avis cncdh identite de genre 27 juin 2013 0
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Avis sur lidentit de genre et sur le changement de la
mention de sexe ltat civil
1. Par la lettre en date du 8 janvier 2013, co-signe par la Garde des Sceaux et la Ministre aux
droits des femmes, la CNCDH a t saisie dans le cadre du programme dactions
interministrielles contre les violences et les discriminations commises raison de
lorientation sexuelle ou de lidentit de genre. La saisine porte sur deux questions lies entre
elles sans pour autant tre assimilables lune lautre : la premire concerne la dfinition et
la place de lidentit de genre dans le droit franais ; la seconde porte sur les
conditions de modification de la mention du sexe dans ltat-civil. Les personnes
transidentitaires1 sont souvent stigmatises voire discrimines, et il nest pas certain que les
termes de la lgislation actuelle les protgent suffisamment contre les actes et les menaces
dont elles peuvent tre victimes. En outre, le parcours judiciaire de changement de sexe se
traduit toujours par une dgradation de la condition sociale de la personne, contrainte pendant
une dure trop longue vivre dans un genre oppos celui que lui reconnat son tat-civil.
2. La CNCDH nignore pas que la mention du sexe demeure, dans notre droit, un lment
essentiel de lidentification des personnes et que ltat civil revt une forte importance
symbolique dans la tradition rpublicaine franaise. Ltat des personnes a en effet un rle
essentiel, la fois au regard de lintrt gnral (puisquil permet une identification simple et
sre dautrui) et au regard du sujet lui-mme.
3. La CNCDH est par ailleurs consciente de la situation trs prcaire des personnes
transidentitaires en France, victimes de discriminations et dexclusion sociale. Le droit, non
seulement nest pas suffisamment protecteur pour ces personnes, mais contribue aussi les
maintenir pendant de nombreuses annes dans une situation de grande vulnrabilit sociale.
Cest pourquoi la CNCDH estime ncessaire une refonte de la lgislation franaiseconcernant lidentit de genre et le processus de changement de sexe ltat-civil . Les
questions abordes, dont lenjeu est damliorer la lutte contre les discriminations et de
1Le terme de transidentit exprime le dcalage que ressentent les personnes transidentitaires entre leur sexe
biologique et leur identit psychosociale ou identit de genre . Cette notion englobe plusieurs ralits, parmi
lesquelles celle des transsexuels qui ont bnfici dune chirurgie ou dun traitement hormonal de rassignation
sexuelle, celle des transgenres pour lesquels lidentit de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui nont
pas entam de processus mdical de rassignation sexuelle ; celle enfin des queerqui refusent la caractrisation
binaire homme/femme. Pour dsigner lensemble de ces personnes, la CNCDH a choisi demployer les termes
gnriques de transidentit et de personnes transidentitaires , sauf quand sont cits des documents officiels(dcisions de la cour de Cassation, circulaires, textes europens ou rapport de la Haute Autorit de Sant) qui
emploient eux-mmes les termes plus spcifiques de transsexuels ou transgenres .
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dfendre le principe de lgalit devant la loi, apparaissent pleinement et troitement lies la
promotion des droits fondamentaux.
4. Pour fonder son avis, la CNCDH a sollicit la jurisprudence interne et les textes
internationaux relatifs aux questions traites. Elle a en outre procd de nombreusesauditions de chercheurs, de professeurs de droit, de reprsentants associatifs et de membres du
Snat. Des contributions crites, adresses par des ONG, des mdecins, des chercheurs en
sciences sociales, et par le Dfenseur des droits, ont permis de complter le panel des
arguments entendus.
4. De lensemble de ces travaux, et aprs dbats contradictoires entre ses membres, la
CNCDH a retenu le principe de lintroduction dans la loi du critre d identit de
genre . Lurgence dun changement dans la procdure de modification de la mention de sexe
dans ltat civil a par ailleurs incit les membres recommanderune dmdicalisation totale
et une djudiciarisation partielle de la procdure.
