brÈve histoire de l'afrique noire

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BRÈVE HISTOIRE CONTEMPORAINE

DE L'AFRIQUE NOIRE

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Collection « AFRIQUE-MONDE »

Gabriel d'ARBOUSSIER : L'AFRIQUE VERS L'UNITE

Francis BEBEY : LA RADIODIFFUSION EN AFRIQUE NOIRE

Maurice POLLET : L'AFRIQUE DU COMMONWEALTH

de Louis C. D. Joos : BREVE HISTOIRE DE L'AFRIQUE NOIRE * Exploration des âges.

Vous intéresse-t-il d'être tenu au courant des livres publiés par l'éditeur de cet ouvrage ?

Envoyez simplement votre carte de visite aux EDITIONS SAINT-PAUL 6, rue Cassette, Paris (6")

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(Ç) Copyright 1964 by Editions Saint-Paul Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays. Imprimé en France.

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LOUIS C. D. JOOS

BRÈVE HISTOIRE CONTEMPORAINE

DE L'AFRIQUE NOIRE

De la colonisation is l'indépendance

EDITIONS SAINT-PAUL - PARIS

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IÇ) 1964 — Editions Saint-Paul, Paris 6, rue Cassette, Paris (6e)

et 184, avenue de Verdun, Issy-les-Moulineaux (Seine)

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INTRODUCTION

L'histoire contemporaine de l'Afrique est celle de la colonisation « classique », depuis son renou- veau, en 1830, jusqu'à son extinction, aujourd'hui presque complète. Dans un premier volume : Brève histoire de l'Afrique noire, le passé du continent africain avait été étudié « de l'intérieur », c'est-à-dire en suivant les Etats africains et les sociétés autochtones dans leur évolution propre, en dehors des influences politiques européennes. (Il faut insister sur le terme « politique », car des interférences plus générales ont toujours existé entre l'Afrique et le monde extérieur).

A partir du XIXe siècle, c'est l'Europe qui imprime sa direction à l'histoire de l'Afrique. Il est donc normal que l'époque contemporaine soit étudiée « de l'extérieur ». Ainsi pourra-t-on décou- vrir le commencement de la colonisation, puis suivre son épanouissement et enfin constater son déclin, jusqu'au moment où l'Afrique reprend en main ses destinées, mais dans un monde entière- ment changé, où, cependant, le passé récent a laissé des traces profondes.

L'irruption du colonialisme en Afrique noire est le résultat d'une assez lente évolution qui, par ailleurs, n'est pas aussi rectiligne que les résultats pourraient le laisser supposer.

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La révolution industrielle en Europe, la néces- sité de trouver des matières premières en quan- tités toujours plus grandes pour alimenter une pro- duction toujours croissante et approvisionner des marchés de plus en plus vastes, telles sont sans doute les causes principales de la poussée de l'Europe vers les autres continents et notamment l'Afrique. Il ne faut pas oublier non plus l'influence du romantisme ni la renaissance concomitante d'un sentiment missionnaire au sens large du terme.

Ces facteurs ont peut-être joué un rôle beau- coup plus décisif qu'on ne l'avait généralement escompté, ou que les tenants de la thèse purement économique ne le veulent admettre : des faits aussi divers que l'abolition de la traite des esclaves, le voyage de René Caillié et l'œuvre de David Living- stone, par exemple, se ramènent tous à cette même impulsion de l'Europe du XIXe siècle. Mais ni ces deux dernières raisons, ni les mobiles économiques ne suffisent à expliquer la ruée finale de l'Europe sur le continent noir. Il faut manifestement tenir compte des considérations d'ordre militaire. Certes, bien avant le partage de l'Afrique, pratiquement achevé au début du XXe siècle, les puissances euro- péennes avaient conçu une stratégie qui englobait l'Afrique. L'occupation du cap de Bonne-Espérance par les Hollandais, en 1652, sa conquête par les Britanniques en 1795, en sont des exemples carac- téristiques. Cependant, jusqu'à la fin du XIXe siècle,

■ l'utilisation de l'Afrique comme base stratégique restait épisodique et limitée à quelques points bien précis. C'est alors seulement que les commu-

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nications maritimes acquirent, avec le bateau à vapeur une perfection telle que n'importe quel point du globe pouvait être atteint dans des délais raisonnables et militairement utiles. Au moment où apparaissaient des limites absolues à l'expansion continentale des puis- sances européennes et où, par contre, la Terre tout entière devenait accessible, une concurrence devait nécessairement s'instaurer et se dévelop- per entre puissances coloniales pour accaparer les points stratégiques actuels ou virtuels restant disponibles dans les continents non européens et notamment en Afrique. C'était en somme un phé- nomène identique à celui qu'on observe en cas de rationnement d'une denrée qui se raréfie : cha- cun essaie de se procurer, même s'il n'en a pas besoin, toute marchandise distribuée avec parcimo- nie. Ainsi furent poussés vers l'impérialisme colo- nial, des pays qui n'y étaient prédestinés ni par leurs traditions, ni par leurs relations économiques, ni même par l'intérêt national du moment.

