biodiversité introduite et autochtone : antagonisme ou...

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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2007, N° 292 (2) 5 DIVERSITÉ BIOLOGIQUE EUCALYPTUS, MADAGASCAR Stéphanie M. Carriere Herizo Randriambanona Gestion des espaces ruraux et environnement à Madagascar (programme Gerem-Fianarantsoa) Ird-Cnre BP 434, 101 Antananarivo Madagascar La revue bibliographique présentée analyse les effets, à Madagascar, des espèces introduites ainsi que des reboisements. Un exemple illustre la complémentarité des plantations villageoises d’eucalyptus et des essences forestières malgaches pour divers usages locaux. Le rôle potentiel des reboisements comme alternative aux prélèvements d’essences de bois malgaches menacées est souligné. Biodiversité introduite et autochtone : antagonisme ou complémentarité ? Le cas de l’eucalyptus à Madagascar Une très grande partie des paysages malgaches sont modifiés par l’homme. Ici l’on peut remarquer des rizières, des plantations de théiers, de pins, d’eucalyptus et des cultures vivrières (Fianarantsoa, Hautes-Terres). Photo S. Carrière.

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B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 7 , N ° 2 9 2 ( 2 ) 5DIVERSITÉ BIOLOGIQUEEUCALYPTUS, MADAGASCAR

Stéphanie M. CarriereHerizo Randriambanona

Gestion des espaces ruraux etenvironnement à Madagascar(programme Gerem-Fianarantsoa)Ird-CnreBP 434, 101 AntananarivoMadagascar

La revue bibliographique présentée analyse les effets, à Madagascar, des espècesintroduites ainsi que des reboisements. Un exemple illustre la complémentarité des plantationsvillageoises d’eucalyptus et des essences forestières malgaches pour divers usages locaux. Le rôlepotentiel des reboisements comme alternative aux prélèvements d’essences de bois malgaches menacéesest souligné.

Biodiversité introduite et autochtone : antagonisme ou complémentarité ? Le cas

de l’eucalyptus à Madagascar

Une très grande partie des paysages malgaches sont modifiés par l’homme. Ici l’on peut remarquer des rizières, des plantations de théiers, de pins, d’eucalyptus et des cultures vivrières (Fianarantsoa, Hautes-Terres). Photo S. Carrière.

RÉSUMÉ

BIODIVERSITÉ INTRODUITEET AUTOCHTONE : ANTAGONISMEOU COMPLÉMENTARITÉ ? LE CASDE L’EUCALYPTUS À MADAGASCAR

À Madagascar, île d’étonnante biodiver-sité et haut lieu d’endémisme, lesacteurs de la conservation donnentl’alerte face à la déforestation et aussiface au nombre de plantes introduitesinvasives qui menacent les espèces etles écosystèmes. En effet, les orga-nismes vivants apportés par l’hommecontribuent, depuis fort longtemps, àfaçonner les paysages malgaches à tra-vers les plantations fruitières, les cul-tures vivrières, la riziculture et les planta-tions industrielles vouées à reboiser lesHautes-Terres. Presque toutes naturali-sées, ces espèces parfois invasives peu-vent prendre le pas sur les espèces mal-gaches. Pourtant, le contact très ancienavec les populations rurales malgachesa poussé à l’adoption massive denombre de ces espèces. Phénomèneévident pour les plantes cultivées, il l’estmoins pour les essences de reboise-ment et aussi pour les espèces sau-vages. D’après l’exemple de l’utilisationde l’eucalyptus dans les villages delisière forestière, nous montrons l’impor-tance de cette espèce pour les commu-nautés rurales qui l’ont totalement adop-tée (bois de chauffe, de construction,charbon, pharmacopée, marqueur). Deplus, les changements dans l’intensitédes usages selon un gradient d’éloigne-ment à la forêt naturelle illustrent le rôlecrucial de cette espèce dans la construc-tion de l’habitat local. Enfin, ce gradientd’utilisation de l’eucalyptus est très révé-lateur des rôles potentiels de cetteespèce comme alternative aux prélève-ments des bois d’œuvre, rares et parfoismenacés, dans les forêts naturelles. Eneffet, les espèces introduites adaptéesaux conditions de vie malgaches pour-raient ouvrir des perspectives indus-trielles de production de bois, de com-bustible, de biocarburants, de vita-mines, de fibres… et ainsi contribuer audéveloppement durable du pays.

Mots-clés : forêt, biodiversité, espèceintroduite, invasion, reboisement,Eucalyptus, usage, Madagascar.

ABSTRACT

INTRODUCED AND INDIGENOUSBIODIVERSITY: ANTAGONISM ORCOMPLEMENTARITY? THE CASE OFTHE EUCALYPTUS IN MADAGASCAR

In Madagascar, renowned for its aston-ishing biodiversity and remarkabledegree of endemism, conservationagencies are sounding the alert overdeforestation, but also over the num-ber of introduced invasive plantspecies which are threatening theisland’s native species and ecosys-tems. For a long time now, living organ-isms introduced by humans have beenshaping Madagascar’s landscapes,with orchards, subsistence crops andpaddy fields, as well as industrial tim-ber plantations spreading across theisland’s upland areas. Some of thesespecies, which are virtually all natu-ralised, may become invasive andoverwhelm Madagascar’s nativespecies. However, early contacts withthe island’s rural populations promp-ted them to adopt some of thesespecies on a large scale a long timeago. Crop plants are obvious examples,but the process also occurred with treespecies used for reforestation andeven with wild species. The many usesof eucalyptus in villages adjacent towoodlands shows the importance ofthis species for the rural communitiesthat have adopted it for firewood, con-struction timber, charcoal, medicinalproducts and even as landmarks. Fur-thermore, the changing intensity ofeucalyptus use according to distancefrom natural forests illustrates the cru-cial role of the species in shaping thelocal habitat. This use gradient clearlyreveals the potential role of the speciesas an alternative to the rare and some-times threatened timber speciesextracted from natural forests. Suchintroduced species that are well-suitedto living conditions in Madagascarcould open up perspectives for theindustrial production of timber, fuel,biofuels, vitamins, fibre products andso on, and thus contribute to sustain-able development in the country.

Keywords: forest, biodiversity, intro-duced species, invasion, reforesta-tion, eucalyptus, use, Madagascar

RESUMEN

BIODIVERSIDAD INTRODUCIDA Y AUTÓCTONA: ¿ANTAGONISMO O COMPLEMENTARIEDAD? EL CASODEL EUCALIPTO EN MADAGASCAR

En Madagascar, isla de sorprendentebiodiversidad y santuario de endemis-mos, los actores de la conservación aler-tan sobre la deforestación, y tambiénsobre el número de plantas invasorasintroducidas que amenazan a especies yecosistemas. En efecto, los organismosvivos aportados por el hombre contribu-yen, desde hace mucho tiempo, a mode-lar los paisajes malgaches a través deplantaciones frutales, cultivos alimenti-cios, cultivo de arroz y de plantacionesindustriales destinadas a la reforesta-ción de las tierras altas. Dichas especies,casi todas naturalizadas y a veces inva-soras, pueden desplazar a las autócto-nas. Sin embargo, el prolongado con-tacto con las poblaciones ruralesmalgaches, ha llevado a la adopciónmasiva de muchas de estas especies.Este fenómeno, evidente en las plantascultivadas, no lo es tanto en las especiesde reforestación y tampoco en las silves-tres. Tomando como ejemplo la utiliza-ción del eucalipto en pueblos lindantescon bosques, mostramos la importanciade esta especie para las comunidadesrurales que la han adoptado totalmente(leña, madera de construcción, carbón,farmacopea, jalones). Además, los cam-bios en la intensidad de los usos, segúnun gradiente de alejamiento del bosquenatural, ilustran el papel decisivo de estaespecie en la construcción del hábitatlocal. Por último, este gradiente de usodel eucalipto es muy revelador de lapotencial función de esta especie comoalternativa a la extracción de maderas,raras y a veces amenazadas, en los bos-ques naturales. De este modo, las espe-cies introducidas, adaptadas a las con-diciones de vida malgaches, podríanabrir perspectivas industriales de pro-ducción maderera, leña, biocarburantes,vitaminas, fibras... y contribuir así aldesarrollo sostenible del país.

Palabras clave: bosque, biodiversi-dad, especie introducida, invasión,reforestación, Eucalyptus, uso,Madagascar.

6 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 7 , N ° 2 9 2 ( 2 )

BIOLOGICAL DIVERSITYStéphanie M. Carriere, Herizo Randriambanona

EUCALYPTUS, MADAGASCAR

Introduction

Classée parmi les huit « hottesthotspots » de biodiversité1 de la pla-nète, l’île de Madagascar constituel’un des endroits au monde où l’ex-ceptionnel taux d’espèces endé-miques se conjugue avec une impor-tante perte d’habitats originels(Myers et al., 2000). Sa réputationrepose sur un taux d’endémismeproche de 80 % pour la faune et laflore, plafonnant à 100 % pour lesseuls mammifères terrestres(Goodman, Benstead, 2003), et surun taux de déforestation de l’ordre de8 % entre 1980 et 1990 (tous typesde forêts confondus ; Whitmore,2000), années au terme desquelleson pouvait dire que Madagascar avaitenregistré une perte record de 90 %de la surface de sa végétation origi-nelle (Myers et al., 2000).

Le président de la Républiquede Madagascar, M. Ravalomanana,annonçait à Durban en 2003 la déci-sion du gouvernement de tripler lasuperficie des aires protégées dansle pays, quasiment tout ce qu’il restede forêts naturelles, écosystèmes lesplus riches en biodiversité, étantconcerné à court terme (figure 1).

Face à ces faits, il est aisé d’ima-giner qu’une très vaste partie despaysages malgaches est modifiée parl’homme. Il est possible de traverserle pays de part en part sans aperce-voir de forêts naturelles. Au contraire,les paysages boisés recréés par lespopulations locales, pauvres enespèces et composés d’essencesnaturalisées2 telles que Eucalyptus,Pinus ou Acacia, occupent de vastesétendues sur les Hautes-Terres oùces espèces introduites3 trouventmême des opportunités de régénéra-tion naturelle. Sur un territoire, l’im-portante diversité des espèces suc-cessivement introduites peut sejuxtaposer à l’incroyable biodiversitéautochtone. En effet, en dehors desforêts primaires, les végétaux lesplus visibles sont souvent lesespèces introduites, parfois inva-sives4 et surtout utiles (les goyaviersou Psidium spp. ; Agave sisalana ;

Lantana camara ; le papayer ouCarica papaya ; les figuiers de barba-rie ou Opountia spp...).

L’introduction des espèces allo-gènes ainsi que les reboisementssont depuis très longtemps décriéspar les écologistes et les conservatio-nistes à Madagascar (Aubreville,1953). Pourtant, l’ancienneté de ladiffusion de l’eucalyptus, espècemajeure de reboisement, et lecontexte foncier dans les campagnesmalgaches ont conduit les popula-tions à son adoption massive(Rakoto Ramiarantsoa, 1995 a et b ;Bertrand, 1999). Sans vouloir mini-miser les risques liés aux caractèresinvasif ou écologiquement négatif, ilconvient d’enrichir le débat en consi-dérant la bonne gestion des espècesintroduites utiles comme une desalternatives à la dégradation desforêts et à l’érosion de la biodiversitémalgache.

À travers une revue bibliogra-phique sur les espèces introduites etnotamment l’eucalyptus sur lesHautes-Terres, la dualité de leursusages et de leurs effets pervers est

ici abordée. Ensuite, un exemple per-met d’illustrer la complémentaritédes plantations villageoises d’euca-lyptus et des essences forestière mal-gaches pour la construction des mai-sons dans une commune ruralemalgache. Il s’agit de montrer le rôlepotentiel des reboisements commealternative aux prélèvements d’es-sences de bois malgaches.

1 « Hottest hotspots » selon une classification dunombre de fois où le site apparaît dans le « topten » des cinq facteurs identifiés par Myers et al.(2000).2 Naturalisation (Da Lage, Metaillie, 2000) :installation dans une région géographiquedifférente de son aire d’origine d’un taxon capablede s’y reproduire sexuellement d’une manièrespontanée ; dans le cas de l’acclimatation, aucontraire, les espèces qui s’installent peuventvégéter, se multiplier mais ne peuvent s’y reproduiresexuellement. Ces installations sont le plus souventliées à l’action volontaire ou involontaire del’homme.3 Introduction (Da Lage, Metaillie, 2000) :installation d’un taxon nouveau dans une aire ou unmilieu donné.4 Invasion (Da Lage, Metaillie, 2000) : irruption etpullulement d’un taxon ou d’une végétation dans unmilieu ou une région ; les invasions s’effectuentsouvent au détriment des populations déjà en placeet apparaissent alors comme nuisibles.

Les essences naturalisées telles que le pin trouvent, sur les Hautes-Terresmalgaches, des opportunités de dispersion et de régénération.Photo S. Carrière.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 7 , N ° 2 9 2 ( 2 ) 7DIVERSITÉ BIOLOGIQUEEUCALYPTUS, MADAGASCAR

Différentes vaguesd’introductions

Des introductionsvolontaires

L’histoire de l’introduction desespèces exotiques à Madagascar estliée à l’arrivée des premiers habitantsoriginaires du Sud-Est asiatique surl’île, il y a environ 2 000 ans (Rako-toarisoa, 1997). Ces introductionssuccessives ont débuté avec l’arrivéedes Indo-Malais, puis se sont poursui-vies avec les commerçants arabes etafricains, les missionnaires euro-péens et enfin les colons français. Leriz et les cultures vivrières ont étéintroduits très tôt à Madagascar.Perrier de la Bathie (1931) citaitquelques fruits et légumes d’introduc-tion plus récente qui auraient déjàexisté sur l’île avant le XVIIe siècle. Ilétait possible de rencontrer desbrèdes (Brassica campestris et Sinapisjuncea), le haricot, le pois de terre(Voandzeia subterranea), le poivron,le gingembre, les bananiers, le grena-dier… De nombreux arbres fruitiers,tels que l’arbre à pain, le papayer, letamarinier, le jujubier, les manguiers,avocatiers, litchis, néfliers, théiers,caféiers, ont également été introduitsde longue date, entre autres, par lebotaniste Michaux entre 1800 et 1803(Prudhomme, 1902 ; Perrier de laBathie, 1931 ; Haudricourt, 1948).Aux XVIIIe et XIXe siècles, l’arrivée desmissionnaires anglais et français fai-sait encore croître le nombre d’es-pèces à vocations vivrière, fruitière etforestière dans l’île.

Figure 1. Carte des zones réservées pour les nouveaux systèmes d’aires protégéesà Madagascar (Sapm) et localisation du site d’étude, aux abords de la lisièreouest du « corridor » forestier Ranomafana-Andringitra.

Psidium cattleianum (Myrtaceae) –espèce naturalisée, exotique etenvahissante – est très utile auxcommunautés rurales : bois d’œuvre,alimentation de l’homme, du bétail etdes lémuriens, plante médicinale…Photo S. Carrière.

Zones de pseudo-steppes reboisées par des plants d’eucalyptus au sudde Fianarantsoa. Cette espèce trouve des opportunités de dispersion.Photo S. Carrière.

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EUCALYPTUS, MADAGASCAR BIOLOGICAL DIVERSITY

Histor ique des reboisements

à Madagascar

La fin du XIXe siècle est mar-quée par la réorganisation de l’ex-ploitation forestière, au cours del’ère coloniale française. En 1897,le général Gallieni lança la politiquede reboisement des Hautes-Terrespour faire face à la demande en boisgénérée par la construction et lafuture exploitation du chemin de ferentre Antananarivo et Toamasina(Bertrand, 1999). La création de lapépinière de Nanisana fut alorsaccompagnée de l’introduction deplusieurs espèces exotiquesligneuses (Ramanantsoavina ,1963). Huit ans après sa naissance,le Service forestier créa la premièrestation forestière, à Analamazaotra,où des essais furent conduits surles résineux, sur plus de 140espèces d’eucalyptus, entre autres(Chauvet, 1969).

L’eucalyptus représente l’es-sence introduite pour le reboisementla plus répandue à Madagascar etE. robusta l’espèce la plus commune(Ramamonjisoa, 1994), très souventplantée le long des axes de commu-nication (Rakoto Ramiarantsoa,1995 b). La grande campagne dereboisement commença dans lesenvirons d’Antananarivo entre 1909et 1912. Cette opération s’étenditensuite à la quasi-totalité desHautes-Terres, jusque dans la régionde Fianarantsoa plus au sud. La sur-face totale de plantations d’eucalyp-tus était estimée à 130 000 ha en1952 (Chauvet, 1969), elle atteint147 000 ha aujourd’hui, soit 46,5 %des peuplements artificiels officielsactuels (Randrianjafy, 1999). Cechiffre ne tient pas compte des plan-tations paysannes d’eucalyptus qui,développées depuis plus d’un siècle,constituent pourtant l’essentiel de lasurface aujourd’hui occupée parcette essence.

Acacia decurrens var dealbata,originaire d’Australie, introduit en1912, a été utilisé pour l’extractiondes tanins par la Société des taninsmalgaches dans la région de Fiana-rantsoa, sur une surface assez réduitede 2 000 à 4 200 ha (Chauvet, 1969).Cette espèce envahissante s’est bienacclimatée. Cependant, cette société adû cesser rapidement ses activités dufait de la baisse du prix des écorces.L’espèce trouve encore aujourd’huides usages tannants et domestiques(bois de chauffe et de construction).

Les pins constituent les résineuxles plus répandus à Madagascar etPinus kesiya, originaire d’Asie continen-tale, en est l’espèce la plus utilisée etdomine l’essentiel de la plantation de laFanalamanga (50 000 sur 70 000 ha)dans le Haut-Mangoro (Bouillet, 1993).Quant à Pinus patula, originaire deszones de montagne du Mexique, il futintroduit vers 1920 et couvrait une sur-face d’environ 18 000 ha dans la Haute-Matsiatra (Chauvet, 1969). Depuis, cessurfaces reboisées se sont considérable-ment étendues à la faveur de la disper-sion naturelle de cette espèce.

Les reboisements de pins (Pinus patula, au premier plan) dans la régiond’Antsirabé se sont étendus sur une grande partie des Hautes-Terres(lac sacré de Tritiva).Photo S. Carrière.

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Dès les années 1960, il est évidentaux yeux des forestiers que les reboise-ments pourraient être un facteur de déve-loppement du pays (Uhart, 1962). En1969, face aux besoins considérablesoccasionnés par l’installation des grandspérimètres de reboisement industriel,engagée par l’État dans la Haute-Matsiatra, le Haut-Mangoro et leVakinankaratra, le Service des grainesforestières fut créé au sein de la Directiondes eaux et forêts. Parallèlement, élabo-rer un programme de sélection et d’amé-lioration est devenu une nécessitémajeure afin de disposer de sujets degrande vigueur, de bonne forme, suscep-tibles de donner un bois de bonne qua-lité (Ramamonjisoa et al., 2003). Le Silonational des graines forestières (Sngf),suite à une relance des actions en faveurde l’arbre et à une préoccupation quantaux fournitures de graines de reboise-ment villageois, fut inauguré en 1986pour remplacer le service antérieur(Ramamonjisoa et al., 2003). L’institu-tion était alors rattachée au service de lareforestation et des stations forestièresde la Direction des eaux et forêts. Souscette impulsion, de nombreusesrecherches ont été entreprises et se pour-suivent aujourd’hui pour mieux com-prendre les caractéristiques et les utilisa-tions potentielles des espèces exotiquesde reboisement (Gueneau, 1969 ;Bouillet, 1993 ; Bertrand, 1999).

Avec l’appui de la coopérationhelvétique, le Sngf a collaboré avec leDépartement des recherches fores-tières pour redynamiser le Programme

d’amélioration génétique des espècesforestières allogènes à Madagascar.Enfin, le Ctft, puis le Cirad-forêt en col-laboration avec le service des eaux etforêts malgache, avec l’appui de laCommunauté européenne, ont entre-pris de vastes recherches sur les diffé-rentes modalités d’exploitation et detraitement des plantations de pins(Bouillet, Rakotovao, 1994 ; Schmittet al., 1995 ; Bouillet, Lefevre, 1996),l’amélioration génétique des feuillusexotiques (Lebot, Ranaivoson, 1994 ;Lebot, 1996) et la sélection de grainesaméliorées (Bouvet, Andrianirina,1990 ; Chaix et al., 2002, 2003). Lesprincipales espèces concernées appar-tiennent aux genres Eucalyptus etAcacia, exotiques à Madagascar.

Malgré le doute semé par l’appari-tion de la locomotive Diesel en 1945,abandonnant le bois comme combus-tible (Bertrand, 1999), il est aujour-d’hui possible de constater que, face àla somme de connaissances et de pro-grès réunis sur les essences de reboise-ment, l’enthousiasme des premiers syl-viculteurs est loin d’être retombé.Officiellement, une surface totale de316 000 ha est considérée commereboisée à Madagascar (Dufils, 2003).Ce chiffre, largement sous-estimé carn’incluant pas les plantations pay-sannes, représente 2 % de la couver-ture forestière du pays. Alors que la forêtdite « primaire » occupait en 1990 unesurface de 6 100 000 ha, soit environ10 % du territoire malgache (Nelson,Horning, 1993).

Les espècesintroduites : un dilemme

À Madagascar, un nombre trèsimportant d’espèces végétales adonc été introduit, plus de 900espèces d’arbres (Chauvet, 1969 ;Sutter, Rakotonoely, 1989), ainsique les espèces fruitières, aroma-tiques et vivrières pour les introduc-tions volontaires et un nombre plusréduit et non connu pour les intro-ductions accidentelles. De nom-breuses essences (pins, eucalyptus,acacias, espèces fruitières…) ont étéapportées pour des raisons écono-miques évidentes et pour tenter d’en-rayer le processus de déforestation etd’érosion sur les Hautes-Terres(Aubreville, 1953 ; RakotoRamiarantsoa, 1995 b). Ces nou-velles espèces, devenant parfois desessences invasives (acacia, goyavier,sisal, eucalyptus), peuvent poser desérieux problèmes et entrer en com-pétition avec les espèces animales etvégétales malgaches voire endé-miques (Binggeli, 2003). Ainsi, aumême titre que la destruction deshabitats forestiers, ces invasions bio-logiques représentent une menacepour la biodiversité dans ce pays(Binggeli, 2003).

Une valeur économique

La quasi-totalité des espècesarborées introduites (pins, eucalyp-tus, acacias, litchiers, avocatiers,orangers, manguiers, Faidherbia spp.,Tamarindus spp…) sont exploitées àdes fins diverses (tableau I). En effet,les nouveaux arrivants, des Indo-Malais aux colons français, désireuxd’adapter cet environnement à desconditions alimentaires, énergétiqueset paysagères qu’ils appréciaient, ontintroduit leurs essences productiveset ornementales. L’essentiel des intro-ductions a donc concerné les espècescultivées pour l’alimentation, pour laproduction de bois, les plantationsforestières et les espèces susceptiblesd’apporter un revenu à l’exportation.

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EUCALYPTUS, MADAGASCAR BIOLOGICAL DIVERSITY

Les espèces telles que Pinus spp. peuvent croître dans les anciens lavaka(trous d’érosion) et ainsi contribuer à stabiliser les zones actives. Grâce à laconstruction de la route Antsirabé-Fianarantsoa, ce phénomène est bien visible. Photo S. Carrière.

D’autres espèces introduites (le bana-nier, la vanille, le giroflier, le café,l’ylang-ylang…) ont contribué à déve-lopper l’économie malgache. Parexemple, les deux espèces de caféieroriginaires d’Afrique occidentale(Coffea canephora et C. congesis) pro-duisaient au début du XXe siècle latotalité des cafés exportés parMadagascar (Perrier de la Bathie,1931). Depuis plusieurs dizainesd’années, l’exportation de la vanille etdes clous de girofle constitue unesource de devises non négligeablepour Madagascar. Déjà en 1950, café,vanille, poivre et girofle représen-taient environ 65 % des exportationsde l’île mais les cours de certaines cul-tures de rente (café, vanille…) se sontrécemment effondrés.

À l’origine, les reboisements ontété principalement effectués à desfins économiques : charbon de bois,bois d’œuvre et huiles essentielles.De même, les plantations de pins(Haute-Matsiatra et Haut-Mangoro),dans les années 1970, étaient desti-nées à la fabrication de pâte à papier(Suttie, 1972 ; Vanniere et al.,1973). Mais, à partir de 1984 pour leHaut-Mangoro, ces plantations furentgérées en vue de la production debois d’œuvre pour le sciage et ledéroulage (Bouillet, Lefevre, 1996).

Au début des années 1960, l’Étatmalgache se montra désireux de déve-lopper l’industrie forestière. À cetteépoque, des mesures nationales ont étéprises pour mieux protéger la forêt mal-gache et pour inciter la population au

reboisement alors que le succès desplantations villageoises ne cessait decroître. Ainsi, les reboisements privéssur les Hautes-Terres ont bénéficié definancements et quelque 2 000 ha derizières furent aménagés en zones fores-tières pour compenser la déforestation.En 1960, des ordonnances sévèresréglementant le défrichement et les feuxde brousse ont été prises (Rama-nantsoavina, 1963). Trois décenniesplus tard, un bilan négatif est dressépour ce qui est de l’apport économiquedes reboisements industriels en vue dela production de pâte à papier. Enrevanche, les retombées régionales etlocales du reboisement semblent plusprometteuses. Dès 1950, après undemi-siècle de colonisation, le rôle del’exploitation des reboisements d’euca-

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Tableau I. Synthèse des usages des principales espèces introduites présentant des caractéristiques invasives(d’après Binggeli, 2003).

Usages et intérêts économiques Type d’introduction Exemples et caractère invasif (WS*)

Ornemental Volontaire Eichhornia crassipes (WS 3)Lantana camara (WS 3)

Haies de protection autour des postes militaires Volontaire Agave ixtli (WS inconnu)Opuntia monacantha (WS inconnu)

Production de fibres (sisal) Volontaire Agave sisalana (WS inconnu)

Divination (graines) Volontaire Albizzia lebbeck (WS 2)

Fruitiers Volontaire Carica papaya (WS 2)Passiflora incarnata (WS 0)Psidium guajava (WS 3)Psidium cattleianum (WS 3)Syzygium jambos (WS 2)Ziziphus jujuba (WS 2)

Coagulation du latex Volontaire Citrus aurantifolia (WS 2)

Reboisement Volontaire Acacia decurrens var. dealbata (WS 3)Bois de chauffe Eucalyptus spp. (WS 1)Lutte anti-érosive Pinus patula (WS 2)

Coupe-vent Volontaire Grevillea banksii (WS 2)

Alimentaire (homme et bétail) Volontaire Opuntia ficus-indica (WS inconnu)Opuntia monacantha (WS inconnu)

Aucun Involontaire Clidemia hirta (WS 3)Rubus moluccanus (WS 3)

* WS : World status. WS 1 : espèces potentiellement invasives, se régénérant localement, dont la faculté de propagationn’est pas connue ; WS 2 : espèces se propageant facilement mais ne se présentant qu’en faibles densités et n’étant pasencore considérées comme un problème urgent ; WS 3 : espèces hautement invasives, pouvant devenir dominantes oucodominantes dans les régions envahies, considérées comme un danger pour la flore et les écosystèmes natifs, et étant en général sujettes à une forme de contrôle.

lyptus dans les économies locales etrégionales était déjà perceptible (boisd’œuvre et de chauffage, charbonnage)(Rakoto Ramiarantsoa, 1995 b ;Bertrand, 1999).

L’eucalyptus joue aujourd’huiun rôle indéniable dans l’approvi-sionnement en bois de chauffe, encharbon de bois et en bois d’œuvredes grandes villes de Madagascar,notamment à destination de la villed’Antananarivo mais également deFianarantsoa (Bertrand, 1999).Depuis l’indépendance, le dévelop-pement urbain d’Antananarivo a sou-tenu la demande de combustiblesligneux, produits de première néces-sité et d’usage quotidien, tels que lebois de chauffe et surtout le charbonde bois. D’ailleurs, les plantationspaysannes d’eucalyptus du massif deManjakandriana fournissent plus dela moitié du bois énergie consomméà Antananarivo, ce qui représentepour environ 1,5 million d’habitantsune récolte forestière d’environ1,5 million de mètres cubes de bois(Bertrand, 1999). La production decharbon de bois est un moyen pourles ruraux d’obtenir un indispensablerevenu pour la survie. Aujourd’hui, ilsemblerait que, d’un point de vueéconomique, le bois d’œuvre d’euca-lyptus soit plus important que le boisde chauffe (Bertrand, 1999).

Une valeur écologique…

Du point de vue écologique, lesplantations d’espèces introduites ontrendu de précieux services tels que lareforestation par les paysans dezones entièrement dénudées,décrites il y a deux siècles commedes contrées totalement dépourvuesd’arbres, sur les Hautes-Terres enparticulier (Rakoto Ramiarantsoa,1995 a et b ; Bertrand, 1999), lalutte anti-érosive qui a permis parexemple d’éviter l’ensablement desrizières, de stabiliser les talus le longdes routes et, pour Wells etAndriamihaja (1997), de combler etstabiliser certains lavaka (cirquesd’érosion). Les espèces fréquem-ment mentionnées (Pinus spp.,Acacia spp., Eucalyptus spp., Agavesisalana…) sont réputées pour croîtrespontanément dans les ancienslavaka, en particulier ceux de faibledimension, et ainsi contribuer à sta-biliser les zones actives. Ces espècesproduisent un couvert de feuillesdenses et sont douées d’une crois-sance rapide sur des sols latéritiquespeu fertiles (Wells, Andriamihaja,1997). Elles sont particulièrementintéressantes lorsqu’elles sontcapables de s’installer et de se déve-lopper pendant la saison sèche,c’est-à-dire au cours de la période

d’inactivité des lavaka avant les pré-cipitations agressives de la saisondes pluies. En outre, la vitalité del’eucalyptus lui permet de se déve-lopper sur des sols dégradés que nesupportent pas les espèces autoch-tones. Eucalyptus robusta est ainsi leseul ligneux capable de recoloniserles sols à litho-reliques de Mantasoa(Rakoto Ramiarantsoa, 1995 b). Deplus, ces espèces sont parfois résis-tantes aux feux et ne semblent pashéberger de parasites (Wells,Andriamihaja, 1997).

…mais de fortes critiques

Malgré ces avantages écono-miques et écologiques, de nombreuxpoints négatifs sont à déplorer. Eneffet, depuis la mise en œuvre de lapolitique de protection de l’environ-nement focalisée surtout sur laconservation de la biodiversité, lesespèces introduites ne sont pas tou-jours bien acceptées. Même si cesespèces introduites sont utiles, cer-taines d’entres elles n’en sont pasmoins invasives (tableau I), maisavec des comportements très diffé-rents. Les termes employés et les dis-cours divergent : plantes nuisiblespour les uns et plantes utiles etimportantes pour l’économie mal-gache pour les autres.

Perrier de la Bathie (1931)avait déjà annoncé la menace quipesait sur la flore malgache à cause ducaractère invasif de certaines espècesexotiques. Les essences introduitessont réputées être vigoureuses du faitde leur forte capacité d’adaptation auxperturbations (Binggeli, 2003). Leurprolifération incontrôlée a provoquéde graves problèmes écologiques etéconomiques. L’invasion des forêts dumassif d’Angavokely dans la régiond’Antananarivo par les pins en est unexemple concret. Binggeli (2003)évoque les dégâts occasionnés parl’envahissement du lac Alaotra par lajacinthe d’eau (Eichhornia crassipes),qui a abouti à l’extinction d’uneespèce de canard sauvage (Thalas-sornis leuconotus). De même, Opuntiamonocantha (Cactaceae) ou raketa,

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EUCALYPTUS, MADAGASCAR BIOLOGICAL DIVERSITY

L’Eucalyptus s’est rapidement développé sur les Hautes-Terres, à la faveur desplantations paysannes, pour lui donner un aspect boisé. Dans cette régionrizicole, les reboisements de Pinus, d’Acacia et d’Eucalyptus marquent fortementle paysage.Photo S. Carrière.

introduite par les explorateurs euro-péens au milieu du XVIIIe siècle, enva-hit actuellement le sud de Madagascarsur une très vaste surface.

Bien que ce phénomène d’inva-sion soit fréquent sur l’île et que celaconstitue un problème vis-à-vis de labiodiversité et de l’économie, peud’études lui ont été consacrées.

De plus, l’assèchement du solsous l’eucalyptus illustrerait les effetsnéfastes des reboisements. En effet,cette espèce à croissance rapideconsomme beaucoup d’eau, mais ilsemblerait que le rapport bois produitsur eau consommée soit globalementplus élevé que pour la plupart desautres espèces (Fao, 1981). Les arbrespeuvent contribuer à abaisser le

niveau des nappes phréatiques, rédui-sant la quantité d’eau disponible dansdes zones où elle est parfois peu abon-dante, mais cette espèce n’endemeure pas moins un utilisateur effi-cace de l’eau (Fao, 1981). Enfin, ilsemblerait que les formations végé-tales dominées par les essences dereboisement ne permettent plus l’éta-blissement des espèces végétalesnaturelles de Madagascar (Wells,Andriamihaja, 1997). Des observa-tions récentes (Randriambanona,Carriere, 2005) montrent cependantqu’à la faveur de perturbations lesespèces pionnières malgaches trou-vent des opportunités de régénérationsous pins et sous acacias.

Quel avenir pourles essencesintroduites ?L’exemple de

l’eucalyptus dansla commune

d’Androy

L’uti le et désormaisindispensable eucalyptus

Dans la commune d’Androy(figure 2), en lisière ouest du couloirforestier qui relie les parcs nationaux deRanomafana et d’Andringitra (figure 1),l’utilisation des essences de reboise-ment par les populations locales prendun essor particulier. Le couloir forestierconstituerait pour les scientifiques etles écologistes un « corridor » écolo-gique assurant les flux de gènes desplantes et des animaux, indispensablesau maintien de la biodiversité dans lesdeux parcs (Goodman, Razafin-dratsita, 2001). Ce corridor constituel’un des nouveaux sites prioritaires deconservation dans le système des airesprotégées à Madagascar (Carrière-Buchsenschutz, sous presse) où lespopulations se voient déjà limiter leuraccès aux ressources forestières (Blanc-Pamard et al., 2005).

Les villages tels que Igodona,Ambendrana et Amindrabe, installésaux abords, en lisière ou même dansce couloir forestier, entretiennentaujourd’hui des relations fortes avecles ressources de la forêt (Blanc-Pamard, Ralaivita, 2004 ; Carrièreet al., 2005). Les usages et l’aména-gement de l’espace pour la produc-tion agricole et forestière témoignentaussi de l’intérêt des populationslocales pour l’eucalyptus. En effet,les espèces de reboisement font par-tie de la vie quotidienne des gens(Rakoto Ramiarantsoa, 1995 a) etreprésentent des sources poten-tielles de revenus, si difficiles à obte-nir dans cette région.

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La vente et le transport des planches d’eucalyptus sont très répandus dans lesvillages de lisière forestière. Ce bois permet aux communautés rurales de se procurer un revenu monétaire d’appoint.Photo S. Carrière.

Figure 2. Localisation du « corridor » forestier de Fianarantsoa ainsi que des communes.Ce corridor relie les parcs nationaux de Ranomafana à celui d’Andringitra et à laréserve spéciale du pic d’Ivohibé, plus au sud.

Une histoire ancienne :l ’adoption timide par les

populations locales

L’eucalyptus s’est rapidementdéveloppé à la faveur des reboise-ments paysans sur les Hautes-Terresmalgaches pour donner, en 1950, unaspect verdoyant à cette région(Rakoto Ramiarantsoa, 1995 b)décrite, au début du XIXe siècle,comme « des coteaux arides, à peinerevêtus d’une courte bruyère qui nepeut pas même cacher la couleurrouge de ce sol ferrugineux (…) dessentiers apriques5 où le voyageur nerencontre pas un arbre, pas même unbuisson pour défendre de l’ardeur dusoleil » (Coppalle, 1825-1826). Lesmêmes impressions ont été rappor-tées plus tard par de nombreux voya-geurs (Rakoto Ramiarantsoa,1995 b). Dans cette région, les reboi-sements de pins, d’acacias et d’eu-calyptus marquent fortement le pay-sage (étendue des parcellesplantées, bosquets ou petites forêtsd’eucalyptus, individus isolés).

Conscients du caractère exo-gène de cette espèce, les paysans lesplus âgés (80 ans) ne peuvent cepen-dant pas dater avec précision l’intro-duction de l’eucalyptus (vers la fin duXIXe siècle). Contrairement aux cam-pagnes proches de la capitaleAntananarivo où l’appropriation del’eucalyptus fut très rapide(Rabetaliana et al., 2003), l’adop-tion par les populations locales estplus tardive et mitigée dans cetterégion. En effet, une légende dit que« seulement trois hommes plantaientde l’eucalyptus à cette époque, il y aplus de 100 ans », en raison descraintes envers les étrangers.Pendant leur enfance, l’eucalyptusétait déjà abondant, mais les habi-tants de la lisière préféraient encorele bois des essences de la forêt. Ilssavent que les essences forestièresétaient là bien avant l’eucalyptus carla maison la plus ancienne du village,appartenant aux ancêtres fonda-teurs, et encore visible aujourd’hui,est entièrement composée d’es-sences forestières malgaches.

L’eucalyptus, ressourceau centre de la vie

quotidienne

Dans les villages de la com-mune d’Androy, les paysans sontunanimes : l’eucalyptus, localementappelé kininina (terme générique), aune grande valeur sociale et écono-mique. Plusieurs espèces sont plan-tées et utilisées6 mais E. robustadomine. La majorité des personnesenquêtées possèdent leur propreplantation et ont participé auxactions de reboisement de leurrégion (1984 fut l’année de la miseen place du grand reboisementd’Ivatolampy). Mais les populationsreconnaissent qu’elles « manquentde place pour créer ou agrandir lesplantations privées » et tous ne pos-sèdent pas les terres pour le faire.Les populations accordent une placeimportante à l’eucalyptus pour troisraisons principales : cette espèceest indispensable pour la construc-tion, pour l’obtention d’un revenumonétaire et surtout pour sécuriserl’appropriation foncière à travers unmarquage territorial (Rakoto Ramia-rantsoa, 1995 a et b ; Bertrand,1999 ; Blanc-Pamard, Ralaivita,2004 ; Blanc-Pamard et al., 2005).

L’eucalyptus rouge ou « eucalyp-tus des ancêtres » (E. robusta) prédo-mine dans les reboisements villageoiset étatiques car son bois est plus duret donc plus durable que celui desautres espèces. D’autre part, sa capa-cité de rejeter de souche après recé-page et sa résistance au feu sont trèsappréciées. Les villageois vendent desplanches et des madriers au marchépour un faible revenu : entre 1 600 et2 000 ariary pour un madrier (soit 0,66et 0,82 euro7) et 1 400 ariary pour uneplanche (soit 0,57 euro) en 2005. Avecl’augmentation des prix d’achat, l’inté-rêt de détenir une plantation proprepour se procurer du bois se concrétise.La vente du charbon de bois d’euca-

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Vue aérienne d’une plantation privée d’eucalyptus établie sur une formationherbeuse, à proximité d’une rizière, sur les Hautes-Terres.Photo S. Carrière.

5 Terme de vieux français qui signifieensoleillé, aride…6 Kinini-mena ou kininina vavy(eucalyptus rouge dit des ancêtres oufemelle) : Eucalyptus robusta ; kininim-potsy ou kininina lahy (eucalyptusblanc ou mâle) : E. maculata etE. cinerea ; kininim-boasary (eucalyptusorange) : E. globulus ; kininina oliva :E. citriodora.7 Le salaire mensuel moyen estéquivalent à 20 euros voire moins dansles campagnes.

Illustration des usages multiples de l’eucalyptus sur les Hautes-Terres : (a) vente de planches à découper les aliments ; (b) vente de charbon de bois ;(c) séchage des planches d’eucalyptus pour la construction de la maison ; (d) bûcherons en premier plan et vente de miel et de charbon d’eucalyptus ;(e) vente de cuillères en bois ;(f) parcelles privées traitées en taillis d’eucalyptus entre les rizières.Photos S. Carrière.

a e

b

c

d

f

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lyptus est une importante source derevenus, mais elle demeure assez rareen lisière du corridor (Blanc-Pamard,Ralaivita, 2004). Le bois de construc-tion, travaillé ou brut, le miel d’euca-lyptus, l’artisanat local et les usten-siles de cuisine sont égalementvendus au bord des routes. Les com-munautés emploient quotidiennementl’eucalyptus pour la construction deleur maison, de leur mobilier, desparcs à bœufs, des enclos à cochons,des poulaillers, pour le bois de chauffeet pour la construction des ouvragestels que les pontons dans les rizièreset les ponts sur les routes et les pistes.Enfin, la qualité de la production demiel dépend de l’abondance en fleursmellifères telles que celles des euca-lyptus environnants. Leurs huilesessentielles sont également réputéespour leurs vertus thérapeutiques.Quelques paysans, dans le but d’at-tester sa totale adoption face à la raré-faction et au coût des essences debois nobles, ont révélé son utilisationactuelle comme civière filanjana pourle transport des défunts !

Pourtant, cette essence multi-usage ne peut pas remplir toutes lesfonctions et ne possède pas toutesles qualités propres aux espèces mal-gaches de bois d’œuvre que les com-munautés betsileo prélèvent directe-ment dans la forêt. Étant donné lesinterdictions qui pèsent sur les res-sources forestières (depuis la miseen place des contrats de gestiondécentralisée des ressources natu-relles8), l’eucalyptus semble toujoursprivilégié lorsqu’il présente les quali-tés technologiques requises. Parexemple, les manches d’angady(bêche traditionnelle malgache),principal outil agricole, ne peuventêtre fabriqués en bois, trop fragile,d’eucalyptus. C’est pourquoi l’exploi-tation de la forêt ou des jachèresarborées reste indéniablement unbesoin pour ces agriculteurs (Blanc-Pamard, Ralaivita, 2004 ; Carriereet al., 2005).

Parmi les désavantages dugenre Eucalyptus, figure surtout saperception négative de la part despaysans. Selon eux, ces arbres àcroissance rapide assèchent les pro-fils culturaux des tanety (collines),quand leur présence ne contribue pasà tarir les sources dans les bas-fondsles plus proches (Rakoto Ramia-rantsoa, 1995 a ; Fao, 1981). Enfin,les plantations produisent unombrage, créant un microclimat per-manent, plus frais, défavorable auxcultures. Proche de ce type de sol« froid », le manioc ne produit pasbien, influencé, même en saisonsèche et froide, par l’humidité entre-tenue et tombée de ces arbres. Enfin,Rakoto Ramiarantsoa (1995 a) men-tionne également que le riz « restesourd », jeune, qu’« il ne répond pasaux soins apportés ». Les nombreuxinconvénients liés à la présence deces arbres n’ont pas empêché l’adop-tion et la diffusion de l’eucalyptus surles Hautes-Terres malgaches, quifurent probablement le fruit de nom-breux compromis.

Mode d’appropr iation

Dans cette région, en lisière ducorridor, plus on s’éloigne de la forêt,plus l’eucalyptus devient indispen-sable. Il n’existe pas de règlesstrictes et restrictives pour ceux quivoudraient planter cet arbre. Il estsimplement exclu de planter à proxi-mité d’un tombeau ou encore sur unlieu dévolu à une autre fonction, telleque la construction d’une école.Toute personne est habilitée à plan-ter, tout au long de l’année, et l’es-sentiel des travaux actuels consiste àaméliorer, entretenir voire rajeunirles plantations existantes.

Étant donné que les microplan-tations d’eucalyptus sont nom-breuses dans les terroirs villageois,celles-ci peuvent être considérées,en tant qu’espace traditionnel, aumême titre que les champs, lesrizières et les jachères. L’arbre,quant à lui, se gère comme une res-source locale, appropriée etemployée comme marqueur de terri-toire, plantée sur les limites des par-celles, souvent de manière visibleen haut des crêtes (Rakoto Ramia-

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EUCALYPTUS, MADAGASCAR BIOLOGICAL DIVERSITY

8 La gestion contractualisée consisteà transférer la gestion des forêts auxcommunautés de base en vue d’unegestion sécurisée des ressourcesforestières.

L’eucalyptus fait partie intégrante des terroirs villageois sur les Hautes-Terres,en bosquets, isolés et autour des habitations.Photo S. Carrière.

rantsoa, 1995 a et b ; Bertrand,1999 ; Blanc-Pamard, Ralaivita,2004). Les reboisements appartien-nent à ceux qui ont planté les arbres,représentent une propriété privée etfont l’objet d’un droit d’exclusion et,le plus souvent, d’un mode d’utilisa-tion privé. L’héritage est partagéentre les descendants et peut par-fois être soumis à un mode de ges-tion interne à la famille. Les planta-tions communautaires sont géréescollectivement (à l’échelle du foko-nolona) et la coupe se fait au béné-fice de l’ensemble de la commu-nauté. Les paysans util isentpréférentiellement ces ressourcescommunautaires, par souci d’écono-mie pour leurs propres plantations.

La place de l’eucalyptusdans les villages de lisière :

un gradient révélateur

Dans la commune d’Androy enlisière forestière, bosquets et petitesforêts d’eucalyptus plantés en hautdes versants s’étendent aujourd’huisur les pentes en direction des rizières.La technique du folonina (RakotoRamiarantsoa, 1995 a), basée surune dispersion naturelle des grainespar gravité, a permis une avancée desplants dans le sens de la pente.

Le boisement d’eucalyptus,espace de collecte, fait partie du sys-tème de production. En lisière fores-tière, se trouve une grande variétéd’écosystèmes et donc de lieux deprélèvement. Quelles sont les placesrespectives du reboisement et de laforêt naturelle pour les collectes debois de construction ? Ces plantationsse substituent-elles à l’exploitationdes forêts naturelles ou en assurent-elles un complément ? Pour répondreà ces questions, une étude qualita-tive des matériaux employés pour laconstruction des maisons a été effec-tuée selon un gradient d’éloignementà la forêt : un village, Igodona, àquatre kilomètres de la forêt (NE = 10maisons), deux villages en lisièreforestière, Ambendrana et Saham-bavy (NL1 = 10 maisons et NL2 = 10maisons) et enfin un village au sein

du corridor forestier, Anahipisaka etses hameaux (NF = 10 maisons). Tousles matériaux utilisés pour laconstruction de la maison et du mobi-lier ont été recensés et identifiés surla base du nom vernaculaire et clas-sés par types ou items (fenêtres,portes, chevrons, pannes faîtières,pannes sablières, liteaux, planchesde rive, parquets, poteaux, parc àcochons, chaise, lit, mortiers,pilon…). Un total de 791 items a étédécompté dans les maisons, soit enmoyenne près de 20 items par mai-son. Les maisons en forêt sont pluspetites et comportent de fait moinsd’items, 16,5 par maison en moyennecontre 24 loin de la forêt. Les résul-tats présentés ci-dessous sont denature qualitative et montrent com-ment se répartissent les items, c’est-à-dire les usages en fonction desmatériaux utilisés, dans trois zones(hors et dans la forêt et en lisière).

Près de 90 % des espèces dereboisement utilisées (Er) appartien-nent au genre Eucalyptus. Il existecependant quelques variations parzone puisque, dans la forêt, ce chiffreest de 75 % (n = 25 items) alors que,loin de la forêt, ce chiffre atteint plusde 95 % (n = 207 items). Les autresgenres sont Pinus et Acacia.

Dans la zone d’étude, sur les791 items retenus, 59,9 % sont en Eret 40,1 % en bois d’essences fores-tières malgaches (Ef). Ce pourcentageéquilibré sur des données qualita-tives et non les quantités prélevéesillustre la complémentarité desusages que se partagent les Ef et lesEr. En effet, certains matériaux exi-gent un bois dense et dur que l’on nepeut trouver qu’au sein de la forêt.

Le nombre d’items total comparédans ces trois zones montre qu’il estplus faible en forêt qu’en lisière et loinde la lisière (figure 3). Les maisons sontplus petites et de construction moinsélaborée en forêt, ce qui requiert uneplus petite variété de pièces en bois(item sols en terre battue, par exemple).En revanche, le nombre d’items et doncd’usages d’Ef décroît très rapidement,au profit des Er, en s’éloignant de laforêt (figure 3). L’eucalyptus est très for-tement utilisé, mais seulement à proxi-mité des zones de plantations. L’achat,la vente et le transport vers les villagesde forêt semblent exclus. Le nombremoyen d’items par maison (figure 4)accorde une place plus importante auxEr en forêt qu’aux Ef loin de la lisière. Lesvillageois ayant accès aux plantationspeuvent se passer du bois issu de laforêt pour la construction de certainesparties de la maison, le contraire n’étant

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L’eucalyptus est désormais un matériau indispensable pour la constructiondes maisons sur les Hautes-Terres malgaches, même à proximité des forêtsnaturelles pourtant riches en bois d’œuvre.Photo S. Carrière.

pas systématiquement vrai. Le nombremoyen d’items en Er par maison est tou-jours plus important à l’extérieur de laforêt (figure 4). Le nombre d’items d’Efen forêt est équivalent en moyenne,voire inférieur, au nombre d’items en Erà l’extérieur de la forêt. Il faudrait appro-fondir ces quantifications pour savoir siles quantités de bois correspondantessont proportionnelles. Il est seulementpossible d’avancer que les usages desespèces issues de la forêt sont plusdiversifiés dans les villages de forêt(nombre d’items équivalent au nombrede types d’usages) mais en aucun casque ces villages consomment une plusgrande quantité de bois de forêt. Lataille des maisons et le niveau de viedes habitants de la forêt sont beaucoupmoins élevés que dans les villages delisière et éloignés de la forêt. Enfin, cetteétude montre que pour les villages delisière, où les paysans disposent à lafois d’essences forestières malgachesgrâce à la proximité de la forêt et d’es-sences de reboisement, leur choix setourne désormais préférentiellementvers ces dernières, qui représentent unealternative à l’exploitation des boisforestiers malgaches.

Malgré la proximité de la forêt etl’importance des savoirs et usages liésaux espèces forestières malgaches(Carriere et al., 2005), l’eucalyptusfait, depuis plus d’un siècle, partie de lavie quotidienne des paysans betsileode la lisière. Une des personnes enquê-tées a précisé : « Quand le bois d’euca-lyptus sera en grande quantité, peut-être que l’on n’aura plus besoind’autres bois de la forêt… » Cetteremarque montre à quel point les reboi-sements villageois et leur exploitationreprésentent une alternative réaliste àla limitation de l’exploitation forestière.Cette limitation concerne les fonctionstechniques que l’eucalyptus peut assu-rer, en particulier pour tous les maté-riaux de construction des maisons, desenclos, pour le bois de chauffe et lecharbon de bois. Enfin, l’utilisation tra-ditionnelle du bois d’eucalyptus dansla construction des maisons attestel’ancienneté, souvent ignorée, de ladiminution des prélèvements de boisautochtones dans la forêt.

Figure 3. Nombre total d’items selon le type de bois utilisé, en fonction de la localisationdes villages.

Figure 4. Pourcentage moyen d’items par maison, construits avec des essences forestières(a) et avec des bois prélevés dans les reboisements (b) selon la localisation desvillages.

18 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 7 , N ° 2 9 2 ( 2 )

EUCALYPTUS, MADAGASCAR BIOLOGICAL DIVERSITY

Conclusion

De nombreux auteurs ontobservé ce phénomène d’adoptionancienne de l’eucalyptus par lessociétés paysannes malgaches(Rakoto Ramiarantsoa, 1995 a etb ; Bertrand, 1999). Dimension fon-cière et intérêt économique associésexpliquent que l’eucalyptus se soitimposé sur les Hautes-Terres (RakotoRamiarantsoa, 1995 b). « Une telledynamique de plantations paysannesspontanée se développant sur toutun siècle constitue un phénomèneremarquable qui ne se rencontre pasailleurs en Afrique à une échelle com-parable » (Bertrand, 1999).

Malgré l’utilisation quotidiennedes espèces végétales forestièresmalgaches et leur place importantedans le système de pensée despeuples betsileo en lisière du corri-dor forestier Ranomafana-Andringitra(Moreau, 2002 ; Carrière et al.,2005), l’eucalyptus occupe une placeprivilégiée dans les campagnes parcequ’il rend de multiples services, rem-plaçant peu à peu les essences fores-tières pourtant toujours disponibles.Pfund (2000) a montré que, dans lesforêts humides de l’Est, l’eucalyptusfait partie des vingt plantes les plusutiles, placé en cinquième positionpar les paysans. En effet, même s’ilest admis que le paysan défriche etdéforeste, il est aussi reconnucomme étant un paysan de l’arbre,sachant le planter, le gérer et l’utili-ser à bon escient (Moreau, 2002 ;Rabetaliana et al., 2003). Cetteessence répertoriée comme espèceinvasive et néfaste par les écolo-gistes assure pourtant ici de nom-breux services tant économiquesqu’écologiques à ne pas dédaigner,même si elle ne peut remplacer labiodiversité malgache sur le planfonctionnel. Les reboisementsd’Eucalyptus contribuent, grâce auxrevenus qu’ils génèrent, à améliorerles conditions de vie et le bien-êtredes communautés rurales. Lestenants et aboutissants de l’avenirdes reboisements à Madagascarméritent d’être éclaircis et débattus,

afin de les considérer en tant quepartie intégrante des paysages mal-gaches contemporains et éventuelle-ment comme alternative à l’exploita-tion des forêts naturelles. Ilconviendrait également, à l’instard’autres ressources, d’établir descompromis afin de planifier l’aména-gement des zones dévolues aux plan-tations (consommatrices d’eaucomme l’eucalyptus), des zones deproduction vivrière (Fao, 1981) etenfin des aires protégées pour laconservation de la biodiversité.

Les paysages malgaches sontreprésentés par une mosaïque com-plexe de milieux naturels riches enbiodiversité et de paysages agricolesartificiels. La diversité végétale intro-duite cohabite avec la biodiversitémalgache en la complétant sur le planéconomique. De nombreuses espècesarborées introduites et productivesmarquent les paysages des Hautes-Terres là où, autrefois, l’arbre man-quait (Coppalle, 1825-1826). Aucuned’entre elles n’est réellement géréeafin de limiter les effets néfastes touten valorisant les bénéfices.

Souvent impossibles à éradi-quer, les espèces invasives ont étéintroduites pour leurs qualités etleurs utilisations potentielles. Il s’agitde poursuivre la difficile lutte contreles espèces néfastes et sans utilitétout en prévenant de nouvelles inva-sions. Toutefois, les essences intro-duites, aux productivités parfois trèsélevées car adaptées aux conditionsde vie malgaches, peuvent ouvrir denouvelles perspectives écono-miques, voire industrielles, de pro-duction de bois, de combustible, debiocarburants, de vitamines, defibres… et ainsi contribuer au déve-loppement durable du pays. Tenterune cohabitation entre les écosys-tèmes naturels malgaches, les agroé-cosystèmes et les espèces intro-duites permettrait d’assurer unenécessaire complémentarité d’usagepour les besoins des populations. Ilappartient donc à l’homme de gérerson environnement afin qu’ils n’en-trent pas en compétition sur le planécologique et économique.

RemerciementsQue l’initiative Ati « Aires protégées »de l’Ird, dirigée par C. Aubertin,F. Pinton et E. Rodary, soit ici remer-ciée pour avoir initié et financé cesrecherches. D. Hervé et M. Buchsen-schutz sont remerciés pour avoircontribué à améliorer les premièresversions du manuscrit.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 7 , N ° 2 9 2 ( 2 ) 19DIVERSITÉ BIOLOGIQUEEUCALYPTUS, MADAGASCAR

Encadré 1. Extraits d’interviewsauprès des populations de la communed’Androy.

Les interviews auprès des popula-tions de la commune d’Androy mon-trent leur engouement pour l’euca-lyptus, espèce introduite pour lereboisement. « L’eucalyptus est très important, caril rapporte de l’argent et on peutconstruire sa maison… il sert ausside bois de chauffe… le bois d’euca-lyptus est très cher ! Que feront alorsceux qui n’ont pas de plantation ?On a vraiment besoin du bois d’eu-calyptus pour la vie, c’est indispen-sable par ici ! Ce bois dure des géné-rations et des générations, la vie neva pas dans le bon sens si l’on n’apas d’eucalyptus… depuis que jesuis grand je me rends compte del’importance de l’eucalyptus…L’eucalyptus est très précieux, icitout le monde fait des efforts pour leplanter… ici on transporte même lemort dans l’eucalyptus ! » Citationsdes paysans des villages d’Igodonaet d’Ambendrana, communed’Androy, sur les Hautes-Terres mal-gaches.

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