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Hapax

Comédie dramatique

de Ann ROCARD

Hapax 3/33

Caractéristiques Durée approximative : 80 minutes Distribution :

• Corentin Flamant : mari de Solange, représentant de la maison Tortilla (pâtes et cie).

• Solange Flamant : metteur en scène en quête de reconnaissance. • Marco Flamant : frère de Corentin, prof de sport en pleine déprime. • Julius Pleyon : acteur en vogue. • Tatiana Ménure : amie de Julius, beaucoup plus jeune que lui. • Sixtine : actrice et chanteuse à la tête d’ange.

Public : adultes et adolescents. Décor : salle de séjour d’un appartement, avec coin salle à manger. Synopsis : Solange Flamant reçoit à dîner les deux acteurs principaux de son prochain spectacle ; son mari Corentin s’occupe du repas. Sont également présents le frère de Corentin, en pleine déprime, et la jeune amie de Julius. Peu à peu, les rapports entre les différents protagonistes se dégradent. La notion d’événement, déclencheur d’attitudes variées, est au centre de leurs débats et de la pièce elle-même. L’auteure peut être contactée par courriel : annrocard@wanadoo.fr - ou par l’intermédiaire de son site : http:/www.annrocard.com/

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ACTE I scène 1

(Solange, Corentin) Corentin, tablier autour de la taille, installe la table. Solange va et vient, modifiant une décoration, déplaçant une chaise, etc.

SOLANGE : Tu ne seras jamais prêt à temps. CORENTIN : À chaque fois, c’est la même chose. Tu n’arrêtes pas de me stresser. SOLANGE : Il n’y aura pas assez à manger. CORENTIN : Tu dis toujours ça, et je suis obligé de congeler la moitié du repas. SOLANGE : Qu’est-ce que tu as prévu ? CORENTIN : Je te l’ai déjà dit cent fois. SOLANGE : J’avais autre chose en tête ; je n’ai pas fait attention. Je suis tellement prise par ce que je prépare. Je ne peux pas me mettre un fil à la patte avec ces détails. (s’immobilise) Pas des pâtes à la sicilienne, j’espère ? CORENTIN : C’est ce que je réussis le mieux. De toute façon, à part mon frère, les autres ne sont jamais venus dîner ici. Les pâtes Tortilla, y a rien de meilleur. En tant que représentant de la maison Tortilla, j’en connais un rayon. Pâtes aux formes multiples, sauces tomates... SOLANGE (l’interrompt) : Je t’en prie, tu ne vas leur parler de ta boîte. C’est un repas de travail. CORENTIN : Ton travail. SOLANGE : Mon travail, exactement. Chacun son domaine : toi, Tortilla, pâtes et compagnie auprès des restaurateurs. Moi : création. CORENTIN : Et la création culinaire ? Mon boulot vaut le tien. SOLANGE : Ah non, Corentin, tu ne vas pas remettre ça. On ne peut pas comparer une pièce de théâtre et un plat, même excellent. CORENTIN : Et la pièce montée ? SOLANGE : Blague nulle. Ce soir, tourne ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler. Il en va de ma notoriété. (s’immobilise) Tu n’as quand même pas préparé de la langue de bœuf en gelée ? Julius Pleyon en a horreur. Et... CORENTIN : Ne touche pas ces serviettes, pliées avec amour ! Ou je rends mon tablier et tu te débrouilleras toute seule. SOLANGE : Tu ne me ferais pas un coup pareil ? CORENTIN : Si tu pousses le bouchon trop loin... SOLANGE : Ah ! Et le vin, où est-il ? CORENTIN : Solange, arrête de me stresser. Va finir de te préparer. Marco ne va plus tarder. SOLANGE : Encore une de tes idées farfelues ! Tu n’aurais pas dû inviter ton frère. Il n’a rien en commun avec Sixtine et Julius Pleyon.

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CORENTIN : Ne pas mélanger torchons et serviettes, ta grande devise ! SOLANGE : Le travail et la famille, ça n’a rien à voir. En plus, Marco est complètement déprimé, c’est contagieux. Il va pourrir la soirée. CORENTIN (enlève son tablier) : Je crois que je vais aller au ciné. Ils donnent un Woody Allen, tout à fait le style de ce que nous sommes en train de jouer. SOLANGE : De jouer ? Corentin, on ne joue pas ! Attends ! C’est la première fois que deux acteurs aussi célèbres acceptent de se fondre... CORENTIN : Se fondre ? SOLANGE : Oui, se fondre dans l’une de mes créations. C’est la chance de ma vie. CORENTIN : Des acteurs de cinéma, pas de théâtre. SOLANGE : Ils en seront d’autant plus remarqués. Julius Pleyon a un réel talent, une force intérieure communicative. Par moments, il déclame, il improvise... CORENTIN : Il parle en verlan ? SOLANGE : Tu te trouves drôle ? CORENTIN : Moyennement. SOLANGE : Oui, il parle en vers, il ne peut pas se retenir. Julius est fabuleux. Quant à Sixtine, elle va te plaire. Un ange... CORENTIN : On l’a vue récemment dans un polar. Bien ficelé d’ailleurs. SOLANGE : Elle ou le film ? (Corentin hausse les épaules) Ça ne m’a pas marquée. Ce devait être un de ces navets que tu apprécies. (s’immobilise) Tu n’as pas fait de mousse de navet, j’espère ? Julius Pleyon... CORENTIN : En a horreur. SOLANGE : Comment le sais-tu ? CORENTIN : L’instinct. SOLANGE : Où en étais-je ? Ah, oui. Je te décrivais Sixtine. Jolie, pétillante, pleine d’humour... CORENTIN : Arrête ton baratin. (remet son tablier) Laisse-moi terminer. SOLANGE (l’embrasse) : Je file... Solange sort. Corentin se sert un verre et s’assied, le regard vide.

scène 2 (Corentin, Marco)

On sonne. Corentin ne réagit pas. On sonne une deuxième fois, il se lève et va ouvrir. Marco restera lugubre jusqu’à la scène 4 de l’acte II.

CORENTIN : Salut, Marco ! Tu es en avance. (le fait entrer) MARCO : Tu n’es pas encore prêt ? CORENTIN : Pas toi, s’il te plaît. Solange, ça me suffit. Tu n’as pas l’air en forme.

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MARCO : Mieux que la semaine passée. J’étais dans le gouffre. Incapable de parler. Toute mon histoire me tourne dans la tête. Je me réveille en pleine nuit et plus moyen de me rendormir. CORENTIN : Tu veux boire quelque chose ? MARCO : Pas d’alcool avec toutes les saletés que j’avale. CORENTIN : Tu as des nouvelles des enfants ? MARCO : Toujours chez mon ex-belle-mère qui fait le barrage. Je les vois un week-end sur deux. Ils me manquent. CORENTIN : Alexandrine ? MARCO : Harcèlement par avocat interposé. Malgré cela, je n’arrive pas à la détester. Un peu de haine, pourtant, ça aide à tourner la page. CORENTIN : Et au collège ? MARCO : Je tiens le coup. Enfin... pas toujours. CORENTIN : Bon, désolé, Marco, il faut que j’accélère ; les acteurs de Solange vont arriver d’une minute à l’autre. Tu sais bien : les deux acteurs de sa prochaine pièce. MARCO : Celle qu’elle rêve de présenter à Avignon ? CORENTIN : Elle rêve de ça depuis le début de sa carrière. Ne le lui rappelle pas. MARCO : C’est une comédie ? CORENTIN : Un drame en un acte manqué. MARCO : Un drame psychanalytique ? Très peu pour moi. (compte les assiettes) : Solange et toi, moi, les acteurs. Qui sont les deux autres ? CORENTIN : Les pièces rapportées à la dernière minute. La nouvelle compagne de Julius Pleyon. On ne connaît même pas son nom. MARCO : Julius Pleyon ? Un brin prétentieux, celui-là. Il se croit plus malin qu’il n’est. En tout cas, c’est l’impression qu’il donne quand il fait sa promo à la télé. CORENTIN : Ne nous fions pas aux apparences. MARCO : Tu deviens moralisateur ? C’est nouveau. (montre la table) Et puis ? CORENTIN : Dominique je ne sais plus comment, le petit ami de Sixtine. Je n’en connais aucun des quatre. MARCO : Sixtine, avec sa tête d’ange ? Ça va me mettre du baume au cœur. Elle n’a pas de nom de famille ? CORENTIN : Sans doute, mais elle le garde pour elle. Viens m’aider à préparer l’apéro. Tu vas déboucher les bouteilles. MARCO : C’est trop me demander. Je préfère apporter les plateaux de canapés et les amuse-gueule... histoire de rire un peu. CORENTIN : Viens. Tous deux se dirigent vers la cuisine.