Etant donné le déséquilibre des forces et la supériorité technique écrasante des conquérants, d'expansion « occidentale » en Afrique fut pratique- ment réalisée entre 1880, environ, et le début du xxe siècle, en sorte que la colonisation a été un phénomène historique extrêmement bref.

Mais les pays européens ne réussirent pas à intégrer dans leur aire nationale respective les territoires qu'ils s'étaient partagés. Quelle qu'ait été la méthode utilisée : assimilation, peuplement,

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encadrement, mise en valeur, administration directe ou indirecte, fédération, protectorat libéral, etc., l'Afrique, en général, ne plia que sous la force réelle ou potentielle. Or, cette force, qui était irrésistible au XIXe siècle, apparut soudain dans une lumière problématique quand les Européens combattirent contre des Européens sur le sol de l'Afrique. Ce fut le cas en 1914-1918 et en 1940- 1945. Quel que fût en effet le vainqueur de tels combats, il devenait évident que la supériorité des colonisateurs pourrait être brisée en utilisant des moyens équivalents. Les deux guerres mondiales, menées souvent avec l'aide de soldats africains, compliquèrent cependant la prise de conscience des pays colonisés, eux-mêmes très différents, très dispersés et très divisés. Une profonde crise morale secouait tout le continent après l'anéantissement du mythe de la solidité et de l'invincibilité de l'Europe. Si, jusque-là, l'assimilation avait pu apparaître comme une nécessité et un moyen de promotion, elle n'était plus possible après la tra- gique démonstration de la vulnérabilité et des contradictions de l' « Occident ».

Une génération entière d'Africains eut alors à se poser, sur le plan intellectuel et moral, la question de savoir vers quels nouveaux idéals elle devait se tourner après la chute des anciens « dieux » et l'épuisement — d'ailleurs momen- tané — de l'Europe. Les séquelles de la seconde guerre mondiale offrirent à la solution du pro- blème des facilités inespérées et d'autant plus efficaces que les Européens avaient perdu la force

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d'impulsion et la résolution farouche de défendre coûte que coûte leurs possessions d'outre-mer, à l'issue d'une lutte sans merci, dont le salut des métropoles était l'enjeu.

Enfin, une constellation bénéfique apparut for- tuitement dans le ciel politique du monde et vint favoriser les nationalismes locaux : c'était la guerre froide entre l'Est et l'Ouest. On peut bien dire que l'Afrique lui doit son indépendance autant qu'à la bonne volonté des anciens colonisa- teurs. Aussi, dans presque tous les cas, la décolo- nisation de l'Afrique est-elle le résultat d'ententes politiques et non d'affrontements militaires : ni la révolte mau-mau, ni la révolution manquée de l'V.P.C. au Cameroun, par exemple, n'ont été déterminantes dans le processus de « libération » des pays où elles ont éclaté. C'est là une diffé- rence fondamentale entre l'émancipation de l'Afrique et celle de l'Amérique du Sud, un siècle plus tôt. Pourtant, par sa soudaineté, par sa simul- tanéité et par ses conséquences mondiales, la fin de l'Empire espagnol et de la mainmise portugaise est comparable à la dissolution des colonies euro- péennes de l'Afrique. (Nous n'insistons pas ici sur les autres différences profondes, notamment le rôle des créoles, c'est-à-dire des colons de souche européenne, essentiellement responsables des soulè- vements en Amérique centrale et méridionale, tandis que l'Afrique doit à l'initiative des chefs aborigènes ou des puissances coloniales elles- mêmes la cessation de la tutelle). Le succès de la seule action politique confère donc à l'indépen-

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dance de l'Afrique noire une atmosphère parti- culière. Parce qu'elle a échappé à la guerre et parce qu'elle peut compter encore sur l'aide de la métropole, l'Afrique noire moderne pourrait être tentée de sous-estimer les risques inhérents à son indépendance. Tendant par contre à surestimer, dans la conjoncture historique présente, le poids de son intervention dans le destin du monde, elle pourrait se trouver désarmée devant des périls réels. Après avoir figuré parmi les continents les plus humiliés, elle bénéficie aujourd'hui d'une position apparente de prestige qui, cependant, ne doit pas masquer les graves insuffisances de la plupart de ses Etats quant aux infrastructures éco- nomique, scolaire, militaire et sociale. Les meil- leurs des leaders africains se rendent compte de ces réalités et veulent exploiter au maximum le délai qui leur est imparti sur l'horloge du Temps pour rattraper leur retard et combler leurs lacunes.

C'est dans cette perspective qu'il faut voir l'histoire actuelle de l'Afrique noire, cette histoire que nous vivons tous et qui conditionne dans une certaine mesure l'avenir des deux continents, si complémentaires et si étroitement unis par la géographie, par leur passé récent, et par leurs langues d'origine ou d'adoption.

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1. Depuis 1807, la Grande-Bretagne organise sur les côtes africaines LA CHASSE AUX NÉGRIERS : le navire Acorn arraisonnant le négrier Gabriel au large de la Sierra Léone (gravure de 1841).

