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    « Interpénétration des langues et des populations au Maroc. (Cas du berbère

    et de l’arabe dans la région de Béni-Mellal) » dans  Berber  in  Contact. 

     Linguistic   and   Sociolinguistic   perspectives,  éd. M. Lafkioui et V.

    Brugnatelli,  BERBER STUDIES, Volume 22, Rüdiger Köppe Verlag-Koln,

    Netherlands, pp. 81-99, 2008c

    INTERPENETRATION DES LANGUES ET DES POPULATIONS

    AU MAROC. LE CAS DU BERBERE ET DE L’ARABEDANS LA REGION DE BENI-MELLAL

    Saïd BennisUniversité Mohammed V- Agdal

    Faculté des Lettres et des

    Sciences Humaines

    Rabat, MAROC

    Introduction

    La présente étude se rapporte à l’interpénétration des langues et des

    populations dans la région de Béni-Mellal. Cette interpénétration

    concernera le calque sémantique1  et les processus phonologiques et

    morphologiques qui affectents les emprunts] faits par le berbère de larégion, dorénavant chelha (communément nommée tamazighte)

    2, à la

    variété arabe de la région de Béni-Mellal3. L’analyse de ces différents

    1 Le calque sémantique n’est pas le seul type de calque observé dans la région de Béni-

    Mellal. Le calque syntaxique est également remarquable dans le parler arabe de la région

    notamment à travers la neutralisation du genre au niveau de la deuxième personne del’inaccompli et de l’impératif au profit du féminin. Cette neutralisation opère à partir du

    calque syntaxique de la féminisation reconnue du pronom dépendant de la deuxième

    personne en chelha [t…t]. Aussi, le pronom dépendant de l’inaccompli et de l’impératif en

    arabe est-il rendu par le morphème [i] désignant le féminin : ttakli mcana « tu manges avec

    nous », tlcbi mcana « tu joues avec nous» , lcbi mcana « joue avec nous !», kuli mcana «mange avec nous !». (Bennis, 2003).

    2 Les sujets enquêtés s’identifient comme «Chleuh» et nomment leur lecte la «chelha » par

    opposition au Soussiya, «chelha des gens du sud » et au « Rifiya », «celle des gens du

    nord » (Bennis, 2001a). Pour Boukous (1995 : 17-20), il ne s’agit pas de la chelha mais du

    tamazighte, «dialecte spécifique à la région du Maroc central » qui constitue aux côtés du

    Tachelhite, dialecte parlé au sud du Maroc, et du Tarifite, dialecte du nord du Maroc, lalangue Amazighe.

    3 L’emprunt entre la chelha et l’arabe de la région de Béni-Mellal n’est pas unidirectionnel,

    il est essentiellement bidirectionnel. Cette réciprocité est très manifeste dans le champ

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    phénomènes linguistiques s’inscrit dans une perspective synchronique. La

    problématique de l’interpénétration entre l’arabe et le berbère sera abordée à

    partir d’une hypothèse générale suivant laquelle les réalités culturelles et

    linguistiques marocaines devront être appréhendés dans une perspective de

    continuum et de transversalité dans laquelle les spécificités berbères et

    arabes sont ancrées dans une logique métisse reconnaissant deux

    mouvements parallèles : berbérisation et arabisation.

    Le domaine d’investigation est la région de Béni-Mellal (centre du Maroc),

    l’intérêt pour cette région émane du fait qu’elle présente une situation où

    parlers arabes et parlers berbères sont en contact. La conséquence de ce

    contact est une configuration de la population en quatre groupeslinguistiques, les Chleuh  dont la langue maternelle est la chelha, lesAmazighisés, arabes parlant la chelha, les Arabisés (Bennis, 2006b),

    chleuh s’identifiant comme arabes et ayant une certaine connaissance latente

    de la chelha, et les Arabes dont la langue maternelle est l’arabe. A

    l’intérieur de ce dernier groupe, je distingue entre les Arabes non-zézayants

    (- Z) et les Arabes zézayants (+Z) (Bennis 2001b ). L’encadré suivant

    permet de visualiser la distribution administrative des localités retenues pour

    l’enquête (Bennis, 2006a) :

    Sites d’enquête

    Groupe Cercle Commune Fraction Douar Popul.

    Arabes

    + ZBéni-

    Mellal

    Oulad Yaich Zouaïr Oulad Moussa 2303

    - Z

    Oulad

    M’barek

    Oulad

    M’barek

    Oulad

    M’barek Day

    1393

    Chleuh El Ksiba Taghzirt Aït

    Hbibi

    Aït Yahya 896

    Amazighisés El Ksiba Foum El

    Anceur

    Aït

    Oumnissef

    Ahle Sabek 575

    Arabisés Kasbat

    Tadla

    Semguet Aït

    Rouadi

    Aït Rouadi 1637

    Comme il apparaît d’après cet encadré, les points d’enquête retenus sont

    pour le groupe arabe, douar Oulad M’barek Day de la fraction Oulad

    M’barek pour les non-zézayants, et le douar d’Oulad Moussa de la fraction

    Zouaïr pour le groupe zézayant, pour le groupe chleuh le douar d’Aït Yahya

    lexical de l’agriculture où presque la quasi-totalité du lexique du technolecte référant au

    travail de la terre est empruntée à la chelha (Bennis, 1998)

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    de la fraction Aït Hbibi, pour les Amazighisés le douar de Ahle Sabek de la

    fraction Aït Oumnissef , et pour le groupe arabisé le douar d’Aït Rouadi de

    la fraction Aït Rouadi. Le nombre global des enquêtés étant 267 sujets

    (Bennis, 2006a). Les données relatives à l’emprunt ont été collectées auprès

    de 42 sujets chleuh du douar d’Aït Yahya et 54 sujets amazighisés de celui

    d’Ahle Sabek, celles se rapportant au calque sémantique ont été recueillies

    auprès de sujets appartenant aux quatre groupes retenus ( Chleuh, Arabes,

    Arabisés et Amazighisés). L’entretien et l’observation participante ont

    constitué les principaux instruments de collecte, notamment à travers

    l’enregistrement d’informateurs qui ont bien voulu se prêter à la situation

    d’entretien.