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scène 3 (Solange, Corentin, Marco)

Solange, pomponnée, entre avant la disparition de Marco. SOLANGE : Oh, bonsoir, Marco ! (l’embrasse) Tu as l’air en pleine forme. MARCO : Toi aussi, Solange. Tu es aussi radieuse que moi. SOLANGE : Corentin, je viens d’avoir Julius sur mon portable ; il est en train de se garer. CORENTIN (revient avec une bouteille) : Marco, les plateaux sont sur la paillasse. Les sauces dans le frigo. Marco va chercher plateaux et sauces, et les rapporte. SOLANGE : Corentin, ton tablier ! Tu ne t’es même pas recoiffé. (Corentin installe l’apéro sans répondre) Marco, je t’en supplie, essaie de sourire. MARCO (lugubre) : Je souris... aux anges. Il paraît qu’il y en aura un ce soir. SOLANGE : Et si possible, ne parle pas trop. Ta déprime est contagieuse. Tu as une voix d’outre-tombe. MARCO : Je vais pouvoir concurrencer Chateaubriand. Mémoires sonores de quelqu’un qui vous a quittés... SOLANGE (excédée) : Marco ! MARCO : Ça non plus, je ne peux pas le dire ? O.K. Motus et bouche cousue. Et si l’on m’interroge sur les problèmes de violence dans les collèges de banlieue ? SOLANGE : Ça ne risque pas. Je ne leur ai pas dit que tu es prof. D’ailleurs, ils s’en moquent éperdument.. MARCO : Ah. CORENTIN : Très juste ! Ce sont des Acteurs avec un grand A, très différents des acteurs avec un a minuscule. Ceux qui ont un petit ego riquiqui. Ces derniers s’intéressent à leurs voisins et ne roulent pas les mécaniques. Ils ne se croient pas au centre du monde. SOLANGE : Corentin ! Tu parles de ce que tu ne connais pas. CORENTIN : Ce n’est pas la première fois que j’en croise. La célébrissime Liliane Parchovi, par exemple ! J’étais assis à côté d’elle à une soirée ennuyeuse au possible... SOLANGE : Marco s’en fiche. MARCO : Pas du tout. Alors ? CORENTIN : Elle ne m’a adressé qu’une seule fois la parole pour me demander comment je faisais avec mon caddie au supermarché. J’étais le crétin, incapable de s’intéresser à quoi que ce soit, juste bon à jouer les ménagères. Elle n’a évoqué que ses expériences, ses voyages - passionnants il est vrai -, son nombril... MARCO : Qu’elle t’a montré au dessert ? CORENTIN : Même pas. C’était un nombril métaphorique. J’adore cette expression. Elle a sur moi un effet jubilatoire.

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SOLANGE : Tu as fini ? De toute façon, de quoi lui aurais-tu parlé ? De Tortilla, pâtes et compagnie ? Liliane Parchovi est loin de ces nourritures terrestres. MARCO : Une actrice bien en chair pourtant. SOLANGE : Taisez-vous, tous les deux. Il n’y en a pas un pour racheter l’autre. J’entends l’ascenseur. CORENTIN (en enlevant son tablier) : Marco, tu viens m’aider à pousser le caddie ? SOLANGE : Corentin, arrête ! Je craque ! CORENTIN : Je n’en ai pas l’air, mais moi aussi. (disparaît dans la cuisine) MARCO (en aparté, toujours lugubre) : La soirée s’annonce bien.

scène 4 (Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana )

On sonne. Marco s’assoit dans un coin (lugubre jusqu’à l’acte II, scène 4). Solange va ouvrir. SOLANGE : Julius ! (l’embrasse au moins quatre fois tout en parlant) Tu n’as pas eu trop de mal pour trouver une place ? MARCO (à lui-même) : Dans la grande famille du show-biz, on se tutoie, on se bise. Avec les amis d’Alexandrine, c’était différent. Genre guindé, petit doigt en l’air. Finalement, on était mal assortis. SOLANGE : Tu me présentes ton amie, Julius. JULIUS (entre et ôte son manteau) : Mélanie... TATIANA : Tatiana Ménure. JULIUS : Pardonne-moi, chérie, car ma langue a fourché. / Ne l’interprète pas comme un lapsus linguae. MARCO (à lui-même) : Le phénomène parle en alexandrins. De quoi remuer le couteau dans la plaie. En tant que prof de sport, je ne fais pas le poids. SOLANGE (l’embrasse) : Bonsoir, Tatiana. Je suis Solange Flamant. TATIANA : Julius m’a beaucoup parlé de vous. SOLANGE : C’est gentil. Vous vous connaissez depuis longtemps ? MARCO (en aparté) : A vue de nez, mauvaise question. TATIANA : Hier soir. Mais il y a des mois que je souhaitais rencontrer Julius. J’ai vu plusieurs fois toute sa filmographie. JULIUS : Et moi, sans le savoir, j’en rêvais chaque nuit... / Je murmurais ton nom, ma belle... SOLANGE : Tatiana. JULIUS : Ma belle, mon amie.

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MARCO (en aparté) : Bon rétablissement. Il est fort, très fort. Dommage qu’Alexandrine n’entende pas ça, elle, la spécialiste de la poésie du 17e siècle. CORENTIN (arrivant) : Bonsoir ! SOLANGE : Corentin, mon mari. Julius Pleyon et Tatiana. TATIANA : Tatiana Ménure. CORENTIN : Le ménure, l’oiseau-lyre ? SOLANGE (discrètement) : Tu connais ça, toi ? CORENTIN (ne fait pas attention à la remarque de Solange) : Bienvenue, Tatiana Ménure. Un nom à faire rêver. (serre la main de Julius) Bonsoir. JULIUS : Bonsoir. Tu as... On se dit tu, bien sûr ? Tu as de la chance d’avoir une femme aussi adorable et facile à vivre que Solange. MARCO (en aparté) : Qui a dit qu’il ne fallait pas se fier aux apparences ? Alexandrine, par exemple, ne jurait que par... SOLANGE : Il est merveilleux. CORENTIN : Mais ne restez pas debout ! JULIUS : Bonne idée, Co ! Je peux t’appeler Co ? Ça me rappelle mon dernier tournage à New-York... Julius et Tatiana aperçoivent Marco — Tatiana s’est presque assise sur ses genoux. TATIANA : Oh, pardon. Je ne vous avais pas vu. MARCO (se lève et lui serre la main) : Ne vous excusez pas. J’ai l’habitude. Je me fonds... CORENTIN : Toi aussi, tu te fonds ? MARCO : Dans le brouillard. CORENTIN : Je préfère. SOLANGE (le présente) : Marc Flamant, mon beau-frère. TATIANA : Bonsoir, Marc. Je suis désolée... MARCO : Ce fut un plaisir presque abouti. (serre la main de Julius) Bonsoir, monsieur. JULIUS : Enchanté. Appelle-moi, Julius. Tous s’assoient sauf Corentin. Marc laisse sa place et s’assied un peu à l’écart. CORENTIN : Qu’est-ce que je vous sers ? On sonne. SOLANGE : Ah, voilà Sixtine ! Solange va ouvrir pendant que Corentin sert à boire, plus à l’aise quand Solange n’est pas à ses côtés.

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scène 5 (Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana, Sixtine)

Tatiana ne semble pas détendue et grignote sans arrêt. Marco, toujours lugubre. Julius très extraverti et content de lui. SOLANGE (ouvre la porte) : Entre, Sixtine ! SIXTINE (les larmes aux yeux) : Je suis en retard. SOLANGE : Pas du tout ! On vient juste de s’asseoir. Et Dominique ? Ton chevalier servant gare la voiture ? SIXTINE : Ma petite amie nous rejoindra peut-être en fin de soirée. Pour l’instant, elle joue les princes charmants. Elle a trouvé chaussure à son pied. Une chaussure à talon, plus grande et plus moche que moi. MARCO (en aparté) : Bienvenue au club. SOLANGE : Si tu préfères ne pas rester dîner... SIXTINE : Si. Ça va me changer les idées. Je sais tout interpréter, tu le sais. Je peux faire croire à tout un chacun, même à moi , que c’est la meilleure des choses qui pouvait m’arriver. (fait signe à Julius) Hello, Julius ! JULIUS (se lève et va l’embrasser): Mon Dieu, si je pouvais devenir Michel-Ange, / je ferais ton portrait, ô Sixtine, mon ange ! Les autres se lèvent aussi.

CORENTIN : Bonsoir, Sixtine. Corentin. Je suis le mari de Solange. MARCO (en aparté) : Rime parfaite. Pour le nombre de pieds, c’est raté. SOLANGE : Je vous laisse faire les présentations. Marco, j’ai besoin de ton aide. MARCO : Moi ? SOLANGE : Dépêche-toi, s’il te plaît. Solange et Marco discutent en avant de la scène, pendant que les autres se présentent et s’installent. SOLANGE : Ne parle pas de ton problème à Sixtine, même pour la consoler. MARCO : Je n’en avais pas l’intention. Bizarre. Tu as toujours besoin de projeter ton malaise sur le bouc émissaire disponible. SOLANGE : Qu’est-ce que tu racontes ? MARCO : Quand ça ne tombe pas sur Corentin, c’est sur moi. Tu sais bien que je suis incapable de réagir en ce moment. Je ne sais plus me mettre en colère. Style carpette. Corentin aussi, à sa façon. SOLANGE : Tu dérailles complètement, mon pauvre Marco. Prends de l’eau gazeuse dans la cuisine, et enlève discrètement un couvert. Rends-toi utile. Solange retourne auprès des autres. Marco va à la cuisine et ne revient pas. Après plusieurs verres, Sixtine reprend le dessus.