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2. Stanley rencontre Livingstone, le 3 novembre 1871, à Ujiji, sur le lac Tanganyika. Stanley, à gauche, accompagné du drapeau américain, s'approche de Livingstone, à droite, entouré de quelques Zanzibarites.

3. Légende héroïque du COLONIALISME . CONQUÉRANT : illustration d'un livre

du colonel Baratier.

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4. Un adversaire de la puissance colo- niale : SAMORY, après sa défaite, sur le point d'être embarqué pour le Gabon (1898).

5. La crise de Fachoda : la flottille de Kitchener parvenant devant la position française. Face aux puissan- tes canonnières, le représentant fran- çais, Marchand, ne disposait que d'une chaloupe et de quelques piro- gues (1898).

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6. LE COLONIALISME SATISFAIT, ver- sion anglaise : gouverneur britan- nique en grand uniforme serrant la main d'un juge africain qui porte l'indispensable perruque.

7. Version française : chef (lamido) du Nord-Cameroun re- cevant l'hommage de ses sujets sous l'œil vigilant de l'adminis- tration coloniale.

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8. Vieille photo mon- trant une colonne alle- mande, à dos de dro- madaires, au cours d'opérations, au Sud- Ouest africain, contre l'Afrique du Sud (1914- 1918).

La RÉSISTANCE du 'uple éthiopien (octo- -e 1935) : départ de la irde impériale d'Ad- s-Abéba ; elle défile 1e dernière fois devant Négus.

10. Une RÉVOLTE pré- maturée : les Mau- Mau. Le « général Chine », grièvement blessé, est transporté^ sous escorte à l'hôpital;

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11. LE RÉVEIL INTELLECTUEL de l'Afrique : 2E Congrès des Intellectuels noirs à Rome (1956). Au premier rang, deux des principaux animateurs du mouvement « Présence africaine » : Alioune Diop et Jacques Rabema- nananjara.

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12. L'INDÉPENDANCE : sa célébration à Dar es-Salam (Tanganyika), 1961.

13. L'Assemblée Nationale Sénégalaise en session. Le palais de l'ancien Grand Conseil de l'A.-O.F. est devenu Parlement.

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14. L'UNITÉ AFRICAINE : l'affiche qui l'exprimait à l occasion de la Confé- rence d'Addis-Abéba (1963).

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I. Les Précurseurs

La période de l'histoire africaine qui CODl- mence vers 1783 et s'achève vers 1910 envi- ron, période qui devait aboutir à la conquête quasi totale du continent noir, s'ouvre pour- tant, par une curieuse ironie, sur une série d'abandons européens. Nous aurons à expli- quer ces événements.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le système commercial européen traditionnel d'échanges avec l'Afrique se mourait. Durant deux siècles, le grand commerce avait été entre les mains de sociétés à monopole, lesquelles se réservaient l'exploitation soit de simples comp- toirs, soit de régions plus vastes. Presque tou- jours, l'exercice de l'administration réelle se bornait à des étendues étroitement circons- crites mais dominées par un fort, le plus sou- vent établi sur un îlot. Ce point d'appui pro- tégeait les entrepôts abritant les marchandises qui attendaient leur acheminement vers l'inté- rieur pour y former la contrepartie des esclaves qui devaient être « exportés ». La « colo- nie » était en principe propriétaire de jure d'étroites terres achetées aux souverains locaux, mais, dans la pratique, elle ne pouvait se main-

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tenir dans les bonnes grâces du vendeur que par des cadeaux plus ou moins réguliers, qui n'étaient donc autre chose qu'un tribut. L'al- liance locale était presque partout la condition sine qua non du succès commercial. La Compa- gnie n'avait guère d'autre moyen d'écouler ses produits dans l'hinterland et d'acquérir des esclaves. Ceux-ci étaient fournis par les diri- geants locaux. Inutile de rappeler ici quel rôle devait jouer ce système dans la décomposition des Etats africains. Car le souverain côtier était naturellement tenté de faire la guerre chaque fois que se présentait une occasion favorable pour se procurer cette monnaie d'échange si commode qu'était le prisonnier, vendu ensuite comme esclave au commerçant européen. Même quand celui-ci le rétrocédait ultérieurement à son pays d'origine — ce qui se pratiquait, par exemple, parmi les Yoroubas d'Abeokouta par le jeu d'une véritable caisse pour le rachat des esclaves — il faisait encore une bonne affaire.

