bréhier, louis - le monde byzantin- vie et mort de byzance

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Louis Bréhier Membre de l’Institut Le monde byzantin : Vie et mort de Byzance (1946) Collection l’Évolution de l’Humanité Éditions Albin Michel, 1946 et 1969, Paris Un document produit en version numérique par Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l’enseignement de l’Université de Paris XI-Orsay Courriel: [email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Brehier - Life and death of Byzantium

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  • Louis Brhier Membre de lInstitut

    Le monde byzantin : Vie et mort de Byzance

    (1946)

    Collection lvolution de lHumanit

    ditions Albin Michel, 1946 et 1969, Paris

    Un document produit en version numrique par Jean-Marc Simonet, bnvole, professeur retrait de lenseignement de lUniversit de Paris XI-Orsay

    Courriel: [email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 2

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marc Simonet, ancien pro-fesseur des Universits, bnvole.

    Courriel: [email protected] partir du livre de

    Collection lvolution de lHumanit

    Louis Brhier Membre de lInstitut

    Le monde byzantin :

    Vie et mort de Byzance

    ditions Albin Michel, Paris, 1946 et 1969, 632 pages, avec 4 cartes dans le

    texte.

    La prsente dition a t tablie partir du texte de ldition de 1969.

    Polices de caractres utilises :

    our le texte: Times New Roman, 14 et 12 points. PPour les notes de bas de page : Times New Roman, 10 points.

    dition lectroniqu e ralise avec le traitement de textes Microsoft Word 200

    ars 2006 Chicoutimi, Ville de Saguenay, province de Qubec, Canada.

    4 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 20 m

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 3

    Table des matires

    INTRODUCTION. Le cadre gographique

    LIVRE PREMIER LEMPIRE ROMAIN UNIVERSEL

    (395-717)

    1. Comment lEmpire dOrient acquit son indpendance 2. Luvre de restauration de Justinien 3. Lhritage de Justinien (565-602) 4. Le premier dmembrement de lEmpire (602-642) 5. La liquidation de lEmpire romain universel (642-717)

    LIVRE DEUXIME LEMPIRE ROMAIN HELLNIQUE

    CHAPITRE PREMIER. Priode dorganisation (717-944)

    1. Luvre des Isauriens. Lon III (717-741) 2. Constantin V (741-775) et Lon IV (775-780) 3. Lorthodoxie restaure (783-813) 4. La seconde priode iconoclaste (813-842) 5. Le raffermissement de lEmpire (842-886) 6. La rsistance de lEmpire (886-919) 7. Luvre de Romain Lcapne (919-944)

    CHAPITRE II. Lexpansion (945-1057)

    1. Les dbuts de lexpansion byzantine (944-963) 2. La grande offensive (963-976) 3. Luvre administrative et militaire de Basile II (976-1025) 4. Larrt de lexpansion byzantine et la fin de la dynastie macdonienne

    (1025-1057)

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 4

    CHAPITRE III. Le dclin et la chute (1057-1204)

    1. Dmembrements et guerres civiles (1057-1071) 2. Dix ans danarchie et de revers (1071-1081) 3. La tentative de relvement des Comnnes. Luvre dAlexis 1(1081-

    1118) 4. Luvre des Comnnes son apoge (1118-1180) 5. La chute de lEmpire romain hellnique (1180-1204)

    LIVRE TROISIME AGONIE ET MORT DE BYZANCE

    CHAPITRE PREMIER. La dernire renaissance et son chec

    (1204-1389)

    1. LEmpire Nice et le rassemblement des terres hellniques (1204-1261)

    2. Luvre de relvement de Michel Palologue (1261-1282) 3. La crise de lEmpire restaur (1282-1321) 4. La priode des guerres civiles (1321-1355) 5. Les Ottomans en Europe. Lagonie de Byzance (1355-1389)

    CHAPITRE II. La lutte suprme (1389-1453)

    1. Lhritage de Byzance (1389-1402) 2. La crise ottomane et le relvement byzantin (1402-1421) 3. La renaissance de lEmpire ottoman et la dernire rsistance (1421-

    1448) 4. La mort de Byzance (1448-1453)

    Table des rfrences bibliographiques Appendice. Les empereurs byzantins Glossaire succint Index alphabtique Cartes

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 5

    Introduction. Le cadre gographique

    Retour la Table des Matires LEmpire dOrient ou Empire byzantin nest autre que lEmpire

    romain, dtruit en Occident par les invasions et perptu en Orient autour de la Nouvelle Rome (nom officiel de Constantinople jusqu la fin du Moyen Age), mais avec des traits nouveaux qui constituent loriginalit de son histoire. Sa civilisation est en effet comme la syn-thse de tous les lments politiques, religieux, intellectuels du monde antique son dclin : tradition latine, hellnisme, christianisme, culture orientale renaissante de la Perse sassanide. Au moment o lOccident subissait une rgression politique, sociale, intellectuelle, artistique, Byzance, et cest ce qui fait sa grandeur, sauvegardait dans la mesure du possible les apports de la civilisation antique quelle transmit aux Temps modernes : la littrature grecque gnratrice de lhumanisme, le droit romain fondement du droit public europen. Elle servait en mme temps de rempart lOccident en arrtant les nouvelles invasions asiatiques et par sa propagande religieuse, en par-ticulier chez les Slaves, elle tendait le domaine de lEurope civilise.

    Le succs de cette uvre historique est d sans doute de fortes

    traditions et la continuit merveilleuse dune action politique scu-laire, mais il fut favoris aussi par le cadre gographique dans lequel se droula lhistoire de Byzance. Sans doute les frontires de lEmpire varirent sans cesse, mais le souci primordial de la dfense de Cons-tantinople, sige de lEmpire et son rduit suprme, conduisit les em-pereurs sassurer avant tout la possession des territoires indispensa-bles sa scurit et ncessaires son expansion. Or ce sont ces terri-

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 6

    toires qui constituent le cadre gographique vritable de lEmpire dOrient.

    Dune part Constantinople est situe sur un barrage naturel qui s-

    pare deux mondes, la rgion pontique et la Mditerrane ; dautre part elle commande la voie transversale qui relie lEurope continentale lOcan indien, la valle du Danube celle de lEuphrate. Cette posi-tion exceptionnelle a dtermin toute son histoire.

    Le barrage naturel form par les dbris du massif dvonien, qui re-

    liait lEurope lAsie, ne peut tre franchi que par un passage troit, d sa rupture par les eaux de la mer Noire, qui bouleversrent un ancien systme hydrographique, dont les traces sont encore visibles dans le caractre fluviatile de lestuaire de la Corne dOr et dans les dtroits du Bosphore et des Dardanelles 1.

    Ce fut sur la presqule effile situe entre la Corne dOr et la Pro-

    pontide que fut difie la ville dont le sol domine le rivage par des pentes abruptes, tout en tant lui-mme coup de dpressions et de hauteurs qui atteignent jusqu 110 mtres daltitude et quon na pas manqu de comparer aux sept collines romaines 2. Constantinople est donc une ville essentiellement maritime. La mer, dit Procope, cou-ronne la ville, ne laissant la terre quun petit espace qui sert fermer la couronne 3. Cest ce qui explique quelle se soit dveloppe au-del de son port naturel, magnifique estuaire de 7 kilomtres de long, aux ctes sinueuses qui fournissent des abris naturels et dont la pro-fondeur atteint 42 mtres. Sur sa rive gauche tait bti, lpoque by-zantine, le faubourg des Sykes, aujourdhui Galata et Pra. Sur la cte dAsie, au-del du Bosphore, son faubourg de Chrysopolis (Scutari) date de lantique Byzance et, plus au sud, Chalcdoine (Kadi-Keu) tait englobe dans son orbite. Dailleurs la rive asiatique, qui borde les dtroits et la Propontide, se rattachait troitement Constantinople par la nature du sol, la population et toute son histoire. Au milieu de la Propontide la pninsule rocheuse de Cyzique et lle de Proconnse, dont les carrires de marbre ont servi lembellir, les golfes profonds

    1 VIDAL DE LA BLACHE et GALLOIS, Gographie universelle, VII, 83-84. 2 HOLMES (W. G.), The age of Justinian and Theodora, I, 10-11, 23 et s. 3 PROCOPE DE CSARE, De aedificiis, 5; VIDAL DE LA BLACHE et GALLOIS, op. cit., VIII, 85-

    86.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 7

    et parallles de Moudania et dIsmid, la riche plaine de Brousse (an-cienne Pruse), au pied de lOlympe de Bithynie qui slve 2 800 mtres, trs peuple et frquente pour ses eaux thermales, les villes aujourdhui dchues de Nicomdie (Ismid) et de Nice (Iznik) for-maient comme la grande banlieue asiatique de Constantinople.

    Tel est le carrefour privilgi o se croisaient au Moyen Age les

    quatre grandes voies qui donnaient accs aux rgions que lon doit considrer comme le domaine gographique de lEmpire.

    Et dabord les deux routes maritimes. Le Bosphore, troit couloir dune lon-

    gueur de 30 kilomtres, dont les rives se rapprochent 550 mtres en son milieu et dont le courant peut atteindre 3 mtres la seconde 4, ouvre lentre de la mer Noire, borde sur la cte anatolienne par la barrire montagneuse de larc ponti-que, interrompu par lembouchure de lHalys (Kizil Irmak) avec les seuls ports dAmastris et de Sinope. Sur la cte du Pont aux nombreuses rivires et la riche vgtation, la mtropole tait Trbizonde, dont le territoire touchait la rgion du Caucase, o se trouvait un ensemble de possessions ou dtats vassaux. Ctait dabord la Gorgie (Transcaucasie), plaine troite crase entre le Caucase et le massif armnien, mais pays de riches cultures, grce la douceur de son climat, et voie la fois commerciale et stratgique, dune part vers la Msopotamie, de lautre vers les passes du Caucase et les steppes caspiennes. Lpre cte du Cau-case occidental, habite par les Abasges ou Abkhazes, allis de lEmpire, tait couverte de forteresses et dtablissements commerciaux dont on retrouve encore les traces. Enfin la Crime compltait, comme lpoque romaine, le systme de dfense contre les peuples nomades et de pntration commerciale dans la plaine russe. Dautres nomades, Huns, Khazars, Tartares occuprent successivement les steppes du nord de la Crime, tandis qu labri des montagnes, sur la cte fertile au climat enchanteur, habitait depuis le troisime sicle de lre chrtienne une tribu de Goths, vassale de lEmpire, tablie dans de vritables rserves (climata). Byzance y conserva jusquau XIIIe sicle la possession de lancienne colonie grec-que de Kherson, ville commerciale et place de guerre, poste avanc de Constanti-nople dans la mer Noire 5. En revanche son influence ne stablit jamais sur la rgion des limans du Dniper et du Dniester, mais elle parvint conserver long-temps la possession des bouches du Danube, la province de la Petite Scythie (Do-broudja) et les ports thraces de la mer Noire 6.

    4 VIDAL DE LA BLACHE et GALLOIS, op. cit., VII, 82-85. Dpassant 10 kilomtres lheure. 5 VASILIEV (A.), The Goths in the Crimea, 3-57. 6 VIDAL DE LA BLACHE et GALLOIS, op. cit., VII 81-96; TAFRALI (O.), La Roumanie transdanu-

    bienne.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 8

    Carte I. Le domaine gographique de Byzance.