    Suivant cette approche, l’emprunt sera envisagé conformément aux divers

    modes d’interaction entre les lectes ou variétés linguistiques en présence

    (chelha et arabe). Ainsi, les emprunts arabes seront analysés à partir de leur

    processus d’intégration qui peut être phonologique , morphologique,

    régulier, irrégulier, ou sous des formes intermédiaires. Les emprunts arabes

    en chelha affectent presque toutes les catégories majeures du mot (nom,

    verbe et adjectif). Les emprunts verbaux sont adoptés suivant les règles de

    formation des verbes natifs. L’intégration des formes adjectivales, quant à

    elle, ne s’opère pas à partir du même processus. Les adjectifs de l’arabe sont

    transposés dans une autre classe grammaticale, à savoir celle du verbe.

    Le calque sémantique, en tant que manifestation du contact de langues et de

    populations, sera abordé à partir du mode de transfert sémantique et de la

    directionnalité du calque. Le mode de transfert peut être soit partiel soit

    total. La directionnalité du calque, quant à elle, sera fixée à partir de deux

    critères, un critère linguistique permettant de désigner la langue source de

    celle dite langue cible et un critère culturel attestant le blocage de la

    directionnalité du calque au profit de parallélismes sémantiques dont la

    raison est le partage du même espace et par conséquent du même fond

    culturel.

    1. Emprunts arabes en chelha 

    Plusieurs chercheurs ont abordé le cas de l’emprunt arabe en berbère dans le

    cadre général de l’influence de l’arabe sur le berbère (Laoust 1920, Colin

    1961, Taïfi 1979, El Aouani 1983, Boukous 1989, Akka 1990, El Moujahid

    1995, entre autres). Ces chercheurs se sont préoccupés d’un type d’emprunt

    lexical unidirectionnel, de l’arabe vers le berbère, et tout particulièrement

    dans certains champs lexicaux très significatifs comme celui de la religion

    examiné dans Boukous (1989). Dans cette étude, l’auteur conclut que

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    l’emprunt est une des principales stratégies de résistance des langues

    dominées (Boukous , op.cit. : 17).

    L’approche, que je propose des emprunts arabes en chelha, s’inscrit non pas

    dans le contexte conflictuel d’une langue dominée opposée à une langue

    dominante mais dans celui constitué de trois éléments en parfaite

    complémentarité que sont le partage d’un même fond culturel, la

    coexistence sur un même espace géographique et le contact linguistique. Les

    emprunts arabes retenus pour la description ne relèvent pas d’un domaine

    précis mais appartiennent au champ de la communication quotidienne et

    peuvent référer à des champs différents et divers. Pour analyser l’intégration

    des emprunts arabes en chelha, j’examinerai en premier lieu les emprunts detype nominal, ensuite les emprunts de type verbal et enfin ceux de type

    adjectival.

    1. 1. Emprunts nominaux

    A l’instar de Deroy (1980) et Boukous (1989), la description des emprunts

    nominaux se fera sur la base du mode d’intégration au système du lecte

    d’accueil. Le mode d’intégration peut être phonologique ou morphologique.

    L’intégration des emprunts constitue l’une des principales stratégies

    d’assimilation de formes linguistiques en situation de langues et depopulations en contact. Néanmoins, il faut rappeler que d’autres emprunts

    nominaux s’intègrent sans modification phonologique ou morphologique (le

    cas de certaines formes proverbiales et emprunts nominaux citations.

    1. 1. 1. Intégration phonologique

    L’intégration phonologique des emprunts opère essentiellement à partir du

    processus effacement-substitution suivant lequel l’effacement de la matrice

    de traits du lecte d’origine est corollaire de son remplacement par celle du

    lecte d’accueil. Les substitutions les plus fréquentes relevées sont laspirantisation, la gémination, le voisement et le dévoisement.

    La spirantisation s’applique dans le cas du passage d’une articulation

    occlusive à une sifflante. Cette dernière modification correspond au

    processus engagé par la chelha dans l’intégration de certains noms de

    l’arabe contenant les sons occlusifs [k]  et [g]  comme dans les exemples

    suivants :

    (1) [lgrrab] … [agrrab] « vendeur d’eau »,

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      [lg zzar ... [ag zzar] « boucher »,

    [lkas] ... [lkas] « le verre»,

    [lk nz] … [lk nz] « le trésor»

    où les pointillés symbolisent le processus d’intégration des mots arabes sous

    les formes de la chelha.

    Par ailleurs, à la suite de Boukous (1995 : 45), je considère que la chelha

    appartient au système consonantique dit « périphérique » du groupe

    consonantique spirant. C’est pourquoi, des items comme [lkas], [lkissan]

    « les verres », [mbar k]  « nom propre » peuvent être intégrés

    respectivement sous les formes [lšas], [nbar š] et [lšissan].

