cahiers laure n°1

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éDITIONS LES CAHIERS laure cahiers numéro 1

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Janvier 2013 ISBN : 978-2-9534806-3-4 16,5x24 cm 272 pages 35 euros

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éDITIONS LES CAHIERS

laurecahiers numéro1

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cahiers laurenuméro premier

éditions les cahiers

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Anne ROCHE — Présentation

ouverture

Jean DURANçON — Comment écrire ?

entretien

Jérôme PEIgNOT — Comme on met un pied devant l’autre on écrit suivi de Laure est morte en beauté

critique

Patrick TILLARD — L’authenticité de l’expérience

Joaquim LEmASSON — L’expiration poétique

Rebecca FERREBOEUF — Les mots de Laure

margot BRINK — Le motif du regardAldo mARRONI — Laure et l’esthétique

contexte

Alain mARC — Journal d’une lecture

critique

Jacqueline CHENIEUx-gENDRON — Leonora Carrington et Laure

Svetlana mINTCHEVA — Kathy Acker et Laure

dossier :réception(s) de LaureJean FRémON — La passion de LaureAnne VILLELAUR — Portrait d’une inconnuemaurice NADEAU — Des mots qui brûlentHubert JUIN — écrits de LaureJacqueline CHENIEUx-gENDRON — Laure suivi de Laure après « Laure »Alain POIRSON — Peut-il exister encore de « vraies jeunes filles » ?France NESPO — L’éclatante et pudique force des écrits de Laure

contexteJulia HOUNTOU — Action Laure ou La sororité artistique

théâtreAnne mONFORT — Laure

création littéraireFrederika FENOLLABBATE — Le désir nu

musiqueJean-marc FOUSSAT, michèle mATTHIS — Laure – Extraits du silence

appendices

sommaire

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n poème qui serait quelque chose comme les derniers mots

d’un mourant : ce propos que note Leiris dans son Journal, en janvier 1938, quelques mois avant la mort de Colette Peignot, définit assez bien l’intensité des écrits de celle qui avait choisi pour se dépeindre le prénom de Laure, émeraude médié-vale alliant à son incandescence un peu chatte une suavité vaguement paroissiale de bâton d’angélique.

L’œuvre de Laure, depuis les premières publications réservées à quelques amis, n’a cessé de fasciner. Mais son incandescence, sa vie tour-mentée et trop brève, ont eu des effets contradictoires et pas toujours heureux : soit le lecteur s’abîme dans une lecture empathique, qui ne donne à lire que lui-même, soit, récusant toute critique, il la place hors littérature, façon encore de la faire taire. Le propos de ces Cahiers est précisément de tenter une nouvelle approche. Il en est temps. Les protagonistes (Laure, Bataille, Leiris, Souvarine…) sont morts, ce qui ne veut pas dire que leur histoire ne suscite pas de nou-velles passions. Dans les premières éditions, certains noms étaient rem-placés par des initiales ou par des pseudonymes, certains faits étaient occultés. Mais surtout, l’aura de

scandale qui a longtemps entouré l’œuvre a empêché qu’elle soit lue pour ce qu’elle est : une grande écriture. D’autre part, comme l’a justement souligné Jérôme Peignot, la figure de Laure est connue avant tout dans son rapport à Bataille : il y a là une perspective tronquée, qu’il ne s’agit pas de nier mais d’élargir.

Dans ce numéro premier, la rubrique « Laure et moi » permet à chaque contributeur de dire comment il a découvert l’auteur du Sacré – et peut-être aussi de drainer préventivement les risques toujours possibles du narcissisme. Bien des choses tiennent à l’époque où on a lu ou lira Laure, et par quel intercesseur dit justement Jacqueline Chenieux-Gendron. La rencontre se fait le plus souvent par Bataille, mais aussi par Klossowski (Aldo Marroni) ou, plus surprenant, par la romancière américaine Kathy Acker (Svetlana Mintcheva), par les figures de femmes détraquées comme dans Nadja (Rebecca Ferreboeuf ) par les happenings de Gina Pane (Julia Hountou) ou parfois par l’intermédiaire d’un enseignant (Peter Bürger pour Margot Brink).

Jean Durançon ouvre la série des témoignages et analyses en interrogeant « comment écrire ? » ce qui nous traverse. Et le nom

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de Blanchot, qu’il inscrit à la fin de sa réflexion, vient rappeler que l’énigmatique héroïne de L’Arrêt de mort, jamais nommée, n’est autre que Laure.

Jérôme Peignot, dont on sait le rapport privilégié qu’il a de lon-gue date entretenu avec sa mère diagonale, rappelle certains faits de l’enfance et de la vie de Laure, ses révoltes contre son statut de bour-geoise. Il montre son refus de la lit-térature, mais, parallèlement, son engagement dans l’écriture, son exi-gence, et la probable ambivalence vis-à-vis de la publication : car les nombreuses versions de l’Histoire d’une petite fille suggèrent le souci d’un lecteur, malgré la censure in-térieure d’origine familiale.

Patrick Tillard range Laure parmi les écrivains négatifs comme Pessoa ou Robert Walser et son territoire du crayon, dans « L’authenticité de l’expérience ». Joaquim Lemasson, de son côté, oppose ce qu’il appelle l’expiration poétique à l’inspiration au sens traditionnel, car cette langue dit l’agonie de l’être.

C’est en s’intéressant aux figures de femmes détraquées que Rebecca Ferreboeuf a rencontré Laure, ou-vrant son analyse sur l’image des fous de Sainte Anne, leur aphasie comme symbole du rapport de

forces à l’ordre bourgeois. Elle in-siste sur la critique du langage, des mots trop riches pour être si pauvres de son (en quoi Laure est proche du Leiris de « …Reusement ! ») et sur son refus du langage conservateur de la bourgeoisie comme de la pro-pagande soviétique.

Margot Brink, dans « Le motif du regard », souligne de façon ori-ginale la contradiction entre Laure et Acéphale (donc Bataille) : Pro-noncé par un « nous » collectif ou bien par un moi qui se sait associé à un tel collectif, ces textes sont formulés d’une façon extrêmement apodic-tique et plus loin : Bataille utilise sa propre désespérance (il décrit dans unelettre sa vie comme une « plaie ») comme argument contre la philoso-phie de Hegel. Laure, par contre, est cette plaie.

Aldo Marroni, dans « Laure et l’esthétique », s’inspire d’une approche psychanalytique pour souligner l’importance des émo-tions chez Laure et leur lien avec la création.

Alain Marc évoque de façon émouvante une rencontre peut-être manquée mais qui ne fut qu’ajournée ; il met en question le rôle des premiers éditeurs (Bataille, Leiris) et avance certaines proposi-tions, par exemple un classement

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par genres. L’intérêt de celles-ci est précisément d’interroger l’état ac-tuel des publications, et de ne pas considérer les textes comme sacrés.

Viennent ensuite deux parallèles avec d’autres femmes qui ont écrit. Jacqueline Chenieux-Gendron rap-proche de Laure l’écrivaine anglaise Leonora Carrington : il n’y eut pas de rencontre historique, mais des convergences de vie, de sensibilité, de révolte contre le catholicisme qui a imprégné leur enfance, et chez toutes deux l’expression d’une pensée sociale, et le témoignage in-dividuel – porté à son faîte de rage. L’auteure commente entre autres les recensions de Colette Peignot dans La Critique sociale : elle fait partie des rares critiques qui ne minorent pas l’activité politique de Colette Peignot, comme on le verra dans le dossier « Réception(s) de Laure ».

Autre rapprochement, celui opéré par Svetlana Mintcheva avec Kathy Acker. L’auteure note, non sans humour : Les Écrits de Laure auraient immédiatement déplu à toute lectrice féministe des années 1970 car leur nature déchirée et masochiste n’offre pas un modèle d’émancipation féminine. Kathy Acker, prenant le plagiat comme méthode d’écriture, récrit l’Histoire d’une petite fille qui lui permet de

dire sa propre histoire, mais avec la distance procurée par les années d’analyses féministes de la relation entre femmes, langage et loi.

Le dossier consacré à la réception des écrits de Laure comprend des ar-ticles parus dans la presse entre 1971 et 1979. On retiendra notamment l’article de Jacqueline Chenieux-Gendron (1976), et surtout la re-lecture qu’elle en fait aujourd’hui, dans son « Laure après “Laure” ».

Enfin, des expériences artis-tiques fondées sur une lecture, une appropriation des écrits, comme l’étude de Julia Hountou sur Gina Pane, l’adaptation théâtrale par Anne Monfort, le texte de création de Frederika Fenollabbate, la mise en sons par Jean-Marc Foussat de textes lus par Michèle Matthis, té-moignent, chacune à sa manière, de l’efficacité toujours vibrante de cette écriture. Et de belles photos inédites viennent encore nuancer et enrichir l’image de Laure. Dans l’une, elle est au piano, enfant sage aux nattes roulées en macaron. Dans une autre, cigarette au bec, elle est en train de remonter le mécanisme d’un antique boîtier de photographe, avec un re-gard de biais sur le spectateur, image à la fois de sa volonté de regarder le monde et de son désir, aussi, de communiquer. n anne roche

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je ne suis jamais là où les autrescroient me trouver et pouvoir me saisir

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comment écrire ?jean durançon ★ ouverture

crire. Écrire sur. Écrireavec. Écrire pour. Écrire en se

souvenant. Écrire en oubliant. En sachant. Sans savoir. Bataille, Laure, Leiris, quelques autres, pas si nom-breux, même très rares, obligent à se poser cette question : comment écrire ? Comment écrire lorsqu’on les aime, admire, lorsqu’ils ont formé une part de nous, ou le meil-leur de nous, lorsqu’ils ont compté comme peuvent compter les écri-vains, les vrais, ceux qui écrivent par nécessité. Par nécessité, mais aussi par goût. Au sens fort – le plus fort. Goût de dire. Goût de formu-ler. Goût de se voir, de se raconter. De faire face à soi-même. Tout en sachant que, sans doute, le moi n’existe pas. Ou, du moins, qu’il n’est que cette position d’équilibre, provisoire, toujours provisoire, mais sans laquelle tout simplement rien n’existerait. Car il n’est de vérité que dans l’écriture. Il n’est de vérité que

dans le langage. Il n’y a pas de vérité dans la vie. Il n’y a que des actes, des comportements. Mais la littérature de Bataille, Laure, Leiris n’est en même temps, n’est pourtant, que ce rapport à la vie. Rapport le plus proche. Rapport le plus intime. Elle est dans cette confrontation. Qui, cependant, ne laisse jamais oublier que seule la littérature construit une image. Une image qui n’est pas, qui n’est jamais la vie. Une image, c’est ce qui s’écrit, se construit. Et à cela nul ne peut échapper. Peut-être, d’ailleurs, est-ce heureux. Peut-être ne le faut-il pas. Peut-être, précisé-ment, tout l’intérêt de la littéra-ture est-il dans cette construction – et dans la conscience de cette construction. Et si le mensonge, par là-même, la menace (Perse, Duras, tant d’autres), si la pose est comme son masque, ou sa cari-cature, elle doit cependant pren-dre en compte cette dimension.

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« Construction d’une image » – c’était le titre d’un livre de Franck Venaille. « Lettre à ce monde qui jamais ne répond », c’est le titre d’un livre de Cyril Huot. Com-mune à ces deux mondes, étanches, impénétrables, construisant leurs frontières ou bien les assumant, tout en attendant la reconnais-sance de l’ouverture intérieure qui y est si présente, et qui appelle : la littérature. La littérature qui est toujours monologue. Solitaire. Qui écrit se retranche. Et qui lit est re-tranché. Les deux existent pourtant. Coexistent. Il peut donc toujours, entre eux, se passer quelque chose. Franck Venaille écrit à partir de lui – comme chacun. Cyril Huot écrit à partir de lui – comme cha-cun. Mais ils ont aussi leurs maî-tres, amis, compagnons. De Saba à Pierre Jean Jouve, par exemple, pour Venaille. Constants. Présents dans la fidélité. Et Cyril Huot part (parle) très précisément de Katherine Mansfield. De beaucoup d’autres ensuite. Écrivains. Mu-siciens. Cinéastes. Bataille, Laure, Leiris, eux aussi, partent, parlent constamment d’œuvres. De ce qui les traverse. De ce qui les éblouit ou de ce qui les déchire. La littéra-ture n’est pas la psychanalyse. Mais elle lui est comme parallèle. Sans

la prétention. Sans la domination de l’autre, le savoir supérieur. Elle est au contraire recherche. C’est pour cela qu’elle trouve. Ou du moins peut trouver. C’est pour cela qu’elle touche. Ou du moins peut toucher. Et c’est pour cela qu’elle est irremplaçable. Mais ce qu’elle construit, c’est aussi du mythe. Pas le mythe de soi. Pas le mythe du mensonge. Plutôt le mythe de scènes primitives, ou bien de scènes finales. Bataille et son père. Aveugle. Laure et sa mort. Le théâ-tre autour de cette mort. Comme inévitable. Comme cristallisant les données (multiples) de tous et de chacun. Mais comme peu savent les formuler. Exactement là où l’anecdote crée (rejoint) le mythe. Là où l’anecdote (qui n’est pas anec-dote : qui est la donnée fondamen-tale de la vie – formulée) devient indiscutable. Une vérité. Un bloc d’éternité. Alors, oui, à partir de là, comment écrire ? En faisant sem-blant, en ressemblant, en mimant ? Sans doute la pire des solutions (on en a vu plusieurs exemples, récents, et particulièrement par rapport à Bataille). Mais, à l’inverse, en se mettant à distance, en analysant, scrutant le texte, le signifiant, en faisant semblant d’une autre façon – en faisant semblant de ne pas

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être là, de ne pas être concerné, comme si ces textes n’étaient que des textes (ce qu’ils sont) sans en-jeu (ce qu’ils ne sont certes pas) ? Alors, peut-être, très simplement (mais le simple est le plus difficile, disait Plotin), faire confiance à ce qui survient, à ce qui peut adve-nir, et quelle qu’en soit la forme (récit, essai, poème, roman, théâ-tre – peu importe), faire confiance à ce qui, à travers le temps, les siècles et à travers les personnes, toujours diverses, toujours mul-tiples, se répète sans se répéter, se module, se précise, prend les formes et les accents de chacun. Relais amical ? Relais de l’amitié. Écrire donc ici le nom de Blanchot. n