caroline quine - collegestfrancoisdassisepap.comcollegestfrancoisdassisepap.com › documents ›...

76

Upload: others

Post on 14-Feb-2021

4 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • CAROLINEQUINE

    ALICEETLEDIADÈME

  • TEXTEFRANÇAISD’ANNEJOBA

    ILLUSTRATIONSD’ALBERTCHAZELLE

  • THEPHANTOMOFPINEHILL

    LibrairieHachette,1969.

    L’ÉDITIONORIGINALEDECEROMANAPARU

    ENLANGUEANGLAISECHEZGROSSET&DUNLAP,NEWYORK,SOUSLETITRE:

    ©GrossetetDunlapInc.,1965©

    Tousdroitsdetraduction,dereproductionetd’adaptationréservéspourtouspays.

  • Mêmepourunejeunedétectiveaussidouéequ’Alice,celasembleunegageurequedefairemettresouslesverrous…unfantôme!

    Surtout quand ce fantôme est capable de traverser les murs les plus épais et de se rendre invisible àvolonté!

    Desempreintesbizarres,deslueursinquiétantes,milleincidentsinexplicablesannoncentàchaqueinstantsaprésence.

    Seulement,voilà!Alicenecroitpasauxfantômes!…Si c’était elle qui avait raison ? Et si elle réussissait à arracher au prétendu fantôme un magnifique

    diadème?…

  • ALICEROYfixasurl’employédumotelunregardincrédule.«Maisj’avaisretenudeuxchambres!»L’hommeeutungesteagacé.«Jesuisdésolé,mademoiselle.Plusunlitdisponible!Lesvisiteursvenusassisteràlagrandesemainede

    l’universitéd’Emersonlesoccupenttous.»LesdeuxjeunesfillesquiaccompagnaientAlicetournèrentversleuramieunvisagenavré.L’uned’elles,

    MarionWebb,bruneàl’alluredécidée,protestavigoureusement.«C’estintolérable!Ladirectionn’avaitpasledroitdedisposerdenoschambres.»LacousinedeMarion,lablondeetjolieBessTaylor,semblaitdésemparée.«Qu’allons-nousfaire,Alice?demanda-t-elle.—Tiens,luiréponditsonamie,lavoici,taréponse:NedNickerson!»Unbeaujeunehomme,àl’alluresportive,s’avancaitàgrandesenjambéesverselles,lesourireauxlèvres.

    Ned et ses deux amis, Daniel Evans et Bob Eddleton, avaient invité Alice, Bess et Marion à la fête del’universitéquisecélébrait,chaqueannée,enjuin.Aprèsavoir joyeusementsaluéNed,Alice lui fitpartdeleursennuis.«Net’inquiètepas,dit-ilaussitôt,jevaistedénicherunlogement,àconditiontoutefoisque,pendantton

    séjourici,tuconsentesàéluciderunmystère.—Unmystère?Oh!quellechance!»s’écriaAlice,lesyeuxbrillantsdejoie.Ned se dirigea vers une cabine téléphonique et composa un numéro. Au bout de quelquesminutes, il

    revint,visiblementsatisfait.«J’aiappelél’oncled’undenosjeunesprofesseursquihabite,danslesenvirons,unmanoirancienassis

    surunecollinecouvertedepins;d’ailleurs,onl’appelle laButteauxPins.Cemanoirestentouréd’untrèsbeauparcquidévalejusqu’àlarivière.Sonpropriétaire,célibataireendurci,n’apourtoutecompagniequesagouvernante,femmebonneetdistinguéequiluiesttrèsdévouée.—Continue,ditAliceensecouantlesbouclesd’orquiluiauréolaientlevisage.—IlsenommeJohnRorick,oncleJohnpour tout lemonde. Ilaimebeaucoup les jeunesetnous invite

    souvent,mescamaradesetmoi.—C’estchezluiquetuveuxnousloger?interrogeaBessquiavaithâtedetrouverungîte.—Oui.Ilatoutdesuiteacceptédevousrecevoiretm’amêmeremerciéquandilasuqu’Aliceétaitune

    détectiveamateuretque,Marionettoi,vousétiezsesfidèlesadjointes.Ilsepassed’étrangeschosesdanssonmanoir!»Àcettedernièrephrase,levisagerieurdeBesss’assombrit.Elleprotesta:«Jen’aipaslamoindreenviedemejeterau-devantd’undanger;c’estpourmedistrairequeDanielm’a

    invitéeàvenirici.—C’estaussicequem’apromisBob,ajoutaMarion.Celadit,parle-nousunpeudecemystère.J’aimerais

    savoirenquoiilconsiste.—Chut!fitNedenbaissantlavoix.IlfautquevousattrapiezlefantômedelaButteauxPins.—Attraperquoi?s’écriaBess.—Oncle John vous racontera tout. Je vais téléphoner àBob et àDaniel pour lesmettre au courant du

    changementsurvenudansnotreprogrammeetjevousconduiraiàLaPinède.C’estlenomdumanoir.»Lesjeunesfillesremirentleursvalisesdanslecabrioletd’Aliceetlesquatreamiss’yentassèrent.Nedprit

    levolant.Ilstraversèrentlapetitevillequioccupaitl’extrémitéd’uneanseforméeparunaffluentdel’Ohio.Auboutd’unmoment,ilss’engagèrentsuruneroutesecondaired’oùl’onvoyaitauloinl’eaumiroiter.«Unedesattractionsdelagrandesemainedejuin,ditNed,seraunereconstitutiondelaviedespremiers

    colonsdanslavalléedel’Ohio;elleauralieudanscettepetitebaie.Nousseronsparmilesfigurants,Daniel,Bobetmoi.—Nousloueronsdesplacesaupremierrang,déclaraBess.Celavaêtretropdrôledevousvoircostumés.

    CHAPITREPREMIER

    VOLEURSFANTÔMES

  • Queporterez-vous?—C’estunsecret»,réponditNed.Quelquesminutesplustard,ils’écria:«Nousysommes.»Iltournaàgauche,montauneavenuesinueuseetfreinadevantl’entréed’unemaisondestylecolonial.La

    porte s’ouvrit, livrant passage à un homme grand, aux cheveux gris, aux yeux bleus, qui s’avança sur leperron.«Bonjour,Ned,dit-il.C’estmonjourdechance.Unbouquetdejoliesdétectives!Mevoilàleplusheureux

    deshommes!»Nedfitlesprésentations.M.Rorickpriaaussitôtlesjeunesfillesdel’appeleroncleJohnetleursouhaitala

    bienvenue.Ensuite,ils’effaçaetsagouvernanteapparutsurleseuil.Illapritamicalementparlebrasetdit:

    «MmeHolmann,uneperlequiprendunsoinjalouxdemoiet,àl’occasion,n’hésitepasàmetyranniser.»Unsouriretaquinaccompagnaitcesderniersmots.MmeHolmannrougit,heureuseducompliment.Lesjeunesfillesremercièrentleurhôtedesonaimableaccueil.«Mercimilleetmillefois,oncleJohn.Entémoignagedereconnaissance,nousnousefforceronsdetrouver

    votrefantôme,puisqu’ilvousimportune.C’estdumoinscequej’aicrucomprendre,parcequeNedn’apasététrèsexplicitesurcepoint;ils’estcontentédefaireallusionàunfantôme.»Tout en parlant, Alice regardait Mme Holmann. Elle rappelait singulièrement à la jeune fille sa chère

    Sarah,quiluitenaitlieudemèredepuissaplustendreenfance.Demeuréveufaprèsquatreansdemariage,M.Roy,avouédegrandrenom,hommeintègreetrespectédetous,avaitreportétoutesonaffectionsursafille,l’initiantdebonneheureàsesaffairesetluiconfiantdepetitesenquêtes.Alicevolaitdesespropresailesdepuisdeuxoutroisans,etdenombreusespersonnes luiconfiaient lesoind’éluciderdesmystèresqui leslaissaientperplexesouderetrouverdesbiensvoléspard’insaisissablescriminels.Loind’entirervanité, lajeunefilles’appuyaitsurl’expériencedesonpèreets’aidaitdesesconseils.NedsortitlesvalisesducoffredelavoitureetsuivitM.Rorickquientraitdanslemanoiraveclesjeunes

    filles.Aussitôt le seuil franchi, les trois amies se sentirent chez elles. Lesmurs du grand vestibule étaientrecouverts de boiseries en chêne sculpté. Sur le sol dallé, un vaste tapis persan jetait une note colorée. Ilrégnaitlàuneaccueillanteatmosphèrequisemblaitinviterleshôtesdepassageàs’attarder.Aliceremarquacependant,danslefondàgauche,uneporteferméeparungroscadenas.«Est-ceàcause

    dufantôme?»sedemanda-t-elle.Nedannonçaqu’illuifallaitregagnerl’université.Aliceproposadelereconduire;ilrefusa,disantqu’elles

    avaient juste le temps de défaire leurs valises et de s’habiller pour la réception que quelques-uns de sescamaradesorganisaientàOméga,lamaisonqu’ilshabitaientsurlecampus.«Jevaisprendrelecarquis’arrêteunpeuplusbassurlaroute.Àbientôt!»Aprèsqu’il futparti,MmeHolmannconduisit lestroisamiesaupremierétageoùelle leuravaitpréparé

    deux chambres contiguës. Comme elles étaient plaisantes avec leur papier à personnages et leurs lits àcolonnes!Alices’installadanslapluspetitedesdeux,puisrejoignitsesamiesetlagouvernante.«Quellevueravissante!»s’exclamaBessencourantàlafenêtre.Au-dessouss’étendaitunjardinderosesetuneimmensepelouseaugazonvelouté.Aufond,unbosquetde

    pinsàtraverslequelonvoyaitscintillerl’eau.«C’estl’ansedesPionniers,ditMmeHolmann.Unpeuaprès1700,lesancêtresdeM.Rorickdescendirent

    la rivière sur un bateau à fond plat et abordèrent ici. Séduits par la vue que l’on a de cette colline, ilsconstruisirentunecabaneenrondinset,parlasuite,édifièrentlemanoir.»Del’autrecôtédelabaie,lesdiversbâtimentsdel’universités’étageaientsurunepetiteéminence.«Commec’estbeau!soupiraAlice.—Oui,etc’étaitplusbeauencore,lesoirauclairdelune,ditMmeHolmann.C’était…caràprésenttout

    meparaîtenlaidi…»Lagouvernantemarquaunepause.Alice crut voiruneexpressiondepeur s’inscrire sur sonvisage.Les

    jeunesfillesattendirentqueMmeHolmannachevâtsaphrase.Enfin,lavoixaltérée,ellereprit:

  • «Oui,àprésentlefantômerôdeparmilesarbrestelleunegigantesqueluciole.—Vousl’avezvu?demandaAlice,intriguée.—Non,entrevuseulement.M.Rorickvousraconterasesméfaits.Descendezquandvousserezprêtes.»Elle sortit. Curieuses d’apprendre la suite, les jeunes filles suspendirent rapidement robes etmanteaux

    danslapenderieets’empressèrentderejoindreleurhôtequilesattendaitaupieddel’escalierd’honneur.Illesfitentrerdanslesalon–unepiècedebellesdimensions,meubléedanslestyleXVIIIe.Oncle John, puisque c’était ainsi qu’elles avaient été invitées à l’appeler, les pria de s’asseoir dans des

    fauteuilsrecouvertsdetapisserieaupetitpoint.«JepariequevousbrûlezdesavoirtoutcequiconcernelefantômedelaButteauxPins,commença-t-il

    aveclesourire.Ilsembledésirerquelquechosequisetrouveraitdansmabibliothèque.Unjour,jemesuisaperçuquedeslivresavaientétédéplacés;j’aiaussitôtfaitvérifierlafermeturedesfenêtresetposerungroscadenas à la porte ; sans doute l’avez-vous remarqué. Or, ces précautions n’ont nullement découragé lemystérieuxintrus–quej’aibaptiséfantôme–,etilcontinueànousrendrevisite.— Voilà qui est bizarre, fit Marion. Avez-vous découvert des indices qui pourraient indiquer ce qu’il

    cherche?—Paslemoindre.MmeHolmanns’entêteàcroirequec’estunfantômequitraverselesmurs.»AlicevoulutsavoirsiM.Rorickgardaitdel’argentdanssabibliothèque.«Oui,maisjenecroispasqu’onyaittouché.Ilsepeuttoutefoisquej’aiemalvérifié;jesuisd’unnaturel

    trèsétourdi.»Il riait en faisant cet aveu et les trois amies joignirent leur rire au sien. Redevenant grave, le vieux

    monsieurreprit:«Puisquejesuisenveinedemeconfesser,jedoisvousavouerquel’idéequ’unfantômesepromènedans

    mamaisonmedonnelachairdepoule.—Commejevouscomprends!approuvaBessdufondducœur.Quantàmoi,j’espèrebiennejamaisen

    voirundemavie.Pourplusdesûreté,jedormirailatêtesouslescouvertures.—Etmoi,déclaraAlice,j’espèrerencontrercetteapparitionsoussaformehumaine;jesuispersuadéeque

    c’estouunmauvaisplaisantouun individuenquêted’unmauvais coup.Lapremièrechoseà faireestdedécouvrirparoùils’introduitdansvotrebibliothèque.—Pasmaintenant,protestaBess.Nousn’avonsqueletempsdenoushabillersinousnevoulonspasêtre

    enretard.N’oubliepasqu’onnousattendàdîner.»Alicejetaunregardàsonbracelet-montreetconstataquesonamieavaitraison.«Entoutcas,dit-elle,jememettraiàl’œuvredèsquepossible.»Peuaprès,lestroisjeunesfilles,joliesdansleursrobesfraîches,sedirigeaientverslecampus.Unejoyeuse

    animation régnait dans lamaisonOméga où se donnait la réception.Étudiants et invitées bavardaient enbuvantdesjusdefruitsglacésetengrignotantdespetitsfours.Alice,BessetMarionconnaissaientlaplupartdesjeunesgensetdesjeunesfillescarellesvenaientàpresquetouteslesfêtesorganiséesparEmerson.Trèsfiersd’elles,Ned,BobetDaniellespromenaientdegroupeengroupe.BobetDanielétaient,commeNed,desgarçonssportifs,excellentsjoueursdefootball.Bobétaitblondet

    trapu,Danielblondetmince.Ungrandjeunehommeâgéd’environvingt-cinqans,lamâchoiretombante,vêtud’unevesteblanchemal

    ajustée,s’approchad’AliceetdeNed.Ilportaitunplateauchargédeverresremplisdecitronnadeetarboraitun sourire un peu niais. Comme il arrivait près d’Alice, le plateau oscilla et les verres répandirent leurcontenusurlajeunefilleavantdetomberàterreensebrisant.«Vousnepourriezpasfaireunpeuattention,Fred?grondaNed,mécontent.—Pardonnez-moi»,marmonnaleserveurensebaissantpourramasserlesdébris.Alicejetaunregardnavrésursajolierobeblanche,maintenanttoutetachée.«Ilnemeresteplusqu’àallermechanger»,dit-elleàNed.IloffritdelaconduireàLaPinède,etilspartirentaussitôt.Prévenusparlebruitdumoteur,M.Roricket