    Le second processus phonologique remarqué est celui qui consiste à

    géminer les glides de l’arabe. La glide passe d’un segment simple à un

    segment double dans le contexte d’une syllabe finale. Ce processus

    d’intégration n’est pas spécifique exclusivement des Chleuh mais également

    des Amazighisés et des Arabisés, car les trois groupes partagent le même

    lecte de départ à des degrés différents; il est maternel pour les Chleuh,

    second maternel pour les Amazighisés et un substrat pour les Arabisés.

    Cette gémination constitue au-delà du cadre de la région de Béni-Mellal, un

    trait linguistique d’identification du groupe des Berbères. Pour illustrer le

    processus de gémination, je donne les exemples suivants :

    (2) [mllaliya] … [mllaliyya] « femme de Béni-Mellal »,

    [lcrbiya] … [lcrbiyya] « l’arabe »,

    [xuya] … [xuyya] « mon frère »,

    [nniya] … [nniyya] « l’intention »,

    Le troisième processus est celui de « voisement emphatique » : d’une

    matrice de traits phonologiques contenant le trait [- voisé] on passe à une

    autre qui lui est similaire mais substituant à ce dernier trait son contraire le

    trait [+ voisé]. Cette substitution s’applique à deux ensembles de phonèmes,

    l’ensemble [t], [s] se réalisant respectivement par [d] et [z] et l’ensemble[  ],[]  respectivement par [D] et [Z].  A noter, que pour le premier

    ensemble, le voisement s’accompagne d’une emphatisation :

    (3) a- [lxat m] … [talxad mt] «bague »,

    [lmuhndis] … [lmuhndiz] « architecte »,

    [tsactaš] … [tzactaš] « dix neuf »

    b- [l f   ur] … [l fDur] « petit déjeuner »,

    [um] ... [aZum] « jeûne »,

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      [ala] ... [  aZalli  ] « prière »

    Le dernier processus d’intégration phonologique des emprunts nominaux

    arabes en chelha est celui de dévoisement. Le dévoisement représente le

    processus opposé à celui du voisement. C’est le remplacement du trait

    [- voisé] par le trait [+ voisé] : le segment [d]  se réalise par le segment

    [-voisé] correspondant. Le dévoisement induit également l’emphatisation

    comme dans les exemples ci-dessous :

    (4) [lmida] … [ lmi  ] « piège »

    [lwrda] … [talwr   ] « rose»

    [ttid] … [tti  ] « nom d’un produit de lavage »[dfina] … [   fina] « vêtement féminin »

    Outre ces quatre principales stratégies d’intégration phonologique, il faut,

    parallèlement, signaler l’occurrence de certains cas réduits d’intégration se

    basant sur le changement du mode d’articulation suivi d’un dévoisement.

    Ces cas concernent le passage de [g] à [q] et de [b] à [f] comme dans les

    exemples suivants :

    (5) [lgi  un] … [aqiDun] « tente »

    [lgn  ra] … [lqnDrt] « pont »

    [lbttix] … [ lf ttix] «le melon »[ bil] … [  f il] « le plat »

    Dans ces exemples, l’intégration des emprunts s’opère par la substitution de

    la consonne uvulaire sourde [q] à la consonne vélaire sonore [g]  et celle de

    la consonne labio-dentale sourde [f]  à la consonne bi-labiale sonore [b]. 

    Ces substitutions sont possibles car les segments impliqués appartiennent au

    même lieu d’articulation : [g] et [q] sont vélaires, [b] et [f] sont labiales.

    La description de l’intégration phonologique des emprunts nominaux arabes

    en chelha a montré que les stratégies employées (spirantisation, gémination,

    voisement et dévoisement) sont placées toutes dans un processus desubstitution se résumant au remplacement du son de la variété d’origine par

    le son le plus proche dans la variété emprunteuse.

    1. 1. 2. Intégration morphologique

    L’intégration morphologique des emprunts nominaux arabes dépend des

    stratégies d’adaptation du nombre et du genre employées par les locuteurs

    du lecte récepteur, la chelha. Ces stratégies peuvent être de trois ordres

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    différents : (i) régulier où nombre et genre du lecte de départ sont

    maintenus, (ii) irrégulier dans lequel le passage au lecte emprunteur est

    fonction d’un changement en genre et en nombre, et (iii) faisant partie d’une

    interlangue par le biais de laquelle des formes intermédiaires sont créées.

    1. 1. 2. 1. Intégration régulière

    L’intégration régulière du genre des noms arabes en chelha s’effectue par

    un remplacement des morphèmes caractéristiques du genre de la variété

    linguistique de départ par ceux de la variété réceptrice. L’adoption des noms

    arabes spécifié [+ masculin] se réalise par l’ajout à l’initiale du morphème

    du masculin en chelha, à savoir le morphème -a, alors que le passage dusingulier au pluriel par le morphème discontinu du pluriel en chelha  i…n 

    comme dans les exemples suivants :

    (6) [  bib] … [aDbib] « médecin »

    [r bbi] … [ar bbi] « Dieu »

    [lawli] « mouton » … [iulin] « les moutons »