SIXTINE (à Corentin) : Oui, je suis heureuse que Solange m’ait proposé ce rôle. Un personnage peu sympathique, destructeur.

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JULIUS : Qui ne te ressemble guère. SIXTINE : Ma face cachée ? Qui sait. JULIUS : Moi, j’ai failli refuser, car l’homme que j’interprète ne me ressemble absolument pas. Dépressif, ne faisant rien pour remonter la pente. Un minable. Mon ego se rebellait. Et puis, j’ai réfléchi : Pourquoi toujours jouer les hommes séducteurs ? / Car rien n’est impossible au véritable acteur. TATIANA : Sauf de se rajeunir à outrance. (Julius lui jette un regard noir) SIXTINE (à Tatiana) : Son âge vous pose problème ? (Tatiana nie d’un geste) Je suis surtout ravie de faire l’expérience des planches. Jusqu’à présent, je n’ai fait que tourner dans des films et téléfilms. Je tiens à le dire devant témoins : Solange, je te remercie de me faire confiance. MARCO (revenant avec la bouteille d’eau et montre Solange) : Son intuition ne la trompe jamais. Enfin presque. Sonnerie retentit. Sixtine se redresse et regarde la porte d’entrée. Cela se reproduira plusieurs fois.

SIXTINE : Vous n’allez pas ouvrir ? SOLANGE : C’est la pendule de la cuisine. SIXTINE (change de posture, déçue) : Ah. JULIUS : Solange, je m’interrogeais par rapport à la deuxième scène... Il y a quelque chose qui me gêne. SOLANGE : Oui ? Julius, Solange et Sixtine parlent entre eux, à voix basse. TATIANA (fait une place à côté d’elle) : Marco, il y a une petite place pour vous. MARCO (s’assied) : Merci. TATIANA : Que faites-vous dans la vie ? MARCO : Je cours... (Solange lève la tête, inquiète) Je cours après le temps perdu. TATIANA : Ce doit être épuisant. Vous avez le cœur solide ? MARCO : Pas vraiment. TATIANA : Avez-vous goûté le guacamole ? Il est délicieux. MARCO : Non, cela ne me réussit pas. Solange suit l’échange, du coup ne se préoccupe plus de Julius et Sixtine qui finissent par s’en rendre compte, et se tournent vers les trois autres. CORENTIN (se penche discrètement vers Tatiana) : Il est allergique à l’avocat. Œdème de Quick immédiat depuis que sa femme est partie avec... TATIANA : Un avocat ? CORENTIN : International. TATIANA : Je compatis. SOLANGE : Corentin ! Tu peux reproposer à boire ? Tu manques à tous tes devoirs.

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scène 6 (Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana, Sixtine)

Corentin obtempère. JULIUS (montre une bouteille) : J’avoue que sans vouloir paraître anachronique... / j’aimerais bien goûter ce nectar fantastique. CORENTIN : Ces vers sont automatiques ? Félicitations. (lui tend un verre à pied) Désolé, je n’ai point de verre à douze pieds. MARCO (en aparté) : Peut mieux faire. JULIUS (déguste en connaisseur) : Hum... Ça ressemble de loin... de très loin... à une petite merveille que j’ai dénichée dans le Bordelais. Ça m’a coûté une fortune. SIXTINE : Avec tes cachets, pas de souci. L’acteur le plus coté actuellement en Europe. Gling ! Un vrai tiroir-caisse. CORENTIN : J’ai toujours été choqué par ce que touchent les acteurs. JULIUS : Tu es mesquin, Co ! C’est tout à fait normal. Si mon nom est au générique, succès assuré. Banco ! MARCO : Même si c’est un navet. JULIUS : Je ne tourne que dans les bons films. D’ailleurs, j’ai horreur des... CORENTIN : Navets et de la langue de bœuf en gelée. JULIUS : Comment le sais-tu, Co ? Aurais-tu des dons cachés ? SOLANGE : Je peux vous affirmer que je n’ai pas les moyens de payer mes acteurs monts et merveilles. SIXTINE : C’est juste. Donc ce n’est pas l’appât du gain qui est en cause. Le célèbre Julius Pleyon va travailler au pourcentage. JULIUS : Il y aura un monde fou, car j’attire les foules. MARCO (en aparté) : Comme le Christ. Multiplication des petits pains. JULIUS : Ce sera bon pour mon image médiatique. Je vais d’ailleurs en profiter pour publier mon premier livre. Une autobiographie à peine romancée. SOLANGE : Bravo. Tu m’avais caché ça, Julius. Tu y parles également de notre spectacle ? JULIUS : Sans doute. Je n’en suis pas encore là. Pour l’instant, je n’ai que le titre : « Ma vie ou comment j’ai marché sur les... » SIXTINE : Sur les eaux ? Rien que ça. Moi, je n’aurais pas osé. MARCO (en aparté) : Le Christ. Nous y revoilà. JULIUS (rit) : Comment j’ai marché sur les os. O - S. Tomber sur un os, puis marcher sur les os : tout se résume en ces quelques mots. SIXTINE : Tu as trouvé ça tout seul ? Pas mal. TATIANA : En fait, c’est... (s’interrompt car Julius lui jette un regard noir) CORENTIN (à Tatiana) : Oui ?

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TATIANA : Rien. SOLANGE (un peu déçue) : Donc, Julius, ce n’est encore qu’un projet. JULIUS : Le contrat est déjà signé. Le titre et mon nom bien entendu ont suffi à mon éditeur dont je tairais le nom. Il m’a même versé un à-valoir conséquent. SOLANGE : Éditeur renommé, évidemment ? JULIUS : Évidemment. SOLANGE : Je m’en réjouis. Tatiana garde la tête baissée. JULIUS : Il ne me reste qu’à passer à l’acte, tapoter sur mon clavier. CORENTIN : Il suffit de claquer des doigts. MARCO (en aparté) : Il est fort, très fort. Si je voulais raconter ma vie, je serais mort avant d’avoir terminé. SOLANGE : Corentin... ça ne sent pas le brûlé ? Corentin file à la cuisine. SOLANGE : On va passer à table, si l’on ne veut pas se nourrir de charbon. Tous se lèvent et se dirigent vers la table. Sonnerie de la pendule dans la cuisine ; Sixtine s’immobilise, puis rejoint les autres.

scène 7

(Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana, Sixtine) Solange et ses invités hésitent près de la table. SOLANGE : J’imagine que Corentin a prévu un plan de table. TATIANA : Il y a des petits cartons glissés dans les serviettes. SIXTINE : Astucieux. SOLANGE : Mon mari est un original. Il a une grande qualité... MARCO (en aparté) : Une seule. Comme ma belle-sœur est sympathique. Je m’en fais la remarque tous les jours. SOLANGE : Il cuisine très bien. CORENTIN (depuis la cuisine) : Prenez place. J’arrive ! Tous s’assoient. Corentin apporte les assiettes garnies au fur et à mesure. MARCO : Je me charge de jouer le sommelier. TATIANA : Je peux aider ? CORENTIN : Merci, ça va aller. SIXTINE : Solange, qu’est-ce qui t’a amenée à écrire la pièce sur laquelle nous travaillons ?

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SOLANGE : Je voulais aborder le thème de l’événement qui fait réagir les gens. Pardon, je m’exprime mal. Quand un événement fort se produit, chacun réagit à sa façon. Il y a les lâches, les courageux, les téméraires, et puis tous ceux qui oscillent entre deux positions ou ne veulent pas se mouiller. (Marco approuve de la tête, le regard ailleurs)

TATIANA : L’exemple parfait est la réaction des Français pendant la deuxième guerre mondiale. JULIUS : Les exemples sont nombreux, Mélanie... TATIANA : Tatiana. JULIUS : Excuse-moi, mon chou. Ce prénom te va comme un gant. Tu ne voudrais pas changer ? (Tatiana refuse d’un geste) Dommage. Tu ne vas piquer la mouche à chaque fois que je me trompe... C’est agaçant, à la fin. SIXTINE : Julius, fais un effort. Mélanie, c’est ton ex de la semaine dernière. JULIUS (vexé) : Si tu prends sa défense, je m’incline. SIXTINE : Revenons à cet événement fort. Plutôt malheureux ou inattendu, j’imagine. JULIUS : Un hapax ! SIXTINE : Un quoi ? JULIUS : C’est un mot ou une expression qui n’apparaît qu’une seule fois, par exemple dans le texte de Solange. SIXTINE : Quelle culture ! Et tu sais bien l’étaler. Et l’événement ? JULIUS : Le voilà, par extension ! Sans le moindre signe précurseur ni précédent. Pas de réédition ni de seconde fois. C’est l’hapax qui nous intéresse. SIXTINE : Ton mot reste quand même abstrait. Et comme tu l’as employé plus d’une fois, ce n’est déjà plus un hapax. (ironique) Bien analysé, n’est-ce pas ? SOLANGE : On pourrait demander à chacun de dire un mot en rapport avec ce type d’événement... CORENTIN : C’est-à-dire ? SOLANGE : Sans réfléchir. Un mot qui nous passe par la tête. Je commence : mésaventure. JULIUS : Incident. SIXTINE : Drame. TATIANA : Coup de théâtre. CORENTIN : Calamité. MARCO : Tragédie. JULIUS : Ce n’est pas bien gai. Je préférerais chance, bonheur, succès. SOLANGE : Ce n’est pas cela qui fait évoluer les gens, qui révèle leurs multiples facettes. Il faut les pousser dans leurs retranchements pour les faire réagir. C’est ce que j’ai voulu traiter. (à Julius et Sixtine) Vous êtes les principaux protagonistes. Mais il y a les autres, les seconds rôles.