    (carte plus grande) A louest de la Propontide, lHellespont (dtroit des Dardanelles) ouvrait la

    route de la Mditerrane. Comme le Bosphore, cest une ancienne valle submer-ge, mais plus longue (75 kilomtres) et plus large (4 kilomtres en moyenne, 1 270 mtres Tchanak), dont la vitesse du courant varie de 3 8 kilomtres lheure 7. Le port de Gallipoli occupait la sortie de la Propontide listhme de la Chersonse de Thrace et sur la rive asiatique, Abydos (non loin du fort actuel de Nagara, o le dtroit na pas plus de 1 350 mtres de large) tait installe la douane impriale. Le passage franchi, la navigation tait facile dans lArchipel; cependant, pour pntrer dans le bassin oriental de la Mditerrane, il faut traver-ser une srie de barrages dtermins par la prolongation des arcs dinariques, qui par les Cyclades relient la Grce l

    cap Male au sud du Ploponnse, par les les de Cythre, de Crte, de Karpathos et de Rho-des

    .

    Asie Mineure. Des mouvements du sol ont rompu ces barrages; mais, entre les les qui reprsentent les crtes des anciennes chanes de montagnes, les passages sont troits et faciles intercepter. Un premier arc relie la pointe de lEube au mont Mycale par Andros, Tinos, Icaria, Samos; plus rapproches encore sont les les qui forment comme les piles dun pont entre le cap Sunium et la presqule dHalicarnasse, Keos, Kythnos, Sriphos, Paros, Naxos, Amorgos, Cos; enfin le troisime arc est jalonn, depuis le

    8. Loccupation de la Crte par une puissance hostile lEmpire (les Sarrasins dEspagne de 827 961, Venise aprs 1204) suffisait rendre prilleuse la navi-gation de ses flottes dans ces parages

    Il tait donc indispensable de maintenir la scurit de cette route mditerra-

    nenne en occupant fortement les les et les rivages, si riches en abris naturels, de la Grce et de lAnatolie occidentale. Cette rgion tait dailleurs le principal cen-tre maritime de lEmpire. L taient les grands ateliers de construction navale,

    7 VIDAL DE LA BLACHE et GALLOIS, op. cit., VII, 83-84. 8 Id., ibid., VII, 1, 11-12; VII, 2, 400.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 9

    aliments par les forts dAsie Mineure; l taient chelonns les grands ports de Thessalonique, Lesbos, Phoce, Smyrne, Samos, Rhodes et Candie.

    Mais Byzance ntait pas seulement une thalassocratie : les routes

    terrestres commandes par sa position la destinaient tre une puis-sance continentale et militaire.

    Au nord plusieurs voies reliaient Constantinople la valle du Danube qui ou-

    vrait un dbouch sur lEurope centrale. La plus facile traversait sa banlieue euro-penne, un plateau relev sur ses bords par une range de collines calcaires quentaillent des valles profondes, ligne de dfense naturelle, renforce depuis le VIe sicle par le Long Mur dAnastase qui protgeait la grande fort de Belgrade, vritable rservoir hydrographique de Constantinople, et barrait la presqule dune mer lautre 9. Plus loin, labaissement de la chane balkanique (cols de lEminska Planina louest de laquelle laltitude natteint plus que 200 300 m-tres) permet la route de desservir les ports de la mer Noire, Varna (ancienne Odessos) et Constantza (ancienne Constantia) jusquaux bouches du Danube 10.

    stopolis (Kavalla), Philippes (grande ville disparue, dont on vient dexplorer les ruines), Serres, et, lais

    (Valona) tait un autre port dembarquement, en face dOtrante. Cette voie tait le

    Une seconde route, dirige vers le nord-ouest, traversait la Thrace par Andri-

    nople, remontait la haute valle de la Maritza par Philippopoli et par les Portes de Trajan gagnait le bassin ferm de Sardique (Sofia actuelle) 565 mtres daltitude. Traversant ensuite les dfils de Tsaribrod et de Pirot, elle descendait la valle de la Nischava jusqu Nassus (Nisch), nud de roules des plus impor-tants, puis, par la valle de la Morava, aboutissait Belgrade. Ce chemin, an-cienne via militaris des Romains, tait regard comme la route principale de la pninsule. Cest la route du tsar des documents serbes, suivie aujourdhui par la voie ferre de Belgrade Constantinople 11. Ce fut en 1443 le Long Chemin de Jean Hunyade.

    Une troisime route se dirigeait vers le sud-ouest par Chri

    sant au sud la Chalcidique, dbouchait Thessalonique, seconde mtropole de la pninsule, do partaient trois routes dune importance vitale : au sud la route de la Grce par la valle de Temp et les Thermopyles, au nord celle de Belgrade qui remontait la valle du Vardar par Skoplje, au centre lantique Via Egnatia qui passait sous larc de triomphe de Galre, traversait la Macdoine par desse (Vo-dena), Monastir, la rgion des grands lacs, franchissait la chane de la Iablanitsa par un col de 1096 mtres et, par la valle du Shkumbi, atteignait lAdriatique Dyrrachium (Durazzo), do il tait facile de passer en Italie. Plus au sud Avlona

    9 PHILIPPSON, Das Byzantinische Reich als geographische Erscheinung, 27. 11 10 VIDAL DE LA BLACHE et GALLOIS, op. cit., VII, 495.

    CUIVI, La pninsule balkanique, 21.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 10

    vrai chemin terrestre de Constantinople en Italie et en Occident et fut suivie tou-tes les poques par les armes, les voyageurs et les plerins 12.

    Plus importante encore peut-tre tait dans lconomie de lEmpire la route

    terrestre qui traversait le plateau dAnatolie et, par les passages du Taurus cilicien, ouvrait les portes de lOrient. Aux antiques routes des Indes qui partaient de Sar-des (route royale des Perses) et dphse (poque romaine) se substitua aprs la fondation de Constantinople la voie militaire et commerciale qui traversait Bro

    l des Balkans, les ctes de lAdriatique, la valle du

    usse, Nice, Doryle (Eski-Cheir) et bifurquait Iconium (Konieh). De l, une branche empruntait lancienne route des Indes et, par Hracle (Eregli) et les pas-sages du Taurus, pntrait en Cilicie, puis en Syrie et, par Alep, gagnait la valle de lEuphrate; lautre branche remontait vers le nord-est jusqu Csare de Cap-padoce et, par la valle du Kyzil-Irmak, atteignait la branche nord de lEuphrate et, par Thodosioupolis (Erzeroum), pntrait en Armnie. La possession de ces routes suivies par les caravanes et les armes et celle des rgions quelles traver-saient taient dun intrt vital pour Byzance, qui dut les dfendre successivement contre les Perses, les Arabes et les Turcs et commena dcliner aussitt quelles lui furent interdites.

    Or ces routes terrestres et maritimes, convergeant vers le Bosphore,

    dfinissent le vritable domaine gographique de lEmpire dOrient. Lancienne Byzance stait contente de prlever des dmes fructueu-ses au passage des dtroits. Le rle historique de Constantinople consista dfendre ces grandes voies contre les invasions et les uti-liser pour son expansion : elles servirent galement ses armes, ses marchands, ses missionnaires qui faisaient rayonner au loin son in-flu nce. La pninsu e e

    Danube, les rivages de la mer Noire, lAsie Mineure, la Transcau-casie et la Haute Msopotamie, la Syrie septentrionale avec Antioche, tel est le cadre assign par la nature un tat dont Constantinople est le centre. Lpoque la plus prospre de lhistoire de Byzance est celle o elle a pu, sous la dynastie macdonienne, sassurer la possession de ce domaine dune manire inconteste. Menace la fois sur plusieurs frontires, elle avait sur ses ennemis lavantage de pouvoir manuvrer dans ses lignes intrieures et transporter facilement ses troupes dun continent lautre 13.

    12 DESDEVISES DU DEZERT (Th.) Gographie ancienne de la Macdoine, 209 et s.; HEUZET et 13

    r au secours dAlep. SCHLUMBERGER (G.), Lpope byzantine la fin du X

    DAUMET, Mission de Macdoine, 34 et s.; voir LEMERLE, Philippes 1945. En 995 Basile II retire une arme du front bulgare et lui fait traverser lAsie Mineure en 16 jours pour marche esicle, II, 88-91.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 11

    A la diffrence de lancienne Rome, la position gographique de Constantinople ne la destinait nullement devenir le sige dun em-pire mditerranen et, comme on la fait remarquer, ce fut lorsquelle eu

    pire la fois continen-tal et maritime qui raliserait la liaison entre lEurope et lAsie, entre la

    st un fait quaprs la destruc-tion de la marine vandale, Byzance recouvra la matrise de la mer et la co

    x avec Constantinople.

    t perdu les possessions extrieures quelle tait impuissante d-fendre : lgypte, la Syrie, lAfrique et mme lItalie, que, ses posses-sions formant un tat compact, son existence fut sauve par le magni-fique redressement qui atteignit son apoge la fin du Xe sicle 14. Elle semblait destine alors rgner sur un em

    culture grco-romaine, le christianisme et les civilisations de lOrient 15.

    Mais ce programme comprhensif sopposaient les traditions s-

    culaires transportes par Constantin sur le Bosphore. Successeurs lgi-times des Csars de lancienne Rome, les empereurs byzantins eurent toujours lambition de recouvrer et de rtablir dans son intgrit limmense empire dmembr par les barbares.

    Cette hantise dun empire universel, quil tait impossible de res-

    taurer sans possder la matrise inconteste de la Mditerrane et, dautre part, la ncessit de dfendre les routes terrestres et maritimes qui menaient Constantinople expliquent les contradictions de lhistoire de Byzance. Ctait, en effet, entreprendre une tche surhu-maine que de vouloir en mme temps assurer la domination impriale en Asie, dans les Balkans, dans la mer Noire, et de poursuivre dautre part sa restauration en Occident. Lexemple de Justinien et de ses suc-cesseurs le montrera suffisamment. Ce

    nserva jusqu la cration de la marine ommiade au VIIe sicle 16, mais les provinces que Justinien avait reconquises au prix de tant defforts, lAfrique, lItalie, les grandes les de la mer Tyrrhnienne, la Btique ne furent jamais agrges intimement lEmpire et faisaient figure de territoires coloniaux, dont les tendances sparatistes favori-srent leurs envahisseurs. Il en fut de mme des possessions extrieu-res qutaient la Syrie et surtout lgypte, sans cesse en conflits poli-tiques et religieu

    14 PHILIPPSON, op. cit., 48 et s. 15 Sur ce rle de liaison entre lEurope et lAsie, voir CUIVI, op. cit., 15-16. 16 PHILIPPSON, op. cit., 36 et s., Vues intressantes sur lEmpire byzantin et la Mditerrane.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 12

    Et pourtant, jusquau XIIIe sicle, les empereurs eurent frquem-

    ment des vellits de rtablir leur domination sur lOccident et repri-rent mme pied en Italie pendant prs de deux sicles. Ces tentatives la dernire est celle de Manuel Comnne taient davance voues lchec parce quen dispersant les forces de lEmpire, elles mettaient en pril la dfense du domaine gographique dont Constan-tinople tait le centre naturel et dont la possession assurait sa scurit et sa grandeur.

    Dans la masse des vnements qui se sont succd pendant la du-

    re millnaire de lEmpire, on a cherch distinguer les faits dimportance capitale qui donnent une certaine unit aux diverses p-riodes de son histoire. Les historiens ne se sont gure mis daccord sur ces coupures, car chacun deux se place un point de vue diffrent, histoire des dynasties, des institutions ou des gue 17rres . Or ce sont les pripties qua subies le domaine gographique de Byzance qui mar-qu

    ives victorieuses, suivies de restaurations plus ou moins compltes et de priodes de prosprit qui se manifes-tai

    ui permit Justinien dorganiser ltat sur des

    ent les divisions naturelles de son histoire. Trois fois ce domaine fut menac de disparition, par les barbares au Ve sicle, par les Arabes et les Slaves au VIIe, par les croiss occidentaux au XIIIe : trois fois lEmpire trouva en lui-mme les lments de dfense qui lui permirent de prparer des contre-offens

    ent par le rtablissement du prestige imprial et lexpansion toute pacifique de la civilisation byzantine en Europe.