    L’intégration régulière du genre féminin intervient aussi par le passage du

    morphème du féminin de l’arabe -a au morphème discontinu du féminin en

    chelha t…t . Cette intégration du féminin admet deux modes différents :

    l’emprunt est introduit dans le système de la chelha soit en état dedétermination soit en état d’indétermination. En effet, l’insertion du

    morphème du féminin dans certains cas n’implique pas l’effacement de

    l’article défini en arabe exprimé par l- ou par une géminée cici-, comme il

    apparaît dans les exemples suivants :

    (7) [wsada] … [tawsatt] « oreiller »

    [š  žra] … [tašž rt] « arbre »

    [llimuna] … [tallimunt] « l’orange »

    [tt  ffaa] … [tatt  ffat] «pomme»

    [l x  iya] … [tal xtit] «procès»

    1. 1. 2. 2. Intégration irrégulière

    Le deuxième ordre d’intégration est celui dit irrégulier dans lequel

    l’adaptation des emprunts présuppose un changement de genre et de

    nombre. D’abord, le changement de genre se fait dans les deux sens, i.e. du

    genre féminin on passe au genre masculin et vice versa comme dans :

    (8) [  urraf] … [ta  urraft] « compotier »

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      [ž nwi] … [taž nwit] « couteau »

    [lrira] … [arir] « la soupe »

    [gdra] … [agdur] « marmite »

    Par ailleurs, le changement du nombre n’est pas très fréquent, les exemples

    en sont très rares. Le changement en nombre intervient seul ou accompagné

    d’un changement en genre comme le montrent les exemples suivants :

    (9) [dd mm] … [idamn] « le sang »

    [tt sbi] ... [tt sbiat] « les chapelets »

    [lkurdas] … [tikurdasin] « les boules de viandes séchées »

    1. 1. 2. 3. Formes intermédiaires

    Comme dernier ordre d’intégration, j’aborde celui qui entre dans ce qu’on

    appelle communément interlangue. Par interlangue, on désigne une forme

    linguistique intermédiaire entre un lecte maternel et un lecte étranger

    (Trudgill, 1992 : 9). Elle se résume à forger des formes intermédiaires

    présentant des indices grammaticaux du lecte de départ mélangés à ceux du

    lecte d’arrivée. De ce fait, l’intégration des emprunts nominaux arabes n’est

    ni régulière ni irrégulière mais se réalise sous forme de néologismes portant

    la marque de l’appartenance à un groupe étranger, en l’occurrence le groupe

    des Chleuh. Ces cas de formes nouvelles présentant des schèmes et desmorphèmes mixtes sont exemplifiés dans ce qui suit :

    (10) a- [ iniya] … [ init] « le plateau »

    [rr ma] … [rr amt] « la miséricorde »

    [tuf sslamt tazart] « mieux vaut la paix que le figuier »

    (se dit pour éviter les mauvaises conséquences d’un projet).

    b- [lcn ra] … [lcan rt] « période estivale »

    [laža] … [lažt] « l’objet »

    [unnayran lcnayt i br iw mmid] « celui qui veut mettre

    du baume doit supporter le froid » (se dit à quelqu’unqui veut réussir sans fournir d’effort).

    c- [lmraya] … [lmri] « miroir »

    [lf lf la] … [lf lf l] « le poivron vert»

    [žždid] … [lždid] « le nouveau »

    Dans le groupe d’exemples (10 a), la forme intermédiaire se compose d’un

    nom féminin formé de l’article défini arabe cici- et de la dernière séquence

    du morphème discontinu du féminin, ce qui a donné lieu à un morphème

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    mixte cici-…-t  ([ init], [rr amt] [sslamt]). Dans le groupe (10 b), le même

    type de morphème du féminin a été mélangé avec l’autre forme de l’article

    défini en arabe, le résultat est une forme intermédiaire l…t   ([lcan rt],

    [lažt], [lcnayt]). 

    Comme dernière manifestation de l’interlangue, il y a le changement interne

    qui réfère à une modification au sein du lecte de départ. Ce changement peut

    toucher le genre du nom ou l’un des constituants du nom, comme il est

    présenté dans (10 c) à travers la création d’une forme masculine ([lmri],

    [lf lf l]) correspondant à une forme féminine unique en arabe et le mélange

    des deux formes ci ci  - et l- de l’article défini en arabe, générant ainsi un

    article hybride de la forme lci - : [lždid], [lždud], [lž hd] « l’effort »,[lž mca] « le vendredi », [lžamc] « la mosquée ». 

    L’intégration des emprunts nominaux arabes en chelha est subordonnée, de

    ce fait, à deux modes d’intégration : phonologique ou morphologique. Le

    mode phonologique procède par des substitutions dont les plus saillantes

    sont la spirantisation, la gémination, le voisement et le dévoisement. Le

    mode morphologique fonctionne à partir de trois ordres différents :

    régulier, irrégulier ou faisant partie d’une interlangue.

    1. 2. Emprunts verbaux

    Les emprunts verbaux arabes sont introduits en chelha sous leur forme

    initiale ou sous des formes intégrées au système flexionnel du lecte

    récepteur. L’intégration des formes verbales la plus active est celle qui se

    rapporte en premier degré à l’impératif et en second degré à l’accompli.

