brunschvicg: spiritualisme et sens commun
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..SPIRITUALISME' ET SENS "COMMUN
Nous ne saurions oublier, pour notre part, que la premire lignecrite par un philosophe dans notre langue nationale est un appelau bon sens; si on a.pu y relever quelque trace d'ironie, au moinsn'est-il pas douteux que Descartes anourri ce rve decrer, ouplutt de consacrer, dans l'humanit la raisoncommune, conditionde la vrit seientifique et de l'unit sociale. La foiphilosophique, qui implique la possibilit de donner l'humanit uneorganisationdfinitive, implique l'existence d'un senscommun. Aussi la tentativefaite par les penseurs cossais duxvnr3sicle, reprise par Cousin enFrance, pour tablir l'harmonie de laphilosophie et du senscommun, nous semble-t-elle rpondre une proccupation lgi-time, et qui doit survivre l'chec dela tentative clectique.
En effet il apparat que l'clectisme, s'il a pos le problme, en
a mconnu lestermes vritables. Pour luila philosophie est sansconsistance intrinsque, essentiellement mobile, perptuellemententrane dans desdirections diverses,; le sens commun, au con-traire, est une somme deconvictions arrtes, stables, inbranla-bles. C'est au sens communqu'il appartient de fixer l'incertitude desphilosophes, de trancher les fils lafois amincis etembrouills parla dialectique. D'o il rsultait que la philosophie, asservie uneautorit trangre, cessait d'tre la librerflexion del'esprit, quelesens commun, s'garant dans la sphre des, ides abstraites, avaitdsert le domaine dela pratique courante qui tait le sien. Com-promettant la fois les deuxforces qu'il prtendait unir,l'clec-tisme devait s'achever dans langation de la philosophie et dans*/ la ngation dusens commun.
Une telle consquence ne saurait nous surprendre, aujourd'hui.Pour des gnrations habitues considrer la propagation desides dans la socitet leur volution dans l'histoire, la fixit du
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sens commun apparat comme un postulat aussi arbitraire et aussi
inacceptable que la fixit des espces. Le sens communreprsenteet rsume les opinions les plus gnralement rpandues dans un
groupe d'individus semblables' par l'ducation et parles murs.
Or, ir moins d'admettre une exception singulire tout ceque nous
savons des lois qui rgissent. la vie universelle, le sens commun
doit varier avec tousles mouvements d'opinion qu'entranent dans
chaque groupe le dveloppement de sa civilisation propre et le
contact des groupes voisins. Ainsi laseconde moitidu xix sicle
oppose au postulat de la fixit, quiest de sens commundans lapre-
mire moiti, le postulat de la variabilit, et le fait seul de cette
oppositionconstitue un tmoignage indniable en faveur de la thse
de la variabilit.Si donc il est admis, et comme une vrit de sens commun, que
le sens commun est susceptible de varier etqu'il reflte dans ses
variations le mouvement gnral des ides, alors la rupture de la
philosophie et du sens commun, laquellesemblait nous condamnerla tentative de l'clectisme, ne sera pas dfinitive. Mais,pour qu'il
y ait accord entre eux, la premire -condition sera quele sens
commun se reconnaisse naturellement incapable de guider la raison
philosophique; c'est d'elle, au contraire, qu'ilattendrason orienta-
tion. La philosophie est bien indpendante; eUe a le droit d'tre
obscure; elle en a le devoir, pour autant qu'elle doit toujours ou
s'approfondir ou s'lever. Tout ce qui n'est pas l'avance accept
par nous et fixen nous, nous paratncessairement
obscur;mais
c'est cela mme qui nous libre. Seulement l'obscurit dfinitiveest
Strilit absolue; il faut que, de cette obscurit, marqued'invention
et d'originalit, la raison philosophique revienne la clart, marquede vrit et d'universalit. Aprs avoir accompli l'effort pnible et
lent qui a dgag des confusions accumules par des siclesde
ttonnements la voie dela vrit, il faut qu'elle indique cette voie
sous sa formesimple et directe, qu'elle travaille la formation d'une
conscience intellectuelle dans l'humanit. Dj ce sont les ides
philosophiques qui ont peu peuconstitu notreconscience morale
un philosophe a le premier mis. cette absurdit que l'esclavetait un
homme au mme titre que son matre, cette autre que la tolranceet la piti marquaient la force d'me, plus quele fanatisme et la
brutalit. Dans le temps prsent o l'anarchie intellectuelle dcom-pose et dissout visiblement la socit, l'oeuvre de laphilosophie
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L. BRUNSCHVICG. SPIRITUALISMEET SENS COMMUN.S33doit tre d'agrger la conscience morale la conscienceintellec-tuelle, non moins ncessaire pour l'union etpour le progrs de l'hu-manit pensante, de faire une fois deplus l'ducation du senscommun.
