtd’unbrefhochementdetêteauquelilrépondparunregardquisignifiesûrementquelquechosecomme:«Cen’estpasnotregenre;jeviensdetefaireunsacrécadeau…rappelle-toiquetum’endoisune.»

Kurtretourneégalementàl’intérieuretjemeretiensdepousserunsoupirdesoulagement.—Chris?Onpeutrevenirplustard,jecroisque…Maisquandmesyeuxseposentsurlui,jenotequelessienssontrésolumentbraquésau-delàduseuil

delaboutique.Samâchoireestcontractéetantilsemblefurieuxdudénouementdecetteentrevue.Est-cequ’ilaimetantqueçasebattre,nomd’unchien!Soudain,Dons’approchedel’unedesdeuxvitresservantdedevantureàlaboutique.Ilsetientdroit

commeun« i»,unairprovoquantsur levisage.Chriséclated’unrirebrefaussicoupantque la lameaffûtéed’unboucherpuissedétachedemoiavecprécaution.J’essaiedeleretenirparlebras,maisilsedégageavecunetrèsgrandefacilité.Àsontour,ils’approchetrèsprèsdelavitrederrièrelaquellesetient leBlackAngel.Lesdeuxhommessedéfientmutuellementunebonneminute ;mabouches’ouvrepour appeler Chris, cependant, ce qui se déroule ensuiteme prend de vitesse,m’empêchant de notermentalement tous lesdétails. Jene remarqueque legesteobscènedeDon impliquant son indexet sonmajeurcontresabouche,maisaussisalanguequ’ilagiteimpudiquement,sansnuldouteàmonintention.LamaindeChristraverselafinevitrinepourlesaisirparlecol.

Lebruit,surl’instant,mesembleassourdissant–autant,sinonplus,quelescriseffrayésdeschalands.Je suis tétaniséeparcetacte insensé.Mespieds sont scellésau solet jecontemple la scènedansuneespèce d’état second, déconnectée de la réalité où seule une pensée parasitemon esprit : lamain deChris…abrisélavitre.

Donestdésormaisétendu,ouplutôtrecroquevillé,surlesoldutrottoir.Ilyadusang;surChris,surDon…etencettesecondeprécise,jenesaispasàquiilappartient.Chrissedéchaîne:ilshootedanslemotardcommed’autres taperaientdansunballonde foot. Ilnecriepas.Pasune insultene franchit leseuil de ses lèvres, non, il se contente de frapper. Frapper. Frapper encore. Frapper plus fort sanss’arrêter. Kurt et un autre membre du club sortent par la vitre cassée et se jettent sur Chris mais neparviennentpasàlamaîtrisermalgréleurcarrure.Illesrefoulecommedesimplesmouches.

«Chienenragé».C’estcommeçaqueRonannommeChris.C’esteffrayantcommecesobriquet,encetinstant,contientunepartdevérité.

Mesyeuxetmoncerveauseconnectentenfinetlàjecomprendsd’oùvienttoutceliquiderougevif:del’avant-brasdeChris,malgrésavesteencuir…Ils’étalesurl’intégralitédesamain,tombesurlesol,surDonetàunetellevitesse!

Ils’estouvert.Ilestvraimentblessécettefois-ci.Pendantquemononcleet sonacolyte essaient toujoursdeprotégerDon, je comprendsqueceque

l’autreBlackAngelsortdesavesteestuncouteaudontlemétaljetteunéclairsinistre;jesaiscequece

gesteinduit,etjehurle:—LESFLICS!Jen’aipaseud’idéeplusbrillante.Kurtmejetteunrapidecoupd’œil,l’autretyperangeaussitôtson

arme.La seconde suivante, ils traînentDon vers une ruelle jouxtant la boutique. Jeme précipite versChris, atomisée par une peur que je ne contrôle absolument pas. J’ôte rapidement mon sweat puisl’entouremaladroitementautourdesonbrasquinecessederépandresonsang.Moncœurpulsesiviteetsifortquej’ail’impressiondelevomiràchaquerespiration.Chrisnebougepasd’unpouce,simplementprostré;ilmelaissefairetelunenfantobéissant.

—Onnedoitpasresterici,jemarmonned’unevoixérailléeparl’émotion.Jet’emmèneàl’hôpital.Les flics vont réellement arriver. C’est sûr. Le propriétaire de la boutique… un des badauds,

spectateur involontaire… peu importe qui, c’est seulement une certitude, une question de temps.Moncerveaus’affoleetmespenséessemélangent.Cesontdesmots,desphrasesdécousuesquiapparaissent,lumineux,terrifiants.

« Chris a un casier judiciaire ! » « Sang… le sang ne s’arrête pas de couler ! » « Rouge…Chris…»«Quedois-je faire?»«Hôpital…vite !».Jeneveuxpasqu’ilmeure…S’ilvousplaît,faitesqu’ilnemeurepas».

Chris

Jereconnais l’endroitoùnoussommes.Cequim’étonne,sincèrement,cen’estpas lefaitquenousnousretrouvonssurleparkingdesurgencesdel’hôpital,c’estqueKatesacheplutôtbienconduire…maPontiac.Cen’estpaslegenredebagnoletranquille,lapetitefamilialequ’onconfieàuneapprentieduvolant,maisuntigrenerveuxpromptàs’emballer…Mapetitefemmes’estdébrouilléecommeunechef.Jecontemplesonprofilpendantqu’ellemanœuvrepourlagarer.Elleestpâle.Enfin,plusqued’habitude.

—Çava?C’estaumoinslaquinzièmefoisqu’ellemeposecettequestion.Jeluirépondsencorequeoui,mais

pasdemanièreorale…audible.J’auraisaimélefaire,justepoureffacertoutecettepeursursonvisageetce, depuis qu’elle a enroulé son pull autour de mon avant-bras et ma main droite. Elle m’a ensuiteordonnédepresserfortletissuquejesensmouillésousmesdoigts.Monregardsebaissesursonsweat.

Ilvaêtrefoutu.Merde.Jemesuissalementamoché.Katesepencheassezpourdébouclersaceinturepuislamienneetfinalementsortirdelavoiture.Je

suisincapabledeprononcerunmot…j’ysuispresquepourtant,maisc’esttroptôt.Elleouvremaportière,lesyeuxhagards.—Tuvasyarriver?s’inquiète-t-elle.Oui,biensûr.Jem’extraisdemaPontiacavecl’étrangeimpressiond’êtredansleschoux.C’estfranchementbizarred’avoiroccupélesiègepassagerdesaproprebagnole.Jusqu’àcequenousatteignionslesportesautomatiquesdesurgences,mapetitefemmenecessedeme

jeterdesœilladesangoissées.J’aimeraislarassurer.Elleaccostedirectuneinfirmièrequinesemblepasavoirdormidepuisunsiècle.Petite,blondeavecdescernes.

—Moncopainsevidedesonsang!Wouah!Belleentréeenmatière!Mais cela a l’effet escompté, l’infirmière pile, me regarde et nous fait signe de la suivre d’un

mouvementdetête,derrièred’autresportesautomatiques.—Ques’est-ilpassé?Jenesaispas sielle s’adresseàKateouàmoi,dans ledoute,mesyeuxcherchent les siens.Elle

comprendquejevaisrestersilencieux.—Samainestpasséeàtraversunevitre.Unhommed’unetrentained’annéesapparaît,ilsedésinfectelesmainspuisenfiledesgantsenlatex.—Sapetiteamieditqu’ilapassélamainàtraverslavitre,expliquel’infirmière.—Etpoursonvisage?serenseigneletypeavantdes’approcherdemoi.Sesyeuxmarronmesemblentunpeutropperçants,dugenredeceuxàquionnepeutpastroplafaire

àl’envers.L’infirmièrehausselesépaulespuissetourneversKatequi triturelebasdesonT-shirt.Jefroncelessourcils.Ilyadestracesdesangdessus.

—Excusez-moimademoiselle…Pourriez-vousveniravecmoiremplir lespapierspourenregistrer

votreami?Katehésitepuisopine.Jeneveuxpasqu’elleparteetmelaisseseul.Jemelèvemachinalementde

l’espèce de lit sur lequel la blondem’a faitm’asseoir afin de la suivre. Je sens bien que lemédecinm’observeetlorsqu’ilcomprendquejevaisréellementaccompagnerKate,ilm’enempêcheenplaçantunbrasentraversdemontorse.Nosregardssecroisent,etilmesouritamicalement:

—Jeunehomme…vouslarejoindrezaprès,làjedoisvoussoignerenpriorité,d’accord?Vousnevoulezpasqu’elles’inquiètedavantage,n’est-cepas?

Oui.Jeneveuxpasqu’elles’inquiètedavantage.Jeretournem’installertandisquelemédecinprendplacesuruntabouretmunideroulettes.Unefois

dessus,d’unmouvementdepieds,mainslevéesenl’air,ilestprèsdemoi.—JesuisEstebanRuiez,médecinchirurgiendesurgences.Quelestvotreprénom?Jemeraclelagorge.Onvavoirsij’arriveàluirépondreounon.—Chris…C’estpasfameux.Mavoixestrocailleuse.—Chriscomment?Jevaisretirercevêtementdevotrebras,Chris,etensuitevotreveste,d’accord?—Farwink,jelâcheenleregardantdéfairedélicatementlesweatdeKate.Toutconcentrésursatâche,ilnelèvemêmepaslatêtetandisqu’ilinterpelleundesesinternes.Un

typemaigrecommeuncoucouetavecunecoupedecheveuximprobableressemblantàdespics.—Gregory,aidez-leàretirersaveste,s’ilvousplaît.LedénomméGregoryseprécipitetoutenseprésentantàsontour.—JesuisGregoryTampton,infirmierdesurgences.Intérieurement,jericane.Non…sansblague?Auxurgences,toiaussi?Heureusementquetuprécises,mec!Il m’aide à enlever mon blouson en cuir favori et quand vient le tour du bras droit, je grimace.

Envoléel’adrénaline,jecommenceàdéguster.—Allongez-vous,Chris,m’ordonnegentimentledocteur.Encoreunefois, j’obtempère touten lui tendantmachinalementmonbrasblessé.Jesenssesdoigts

pendant qu’il le manipule délicatement. Mes yeux s’égarent tout autour de moi. Des appareilsélectroniques,partout.Pourprendrelatension?Jereconnaislefameuxbraceletàscratchsreliéàl’uned’elles.

—Pourquoivotremaina-t-elletraversélavitre?Lavitredequoi?Mesyeuxsefixentànouveaudansceuxdumédecinquiprépareuneseringue.Jenerépondspastout

desuite.Sijamaisilsappellentlesflics,jesuisbonpourunegardeàvue.— Chez un pote… on a un peu chahuté. Je suis tombé et j’ai eu le réflexe de tendre la main,

malheureusement…y’avaitlavitre.Mavoixn’atoujourspassatessiturenormale.Est-cequeKatevabien?Pourquoinerevient-ellepas?«Elleenaeumarredetesconneriesetenaprofitépoursetirer!»chuchotecellequiseréjouit

d’avancedemetorturer.—Jevois.Etpourlesecchymosesdevotrevisage…vousavezaussi…«chahuté»avecdesamis?

Chris,jevaismaintenantvousinjecterdirectementunanesthésiquelocal.Lesdégâtssontminimes,vousavezeubeaucoupdechance.Aucuneveinen’aétésectionnée,seulementdeuxtendons.Jevaissuturercesderniersetensuiterefermerlaplaiedelamêmemanière,d’accord?

Jehochelatêteetlorsqu’ilplantel’aiguille,jenesourcillemêmepas.Ilmelanceunregardencoin.J’évitedel’observerfairesonboulot.

«OùestKate?»«Partie!»gloussecettesaletédevoixsadique.—Est-cequemacopinepeutrevenir?Denouveau,lechirurgienmejetteunecourteœilladepuisesquisseunsourire.—Ellepatienteprobablementdanslasalled’attente.Celafaitlongtempsquevousêtesensemble?Sa conversation est tout ce qu’il y a de plus banale, mais je suis sur la défensive. J’ai l’étrange

sensationqu’ilchercheàsavoiruntrucetçamerendméfiant.—Pastellement.Il reste silencieuxdurantplusieurs secondes et reprend, lenez rivé àmonbrasqui repose surune

table.—Pourvotrevisage,ques’est-ilpasséexactement?Vousvousêtesbagarrés,n’est-cepas?Jenepeuxpasluiavoueravoirrétaméundealerirlandaispourlecomptedemoncaïddeboss.—Ouais.— J’ai remarqué quelques cicatrices sur vos phalanges… certaines anciennes mais d’autres plus

récentes.Chris…çavousarrivesouventdevousbattre?Mesyeuxs’étrécissent.C’estunputaind’interrogatoire!—Enquoiçavousregarde?Jesuisunrienagressifetjesaisqu’ils’enestrenducompte,maisilrestedétendu–oufaitsemblant.—Jesuismédecin.Vousarrivezdansnosservicesavecuneblessureassezgrave…enfinquiaurait

puêtretrèsgrave.Deshématomessurlevisage,desécorchuresprofondessurlesdoigts…ilestnormalque jedésire en savoirdavantage, surtout sivousêtes endanger,physiquement, jeveuxdire.C’est leprotocole,riendeplus.

—Jenesuispasendangercommevouslesous-entendez.Personnenememaltraite!jericane.Non,mec,c’estmoiquiallumelesconsdedealerset lesmotardsquimanquentderespectàma

femme!—Vousnepouvezpaslafairevenir?j’insiste.Sonabsencemerendfou.—Quidonc?—Mafemme!jegronde.Ledocteurcommenceàmegonfleretjem’agitesurleminusculelitinconfortable.—Nebougezpas,s’ilvousplaît,Chris.C’estainsiquevousl’appelez?Jeclignedespaupières,perdu.—Quoi?Il relève enfin la tête dansmadirection et son regard acéré semblepouvoirmedécouper en fines

lamelles.—Votre amie. Vous l’appelez «ma femme » alors que cela ne fait pas longtemps que vous êtes

ensemble.C’estmignon.—C’est…c’est…justeunsurnom.Ilsouritavecchaleurmaisquelquechosedanssesyeuxmerefroidit.Ondiraitqu’ilm’analyseetje

détesteça.—Vousêtesunpeujeunepourvousmarier,detoutefaçon.Etpuis,àvotreâge,cen’estpassûrque

cesoitlabonne…Ellen’estpeut-êtrepas…«parfaite»?Jemehérisse.Marespirationdevientsoudainplusbruyanteetrapide.—Vousnelaconnaissezpas.Elleestparfaite.Entoutpoint,pigé?Sansmelâcherdesesprunellesmarron,ilinterpelleledénomméGregory.

—Gregory,prenezlesconstantesdemonsieurFarwink,s’ilvousplaît.Latensionenpremier.L’infirmierobtempèrepuis,aprèsuncertaintemps,annonce:—Quinzeneuf.Unsilencetendus’étiredanslasalledéserte.Lemédecinmescrutelonguementavantderetourneràsonœuvre.—Trèsbien,Chris…Excusez-moi, c’était déplacédemapart.Encore sixpointsde suture et j’ai

terminé.Gregory…ReprenezlatensiondemonsieurFarwinketfaiteensuitevenirlademoisellequil’aaccompagnédansdisons…dixminutes?Letempsquejefinisse.

L’infirmiermeremetlebraceletépaisquigonfleautourdemonbrasenbonétat,maisjemesensdéjàmieux.

—Quatorzeneuf,docteurRuiez.Lechirurgienopine.AvantquelefameuxGregorynedisparaisse,ill’interpelle:—ContacterledocteurHault,s’ilvousplaît.J’aimeraisqu’ilvienne…ilmesemblequec’estluiqui

estd’astreinteaujourd’hui.Soninterlocuteursembleuninstantsurpris,maishochelatêteenguised’acquiescement.—Voushabitezchezvosparents?Doit-onprévenirquelqu’unpourvous,Chris?poursuitlemédecin

encontinuantàmerecoudre.—J’habiteseul…enfin,avecKate.Je ne sais pas pour quelle raison j’ai précisé et je pense avoir fait une erreur quand ilm’adresse

encoreceregardpénétrant.—Voushabitezdéjàensemble?Ehbien…c’estimpressionnantunsijeunehommequiacceptesivite

des’engagerdansunerelationtouterécente.Jesuisdenouveaunerveux.Cetteimpressionqu’ilchercheàépinglerquelquechosedeprécisavec

sesquestionsmeserrel’estomac.Lorsquel’infirmierrevient,cen’estpasKatequiestaveclui,maisunvieuxbonhommeauxcheveuxgrisonnantsquiporteuneblouseblanche.Sesyeuxclairs,peut-êtrebleus,passentsurmoitandisqu’ilsourit.

—DocteurRuiez…unefemmeestarrivéeetditêtrelamèredupatient,l’informeGregory.Moncœurrouledansmapoitrine.Jepanique.«PourquoiKaten’estpaslà?Putain!J’aibesoind’unverre!Mamère?!C’estmapetitefemme

quil’aappelée?»— Très bien, faites-la entrer, que nous puissions la rassurer sur l’état de son fils, commente le

chirurgienenretirantsesgantsdelatex.VoilàmonsieurFarwink…Gregoryvavousfaireunpansementetvousindiquerlamarcheàsuivrepourlessoins.Maisavantcela,j’aimeraisquevousdiscutiezavecnotreneuropsychiatre,ledocteurHault,quiestici.

Làilsetourneverslemecauxcheveuxgrispuisluiserrelamain.—Paul!VoicimonsieurChrisFarwink…Le reste se perd dans un charabia technique que seuls les initiés en médecine sont à même de

comprendre, ce qui n’est pas mon cas. Tout ce que je me demande, c’est ce que vient foutre là unneuropsychiatre,alorsquejemesuisblesséàlamain!

Ruiezpivotedansmadirection,mesourit.—Votremèrevaarriver.Prenezsoindevous,Chris.Hein?C’estquoicebordel?!—Hey!Ilstoppeavantdefranchirleseuilpuissetourneunenouvellefoisversmoi.Auborddel’implosion,

jedésignel’autredocteurdemamainintacte:—Ilsepassequoi?Pourquoiceneuro-machinestlà?Vousm’avezrecousu,etmerci…maisjeveux

justemetirermaintenant.—Cen’est rien,Chris. Juste le protocole pour être sûr quevous allez bien avant de rentrer chez

vous.Vousêtesvraimentenmauvaisétat…uneformalité,toutauplus.Surce,ilpart.Lemecàlatignassepoivreetsels’approchependantqueGregorymetamponneles

pointsd’unliquideorange.Jel’observecommeunserpentsurlepointdememordreenfourbe.—Chris?JesuisledocteurPaulHault,neuropsychiatredel’hôpital.Putain,siunepersonneentreicietseprésenteencore,jecroisquejeluipètelesdents!—Vousmevoulezquoi,aujuste?Ilsourit.—Seulementvousposerquelquesquestionspourêtrecertainquevousallezbien.Votremèreneva

pastarderànousrejoindre,elledoitcertainementdiscuteravecledocteurRuiez…Jepasseunemainlassesurmonvisage.J’aienviedetoutpéterdanscettefoutuepièce!—Jemesuisouvertlebras,bordel!Non,jenevaispasbien!Sinon,jeneseraipasici,merde!Je

veux que vous fassiez entrerma femme, putain ! C’est trop compliqué pour desmecs bardés de grosdiplômes,ouquoi?

Jesuisdebout,furieux,etl’infirmiern’amêmepaspufinirsonbandage.Letoubiblèveunemainenl’air,commepourluiordonnerdenepasbouger.

—Celavousarrivesouventdeperdrevotresang-froid,Chris?m’interrogecalmementHault.—C’estlaconneriedesgensquimefoutenrogne!jecrache.Çafaituneheurequejedemandeaprès

macopineettoutcequevoustrouvezàmesortir,c’estquemamèredébarque!Merde!Vouslefaitesexprès?

Lesdeuxmembresdupersonnelhospitaliermedévisagentcommesi j’allaismeruersureuxà toutinstant,etçamerendencoreplusdingue.

—KATE!jehurle.—Chris!C’estPaty.Elleaussipâlequelecarrelagesousnospieds.—OùestKate?—Danslasalled’attente,chéri.Ellen’estpaspartie.Jerespiredenouveau.OK.Mapetitefemmeesttoujourslà.Jepeuxlefaire.

Juste…respirer.Patys’avance:—Ellem’atéléphonépourquej’apportelespapiersd’assurance,nesachantpassituavaiscequ’il

fallait…etjeviensdediscuteravecundocteurquim’aditcequ’ils’étaitpassé.Tuvasbien?Gregory-l’infirmierintervient:—MonsieurFarwink,j’aimeraisquevousvousasseyiezafinquejepuissefinirvotrebandage.Mon regard rampe sur les trois autres personnes présentes dans la pièce. Jeme sens acculé et je

détesteça.Commesij’étaisunmonstre,ouunanimalsauvagedangereux.«Tun’esbonpourpersonne…mêmepaspourtoi-même.»«Tagueule.»—Chris, chéri… assieds-toi que le monsieur termine de te soigner, me prie mamère tout en se

rapprochantdemoi.—D’accord.Maisdèsqu’ilm’amissonfoutubandage,j’mecasse.Jemerassoisetluitendsmonbras.Quelquechosedoittraînerdansmonregardcarilaunelégère

hésitation.—MonsieurFarwink…C’estledocteurauxcheveuxgris.—C’estimportantquenousayonsunepetiteconversation.Sivousmerépondezhonnêtement,jepeux

vous assurer que vous n’aurez aucun problème d’aucune sorte. Notre but est de soigner les gens etuniquementcela,vouscomprenez?

Jesecouelatête:non,jenevoispasoùilveutenvenir.—Quoiquevousmedisiez,jenetransmettraijamaissesinformationsauxforcesdel’ordre.Jeplisselesyeux.—Qu’est-cequelesflicsviennentfairelà-dedans?Lemédecinsaisitunechaisepuiss’installenonloindemoi.— J’ai besoin de vous interroger afin de définir si vous avez, oui ou non, des troubles de la

personnalité.L’étatdanslequelvousêtesarrivédansnotreservice.Votrecomportement…Moncollègue,le docteurRuiez…vous lui avez semblé émotionnellement instable et assez dépendant de votre petiteamie.Ceciajoutéàvosblessuresanciennesetrécentes,toutporteàcroire,etsachezquecen’estpasundiagnosticdéfinitifmaisunesimplehypothèse,quevouspourriezsouffrirdetroublesdelapersonnalitéd’étatlimite,ouborderlinesiletermevousestplusfamilier.

Toutsemélangedansmatête.C’estunesalade,unsacquis’ouvrebrutalementetdontlecontenuserépand.

—Attendez,là…vousêtesentraindemedireque,parcequejemebagarreunpeuetquej’aimeraisquemafemmesoitàmescôtés,jesuisunputaindetaré?!

Mavoixagrimpéd’uneoctave.Ledocteuresquisseunfaiblesourire.—C’estun résuméunpeu réducteur.Les symptômes sontbienplus complexes, et c’estpour cette

raisonque,dansunpremiertemps,j’aibesoindem’entreteniravecvous.Maisilmefautdesréponseshonnêtesdevotrepart.Desmensonges,mêmeparomission,nenousseraientd’aucuneutilitépourvousaider.

«Personnenepeutt’aider…personne!»Jebondissurmespieds.L’infirmieraréussisonpansement;plusriennemeretienticietjen’aipas

l’intentiondelesécouterdavantagedébiterleursconneries!—J’metire,jegronde.«QuandKateapprendraquetuessiphonné…ellevat’abandonner,c’estsûr.Uncinglénemérite

passonamour.»«Putain!Maistais-toi!»—Chris!C’estPatyquimeretientparlebras.Jemedéfaisd’unmouvementsec,furieux:—Cetypeestentraindedirequetonfilsestbarjot!Situveuxlesécouter,libreàtoi!—MonsieurFarwink…Cen’estpascequevousimaginez,letroubledelapersonnalitéborderline

estcurable,etavecuntraitementpsychothérapeutiqueapproprié,vouspourriezmenerunevietoutàfaitnormale… mais nous devons vraiment réaliser des examens… Un IRM et… tenez, voici ma carte :n’hésitezpasàmecontacter.N’importequand.

Lemédecinmecollepratiquementsacartesouslenez.Jelacontempleunbrefinstant.Sansréfléchir,je la lui arrache des mains puis l’enfourne rageusement dans la poche de mon jean. Si récupérer sasatanéecartepeutfaireensortequ’ilmelaissesortird’ici,soit!

Sansunregardenarrière,nipourlesmembresdupersonneldel’hôpital,nipourmamèrerestéeaveceux,jemarched’unpasvifendirectiondelasalled’attente.LorsqueKatem’aperçoit,untelsoulagement

s’affiche sur sonvisagequemonêtre entier vibred’une émotion chaude.Unviolent désir lui succèderapidement;lebesoinvitaldelaprendredansmesbrasetluifairel’amourmeravage.Jeveuxmeperdreenelle…éviteràtoutprixderessentirànouveaucevide,celuiquidévoraitmavie,avant.Avantqu’unechevelurecuivréeetdesprunellestranslucidescomblentlestrous.

Je me dépêche de la rejoindre pour l’étreindre avec force. Elle me laisse faire. Percevoir lespulsations affolées de son cœur faire écho aux miennes me donne l’impression d’être de retour à lamaison.

—Onsebarre,petitefemme.Ilssonttousfêlés,ici!jemarmonne,laboucheprèsdesonoreille.—Tuvasbien?Tuasuneordonnance,ou…—Patys’encharge.Là,fautquejesorte.Vite.Sansunmotdeplus,jeluisaisisfermementlamainpourpartirdecetendroitdemalheur.

Katherina

Pour ladeuxièmefoisde la journée,alorsque lesoleildéclineà l’horizonpour jetersurnoussesrayonscouleurflammes,jesuisauvolantdelaPontiacdeChris.Ilneditrienets’entêteàfixersavitre,côtépassager.Jenepeuxm’enempêcher,jeluilance,àintervallesréguliers,descoupsd’œilinquiets.Mêmesiconduireuntelenginmeréclameénormémentd’attention,surtoutquejen’aitechniquementpasledroitde le faire,monespritestparasitéparunemontagnedequestionsque jesuis incapablede luiposer.