    L’intégration des formes verbales arabes est sujette aux paradigmes 

    flexionnels de la chelha. La forme verbale, base d’adoption des emprunts,

    est celle de l’impératif. Pour l’accompli, il y a (i) alternance de la marque

    flexionnelle [i] [a], pour les verbes défectueux, (ii) régularité de la voyelle

    thématique  [u] pour les verbes assimilés et (iii) inchangeabilité pour les

    verbes concaves et sains. Ces deux derniers types de verbes subissent

    uniquement l’intégration au niveau des morphèmes personnels. Lesexemples suivants de la troisième personne du singulier permettent de

    montrer ces processus d’intégration flexionnelle :

    (11) [c a] … [ic a] « il a désobéi »

    [amn] … [yumn] « il a cru »

    [mš  ] … [imš d] « il s’est peigné »

    Pour ce qui est de l’impératif, l’intégration des formes verbales arabes

    s’opère à partir soit de la suffixation du morphème -u ou du morphème -a, 

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    soit de l’infixation du morphème -a-. La suffixation de -u et de -a constitue

    un processus régulier d’intégration car l’impératif en chelha admet cette

    suffixation (Bisson, 1940 : 17 et Oussikoum 1995 : 62-70) alors que

    l’infixation de -a- fait partie de formes intermédiaires fonctionnant comme

    des néologismes (voir section précédente). Les exemples en (12 a) et (12 b)

    illustrent ces deux cas d’intégration :

    (12 ) a- [bni] … [bnu] « construis ! »

    [kri] … [kru] « loue ! »

    [smmi] … [smma] « nomme ! »

    b- [sb] … [asb] « compte ! »[sm] … [sam] « pardonne ! »

    [ r] ... [a r] « bloque ! »

    Il s’avère alors que la chelha emprunte les formes verbales de l’arabe en les

    soumettant aux règles de formation des verbes natifs. L’intégration des

    formes adjectivales, quant à elle, ne repose pas sur le même principe car les

    adjectifs de l’arabe sont reversés dans la classe des verbes. L’adoption des

    formes adjectivales de l’arabe, lecte de départ, s’effectue par un changement

    de classe grammaticale : l’item emprunté passe de la classe de l’adjectif à

    celle du verbe. 

    1. 3. Emprunts adjectivaux

    Le changement de classe grammaticale est élaboré à partir de l’affixation du

    morphème préfixal i-  ou du morphème suffixal -n, morphèmes qui

    désignent respectivement en chelha l’indice de la troisième personne du

    masculin au singulier et celui de la même personne au pluriel du prétérit.

    Les exemples suivants en (13 a) et en (13 b) montrent ce changement

    grammatical :

    (13) a- [ i] ... [i a] « il est fort »

    [ afi] … [i  fa] « il est clair »[xawi] … [ixwa] « il est vide »

    b- [mbacdin] … [nbacadn] «ils sont éloignés »

    [mfarqin] … [nfaraqn] « ils sont séparés »

    [mfawtin] … [nfawatn] « ils sont asymétriques »

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      11

    Dans les deux listes (13 a) et (13 b), les formes de l’adjectif qualificatif de

    l’arabe sont adoptées conformément aux règles de conjugaison du prétérit

    simple (Oussikoum, 2001 : 9) :

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      12

    Désinences flexionnelles du prétérit

    Personne Singulier

    Masculin Féminin

    Pluriel

    Masculin Féminin

    Première

    Deuxième

    Troisième

    […x ] [ …x]

    [ t…t] [t…t]

    [ i…] [ t…] 

    [n…] [ n…]

    [t…m] [ t…mt]

    […n] [ …nt] 

    Partant, les items adjectivaux empruntés sous la forme du singulier sont

    affectés de l’indice de conjugaison de la troisième personne du singulier du

    prétérit à savoir le préfixe verbal [i …]  qui constitue en chelha un

    déterminant grammatical accompagnant automatiquement toute forme

    verbale à l’exception de celle du participe. Il en est de même pour le suffixe

    verbal […n], référant à la troisième personne du pluriel, permettant

    l’intégration des formes adjectivales dont le nombre est le pluriel. Il faut

    noter, également, le changement phonétique que subit le premier segment de

    la liste (13 b) dont le résultat est le passage de [m…] à [n…]. Il s’agit d’une

    modification de point d’articulation qui n’entre pas dans le transfertgrammatical de la classe de l’adjectif vers celle du verbe, en témoignent les

    deux exemples en (13 a) : [mwssx]…[iwssx] « il est sale »,

    [mdyyq]…[idyyq] « il est étroit» dans lesquelles le segment [m…] n’est

    pas transformé en [n…].

    La description des emprunts arabes en chelha a permis de dévoiler les

    différentes stratégies d’intégration et modes d’interaction entre les deux

    principaux lectes en contact dans la région de Béni-Mellal. Ces stratégies se

    présentent comme des outils de communication quotidienne et

    d’accommodation permettant de s’ouvrir au lecte du voisin arabe en se

    l’appropriant conformément aux règles et aux paradigmes natifs.

    2. Calque sémantique

    En tant que manifestation du contact des langues et de populations, le calque

    se présente comme une forme linguistique générée par le transfert

    d’éléments du lecte maternel vers un lecte étranger. En effet, le calque est

    un mode d’emprunt d’un genre particulier : il y a emprunt du syntagme ou

    de la forme étrangère avec traduction littérale de ses éléments. Il est une

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      13

    construction transposée d’un lecte à un autre. Cette stratégie est

    opérationnelle lorsque les deux structures sont semblables, l’ordre

    syntaxique peut être le même dans les deux lectes. Dans ce cas, on parle de

    transfert positif. Quand les deux structures diffèrent, le transfert, négatif

    cette fois, donnera lieu à une interférence (Hamers, 1997 : 64).

    Dans le cas du calque entre l’arabe et la chelha dans la région de Béni-

    Mellal, le transfert est positif car il y a perméabilité et interpénétration entre

    les deux systèmes ; les deux lectes appartiennent à des langues (l’arabe et le

    berbère) de la même famille linguistique, en l’occurrence la famille des

    langues chamito-sémitiques.

    Entre la chelha et l’arabe le calque sémantique est très actif, voire productif,

    notamment quand il s’agit d’expressions figées. Pour l’analyse et la

    description de ce type de calque, je classerai d’abord les différents modes de

    transfert et de traduction du sens, ensuite je tenterai de déterminer la

    directionnalité du calque - il s’agit de répondre à la question : qui est le lecte

    qui calque sur l’autre ?- et enfin j’essayerai d’indiquer les facteurs

    favorisant ce type de processus linguistique.

    2. 1. Mode de transfert sémantique

    La description du calque sémantique sera abordée à partir du mode de

    transfert sémantique. Le mode de transfert désigne le passage au lecte cible

    soit de la dénotation portée par le sens premier du mot, soit de la nuance

    véhiculée par son sens figuré, soit des deux à la fois. La traduction

    sémantique ou plutôt le calque sémantique peut se faire de manière partielle

    ou de manière totale.

    2. 1. 1. Transfert sémantique partiel

    Le transfert partiel réfère aux formes de calque sémantique dans lesquelles

    le sens intégral de l’énoncé du lecte de départ n’est pas transmis totalementmais partiellement dans le lecte d’arrivée. La transmission peut toucher le

    sens propre ou le sens figuré.

    Ainsi, dans l’énoncé ( 14)  infra, le transfert sémantique se fait de l’arabe,

    lecte de départ, vers la chelha, lecte d’arrivée. Car, c’est ce dernier lecte qui

    calque le sens figuré « il est parti définitivement » de l’énoncé arabe [h zz

    rasu] et ne retient pas le sens premier du même énoncé. Le sens premier à

    savoir « il a levé la tête » ne correspond pas en chelha au sens de l’énoncé 

    [yusi ixfnns] mais plutôt à celui de l’énoncé [yh zza ixfnns] :

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      14

    ( 14) a- h zz rasu 

    a levé-il tête-sa

    « il a levé la tête »

    « il est parti définitivement »

    b-  yusi ixfnns 

    a levé-il tête-sa

    « il est parti définitivement »

    Lorsque la transmission sémantique affecte uniquement le sens propre

    comme dans l’énoncé (15) infra, le lecte d’arrivée admet un autre énoncépour exprimer le sens figuré non transféré du lecte de départ. Dans l’énoncé

    (15), le calque sémantique s’effectue de la chelha vers l’arabe de manière

    partielle puisque le sens traduit par ce dernier est le sens propre « Il ne parle

    plus » comme dans (15b) alors que le sens figuré « il l’a fait taire » est

    rendu par l’énoncé [skktu] : 

    (15) a- [ybbi digs wawal] 

    Elle est coupée dans lui la parole

    « Il ne parle plus »

    « Il l’a fait taire »

    b- [tgtcat fih lhdra]

    est coupée-elle dans lui la parole

    « il ne parle plus »

    2. 1. 2. Transfert sémantique total

    Il s’agit de transfert sémantique total lorsque le calque s’opère au moyen

    d’une traduction complète du sens de l’énoncé du lecte de départ vers le

    lecte d’arrivée. Par traduction complète, j’entends le passage des sens

    propre et figuré que présente l’énoncé dans le lecte de départ. Les énoncés

    qui illustrent ce type de transfert sémantique n’admettent qu’un seul sens àsavoir le sens figuré.

    Les deux énoncés ( 16) et ( 17) représentent les deux cas possibles de calque

    sémantique entre la chelha et l’arabe. L’énoncé (16)  reflète le cas d’un

    transfert sémantique total de la teneur de l’énoncé arabe ( 16 a) [xrr  ž lih

    lcql] reprise dans l’énoncé en chelha ( 16 b) [yssuf   as lcaql]. Par contre,

    l’énoncé arabe ( 17 b) [dr b tamara] traduit le sens figuré de l’énoncé ( 17

    a) en chelha  [ywwt tamara] et en garde même une trace en empruntant

    l’item lexical [tamara] « galère » :

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      15

    (16) a- [xrr  ž lih lcql] 

    a fait sortir à lui la raison

    « il l’a rendu fou »

    b- [yssuf   as lcaql] 

    a fait sortir à lui la raison

    « il l’a rendu fou »

    (17) a- [ywwt tamara]

    a frappé-il galère« il a beaucoup travaillé »

    b- [dr b tamara]

    a frappé-il galère

    « il a beaucoup travaillé »

    En définitive, qu’il s’agisse de transfert sémantique partiel ou total, la

    question qui se pose est de déterminer les critères permettant de préciser la

    directionnalité du calque ou son absence. Ces critères peuvent être inférés

    de la situation de contact de langues et de populations qui caractérise le

    domaine d’investigation, à savoir la région de Béni-Mellal. Ces critèrespeuvent être d’ordre linguistique (sémantique ou lexical) ou culturel (le

    partage d’un même fond culturel).

    2. 2. Directionnalité du calque

    L’étude de la directionnalité du calque a pour objectif de fixer les positions

    des lectes impliqués, c’est-à-dire elle participe à distinguer entre un lecte

    origine du calque et un lecte cible du calque. Pour ceci, je propose de me

    fonder sur deux critères possibles : un critère linguistique et un critère

    culturel.

    2. 2. 1. Critère linguistique

    Le critère linguistique comprend deux éléments de nature différente, un

    élément sémantique et un élément lexical. Selon le premier, le lecte qui

    affiche à la fois le sens propre et le sens figuré sera conçu comme lecte

    source du calque sémantique, alors que le lecte qui ne présente qu’un seul

    sens, soit figuré ou propre, sera considéré comme lecte cible, lecte qui

    traduit le sens de l’énoncé du lecte dit de départ. Ce premier élément

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      16

    contribue à fixer les positions des lectes en situation de contact à partir de la

    polysémie ou de la monosémie des énoncés concernés par le processus du

    calque sémantique.

    Les énoncés décrits dans la sous-section réservée au transfert sémantique

    partiel illustrent ce type de critère linguistique. A travers l’énoncé (14b)

    [yusi ixfnns], la chelha traduit le sens figuré « il est parti définitivement »

    de l’énoncé arabe (14 a) [h zz rasu]  et écarte le sens premier du même

    énoncé « il a levé la tête ». Par contre, en chelha, l’énoncé ( 15 a) [ybbi

    digs wawal] est un énoncé polysémique puisqu’il admet deux sens, un sens

    propre et un sens figuré, respectivement « Il ne parle plus » et « Il l’a fait

    taire » alors que l’énoncé arabe correspondant ( 15 b) est monosémique :[tgtcat fih lhdra] « il ne parle plus ». La directionnalité du calque peut

    être désignée comme opérant de la chelha vers l’arabe, la chelha est la

    source du calque et l’arabe étant la cible.

    Le deuxième élément faisant partie du critère linguistique est de nature

    lexicale, il est fonction du phénomène de l’emprunt, principale

    manifestation linguistique dans cette situation de langues et de populations

    en contact. L’emprunt a pour avantage de trancher pour décider du statut de

    lecte source et de lecte cible. De ce fait, un énoncé contenant un emprunt

    confère la position de lecte cible et oriente la directionnalité.

    Dans les deux énoncés (17) et (18), l’occurrence des deux emprunts tamara 

    et talafa renseigne sur la directionnalité du calque. Ce qui amène à conclure

    que, dans (17 b) supra [dr b tamara], c’est l’arabe qui calque le sens « il

    s’est fatigué », car il contient l’emprunt tamara  fait à la chelha. Dans

    l’énoncé (18 b) infra [ywtas talafa],  la chelha traduit le sens « il l’a

    corrompu » de l’arabe, en témoigne l’occurrence de l’emprunt arabe intégré

    talafa « perte » :

    (18) a- [dr b lih talafa]

    a frappé-il à lui perte

    « il l’a corrompu »

    b- [ywtas talafa]

    a frappé à lui perte

    « il l’a corrompu »

    Le cas du calque sémantique de l’arabe à la chelha par le biais des emprunts

    est très productif dans les expressions figées comme dans les deux exemples

    suivants :

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      17

    (19) a- [dar fih]

    a tourné-il dans lui

    « il l’a invectivé »

    b- [ydur digs]

    a tourné-il dans lui

    « il l’a invectivé »

    (20) a- [xa u rras]

    manque- il -lui la tête]

    « il est fou »

    b- [ixat ixf]

    manque- il- lui la tête

    « il est fou»

    Dans ces deux derniers énoncés, les éléments empruntés à l’arabe ([dur] et

    [x])  appartenant à la catégorie verbale conduisent à décider de la

    directionnalité du calque. Au critère linguistique (sémantique ou lexical), il

    faut ajouter un critère d’une autre nature, à savoir le critère culturel dont

    l’essentiel est le partage d’un même fond culturel facilitant et favorisant les

    calques et les métissages sémantiques.

    2. 2. 2. Critère culturel

    Le critère culturel intervient quand le premier critère, à savoir le critère

    linguistique est bloqué. J’introduis le critère culturel pour rendre compte de

    parallélismes sémantiques sous-tendus de parallélismes syntaxiques. Dans

    ce cas, la directionnalité du calque n’est plus pertinente car le processus du

    calque ne dépend pas uniquement des lectes en contact (affinité et parenté

    entre les systèmes) mais également et avant tout de la culture exprimée par

    les lectes en question.

    Par culture, je désigne l’expérience et la vision commune des groupes

    vivant et partageant le même espace. Ce dernier joue un grand rôle dans le

    façonnement des lectes et des moyens d’intercommunication et par la suite

    les mêmes sens, les mêmes items sont employés pour décrire la même

    expérience ou le même fait ; autrement dit l’espace dicte et impose les

    mêmes angles de vision mais dits et exprimés dans des lectes différents.

    Pour la cas marocain en général, et celui de la région de Béni-Mellal en

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      18

    particulier, une seule et même culture (référant à l’identité commune des

    Marocains) est exprimée de manière duelle, en berbère et en arabe.

    Dans les deux énoncés infra, l’expérience de « s’asseoir » est rendue au

    moyen de la même séquence montrant un individu « prenant la terre ».