    MmeHolmannseportèrentàleurrencontreetfurentdésoléslorsqu’ilsapprirentl’incident.«C’estcemaladroitdeFredBraulquienestlacause,ditNed.Iltravailleparfoischezvous,n’est-cepas?—Oui,répondit lagouvernante.Ilestmaladroitmaisjem’ysuishabituée.Cen’estpasfaciledetrouver

    desaidestemporaires.Puis-jevousaider,Alice?—Oh!non,merci.Nevousdérangezpas.»Ellemontal’escalierencourant,enlevasarobeetlaremplaçaparuneautre,ensoieimprimée.«J’aienvie

    demettremoncollierdeperles,celal’éclaireraunpeu»,décida-t-elle.Ellepritl’écrindanssavalise,l’ouvritetpoussauncridestupeur.Ilétaitvide!Alicefermalesyeuxunmoment,refusantdecroireàlaréalité.Unepenséeluitraversal’esprit.Serait-cele

    fantômequiauraitvolésoncollier?Elleremitl’écrinenplace,refermalavaliseet,lentement,descenditaurez-de-chaussée.L’idéed’annoncer

    àM.Rorick cequi venait d’arriver lui déplaisait ; pourtant, il était de sondevoirde le faire, d’autres volspouvantencoreseproduired’icipeu.PauvreM. Rorick ! Il fut si navré d’apprendre la disparition de ce collier qu’il parla tout de suite d’en

  • acheter un autre à la jeune fille.MmeHolmann prit une expression à la fois compatissante et terrorisée.QuantàNed,ilnemaîtrisaqu’avecpeinesacolère.« Je vous en prie, oncle John, dit Alice, ne vous tourmentez pas pour ce collier, mon père l’avait fait

    assurer.Necroyez-vouspasplutôtqu’ilfaudraitaviserlapolice?—Oui,jevaism’enoccuper.Repartezvitevousamuser.»Alicetintàrédigerauparavantunebrèvedescriptiondubijouvolé;puiselleremontaenvoitureavecNed.«Ehbien!fitcelui-ciavecunsourireunpeumoqueur.Toiquiaimeslemouvement,l’animation,tudois

    êtrecontente!Cen’estpasmalpouruneseulejournée!—Oui,reconnutAlice,maisjeregrettetoutdemêmemoncollier.»Aprèsledîner,lesétudiantsetleursinvitéesdansèrentavecentrain.Àminuit,lesjeunesfillesregagnèrent

    lemanoirets’écroulèrentsurleurlitoùelless’endormirentaussitôt.UnlégercraquementréveillaAlice.«Tiens!ondiraitqu’ilyaquelqu’unenbas»,sedit-elle.Àl’instant,ellesemitdebout,enfilasarobedechambre,despantouflesetsortitdesachambre.Sansbruit,

    elleavançasurlepalier,plongeasonregarddansl’escalier.D’abord,ellen’entenditrien,puis,soudain,uneportegrinça.Quelquessecondesaprès,danslevestibulefaiblementéclairépardegrandesfenêtres,ellevituneombrepasseretdisparaître.Elle eut vite fait de réfléchir. Fallait-il réveiller les autres habitants du manoir ? Non, cela risquerait

    d’alerterl’intrusquis’enfuiraitalorssur-le-champ.«Bah!mieuxvautquejemedébrouilleseule»,conclut-elle,et, lentement,prudemment,elledescendit

    uneàunelesmarchesdel’escalier.

  • LENAUFRAGE

    PARVENUEaurez-de-chaussée,Alices’immobilisa.Pas lemoindrebruit.Quelqu’unlaguettait-ildansunrecoinduvestibule?Unfrissonluiparcourutledos.

    Toutàcoup,uneporteserefermadoucement.Àenjugerd’aprèsleson,Alicepensaquecedevaitêtrelaporte de la cuisine qui donnait sur le jardin de derrière. Déjà accoutumée à l’obscurité, elle prit cettedirection.

    Passantdevantunefenêtre,ellevitleparcetlapelouse;laluneleséclairait.Alicepromenasonregarddegaucheàdroitesansdiscerneraucunesilhouettehumaine.L’intrusseserait-ilévaporédansl’air?

    Soudain, une petite lumière se balança dans la pinède, et la jeune fille se rappela une remarque deMmeHolmannàproposdufantôme.«Était-celuiquisepromenaitdanslemanoir?»sedemandaAlice.Bienquene croyantpas à l’interventiond’unêtre surnaturel, elle appelait fantôme lemystérieuxmauvaisplaisantquitroublaitlapaixdeM.Roricketdesagouvernante.

    Elledominaà grand-peine sonenviede sortir etde courir jusqu’aubosquetdepins.Tout enétant trèscourageuse,ellesavaitécouterlavoixdelaraisonquiluicommandaitdenepasseprécipiterinutilementau-devantdudanger.Etpuiselleserappelaitavoirpromisàsonpèred’êtreprudente.

    Aprèss’êtreassuréequel’inconnun’avaitforcéniportenifenêtre,elleremontasecoucher.Malgrécetteinterruptiondanssonsommeil,elle fut lapremière levée le lendemainmatin.Elles’habillaetdescenditaurez-de-chausséeoùellesemitenquêted’indicessusceptiblesdelarenseignersurlevisiteurnocturneetsursesmobiles.

    Lecadenasplacésurlaportedelabibliothèqueétaittoujoursbienfermé.« Il n’a pas pu s’introduire dans cette pièce, se dit-elle.D’ailleurs, il n’est pas passé devantmoi quand

    j’étaisaupieddel’escalier.»Uneautreporteattirasonattention–elles’ouvraitaufondduvestibule,àgauche.Alicefitquelquespaset

    franchitleseuild’uneravissantesalleàmangerdontlesmursétaientrecouvertsdeboiseries.Aucentre,unegrandetableenacajoumassifetd’éléganteschaisesdumêmeboistapisséesdevelourssemblaientattendredesconvives.Detrèsbellesporcelainesanciennesornaientladesserte.

    Contrelemurséparantlasalleàmangerdelabibliothèque,sedressaitunegrandecheminéedebriques,surmontéed’unetablette.Dechaquecôtéétincelaientdesappliquesdecuivre.

    Surlaparoiopposée,uneportedonnaitaccèsàl’office;c’estparlàqu’Alicepénétradanslacuisine.À ce moment, Mme Holmann entrait elle-même. En apprenant que le manoir avait reçu une visite

    imprévueaucoursdelanuit,ellepâlit.«Cequisepasseiciesthorrible!Etdirequelecommissairedepoliceneveutpasnouscroire;parfois,j’ai

    eul’impressionqu’ilmesoupçonnaitd’inventerdeshistoiresdansleseuldesseindemerendreintéressante.—Oh!certainementpas.Envoilàdesidées!»serécriaAlice.Avecunsoupir,MmeHolmannsemitendevoirdepréparerlepetitdéjeuner.Aliceluipromitdel’aider

    lorsqu’elle se serait assurée de quelque chose et, sanspréciser ses intentions, elle retournadans la salle àmanger,s’approchadelacheminée,sepenchaenavantetmarteladesesmainslesparoisenduitesdesuie.Elle espérait entendre un son creux, révélant l’existence d’un passage secret entre cette pièce et labibliothèque.Rien.Auboutd’unedizainedeminutes,ellerenonça.

    Mme Holmann et Alice achevaient de mettre le couvert quand M. Rorick, Bess et Marion entrèrentgaiement.M.Rorickportaituncostumedevoyage; ildevaitserendre, leurdit-il,àuneréuniond’ancienscamaradesdecollègequisetenaitàHarmor,petitevillesituéeàdeuxcentcinquantekilomètresd’Emerson.

    «J’espèrebienquemonmystèreseraélucidéquandjereviendrai,ajouta-t-il.—C’estlesouhaitquejeformeaussi»,réponditAlice.Etelleracontal’incidentsurvenuaucoursdelanuit.SesamiesetM.Rorickl’écoutèrent,stupéfaits.«C’étaitpeut-êtreunvoleurenchairetenosetnonpasnotrefantôme,suggéraM.Rorick.—Jenecroispas,intervintMmeHolmann.J’aicomptél’argenterie,ilnemanqueaucunepièce.»

    CHAPITREII

  • Bessplongeasacuillerdansunemoitiédepamplemousse.« Je me demande quel est le pire : les voleurs ou les fantômes ? dit-elle. En tout cas, je leur serais

    reconnaissantedemelaisserenpaix.»Cetteremarquedétenditl’atmosphère,ettousterminèrentleurrepasavecentrain.PuisM.Rorickseleva

    et promit de remettre la clef de la bibliothèque àMmeHolmann afin que, dans l’intérêt de l’enquête, sa«jeuneamiedétective»puisseypénétrerchaquefoisqu’elleledésirerait.

    «Mercibeaucoup,oncleJohn,ditAlice.— Avant de m’en aller, peut-être aimeriez-vous que je vous parle de la famille Rorick et vous retrace

    brièvementsonhistoire?reprit-il.—Oh!oui,jevousenprie.Ilestpossiblequ’ilyaitunlienentrecettehistoireetlefantôme,suggéraAlice.—Hum!Jen’yavaispassongé.Aprèstout,pourquoipas?Celienpourraitêtrelescadeauxperdus.»Lesjeunesfillesécoutèrentavidementcequisuivit.«Quandmon ancêtre George Rorick vint dans cette région, il amenait avec lui son épouse, une jeune

    aristocratefrançaise.Elleconservadesrelationstrèsétroitesavecsafamilleet,lorsquesafilleAbigaïlfutsurle point de se marier, ses oncles et cousins français lui envoyèrent un coffre, rempli de présents.Malheureusement, lenavirequi l’apportait,unvapeurnomméLucieBelle, sombradans le fleuve,pas trèsloindel’ansedesPionniers,à lasuited’uneexplosionquis’étaitproduitedanslamachine.Quelquesjoursauparavant,Abigaïl avait reçuune lettre accompagnéed’une clef. J’ai conservé cette clefdansmoncoffre.Monaïeuleaccrochalalettreaumurdelabibliothèque,oùelleestencore.Attendez,jevaislachercher.»

    Il se leva, se dirigea vers la bibliothèque et en revint uneminute plus tard, tenant une lettre encadrée.Datéede1840,cettelettreétaitrédigéeenfrançais;l’écritureavaitlanettetéetl’élégancecaractéristiquesdecetteépoque.Lesjeunesfillesessayèrentdetraduireletexte,maisn’yréussirentpas,lestermesn’étantpluscourammentusités.

    M. Rorick retourna le cadre. Collée au dos, il y avait une traduction en anglais. L’auteur de la lettreenvoyait, aunomde sa famille et au sien, félicitations et vœuxdebonheuraux futurs époux. Il annonçaitqu’un coffre contenantdesprésentspartait le jourmêmeàbordd’un cargo et arriverait à tempspour lesnoces.

    «Commec’estintéressant!fitBessqui,trèsromantique,s’attendrissaittoujoursàl’évocationdupassé.Enquoiconsistaientcesprésents,lesavez-vous,oncleJohn?

    — Oui : une robe de mariée, un voile en dentelle, un éventail, des escarpins et un cadeau assezparticulier.»

    Alicepoursuivaitlalecturedelalettre.Àcetteépoque,l’oncled’AbigaïloccupaitunposteimportantàlacourduroiLouis-Philippe.Lareineelle-mêmeavaitchoisi letissudelarobe,ainsiquelevoile.L’éventail,une«splendeur»,étaitungracieuxprésentdelasouverainedesFrançais.

    «Cetteparuredevaitêtretrèsbelle!ditAlice,rêveuse.—Quel était l’autre cadeauenvoyépar sa famille àAbigaïl ?demandaMarionqui gardait lespieds sur

    terre.—Jel’ignore,réponditM.Rorick,maisilétaitsansnuldouted’ungrandprix.Onraconteque,lorsquela

    LucieBelle sombra,presque tous ceuxqui étaientà sonbordpérirent.Quelquespassagers etmembresdel’équipageauraientétécependantsauvés ; sansdouten’emportèrent-ilsquedemenusobjets–etencore !Nous n’avons jamais su si le coffre était allé au fond. En ce temps-là, personne ne pouvait plonger à laprofondeurvouluepourfouillerlesépaves.Lacarcassedunavireacertainementdérivéetdoitêtreenfouiesousplusieurspiedsdevase.