Est-il possible d'esquisser les principes de cette nouvelle duca-tion? Suivant la thsede l'clectisme, le sens commun est spiritua-liste, et il faut bien admettre que- cette affirmation est lgitime,puisque le sens commun, qui parait bon juge en la matire, l'alaisse passer sans protestation. Le sens commuirs'est cruspiritua-liste, si bien que le matrialisme s'est rclam de lascience, afindedissiper les prjugs rgnant dans la conscience publique. Et enfait, ce qu'il y,a de plus profond dans cette conscience, c'est unensemble deconvictions morales qui lui apparaissent comme lies*s l'existence indpendante de l'me. On pourrait assurment sou-tenir que ces convictions ne sontproprement ni philosophiques nichrtiennes,- puisqu'elles trouvent leur plus exacte expression dansles dveloppements oratoires des traits cicroniens; il est vraipourtant qu'ellesont t prpares par la philosophie de Platon etconfirmes par la propagande du christianisme. Seulementquellessont les reprsentations quicorrespondent ces convictions? quellenotion le sens communse forme-til del'me? Or, s'il est un faitd'observation constante, c'est que l'esprit de l'homme ne sauraitdbuter par la conception du spirituel en tant que tel. Letype del'existence lui est fourni
par les objets matriels, et c'est sur cemodle que l'esprit lui-mme doit treconu. Dans notre civilisationoccidentale la spculation philosophique a repos d'abord sur lepostulat matrialiste: dans toutes les doctrines populaires, quecesoit l'picurisme ou son antagoniste, le stocisme, il n'y a de ralit"que matrielle l'me est faited'atomes,'ou l'esprit est un feu. Sion interroge de bonne foi le senscommun, on constate qu'en affir-mant la spiritualit de l'me ilne rpugne nullement de tellesconceptions. Et.d'ailleurs on nevoit pas comment il aurait pu ne
pas transporter dans ses convictions spiritualistes les habitudesreprsentatives du matrialisme il auraitfallu au moins qu'il ftencourag et guid dans cet effort par l'exemple des philosophes.Mais c'est prcisment dansles systmes quiont t le plus prsd'obtenir pour des sicles une adhsionunanime, que l'esprit a tle moins nettement distingu de la matire. Pourarriver la dfini-tion de lasubstancequi caractrise l'existence absolue, Aristote doit
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ajouter aux ides qui sont saisies par l'esprit et qui ne peuvent con-stituer que la forme ou l'essence deschoses, un je ne sais quoi d'im-pntrable et de fixe, principe de la ralit indpendante, et qui nepeut tre que la matire elle-mme. La matire se retrouve ainsiau cur de la notion aristotlicienne desubstance, fondement de,cette ontologie trange laquelleon a si longtemps rserv le nom'1de mtaphysique et o faillit sombrer la raison philosophique del'humanit. D'autrepart, lorsque Descartes essaya derestaurer surles ruines de la scolastique un spiritualisme suprieur, il conutl'me comme une chosepensante, sur le modle de la chose tendue.Hritier d'Aristote et deDescartes, l'clectisme nepouvait se sous-traire cette confusion il alla chercher l'me au del de tous nosactes, de tous nos sentiments, de toutes nospenses, dans une sortede sanctuaire o elleveillait, immuable,dans la dignit de sa sub-stantialit, et il n'a pas compris qu'ill'avait dtache de la viespiri-tuelle, qu'il en avait fait une choseanalogue l'objet matriel, queson identit n'taitque le symbole de son inertie, son immortalitla consquence de son nant elle taitimprissable sans doute,puisqu'elle n'avait pas commenc d'exister.