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CORENTIN : En cas de coup dur, je crois que je ferais partie des rôles secondaires. Ceux qui louvoient. Je n’ai jamais eu l’âme d’un héros. MARCO : Moi, je serais le pire des lâches. Sauf si je devais défendre mes enfants. TATIANA : C’est impossible de savoir comment on réagirait tant qu’on n’a pas été confronté à ce genre de situation. JULIUS : Il suffit d’un peu de jugeote. SIXTINE : Je me verrais bien en Mata Hari. Non, je plaisante. Et toi, Julius ? JULIUS : Je partirais de l’autre côté de l’Atlantique pour ne pas reproduire le modèle de mon grand-père, collaborateur notoire. Toi, Solange, tu te jetterais tête baissée vers l’adversaire ? SOLANGE : Je ne sais pas. Je ne suis pas courageuse, je le reconnais volontiers. Mais il faut savoir résister. Résister pour exister. On sonne.

SIXTINE (se redresse, différente) : Cette fois-ci, c’est bien la porte d’entrée. SOLANGE : Tu vas ouvrir, Corentin ? MARCO (discrètement, à Solange) : Je vais rechercher le couvert que j’avais ôté ? SOLANGE : Attends. Corentin va ouvrir. CORENTIN : Non, c’est au cinquième, la porte de droite. Ce n’est pas grave. Bonne soirée. (referme la porte et revient près de la table, rassemble les assiettes sales) Une erreur. (à Marco) Sommelier... Sixtine se mord les lèvres, termine rapidement son verre. Marco obtempère. Solange met de la musique. Chacun savoure le vin que Marco vient de servir.

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ACTE II scène 1

(Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana, Sixtine) Petit problème de lumières qui s’éteignent, puis se rallument. Corentin est à la cuisine. SOLANGE : C’est toi, Corentin, qui tripotes les interrupteurs ? CORENTIN (depuis la cuisine) : On a annoncé de l’orage. SOLANGE : Je devrais débrancher mon ordinateur. Excusez-moi une minute. (s’absente)

TATIANA : Je déteste les orages. Surtout la nuit. JULIUS : Réaction infantile, mon chou. SIXTINE : Moi aussi, je ne supporte pas le tonnerre, suivi d’illuminations. Ça me pétrifie. Corentin apporte des assiettes propres. MARCO : Auparavant, j’adorais ça. Comme dans la chanson de Brassens, le beau temps me faisait grincer des dents. SIXTINE : Auparavant ? MARCO : C’était avant le déluge. Avant Noé et toute sa clique. TATIANA (discrètement, à Corentin) : L’avocat s’appelle Noé ? CORENTIN : Oui. Prénom peu courant. (repart à la cuisine) JULIUS : L’Arche perdue ! Le premier téléfilm dans lequel j’ai joué. Un remake des Aventuriers avec plus d’humour et moins de moyens. J’étais excellent, fouet à la main. Vous ne l’avez pas vu ? Une perle rare qui aurait mérité d’être diffusée sur grand écran. J’avais l’allure de... SOLANGE (revient) : C’est fait. Plus d’angoisse. Corentin, tu peux apporter la suite. CORENTIN (apporte le plat de pâtes) : Ma spécialité : pâtes à la sicilienne. Vous m’en direz des nouvelles. TATIANA : Vous êtes italien ? CORENTIN : De façon détournée. SOLANGE (lui fait signe de se taire) : Absolument pas. SIXTINE : J’aurais aimé découvrir les secrets de la mafia sicilienne. SOLANGE : Pas moi. Les boîtes de sauce tomate me suffisent. MARCO (en aparté, le regard ailleurs) : Je l’avais rencontrée en boîte. Alexandrine adorait danser. J’étais hypnotisé. Elle m’avait invité à manger une pizza. Moi, je n’aurais jamais osé lui adresser la parole. Je ne pouvais même pas croire qu’elle s’intéresserait à moi. Une sicilienne. J’avais choisi une pizza sicilienne. (“atterrit“) Hum... ça sent bon. CORENTIN (à Tatiana, tout en servant les pâtes) : À quoi consacrez-vous votre temps ?

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TATIANA : Mon temps libre ? L’écriture. MARCO : Et non libre ? TATIANA : Je suis stagiaire-régie sur des tournages. Quinze heures par jour, souvent six jours par semaine. JULIUS : Il faut bien apprendre son métier. TATIANA : Depuis cinq ans. Faire le chauffeur, préparer le café : en effet, cela demande une longue période d’apprentissage. JULIUS : Mon chou, cela n’a aucun intérêt. MARCO : Erreur. On a envie de connaître les dessous reluisants du show-biz... quand le strass des stars s’envole d’un coup de balai. TATIANA : Je ne réclame rien. De toute façon, sans piston, c’est le seul moyen de gravir les échelons. CORENTIN : On peut coucher avec le producteur pour accélérer l’ascension ? SOLANGE : Corentin ! Tu disjonctes ! Tu deviens vulgaire. CORENTIN : Ça m’a échappé. SIXTINE : Il n’y a pas de honte à ça. Depuis quand le sexe et la promotion sont-ils des sujets tabous ? CORENTIN : En général, ceux qui font appel à la promotion sur canapé préfèrent ne pas en parler. SOLANGE : Corentin ! SIXTINE : C’est grâce à ça que j’ai obtenu mon premier rôle, mais je n’en parle pas souvent, je le reconnais. JULIUS (toussote) : Vous ne savez pas profiter des bonnes choses. (se régale) Quel parfum d’Italie... un délice, ces pâtes ! / Si j’avais pu avoir mis la main à la pâte... SOLANGE (mal à l’aise) : Elles sont particulièrement réussies.

scène 2 (Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana, Sixtine)

Petit problème de lumières qui s’éteignent, puis se rallument. JULIUS : Encore ? TATIANA (inquiète) : Si le courant saute quand nous serons dans l’ascenseur, on se retrouvera coincés. SIXTINE : Il y a beaucoup de films où les personnages se retrouvent bloqués dans un lieu fermé, entre autres dans un ascenseur. Huis clos très intéressant. L’événement fort dont on parlait tout à l’heure. TATIANA : Je descendrai à pied. JULIUS : Ridicule.

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TATIANA (entre ses dents) : C’est l’avantage d’être deux fois plus jeune que toi. JULIUS : Pardon ? TATIANA : Rien. Je monologuais. SOLANGE : Y a-t-il des amateurs pour les pâtes qui refroidissent lamentablement ? JULIUS : Volontiers. CORENTIN (compatissant) : Tatiana, faut-il des études compliquées pour préparer le café sur les tournages ? TATIANA : C’est conseillé. Mais on peut s’en passer. J’ai fait Arts du spectacle à la fac. Il y avait un distributeur de café, je n’ai pas eu beaucoup d’expérience en la matière. Il suffisait d’appuyer sur le bouton. JULIUS : Bon, si nous abordions un sujet plus passionnant ? Mon chou, tu commences à m’épuiser. MARCO : Une dernière question, Tatiana. Quel est votre but professionnel ? TATIANA : Écrire des scénarios. J’ai déjà... JULIUS (l’interrompt) : Tu peux toujours rêver, mais le sujet est clos. / La pièce nous attend, et ce n’est pas trop tôt. SIXTINE : La pièce de Solange qui n’a pas encore de titre alors qu’elle est écrite, contrairement à ta production, Julius. JULIUS : Serais-tu agressive ou est-ce une impression ? Je te croyais honorée de jouer avec moi. SIXTINE : Je ne t’agresse pas ; je constate. C’est important, un titre. SOLANGE : J’ai pensé à « Naufrage ». MARCO : C’est bateau. SOLANGE : Ou « La tempête ». CORENTIN : Difficile de rivaliser avec Shakespeare. SIXTINE : Ça me fait penser à un petit tableau de Giorgione, que j’ai vu à Venise. Il s’appelle justement « L’orage » ou « La tempête ». L’orage approche. Au premier plan, une femme et un homme qui n’en subissent pas encore les conséquences. Mais ça ne saurait tarder. Un couple déjà séparé de quelques mètres. Petit problème de lumières qui s’éteignent, puis se rallument. SOLANGE : Corentin, il reste des bougies au cas où ? CORENTIN : De quoi tenir toute la nuit. Et j’ai une lampe de poche dans la cuisine. SIXTINE (à Solange) : Alors ce titre ? SOLANGE : Je le laisse mûrir. SIXTINE : Pourquoi pas « Giorgione » qui ferait référence à la petite toile ? JULIUS : Personne ne le connaît. Ça n’évoquera rien. SIXTINE : C’est un nom qui interpelle le spectateur potentiel. JULIUS (ironique) : Qui interpelle ? Ciel ! Comme tu parles bien. Quel talent !

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SIXTINE : Qu’en penses-tu, Solange ? SOLANGE : J’hésite. Il me faut du temps. On sonne. Corentin va ouvrir. Sixtine est à l’écoute...

scène 3 (Solange, Corentin, Marco, Julius, Tatiana, Sixtine)

... Pendant que Marco et Tatiana discutent à voix basse. MARCO : Le titre du roman-fleuve « Marcher sur les os », c’était vous ? TATIANA : On ne peut rien vous cacher. MARCO : J’en conclus que vous êtes son nègre, suivant l’expression consacrée. (Tatiana approuve) Mère Courage. Vous tenez vraiment à ce type ? TATIANA : Je vais vous faire une confidence ; c’est uniquement intéressé. Cet après-midi, je comptais sur cette relation pour grimper plus vite... MARCO : Les échelons ? TATIANA : Oui. Également pour rencontrer des gens, me faire un carnet d’adresses. Mais je sens que c’est mal parti. MARCO : Même avec un odorat atrophié, c’est évident. TATIANA : Ça se voit tant que ça ? (Marco approuve. Elle a un sourire pervers) C’est décidé, je descendrai à pied et je prendrai un taxi. Je ne souhaite plus qu’une chose, qu’il reste coincé dans l’ascenseur. (Julius la regarde, sourcils froncés) Bon débarras. MARCO : Vous, au moins, vous savez tourner les pages. Corentin revient avec un magnifique bouquet.

CORENTIN (à Solange) : C’est pour toi. SOLANGE : Pour moi ? (se lève et admire le bouquet) Il n’y a pas de carte. Le livreur ne t’a rien dit ? CORENTIN : Non. SOLANGE (à Julius) : C’est toi, Julius... ? JULIUS : Hélas non. J’aurais dû y penser. Je suis arrivé, les mains vides... Je n’ai pas eu le temps... SOLANGE : Cela n’a aucune importance. SIXTINE : Ce n’est pas moi, non plus. Envoyer un bouquet, je trouve ça ringard. Tandis que tous admirent le bouquet :

MARCO (en aparté) : Ringard ? J’en ai souvent offert des bouquets à Alexandrine. Derrière mon dos, elle me qualifiait peut-être de ringard. Noé, lui, s’est contenté de l’appeler « ma colombe », sans le moindre rameau d’olivier. SOLANGE : Au risque de vous paraître surannée, j’adore recevoir des fleurs, surtout de la part d’inconnus. Cela m’émoustille.

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CORENTIN : Émoustille ? (Solange approuve en riant) Tu ne me l’as jamais dit. SOLANGE : Tu ne me l’as jamais demandé. TATIANA : Si vous avez un vase, je veux bien les disposer. SOLANGE : Il ne faudrait pas tacher le tapis... CORENTIN : On va faire ça dans la cuisine. Ce sera émoustillant ; le terme me plaît. Corentin et Tatiana disparaissent dans la cuisine avec le bouquet.

scène 4 (Solange, Marco, Julius, Sixtine)

De temps en temps, on les entend rire, ce qui surprend les autres, sauf Marco, attentif à la discussion en cours. SIXTINE : Solange, il y a combien de temps que tu m’as envoyé le texte de la pièce ? SOLANGE : Je ne sais plus. Un mois environ. JULIUS : Je revenais tout juste de New York. Oui, c’est ça. Mon agent m’a téléphoné et m’a fait parvenir le texte par coursier. Et puis... SIXTINE (l’interrompt) : J’ai commencé à lire et je n’ai pas pu m’arrêter. Deux fois de suite pour mieux cerner ton univers. Cette pièce me touche de près. Ça me renvoie à mon enfance, à cette époque où mes parents se déchiraient. Un enfer. J’étais blottie sous la couette. J’avais l’impression que si je faisais le moindre geste, le moindre bruit, l’un des deux claquerait la porte et ne reviendrait plus. Maintenant, ils se sont fiancés pour la deuxième fois. Comme quoi tout peut arriver... Sonnerie de la pendule dans la cuisine. Sixtine jette un coup d’œil à sa montre.

SIXTINE : Tout pourrait arriver... J’exècre le conditionnel. Dom’ pourrait sonner et annoncer : « Finalement, j’ai changé d’avis. » (se force à rire, ce qui jette un froid). Les couples se font et se défont depuis la nuit des temps. Est-ce que je compte, moi ? Je ne suis rien qu’un épisode supplémentaire. Quand j’ai accepté ce rôle, je ne savais pas que j’interpréterais le personnage de Dom’, celui qui abandonne, qui va voir ailleurs sous prétexte de réfléchir, de prendre du recul. Objection, votre Honneur ! Réflexion rapide et préméditée. Silence gêné.

JULIUS : Dans la vie, je préfère partir. Je détesterais être celui qu’on laisse. On doit se sentir réduit à néant. SIXTINE : Le mot est faible. Physiquement, psychiquement, on se sent rabaissé. JULIUS : Bah... On s’en remet. Mélanie, la semaine dernière, n’a pleuré qu’une soirée. Oui, on s’en remet vite. SIXTINE : Ça dépend. SOLANGE : Sixtine, je ne pouvais pas imaginer... SIXTINE : Bien sûr, Solange. Je ne te reproche rien. Ça tombe mal, c’est tout. (à Marco) Tu vis seul, toi, Marc ?

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MARCO : Depuis peu. Quoique je n’ai pas compté les jours sur mon mur à l’aide d’un canif. SIXTINE : Cœur prisonnier ? SOLANGE : C’est de l’humour. Mon beau-frère est un as en la matière. (à Marco) Tu ne veux pas aller donner un coup de main aux fleuristes ? MARCO : Les bouquets sont ringards d’après Sixtine. Je m’en tiens à son appréciation. Et votre conversation me passionne. JULIUS : Dis-moi, Solange, comment as-tu eu l’idée de mettre en scène cet avocat ? SIXTINE : International, donc voyageant beaucoup. Marco dresse l’oreille. JULIUS : J’aurais d’ailleurs préféré jouer cet homme-là, mais le rôle eut été trop court pour moi. L’autre est au premier plan ; en pleine lumière... glauque. C’est ainsi que je le ressens. La vedette qui broie du noir. Comment les as-tu inventés ces deux-là ? SOLANGE : Je m’inspire toujours de ce qui m’entoure. JULIUS : Mon personnage n’a pas les yeux en face des trous. Il ne se rend même pas compte que sa femme le trompe depuis des mois. Alors que tout le monde est au courant. Ce n’est pas crédible, à mon avis. SOLANGE : Ce n’est pas une fiction, Julius. J’ai pu le constater. Le bonhomme concerné se voile la face. SIXTINE : Et pour moi, c’était la même chose ? Vous étiez au courant pour Dom’ ? JULIUS : On ne la connaissait pas. N’est-ce pas, Solange ? SOLANGE : Je croyais même que c’était... un garçon. JULIUS : Moi aussi. Tu caches bien ton jeu, Sixtine. Tu aimes les filles, j’approuve. SIXTINE : Je ne cache rien du tout. Je suis ce que je suis, et je ne joue pas avec le cœur des autres. JULIUS : Serait-ce une pique ? SIXTINE : En quelque sorte. (silence) Finalement, ça ne me déplaît pas de jouer celle qui s’en va. Une façon de me venger. Elle — Léopoldine... (à Solange) Le prénom ne me plaît pas. SOLANGE : Je peux le changer. Joséphine, Amandine ? SIXTINE : Pourquoi un prénom en ine ? À cause de moi ? SOLANGE : Non... Je ne me suis même pas posé la question. D’ailleurs, je ne savais pas quelle serait l’actrice pressentie quand j’ai écrit le texte. MARCO (les yeux dans le vague) : Alexandrine. SIXTINE : Alexandrine, oui. On se sent transporté sur les rives de la Méditerranée. JULIUS : Elle n’a pas tort. SOLANGE : Non, cela me rappelle de mauvais souvenirs. MARCO : À moi aussi.

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scène 5 (Solange, Marco, Julius, Sixtine, Corentin, Tatiana)

Corentin rapporte le vase avec les fleurs et le pose quelque part. Tatiana, le suit, souriante. TATIANA : Elles sont superbes. Solange, je crois que vous avez un admirateur. Il va pointer son nez ici avant la fin de la soirée. JULIUS : Silence, mon chou. On avait une discussion passionnante. (méprisant) Alors tes fleurs... TATIANA (montre Solange) : Ses fleurs. (reprend sa place) SOLANGE : Un soupirant ? Ça ne me déplairait pas. CORENTIN (ramasse les assiettes) : Je vous apporte le fromage. SIXTINE : Merci. Je n’en prendrai pas. Je me réserve pour le dessert, si dessert il y a. CORENTIN : Marco, tu m’aides ? MARCO : Pas tout de suite... TATIANA : Je le remplace, au pied levé. Je déteste rester assise pendant des heures. C’est un bon prétexte. (aide Corentin) JULIUS : Vous ne prenez pas un extra, quand vous donnez des réceptions ? CORENTIN : Non. J’aime recevoir et tout organiser. JULIUS : Moi, je fais toujours appel à un traiteur. TATIANA : Intraitable ? SOLANGE : Qui, Julius ou le traiteur ? TATIANA : Je vous laisse deviner. (file à la cuisine avec des plats et autres) JULIUS : Mais qu’a-t-elle, cette gamine ? Ce n’est pas parce qu’elle est un peu plus jeune que moi qu’elle doit me traiter ainsi. J’hallucine... SIXTINE : Il y a de la rébellion dans l’air. JULIUS : Exit, Mélanie. SIXTINE : Tatiana, Julius. Elle s’appelle Tatiana Ménure comme l’oiseau-lyre. Et j’ai l’impression qu’elle t’a devancé. JULIUS : Comment cela ? SIXTINE : Exit, Julius. C’est toi qui es viré. JULIUS : Je n’ai jamais été... SIXTINE : Plaqué ? Il faut un début à tout. Moi, c’est au moins la... troisième fois. Comme tu l’as dit très justement : on s’en remet. Sonnerie de la pendule de la cuisine. SIXTINE : On ne pourrait pas suspendre le balancier de la pendule ? SOLANGE : Je vais demander à Corentin... Mais j’ai peur que ça dérègle le mécanisme. SIXTINE : Tant pis.

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MARCO : Et la pièce ? Je connais tous les spectacles de Solange. De bon niveau, mais un contenu un peu superficiel... SOLANGE : Superficiel ? MARCO : Objectivement, oui. À la limite du boulevard. SOLANGE : Boulevard ? Tu le penses vraiment ? MARCO : Des grands boulevards, rassure-toi. SOLANGE : Ça ne me rassure pas du tout. De quel droit peux-tu porter un jugement sur mon travail ? Ce n’est pas ton domaine. MARCO : La littérature, c’était celui de ma femme. J’ai été à bonne école. SOLANGE : C’est donc ce qu’elle pensait de moi ? J’en apprends tous les jours. MARCO : Mais la pièce dont vous parlez ce soir me paraît d’une autre portée. Ça m’intéresse. SOLANGE (sèchement) : Je t’inviterai à la générale. JULIUS : Il a raison, Solange. Ton texte est tellement profond, (articule) exceptionnellement réaliste. On s’y croirait. Léopoldine sous l’emprise de son avocat... SIXTINE : International. JULIUS : Follement amoureuse. Et son mari, une vraie lavette, qui continue à l’aduler. Le mari, c’est moi dans la pièce. MARCO : J’avais compris. Peu à peu, Marco réalise ce qu’il se passe ; son regard et ses attitudes se modifient. D’abord abasourdi, puis de plus en plus furieux. SIXTINE : Elle est partie avec son avocat en bateau... MARCO : Sur une arche ? SIXTINE : Non, un bateau de croisière. Elle a confié ses enfants à son mari. Elle ne lui demande rien. JULIUS : Elle est formidable. SIXTINE : Le mari en question n’a pas grande envergure. Je ne sais même plus quelle est sa profession. JULIUS : Enseignant ou coureur cycliste, cela reste flou. MARCO : Prof de sport. SIXTINE : C’est cela. Dans un collège miteux. MARCO : Et quand elle revient, elle commence à le harceler par avocat interposé pour récupérer la garde de leurs enfants. JULIUS : Exactement. Tu as donc lu le texte ? MARCO : Non. Elle va même jusqu’à l’accuser de pédophilie. Et le voilà qui sombre dans la dépression. Un radeau à la dérive. JULIUS : Tu as le don pour rendre compte de la psychologie de ce personnage raté.

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MARCO : Raté ? Est-il coupable, à votre avis ? SIXTINE : On ne sait pas. C’est au spectateur d’analyser la situation, de se forger sa propre opinion. MARCO : Et vous deux ? Vous avez une idée ? JULIUS : Je suis lui, il est moi ; il est forcément innocent. SIXTINE : Coupable, sans hésitation aucune. MARCO (blême) : Et toi, Solange, quel est ton verdict ? SOLANGE (insiste) : C’est une fiction. MARCO (crie) : Une fiction ? Tu me voles ma propre vie, tu arraches la douleur de mes tripes et tu oses parler de fiction ? Corentin et Tatiana reviennent.

CORENTIN : Que se passe-t-il ? MARCO (violemment) : Tu n’as pas le droit... SOLANGE : Rien ne m’interdit de m’inspirer de mon entourage. Les faits divers servent sans arrêt de point de départ à des films, des... MARCO (hurle) : Je ne suis pas un fait divers. (à Julius) Et comment s’appelle-t-il ce minable que vous interprétez sur scène ? JULIUS : Marc, mais ce n’est qu’une coïncidence. Tonnerre qui éclate. Noir. Cris. Remue-ménage.

TATIANA (crie) : La foudre est tombée sur l’immeuble. CORENTIN : Les plombs ont sauté. Ne vous inquiétez pas. J’y vais.

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ACTE III scène 1

(Solange, Corentin, Tatiana, Sixtine, Marco) Corentin va et vient, lampe de poche en main. Marco, immobile, est assis sur une chaise, sur le côté, face au public ; il reste dans la pénombre. Solange est affalée sur le canapé ; elle passe d’abord inaperçue. CORENTIN : C’est le secteur. Le quartier est complètement noir. Tatiana l’aide à placer des bougies un peu partout. TATIANA : Un repas aux chandelles, j’adore ! J’étais persuadée que j’allais m’ennuyer à mourir, égarée dans une bande de vieux casse-pieds... CORENTIN : Merci. TATIANA : Je ne dis pas ça pour vous. Finalement, je m’amuse beaucoup. SIXTINE : J’avoue que ça me change des mondanités habituelles où l’on ne sort que des clichés. Les lumières se rallument.

TATIANA, SIXTINE, CORENTIN : Ah ! (de nouveau, noir. Tous trois soupirent) TATIANA (rit) : Tout à l’heure, c’est moi qui ai choisi le mot « coup de théâtre ». Corentin, « calamité ». Lequel est le plus approprié à la situation actuelle ? (s’approche du canapé et crie) Là ! Un cadavre ! CORENTIN (la rejoint et éclaire Solange avec sa lampe) : Solange ! Qu’as-tu ? (s’agenouille auprès d’elle)

TATIANA : Elle est morte de peur ? CORENTIN : Arrêtez de parler, ça m’empêche de voir ! TATIANA : Quel est le rapport ? SIXTINE : Qu’y a-t-il ? CORENTIN : Solange ! C’est Corentin. Réponds-moi. TATIANA : Si elle est morte, elle ne risque pas de... CORENTIN : Silence ! Solange s’assied lentement en se tenant la gorge.

CORENTIN : Tu es blessée ? SOLANGE (a du mal à parler) : Quelqu’un a essayé... TATIANA : De l’émoustiller. SOLANGE : A essayé de me tuer. CORENTIN : Qu’est-ce que tu racontes ? SIXTINE : De te tuer ? (regarde de près) Oui. Tu as dû te cogner la tête. Je vais mouiller une serviette avec des glaçons. Ça te soulagera. (Corentin lui tend la lampe) Non. Je vais me débrouiller avec les bougies. (va à la cuisine) CORENTIN : Tu veux boire un peu d’eau ?

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SOLANGE : Oui. TATIANA : Je m’en occupe. (en aparté en allant chercher un verre) Dommage que le nègre — moi en l’occurrence — ait donné tacitement sa démission, cela aurait été intéressant de décrire cette soirée. Si ça se trouve, le vieux con, lui, il a été étranglé. Et la tentative a réussi. Il doit traîner dans un coin ou sous la table. (apporte le verre d’eau) SOLANGE (boit) : Merci. Je me sens mieux. Sixtine apporte la serviette et la tamponne la tête et le front de Solange à côté de laquelle elle s’assoit. Sonnerie de la pendule ; Sixtine ne réagit pas.

SOLANGE : C’est désagréable... ça me coule dans le dos... La lumière revient. Corentin se relève.

CORENTIN : On t’a peut-être simplement heurtée. Dans la panique générale, c’est possible. SOLANGE : On m’a jetée sur le canapé... et ma tête a peut-être heurté un meuble au passage... CORENTIN : Tu n’as pas senti une odeur particulière, un parfum ? SOLANGE : Les pâtes à la sicilienne. TATIANA : Faible indice. Tout le monde en a mangé. CORENTIN : Et les mains de l’agresseur, comment étaient-elles ? Larges ? Rugueuses ? SOLANGE (secoue la tête) : Je ne sais plus... Et nos invités ? Sixtine, tu vas bien ? SIXTINE : Le serial killer ne m’a pas touchée, et je ne sursaute plus au tintement de la pendule de la cuisine ; c’est bon signe. SOLANGE : Et Julius ? CORENTIN (aperçoit Marco, immobile) : Marco ! Ça va ?

scène 2 (Solange, Corentin, Tatiana, Sixtine, Marco)

Marco fait un signe de la main. Corentin se tourne de nouveau vers Solange. CORENTIN : Que disait Marco quand le courant a sauté ? C’est quoi cette histoire de fait divers ? SIXTINE : Si j’ai bien suivi, Solange a dû s’inspirer de la vie de son beau-frère pour écrire sa pièce. Je ne sais pas quelle est la part de vérité et la part d’imaginaire... CORENTIN (à Solange) : Quoi ? Tu as osé ? SOLANGE : Comment cela « osé » ? Ce n’est pas un crime de lèse-majesté. C’est monnaie courante. Jusqu’à présent, cela ne te choquait pas. SIXTINE : Logique ; il ne se sentait pas concerné. CORENTIN : Tu as osé ? SOLANGE : Tu te répètes, Corentin. C’est mon métier, ma création.

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CORENTIN : Sa vie. SOLANGE : Sa vie ? Mais il la partage avec d’autres, avec nous aussi. Je la lui emprunte et je la magnifie. Je sais ce que je fais. Je ne dépasse jamais les limites. CORENTIN : Lui as-tu parlé de ce projet ? Lui as-tu demandé son avis ? SOLANGE : Bien sûr que non. Il était dans le trou. On croyait même qu’il ne s’en remettrait pas. Moi, dans mon texte, je lui fais relever la tête. SIXTINE : C’est vrai. Corentin s’assied, la tête entre les mains. Tatiana reste à l’écart, gênée. SOLANGE : À la fin de la pièce, il reprend espoir. Du moins, le spectateur le lit dans le regard de Julien. CORENTIN : Mon pauvre Marco, ce n’était déjà pas assez de te débattre dans ce procès avec toute cette bande de lâches qui a menti sous serment, fait de fausses dépositions... Sans parler des trouillards qui n’ont pas voulu se mouiller. On les compte sur les doigts de la main les vrais amis et ceux qui ont clamé la vérité. Ça me dégoûte... Maintenant, cette merde va être étalée au grand jour. Magnifiée. De la merde magnifiée. Corentin va servir deux petits verres de cognac. Il en apporte un à Marco, prend une chaise et s’assied à côté de lui. CORENTIN : Tu es sûr que ça va ? Temps de silence. Marco boit lentement, le regard au loin, puis monologue sans se préoccuper des autres.

MARCO : C’était au début de notre mariage, juste avant qu’Alexandrine tombe enceinte. Pourquoi « tombe » ? Pourquoi ce mot ? On tombe de haut... On tombe parfois dans sa propre tombe, mais c’est rare. Pourquoi « tomber enceinte »... (silence) On enseignait dans le même collège. Pour elle, ce fut la seule année à cet endroit-là. Elle émigra ensuite au lycée, puis à la fac. (silence) Mais cette année-là est la plus belle que j’ai vécue. Chaque soir, je lui offrais une fleur, cueillie n’importe où. Ou parfois dessinée sur une feuille de cahier. J’étais l’exemple parfait du type ringard. Et elle m’offrait un mot. Un mot inconnu en voie de disparition. Ou un mot dont certains sens nous échappent... Et le temps d’une nuit, nous le faisions revivre, tracé au rouge à lèvres sur les miroirs et les carreaux. Je me souviens d’un mot : « la vie », un chemin pratiqué dans un marais salant. Solange a-t-elle volé ma propre vie ou simplement ce chemin salé que j’étais le seul à suivre... (se tourne lentement vers Solange) Je veux voir cette pièce ; je me sentirai décentré. Je porterai un regard neuf sur toute cette merde... mon marasme. (finit son verre) Encore un mot de notre collection fanée ! Un marasme est un genre de champignons. Étonnant, non ? Mon histoire s’achève dans une champignonnière. Marco se lève et fait quelques pas. MARCO (à Corentin) : Tu as remarqué ? J’ai réussi à me mettre en colère. Depuis deux ans, cela ne m’était pas arrivé. Je reprends du poil de la bête. (à Solange) Je pourrais presque te remercier, Solange. SOLANGE : Eh bien, tu vois. Je ne suis pas totalement négative. MARCO : J’ai dit « presque ».

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SOLANGE : C’est à cause de ma pièce que tu as voulu me tuer ? MARCO : Hein ? (Solange montre son front et sa tête) Je ne comprends pas. CORENTIN : Quelqu’un l’a, paraît-il, projetée... SOLANGE : Violemment. CORENTIN : ... sur le canapé. De là à en mourir, il n’y a qu’un pas. MARCO : Désolé, Solange. J’aurais eu de bonnes raisons de le faire. Mais ce n’est pas moi. La violence n’a jamais été mon truc. Je suis plutôt « peace and love ». Pendant ce temps, Tatiana regarde un peu partout.

scène 3 (Solange, Corentin, Tatiana, Sixtine, Marco)

TATIANA : Il n’est même pas sous la table. Qu’est-ce qu’il fabrique ? SIXTINE : Qui ? TATIANA : Julius. SIXTINE : Je l’avais oublié. Pourtant, ce n’est le genre discret. Il cuve sans doute dans la baignoire. CORENTIN : Je vais voir. (s’en va) SOLANGE : C’est terrible. Il ne digère peut-être pas les pâtes... J’avais dit à Corentin de cuisiner autre chose de moins lourd... TATIANA (à Solange) : Vous n’auriez pas un placard à balais assez grand pour qu’il puisse s’y cacher ? SOLANGE : Le spécialiste, c’est mon mari. Interrogez-le. Je ne sais pas où il range les balais. SIXTINE : Il faut toujours que Julius attire l’attention. Il aime être au centre des préoccupations de tous. TATIANA : Ah, oui, vous l’avez remarqué aussi ? Sur le tournage, ça m’a frappée. Il n’y en avait que pour lui. Les autres n‘existaient pas. Corentin revient.

SOLANGE : Alors ? CORENTIN : Ni aux toilettes ni dans la salle de bains. SIXTINE : Il est parti sans demander son reste ? Ce n’est pas dans ses habitudes. Il préfère les sorties en beauté, les coups d’éclat. Je l’ai vu à l’œuvre dans quelques soirées mémorables. On sonne.

SIXTINE (soupire) : Si c’est Dom’, elle arrive au mauvais moment. TATIANA : Non, c’est Julius qui veut faire une entrée remarquée. Préparez-vous à l’applaudir.

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Corentin va ouvrir.

CORENTIN : Une bouteille de rouge pour vous dépanner ? Pas de problème. Attendez une seconde. (à Marco) Marco, peux-tu m’apporter une bouteille de Chinon, s’il te plaît ? Il en reste deux sur la paillasse. (Marco obtempère) Merci. Il n’y a pas de quoi ; je vous en prie, monsieur Durant. (ferme la porte) C’était le voisin du dessous. TATIANA (crie) : Ah ! La fenêtre du couloir est ouverte. Tous se précipitent — plus ou moins vite.

SOLANGE : Il s’est défenestré ! Il a dû s’écraser dans la cour intérieure de l’immeuble. C’est affreux. CORENTIN : Je ne vois rien. Il n’y a pas de lumière. MARCO : Je veux bien aller chercher mon double... SOLANGE : Quel double ? MARCO : Dans ta pièce, c’est bien lui qui se glisse dans ma peau ? Cet acteur que tu portes aux nues ? Môssieu Julius Pleyon. Donc, je vais ramasser mon double, réduit à l’état de compote. SOLANGE : Marco ! Je t’interdis de dire des horreurs ! MARCO : Si je le trouve, ce ne sera qu’un fait divers supplémentaire. Tu pourras t’en servir pour ta prochaine création. Corentin, tu m’accompagnes ? Prends ta lampe de poche. CORENTIN : O.K. Corentin et Marco sortent.

scène 4

(Solange, Tatiana, Sixtine) SOLANGE : S’il est arrivé quelque chose à Julius, le spectacle est à l’eau. Des mois pour rien à cause d’un saut dans le vide. TATIANA : Julius est trop imbu de lui-même pour passer par la fenêtre au lieu de prendre l’ascenseur. Le tapis rouge du palier est un minimum. SIXTINE : Il n’est pas encore à l’apogée de sa gloire ; le grand plongeon, c’est pour plus tard. Solange pleure. SIXTINE : Qu’est-ce que tu as, Solange ? SOLANGE : Un petit coup de fatigue... pas grave. Trop d’événements d’un seul coup. Cette soirée fichue... Je comptais tellement sur ce dîner. TATIANA : Le serial killer en plus, ça fait beaucoup. SIXTINE : Moi aussi, je ne me sens pas très bien. Ça t’embête si je m’allonge cinq minutes ? SOLANGE : Non, vas-y. La chambre d’amis se trouve au fond du couloir à droite. Fais comme chez toi.

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SIXTINE : Appelez-moi quand les autres remonteront. TATIANA : Je viendrai vous chercher. Sixtine s’éclipse. Tatiana s’assied à côté de Solange.

SOLANGE : Je parais sûre de moi... mais ce n’est qu’une façade. Pourquoi est-ce que je vous dis ça ? TATIANA : Il faut bien le dire à quelqu’un. Moi, je vous avoue être soulagée de la disparition de Julius. Ça m’évitera un drame. Bonsoir, terminé. Affaire classée. SOLANGE : Vous n’avez pas besoin de reconnaissance pour exister ? TATIANA : Pour l’instant, non. Peut-être plus tard quand je serai vieille. SOLANGE : Comme moi ? TATIANA : Je n’ai pas dit ça. SOLANGE : Quelle était la remarque de Marco au sujet de mes autres pièces ? À la limite des grands boulevards... Oui, c’est ce qu’il a dit. Est-ce ce que tout le monde pense ça de moi ? J’aimerais être qualifiée autrement. Mon métier est ce qui compte le plus pour moi. TATIANA : Et la famille, le couple ? SOLANGE : C’est secondaire. TATIANA : Moi, j’aimerais réussir sur le plan professionnel. Mais si la vie quotidienne ne suit pas, je me sentirai bancale. Je voudrais rencontrer quelqu’un qui ne se complaise pas dans les rapports conflictuels. Un type gentil... SOLANGE : Au théâtre, les personnages gentils paraissent fades et sans intérêt. TATIANA : Je parle de la vie, pas de la scène. Oui, un type gentil qui partage tout avec moi, même la vaisselle et la lessive. SOLANGE (moqueuse) : Activités passionnantes ! TATIANA : Il faut bien s’y coller. Pourquoi pas à deux ? Par contre, je n’aimerais pas qu’il travaille dans le même domaine que moi, je finirais par me lasser. SOLANGE : Cet homme idéal, l’avez-vous croisé ? TATIANA : Oui, ce soir. Je voudrais qu’il ressemble à Corentin. SOLANGE : Mon mari ? Il a un caractère de limace, toujours d’accord pour tout. Autrefois, j’adorais avoir un chevalier servant qui exauçait tous mes souhaits. Maintenant, ça m’horripile. TATIANA : Vous ne l’aimez plus. SOLANGE : Il fait partie de mon environnement. Je ne suis pas sûre de pouvoir m’en passer. Et puis, on sait ce qu’on perd, pas ce qu’on gagne. TATIANA : La tombola ! Il se passe de drôles de choses chez vous. Un amoureux transi vous offre des fleurs comme je n’en ai jamais reçu... et un autre essaie de vous faire disparaître. Qui a pu faire ça ? J’ai déjà écrit un scénario de polar ; ça finissait dans une mare de sang. Marco et Corentin vont peut-être nous remonter Julius, découpé en morceaux. SOLANGE (dégoûtée) : Tatiana !

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TATIANA : Laissez-vous faire. (lui prend les mains) Quand j’étais petite, je voulais être voyante. (Solange veut retirer ses mains) Ce n’est qu’un jeu. (regarde les paumes) Ligne de vie particulièrement longue. Même en vous frappant avec un pic à glace, l’assassin n’aurait pas pu vous éliminer. SOLANGE : Bonne nouvelle. (retire ses mains et se masse la tête) TATIANA : Vous en serez quitte pour une grosse bosse. Une petite analyse s’impose. Tout est question de choix : s’agit-il d’une véritable agression, d’un accident... on a pu vous heurter involontairement. Ou bien, d’un appel à l’aide. Vous avez peut-être envie qu’on vous dorlote, qu’on s’occupe de vous ? SIXTINE (revient) : Ils ne sont toujours pas remontés ? TATIANA (discrètement, à Solange) : La conclusion ne regarde que vous. (se lève et s’éloigne)

scène 5 (Solange, Corentin, Tatiana, Sixtine, Marco)

Corentin et Marco reviennent. SIXTINE : Rien ? CORENTIN : Pas de trace de Julien. MARCO : En tout cas, pas de compote sur le trottoir ni dans la cour intérieure. (montre le ciel) Après la multiplication des pains, il a dû s’offrir une ascension, digne de la Pentecôte. SOLANGE : Tes remarques grinçantes m’insupportent, Marco. MARCO : Mille excuses. SIXTINE : Julius est sûrement rentré chez lui, sans prévenir personne. On ne va pas passer le réveillon là-dessus. CORENTIN : C’est ce que j’aurais dû faire pendant la panne de courant : remplir ma valise, prendre mes cliques et mes claques. Je hais les cambriolages. SOLANGE : Personne n’a été cambriolé. CORENTIN : La vie de Marco a été subtilisée. Un vrai tour de passe-passe. Je ne risque pas de l’oublier. SOLANGE : Tu ne vas pas recommencer, Corentin. Attends, quelle est cette histoire de valise ? Toi aussi, tu veux filer avant la fin du repas ? MARCO (en aparté) : La goutte d’eau qui fait déborder le vase de fleurs. (à Corentin) Corentin, ça suffit ! Le type du spectacle de Solange, ce n’est plus moi. Terminé ! SIXTINE : On pourrait essayer de finir calmement la soirée ? Pour nos hôtes, pour Corentin qui s’est donné un mal fou, et Solange dont la pièce est un détonateur hors du commun. Imaginez le futur public ! Chaque spectateur va réagir en fonction de son propre vécu. MARCO : Je ne ferai pas partie de ceux qui bondiront sur scène pour lyncher les acteurs. Mais il y en aura... TATIANA : D’autres siffleront ou applaudiront.

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SIXTINE : Ça va défrayer la chronique. SOLANGE (se mord les lèvres, au bord des larmes) : Excusez-moi... MARCO (lui tend un mouchoir en papier) : Je te croyais de marbre, Solange. Tu me surprends. Sixtine les entraîne vers le canapé. On sonne. Corentin va ouvrir.

scène 6

(Solange, Corentin, Tatiana, Sixtine, Marco, Julius) CORENTIN : Vous avez encore besoin de quelque chose, monsieur Durant ? ….. Ça alors ..... Où l’avez-vous trouvé ? ….. Merci, on va s’en occuper. ….. Merci beaucoup. Bonsoir. Corentin fait entrer Julius et referme porte. Julius est livide. TATIANA (en aparté) : Aïe, un revenant. (reste à l’écart) CORENTIN : En raccompagnant ses invités, le voisin a découvert notre ami dans le parking de l’immeuble. SOLANGE : Oh, Julius ! On était si inquiets. SIXTINE : Tu es tombé par la fenêtre ? Pas une égratignure. Tu as les reins solides. JULIUS : J’avais besoin de prendre l’air. J’ai marché dans la rue... Pendant combien de temps ? Je ne sais plus. Une voiture a failli me renverser, j’ai à peine réagi. (Corentin lui montre un fauteuil, Julius refuse d’un geste) Je repensais à la pièce de Solange. Je me suis senti soudain très proche de mon personnage. En symbiose parfaite. Sa souffrance était la mienne. MARCO : Quelle coïncidence, la mienne aussi. JULIUS : C’est la première fois que je deviens un autre, sans distanciation aucune. Je n’ai pas pu le supporter. Quelque chose en moi s’est révolté... et plus rien. Un blanc. Jusqu’à ce que quelqu’un m’aide à reprendre pied dans la réalité. CORENTIN : Monsieur Durant a dû secouer Julius pendant près d’une minute. JULIUS (à Marco) : Si tu le souhaites, je me retire, je te laisse le rôle. MARCO (sèchement) : Sans façon. L’acteur, c’est vous. Moi, je ne joue pas. SOLANGE : Tu abandonnes, Julius ? JULIUS : Non, au contraire. J’ai cerné mon personnage. Je l’ai assimilé. (s’assied) Un petit remontant ne serait pas de refus. SIXTINE : Tu aurais pu nous dire tout ça en alexandrins. JULIUS : À cette heure-là, je n’en ai plus envie. Mais si vous insistez... SIXTINE : Ça ira. On te fait confiance. MARCO : Je vous laisse. J’ai besoin de dormir et (appuie sur le mot) d’assimiler l’analyse profonde de mon double. SOLANGE : On te revoit bientôt, Marco ?

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MARCO : À la générale ; tu as promis de m’inviter. (à tous) Bonne nuit ! Corentin, on déjeune ensemble mercredi comme prévu ? CORENTIN : Je t’appelle demain, de toute façon. Corentin raccompagne Marco jusqu’à la porte. TATIANA : Moi aussi, je vais vous laisser. Je n’ai jamais passé une soirée aussi extra. JULIUS : Mon chou, veux-tu que... ? TATIANA : Pas besoin, je connais le chemin. Au fait, tu chercheras un autre nègre pour marcher sur les os. O-S ! à moins que tu ne trouves un titre plus personnel. Bye ! CORENTIN : Je t’accompagne, Tatiana. Tu as sûrement une brosse à dents neuve à m’offrir. SOLANGE : Une brosse à dents, pour quoi faire ? CORENTIN : Une semaine de vacances me fera du bien. Solange, je te laisse les fleurs. L’admirateur, c’était moi. SOLANGE : Toi ? CORENTIN : Je ne sais pas si j’ai vraiment réussi à t’émoustiller. Mais l’amoureux transi a besoin de faire le point après ce que j’ai appris ce soir. SOLANGE : Corentin, je... CORENTIN : N’ajoute rien. Je te tiendrai au courant de mes réflexions. Elles ne voleront certainement pas très haut, niveau Tortilla, pâtes et compagnie. Bonne fin de soirée ! N’hésitez pas à finir les bouteilles. Corentin et Tatiana sortent. SIXTINE : Pas mal comme sortie en beauté ! Il est doué, ton mari. Nous voilà en petit comité, on va enfin parler de ce qui nous préoccupe vraiment. JULIUS : Le spectacle sera un succès. Tu ne dis plus rien, Solange ? On sonne. SIXTINE : Encore le voisin ? JULIUS : C’est peut-être Marco qui a oublié quelque chose... SIXTINE : Tu veux que j’aille ouvrir, Solange ? Solange approuve de la tête. Sixtine va ouvrir la porte. Silence. Julius paraît étonné. Solange, perturbée, guette celui qui devrait entrer.

SIXTINE : Dom’, désolée. C’est trop tard. Noir.

fin