    —Oui,maisquisaitsi,depuis,desplongeursmunisdescaphandresn’ontpas tentédes’emparerdecequ’ellepouvaitcontenirdeprécieux»,repritAlice.

    M.Rorickeutunsourireamusé.«Nelaissonspascourirnotreimagination.L’histoiredelaLucieBelleestoubliée.—Savez-vouscequ’ilestadvenudesrescapés,oncleJohn?demandaAlice.—Jen’enaipaslamoindreidée.Ilsepeutquelaréponsevoussoitdonnéeparundesnombreuxlivresqui

    dormentdansmabibliothèqueetquejen’aipasencoreeuleloisirdefeuilleter.»BessvoulutsavoirsilaLucieBellevenaitdirectementdeFrance.« Non, répondit M. Rorick. Le coffre avait traversé l’Atlantique à bord d’un vapeur faisant route sur

    Baltimore,ensuiteilavaitététransportépardiligenceàPittsburghoùonl’avaitembarquésurlaLucieBelle.Abigaïll’avaitnotédanssonjournalintime.»

    M.Rorick remporta la vieille lettredans labibliothèque,puis alla chercher sa valise.Quelquesminutesplus tard, il prenait gaiement congé des jeunes filles et montait en voiture. Les trois amies le suivirentlongtempsduregardenfaisantunsigned’adieu.

    Aliceprétendaitserendresur-le-champdanslabibliothèque;elleenfutempêchéeparl’arrivéed’unjeuneinspecteurquivenaitreleversesempreintesdigitales.Chargédemenerl’enquêteausujetducollier,ilétaitdéjàvenulaveilleausoir,aprèsledépartd’Alice.

    Lorsqu’il fut reparti, Mme Holmann ouvrit le cadenas et laissa les trois amies pénétrer dans labibliothèque.Commelasalledeséjour,cettepièce,toutenlongueur,s’étendaitd’unefaçadedelamaisonàl’autre.

  • «Quedelivres!s’exclamaBess.Ildoityenavoirdesmilliers.»Lesquatremurs étaient couverts de livres alignés surdeux rangsdeprofondeur.Beaucoup étaient très

    anciensetfragiles.Unepremièreinspectionpermettaitdeconstaterqu’ilstraitaientdesujetsvariés.Deuxgrandesfenêtresplacéesàchaqueextrémitédispensaientunelumièreagréable.Toutesdeuxavaient

    un systèmede fermeture très sûr. La cheminée était la réplique exacte de celle de la salle àmanger et setrouvaitaumêmeemplacementsurlemurdeséparationentrelesdeuxpièces.

    Alicesedemandadenouveaus’iln’existaitpasunpassagelesreliant.Pourtant,aucuneempreinten’étaitvisiblesurlescendresetlesmorceauxdeboisnoircis.

    «Entoutcas,s’ilyauneouverturesecrète,sedit-elle,lefantômenel’apasfranchie.»Nevoulantriennégliger,ellescrutalesbriques,lesmartela,cherchauneimperceptiblefissure,sansaucun

    résultat.Celafait,elleexaminal’ameublement;trèssimple,ilsecomposaitd’ungrandbureau,deplusieurstapisd’Orient,d’uncoffre-fortplacésouslafenêtredefaçade,d’undivandecuiretdetroisgrosfauteuilsencuirégalement.

    «Unendroitidéalpourtravailleretréfléchir,ditMarion.Alors,Alice,quandcommençons-nouslachasseaufantôme?

    — Je propose de chercher d’abord parmi ces livres ce qui l’attire dans cette pièce.MadameHolmann,voudriez-vousnousdiresiquelquechosemanque:statuettes,pendulesdevaleur,bibelots,quesais-je?Bess,viensm’aideràroulercestapis.Ilsepeutqu’ilsdissimulentunetrappe.»

    Au bout d’unmoment, la gouvernante déclara que rien nemanquait, dumoins dans lamesure où ellepouvaitenjuger.N’ayantpasdécouvertdetrappe,AliceetBessremirentlestapisenplace.MmeHolmanns’apprêtaitàquitterlabibliothèquequandMarions’écria:

    «Oh!Parexemple!Devinezcequejeviensdetrouver!»

  • SINGULIERSPORTEFEUILLES!

    MMEHOLMANN, Bess et Alice s’empressèrent de rejoindreMarion qui brandissait un livre ouvert. Ellesécarquillèrentlesyeuxàlavuedeplusieursbilletsdebanque.

    «Seigneur!s’exclamalagouvernante.Commenttoutcetargentest-ilvenulà?»Lamineperplexe,Marionrépondit:«Jen’ensaismafoirien.J’airemarquéquecelivreétaitposéletitreàl’envers.Machinalement,j’aivoulu

    leremettredanslebonsensetvoilàcequej’aidécouvert.»Vivement,MmeHolmanncomptalesbillets:«Centcinquante!»dit-elle.Alicejetaunregardsurlapageouverteetvitqu’elleportaitàdroitelechiffre150.Ellelefitremarqueraux

    autres.La gouvernante remit l’argent enplace et referma le livre ; les jeunes fillespurent lire le titre :LeRodéo,sesorigines.

    Besssemitàrire:«Jepariequel’oncleJohnatrouvécemoyeningénieuxdecachersonargent.LapremièresyllabeRoestla

    mêmeque lapremièresyllabedesonnom:Rorick,cequi luipermetdeserappeler le titrede« l’ouvrageportefeuille».

    Intéresséepar cette supposition,MmeHolmannproposade la vérifier sur-le-champ et, ensemble, ellesinspectèrent les rayonnages. Elles constatèrent que plusieurs livres placés à gauche de la cheminéecommençaientparleslettresRetO.

    «Jepariequ’illesatousrangésdececôté,ditAlice.—Tiens,regarde!»s’écriaBessenmontrantunouvragequ’ellevenaitdeprendre.IlétaitintituléRobert leConquérantet,à lapage200,ellescomptèrentdixbilletsdevingtdollars.Peu

    après,MariontrouvaitunRobinsonCrusoëet,àlapage50,unbilletdecinquantedollars.Qui d’autre que l’oncle John aurait pu inventer un tel système de coffre-fort ? Et cela alors qu’il en

    possédaitun!…Lefantômeavait-ileuventdel’histoire?S’était-ildéjàappropriéplusieursbillets?«Toutcelaestbeletbonmaisnenousexpliquepascomment il s’introduitdanscettepièce,grommela

    MmeHolmann.Allons,ajouta-t-elle,jevouslaisselesoind’yréfléchir;ilestgrandtempsquejem’occupeduménageetdelacuisine.»

    Après son départ, les trois amies continuèrent leurs recherches et trouvèrent plusieurs autres livrescommençant par la même syllabe. La somme totale des billets qu’ils contenaient s’élevait à un chiffreimpressionnant.

    Besspoussaunsoupir.«C’estbienlabanquelaplusoriginaledanslaquellejesoisjamaisentrée;ilestvraiquejenepratiquepas

    beaucoupcegenred’établissement.Monargentdepochenemepermetpasdesongeràmefaireouvriruncompte.

    —Pasétonnant!répliquaaussitôtMarion.Tuledépensesavantmêmedelerecevoir.»Àcemoment,lapenduleposéesurlemanteaudelacheminéesonnaonzecoups.« Dépêchons-nous d’aller nous habiller, dit Bess. On nous attend à midi ; vous savez bien que nous

    sommesinvitéesàOméga.—C’estvrai,fitAlice,jel’oubliais.Onnenousattendrapaspourdonnerledépartdelacourse.»Cemêmeaprès-midi,plusieurséquipesderameursdisputaientlacoupedelasaison.C’étaitlafinaleentre

    EmersonetWellbart.NedétaitchefdenagepourEmerson.Chaqueéquipeavait remportésixvictoiresaucoursdel’année.Laluttepromettaitd’êtrechaude.

    Soigneusement,AlicefermalecadenasdelabibliothèqueetrenditlaclefàMmeHolmann;puislestroisamiesmontèrentsechanger.Elleschoisirentdesrobesdesportsimplesmaistrèsseyantes,secoiffèrentavecgoûtetpartirentencabrioletpourlamaisonOmégaoùellesfurentaccueilliesparungroupedejeunesgenset de jeunes filles. La réunion était animée, le bruit assourdissant ; c’était à qui encouragerait lesreprésentantsd’Emerson.

    CHAPITREIII

  • NedentraînaAliceàl’écart.«Sijen’échappepasauplusviteàcevacarme,ilnemeresteraplusaucuneénergiepourlacourse.Allons

    déjeunersouslesarbres.Jevaischercherdeuxassiettesanglaisesàlacuisine.»Il conduisitAlice sousunhaut chêne,àquelquedistancede lamaison,puis repartit.Quelquesminutes

    plustard,ilrevenaitavecdeuxassiettesencartonsrempliesdemetstrèsappétissants.«Crois-tuquejepuissemangertoutcelasansrisquerdefairecoulerl’esquif?»demanda-t-ilenriant.Alicel’ayantrassuré,ilreprit:«Dis-moi,as-tudécouvertlevoleurfantôme?—J’aiétéàdeuxdoigtsdel’attraper»,réponditAlice.Elle lui raconta l’épisode nocturne et lui parla de la Lucie Belle. Ned l’écoutait avec attention. Elle

    s’apprêtait à lemettreau courantdesdécouvertes faitesdans labibliothèque, lorsqu’uneguêpeatterrit aubeaumilieudesonassiette.Effrayée,elleserejetaenarrièreetaperçutFredBraulàdemidissimuléderrièrelechêne.

    Nedlerepéraaussietluidemandaunpeurudement:«Quefaites-vousici?»LevisagedeFreds’empourpraetilbalbutia:«Je…jevenaism’informersivousaviezbesoindequelquechose.—Nous sommes capables de nous servir nous-mêmes. Vous feriezmieux de retourner à votre travail.

    N’êtes-vouspaschargédubuffet?»Leserveurs’empressades’éloigner.«Ilnousépiait,sansaucundoute,ditAlice.Dansquelleintention,c’estcequej’aimeraissavoir.Puisqu’il

    travaille,àl’occasion,chezM.Rorick,necrois-tupasqu’ilestaucourantdumystère?—Entoutcas,s’ilne l’étaitpas, il l’estmaintenant.Iladûentendretoutcequenousdisions.Espérons

    qu’ilneraconterapasl’histoiredanstoutelaville.»Sur ces paroles, Ned se leva. Il était temps qu’il aille semettre en tenue. Il tint à raccompagner Alice

    jusqu’àlamaisonOmégaoùelleretrouvasesamies.«N’oubliepasquenousvousavonsretenudesplacesaupremierrang,dit-ilenlaquittant.Encouragez-

    nousdelavoixetdugeste.»Peu après, Alice, Bess, Marion, Bob et Daniel s’installaient sur la rive, au-dessous des bâtiments de

    l’université. Un orchestre d’étudiants entama un air joyeux. Les bannières d’Emerson et de Wellbart semirentàclaquerauvent,brandiespardescentainesdemains.

    Bessétaitpâled’anxiété.«Jesuisd’unesottiseincorrigible,confia-t-elleàDaniel.Lescompétitionsmemettentlesnerfsàvif.Je

    suistropbonpublic.—Pourêtrefranc,réponditDaniel,jenemesenspascalmenonplus.L’équipedeWellbartesttrèsforte.»Quelquesminutesplustard,unevoixannonçaitdanslehaut-parleurqueledépartallaitêtredonné.Alice

    seraiditets’agrippadesdeuxmainsàsonsiège.Uncoupdepistoletdéchiral’air.Leslégèresembarcationsfendirentl’eau.

    D’unmême élan, les spectateurs se levèrent pourmieux suivre la course. Les deux équipages,musclestendus,fendaientlarivière,côteàcôte.Enfin,uncanotdépassal’autredequelquescentimètres.

    «Oh!s’exclamaBess,lefrontrembruni,c’estWellbartquimène!»Lesmots venaient à peine de s’échapper de ses lèvres que l’équipe d’Emerson rattrapait son retard et

    prenaitmêmeunpeud’avance.«Emersonestentête!»criaMarion,levisageradieux.Commelesdeuxembarcationsabordaientl’anse,l’équipagedeWellbartfitunnouveleffortetenlevaune

    demi-longueuràsesadversaires.

  • «Ned!Ned!Force!»hurlaAlice.Emersonfonça,lebarreurstimulasonéquipageetluifitgagnerunquartdelongueur.Aliceetsesamies

    s’époumonaient,criaientàtue-têtedesencouragementsàl’équiped’Emerson.LespartisansdeWellbartnesemontraientpasmoinsardentsàsoutenirleseffortsdesleurs.«Faites-leurvoirunpeuquinoussommes!»tonnaitunjeuneenagitantunebannièreauxcouleursde

    Wellbart.L’instant d’après, les deux embarcations volaient de nouveau côte à côte. Les clameurs augmentèrent

    d’intensité.Laligned’arrivéeétaittouteproche.Lesdeuxbarreursaccéléraientlacadence,lançaientdesordres.

    Lecœurd’Alicebattaitàtoutrompre.Elleétaitàboutdesouffleetn’avaitpresqueplusdevoix.Lesonglesenfoncésdanssespaumes,ellenequittaitpasNeddesyeux.