I. Lidentit de genre
5. Le concept didentit de genre nest pas prsent dans le droit franais. Lors du vote de la loi
sur le harclement sexuel du 6 aot 2012, la notion didentit sexuelle a t prfre celle
didentit de genre2. Elle a t ajoute au ct de la mention de lorientation sexuelle afin de
protger les personnes transsexuelles ou transgenres, comme le prcise la circulaire CRIM
2012-15/E8-07.08.2012 dapplication de cette loi. Les termes orientation sexuelle qui
figuraient dans larticle 225-1 du code pnal ont ainsi t remplacs par larticle 4 de la loi par
les termes orientation ou identit sexuelle3 .
6. Nanmoins, bien que la notion didentit de genre napparaisse pas dans la lgislation
franaise, elle est prsente dans plusieurs textes internationaux. Lidentit de genre a t
introduite en tant que dfinition prcise par un collge dexperts en droit international de tous
les continents, pour lONU en 2007, dans les principes de Jogjakarta. Ceux-ci sont repris dans
le rapport du Haut-Commissaire aux droits de lHomme des Nations-unies en novembre 2011.
La dfinition donne dans les principes de Jogjakarta est la suivante : Lidentit de genre
fait rfrence lexprience intime et personnelle de son genre profondment vcue par
chacun, quelle corresponde ou non au sexe assign la naissance, y compris la conscience
personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de
lapparence ou des fonctions corporelles par des moyens mdicaux, chirurgicaux ou autre) et
2Pour comprendre ce choix, il faut resituer le vote de la loi dans son contexte. La loi sur le harclement sexuel
visait combler le vide juridique laiss par la dcision du Conseil constitutionnel dinvalider la loi existante sur
le harclement sexuel. Introduire la notion didentit de genre ce moment-l aurait pu susciter des dbats
propres retarder et peut-tre mettre en pril le vote de la loi. Des dputs de lopposition staient en effet
prononcs contre lintroduction par amendement de la notion didentit de genre, assimilant cette notion la
thorie du genre quils dnoncent comme un rvisionnisme anthropologique.3
Cette modification a galement t effectue dans toutes les dispositions lgislatives qui utilisaient lexpression
orientation sexuelle, notamment celles des articles 132-77, 21-4, 222-3, 222-8, 222-10, 222-12, 222-13, 222-18-
1, 222-24, 222-30, 226-19, 311-4 et 312-2 du code pnal prvoyant les circonstances aggravantes commises enraison de lorientation sexuelle de la victime, et celles des articles 24, 32, 33 et 48-4 de la loi sur la presse
rprimant les provocations, diffamations et injures commises en raison de cette orientation sexuelle.
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dautres expressions du genre, y compris lhabillement, le discours et les manires de se
conduire .
7. La notion didentit de genre est en outre prsente au sein du systme des droits de
lHomme du Conseil de lEurope. Ainsi, en 2009, le Commissaire aux droits de lHomme duConseil de lEurope, Thomas Hammarberg, a publi un document thmatique intitul Droits
de lhomme et identit de genre4, dans lequel il formule douze recommandations aux Etats
membres, appelant respecter les droits humains et les personnes transsexuelles et
transgenres. Les Etats sont ainsi invits mettre en uvre les normes internationales des
droits de lhomme sans distinction et interdire expressment la discrimination fonde sur
lidentit de genre dans la lgislation nationale anti-discrimination . Il est par ailleurs
soulign que cette mise en uvre au niveau national devrait sinspirer des principes de
Jogjakarta sur lapplication de la lgislation internationale des droits humains en matire
dorientation sexuelle et didentit de genre .
8. Dans son projet de rapport datant du 17 mai 2013, la Commission sur lgalit et la non-
discrimination du Conseil de lEurope invite par ailleurs les Etats sassurer que tout
nouvel instrument juridique et de politique quils adoptent dans le domaine de lgalit et de
la non-discrimination inclut explicitement lorientation sexuelle et lidentit de genre5 .