    Ce sont ces trois renaissances dues, la premire Justinien, la

    deuxime aux dynasties amorienne et macdonienne, la troisime aux Palologues, qui marquent les vritables coupures de lhistoire de By-zance, en fonction des agrandissements ou des amoindrissements de son domaine gographique.

    Pendant la premire priode, qui dure environ trois sicles,

    lEmpire dOrient conquiert son indpendance par lexpulsion des mi-lices barbares, succs q

    17 DRUON, Synesius; DU CANGE, Historia byzantina, 31 et s.; BRHIER (Louis), Concours de

    beaut Byzance, ext. du Correspondant, avril 1937, 25-40; STEIN (E.), Untersuchungen zur sptbyzantinischen Verfassungs- und Wirtschaftsgeschichte (Mitteil. zur osman. Gesch., I et II), 229-254.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 13

    bases inbranlables et de travailler la restauration de lEmpire ro-ma

    s de cinq si-cles, est celle de lEmpire romain hellnique, dont le territoire, aprs le

    quune faible partie de son domaine gographique : en Europe, o il dut faire face aux projets ambitieux des jeunes nations serbe et bulgare, en Asie, o la cration dune nouvelle Byzance, ltat de Trbizonde, lcarta de la mer Noire, enfin Constantinople mme, dans lArchipel, en Grce o il dut supporter les exigences jamais satisfaites des rpubliques ita-liennes. Dnue des ressources ncessaires sa dfense, dchire par les guerres civiles et les querelles religieuses, Byzance fut incapable de rsister la conqute ottomane, bien que son agonie se soit prolon-ge prs dun sicle. Sa tche historique tait termine.

    in universel. Puis de nouvelles invasions (Lombards, Avars, Sla-ves, Arabes, Bulgares) arrachrent lEmpire ses possessions ext-rieures et mme une partie de son domaine gographique. Au dbut du VIIIe sicle Constantinople tait menace par les Arabes et ltat en voie de dissolution. Dun empire romain universel il ne pouvait plus tre question. Ce fut cette poque que le grec, idiome national de Constantinople, se substitua dfinitivement au latin comme langue officielle de lEmpire.

    La seconde priode, la plus longue, qui compte pr

    redressement d aux dynasties isaurienne, amorienne, macdo-nienne, correspondait exactement aux frontires de son domaine go-graphique, qui dbordait mme sur lItalie mridionale et lArmnie. Cette priode fut la plus brillante de lhistoire de Byzance, mais ses deux derniers sicles furent marqus par les invasions de peuples nou-veaux, Normands dItalie, Petchengues, Turcs Seldjoukides et enfin par celle des croiss dOccident qui parvinrent prendre Constantino-ple en 1204 et se partager les territoires de lEmpire.

    Et cependant Byzance survcut la catastrophe. Rfugis Nice,

    les empereurs y organisrent la rsistance et commencrent par une politique habile reconstituer lentement leur domaine en Asie et en Europe. Ils prparrent ainsi luvre de relvement laquelle Michel Palologue attacha son nom en reprenant Constantinople. Mais cette restauration fut incomplte et lEmpire ne put recouvrer

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 14

    LIVRE PREMIER Lempire romain universel

    (395-717)

    Retour la Table des Matires

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 15

    1. Comment lEmpire dOrient acquit son indpendance

    Retour la Table des Matires

    LEmpire dOrient fut constitu la mort de Thodose (janvier

    395), dans ses limites territoriales. Pour saisir la porte de cet vne-ment, il faut se rappeler que la division de lEmpire romain entre Ar-cadius et Honorius navait aucun caractre immuable, que les deux moitis du monde romain vivaient presque toujours spares depuis Diocltien 18 et que ce fut une circonstance imprvisible, ltablissement des peuples germaniques en Occident, qui rendit dfi-nitive une division destine rester transitoire. Pendant quen Occi-dent les chefs des milices fdres ruinaient lautorit impriale, lEmpire dOrient chappait cette mainmise. Lexpulsion de ces mi-lices hors de son territoire est le premier chapitre de ses annales, le fondement mme de son indpendance, aprs des luttes qui durrent prs dun sicle (395-488).

    Thodose navait rien trouv de mieux pour dfendre lEmpire que dy can-

    tonner les Goths en masses compactes et de confrer les plus hauts grades de larme leurs chefs nationaux. De l chez ceux-ci des ambitions jamais satisfai-tes et des rvoltes, accompagnes de pillages, comme celle dAlaric (395-397) qui, par bonheur pour lOrient, alla chercher fortune en Italie avec son peuple wisigoth 19.

    Mme ambition chez Ganas, un autre gnral goth de Thodose, qui fit assas-siner le prfet du prtoire Rufin (novembre 395). Charg de rprimer la rvolte du chef des fdrs goths dAsie Mineure, Tribigild, il sentendit avec le rebelle et, reparaissant en matre Constantinople, il exigea dArcadius lexcution de son ministre favori, leunuque Eutrope. Mais pour la premire fois les populations civiles ragirent. En Asie Mineure des troupes de paysans sopposrent efficace-ment Tribigild. A Constantinople il y eut un tel soulvement contre les Goths

    18 De 286 392 (en 106 ans), les deux moitis de lEmpire ne furent runies que pendant 25 ans. 19 LOT (F.), Les invasions germaniques, 65-71; SCHUTTE, Der Aufstand des Leon Tornikios

    (1047) 349-354; BURY (J. B.), History of the later Roman Empire, 109-115; LOT (F.), Les des-tines de lEmpire en Occident de 395 888, H. G. (M. A.), 25-27; RUFIN, Ecclesiasticae his-toriae, I. IX, P. L., XXI, 540.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 16

    quils vacurent la ville avec armes et bagages et que Ganas les suivit (12 juillet 400) 20.

    Le pouvoir civil lemporta momentanment Constantinople, mais, aprs la

    mort de Thodose II sans hritier mle, sa sur, Pulchrie, quil avait associe au trne, dut, pour le conserver, pouser un soldat obscur, Marcien, chef de la garde des buccellaires de lAlain Aspar, comte, matre de la milice et consul en 434, chef renomm et trs populaire chez les fdrs 21. Il nest pas douteux quAspar, que sa foi arienne cartait du trne, ait impos son protg Pulchrie. Marcien tant mort le 26 janvier 455, Aspar le remplaa par un autre de ses clients, le Thrace Lon, simple tribun dune troupe dintendance (7 fvrier 457) 22. La dy-nastie thodosienne tait teinte 23, il ny avait plus dempereur en Occident de-puis la dposition dAvitus (octobre 456) et pendant treize jours, du 26 janvier au 7 fvrier 457, le trne fut vacant dans les deux moitis du monde romain. Gens-ric Carthage, Thodoric II Toulouse, Ricimer Ravenne, Aspar Constanti-nople en taient les matres 24. Il entrait dans les projets dAspar de fonder une dynastie en faisant occuper le trne par Lon jusqu ce que son jeune fils, Patri-cius, qui serait dabord cr Csar, ft en ge de lui succder 25, mais, sil stait flatt de trouver dans son protg un instrument docile, il ne tarda pas tre d-tromp.

    Effray en effet de la place que son protecteur tenait dans ltat, Lon opposa

    aux troupes gothiques une milice indigne recrute dans la population guerrire des montagnes dIsaurie, maria sa fille ane Ariadne leur chef, Tarasicodissa, qui changea son nom barbare contre celui de Znon, lui donna commander un corps de sa garde, puis le nomma magister militum per Orientem la place du fils an dAspar (466-467). Une lutte terrible commena entre les deux milices et le premier acte de cette tragdie se termina par le meurtre dAspar et de ses fils, atti-rs par tratrise dans un festin (471) 26.

    Il en rsulta entre les Isauriens et les fdrs ostrogoths cantonns en Pannonie

    une guerre civile qui dsola lEmpire pendant vingt ans. Les provinces en fai-

    20 BURY (J. B.), History of the later Roman Empire (802-867), I, 127-135; KOULAKOVSKY, Isto-riia Vizantii, I, 160-168 (rcit le plus complet). Les contemporains saisirent limportance de lvnement, que Synesius alors Constantinople raconta dans un roman clef : De la Provi-dence, P. G., LXVIII, 1209 et s.

    21 PARGOIRE, Lglise byzantine de 527 847, I, 520-521; BURY (J.-B.), History of the later Roman Empire, I, 235-237; TOESCA (P.), Storia dellarte italiana, I, 330 (disque de Florence montrant Aspar en costume consulaire); D. H. G. E., 1062-1066.

    22 BURY (J. B.), op. cit., I, 314-316, rcit daprs le procs verbal de lintronisation conserv par Pierre le Patrice, CONSTANTIN VII Porphyrognte, (De Cerimoniis aulae byzantinae), 745-769.

    23 Sauf Eudoxia, fille de Thodose II, et ses deux filles alors captives de Gensric. 24 BRHIER (L.), La crise de lEmpire romain en 457, Ext. de M. S, 1929., 86-87. 25 ID., ibid., 89; D. H. G. E., 1064. Daprs Thodoric alors otage Constantinople, Aspar aurait

    refus lEmpire pour lui-mme (Anagnosticum regis, A. A., XII, 425). 26 D. H. G. E., 1066; STEIN (E.), Geschichte des sptrmische Reiches, I, 529-534; BURY (J. B.),

    op. cit., I, 316-320. Des ngociations avaient eu lieu Chalcdoine, o Lon avait feint de se rconcilier avec Aspar.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 17

    saient malheureusement les frais et les belligrants ne suspendaient leurs hostilits que lorsque la rgion quils pillaient ne pouvait plus les nourrir 27 . Aprs la mort de Lon, la succession au trne devint lenjeu de la lutte. Le beau-frre du dfunt, Basiliscus, favorable aux Goths, parvint se substituer Znon qui se rfugia en Isaurie, mais aprs vingt mois de rgne il fut renvers lui-mme 28 et Znon res-taur dut faire face lensemble des fdrs gothiques. A son principal adversaire, Thodoric Strabo (le Louche) il opposa son homonyme, Thodoric 1Amale, le futur conqurant de lItalie, gard en otage Constantinople depuis 459 29, mais les deux princes sunirent contre lui. Znon ayant russi dtacher Strabo de cette alliance (478), lAmale continua la guerre et, dj politique avis, traversa la Ma-cdoine et, semparant de Dyrrachium, en fit une place de sret. Il parvint ainsi obtenir de Znon des titres, de lor et un cantonnement pour son peuple en Msie (483), puis, au bout de quatre ans, les ressources de cette province tant puises, il marcha sur Constantinople dont il vint ravager la banlieue 30. Tout tait re-commencer.

    Ce fut alors que les adversaires se mirent daccord pour adopter

    une solution dont les consquences historiques devaient tre consid-rables. Thodoric fut charg de reconqurir lItalie, au pouvoir dOdoacre et des Hrules depuis 476 31. Au printemps de 488, il va-cuait la Msie et entranait son peuple vers des destines nouvelles. La question des milices gothiques tait rsolue ; celle des milices isau-riennes, aussi dangereuses pour le pouvoir, ne ltait pas encore.