    «Nage!Nage!Ilfautquetugagnes»,necessait-elledemurmurer.Toutàcoup,lesdeuxembarcationsfranchirentlaligne.Aussitôt,touss’écrièrent:«Quiagagné?Quiagagné?»DanielsepenchaversBess.«Seulelaphotopourralesdépartager,dit-il.Ilfautattendrequelquesminutes.»Lesilencesefitsurlafoule.Dansleurscanots,leshommes,avironslevés,semblaientfigés.Enfin,l’arbitreprincipals’approchadumicro,lesourireauxlèvres.«Vousattendeztousavecimpatiencelaproclamationdesrésultats.Permettez-moicependantdedireque

    jen’aiencorejamaisassistéàuneaussibellecourse.Jetiensàfélicitertouslesconcurrentsdeleurexploitetde leur excellent esprit sportif. L’étude du film ultra-rapide de la course indique que la victoire revient àEmerson.

    —Bravo!Bravo!»hurlèrentlespartisansd’Emerson.Lesmembres de l’équipage deWellbart joignirent leurs acclamations à celles qui s’élevaient de toutes

    parts.L’équipevictorieusesaluaaveclesavirons,puisregagnalehangar.«Jen’aijamaisvuunelutteaussipassionnante,ditBess.Jesuisépuisée!»CetteremarqueluiattiraunsourireironiquedesacousineMarion.«Plusépuiséequelesmembresdesdeuxéquipes!railla-t-elle.Pauvresportiveenpantoufles!»Aprèsavoir revécuenparoles lesdiversesphasesde la course,Alice,Bess,Marionet leursdeux fidèles

    compagnonsattendirentNed.Auboutd’unedemi-heure, ilarrivaaussi fraisques’il revenaitd’unesimplepromenadeetreçutavecplaisirlesfélicitationsdesesamis.

    «Merci.Lacourseaétérude.J’aibiencruquenousallionslaperdre.Vivelescamérasrapides!Sanselles,aucunarbitren’auraitpudireensonâmeetconsciencequid’EmersonoudeWellbartl’emportait.»

    Lorsque lapremièreexcitationse futapaisée,NeddemandaàAlice si cela lui feraitplaisirde faireunepromenadeencanotaveclui.

    «Biensûr!répondit-elleavecenthousiasme.Montre-moil’endroitoùlaLucieBelles’estengloutie.»Ayantpriscongédeleursamis,AliceetNedserendirentauhangardesbateaux.Aliceproposadepagayer,

    Nedsemitàrire:« Ne crains rien, je ne suis pas fatigué.Me prendrais-tu pour unemauviette ?Manier une pagaieme

    paraîtraunjeuaprèsl’effortquenousvenonsdedonner.»Iltraversalabaieetlongealerivageopposé.«Aprèst’avoirquittéetoutàl’heure,dit-il,jemesuisrappeléunincidentsurvenu,unjourquej’étaisàla

    bibliothèquedel’université.Celasepassaitilyaquelquessemaines.Deuxhommesontattirémonattentionparleurattitudeembarrassée;deboutderrièreunerangéedelivres,ilss’entretenaientàvoixbasse.Jesuissûrqu’ilsn’appartenaientpasàl’université.Àunmomentdonné,l’und’euxaparlédu«trésordesRorick».Alors,j’aitendul’oreille.Ilsn’ontrienditd’autreetsontpartis.Jenelesaipasrevusdepuis.»

    Aliceparutintéressée.

  • «C’estassezcurieux.Quelgenreavaient-ils?Lesas-tubienobservés?—Non.Toutefois, j’ai remarquésur la tableun livrequ’ilsavaientsûrementcompulsé. Il s’agissaitd’un

    ouvragehistoriquesurlespremiersbateauxquinaviguaientsurl’Ohio.—IlsdevaientchercherdesrenseignementssurlaLucieBelle,conclutAlice.Ned,sijamaistulesrevois,

    tâchededécouvrirleuridentité.—Àvotreservice,mademoiselleladétective»,réponditNed.ElleluiparlaensuiteducoffredemariageenvoyéàlajeuneAbigaïlRorick.«Ceshommesespèrent sansdoute le retrouver. Ils s’imaginentpeut-êtrequ’il a étédébarquéet enfoui

    quelquepartdanslesboisquientourentlemanoir.Celaexpliqueraitlalumièrequepromènelefantôme.—Possible,réponditNed,trèslaconique.—Jevoudraismieuxconnaîtrel’histoiredelaLucieBelleetdesonnaufrage.— Je ne sais pas grand-chose à ce sujet,mais je peux te raconter ce que j’ai appris sur la région, si tu

    consensàécouteruneconférencefaiteparleprofesseurNickerson.—Avecplaisir,réponditAliceensouriant.—Vers1810,leshabitantsdecettevalléeéprouvèrentdesdifficultésàseprocurerdel’argent.Lesdollars

    étaient si rares qu’ils prirent l’habitude de les fragmenter. On n’avait pas encore inventé la monnaie depapier!Quenevivais-tuàcetteépoque!Tulesauraisrapidementtirésd’embarras.

    —Cessedetemoquerdemoietchoisisquelquechosedeplusintéressant.— C’est bon. Ne te fâche pas. Pendant la ruée vers l’or de 1849, les ports de l’Ohio servirent aux

    prospecteurs. Ils y emmagasinaient leurs provisions, sel compris. Tu ignores sans doute que la granderichesse de la vallée de l’Ohio était le sel. Depuis le commencement des temps, le sel est indispensable àl’hommeetauxanimaux.Àl’èrepréhistorique,leshommesn’étaientpaslesseulsàêtreattiréslelongdecesrives,ilyavaitaussilesmammouths,lesélansgéants,lesbuffles.

    —Continue,ditAlicecommeNedfaisaitminedes’arrêter.—LeprofesseurNickersonconsentàteraconterencoreunehistoireetpuisceseratout.»Aliceéclataderire.Imperturbable,Nedpoursuivit:«Danscetterégion,lesIndienscraignaientqueleshommesblancsnes’emparentdeleurterritoire,aussi

    attaquèrent-ils et brûlèrent-ils toutes les colonies de peuplement. L’armée américaine réussit àmettre untermeàleursraidsen1794.»

    LaButteauxPinsétaitmaintenanttouteproche.Alicelevalesyeuxverslapentequimontaitàtraversboisjusqu’aumanoir.Toutàcoup,elleperçutunéclatlumineux:celuidusoleilreflétéparduverre.

    «Ned,quelqu’unnoussurveilleavecdesjumelles!Regardelà-haut,entrelesarbres…»NedposalapagaieettournalatêtedansladirectionindiquéeparAlice.«Tucroisquec’esttonfantôme?»demanda-t-il.Alicehaussalesépauleset,clignantdesyeux,essayadedistinguerquilesépiait.Tousdeuxentendirentlebruitd’unevedetteàmoteur,maisilsn’yprêtèrentpasattention.Soudain,ilsse

    rendirentcomptequ’elleétaittrèsproche.Ilsseretournèrentet,horrifiés,virentqu’ellefonçaitdroitsureux.Nedplongeasapagaiedansl’eauettentaunemanœuvredésespérée,tandisqu’Alicehurlaitetfaisaitde

    grandsgestespouralerterlepilotedubateau.Penchésurlaroue,levisageinvisible,celui-cisemblaitnerienentendre,nerienregarder.

    Unesecondeplustard,ilheurtaitlecanotdepleinfouet.Lalégèreembarcationjaillitdel’eauetchavira,envoyantpar-dessusbordAliceetNed.

  • MYSTÉRIEUSESEMPREINTES

    ALICEetNedfurentprojetésdans l’eauetdisparurentquelquessecondes.Presqueensemble, ilsrefirentsurfaceet,enquatreoucinqmouvementsdebrasse,ilsserejoignirent.

    «Tun’espasblessée?demandaNed.—Non,maisquellepeurj’aieue!»fitAliceensouriantpourrassurerNeddontleregardinquiet,semblait

    nepasajouterfoiàce«non».Ilsnagèrentverslecanotretourné;lespagaiesétaientbrisées,lacoqueportaituneprofondebalafre,mais,

    heureusement,n’étaitpascrevée.«Quelgâchis!»fitNed,trèsennuyé.Les deux jeunes gens discutèrent un moment sur ce qu’il convenait de faire. La rive étant proche, ils

    décidèrentdepousserlalégèreembarcationjusque-là.Quandelleseraitàsecsurlesable,ilsserendraientàtraversboisaumanoirRorickpourychangerdevêtements.

    «Crois-tu que le pilote l’ait fait exprès ? demandaNed quand ils eurent repris pied sur le sable. Tu levoyaisdeface.Àquoiressemblait-il?

    — Je ne l’ai pas bien observé. Peut-être qu’il ne savait tout bonnement pas conduire une vedette àmoteur.»

    Nedhochalatête,peuconvaincu,etlesdeuxjeunesgenscommencèrentàescaladerlapetitefalaise.Enarrivantauxpremiersarbres, ils regardèrentàdroite et àgaucheafinde s’assurerqu’onne les épiaitpas.Personneenvue.

    « Je reconnais que l’individu aux jumelles a détourné mon attention, fit Ned. Quand j’ai entendu lavedette,j’auraisdûpagayerplusviteetm’écarterdesaroute.

    —Jenecomprendspascommentl’hommequiétaitàlarouenenousapasaperçus.—Autrementdit,tuteralliesàmonopinion:c’estdeproposdélibéréqu’ilnousafaitchavirer.»Alice lui fit une grimace mais ne répondit pas. Il faisait frais sous les pins, et le froid commençait à

    pénétrersesvêtementstrempésquiluicollaientaucorps.«Pressons-nous!»dit-elleenfin,etelleaccéléral’allure.Nedlasuivitsansplusdiscuter.MmeHolmannaccourutàleurcoupdesonnetteetlesregardaavecstupeur.«Quevousest-ilarrivé?Pourquoiêtes-vousdanscetétat?»En quelques mots, Alice la mit au courant de l’aventure. La gouvernante prit aussitôt une expression

    soucieuse.«C’étaitlefantômequivoussurveillaitduhautdelafalaise,etundesescomplicespilotaitlavedette!—C’estpossible»,réponditAliceenfrissonnant.MmeHolmann semontra pleinede sollicitude.Elle conseilla à la jeune fille de prendreunbain chaud

    avantdepasserdesvêtementssecs.Pendantcetemps,elleallaits’occuperdeNedetluiprêteruncompletdesportappartenantàM.Rorick.

    «Venezavecmoi»,luidit-elle.Surlapremièremarche,Aliceseretourna:«Madame,auriez-vousunepagaieici?»Lagouvernanteréponditqu’ilyenavaitplusieursdanslacave.Nedn’auraitquel’embarrasduchoix.« En ce cas, je te raccompagnerai jusqu’au rivage, Ned, dit Alice. J’aimerais repérer les traces de

    l’homme–carjesupposequec’enestun–quinousguettait.»Quelquesminutesplustard,lesdeuxjeunesgensétaientprêts.Aliceavaitenfiléunpantalonetuneblousedeflanellefine.ElleeutdumalàretenirunfourireàlavuedeNed.M.Rorickaffectionnaitlescostumesvoyants.Pauvre

    Ned!Les taquineriesne luiseraientpasépargnéesquandil retourneraitaucollège ; inutiled’yajouter lessiennes.

    Àpaslents,AliceetNedtraversèrentlapinède,attentifsàlamoindreempreintedepiedouàtoutautre

    CHAPITREIV

  • signedonnantàpenserqu’unhommes’yétaitpromené.Vainerecherche.«Sic’estunfantômequihanteceslieux,iladesailes,conclutNedcommeilsdescendaientlafalaise.Reste

    sur tesgardes,Alice.Jecomptesur toi commecavalière, ce soir.Bob,Danieletmoi,nousviendronsvouscherchertouteslestroisàseptheures.»

    Après avoir suivi Ned des yeux pendant quelquesminutes tandis qu’il s’éloignait du rivage à coups depagaieréguliers,Alicesemitàexaminerlesable.

    «Voyons,lapersonnequinousépiaitdevaitsetenirprèsdecesbouleaux»,réfléchit-elle.Dularge,elleavaiteneffetremarquéunbouquetd’arbresautroncargentéprochedespins.Ilavaitservi

    d’écranàl’espion.Elleserenditàcetendroitetaperçutdesempreintesdepas.Constatantlecourtespacequiséparaitlestraceslaisséespardessouliersd’hommeassezpetits,elleendéduisitqu’ils’agissaitd’unhommedetaillemoyenne.

    Lesempreintessuivaientlesommetdel’escarpementpuiss’enfonçaientsoudaindansdesbuissonsépaisquidescendaientjusqu’aufleuve.Alicedevinaquel’hommes’étaittenucachédanscetaillisetavaitattenduqueNedetelleeussentétéàbonnedistancepourensortir.

    «Quelqu’unadûvenirlechercherenbateau,àmoinsqu’iln’enaitdissimuléunici;surprisparnotrebainforcé,nousnel’auronspasvu»,songeaitlajeunefille.

    L’heureavançait,Alicerebroussachemin,toujoursàlarecherchedenouveauxindices.Les ombres s’allongeaient, elle prit la direction du manoir. Brusquement, elle s’arrêta court. Venant,

    semblait-il,denullepart,unpetitpapierblancvoletaitverselle.Commeilatterrissaitàsespieds,ellelevalesyeuxverslesfaîtesdeshautspins.Ellenedistinguarien,nihommenimêmeoiseauxouécureuils.

    «Voilàquejevais,moiaussi,croirequ’unfantômehantecesbois»,dit-elleàmi-voixensebaissantpourramasserlepapier.

    Sesyeuxs’écarquillèrentdestupeur:deuxgrandesempreintesnoiress’étalaientdessus,lesempreintesdedeuxpouces.

    Pendantquelquessecondes,Aliceneputbouger.Il luiétaitdéjàarrivédesetrouverdansdessituationsquisemblaienttenirdusurnaturel.Celle-làenétaitune.Ellesesecoua.Non,pasdesottecrédulité!N’avait-ellepas,chaquefois,trouvéuneexplicationtrèssimple?IIimportaitavanttoutd’éluciderplusieurspoints:quiavaitmissesempreintessurcepapieretdansquelleintention?Commentlepapierétait-ilvenuàelle?Lesempreintesétaient-ellescellesdufantôme?