Toutes les côtes africaines, à la fin du XVIIIe siècle, étaient donc constellées de ces îlots, sièges d'un comptoir, défendus par la nature et pourvus d'ouvrages militaires. Arguin, sur la côte nlaurétanienne, était un centre du trafic de la gomme, tout comme Saint-Louis, sur son île du bas Sénégal. Gorée était un comptoir à esclaves, comme James Island, dans la Gambie ou plusieurs îles de la Guinée portugaise. Sur le littoral rectiligne et sans îles côtières qui

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s'étend du Libéria au Nigeria, les buttes ro- cheuses, au bord de la mer, offraient les mêmes possibilités défensives. Ainsi, tout le long de la côte ghanéenne, les fortifications hollandaises, anglaises, danoises, remplaçant les vieilles ins- tallations portugaises, couronnaient les som- mets encore bas mais abrupts, des premières hauteurs de l'arrière-pays. Là où le trafic était particulièrement fructueux, les commerçants tentèrent même de se fixer sur des points beau- coup plus exposés comme la côte du Bénin, mais à la première occasion les îles reprenaient leurs droits. Ainsi Fernando Poo, acquise dans le but d'y établir un tremplin pour le com- merce espagnol (1776), servait en fait — jus- qu'au milieu du xixe siècle — de base à la péné- tration britannique au Nigeria ; l'île basse de Luanda, point de départ de la conquête de l'An- gola, fut remplacée en 1576 par la forteresse Sâo Miguel, située comme les forts du Ghana sur un « morro » bien protégé de la terre ferme. Sur les côtes de l'océan Indien, les îlots de Mozambique et de Mombasa (avant sa conquête par les Onlanites) jouaient le même rôle pour les Portugais, tandis que Zanzibar prenait de l'importance, depuis la fin du XVIIIe siècle, comme base de la pénétration ODla- nite sur les côtes du Tanganyika.

Mais, où que fussent établies les Compa- gnies et quel que fût l'objet de leur commerce — gomme, esclaves, ivoire ou or — elles s'ef-

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forçaient partout, en vertu des monopoles accor- dés par des chartes nationales, d'écarter les rivaux.

Selon la force propre de ces compagnies et celle du gouvernement sous lequel elles étaient enregistrées, cette théorie du commerce à mo- nopole était appliquée avec rigueur ou avec souplesse, si ce n'est avec faiblesse. Bien que les compagnies se soient tenues le plus longtemps possible en dehors des conflits entre Etats, elles y furent entraînées de plus en plus fréquenl- ment. D'abord, par la multiplication des guerres « mondiales » dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, guerres qui affectaient presque toujours l'ensemble des puissances dites colo- niales : Grande-Bretagne, France, Espagne et Portugal. Aussi les conséquences pour les éta- blissements commerciaux du littoral de l'Afrique noire en furent-elles désastreuses. Pris et repris, les comptoirs étaient finalement ruinés pour la plupart. Les compagnies ten- taient-elles de se préserver de la conquête de leurs établissements ? C'étaient alors les frais mêmes de la défense qui absorbaient la totalité des bénéfices.

C'est là ce qui explique la dissolution d'un certain nombre de grandes compagnies dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Certes, les finances de ces sociétés — au moins en ce qui concerne la France et la Grande-Bretagne — avaient toujours donné des signes de faiblesse,

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mais, jusque-là, chaque banqueroute avait été suivie d'une prompte reconstitution, le capital étant confiant dans le succès final de l'entre- prise. Or, dans la seconde moitié du xvine siècle, les compagnies ne se reforment plus au même rythme. On peut citer l'exemple de la Royal African Company britannique, dissoute en 1752, celui de la Compagnie française des Indes orientales, disparue en 1763 et celui de la Compagnie néerlandaise des Indes, qui n'avait plus payé de dividende depuis 1782 et fut mise en faillite en 1794. Une indication précise sur la stagnation du commerce africain de la Grande-Bretagne est fournie par l'Appen- dice VI des Voyages de Mungo Park. On y relève que, de 1767 à 1787, le commerce d'im- portation de la Grande-Bretagne en provenance de l'Afrique occidentale y compris le Maroc, n'atteignit que la moyenne de £ 72 000 par an, les trois dernières années de la période mar- quant un progrès relatif avec une moyenne annuelle de £ 90 500.

Après ces changements profonds dans les formes du commerce, des influences nouvelles modifièrent la pensée coloniale. En 1776, l'économiste britannique Adam Smith publia son fameux livre sur The wealth of nations, qui devait devenir la Bible de l'école libérale. D'après ses théories, il était inutile de mainte- nir des compagnies et même d'accabler l'Etat de colonies dont l'administration et la protec-

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tion devenaient fort onéreuses. Bien qu'appli- quées tout d'abord à l'exemple des Etats-Unis — qui devinrent indépendants quelques années plus tard — les idées de Smith ne pouvaient jouer que dans le sens d'un abandon général du commerce traditionnel en Afrique.

Toutefois, ni les considérations stratégiques, ni celles qu'inspiraient les thèses des écono- mistes, n'expliquent à elles seules le déclin du vieux mouvement colonial vers la fin du XVIIIe siècle. Il faut également tenir compte des opinions philosophiques de l'époque et, par contrecoup, du réveil de la conscience chré- tienne — surtout protestante — contre le com- merce des esclaves. Ce sursaut de la chrétienté se manifeste à un moment où la traite est encore florissante. On ne peut donc y voir le résultat exclusif d'une évolution économique. Aux causes religieuses de l'abolitionnisme s'ajou- tent bientôt les revendications des philosophes français quant à l'égalité et à la liberté de tous les hommes. Les dates sont significatives. En 1771, Raynal publie en France son livre à suc- cès : Histoire philosophique des deux Indes, plaidoyer pour la suppression de l'esclavage. Ainsi déclenchée, la campagne conduit, en 1787, à la fondation de la Société des amis de l'homme noir, société dont l'abbé Grégoire fut un lnili. tant notoire. Quelques années plus tard, en 1794, la Révolution abolit l'esclavage, ce qui entraîne, en 1797, l'évacuation du fort de Ouidah, entrepôt d'esclaves.

