berdiaev-le grand inquisiteur

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  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    1/43

     

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  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    2/43

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    3/43

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    DU GR ND INQUISITEUR 

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    4/43

    LA LÉGENDE

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    GRAND

    INQUISITEUR

    F

    DOSTOÏEVSKI

    K LÉONTIEV

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    V ROZANOV

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    BOULGAKOV

    N BERDIAÏEV

    S

    FRANK

    raduction du russe

    et

    introduction e

    uba

    ]urgenson

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    5/43

     

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  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    6/43

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    des 

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    plus  p ro fonde , ent re   de ux princ ipes   de l  h is to ire  

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    , le

    3

    5

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    7/43

    socialisme qui prétend remplacer la religion

    et

    construit

    la

    tour de

    Babel. Partout où l homme est pris sous tutelle, partout où l apparent

    souci de son bonheur

    et

    de son bien-être va de pair avec le mépris, le

    refus d admettre son origine et sa destination supérieures, l esprit du

    Grand

    Inquisiteur est bien vivant. Partout où l on préfère

    le

    bonheur

    à

    la liberté, où le temporel prime sur l éternel, où l amour des hommes

    s oppose celui de Dieu,

    l

    est vivant. Partout où l on affirme que pour

    être heureux l homme n a pas besoin de vérité, qu on peut vivre bien

    sans connaître le sens de la vie, il est présent. Partout où l humanité

    succombe aux trois tentations du diable, la transformation des pierres

    en pains, le miracle matériel et l autorité sur les royaumes de ce

    monde, on rencontre le

    Grand

    Inquisiteur. Son esprit se cache sous

    des apparences diverses, souvent incompatibles. Le

    Grand

    Inquisi

    teur, manifestation du principe mauvais, du mal métaphysique dans

    le monde et dans l histoire, fut présent dans l Église ancienne, qui

    niait la liberté de la conscience et brùlait les hérétiques, plaçant l auto

    rité au-dessus de la liberté; il est présent dans le positivisme, cette

    religion qui idolâtre l homme et sacrifie la liberté suprême au bien

    être; il est présent dans les institutions de l État qui adore César et

    son glaive, dans toutes les formes de l absolutisme où l État est ido

    lâtré, la liberté bannie et l homme protégé tel

    un

    animal méprisable,

    dans

    le

    socialisme qui nie l éternité et la liberté au nom d un ordre ter

    restre, de la satiété terrestre du troupeau humain.

    Les premières paroles que le

    Grand

    Inquisiteur adresse au

    Christ

    en prison, sont : «

    De

    quel droit voudrais-Tu, du reste, ajouter quoi

    que ce soit

    ce

    que

    Tu

    as enseigné jadis? Pourquoi donc viens-Tu,

    aujourd hui, nous déranger?

    Car Tu es

    venu

    pour

    nous déranger, c est

    certain, et Tu ne l ignores pas Toi-même. »

    Toujours, toujours dans l histoire, lorsque le

    Christ

    est apparu

    dans la vie des hommes

    pour

    apporter une parole de liberté venue

    d ailleurs, pour rappeler l éternelle destination de l homme, chaque

    fois que Son Esprit est descendu sur les hommes il fut accueilli de la

    sorte par les puissants de

    ce

    monde. Le

    Grand

    Inquisiteur, représen

    tant du catholicisme, lui dit:

    «Tout

    a été remis par Toi au Pape et

    3 6

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    8/43

    c'

    est au Pa

    pe qu'il

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    n'as

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    vant l 'he

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     en 

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    sidère qu

    tout

    a

     été conf

    ié à son

    pouvoir et

    il rep o

    usse mécha

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     person

    ne 

    du

    C h

    ris t . Les

      forces h

    istoriqu

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    rées

    par l

    'esprit du

     

    G

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    Inquisi

    teur,« ont

     

    cor r igé»

     l'œuvre

     du

    Chr

    ist et

     

    accom pli leur besogne  en son nom.

    De 

    nos jours, les hommes réa

    gis

    sent

    au

    ssi avec

    colère et dégoû

    t

    à tout rapp

    el

    de  leur li

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    , l Ét

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    , et aux

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    teurs de

    l'édifice

    nouveau

    , de la tour 

    de B

    abel soci

    aliste et

    positivis

    te. Le

    Gra

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    u is i teur

    qui

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    issi

    m ule sous cet édifice

    humain

    s'élève, ouver teme n t

    ou 

    e n  secret, con tre

    la

    liberté d

    u Chr i s t

    , ses val

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    ité; ils n

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     pas ceux

     

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    s

    dernier

    s

    gên

    ent

    les

    constructeurs dans leur organisat ion du bien-être  

    et

    de la t ranquillité

    te

    rrestres.

    O

    n

    n'a p

    as besoin

     de paro

    les libres

     

    et 

    vraies

    ,

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    a bes

    o in de

    p

    aroles ut

    iles qui perme

    ttent

    d'arra

    nger nos

      affaires

      ici-bas.

    Je

      vois la

    scène su

    ivante : on

    appo

    rte les d

    ernières

    briques pour

     

    ac

    hever le

      royaum

    e de ce

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    Les pierr

    es sont

    transform

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    pains, l'i

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    r

    endant

    heu

    reux les

     

    citoyens  de cet

    État

    l

    société  est élevée  au rang d 'un absolu ter

    restre.

      Soudain

    ,

    un

     

    h

    omme

    vien

    t.  I l pro

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    n e parole

    ,

    et

    l 'agi

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    ne n'a en

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    a liberté

    plus que

      son bon

    heur ,

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    e les lois

     per-

    327 

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    9/43

    mettant de transformer les pierres en pains, les prouesses techniques.

    Ils n ont pas besoin de liberté non plus, ils ne recherchent que le bon-

    heur

    et

    la satisfaction; ils n ont point besoin d amour, car

    on

    peut les

    unir par la violence, on peut les contraindre à la vie sociale. La parole

    libre, qui empêche de construire l édifice, ne pourra être prononcée,

    elle sera étouffée,

    par

    une force physique

    ou

    spirituelle.

    Déjà

    on

    entend mal ceux qui tentent de rappeler l origine et la vocation supé

    rieures de l homme.