9. A linstar du Conseil de lEurope qui emploie la notion didentit de genre dans ses
recommandations, lUnion europenne la galement adopte. Ainsi, les Directives
2011/95/UE (Directive qualification asile) et 2012/29/UE (Directive sur les droits des
victimes de la criminalit) sont les premiers textes mentionner ce concept, en franais
comme dans les autres langues. Gender identity est traduit par lidentit de genre .
10. Ds lors, lidentit de genre est dores et dj une notion juridique entre en vigueur
dans toute lUnion europenne, y compris en France. Lintroduction du critre d identit
de genre dans la lgislation permettrait de mettre le droit franais en conformit avec
le droit europen et international.
11. En outre, le remplacement des termes identit sexuelle par ceux d identit de
genre permettrait de rectifier une terminologie inadquate dans la mesure o elle contribue
alimenter la mconnaissance et les prjugs qui psent sur les personnes transidentitaires.
Ainsi, dans larticle 225-1 du code pnal, comme dans lensemble des dispositions o ils ont
t introduits, les termes didentit sexuelle sont placs ct de ceux dorientation sexuelle
( orientation ou identit sexuelle ), ce qui renforce lamalgame communment fait entre
4Hammarberg Thomas, Document thmatique, Droits de lHomme et identit de Genre, octobre 2009.
https://wcd.coe.int/com.instranet.InstraServlet?command=com.instranet.CmdBlobGet&InstranetImage=1829911&SecMode=1&DocId=1458356&Usage=25
http://www.assembly.coe.int/Communication/fega24_2013.pdf
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trans et homosexuels, alors mme que, comme lont soulign les personnes auditionnes, la
transidentit est une question didentit et non de sexualit6.
12. Enfin, la prsence de la mention de sexe dans les termes identit sexuelle de la
lgislation actuelle, parat ramener la question du transsexualisme une question
morphologique, le terme sexe et son driv sexuel faisant dabord rfrence aux
caractres sexuels primaires et secondaires de la personne. Conformment la dfinition
donne par les principes de Jogjakarta, la notion didentit de genre se rfre quant elle
une exprience intime et personnelle qui est indpendante de la morphologie des personnes.
Dans cette perspective, les personnes dites transgenres , cest--dire les personnes
nayant pas reu de traitements mdicaux de rassignation sexuelle, et dont la
morphologie sexuelle diffre de leur genre, seraient plus adquatement protges par le
critre d identit de genre .
13. La Commission souligne par ailleurs que lintroduction de la notion d identit de
genre dans larsenal lgislatif nengage aucunement prendre parti sur les orientations et les
changes des chercheurs en sciences sociales lis aux tudes de genre, qui sont elles-mmes
plurielles et parfois concurrentes. L identit de genre renvoie uniquement en effet une
perception et un vcu intimes de soi dconnects des dterminations physiologiques.
14. Ainsi, parce quil permettrait une mise en conformit du droit national avec le droit
europen, et parce quil accrotrait la prcision terminologique de la loi et contribuerait ainsi
une amlioration de la lutte contre les discriminations, la CNCDH soutient le principe delintroduction dans la lgislation franaise de la notion d identit de genre 7.
II. Le changement de la mention de sexe ltat civil
II.1 Les problmes poss par la jurisprudence
15. En ce qui concerne le changement de la mention de sexe ltat civil, le droit franais secaractrise par labsence de toute disposition lgislative ou rglementaire. Le systme repose
en son entier sur une construction jurisprudentielle, ce qui contribue rendre la
situation des personnes transidentitaires souhaitant obtenir une modification de leur
tat civil particulirement prcaire et difficile. Elles sont en effet exposes aux
6Lamalgame, que vient renforcer lexpression orientation ou identit sexuelle , est demble suscit par le
terme mme de transsexualit . Cest une des raisons pour lesquelles ce terme est souvent rcus par les
personnes concernes, qui prfrent les dsignations gnriques de trans ou de transidentitaires .7
Les conclusions, dposes le 24 mai 2013 par le groupe de travail du Dfenseur des droits consacr cette
question, vont dans le mme sens. Elles soulignent notamment que lintgration de la notion didentit de genre,en lieu et place de celle didentit sexuelle, garantirait une meilleure protection aux personnes trans notamment
face aux discriminations quelles rencontrent .