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La Grande-Bretagne connaît une transfor- mation parallèle. Dès 1772, le mouvement aboli- tionniste s'organise. Des quakers et des angli- cans, rassemblés autour de Wilberforce, don- nent le signal de départ à une agitation qui aboutit, en deux étapes, au triomphe de leurs idées : en 1807, la traite est interdite dans l'Empire britannique et, en 1830, l'esclavage lui-même est banni de ses territoires. Comme la France, le Brésil — qui devait être pourtant le dernier pays à libérer les esclaves (1888) — peut se vanter d'avoir eu, parmi ses écrivains, des champions de l'abolitionnisme. Dès 1782, en effet, dans son Historia de Angola, da Silva Correia condamnait la traite, puis l'esclavage lui-même. Le Danemark, quoique encore pré- sent en Afrique et dans les Antilles, interdit suc- cessivelnent, sous l'influence de l'Aufkliirung, l'esclavage et la traite (1792-1802). Le Congrès de Vienne décide d'abolir la traite aussitôt que possible. La France applique cette décision en 1818 ; l'Espagne, officiellement du moins, en 1820, tandis que le Portugal et le Brésil — indépendant en 1822 — ne suppriment tout d'abord la traite qu'au nord de l'équateur. Mais, en 1826, le Brésil échange la reconnaissance britannique contre l'abolition de la traite et le Portugal suit enfin, en 1836, toujours sous la pression britannique. La papauté condamne elle aussi officiellement, l'esclavage, en 1839. En fait, la traite ne meurt que lentement. Sur la côte occidentale, Espagnols, Brésiliens et

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Sardes (Italiens) fournissent longtemps encore des bateaux négriers, cependant que, sur la côte orientale, le sultanat d'Oman-Mascate et la Turquie restent en marge du mouvement et continuent le trafic de l' « ébène humaine ».

Au réveil de la pensée antiesclavagiste s'ajoutent bientôt les premiers efforts en vue de rapatrier les Africains « exportés » en Amé- rique. Les motifs des partisans de ce retour à la terre des ancêtres sont peut-être moins avouables que ceux des apôtres de l'abolition pure et sim- ple d'une pratique déshonorante. On sent à l'arrière-plan de leur action philanthropique, le souci d'une ségrégation, complément inéluc- table à leurs yeux de l'abolition de l'esclavage. Quoi qu'il en soit, le mouvement en dépit de la complexité de ses mobiles, aboutit, dès avant la fin du XVIIIe siècle, à des résultats tangibles, par la fondation de Freetown. Nous aurons à en reparler.

Les tentatives de rapatriement illustrent net- tement l'ambiguïté des courants de l'époque qui précède de quelques lustres le début du colonia- lisme moderne. Si le commerce extérieur croit — du moins en la personne de ses meilleurs théoriciens — pouvoir renoncer au lourd appa- reil administratif sans lequel il n'existe pas de véritable colonisation, ce retour massif des Africains n'en nécessite pas moins une inter- vention des puissances précédemment « escla- vagistes », ne serait-ce que pour assurer aux ra-

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patriés des conditions de vie minima, interven- tion qui ne se borne d'ailleurs pas à une aide aux anciens « colons » redevenus africains et qui implique des négociations avec les Etats intéressés. Une « présence » européenne sur le continent s'ensuit donc nécessairement, même en l'absence de toute volonté de conquête.

Un autre facteur va contribuer à mettre un terme aux apparences de l'abandon. En cette fin du XVIIIe siècle, on assiste à l'éclosion d'un intérêt purement scientifique pour les régions du globe encore inconnues des Européens. Or, le continent africain, resté le plus ignoré, offre à ce besoin d'exploration un terrain de choix. II devait donc, plus que les autres parties du monde, exalter l'enthousiasme des candidats au voyage et à la découverte. Il est difficile de se faire aujourd'hui une idée de ce que fut ce mouvement, qu'on peut appeler une « mode ». L'excitation qui en résulta ne peut se comparer qu'à celle que soulève de nos jours un voyage spatial ou une médaille d'or gagnée aux jeux Olympiques...

Les témoignages sont tellement nombreux qu'on ne peut mettre en doute ce côté pure- ment scientifique et sportif de la grande aven- ture africaine. Bien entendu, le commerce sui- vait avec attention l'expansion des connaissances géographiques. Il s'y intéressait d'autant plus que l'ère des monopoles était révolue et qu'il

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fallait contrebalancer la perte de cette assu- rance de vente, fût-elle souvent illusoire, par un élargissement des marchés.