    En effet, aprs la mort de Znon (9 avril 491), Longin, son frre, sentendit

    avec les Isauriens pour se faire proclamer empereur, mais la veuve du dfunt, Ariadne, gagna le snat et fit lire un dignitaire g de 60 ans, le silentiaire Anas-tase 32. Aussitt les Isauriens prirent les armes, mais le nouveau prince rassembla dautres troupes et les expulsa de Constantinople. Loin daccepter leur dfaite, ils regagnrent leur pays, formrent une nouvelle arme et prirent la route du Bos-

    27 Ce fut pour cette raison que Thodoric Strabo, aprs avoir ravag la Macdoine, traita avec

    Lon en 473. Sur ce trait : STEIN op. cit., I, 534. 28 A la suite dun complot organis par Vrine, veuve Lon, Znon stait rfugi en Isaurie, D.

    H. G. E., 1237-1239 ; BURY, op. cit., I, 391. 29 Daprs le trait conclu entre Lon et Thodemir, pre de Thodoric qui venait de piller

    lIllyricum, STEIN (E.), op. cit., I, 527. 30 LOT (F.), Les destines de lEmpire en Occident de 395 888, H. G. (M. A.), I, 1928, p. 107;

    BURY, op. cit., I, 421-422; MARTROYE (F.), LOccident lpoque byzantine : Goths et Van-dales, 15.

    31 Daprs certaines sources, ce fut Thodoric qui offrit Znon de conqurir lItalie (A. A.,V, 132-133; PAUL DIACRE, De gestis Langobardorum, S. R. L., I, 100). Daprs dautres, la pro-position vint de Znon (Anonyme Valois, Pars posterior , IX, I, p. 316; IORDANIS, Romana et Getica, V, 1, 9). Le premier tmoignage est le plus vraisemblable. Thodoric venait de don-ner asile au chef des Ruges chass de son royaume par Odoacre, MARTROYE, op. cit., 10-11. Sur la nature du pouvoir confr Thodoric, F. LOT, op. cit., 111-112.

    32 D. H. G. E., 1447. Sur son intronisation, voir procs-verbal recueilli par Pierre le Patrice, CONSTANTIN VII Porphyrognte, op. cit., 769-782; cf. BURY, op. cit., I, 429-432.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 18

    phore. Anastase improvisa aussi une arme qui arrta et battit les rebelles Co-tyaeon (Kutayeh) en Phrygie et les fora se rfugier dans le Taurus, o ils tinrent encore la campagne pendant six ans (491-497) 33.

    Au cours de sa longue histoire, lEmpire dOrient devait tre en-

    core bien des fois troubl par des rvoltes militaires, mais qui ne fu-rent que des querelles entre prtendants au trne. Le danger auquel il chappa au Ve sicle, la conqute, labsorption par des milices trang-res, le menaait au contraire dans son existence. Et ce fut parce quil vita le sort funeste qui avait accabl lOccident, quil perptua sur le Bosphore la tradition de lEmpire romain, dont il se considrait bon droit comme lhritier lgitime.

    Et pendant ces luttes tragiques lEmpire dOrient avait eu se d-

    fendre contre dautres prils non moins pressants. Sa frontire du Da-nube tait menace par les Huns auxquels il versait un vritable tribut sous forme dannone et il en enrlait un certain nombre dans ses ar-mes. Ces relations pacifiques furent rompues lorsque leurs hordes parses et les peuples quelles avaient soumis furent rassembls sous le commandement unique du chef impitoyable et insatiable qutait Attila. Des expditions de pillage ravagrent les provinces balkani-ques en 435, en 441, en 447, chacune suivie dun trait de plus en plus onreux pour lEmpire 34. Il en fut ainsi jusquau jour o les exigences dAttila se heurtrent la fermet de Marcien, qui refusa dacquitter le tribut promis par le honteux trait de 449 35. Attila, semble-t-il, nosa essayer de forcer la grande muraille de Constantinople, construite par le prfet Anthmius en 413 et restaure la hte par Cyrus, lors de linvasion de 447 36. Les Huns prirent subitement la route de lOccident, librant ainsi Byzance de leur menace perptuelle.

    En Asie la paix rgna jusqu la fin du Ve sicle avec la Perse sas-

    sanide et nulle circonstance ne pouvait tre plus favorable laffermissement du jeune Empire dOrient. Les deux tats se consi-

    33 BURY, op. cit., 432-433. 34 GROUSSET, LEmpire des steppes, 115-124; F. LOT, Les invasions germaniques, 100-104;

    BURY, op. cit., I, 271-276. Rcit de lambassade de Priscus en 448, PRISCUS PANITES (Excerp-ta de legationibus), F. H. G., IV, 69-110; BURY, op. cit., I, 279-288.

    35 Ce tribut se montait plus de cent livres dor, LYDUS (Jean), De magistratibus populi romani, 132; THOPHANE le Confesseur, Chronographia, 108 (a. 5946).

    36 C. I. L., III, 1, 734; WEIGAND, Das goldene Thor in Konstantinopel (ext. de A. M,, 1914, p. l-9).

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 19

    draient comme les seuls civiliss et leur solidarit en face des barba-res saffirmait par la dfense frais communs des passes du Caucase contre les Huns Ephtalites qui menaaient galement les deux empi-res. Ce fut justement le refus par Anastase de verser la subvention ha-bituelle en 496 qui provoqua une guerre de trois ans (502-505) dont le thtre fut la Haute Msopotamie. Par le trait sign entre Anastase et Kawadh, les Perses restiturent, moyennant une forte indemnit, les villes quils avaient prises et, pour assurer la frontire, Anastase fonda en face de la ville perse de Nisibe la puissante forteresse de Dara 37.

    Obligs de dfendre lexistence mme de leur tat, les souverains

    de Constantinople ne pouvaient songer sopposer aux entreprises des milices barbares en Occident. Les interventions de Lon pour placer sur le trne occidental des hommes de la valeur dun Majorien (457-461) et dun Anthmius (467-472) furent striles 38. Plus efficace au-rait pu tre la lutte contre les Vandales, dont la marine menaait les deux moitis de lEmpire et venait cumer les ctes de Grce. Mais les tentatives diriges contre Carthage se heurtrent la diplomatie cauteleuse et la perfidie de Gensric, qui sut par des ngociations rendre inutile la flotte qui avait fait escale en Sicile en 441 39, et d-jouer la coalition forme contre lui par les deux empires en 468 en incendiant la magnifique armada que Lon avait eu le tort de confier lincapable Basiliscus 40. Par la paix perptuelle signe en 475 entre Znon et Gensric 41, renouvele par Anastase et Trasamond 42, lAfrique semblait chapper dfinitivement lEmpire.

    Et tout en conqurant son indpendance, Byzance prenait dj la

    physionomie caractristique qui persista pendant toute son histoire, romaine par ses traditions, hellnique par sa culture, orientale par ses mthodes de gouvernement, qui donnaient souvent une place exagre dans ltat lentourage priv du prince, aux eunuques de son cubicu-

    37 DIEHL et MARAIS, Le monde oriental de 395 1081, H. G. (M. A.), III, 42-43; GUTERBROCK,

    Byzanz und Persien, 29-31; BURY, op. cit., II, l-15; HONIGMANN, Die Ostgrenze des byzanti-nischen Reiches von 363 bis 1071, C. B., 9-12; CHAPOT (V.), La frontire de lEuphrate de Pompe la conqute arabe, 312-319.

    38 BRHIER (L.), La crise d lEmpire romain en 457, 94-96 ; BURY, op. cit., I, 335. 39 MARTROYE, Gensric. La conqute vandale en Afrique et la destruction de lEmpire

    dOccident, 133-136. 40 Id., ibid., 213-224; BURY op. cit., I, 332-337. 41 MARTROYE, op. cit., 253 255. 42 THOPHANE le Confesseur op. cit., I, 187, 17-19.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 20

    lum, aux impratrices et aux princesses qui se disputrent le pouvoir sous les deux derniers reprsentants de la dynastie thodosienne 43.

    Ce ne fut donc pas ces princes dgnrs, qui passrent une exis-

    tence oisive, confine au Grand Palais, que lEmpire dOrient dut son salut, mais aux hommes dtat dorigine romaine, un Aurlien, un Anthmius, dont ils surent parfois sentourer, et aussi aux hommes nouveaux qui furent leurs successeurs et, dfaut de qualits brillan-tes, eurent lnergie ncessaire pour dfendre ltat contre les prils qui le menaaient.

    Cest ces bons serviteurs quest due lactivit lgislative de cette

    poque, et dabord le premier recueil officiel des constitutions imp-riales, rassembles jusque-l dans des collections prives, le Code Thodosien, promulgu au nom de Thodose II et Valentinien III le 15 fvrier 438 44 et complt par un grand nombre de novelles, re-cueillies plus tard par le Code Justinien.

    Byzance revendiquait ainsi lhritage de Rome et manifestait en

    mme temps son activit cratrice, mais ce qui est plus remarquable encore, ltat prit sa charge la sauvegarde de la culture antique par la fondation au Capitole dun auditorium, vritable Universit dote de 31 chaires partages entre les langues grecque et latine 45, point de dpart dune tradition qui devait se perptuer jusquaux derniers jours de lEmpire.

    Cependant, des maux qui dataient de loin rendaient la situation in-

    trieure incertaine : le dveloppement inquitant de la grande propri-t qui mettait en pril lautorit de ltat, la fiscalit qui dpeuplait les campagnes et ruinait les bourgeoisies urbaines, lindiscipline du peu-ple des grandes villes favorise par les factions du Cirque, surtout lagitation religieuse gnratrice de rvoltes et de difficults insur-montables.

    43 Sous Arcadius, Eutrope. Sous Thodose II, rivalit entre Pulchrie et limpratrice Athenas-

    Eudoxie, puis leunuque Chrysaphios. DIEHL (Ch.), Une rpublique patricienne. Venise, By-zance : grandeur et dcadence. I, 7-10, 39-42.

    44 KRGER, Histoire des sources du droit romain, 381 et s ; BURY, op. cit., I, 232-235; STEIN (E.), Geschichte des sptrmischen Reiches, I, 431. Depuis 448 le lois promulgues Cons-tantinople ne sont plus envoyes Rome (Millet, M. G., 629-630).

    45 C. th. XIV, IX, 3 (1) ; BRHIER (L.), Notes sur lhistoire de lenseignement suprieur By-zance, ext. B. N., III, 1926, p. 7 et 82-94.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 21

    Ctait dabord la lutte contre le paganisme, encore trs rpandu

    dans les hautes classes et dans les campagnes en dpit des dits imp-riaux, en Grce, o lUniversit dAthnes tait comme son dernier refuge, en gypte 46, en Syrie 47, Constantinople mme, o des chai-res officielles taient occupes par des paens 48. Laction du gouver-nement, oblig des mnagements, tait souvent dpasse par des ex-plosions de fureur populaire qui ensanglantaient les villes 49. Une ten-tative comme celle de Pamprepios pour rtablir le culte aboli montre qu la fin du Ve sicle la question du paganisme tait toujours pen-dante 50.

    De mme lapplication des dits impriaux contre les hrsies

    condamnes par les conciles tait une source de difficults. Les mili-ces fdres qui professaient larianisme staient fait concder le li-bre exercice de leur religion et mme plusieurs glises de Constanti-nople, qui leur furent retires aprs la chute de Ganas 51.