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interprtations divergentes du droit faites par les juridictions, ce qui pose le problme de
leffectivit de ces droits. Ds lors, seule une intervention lgislative serait mme
damliorer la condition des personnes concernes. Une telle intervention devrait permettre
une simplification et une unification du parcours menant la reconnaissance dune nouvelle
identit lgale.
16. Les conditions du changement de la mention de sexe sont aujourdhui fixes par quatre
arrts de la Cour de cassation, deux rendus le 7 mars 2012 et deux autres le 13 fvrier 2013.
Ces arrts posent le principe suivant : Pour justifier une demande de rectification de la
mention du sexe figurant dans un acte de naissance, la personne doit tablir, au regard de ce
qui est communment admis par la communaut scientifique, la ralit du syndrome
transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractre irrversible de la transformation de son
apparence. Deux conditions sont ainsi poses : le diagnostic du transsexualisme et
lirrversibilit de la transformation de lapparence physique. Une circulaire datant du 14 mai2010 invitait par ailleurs le juge donner un avis favorable la demande de changement
dtat civil ds lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation
physique ou physiologique dfinitive, associs, le cas chant, des oprations de chirurgie
plastique (prothses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthtique du visage),
ont entran un changement de sexe irrversible, sans exiger pour autant lablation des
organes gnitaux . Si lintervention chirurgicale nest pas exige, le droit demande en
revanche un traitement mdical irrversible, qui implique notamment une obligation de
strilisation. La notion dirrversibilit, invoque dans la circulaire et reprise dans les arrts de
la Cour de cassation, apparat ainsi comme un lment permettant de justifier la drogation au
principe dindisponibilit de ltat des personnes8. Or cest justement cette notion
dirrversibilit, mal dfinie et difficile prouver, qui entrane de manire trs frquente une
demande dexpertise mdicale.
17. Il apparat cet gard que la jurisprudence est trs fluctuante dune juridiction une autre.
Alors que certains tribunaux ordonnent systmatiquement une ou plusieurs expertises
(mdicales, endocrinologiques ou psychiatriques), dautres tribunaux estiment suffisante la
remise dattestions de mdecins reconnus pour leur comptence en la matire. La situation
des personnes transidentitaires se caractrise ainsi par une grande ingalit en fonction
des juridictions o sont dposes les requtes et, partant, par une grande inscuritjuridique. Cette situation tait dj dnonce par la circulaire du 14 mai 2010 comme
discriminatoire.
8En France, ltat civil est rgi par les principes dindisponibilit et dimmutabilit de ltat des personnes.
Lindisponibilit de ltat des personnes est le principe lgal selon lequel un individu ne peut disposer de
manire pleine et entire de sa personnalit juridique, ni un tiers pour lui. Limmutabilit de ltat civil signifie
que ltat civil est par principe immuable. Ce qui ne signifie pas que ces principes soient sans limites : un
individu peut en effet changer de situation matrimoniale, de nom, de sexe, de nationalit condition que ce
changement se fasse dans les conditions prvues par la loi, et non du fait de sa seule volont. Les principes
dindisponibilit et dimmutabilit nont pas de valeur constitutionnelle et ne sopposent donc pas la volont dulgislateur. Les changements de situation matrimoniale, de nom, de sexe et de nationalit entrent ainsi dans le
cadre de ce que le droit nomme mutabilit contrle , selon des critres noncs par la loi.