Un des phénomènes les plus caractéristiques des tendances de l'époque est le vigoureux dé- part de l'African Society de Londres. Fondée en 1787, elle organise très rapidement la plupart des expéditions dont il sera question au cha- pitre suivant. Ses deux fondateurs ne sont nul- lement des commerçants, encore moins des conquérants. Le major Rennell, longtemps au service de lindian Sltrvey, est un géographe enthousiaste qui rêve de résoudre les grands problèmes encore en suspens, concernant l'Afri- que. Finalement, Joseph Banks, biologiste, amène à Rennell les lords influents qui don- nent au projet de la fondation d'une société savante le poids qui lui manquait. C'est sous les auspices de ces érudits et de leurs suppor- ters que commence l'exploration de l'Afrique d'où devait sortir, deux générations plus tard, la conquête militaire.

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1. DE BRUCE A HORNEMANN

Le premier explorateur « moderne » de l'Afrique, l'Ecos- sais James Bruce, mari malheureux, était par surcroît un chercheur scientifique. Il se proposait de découvrir le point d'émergence des eaux du Nil. En fait, il dut se contenter des sources du Nil bleu. Il se lança en isolé à l'intérieur du conti- nent. Un séjour à Alger, en qualité de consul britannique, l'avait préparé à cette entreprise. En 1769, il pénétra en Abys- sinie, fasciné par des lectures consacrées à ce pays. L'Ethiopie était alors dans une anarchie quasi totale, mais Bruce se tira fort bien d'affaire en recourant à quelque improvisation auda- cieuse, comme le commandement des troupes d'un ras... Fait particulièrement intéressant : il put voyager à travers les régions musulmanes de l'empire sans dissimuler ses obser- vations et recherches scientifiques, ni même renier sa foi chré- tienne. Son succès est généralement attribué au fait qu'il passait pour être médecin et un peu sorcier, mais il est éga- lement permis de supposer que les sentiments antieuropéens n'étaient pas encore très vifs dans les populations du Nord- Est africain. Bruce ne publia qu'en 1788 le récit de son péri- ple abyssin, qui avait duré jusqu'en 1772 ; ses contempo- rains refusèrent alors d'accorder à sa réussite le crédit qu'elle méritait. Il apparaît cependant que, malgré son caractère un peu fantasque, l'ouvrage est absolument sûr quant à l'essen- tiel des renseignements fournis. De longues années devaient encore s'écouler avant que d'autres voyageurs scientifiques ne pénètrent en Abyssinie.

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L'African Society existait déjà lorsque parut le livre de Bruce. Aussi put-elle fournir au major Houghton une assis- tance valable quand il tenta l'attaque de l'Afrique du côté opposé. Il avait été adjoint au gouvernement de l'île de Gorée, alors anglaise, et connaissait donc la Gambie, considérée comme une voie de pénétration vers le Niger. Le cours du Niger était encore une énigme et Houghton, dans le meil- leur esprit du temps, était hanté par ce problème. En automne 1790, il quitta la Grande-Bretagne pour le Sénégal, remonta la Gambie sur 300 milles, puis s'enfonça vers l'est. Son ultime message indiquait qu'il était en route vers Tom- bouctou ; il ajoutait qu'il avait été dépouillé par les indigènes. Ce fut ensuite le silence. Il semble que Houghton ait été assas- siné ou qu'il soit mort sur le chemin du retour, près de Jarra, en septembre 1791. Ainsi, le Niger et Tombouctou, symboles de l'Afrique mystérieuse, restaient inviolés.

En 1793, un autre Britannique, Brown, réussit à s'avancer jusqu'au Darfour, à partir de la vallée du Nil. Retenu trois ans par les Darfouriens, il parvint enfin à regagner l'Egypte.

Brown était encore en Afrique alors que le malheureux Houghton trouvait un successeur en Mungo Park. Lui aussi avait une mission essentiellement scientifique : découvrir la vallée du Niger et identifier ce fleuve par rapport au Sénégal. Il suivit à peu près le même chemin que Houghton. L'Ouest- africain était alors saupoudré de nombreux Etats minuscules. Les Maures razziaient si avant vers le sud que les rois bambaras vivaient dans une angoisse perpétuelle. Celui de Ségou, par exemple, refusa de recevoir Mungo Park, de peur de se compromettre auprès des Maures, mais il l'aida en lui envoyant secrètement une certaine somme, sous forme de cauris. Ségou, avec ses quelque 30 000 habitants, apparut encore comme

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une ville relativement prospère, mais l'existence des Noirs sédentaires était manifestement troublée par les Maures et les Touaregs nomades. D'ailleurs, Park notait chez ceux-ci un vif sentiment antieuropéen fondé sur des préjugés religieux. Chez les Noirs, au contraire, il rencontrait habituellement une attitude correcte, parfois même une réelle sympathie. Seuls, quelques chefs de canton se firent remarquer par leur cupidité et leur prétention de lever des impôts sur le voyageur isolé. Park eut la bonne fortune de revenir, ayant résolu la première partie de l'énigme du Niger : ce fleuve coulait bien vers l'est et ne pouvait donc plus être confondu avec le haut Sénégal.