Quandilestenfinsortipourmerejoindre,jemesuissentieplusquesoulagée.Jerespiraisànouveaulibrement, sans ce détestable étau compressantma cage thoracique.Mais cela a été de courte durée àcausedecequihantait son regard.Une sortede fièvre,depeur etuneautre chose indéfinissable,unechosequejen’avaisjamaisvueauparavantdanssesbeauxyeuxgris.

Je saisbienqu’iln’estplusdanscet état second, celuidans lequel il semble se trouverembourbélorsqu’ilfaitunecrisederageincontrôlée,maissonsilenceaquelqued’étrange,devraimentangoissant.Cela m’oppresse presque davantage que sa colère, celle qui précède le véritable ouragan qu’il peutdéchaîner.

J’aigrandientouréedecriminels,jesaisqu’interrogerunhommequipréfèrerestermuetestàbannir.Encoreunbrefregarddanssadirectionpendantquejerespecteuncédez-le-passage.

Chris…oùes-tu?Tun’espasréellementlà,avecmoi.Lesminutess’égrènentetseulslessonsronflantsdumoteurosentbriserlesilence.Lorsqu’enfin je gare sa voiture sur le parking et que je débouclema ceinture, sa voix, à peine un

soufflemonocorde,serépercutedansl’habitacle:—Kate?Jemeraclelagorgepourchassercetteabominableémotionquim’étrangle.—Mhm?Iltournelentementlatêteversmoi;sestraitstirésetsonteintblafardluidonnentunairfantomatique.—Est-ceque…est-cequejetefaispeur?Jecomprendsoùilveutenvenir,maisj’aibesoind’éclaircirsoninterrogationpourêtresûredebien

apaisersesdoutesensuite.—Peurcommeparexemple,quetumelèveslamaindessusquandtues…encolère?jereformule

avecprudence.Jenepensaispasqu’ilpuissedevenirpluslivide,maisforceestdeconstaterquec’estpossible:son

visageestdésormaisaussiblancquede lacraie. Ilopinefaiblement.J’occupemesmainsendéfaisantégalementsaceinturedesécurité.Unefoiscettetâcheeffectuée,jeplantemonregarddanslesien:

—Non. Jen’aipaspeurde toidansce sens-là, j’ai confiance.Tun’espasce genredepersonne,Chris.

—Etquelgenredepersonnejesuis,Kate?Sontonestgrinçant,ironique,etj’ailadouloureusecertitudequ’ilsedétesteencetteseconde;d’une

haineaussiviolentequesescoupspeuventl’être,lorsqu’ilfrappeunadversaire.—Pascegenre-là,entoutcas.Mon ton est si ferme qu’il me surprendmoi-même. Chris sursaute,mais rien ne vient altérer son

expressionhagarde.—Jeneveuxpastefairesouffrir,Kate.D’aucunefaçon…je…Ils’arrêteetjemefige,lecœurbattantlourdementdansmapoitrine.—Je…j’aidumalàmesouvenirexactementdecequejefais…après.Jeveuxdire, jesaispour

quelleraisonj’aipétélesplombs,maiscequisepasseconcrètementensuite…c’estflou,letrounoir.Jenesupporteraispasdeteblesser…tuvois?

Oui,jevoistrèsbien.—Ilst’ontditquoiàl’hôpital,Chris?Jeviensdem’obligeràluiposercettequestion,parceque,quelquepart,aufonddemoi,jesensque

jeledois.Tout son corps se raidit et il détournevivement le regard.Samain intacte frottemachinalement le

tissurugueuxdesonjean,plusieursfois,commepourenchasserunemoiteurdérangeante.—Rien,marmonne-t-il.J’inspirebruyammentpuisexpireparlesnarines,sanscesserdelefixer,luiquifuitmesyeux.Je sais que je l’aime. Parce que le regarderme faitmal, ce quime rend paradoxalement vivante.

Commedesdébrisdeverresquis’enfonceraientdansmachair,mesorganes…monâme.Jel’aimeparceque, quand il me touche, j’ai le corps qui explose en unmillier de particules. Parce que, lorsque jel’écouteparler,j’oubliedepenser.Parceque,quandilestprèsdemoi,j’ailesentimentquepersonnenepeutm’atteindre.Parcequ’ilsuffitquenoussoyonsdanslamêmepiècepourquemonuniversserésumeàlui.Jel’aimeetj’étouffe.J’étouffed’êtreaussiimpuissanteàchassercequilehanteencetinstant.

Je n’insiste pas, tout en me maudissant de ne pas le faire. Parfois, j’ai l’impression qu’un murinvisiblenoussépare.Nouspouvonsnousregarderl’unl’autre,nouspouvonsnousparler.Noscorpsetnos esprits peuvent se toucher, mais jamais complètement. Comment le briser ? Comment passer autravers?Jenesaispasobligerlesautresàseconfier.Gérer,contrôler,trouverdessolutionsmatérielles,çac’estdansmescordes.Maisbriserdesmurs invisibles? Jen’ai riend’unehéroïnedotéedesuperpouvoirs.

Jesorsrapidementdelavoiturepourluiouvrir laportièreet,unefoislaPontiacverrouillée, jelerejoins.Iln’estpasplusbavarddansl’ascenseur.J’éternue.Adosséàlamêmeparoiquemoi,ilpivotelatêtepourm’observersilencieusement.Soudain,sonbrasse lèveenune invitationmuette.Celafaitdesheuresquejen’airiend’autrequ’unT-shirtetjenerechignepasàgrappillerunpeudesachaleur.Ilmeserre contre lui tandis que mes mains cherchent à s’attacher l’une à l’autre, sans parvenir à fairecomplètementletourdesataille.Quelquepart,çamefrustreetjenesaismêmepaspourquoi.

Je lève lesyeuxvers sonvisageaumomentoù lesportescouinentpour signalerquenoussommesarrivésànotreétage.Nosregardss’accrochentetj’ydécouvreencorecetteombreeffrayante.Jen’arrivepas à ladéfinir avec exactitudemais elle éteint unepartiede lui, et c’est celaquime fait peur.Nousavançonsainsi,l’unnouéàl’autre,sanséchangerunmot.JecherchelesclefsdanslapochedemonjeanpendantquelesdoigtsdemonautremainserrentletissudesonT-shirt.

Chrisnes’éloignedemoiquelorsquenousfranchissonsleseuil.Ilsedirigeverslasalledebainset,de mon côté, j’essaie de trouver une solution pour changer cette atmosphère pesante. J’entends lasonnerie de son téléphone et me fige, aux aguets. Doucement, sans me montrer, je m’approchesubrepticementdelasalledebains;ilalaissélaporteentrouverte:

—Allô?Ah,c’esttoi.

Jenelevoisquededos,torsenu.IlaréussiàretirersonT-shirtavecuneseulemainvalide,maisj’aides doutes concernant son jean. Je l’observe batailler avec ses chaussures ; vouloir les enlever ens’aidantd’unpiedpourdéfairel’autre.Moncœurs’emballe.Jenepeuxrienyfaire…ilesttellement…beau.C’estridiculeetenmêmetemps,uneterribleréalitéquinepeutêtrenomméeautrement.

—Jerécupérail’ordonnancedemain,Paty.Làjeveuxjusteprendreunedoucheetboireunverre…oui,j’aidesmédocspourladouleur…non,çava,elle…

Lesmusclesdesondossecontractentpuis roulentbizarrement sous sapeau. Il renverse la têteenarrière,sansécarterleportabledesonoreille.

—Elleal’aird’allerbien,termine-t-ildansunmurmure.Denouveau,Chrissembleécouterlesproposdesamère.Ilesquisselegestedepasserlamaindans

sescheveux,maisréaliseaudernierinstantquecelle-ciestprisonnièredubandageetabandonnel’idée.Est-cequejedevraisentrer?L’idéedel’espionneràsoninsupourdécouvrirpeut-êtreuneinformationsurcequ’ils’estdéroulé

danslasalledesurgencesesttroptentantemalgrémonmalaiseàlefaire.—Écoute,Paty…jen’aipasenvied’enparler,là.C’estpas…non.Tunevaspascommenceràme

harcelerlà-dessus!Cesontdestarés,Paty!Ilsnemeconnaissentmêmepas!Alorsleurshypothèses…tusaisoùilspeuventselescarrer!OK,onsevoitdemaindetoutefaçon…c’estça,bonnenuit.Bye.

Ilseretientdejustessedejetersontéléphonecontrelemur,etdurantcegestedecolère,jemeraidis.Finalement,ilsecontentedeleposersurlelavaboensecouantlatête.Jemeraclelagorgepoursignalermaprésence.Ilsursautepuissetournevivementdansmadirection,surprisetunpeu…contrarié?

Jedésignesonjeandel’index:—Jepeuxt’aider?Sesyeuxsebaissentsurlui-mêmeavantderevenirseplongerdanslesmiens.Jemedemandevraimentcequelesmédecinsluiontdit…maisj’imaginequeluiposerdirectement

laquestionneserviraàrien,detoutemanière.Jeprendssonabsencede réponsepourun«oui»etmarche jusqu’à lui.Toutenessayantde faire

abstractiondu fait quemesdoigts se trouvent juste endessous de sonnombril, nombril se situant lui-mêmesurunventreplatoùsedessinentdesabdominauxfermes,jedéfaislepremierbouton.Jeserrelesdentsparcequemesdoigts tremblentetque jen’osepas l’affronterouvertementdurant l’opération. Jeperçoissubitementsonsoufflesurlesommetdemoncrâneetuneétrangetensioncrépitedansl’airquinousentoure.J’oubliederespirerunbrefinstantquandmesyeuxdécouvrentl’élastiquedesoncaleçon.Je me sens maladroite et fébrile, affreusement nerveuse, et ce n’est pas une sensation agréable. Jevoudraistellementêtreplussûredemoi.UnepartiedemoienvietouteslesSybildelaplanète,ellesetleurexpérienceenmatièredemecsetdesexe.

Quandmesdoigtseffleurentpar inadvertancesonsexeenm’occupantdudernierbouton,mesjouesmebrûlent.Jel’entendsretenirbrutalementsarespiration.C’estabsurde.Nousavonsdéjàfranchicepas-là,nedevrais-jepasêtreplusdécontractéesurlaquestion?Leserai-jeunjour?

Jebatailleunpeupourdescendrelepantalonsursescuissesetlorsquejeréaliseàquelniveaudesonanatomiesetrouvematête,cettedernièresemetàbourdonner.

Jem’interdis de chercher à savoir quelle expression il affiche en cemoment. J’ai une idée assezprécisedeceàquoimapositionactuelledoitluifairepenser,etrienquedeledevinermerendcentfoisplusnerveuse.Ilsoulèvelespiedsl’unaprèsl’autre,etenfin,ilestlibérédesonjean.

Jemeredresse,soulagéed’enavoirterminé.Sansréellementyréfléchirmonregardsenoueausienqui brille déjà d’une toute autre lueur que celle qui rongeait ses prunelles grises un peu plus tôt. Cechangementmerassureautantqu’ilm’inquiète.

Samainintacteseplacesurmanuque,emprisonnantquelques-unsdemescheveux,puisils’inclineversmoi,etécrasesabouchesurlamienne.EssayerderésisteràunbaiserdeChrisestvain,rienquedans l’idée. Ilacette façondem’envahirquineme laisse jamais lechoixetquin’estpourtant jamaisbrutale. Je réponds instinctivement, laissant mon corps se mouler naturellement au sien. Il s’éloignedoucement,maisjustepour,d’unepressiondelapaume,m’obligeràinclinerlatêtesurlecôtéafindeluioffrir un accès dégagé à mon cou. Il l’embrasse, le mordille ; c’est un peu douloureux, mais pasinsupportable.

—J’aitellementenviedetoi…toutletemps,avoueChrisentredeuxbaisers-mordillements.Savoixrauquemefaitfrissonner.Cetteinflexionestpresqueaussisexyquelerestedesonêtre.Une

évidence:iln’ajamaisdûgalérerpourdraguer,lui.C’esttrèsagaçant.—Cen’estpeut-êtrepaslebonmomentpour…ça,non?Àcesmots,ilpressesonérectioncontremoi.—Tucrois?chuchote-t-il,suave.Ilmelaissepourtantlerepousser,cequejefaisduplatdesmainscontresontorse.Lecontactdesa

peauetdesesmusclesfaitbattremoncœurplusvite.Mesdoigtsaimeraientexplorercettepartiedelui.—Vas-y…tuenmeursd’envie,’titefemme.Son tonmoqueurm’incite à le regarderdroitdans lesyeux. Ilyadenouveaucettenoted’humour

pétillantequej’aimetant.—Dequoi?Mavoixérailléemefaithonte.—Demepeloter.Maisçanemedérangepas,j’aimequandtumetripotes.Jem’étrangle.Ilpoursuit,maiscurieusementplussérieux:— Il y a deux secondes, je voulais tout péter dans cette pièce pour ensuite me tuer la tête avec

plusieursbièresetmaintenant…jenedésirequ’unechose,justequetucontinuesàmetoucher,maisaussitefairecrierdeplaisiràmettreenrognetousnosvoisins.C’estmagique…non?T’esunesorcière,enfait.

Je rougisetdétourne lesyeuxpourcontempler l’unedesserviettesépongeaccrochéesau radiateurmuralafindecachermontrouble.

—N’importequoi,jebafouille.Vaprendretadouche!—Tunem’aidespas?Ilsemblesincèrementdéçu.—Non. Il te reste encore unemain…mais je peux scotcher un sac en plastique sur l’autre, pour

éviterquetunemouilleslebandage.Chrisesquisseunegrimaceboudeusedigned’unenfantdecinqans.—J’peuxmêmeplusmebranlertoutseul.Monvisagemecramecarrémentetjefaisaussitôtsemblantdefouillerdansl’armoirepourqu’ilne

s’enrendepascompte.—Tum’envoissincèrementdésolée,jemarmonne.—Chuisdroitier,Bébé.Ilfaudraquetuymettesunpeudebonnevolonté.—Jevaistecuisineruntrucpendantcetemps.Éviterlesujet.Lorsque je me tourne ensuite vers lui, je m’étrangle : il est entièrement nu et a un beau reste

d’excitation.—Donnetamain.Jen’arrivemêmepasàreconnaîtremaproprevoix.Ilobtempèregentiment.J’airécupéréunsacen

plastiquecontenantdesboulesdecotonsetleluiscotcheavecdusparadrapautourdesamainblessée.Sansquejepuisseprévoirlegeste,ilm’entouredesesbras,merendanttotalementconscientedechaquepartiedesoncorpschaudcontrelemien,malgrélaprésencedemesvêtements.

—C’estsibondet’avoirdansmavie!soupire-t-il.Cetaveumetouche.Lesyeuxécarquillés,laboucheentrouverte,jenesaisplustrèsbiencommentje

doisréagir.Jel’étreinsàmontour.Cequej’aimesentirsapeausousmesdoigts…!—Mhm.C’estlaseulechosequejeparviensàexprimer.Chrismerelâche,visiblementpluscalmequelorsque

noussommesrentréstoutàl’heure.—Vamefaireàbouffer,femme!m’ordonne-t-il,enm’octroyantunepetitetapesurlesfesses.Jeluijetteunregardnoirtoutenmefrottantautomatiquementlepostérieur.Ilyrépondparunlarge

sourire.C’estlecielbleudeChris.Lesnuagesgristempêtesesontéloignés…oui,maisjusqu’àquand?Jerefused’yréfléchirpuissecouelatête,sansarriveràretenirmonpropresourire.

Chris

Jem’étireetlorsquemonbraseffleurelaplacevidedeKate,mabonnehumeurs’effritecommeunsablésousletalond’unebottetaillequarante-quatre.

Elledoitêtreàlafac.J’attrapemonportableposésurlatabledenuit,lesyeuxpasencorebienouverts,etjeluienvoieun

texto:«Yomapetitefemme…toutestOK?»Heureusementquemontéléphoneestparamétrésurl’écritureintuitive,parcequetaperlemessagede

lamaingauche,c’estfranchementchiant.Laréponsenetardepas:«Bonjourmonpetitmari.Oui,toutestOK.Tuasdelatarteauxpommessurlatable,lecaféaété

programméetserasûrementencorechaudàtonréveil.Ilyaaussidel’Ibuprofène:tuenprendsdeux.Bisous.»

Jesouriscommeuncrétin.«Ah!Monépouse!Vousméritezvraimentquejevousbrouteleminoucesoir!»Je risenappuyantsur la touched’envoi.Je l’imaginedéjàdevenir toute rougedans l’amphi tandis

quejetraînemacarcassehorsdulit.Monavant-brasm’élancecommesimoncœuravaitmigrédansmonpoignetetchaquepulsationestfranchementdésagréable.Jegrimace.

Jegardemonportableavecmoi,ledéposesurleplandetravaildelacuisinepuismesersunetassede café. Le tube demédocme fait de l’œil ; j’ouvre le couvercle avec les dents, en gobe deux et lereferme.

Lasonneriedemontéléphoneretentitetjedécrochesansmêmeregarderlenomquel’écranaffiche.—Ouais.—Jevérifiaissit’étaisréveillé,monpoulet.J’arrive.Jo.Jesouris.—OK,magrossesucette.Si tum’embrasses lecul, je t’autoriseraiàmangerunepartde tarteaux

pommes.Ils’étranglederireàl’autreboutdufil.—P’titcon!—J’t’aimeaussi,mongrosnounoursblond.Joimiteunbruitécœurantderégurgitation,cequimeprovoqueunpetitfourireetjeraccroche.Se

faisant,jeremarquequeKatearéponduàmonderniermessage,alors,aussiexcitéqu’ungosseentraindedéballersoncadeaud’anniversaire,jelelis.

«Àcausedetoi,mavoisinevientdemedemandersijenedevraispasalleràl’infirmeriecarmonteintaunedrôledecouleur.MerciCaptainOrgasm!»

Lesourirequiétiremabouchedoitjoindreuneoreilleàl’autre.«CaptainOrgasm?Putain,jekiffe!:-)»

Avantl’arrivéedeJo,j’ailargementeuletempsdeboireuncafé,mangertroispartsdetarteetmebattre avec un bas de jogging usé, question de ne pas rester à poil. Je le fais entrer et il remarqueimmédiatementmonbandage.Jegrimacesoussonregardinterrogateurpuisverrouillelaportederrièrelui.Quandils’éventeavec,jeremarquequ’iltientplusieursenveloppesdanslamain.Jelesdésigned’unmouvementdumenton.

—C’estquoi?Monpotearquelessourcilsavantdebaisserlesyeuxsurlecourrier:—Oh…ça?Çasortaitdetaboîteauxlettres,mec.Tusaisquelefacteurpasseaussilesamedi?J’ai

penséqu’ilvalaitmieuxquejetelesmonte…tiens.Ilmetendlepetitpaquetd’enveloppesdetaillesinégales.Jevérifiemachinalementàquiellessont

adressées : toutes pour moi sauf une. Probablement des factures, mais celle pour Kate est vraimentlourde.Jelasoupèse,dévoréparlaterribleenviedel’ouvrir.

—Ilestarrivéquoiàtonbras?Jem’attendaisàcettequestionetjeluifournisunbrefrésumédecequis’estpassé.Lorsquemesyeux

croisentlessiens,jenotequesonregards’estsubitementassombri,soucieux.—Etçava?s’enquiert-il.Jemarmonneunvague«ouais»,monattentionrevenantaucourrierdestinéàmapetitefemme.—Quoi?faitJo.—Rien,c’estjusteque…c’estunegrosseenveloppe,ça,non?Intrigué,ilmelareprenddesmainspourl’observer.—C’estsafacquiluienvoie.Sûrementdelapaperasse…Ilmelarendenhaussantlesépaules.Jo ne peut pas comprendre,maisKate reçoit rarement du courrier.Ou alors elle le ramasse assez

souvent,sansquejem’enaperçoive.Pouruneraisonquej’ignore,cetteéventualitémestresse.«Ellepourraittecacherdeschoses…tuauraisdût’occuperderamasserlecourrier!»Satanéevoix.Jesaisbienquejenedoispasécouterlespensées,lesidéesqu’ellemechuchote,que

c’estunepartiedemoiquiadesreprésentationstorduesetinquiètes.C’estunemauvaisevoix.Jedécided’allerposercesenveloppessurlatabledelacuisine,etJomesuit.Jeluisersuncaféet

essaied’agirnormalement,maismesyeuxn’arrêtentpasd’effleurercetteputaindelettre!—Tuvasfairecommentpourbosseravecunbrasdanscetétat?m’interrogeJotoutens’asseyant.—Devenirgaucher?jesuggère,enesquissantundemi-sourire.Josouritàsontourpuissecouelatête.— Peut-être que tu devrais juste gérer la distribution du matos volé, tu vois… nous laisser les

opérations«PèreNoël».J’opine.—Ronanvaentriquerdejoie…,jegrommelle.—Onferaavec,pasdesoucis.Bennysaits’yprendreaveclui.Encoreunefois,j’acquiesce.—Bon,d’ailleursj’airendez-vousavecluiaugarage…Tuviensavecmoi?MonregardeffleurebrièvementlalettredelafacdeKate.—Ouais…maispastoutdesuite,j’aidestrucsencours,là.DèsqueJosortde l’appartement, je reviensdans lacuisine.C’estvraimentdébilecetteobsession

généréeparuneinquiétudesurgiedeje-ne-sais-où.«Ouvre-la…tuenauraslecœurnet.»Çacraint.Çacraintvraimentdelirelecourrierdequelqu’und’autre.

Jem’approchedoucementdelatable,sansquitterdesyeuxl’objetquimemetautantausupplice.Jefrottemachinalementmoncrânedemamainintacte,rongéparunesoudaineangoissequejedésire

brusquementeffacer.Leseulmoyenseraitd’ouvrircettefichueenveloppeetenlirelecontenu…après,jepourraispasseràautrechose,sûrqu’iln’yariendemauvais.

Jeneréfléchisplusetlasaisisd’unmouvementrapide.C’estlesdoigtstremblantsquejel’ouvreeten sorsplusieurs feuilles soigneusementpliées.Mesyeux se font avides tandisquemoncœur jouedutambourdansmapoitrine.Seulement…seulement lorsquemoncerveausemetàdécrypter le sensdesphrases,çadevientlevraibordellà-dedans;unesorted’éruptionvolcaniquemêléeàl’explosiond’unebombenucléaire.

«ChèreMademoiselleBell,Nousavonsl’immenseplaisirdevousannoncerunesuitefavorableàvotredemandedetransfert

dans le cadre d’échange international d’étudiants. En effet, vos résultats vous permettaient d’êtredanslalisted’attenteencasdedésistementdespremiersélèvessélectionnés.Cequisetrouveêtrelecas,puisquenousavonsdenouveauuneplacevacantepourl’universitédeCassino…»

Jenelispaslereste,parcequec’estinutileetj’ensuisfranchementincapable.Lavoix semarre.Elle s’éclate, hystérique, pireque tout cequ’ellem’avait fait auparavant.Avant

Kate,leseulmoyendeluiécraserlagueuleavaitétédenejamaism’impliqueraveclesmeufs.Lescoupsd’unsoirm’avaientpermisdesouffler,decontrôlercesémotionsmerdiques.Cespeursmerdiques.Cesangoissesmerdiques.Cesdoutesmerdiques.

«Ellen’ajamaiseul’intentionderesteravectoi…pauvreChris!Tucroyaissincèrementqu’ellepouvaitt’aimer,toi?MaisPERSONNEnelepeut!Toutlemondepréfèretefuir!Ilspréfèrentmêmemourirqueresteràtescôtés,pauvrecrétin!Débile!»

Lalettrem’échappeetjemeprendslatêteentrelesmains.C’est faux… c’est forcément faux… elle s’est fait tatouer mon prénom… putain ! Il y a une

explication!C’estobligé!«C’était ton prénom?Vraiment ?Ou as-tu vu ce que tu voulais voir ? » susurre la voix, plus

horriblequed’habitude.«Tagueule,ellen’estpascommeça…elleestparfaite.»«Parfaite?PARFAITE?Personnenel’estassezpourvivreavectoipourtoujours!»Jesuisenmorceaux.Jesuisdenouveaucesacouvertquinepeutplusserefermer.Levidegalope

versmoi,pressédemeserrerdanssesbrastelunvieilamiàquij’auraismanqué.

Katherina

Quandjesuispartiedel’appartementhiermatin,jamaisjen’auraiscruquelajournéedulendemainsefiniraitdecettefaçon.

JecontempleSybilsurlesgenouxdeChristandisqu’ilséchangentleurssalives.Jesuispétrifiéeetmoncerveaurefusedecroirelesinformationsquemesglobesoculairesleurenvoient.

Jedoisfaireuncauchemar.Depuis son dernier texto… je n’ai pas revu Chris. Ni le soir en rentrant. Ni le matin même.

Injoignable au téléphone. J’ai bien contacté Jo…qui est resté évasif, avec cette détestable intonationdésoléedanslavoix.ÀcroirequeChriss’était toutsimplementévaporé.Patn’avaitégalementaucunenouvelledesonrejeton jusqu’àcesoir.C’estencroisantsonregardpeinéque j’aicomprisqu’un trucn’allaitpas,etcefameux«truc»étaitprécisémentassissurmonpetitcopain.

Pourquoi?Cettequestions’agitedansmonpauvreespritcommecesvieuxécransdeveillepourrisqu’ilyavaità

uneépoque.Ellem’empêched’ailleursdebouger,derespirernormalement,depenseravecefficacité.Putain!Ilyaunesortedeveninfroidquiseglissedansmoncorps;ils’insinuedanschaqueveine,s’étale

pourensuiteatteindreentièrement lemembre, lesunsaprèslesautres.Unpeucommecesdominosdèsquevoustouchezlepremier:lessuivantstombentsouslecontactduprécédent.Moncorpsestunelignededominos.