    L’item lexical employé aussi bien par l’arabe (š dd ) que par la chelha

    ( yumz) renvoie au sens de « prendre » et non à celui de « s’asseoir ». La

    même expérience est saisie à partir d’un angle de vision commun et à

    travers des éléments linguistiques identiques « il a pris la terre » exprimés

    dans deux lectes différents comme il est montré dans les deux énoncés (21)

    a et b :

    (21) a- [š dd lrd]

    a pris – il la terre

    « il s’est assis »

    b- [yumz ašal]

    a pris – il la terre

    « il s’est assis »

    Il en est de même pour la description de l’expérience ou l’état d’une

    personne qui a décidé de « ne plus rendre visite à ses amis ou à sa famille »;

    une séquence identique est utilisée en arabe et en chelha reprenant le sens« prendre » suivi d’un complément d’objet référent au « pied » :

    (22) a- [š dd r  žlu]

    a pris-il pied-son

    « il ne vient plus / il ne nous rend plus visite »

    b- [yumz adarnns]

    a pris-il pied-son

    « il ne vient plus / il ne nous rend plus visite »

    Le critère culturel peut référer non pas à l’espace immédiat corollaire d’uneculture locale ou régionale mais aussi à un espace globalisant comprenant

    tout un pays, un territoire dans sa totalité et embrassant une culture

    nationale. Dans cette perspective, les parallélismes sémantiques entre la

    chelha et l’arabe ne constituent plus des isoglosses ou des caractéristiques

    de la culture de la région de Béni-Mellal, ils fonctionnent plutôt comme

    indicateurs culturels nationaux qui se rencontrent sur l’ensemble du

    territoire marocain. Les quatre exemples suivants, dont les deux derniers

    sont des proverbes, illustrent l’étendue de tels parallélismes sémantiques sur

    tout le territoire marocain

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    (23) a- [gt c   rig]

    a coupé-il la route

    « il a traversé la route »

    b- [y bbi abrid]

    a coupé-il la route

    « il a traversé la route »

    (24) a- [xr  ž clih]

    a sorti-il sur-lui

    « il l’a corrompu »

    b- [y ff      ifs]

    a sorti-il sur lui

    « il l’a corrompu »

    (25) a- [ut uzzal kud ir   a]

    bas le fer pendant est-chaud-il

    « bas le fer pendant qu’il est encore chaud »

    b- [dr b ldid ma ddu sxun]

    bas le fer pendant est-chaud-il« bas le fer pendant qu’il est encore chaud »

    (26) a- [mani yissn u   yul skinšbir]

    Que connaît l’âne (à) gingembre

    « que comprend l’âne au gingembre ! »

    b- [aš taycr  f lmar lsskkinžbir]

    que connaît l’âne à gingembre

    « que comprend l’âne au gingembre ! »

    Au terme de cette section, je peux conclure que les calques sémantiquesrelevés ont été envisagés à partir de la coexistence des deux lectes dans une

    même aire géographique et culturelle et de l’identité des paramètres car les

    deux lectes appartiennent à des langues de même famille, la famille

    chamito-sémitique.

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      20

    Conclusion :

    L’interpénétration du berbère et de l’arabe dans la région de Béni-Mellal a

    été abordée à partir des emprunts arabes en chelha et des calques

    sémantiques partagés entre les deux variétés linguistiques en question. Les

    emprunts retenus ont été classés en emprunts nominaux, emprunts verbaux

    et emprunts adjectivaux. Les premiers ont été expliqués à partir de deux

    modes d’intégration, l’intégration phonologique et l’intégration

    morphologique. Les emprunts verbaux ont été examinés conformément au

    paradigme flexionnel du système verbal de la chelha. L’emprunt adjectival,

    en dernier lieu, a été décrit relativement au changement de classe que

    subissent les adjectifs arabes intégrés en chelha lesquels items passent de la

    catégorie de l’adjectif à celle du verbe.

    La deuxième forme d’interpénétration, à savoir le calque sémantique, a été

    analysée suivant le mode de transfert sémantique et de la directionnalité du

    calque. Le premier dépend de la quantité sémantique traduite par le lecte

    d’arrivée; cette quantité peut être partielle (soit le sens propre, soit le sens

    figuré) ou totale (et le sens propre et le sens figuré). La seconde est fonction

    d’éléments de nature hétérogène qui peuvent référer à un sens, à l’origine

    des éléments constitutifs de l’énoncé dans le lecte cible (emprunts) ou à un

    espace et à une culture. Dans ce dernier cas, la directionnalité du calque est

    bloquée, car le partage d’un même espace et d’une même culture génère des

    parallélismes  sémantiques qui rendent difficile la distinction entre lectesource et lecte cible.

    En définitive, d’un point de vue dialectologique, socio-linguistique ou

    anthropologique ou de toute autre interprétation en sciences sociales, la

    description adéquate de l’interpénétration du berbère et de l’arabe au Maroc

    doit être appréhendée de manière inclusive et interactive selon une

    perspective continuiste et non catégorisante. Autrement, toute approche qui

    s’astreint au seul superstrat arabe et par voie de conséquence néglige le

    substrat berbère ou vice-versa restera toujours incomplète. Ainsi, je conçois

    que toute démarche exclusiviste se cantonnant à étudier l’une ou l’autrecaractéristique considérée isolément n’offre qu’une vision tronquée ou

    parcellaire de la réalité marocaine. Aussi, tout ce qui paraît différent et

    dissemblable en surface n’est que l’incarnation des facettes d’une même et

    unique culture profonde et inhérente, à savoir la culture marocaine.

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