Si Mungo Park ébauche parfois dans ses récits la perspec- tive d'un commerce florissant, nulle part il ne propose, pour le soutenir, la conquête de l'Afrique. A ce moment-là, il est encore bien loin de ressembler à un précurseur du colonia- lisme.

Après le voyage de Park, l'African Society reporta de nouveau ses vues sur l'est de l'Afrique. Un jeune Allemand, Friedrich Hornemann, s'offrit à explorer, en partant du Caire, le Fezzan et les marches de l'Afrique noire, donc ce qui est aujourd'hui le nord du Tchad. Entre-temps s'était déroulée l'expédition de Bonaparte en Egypte ; les Français ne firent aucune difficulté au voyageur allemand, qui se déplaçait au nom d'intérêts britanniques — nouvelle preuve que n'était pas encore en honneur la théorie qui sera plus tard celle de l'impérialisme, théorie suivant laquelle la visite d'un ressor- tissant national crée des droits à l'occupation, au profit de son pays. Les instructions dont Hornemann était porteur confirmaient d'ailleurs le caractère scientifique de son entre- prise, bien qu'y fût également évoquée la possibilité d'un

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commerce profitable pour la Grande-Bretagne. Hornemann recueillit sur les Haoussas des renseignements et en fit un rapport montrant qu'il n'était pas encore systématiquement prévenu, comme le seront bien des explorateurs ultérieurs, contre les Africains. Après avoir donné un aperçu de leur civilisation matérielle, il conclut : « Leur agriculture est aussi parfaite que celle des Européens, mais leurs méthodes de travail sont très pénibles. En un mot, nous avons une idée très inexacte de ce peuple, non seulement en ce qui concerne sa civilisation et ses talents naturels, mais aussi au sujet de ses possessions, qui ne sont pas, à beaucoup près, aussi consi- dérables qu'on les a représentées. »

Enfin, Hornemann fournit peut-être la clé de la méfiance croissante des Africains musulmans à l'égard des Européens après la campagne d'Egypte : « Il s'écoulera peut-être plus de cinq ans avant qu'il soit possible aux chrétiens de voyager comme tels. On ne saurait croire quelle impression vive et profonde l'expédition des Français a faite sur les esprits des pèlerins qui vont à La Mecque et qui en reviennent. Dispersés dans leurs pays respectifs, ils propageront de toutes parts et dans le cœur de l'Afrique un surcroît de prévention contre les chrétiens. » Homemann touche ici un problème qui devait, en effet, jouer un rôle important dans les efforts de pénétra- tion de l'Afrique par le nord. Le climat formait un autre obstacle. Hornemann lui-même en fut victime, puisqu'il mourut en 1800, au bord du Niger, du moins si l'on en croit les récits rapportés, dix-neuf ans plus tard, par un marchand arabe de Mourzouk.

Les expéditions scientifiques européennes n'étaient pas limitées géographiquement au nord et à l'ouest de l'Afrique. Vers la fin du XVIIIe siècle, on trouvait également des savants

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à l'œuvre dans d'autres secteurs du continent : les botanistes Afzelius, suédois, et J.-B. L. Durand, français, visitèrent la Guinée, la Sierra Leone et le Sénégal. Un autre Français, Palissot de Beauvais, se rendit dans le sud du Nigeria. Les Britanniques, de leur côté, après avoir occupé le Cap en 1795, lancèrent plusieurs missions scientifiques vers le nord.

Enfin, une tentative hardie, malheureusement au-dessus des moyens du moment, fut entreprise en 1798 par le docteur Lacerda, gouverneur du Mozambique portugais. Essayant l'exploration du haut Zambèze, il parvint jusqu'au Katanga actuel mais succomba en cours de route. Lacerda, comme les autres voyageurs cités, était un homme de science, nullement un conquérant. En marge de son rôle de savant, il avait eu pour souci majeur l'ouverture de l'Afrique au commerce libre. Visionnaire progressiste d'un type répandu au XIXe siècle, il croyait que la pénétration du continent suffirait pour abolir l'esclavage et apporter aux Africains une promotion générale. Il avait compris, dès 1798, que la Grande-Bretagne, installée depuis trois ans au Cap, menacerait un jour les possessions portugaises, ce qui se réalisera un siècle plus tard.

Avec le second voyage de Mungo Park, en 1085, les mili- taires apparaissaient pour la première fois dans l'exploration africaine. Encore ne s'agit-il nullement d'une troupe conqué- rante, mais simplement d'une escorte censée protéger l'explo- rateur, qui avait fait, plusieurs années auparavant, de si fâcheuses expériences avec les Maures. Dans cette deuxième tentative en vue d'élucider complètement le secret du Niger, le mobile commercial s'avère tout aussi déterminant que le motif scientifique. Mungo Park veut, bien entendu, savoir enfin où le Niger a son embouchure : dans le lac Tchad ou dans le golfe de Bénin. En même temps, il rêve de mettre sa décou-

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verte au service des navires britanniques qui viendront commercer par l'artère naturelle qu'il espère atteindre. On connaît la fin dramatique de cette deuxième expédition du grand Ecossais. Les soldats, totalement inaptes aux tâches qu'on leur imposait, moururent presque tous avant d'avoir trouvé le fleuve. Les rescapés s'embarquèrent sur un voilier improvisé au moyen de plusieurs grandes pirogues et que Park baptisa du nom de Djoliba (Niger). Attaché dans les rapides de Boussa, à quelque 500 kilomètres seulement de l'embouchure du Niger, but qui lui était assigné, le Djoliba coula, cependant que les membres de son équipage péris- saient tués ou noyés 1.