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18. En outre, les expertises, hormis le fait quelles sont vcues comme intrusives et
humiliantes par les personnes concernes, contribuent rallonger la dure du processus de
changement de sexe ltat civil, qui est lheure actuelle considrable, puisquelle est de
deux neuf ans. Durant cette priode, les personnes transidentitaires ne peuvent pas changer
leurs papiers didentit, ce qui affecte trs profondment leur vie quotidienne, dans la mesure
o leur apparence ne correspond pas au sexe indiqu sur leurs papiers. Cette dichotomie
entrave notamment leur accs au logement, lemploi et aux droits sociaux 9. Elle
contribue aussi crer des situations discriminatoires contre lesquelles le dispositif
juridique anti-discrimination noffre pas forcment de protection, mme dans lhypothse
o le critre d identit de genre serait introduit dans la lgislation franaise10. Elle
constitue ainsi une atteinte la dignit des personnes.
19. La somme des preuves imposes par la jurisprudence et la frquence des demandes
dexpertise posent en outre le problme du soupon qui pse trop souvent sur les personnestransidentitaires, et qui est ressenti par elles comme une forme de dni didentit. Car, comme
en tmoignent les personnes transidentitaires elles-mmes, saffirmer homme ou femme
nest pas une question de choix ni de volont et ne relve pas dune dcision arbitraire,
conjoncturelle ou fantasmatique : cette affirmation est au contraire toujours lie une
conviction profonde qui est souvent ressentie ds lenfance, et qui relve, non pas dune
identification passagre, mais bien de lidentit mme du sujet, de ce quil est. Le soupon
pralable que la procdure actuelle semble faire planer sur cette conviction intime et profonde
ajoute donc une cause de souffrance psychique aux prjugs dont sont souvent victimes les
personnes concernes, la transidentit tant encore trop communment rapport un
fantasme, une maladie mentale, voire une perversion. A linstar de la Cour europenne des
droits de lHomme, la CNCDH estime ainsi que le droit, en refusant de consacrer lapparence
sociale dune personne transidentitaire pendant de nombreuses annes, place la personne
dans une situation anormale lui inspirant des sentiments de vulnrabilit, d'humiliation et
d'anxit11 .
20. Au cours de ses travaux, la CNCDH a donc t amene rflchir aux modalits dune
simplification et dune harmonisation de la procdure. Deux paramtres sont en jeu : celui des
conditions mdicales requises par les arrts de la Cour de cassation du 7 mars 2012 et du 13
fvrier 2013, ainsi que le principe mme dune judiciarisation de la procdure. Sur ces deuxpoints, la CNCDH a t amene prendre position. Elle se prononce en faveur de la
suppression des conditions mdicales et recommande une djudiciarisation partielle de
la procdure de changement de sexe ltat civil.
9Ces constats, concernant linscurit juridique des personnes et le recours abusif aux expertises judiciaires,
taient dj prsents dans le rapport rendu en novembre 2009 par la Haute Autorit de Sant, Situation actuelle
et perspectives dvolution de la prise en charge mdicale du transsexualisme en France, pp. 44-45 notamment.
Le rapport est disponible sur internet : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-
12/rapport_transsexualisme.pdf10
Les personnes sont ainsi mises en difficult dans toutes les situations de la vie quotidienne qui ncessitent la
prsentation des papiers didentit, comme par exemple la rception de courriers adresss en recommand, les
contrles didentit ou de douane etc.11Arrt Goodwin contre Royaume-Uni.