J’étaismorted’inquiétude. Jen’aipasdormide toute lanuit. J’aiharceléJo, le seulamideChrisdontj’aielenuméro.J’aiharcelésamèrequis’estmontréed’unepatienceexemplaire,m’expliquantquecelaarrivaitparfois,quandChrisavaittropdepression,ildisparaissaitpourrevenirdansunpiteuxétat.Oui,de làoù jeme trouve,mêmesiquelquesclientsduPandémoniummebousculent, trop ivrespourtenirsurleursfoutuesjambesetrespecterlaloidelagravité,jevoisbienqu’ilaunebarbeplusfournieque d’habitude.Mais voilà, ce n’est pas « piteux » qu’il est, avec la bouche de cette pétasse blondecolléesurlasienne.

J’arriveenfinàremuer.Peut-êtrequemoncorpsadécidédesepasserdemacervelle,constatantàquel point cette dernière est engluée dans unmarasme d’émotions intenses, incapable de prendre unefichuedécisiondesplussimples,commemettreunpieddevantl’autre.

C’est Erik qui me repère le premier. Il écarquille les yeux pour donner de frénétiques coups decoudes dans les côtes deChris. J’arriverais peut-être à apprécier le comique de son expression si jen’étaispasdirectementimpliquéedanslasituation.

Venirici…pourfaireça.Est-ilàcepointincroyablementstupide,oucherche-t-ilsimplementlarupture?Lorsque je suis assez proche pour nouermon regard au sien, voilé, lointain, je découvre qu’il est

surtout«incroyablement»défoncé.Probablementl’alcool…lamarijuanaenoption.Jeneperdspasdetemps:jechopefermementMissBlondieparlatignasse,aupointoùjepeuxsentirsonscalpperoxydé

crissersousmesdoigts.Quandellecouinemisérablement,j’éprouveunedivinesatisfaction.JeladécolledesgenouxdeChris,mâchoirecrispée,musclesbandés.Ellen’apasleréflexedemefrapper,justeceluideporterlesmainsàsescheveux.Ellesemetàmevociférerdesinsultes,peut-êtremêmequ’elleaenviedemefrapperlorsquejelarelâche.Jepivoteférocementsurmoi-mêmeetjedoisavoirvraimentl’aireffrayantecarellestoppenetsesrécriminationssuraiguës.

—Dégage.Sybilouvreetfermeplusieursfoislabouchepourfinalements’enfuiravectouteladignitédontelle

estcapableduhautdesestalonsdedixcentimètres.Unefoiscertainequ’ellenetraîneplusdanslecoin,lesmainssur leshanches, jeme tourneversChris, toujoursavachisur lecanapé. Ilesquisseundemi-sourireabrutid’alcool,sanscillerunesecondefaceàmafureur.

—Onpeutsavoircequetufous?!Putain!—J’passedutempsavecmespotes,lâche-t-ild’unevoixpâteuse.Monregardglissesurlesmecsetlesnanasquil’entourent.Eriksetassesurlui-même,seconcentrant

consciencieusementsursabière.Iln’yapasdetracedeJo,nideBenny.—Tulèchessouventlesamygdalesdetespotes,ducon?jegrince,lesyeuxflamboyantsdecolère.Chriss’humecteleslèvrestandisquesespaupièresseplissentdangereusement.Jedécidedenepas

melaisserperturberparlefaitqu’ilsembleluiaussifurieux.C’estlemondeàl’envers.—Allonsdiscuter…dehors.Ondiraitunordre,maisj’aieul’intelligencedeleformulercommeunerequête.J’ail’impressionque

quelquechosenevapas.Depuisquenoussommesrentrésdel’hôpital…ilyauntrucquiclochechezChris.

Ilmejauge,latêtepenchéesurlecôté,commes’ilhésitaitentreaccepteroum’envoyerboulerdevanttoussescopains.Finalement,ilselèvedupetitcanapéencuir,lentement,sûrementpournepasperdrel’équilibre.Duboutdesdoigts,ilmepoussedoucementversl’avant.Jelesensderrièremoi.Procheaupointquecelamepicotedepartout,etsilencieux.Jedétestequandilestsilencieuxdecettefaçon.

Nouspassonsparlasortiedesecours,cequinousdonneaccèsàunesortedecourunpeuàl’écartduparking des clients. Parfait. Je me poste face à lui tandis qu’il s’adosse au mur pour s’allumer unecigarette.Ilm’observeentresesyeuxpresqueclos.Leretourdutigre.

—C’étaitquoi«ça»?jel’interrogefroidement.Il hausse un sourcil, une moue goguenarde aux lèvres, mais ne répond pas. Je sens que je vais

disjoncter.Sybilenplus…Merde!Ilmefaitchier!—Chris!Situnem’expliquespascequisepasse…Bonsang!Tumefaisquoi,là?Jen’aipluseu

denouvellesdetoiaprèstonderniertextohier…Toutsemblaitallerbien,etlà,jeteretrouveavecSybilsurlesgenouxentraindevous…!

J’aicrié.Jem’interrompsillico.Jenevoulaispascrier.Jevoulaisrestercalme,avoiruneattitudetrèsmature…lerésultatestlà:çaalamentablementfoiréetjeneressembleàriend’autrequ’unepetitehystériquequitapesacrisedejalousie.Jefermelesyeuxpuisinspireprofondément.

—Tucomptaismeledirequand?Jesuistellementsurprisedel’entendreenfinparlerquej’ensursauteetlecontempled’unairstupide,

enclignantdespaupières.Commesiunsatanémiraclevenaitdeseproduiresousmesyeux.Jesuislarguéepuissanceunmillion.—Tedirequoi?Ilaspiredeuxboufféesdesacigarettepouraussitôtlessoufflerdemanièrebruyante.

—Nejouepaslesputainsd’innocentes!J’ailulalettre!Maisdequoiest-cequ’ilparle?—Quellelettre?!Il jette rageusement sonmégot puis passe unemain tremblante dans ses cheveux. Je le contemple,

fascinéeparcesimplegeste.Jen’ypeuxrien.Ilasurmoicetteespècedepouvoirmagiquequidevientchaque jour plus puissant. C’est effrayant. Plus je suis proche de lui, plus mes sentiments paraissents’enraciner jusque dans ma chair. Ça ne me donne pas des ailes… ça me terrorise. Ça me renddépendante.

Chrism’adresseunregardnoir.—Lalettrequiannoncequetutecasses.Jet’aidonnélapossibilitédenepast’engager,Kate,defuir,

jet’ai…bordel!Jet’airepousséesifortquej’enavaismalaubide!Toutçapourquoi?POURQUOI!Tum’abandonnes!Jen’ai jamaisfaitpartiedetesplansd’avenir,hein?Normal,si j’étaisà taplace,j’éviteraisdem’yinclure!

—Jenecomprendsrienàcequeturacontes!jehurle,lespoingsserrés.—Tunedevaispasm’abandonner!PASTOI!Ilcrie,luiaussi.—Maisjenet’abandonnepas,merde!Soudain,avantquej’aieletempsdecomprendrequ’ils’avancedansmadirection,ilestsurmoi.Il

serre fort mon visage entre ses mains puis m’embrasse avec une telle fureur que nos dentss’entrechoquent. Ses lèvres sont dures ; il n’y a aucune tendresse dans ce baiser. C’est punitif, etcolérique…etpassionné.Chrisnem’ajamaisembrasséedecettemanière.

Jetentedelerepousserparcequecen’estpasunesolution.Maisilnemelaissepasfaire.Sesdoigtsoublientmon visage pour saisirmes poignets tandis que sa langue se crée sa propre route jusqu’à lamienne.Ilgémit.Pasdeplaisir,non,çaressembledavantageàdela tristesse,ouà je-ne-sais-quoiquipossèdelamêmedouleur.Ilaungoûtd’alcooletdecigarette.

Iléloigneàpeinesabouchepoursouffler:—J’aicruquetuarriveraisàm’aimervraiment,mêmesijenesuisbonpourpersonne.Sesyeuxsontfermés;impossibled’ydécryptercequisepassedanssatête.—Jenesaispasdequoituparles,Chris…Quellelettre?Pourquoipenses-tuquejet’abandonne?

C’est…c’estimpossible.Undrôledesourireincurveseslèvres.Letigre.Encorelui.Lapressiondesesdoigtssefaitmoins

forte.—J’aienviedete…Maisilneterminepassaphrase,ilsecontentedes’écarterdemoipourfarfouillerdanslapochede

son jean. Il en sortune feuilledepapier froissée, chiffonnéecommes’il l’avait réduite enboulepourensuiteladéplier.Lorsqu’ilmelatend,jel’accepteetlalis.

Jecomprendsmieux.—Chris…C’estunedemandequej’aifaiteavantdeterencontrer…bienavantlesvacancesd’été,

même.Ilrestebrièvementsilencieuxavantdem’interroger:—C’estoù,Cassino?Sontimbreestrauque.Jelèvelesyeuxverslui.—EnItalie.C’estuneuniversitéitalienne.Chrisaffronteenfinmonregardafind’ychercherquelquechose,sûrementlavérité.—Tunevaspasyaller,alors?

Unebouleseformeaussitôtdansmagorge.Jenepeuxpasluirépondreparl’affirmative,parcequejene sais pas. Il s’agit demon futur… dema vie d’adulte. J’ai besoin d’y réfléchir sérieusement.Monsilenceluitireunricanementameret,sansunregardpourmoi,ilsedirigeverslaportedesecoursduPandémonium.

—Chris!jel’appelle.Sonuniqueréponseestdeleverlamainenl’air,commepourmeprierdelaboucleroudelelaisser

tranquille.Qu’est-cequ’ilsepasse?Pourquoileschosesonttournéainsienmoinsdequarante-huitheures?Jebossecorrectementmaisjedoisavoirl’aird’unrobot.J’éviteunmaximumPatyetjenecessede

jeterdescoupsd’œilfurtifsverslatabledeChrisalorsquecedernierm’ignore.C’esttrèsétrange…j’ail’impressionquenousavonsrompusansl’avoirfait.Jeneveuxpasrompreaveclui.Jeravaleladouleurquecetteidéeprovoqueetmanquem’étoufferavec.

—Çava?C’est Jaze. Il a posé la question sansme regarder, tout en préparant la commande pour l’une des

tables.—Ouais.Jenevaiscertainementpasdiscuteravecluidemesproblèmesdecouple.Noséchangesverbauxne

sontjamaisallésplusloinque«salut»et«bye»etcetétatdefaitmeconvienttrèsbien.—Ondiraitpas.Ilinsiste,toujourssansmêmeleverlenezduplateauqu’ilgarnitavecunerapiditéagile.Cettefois-ci,

jenerépondspas,jel’observejuste.Jazeestcequ’onpourraitappelerun«canon»,quoiqu’unpeutropmaigreàmongoût.Ilsembletrèsgentiletdouxmalgrésesnombreuxtatouages,pascommeChris.Ilmefaitpenseràunchiotaccroauxcâlins.Chris,c’estuntigrefaussementparesseuxquipeutvoussourireuninstant,pourvousdévorerlasecondesuivante.

—C’estrien.Lesujetestclos.Dumoinspourmoi,maisJazes’arrêtedetravaillerpuisoseenfinplantersesyeux

dans lesmiens. Il semble irritémais ne pipemot, se contentant deme rendremon plateau, et je l’enremercied’unbrefhochementdetête.Ilcrèved’enviededirequelquechose,jelevoisbien,cependant,ilseretientetjedoisdirequejepréfère.

Je vais servir la table qui jouxte celle deChris. Je suis soulagée queSybil ne soit pas revenue àl’attaque;jen’auraisvraimentpassupportédel’observerencoreunefoisselaisserembrasserparcettepétasse.

Jedépose lecocktailcoloréaux jeunesfilleset lesbièresauxmecs.Pendantque jemepenche, jeremarquequel’und’euxlouchesurledécolletédemontop.UnautrevêtementoubliéparmasœurMeletquimepermetdejouerlaserveused’unbardansantdetatoués.Nosyeuxsecroisent.Ilrougitetdétournelatêtelepremier.Saréactionm’apaise;jepassedoncl’éponge,ausensproprecommeaufiguré.

Quand je me retourne, c’est la claque. Chris me fixe d’un regard brûlant, presque haineux. Eriksemble lui parlermais son attention, durant unmoment, est concentrée surmoi.Nos regards se lient,s’attachent,secherchent.Lentement,ilportelegoulotdesabièreàseslèvres.

Puisce sourirecarnivore,celuidu tigre, revienthanter ses lèvresparfaites.ParcequeChrisauneboucheparfaitequiplacesesbaisersaurangdedroguedure.

J’ai souvent l’impressionqu’ilm’intoxique…sensationqui empire lorsque je le sens loindemoi.Paradoxaletincompréhensible.

Cetteboucheparfaiteformedesmots,unephrase,maisriend’audible.Jefroncelessourcils.Ilsourit

une nouvelle fois, cependant ses prunelles grises brillent désormais d’un éclat froid, impitoyable. Ilréitèreetlàjesaisislesensdecettephraseprononcéedemanièremuette:«J’aienviedetebaiser».Jerougis.Chrisnem’ajamaisparlédecettefaçonpourévoquernosrelationsintimes.J’yvoyaisuneformederespect,parceque,j’aibeauêtreunepetitedureàcuire,iln’enrestepasmoinsqu’avantlui,j’étaisvierge. Il semblerait qu’il ne va plus se donner cette peine et quelque part, çame blesse…peut-êtreencoreplusques’ilm’avaitinsultée.

Jemedétournevivement,maispasassezrapidementpournepasentendresonriredur,quiseplanteentremesomoplatespareillesàlapointedeflèchesempoisonnées.C’estcommesij’étaisdevenueuneciblepourlui,presqueuneennemiequ’ilfautdétruire.Merde.Là,j’aivraimentenviedepleurer.

Jemeprécipitedanslepetitlocalréservéaupersonnelet,Dieumerci,iln’yapasâmequivivedanslapièce.Jetourneleloquetpuism’adosseaupandebois.

Est-cequejepleure?Jene sanglotepas,maisquelquechosedemouillé roule surmes joues, alors,oui, jedoispleurer,

aucundoute.Quandjequittelasalle,j’aiquasimentl’airnormale,hormismesyeuxlégèrementbrillantsetrougis.

Uncoupd’œilverssatablemesuffitpourconstaterqueChrisn’estpluslà.Jemeretiensdemejetersurmon téléphone pour lui envoyer un texto médiocre et désespéré. Un sursaut de fierté ? Ouais,probablement.

JeterminemanuitenesquivantPaty.Pourdeuxraisons,principalement:lapremière,jeneveuxpaslamêleràcettehistoire.C’estmapatronneetlamèredeChris.Lasecondeprolongecelle-ci:jeneveuxpasqu’ellejouelesarbitresouqu’ellesesenteobligéedeprendreparti.

Jazemeproposedemeraccompagner;jerefusepolimentsansleregarderdanslesyeux.J’aienvied’être seuleet laconversationque,visiblement, ilmeurtd’envied’avoiravecmoiest très loindemetenter.

Le petit banc de bois de l’arrêt du bus est froid.Mon haleine forme de la condensation. Il n’y apersonned’autrederrièrecetabrienPlexiglas.Jerabatslacapuchedemonsweatsurmatête,nonsansavoirplanté lesécouteursdemonMP3dansmesoreilles.Ilfallaitquelapremièrechansonsoitd’uneaffreusetristesse;çamedéprimedixfoisplus.

JemedemandesiChrisvarentreràl’appart’.Jemedemandesijedoisl’appelerouluienvoyerunmessage.Sijedoisinsister.Fairelepremierpas,ousi,aucontraire,çarisquedelesaouleretlebraquer.Décidément,jenesuispasdouéepourlesrelationsamoureuses.Jenesuismêmepasencolèrequ’ilaitouvertmoncourrier,maisétantdonnésaréaction,j’auraissouhaitéqu’ils’abstienne.Clairement.

Unvrombissementfamilierprécipitelesbattementsdemoncœur.Jeretiens,l’espaced’uneseconde,ma respiration. C’est la Pontiac. Je suis stupidement heureuse. Il la gare, sans arrêter le moteur, àl’emplacementdestinéaubusmaisjem’enfous.Çaveutdirequ’ilrentreouqu’ilveutdiscuter,résoudreleproblème…c’estunsigne,unbon.Enfin,jel’espère.

Ilsortdelavoiturepuissedirigeversmoisansmeregarder.Quandils’arrête,jedoispratiquementmetordrelecoupourvoirsonvisage.Nosyeuxsecroisentuncourtmoment;ilattrapemonsacàdospuislâche:

—J’teramène.Savoixaunpetitquelquechosedebourru,néanmoins,jen’ydécèleaucunetendresse.J’obtempèresansessayerdemelajouerfillecontrariéequiboude,parcequec’estsimple:jepréfère

millefoiseffectuerletrajetdanssavoitureàsescôtés,quedansunbusvide.Ilattendquej’aiebouclémaceinturepourdémarrerentrombe,sefichantéperdumentdel’éventuelle

présencedesflicsdanslesenvirons.Jeprendssurmoipournepasledévisager.Jedoisçaencoreàun

brind’egoqu’ilmereste.—J’aimeraissavoirsituvastecasserdanscebled…enItalie.Làaussijen’osepasleregarder.—Jen’yaipasencoreréfléchi,Chris.—Tunepeuxpasmedonneruneréponse?Ouiounon?Concrètement,qu’est-cequit’empêchede

partirlà-bas?Tul’avaisprévu,non?Toi.—Toi.LechangementdevitessesefaitdouloureuxpourlaboîtedesaPontiac.—Alors,reste.Tupeuxtrèsbienréussirtesétudesici.Jetepréviens,lesrelationslonguedistance,

c’estniet.Mafemme,c’estàmescôtésqu’elleest.J’aibesoindetoi,tedetoucherquandj’enaienvie.Deteparler,deteregarder…quetusoisdansmonlit.Jen’aijamaisvoulumecoltinerunepetitecopine.Tueslapremièrepourquijetentel’expérience,parceque,crois-moi,çameconvenaittrèsbienavant,dejustebaiseràdroiteàetgauche.

Jemetassesurlesiègepassager.—Jelesaistrèsbien,ça.Mavoixestaussipetitequemoi,etlà,toutdesuite,jevoudraisdisparaître.Chrisprofited’uncédez-le-passagepourdemander,tendu:—Alors?Turestesoutupars?J’aienviedehurlerquejereste,maisquelquechosem’enempêche.Jenesaispascequec’est,c’est

justeliéàlapeur…,vaguement.Ouaudésirdefairecevoyage,detentercetteaventure.Untrucmocheetégoïste.

—Jen’ensaisrien…,jesouffle.Chrisfrappelevolantduplatdesamainintacte.Mesyeuxseposentsurlebandagedel’autre,etle

peuquej’endistinguemesignalequ’ildevienturgentdeleluichanger.—Merde!Kate!Maismerde,à lafin!Tusaisquoiaujuste?«Jesais trèsbien»,«Jenesais

rien»!Tutefousdemagueule,engros,non?—Non!Maiscommentveux-tuquejeprennecegenrededécisionaussivite?Cen’estpascommesi

celafaisaitdesannéesquenousétionsensemble!Essaieunpeudemecomprendre!Chrisricane.—Ouais,donctonamourpourmoisemesureentemps,c’estça?Siçafaisaitdixansqu’onétait

ensemble,tuneteposeraismêmepaslaquestion!Commentveux-tuqu’onyarrive,àcesputainsdedixannées,situtebarresauboutdedeuxmois?

D’une certaine façon, il a raison…maismoi aussi. C’est complètement dingue d’en arriver là. Ilredémarrebrutalementlavoiture.

—Cen’estpascequejevoulaisdire.C’estjusteque…—Que?Quequoi?Tun’aspasidéedel’effetqueçamefait…àquelpointçamerenddinguede

savoir que tu peux partir du jour au lendemain à des milliers de kilomètres. Je refuse, Kate. J’tepréviens… je ne vais pas memontrer compréhensif, genre… rien à foutre, ouais ! Tu as accepté decompterpourmoi,alorsassume-lejusqu’aubout.C’esttoutourien.Jesuiscommeça.

—Cetéchanged’étudiantsvam’ouvrirdesportespourmonavenir !Çan’a rienàvoir avecmessentimentspourtoi!

Nousarrivonsenfinauparkingdel’immeuble.Jesuisnerveuseàl’idéequ’ilmedéposejuste,pourimmédiatements’enalleraprès. Je récupèremonsacen tremblantpuism’extraisde laPontiac.QuandChriscoupe lemoteur, jepousseunsoupirdesoulagement.Parcontre,quand ilclaqueviolemmentsa

portière,jesursauteetjesensmonfrontseplisser.Sansm’attendre,ilfonceverslehalld’entrée,meforçantàcouriràpetitesfouléespourlerattraper.

Mêmesi lacabinede l’ascenseurestplutôtétroite,nousarrivonsànous tenir lepluséloignépossiblel’undel’autre.Chrissembletendudelacimedesescheveuxàlapointedesesorteils.

Unefoisleseuildel’appartementfranchi,ilôterageusementsavestepourlabalancersurlesofa.—Jevoudraist’aideràchangertonpansement,Chris.Il pivote sur lui-même pour m’adresser un long regard noir de colère, comme si je venais de

l’insulter.—C’pastonproblème,l’étatdececondepansement!—Si!Je viens de crier. Soudain, l’ambiance change brutalement. De la fureur, du désir et encore bien

d’autres choses qui la rendent aussi palpable qu’un mur de béton armé. C’est complètement absurdecommeréaction,mais jecoursdirectpourm’enfermerdans lachambreet lui,ensimultané, sautepar-dessuslecanapépourmepoursuivre.Ilatoutdufauvequitraquesaproie,etlà,saproie,c’estmoi.

Jesaisqu’ilnemeferaaucunmal,maisunseulregardsurluim’afaitcomprendrecequ’ilvoulait,là,encetinstantprécis.Unechosequejenesuispasd’humeuràdonner.

Jen’aipasétéassezrapide,oubienc’estChrisquiest tropvéloce.Résultatdescourses?Jesuisallongéesurlelittandisqu’ilpèsedetoutsonpoidssurmoi,sansm’épargner,mebloquantlesmainsau-dessusdematête.

—Tumerendscomplètementdingue!Ilvocifèreetjeperçoisdeladouleurdanslesondesavoix.—Bougedelà,Chris!—Non!Jeveuxquetum’écoutes!—Tuneveuxpasquejet’écoute,tuveuxquejet’obéisse!—Ouais!Putain!Ouais!Salegamine!Sabouchesurlamienneetmoncerveauoublietout.Jen’arrivepasàsavoirquigémitleplusfortde

nousdeux:luioumoi?Salanguem’envahitpourmedominer.Jemerebelleetjetentedeprendrelecontrôledecebaiser.

Aussi incroyable que cela puisse être, c’est presque un bras de fer. Puis il détache ses lèvres desmiennes,lesyeuxclos.Jecontemplesestraitstirésetsonteintlégèrementlivideensongeantqu’ilrestetoujoursaussibeau.Mêmeaveccettetête-là.

— Je vais te baiser, Bébé. Sans capote, te faire un gosse, et te lier à moi pour t’empêcher dem’abandonner.

Il amurmurécesproposavec tantde tristesse… je sais trèsbienqu’il nemettrapas samenaceàexécution.C’estjustepourmeblesser,oumesupplierderester.

Ils’écrouleàmescôtés,lesdeuxmainssurlevisage.—Tumériteraisquejelefasse,poursuit-ild’unevoixétouffée.—Arrêtedediredesconneries,jemurmured’unevoixabsente.Ilôteunemainpuismelaisseentrapercevoirunepartiedesonregardtoujoursobscurciparlacolère.—Nemeprovoquepaspourvérifiersij’ensuiscapableounon.Tun’aspasidéedetoutcequeje

pourraisfairesansquecelanemeposeunputaindeproblèmedeconscience.Sarépliquemedéclencheuninterminablefrissonlelongdelacolonnevertébraleetjedétourneles

yeuxlapremière.— C’est quand même un procédé dégueulasse et un peu radical, non ? je lance avec une pointe

d’amertume.

—Jesuisunmecradical.Mesépaulesseraidissent.—Alors…c’estça?SijedécidedefairecetteannéeenItalie…c’estfinientrenous?Unpetitsilenceaccueillemonbrefrésumédelasituation.Ouplutôtduchantagequ’ilestentrainde

mefaire.—Oui.Il se redresse presque d’un bond pour ensuite errer sans but précis dans la pièce. Finalement, il

s’arrête,pivoteversmoi,leregardperdu,lointain.Ilsecouelatêtepuissortenclaquantlaportederrièrelui.

Je n’arrive toujours pas à y croire.Même là, le regard rivé à ceminuscule studio vide que seuls

quelques-unsdemescartonshabillent.Chrism’adonnétroissemainespourtrouverunautreendroitoùhabiter.Troissemainesdurantlesquellesjeneluiaipasparlé,nimêmeentraperçu,etpourcause:iladormichezJo.Celas’estpasséàunetellevitesse.Cettecassureaététropbrutalepourquemoncœur,oumoncerveau,s’yhabitueréellement.Ilnem’apasaffrontéepourmel’annoncer;deuxheuresquaranteminutes après notre dernière discussion, ou plutôt, notre dernière dispute, il m’a téléphoné pour medemander de partir. Sa voix était tellement… tellement « pas lui ». Froide, impersonnelle, si…«mécanique ». J’ai eu la terrible impression d’étouffer en l’écoutant parler. Je crois avoir répondu,chaquefois,parunseulmot:«d’accord»,«oui»,«non»,«bye».Enfin,difficileàdire,cemomentdemeureencorefloudansmonesprit.L’uniquechosequiestrestéed’uneincroyablenetteté,c’estcettedouleurintolérabledansmapoitrine.Touslesromans,touslesfilms,toutesleschansonssurlesujetontridiculementraison:uncœurbrisé,çafaitmal.Malauxlimitesdusupportable.J’avaisréussiàtomberamoureuseettoutcetamours’étaitretrouvétropvitesurlebûcherdeladiscordepouryfinirbrûlévif.