1 Après Hornemann, dont on avait également rapporté l 'assassinat, Park serait donc le second explorateur européen tué par les Africains. On est aujourd'hui moins affirmatif. Dans une étude très fouillée, K. Lupton (voir Nigeria-Magazine, n° 72, mars 1962) essaye d éclaircir les circons- tances de la mort du grand Ecossais à Boussa. Il n exclut pas la possibilité d'une méprise. Les gens de Boussa ont peut-être simplement voulu avertir Park du danger que courrait le Djoliba dans les rapides tout proches et ce serait Park qui, devant l'attroupement, jugé menaçant, aurait ouvert le feu. Ceci s'expliquerait par l extrême nervosité de l explorateur presque épuisé après plusieurs escarmouches avec les Touaregs. Autre hypothèse . la population de Boussa a pris Park pour un envahisseur peul. L Empire de Sokoto était à cette époque en pleine expansion ; la confusion était donc possible et plausible.

L'intérêt de l'essai de Lupton est de montrer que les Africains noirs, contrairement à ce qui fut avancé plus tard, ne tuaient pas systématiquement les Européens. Leur réputation ne doit pas être confondue avec celle des Maures et des Touaregs, qui, eux, sont des blancs. Encore les nomades du Sahara se voyaient-ils menacés par les Européens dans leur commerce et leur religion. Lupton souligne d ailleurs que Park est le seul Européen qui ait jamais été tué dans le Nigeria septentrional. Ce qui n empêchait pas les Européens de la côte nigérienne d'informer, en 1893, Lugard, que « jamais aucun blanc ayant pénétré dans la région de Boussa n 'en était revenu vivant ». On reconnaît, là aussi, une des thèses préconçues et tendancieuses du colonialisme de la fin du XIX. siècle.

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2. LES PREMIERS RETOURS

A l'aube même des mouvements européens en faveur des Noirs, l'intervention sur le continent africain apparaît déjà comme une perspective inévitable. Rien n'illustre mieux l'enchaînement paradoxal du fait philanthropique et du fait colonial. Pourtant, les premiers antiesclavagistes étaient pro- fondément différents des colonisateurs de la fin du XIXe siècle.

Le plus marquant des hommes de la première génération fut un petit fonctionnaire anglais, Granville Sharp. Après avoir été mêlé, en 1765, à la lamentable histoire d'un esclave sévèrement maltraité, puis jeté à la rue parce que déclaré inguérissable, non seulement Sharp s'occupa du malheureux, il voulut encore libérer tous les esclaves vivant en Grande- Bretagne, généralement comme domestiques chez les planteurs revenus, fortune faite, des Antilles britanniques. En 1772, il réussit à porter devant les tribunaux le cas d'un autre esclave, James Somerset, dont il revendiqua la libération parce que, dit-il, l'esclavage était contraire aux lois anglaises. Dans un jugement retentissant, Lord Mansfield déclara nettement qu'aucun esclave fugitif ne pouvait être réclamé par son maître en Grande-Bretagne puisque « au moment même où l'esclave met le pied sur le sol anglais, il devient libre. »

La liberté n'apporta pas pour autant le bonheur aux domestiques congédiés, ni, un peu plus tard, aux anciens soldats esclaves qui avaient combattu les Américains. Un médecin naval, Henry Smeatham, qui avait chassé les papil- lons lors d'un séjour en Sierra Leone, crut avoir trouvé une

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3. Développement et équipement 214 4. Equipement et éducation 225 5. La société coloniale 232

VI. TROIS CAS AFRICAINS : AFRIQUE DU SUD, ETHIOPIE, LIBÉRIA. 245 1. L'Afrique du Sud et l'Arparthied 249 2. Italie, Ethiopie, Libéria 255

VII. DU COLONIALISME INQUIET A L'INDÉPENDANCE (1937-1963). 263 1. La seconde guerre mondiale 268 2. Les voies anglaises de la décolonisation 276 3. Les voies françaises vers l'indépendance ......... 303 4. La décolonisation au Congo belge 316 5. Et l'Afrique australe ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323

Conclusion 331 I. BIBLIOGRAPHIE 333 II. CARTES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 346

Imprimé en France.

Imp Saint-Paul, 184. av. de Verdun. Issy-les-Moulineaux (Seine). Dépôt lésai 11, trÍm. 1964. — N° dlmp. 2 442. — N° d'Ed. 840.

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