Une telle conception est-elle dfinitive? Le senscommun aaccompli un certain progrs en passant des reprsentations pure-ment matrialistes auxcroyances spiritualistes; mais ceprogrs aentran la confusion duspiritualisme et du matrialisme, et parsuite aussi le discrditlgitime o le sens commun est tomb dans
notre sicle. Pourquoi, cependant, cette confusion et cediscrditseraient-ils choses irrmdiables?Puisque, suivant laremarque deDescartes, l'esprit est naturellement plus prs de lui-mme que dela matire, alors il n'est pas impossible quele sens commun accom-plisse un nouveau progrs, cette foisdcisif, qu'il arrive conce-voirle spiritualisme dans sa rectitude et dans sonintgrit. Pour
amener ceprogrs, il n'est besoin ni de subtilitsdialectiques ni dediscussions desystmes; il n'y a pas d'autre proposition tablirque celle-ci Vesprit est esprit; seulement ils'agit, pour en fairevoir tout lesens, de rtablir le contact del'esprit avec lui-mme, delui donner l'exprience directe et totale de sa vieintrieure.
Comment acqurir une notion positive de l'esprit? Sans doute ilne suffira pas de se regarder agir; car l'attention, en se tournantbrusquement vers le dedans, suspend le cours normal de l'activitpsychique et supprime par l mme lecontenu qu'on se proposait
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ce qui se voit quelque chose qui ne se voit pas; il lui suffit d'trelui-mme pour se rendre compte de ce que sont lesmots, de ce qu'ily 'ajoute, et que ce qu'il y ajoute c'est justement ce qui les faitexister lesigne prend naissance au momento lui est donne lasignification. Telle est en dfinitivel'exprience laquelle nous fai-sons appel en se dgageant du rseau fixe des mots, en s'levant l'ide une en qui ces mots se comprennent, l'esprit aperoit quecette ide unique est raison etorigine du rseau tout entier, quec'est de l'acte spirituel que procdela ralit matrielle, et que c'estau renouvellement de cet acte qu'elle doit l'apparencede sa stabi-lit par l mme ilprend conscience de sonautonomie, il se recon-
quiert lui-mme. L'intelligence a l'air d'interprter le texte dulivre l'interprtation quivauten ralit lacration comprendrele texte, c'est retrouver, c'est former nouveau lapense d'o letexte a dcoul. La fonctionintellectuelle crel'organe intellectuel,c'est--dire, en termes plus simples, que l'espritest vritablementactivit. Conclusion qu'il n'est pas tmraire sans doute deprsentercomme conforme au senscommun, puisqu'elle se confond avec laconscience que l'esprit prendde son existence, et qu'elle se vrifie .chaque instant dans la viepratique. Qu'est-ce que vivre au milieudes autres hommes, si ce n'est pas constituer avec des actionsper-ues isolement dessystmes intelligibles et les rapporter un centrede coordination qui s'appelle une personne?