    Mais lagitation la plus dangereuse tait due aux conflits qui rgnaient entre

    les thologiens. Spculant sur les dogmes, ils cherchaient sappuyer sur le pou-voir imprial et soulever lopinion populaire pour imposer leurs doctrines, do les schismes, les meutes, les perscutions et les menaces de guerre civile. Ds le dbut du Ve sicle les controverses taient si acharnes quon en discutait passion-nment dans les boutiques de Constantinople 52. La lutte portait sur la dfinition de la nature du Christ, homme, n dune simple femme, qui par ses vertus avait mrit de sunir au Verbe ternel daprs lcole dAntioche, rest Dieu dans sa vie terrestre sans confusion avec la nature humaine daprs celle dAlexandrie 53. Les deux doctrines, lune rationaliste, lautre mystique, mettaient en pril le dogme de lIncarnation reconnu par le concile de Nice. Celle des deux personnes et des deux natures, soutenue par le patriarche de Constantinople Nestorius (428-431), fut condamne, grce lautorit du patriarche dAlexandrie, Cyrille, au

    46 MASPERO (J.), Horapollon et la fin du paganisme gyptien, ext. B. I. F. A. O., XI, 1914 p.

    164-195; WILCKEN, Heidnisches und christliches aus Aegypten, ext. A. P., I, 1901, p. 407-419.

    47 Sur la destruction de temples de Gaza en 402, MARC LE DIACRE, Vie de Porphyre, vque de Gaza, XLVII-LXX et ch, 63-69.

    48 ASMUS, Pamprepios... B. Z.. XXII, 1913, p. 326. De mme Alexandrie. Sur Jean Philopo-nos, MASPERO (J.), Histoire des patriarches dAlexandrie (518-610), 47.

    49 Comme celle dAlexandrie ensanglante par le meurtre dHipathie (mars 415). BURY, op. cit. I, 216-221.

    50 Au moment de la rvolte dIllus en 484, ASMUS, op. cit., 336-337. 51 Voir ZEILLER, M. A. H., 1904, p. 30 et s. 52 HESSELING, Essai sur la civilisation byzantine, 24 (vers 395, daprs saint Grgoire de Nysse). 53 DUCHESNE (L.), glises spares, 38-40; DIEHL et MARAIS, Le monde oriental de 395

    1081, loc. cit., 22-24.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 22

    concile cumnique dphse (431) 54. Nestorius fut dpos et ses adhrents ex-pulss de lEmpire portrent sa doctrine en Perse, do elle devait rayonner jus-quen Chine 55.

    La doctrine de la nature unique du Christ (monophysite) fut dfendue par un

    moine de Constantinople, Eutychs, qui fut excommuni par le synode patriarcal en 448 56, mais que Dioscore, successeur de Cyrille Alexandrie, essaya de faire rhabiliter dans un concile tumultueux, connu sous le nom de brigandage dphse (aot 449) 57. Pour calmer lagitation qui sensuivit, Marcien et Pulch-rie convoqurent Chalcdoine un concile cumnique qui dposa Dioscore et approuva la doctrine expose par le pape Lon, qui Eutychs avait fait appel, dans sa lettre dogmatique : un seul Seigneur en deux natures sans confusion ni sparation 58 (octobre 451).

    Loin de ramener la paix, le concile de Chalcdoine, dont les dcisions furent

    rendues obligatoires par des dits impriaux, provoqua un soulvement dans tout lOrient, un schisme dans chaque glise, des troubles graves en gypte 59. Pen-dant son rgne trs court (475-476), Basiliscus fora les vques signer son En-cyclique, qui le rejetait. Pouss par le patriarche Acace, Znon publia en 482 un dit dunion (Henotikon) qui neut dautre rsultat que de provoquer un schisme de 34 ans (484-518) entre Rome et Constantinople 60.

    Telle tait la situation au moment de lavnement dAnastase. Son

    rgne, une fois la menace des milices barbares conjure, aurait pu tre rparateur, car ce modeste silentiaire se montra excellent administra-teur. Soucieux dassurer la scurit de lEmpire, il restaura les places fortes des frontires, rorganisa les corps de limitanei, chargs de les dfendre, et protgea les abords de Constantinople par la construction de son Long Mur 61. Pour remdier la mauvaise administration des villes, il publia une loi hardie, inspire par son conseiller le Syrien Marinus, prfet du prtoire, en attribuant leur administration un

    54 FLICHE et MARTIN, Histoire de lEglise, IV, 163-186; DIEHL et MARAIS, op. cit., 26-28. 55 Le nestorianisme se maintint lcole ddesse, ferme en 489 par ordre de Znon et trans-

    porte Nisibe en Perse, FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 326-328; LABOURT, Le christianisme dans lEmpire perse..., 131-141. Sur lexpansion du nestorianisme en Extrme-Orient et linscription de Si-gnan-fou, D. A. C. L., III, 1353-1385.

    56 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 211-217. 57 ID., ibid., IV, 220-223. 58 Ibidem, IV, 219 et 224-240; DIEHL et MARAIS, op. cit., 30 33. 59 Aprs la mort de Marcien (457), lection au patriarcat dAlexandrie du monophysite Timothe

    et massacre du patriarche orthodoxe Proterius (28 mars), FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 280. 60 DIEHL et MARAIS, op. cit., 34-35; FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 284-297. 61 DIEHL et MARAIS, op. cit., 42-46; D. H. G. E., II, 1449-1451; MASPERO (J.), Organisation

    militaire de lEgypte byzantine, 23-25.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 23

    fonctionnaire dtat 62. En supprimant les dpenses inutiles, il allgea les charges des populations et remplit le trsor public 63, mais, en d-pit de ces sages rformes, cause de sa politique religieuse, il laissa lEmpire dans un tat troubl.

    Par son pass en effet il tait suspect de sympathies pour les mono-

    physites et, avant de le couronner, le patriarche Euphemios exigea de lui une profession de foi par laquelle il sengageait respecter les d-crets de Chalcdoine 64. Mnageant dabord les orthodoxes, il fit, pour mettre fin au schisme avec Rome, plusieurs tentatives sans rsultat 65, puis il se mit favoriser ouvertement les monophysites, dposant suc-cessivement Euphemios (496), puis son successeur Macedonius (511), puis Flavien, patriarche dAntioche, remplac en 512 par le grand thologien du parti monophysite, Svre 66. Une vritable terreur r-gna dans le clerg orthodoxe, dont les rsistances taient punies de dpositions et dexil. Des meutes qui clatrent Constantinople fu-rent rprimes cruellement et en 513, prenant en main la cause des orthodoxes, le comte Vitalien, petit-fils dAspar, chef de larme du Danube, se rvolta et, avec des alternatives de succs et de revers, tint la campagne jusqu la mort dAnastase en 518 67. Aprs avoir donn aux monophysites des positions inexpugnables qui rendaient toute conciliation impossible, Anastase laissait lEmpire en proie des divi-sions irrmdiables et menac dune guerre civile.

    62 LYDUS (Jean), De magistratibus populi romani, III, 49, 138; BURY (J. B.), History of the later

    Roman Empire, I, 442-444. 63 DIEHL et MARAIS, op. cit., 44. 64 D. H. G. E., II, 1448; SICKEL, Das byzantinische Krnungsrecht bis zum Xter Jahrhunderts,

    ext. B. Z., VII, 1898, p.522-523. Avant son avnement il aurait t chass de lglise par Eu-phemios, THOPHANE le Confesseur, Chronographia, I, 134, 19-24.

    65 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 301-307. 66 Ibidem, IV, 308-320. 67 DIEHL et MARAIS, op. cit., 45; BURY, op. cit., I, 447-452.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 24

    2. Luvre de restauration de Justinien

    Retour la Table des Matires Partant des rsultats acquis par les empereurs du Ve sicle, Justin et

    surtout Justinien entreprirent de les complter, en rendant la paix reli-gieuse lEmpire et en restaurant 1Orbis romanus dans son intgrit.

    Anastase laissait trois neveux, mais son principal ministre,

    leunuque Amantius, dvou aux monophysites, voulait donner le trne lun de ses familiers 68. Djouant ses projets, le Snat, daccord avec le peuple de Constantinople, proclama empereur le comte des excubiteurs Justin. Ag de 68 ans, dune famille de paysans macdoniens de la rgion de Skupi (Skoplje), fils de ses uvres et peu lettr, il avait fait sa carrire dans larme. Il tait attach lorthodoxie du concile de Chalcdoine 69 (9 juillet 518).

    Sans enfants, Justin avait adopt son neveu Fl. Petrus Sabbatius

    Iustinianus, n Tauresium en 482 70, et lui avait fait donner une bril-lante et solide instruction. Une fois empereur, Justin rsolut den faire son successeur et lui confra titres et honneurs. Consul en 521, Justi-nien se rendit populaire par ses dpenses fastueuses 71. Catholique z-l, il prit la plus grande part au rtablissement de lorthodoxie.

    Six jours aprs lavnement de Justin, le patriarche Jean, entour

    par une foule dchane, dut monter lambon et reconnatre le concile de Chalcdoine 72 et un dit de Justin exigea la mme adh-sion de tous les vques et de tous les sujets de lEmpire 73. Une rac-tion violente contre les monophysites agita tout lOrient. A Antioche,

    68 BURY, op. cit., II, 16; FLICHE et MARTIN, op. cit., 65 et s. 69 DIEHL et MARAIS, op. cit., 47-48. 70 VULI (N.), Origine et race de lempereur Justinien, 5-8. 71 MARCELLINUS COMES, d. Mommsen, a. 521; DARKO, Byzantinisch-ungarische Beziehungen

    in der zweiten Hlfte des XIII. Jahrhunderts, 6-7, fig. 3 (diptyque consulaire de Justinien). 72 DUCHESNE (L.), Lglise au VIe sicle, 46; MASPERO, Histoire des patriarches dAlexandrie,

    67. 73 OMAN (Ch.), A history of the art of war in the Middle Age. II, 180; FLICHE et MARTIN, op. cit.,

    IV, 426-427.

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    Svre fut remplac par un orthodoxe et senfuit Alexandrie 74. Les dpositions et exils dvques, les perscutions contre les moines, sur-tout en Syrie, furent nombreuses 75. Aprs de longues ngociations entre Justin et le pape Hormisdas, auxquelles Justinien participa, des lgats pontificaux vinrent Constantinople et mirent fin au schisme qui durait depuis 34 ans 76.

    Dans son zle orthodoxe, Justin publia (vers 524) un dit contre les ariens, qui

    atteignait les Goths et autres Germains au service de lEmpire et fit fermer leurs glises Constantinople 77. Il en rsulta un conflit avec Thodoric qui menaa duser de reprsailles et fora le pape Jean Ier se rendre Constantinople pour demander labrogation de ldit. Reu avec les plus grands honneurs, le pape ob-tint seulement que les fdrs goths en fussent excepts 78. Thodoric mcontent jeta le pape dans une prison o il mourut et prpara un dit de confiscation des glises orthodoxes, mais il termina lui-mme ses jours le 30 aot 526 79. Moins dun an aprs, Justin mourait son tour (1er aot 527), aprs avoir confr le titre dAuguste son neveu et lavoir fait couronner par le patriarche avec sa femme Thodora 80.

    Justinien fut donc reconnu empereur sans difficult. Pendant le r-

    gne de son oncle il avait pu se faire une ide des obstacles quil ren-contrerait sur sa route : turbulence du peuple de Constantinople et des factions du Cirque, rsistance des Orientaux aux dits orthodoxes de Justin, conflits avec la Perse. Dou de qualits brillantes, possdant un savoir encyclopdique et une grande facilit dassimilation, avec un got particulier pour la thologie, il manifesta son activit dans tous les domaines, tranchant lui-mme toutes les questions du fond de son palais, quil ne semble jamais avoir quitt pendant tout son rgne, me-nant une vie trs simple, presque asctique, mais soucieux de faire respecter le prestige imprial par la magnificence des crmonies et attach la tradition de lancienne Rome, dont il rappelait avec fiert les fastes dans ses dits 81. Faire rgner lordre par la force des lois

    74 MASPERO, op. cit., 69-70: VASILJEV, B. Z., XXXIII, 1933, 71. 75 MICHEL le Syrien, Chronique universelle, II, 170-176. 76 FLICHE et MARTIN, op. cit. IV, 427-429; DUCHESNE, op. cit.. 49-64; Correspondance entre le

    pape et Constantinople (Collectio Avellana), C. S. E. L., XXXV : Epistulae imperatorum, pontificum aliorum inde ab a. CCLCXVII usque ad a. DLIII datae.

    77 BURY, op. cit., II, 156. 78 FLICHE et MARTIN, op. cit. IV, 435. 79 Liber pontificalis Ecclesiae Romanae, I, 276; Anonyme Valois Pars posterior , 328. 80 Le 4 avril prcdent, BURY, op. cit., II, 23. 81 Prface II du Code (dbut). Dans ses dits il rappelle Ene, reipublicae princeps, les rois de

    Rome, le grand Csar, le pieux Auguste.

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    dans ltat comme dans lglise, tel tait le premier article de son programme. Mais cet homme, dont la volont tait en apparence si absolue, qui se considrait comme seul responsable devant Dieu du salut de lEmpire, qui voulait tout voir par lui-mme et dcider tout en dernier ressort, se dfiait des volonts indpendantes de la sienne et employait souvent des subalternes dont il subissait linfluence. Parmi ses collaborateurs limpratrice Thodora tient la premire place. Dorigine trs basse, ancienne actrice qui figurait au Cirque dans les tableaux vivants, elle mena sur le trne une vie irrprochable, fondant des monastres, aimant le faste et la reprsentation 82, comble dhonneurs par son poux, qui apprciait la solidit de son esprit et la consultait souvent. Trs pieuse, mais attache par ses origines la doctrine monophysite, elle protgeait ouvertement ses coreligionnai-res et son action devait tre prpondrante dans la politique religieuse de Justinien 83.

    Le rgne de Justinien, qui dura 38 ans, se partage en trois priodes

    trs nettes. De 527 533, il labore et prcise son programme de gou-vernement, acquiert lautorit et le prestige et manifeste son dsir de raliser lunit dans tous les domaines. La priode suivante (533-540) est celle de laction victorieuse ; la dernire priode, la plus longue, est celle des difficults et des revers (540-565).

    La premire pense de Justinien parat avoir t de raliser lunit

    lgislative et dtablir lenseignement du droit sur la base inbranlable de la jurisprudence romaine. Sept mois aprs son avnement, le 23 fvrier 528, il nommait une commission charge de rdiger un nou-veau code des constitutions impriales, en liminant les lois primes et en y agrgeant les nombreuses novelles postrieures la publication du Code Thodosien 84. Le 7 avril 529, le Code Justinien tait pro-mulgu 85, mais ds 534 lempereur en publiait une deuxime dition, la seule qui nous soit parvenue. Le 25 dcembre 530, une commission prside par Tribonien dut extraire de luvre des anciens jurisconsul-tes les rgles de droit priv toujours applicables et en constituer un code. Ce fut le recueil des Pandectes ou Digeste, promulgu le 15 d-

    82 Mosaques du choeur de Saint-Vital Ravenne: entre de Thodora dans la basilique. Repro-

    duction, NICPHORE le Patriarche, , Breviarium, pl. X. 83 DIEHL, Thodora, impratrice de Byzance, sur sa religion, id., 233-288. 84 C. J., prface I, ad senatum. 85 C. J., prface II.

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    cembre 533. Le 21 novembre prcdent, la publication des Institutes, manuel destin ltude du droit et mis au courant de la nouvelle lgi-slation, complta ce monument incomparable 86.

    Ces travaux se poursuivaient au milieu des soucis que donnait la si-

    tuation de lEmpire. A Constantinople les querelles incessantes entre les factions du Cirque, lpret du prfet du prtoire Jean de Cappa-doce et des condamnations arbitraires prononces par le prfet de la ville amenrent la terrible rvolte qui clata lHippodrome en pr-sence de lempereur et dura une semaine, du 11 au 18 janvier 532 87. Les meutiers incendirent le palais du prfet et le feu gagna le Grand Palais, lglise Sainte-Sophie et les quartiers voisins. Un neveu dAnastase, Hypatios, fut proclam empereur. Justinien songeait fuir en Asie, lorsque Thodora releva son courage. Les troupes comman-des par Blisaire et Narss cernrent les rebelles qui furent massacrs impitoyablement. Justinien avait dompt les lments de dsordre et son pouvoir tait dsormais assur. Au lendemain mme de sa vic-toire, il commena rdifier somptueusement les difices incendis. Ds le mois de fvrier 532, commenaient les travaux de Sainte-Sophie sur les plans grandioses dIsidore de Milet et dAnthmius de Tralles et, cinq ans plus tard, le 26 dcembre 537, avait lieu sa ddi-cace solennelle 88.

    Ds son avnement Justinien soccupa de la question religieuse et, dans son

    dsir dunit, aggrava les lois contre les dissidents. Une loi publie vers 528 obli-gea les paens se faire instruire et baptiser sous peine de confiscation 89. Des moines monophysites dirigs par Jean dAsie convertirent en masse les paysans dAnatolie 90. Lcole dAthnes fut ferme en 529 et ses matres se rfugirent en Perse 91. Les hrtiques furent exclus de toutes les fonctions 92, Seuls les mo-nophysites chapprent aux poursuites et Thodora put installer au palais de

    86 C. J., prface III; Dig., prfaces 1 et 2; Inst. proaemium. 87 DIEHL, Justinien et la civilisation byzantine au VIe sicle, 455-456; BURY, op. cit., II, 39-48,

    71-74; Principales sources : PROCOPE de Csare, Bellum Persicum, I, 24-25; MARCELLINUS COMES, a. 532; MALALAS (J.), Chronographie, P. G., XCVII, 688-690. Dialogue entre Justi-nien et les factions lHippodrome (11 janvier) dans Thophane. Cette meute porte le nom de Sdition Nika, du cri de guerre des insurgs. THOPHANE le Confesseur, Chronographia, (a. 6024).

    88 DIEHL, Manuel dart byzantin, 154-156; ID., Justinien et la civilisation byzantine au VIe si-cle, 467-495.

    89 C. I. C. I., C. J., XI, 9-10; FLICHE et MARTIN, op. cit., IV 442-443. 90 R. O. C., II, 1897, p. 482 et s.; DUCHESNE (L.), LEglise au VIe sicle, 276-280; MICHEL LE

    SYRIEN, Chronique universelle, II, 207-208. 91 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 445. 92 C. I. C. I., C. J., IV, 20; FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 447.

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    Hormisdas un vritable monastre monophysite, tandis que le culte dissident tait clbr ouvertement au faubourg des Sykes 93. Justinien avait conu le projet de rallier les monophysites lorthodoxie moyennant quelques concessions 94. En 533 il prsida une confrence entre vques orthodoxes et monophysites et publia ses deux premiers dits dogmatiques o il condamnait les doctrines tendance nestorienne des moines Acmtes, afin de faciliter le rapprochement 95.

    A lextrieur la guerre avec la Perse, qui menaait depuis longtemps, clata

    propos du protectorat des peuples du Caucase en 527. Blisaire, gouverneur de Dara, repoussa victorieusement lattaque des Perses contre cette place (530) et les empcha denvahir la Syrie par la victoire quil remporta Callinicum sur lEuphrate (531). En 532 un nouveau roi de Perse, Chosros Anourschivan, pro-posa Justinien un trait de paix ternelle, que lempereur, tout entier ses pro-jets sur lOccident, se hta de signer, mais, pour se garantir contre la Perse, il noua des alliances prcieuses avec les princes du Caucase et le ngus dthiopie 96. Pour faire contrepoids ltat arabe de Hra, au service des Perses, il cra en 531 celui de Bostra, dont le chef, Harith-ibn-Gabala (Arthas) de la dy-nastie des Ghassanides, chrtien et monopohysite, reut les titres de phylarque et de patrice 97.

    Ce fut alors que, se sentant les mains libres, Justinien crut le mo-

    ment venu daccomplir son grand dessein : reconqurir lOccident, restaurer lEmpire romain dans son intgrit. Les circonstances taient favorables. En Afrique le roi vandale Hildric, ami de lEmpire et pro-tecteur des catholiques, avait t dpos et remplac par Glimer, d-vou larianisme 98. En Italie, depuis la mort de Thodoric, sa fille Amalasonthe tait rgente au nom de son fils, Athanaric, mais celui-ci tant mort en 534, Amalasonthe dut partager le pouvoir avec son cou-sin, Thodat, qui linterna dans une le du lac de Bolsena et la fit trangler (535). Justinien se dclara son vengeur 99. Chez les Francs, Justinien tait lalli de Thodebert, fils de Clovis, contre les Ostro-goths qui occupaient la Provence 100.

    Glimer ayant repouss les satisfactions demandes par Justinien, la guerre contre les Vandales fut dcide 101.

    93 DUCHESNE, Les protgs de Thodora, M. A. H., 35, 1915, 57-79. 94 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 448-449. 95 Ibidem, IV, 449-451. DUCHESNE, Lglise au VIe sicle, 82-85; C. J., I, 6-7. 96 DIEHL, Justinien et la civilisation byzantine au VIe sicle, 381-385 et 394-398. 97 Ibidem, 387-396; BURY, History of the later Roman Empire, II, 91-92. 98 MARTROYE, LOccident lpoque byzantine : Goths et Vandales, 213-221; DIEHL, op. cit.,

    173-174. 99 MARTROYE, op. cit., 155-174 et 260-279. 100 PROCOPE DE CSARE, Bellum gothicum, I, 5 et 13. 101 Malgr les avis de Jean de Cappadoce, PROCOPE, Bellum vandalicum, I, 10.

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    Au mois de juin 533, Blisaire, dont la rputation tait dj grande 102 quittait

    Constantinople avec une arme de 15 000 hommes et une flotte de 92 dromons, dbarquait sans rsistance 5 journes de Carthage (septembre), battait Glimer Decimum, entrait Carthage, bien accueilli de la population, et, aprs avoir infli-g une nouvelle dfaite Glimer, le faisait prisonnier dans Hippone (mars 534) 103. Enthousiasm par un succs aussi rapide, Justinien rorganisait ladministration de lAfrique (13 avril 534), constitue en prfecture du prtoire et divise en sept provinces 104. Mais la conqute tait loin dtre acheve. Le suc-cesseur de Blisaire, Solomon, dut rprimer une insurrection des Berbres qui navaient jamais t soumis aux Vandales. En 536 Blisaire revint de Sicile, rap-pel par une rvolte des ariens de Carthage. Ce fut seulement en 539 que la pro-vince fut rellement pacifie par Solomon, cr prfet du prtoire, que les villes dAfrique furent restaures et quun limes bien fortifi fut organis en face des Berbres 105.

    La reconqute de lItalie devait tre bien plus difficile. Tout en ngociant avec

    les diverses factions des Goths, Justinien prparait deux expditions : lune, commande par Mundus, attaqua la Dalmatie et reprit Salone; lautre, sous la conduite de Blisaire, dbarqua en Sicile, do les Goths furent chasss (hiver de 535) 106. Les ngociations entre Justinien et Thodat continuaient toujours et la rupture neut lieu quaprs le refus du chef goth de se rendre discrtion 107. Au printemps de 536 larme de Blisaire passa le dtroit de Messine. Naples fut prise aprs 20 jours de sige. Thodat senfuit Rome, mais un guerrier goth le tua et on lut sa place un soldat obscur, Vitigs, qui ne put empcher Blisaire dentrer triomphalement Rome (10 dcembre), mais qui ly assigea son tour pendant plus dun an. Contraint par la famine, qui se mit dans le camp des Goths, lever le sige (mars 538) 108, il organisa la rsistance dans lItalie du nord, dont la conqute fut longue et pnible, retarde par la rivalit de Blisaire avec leunuque Narss, qui avait amen des renforts 109 ; et ce fut seulement en mai 540 que Blisaire entra Ravenne et captura Vitigs quil emmena Constanti-nople 110. Justinien navait mme pas attendu la fin de la campagne pour rtablir la prfecture du prtoire dItalie 111. Croyant la conqute termine, il prit le titre

    102 Sur ses origines, BRHIER (L.), dans D. H. G. E., VII, 776 et s. 103 DIEHL, Justinien et la civilisation byzantine..., 174-177; MARTROYE, op. cit., 226-253; BURY,

    op. cit., II, 129-139. 104 C. J., I, XXVII, 1 et 2 (pragmatique sanction, Blisaire, organisant le rgime militaire);

    DIEHL, LAfrique byzantine, 98-101. 105 DIEHL, op. cit., 51-86. 106 ID., Justinien et la civilisation byzantine, 182-183; MARTROYE, LOccident lpoque byzan-

    tine : Goths et Vandales, 283-284. 107 Thodat venait dapprendre que les Goths avaient repris Salone. PROCOPE DE CSARE, Bel-

    lum gothicum, I, 6-7; MARTROYE, op. cit., 284. 108 DIEHL, Justinien..., 183-185; MARTROYE, op. cit., 290292 et 309-360. 109 MARTROYE, op. cit., 361-389. 110 DIEHL., op. cit., 187-189; MARTROYE, op. cit., 390-403. Les Goths avaient offert Blisaire

    de le faire empereur dOccident, PROCOPE DE CSARE, op. cit., II, 29. 111 PROCOPE, op. cit., I, 20 (Fidelius nomm en cette qualit par Blisaire).

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    de Gothicus et diminua les effectifs du corps doccupation : il ne devait pas tarder sen repentir.

    A lintrieur cette priode fut remarquable par lactivit lgislative

    de Justinien dans tous les domaines : rforme administrative destine protger les populations contre les injustices, rprimer les abus de pouvoir des grands propritaires disposant de soldats privs (buccel-laires), supprimer la vnalit des charges 112 ; et, dautre part, lgi-slation ecclsiastique rglementant lusage du droit dasile et donnant aux monastres un vritable code disciplinaire 113. Cest de cette po-que que date ldit qui rorganisa ladministration de lgypte 114.

    En mme temps Justinien continuait faire des avances aux mono-

    physites, appelait Svre Constantinople et laissait Thodora faire lire des patriarches suspects dhrsie, Anthime Constantinople, Thodose Alexandrie, o une formidable meute fut suivie dun schisme (535) 115. Justinien se prparait tenir une nouvelle conf-rence de rapprochement, lorsque le pape Agapet, envoy en ambas-sade par Thodat, arriva Constantinople (2 fvrier 536), o il devait mourir quelques mois plus tard 116. Il dtermina Justinien faire dpo-ser les deux patriarches htrodoxes et expulser les monophysites de Constantinople. Svre se rfugia en gypte o il mourut et fut cano-nis (538) 117. Lglise monophysite tait atteinte, mais, grce Thodora qui laissait les vques rfugis dans son palais, dont lex-patriarche Thodose, faire des ordinations, sa hirarchie fut reconsti-tue 118. La mme impratrice fit dposer par Blisaire le pape Silvre, accus injustement dintelligence avec les Goths qui assigeaient

    112 N. J., 8 et 17(535); DIEHL, Justinien..., 276-280; STEIN dans B. Z., XXX, 378, attribue une

    grande part dans ces rformes Jean de Cappadoce. 113 N. J., 5 (535). 114 JUSTINIEN, dit., XIII; sur sa date, ROUILLARD (G.), Ladministration de lgypte byzantine,

    20-25. 115 MASPERO (J.), Histoire des patriarches dAlexandrie, 100-123; MICHEL LE SYRIEN, Chroni-

    que universelle, II, 208-220; DIEHL, Thodora, impratrice de Byzance, 255-260. 116 FLICHE et MARTIN, Histoire de lglise, IV, 453-455; Liber pontificalis Ecclesiae Romanae, I,

    287-288; LIBERATUS, Breviarium causae Nestorianum et Eutychianorum, 1038 et s. 117 DIEHL, Thodora..., 261263; DUCHESNE, Lglise au VIe sicle, 96-97; N. J., 42 (6 aot 536);

    JEAN DASIE (ou DPHSE), Histoire de lglise, 245 et s. Synaxaire arabe-jacobite dans P. O. III, 3, 418-419.

    118 DUCHESNE dans M. A. H., 1915, 62 et s.; sur laction de Jacques Barade, MASPERO, op. cit., 183 et s.; FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 456.

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    Rome (mars 537) et le fit remplacer par le diacre Vigile, ancien apo-crisiaire Constantinople, quelle considrait comme plus docile 119.

    Ce fut la mme poque, vers 535, que Justinien fit fermer le tem-

    ple dIsis de lle de Phil, rest ouvert aux Nubiens en vertu dun trai-t conclu par Diocltien avec leurs tribus 120. Le christianisme tait dailleurs propag dans ces rgions, ainsi quen thiopie et en Arabie, mais par des missionnaires monophysites 121.

    Telle tait la situation de lEmpire en 540. Justinien pouvait se van-

    ter davoir accompli ses principaux desseins, mais la ranon de cette politique de prestige fut lpuisement des ressources de ltat, au moment o il allait avoir dfendre pniblement les rsultats acquis contre trois attaques simultanes.

    Carte II. LEmpire byzantin au temps de Justinien (527-565).

    (carte plus grande) Avant mme que la guerre dItalie ft termine, le roi de Perse Chosros,

    pouss par des ambassadeurs goths 122, envahit la Syrie limproviste, sempara dAntioche et, aprs avoir incendi la ville, emmena les habitants en captivit 123. Une nouvelle guerre de Perse commena. Elle ne fut pas marque par des opra-

    119 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 457-458; Liber pontoficalis..., I, 291-293; DUCHESNE,

    Lglise au VIe sicle, 151-154. 120 PROCOPE DE CSARE, Bellum persicum, I, 19; le trait renouvel sous Marcien en 451,

    PRISCUS PANITES (Excerpta de legationibus), F. H. G., IV, 69-110; WILCKEN, Heidnisches und Christliches aus Aegypten, 396-436; DUCHESNE, glises spares, 290.

    121 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 518-519. 122 En 539, PROCOPE DE CSARE, Bellum gothicum, II, 4; Bellum persicum, II, 1; MARTROYE,

    LOccident lpoque byzantine..., 401-402. 123 PROCOPE, Bellum persicum, II, 8-11, DIEHL, Justinien et la civilisation byzantine au VIe sicle,

    213-215.

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    tions de grande envergure, mais par des tentatives persanes dinvasion dans les provinces frontires, auxquelles Blisaire rpondit par des contre-attaques. Une trve fut signe en 545 et renouvele jusqu la conclusion dune paix de 50 ans en 562 124.

    Mais en mme temps les Goths, mal soumis, se soulevaient et proclamaient roi

    un chef nergique, Totila, le plus redoutable adversaire que Justinien ait trouv sur son chemin, rsolu restaurer la domination de sa race sur lItalie (542) 125. Ses succs devant les chefs impriaux diviss entre eux furent rapides. En 543 il semparait de Naples et attaquait Otrante. Blisaire renvoy en Italie, mais sans arme et sans ressources, ne put lempcher dentrer Rome (17 dcembre 546), quil menaait de dtruire en changeant son emplacement en pturage 126. Puis, la nouvelle dune dfaite de ses armes dans le sud, il vacua la ville et la laissa dserte, emmenant avec lui le snat et tous les habitants. Blisaire ayant t rappe-l Constantinople, Totila reprit Rome, cra une flotte et fit la conqute de la Sicile (549-550) 127.

    Justinien se dcida alors envoyer en Italie la plus forte arme quil ait jamais

    leve (22 000 hommes) et la plaa sous le commandement de Narss, qui mit deux ans faire ses prparatifs et exigea de pleins pouvoirs. Gagnant Ravenne, reste aux Romains, par la Dalmatie, il marcha sur Rome par Rimini et la voie Flaminia et crasa les forces de Totila, qui fut tu dans la bataille Tadin (prs de Gualdo Tadino actuel) dans lApennin (553) 128. Les Goths se rassemblrent sous un nouveau roi, Teas, mais Narss, aprs avoir pris Rome, anantit leur der-nire arme au pied du Vsuve dans une bataille acharne qui dura deux jours 129. Narss dut ensuite expulser dItalie les Francs de Thodebald et des bandes dAlamans qui avaient profit de ces luttes pour occuper la Ligurie et staient avancs jusque dans la Campanie (554) 130. LItalie tait recouvre et, dans la Pragmatique Sanction par laquelle il en rorganisa ladministration, Justinien se vantait de lavoir arrache la tyrannie et dy avoir tabli une paix parfaite, mais elle sortait de cette guerre dvaste, dpeuple, appauvrie pour longtemps : les campagnes dsertes, les ouvrages dart, routes, aqueducs, digues, en ruines, les villes amoindries et dcimes par la peste : tel est le tableau que les contempo-rains tracent de lItalie 131.

    124 Sur les conditions : GUTERBOCK, Byzanz und Persien, 57; HONIGMANN, Die Ostgrenze des byzantinischen Reiches von 363 bis 1071, C. B., 1935, p. 20; PHILIPPSON, Das Byzantinische Reich als geographische Erscheinung, 172.

    125 PROCOPE, Bellum gothicum, III, 1; DIEHL, Justinien..., 191-193; sur ses projets, S. REINACH dans A. I. C. R., 1906, p. 213.

    126 PROCOPE, Bellum gothicum, III, 13-20. 127 Ibidem, III, 20-22; DIEHL op. cit., 193-196. 128 PROCOPE, B. G., IV, 32 LOT (F.), Les destines de lEmpire en Occident de 395 888, H. G.

    (M. A.), I, 1928, p. 198; BURY, History of the later Roman Empire, II, 261-269 et 288-291. 129 PROCOPE, op. cit., IV, 34. 35; MARTROYE, op. cit., 541-546 BURY, B.G., II, 270-274. 130 MARTROYE, op. cit., 547 593; DIEHL, op. cit., 199-200; BURY op. cit., II, 274-281. 131 PAUL DIACRE, De gestis Langobardorum, S. R. L., II, 4 ; DIEHL, op. cit., 200-203; DIEHL,

    Etudes sur ladministration byzantine dans lExarchat de Ravenne, 157 et s.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 33

    Au plus fort de la guerre de Totila, en 544, une nouvelle insurrection berbre clata en Afrique, o larme doccupation tait insuffisante, provoque par la maladresse de Sergius, neveu de Solomon, gouverneur de Tripolitaine. En atta-quant les rvolts, Solomon prit dans un combat Suftula (Sbatla) 132 et bien-tt toute lAfrique fut en pleine anarchie. Un duc de Numidie, Guntharit, essaya de semparer de Carthage avec lappui des Maures (546). Justinien mit alors la tte de larme dAfrique un excellent chef de guerre, ancien lieutenant de Bli-saire, Jean Troglita, qui vint bout de linsurrection en 548 133, sans dailleurs avoir pu pacifier entirement les tribus maures qui se soulevrent encore en 563 134.

    Le rtablissement de lautorit impriale en Afrique et en Italie ne

    constituait quune partie du programme de Justinien. Ses vises stendaient tout lOccident, comme le prouvent ses rapports diplo-matiques avec les rois francs qui lui tmoignaient le mme respect qu un suzerain 135.

    Il saisit donc loccasion qui soffrait lui dintervenir chez les Wisigoths

    dEspagne, dont le roi Agila, attach larianisme, cherchait soumettre la Bti-que, o dominaient les orthodoxes, rvolts sous le commandement dun noble, Athanagild. Celui-ci, se sentant impuissant dtrner Agila par ses propres for-ces, demanda secours Justinien, qui, en 554, lui envoya quelques troupes sta-tionnes en Sicile, et commandes par le patrice Liberius, un ancien snateur ro-main octognaire. Grce ces secours, Athanagild battit Agila, qui fut tu prs de Sville. De gr ou de force Athanagild dut cder lEmpire Sville, Cordoue, Malaga, Carthagne, puis, ayant t proclam roi, il se retira Tolde 136. Rduit ces limites troites, cet tablissement lointain ne pouvait avoir aucun avenir.

    Dcid faire porter son principal effort sur lOccident, Justinien

    manqua des forces suffisantes pour dfendre la frontire du Danube et cest l le ct le plus faible de son uvre militaire. Non quil se soit dsintress de la dfense de cette frontire, mais, en labsence darmes disponibles, il crut pouvoir en assurer linviolabilit, dune part en construisant un grand nombre de forteresses qui formaient jus-qu trois lignes de dfense de la rive droite du Danube la Thrace, compltes par les fortifications du Long Mur dAnastase, des Ther-

    132 PROCOPE, Bellum vandalicum, II, 21; DIEHL, LAfrique byzantine, 363-381; BURY, op. cit., II,

    145. 133 DIEHL, op. cit., 363-381; BURY, op. cit., II, 147; Corippus, Iohannis, A. A., III, 2. 134 DIEHL, op. cit., 456. 135 GASQUET (A.), Lempire byzantin et la monarchie franque, 162-170. 136 DIEHL, Justinien et la civilisation byzantine au VIe sicle, 204-207; A. LAMBERT dans D. H.

    G. E., IV, 1297-1301.

  • Louis Brhier Vie et mort de Byzance 34

    mopyles et de plus de 400 villes ou chteaux dIllyricum et de Grce 137 ; dautre part, en poussant les uns contre les autres les peu-ples cantonns au nord du fleuve ou en Norique : les Lombards contre les Gpides qui occupaient la plaine hongroise, les Huns Outigours tablis lest de la mer dAzov contre les Huns Koutrigours (entre le Don et le Dniester) allis des Gpides, enfin un peuple nouveau venu, les Avars (en ralit branche des Turcs Olgours, les Ouar-Khouni, chapps la domination des vritables Avars) 138 contre tous les peu-ples du Danube 139. Pour surveiller la frontire une sorte de Marche fut organise en Basse Msie et en Petite Scythie sous le commande-ment dun chef prouv, Bonus 140.

    Mais les forteresses taient occupes par des effectifs trop faibles

    pour tre efficaces. Les barbares passaient travers les mailles du fi-let : Slaves 141, Bulgares, Huns, dont les bandes ne comprenaient pas plus de quelques milliers dhommes, venaient impunment piller et dvaster les provinces en massacrant les habitants. En 539-540 ils tendent leurs ravages de lAdriatique aux abords de Constantinople, forcent le passage des Thermopyles et mettent la Grce feu et sang 142. En 558 une horde de 7 000 Koutrigours peut franchir le mur dAnastase et jeter la panique dans Constantinople : Blisaire, avec quelques centaines de vtrans et une partie des habitants, parvint ce-pendant repousser leurs assauts et les mettre en fuite 143.

    Et les maux intrieurs ne firent que saggraver pendant cette p-

    riode, marque par lchec final des tentatives de conciliation reli-gieuse que Justinien poursuivait tout prix. Plusieurs thologiens lui ayant persuad que lun des principaux motifs de la rsistance des monophysites provenait de la rhabilitation par le concile de Chalc-doine de plusieurs crits tendance nestorienne, lempereur, qui ve-nait de publier en 543 un dit dogmatique condamnant les doctrines orignistes des moines de Palestine, simagina avoir trouv un terrain

    137 PROCOPE, De Aedificiis, 2-9; DIEHL, op. cit., 239-246; BURY, op. cit., II, 308-310. 138 Sur les migrations des Avars et leurs premiers rapports avec Byzance, GROUSSET, LEmpire

    des steppes, 127, 226-228, 26; STEIN (E.), Studien zur Geschichte des byzantinischen Reiches, 8; HAUPTMANN dans B. N., IV, 147148.

    139 En particulier aux Huns Koutrigours et aux Slaves, BURY, op. cit., II, 314-316. 140 N. J., 50 (537), BURY, op. cit., II, 340-341. 141 Sur leur apparition et leurs premires invasions, DVORNIK, Les Slaves, Byzance et Rome au

    IXe sicle, l-4; VASILIEV (A.), Istorja Vizantii, I, 184, et dans V. V., V, 1898, p. 404 et s. 142 DIEHL, Justinien..., 218-220 (tmoignage de JEAN DPHSE dans R. O. C., 1897, p. 485). 143 BURY, op. cit., II, 304-308.

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    dentente. Dans un nouvel dit, publi vers 544, il condamna de son propre chef les crits de Thodore de Mopsueste, le matre de Nesto-rius, Thodoret de Cyr, son condisciple, Ibas, vque ddesse 144. Loin dapaiser les esprits, cette condamnation des Trois Chapitres, ainsi quon appela les livres incrimins, jeta le plus grand trouble dans lglise et souleva les protestations des vques dAfrique et de tout lOccident.

    Le pape Vigile ayant rserv sa dcision fut embarqu de force pour Constan-

    tinople 145. Aprs avoir refus dabord de souscrire ldit, il publia sa sentence (Judicatum) qui condamnait les Trois Chapitres, mais avec de fortes rserves (11 avril 548) 146. De tous cts et jusque dans lentourage du pape des protestations slevrent, si violentes, si unanimes, que Vigile retira le Judicatum et conseilla Justinien de convoquer un concile cumnique 147.

    Mais lindcision du pape et lenttement de lempereur provoqurent entre

    eux un conflit irrductible, lorsque, violant la promesse quil avait faite de sabstenir de tout acte avant la runion du concile, Justinien publia une Confes-sion de foi, dans laquelle, se considrant comme le gardien de lorthodoxie, il condamnait de nouveau les Trois Chapitres 148. Vigile refusa de la recevoir et, devant lirritation de lempereur, se rfugia dans une glise, do Justinien essaya en vain de larracher par la force, puis le 23 dcembre 552 il senfuit Chalc-doine et protesta dans une Encyclique contre le traitement qui lui avait t inflig. Alors Justinien cda et fora les vques excommunis par le pape lui faire leur soumission. Vigile revint Constantinople, mais refusa de participer aux travaux du concile qui se tint du 5 mai au 2 juin 553 et condamna formellement les Trois Chapitres 149.

    Le rsultat fut tout autre que celui quavait espr lempereur. Aprs avoir r-

    sist six mois, Vigile finit par accepter le concile et mourut pendant son retour Rome le 7 juin 555 150. En revanche lopposition fut vive en Occident, et particu-lirement en Afrique, et mme en Italie, o se produisit un schisme entre le nou-veau pape, Plage, et une partie des vques, sans dailleurs que les dcrets du concile eussent ramen les monophysites lorthodoxie 151.

    144 dit contre les Orignistes dans M. C., IX, 487-534; FLICHE et MARTIN, Histoire de lglise,

    IV, 460-462. 145 Parti le 22 novembre 545, il narriva Constantinople que le 25 janvier 547 aprs un long

    sjour en Sicile. FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 463-464. 146 H. L., III, 26; FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 465. 147 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 465-468. 148 M. C., IX, 63. 149 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 468-476; actes du concile connus par une seule traduction

    latine dans M. C., IX, 157-419; H. L., III, 1, 105-132. 150 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 476-477; sur le voyage et la mort de Vigile, Liber pontificalis

    Ecclesiae Romanae, I, 299. 151 FLICHE et MARTIN, op. cit., IV, 477-480.

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    La faillite de la politique religieuse de Justinien tait complte et,

    force de raffiner sur les dogmes, il finit par tomber lui-mme dans lhrsie de ceux quil voulait ramener la vraie foi. Il se laissa ga-gner par la doctrine gyptienne daprs laquelle le corps de Jsus sur la croix tait rest incorruptible (aphtartodoctisme), exila le patriar-che Eutychios qui refusait de lapprouver (22 janvier 565), et se pr-parait publier un dit imposant sa croyance tout lEmpire lorsquil mourut 152.

    Pendant cette priode dagitation, la situation intrieure avait empi-

    r. Thodora avait obtenu la disgrce de Jean de Cappadoce (541) et mourut elle-mme en 548, laissant Justinien dsempar. Dans les pro-vinces ravages par les barbares, la fiscalit tait de plus en plus op-pressive, aggrave par la corruption des fonctionnaires, que lempereur fltrissait en vain dans son ordonnance de rforme de 556, qui reproduisait presque entirement celle de 535 153. Le mcontente-ment grandissait Constantinople et dans les grandes villes o les Verts et les Bleus fomentaient de nouvelles meutes. En 562 un com-plot fut ourdi contre le vieil empereur et Blisaire, accus dy avoir particip, fut priv de ses honneurs 154. Vieilli, fatigu, irrsolu, lesprit absorb presque exclusivement par les questions thologiques, Justinien mourut lge de 82 ans le 14 novembre 565 et sa mort fut salue dun soupir de soulagement par tous ses sujets 155.

    Ce nest pas sur cette fin misrable quil faut le juger. En dpit de

    ses travers il a fait uvre de grand souverain et il a donn lEmpire une contexture solide qui lui a permis de supporter longtemps les as-sauts des barbares et de rayonner dans le monde par lclat de sa civi-lisation. La libert de la navigation rtablie dans la Mditerrane, luvre juridique des Romains perptue, lglise dOrient pourvue dune lgislation disciplinaire quelle conserve encore, la protection

    152 Doctrine rpandue en gypte par Julien dHalicarnasse sous le rgne de Justin Ier, DUCHESNE,

    LEglise au VIe sicle, 71; JUGIE dans E. O., XXIV, 1925; SCHLUMBERGER (G.), Campagnes du roi Amaury de Jrusalem en gypte, IV, 480-481; GRONDIJS, Liconographie byzantine du Crucifi mort..., 36-40.

    153 DIEHL, op. cit., 295-313. Sur la situation financire la mort de Justinien, voir la prface de la novelle de Justin II, R. K. O. R., n 4.

    154 MALALAS, dans H., VI, 378-380; BRHIER (L.), dans D. H. G. E., VII, 786. 155 EVAGRIUS, VI, 1, cit par DIEHL et MARAIS, Le monde oriental de 395 1081, H. G. (M. A.),

    III, 1936, p. 121.

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    de ses missionnaires, limpulsion donne aux lettres, lenseignement, la formation dun art byzantin, tels sont les services quil a rendus. Ce nest pas dans le pamphlet haineux attribu Pro-cope quil faut chercher le vritable Justinien 156 ; ses erreurs sont in-contestables, ses dfauts se sont accuss avec lge et il a lgu ses successeurs des difficults insolubles son rgne nen tient pas moins une place fondamentale dans la vie historique de lEmpire dOrient et mme de lEurope.

    3. LHritage de Justinien (565-602)

    Retour la Table des Matires Malgr ltat troubl dans lequel Justinien laissa lEmpire, son u-

    vre ne priclita pas et les frontires quil avait donnes la Romania taient encore intactes en 602, mais, loin de raliser ses plans, ses trois premiers successeurs durent se contenter de maintenir sur les fronti-res une dfensive, parfois dailleurs victorieuse.

    Avec ces trois princes reparat un mode de succession qui rappelle

    celui des Antonins, ladoption, Le succ