    Alicetiraunmouchoirdesapocheet,soigneusement,enveloppalepapier.Letenantàlamain,ellerepritlechemindumanoir.Danslapinède,lesilencerégnait.

    Quandellearrivaenfin,BessetMarionsetrouvaientdanslacuisineencompagniedeMmeHolmann.LagouvernantefinissaitdeleurraconterlamésaventuredontNedetAliceavaientétévictimes.

    «Bonsoir,mademoiselleCatastrophe!criagaiementMarion.Alors,ilsuffitqueturestesdeuxheuresloindenouspourmanquerpériraufonddeseaux?»

    Aliceéclataderire.«Attendsd’avoirvucequej’aiàtemontrer.Tugrognerasensuite.»Elleouvritsonmouchoir.Besspoussauncri.«Quellehorreur!Celamedonnelachairdepoule.Oùas-tupéchécepapier?Danslefleuve?Ah!non,

    c’estvrai,ilseraitmouillé.—Eneffet.Tufaisunepiètredétectiveadjointe!»plaisantaMarion.Aliceracontacequ’ellesavait…,etc’étaitpeu.«C’estunprésagedemalheur,Alice, soupiraMmeHolmann.Jenepeuxplus continueràvivre ici ; ce

    fantômem’épouvante.Etpourtant,quedeviendraitM.Roricksansmoi?»D’unbras,Aliceluientouragentimentlesépaules.«Nevoustourmentezpas,madame,jevousenprie.Noustireronsauclairtoutecettehistoire;jevousle

    promets.—Vousêtesgentille,Alice.Jevaism’efforcerderestercalme,maisfaitesattentionàvous.»Marionl’assuraqueBessetelleveilleraientsurAliceetl’empêcheraientdecommettredesimprudences.«Etmaintenant,venez,BessetAlice,dit-elle.Ilestgrandtempsdenoushabillersinousnevoulonspas

    faireattendremessieursnosdanseurs.—Cesontdesrobesdusoirquenousdevonsmettre,leurrappelaBess.Danielm’aannoncéqu’ilsavaient

    tousdécorélegymnaseetquel’orchestreseraitexcellent.»Besschoisitunevaporeuseroberose,Marionenchoisituneensoievertémeraude,deformetrèssimple;

    celled’Aliceétaitdecotonjauneornéedebroderiesblanchesreprésentantdesoiseauxetdesfleurs.C’étaitlapremièrefoisqu’ellel’arborait;elleespéraitqueNedlatrouveraitàsongoût.

    Toujours rapide, Alice fut prête avant ses amies. Elle frappa à leur porte, passa la tête dansl’entrebâillementetcria:

    «Jedescends.Envousattendant,mesdemoisellesleslambines,jevaispoursuivremesrecherches.»Commeellearrivaitdanslevestibule,ellevitFredBraulletraverseretentrerdanslesalon.Illaregarda

    avecunmélangedesurpriseetd’admiration.«Mademoiselle…,Alice,vousêtes…vousêtesravissante!»Cedisant,illaissachoirsurledallagelevasequ’ilportait;celui-cisebrisaenmillemorceaux.

  • «Voyezcequevousmefaitesfaire,s’exclama-t-il.Cen’estpaspermisd’êtreaussibelle!»Aliceréprimaunsourireetsebornaàrépondre:«Jesuisdésolée.»Justeàcemoment,MmeHolmannsortitdelacuisineetvitledésastre.«Oh!Fred,gronda-t-elle.C’étaitlevasepréférédeMonsieur!—Cen’estpasmafaute,marmonnaFred.Ilm’aéchappédesmains.—Nerestezpasplanté làaveccetairahuri, repritMmeHolmann.Allezchercherunbalai,unepelleet

    nettoyezcegâchis.»MmeHolmannfitsigneàAlicedelasuivredanslasalleàmanger.«NefaitespasattentionàFred,dit-elle.Ilestd’unemaladresseincroyable.Jenelegardequeparcequ’il

    esttrèshonnête.»Serappelantl’avoirsurprisentraindelesespionner,Nedetelle,Alicedemanda.«Est-ilaucourantdel’histoiredufantôme?—Oh!non,réponditMmeHolmannsanshésiter.S’illaconnaissait,ilnevoudraitplustravaillerici.C’est

    unpoltron.»Endisantcesmots,elleeutunsourireamuséensongeantsansdouteàsespropresterreurs.Àvoixbasse,Aliceavertitlagouvernantequ’elleallaitselivreràdenouvellesrecherches.Fredapparutsur

    leseuilpourannoncerqu’ilavaitbalayélesdébrisetessuyélesol.Maintenant,ilavaitterminésonouvrage.Après sondépart,Aliceexamina lemurduvestibuleautourde laporteouvrant sur labibliothèque.Un

    panneau cacherait-il une entrée secrète ? Elle semit àmarteler le bois dans l’espoir de percevoir un soncreux.

  • V

    DEUXESPIONS

    TANDIS qu’Alice allait de panneau en panneau, les frappant chacun avec les jointures de ses doigts ettendantl’oreille,MmeHolmanns’approchad’elle.

    « C’est la première fois que je vois un détective à l’œuvre. Montrez-moi un peu comment vous vous yprenez.»

    Aliceposalatêtecontreleboisetydonnaunlégercoup,l’articulationdesonindexluiservantdemarteau.Aprèsavoir«écouté» larésonancesur toute lasurfacedontelleavait fixé les limitesdanssonesprit,ellesoupira.

    «Hélas!Cesmurssontpleins.»Elleregardasonbracelet-montre.Ilétaitmoinstardqu’ellenel’avaitcru,elledisposaitencored’unpeude

    tempsavantdepartirpourlamaisonOméga.« Madame, auriez-vous l’obligeance d’ouvrir la porte de la bibliothèque ? demanda-t-elle. Je voudrais

    examinerlesparoisdel’autrecôté.»Aussitôtlagouvernanteallachercherlaclefetouvritlecadenas.Enpénétrantdanslapièce,elleregarda

    autourd’elleavecinquiétude,puisserasséréna:rienn’avaitétédérangé.Alicesourit:«Voyonssijevaisréussiràvousmontrercequejecherche.»Auboutdequelquesminutesdetravail,ellepritunairdépité:paslemoindrepanneaucreux.Lagouvernantefronçalessourcilsenl’apprenant.«Quoiquevousenpensiez, ilnepeut,encecas,s’agirqued’unfantôme.Lesmursne lesarrêtentpas,

    eux!»Alice comprit qu’il serait inutile de la contredire ; mais elle n’était pas sans s’étonner qu’une personne

    aussiintelligentepûtcroireauxfantômes.Soudain,parl’effetd’uneimplusion,lajeunefilleallaprendrelelivreintitulé:LeRodéo,sesorigines.Ellel’ouvritetdemeurasaisie:Il n’y avait plus que cent quarante dollars au lieu de cent cinquante.Enoutre, les billets avaient été

    déplacésetmisàlapage140!Unepenséequil’effleuraitdepuispeuseprécisadansl’espritd’Alice,laplongeantdansungrandtrouble.

    Laseulepersonnequipossédaitlaclefducadenas,n’était-ellepasMmeHolmannelle-même?Sepourrait-ilqu’elleeûtinventétoutecettehistoirerocambolesquedansleseuldesseindedissimulersesvols?

    «Non,c’estimpossible!réfléchitAlice,jeneveuxpasenvisagercela.Oui,maisc’estpourM.Rorickquej’essaied’élucidercemystère;jen’aipasledroitdefairedusentimentetdelaisserunindicedecôté.»

    Dissimulantsespensées,ellesortitdelabibliothèque.MmeHolmannlasuivitetrefermalecadenas.«J’aimeraisquevousm’accordiezunegrandefaveur»,ditAlice.Lagouvernantesouritavecbonté.«Sielleestraisonnable,ceseravolontiers.»AliceavaitdécidédemettreMmeHolmannàl’épreuve.«Oh!Cen’estpasgrand-chose.Pourriez-vousmeconfiercetteclefjusqu’àdemain?Enrentrantcesoir,je

    mecacheraidanslabibliothèqueetattendrailefantôme.—Êtes-vousbiensûrequecesoitprudent?interrogealagouvernante,surprise.—Jeferaiensortequ’ilnemevoiepas.—Unfantômevoittout.Enfin!Sivousytenez,lavoici.»MmeHolmannpoussaunsoupir,haussalesépaulesavecunesortedefatalismerésignéetajouta:« Bonne chance quand même. Certes je serais contente que le manoir soit à jamais débarrassé du

    personnagequilehante.Cettehistoirefinitparmerendremalade.»

    CHAPITRE

  • Aliceluisouritetremontadanssachambreavecl’intentiondecacherlaclef.«Cesoir,dèsnotreretour,sedit-elle,jechercheraitousleslivressusceptiblesdecontenirdel’argent.Si

    parmi ceuxquenousavonsdéjà feuilletés, il y enaoù ilmanquedesbillets–ou si je constateàd’autressignesquequelqu’uns’estintroduitdanslabibliothèqueaucoursdelasoirée–,celalaveraMmeHolmanndetoutsoupçon.Ilestvrai…qu’ellepossèdepeut-êtreundoubledelaclef…»

    Lasonneriedutéléphonerompitlesilence.Alices’immobilisaunesecondesurl’escalier.MmeHolmannallarépondre:

    «Oh!non…Oh!oui!…l’entenditmurmurerAlice.Jevienstoutdesuite.»Commelagouvernanteraccrochait,Alicesepenchaetluidemanda:«Auriez-vousunennui?— Oui… ma nièce Jane Cork a eu un accident de voiture. On l’a transportée à l’hôpital. Son mari me

    demandedegarderlesenfants.Croyez-vouspouvoirrestertouteslestroisseulesici?Seigneur!J’oubliaislefantôme.»

    AlicerassuraMmeHolmann :sesamiesetelleétaientde tailleà lutteravecquiquecesoit,hommeouspectre.Lagouvernantefitpromettreàlajeunefilled’êtreprudente,luiremitlaclefdelaported’entréeet,quelquesminutesplustard,elles’éloignaitdansuntaxiappelépartéléphone.

    Surcesentrefaites,BessetMarionétaientdescendues,trèsélégantesdansleursrobesdusoir.Lesjeunesgens vinrent les chercher et les emmenèrent à la maison Oméga où des rafraîchissements avaient étépréparés.Peuàpeu,lesunsaprèslesautres,lesétudiantsetleursinvitéesquittèrentlasalleàmangerpourserendreaugymnase.Alice,Bess,Marionetleurstroisfidèleschevaliersservantss’ydirigèrentàleurtour.

    Bessouvritlabouchedesurprise:«Commec’estjolimentdécoré!s’exclama-t-elle.Jamaisjen’auraisimaginéquedesgarçonspussentavoir

    autantdegoût.»

  • Ned,DanieletBobfeignirentd’êtretrèsvexés;Bobprotesta:«Prétendrais-tuquel’artestledomaineréservédesjeunesdonzelles?»Trapèze,barresetautresappareilsétaientdissimuléspardesguirlandesdefleurssavammentdisposées.

    Au centre, un parquet bien ciré attendait les danseurs. Tout autour, les tables étaient ornées de jolisbouquets.

    «Bravopourlecomitéchargédeladécoration!s’écriaAlice.Ilmériteunband’honneur.»Lesjeunesgenss’inclinèrentenriant:«AunomdeM.Nickerson,deM.Eddletonetenmonnompersonnel,jevousremercie,déclaraDaniel.—Cen’estpasuneréussite,c’estunexploit»,ajoutaNedavecemphase.Lesjeunesfillesfurentprisesd’unfourire;unroulementdetamboursefitentendreavantqu’ellesaient

    pu trouver la juste repartie. Le bal commençait. Pendant près d’une heure, les étudiants et leurs invitéessavourèrentundélicieuxsouper interrompuparquelques toursdepiste.Riresetplaisanteriesrésonnaientdanslavastesalle.

    «Oh!jevousenconjure!fitBessàboutdesouffle.Quepersonnenediseplusunmot.J’aitellementriquetoutlecorpsmefaitmal.»

    Prenantuneminefaussementapitoyée,Danielluiproposa,sanssuccèsd’ailleurs,deraconterdeshistoirestristes ; elle préféradanser.Au sond’une valse lente,AlicemitNed au courant de ses recherchesdans labibliothèqueetdeladisparitiond’undesbilletsdebanque.ElleluicommuniquaensuitesessoupçonssurlagouvernantedeM.Rorick.

    «Non,Alice,ditvivementNed,jenepeuxpascroirequeMmeHolmannsoitcoupable.C’estunefemmeau-dessusdetoussoupçons.

    —Oui,aufonddemoi-mêmej’ensuisconvaincue,maisj’ailedevoirdem’enassurer.Riennenousprouvequecen’estpasuncomplicequiluiatéléphonécesoir,afindemettrenotrevigilanceendéfaut.»

    La jeune fille lui fitpartensuitedeson intentiondeveiller jusqu’à l’aube,dans labibliothèque,à l’affûtd’unéventuelvoleur.Nedparutinquiet.

    «Jeneveuxpasqueturestesseule.C’esttroprisqué.J’aibonneenviedemonterlagardeavectoi.Silefantômevient,jeluimontreraiuntourdejudoqu’iln’apprécieraguère.»

    Alicehésitaavantderépondre:«BessetMarionserontpeut-êtrevexéessijenefaispasappelàelles.—Net’inquiètepas,jevaisleurparler.»