Ce n'est pas tout si l'esprit est puissance originelle de produc-tion, il n'y a pas de limite qui s'impose cette puissance de produc-tion. Les ides, une fois exprimes, apparaissent comme bornespar leur expression mme; mais dans l'esprit quiles a formes ellesvivent, et leur vie est unecapacit de dveloppement spontan.Qu'est-ce que rflchir,si ce n'est ou dmler dans unepremireide d'autres ides ourapprocher cette ide de notions pralable-ment acquises pour s'lever une conception suprieure? Or l'idenouvelle n'est pas simplement le produit d'un esprit qui en tantqu'instrument de production demeurerait identique lui-mme; l'ac-tivit spirituelle n'est que la vitalit mme de nosides; par le faitde notre travail nous nous sommestransforms, et puisque notretravail a tpurement interne, puisqu'il n'ya pas d'ide qui ne
comporte quelque approfondissementultrieur, qui ne se prte quelque relation nouvelle, la vie spirituelle est une transformationincessante et indfinie. Nous avonstoujours, suivant l'expression de
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dehors, qu'elle soit nettement aperue ou qu'elle demeure incon-sciente, il y a toujours une ide laquelle nos sentiments et nosactes sont lis et laquelle ils doivent leur dtermination. L'espritde l'homme ne se rduitpas sans doute un systme unique ou plusieurs systmes d'ides; mais vouloir enprciser le contenu endehors de toutsystme d'ides, c'est prtendre le mettre hors delui-mme.
En rsum, l'esprit se dfinit par la capacit de former des ides;cette capacit s'accrot l'infini par son dveloppement interne; elledemeure travers toutes ses manifestationsune dans 'son essence.De telles propositions, si nous nous sommes bienfait entendre, ne
sauraient, aucun titre, passer pour des dcouvertes; ce ne seraitmme pas ce qu'on pourrait appeler des vrits philosophiques; ceserait l'expression la plus simple, la plus directe, de ce fait que nous
pensons. Penser, c'est avoir unesprit, et l'esprit, du moment qu'ilprend conscience delui-mme, se conoit comme une activitind-finie et une. Maispeut-tre qu'en raison de sasimplicit et de. sanettet cette conclusionsera capable de dissiper les prjugs quiont obscurci dansl'esprit public la notion du spiritualisme, et de
porter l'assise d'une philosophie universelle.Qu'on voie d'abord l'alternative danslaquelle on s'engage d'ordi-
naire ds qu'on veut dfinir l'esprit. Tout objet de la pense doittre dtermin; tout cequi est dtermin doit tre pos, fix, c'est--dire soumis une loi
quile limite du dehorset ncessairement le
fait ce qu'il est; tout ce qui est dtermin est, qu'on s'en rendecompte ou non, assimil par l mme une choseinerte, un objetdans l'espace; dterminer l'esprit, c'est le nier en tantqu'esprit.Si l'esprit ne peut tre dtermin, il reste qu'il soit indtermin; etalors l'tude del'esprit sera toute ngative. On fera- l'examen cri-
tique de toutes les catgories qu'on applique aux choses pour les
comprendre, et, quand onaura montr que les catgories ne convien-nent pas l'esprit, l'tude de l'esprit sera termine. La vie spiri-tuelle chappe ainsi l sphre de l'intelligibilit; c'est par son
opposition aux formes de l'entendement qu'elle se dfinira. Mais, si
l'esprit est vritablement activit, alors disparait l'alternative dudtermin et de l'indtermin; nous ne sommes plus obligs ou
d'identifier une chose tendueou de rendre mystrieuse et elle-mme inacessible la nature del'esprit. Le dtermin suppose le pou-voir qui dtermine. L'esprit est dterminant; il est non l'objet, mais
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certains penseurs ont t amens rattacher au curou la volontles vrits qu'ils apercevaient audel. Mais cesvrits, ne ft-ce quepour tre conues, ont ncessairement tjusticiables de cette puis-sance de dterminationqui constitue notre intelligence; les raisons du icur sont encore-ds raisons; les principes de la volont sontencoredes lois; et comment oserdire, si du moins onprtend donner unsens. ce que l'on dit, que ces raisons et ces lois soientexclusives detoute ide, que la facult decomprendre soit exile dela vritablevie spirituelle? De mme, il ne suit nullement del que le sentimentet la volont se confondent avecl'intelligence. Une ide nouvelle
qui s'introduit dansl'esprit modifie toutes les idesqui s'y trouvent,