Jemedemandesijevaisfinirparréaliser,ousijevaiscontinueràrespirer,marcher,mangersansypenser,machinalement,toutenn’étantpasvraimentlà.

C’est curieux. Vraiment étrange cette capacité à exécuter les tâches quotidiennes, ou vivre, toutsimplement,maisaveccetteperpétuellesensationden’êtrequ’unecoquillevide;uneenveloppefaitedechairetdesangtotalementinhabitée.

Jen’aipasverséunelarme.Jecroisque,aveclerecul,c’estcequimechoqueleplus.Amandapensequec’estparcequejerefusedefaireledeuildemarelationavecChris,elleaprobablementraison…Enfin,j’imagine.

Durant ces trois semaines, je me suis démenée pour trouver un petit studio dont le loyer estraisonnable.Jejettespontanémentuncoupd’œilàl’écrandemonportable,c’estbientôtl’heuredudîner.Jevaisdevoirencoremesustenterdansunboui-bouimiteuxpournepasravagermonbudget.

Jesuisaumoinscontented’unechose:lefaitquemonimmeublenesoitpastropinsalubre,mêmesimes voisinsme font penser à des junkies ou des voleurs à la tire ; qu’il soit également sur lemêmetrottoirquel’arrêtdebus.

Alorsquejeviensdem’asseoirsurl’undessièges,lesécouteursdemonMP3mediffusentdumétal:jenesuispasfan,maishorsdequestiondedéprimeravecdesbaladesdégoulinantesdetristesse.

Ilfaitdéjànuitetilpleut.J’observe,sansréellementlesvoir,lespetitesgouttesd’eauquiperlentsurlavitre.Danslerefletdecelle-ci,monvisageapparaîtcommeceluid’unfantôme.Troppâle.Amaigri.Desyeuxcernés.Jemedétournedecetristespectaclepourfixerl’écrandemontéléphone.J’envoieuntextoà Juliettepour savoir si toutvabienpourelle. J’aibiendevinéqu’ellecommençait à fréquenterJamie:elleestdevenuepluscoquette,plussourianteetacetéclatqu’ont lespersonnesamoureusesetquejenepossèdeplus,c’estcertain.Etsurtoutledétailquinetrompepas:elleparledeluisansarrêt.Je

souris.Jepréfèreça.Jepréfèrelasavoirentraindevivresaviequedeladétruire.Julietteestbientropjolie,bientropdouceetbientropjeunepourselaisserflétrirsouslejougd’undogme.

J’inspire une grande goulée d’oxygène, puis je la souffle doucement… Je la laisse filtrerprogressivemententremeslèvres,justepourcalmerunpeucettedouleurquim’étouffe.

Chrismemanque.C’estterrible,parcequejeluienveuxdememanquerautant.Sijenel’avaispasrencontré,sijen’étaispastombéamoureusedelui,jen’enseraispaslà.

Lebuss’arrêteenfinet j’endescends.Moncorpsfonctionnetoutseul,etheureusement,d’ailleurs:parcequemonespritneparvientplustellementàseconnecteràlaréalité.

«ChezSancho…»Burritosetenchiladasàmoindrecoût.Jecontempleladevanturejaunevifdurestaurantmexicainenordonnantàmonsatanéestomacdene

passerévoltertropbruyamment;jel’entendspresquegémiràl’idéedesupportercegenredenourriturelorsd’unénièmesouper.

Lorsquej’ouvrelaporte,unbruitdesonnetteannoncemonarrivée;jelanceunrapidecoupd’œilauxalentours.Lamajoritédesclientssont typéshispaniqueetmeregardentbrièvement.Celafaitplusieurssoirsquejeviensàlamêmeheure,ilsm’ontsûrementreconnueetnefontpluscasdemaprésencesurleurterritoire.

Jem’avancetranquillementverslecomptoir,làoùunhommed’unetrentained’annéesàlapeaumate,vêtu d’une veste de cuistot au blanc douteux, et un filet noir sur la tête, me fixe pour prendre macommande.Après une salutation de rigueur, je lui débite le nomdumenu que j’ai choisi, à emporter,évidemment.Ilacquiesceets’éclipseencuisinesurlaquellej’aiunevueimprenabledepuisl’endroitoùjemetrouve.

La sonnette retentit dans la pièce exiguë, mais je m’abstiens de me retourner pour détailler lesnouveauxarrivants,parcequejemefichebiendequivientdanscemodestetempleàlagloireduchili.

—Kate?murmureunevoixquejereconnaistropfacilement.Jesursautepuismefige.Non.—Kate!Jepivotesurmoi-mêmeavecunelenteurquej’imagineunbrindramatique,commedanscesfilmsqui

abusentdesralentis.Marespirationestsubitementanarchiqueetladouleur…plusintense.Non!Non!C’estbienChriset,cequimerassuredansl’immédiat,là,c’estqu’ilparaîtencorepluschoquéque

moi.Nos regards se lient, se cherchent et s’examinent l’un l’autre. Il y a une formed’avidité dans cegeste. Il a maigri. Sa barbe est plus fournie. Lui aussi semble mal en point. Je ne sais pas si cetteconstatationdoitmeréjouirounon.Troissemaines…troissemaines.Celapeutêtrelong,apparemment.J’ail’impression,encettesecondeprécise,quecelaéquivautàunsiècle.

Mesyeuxs’arrachentdifficilementde sapersonnepourglisserversceluiqui se tientà sadroite :c’estJo.Ilmefaitundiscretsignedetêteetunsouriremaladroitétiresabouche.Monface-à-faceavecson meilleur ami a l’air de le troubler. Mon regard revient aussitôt à l’objet de tous mesdysfonctionnementsphysiquesetmentaux.Onpeutbienparlerde«dysfonctionnement»puisqueplusriennemarchecommeavant…avant«lui».J’aimeraisqu’ilprennesesresponsabilités.Qu’ils’excusedem’avoir brisé le cœur par téléphone, par exemple. Je pense que ce serait un excellent début, surtoutconcernantcefameux«deuil»qu’aévoquéAmanda.

Nous restons plantés là, à seulement deuxmètres de distance, incapables de savoir ce qui est lemieux:fuirous’ignorer.Visiblement,Chrisn’apasoptépourlesecondchoix,alorsilnemeresteplusquelepremier.

Lepropriétairedu restaurantm’interpelleet jeme tourne instinctivementvers lui :mon repas tientdansunpetit sac plastiqueblanc. Je lui souris gauchement tout en tendant deuxbillets, puis l’observechercherdelamonnaiesurluisanscligneruneseulefoisdespaupières.

Dépêche-toi!Maisdépêche-toi!Enfinilmerendquelquespiècesquej’enfourneprécipitammentdanslapochearrièredemonjean.

Tout en prenant soin de baisser un maximum la tête, les yeux rivés au carrelage à la propreté touterelative,jefonceverslaported’entrée,prèsdeChris.Chrisquiestresponsabledemoncœurenmiettes.Chrisquejevaisdevoiréviteralorsqu’ilsetientquasimentsurleseuil.

J’ailabouchesèche,lepoulsaffreusementrapideetlatêtequibourdonne.Quandl’airhumideetfraism’entoure,unsentimentdesoulagementm’offreunefaibleaccalmie,mais

hélas,decourtedurée;jedevinetropfacilementàquiappartiennentlesdoigtsquiviennentdemesaisirl’avant-bras.

—Attends!Jemepétrifie.Encore.J’aipresquepitiédemoi.Jefermelesyeuxpluslongtempsquenécessaireen

essayantvainementd’amasserlesdébrisdemonespritéparpillésdansmaboîtecrânienne.Questiondesurvivreàcetterencontre,questionderéussiràéchangerquelquesbribesdeconversationaveclui.Jemetourne puis secoue le bras assez fort pour l’inciter à me lâcher. Ses prunelles grises se posentinstantanémentsursamain,cellequim’encercle,etenfinilréalise.Ilmelibèrevivementpoursefrotterla paume sur sa cuisse. Je pince les lèvrespourme retenir de sourire, un sourire qui n’aurait riendejoyeux ou d’amusé, mais qui serait plutôt un signe précurseur d’hystérie, parce que, pour un peu, jepourraiscroirequ’ilestnerveuxàl’idéedemeparler.

Chris?Nerveux?Tudébloques,mapauvreamie!Denouveau,nousnousscrutonsmutuellementensilence.J’attendsqu’ilcommencelepremier.—Tuasmaigri.C’esttoutcequetutrouvesàmedire?Vraiment,Chris?—Jepeuxterenvoyerlecompliment.Ma voix contient assez de venin pour anéantir une armée de mangoustes. Ses prunelles grises,

autrefois affûtées comme des lames, sont désormais ternes, et me fuient. Il passe les doigts dans sescheveux,lesemmêlantunpeuplusdansunecoiffuredéjàhirsute.

—Melm’aditquetuavaistrouvéunappart…Sa grimace m’étrangle le cœur. C’est tellement « lui », cette mimique à la fois séductrice et

facétieuse,maislà,y’aunparfumdemalaise,detristesse.Jecroisquec’estcelaquim’étreintàcepoint.Je cherchema salive. Je ne sais pas où cette idiote est partie,mais si je veux pouvoir parler et noncroasser,çaseraitbienqu’ellereviennedansmabouche.J’opineenréponse.Ilrivesoudainsesyeuxauxmiensetunéclatparticulierilluminesonregard:

—C’estoù?Prèsd’ici?Tuveuxquejeteraccompagne?Jereconnaiscettefébrilitéquil’agiteencetinstant;j’enaiuneidentiquequifaittremblermoncorps

del’intérieur.—Pourquoi?Pourquoiest-cequetuvoudraisfaireunetellechose?Les lèvres deChris s’ouvrent, s’écartent avec la ferme intention de prononcer desmots, peut-être

mêmeunephrase,jelevoisbien,maisfinalement,illesscellesansriendire.Unegrimacedéformelesmiennes,etcettedernièredoitclairementaffichermonamertume.

Je lecontemple. Il flotteunpeudanssesvêtements. Ilémanede luiuneforteodeurdecigaretteetd’alcool,cequinefaitaucundoutequantàsonactivitéprincipalelorsqu’ilnetravaillepaspourRonan.

—Tuasraison…C’estcomplètementcondemapart.Jeseraistentédemelajouerstalker.

Aprèsunultimeéchangevisuel,sesyeuxplongésdanslesmiens,jemedétournedeChrissansajouterquoiquecesoit.Quepourrais-jebienluirépondre?C’estluiquiestàl’originedecestupideultimatumnousfaisantsouffrirtouslesdeux.

C’esttoiquiasvouluça…pasmoi!Alorscessedemeregarderaveccetairperduettriste!—Kate!Jestoppeetsoudain,jelaperçois:lapluie.—Kate!Resteavecmoi!Promets-moideresteret…etonpourrait…Kate.Kate!Jenevaispas

bien…pasbiendutout.Savoixs’éteint,oualorsc’estlebruitqueprovoquelapluieens’abattantsurnous,jenesauraisle

dire.Jeviensàpeinedem’éloignerdelui,maisjemetournequandmême.Jenepeuxrienyfaire…C’estChris.

—Ilya…jecrois,qu’ilyaquelquechosedecassé,Chris.Pasplusd’uneoudeuxsecondesnes’écoulentavantqu’ilnehurle:—Quoi?Jenet’entendspas!Jepinceleslèvrespendantquemavesteàcapuches’alourdit,détrempée.L’eaumedégoulinepartout

surlevisageaupointoùlasilhouettedeChrisendevientfloueetjem’écrieàmontour:—Jedoispartir!Jen’enaipasenvie.Jevoudraismeprécipiterpourretrouverlachaleurdesesbras,maisvoilà,ce

n’estpaspossible.Cequ’ildésire,jenemesenspascapabledeleluidonnersansavoirlesentimentdemesacrifier.

Unefoisencorejemedétourne.Ilnecherchepasàmerattraper,parcequ’ildoitsavoir,aufonddelui, ilsaitcequej’ai tentéd’exprimer,maisquandilhurlemonprénom,uneémotionsebrisedansmapoitrine.Chrisnes’arrêtepas,ilm’appelleencoreetencore.Jecontinueàmarcherendirectiondel’abridebus.Malgrélechanttonitruantdel’orage,jel’entends.Savoixrésonnepartout,jusquedansmestripeset là, là je comprends. Jen’ai pasbesoindevérifier la naturede ce sentimentqui s’est défait enunemultitudedepetitsmorceauxaussicoupantsqueduverre.J’aicompris.

Jepleure.Jepleureenfin.

Chris

Je n’arrive à rien faire d’autre que la regarder s’éloigner demoi.Mes pieds sont englués au solcomme si le goudron était subitement devenu du sable mouvant m’empêchant d’esquisser le moindremouvement. Je ne sais pas ce que j’ai cherché à faire quand je l’ai reconnue. Peut-être aurai-je dûl’ignorer,maisjem’ensuisretrouvéincapable.

Jen’aipasréfléchi,c’estjusteque…Unepartiedemoilahaittandisquel’autre…putain!L’autregîtsurlesoletsevidedesonsang.

Toutcenéant.Unfoututrounoir.Jevoulaisqu’elleparte,maisvoilà,sanselle,iln’yaplusrien.—Hey…Çava?C’estJo.Jelerepèreseulementducoindel’œil,parcequemonregardresterivéàlasilhouettequi

disparaîtdemavue,souslapluiebattante.—Chris,tuasremarquéqu’iltombedescordes?insistemonami.—Jenevaispasbien,Jo.Mavoixn’estqu’unmurmure inaudible.J’ai froid.J’ai tellementfroid.Il fautquejemeréchauffe,

quejeboiveunverre…n’importequelalcoolferal’affaire.—Çanevapass’arrangerenrestantsouslaflotte.AlorsqueJosepostefaceàmoi,jeluiattrapebrutalementlesavant-braspourplantermesyeuxdans

lessiens.—Tunecomprendspas!Jenevaispasbien,pasbiendutout!Àl’expressionqu’affichesonvisage,jeperçoisqu’ilestlarguépuissancemille.Ils’essuiedudosde

lamainl’eauruisselantsanscessesursafigure.—Écoute,Chris…Tuvasrentreravecmoi, là, temettreauchaud,ensuitejerécupèrelefricpour

Ronanetonsetireaugarage,d’accord?Jehochelatêteentremblant,deplusenplusfrigorifié,maisc’estcurieux,jen’aipasl’impression

quecesoitàcausedelapluienousdévalantdessus.Jerestedansuncoindelasalle,l’espritperdudanslevague.Jefaistoutpournepasmerepasserle

filmmentaldemarencontreavecKate.J’aitellementenviedeboirequej’enaidescrampesàl’estomac.Mesdoigtss’accrochentautissuglissantetmouillédemaveste,sansparlerdemesdentsquiclaquentàfaireunboucaninfernal.

«Tusaisquepersonnenepeutrienpourtoi,Chris.»Personne…ouais.«Maistoi,tupourraisfairequelquechosepourelle…»Laprotéger?«Oui,Chris.C’estcela.Laprotéger.»Jesursaute.Joaposéunemainsurmonépauleetm’adresseunbrefsignedelatêtepourm’inviterà

lesuivreàl’extérieur.Unefoisdanssavoiture,illadémarrepuismetlechauffageàfond.

—Tun’auraispeut-êtrepasdûteséparerd’elledecettefaçon.—J-j’auraisd-dûlef-faireco-comment?A-avecdesfl-fleurs?jebégaie.J’ailachairdepoule,desfrissons,etsuissecouéedespasmes.Jefermemomentanémentlesyeux,la

mâchoirecrispée.Putain!J’aitellementfroid!—Jen’aipasditça…Tusaistrèsbiencequejevoulaisentendreparlà.Maisregardeunpeude

quoituasl’air,merde!Uneépave,mec!Tufaistroppitié!Jeluijetteunregardnoir.—Mer-merci!T’esunvr-vraipo-pote,t-toi!Ilmerenvoielaballeavecuneœilladequin’arienàenvieràlamienne,pourensuiteseconcentrer

denouveausurlarouteetlacirculationquinousentoure.—OndoitrejoindreRonanchezlui.IlyadéjàBennyetErik.JechercheMeldesyeuxdanscesalonauxdimensionsimpressionnantesetnelavoisnullepart.Cen’estpasnormal.Elledevraitêtrelà.—Alors…moncherclebs,commentseportetapetiteprotégée?Jel’aibienentenduparler,sansavoirréellementécoutélesensdesespropos.Jomefileuncoupde

coudedanslescôtes.Jemetournemachinalementverslui,agacé.Ilmedésigned’undiscretmouvementdumentonnotrepatronetenfinmonregardseposesurlui.Ronan,assissursontrônedansuncostumenoirprobablementcoususurmesure.

—IltedemandedesnouvellesdeKate,mechuchotemonami.Ilalatêtepenchéepourquenotrebossnepuissepasliresurseslèvres.Je sensmespaupières seplisser. Je ne trembleplusde froid,même simesvêtements sont encore

humides,simplementparcequelapremièrechosequej’aifaiteenentrant,c’estmeservirunputaindeverredevodka.

—Onn’estplusensemble.Aumoins,maintenant,illuifoutralapaix.Unegrimacederequindéformesabouche.—Queldommage.Monjouetestcassé,peut-êtreest-cequejedevraisemprunterceluidemonchien

enragé,qu’enpenses-tu?Sonjouetestcassé?Est-ceque…?!—Cen’estpasmon«jouet».Ellen’estplusrienpourmoi.Ronanhausseunsourcil.—Vraiment?—OùestMel,boss?Jedoisluifilerdesaffairesquesafranginealaissées.Ilagitelamaincommesidesmouchesluitournaientautour.—Partiejenesaisoù,après…notrepetiteexplicationconcernantlecomportementquedoitadopter

unefemmevis-à-visd’unhomme.Franchement, ce n’est pas fait pourme rassurer et là, je crains le pire pourMel. Samimique de

squalerevientaussitôtincurverleplideseslèvres.—Tusais,Chris…ilfautlesdresser,cesputes.Situnelefaispas,c’estlafenêtreouverteàtoutes

lesdérivesetaumanquederespect.Jepensequ’elleétaittropvieille…Là,ilsecouelatête,feignantd’êtrenavré.Jeserrelespoings.Jem’attendsaupire.—… je crois que je devrais les prendre plus jeunes. Du même âge que sa sœur, par exemple,

termine-t-il.

Unéclatsadiquefait luiresesprunelleset,sansréfléchir, jem’avanceunpasdanssadirection.Jeveuxlefrapper.Jeveuxvoircoulersonsang.Toutdesuite.

Unemainmeretient.—Nefaispasça,Chris.Ilchercheàteprovoquer,neluifournispasuneexcuse.Ilvas’enprendreàKate,c’estsûr.Jepivoteassezpourdécouvrirquec’estBennyquim’empêchedemejetersurRonancommejecrève

d’enviedelefaireàcetinstant.Letempssefigependantqu’unlourdsilencesedéploietoutautourdenous.Jedécidesubitementdesortirde lasalle,accompagnéparsonriresatisfait.Unefoishorsde lapièce,jefrappel’undesesgorilles:lepremierquimetombesouslamain.Jenesaisplusquijesuis,etcela n’a aucune espèce d’importance. Tout ce qu’il reste à faire, c’est frapper. Frapper fort. Frapperencore.C’esttoutcequicompte.

—Ilrevientàlui.JereconnaislavoixdeBenny.—Iln’estpastropamochécettefois-ci,non?C’estErik.—C’estparcequ’onestarrivésàtemps.Jo.J’ouvreenfinlesyeux.Jesuisallongésurlesol,surlapelousehumidedujardindeRonan.Çasent

uneodeurd’herbemouillée.Cen’estpasdésagréable.Ilyalesvisagesdemespotespenchésau-dessusdumien.Ilssontunpeuflous,parcontrelecielnocturnederrièreeux,lui,estd’unenettetéincroyable.Lesnuagessontpartisetilestfacilededistinguerchaqueétoile.Jenesuispastrèscultivé,maisjesaisquecertainesd’entreellessontmortesdepuisdescentainesd’annéesalorsqu’ellesbrillentencoresurcettetoilesombre.Mêmemortes,ellescontinuentd’émettrecettescintillantelueur.Etsil’espoir,c’étaitça?Jeveuxdire,unelueurquin’existeplusmaisquivittoujours?

—Chris?Tuvasbien?MonregardsefixesurJo.Ilsembletellementinquiet.J’essaiedesouriremaisçamefaitmal.Bennyamènesesdoigtsprèsdemonnezpourlesfaireclaquer.Jecroisqu’ilspensenttousquejesuis

danslesvapes.Jepourraisriredecetteidées’ilsn’avaientpastouscetteexpressionanxieuse.—Chris?Chris!Mesyeuxretournentauspectacledelavoûtestellaire.J’aimerais touchercesétoiles.Queleffetça

ferait?Chaud?Froid? Jedevraispeut-être liredesbouquins,apprendredes trucs…ouais,ça seraitbien.

—Jo…Mavoixn’estqu’unsonrauque,maistoussepétrifientenl’entendant.—Ouais,monpote.—JevaistuerRonan.

Katherina

—Salut.Alors que j’étais en train de chercher mes clefs, en identifiant cette voix, je lève les yeux pour

découvrirMel adossée à la porte de mon studio. Une exclamation horrifiée franchit le seuil de meslèvres.Elleportedeslunettesdesoleilmaiscesdernièresneréussissentpasàcacherl’énormeœilaubeurre noir et sa lèvre fendue sur un gigantesque hématome. Puismon regard se baisse sur samaigrevaliseetjedevineimmédiatementqu’ellechercheunendroitoùseréfugier.

Nousavonsbeaunepasnousentendreàmerveille,c’estmasœur.Lafilledemamère,et ilcouledanssesveineslemêmesangquedanslesmiennes.

—Pousse-toi,jevaisouvrir.Elleobéittoutenseraclantnerveusementlagorge.Jeremarquelafaçondontsesdoigtsserrentl’anse

desonbagage;ilssontpresqueblancs.Unefoisl’entréedéverrouillée,j’attendsqu’ellepénètreàl’intérieurpourfermerderrièreelle.Pour

l’instant,iln’yaqu’unmatelasdansuncoindelaplusgrandepiècedecestudio.Jelemeubleraipetitàpetit,afinqu’ilsoithabitablepourJuliette,maislà,j’ail’impressionqu’ilvafalloirquej’investissedansunsecondlit.JenepeuxpaslaisserMelretournerauprèsdececingléquis’estdéfoulésurellecommesurunsacdefrappe.

—Tuveuxboireuncafé?Unthé?—Ca-café,s’ilteplaît.Jelacontemplelonguement.—Mel?—Ouais?—Tupeuxenleverteslunettes,ici.Jesuistasœur.Tun’asnibesoindem’expliquer,nimementirou

mecacherquoiquecesoit…j’aicompris.Un silence oppressant étrangle les secondes qui s’égrènent jusqu’à ce qu’elle semble se détendre

suffisammentpourôter,avecdesmouvementslents,lapairedelunetteauxverresfumés.Je retiens inconsciemmentma respiration en la dévisageant. Sonœil est violacé, injecté de sang,

vraiment mal en point. Une flambée de haine, de rage se déverse dans l’intégralité de mon être : jevoudraistuercetypedemespropresmains.Mespoingsseserrentetjedoisprendresurmoipournepashurler.

Jemedétournedemasœurpourallerverslecoincuisine.Ilestminuscule,maissuffisant.Jeprépare,avecdesgestestremblantsdecolère,lecafé.

—Tupeuxtechanger,situveux.Cesoir,onpartageramonlitetdemain,j’iraiachetercequ’ilfautpourquetupuissesvivreici.

—Kate,je…Jepivoteassezpourluilancerunregardimpérieux.—Tuneretourneraspaslà-basetjenetelaisseraipasàlarue,compris?

Unpauvresourireétirelapartieintactedesabouchepuiselleopine,lesyeuxpleinsdelarmes.Jesenslesmiensmepicoter.

—Vaprendreunedouche,Mel,jeproposeensuited’unevoixplusdouce.Toncaféseraprèsd’icilà.Lorsqu’elle disparaît dans la salle d’eau, mes doigts s’agrippent à la faïence de l’étroit plan de

travail.J’inspireunelonguegouléed’oxygènepourlasoufflerlepluslentementqu’ilm’estpossibledelefaire.Cetexercicem’aideàgérerladouleuretlesémotionstropintensesdepuisquejenesuisplusavecChris.

Chris…J’ai terriblement envie de l’appeler. Lui parler. Entendre sa voix, même ne serait-ce que deux

minutes.J’éclateensanglots.J’essaiedumieuxquejepeuxdelesretenir,alorsilssurgissenthorsdemoiune

foissurdeux.Ilsnefontpastropdebruits.Jem’apitoierarementsurmonsort,parcequec’estvain,celane change rien aux problèmes, mais là, j’ai besoin de pleurer sur ce qu’est ma vie. Juste un instant.Pleurer parce que j’ai perdu Chris pour une raison que je trouve stupide. Pleurer sur le beau visagedéformé dema grande sœur, qu’on a battue.Mamère disait toujours qu’elle était une princesse, quel’hommequiauraitleprivilèged’êtreàsescôtésdevraitenprendreconscienceetlatraitercommetelle.C’esthorrible.

J’essuievivementmesyeuxdudosdelamain,chassantduboutdel’indexchaquetracedelarmepourensuiteouvrirlerobinetd’eaufroideetm’aspergervivementlafigure.Çamesoulageunpeu.J’inspireencoreunefois.Jelibèrel’aircontenudansmespoumons.Jevaismieux.Jegère.Ilfautquejegèredetoutemanière:iln’yapasd’autreoption.

Lorsqu’ellesortdeladouche,elleportel’undemesbasdejoggingetundemesT-shirt.Jesourismalgrémoi,parcequequoiqu’ellesemettesurledos,elleparvientàrestersexy.C’estMel,aprèstout.

—J’aidesburritos.Tuvasmangerunboutavecmoi.Nousnousinstallonssurlematelasposéàmêmelesoletjeluitendslamoitiédemonmenuqu’elle

acceptepourcommenceràmangersilencieusement.Jefaisdemême.Assisesl’uneàcôtédel’autre,nousmastiquonsavecapplicationchaquebouchéesanséchangerunmot.

—Je…j’ai apprispar Juliette…pourChris et toi,Kate. Je… je suisdésolée.C’est ellequim’aindiquéoùtuhabitais.

Je ne réponds pas immédiatement, je préfère terminer d’avaler la nourriture épicée d’abord. Jeprendsunedesserviettesenpapierdanslesacenplastiquepourm’essuyerrapidementlaboucheavec.

—Tun’aspasàêtredésolée.Cen’estpastafaute.Soudain,ellecessedemangeretjesenssonregardpesersurmoi,alorsjemetournelégèrementdans

sadirection.— Je pense que c’est mieux que vous ne soyez plus ensemble, lâcheMel pour fuir mes yeux la

secondesuivante.Jenesaispassijedoisenrire,oum’énerver.Aprèstout,marelationavecChrisnelaregardeenrien

etjepense,vusasituationactuelle,qu’elleestplutôtmauvaisjugesurlesujet.Maisjeneluirétorquepascela;jeneveuxpaslablesserdavantage.

Jemecontented’attendrequ’elledéveloppesonidée.Parcuriosité.Parcequej’aienviedeparlerdeChris.Parceque,même si celamedonneunarrière-goûtdebiledans labouche,Meldoit savoirdeschosessurluiquejeneconnaispas.

—Iln’aplusétévraimentlemêmeaprèslamortdeDavid.David. Encore ce type. Son ombreme poursuit depuis le début. Je garde le silence,mes yeux de

nouveauxplongésdanslessiensetellecomprend,sansquej’aiebesoindeleformuleràhautevoix,que

jedésireentendrelasuite.—Daviddevaitavoirunandemoinsquetoilorsqu’ilestmort.C’étaitungosselivréàlui-même,qui

traînait dans les rues avec une bande de potes débiles.Un jour, il s’est trouvé aumauvais endroit aumauvaismoment et c’estChrisqui lui a évitédesproblèmes. Jen’ai jamaisbien su cequ’il voyait àtraverscegamin…peut-êtrelui,plusjeune.Bref,ill’aprissoussonaileetRonann’apascrachésurdelamain-d’œuvregratos.David…DavidadmiraitChris.Ilreprésentaitunefiguredegrandfrèreouje-ne-sais-quoi,alorsillesuivaitaveuglément,partout.Toutletemps.SiChrisluiavaitdemandé:«Saute!»,Davidseseraitcontentédedemanderdequellehauteuravantd’yaller.

Mels’interromptl’espaced’uninstant,pourlaisseréchapperunpetitrireamer.—Tusais,Kate…Unsoir,y’açaquelquessemaines,Ronanétaitcomplètementbourréets’estmisà

parlerdeChris.Davidestvenusurletapis.Àl’époque,jeveuxdire,quandlegosseestmort,onn’avaitquelaversiondeChris,etpuis,quandtuconnaisunpeuRonan,cen’étaitpasdifficiled’ycroire.

Monpoulss’emballe.Jesensquecequevamerévélermasœur,c’estquelquechosedeterrible.—Explique.Ilyadel’urgencedansmavoix.J’aipeuretjeveuxsavoir…etenmêmetemps,jenelesouhaite

pas.Melsemetàtriturerlerestedeburritosqu’elletiententresesdoigts,leregardperdudanslevague.—DavidvoulaitimpressionnerChris,luiprouverqu’ilétaitdignedelui,cegenredeconnerie.Ila

prisunelivraisondestinéeàChris.Cedernierétaitdéjàenmissiondansunevilleàdeuxheuresd’ici…Ronanquiaacceptédeletester.Résultat:lalivraisons’estmalpasséeetDavidestmort,tuéparballes.ChrisestpersuadéqueRonanaprofitédesonabsencepourl’envoyerdirectàlamorgue,justepourlefaire souffrir, lui. Que tout cela était prémédité. Et c’est vrai que lors de cette fameuse soirée où iln’arrêtaitpasdejacassersurChris,ildisaitqu’iltortureraitChrisjusqu’àlamort,quemêmes’iln’avaitpas tué directement David, il aurait aimé le faire juste pour pouvoir savourer pleinement lesconséquencesdecettemortsursonclebs.

Jeretiensmarespiration,justeunesecondedeplus.JeveuxêtrecertainedebiencomprendrecequeMelsemblevouloirm’expliquer:

—TuveuxdirequeRonann’apasassassinéceDavid?Masœuropinelentement.—Ilaimetroplamain-d’œuvregratuitepourcommanditerlemeurtred’unpetitbleu.Aprèslamort

deDavid…Chrisestdevenusuperanxieuxetcentfoisplusviolent.Ronans’enamuseparcequec’estunpsychopathe:ilenfermeChrisdansunesortedebullemenaçanteafindeleregarders’enfoncerdanslaparanoïa.

Chris

—T’espassérieux,mec!Ça faitvingt fois aumoinsqueErikcrie cettephrase, alorsquenousnous sommes retirésdans le

garageoùuneodeurdepeintureflottedansl’air,dontlesrelentsmefilentmalaucrâne.Jomarchedelongenlargedevantnous;detempsentemps,ilsepasseunemainsurlevisagepour

mejeterunbrefcoupd’œil.Aufonddelui,ilsaitquejeneblaguepas,maisilsemblerefuserd’ycroire.Je lecomprendsunpeu,çafait tellement longtempsquejemeretiens,quejemecontented’obéiràcetype.Mais voilà, cette fois-ci, ilmenace directementKate et ça, je ne peux pas le laisser faire… lelaisserlablesser,physiquementouautre.

Jesuisétrangementcalmedepuisquej’aipriscettedécision,vraimenttrèscalme.Curieusesensationmoi qui ai, habituellement, toujours cette colère tapie au fonddemes entrailles, prête à exploser à lamoindreétincelle.

Bennymetendunsacplastiqueremplideglaçonsquejeposesurlapartiedouloureusedemamain.—Situveuxvraimentluifairelapeau,commentest-cequetuvast’yprendre?Chris…sabaraque

estunputaindechâteaufort!s’exclameencoreErik.Je ne réponds pas, parce que je suis toujours en train de réfléchir à ce problème. Sa dizaine de

gorilles planqués dans tous les coins, son système de sécurité pour lequel il faut que nous soyonsexpressémentattenduspourpasseràtravers.Etsurtout,jenedésirepaslesmêleràtoutça:Benny,ErikouJo.C’estmonproblème.

—Jevaistrouverunesolution.Voilà. J’ai enfin sorti des mots de ma bouche. J’ai enlevé cette camisole invisible qui m’étouffe

chaque fois que j’entre en état de fureur incontrôlable. Les mots du médecin des urgences brûlentfurtivementmonesprit.

Est-cequejesuismalade?Suis-jeréellementfou?Mesyeuxfixentavecacharnementmesdoigtsabîmés.—Chris?C’estJo,maisjenel’écoutepas.Toutcequej’entends,c’estlevide.Cetteentaillequim’aspire,ou

non, cette entaille quim’éjecte etme pétrit dans tous les sens. Je suis encore ce sac ouvert dont lesmorceauxserépandent.

JeveuxKate.J’aimeraistellementqu’ellesoitlà,quecesoitellequimesoignecommeelleseulesaitlefaire.Kateconnaîtlafaçondelefermer,lesacbéantquejesuisparfois.

Katherina

Unesemaineplustard

IlyatellementdebruitsauPandémoniumquej’aifaillinepasentendrelasonneriedemontéléphoneportable.D’habitude,jelemetssurvibreurquandjetravaille,maiscesoir,j’aioublié.

—Allô?J’appuieavecforceunemainsurmonoreillelibrepourétoufferunpeucetteambiancesonore.Jen’ai

pasprisletempsderegarderlenomdemoninterlocuteuravantdedécrocher.—Kate…Moncœurs’arrêtedebattre.J’aisubitementl’impressionquelesclientsévoluenttoutautourdemoi

avecunelenteursurréaliste.C’estChris.—Chris?—Kate.Je cherche àm’éloigner de tout ce boucan infernal : ce sont des riresmélangés à lamusique, des

bruits de verres qui s’entrechoquent et cela me rend à moitié folle. Des corps me bousculent ; j’ail’impressiond’êtredevenueuneboulede flippermalmenée. Jepeuxàpeine entendre sa respiration àtraversl’appareil.Ilsembleessoufflé,commes’ilavaitcouruàperdrehaleine.

—Kate,je…jecroisquej’aifaituntrucmoche,cettefois.Mes pieds se retrouvent immédiatement cloués au sol. Les battements de mon cœur retentissent

lourdementdansmapoitrine.—Quelgenre…?J’empruntelasortiedesecoursquidonnesurleparking.Ilestdésert.Jetremblemaislefroidn’yest

pourrien.—Qu’est-cequetuasfait,Chris?Chris!Jeperçoisdesbruitsdefond.Ilyadescris.Descrisd’hommes.Desbruitssourds.Delutte?—Je…Çavacouper,Kate.Ilyadesflics…dusang.Vraimentpartout.Sa voix vibre bizarrement. Pas comme s’il pleurait, plutôt comme s’il était sous le choc. La peur

s’empareduréseaudemesveinespourydéverserunliquideglacé.—Pourquoilesflics?Maisoùest-cequetues?Dis-moioùtues!Soudain,c’estlesilence.Iln’yaquelessonsquej’entendaisderrièresesproposdécousus.—Allô!Allô!CHRIS!

Chris

—Vousêtesenétatd’arrestation.Vousavezledroitdegarderlesilence…Mes yeux se baissent surmon téléphone portable tombé par terre tandis que le flicme passe les

menottesdansledosetquejemetiensàgenoux.Jeneluttepas.Pasunmotnesortdemabouche.—…sivousnevoulezpasexercercedroit,toutcequevousdirezpourraêtreutilisécontrevous.

Vousavezdroitàunavocatetsivousn’avezpaslesmoyens,uncommisd’officeparlaCourpourravousreprésenter.

Ilmerelèvesibrutalementquelemétaldesmenottess’enfoncedanslachairfinedemespoignets.Maisjenemerévoltepas.Quelleimportance?J’aiprotégéKate.Ronannepourraplusjamaisluifairedumal. Ni à elle, ni à quiconque d’ailleurs. David est vengé.Mamère est libre et c’est tout ce quicompte,aufinal.

—Vousavezcompriscequej’aidit?gueulelepoliciertoutenmepoussanthorsdelamaison.Ilyadescorps.Desmeublesrenversés.Dubruit.Descris.Despersonnesquisedébattent.Desflics

qui courentdans tous les sens.Lesgyropharesde leursvéhiculesmecaressent levisage, alternant lescouleurs:rouge,bleu,rouge…c’estpresquehypnotisantcommespectacle.Mespiedsn’avancentplus.Jeresteplantélààcontemplerladansefolledeceslumières.

—Est-cequevousavezcompriscequej’aidit!réitèreplusfortl’agenttoutenmesecouant.Il est derrièremoi et essaie dem’obliger àme remettre enmarche vers l’une des voitures.Mon

regardcaptecertaineschoses,maisc’estassezflou,outrèslent.Toutsedérouleauralenti.—Voulez-vousrépondreànosquestionssanslaprésenced’unavocat?Jesouris.C’estétranged’êtreaussicalmedansunmomentpareil.Lamainduflicseposesurmatête

puismeguideàl’intérieurdel’habitacledelavoiture.[affaireKilmerski–DossierOO987A–Enregistrementdu3mars2015à2h34AMparl’officier

DesmondGray]—Veuillezdéclinervotreidentité,jevousprie.—ChristopherFarwink.—Votreadresseestbien:appartement14,116StudentCourt?—Oui.—Votreâge?—Vingt-deuxans.—Êtes-vousmarié?—Oui.—Oui?Lepoliciersemblesurpris.—Non.Jeveuxdirenon.Jenesuispasmarié.

—Trèsbien.ChristopherFarwink,reconnaissez-vous les faitssuivants:reconnaissez-vousvousêtrerendulesamedi3mars2015au227avenueColdon,àlamaisondemonsieurRonanKilmerskiàvingt-troisheuresquarante?

—Oui.—Reconnaissez-vousavoirtuémonsieurRonanKilmerskidedeuxcoupsdecouteau…uncouteau

dechassetypepoingaméricainscorpion?—Oui.Bruitdechaises.Raclementdegorge.—Pouvez-vousnousexpliquerlaraisonquivousapousséàcommettreuntelacte?—C’étaitpourprotéger.Petitsilence.—Protégerqui?—Despersonnesquej’aime.—Pouvez-vousnousdéclinerleuridentité?—Non.Ellesn’ontrienàvoirlà-dedans.C’étaitmadécision,faitesvotreboulotsans.Nouveauxbruitsdechaise.—Elles?Cesontdesfemmes?Silence.Bruitmétallique;lesmenottes.—Jedoisvousdiredeleurfoutrelapaixdansquellelangue?Silence.—Trèsbien.Depuisquandtravailliez-vouspourmonsieurKilmerski?—Jenesaispas.Jen’aipascompté.—Plusd’unan?Deux?—Plus,ouais.J’ensaisrien.—Connaissez-vous la raison de la présence de certainsmembres du club nommé les…Blacks

Angelssurleslieuxducrime?—Non.— Monsieur Farwink… ce club est classé comme faisant partie du crime organisé par nos

services,ilestinutilepourvousdenousmentiràleursujet.—Ilsétaientlàmaisvousn’avezqu’àleurdemanderdirectementpourquoi,moij’ensaisrien.Soupir.Bruitdepapier.—Vousont-ilsaidéàmaîtriserlepersonneldelasécuritédemonsieurKilmerski?—Non.—MonsieurFarwink…Lepolicersembleperdrepatience.—Jevousaiditnon.Interrogez-lesdirectement.— Vous affirmez ne pas vous être associé avec ces personnes afin d’assassiner monsieur

Kilmerski?—Oui,jel’affirme.J’aiagiseul.S’ilsétaientlà,c’étaitunmalheureuxconcoursdecirconstance.—Trèsbien.Alorscommentavez-vouspunepasêtregênéparleservicedesécurité?—JebossaispourRonan,vousvoussouvenez?—Iln’étaitdoncpassursesgardesenvotreprésence?—C’estexactementça.Silence.—Vousmentez,monsieurFarwink.Troismotardsdecegangontététuéssuiteàdesblessurespar

balles.BallesprovenantderevolversappartenantauxemployésdemonsieurKilmerski.—Cen’estpasmonproblèmepourquoiilsétaientlà…pourquoicertainssesontfaitbuter.Moije

voulaisseulementtuerRonan,point.Vousn’avezqu’àvoirçadirectementaveclesBlacksAngels.Bruitdeportequis’ouvre.— Excusez-moi, mais l’avocat commis d’office est là. Il désire s’entretenir en privé avec son

client.Bruitdechaises.—Trenteminutes,pasplus.—Jepeuxlefaireentrer,donc?—Oui.Bruitdechaisesetdeporte.—Monsieur Farwink ? Bonjour, jeme présente :MaîtreDalmas. Je suis votre avocat commis

d’office.Notreconversationvaresterconfidentielle,vouspouvezdoncmeparlersanscrainte.Avez-vouscompriscequejeviensdevousdire?

—Oui.Bruitdechaises.Bruitmétallique;menottes.—Trèsbien.Avez-voussoif?Faim?—Non.Çava.—Avez-vouspuprévenirunprochedevotrearrestation?Unmembredevotrefamille?—Je…Silence.—…Non.Pasvraiment.—Souhaitez-vouslefaire?—Jepeux?Bruits.—Oui.Tenez,jevousprêtemontéléphoneportable.—OK.Merci.—Derien.—J’appellemamère.—D’accord.Silence.—Paty?Silence.—Attends,Paty…Arrêtedepaniquer.Silence.Soupir.—Tupeuxmelaisserenplacerune?Jesaistrèsbien…Écoute,là,jesuisengardeàvueetje

penseenavoirpourunmoment…Oui,j’aiunavocat…Maître…?—MaîtreDalmas.—Voilà,MaîtreDalmas.Ilvas’occuperdemoiettoutvabienaller…non,s’ilteplaît…Paty,ne

pleurepas.Silence.—Pourquoi faire?Non,c’est justeque je tedemandepourquoi tuveux luiparler…OK,c’est

bon.Justeunechose…ouais.Tupeuxattendrequ’elleaillebien?MerciPaty.Bruit.— Allô ? Madame Farwink ? Oui, Maître Dalmas à l’appareil, c’est moi qui suis chargé de

défendrevotrefilssurl’affaired’homicidevolontairedontilestleprincipalsuspect.Silence.—Vous dites ?Un neuropsychiatre ?Vous auriez son nom et l’hôpital où il pratique, s’il vous

plaît?Merci,jenote.Silence.—Jevais lecontacter immédiatement.Nousavonsquatre jourspourélaborerunedéfenseet je

vaisuserdudroitqu’avotrefilsdeconsulterunmédecindurantsagardeàvuepourunexamen…oui,voilà,unexamenpsychiatriquepréliminaireparundocteurdésignéparleprocureur.Jevoustiensaucourant…Monnuméros’affiche survotre téléphone?Trèsbien, je relève levôtredemoncôté.Aurevoiretmerci,madameFarwink.

[Enregistrement audio du Dr Faway Patrick – archive personnelle concernant le patient

Christopher Farwink, principal suspect dans l’affaire criminelle Kilmerski daté du 3 mars 2015 –effectuéà4h06AM–CasprobabledeTroubledelaPersonnalitéLimite]

—MonsieurFarwink?ChristopherFarwink,c’estbiencela?Silence.Soupir.Bruitmétallique;menottes.—Ouais.—Jemeprésente:jesuisledocteurFaway,psychiatredésignéparleprocureurStale…Çan’a

pasl’aird’aller.Riresarcastique.—Desheuresquejesuisicietqu’onmeposedesquestions,àvotreavis,jevaiscomment?—Effectivement.Jevaisenregistrernotreconversation,çanevousdérangepas?Bruitmétallique;menottes.—Allez-y…lesflicsnesontpasgênéspourfairepareil.—Oui,seulementladifférenceestquetoutcequevousmedirezresterastrictementconfidentiel.

Jetiensàcequevouslesachiez.—OK,OK…—MaîtreDalmasm’a indiquéavoirétéencontactavecunneuropsychiatrequipensequevous

pourriez souffrir d’un trouble de la personnalité que l’on nomme communément trouble de lapersonnalitéborderline.Savez-vouscequec’est?

Silence.—Pasvraimentaumotprès.J’aiunevagueidéedutruc.—Voulez-vousquejevousl’explique?Soupirlas.—Sivousytenez,ouais.Raclementdegorge.— Les personnes atteintes de ce trouble sont hyperémotives, ont de grosses difficultés à gérer

l’instabilité de leurs émotions, des relations sociales interpersonnelles complexes et faussées, sansoublieruneimagedesoialtérée.Vouscomprenez?

—Ouais,jevois.— Très bien. Je vais vous poser diverses questions afin de définir si, oui ou non, votre profil

correspondàcetypedetrouble.Êtes-vousd’accord?—Ouais.J’airiend’autreàfairedansl’immédiat,alors…—Bon,commençons:diriez-vousquevouséprouvezrégulièrementunsentimentdevide?

Silence.—MonsieurFarwink?Silence.—MonsieurFarwink,vousn’avezpasentendulaquestion?—Si.Silence.Bruitmétallique;menottes.—«Oui»…vousressentezcesentimentdevide,ouvousn’avezpasentendulaquestion?Silence.Raclementdegorge.—Lesentimentdevide.—Vousavezl’airchoqué.—C’estque…enfin,vousaveztapédanslemille,alorsjetrouveçaunpeuflippant.—Jecomprends.Poursuivons:suruneéchelledeunàdix,commentgérez-vouslacontrariété?

Unétantleniveautrèssupportable,dixceluidel’intolérablequiprovoquedesréactionsviolentes.—Jenesaispas…Vousn’avezpasdesexemples?Toutdépendducontexte.—Trèsbien.Procédonsautrement:avez-vousunefortedépendance?Alcool,drogue…sexe?Rire.—Nonmaisvousêtessérieux,là?Lesexe?Putain,maistouslesmecsnormauxsontaccrosau

sexe,bordel!—S’ilvousplaît,répondezàlaquestion,Christopher.Puis-jevousappelerChristopher?—Chris.Jepréfère.Etmoi…jepeuxvousappelerDoc?—Sicelavouspermetd’êtreplusàl’aiseavecmoi,pasdeproblème.Desaddictions?—Jediraisl’alcool.Surtoutdernièrement.Avant…Raclementdegorge.—Avant?Silence.— N’hésitez pas à me parler, Chris. Je peux vous assurer que notre conversation demeurera

confidentielle.C’estsurtoutpournousaideràamorcerundébutdediagnosticetvousaider.Silence.—Çaresteraentrenous?—Jevousl’assure.—Sijamaislesflicsl’emmerdent,j’vouspréviens…Çanevapaslefaire.—Dequiparlez-vous?—Macopine.Silence.—Vousavezunepetiteamie?—Oui…enfinnon.J’avais.—D’accord.Vousêtesséparésdepuislongtemps?—Unmoisàtoutcasser.—Pourquelleraison?Bruitsdechaise.— Je ne voulais pas qu’elle parte à l’étranger.Faire ses études loin demoi.Alors j’ai préféré

qu’onenrestelà.—Vousvousêtessenticommentenapprenantsondépart?Silence.—Abandonné.

—Çavousfaitpeurdel’être?—Quoi?Abandonné?Àquicelaneferaitpaspeur,sansdéconner?Silence.—Etvosanciennespetitesamies…Quellesontétélesraisonsdevosruptures?—Jen’aipas…enfin,si,j’avaisdescoupsd’unsoir,c’esttout.Kateaétélapremièreavecqui

j’aivoulu…plus.—Pourquoielle?—Parceque.—Parcequequoi?Qu’avait-ellequelesautresn’avaientpas?Raclementdegorge.—C’est…c’estpasunechoseenparticulier,davantageuntout,vousvoyez?Elleétaitparfaite.—«Était»?Ellenel’estplus?Silence.—Jevousennuieavecmesquestions?—Unpeu,ouais.Jecommenceàenavoirmarredesquestions.—Nousavonsbientôtterminé.PourquoiKaten’est-elleplusparfaite?—Ellel’esttoujours…parfoisnon.Parfois,jeladéteste.—Vousladétestez?—Oui.Çanedurepaslongtemps,maisc’estviolent.Quandj’aipeurdelaperdre,peurqu’ellene

m’aime plus, peur qu’elle m’abandonne, peur qu’elle ne veuille plus de moi…Çame rend fou, jedétestecetteimportancequ’elleadansmavie.

—Jevois.Donc,avantdelarencontrer,vousaviezdesaddictions?—L’alcool,jedirais.Çametuelatêteetjenepensepas.Jenesenspluslevide.Etdepuisqu’on

estséparés…c’estpire.—Diriez-vousqueKateestimportantedanscettedynamiquedesensationde«vide»?D’ailleurs,

essayezdemedécrireavecvosmotscesentiment,sicelavousestpossible.—Lasensationdevide?C’estuntroubéant,uneentailledanslaterre,çam’absorbe.Ilfautque

je leremplisseetavantKate…c’étaitmespotes, les joints, l’alcool, lesmeufsque jeconsidéraisàpeine comme des êtres humains. Remplir le vide, combler les trous, boucher l’entaille. Kate… elleeffacelevide,Kate…c’estuneputaindemagicienne.

—Commentpercevez-vousvotreattitudevis-à-visd’elle?— Je me sentais aussi collant qu’un papier de bonbon dont on n’arrive pas à se débarrasser.

Quandellen’étaitpasavecmoi, je l’appelaisdixfois toutenmeretenantdele fairetrente.J’avaishonted’êtreaussidépendantd’elle.

Silence.—D’accord.Commentréagissez-vousàlacolère?—Jefrappe.—Vousfrappez?—Oui.—Vousfrappezquoi?Despersonnes?—Pasforcément.Desmurs,desportes,destroncsd’arbres…lesgens,fautqu’ilsreprésententun

danger.—Undanger?Pourqui?Pourvous?—Pasnécessairement.Ilspeuventreprésenterundangerpourceuxquejeprotège.Silence.

—Vousnotez,quoi,là,Doc’?—Vosréponses.—Ah.—Commentvousvoussentezquandvousentrezdanscegenred’étatdecolère?Expliquez-le-moi

avecvosmots.—Lescolèresquandjefrappe?Jenesaispasvraiment.Jenemesouviensjamais.C’estjuste…

du vide. Comme simon corps était un élastique qui se tend sans s’arrêter pour aller se fracassercontreunmur.Monespritn’estpasréellementdansmoncorps.C’est…c’estdifficileàdécrire.

—Vousétiezdanscetd’étatderagelorsquevousavezattaquémonsieurKilmerski?—Oui.Jesuislepremierétonnédunombredecoupsquejeluiaimis.—Vousnevoussouvenezpasl’avoirpoignardédeuxfois?—Non.—Pourquoil’avoirtué?—Pourprotégerdespersonnesquej’aime.—Quisontcespersonnes?Kate?Silence.—Chris?Est-cequevouscherchiezàprotégerKatedemonsieurKilmerski?Bruitmétallique;lesmenottes.—Oui.Silence.—Quesepasse-t-illorsquevous«revenez»àvous,aprèscesaccèsderage?Silence.—J’ai…çametlongtemps.Jeveuxdire…moncorpspeutmarchermaisjen’arrivepasàparler

toutdesuite.Lorsquejereprendslecontrôledemespensées,quetoutestenfinsurlamêmelongueurd’onde,jeréalise…enfin,jedéduiscequ’ilvientdesepasser.

—Vousdéduisez?—Benquandvousavezuntypemortàvospiedsetquevoustenezuncouteau,couvertdesang,

c’pastrèsdifficiledeledeviner.—Donc…cequevousmedites,c’estqu’engénéraletpourcecaspréciségalement,lorsquevous

aveztuémonsieurKilmerski,vousétiezdéconnectédelaréalité?Vousn’étiezpasconscientdevosactes?

—Voilà.Vousaveztoutbon,Doc’.

Katherina

J’attendssurlesmarchesdutribunal.Aujourd’hui,c’estlejourdedélibération,celuioùlaculpabilitédeChrisseraprononcéeounon.Je

n’aipaseuledroitd’assisteràlaprocéduredepremierressort.Jo,BennyetErikontétécitésàcomparaîtreàlabarreentantquetémoins,moinon.Jesaisquec’est

grâceàChrissijen’aipasétémêléeàcettehistoire.Parcontre,Meln’apaspuyéchapper.NiKurtetquelqueshommesdesongang.

C’estinterminable.J’essaied’apprécierlesrayonsdusoleilquiannoncentlesprémicesd’unbelétéchaud,lesécouteursdemonMP3danslesoreilles.

Jen’arrivepasàréaliserqu’ilavraimenttuéRonan.Qu’ilvenaitjustedel’assassinerlorsqu’ilm’aappelée,cesoir-là.Lesjournauxlocaux,etmêmenationaux,n’arrêtentpasd’enparler.Dedirequecethomicidea foutuen l’airuneannéed’enquêtepourdémanteler ce réseauducrimeorganisé. Il y avaitmêmeeudesflicsinfiltrés,cequiexpliquaitlarapiditéd’interventiondelapolicesurleslieux.Etquececrime ait foutu en l’air sa vie à lui, ce n’est pas assez important pour eux ? Surtout que ce n’est pasl’enfantduBonDieuquiestmort,maisunescrocproxénèteviolent!

J’ailesentimentquetoutçanes’estpasréellementpassé.Sic’estunmauvaisrêve,jevoudraismeréveiller tout de suite.Ladiscussion avecPaty flotte dansma tête ; elle aussime semble chimérique.« Chris est malade… ils appellent ça un trouble de la personnalité limite ou borderline ». Je neparvienstoujourspasàdigérercetterévélation.J’ailutoutcequejepouvaissurlesujetetlasentenceestsansappel:chacundesesactes,toutsoncomportement…toutcolleabsolument.Toutrésultedecettemaladie.Sajalousieirrationnelle,sescolères,saparanoïavis-à-visdesautres.Sessautesd’humeurs…tout.Merde.

Çafaituneéternitéquejenel’aipasvu.Jeveuxlevoir.Jeveuxluiparler.C’estjusteintolérabledenepasêtrelàpourlui.D’aprèsJo,sonavocatallaitplaiderlamaladiementaleafind’obtenirunverdict«noncriminellementresponsable».Ilfallaitjusteéliminerl’aspectpréméditéducrime,etpourcela,ilcomptaitsurlafidélitédesesamispournepasle«balancer».

J’appuiemon front contremes genoux. Il y a des gens quimontent et descendent lesmarches ; jen’aimepasl’idéedepleurerdevantdesinconnus.C’estdifficiled’étouffercessanglots.Ilsmefontmalàlagorge,àlapoitrine,jusquedansl’âme.

Jeveuxretournerenarrière.Luidirequejereste,quejamaisjenepartiraienItalie.Toutcemerdiern’existeraitprobablementpassij’avaisprononcédetelsmotsàtemps.J’aimapartderesponsabilité.SiChrisachangémavie,jesuiscertained’avoiraussimodifiélasienneetpeut-êtrepasdanslemeilleursens.

Soudain,unemainseposesurmonépaule.Moncorpsseraidit.J’aipeur.J’aivraimentlatrouille,là,encetteseconde.Uneterreurphénoménale.

—Kate?C’est Jo. Je relève la tête, un visage baigné de larmes que je ne peux plus contenir. Elles roulent

toutesseulesdeleurproprechef.C’estétrangedelevoirenfermédansuncostumecravate.—Co…commentva-t-il?Jedemandeenmeredressantetenessuyantfrénétiquementmesjoues.—Il…ouais,jepensequ’ilgèreça.Sonaminesemblepasconvaincuetj’angoissedixfoisplusdésormais.—Leverdict?Ilesquisseunpauvresourire.—Merde,queçaaétélongàdélibérer,etil…Chrisaétéjugénoncriminellementresponsable.Ilva

êtreinternédansuneunitépourmaladesdifficiles.Legenred’établissementpsychiatriquepourlesgenspotentiellementdangereux.

Je tente d’assimiler. De combattre mon état de choc. Chris… « Potentiellement dangereux ». Cethommequim’aditm’aimer.Cethommeavecquij’aifaitl’amour,quim’atantdonné…cethommeestconsidérépartouscesgenscomme«dangereux».

—C’estbien,non?Pour lui, jeveuxdire.C’estmieuxque laprison,n’est-cepas ?Combiendetempsest-cequ’ilvaresterlà-bas?

—Ilpourraespérersortirauboutdedeuxanss’ilestjugéapteàvivreensociété…enfin,c’estcequeMaîtreDalmasm’adit.

Mesdoigtss’accrochentàsonbras.J’ail’impressionquemoncœurs’étireàl’infinidansladouleur.—Jepourrailevoir?Est-cequejepourrailuirendrevisite?MonregardseperddansceluideJo.J’aipeur.L’idéequenoussoyonsainsitotalementséparésm’anesthésieentièrementlecorpsdeson

venininsidieux.Jeneveuxpasleperdre.Jamais.Unmois.J’aimisunmoisàobtenirmondroitdevisiteàl’UMDdeStantBroukeparcequeChrisa

refusétroisfoisdemevoir,alorsquandj’aieuenfingaindecause,j’aipleuré.J’aipleurétoutelasoirée.Toutelanuit.J’aimêmepleurélematinauréveil.JulietteetMelnem’ontposéaucunequestion;n’ontpasfaituncommentaire.Jecroisqu’ellessavaientquec’étaitdeslarmesdejoie,etnondetristesse.

Voilà. Je suis dans ce qu’ils appellent « l’espace familial » et je l’attends. Mon corps tremble.D’infimesvibrationsmeparcourentdelacimedescheveuxàl’extrémitédemesorteils.Mespulsationscardiaquesbattentassurémentunrecorddevitesse.Ungrandtypevêtuunpeucommeunpoliciersetientsur leseuiletm’observe, lespoucescoincésdanslaceinturequ’ilporteà la taille.Lesboutonsdesachemisebleueparaissentmenaceràtoutinstantdesautersouslapressiondesonventreproéminent.

Lesmurssontd’unblancimmaculé.Lapièceproposeplusieurstablesetchaisesd’apparenceneuves.Aucunechaisen’alamêmecouleurquesavoisine,çaajouteunepetitenotedegaîtémaisvraimentpassuffisantepourilluminerletout.

Jesuishorriblementnerveuse. J’aienviedeme leverpouralleràsa rencontre.Patientersagementassiseme tue. Jamais je n’aurais dû arriver plus d’une demi-heure en avance. Quand onme connaît,savoirquej’aimisaumoinsdeuxheuresàchoisirmesvêtementsadequoifairerire.J’aioptépourunjeanmoulant,unT-shirtnoiràl’effigiedesRollingStones.Lafameusebouchepeinturluréederouge.Mescheveuxsontnouésenqueue-de-chevaletmonmaquillageestsoignémaisdiscret.Jevoulaisluiplaireaupremier coup d’œil et cette pensée coloremes joues, alors je détourne la tête pour que le type de lasécuriténeleremarquepas.

Lorsque ce dernier se racle la gorge, je pivote vivement surmoi-même, le regard rivé à la porteentrouverte.Moncœuramigrédansmonœsophage;jenepeuxplusdéglutirnormalement.Quandilentredans la pièce,mes yeuxme picotent atrocement. Je respire par à-coups.De petites goulées d’air que

j’aspireetsoufflerapidementpourm’aideràgérerceslarmesquidésirentmegâcherlemoment.Ilesttoujoursaussibeau.Mêmevêtudecejogginggrisetdecesweatnoir.Unlooktellementloinde

celui avec lequel je l’ai vu. Sa tignasse sombre est hirsute. Sa barbe bien plus fournie qu’avantégalement.Sûrementpourcamouflerunpeulefaitqu’ilamaigri.Sestraitssontémaciésetlafatiguelesmarque,mais…oui,ilesttoujoursaussimerveilleusementbeau.Tantquej’enailesoufflecoupé,là,depouvoir le contempler tout mon soûl après une absence qui me semble avoir duré une éternité. Nosregards s’accrochent, se lient, et le restede soncorpset lapièce tout autourdeviennent intégralementflous.Jenevoisplusqu’elles:sesprunellesgrisesquiparaissentpouvoirmeperforerl’âmesiellesledésiraient.Ilnes’arrêted’avancerqu’unefoisprèsdecequiest,letempsdecettevisite,«notre»table.Les mains dans les poches de son pull, il essaie de sourire. Il y a quelque chose que je reconnaisimmédiatementdanscettemimiquequin’étirequ’uncoindesabouche.

—Salut.Mavoixn’estqu’unsouffleetjemedemandemêmecommentj’airéussilemiracledeprononcerce

simple mot. Je me lève brusquement puis m’approche. Je veux le serrer dans mes bras. J’en crèved’envie.J’enaiterriblementbesoin.Chrisnebougepas;ilsecontentedemescruteretlorsquejepeuxpresquel’effleurer,unevoixgravemecoupedansmonélan:

—Lescontactsphysiquessontinterdits.C’est le surveillant. J’ai subitementunnœuddans lagorgeet rabaissesagementmesbraspour les

ramenerprèsdemoncorps.Nouséchangeonsencoreunlongregard.L’ambiancequirègneautourdenousestétrange.Maladroite,

étouffante,maisavecunecertaineaviditéfébrile.Chriss’assoitfaceàmoi,lespoingstoujoursenfoncésdans les poches de son sweat.Mes doigts, eux, se tripotent les uns les autres sur la surface lisse etbrillantedelatable.Chrislesregardeuninstant,avantdereleverlesyeuxsurlesmiens.

—Est-ceque…çasepassebien?Chrisnerépondpastoutdesuite,ondiraitqu’ilpréfèrem’examinersoustouteslescoutures.Finalement, desmots sortent enfin de sa bouche et ils ne concernent en rienmon inquiétude à son

sujet:—J’ail’impressionqueçafaitunputaindesiècle,murmure-t-il.T’esbelle,bébé.T’esvraimenttrès

jolie.Un sanglot étranglé surgit et jeme couvre aussitôt les lèvres desmains. Je n’ose plus l’affronter.

Maintenant,ilyadel’eaudansmesyeuxetjem’étaisjurédenepaspleurerdevantlui.C’estterrible.Terribledenepascontrôlerceflotd’émotions.

— Tumemanques, Chris ! je hoquette. Je regrette tellement… si tu savais combien je regrette !Excuse-moi…jevoulaisêtreforte,etjepleurecommeunegamine.

J’essaiecoûtequecoûtederavalercesconvulsionsdésespérées.Jesensmêmemonnezcouler.C’estaffreux.

—Hé…petitefemme.Je l’entends pousser un juron et le bruit d’une chaise, mais il ne peut rien faire d’autre que me

contempler. J’ai les nerfs qui lâchent. Je le sensplusque je ne le vois s’accroupir prèsdemoi.Moncorpsestaussiraidequ’unboutdeboismort.

— Les contacts physiques sont interdits ! réitère le gardien, d’un timbre plus menaçant que lapremièrefois.

—Putain,Henry!C’estmacopineetçafaitdesmoisqu’onnes’estpasvus!Tuvoisbienqu’elleestmal,là,non?

Puisjeperçoissachaleur.C’estd’abordunemainposéeaubasdemondos,quim’offrededouces

caresses réconfortantes.Moncorpsaccepte.Cecontact,mêmeminime,apaise ladouleur,m’aideàmedétendre.

—Bébé?Jeluirépondsparunreniflementbruyant,absolumentpassexy.—Hé…L’inflexiondesavoixest tellement tendrequej’arriveenfinàrelever la tête,assezpourdécouvrir

quesonvisageestterriblementprochedumien.Undernierhoquetm’échappe,puisjemeperdsdanssonregard.Jem’ynoie,lecœurlaminé.Ilmefrôlelajouedesonindexetsourit.

—Jevaisbien.Tuentends?J’acquiescelentement.—Etnepensejamaisquetuasfaitquelquechosedemal,d’accord?J’opineencore,endeuxtemps.Sonsourires’élargit.—Qu’est-cequec’estbonquandtutemontresaussiobéissante,petitefemme.Àmontour,jesouris.Jesourisàtraversmeslarmesquisèchentautourdemes.Lorsqu’ilretourneà

saplace,j’éprouveunesensation,plusmentalequephysique,defroid.Jesors,d’unemainmalhabile,unpaquetdemouchoirsenpapierdelapochedemonperfectoquej’ai

acheté sur un coup de tête. Peut-être parce que ce style de blouson me rappelait Chris. J’essaie detamponnermesyeuxdemanièreàéviterderessembleràunpandadépressif.

J’inspireprofondémentavantdeplongermonregarddanslesien.—Commentçasepassepourtoi,ici?Chriss’humecteleslèvresetsesyeuxdévientunesecondeàpeine.— J’aimerais qu’on parle d’autre chose… pas vraiment de ma thérapie « comportementale

dialectique».Il a prononcé les deux derniers mots tout en formant des guillemets avec ses doigts, qu’il remet

rapidementdanssespoches.—Pourquoi…Jemeraclelagorge;elleesttropenrouéeparl’émotion.—Pourquoias-turefusédemevoiravantaujourd’hui?—Çanonplus,jen’aipasenvied’enparler,Kate.Jebaisselesyeuxpouradmirermesmainsentraindemartyrisermonpauvremouchoirabîmépardes

tracesderimmel.—Jecomprends.Excuse-moi.Jel’écoutepousserunlongsoupir.Pascontremoi,maispluscommes’ils’agaçaitlui-même.—J’avaispeurdenepasyarriver.Là,tuvois,jeluttecommeundamnépournepasteprendredans

mesbras.J’aimeraist’entraînerdanscettechambremerdiquequiestlamienne,tefairel’amourjusqu’àm’exploser les neurones, parce que tu me manques. Tu sais, beaucoup de choses de l’extérieur memanquent et sur une échelle de un à dix – et crois bien qu’ils adorent toutmesurer avec cette putaind’échelledeunàdix–laseulechosequimemanquecinquantesurunesaloped’échelledeunàdix:c’esttoi.Maisvoilà:jesuiscoincédanscetendroitoùtouslespsychopathesducoinsontenfermés,etjenesuismêmepassûrd’ensortirunjour.Tueslà,maisjen’aimêmepasledroitdetefaireuncâlin…alorsjeveuxéviterdenousfairesouffrirtouslesdeux.C’estpourçaquej’airefuséqueturadinestonjoliculquimerendfoudanscecharmanthôpitaldemerde.

Unlongsilences’instauredurantlequelj’essaiededigérersesparolesJesuispeut-êtrecomplètementstupided’yvoirunedéclarationd’amour,aprèstoutça,toutcequ’ilavécucesdernierstemps.Maisle

faitestquejesuisbêtementheureusequ’ilnemedétestepas.—Alors…pourquoias-tuacceptécettefois-ci?Jeterminedeposercettequestionenredressantmonvisagepourattachermesyeuxauxsiens.Unlargesourirescindesabouchedévoréeparunebarbesombreetsesprunellespétillentenfin:—Parceque,suruneputaind’échelledeunàdix,tonjolipetitculquimerendfoumemanqueniveau

cinquante, répète-t-il en penchant légèrement la tête sur le côté. J’ai pas dormi de la nuit, bébé. Justeparcequejesavaisquej’allaisdenouveaupouvoirrespirertonodeur,regardertonvisage,entendretavoix.Maisquandtuvaspartir,tusaiscequ’ilvasepasser?

Jesecouedoucementlatête,sentantdéjàleslarmesrevenirdansl’écrindemespaupières.— Je vais crever de douleur. Je vais crever tout court, parce que j’aurai l’impression que tu

m’abandonnesalorsqu’unepartiedemoisaitquec’estfaux.C’estcommeçaetpourl’instant,jen’ypeuxrien.Alors, quand tu partiras d’ici, je vais tout fracasser dansma chambre, car je ne sais pas réagirautrement.

Sesbrassedéplientpourvenirseposersur la table. Il lesallongedemanièreàcequesesdoigtspuissentpresquemetoucher.

—Jenedispascelapourquetutesentescoupable.Jeveuxjustequetucomprennesbienpourquoijeneveuxplus tevoir… tantque je serais enfermédanscethosto.Sidehors,quandonétait séparés, jepouvaismedéfoncerlagueulepouroublierquetumemanquais,jepeuxtedirequ’ici,ilsontdesidéesplutôtradicalessurlapicole.Cequirestemarrantcarilsmedésintoxiquentd’uncôté,medroguentavecdesantidépresseursdel’autre.

—Tuneveuxplusquejevienne?—C’estça,bébé.Onn’apaslechoix…pournotrebienàtouslesdeux.Jehochelatête.—Bon.Commentçasepassepourtoi?m’interroge-t-ilcalmement.J’aiencoreenviedepleureralorsjefixemonattentionsurl’unedestablesquijouxtentlanôtre.—Çava.J’aihébergéMeluntemps,maiselles’estremiseavecZachet…çaal’airdemarcherpour

eux.Ellevientparfoispasserunenuitàl’appart.Julietteadécidéd’abandonnersonnoviciat.Onhabiteensemble,on…onsedébrouille.JevoisrarementJoettespotes,alorsjenesaispasbiencequ’ilenestpoureux.

Sesongles, unpeuplus longsquedansmon souvenir, tapotent à tour de rôle la surfacepropredumeuble.

—C’estcool,alors.—Ouais.Le silence reprend ses aises et je n’entends plus que sa respiration. Elle est profonde, lente et

pourtant,pasunesecondejenesongequ’elledémontreuneattitudecalmedesapart.Jeluijetteunrapidecoupd’œil;jenesuispasencorecertainedenepasmeremettreàpleurercommeuneMadeleine.

Sonindexetsonmajeur,collésl’unàl’autre,frottentdoucementsabouchetandisquesesprunellesmétalliquesmedévorent.Jesursautelorsquenosregardssefixentdenouveau,surtoutquandjedécouvrecettelueurbrûlantedanslesien.Ilsouritencore.

—J’aigraveenviedet’embrasser,m’avoue-t-ilsanscesserdesourire.C’estunsourireunbrintimidequipossèdeleparfumrésiduelduflirt.Sonpouvoirdeséduction.Je

détournevivementlatête,brusquementrougissante.—T’esbête!jebafouille,encamouflantmespropreslèvresderrièreunepaumetremblante.Chris rit doucement, et, furtivement, ses doigts viennent taquiner les miens, ceux qui se trouvent

toujourssurlatable.

—C’estunetorturedet’avoirlà,siprochesanspouvoirtetouchercommejelevoudrais.C’est plus fort que moi, mais ma main, celle qu’il se contentait d’effleurer discrètement, saisit

fermementlasiennesansquejen’osel’affronterouvertement.Ilnemerepoussepas,bienaucontraire;sesdoigtsmerendentcetteétreinteavecuneforceinouïe.

J’aisimalquejen’arriveplusàrespirer.C’esthorrible.—J’aiquelquechosepourtoi,bébé.Jelelibèreaussitôt,àcontrecœur,maisj’aipeurquelesurveillantécourtelavisitesijamaisnousne

respectons pas les règles encore une fois. Chris fouille dans l’une de ses poches et en ressort uneenveloppefroissée.Ilpincebrièvementleslèvres.

—J’aiétéobligédeleslaisserlalireavantd’avoirl’autorisationdetelaremettre,çam’afoutulesglandes…maisc’étaitçaourien.

Ilmelatendetaumomentoùjem’apprêteàlasaisir,laramèneverslui.—Cette lettre estpour toi seule et jeveuxque tumepromettesdene l’ouvrirquequand tu seras

sortiedecetendroitdemalheur,OK?Jememordillebrièvementla lèvreinférieure,rongéeparl’hésitation,puisfinalementacquiesceen

guised’acceptation.Chrismefaitlesgrosyeuxcommes’ilsous-entendaitqu’ilyauraitunepunitionencasdenon-respectdelaconsigne.

—Jecomptesurtoi.Jeprendsl’enveloppepourlaserrermachinalementcontremapoitrine.—Oui,j’aicompris:jenelalispasavantd’êtrepartied’ici.Ilopine,satisfait.—L’heuredevisiteestterminée,annoncelesurveillantdesavoixgrave.—Déjà?!jem’exclame,brusquementenpanique.Jeneveuxpaslequittermaintenant…C’esttroptôt!JeregardeChrisquis’agitesursachaise.Samâchoireestcrispéeetiln’oseplustournerlatêtedans

madirection.Surl’instant,jenesaisplusquoifairedemoncorps:melever?M’agripperàlatable?Finalementilprendladécisionpournousdeuxenseremettantdeboutd’unmouvementaussivifque

tendu,maistoujoursenévitantdemeregarder.—Jeneveuxpaspartir,jemurmure,lagorgenouéeetunenouvellefoisauborddeslarmes.Chrispasseunemaindanslamasseténébreusedesescheveuxpuislaissesapaumerevenirsurson

visage.Ilpivotesubitementdefaçonàcequejenevoisplusdeluiquesondos.Jelecontempleensuiteenfoncerlesmainsdanssespochesetentaperlefond,plusieursfoisd’affilée.

Cegeste,quinedévoilequesonagitationintérieure,legardienleprendpourunsignalàs’approcherdenous.Malgrélesrécentsévénements,etmêmesicelapeutparaîtrefou,j’aiuneentièreconfianceenChris.Cequin’estvisiblementpas lecasdece type. Je joue lesdiversionsenme levantàmon tour.Commes’ilavaitperçumonmouvementsansavoiràréellementlevoir,Chriss’éloigneverslaporteetje lui emboîte le pas. Je ne sais pas comment lui dire adieu, simplement parce que je n’en ai aucuneenvie.Mesyeuxdévorentchaquecentimètredesonêtre:sescheveux,sanuque,sesépaules,sondos…jem’abreuveàluicommejepeux,totalementdésespérée.

Je dépasse, sans dire un mot, le surveillant qui nous épie sans relâcher une seule seconde sonattention.

—Tu…tuessûrquetuneveuxpasquejerevienne?Aumoinsunefois?Peut-êtrequ’il a relevécettedouleurqui traînedans le timbrebrisédemavoix,car il s’arrêtede

marcher.Noussommespresquedanslecouloirquimèneàcettesalle,cet«espacefamilial».C’estlumineux;

ilyadenombreusesfenêtres.Probablementdutriplevitrage,genreultraprotectionpouréviterlesactesextrêmes,maislalumièrequ’ilsapportentestlabienvenue.

Chrism’affronteenfinetjen’arrivepasbienàdécrypterl’expressionqu’ilaffiche.—Jeveuxquetum’abandonnes,Kate.—Maispourquoi?Unsanglotétranglécrachecesmotshorsdemeslèvres.—Parcequejet’aime.C’est troppourmoiet les larmesreprennent leur impitoyableassautpourdéborder, inonder,rouler

surmesjoues.Chrisnebougepas;ondiraitqu’ilaétépétrifiéparMéduseelle-même.Jesuislà,àunmètredelui.ChrisFarwink,l’hommequej’aimedetoutmoncœur,detoutemonâme.—Jeneveuxpast’abandonner,Chris.Unesombretristesseenvahitl’éclatdesesprunellesgrises.—Pourquoi?Unpauvresourireétiremabouchehumidedemeslarmes.—Parcequejet’aime.Letempss’étire,élastiqueinvisiblequieffacelecadrequinousentoure.Durantcecourtinstant,le

monden’existeplus.Iln’yaplusrien:nimaladie,nimeurtre,nihôpital,nigardien.Justeluietmoi.Jeleregarderéduireladistancequinoussépareenquelquesenjambées.Lorsqu’enfinilesttoutprèsdemoi,avantquelefameuxHenrynes’enmêle,Chrisplacesespaumessurchacunedemesjouesetbaissesonvisageverslemien.

Notrebaiseralegoûtduseldemeslarmes.Ilestàsonimage:douxmaisconquérant.Tendremaispassionné.Sensuelmaisabrupt.

Pourtant,jecroisquejedétestecebaiser.Sasaveurestcelled’unadieuetnond’unaurevoir.Lesurveillantnoussépareetcurieusement,Chrislelaissefairesanschercheràsedébattre.Illesaisit

parlecoudepourl’éloignerdemoi.Jenelesupportepas.Jenesupportevraimentpasderester,là,impuissanteàleretenir.Àretenirles

grainsdesabledu tempspournousgarder l’unavec l’autre,parcequedansuneseconde,oupeut-êtredeux, je ne le verrai plus. Je ne l’entendrai plus. Je ne respirerai plus son odeur. Je n’aurai plus sachaleursirassurante.J’ail’impressiond’êtreseuleaumonde.

Dansmatête jehurlesonprénom.Jen’arrêtepasetc’estquandlecruelHenryse tourneversmoiaveccetairdésolésurlafigurequejecomprendsquej’airéellementcrié.

C’est les yeux fermés sur le banc de l’arrêt de bus que je laisse le soleil séchermes pleurs. Sa

chaleurestdouceetmeréchauffeunpeulecœur.Puisjelesouvrepourexaminerl’enveloppequem’adonnée Chris ; celle que je n’ai le droit d’ouvrir qu’une fois à l’extérieur du bâtiment UMD deStantBrouke.J’inspireunelonguegouléed’airpourl’expirerjusqu’àviderentièrementmespoumonsetdécachettelalettrequejedéplieprécautionneusement,surtoutqu’ilyaplusieursfeuillets:

«Mapetitefemme,Commetulesais,jen’aipasfaitdelonguesétudesalorsécrireuneputaindelettre,c’estgenreun

boulotquimerenddingueavantmêmedelecommencer.Déjà,jenesaispastrèsbienparquelboutleprendre,alorss’ilteplaît,faispreuvedepitié(oud’«indulgence»,c’estmieux?ouais,çafaitplusintelligent)quandtulaliras.

Tudoislesavoiraumomentoùtuliscesmots,maisvoilà,j’aiunemaladie.Pasdecellesquise

voient comme une grosse grippe ou un autre truc à la con. La mienne, si j’ai bien compris leurcharabiadetoubibsquiselapètent(etenplusilsvontlalire…jecroisquel’ambiancevaêtresympadurantlesséancesaprèsça),agitsurtoutsurmoncomportement,oumafaçondepercevoirlesautres,mesémotions,etc.Toutcemerdier.

Sur lemoment,quand ilsm’ontsortiça, j’aieupeurque tupensesquemessentimentspour toiétaientfaux,oupasvraimentréels.C’estlàquej’aidécidédet’écrire.J’aimeraisbienmelajouerenteracontantquejel’aiécriteenuneseulefois…maisc’estpaslecas.J’aimisplusieurssemaines,enfait.Alorsvoilà,quoiquetuapprennessurcettemaladie(etc’estgraveimportantquetul’imprimessalegamine)cequej’éprouvepourtoin’estpasimaginaire,fantasmé,fausséoujenesaisquelautremotquecesenfoirésdepsysaimentmebalancerdanslatête.Lorsquejedisquetuesparfaite,jenet’idéalisepastellement(commeilssemblentvouloirledire),parcequ’àmesyeux,tuesparfaitepourmoi.Tul’asétédepuiscejour-là,celuioùtum’assortidelatentedetafrangineavecunputaindefusilharpon!UnFUSILHARPON!Sansdéconner,bébé…tum’astuécettefois-là.

Je veux que tu retiennes ça, peu importe ce qui nous arrive dans le futur. J’ai passéma vie àessayerdenejamaism’attacherauxgens,saufJo…etaussiBenny…maisbon,c’étaitplusJo.Lepsyaffirme que je tiens tout le monde à distance, mêmemamère en l’appelant par un surnom et non«maman ». Tout cela à cause dema peur de les perdre et de souffrir.D’après lui, le traumatismeviendrait du décès demon père que j’aurais vécu comme un abandon, et ensuite lamort deDavidauraitétéle«déclencheursymptomatique»(ilsadorentutiliserdesmotsàrallongeoucompliqués…c’estGRAVECHIANTdelesécouter).

Maisd’aprèseux,tuauraisdéfoncéce«mur»quejeconstruisentrelesautresetmoi.Lesdoigtsdanslenezenplus(ilsnet’ontjamaisvuedansceshortquim’alessivélecerveau,lesecondsurtout).Là,tunelevoispas,maisaumomentoùj’écrisça,jesuismortderireetl’infirmiermeregardeenpensantsûrementquejedisjoncte.

Jet’aime,bébé.Mapetitefemme.Qu’est-cequ’ilsm’ontposécommequestionssurcesurnom…!Àcroirequ’ilsonttousbesoind’unesignatureenbasd’unboutdepapierpourconsidérerleurnanacommeleurfemme,benpasmoi.Moijet’aiépouséelejouroùtuasdécidédedormirdansmonlit.(Tuvois,j’aifaitdetoiunefemmehonnêteplusvitequecertainsmecs.)

Tumemanques.Çafaitdesjoursquejenet’ainivue,niparlé,nitouchée.Ladernièrefois(jeneparlepasquandjet’aitéléphonéaprès«tusaisquoi»)surleparkingdecerestoàdeuxballes.Jemetenaisdevanttoi,lestripesàl’air,lecœurenmorceauxetlecorpsgramméd’alcool.J’auraisvouluavoirlecouragedememettreàgenouxettesupplierdereveniràlamaison,j’auraisvoulutedirequesans toi, je vivais ma mort tous les jours. Comme ces bestioles qui ne peuvent pas vivre plus de24heures,jenesaisplusleurnom.

Jetenaisaussiàm’excuserpourcequejet’aiditausujetdetefaireungosse.Jeneveuxpasquetumepardonnesdet’avoirsortiça,parcequ’aufond,jekiffel’idéequetusoislamèredemonenfant(putain,jetejurequec’estvrai).Jeregretteseulementdetel’avoirditdecettefaçon,dansunmomentpareil.C’étaitvraimentuncomportementdesalecon.

J’aiunpeul’espritencompote,alorsc’estdurdemettredel’ordredansmespenséesetleschosesquejetiensàtedire.

Cequejevaistedemander,là,c’esthyperdifficileparcequec’estlacausedenotreséparation,maiscommeonlesaittouslesdeux,lasituationabienchangédepuis.

JeveuxquetupartesenItalie(j’aioubliélenomdubled,pardon).Jeneveuxpasqueturestesiciàm’attendre,ouàcherchersansarrêtàmerendrevisite(t’aspasidéecombiencelaaétéatrocedetelarefuser,j’enaimêmedégueulé).Jeveuxquetut’ensortes.Jenetementaispascejour-là.Après,

j’aijusteététropégoïstepourcontinueràlevouloirvraiment,maisdanslefond,teregarderréussiràtoutdéboîtermerendfierdetoi,jet’admirecarrément.Jeneveuxpasquetum’attendes,maisj’avoueque l’idée qu’un autremec t’embrasse, te touche (l’infirmierme regarde encore bizarre et là je lecomprends:jeviensd’écrabouillermonverreenplastique)tuassaisi.Çanemerendpasvraimentheureuxmaisbon,jenesaispaspourcombiendetempsj’enai.JENEPEUXPAST’EMPÊCHERDEVIVREalorsquejesuiscoincédansunhôpitalpourpsychopathes.(Merde,Bébéje t’ensupplie,netombepasamoureuse,situmetrouvesmacho,sachequecessalaudsdeRitalslesontcentfoisplus!)

Jet’aime.Jet’aimeàmourirchaquematin,parcequetun’espasdansmesbrasquandjemeréveille.Jet’aimeàmourirchaquesoir,parcequelàaussi,tun’espasdansmesbraslorsquejedois(me

forcerà)dormir.Jenevaispas tropmeplaindrequand jeréussisà fermer lesyeux.Lesrêves,c’estbien leseul

cheminquimerestepourvenirjusqu’àtoi.Jet’embrassemapetitefemme,jet’embrassepartoutsanssavoirsijevaiscraquerounon,sije

vaistelaisservenirdanscetendroitquirenvoieunemauvaiseimagedemoi(jedétesteça).Sijerésiste(j’endoute)c’estprobablementJoquitedonneracettelettre(sijamaisill’alue,jelui

botteraitellementleculqu’ilnepourrapass’asseoirsurunechaisesansunebouéegonflable!)etjesuissérieux:parsenItalie.

ChrisFarwinkTonmari.»

Katherina

Deuxansaprès

Jenepeuxpasm’empêcherdesourireenregardantmesdeuxsœurs,maisaussiZachetAmanda,tenirunepancarteoùilestécrit,engroscaractèrescolorés,«Bienvenueàlamaison,Kate».

Vingt-quatremois.Vingt-quatremoisenItalie.Jesuisderetour.Enfin.Une boule se forme dans ma gorge tandis que j’ouvre en grand les bras. Juliette s’y jette, ainsi

qu’Amanda, et je les serre contremon cœur.Mel fait preuve de plus de retenue : elle se contente dem’adresserunemouetimide.C’estunvéritablebonheurquedepouvoirdenouveaulesregarderet lessentirprèsdemoi.Lesétreindreetrirebêtement,simplementheureusedelesretrouver.

—T’estropcanon,jesuisjalouse!s’exclameAmandaenmerendantmonembrassade.PuisellesetourneversMel,enmedésignantd’unemain:—Elleesttoutebronzée,descheveuxsuperlongsavecunecouped’enfer!Merde!Lesmecsvont

memettredesvents!gémit-elle,avecuncertaintalentd’actrice.Jesecouelatêtesansmedépartirdemonsourire.—N’importequoi!jemurmure,gênéeparlecompliment.—Cequimelaissesansvoix,c’estlefaitqu’elleporteunerobe,ajouteJulietteenouvrantdegrands

yeuxfaussementinnocents.JeluijetteunregardinsistantsursonjeanmoulantetsonT-shirttoutaussiprèsducorpsmettanten

valeursapoitrine.EllerougitaussitôtetsesyeuxdévientpourtomberencontemplationsurmesbagagesqueZachestentrainderécupérer.

—Bon,vafalloirfêterça!chantonneAmandasansmelâchertandisquenousavançonsverslasortiedel’aéroport.

—Jesuisplutôtclaquéeduvoyage…Amandamelanceuneœilladequinelaisseaucundoutequantaufaitque,quejeleveuilleounon,

ellemetraîneraàunefêtedebonretour.Jemerésigneensoupirant.Ces deux années sont passées à la fois très vite et à une lenteur intolérable. Vite, parce que j’ai

travaillé commeune forcenéeetquecela apayé. Intolérable,parcequeChris a refuséchacundemesappels.Audébut,j’essayaisplusieursjoursparsemaine.Puislessemainessontdevenuesdesmoisetmadernièretentativedatedelamoitiéd’uneannéeàpeuprès.

Jen’aieu,commeultimesouvenir,quecettelettrequ’ilm’aécriteetquej’aireluetantdefoisquelepapier s’effritepar endroits. J’ai suparAmandaqu’il était sortide l’UMDdeStantBrouke ilya toutjustesixsemaines,etquelorsqu’elleluiavaitproposédeluidonnermonnumérodetéléphone,ilavaitpoliment refusé. Cela fait presque un an qu’Amanda fréquente Jo et si ce dernier n’est pas venuaujourd’huil’accompagner,jemedoutebiendelaraison.Jobossedésormaischezunconcessionnairedevoituresdeluxe,etd’aprèscequejesais,Chrisatrouvéunboulotdemécaniciendansungarageréputé,

grâceenpartieàsonamidetoujours.J’angoisseàl’idéedelerevoir.J’enmeursd’envie,maisjepaniquedenepassavoircommentréagir

étantdonnénotredernièreentrevueàl’hôpital.Jenesaispass’iléprouveencoredessentimentsàmonégard,s’iladéjàretrouvéunepetiteamie…Peut-êtrequejenesuisplusqu’undouloureuxsouvenird’unpassé qu’il souhaite oublier. Et le fait qu’il n’ait pas voulu demon numéro de téléphone ferait plutôtpencherlabalanceducôtédelaplusterribledeceséventualités.

MeletZachhabitentensembledansunepetitemaisondebanlieue;ilshébergentJulietteetjeleurensuisextrêmementreconnaissante.Melm’aaffirméqu’elleétaitcapabledelefaire.Qu’elleétaitcapabled’êtreunepersonnedeconfianceet jedois reconnaître,aprèsdesmoisàm’inquiéteretmeronger lesongles,qu’elles’estsincèrementinvestiedansl’éducationdenotrepetitesœuretquecelle-cis’épanouitdavantagechaquejour.LesdiscussionsviaSkypenousontpermisdegarderlecontactdurantcesdeuxannéesd’absence,maisj’avouequejepréfèredeloinêtrerevenueauprèsd’eux.Mafamille.

SeulChrismanqueàce tableauchargéd’émotion.Àcettepensée,moncœurseserreméchammentdansmapoitrine.

J’aibieneudeuxoutroisflirtsinnocents,là-bas.Difficilederésisteraucharmedecertainsnatifsdece pays tactile et chaleureux, quand on sait qu’ils peuvent déployer des trésors de séduction. Maisaucun…aucunnepouvaitsurpasserceluidontj’aitatouélenomsurmapeau.D’ailleurs,pasquesurmapeau : mon âme est également imprégnée de lui. J’ai donc préféréme concentrer sur mes études, enmettantdecôtémaviesociale.

NousarrivonsenfinàlamaisonquelouentZachetMel.Zacharatésonexamenaubarreaumaisatrouvéunjobentantqu’assistantdenotaireetmasœurbosseàsoncompte;ellevenddessavonsbioqu’elle fabrique elle-même. Ils ont le début d’une vie paisible et je dois dire queMel est carrémentmétamorphosée.Sonlookaussi.

C’estunepetitevillatoutcequ’ilyadeplushumble,nantied’unjardinetaccueillant.Jerefermelaportière de la voiture de Zach, les yeux rivés sur la façade de la demeure qui abrite désormais leuramour.Jelesenvieunpeu.

JesuisMelàl’intérieur:jedormiraidanslachambredeJuliette.Elleestàsonimagedejeunefillesage.Jesouris.JulietteresteJuliette,jeanmoulantounon.

Zachpénètreàsontouravecmesvalises.Ilm’adresseunegrimaceamicale.—Situasbesoindequoiquecesoit,n’hésitepas,Kate.J’acquiesceenleremerciant.Lesbrascroiséssurmapoitrine,jemarchedanslapièceauhasarddemespas.Monregardsepose

surlescadresphotosetautresbabiolesquiappartiennentàJuliette.J’écartelerideaudelafenêtrepourjeteruncoupd’œilàl’extérieurlorsqu’Amandasurgittelundiabledesaboîte.Jesursaute.

—C’estbon!s’écrie-t-elle,complètementsurexcitée.Elleagitesontéléphoneportable,ungrandsourireauxlèvres,etsesyeuxpétillentunpeutropàmon

goût.—Quoidonc?Ellehochevigoureusementlatête,visiblementsatisfaited’elle-même.—Cesoir.UnefêtechezVickyStrubb.Çavaêtredément!Jehausseunsourcil.—Jeneconnaispascettenana,tusais.Amandarépondparunmouvementdésinvoltedesépaules.—Moinonplus.Cequicomptec’estqueses sauteries sontgéniales :piscine,barbecue,musique

avecDJ,c’estleprincipal.

—D’accordetest-cequ’elleestaucourantqu’ons’incruste?jedemande,unbrinironique.Monamieéclated’unrirefrancetsur l’instant, j’aidumalàsaisircequ’ilyadedrôledansmes

propos.—Danscegenredefiestapersonnen’estréellementinvité,Kate!Toutlemondes’incruste!Jelacontemplelonguementavecunequestionquimedémangeleslèvres.Sonjoyeuxsourires’efface

auprofitd’uneexpressionempreintedetristesse,oupeut-êtreest-cesimplementdelapitié.Elleadevinéetjedétourneinstinctivementlesyeux,gênéed’êtreaussitransparente.

—Joviendra…maisilnem’arienditausujetdeChris.—Jevois.Est-cequ’ilyaunechancedelecroiserlà-bas?—Ilnevaplusensoirée…enfin,d’aprèscequej’ensais.Ilrestesoussurveillance,alorsj’imagine

qu’ilévitecegenredetentation.—D’accord.Mais…jeveuxdire,est-cequeJoestcourantquejevaisàcettefête?Lesouriredemonamierevientillicosursabouchebrillantedegloss.—Ouais,magrande!Donc,Chrispourraitbienfaireuneentorseàsesnouvelleshabitudes!Àcetteidée,moncœurexploseenunemyriadedeparticulesetmonespritestsubitementconfus,pétri

d’espoir.C’estvraimentunegrossefiesta,effectivement.Jeregardel’immensejardinenvahidepersonnesayantd’énormesdifficultésàtenirsurleursjambes

toutenbraillantdesproposincompréhensibles.Monregardbifurqueverslecouplequisetientàmescôtés.Jon’apaschangéd’uniota.Nousnous

sommes salués normalement, bien que je l’aie trouvé un peumaladroit. Ce qui doit être normal étantdonnélepasséquenousavonsencommun.

—Jeveuxabsolumentquetumeprêtescetterobe!s’exclameAmandaenfaisantlamoue.Jebaisseautomatiquementlesyeuxsurmatenue.Ellen’apourtantriend’extraordinaire.C’estjuste

unerobeàbretelles,beige,par-dessuslaquellej’aipassémavesteencuir.Messandalesn’ontquecinqcentimètresdetalonsetc’estlargementsuffisantpourmestalentsd’équilibriste.

Je n’ai pas trouvé, en fouillant les environs du regard, l’endroit où la majorité des voitures sontgarées. J’avais le faible espoir de pouvoir y repérer une certaine Pontiac ; ma tentative s’estmalheureusementsoldéeparunéchecdesplusfrustrants.

Joposesonbrasautourducoudesachérieetjelessuistrèssagementàl’intérieur,toutenessayantd’éviterlesinvitéscomplètementivres.

Nousavonsàpeinefranchiqueleseuilquejeperdsdevuemesamis;deparfaitsinconnus,pourmoi,leursautentdessusetjemesensunpeumalàl’aise,pasvraimentàmaplacedanscelieubruyantremplidegenssaouls.Jetraverselamaréemouvantepourtomberdansunepiècequisembleêtrelacuisine.Ellen’estinvestiequepartroispersonnesquifontpeucasdemaprésence.Toutlemondevaetvient,sesertsansrendredecomptesàquiconque.J’inspireprofondément,puissoupire.

ÀRome,faiscommelesromains.J’ouvrelefrigopuismepencheàlarecherched’unsoda,n’importelequel.Monchoixseportesur

unelimonade.Lorsquejerelèvelatête,jecomprendsrapidementqu’uneautrepersonnesetientprèsduréfrigérateur,etmetourneinstinctivementverselle.

Moncœurs’arrêtedebattre.Cen’estpasuneplaisanterie,ouunesimpleimage:ilcessevraimentderemplirsafonctionl’espacedequelquessecondes.Jen’entendsplusrien.Nilamusiqueassourdissante,ni les cris, rien. Je suis également trop choquée pour parler. Je ne peux queme noyer dans ces deuxprunellesgrisesquim’onttanthantéedurantcesdeuxannéespasséesloind’elles.

Chrisappuiesonavant-brassurlaporteouvertedufrigopuissonmentondessus.Unsourireencoinflottesurseslèvres.Ilmefixeautantquejelescrutesansquel’und’entrenousneparle.Jenesaispasquoifaired’autre.J’aibienconscience,quelquepart,aufonddemoncerveauenmodepileautomatique,que jedois avoir l’air ridicule à le contempler ainsi, laboucheouverte, lesyeuxécarquillés,mais jen’arrivepasàmesortirdecetétatlamentable.

Finalement,c’estluiquimetfinausupplice.—Salut.J’inspire.Moncœurredémarre.—Sa…lut.Sonsourires’accentue.—Çafaitdesplombesquejet’attends.Ilm’attendait.Ilm’attendait!Ilareprisdupoids.Sesjouessontmoinscreuséesetilestrevenuàsespremièresamours:justeune

barbedetroisjours.—Tum’attendais?jerépètebêtement,avecl’absurdebesoind’êtresûre.C’estidiot,maisjenepeuxpaslutter.Ilhausseunsourcilsansmequitterdesyeux.—Deuxans,pourêtreprécis.—Deuxans…?—J’aibeaumesoigner,jeresteunjunkiepourcertaineschoses.—Certaineschoses?Bonsang,arrêtederépétertoutcequ’ildit!Sonsourires’élargitpourdevenirfranchementsexy.—Jedevraispeut-êtredire…unecertainepersonne?J’essaie aussitôt de me cacher le visage derrière une main tremblante et un petit rire nerveux

s’échapped’entremeslèvres.—Jemecomportecommeuneidiote,là.Mavoixn’estqu’unsouffleéraillé.—Jetrouveçamignon,rit-ildoucement.Jeluilanceuneœilladedubitative.—Iln’yariende«mignon»là-dedans!Son expression s’altère immédiatement pour devenir plus sérieuse. Une sorte de gravité brûlante

habitesonregardassombri.—C’estclairqu’iln’yariende«mignon»danscequejevois.—Non?—Putain,non.Un silence étrange s’instaure, durant lequel nous nous contentons de nous examiner l’un l’autre de

nouveau.Puis,Chrisseredressed’unmouvementsouple,avecbeaucoupdelenteur.—Viens…onvasetrouveruncoinplustranquillepourdiscuter.Jerefermelefrigopourluiemboîterlepas.Jen’aiencorerienbuetpourtantjesuispresqueaussi

ivrequen’importequelinvitédecettesoirée.Soudain,ilpilepourmefairefaceetmetendresesdoigtslibres. Je remarqueque son autremain tient unepetite bouteille d’eauminérale, là où auparavant il yauraiteuunecanettedebière.Mesyeuxcroisentlessiens.

Ilaencorecemauditsourireauxlèvres,celuiquipourraitfairesepâmerlaplusfrigidedesnanas.J’accepte et mêle ma main à la sienne. Sa paume est si chaude, si rassurante. Je suis tellement

chamboulée que j’ai dû mal à réfléchir. J’ai l’impression de subir une violente crise hormonale. Ilm’entraînedehorsetnousmarchonsl’unàcôtédel’autreavantqu’ilnemelibère.Ilmedésignedesabouteilled’eauunpetitmuretàl’écartdesfêtards.Jem’yassoispourensuitedécapsulermonsoda.

—Commentvas-tu?Enattendantlaréponseàcettebanalitéàpleurer,jeboisunegorgéeduliquidepétillantetsucrésans

oserleregarderdroitdanslesyeux.—Jevaisbien.J’oseunrapidecoupd’œildanssadirection.Ilportesonéterneljeanusé,unT-shirtnoiretuneveste

similaireàlamienne.Bref,ilestatrocementbeau,commetoujours.—Ettoi?Encoreunegorgéeaccompagnéed’unelégèregrimace.Laboissonestunpeuacide.—Bienaussi.Lesilencerevientautriplegalop.C’estuneambiancevraimentétrangequirègneautourdenous.Que

celapeutêtrelongdeuxannées,finalement.—J’ai toujourspenséque…lejouroùonaurait lachancedepouvoirdenouveauseparlerfaceà

face,toietmoi,j’auraisunmilliondechosesàtedire.Alorsquandjemevoisincapabledeseulementteregarderdroitdanslesyeux,jemetrouvestupide.

Jelevoisducoindel’œils’accroupirtoutensegrattantlefront.Jepenchesuffisammentlatêtepourpouvoirmieuxledévisager.Ilestentraindegrimacer.

— Tu n’es pas la seule à te comporter bêtement. Lorsqu’Amanda m’a proposé ton numéro detéléphone,j’aieutellementlatrouillequetum’envoiesboulerquejel’airefusé.Etpourtant,quandJom’aannoncéquetuviendraisàcettefête,jen’aipashésitéuneseuleseconde.Parcontre,àl’instantoùtuas passé la porte, que je t’ai vue dans cette robe, avec cette coupe de cheveux et toutes ces petitesdifférences…j’aipaniquécommeungosse,lesgenouxengelée.

Jesouris.—Alorstonattitudecool,c’étaitdubluff?Nosregardsseriventl’unàl’autre.—Enpleindanslemille.Jemeperds,encoreunefois,danscecielcouleurmétalquesontsesprunelles.—J’aienviedeteposerunequestion,maisj’aipeurquelaréponsemetuedirect,genrefoudresans

paratonnerre.—Essaietoujours,jemurmuresansparveniràm’arracheràl’éclathypnotiquedesesyeux.Ilm’atellementmanqué.Coudeappuyésurlacuisse,unepartiedelamaindeChriscamoufledésormaisseslèvrestandisqu’il

mefixeintensément.—Tuas…enfin,tuasrencontré«quelqu’un»?Jemeretiensdeluicrierlaréponseavecprécipitation.Laisserquelquessecondesdesuspenseaune

saveurdeflirttropagréable.—Non.Jen’aipersonne.—Ah.—Ettoi?—Biensûrquesi.Toutunharemdenanasdévouées.J’éclatederire.—DesSuédoises?jesuggèreenarquantunsourcil.Ilsouritenôtantlesdoigtsdesonvisage.

—Tutesouviensdeça?Jeportemonsodaàlabouche:—J’aiunemémoireinfaillible.Dansunénièmesilence,nousnousregardonsmutuellement,l’unperdudansl’autre.Ilouvrelabouche

pouraussitôtlarefermeretdenouveausourire.Jenepeuxrienyfaire,unemimiqueidentiqueétiremeslèvres.

—T’esvraimentjoliebé…enfin,j’veuxdireKate.Cegenredefringues…çatevavraimentbien.Soudain,ilseredresseetsemetàrire:—Putain!Jenesorsquedesdébilités!s’esclaffe-t-il.Jejoinsmonrireausienetceladétendlégèrementl’atmosphère.—Fautreconnaîtrequeçafaitlongtemps.Ilopine.—Ouais.—Etquelasituationestunpeubizarre.—Ouais,réitère-t-ilengrattantunboutdelapelousedelapointedesabotte.—Toiaussi,tu…tuesvraiment,enfintuesbien.Beau.Bien.Enfintuvoiscequejeveuxdire!Il rit encoremais sansme regarder.C’est tellementétrangedenous retrouverensemble sans l’être

réellement;desavoirquenousavonsrompumaispasparcequ’iln’yavaitplusd’amourentrenous.—Çatediraitd’allerailleurs?Mon cœur se met à battre comme un fou dans ma poitrine. Je me lève à mon tour puis lisse

machinalementlesplisdemarobedemamainlibre.—Oui.Jenesuispastrèsbranchéefiestasdecegenre,detoutemanière.Sonregardselieimmédiatementaumienetilybrilleunelueurquejeneconnaisquetropbien.Je

détournelesyeuxlapremière,feignantn’avoirrienremarqué.—Onvamangeruntrucquelquepart?Maisjenepeuxpastroptraînerdansleslieuxquiproposent

del’alcool.Saprécisionmedonneenviedel’assommerdequestionsmaislesvieilleshabitudesontlaviedure:

s’iln’enparlepaslepremier,jepréfèrelesgarderpourmoi.—Pasdesoucis.Ma réponse semble lui faire plaisir et il nem’en faut pas plus pourme sentir aussi légère qu’un

nuage.Toutceciressembleàunrencarddelycéen,maisjem’enfiche.Chrisparaîtsicalme…cen’estpas

exactement l’adjectif que j’ai au bout de la langue,mais cette sensationme rend en tout cas avide deconnaîtrecette«personne»qu’ilestdevenudurantnotreséparation.

J’appelleaussitôtAmandapourluiexpliquerqu’ellenes’inquiètepas,quejesuisavecChris,etellesemet à crier si fort au téléphone que j’en rougis de honte.Un rapide coup d’œil sur luime suffit àcomprendrequ’il l’aparfaitement entendue ; il affichece sourire encoinqui est, enquelque sorte, samarquedefabrique.

Cinq secondes après que j’ai raccroché, c’est le téléphone de Chris qui émet des bips. Il litapparemmentuntexto,puislâcheenmarmonnant:

—Putain!Ilesttropcon!Quandilnotequejel’observeenmeretenantderire,ilarboreunecurieuseexpressiongênéeavant

derangersontéléphone.—Il…Jo,fait-ilensecouantlatête.Jelaisselibrecoursàmonhilarité.Nosamissecomportentencorepluscommedesgaminsquenous!

—Quoi?medemandeChrisensouriant.J’agitelesmains.—J’imagineunpeucequ’ilt’aenvoyécommemessage…—Oh,non!Crois-moi,tuestrès,très,très,trèsloind’imaginercequ’ilm’aécrit!OK,j’aicomprisquelemessagecontenaitplusquedesimplesencouragements.Sûrementdespropos

cochons.Cesmecs…touslesmêmes.—Nesoispaségoïste.Partagesessuggestions!jeletaquine.Chrisquicommençait à s’avancerhorsdu jardinpile, sepasseunemaindans lescheveuxpuis se

tourneversmoienhaussantunsourcilmoqueur:—Vraiment?Jehochelatêteensouriant.Sonsourireàluis’élargit.—Ilm’aditdetestertonnouveaustylevestimentairesurlecapotdemaPontiac.Jelecontemple,stupéfaite:—AlorstuastoujourstaPontiac?!Làc’estluiquim’observe,etplutôtsilencieusementdurantunlongmoment.Soudainiltendunindex

dansmadirection.—Jevaisfairecommesituavaisétésuperchoquée,là.Etnonpasparcequej’aigardémavoiture

chérie,maisplutôtpourlereste.—Pourquoi?—Ilsetrouvequejenesuispasunputaindemoinebouddhiste,maisquej’essaiedemecomporter

enmeccivilisé,etnoncommeleloupdeTexAvery.—Celuiquialalanguependante?jem’étranglederire.Illèvelesyeuxauciel.—Exactement!Etçalafaitmarrerenplus…Unedemi-heureàtoutcasserqu’onestdanslemême

périmètreetellemerenddéjàcomplètementdingo.Nousvenionsdebriserunepartiedecemur invisiblesedressantentrenous. Je le suis jusqu’àsa

voiture.—Commentas-turéussiàlagarder?—Jo.Ils’enestoccupé.—C’estgentildesapart,jecommentesobrementenm’installantsurlesiègepassager.ChrisprendletempsdedémarrersaPontiacavantdemerépondre:—Ilestcommeunfrèrepourmoi.—EtBenny?Amandanem’ajamaisparlédeluilorsque…Je m’arrête brusquement, un brin gênée d’avouer que j’avais ainsi pris des nouvelles de lui par

l’intermédiairedemonamie.—Bennybossedésormaispourlesmotards.Erikestaveclui.YaqueJoquim’accompagnesurle

chemindutravailhonnête,termine-t-ildansunrireamer.—Jevois.—J’aimêmepugardermonappart, ajouteChris enmedédiantun rapide coupd’œil avantde se

concentrerdenouveausurlaroute.Bennyl’asquattéetapayéleloyerdurantcesdeuxannées.Ilpasseunevitessetoutenempruntantl’autoroute.Jeluilanceunregardsurpris.—Oùest-cequ’onva?—Àlamer,annonce-t-ilavecl’ombred’unsouriresurleslèvres.

—Maintenant?!jem’exclameenmeredressant.Ilgardelesilencedurantquelquessecondes.—C’est un truc que jeme suis promis de faire avec toi quand… je sortirais.On n’y restera pas

longtempsparceque jedoismerendreà l’hosto tous lesmatinsà8heures. Ilsappellentçaun«suiviambulatoire».Cequiestcool,c’estquej’ailedroitdevivrechezmoi,carcertainsdoiventdormirenservicepsy.

Jemetourneassezpourobserversonprofil.—Tuvoudraism’enparler?J’aiposélaquestiond’untonneutre.Iltapotesonvolantduboutdesdoigts.—Dequoi?Del’internement?—Aussi…enfin,jepensaisau…àRonan.—Ah.Unlongsilences’instauredansl’habitacledelaPontiacpendantlequelilinspireprofondément.—Jecroisqu’onnepeutpastropesquiverlaquestion,hein?ricane-t-il,unriendésabusé.Je restemuette, craignant qu’un seulmotmal choisi ne le coupedans son élan. Jeme contente de

scrutersonprofil.—Tutesouvienslorsqu’onestallésauxurgencespourmonbras?—Oui.—Ehbien…cette fois-là,onest tombéssurdes toubibsdugenrezélés. Ilsm’ontposédes tasde

questionsmerdiquesàcausedemonétat,demesblessures, lesvieillescommecelledemonbras.Là-dessusunpsyadébarquéetm’aditquej’étaispeut-êtretaré.Jeveuxdire,vraimenttaré,tuvois?

Quandiltournebrièvementlatêteversmoi,j’opine.Jevoisparfaitement.—Jen’aipasvoululescroire.Bordel!Quiarriveraitàaccepterd’être«vraiment»cinglé?Toutça

parceque jemebagarrais souvent?Parceque jepicolaisunpeu trop?Parceque je t’appelais«mapetitefemme»?C’étaitniet.Maispeut-êtrequ’aufonddemoi, l’idéeque…lapossibilitéquecesoitvrai,benc’étaitlà.Commesij’avaistoujourssuqu’untrucclochait,sanssavoirexactementquoi,unpeuflou.Etpuis…ilyaeucettelettredelafacpourtoi.J’aieupeur.Peurcommeungossedecinqansàquisamèreluiditqu’ellevabientôtrevenirmaislui…luiilsaitquec’estfaux,qu’ellenereviendrapasetqu’ilvaêtredésormaisseulcontre lemondeentier.Unmondequinefaitpasdecadeau,quiva luienfairebaver.Alorsjet’enaivoulu.Jet’aidétestéeetjevoulaisquetusouffres,quetoiaussitutesentesseule, abandonnée. Enmême temps, jeme haïssais d’éprouver ça, parce que je t’aimais encore… jet’aime toujours. J’ai bu.Beaucoup.Dès lematin au réveil jusqu’à vomirmes tripes sur le trottoir.EtRonan…Ronan,jen’aipaslesouvenirdel’avoirunjourconsidéréautrementquecommelepiredangerquelaTerreaitjamaisporté.Ilsymbolisaittousmesmalheurs,messouffrances.Lamortdemonpère,lesgalèresdemamère,lamortdeDavid…toutcequim’avaitfaitmesentirseul,toutcequim’avaitfaitdumal,mavieentière, toutétaitàcausede lui.Mesdémonsavaientsonvisage,savoix,sasaloperiedecostume.Iltemenaçait…jeveuxdire,chaquefoisqu’onparlait,ilmettaitlesujetsurletapisetil…

Sesdoigtsseserrentbrusquementautourduvolant.—…iljouaitlà-dessus.Ronanétaitunsaloparddepremière.Unenfoiréquitabassaitdesfemmes,

s’éclataitàmaltraiterlesputesbossantpourlui.Sijel’éliminais,jesauvaislemonde.Monmonde.Jevousprotégeaistoi,mamère,touteslespersonnesquivivaientdansladouleuràcausedelui.Ouais,ditcommeça,çafaitunpeusuperhéros.

Unpetitriredépouillédejoieluiéchappe.Jemetais.J’ailecœurécraséparl’étaudemesémotionsenl’écoutant.Ilpoursuit,lesyeuxrivésàlaroute:

— J’étais dans un drôle d’état quand j’ai décidé de l’éliminer. Pourmoi, il n’y avait pas d’autre

solution.C’était…c’étaitsiévident!Sijeletuais,touteslespersonnesautourdemoiseraientlibresetsauves.Alors,avecJo,onamenéunesorted’enquêteauprèsdesdroguésducoinetonaapprisquelesmotards n’étaient pas de retour pour le fun. Ils voulaient récupérer leur territoire.C’était ton oncle etquandilasuquel’autreconnardfrappaitsaniècecommed’autress’excitentsurunpunching-ball, ilaacceptédem’aideràconditionquejen’impliquejamaisverbalementleclubauprèsdesflics.Ilsavaientleurraison,j’avaislamienneetnotrepointcommun,c’étaittoiettasœur…çanoussuffisaitpourlefaireensemble.Jem’enfoutaisdetoutprendresurledos.JenevisaispaslebusinessdeRonan.J’étaisuneépavehumaine. Jene t’avaisplus, c’était tout cequime restait à faire.Lepsyaparléde« suicide»indirect,commesi j’avaisespéré inconsciemmentmefoutreen l’air.Jenesuispasvraimentd’accord.Ouais jem’encarraisdemourir, j’étaisdéchirévingt-quatreheures survingt-quatre,mais leprincipalétaitdetepréserver,toi,detoutdanger.Jenesuispasaccroausang,jen’éprouveaucunplaisiràfairedumalauxinnocents,jenesuispasunputaindesadique!Maislui…lui,jevoulaisréellementlecrever.

Je ne sais pas vraiment quoi dire après un tel discours. Je refuse de lui apprendre qu’en réalité,Ronann’étaitpasdirectementresponsabledelamortprématuréedeDavid.RonanestmortetChrisestvivant.Iln’apasbesoindecetteculpabilitéenplusdureste,alorsqu’ilessaiedes’ensortir.Laseulechosequimeviententête,c’est…

—Jet’aimetoujours,Chris.Saréactionnesefaitpasattendre:ilressembleàquelqu’unquivientdeserecevoiruncoupdepoing

dansleventre.—Mêmeaprèscettehorriblehistoire.Mêmeaprèstouscespleursetcesdrames.Mêmeaprèsavoir

suque tuavaisunemaladie.Mêmeaprèsdeuxansde séparation. Jene saispas s’il existeunebonnefaçond’aimer.Est-cequ’ilexisteuncahierdeschargesquiexpliquecequedoitêtrel’amour,commentledonnerou le recevoir?Est-cequ’onestdans l’erreurenévoquantce sentiment lorsque toioumoionparledecequ’onressent l’unenvers l’autre?Jen’enaipaslamoindreidée, toutcequejepeuxdirec’estquedurantcesdeuxfichuesannées…jen’aivouluaucunautremecquetoi.Quepenseràtoimefaitmal,m’empêchederespirernormalement,medonneenviedepleurer.Etenmêmetemps,parlerdetoimefaitsourirecommeuneidiote…merendidiote.Jenem’imaginepasdansdesbrasquinesontpaslestiens.Jen’imaginepasuneautrebouchequelatiennesurmeslèvres.Tuesleseulquimefaitsentirbiendansceputaind’univers.Avecquic’estnaturelpourmoidevivre,maindanslamain.Jepensequec’estuneénormeresponsabilitéquejet’impose,jem’enveuxterriblementdet’avouerça,surtoutquetues,jel’ai compris, dans une période difficile où tu dois fournir des efforts quotidiens pour t’approprier tanouvellevie.J’aieudeuxanspourypenser,yréfléchir,j’aitiréçadanstouslessens.J’aichangé.Toiaussi.Cetteépreuvenousachangés,parcequenousn’avionspasd’autrechoix.Laquestionquimefaitpeur,là,encetinstant,c’estdesavoirsionpeutcontinuerensemblemêmesitoutesttransformé…nousycompris.

Unlongsilenceaccueillematiradequej’aidébitéeenreprenantàpeinemonsouffle.Nousavionsbesoin de crever l’abcès tout de suite, lui et moi. Ce manque de communication entre Chris et moipendantcesdeuxdernièresannéessembletenirnotreavenirentresesdoigtscrochus.

—Kate…attends,jevaism’arrêter.Il segare surune aired’autoroute sansprononcerunmot.Une fois lemoteur coupé, il détache sa

ceinture:—Allonsboireuncafé.J’aibesoindemedégourdirlesjambesetd’untrucchaud.Je sors lapremière,puisChrisverrouillemaportièrede l’intérieuretme rejoint.SaPontiacnous

sépareetilgarde,l’espaced’uninstant,cettedistancequiluipermetpeut-êtredepréserverlecontrôlequ’ilasursesémotions.Ilappuiesesavant-brassurletoitduvéhiculetoutenagitantsontrousseaude

clefs.—Tu sais…En fait, jen’ai pas encore ledroit de fréquenterquique ce soit. Jedoisd’abord en

parleraveclepsy.Jen’auraispasdûmeretrouveràcettesoirée,outerencontreravantd’encauseraveclui. Je rends des comptes sur tout et n’importe quoi, ce qui est normal, hein. J’ai buté un type etmamaladie,enfin…maisc’étaitplusfortquemoi,fallaitquejetevoie.Quejeteparle,quej’entendelesondetavoix,quejerespiretonodeur.Kate…merde.Jesuispassésuperproenmatièredepsychologie,surtoutenversmoi-même.Vingt-quatremoisàm’examinerl’âmesoustouteslescoutures,jetelefaislesdoigtsdanslenez,maintenant.

Ilsefrottebrièvementlefrontavecl’undesespoignetspuisrelèvelatêtepourriversonregardaumien.

—Kate,poursuit-il.Lorsquejesuisavectoi,jesuis,engros,deuxpersonnes.Ilyenaune…c’estunputaind’animal.Tuasfranchileseuildecettebaraqueetunepartiedemoiétaitmortedetrouilleàl’idéequetularejettes,maisl’autre…l’autreavaitenviedefoncersurtoi,teconduiredansl’unedeschambrespour goûter chaque centimètre de ta peau, se fondre et se perdre dans ton corps, te marquer commesienne.Jenesuispasautoriséàlefairetantquecesatanétoubibnemedonnepaslefeuvertcommequoijesuisprêtpourunerelation,surtoutavectoi.Là,jevoudraisenvoyerchiersoncontratmoralàlacon,celuiquej’aipasséaveclui.Tum’aimes,jet’aime.Peuimportesinotrefaçondenousaimerestlabonneounon.Jem’enfous.Jenesaispassijesuistrèsclair…putain.

Chris inspire une longue goulée d’air pour ensuite la souffler avec force. Je suis nerveuse, dansl’attente,etunpeuperdueaussi.

—Kate,est-ceque…est-cequetuvoudraisfairedenouveaupartiedemavie?Moncœur,encetteseconde,ressembleàceshorlogess’arrêtantsurminuitetsonnantdouzefoisle

gong.—Oui.Jehoche la têteplusieursfoisd’affilée, retenantdifficilement les larmesquisonten traindenaître

dansmesyeux.—Oui.Jeveuxfairedenouveaupartiede tavie.Et jeveuxque tufassesdenouveaupartiede la

mienne.Celaprendraletempsquecelaprendra.Onessaieradeconstruireçaaussibienqu’onlepeut.Chrisserrelepoingautourdesontrousseaudeclefs,pourleporteràsabouche.Jen’enjureraispas,

mais je crois que son regard est aussi humide que le mien. Lorsqu’il éloigne ses doigts crispés, ildétournelatêteàpeineuneseconde.

—J’aigraveenviedet’embrasser,m’avoue-t-ildansunsouffle.J’éclatederirependantquemesyeuxlibèrentl’eausaléequ’ilsparvenaientàgarderjusque-là.—Moiaussi.Nousnoussourionsmutuellement.Quelquechoses’étaitbriséentrenousaprèsnotreultimeséparation,etsemblerevenu,àprésent.Une

choseimmatérielle,nonquantifiable.Unechosequifaittournerlemonde.Unechosequipeutvousporterassezhautpourquevouspuissiezespérertoucherlefirmament,ouaucontraire,quivousenterrevivantdanslesolmouvantdevotreexistence.

Iln’yavaitpasqu’uneseuleraison,maistoutunensembledegrainsdesablequinousontconduits,Chris et moi, à arrêter cette « chose ». Cette chose aux rouages si complexes et dont le sens est sialéatoire,cettechoseàlafoisfragilemaisdotéed’unephénoménalepuissance.

Ce soir-là, alorsqu’une fabuleusePontiac JudgeGTOse tenait entrenous,ona laissé cette chosereprendresoncours,etjesuistombéeamoureuseunesecondefois.JesuistombéeamoureusedeChris.

ÉPILOGUE

Cinqansplustard

KATHERINA

—Chris!Onnepeutpasfaireça!—Onvasegêner,tiens!Jetirebrutalementsurl’unedesesmainsafindel’inciteràs’arrêtertandisquel’autresedébatavec

sacravate.—Putaindebordelquec’estunevraiemerde,cetruc!s’énerve-t-il.Joavoulum’étrangleravecce

machin,ouquoi?!—Onnepeutpaslesquittercommeçapour…bonsang!j’insiste.Chrisserapprochevivementdemoitoutenagitantsesdoigtslibresauniveaudunœud.—Défaiscetrucavantquejedeviennefoupourdebon.Jeluijetteunregardd’avertissement.—Cen’estpasdrôle.Ilmedédieunlargesourireenhaussantlessourcils.—Mêmepasunpetitpeu?—Lâchemamainsituveuxquejepuisset’aider.Ilobtempèremaisalorsqueladitemainseconcentresursatâche,lessiennespalpentsansvergogne

meshanches.—Cesrobes,là…jecroisqu’ellesontétéinventéespourremplacerlescadenasqu’onmettaitsurle

culdesfemmes,dansletemps.—Lesceinturesdechasteté?jesuggère,sanspouvoirm’empêcherdesourireàlacomparaison.— Ouais, grogne-t-il tout en poursuivant ses efforts consistant à trouver une brèche dans la

superpositiondetissu.Jeparviensàlelibérerdesacravatepuismereculelégèrementpourleregarderdroitdanslesyeux.—Bon.Onyretourne?—Tuplaisantes?Nousnousjaugeonsmutuellementduregard.—Non!s’exclame-t-ilsubitement,faceàmonsilenceobstiné.—Onnepeutpasjustedisparaîtrecommeça!Cen’estpasdutoutlemoment…—Jem’enfousunpeuquecesoit lemomentounon.Jesaisceque tuportes là-dessouset jeme

retiensdepuisassezlongtempsmaintenant.Surce,ilm’attrapeparlebraspourm’entraîneràl’intérieurdelamaisonetjemanqueplusieursfois

decasserlestalonsdemesescarpinsencoursderoute.

Noustraversonslehalletilsemblesipresséquej’enéclatederire.—Disdonc…lescouplesne sontpascensés se lasser avec les années, sexuellementparlant ? je

hoquettealorsqu’ilm’obligeàmonterrapidementlesmarchesmenantauxétages.Chrisstoppesoudainement,setourneversmoi,uneexpressionsérieusesurlevisage.—Putain,tusaisquetuviensexactementdediretouthautunepenséequimetorturerégulièrement?

C’estsuperflippant.Surcesmots,ilfeintdefrissonnerd’effroiavantdereprendresacoursefolle,moisursestalons.Il

pousseuneportedonnantsurunechambre,vérified’uncoupd’œilcirculairequ’iln’yapersonnepourmeplaquerensuitecontrelemursansautreformedeprocèsetm’embrassercommeluiseulsaitlefaire.

Entredeuxbaiserspassionnés,jeréussisàplacerquelquesmots:—Tunefermespaslaporte?Salangueestconquérante,etpourtantlacaresseétrangementdouce.—Ah…,murmure-t-ild’unevoixatrocementrauque.Toutencontinuantàmeclouercontrelaparoilissedumur,ilpousselepandeboisdupied,maispas

suffisammentpourtotalementlefermer.Puissabouchequittelamienneetildisparaîtdemonchampdevision…pourcarrémentseglissersouslesjuponsdemarobe.J’essaiedelerepousser.

—Chris!jem’écrie.—SilaculotteexcitantenevapasàChris,c’estChrisqui…iraàlaculotteexcitante.Dèsquejesenssesdoigts,maisaussiseslèvres,contrelefinvoiledemonsous-vêtement,jesaisque

jesuisvaincue.Jenepeuxpluslutter.Cequ’ilmefaitensuitedevraitprobablementêtredéclarécommeillégaletj’aibeaucoupdemalàétoufferlesgémissementsrampantlelongdemagorge.

Soudain,laportes’ouvreengrandetlevisagefurieuxd’Amandaapparaît,suivittrèsviteparceluideJo.Néanmoins,lesienn’affichequ’uncertainamusement,etnonunecolèreeffrayante.JetapeplusieursfoissurlatêtedeChris,toujourscachéeparl’amoncellementdetissu,lesjouesrougesdehonte.

—Chr-Chris!Aprèsavoirbatailléunesecondeoudeux, il réapparaîtpournouersonregardbrillantdefièvreau

mien,interrogateur.—Quoi?Jedésignedumentonlecouplequinousdévisagetoujours.Ilsuitladirectionindiquéemaisaulieu

d’êtreunpeugêné,unimmensesouriresedessineaussitôtsurseslèvres.—Kate!Chris!Vousdeux!s’écrieAmanda.Jefermelespaupièrespluslongtempsquenécessaire.Ellearaisond’êtreenrogne.—Vouspensezquec’estlemomentopportunpourvousenvoyerenl’air?s’insurge-t-elle.Jesecouenégativementlatête,conscientedenotrecomportementinapproprié.Cequin’estpaslecas

deChrisquisecontentedesereleverpourvenirmesaisirparlataille.—Onestjeunesetenbonnesanté…fautpasnousenvouloir,susurre-t-il,toutsourires.Amandalefoudroied’unregardnoir.Jedéglutismasalivedetravers.—Tutefichesdemoi,ChrisFarwink?!EtCommentj’expliqueàmesinvitésquelestémoinssont

partisencatiminibaisercommedeslapinsenrutalorsquenousdevonsconsacrernosvœuxdevant leSeigneur,Joetmoi?!Hein?

Chrissefrottemachinalementlecrânepuisouvrelesbras,commeinspiré:—C’estpasluiquiadit«croissezetmultipliez»?Ilnepeutpasnousreprocherdeluiobéiraupied

delalettre,si?Jos’esclaffebruyammentmaissous l’œilladecourroucéedesafuturefemme, ilsereprenddans la

seconde.—Vousvousmultiplierezplustard!Bougezvosfesses,onvousattend!Une fois Amanda partie, Jo échange un signe de victoire avec Chris. Il n’est pas difficile de

comprendrequ’en réalité, Joest stupidement fierdesonmeilleurami : s’envoyeren l’airpendantunecérémoniedemariagedoitêtrebienclassédansleuréchelledeslieuxinsolitespourfairel’amour.

Unefoisqu’ilestpartiàsontour,jecroiselesbrassurmapoitrineetrépète:—«Croissezetmultipliez»?Ilenfoncelesmainsdanslespochesdesonpantalonnoiràpinces,etunsourireencoindéformele

plinatureldesabouche.—Tafrangine,explique-t-ilsuccinctement.—TudiscutesBibleetreligionavecJuliette?Chrismefaitdoucement«non»delatête:—Jel’aijusteécoutéequandelleparlaitàJamiedanslacuisine.Lepauvre…Jem’approchedelui,assezpourpouvoirluichuchoteràl’oreille:—Çatombebienquetuparlesdecroissance…Y’apasmaldechosesquivonts’agrandirdansles

moisàvenir.Neuf,pourêtreprécise.Sur cette énigme qui n’en est pas vraiment une, je prends la direction du couloir, en le laissant

totalementfigédestupeurdanssoncostumedetémoindumarié.Cen’estquelorsquejel’entendshurlersa joie, toujours dans la chambre que nous venions d’emprunter, que jem’autorise un sourire ivre debonheur,unbonheurquejechérisplustoutaumonde.

REMERCIEMENTS

Jetenaistoutd’abordàremerciermafamille:moncompagnonetmesenfantspourleurimmensepatienceàmonégard.Leursoutienquotidienquidemeureunmerveilleuxcarburant.Ensuite,mesamiesetbêta-lectricesd’amour :RosaakaLlyza,ZmordaakaQhuayetNadègeGauthierpourleurprécieuseaide,leursenthousiasmeetleurvision360°.Ilyaaussileslecteursetlectricesquimesuiventetm’encouragent.Certainsdepuisledébut,d’autresplusrécemmentmaisunechoseetsûre:leurengouementm’inspireénormément!Les éditions Milady/Bragelonne pour cette merveilleuse opportunité qu’ils m’ont offerts et plusparticulièrementHélène,monéditrice,avecquij’aieubeaucoupdeplaisiràtravailler.Sansoubliermacafetièresansquijen’auraispuallerjusqu’auboutdeceprojet.Lanouvelle.L’ancienneestmorte sur le champd’honneur, paix à son âme : sadescendanceprend la relève avec confiance etdétermination.

CélineMancellonestnéeen1977etestmamandequatreenfants.Elleécritsapremièrenouvelleàl’âgededixans,découvreavecbonheurStephenKingaucollège,puissepassionnepourl’UrbanFantasyetlaromanceparanormale.Elleestpubliéepourlapremièrefoisen2012etconnaîtaussitôtuncertainsuccèsautourdesesromancescontemporainesetdesessagasdebit-lit.Désormais,saplumeprolifique,parfoisdrôle,parfoisacérée,toujourspassionnée,exploretouslesgenres,allantdelachick-litàladystopieenpassantparlethriller:autantdemondesqu’elleprendplaisiràvisiterpournourrirlesien.

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne

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