  • L’orchestresetut.IlsregagnèrentleurtableetNedavertitBessetMariondesesintentions.«C’est une excellente idée que tu as eue ! approuva chaudementBess. Si tu savais comme je dormirai

    mieuxsachantqu’ilyaunhommedanslamaison.Enoutre,jen’aipaslamoindreenviedeveillercettenuit.Jesuisbeaucouptropfatiguée.»

    Marionsedéclaraégalementenfaveurdeceplan;toutefois,Alicecrutdécelerunelueurmalicieusedanssonregard.

    «Hum!hum!jeferaibiendemetenirsurmesgardes,sedit-elle.Marionmepréparequelquetourdesafaçon.»

    Il était près d’une heure du matin lorsque le bal se termina. Les six jeunes gens prirent le chemin dumanoirRorick.Bessproposaàsesamisdeboireetdemangerquelquechoseet,enquelquesminutes,elleeutpréparéuneomelette,destoastsetduchocolataulait.

    Quandtoussefurentrestaurés,Daniels’étiraetbâilla.«Jemeursdesommeil.N’yaurait-ilpasdesdivansdanscettevieillemaison?—Jecrainsquenon,répliquavivementMarion;maisquediriez-vousdesparquets?Nousvouslesoffrons

    gratuitement.—Charmantehospitalité!grommelaBob.Pourtepunir,jenet’aideraipasàlaverlavaisselle.»Et, suivideDaniel, ilpartitd’unpasdigne tandisque retentissaient les riresdeNedetdes trois jeunes

    fillesqui,restésseuls,rangèrentlacuisine.Celafait,BessetMarionmontèrentsecoucher.AliceouvritlecadenasetentraavecNeddanslabibliothèque.Avantdetournerlescommutateurs,elletira

    lesrideaux,veillantàobscurcirlesfenêtresdemanièrequepersonnenepûtlesvoirdudehors.Ensuite,ellealluma et prit sur un rayon le livre intituléRobinson des Bois. À son vif soulagement, les cent quarantedollarssetrouvaientencoreàlapage140.

    ElleouvritLeRocbranlant.Unbilletdevingtdollarsmanquaitetlesbilletsrestantsavaientétéreplacésvingtpagesenarrière.Alicecontinuasesrecherchesets’aperçutquedanschacundesouvragesqu’elleavaitinspectésprécédemment,desbilletsavaientétéprélevéset lemontantde lasommequidemeuraitremisàunepagecorrespondantàsonchiffre.

    «Lefantômeestrevenuici»,s’exclamaAlice.Nedfronçalessourcils.«Ilfautenlevertoutcetargentetleplacerdansunebanque.Ici,iln’estplusensûreté.»Aliceenconvint.Nedvoulutsavoirsielleavaitélaboréunethéorieconcernantl’identitédufantôme.«CenepeutêtreMmeHolmann?—Probablementpas.Pourenêtreplussûre,jevaistéléphoneràl’hôpital.»ElleappritqueJaneCorkavaitétévictimed’unaccidentetquesonmariétaitàsonchevet.L’infirmièrede

    servicesemontrarassurante.Elleajoutamêmeque lesenfantsavaientétéprisenchargeparunede leurstantes.

    « Voilà qui met tout à fait Mme Holmann hors de cause, dit Alice à Ned après lui avoir résumé saconversationavecl’infirmière.Etnousnesommespasplusavancés.Quiestcefantôme?

    —Entoutcas,ilmeparaîtinutiledecontinueràveiller.Leditfantômenereviendracertainementpascesoir.»

    Les deux jeunes gens réunirent tous les billets, les comptèrent et notèrent les sommes sur un bloc depapier.

    «Tuvastemoquerdemoi,ditsoudainNed,maisjemedemandesioncleJohnestaussiétourdiqu’illeprétend.

    —Jenecomprendspas.—Ehbien,nesedivertirait-ilpasàvosdépens?Ilpossèdesansaucundouteundoubledelaclefouvrant

    lecadenas.»LaremarquesurpritAlice.«L’oncleJohn!Commentpeux-tuimaginercela?Ilignoraitjusqu’ànotreexistenceavantquetulepries

    de nous accueillir. Or, selon Mme Holmann, les incidents mystérieux se produisent depuis plus de deux

  • semaines.»Nedréponditque,danscecas,ilétaitpossiblequel’oncleJohns’amusâtàterrorisersagouvernante.Aliceserembrunit.«Ilyaunmoyentrèssimpledesavoirs’ilestrevenuencatimini.Demainmatin,jetrouveraiunprétexte

    pourluitéléphonerlàoùilestcenséêtre.»Celadit,AlicepriaNedd’enfouir lesbilletsdans lespochesdesonveston.Puiselleéteignit les lampes,

    ouvritlesrideauxet,toutàcoup,poussauncri:«Lalumière!Regarde!Là-bas,danslapinède!»Nedaperçutunepetitelueurquisedéplaçaitentrelesarbres.«Voilàdoncnotrefantôme!—Viensvite!Allonsvoir!»s’écriaAlice.Ilscoururentverslaporteetentendirentungémissementfaible.«Écarte-toi!»ordonnaNedàlajeunefille.Ilpoussabrusquementlaporteetfitunpasdanslevestibule.Aussitôt,uncapuchonluiemprisonnalatête

    etils’écroula.

  • UNSPECTREVENGEUR

    AU CRI poussé par Ned, Alice se précipita dans le vestibule. Une lampe allumée au premier l’éclairaitfaiblement.Ellenevitpersonned’autrequeNedsedébattantpourlibérersatêteducapuchon.Vivement,elleleluienlevaettournalecommutateurdulustre.Alorsellevitcequ’elletenaitàlamain:unetaied’oreiller.ElleretournaauprèsdeNedqui,déjàdebout,fouillaitsespochesavecinquiétude.Lesliassesdebilletsy

    étaientencore.«Monassaillantn’avaitpasl’intentiondemevoler–ouiln’enaurapaseuletemps.Tuasétésirapide!»Aliceinspectaitlesolàlarecherched’unindiceEllesebaissa,éclataderireetsereleva,tenantentreses

    doigtsunpetitrubandesoiebleupâle.Ellel’apportaàNed.«IlprovientdelarobedeBess.C’estelleetMarionquinousontjouécetour.»Ilspartirentàlarecherchedesdeuxcoupablesquis’étaientréfugiéesdanslasalleàmanger.«Vousmelepaierez,misérables!fitNed.Undecesjours,jevousrendrailapareillemaisavecunoreiller

    remplideduvet!»Avantderefermeràcleflaportedelabibliothèque,Aliceallajeteruncoupd’œilparlafenêtredonnantsur

    lafaçadearrière.Aucunelumièrenetroublaitplusl’obscuritédesbois.«C’estcequejecraignais,dit-elle.Mescompliments,MllesMarionWebbetBessTaylor!Vousvenezde

    nousfaireperdreunebelleoccasiondecouriraprèslefantôme!»Voyant leurs regrets, Alice n’eut pas le courage d’insister et se déclara certaine qu’une autre chance ne

    tarderaitpasàseprésenter.Ensemble,lesquatreamismontèrentaupremier.Neds’installadanslachambredeM.Rorick,préparéepourlui.«Bonsoiretmerci,dit-il.Demainmatin,jem’eniraidebonneheure.Vousdormirezencore.Tousceuxqui

    participentaudéfiléontreçul’ordredeseprésentertrèstôt.—Neprendras-tupasunpetitdéjeuner?demandaBesspleinedesollicitude.—Oh!jemangeraiquelquechoseenarrivantaucollège.Tiens!Alice,prendscela.Jepréfèretelaissercet

    argent.IlfaudraitqueM.Rorick,ouàsondéfautMmeHolmann,tedonnelapermissiondel’emporterhorsdumanoir.—Jem’enoccuperaidèsmonréveil»,promitAlice.Le lendemain,quandles jeunesfillesdescendirentaurez-de-chaussée,MmeHolmannétaitderetouret

    préparait lepetitdéjeuner.Elle leurappritquesanièceétaithorsdedangeretquesasœur, lamèrede lajeunefemme,étaitarrivéeaucoursdelanuitetprenaitsoindesenfants.«JesuisheureusequeMmeCorkaillemieux»,ditgentimentAlice.Ellemitlagouvernanteaucourantdesadécouverte:desbilletsdebanqueavaientétéprisdansleslivres;

    MmeHolmanndéclaraqu’ellesesentiraitplustranquillequandlasommerestanteseraitensécuritédanslecoffred’unebanque.«Nepourriez-vouspasjoindreM.Rorickpartéléphoneetluidemandersonaccord?s’enquitAlice.—C’estuneexcellenteidée,approuvaMmeHolmann.Jevaisl’appeler,vousluiparlerezvous-même.»Elle se hâta vers l’appareil placé dans le vestibule et lorsqu’elle eut obtenu la communication avec

    M.Rorick,ellepassalecombinéàAlice.Suruntonenjoué,lajeunefillequestionnad’abordoncleJohnsursaréuniondelaveille.Sanssefaireprier,ilselançadansunlongrécit;insistantsursajoied’avoirretrouvésesanciens camarades de collège, avec lesquels il avait revécu le passé. Cela rassura complètement Alice.M.Roricks’étaitbienrendulàoùill’avaitdit,cen’étaitdoncpasluilefantôme.Quandelleputenfinplacerunmot,elleappritàM.Rorickladisparitiondequelquesbillets.« Il fautquevousattrapieznotrevoleur fantôme,ditM.Rorick.Cettehistoirecommenceàm’inquiéter

    beaucoup.—Jevaisfairedemonmieux,maisjecrainsquecenesoitlong.Enattendant,m’autorisez-vousàremettre

    l’argentàunebanque?—Confiez-le doncdemapart à l’économede l’université. Il disposed’un solide coffre-fort, à l’abri des

    voleurs.Àmonretour,j’aviserai.

    CHAPITREVI

  • —Commevousvoulez;j’yvaisdecepas»,promitAlice.Vingtminutes plus tard, les trois jeunes filles pénétraient dans le bâtiment réservé à l’administration.

    L’économeprincipalétaitunhommecharmant,grandamideM.Rorick.

    «J’enfermeraicesbilletsdansundossieraunomdeJohn,dit-il,etjeleplaceraidansnotrecoffre-fort.»Aliceleremercia,pritunreçudelasommeremiseetquittalebureau.«Allonsàlabibliothèque,dit-elleàBessetàMarionquil’attendaientdehors.J’aimeraisprocéderàdes

    recherchessurlaLucieBelle.»Lestroisamiesn’étaientpasdesnouvellesvenuesàEmerson,etcefutsanslamoindrehésitationqu’elles

    sedirigèrentverslavastebibliothèque.Enchemin,Aliceparlaauxdeuxcousinesdulivresurlarivièreetdeshommesvenusleconsulter;leursmanièresétrangesavaientattirél’attentiondeNed.Labibliothèqueétaitabondammentfournieetlebibliothécaireenchef,M.Beckett,connaissaitàmerveille

    sesrichesses.LorsqueAliceluieutexposésarequête,ilsourit.«Neperdezpasvotretempsici,conseilla-t-il.AllezvoirMmePalcowquivousconteramieuxqu’unlivre

    l’histoired’Emersonetdesarivière.»Ilécrivitl’adressesurunefeuilledeblocetlatenditauxjeunesfillesquipartirentaussitôt.Lamaisonindiquéesetrouvaitàunecourtedistanceducampus;MmePalcowétaitunedélicieusevieille

    damedequatre-vingtsans.Petite,lescheveuxblancsmousseuxrelevésenungracieuxchignonsurlesommetdelatête,leteinttransparent,elleétaitalerteettrèsvived’esprit.Aprèss’êtreprésentéeetavoirprésentésesamies,Aliceexposal’objetdeleurvisite.«Entrez,jevousenprie»,ditaimablementlavieilledame.Quand les jeunes filles furent installées dans un salon meublé à l’ancienne mode, mais avec un goût

    raffiné,MmePalcowcommençad’unevoixfrêleetchantante:«Oui,ilm’arrivesouventderêveràcettesomptueuserobedemariée,àcevoilededentelle,àcetéventail

    offertparunereine,enfouissouslavase,aufonddufleuve.—Sait-onquelleétaitlanatureexactedelacargaisonquetransportaitlenavire?demandaAlice.— Nombreuses sont les rumeurs qui ont circulé à ce sujet. On a raconté qu’il y avait deux choses

    particulièrementprécieusesàbord:lecoffredestinéauxRoricketplusieursautrescontenantdespiècesd’orenvoyéesparlabanqued’Angleterreàlabanqued’Emerson.Onprétendquelesautoritéslocalesdel’époqueonttentél’impossiblepourlesarracheraufleuvemaisqu’onn’arienretrouvé.Unfaitestcertain:lespiècesnesontjamaisparvenuesàdestination.»Cesrenseignementsintéressèrentbeaucouplesjeunesfilles.Marionvoulutsavoirsil’onavaituneidéede

    lasommeainsiperdue.MmePalcowl’ignorait.« Elle était considérable, c’est tout ce que je peux vous dire. Le bruit a couru que des membres de

    l’équipage avaient provoqué une explosion, volé les pièces d’or, puis s’étaient enfuis à bord d’un canot desauvetage.—A-t-onavancédesnomsàcepropos?intervintBess.—Non,non,jenecroispas.Jenem’ensouvienspas.»La vieille dame paraissait lasse. Alice ne voulut pas prolonger l’entretien ; elle se leva, remercia