elle en augmente la porte ou elle en contrarie l'effet, et,sous l'in-fluence de cettemodification, l'ensemble dusystme s'branle etsemeut. Entre la puissance de former des ides qui s'appelle intelli-
gence et la puissance d'tre affectpar elles qui s'appelle sentimentou la puissance d'tre branl par elles qui s'appelle volont, il n'ya pas ncessairement proportion. Chez certains individusil y a con-traste entre la qualit de l'intelligence et la force du sentimentoude la volont. Mais cequi est vrai, c'est qu'il n'y a pastrois facults
indpendantes les unes desautres, manant par je ne sais quel lien
mystrieux d'un arrire-fond immobile etinerte. Dans chacundes
systmes de pense dont l'ensemble constitue unesprit, se retrouvent
galement, comme trois moments insparables, intelligence, senti-
ment etvolont. Si ces
systmes peuvententrer en conflitau sein
d'un mme esprit, du moins n'y a-t-il pastrois mondes, trangersles uns aux autres, entre lesquels nous serions continuellement etdfinitivement diviss et dchirs. Nous sommes, non pas absolu-ment uns, mais capables de nous unifier, mesure que, des ides
plus profondes tant plus nettement conues, nous devenons pluscapables de nous y attacher par le sentiment, de les raliser par
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l'action, en un mot d'identifier plus compltement notre vie cesides et dedevenir cequ'elles sont.
Ainsi l'effort que nous proposons au sens commun ne consistepasdans la substitution d'une doctrine spculative une autre; il a pourobjet de faire tomberla barrire deprjugs qui 'drobait l'esprit
lui-mme, de le faire revenir soi.En mme temps il doit avoir
pour consquence de ramener leursvritables termes lesproblmesqui intressent la viede l'esprit, et de les rendre susceptibles desolutions simples et positives.
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Soit d'abord leproblme de la vrit. Suivant cequi premirevue pas'serait pourle sens commun, on sedemandera si le vrai est oun'est pas. Et cette faon de poser la question, si simple qu'ilne semblepas qu'il y en ait de plus simples, suffit pour frapper d'impuissanceet pour condamner auscepticisme la rflexion del'homme. Ou lavrit a une existence indpendante, ou elle n'est rien; ds q'ons'est propos une semblable alternative, on n'a plus le choix ,de lasolution. Car d'o lavrit tiendrait-elle sonexistence indpendante?Ce n'est pas d'une puissance externe, pardfinition toutcritriumextrinsque de la vrit implique contradiction; mais si c'est d'elle-mme, il faudra qu'elle s'impose tous lesesprits avec une videnceirrsistible, ou qu'elle se justifie l'aide de
quelqueautre
principelui-mme vident. Or cela seul estincontestablement vident, qu'iln'y a point pour l'homme devrit incontestablement vidente. Ledogmatisme, moins qu'il ne ferme volontairement lesyeux lalumire de l'intelligence, s'achve dans lescepticisme, et le dogma-tisme mrite sonsort; car, en rclamant, pour la vrit une existenceindpendante, il l 'a assimile navement unechose, un objetmatriel; il a d la sparer de l'activit intellectuelle, et ainsi iladout de l'esprit, qui est la seule ralit positive. Le remde lamaladie duscepticisme, c'est de gurir le dogmatisme dont elle estla consquence; c'est de renoncer lanotion du vrai en soiqui, creet entretenue par le langage, sembleune donne dusens commun etqui est, on s'en aperoit la premire rflexion,une contradiction
formelle; c'est de chercher lacondition dterminante, la source per-manente de la vrit dansce qui est proprement autonome et cra-teur, dans l'activit de l'esprit. L'activit de l'esprit se dveloppe sui-vant certaines lois, et ces loisconstituent autantde procds de vri-fication. Levrai, c'est ce qui est vrifi. La mme solution dummeproblme est,suivant la remarque de Spinoza, fausse pour celuiqui en ignore la dmonstration mathmatique, vraie pour celui qui laconnat. Le domaine de la vrits'largit, et souvent se rectifie, mesure que l'esprit humain tend etperfectionne ses moyens de vri-fication. Voil quelle est la conception spiritualiste de la vrit. Orquel parti est-il naturel que prenne le sens commun? Continuera-t-il admettre l'existence, ou la chimre, d'une vrit absolue, chap-pant par sa dfinition mme toutes lesprises de
l'homme;ou bien
reconnatra-t-il que l'esprit humain, capable de la vrit relative,en recule indfiniment lesbornes, grce son progrs intrieur?