http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{"fulltext":["transsexualisme"],"itemid":["001-65153"]}
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II. 2 Les conditions mdicales de la procdure de changement de sexe ltat civil
21. La premire condition mdicale pose par la jurisprudence concerne ltablissement dun syndrome de dysphorie de genre . Le rapport de la Haute Autorit de Sant datant de
200912 souligne que, dans le cadre du processus mdical menant la transformation
morphologique du patient transsexuel, le diagnostic de dysphorie de genre est exig en tant
que diagnostic diffrentiel, afin de garantir aux mdecins, en amont du traitement
endocrinologique ou chirurgical, que la souffrance du patient ne provient pas dautres causes
possibles, comme la maladie mentale. Mais, place dans le cadre judiciaire, lexigence dune
attestation de syndrome de dysphorie de genre est problmatique dans la mesure o la
formulation mme parat valider une pathologisation de la transidentit, bien que les troubles
de lidentit de genre aient t retirs de la liste des affections psychiatriques par un dcret
datant du 8 fvrier 201013. La demande dattestation dun syndrome de dysphorie de genre,
qui est requis en tant que diagnostic diffrentiel dans le strict cadre des dmarches mdicales
entreprises par les personnes transsexuelles, contribue, dans le cadre judiciaire, la
stigmatisation de ces personnes et lincomprhension de ce quest la ralit de la
transidentit. Pour cette raison, la CNCDH recommande que cette condition soit retire
de la procdure de changement de sexe ltat civil.
22. La seconde condition mdicale concerne la preuve de lirrversibilit de lapparence
physique. Cette condition contraint les personnes concernes suivre des traitements
mdicaux aux consquences trs lourdes, qui impliquent une obligation de strilisation. Cette
obligation ne passe pas forcment par des oprations chirurgicales de rassignation sexuelles,
mais peut tre obtenue par des traitements hormonaux, dont la Haute Autorit de Sant
indique que, pris sur le long terme, ils sont susceptibles dentraner des modifications
irrversibles du mtabolisme. Or, il apparat que la raction aux traitements hormonaux
diffre selon les patients, avec des effets (dont la strilit) qui sont obtenus plus ou moins
long terme. Autrement dit, la procdure judiciaire dpend de lavance, alatoire, de la
procdure mdicale, ce qui contribue crer des situations de fortes ingalits entre les
personnes concernes. Par ailleurs, lirrversibilit de lapparence physique est difficile
prouver, et justifie trs frquemment, aux yeux des juges, une demande dexpertise mdicale
et ce, en dpit de ce que recommandait la circulaire du 14 mai 2010, qui invitait les magistrats
ne solliciter dexpertises que si les lments fournis rvlent un doute srieux sur la ralit
du transsexualisme du demandeur . Car lexpertise, outre le cot quelle entrane pour le
requrant, contribue allonger la dure de la procdure de manire inacceptable. Par ailleurs,
12Haute Autorit de Sant, Situation actuelle et perspectives dvolution de la prise en charge mdicale du
transsexualisme en France, 2009, p.97 et p.150 notamment. Le rapport est disponible sur internet :
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-12/rapport_transsexualisme.pdf13
Dcret n 2010-125 du 8 fvrier 2010 portant modification de l'annexe figurant l'article D. 322-1 du code de
la scurit sociale relative aux critres mdicaux utiliss pour la dfinition de l'affection de longue dure
affections psychiatriques de longue dure .http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021801916&dateTexte=&categorieLien
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inscrite sur les documents didentit, constitue une situation durgence qui semble justifiera
priori le recours une procdure de rfr. La question a donc t pose de savoir si un
juge statuant en rfr pourrait ainsi ordonner des mesures urgentes, comme il en a la
possibilit selon le code de procdure civile ; ces mesures urgentes permettant de protger la
personne requrante pourraient tre la modification des documents d'identit, le changement
de prnom et la modification du numro de scurit sociale. Le changement de l'tat civil lui-
mme demeurerait du ressort du juge du fond.Durant la priode dattente pour le changementde la mention de sexe ltat civil, la personne transidentitaire aurait des documents didentit
conformes au sexe revendiqu, ce qui lverait les obstacles entravant actuellement la vie
quotidienne des personnes engages dans ce genre de procdures.
26. Il apparat nanmoins que cette solution souffre plusieurs objections. La premire est que
la procdure en rfr alourdirait la procdure actuelle, en ajoutant une tape supplmentaire
celle dj en vigueur. La seconde est que le recours une procdure de rfr se heurterait lanature, par dfinition provisoire, des ordonnances du juge statuant en rfr : la modification
des documents didentit ne saurait en effet tre considre comme une mesure provisoire. La
troisime est que le juge des rfrs aurait toujours la possibilit de refuser ces demandes, au
motif dune contestation srieuse , tel que prvu par le code de procdure civile. Il pourrait
alors renvoyer la procdure au juge du fond ou demander des mesures dinstruction, le risque
tant alors de retrouver les cueils de la situation actuelle.