    MmePalcowdesonamabilité.Celle-ciprotestagentiment:«C’estmoiquiaiétécontentedevousrecevoir.Ilyalongtempsqueleshistoiresd’autrefoisn’intéressent

    pluspersonneetcelaaétéunplaisird’encauseravecvous.Revenezmevoir,jevousraconterailesincursionsdesIndiensdanscetteanciennecoloniedepeuplementquiestdevenuel’universitéd’Emerson.Lavieillevilleaétémaintesfoispillée,ravagée,incendiée,maistoujoursleshabitantsyrevenaient.—Reste-t-ilbeaucoupd’anciennesfamilles?demandaAlice.—Hélas!non.M.Roricketmoi,noussommeslesseulsdescendantsdespremierscolons.Nousavonsaidé

    à construire l’université, ajouta-t-elle fièrement. Certes, cela a changé notre ville ; pourtant nous ne leregrettonspas.—Etnousvousensommesreconnaissantes, intervintBessavecunsourire.Grâceàvous,nouspassons

    unesemainemerveilleuse ici,aumoisde juin,etnousnemanquonspasuneseulefête.Assisterez-vousau

  • défiléducortègehistorique,cetaprès-midi?—Oui,certainement,réponditMmePalcow.Unejeuneamieviendramechercher.»Ensortantdechezl’aimablevieilledame,Aliceetlesdeuxcousinesrentrèrentaumanoir.AlicepriaBess

    etMariondel’aideràchercherd’autresinformationssurlaLucieBelledanslabibliothèque.«Pasavantledéjeuner,déclarafermementBess.Jemeursdefaim.—C’esttonétatperpétuel,plaisantaMarion.Tumesemblesoubliertonfameuxrégime.»Bessparutvexée:«Commentoses-tudirecela?Moiquiaiperducinqlivres!—Tuvas lesregagnerenmoinsdedeuxsi tucontinuesàdévorercommetu le faisdepuisnotrearrivée

    ici»,repartitl’implacableMarion.Alicemitfinàl’escarmoucheenpoussantlesdeuxcousinesdanslasalleàmanger.Quandelleseurentachevéleurrepas,MmeHolmannlesaccompagnajusqu’àlabibliothèque.Laporte,en

    s’ouvrant,leuroffritunaffreuxspectacle.Lapièceavaitétésaccagée,livresetrevuesjonchaientleparquet,laplupartdéchirésoufroissés.«Oh!lebureaudeM.Rorickaétéfracturé!»gémitMmeHolmann.Lestiroirsavaientététirés,leurcontenujetén’importeoù.«C’estlefantôme!s’écrialagouvernante,terrorisée.Maispourquoi?Pourquois’enprend-ilànous?»Mariondonnalaréponsequiluivenaitàl’esprit:«Furieuxdeneplustrouverl’argent,cemonsieurauravoulusevenger.»Lesilencerégnaquelquessecondes.Alicelerompit:«Ilsepeutqu’ilaiteuuneautreraison.»

  • UNVOLEURPERPLEXE

    DEBOUTaumilieudelapièceendésordre,MmeHolmann,BessetMarionattendirentqu’Aliceexposâtlesmobilesqui,selonelle,auraientfaitagirlemystérieuxfantôme.

    «S’ilnes’étaitintéresséqu’àl’argent,ill’auraitpristoutdesuite,necroyez-vouspas?—C’estassezplausible,concédalagouvernante.—Puisqu’ilnes’estemparé,chaquefois,quedepetitessommes,poursuivitAlice,c’estsansdouteparce

    qu’ilnevoulaitpaséveillerlessoupçons.»Marionapprouva:«Tuveuxdireque,bienquel’oncleJohnaittoujourscachélesbilletsdansunlivreàlapagedontlechiffre

    correspondaitàleurmontantglobal,iln’auraitpasétésûrdecechiffreàunedizaineprès…centcinquante,centquarante?

    —Exactement.Iln’auraitdoncpassignaléladisparitionàlapolice.—Toutcelanenousexpliquepaspourquoilevoleurasaccagécettepièce»,intervintBess.Aliceréponditqu’ilcherchaitcertainementquelquechosedeplusimportantquedesbillets.«Peut-être sait-il quenous voulons élucider unmystère et veut-il atteindreunbut quenous ignorons,

    avantquenousayonspunousendouteretledécouvrir.»Besspoussaunsoupir.«Jesouhaitepresquequ’ilaittrouvécequ’ilvoulaitetnerevienneplusjamais!—Voilàquimeferaitplaisiràmoiaussi»,approuvaMmeHolmann.Lesjeunesfillesramassèrentpapiersetlivreséparsenlesexaminantavecsoin,dansl’espoirdereleverun

    indice.Tout à coup, Bess vit un bout de papier coincé sous le bureau ; elle se baissa et le ramassa. Ses yeux

    s’agrandirentdepeuretellecria:«Oh!non!non!»Sesdeuxamiesaccoururentetregardèrent.Deuxlargesempreintesdepouces’étalaientsurlepapier.Alicesursauta.Lesempreintesressemblaientàs’yméprendreàcellesdupapierquiavaitvoltigéverselle

    danslapinède.«Jevaisallerlechercher»,dit-elle,etellesortitencourant.Quand elle revint, elle compara les empreintes à l’aide d’une loupe à fort grossissement, posée sur le

    bureaudeM.Rorick.Ellesétaientsemblables!«Pasuneminuteàperdre,dit-elle, je coursaucommissariatpendantquevouscontinuezà rangeretà

    chercherdesindices.»Lecommissairedepoliceétaitunhommeassezsec.Ilécoutacependantavecattentionlerécitqueluifit

    Alice.Elleluimontralespapiersportantlesempreintes.Quandellesetut,lecommissairedepoliceseradoucit:« Je dois confesser, lui dit-il, que je n’avais pas accordé beaucoup de créance aux histoires de

    MmeHolmann.Quantauvoldevotrecollier,mesadjointsn’ontpasrelevédanslapièced’autresempreintesque les siennes et les vôtres. J’ai penséqu’ayant égaré vosperles, vous aviez imaginéqu’on vous les avaitvolées.Mais je vois que vous n’êtes pas une de ces personnes qui accusent avant d’être sûres. Je vaismerendremoi-mêmeaumanoir.

    —C’estcequej’espérais,réponditAlice.Quandcomptez-vousyaller?—Toutdesuite.»Quelle ne fut pas la surprise deMmeHolmann et des deux cousines en voyant Alice arriver dans son

    cabriolet, suivie d’une voiture de police d’où descendit le commissaire. Bess murmura à l’oreille de lagouvernante:

    «Aliceesttrèspersuasive.»Aprèsavoirprésentélecommissaireàsesamies,Aliceleconduisitàlabibliothèquequ’ilinspectaavecle

    CHAPITREVII

  • plus grand soin. Il martela les murs avec l’articulation de son index replié, regarda à l’intérieur de lacheminée,demandas’iln’yavaitpasunetrappesouslestapis.

    «Aliceadéjàfaittoutcela,chuchotaBessàl’oreilledeMarion.Pourquoinepasleluidire?— Gardons-nous d’intervenir dans les desseins d’Alice. Nous risquerions de commettre des bévues »,

    réponditMarion.Quandileutterminé,lecommissairedéclaraavecautorité:«Levoleurn’apus’introduireiciqueparlaporte.Ils’estprocuréundoubledelaclefouvrantlecadenas.—Mais,monsieur, intervintMmeHolmann, iln’yaqu’uneseuleclefàcecadenaset leserrurierqui l’a

    venduàM.Rorickluiaaffirméqu’onnepouvaitabsolumentpaslareproduire.»Lecommissairefronçalessourcils.Iln’entendaitpasdiscuteravecquiquecesoit.«Suivezmonconseil:changezlecadenasetneconfiezlaclefàpersonne,sousaucunprétexte.»Bienquevexéeparl’attitudeducommissaire,MmeHolmannsecontentaderépondre:«C’estbon,jevaisenacheterun.»SetournantversAlice,elledemanda:« Auriez-vous le temps de faire un saut en ville et d’en choisir un qui soit solide et à l’épreuve des

    voleurs?»Alicejetauncoupd’œilàsamontre-braceletetvitqu’illeurrestaitunebonneheureavantdeserendreàla

    fête.«J’yvais toutdesuite,répondit-elle,et j’espèrevousrapporterunmodèlequirebutera les fantômesen

    chairetenos!»Commeelleraccompagnaitlecommissaire,celui-ciexprimaledésirdefaireletourdelapropriété.« Simple perte de temps sans doute, ajouta-t-il, car les empreintes de pied ne peuvent rien nous

    apprendre.Ildoityenavoirdescentainesavectoutescespersonnesquijardinent,sepromènent,cherchentdesindices…»

    Enprononçantcesderniersmots,ilavaitjetéunregardentenduàlajeunefille.Ellesouritetdemanda:«Quepensez-vousdecettelumièrequisedéplacedanslesboislanuit?—L’avez-vousvue?—Oui.»Lecommissairesefrottapensivementlementon.«Jesuisconvaincuqu’aucunvoleurnesignaleraitsaprésenceenallantetvenantdanslapinèdeavecune

    torche électrique. Il ne peut s’agir que de personnes qui prennent des raccourcis pour gagner la plage envenantdelaroute.»

    Alicenefitaucuncommentaire–ilsepouvaitquelecommissaireeûtraison,encorequ’ellen’eûtjamaisentendudirequedesinconnustraversaientlapropriétédeM.Roricksanssapermission.Elleditaurevoiraucommissaire, leremerciades’êtredérangéetpartitacheteruncadenas.Elle trouvacequ’il fallaitdansungrandmagasind’Emerson.Lepropriétaire l’assuraque c’étaitunmodèle toutà fait récent et impossibleàouvrir,sicen’estaveclaclefd’origine.

    «Unserruriermêmenel’ouvriraitpas?demandaAlice.—Jen’iraispasjusqu’àm’enportergarant,maisilfaudraitquecesoitunmaîtredanssonart.Àquoile

    destinez-vousdonc?»Alices’entintàuneréponsevague.«Àinterdirel’accèsd’unappentisàdesvoleurs»,fit-elleenriant.Lecommerçantcompritqu’iln’avaitpasàposerdequestions.Alicepayaetsehâtaderentreraumanoir.

    Malgrécetachat,MmeHolmannneputserassurer,ellepréditquesilefantômeavaitenviedes’introduiredanslabibliothèque,riennel’enempêcherait.Toutefois,ellepermitàMarionetàAliced’installerlenouveaucadenasquiavaitdeuxclefs.Lagouvernanteengardauneetconfial’autreàAlice.

    Undéjeunerfroidavaitétéservidanslasalleàmanger.LesjeunesfillesetMmeHolmannmangèrentdebonappétit.Besssavouraparticulièrementunedélicieusemousseauchocolat.

    «Quellemerveilleusecuisinièrevousêtes,madame,ditAlice.Toutestsibon!»Lestroisamiesinsistèrentpourlaverlavaisselle.Pendantqu’ellesétaientàl’ouvrage,onfrappaàlaporte

    delacuisine.Bessl’ouvrit.Fredentra,leslèvresfenduesenunlargesourire.«Salut!mesdemoiselles,dit-ilassezcavalièrement.Ilfautquejemedépêched’expédiermabesogneici

    parcequejeveuxassisteraudéfilé.»MmeHolmannentrasurcesentrefaitesetluiditdepasserl’aspirateurdanslesalonetdanslevestibule.«Oui,madame»,répondit-il,etils’enalla.Dèsquelestroisamieseurentterminélavaisselle,ellesserendirentàlabibliothèquepourcontinueràla

    remettreenordre.MmeHolmannlesaccompagna,unbalaietuntorchonàpoussièredanslesmains.Fredlevalatête.—Cen’estpasàvousdefaireleménage,dit-il.Laissez-moinettoyerlabibliothèque.—Non,merci, répondit la gouvernante.M.Roricknepermet àpersonned’autrequ’àmoide toucher à

    cettepièce.»Àcemoment,Fredremarqualesdeuxcadenassurlaporte.Ilpartitd’ungrandéclatderire:« Eh bien ! vous avez au moins une mine d’or là-dedans pour prendre de telles précautions. »

  • MmeHolmannetlesjeunesfillesfeignirentdenepasavoirentendu.«Ilesttropfouinard!»grommelalagouvernante.Lasonneriedutéléphonesefitentendre.MmeHolmannallarépondre.Auboutdequelquesminutes,elle

    raccrocha,appelaAliceetluimurmuraàl’oreille:«C’était le commissaire. Ilm’adit que les empreintesdepoucen’existaientpasdans lesdossiersde la

    police.Celuiquilesalaisséessurlesdeuxpapiersn’est,entoutcas,pasunvoleurconnu.—Voilàquinevapassimplifierleschoses»,déploralajeunefille.Entre-temps,Fredavaitterminélatâchequiluiavaitétéconfiée.Lagouvernanteluicommandaderatisser

    lesallées.Lorsqu’elleregagnalabibliothèqueencompagnied’Alice,lesdeuxcousinesavaientdéjàrangéunecentainedelivres.

    Toutàcoup,Besss’écria:«Unindice!J’aitrouvéunindice!»

  • ASSISEsurlehautd’unescabeau,Bessfeuilletaitunvieuxlivre.Ellesautaàterreetlemontraauxautres.« Il ya toutunchapitre consacréà laLucieBelle, dit-elle.Et voyezunpeu cequi est collé à la fin, sur

    l’intérieurducartondelareliure:“Listedessurvivantsdupaquebot.”—Oh!Bess,s’exclamaAlice,tuesextraordinaire!C’estunedécouverteinappréciable.»Ellecomptalesnoms,ilyenavaitneuf.«L’auteurprécise-t-iloùsontalléscesmalheureux?—Non, réponditBess.Onparlede la constructionde laLucieBelle, qui tenait à la fois du cargo et du

    paquebot.—Dit-oncequ’elletransportait?—Non.—Écoutezunpeu,interrompitAlice.Sinousnousdépêchons,nousauronsencoreletempsdenousarrêter

    chezMmePalcowavantd’assisteraudéfilé.J’aimeraissavoirsiundecesnomsluirappellequelquechose.—Jemedemandeàquoicelanousmènera,protestaBess.Ceshommessontmortsdepuislongtemps.—Oui,maisilsontpeut-êtredesdescendantsdontunouplusieurscherchentàretrouverletrésorperdu.—Tuveuxdirequel’und’euxseraitlefantôme?demandaBess.—Possible.»Alice copia les noms sur une feuille de papier, puis les trois jeunes filles s’habillèrent rapidement et

    partirentencabriolet.MmePalcowparutsurprisedelesrevoirdéjà.Cependant,loindel’importuner,cettevisitel’enchanta.«Jevoisàvosyeux,mapetiteamie,dit-elleàAlice,quevousavezd’autresquestionsàmeposer.»AlicesouritetluitenditlalistedessurvivantsdelaLucieBelle.Trèsétonnée,lavieilledamepritlafeuille.«Bravo!Vousêtesuneexcellentedétective!»S’étantassisedansunfauteuiletayantchaussédeslunettes,MmePalcowparcourutlaliste.Enfin,ellese

    leva,allaversunebibliothèqueetensortitunmincevolumequi,expliqua-t-elle,donnait lagénéalogiedesvieillesfamillesd’Emerson.Elleexaminachaquepageavecsoin,sereportantsouventàlalistedécouverteparBess.

    «Ah!voilà!dit-elletoutàcoup.Jecroisavoirtrouvé.—Quoi?»demandaAliceensepenchantavecavidité.Lavieilledame luimontraquedeuxnomsde la listeétaientsemblablesàdeuxnomsportéssur le livre

    qu’ellepossédait;ils’agissaitbienentendudepersonnesdifférentes,queplusieursgénérationsséparaient.«Ilsepeutdonc,ditMmePalcow,quecesoientlesderniersdescendantsdesrescapés,puisqu’ilsportent

    lemêmepatronyme.—Vivent-ilsencoreàEmerson?demandaAlice.—Oui et non. Il y a deux jeunes étudiants à l’université dont les familles résidaient ici jusqu’à l’année

    dernière.Ellessontpartiess’installerdansl’Arizona.Cesétudiantss’appellentTomAkimetBillMarn.»Lestroisjeunesfillesseregardèrentavecsurprise.«Nouslesconnaissons!—Voussemblezavoirdenombreuxamisàl’université»,observaMmePalcowensouriant.Alice lui parla de Ned, de Bob et de Daniel, leurs fidèles amis et compagnons d’aventures, qui ne

    manquaientjamaisdelesinviterauxréjouissancesorganiséesàEmerson.Incapablede refréner son impatience, la jeune fille sollicita lapermissionde téléphoner toutde suite à

    TomouàBill. Ilsepouvaitque l’unou l’autre fûtencoreàOmégaoù ilshabitaient.Àsagrande joie, ilsyétaienttouslesdeux.Elleleurexpliqualaraisondesonappel.

    Tom,quiluiréponditlepremier,confirmaqu’ildescendaitenlignedirectedeTomAkim,survivantdelaLucieBelle,officier,croyait-il,àborddecepaquebot.

    Aliceexprimaledésirdelesrencontrer,Billetlui,pourleurposerdesquestionsausujetdunaufrage.Ilfut

    CHAPITREVIII

    LESINDIENSATTAQUENT

  • convenu qu’ils assisteraient au défilé puisque, de toute façon, ni Ned, ni Bob, ni Daniel ne pourraientaccompagnerlesjeunesfilles.

    «C’estuneexcellenteidée,ajoutaAlice.Nousseronsaupremierrang,Nednousl’aconseillé.Voulez-vousnousyrejoindre?

    —Avecplaisir,nousyallonstoutdesuiteetnousvousréservonstroischaises»,réponditTom.AvantdequitterMmePalcow,Alicel’embrassa.«Vousavezétésigentille! luidit-elle.Jenesaiscommentvousremercierdevotreaccueil.Si jamais je

    réussisàéluciderlemystèredontjevousaiparlé,jereviendraivousl’annoncer.»MmePalcowsourit.«Jeconsidèrecelacommeunepromesseetjenevousferaigrâced’aucundétail.»Quand les trois amies arrivèrent sur la rive, Tom et Bill les y attendaient. Ils leur avaient réservé trois

    siègesaupremierrangetilss’assirentauxpiedsdesjeunesfilles.

    Aussitôt,TomcommençalerécitdunaufragedelaLucieBelle, telquele luiavaientracontésesgrands-parentsquiletenaienteux-mêmesdeleursgrands-parents.

    «Mon aïeul n’a échappé au désastre que pour êtremassacré par les Indiens avec quelques-uns de sescompagnons.Ils’étaitmariéàPittsburghetlaissaitunfils;devenugrand,celui-cis’installaàEmerson,quin’étaitguèreencorequ’unvillage.

    —TuéparlesIndiens!Quellehorreur!s’exclamaBess.—LesIndiensn’étaientpascoupables,aufond.LesBlancslesavaientprovoqués,intervintBill.Jusqu’àcet

    incident,ilsentretenaientd’excellentesrelationsaveclescolons.—Celamesembleétrangequepersonnen’aitjamaischerchéàarracherletrésoraufleuve,ditMarion.—Vousvoulezparlerdescoffrescontenantlespiècesd’or?demandaTom.—Oui.— Quelques-uns de mes camarades ont effectué des plongées, depuis que la pêche sous-marine est

    devenueàlamodeetquedesappareilsperfectionnéssontdanslecommerce.Billetmoi,nousavonsplongéplusieursfoisàl’endroitdunaufrage.

    —Etvousn’avezrienvu?»demandaAlice.Toméclataderire.«Nousn’avonsmêmepasétécapablesdevoirlenavire.Peut-êtrel’avons-nousmallocalisé.Onprétend

    qu’ilestenfouisiprofondémentdanslavasequ’onneleretrouverajamais.Vousignorezpeut-êtrequelelitdecetterivièreest,enfait,unevalléesous-marineentrelesdeuxrivages.»

  • Aprèsunmomentdesilence,Alices’informa:«Est-ilpossibledelouerdeséquipementsdeplongéeàEmerson?»LaquestionparutsurprendreTometBill.«Oui,réponditTom.Maisnemeditespasquevousavezl’intentionderepérerlaLucieBelle!—Si,j’enail’intention!»répliquaAliceenriantdeboncœur.Le défilé commençait. Le thème choisi était l’histoire d’Emerson, de ce désert qui, grâce à l’énergie de

    quelquescolonsetdeleurssuccesseurs,étaitdevenuunevilleuniversitairerenommée.D’abord,s’avançauneflottilledechalandssemblablesàceuxquiapportaientlesmarchandisesdanscesterritoiresincultes.

    Puisvenaientlespénichesquiassuraientdesnavettesrégulièreslorsquelapopulationavaitaugmenté.«Oh!voilàBob!»s’écriaMarion.Etelle semità rireaux larmesà lavuedu jeunehommedéguiséencapitaineavecununiformeetune

    casquetted’époque.Levisageornéd’unebarbenoire,ilsetenaitàl’avantd’unepéniche,lebrastendu,criantàsonéquipagededébarquerlechargementdemineraidefer.

    Lesjeunesfilleslurentsurleprogrammequ’uneforgesetrouvaitautrefoisàl’endroitqu’ildésignaitdelamain.Cesforgesformaientdepetitescommunautésoùvivaientleforgeron,safamilleetsesouvriers.

    «Regardez!Est-cepossible?Daniel!»s’exclamaBessenseremettantàriredeplusbelle.Portantperruqueet favoris, le jeunehommecommandaitunepénichechargéed’animaux!Cochonsqui

    couinaient,vachesquimeuglaient,chevauxquihennissaientetruaient.PauvreDaniel!Ilsemblaitavoirunmalfouàfairetenirenplacecespassagersunpeutropturbulents.Sonéquipagenesavaitoùdonnerdelatête.

    « Je comprends pourquoi il ne voulait pas nous dire quel rôle il jouait, dit Bess. Il redoutait nosmoqueries.»

    Elles virent encore passer de nombreux bateaux, y compris un transporteur de sel et la reconstitutiond’uneégliseetd’uneécole.

    Lederniernuméroétaitleplusremarquable.Unecabanedélabréesedressaitsurunevieillecarcassedenavire.Àtraverslafenêtreéclairéeparunelampetempêtedestempsjadis,onvoyaitunavarequi,assisàunetable,comptaitdespiècesdemonnaie.

    Derrièrevenaitunegrandepiroguechargéed’indiens.Nedtenaitlerôleduchef.Commelesembarcationsarrivaientprèsdesspectateurs,Nedetsescamaradesseglissèrentàborddubateaufantôme,s’emparèrentdespiècesetjetèrentl’hommeàl’eau.

    Puis,enhâte,lesIndiensregagnèrentleurpirogueetsedirigèrentverslarive.IlsabordèrentjustedevantAliceetsesamis.

    Nedsautaàterre,poussauncrideguerre,seruaversAlice,l’enlevadanssesbrasetcourutàlapirogue.«Ned!Ned!Arrête!»s’écriaAlice,trèsgênée.Elle tenta de se libérer, mais les Indiens aidèrent Ned, et, en quelques coups de pagaies, la pirogue

    s’éloignadelarive.Persuadésquecetincidentfaisaitpartieduprogramme,lesassistantsapplaudirent,ravis.«Ned,oùm’emmènes-tu?Quefais-tu?Tuasperdulatête?»Nedsedressadetoutesatailleetcriad’unevoixdestentor:«Legrandchefvaconduirejoliedemoiselleàl’emplacementdutrésor.»

  • UNEVIEILLESOUCHE

    LAPIROGUEtraversarapidementlabaie.Alicevoulutsavoiroùonl’emmenait.Nedfitunegrimacetaquineet,reprenantsavoixnaturelle,répondit:«Nousallonscontournerlapointedelafalaise,souslapinède.Aprèsquevousavezquittélemanoir,tes

    amiesettoi,mescamaradessontvenusmechercheraugymnaseoùnousnouspréparions:MmeHolmannmedemandaitautéléphone.C’étaitpourmedirequeM.Rorickl’avaitappelée;ildésiraitteparler.

    «Luiavait-ilconfiéunmessage?demandaAlice.—Oui.Ilvousprieinstammentdeprolongervotreséjourjusqu’àcequevousayezélucidélemystère.»Alicesemitàrire.«Ilassumeungrosrisque,dit-elle.QuisaitalorscombiendetempsnousallonsresteràEmerson?—Lepluslongtempspossible,ditNed.Àpartirdelundi.Daniel,Bobetmoi,nousallonstravaillerfermeà

    causedesexamensàvenir,maisunpeudedistractionnenousferapasdemal!C’estmêmeexcellentpourlecerveau!»

    AlicesedéclarasûrequeBessetMarionneverraientpasd’inconvénientàdemeurerencorequelquesjoursàEmerson.Aucuneobligationnelesrappelaitchezelles.

    «Celadit,quellienya-t-ilentrelecoupdetéléphonedeMmeHolmannetcettepromenadeimprévue?»ajouta-t-elle.

    Ned lui expliqua que, tout en parlant à Mme Holmann, M. Rorick s’était tout à coup souvenu avoirentendusesparentsfaireallusionàunvieuxpinàproposdelaLucieBelle.Ilétaittrèsjeuneencetemps-làetn’avaitpasbiencomprislesensdecesmots.Maintenant,ilsedemandaitsicevieuxpinnefourniraitpasunindice.

    «Nemedispasquetuasdécouvertlepin,ditAlice,trèsexcitée.Où?Comment?»Nedréponditqu’unjour,ensepromenant,ilavaitremarquéunegrossesouchesurlarive,justedel’autre

    côtédelapointe.«Évidemment, iln’yaqu’unechancesurcentmillepourquemasoucheaitun lienquelconqueavec le

    trésor,maisnousneperdronsrienànousenassurer.Aussi,mesamisetmoi,nousavonsapportéquelquesoutils,pellesetpioches,pourentreprendredesfouilles.»

    Lespagayeursaccélérèrentlacadenceet,enquelquesminutes,ilsarrivèrentàl’emplacementindiquéparNed.Tousdescendirentàterreetlesgarçonssemirentàl’ouvrage.

    Auboutd’unquartd’heuredetravailinutile,undesjeunesgensdéclara:«Jepariequecesforbans–leshommesdel’équipage–sesontenfuisavectoutcequiavaitdelavaleur.»Lesautresrirentetseredressèrent,prêtsàabandonner.Nedlessuppliadepersévérer.«Nevoulez-vousdoncpasvotrepartdubutin?»plaisanta-t-il.Ils reprirent les recherches avec une ardeur nouvelle et étendirent le champ de leur fouille. Le silence

    régnait.Alicesepromenait,cherchantàreconstituerenespritlascènedunaufrage,àimaginerlessurvivantsgagnantlerivage.«Est-cebienlàqu’ilsauraientabordé?»sedemandait-elle.

    Toutàcoup,unétudiantpoussauncri.Aliceseretourna.«Regardez!dit-il.Uneancre!»Sescamaradesseprécipitèrentpourexaminerladécouverte.L’ancreétaitcouvertederouille.Lesjeunes

    genssemirentendevoirdelagratter.Alicesedisaitquecetteancreétaittroppetite;ellenepouvaitavoirappartenuàunpaquebotcommela

    LucieBelle.Néanmoins,ellesuivaitleurtravailavecintérêt.Bientôt,unnomapparut,àpeinelisible:Rover.Ledécouragements’emparadeschercheursquiposèrentleursoutilsets’épongèrentlefront.Nedreconnut sadéfaite.