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L. BRUNSOHVICG. SPIRITGALISMEET SENS COMMUE. 343:
Plus clairement encoreapparatra devant leproblme moral ledevoir du senscommun. Dsqu'il pose l'alternative que le bien estou n'est pas, le sens communse trouve,, son insu etmalgr lui,engag dans la plus insoluble des difficultsmtaphysiques. Queserait lebien en soi? Pouravoir une ralit indpendante, il faudraitau moins qu'irconsistt dans quelque acte dtermin, dans quelqueloi inviolable. Or, supposer que la certitude de l'ordre moralimpliquel'existence d'une rgle universelle, c'est se condamner soit au scepti-cisme qui paralyse, soit un dogmatisme quirefuse de discuter,ce qui est encore une faon de douter, et la plus incurable. Le vraisens commun renonce l'idoledu bien ensoi, entit abstraite inter-
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pose entre l'agent et l'acte; il ne met pas la valeur morale dans unacte matriel, mais l o seulementelle peut tre, dans la viespiri-tuelle. Certes, on compatit naturellement la faiblesse des hommes
qui demandent la scurit de la conscience quelque commande-ment prcis, quelque uvre extrieure; mais lapiti n'est efficace
qu' la condition d'avertiret de gurir. Et le remde, ici,n'est-il pasde se convaincre que le progrs moral estncessairement leprogrsde l'tre intrieur, quec'est par del les disciplines et les uvresqu'il convient de le chercher, dans l'inquitude du perfectionnementcontinu, dans la transformation totale de la viespirituelle?
Enfin l'intelligence du problme de la vrit etdu problme moral
prpare l'intelligence-du problmereligieux quia entran pendantdes sicles des mprises profondeset mortelles. Iciencore leproblmesemble se rsumer dans unealternative Dieu est ou n'estpas'. Mais,sous lasimplicit apparentede l'expression, l'affirmation que Dieu esta de quoi confondre la rflexiondu penseur droit et intgre. Car oul'existence, telle qu'elle est attribue Dieu, ne ressemble en rien aucun genre d'existence connu, et alors l'affirination chappe, non
seulement toutejustification, mais mme toute dtermination; ou
j l'existence est conue parassimilation l'existence des individus vivants,et alors, par la faondont il est affirm, Dieuest ni. Qu'on
s'y rsigne ou non, et de quelque dtour qu'on le dissimule, l'athisme
apparat comme le terme invitablede l'alternative qui fait de Dieuun objet, et demande lapreuve d'une existence spare c'est cequ'ilimporte derpter aujourd'hui, au milieu de tant defantaisies renais-
santes, pour empcher la prescription, du vritable esprit religieux.Il y a dans les textes sacrs uneparole dont nulle exgse ne peuteffacer lesens simple et profond Vous adorerez Dieu enesprit et en
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844 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.