27. La deuxime solution serait celle dune djudiciarisation totale de la procdure, qui
consisterait alors en une simple dclaration faite devant un officier dtat civil. Cest loption
choisie par la loi argentine15
, qui comporte une garantie importante : en cas de secondedemande de changement de sexe ltat civil, le traitement de la requte relve alors de la
procdure judiciaire. Dans la loi argentine, la procdure dclarative va de pair avec la
reconnaissance dun nouveau droit subjectif, celui du droit la reconnaissance de son identit
de genre, droit qui sert de fondement et de justification la procdure dclarative.
28. La djudiciarisation totale permettrait dacclrer la procdure de changement de la
mention de sexe ltat civil. Nanmoins, parce que la mention du sexe demeure, dans notre
droit, un lment essentiel de lidentification des personnes, et parce que ltat civil revt une
forte importance symbolique dans la tradition rpublicaine franaise, cest bien laction du
juge, et non celle dun officier dtat civil, qui est considre comme protectrice et garante de
lintrt gnral et des droits individuels. Ltat des personnes a en effet un rle essentiel, la
fois au regard de lintrt gnral (puisquil permet une identification simple et sre dautrui),
et au regard du sujet lui-mme : laction du juge apparat donc comme un jalon ncessaire de
la procdure de changement de sexe ltat civil, mme au titre dun simple contrle ou
validation.
29. Pour ces raisons, loption dune djudiciarisation partielle de la procdure apparat
donc la mieux mme de garantir une procdure rapide et respectueuse des droits des
personnes transidentitaires. La procdure se ferait ainsi en deux temps : elle consisterait
15Loi argentine 26743 du 23 mai 2012.
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dabord en une dclaration auprs dun officier dtat civil, avec production dau moins
deux tmoignages attestant de la bonne foi du requrant, la qualit de ces tmoignages devant
faire lobjet dune attention particulire. Ainsi, ils ne devront pas maner de personnes ayant
un lien dalliance, de parent ou de subordination avec le requrant. Cette premire dmarche
devrait ensuite tre contrle et valide par un juge du sige grce une procdure
dhomologation. La lgislation encadrant le changement de sexe ltat civil devrait alors
spcifier deux lments : dune part, les dlais dans lesquels lhomologation doivent avoir
lieu, afin de garantir la rapidit de la procdure ; dautre part, les motifs pour lesquels le juge
est en mesure de refuser lhomologation pour ce genre de requte, ces motifs devant tre
explicitement limits au caractre manifestement frauduleux de la demande et au manque de
discernement du requrant16.
30. La solution dune djudiciarisation partielle aurait donc le double avantage dacclrer la
procdure de changement de la mention de sexe ltat civil, et de garantir la fois le respectde lintrt gnral et de lintrt individuel, puisque la validation de la dcision relve de
lautorit judiciaire. Laction du juge, dans le cadre dune procdure de djudiciarisation
partielle fortement encadre par la loi, peut ainsi tre considre la fois comme
garante du droit et respectueuse des droits fondamentaux des personnes.
31. Ainsi, au regard des impasses de la jurisprudence actuelle qui peut tre considre comme
stigmatisante, si ce nest discriminante lgard des personnes transidentitaires, au regard des
textes internationaux qui invitent lever les exigences mdicales dont dpendent les
procdures actuelles, et au regard de la ncessit de reconnatre ces personnes le droit de
vivre dans un genre qui ne relve pas dun choix mais dune conviction intime et profonde, laCNCDH recommande une dmdicalisation complte et une djudiciarisation partielle
de la procdure de changement de la mention de sexe ltat civil.
16On entend par discernement la manifestation dun consentement libre et clair.