    Le Grand Inquisiteur ne recule devant aucune ruse; son esprit se

    manifeste

    aussi bien

    dans

    le conservatisme, gardien des valeurs

    anciennes - l autorité de l État qui organisa naguère la vie des

    hom-

    mes - que dans les tendances révolutionnaires qui créent de nouvelles

    valeurs,

    une

    nouvelle organisation sociale où la vie humaine sera

    définitivement arrangée pour le

    bien

    de tous. Mais nous, nous

    disons : la parole de vérité

    et

    de liberté

    doit

    être prononcée, même au

    péril de tout l édifice du bien-être humain, dussent toutes les fonda

    tions anciennes

    et

    nouvelles et tous les royaumes de la terre en être

    ébranlés

    et

    le monde empirique se désagréger

    et

    s envoler

    dans

    l abîme.

    Nous

    disons ceci au nom de la dignité absolue de l homme,

    en croyant au sens du monde, à l éternité, et nous ne voulons pas sou

    tenir e monde par le mensonge

    et

    l illusion. D ailleurs, l humanité ne

    périrait ni le

    monde

    ne se désagrégerait à cause d une parole libre

    et

    vraie. Cette parole, la seule à même de conduire l humanité vers une

    vie éternelle, entière, libre et sensée ne pourrait que sauver le monde.

    La tour de Babel s écroule, la prison de la condition terrestre tombe,

    le mirage du monde empirique se dissipe : qu il en soit ainsi. L éter

    nelle liberté

    et la dignité absolue de l homme, ses liens avec l intem

    porel sont bien plus précieux que toute organisation sociale, toute

    quiétude,

    tout

    bien-être,

    tout bonheur

    indigne, pitoyable, inconsis

    tant. On ne saurait éviter la dernière tragédie de l existence humaine;

    autant marcher vers elle librement et dignement. Aucun positivisme

    ne pourra nous cacher le sens de la vie, aucun socialisme ne pourra

    nous masquer la fin du

    monde

    libératrice.

    328

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    10/43

    Qie

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    ten

    te les

      ho

    m m

    es, l

    es c

    o n tr

    a in t

     à r

    enon

    cer

     à le

    u r l

    iber

    té, l

    es

    d

    étou

    rne

     du c

    iel.

    O

    r, le

    Chr

    ist pri

    vilég

    ie l

    a lib

    erté,

     le l

    ibre

    am o

    ur d

    e

    l'h

    om

    me.

    Le 

    Christ 

    ava it

    pour 

    les 

    hommes

    non 

    seulement

    de 

    l'am

    our,

     ma

    is au

    ssi d

    u re

    spe

    ct, il

     aff

    irm a

    it le

    ur d

    igni

    té e t

     les

    croy

    ait

    ca

    pabl

    es d

    'acc

    éder

     à l '

    é tern

    ité.

      Il v

    oul

    ait p

    our

     eux

     u

    n b

    onh

    eur en

     

    acc

    ord

     avec

     leu

    r n at

    ure

    supé

    rieu

    re, e 

    qu

    i sup

    pos

    ait la

     rec

    onn

    aissa

    nce

    d

    e l'ab

    solu

     de

    l'ho

    m m e

    . L e

     

    Gran

    d Inqu

    isite

    ur,

    qui

    m ép

    rise

    l'hom

    m e

    ,

    n

    ie sa

     nat

    ure s

    upé

    rieu

    re, s

    a  ca

    pacit

    é d'

    avan

    cer

    vers

    l'éte

    rnit

    é e t

    de s

    fond

    re d

    ans

    l'abs

    olu,

     il d

    étest

    e to

    u t c

    ela.

    I l dé

    sire

    priv

    er l '

    hom

    m e

    de

    s

    a lib

    erté

    le force

    r à

    un

     

    b

    o nh

    eur l

    am e

    ntab

    le, h

    um

    ilian

    t da

    ns u

    n éd

    i

    fice

     con

    fort

    able

    L e

     

    Gra

    nd Inq

    uisi

    teur

     dit

    au

    Ch

    rist qu

    i s '

    est m

    ira

    cu le

    use

    m en

    in

    trod

    uit

    dans

     son

     roy

    aum

    e bie

    n or

    gani

    sé p

    our l

    ui ra

    ppe

    ler q

    u'il e

    xist

    des valeurs plus grandes que le bonheur et le b ien-être : 

    «Tu

    jugeais,

    il y a

     qui

    nze

    sièc

    les,

    qu'il

     étai

    t ess

    enti

    el de

      ga

    rder

    la li

    bert

    é de

     la fo

    i.

    N

    e leur

     rép

    étais

    -Tu

     pas

     sans

     Te

     lass

    er:

    Je v

    eux

    vous

      ren

    dre

    libre

    s."

    Eh

     bie

    n ,

    T

    le

    s  a v

    us

    aujo

    urd '

    hui,

      ces

    h o m

    m e

    s  "li

    bres

    ", a

    jouta

      le

    vie

    illar

    d  en

     esq

    uiss

    ant

    soud

    ain

     u

    n sour

    ire p

    ens

    if.

    Oui

    , cela

      nou

    s a

    co

    ûté

    très

    cher

    , rep

    rit-i

    l en

    fixa

    nt su

    r le

    Chr

    ist

    un

     

    re

    gard

     sév

    ère,

    mais

     

    nous avons  enfin achevé notre œuvre, en

    Ton

    nom .

    Durant

    quinze 

    s

    iècl

    es, c

    ette

     libe

    rté

    nou

    s  a d

    onn

    é d

    u  

    il à re

    tord

    re,

    m ai

    s  c'e

    st fi

    ni

    m

    ain

    tena

    nt,

    et b

    ien

    fini

     

    « Sa

    che

      d

    onc q

    ue c

    es h

    om

    mes

     so

    nt,

    aujo

    urd'

    hui

    préc

    isém

    ent

    ,  plu

    s  co

    nvai

    ncus

      que

     jam

    ais

    de l

    eur

    entiè

    re

    l ibe

    r té ,

    et cep

    end

    ant il

    l'o

    nt en r

    éa li

    app

    orté

    e eu

    x-m

    ême

    s

    et

    dép

    osée

      à n

    os p

    ieds

      Vo

    ilà

    notre

      œu

    vre

    E st

    -ce

    bien

     cet

    te li

    berté

    -là

    que

     

    Tu

     

    leur

     sou

    hait

    ais?

    »

    Le Gra

    nd

    Inqu

    isi t

    eu r«

     s'at

    tribu

    e le

     m ér

    ite,

    to

    u t au

      co

    ntrai

    re, à

     lui

    e t a

    ux si

    ens,

     d'av

    oir

    fini

    par j

    ugu

    ler l

    a lib

    erté,

     

    e t

     d 'a

    voir

      réus

    si,

    pa

    r là, à

     ren

    dre

    les

    ho

    mm

    es heu

    reu

    x.

    Ca

    r c'es

    m

    aint

    ena

    nt, p

    our

     la p

    rem i

    ère

    fois,

     que

     nou

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    r [ .

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    é.

    L'ho

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    ,  de

    natu

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    ort

    é à

    se rév

    olte

    r.

    M ais  des  révoltés saurai

    ent-

    ils ê

    tre h

    eur

    eux?

     

    Tu

     

    ava

    is ét

    é  pr

    éven

    u,

    329

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    11/43

    Lui dit-il, les bons conseils et les avertissements ne

    T ont

    pas manqué

    jadis, mais Tu n as pas voulu en tenir compte. Tu s rejeté l unique

    voie qui pouvait mener les hommes au bonheur. Ce fut une chance

    qu en quittant la terre

    Tu

    nous aies confié la tâche d achever Ta mis

    sion.

    Tu

    nous

    s

    chargés de diriger l humanité.

    Tu

    nous a donné

    Ta

    promesse,

    Tu

    s

    établi

    notre

    autorité sur

    Ton

    Verbe,

    Tu

    nous

    s

    donné le droit de lier et de délier, et ce droit, Tu ne saurais évidem

    ment nous le retirer désormais. Pourquoi donc

    es-Tu

    venu nous

    d

     

    ;:>

    eranger.

    »

    Ainsi parle le catholicisme qui a quitté les voies du Christ, rem

    plaçant la liberté par l autorité, l amour

    par

    les tortures de l Inquisi

    tion, sauvant de force les

    «rebelles»

    méprisables.

    Mais

    l esprit

    du

    Grand Inquisiteur est également présent dans les autres Églises qui

    ont,

    elles aussi,

    « vaincu

    la liberté afin

    de rendre

    les

    hommes

    heureux

    »,

    sauvant des

    «

    rebelles

    »

    contre leur volonté et leur dignité,

    empruntant des voies où l homme pouvait trouver le bonheur, mais

    qui ont été rejetés par le Christ. L État faisait la même chose en pre

    nant

    sous sa tutelle le genre

    humain

    rebelle et en privant les hommes

    de leur liberté pour mieux arranger leur existence, exerçant

    s

    violence

    sur eux au nom d un bonheur

    animal.

    La

    religion positiviste, le socia

    lisme suit l Inquisiteur sur cette voie afin d ériger une tour de Babel

    sans Dieu et oublier la liberté et le sens de la religion. De nouveau,

    on

    tente d organiser l humanité, en lui ôtant sa dignité suprême, en

    la contraignant au

    bonheur

    obligatoire.

    Le

    socialisme naissant et le

    catholicisme déclinant qui a succombé à la tentation des royaumes

    terrestres ont bien des choses en commun, ils sont habités par un

    même esprit. La nouvelle religion, le socialisme positiviste et athée,

    qui cherche

    à

    installer l humanité dans une existence sans Dieu et

    contre Dieu, croit que c en est fini de la liberté, fini pour de bon. Et

    les hommes

    dont

    ils veulent le bien-être et le

    bonheur

    sont plus que

    jamais persuadés d être complètement libres. Oubliant leur origine et

    leur destination, renonçant au rêve de gagner le ciel, ils croient que

    «

    c est maintenant, pour la première fois, que nous pouvons songer au

    bonheur de l humanité ».

    330

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    12/43

     hie

     s 'e

    n ten

    den

    t dir

    e, a

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    rd 'hu

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    eux

    qui

    parl

    en t du

     se

    ns 

    re

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    ux  d

    e la

    vie,

    de  la

     val

    eur

    abso

    lue  d

    e la

      per

    sonn

    e,  d

    e la

    liber

    té 

    u l

    tim e

    ? On

     leu

    r rép

    lique

     ave

    c ag

    acem

    ent

     qu'il

    s gê

    n en t

     les a

    utre

    s da

    ns

    leur

     quê

    te  d

    u bo

    nhe

    ur, q

    ue  l

    eurs

    prop

    os  f

    utile

    s et

     leur

    s ab

    strac

    tion

    s

    em p

    êche

    n t d

    'ach

    ever

      l'éd

    ifice

      du 

    b ien

    -être

     hum

    ain

    , on

     leur

     sign

    ifie

    ,

    avec haine,  que les hommes  son t libres, tout 

    à

    fait libérés du 

    ...

    sens

    su

    prêm

    e, d

    e la

     dign

    ité s

    uprê

    m e,

     de l

    a lib

    erté,

     oui,

     enf

    in, d

    e la

    terri

    ble 

    re

    spon

    sabi

    lité

    de  la

      lib

    erté.

     

    C

    haq

    ue

    po

    sitiv

    iste

    satis

    fait

    a en

      lui un 

    Gr

    and

     

    Inqu

    isite

    ur d

    e pe

    tite

    enve

    rgur

    e;  d

    ans

    les  d

    isco

    urs  d

    e ce

    rtain

    s

    soc

    iaux

    -dém

    ocra

    tes

    conv

    ainc

    us o

    n en

    ten d

     la v

    oix d

    'un G

    ran

    d I

    nqui

    -

    siteu

    r de

     peti

    te en

    verg

    ure

    ; son

     esp

    rit e

    st p r

    ésen

    t che

    z to

    us le

    s fan

    ati

    ques de  l'organisation  terrestre, du bien-être terrestre, chez  tous  les

    d

    éfen

    seur

    s de

    la pé

    renn

    ité

    terre

    stre.

     

    Le

     

    G

    ran

    d

    Inqu

    isite

    ur d

    it

    ég

    alem

    ent

    :« 

    A

    u lie

    u de

     

    T

    e

    rend

    re m

    tre

     de

    la lib

    erté

     hum

    ain

    e, Tu

     as

     voul

    u l'a

    ccro

    ître e

    nco

    re. A

    s-T

    u do

    nc 

    ou

    blié

     que

     l 'ho

    m m

    e pré

    fère

     la q

    uié tu

    de d

    e l'â

    m e

    e t m

    êm e

     la m

    ort

    au 

    libr

    e ch

    oix e

    ntre

     le b

    ien e

    t le m

    al?

     Rien

     n'e

    st pl

    us sé

    duis

    ant

    pre

    m ièr

    e

    vue que la liberté de conscience, mais rien

     n 'es

    t plu

    s to r

    tu ra

    n t en

     réa

    lité.

     

    A

    u

    lieu

    de p

    oser

     des

    prin

    cipe

    s sol

    ides p

    our

    apa

    iser

    la co

    nsci

    ence

     

    hum

    aine

     une

     fois

     

    p

    our

    to

    utes,

     

    T

    u

    lui

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    fert c

    e q

    u'il y

     ava

    it,  e

    n ce

    m

    ond

    e, de

      my

    stéri

    eux,

      d 'al

    éato

    ire e

    t de

    vagu

    e, tou

    t ce

     qu

    i dép

    asse

     la 

    m

    esur

    e des

      forc

    es  h

    um a

    ines

    . Tu

     as

    agi  c

    om m

    si

    T

    u

    n'aim

    ais

     pas d

    tout

      les

      hom

    m e

    s, To

    i qu

    i e

    s p ou

    rtan

    t ven

    u do

    nne

    r Ta

    vie

    p o u

    r eux

     

    Au

    lieu

      de  m

    aît

    riser

     la li

    bert

    é hu

    m ain

    e, Tu

     l'a

    s am

    plif

    iée,

    char

    gean

    t

    l'âm

    e des

     hom

    m e

    s d 'u

    n tour

    men

    t é

    tern

    el. Tu

     vo

    ulai

    s que

     les

    h om

    m es

     

    Te

     don

    nen

    t

    l ib re

    m en

    t leu

    r am

    our

      et q

    u'ils

     

    T

    e

    suiv

    ent

    de  le

    ur p

    lein

     

    g

    ré, c

    harm

    és e

    t sé

    duits

     par

     

    To

    i. »

     

    Le

     Gra

    nd

    Inqu

    is ite

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    l ho

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      fard

    eau

    de l

    libe

    rté,

    d

    e ce

    tte  u

    ltim

    e lib

    erté

      de 

    choix

      rel

    igieu

    se;

    il sé

    duit

      l 'ho

    m m

    e pa

    r la

    qu

    ié tu

    de.

    I l

    p

    rom

    et

    le

    bo n

    h eur

    , lui

      qui

      mé

    prise

      les

    hom

    mes

      et

    les 

    cro

    it in

    capa

    bles

     de

    port

    e r le

      fard

    eau

    de  l

    a lib

    erté,

      ind

    igne

    s de

    l'é te

    r

    nité

    . Le G

    ran

    d I

    nqui

    s iteu

    r re

    proc

    he a

    u Chri

    st

    d'av

    oir a

    gi co

    m m

    e s'i

    l

    n 'a im

    ait

    pas

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    33

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    13/43

    p

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    elle

    nt

    «l 'extraordinaire» , la  liberté suprême, le su rhumain.

    Toute

    religion

    du

    bien

    -être

     p u r

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    au  C hrist dans 

    le 

    désert e t que le C hr is t avait refusées au

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    a pr

    ésen

    tées

     dan

    ses

    trois questions?

    Tu

    les a rejetées alors, et les Livres saints les appellen t

    t

    entat

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     eut

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    les ré

    tabl

    ir,

    les reconstituer afin de  les y réintroduire. Supposons qu 'on réunisse

    dan

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    que

     

    tou te la sagesse de la terre réunie serait capable de concevoir, ne fû t

      e

     

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    332

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    14/43

    d une

    intelligence humaine ordinaire, mais d un

    Esprit

    éternel et

    absolu.

    Car

    elles contiennent en elles, car elles englobent toute l'his

    toire ultérieure de l'humanité, et offrent trois symboles qui résument

    les contradictions insolubles de la nature humaine.

    Ces

    vérités

    n'apparaissent pas alors en pleine lumière, car l'évolution future du

    monde n'était pas encore connue, mais aujourd'hui, après quinze siè

    cles révolus, nous constatons que tout ce qui avait été prévu et prédit

    dans ces trois questions s'est réalisé

    si

    complètement qu'on ne pour

    rait rien y ajouter ni en retrancher désormais.

    »

    Voici ce que dit

    'Inquisiteur au

    Christ

    apparu devant lui.

    Toute

    l'histoire du monde chrétien est une

    lutte

    continue du

    Christ,

    principe de la liberté,

    du

    sens, de la

    nature

    supérieure

    en

    l'homme et de la vie éternelle, contre les trois tentations

    du

    diable. Et

    aujourd'hui, vingt et

    non

    plus quinze siècles plus tard,

    tout

    cela n'est

    pas encore suffisamment clair. Aussi, «

    La

    Légende » demeure-t-elle

    un

    livre prophétique. Chez Vladimir Soloviev, l'Antéchrist

    186

    séduit

    également les hommes au moyen de trois tentations : il réalise le rêve

    de la religion socialiste, la transformation des pierres en pains; il

    nourrit tous les hommes, accomplit des prodiges qui les assujettissent

    et fonde le royaume terrestre universel.

    LA PREMIÈRE TENTATION

    «Tu

    veux aller vers les hommes et

    Tu

    vas vers eux les mains vides,

    avec, seulement, la promesse d'une liberté qu'ils sont incapables de

    comprendre dans leur simplicité et leur indignité innées,

    dont

    ils

    ont

    peur par surcroît, car il n'y a et il n'y a jamais eu d'état plus intolérable

    aux hommes et

    à

    la société que la liberté. Vois-Tu ces pierres dans le

    186. Il s'agit de

    l Histoire

    e

    l Antéchrist

    intégrée dans

    Trois entretiens

    de Vladimir

    Soloviev, œuvre littéraire influencée par La Légende », dans laquelle trois per

    sonnages conversent sur l'Apocalypse, le problème du mal et la société.

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    15/43

    désert aride

    et

    brûlant? Change-les en pains,

    et

    l'humanité accourra

    vers Toi tel un troupeau reconnaissant et docile; elle Te sera recon

    naissante

    et

    soumise, mais tremblera sans cesse de

    Te

    voir retirer

    Tes

    mains

    et

    Tes bienfaits.

    Mais

    Tu n'as pas voulu priver

    l'homme

    de la

    liberté

    et

    Tu s rejeté l'offre, en Te disant qu'il n'y aurait plus de vraie

    liberté là où l'obéissance s'achèterait par le pain.

    Tu

    s

    répondu que

    l'homme ne vit pas de pain seulement. Ne savais-Tu donc pas que

    l'Esprit de la terre

    se

    dresserait contre Toi au

    nom

    de ce pain terrestre

    précisément, qu'il lutterait contre Toi

    et

    Te vaincrait? Alors la foule

    accourra vers lui en disant : Qyi donc

    peut se

    comparer à la Bête, car

    elle nous a donné le feu

    du

    ciel?" Des siècles s'écouleront et un jour

    viendra

    la sagesse

    et

    la science humaines proclameront qu'il n'y a

    ni mal ni péché, mais seulement des affamés. "Nourris-les

    et

    ensuite

    seulement exige d'eux la vertu "

    C'est

    avec ce cri qu'on lèvera l'éten

    dard contre

    Toi

    et qu'on détruira Ton temple. On élèvera un autre

    édifice à sa place, une seconde tour de Babel terrible. Elle restera ina

    chevée comme la première fois, mais Tu aurais

    pu

    épargner à

    l'huma

    nité

    les

    tourments

    de

    cette

    nouvelle

    tentative

    et

    abréger

    ses

    souffrances de mille ans. Car c'est à nous que les hommes viendront

    ensuite, après avoir peiné dix siècles à bâtir leur tour Ils viendront

    nous trouver comme jadis

    et

    nous chercheront dans les catacombes

    nous nous serons réfugiés (car nous serons de nouveau persécutés).

    Ils viendront, disant :

    Donnez-nous

    à manger, car ceux qui nous

    ont

    promis le feu

    du

    ciel nous

    ont

    trompés."

    Nous

    achèverons alors

    la

    construction de la tour, car ceux-là seuls qui nourriront les hommes

    pourront

    mener cette entreprise à

    bonne

    fin.

    Et

    nous les nourrirons,

    nous

    et

    personne d'autre, nous le ferons en Ton nom, en

    mentant et

    en nous réclamant de Toi. Oh, jamais, jamais ils n'arriveront à se

    nourrir sans nous La science ne leur donnera pas de pain aussi long

    temps qu'ils demeureront libres, mais ils finiront par

    jeter

    leur liberté

    à nos pieds en nous

    disant

    : "Asservissez-nous, mais nourrissez

    nous." Ils comprendront eux-mêmes que la liberté

    et

    le pain terrestre

    pour tout le monde sont incompatibles, car jamais, jamais ils ne par

    viendront à partager le pain équitablement. Ils se convaincront aussi

    4

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    16/43

    de l

    ' impossib

    ilité d 'ê

    tre libres

    , car  ils

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    les, dép

    ravés, nu

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    elles. 

    Tu leur as

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    le pain c

    éleste, m

    ais, je

     

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     fois,  pe

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      milliers

      ou des

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     homme

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    e

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    uivre pour

    le  pa

    in

    céleste, que  feront les m illions et les  milliards d 'êtres  incapables de

    ren on

    cer au

    pain terr

    estre 

    pour

     

    celui du

    ciel?

      N aimer

    ais-Tu

    que

    quel

    ques diz

    aines de

    milliers

    de grand

    s et forts

    , et les a

    utres m il

    lions 

    inn

    ombrabl

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    e le sab

    le de  la

    mer, qui

     sont fa

    ibles,  m a

    is qui

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    iment,

    ne serv

    iraient-il

    s que  d '

    engrais a

    ux gran

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      forts?

    N

    on,  les

      faibles n

    ous son

    t chers a

    ussi. Ils

    son t m éc

    hants e t

     rebelles

    ,

    mais

    ce

    sont ceux-là 

    justement

    qui dev iendron t

    pour 

    finir les  plus

    soum

    is. Ils no

    us adm i

    reron t

    et nous p

    rendront

     pour des

      dieux, p

    arce

    que

    nous aur

    ons acce

    pté, en n

    ous

    m

    ettant

    à leur

     tête, d'as

    sumer le

     far

    de

    au de leu

    r liberté

     et de ré

    gner sur

    eux - te l

    lement c

    ette libe

    rté leur

    s

    era deven

    ue odie

    use à  la

    longue

    Ce

     

    so

    nt des par

    oles terr

    ibles e t

    prophét

    iques à p

    ropos du

     destin t

    errestre d

    e l homm

    e.« T

    u connais

    sais,

    Tu

    ne pouvais pas  ignorer 

    ce

    secret fondam enta l de la nature

    hum a

    ine [ incl

    us dans l

    a prem iè

    re tenta t

    ion] ,  ma

    is Tu

     

    as

    repouss

    é

    l

    seul é

    tendard

    indiscuta

    ble qu

     on T 'o ffra

    i t pour a

    m e n er to

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    hom

    me

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    ant Toi

      sans hés

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    l 'étenda

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    stre.  T

    u l 'as  rep

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    u nom

     

    d

    e la l

    iberté

    et du pain

    céleste.

    Contem

    ple main

    tenant Ton

     ceuv

    re Vois

    ce que

    Tu

    as

     fait,

      toujours

     

    au nom de la liberté Je

    Te 

    le répète, il n 'y a pas d 'angoisse plus p ro

    fond ém

    ent ancr

    ée au  cœ

    ur de l 'h

    om m e q

    ue celle

      de trouv

    er à qui

    l

    pour

    rait sacri

    fier au p

    lus vite la

     liberté

    que, m al

    heureuse

     créature

    , il a

    reçu

    e en nais

    sant. Mais

    on n

    e parvie

    nt à d isp

    oser de

    la liberté

      des

    h om

    m es qu

    'en apais

    ant leur

    conscien

    ce.

    L

    e socialis

    m e com

    m e relig

    ion rem

    plaçan t l

    e pain c

    éleste 

    p r le

    pain

     terrestre

    , constru

    isant la

    tour de B

    abel, dé

    ifiant l 'h

    om m e lim

    ité,

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    contre Toi

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    aincrait?

      D éjà,

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     religion

     sociale s

    dresse

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    5

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    17/43

    annonçant que Dieu n existe pas et que l humanité doit devenir

    un

    dieu sur la terre. Oh, bien sûr, le socialisme recèle une grande vérité,

    car le mensonge de la société capitaliste et bourgeoise est grand. Je

    pense même qu en

    un

    sens, on ne peut qu être socialiste, c est une

    vérité élémentaire, et en aucun cas

    on

    ne saurait réduire le socialisme

    une tentation

    du diable.

    Toutefois,

    cette

    tentation

    naît

    dans

    1 atmosphère d un socialisme qui n est pas neutre et qui ne se soumet

    pas la religion, mais prétend être lui-même une religion. Elle con

    duit non pas

    à un

    bien neutre, mais

    à un

    mal définitif. Le

    Grand

    Inquisiteur est démagogue, il se fait passer pour un démocrate, pour

    un ami des faibles et des opprimés qui aime tous les hommes. Il

    reproche au

    Christ

    son aristocratisme, son désir de sauver seulement

    quelques-uns, les élus, les forts.

    «

    N aimerais-Tu que quelques dizai

    nes de milliers de grands et forts, et les autres millions innombrables

    comme le sable de la mer, qui sont faibles, mais qui T aiment, ne ser

    viraient-ils que d engrais aux grands et aux forts? Non, les faibles

    nous sont chers aussi.

    »

    C est un passage très important. Le

    Grand

    Inquisiteur méprise

    tant

    les hommes et croit

    si

    peu

    en

    la nature supé

    rieure de l être humain qu il considère que peu seulement sont capa

    bles de suivre la voie du sens suprême de la vie, de conquérir le ciel

    et

    de préférer le pain céleste au pain terrestre. La religion de l homme,

    la religion sociale qui cherche à faire passer le désir du pain céleste en

    lui substituant le pain terrestre méprise l homme.

    O ;te

    personne ne

    gravisse des montagnes trop hautes, nous enseignent les faux démo

    crates, que tout soit aplani, que tous

    demeurent

    égaux dans leur

    médiocrité terrestre. L esprit du Grand Inquisiteur met en doute le

    droit

    de grandir et de gravir de hautes

    montagnes;

    au nom d un

    amour non véritable, terrestre, et non céleste, au nom d une compas

    sion envers nos frères il nous enjoint de partager notre pauvreté,

    et

    non notre richesse. La richesse spirituelle est interdite. Il est défendu

    de penser au ciel,

    on

    appelle cela de l égoïsme; seul le souci du tem-

    porel est louable. Soyez tous petits, pauvres, renoncez toujours votre

    liberté, et vous recevrez votre pain terrestre, vous trouverez la paix, et

    ce

    sera bien pour tout le monde. C est ce qu enseignaient les vieux

    336

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    18/43

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    b ien-ê tre forcé dans  les consciences com m e dans  l existence. D an s  le

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  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    19/43

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    T im agines-Tu 

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    voulais le libre don de leur 

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      8 

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    20/43

    ché leur amour libre, a condamné toute violence, il n a pas voulu pour

    eux de bonheur forcé, les respectant comme il respectait son Père

    céleste. Il n a pas voulu faire naître la foi par le miracle, il a rejeté une

    foi contrainte, basée sur un événement extérieur qui assujettit les

    hommes. Le Fils de Dieu est venu dans le

    monde

    sous l apparence du

    Crucifié,

    non

    pas

    en tant

    que roi

    et

    souverain, mais humilié

    et

    sup

    plicié afin que

    l homme

    connaisse et aime librement son Dieu.

    Le

    miracle de la libre fusion en Dieu et de l amour doit venir de la foi.

    Dans

    la foi, le plus important, c est une conscience libre. L histoire

    universelle n a de sens que si les hommes choisissent Dieu librement.

    L Inquisiteur, tout comme le tentateur du désert, promet des miracles

    purement

    extérieurs capables d assujettir l homme, de le contraindre

    au bonheur, de le priver de sa dignité d enfant de Dieu, de sa part de

    vie en Dieu à laquelle

    l

    a droit; le mystère dont il

    s

    sert pour hyp

    notiser ses victimes n est qu aveuglement et ignorance.

    Le

    miracle

    et

    le mystère sur lesquels cet esprit bâtit son édifice ne sont que trom

    perie, mensonge, charlatanisme et violence.

    De

    nouveau, c est au

    nom

    de tous les hommes, au

    nom

    d un prétendu

    esprit démocratique

    que le Grand Inquisiteur se dresse contre le Christ.

    Il

    veut faire croire

    que seuls quelques élus ressusciteront en Christ. «Tu peux être fier

    de ces enfants de la liberté, qui

    T ont

    donné librement leur amour et

    se sont de plein gré sacrifiés pour Toi dans

    un

    élan sublime. Souviens

    Toi cependant qu ils ne sont que quelques milliers, et plus semblables

    à des dieux qu à des hommes.

    Et

    les autres?

    En

    quoi sont-ils fautifs,

    les autres, de n avoir pas été capables de supporter les mêmes épreuves

    que ces forts? L âme faible est-elle coupable de ne pas savoir s élever

    à des vertus aussi redoutables? Serais-Tu venu pour les seuls élus

    et

    ne songes-Tu qu à eux?[ ... ] N avons-nous pas aimé l humanité, nous

    qui avons reconnu avec tant de résignation sa faiblesse, allégé son far

    deau avec sollicitude, nous qui,

    tenant

    compte de sa débilité morale,

    l avons même autorisée à pécher, à condition de nous en demander la

    permission? Pourquoi viens-Tu maintenant nous déranger? » De

    nouveau, le

    Grand

    Inquisiteur se

    donne

    le rôle d un démocrate

    défenseur des hommes, et accuse le

    Christ

    de ne pas aimer suffisam-

    339

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    21/43

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    de miracles pour croire, nous avons besoin d une foi capable de faire

    des miracles. Nous voulons la liberté et non l autorité. Nous ne vou

    lons pas de mystère qui nous assujettit et nous enchaîne à notre cécité,

    nous voulons percer le mystère, comprendre la vie.

    La

    théorie de

    l autorité qui s impose par la violence est un produit de l incroyance,

    elle ne croit pas en la puissance naturelle du divin

    et

    invente

    une

    puis

    sance artificielle, elle agit par la peur.

    187

    LA TROISIÈME TENTATION

    C est la tentation la plus forte, et dans l histoire de l humanité elle

    occupe une place importante. «Nous ne sommes pas avec Toi, mais

    avec

    lui

    Voilà notre

    secret.[

    ... ] nous avons accepté de lui e que

    Tu

    avais rejeté avec indignation, le dernier don qu il T avait offert en Te

    désignant les royaumes de la terre : nous avons consenti à recevoir de

    ses mains Rome et le glaive de César, et nous avons décrété que nous

    serions les seuls rois de e monde, bien que nous n ayons pas jusqu ici

    parachevé notre œuvre. »

    Le

    catholicisme, avec son papisme et

    l orthodoxie, avec son césarisme, ont succombé à la troisième tenta

    tion, celle de l impérialisme, la tentation des royaumes de ce monde.

    L État romain, qui idolâtrait César, un État absolutiste qui ne con

    naissait rien au-dessus de lui, fut l incarnation la plus terrible, la plus

    extrême de la troisième tentation. On eût pu penser que seule la cons

    cience préchrétienne admettait l existence de Rome et

    du

    glaive de

    187.

    On

    pourrait citer, comme un exemple de raisonnement dans l esprit du

    Grand

    Inquisiteur, les paroles d un jésuite : A l heure actuelle, personne ne peut

    croire en la plupart des dogmes chrétiens, par exemple, en la divinité du Christ.

    Mais, vous en conviendrez, une société humaine civilisée ne peut se passer d une

    autorité solide

    et

    d une hiérarchie inébranlable. Or, l Église catholique est la seule

    qui puisse

    se

    prévaloir d une telle autorité

    et

    d une telle hiérarchie. C est pourquoi

    tout homme cultivé, qui se préoccupe des intérêts de l humanité, ne peut qu être

    du côté de l Église catholique, autrement dit, ne peut être que catholique. »

    341

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    23/43

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    342 

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    24/43

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    as s incli

    ner deva

    nt le pain

     te rrestr

    e, ne pas

      dé poser

     

    s

    a conscie

    nce entre

     le s mai

    ns d une

    autorité

    terrestre,

      ne  pas s

     un ir en

    un

     

    É

    tat des

    potique

    terrestre,

      so us le

    pouvoir

    humain d

     u n Cés

    ar,  et

    peu

    importe.«

    En

    acceptant la lo i et la pourpre des Césars, 

    Tu

    aurais

    fond

    é l Em

    pire  unive

    rsel e

    t assu

    ré pour

    toujou

    rs

    l

    a  pai

    x d

    l  huma

    nité . »

    Mais le Chri

    st prêc

    hait le ro

    yaume de

    s Cieux,

     il a refus

    é

    un e terr

    e coupée

      d u Ciel

    ,

    un

    e hu m

    ani té c

    oupée de

      D ieu. Le

    Ch

    rist

    n

     a pas pr

    êché «

    la

    p

    aÎ-< < uni

    verselle»

    , mais u

    ne   lutte

    universel

    le pour

    u ne

     l ib ératio

    n et un s

    alut fina

    l du m o n

    de, pour

    que le s

    ens d u m

    onde

    soit dé voilé. C elui qui p ren d le g laive de C ésar le lève co ntre le C hrist .

    «

    La Lé ge n

    de  du

    Grand

     

    Inq

    u isi teur »

     e st l œ u

    vre  la plu

    s anarch

    iste

    e

    t la pl

    us révolu

    tionnaire

     q ui fùt j

    am ais cr

    éée.Jama

    is encore

     

    un

     verd

    ict 

    aussi sé

    vère et d

    éfinitif n

    e fut pro

    noncé

    l encontr

    e des ten

    ta t ions d

    e

    l absolut i

    sm e, de

      l i mpér i

    alisme, j

    am ais en

    core la

    na ture ant

    ichré-

    ti

    enne de l

     em pire

    terrestre

    ne  fut ré

    vélée ave

    c u ne tel

    le force.

    Jam ais

    encore on n  a entend u une telle   louan ge 

    à

    la liberté,

    à

    la hardiesse de

    l esp

    rit  d u C

    hrist. a

    is cette

      an archie

      a  une b

    ase relig

    ieuse, ce

    n est

    pas un«

    anarch

    isme my

    stique »

    c est un a

    narchism

    e théocr

    atique, u

    ne  

    révolut

    ion   créat

    rice de l

     es prit. A

    n archis

    te et rév

    olutionn

    aire, cett

    e

    œ uvre l

    est, mais

      d estruct

    rice, non

    . Elle re

    fuse tout

    pouvoi

    r huma in

    ,

    tou te déi

    fication d

    e la vo lo

    nté hum

    aine, tou

    te  organ

    isation d

    e la pla

    nète  au

    nom 

    d un pouvoir divin, d une un ion d u  ciel e t de la terre.

    On

    a p

    e ine à

     

    c

    o m prend

    re   que l

     au teur d

    u « Gra

    nd  Inquis

    iteur»

    ait  pu

    défe

    ndre l au

    tocratie,

    se laisser

     sé duire

    par l État

     byzanti

    n.

    4

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    25/43

     

    Enfin, le

     Grand I

    nquisite

    ur s'élève

     jusqu'au

    x som m

    ets ou p l

    utôt,

    d

    escend ju

    squ'aux

     tréfonds

     d 'une pe

    nsée sat

    anique.

    Une idée

     surhu-

    maine, d 'un  autre mon

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    26/43

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    27/43

    Gr

    and

     In

    qui

    siteu

    r ne s

    'est

    pas

    enco

    re i

    ncar

    né d

    éfin

    it ive

    m en

    t, il

     

    dem

    eure

     cac

    hé, il

     fau

    t le d

    ém a

    sque

    r pa

    rtou

    t où

    il s

    e trouv

    e. L

    es ho

    m-

    m

    es s

    édui

    ts pa

    le G

    rand

     

    In

    qui

    siteu

    r ne

      son

    t pas

     enc

    ore d

    even

    us d

    es

    « e

    nfan

    ts h

    eure

    ux

    » ils

    ne

    se son

    t pa

    s  en

    core

    com

    plèt

    em e

    nt so

    umi

    s. 

    Ils

    son t

     les p

    lus

    fiers,

     les

    plus

    rebe

    lles,

     ils

     

    n

    e v é

    nère

    nt qu

    e le

    ur pr

    opre

     

    personne, que l 'hum ain en eux. Cependant la déification de l 'hum ain 

    c

    ond

    u it f

    atale

    m en

    t, d

    'aprè

    s  un

    e  lo

    i de

    la d

    ialec

    tique

     m y

    stiq

    ue, à

     la

    d

    éific

    ation

     d 'u

    n se

    ul ho

    m m

    e. Le

    s ge

    ns, s

    édui

    ts pa

    r le

    bonh

    eur

     enfa

    n

    tin

     que

     leur

     don

    nera

    it le G

    ran

    d In

    quis

    iteu

    r, de

    vien

    dron

    t des

     esc

    laves

    des

    être

    s p

    itoy

    able

    s et

    sen

    tiron

    t le

    b

    eso

    in de

     

    s

    e  sou

    me

    ttre

    défin

    itive

    m en

    t. D

    éjà,

    on

     

    v

    oit

    pass

    er qu

    elqu

    e  ch

    ose

    de c

    et o

    rdre

    sur

    les visages  des foules hypnotisées par des idées révolutionnaires e t

    do

    nc,

    en a

    ppar

    ence

    , lib

    ératr

    ices.

     Tra

    nsfo

    rm é

    e en

      trou

    peau

    ,  l 'h

    um a

    nité

     tro

    uver

    a  la

    paix

    , ren

    onc

    era

    à son

      org

    ueil

    , s'in

    clin

    era

    deva

    nt le

     

    Gran

    d In

    qui

    siteu

    r, e t

     o

    n aura

    une

    belle

     tyr

    anni

    e. 

    L

    'esp

    rit d

    u Gr

    and

    Inqu

    isite

    ur p

    répa

    re sa

     just

    ifica

    tion

     au Ju

    gem

    en t

     

    D

    erni

    er.

    «M

    ais

     

    m

    oi, j

    e m e

     lèv

    erai

    alors

     e t j

    e T

    e dés

    igne

    rai c

    es m

    il

    liards  d'enfants  heureux, ignoran t tout péché.

    Et 

    nous, qui aurons

    pr

    is  su

    r no

    us le

    urs f

    aute

    s  po

    ur ré

    alise

    r leu

    r bo

    nhe

    ur, n

    ous

    nous

     pré

    sen

    teron

    s de

    vant

     

    Toi et T

    e di

    rons

     : J

    uge-

    nous

     

    si T

    le

    peux

     et

    s

    i Tu

    l

    'oses

    . S

    ache

      que

     je n

    e T

    e cra

    ins

    pas.

    A pp

    rend

    s  qu

    e j'a

    i  véc

    u, m

    oi

    a

    ussi,

      dan

    s  le

    dése

    rt, m

    e  no

    urri

    ssan

    t de

    saute

    relle

    s  e t

     de r

    acin

    es, q

    ue

    j'ai

     bén

    i la l

    ibert

    é do

    nt

    T

    a

    s fait

    don

     aux

    hom

    m es

    . Je

    m e p

    répa

    rais

    à 

    en trer dans la cohorte de 

    Tes

    élus,  à faire partie des  puissants e t des 

    orgu

    eille

    ux q

    ui fo

    rm e

    nt la

     pet

    ite a

    rmée

     de T

    es f

    idèle

    s, e t

     je b

    rûlai

    s d u

     

    d

    ésir

    d 'en

      com

    plé

    ter le

     nom

    bre

     . M

    ais

    je m

    e sui

    s res

    saisi

      à te

    m ps

     et

    n

    'a i pl

    us v

    oulu

     serv

    ir un

    e ca

    use

    folle

    . Je

    suis

    reve

    nu d

    e 1

     

    e

    rreur

     e t j

    'a i

    rall

    ié  le

     cam

    p d

    e  ce

    ux q

    u i tr

    ava

    illen

    t à

    corr

    iger

     Ton

     œu

    vre

    . J 'a

    i

    quit

    té  le

    s ran

    gs d

    es o

    rgue

    illeu

    x et

    je m

    e su

    is jo

    int a

    ux h

    um b

    les p

    our

     

    coopérer à leur bonheur.

    Ce 

    que je 

    T an nonce

    aujourd 'hui s'accom

    pl

    ira e

    t no

    tre ro

    yau

    m e s

    'inst

    aure

    ra en

      e m

    on

    de. »

     Il a

     reno

    ncé

    au c

    iel

    au

    nom

     

    du«

     

    bo

    nheu

    r de

     mill

    ions

     d'ho

    m m

    es

    »

     du

     

    bonh

    eur

     des

    hum

    -

    bles

    , de

    tous

    . I l a

     ren

    oncé

     à l'o

    bjec

    tif o

    rgue

    illeu

    x de

      con

    quér

    ir le

    ciel,

     

    de «

     com

    plét

    er le

     nom

    bre

     » de

    s jus

    tes.

    Cet

    te jus

    tific

    atio

    n est

     sou

    vent

     

    46 

  • 8/19/2019 Berdiaev-Le Grand Inquisiteur

    28/43

    proposée par ceux qui

    sont

    contaminés par l esprit du Grand Inqui

    siteur. Les voilà qui nous reprochent d avoir oubl