vrit. Si ledogme est un ensemble desymboles, il est autre choseque la vrit bienplus, lavrit tant spirituelle, le symbole, quienveut tre la traduction matrielle, la contredit directement. Le symbo-lisme,.dont quelques-uns font l'auxiliaire de lafoi, n'arriverai qu'tenir en chec lareligion, suspendre le dveloppement de la vieintrieure. L'esprit se refuse au Dieu dumystre comme au Dieu desarmes, il se refuse au Dieuqui divise, car il est lumire etbont,car il est unit.Mais,d'autre part, si l'esprit se dfinit une capacit deprogrs interne, il aperoit parl mme qu'il n'puise pas son essencevritable dans cequ'il a ralis dj, qu'il y a en lui, au del de sonactualit, un principe idal dont son effort constantatteste touteheure la prsence et l'efficacit. A mesurequ'il s'approche de cetidal deperfection, il participe davantage au Dieu intrieur; la vie.religieuse consiste dans l'ascension perptuelle de l'esprit, dans ladification. Parole trange sans doute pour ceux qui conoiventl'homme comme n'tantqu'un individu et leplacent en regard d'unDieu individu, mais qui paraitra naturelle ceuxqui, ayant prisconscience de la viespirituelle, savent qu'on s'y lve d'autant plushaut qu'on yest au-dessus des dterminationspurement individuelles,plus prs de la raison universelle qui est la racine detout esprit,qui lui apporte la communication directe, etcomme la rvlationpermanente du divin.
En dfinitive, les trois propositions gnratrices du scepticisme.| de l'immoralisme, de l'athisme sont le vraiest, le bien est, Dieuest. Autant cetteconclusion estparadoxale
pourle
prtendusens
commun qui est l'esclave dulangage et qui assimile les ralitsspi-rituelles aux ralits matrielles, autant elle est droite etsimplepour le vrai sens communqui se refuse sparer de l'activit spiri-tuelle la vieintellectuelle, la vie morale, la vie religieuse. Pour levrai senscommun, le spiritualisme positif et efficace, ce-n'est pas celuiqui poursuit l'insaisissable chimre del'absolu, de l'extra-humain,et qui dlaisse pour cette vaine recherche toutes les ressources denotre nature, c'est celui qui confond sa cause avec ledveloppementet la civilisation del'humanit, qui vise dfinir, tellesqu'elles noussont faites dans la science et dans lapratique, les conditions de lavrification, de la moralisation, de la dification. Ainsiconue, laphilosophie change d'aspect ce n'est plus une doctrine spcula-tive, un systme auquel on accorde ou onrefuse sonassentiment;c'est un guide de la vie spirituelle, une mthode pour penser et
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eL. BRUNSCHVICG. SPIRITUALISMEET SENSCOMMUN.84b
$"' t :_i~l ?( *o fnwrvi ni 1 o n'a nsic la r\rf anpour agir. La philosophie n'est pas ferme; elle n'a pas la prten-tion de fixer unefois pour toutes les croyances de l'humanit, d'ar-
rter l'uvre desgnrations successives; au contraire ellel'orienteet la provoque, elle est ouverte et tournevers l'avenir. C'estpour-quoi l'adhsion du senscommun, plusexactement la formation d'uneconscience intellectuelle qui amnerait l'avnement du vritable senscommun, apparat comme siimportante et si dsirable. 1I suffit lascience, pour s'imposer au respect de tous, pourrgner ou tout aumoins pour tre libre dans la socit, qu'elle donne confiance dansses rsultats. Quiconque a vu l'exactitude des prvisions- astronomi-ques ou l'application industrielle de l'lectricit, acceptedu dehors
l'autorit de lascience, et le savant est satisfait. Mais laphilosophien'est souveraine que du dedans. Ses adhrents, il faut qu'elle les
pntre, qu'elle, lesvivifie, qu'elle les transforme. Une telle uvren'est possible quesi le philosophe se trouve en prsence d'espritsintacts, affranchis des habitudes dulangage, des. prjugsde la tra-
dition, des symbolesde l'imagination, prts prendrepossessiond'eux-mmes. L'ducationspiritualiste du-sens commun est la pre- ymire conditionpour raliser cequi est la raison d'tre del'humanit, iet sans quoi les philosophes eux-mmes, isols dans lafoule, rvent,plutt qu'ils ne la vivent, la vie philosophique la formation d'unecommunaut morale, fonde sur l'unitspirituelle.
Lon Brunschvicg.: