association · 2020. 9. 5. · • la biographie d’albert lautman, illustre philosophe et...
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Les différentes actions
de l’association
Un peu d’histoire
Nos élèves
s’illustrent Nos hommages
Association des Anciens Elèves des Lycées Marceau
et Hélène Boucher
et de mémoire
Editorial de M-F. Soulier……………………………………………………………………….. 4
Les différentes actions de l’association…………………………………………….... 5
- Élèves en sortie
- Des nouvelles de MA-NIOCS
- Marceau célèbre le centenaire avec « Gentils Coquelicots »
Dossier : Un peu d’histoire et de mémoire……………………………………….. 10
- Le lycée Marceau, pendant la première guerre mondiale
- Le lycée Marceau, pendant la seconde guerre mondiale
- [Enquête] : A. Lautman, philosophe et martyr de la Résistance
- [Ouvrage] : Comment se passait la vie à Marceau en 1954 ?
- Du Lycée d’État de Jeunes Filles au collège Hélène-Boucher
- D’hier à aujourd’hui : une école de luxe remplace l’ancien Marceau !
Nos élèves s’illustrent……………………………………………………………………………... 43
- Récompense départemental lors du CNRD
- Portraits d’anciens élèves
Nos hommages………………………………………………………………………………………… 49
Sommaire du Bulletin
P. 3
Mémoire, Jeunesse et Solidarité Editorial de M.F. Soulier
P. 4
Mai 1868 : Michel Chasles fonde notre Association d’Anciens élèves. 150 ans se sont écoulés. Le Collège de Chartres est devenu Lycée en 1887, et a pris le nom de Marceau en 1894. 1970 : Mixité oblige, après les événements de Mai 1968 : les lycéennes de Hélène Boucher sont scolarisées à Marceau. Aujourd’hui, l’établissement compte plus de 1500 élèves et possède des classes prépara-toires scientifiques pour accueillir les lycéens. A l’heure de Facebook, de Copains d’Avant et de Trombi.com, l’Association continue d’exister, mais, différemment.
1868
1970
2019
Sa devise MÉMOIRE, JEUNESSE ET SOLIDARITÉ lui a donné son souffle et son énergie, au cours de ces deux dernières années, 2018 et 2019.
Chartres et Gatchina en Russie.
La MÉMOIRE à été activement ravivée grâce à trois actions :
• La pièce de théâtre « Gentils Coquelicots » faisant revivre l’été 1918 entre Beauce et Perche a été
jouée par la Cie Traviata, à l’amphithéâtre du lycée, le 15 novembre 2018. L’auteur et metteur en
scène, Jean-Pierre Jérôme, est un ancien élève de Marceau.
• La biographie d’Albert Lautman, illustre philosophe et résistant, mort en 1944, a été écrite par
Christophe Mandelkern. La vie de ce professeur de Marceau est connue grâce aux travaux menés par
Marie-Thérèse Grangé sur les noms figurant au Monument aux Morts dédié aux anciens élèves et
professeurs morts pour la France, lors des deux conflits mondiaux.
• Dans un registre plus léger, Alain Simon, dans son livre Enfance et Adolescence, publié en 2016,
nous fait revivre la vie à l’internat dans les années 1950.
La JEUNESSE se distingue par les succès des lycéens d’aujourd’hui aux différents concours tant ceux de
Devoir de Mémoire comme le CNRD que ceux aux Grandes Ecoles. Nos encouragements les accompa-
gnent et notre partenariat est toujours actif avec la MDL et son Président Karim Bekhti. La Journée
citoyenne, organisée par l’Association, a permis aux délégués de classe de Terminale, le 25 janvier 2018,
de rencontrer à l’Assemblée nationale le jeune député Guillaume Kasbarian.
La SOLIDARITÉ, c’est aider les Anciens dans la peine et les difficultés, mais, c’est aussi apporter notre
soutien moral et financier aux projets actuels des lycéens. Nous continuons à aider l’Association MA-
NIOCS dans son action d’aide au développement au Bénin et encourageons les échanges linguistiques entre
LES PROJETS
- Exposition « Hommage à Marceau » réalisée par J-F Ressort, présentée
au lycée.
- Plaques mémorielles des professeurs et élèves victimes des conflits de
1870 et des deux guerres mondiales, installées dans le hall du lycée.
- Participation à la Rencontre avec les Anciens Elèves (RAE).
- Soutien au projet d’élèves de seconde : SANTE, RICHESSE INDIVI-
DUELLE ET COLLECTIVE.
- Novembre 2019 : nouvelle sortie citoyenne.
Marie-Françoise Soulier
Rejoignez-nous nombreux
pour faire vivre cette richesse
intergénérationnelle. Merci à
tous ceux qui ont œuvré pour
le succès de notre Association
Présidente de l’association
P. 5
de l’Association Les différentes actions
Elèves de Marceau en sortie : direction l’Assemblée nationale ! (2018)
Comme à son habitude, l’Association des anciens élèves du Lycée Marceau et d’Hélène Boucher a organisé
une sortie à l’Assemblée nationale avec l’ensemble des délégués de Terminale. Cette journée, qui avait lieu
le 25 Janvier 2018, a permis de visiter le palais Bourbon ainsi que ses emblématiques salons (la grande
rotonde, la bibliothèque, …). Ce fut également l’occasion pour nos élèves de mieux comprendre le fonc-
tionnement de notre assemblée nationale en assistant notamment à une séance parlementaire. Séance qui,
si l’on en croit leurs retours, fut relativement animée. Il s’agissait d’un débat autour de l’article 34 visant
à simplifier le processus décisionnel applicable aux exploitations des énergies marines renouvelables
(projets EMR).
Cette visite fut également l’occasion pour nos lycéens de rencontrer le député de la 1ère circonscrip-
Guillaume Kasbarian naît le 28 février 1987 à Marseille. Après avoir grandi
dans le Sud, il effectue ses études dans une classe préparatoire parisienne
avant d’intégrer l’ESSEC, dont il sort diplômé en 2009. En 2015, il est
nommé trésorier de Tous Politique !, institut de formation de LREM (La Ré-
publique en Marche).
Deux ans plus tard, il se présente aux élections législatives et est élu député
LREM avec 55,18% des voix.
Grâce à cette rencontre, les élèves purent faire part de leurs inquiétudes concernant le désert médi-
cal, le nouveau Bac ou bien la réforme de Parcoursup.
Au Palais Bourbon avec l’ensemble des délégués de Terminale, les professeurs
accompagnateurs et Madame Soulier
Yanis Bekhti
P. 6 Les différentes actions de l’assoc.
L’action de MA-NIOCS :
Un soulagement pour les enfants d’Alédjo
L’association MA-NIOCS (Marceau Afrique – Nouvelles Initiatives pour une Ouverture par la Culture et la Solidarité), toujours soutenue par l'Association des Anciens Élèves du Lycée Marceau, a terminé l’année scolaire 2018-2019 sur le succès de la 4ème édition de sa course solidaire « Allez ! Jo, courons le 10 mai pour des envies pressantes » .
Ce moment convivial, sportif et solidaire a fédéré, autour de notre quatrième projet, neuf classes de Seconde, trois classes de 1ère, une classe de Terminale ainsi que leurs professeurs, au stade des Bas-Bourgs. Chacun a couru cette année pour pouvoir financer : 1) La construction de latrines, c’est-à-dire de toilettes sèches, dans l’école primaire de Kagnizia de l’arrondissement d’Alédjo (où MA-NIOCS a financé la construction d’une salle de classe en 2015). 2) La construction de latrines dans le collège de Pénélan de l’arrondissement de Pénéssou-lou. 3) Le financement de prix aux meilleurs élèves garçons et filles de l’arrondissement d’Alédjo.
4) L’achat de manuels scolaires béninois pour le collège de Partago (où MA-NIOCS a financé la cons-
truction d’une salle en 2017).
MA-NIOCS montre ainsi sa volonté, toujours renouvelée depuis 2011, de sensibiliser les jeunes du lycée Marceau à la solidarité internationale sous la forme de l’aide au développement, grâce au renforcement de notre partenariat local avec l’ONG Adria d’Alédjo, dans le cadre que nous avons choisi
Photo de la 4ème édition de la course solidaire
Octobre 2017 : Le maire de Bassila remet les prix aux meilleurs élèves financées par MA-NIOCS, en
présence des membres de l’association.
P. 7 Les différentes actions de l’assoc.
avec nos adhérents, la promotion de la scolarité des garçons comme des filles. Toutes les initiatives que les lycéens du Lycée Marceau ont imaginées, mises en œuvre durant ces deux dernières années ont ryth-mé la vie de notre association tout comme celle du lycée. Ainsi, grâce à la vente de calendriers, à l’organisation de concours d’écriture sur le thème des voyages en Afrique, à de multiples représentations théâtrales, à nos repas béninois annuels dans la salle de restauration du lycée, ou aux tombolas, vide- grenier, concerts de Noël dans l’amphithéâtre et autres ani-mations - grâce également à une subvention de la Région Centre-Val de Loire dans le cadre de la mobilité des jeunes - nous pourrons également financer le déplacement d’une délégation MA-NIOCS (6 élèves et 2 professeurs membres) jusqu’à Alédjo, durant les vacances scolaires de la Toussaint 2019, période de rentrée scolaire béninoise.
Ce voyage sera l’occasion d’inaugurer les travaux réalisés durant l’été et de remettre les prix aux meilleurs élèves en compagnie des autorités locales, de nos partenaires d’ADRIA, de la population de l’ar-rondissement d’Alédjo . Nous pourrons également échanger avec les jeunes du collège de Partago, assis-ter à leurs cours. Nous aurons la joie de retrouver pour la troisième fois tous les parents d’élèves de Kagnizia ainsi que leurs enfants. Ces rencontres seront l’occasion d’ouvrir les jeunes du lycée Marceau à la culture béninoise tout comme à l’histoire du Bénin.
Ce voyage sera enfin l’occasion de rapprocher les jeunes de deux continents... et d’essayer les latrines
toutes neuves !
Laurence Dey
Représentation théâtrale lors du repas béninois
Inauguration de la classe de Partago avec la délégation MA-NIOCS de 2017
P. 8 Les différentes actions de l’assoc.
Marceau célèbre le centenaire avec la pièce de théâtre
« Gentils Coquelicots »
Jean-Pierre Jérôme, ancien élève du lycée Marceau, a
écrit et mis en scène un spectacle théâtral qui évoque la vie des
familles de ceux qui étaient partis au front. Une représentation
a été donnée dans l’amphi du lycée le jeudi 15 novembre 2018.
L’auteur-metteur en scène nous raconte son spectacle.
- COMMÉMORATION OBLIGE -
2014 était passé. Le centenaire de la Première Guerre
Mondiale avait commencé. Et j’en étais à chercher des pièces
de théâtre pour préparer la prochaine saison. Alors la question
s’est posée : commémorer or not commémorer ?
Pour construire mes spectacles, j’ai toujours (dans la mesure
du possible) choisi des textes pour ce qu’ils racontaient. De
préférence avec humour mais pas nécessairement. (Le drame
d’Arthur Miller, « Ils étaient tous mes fils », reste un de mes
plus beaux souvenirs, et pourtant ça n’était pas drôle.) Et à
l’entrée dans cette période de centenaire, je n’avais pas envie
de raconter les tranchées, la vie et la mort des poilus.
Pourtant je suis de ceux qui pensent que le théâtre, comme le cinéma, peuvent avoir une fonction
éducative. Ils peuvent, s’ils le souhaitent, « instruire en distraisant », comme disait Boby Lapointe dans sa
leçon de guitare sommaire. Et je n’avais pas envie de rater le coche de ce centenaire au cours duquel le
public serait probablement réceptif. La question n’était donc pas de monter un spectacle commémoratif
mais de décider lequel.
J’ai cherché à retrouver le titre exact et le texte d’une pièce dont j’avais entendu parler à la radio il y
a un certain nombre d’année. Une histoire de construction de monument aux morts dans une petite com-
mune. Recherches infructueuses. J’ai été tenté par l’épisode de fraternisation sur les lignes à Noël 1914.
Mais dans le théâtre amateur, ce n’est pas le masculin qui l’emporte et je ne me voyais pas travestir des
comédiennes pour en faire des poilu(e)s. J’ai relu deux pièces que j’avais montées précédemment.
« Blanche Maupas, l’amour fusillé » de Jean-Paul Alègre, sur le combat d’une femme pour la réhabilita-
tion de son mari, condamné à tort et fusillé pour l’exemple. « La Douleur des Blés » de Georges Bernay
sur la camaraderie au front et les rivalités sociales. Et puis j’ai décidé d’écrire autre chose.
- UN SPECTACLE EURÉLIEN -
J’ai choisi de raconter la vie de ceux qui n’étaient pas au front. Les jeunes, les femmes, les vieux. Et
j’ai choisi d’ancrer ce spectacle dans son territoire, notre département,
pour qu’il parle directement à ses spectateurs de leurs ancêtres pas si loin-
tains, ceux de 1918. Comme son sous-titre l’indique, Gentils Coquelicots est
un spectacle entre Beauce & Perche. Je l’ai conçu et écrit en m’appuyant
sur l’ouvrage publié par les archives départementales « 1914-1918 Le Front
de l’Intérieur, L’Eure-et-Loir dans la guerre ».
L’action pourrait se situer dans n’importe quelle ferme de n’importe quel
village de campagne, en Beauce, dans le Drouais ou dans le Perche. Cette
imprécision permet à chacun de se retrouver dans cette famille qui aurait
bien pu être la sienne.
Affiche de la pièce de théâtre
P. 9 Les différentes actions de l’assoc.
« Gentils Coquelicots » est un spectacle rural. Mais pas interdit aux urbains ! D’autant que les urbains
d’aujourd’hui sont pour beaucoup issus des familles rurales d’il y a cent ans... C’est un spectacle rural dans
la mesure où l’action, le lieu et les personnages sont paysans et ruraux, même si l’Eure-et-Loir d’il y a cent
ans était aussi en partie industrielle et urbaine.
- UN SPECTACLE D’ÉDUCATION POPULAIRE -
A l’origine de « Gentils Coquelicots » il y a l’envie de donner à voir et à entendre, par l’incarnation
théâtrale, des personnages qui vivent la période dont on célèbre le
centenaire. Envie de redonner vie aux situations décrites dans les do-
cuments d’époque, pour permettre à nos contemporains d’éprouver
les émotions et les sentiments de leurs semblables d’il y a 100 ans.
Parce qu’on ne peut pas s’intéresser à la vie de ceux de l’arrière sans
évoquer ceux du Front, j’ai intégré au spectacle de véritables
lettres de poilus. Sans être représentées sur scène, les lettres sont
mises en son comme des pièces radiophoniques, pour faire entendre
la voix de ceux qui ne pouvaient qu’écrire et dont l’absence était si
présente.
Une fois le texte écrit, je l’ai soumis à la lecture de Mme Soulier, ma prof d’histoire de Terminale au lycée
Marceau. Ce fut un plaisir de répondre favorablement à son invitation de venir jouer ce spectacle au lycée,
d’autant que parmi les comédiens, plus de la moitié sont d’anciens élèves de Marceau.
Pour ceux qui voudraient lire le texte, il n’y a qu’à demander : [email protected]
Soutenus et encouragés par le gouvernement, tant dans les
discours que dans la propagande, les vieux paysans, leurs filles et
petits-enfants se sont efforcés de continuer à produire pour nourrir
toute la population, civile et militaire.
La tâche était rude. Il a fallu abandonner des parcelles de
terre, faute de bras pour les travailler… Et surtout il a fallu s’adap-
ter aux nouveaux rôles de chacun, accepter de voir les femmes là
où ça n’était pas leur place…
Le manque de main-d’œuvre agricole est tel que la mécani-
sation se développe à grande vitesse dans les plaines fertiles.
Citoyens de demain, les enfants sont ceux sur qui l’on comptait
pour reprendre l’Alsace - Lorraine... Ils sont aussi le lien direct entre
l’État et les familles, un vecteur de communication qui n’a pas été né-
gligé pendant toute la durée du conflit. Et puis la main-d’œuvre sco-
laire a concouru aux travaux des champs, sous l’incitation de l’État ou
plus directement par réquisition familiale.
Jean-Pierre Jérôme
Un peu d’histoire et de mémoire
P. 11 Un peu d’histoire et de mémoire
Le lycée Marceau pendant la première guerre mondiale
(1914 - 1918)
Cinq ans après la fin du conflit, cent huit noms, patiemment collectés par M. Jacques, proviseur, et
M. Gaston Doré, secrétaire de notre association, furent égrenés le 14 octobre 1923, lors de l’inauguration
de notre monument dans la cour d’honneur du lycée, ceux des professeurs Lucien Gumpel, agrégé de
Lettres, et Maxime David, agrégé de philosophie, puis ceux des cent six élèves, cent quatre noms dans
l’ordre alphabétique et deux noms ajoutés en fin de liste, ceux de Georges Riquier et d’Alfred Ribeyre,
complétés dans les années 1930 par celui d’Eugène Klefstad-Sillonville.
L’architecte Duvergie n’avait pas craint
l’œuvre grandiose, évocatrice et romantique,
« Aux Morts », lui donnant ampleur et solennité
grâce aux deux bancs de pierre qui invitent
aujourd’hui encore au recueillement et à la
méditation. Après sa rénovation et son transfert
dans le square Noël-Ballay, domaine public,
n’est-ce pas l’endroit idéal, après avoir parcouru
ces noms redevenus lisibles, pour réfléchir à la
contribution apportée par notre lycée au rétablis-
sement de la paix ? Avant de disposer d’un re-
cueil de données sur chacun de nos Anciens, je
vous invite à partager la connaissance, qui se
fait jour au fil de recherches minutieuses et pas-
sionnantes, relatives à ces cent neuf victimes, nos Morts de la Première Guerre mondiale et de l’immédiat
après-guerre.
Ils avaient vu le jour entre 1858 et 1898, 9 sur
10 entre 1879 et 1898 ; Frédéric Pelé, militaire de
carrière sorti de Saint-Cyr en 1881, avait 40 ans de
plus que Jean Dubourg et Robert Benoist. Nés pour
la plupart en Eure-et-Loir (70 dont 21 à Chartres, 19
dans un chef-lieu de canton, 30 dans nos villages),
ils côtoyaient les « Parisiens », placés pour diverses
raisons d’ordre familial à l’internat dans un établis-
sement réputé, les fils de fonctionnaires ou mili-
taires et quelques élèves recrutés pour leurs excel-
lents résultats, nés dans un autre département (21)
ou en Algérie (1).
Selon les actes de naissance, le père était seul
à travailler dans 90 % des cas, la mère étant
« sans profession » ; parmi celles qui travaillaient,
la moitié partageait l’activité de leur époux dans le
petit commerce. Compte tenu de l’incertitude des
données et du sens des mots utilisés à l’époque, on
peut, avec un peu d’audace certes, caractériser la
profession du père de la manière suivante : 12%
travaillaient dans le domaine de l’agriculture, 31,2
% étaient artisans, commerçants ou chefs d’entre-
prise, 28,5 % cadres ou de profession intellectuelle
supérieure, 19,3 % relevaient des professions inter-
médiaires, les autres étant employés ou sans activité
professionnelle. Le lycée Marceau, seul lycée du
département, formait alors la plupart des dirigeants
politiques et économiques de la ville, tout en éten-
dant son recrutement à une partie de l’élite du dé-
partement.
Leur scolarité ne peut être que partiellement
reconstituée à partir des archives de notre associa-
tion, listes d’entrée (sans date de sortie, hélas !), re-
gistres d’examens, palmarès de la distribution des
prix. Car tous les élèves n’étaient pas cités sans
pour autant avoir démérité. Élèves du Collège de
Chartres avant la rentrée 1887 (8), du lycée de
Chartres à partir de 1887, dénommé lycée Marceau
en 1893, internes pour deux tiers d’entre eux, ils
fréquentèrent plus ou moins longtemps notre éta-
blissement selon les projets de leurs parents et en
fonction de leurs résultats scolaires, quelques-uns
peu nombreux parcourant tous les cycles, élémen-
taire, premier cycle du second degré, 2e cycle,
chaque étape étant sanctionnée par un examen.
Monument aux morts avant sa restauration en 2017
P. 12 Un peu d’histoire et de mémoire
L’école d’agriculture d’hiver, créée en 1908
par le Conseil général, répondait aux besoins de
modernisation de notre agriculture beauceronne. La
possession du baccalauréat représentait l’objectif
ultime pour une partie seulement des élèves. Le suc-
cès au baccalauréat, à dominante philosophique,
mathématiques ou le baccalauréat moderne, promet-
tait un bel avenir ouvrant la porte à l’enseignement
supérieur universitaire ou aux grandes écoles par la
voie des concours, dont certains étaient préparés au
lycée, ou bien à certains emplois. La réputation de
notre lycée se mesurait à la réussite au baccalauréat,
organisé en deux parties, avec deux sessions par an,
en juillet et octobre.
Dans notre groupe de 107, 44 obtinrent ce
précieux diplôme complet en fin de classe termi-
nale, dont 28 dans la série philosophie ; 10 obtin-
rent la mention Assez bien, plus chichement attri-
buée qu’aujourd’hui ; Jumeau obtint la mention
Bien au bac philo en 1898 et décrocha aussi un 3e
accessit au concours général en physique-chimie-
histoire naturelle. Figurèrent parmi les meilleurs
élèves du lycée : Morize et Sillonville (1891), Lou-
vancour (1894 et 1903), Raimbault (1896), Richard
(1898), Migneau Robert (1909), Pelé Henri (1912)
et Dubourg (1916), qui obtinrent le prix de l’Asso-
ciation des anciens élèves, laquelle offrit une bourse
de voyage à Gauthier pour l’Angleterre en 1909, et
à Dubourg pour l’Allemagne en 1914 – voyage
qu’il ne put probablement pas réaliser.
Pour l’encouragement des études historiques,
la Société archéologique d’Eure-et-Loir attribua la
Médaille d’argent à Angé (1885), Sillonville (1899)
et Martin Jacques (1908), premiers prix d’histoire
en classe de rhétorique. Le prix d’honneur de la
Ville de Chartres revint à Louvancour (1901 et
1902), Migneau Robert (1909), Rauline (1910 et
1911), Pelé Henri (1912), Dubourg (1916). En
classe de philosophie, Bonnet obtint en 1901 le prix
d’honneur du Ministère de l’instruction publique.
Le dimanche 12 juillet 1914 se déroula au théâtre de Chartres la traditionnelle distribution des
prix, présidée par Gustave Lhopiteau, sénateur, président du Conseil général, ancien élève du lycée.
« Nous vîmes rarement affluence aussi nombreuse d’autorités sur la scène », nota Le Progrès des 13-16
juillet. Par contre les loges n’étaient pas pleines comme à l’accoutumée ; à la veille d’un congé accordé jus-
qu’au 16 juillet, les élèves non primés avaient sans doute donné la priorité à cette petite vacance précédant
les grandes, en fin de mois. Le proviseur Richard et la plupart des professeurs portaient la robe universi-
taire. M. David, nommé à la dernière rentrée, prononça, non sans humour, le discours d’usage, qu’il consa-
cra au Rire. Le président félicita les élèves pour leurs succès au bac et leurs mentions. Anzemberger était à
l’honneur en Première, Roger et Valéry en Terminale, tandis que Faucheux venait d’être admis à Saint-
Cyr, promotion « La Grande Revanche », tout un symbole. On se quitta dans une atmosphère alourdie de-
puis l’attentat du 28 juin contre l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire austro-hongrois, et son
épouse à Sarajevo (Serbie). Les titres des journaux traduisaient, parallèlement aux efforts diplomatiques, la
montée de la tension : « guerre austro-serbe », puis « guerre européenne », compte tenu des alliances.
Le 1er août 1914, le gouvernement décida à 3 h 20 la couverture des frontières, les affiches appelant
à la mobilisation générale apparurent vers 17 h. À 19 h 30, l’Allemagne déclarait la guerre à la Russie. La
situation de nos Anciens était alors la suivante :
• 35 étaient sous statut militaire. 15, dont 8 Saint-Cyriens, étaient officiers supérieurs (colonel Le
Rouvillois, lieutenant-colonel F. Pelé, commandant Baudran,) ou officiers, parmi lesquels plusieurs
capitaines ; ils assuraient l’encadrement des troupes, qui comptaient 20 de nos anciens sous les dra-
peaux, ceux des classes 1911, 1912, 1913, ces derniers assujettis à un service de trois ans, qui avait
fait couler beaucoup d’encre.
• 15 étaient en cours d’études, 8 dans l’enseignement supérieur, 3 déjà cités terminaient leurs études
au lycée avec succès, 4 n’étaient pas encore diplômés, élèves au lycée en 2e (Dubourg), 1e
(Anzemberger et Ribeyre) ou terminale (Ajalbert).
« Nous vîmes rarement affluence aussi nombreuse d’autorités sur la scène »
Le Progrès, 1914.
P. 13 Un peu d’histoire et de mémoire
• 13 étaient de jeunes actifs appartenant aux classes non appelées, 1914 (Marie, Prévosteau), 1915
(Hiard André, Pellier), 1916 (Egasse, Marchand, Mardelet, Racinet), 1917 (Desvoyes, Langlois, Lé-
viste, Michel) et 1918 (Benoist Robert).
• 46 étaient bien insérés dans la vie active. 45 appartenaient à la réserve de l’armée active, à l’armée
territoriale ou à sa réserve, ils étaient mobilisables, sauf Jumeau qui était jusqu’alors réformé. Dupré,
né en 1862, était libéré du service militaire depuis 1903.
Tandis que les réservistes, dont plusieurs professeurs et agents de service du lycée, rejoignaient
leur unité, un décret suspendit la liberté de la presse le 2 août, l’Allemagne déclara la guerre à la France le
3, la censure fut mise en place le 4, le 102e RI quitta la caserne Marceau par le train le 6 pour … ? On ne
sut car une chape de plomb s’installa, les nouvelles publiées furent celles données parcimonieusement par
le ministère de la guerre. Mais dès le 2 août, le lycée s’adaptait à ses missions nouvelles : cantonnement du
30e régiment d’infanterie territoriale du 2 au 15, puis installation des hôpitaux temporaires 10 et 11 ; les
premiers blessés arrivaient le 14 au soir ; le drapeau de la Croix Rouge Française flottait au-dessus du por-
tail d’entrée du lycée.
Il y avait déjà des morts et des blessés au champ d’honneur. Avec la coopération des familles, la
presse ouvrit vers le 9 septembre le Livre d’Or de l’Eure-et-Loir. Le 11, on vit revenir chez lui, à
Chartres, le lieutenant Blondel, blessé par balle à la tête le 7 au matin au combat de Rembercourt (Meuse) ;
il avait continué de diriger la 17e Cie du 302e régiment d’infanterie jusqu’au soir – tous les autres officiers
étant morts – avant d’accepter son évacuation vers une ambulance. Il conta son odyssée et dit son espoir de
rejoindre le front dans les 15 jours. Grièvement blessé, ce père de trois enfants succombait le 15 au soir à
l’âge de 36 ans. Première victime chartraine, une cérémonie imposante accompagna le samedi 19 jusqu’au
cimetière Saint-Chéron le juge du tribunal civil, ancien conseiller municipal de Chartres, engagé dans la
mutualité et l’action sociale, historien de Chartres et du lycée, président ou membre actif de nombreuses
associations (secrétaire de l’Association des anciens élèves du lycée Marceau) ; la foule écouta les éloges
prononcés par le maire de Chartres, le procureur de la République et le général commandant la 4ème région
militaire.
On retenait son souffle : la guerre était meurtrière. Comment assurer la rentrée scolaire ? Les pre-
mières et terminales restèrent au 1er étage de la galerie
dans la cour d’honneur, d’où ils voyaient arriver les bles-
sés et partir les morts, d’où ils assistaient à la remise des
décorations. Le docteur Dupeyroux mit à la disposition du
lycée son immeuble de la rue Famin, qui accueillit les
élèves de la classe de 8ème à la Seconde. Les plus jeunes,
de la classe enfantine à la 9ème, eurent cours dans le foyer
du théâtre municipal.
Le ministre maintint la distribution des prix, qui fut l’oc-
casion, le 13 juillet 1915, d’un vibrant discours patriotique
du proviseur Richard, lui-même touché par la mort de son
fils, comme d’autres fonctionnaires du lycée.
L’enseignement continuait, la liste des blessés et des morts s’allongeait, celles des promotions et dé-
corations également. Il en fut ainsi chaque fin d’année. Si les efforts de la France et des Alliés mirent fin
aux combats le 11 novembre 1918, les troupes furent démobilisées progressivement dans les mois suivants.
La France reçut le 25 avril 1920 mandat de la jeune Société des Nations sur la Syrie et le Liban. Le général
Gouraud, haut-commissaire de la République Française au Levant (1919-1922), appuya son autorité sur
notre armée du Levant, qui se heurta à une forte résistance à Damas, où périt l’un de nos anciens.
Cent neuf noms gravés sur une plaque, qui était prévue pour cent noms… ! Cent neuf victimes,
dont nous récapitulons quelques caractéristiques au jour de leur décès !
Monument aux morts après sa restauration
P. 14 Un peu d’histoire et de mémoire
Ils avaient entre 18 ans (Charles Ajalbert, engagé volontaire) et 56 ans (Edmond Dupré, engagé vo-
lontaire, Frédéric Pelé, militaire de carrière). 70 % avaient entre 18 et 30 ans. 55 % appartenaient aux
classes 1909-1919 qui fournirent l’essentiel de l’effort de guerre. Les trois-quarts d’entre eux étaient céliba-
taires, du fait de leur jeune âge et de la guerre. Ils appartenaient aux tranches d’âge suivantes :
18 à 20 ans 21 à 30 ans 31 à 40 ans 41 à 50 ans 51 à 56 ans
16 60 27 3 3
14,68 % 55,05 % 24,78 % 2,80 % 2,80 %
Ils servaient alors dans l’armée de terre (103 sur 106), à l’exception de Marcel Ducasse, détaché dans
la marine aéronautique, et de deux jeunes tentés par l’aviation, Lucien Sartori par détachement et Alfred
Ribeyre par rengagement après le conflit. La majorité était dans l’infanterie (68%), alors que l’artillerie
comme les troupes coloniales en accueillaient 10%. Toutes armes confondues, 48 étaient militaires du rang,
27 sous-officiers, 31 officiers et 3 officiers supérieurs ; 5 appartenaient au service de santé : 1 pharmacien
et 4 médecins.
Leur décès intervint entre le 22 août 1914 et le 29 août 1921 :
Décès pendant la Première Guerre mondiale 102/109 soit 93,50 % Décès après
1914 1915 1916 1917 1918 1919 à 1921
26 23 26 11 16 7
23,85 % 21,10 % 23,85 % 10,10 % 14,68% 6,50 %
La bataille des frontières, un désastre pour notre armée, fit d’emblée 9 morts de tous grades le 22 août
1914 : Jean-Gorges Capelle, Maurice Chautemps, Henri Doyen, Henri Gierszinski, Léon Gouin, Pierre
Hardouin, Pierre Lhomme. Après le conflit, 5 moururent en 1919. Pierre Vivien, fait prisonnier le 27 août
1914 lors de la reddition du fort de Manonvillers (Meurthe-et-Moselle), libéré et rapatrié le 28 décembre
1918, décéda le 1er janvier 1919 de maladie contractée en service. Georges Dagron fit une syncope, qui lui
fut fatale le 4 janvier 1919. Marcel Courtial, blessé le 25 septembre 1914 à Ognolles (Oise), s’éteignit à son
domicile le 20 décembre 1919. Le docteur Edmond Dupré contracta en service la grippe espagnole, dont il
mourut le 4 février 1919 et Louis Migneau, chef de musique engagé dans l’évacuation des blessés, fut em-
porté par la tuberculose pulmonaire le 1er mai 1919. Eugène Sillonville mourut le 23 mars 1920 à Alger de
maladie contractée en service après un accident. Alfred Ribeyre, rengagé dans l’armée du Levant, succom-
ba dans l’explosion de son avion à Damas (Syrie) le 29 août 1921.
Plaque commémorative (une fois rénovée) où l’on peut apercevoir les 109 noms
P. 15 Un peu d’histoire et de mémoire
France zone des combats Meuse 27 24 tués dont 1disparu, 2 blessés, 1 mort par
accident
id. Marne 20 16 tués dont 2 disparus, 2 blessés, 1 malade,
1 mort par accident
id. Somme 11 9 tués dont 3 disparus, 1 blessé, 1 malade
id. Aisne 6 5 tués, 1 blessé dans une ambulance allemande
id. Oise 4 3 tués, 1 malade
id. Meurthe-et-
Moselle 3 3 tués
id. Pas-de-Calais 3 2 tués, 1 blessé
id. Ardennes 2 2 tués
id. Haut-Rhin 2 2 tués
id. Bas-Rhin 1 1 malade
id. Seine-et-Marne 1 1 tué
France hôpitaux de l’arrière Paris 5 1 blessé, 4 malades, dont 1 prisonnier rapatrié
id. Autres départe-
ments 9 4 blessés, 5 malades, dont 1 prisonnier rapatrié
Algérie (colonie française) Alger 1 1 malade
Allemagne Balge 1 1 prisonnier noyé au bain dans la Weser
(accident)
Belgique (Luxembourg) Ethe-Virton 6 6 tués
Belgique (Flandre occid.) Ypres-Mont
Kemmel 3 1 tué, 2 blessés
Grèce Vertekope,
Salonique 2 2 blessés (armée d’Orient)
Syrie Damas 1 1 tué par explosion d’avion (armée du Levant)
Tunisie (protectorat français) Au large du
Cap Serrat 1 1 disparu en mer dans un accident de dirigeable
Du point de vue géographique, la plupart moururent dans la zone des combats (80), sur le champ de
bataille, dans une ambulance militaire ou dans un hôpital. Les blessés transportables furent évacués dans
des hôpitaux de l’arrière (14). Le tableau suivant distingue ceux tués sur le champ de bataille, ceux
morts des suites de blessures de guerre, de maladie ou par accident :
Selon les archives militaires consultées, 7 de nos Anciens, portés disparus au soir d’un combat, le
sont encore aujourd’hui : César Anzemberger, Paul Calavaz, Henri Chartier, Paulus Chatin, Marcel Du-
casse, Georges Marie et Henri Pelé. Les corps de 12 d’entre eux ont rejoint une Nécropole Nationale en
France, 1 à Rossignol en Belgique. Une partie des autres sépultures a pu être identifiée grâce à la collabora-
tion des mairies ; l’enquête n’est pas achevée et des incertitudes subsistent un siècle plus tard.
Les promeneurs du square Noël-Ballay doivent penser que nos 109 Anciens sont « Morts pour la
France ». Or, selon le site officiel « Mémoire des Hommes », six d’entre eux n’avaient pas bénéficié de
cette mention. Après démarche auprès de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de
Guerre, car il n’y a pas forclusion, leur situation a été réexaminée. Charles Guérin, mort des suites de ses
blessures, a été déclaré « Mort pour la France » par décision du 25 mai 2018 (art. L 511-1 du code des pen-
sions militaires d’invalidité et des victimes de guerre) et la Ville d’Auneau a pu apposer une plaque sur sa
tombe le 11 novembre 2018, dans le cadre du centenaire de la Première Guerre mondiale. Le cas d’Alfred
Ribeyre est à l’étude (dossier 13480).
Par contre, la décision est restée négative pour Émile Baudran, en situation de non activité à son dé-
cès ; Robert Benoist, décision déjà refusée le 19 mai 1923 car victime d’un accident indépendant du ser-
vice ; Georges Dagron, dont les archives militaires de l’époque disent qu’il n’y avait pas lieu de lui attri-
P. 16 Un peu d’histoire et de mémoire
-buer cette mention, quoique portée sur son acte de décès, mais sans date, ni signature ; et Robert Migneau,
aucun élément ne permettant de revoir la décision entérinée il y a près de 100 ans. Ils furent combattants de
la Grande Guerre : le lycée Marceau et l’Association des anciens élèves décidèrent d’honorer leur mémoire
comme celles de leurs anciens camarades et frères d’armes.
Promotions, citations et décorations vinrent au fil des combats et/ou à titre posthume reconnaître leur
courage et mettre en valeur leurs actions glorieuses. Les archives consultées à ce jour, parfois incomplètes,
ont permis de recenser 64 citations à l’ordre, 63 attributions de la Croix de Guerre et 14 de la Médaille
Militaire ; 16 ont été faits chevaliers de la Légion d’honneur et 1 a été promu au grade d’officier de la
Légion d’honneur. En l’état de nos recherches, il semblerait qu’on ne trouve pas de citation pour un com-
battant sur deux : la persévérance devrait abaisser ce chiffre. Au moins 3 anciens, qui étaient dans ce cas,
ont reçu le Diplôme d’Honneur de la Reconnaissance Nationale, créé pour témoigner de leur participa-
tion au conflit.
« [Ceux des nôtres qui sont tombés au champ d’honneur] ont droit bien davantage à ce que cette grande
famille qu’est le lycée Marceau salue pieusement leur mémoire. Nous devons à leur nom un respect ému.
Ils sont morts pour la plus noble des causes, pour le sol outragé, pour tout ce que représente d’immortel
l’existence même de la France, pour le droit et pour la civilisation ».
M. Henri Richard (Proviseur entre 1909 et 1916)
Un an après la fin des combats, alors que la liste des victimes était encore incomplète, notre Associa-
tion et le lycée organisèrent conjointement en la chapelle du lycée, le 6 novembre 1919, un service so-
lennel à la mémoire des professeurs et anciens élèves morts pour la France. Les drapeaux ornaient
l’autel, le catafalque dressé au milieu du chœur était recouvert d’un drap tricolore ; MM. Palanque et Le
Touzey, professeurs de musique, apportaient leur concours. Un groupe d’élèves se rendit ensuite au cime-
tière pour déposer une gerbe.
Nous décidions en 1920 d’ouvrir une souscription en vue d’élever dans la cour d’honneur un monu-
ment à la mémoire de nos camarades morts pour la France ; le docteur Dudefoy, président, et M. Paul Le-
long, trésorier, se dépensèrent sans compter en faisant appel au sentiment généreux de tous ; la collecte prit
fin en mai 1921, tandis que se poursuivait l’établissement de la liste. Le 14 octobre 1923 avait lieu l’inau-
guration du monument aux Morts du lycée Marceau marquant la contribution du lycée à la part prise
par l’Université de France à la résolution du conflit.
Marie-Thérèse Grangé, ancienne élève des lycées Hélène Boucher et Marceau
Sources : archives Association des Anciens Élèves du Lycée Marceau, AD28, 59 J ; la presse en Eure-et-
Loir, AD28 en ligne ; archives militaires ; état civil.
Le monument aux morts de Chartres sur la Butte des Charbonniers.
Parmi plus de 600 noms figurent 34 de nos anciens élèves.
P. 17 Un peu d’histoire et de mémoire
Le lycée Marceau pendant la seconde guerre mondiale
(1939 - 1945)
1939
Du traité de Versailles (1919) à l’invasion de la Pologne par le Reich le 1er septembre 1939, le scé-
nario de l’espoir de l’après-guerre était devenu machine infernale. La France déclarait la guerre à l’Alle-
magne le 3 septembre 1939. Un cataclysme s’abattait à nouveau sur l’Europe. Le lycée Marceau allait
apporter une nouvelle fois sa contribution à la restauration de la paix mondiale, reconquise – à quel prix ! –
en 1945. En 1951, on inscrivit les noms de nos héros entre les deux bancs de pierre, puis on ajouta quelques
noms jusqu’en 1978. 45 noms sont redevenus lisibles, tentons de les faire revivre ! Histoire banale, ils
devraient être 46, selon notre ami Pascal Gouget, qui a déjà salué la mémoire de Bernard Lavaux, dont le
nom n’est pas gravé. Je ne vous parlerai que de nos 44 anciens, dont j’ai croisé la vie, car l’ancien élève
Paul Roques est introuvable pour l’instant, je dois l’avouer.
Au début de la liste, les 5 noms des professeurs : Archinard, Houdard, Lautman (malmené dans
son nom et son prénom ; ce que vous aurez l’occasion d’apprendre dans l’article qui lui est consacré), Pa-
lanque et celui de l’agent de service Hannot. S’ensuit une liste alphabétique de 30 noms d’élèves ou an-
ciens élèves du lycée, de la classe enfantine à la Terminale, parmi lesquels deux noms féminins, Mary-
vonne Lemare et Gilberte Weil ; puis une seconde liste alphabétique de 7 anciens élèves de l’École Pri-
maire Supérieure, annexée au lycée au début des années trente, installée dans les locaux de l’ancien col-
lège de Chartres. Enfin 3 noms furent ajoutés plus tard, ceux de Raoux, Trubert et Blais, devenu Plais par
usure de la pierre tendre.
Un élève est italien, Cornelio Vanoni, dit Corneille, arrivé avec sa famille à Chartres vers 1930. Les
plus âgés (6) ont déjà participé à la première guerre mondiale, 2 ont perdu deux frères dans ce 1er conflit,
Pierre Chautemps et Jean Sartori ; ce dernier est mutilé de guerre comme Georges Houdard ; 2 vont être à
nouveau mobilisés en 1939. Parmi ceux nés après 1900, on compte 7 pupilles de la Nation ; 8 sont encore
élèves quand la mort les fauche ; 10 sont étudiant(e)s à l’Université ou dans les grandes écoles ; 19 sont nés
entre 1919 et 1926, ceux nés en 1920, 1921, 1922 (classes 1940,1941 et 1942) vont intéresser le régime de
Vichy et les Allemands, qu’ils vont combattre. Leur décès intervient entre le 11 mai 1940 et le 3 juin 1945 ;
sauf Bernard Marchand, engagé volontaire le 9 septembre 1944 et resté sous statut militaire jusqu’à son dé-
cès dans l’explosion d’une bombe le 17 mars 1948 à Dat Do (Annam) ; excepté René Blais, Saint-Cyrien
victime d’une explosion accidentelle sur l’Adour à Nha-Trang (Vietnam) le 17 Mai 1951.
Mobilisation dès le 2 septembre 1939, engagement dans la Sarre du 7 au 14, puis escar-
mouches anodines. Pourquoi cette immobilité, pensaient les mobilisés du 104e RI en attente près
de Lunéville (Meurthe-et-Moselle) ? La France était sur une position défensive, compte tenu de
ses moyens, et ne se décida pas à attaquer l’Allemagne, occupée à l’Est. On souffrit d’un hiver
rigoureux.
Cette « drôle de guerre » prenait fin le 10 mai 1940 avec l’envahissement par la Wehr-
macht de la Hollande, de la Belgique et du Luxembourg. Nos troupes allaient enfin franchir la
frontière, quand les Allemands lancèrent leur offensive vers la côte de la Manche avec leurs Pan-
zer, puis vers la Bretagne, le Sud-ouest et le Sud. L’aviation ennemie semait la peur sur les routes
de l’exode, dans les villes, sur les troupes, qui durent reculer malgré les combats.
Tandis qu’à l’aube du 14 juin Jean Moulin, préfet d’Eure-et-Loir, recevait l’ordre
du gouvernement – qu’il désapprouvait – d’avoir à replier les affectés spéciaux, indispensables au
fonctionnement des services administratifs, économiques et sociaux, le lycée était évacué à 6h du
matin, chacun prenait la route de l’exode. Mais l’ennemi avait précédé les troupes françaises en
débâcle et fit environ un million et demi de prisonniers épuisés dans une France en déroute. Le 17
juin, le maréchal Pétain ordonnait la fin des combats et demanda l’armistice, qui fut signé le
22. La Campagne de France fit 11 victimes entre le 11 mai et le 20 juin : tombèrent au combat
Maurice Archinard et Bernard Palanque, professeurs, Roger Lelong, Jean Moreau, Louis Raimond
et Charles Raillard, tués ; Jean Massot fut mortellement blessé dans un bombardement ; Albert
Lautman, Jacques Aubry, Roger Trubert et Alphonse Raoux furent capturés.
1940
P. 18 Un peu d’histoire et de mémoire
1941
Après l’instauration du gouvernement de Vichy le 10 juillet 1940 et la promulgation des
lois de l’automne 1940, la collaboration du gouvernement avec le Reich allait prendre corps, avec
la poignée de main symbolique de Montoire (Loir-et-Cher) entre le maréchal Pétain et le chance-
lier Hitler le 24 octobre 1940. Nous étions en zone occupée. Le lycée Marceau dut accueillir les
jeunes filles, quand le lycée Hélène-Boucher fut réquisitionné par les Allemands ; les cours
avaient lieu une demi-journée par jour, en alternance filles ou garçons. Les jeunes gens étaient
privilégiés, ils disposaient d’une pose du samedi midi au lundi midi, tandis que les jeunes filles,
qui avaient cours le samedi après-midi, reprenaient dès le lundi matin. Par décret du 15 août 1941,
la formation des instituteurs et institutrices comporta la préparation du bac ; les normaliens et nor-
maliennes furent aussi scolarisés au lycée Marceau.
Quelques mois après leur capture, deux prisonniers décédèrent, J. Aubry, rapatrié du Sta-
lag XVII B en France et mort de tuberculose, A. Raoux écrasé par une locomotive au centre de
ravitaillement du Stalag III B à Berlin. Le professeur Albert Lautman, résistant dans l’âme, pré-
para avec des camarades son évasion de l’Oflag IV D, qui réussit le 14 octobre 1941. Arrivé en
zone libre, il se fit démobiliser et rejoignit sa famille à Toulouse, où il entra dans l’état-major de
l’Armée Secrète.
Georges Houdard, retraité qui préparait un manuel illustré de géographie pour le pri-
maire, sillonnait en bicyclette Chartres et le département, ses pinces à vélo fixant le bas de son
pantalon, portant éventuellement chapeau et transportant son vieil attirail photo, prêt à témoigner
(photo hôtel du Bœuf Couronné anéanti par un bombardement le 14 juin 1940). Son épouse, insti-
tutrice âgée de 53 ans, démissionna le 8 avril 1941, sans attendre d’être mise d’office à la retraite
selon la loi du 11 octobre 1940 sur le travail féminin, qui toucha plus de 50 institutrices en Eure-
et-Loir ; acte de résistance ? Avec la complicité de Chartrains, il alla photographier les services
militaires allemands, où flottait l’oriflamme portant la croix gammée.
Nous avons pu dater le cliché qu'il prit en vue plongeante de la Feldkommandantur
544, bd Chasles, siège de la redoutable Sipo-SD, grâce à l’affiche, visible en bas à droite, annon-
çant l’unique récital du célèbre violoniste Jacques Thibaud, et au programme portant la date du
mercredi 9 avril 1941, conservé à la médiathèque. Notre ami Jean Lafosse me conta en 2013 que
son ancien enseignant lui avait demandé de passer sur le trottoir de l’immeuble pour lui
permettre de faire son réglage, puis de s’éloigner rapidement par la rue Mathurin Régnier ; peut
-être est-ce lui qui figure sur le trottoir à gauche. Notre pseudo-« archiviste de la ville », au cou-
rant de beaucoup d’informations en passant à la mairie, entrait le 1er avril 1942 dans le réseau de
renseignements Athos-Buckmaster du SOE britannique.
Feldkommandantur 544 Chartres, immeuble Les Travailleurs Français, bd Chasles, v. avril 1941
Cliché Georges Houdard, Fonds Houdard, n°5711 Est 38-6, L’Apostrophe – Médiathèque de Chartres
P. 19 Un peu d’histoire et de mémoire
1942 La persécution des Juifs, ciblés par la loi du 3 octobre 1940 leur conférant statut particu-
lier – qui interdit à Gilberte Weil, ma consœur de l’École normale supérieure de l’enseignement
technique (section D promotion 1939-1941) d’enseigner au terme de sa formation – prit une nou-
velle dimension avec les rafles de l’été 1942. Les familles apparentées Lévy et Weil, qui figu-
raient sur la liste des 162 Juifs domiciliés dans le département, avec indication de leur nationalité
française, document sans date établi par la préfecture, disparurent du paysage chartrain. Gérard et
Gilberte Weil d’une part, Mme Juliette Lévy et ses quatre enfants, Michèle, Jean-Paul, Alain et
Catherine d’autre part, tentèrent de gagner la zone non occupée mais furent arrêtés par la police
de Vichy en Charente, les premiers le 13 juin, les seconds le 2 juillet. Accusés d’avoir enfreint
la réglementation anti-juive, tous furent déportés en juillet (Gilberte) ou en septembre 1942
vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau (Pologne) sans retour...
Monument à la Mémoire des Déportés Juifs des camps du Loiret (Pithiviers).
On retrouve le nom de Mme Juliette Lévy et ses enfants : Alain, Catherine, Michèle et Jean Paul.
1943
Outre la déportation de masse et le génocide des Juifs, les polices allemandes mirent sur
pied une déportation de répression contre des opposants ou/et résistants. La SiPo-SD de
Tours s’intéressa dès 1942 à des hommes en vue. Sur dénonciation par une indicatrice plus tard
condamnée à mort, elle arrêta le 20 août 1942 le journaliste pamphlétaire Jean Sartori, 60 ans,
pour ses idées gaullistes et anglophiles ; puis, sur probable dénonciation et sur liste d’otages, le
20 novembre 1942 à son cabinet, l’avocat Pierre Chautemps, 48 ans, frère de l’homme politique
Camille Chautemps, ancien député-maire de Tours, ancien ministre et président du conseil. Ils
partirent tous deux en déportation de Compiègne le 24 janvier 1943 pour le camp de concentra-
tion de Sachsenhausen (Allemagne).
Avec l’extension du conflit et ses énormes besoins militaires, le Reich chercha des moyens
pour accroître sa main-d’œuvre en Allemagne. Le gouvernement Laval renforça la collaboration
de Vichy avec la mise en place du service du travail obligatoire (STO) à partir de septembre
1942, qui concerna beaucoup de jeunes nés en 1920, 1921 et 1922. Le préfet d’Eure-et-Loir reçut
début 1943 directement du chef de la Feldkommandantur 544 à Chartres les ordres relatifs à la
fourniture de main-d’œuvre. René Langlois, requis le 8 juin 1943, quitta son travail d’institu-
teur-secrétaire de mairie et rejoignit le maquis vers La Loupe. Jean Lacassagne, réfractaire, fut
arrêté le 23 juin 1943 en tentant de rejoindre les Forces Françaises Libres par l’Espagne. Bernard
Marchon, cultivateur chez ses parents à Sainville, requis, partit le 23 juin 1943 et fut affecté
comme ouvrier agricole ; conduit à l’hôpital de Neurüppin, il y décéda de septicémie le 4 juillet
1943. Guy Deperrois, requis, partit le 5 juillet à l’usine Siemens Plania de Ratibor (Pologne). Jean
Pinault, déjà membre du réseau de renseignements Athos-Buckmaster d’Eure-et-Loir, feignit de
partir, mais il prit le chemin de Saint-Brieuc (Côtres-d’Armor) et rejoignit la résistance bretonne.
Jean Guillien, requis, ne se rendit pas aux convocations et fut arrêté dans l’étude de son père le 11
décembre 1943.
Certains jeunes de ces classes d’âge, partageant sur leur lieu de travail les idées anti-
allemandes, commencèrent à se rapprocher du Front National puis s’engagèrent dans la résis-
tance active chez les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF). F. Mattei, entra dans l’illé-
galité, prit les armes et effectua des sabotages. Chef de groupe, il fut tué au Favril le 4 août 1943.
C. Vanoni, agent de liaison, fut dénoncé pour aide aux prisonniers du camp de Morancez et arrêté
le 28 septembre 1942. Déporté au camp de représailles SS d’Hinzert, il mourut le 18 août 1943 de
tuberculose et d’épuisement à la prison de Wolfenbüttel, en attente de son procès.
L’été 1943, des lycéens effectuèrent un service civique rural, créé en mars 1941 pour asso-
cier les jeunes aux travaux de la moisson et pallier au manque de main-d’œuvre. Par la suite, ils
furent parfois, par l’entremise du lycée, réquisitionnés par la Milice pour des aides ponctuelles ou
par les Allemands pour des travaux d’intérêt général (déblaiement des pistes du camp d’aviation
après bombardement).
À l’automne 1943, les Allemands, voyant se multiplier les actes de sabotages compromet-
tant le fonctionnement de l’économie de guerre du Reich, mirent en place la chasse aux
« terroristes », souvent en utilisant la délation par des Français. Le réseau FTPF d’Eure-et-
Loir fut démantelé ; 31 membres furent condamnés à mort le 15 mars 1943 par le tribunal mili-
taire allemand FK 544 de Chartres, réuni à la prison de Fresnes. Malgré tous les recours, Maurice
Dumais, 59 ans, maire résistant FTPF de Saint-Luperce – qui proposa sans succès de prendre
l’entière responsabilité des actes pour que les jeunes résistants soient épargnés – les frères Noé et
Omer Sadorge, Pierre Sédillot furent fusillés avec leurs camarades au Mont-Valérien le 30 mars
1944, accompagnés en cette dernière journée par les abbés Stock et/ou Steiner, aumôniers alle-
mands des prisons de Paris.
Le 14 mars 1944, le service départemental de la main-d’œuvre réclama aux établissements
scolaires publics 387 jeunes gens pour le STO, dont 124 de nos lycéens, chiffre exorbitant par
rapport à un effectif probable de 5 à 600 élèves. Des élèves rejoignirent les réseaux de résistance,
dans lesquels œuvraient avec conviction leurs anciens depuis plus longtemps, tels le normalien
Jean Geerts actif à l’OCMJ et Lucien Gatineau à Libération-Nord. Notre agent de service
Georges Hannot, ancien inscrit maritime à Cherbourg, recruté par Gabriel Venet, professeur
d’Anglais, pour le réseau de renseignements Jade-Fitzroy, fut arrêté au lycée devant l’économe et
deux collègues le 22 mai 1944 à 7h30. Jacques Vivien, étudiant au Mans, requis pour le STO,
partit le 25 mai, mais développa une affection pulmonaire, dont il mourut le 9 octobre 1944 au
cours de son rapatriement.
Pour réduire la puissance allemande et contrer son action, les Alliés augmentèrent
en 1944 le rythme des bombardements. La ville de Chartres subit le plus violent le 26 mai
1944, en raison d’une erreur d’appréciation qui déclencha le largage des bombes par une
escadrille de bombardiers américains B-26 Marauder. À deux pas du lycée épargné, le quar-
tier de la mairie et celui des halles furent touchés. L’incendie de la bibliothèque municipale,
fréquentée par les élèves de Première et Terminale, détruisit une partie de ses manuscrits médié-
vaux. Ce fut la fin des cours. Les grands élèves, grappillant quelques fragments de parchemin cal-
ciné, participèrent au déblaiement et à la recherche des victimes civiles, une cinquantaine, parmi
lesquelles plusieurs de leurs camarades, Maryvonne Lemare, 4 ans ½, et sa mère, Jacques Dher-
villers, 4 ans ½, ses parents et son grand frère, Jacques Arsac, 14 ans, et sa grand-mère, ainsi que
deux normaliennes candidates au bac, Madeleine Carnis et Andrée Méténier. Lucien Gatineau fut
blessé et dut être transporté sur un brancard pour passer l’écrit du bac le 2 juin ; Jean Geerts ne
vint pas passer les épreuves. Comme l’an passé, il n’y aurait pas d’oral. Plus tard, Daniel Lejars,
interne à l’hôpital, fut tué par une bombe à son domicile le 14 juin, André Courbe, employé de
bureau, et son amie rue d’Amilly le 17 août.
Le 6 juin 1944, l’évènement tant attendu arriva : le débarquement allié commençait sur
la côte normande. L’espoir était immense, mais il fallut attendre. La libération de l’Eure-et-Loir
1944
P. 20 Un peu d’histoire et de mémoire
« Nous venons de parcourir dans des conditions matérielles difficiles l’année de la Libération. Au milieu
du dernier trimestre, le poids qui pesait encore sur nos vies a été soulevé et la guerre a pris fin neuf mois
après l’arrivée des troupes américaines. »
Jean-Baptiste Duroselle, agrégé d’histoire, distribution des prix, 11 juillet 1945
1945
commença à Nogent-le-Rotrou le 9 août grâce aux FFI. Lucien Gatineau y participa jusqu’au
15 août puis il fut mis à la disposition de l’armée américaine comme interprète et tomba dans
les Ardennes le 31 août. René Langlois fut tué au combat lors d’une mission à Manou (Eure-et-
Loir) le 16 août. Michel Havet, engagé dans la Défensive Passive auprès de la Croix-Rouge et
actif à l’hôpital, rejoignit les FFI à la préfecture et participa aux combats pour la libération de
Chartres ; il fut tué le 17 août dans l’attaque du cimetière de Saint-Chéron. Les résultats du bac
1944 parurent dans L’Écho Républicain le 1er décembre 1944. Les survivants lurent avec émo-
tion les noms de leurs camarades disparus reçus au bac 1944, encore élèves il y a six mois : Mi-
chel Havet (mathématiques), Lucien Gatineau (1e partie série B).
L’ennemi commit bien des exactions en France avant de concéder sa défaite dans les
combats. Jean Pinault, chef du maquis de l’Armée Secrète à Quessoy (Côtes-d’Armor) fut tor-
turé à la prison d’Uzel puis exécuté en forêt de Lorge le 14 juillet 1944. Le 11 août, Georges
Houdard, arrêté le matin, sans doute à Chartres en train de photographier la remontée des
Allemands, fut exécuté le soir même à Moutiers (Eure-et-Loir) avec les résistants de Prasville
par le chef de la Sipo-SD de Chartres. Albert Lautman, arrêté à Toulouse le 15 mai 1944, fut
embarqué le 3 juillet pour le camp de concentration de Dachau, mais ce « train fantôme », dé-
tourné en raison des nombreux raids aériens alliés, revint à Bordeaux ; désigné comme otage, il
fit partie des 18 résistants fusillés au camp de Souges (Gironde) sans doute le 1er août 1944.
Pour libérer la France, les combats se poursuivirent vers l’Est. Jean Rolland, étudiant
réfractaire, se joignit au Corps Franc Pommiès pour libérer les villages du sud-ouest le 19 août
1944 puis rejoignit avec lui la 1ère Armée française régulière pour la libération de l’Alsace. Il
tomba au Petit-Drumont (Vosges) le 29 novembre 1944, son arme enrayée par un froid polaire.
Engagé volontaire pour le 1er Bataillon de Marche d’Eure-et-Loir le 25 septembre 1944, Rémy
Gaschet participa aux combats pour la libération des poches de l’Atlantique ; il fut tué le 27
mars 1945 à Marans (Charente-Maritime) par le tir accidentel de l’arme d’un camarade qui tré-
bucha. Il fallut attendre la libération des camps de prisonniers et des camps de concentra-
tion par les Américains, les Britanniques ou les Russes au printemps 1945, et le retour des
survivants, pour faire le point de ceux qui étaient morts hors du sol français, qu’ils avaient
défendu. La capitulation sans condition de l'Allemagne nazie fut signée à Reims le 7 mai
1945, puis ratifiée à Berlin le 8 mai.
Ne rentrèrent pas :
- Jean Guillien († 18/08/1944, Melk, Autriche).
- Jean Lacassagne († 24/08/1944, Buchenwald, Allemagne) .
- Jean Geerts († 11/10/1944, Flossenburg, Allemagne).
- Guy Deperrois († 17/03/1945, Olkusz, Pologne).
- Georges Hannot († 03/04/1945, Bruchfeld, Allemagne).
- Jean Sartori († 25/04/1945, Wittenberg, Allemagne).
- Roger Trubert († 28/05/1945, Streganz, Allemagne).
- Pierre Chautemps († 03/06/1945, Bergen-Belsen, Allemagne).
Marie-Thérèse Grangé, ancienne élève des lycées Hélène-Boucher et Marceau
Sources : Récits de Pascal Gouget et de Jean Lafosse (1939-1945), anciens élèves du lycée Marceau. Ar-
chives Association des Anciens Élèves des lycées Hélène-Boucher et Marceau, AD28, 59 J. Autres
sources : AD28, 14 W 43 ; 116 W 23 ; 116 W 198 ; 118 W 6.
P. 21 Un peu d’histoire et de mémoire
« Il est incompréhensible et injuste
qu’un esprit aussi inspiré ait pu être
aussi peu célébré. »
Jean Petitot2
P. 22 Un peu d’histoire et de mémoire
Albert Lautman (1908 - 1944),
philosophe et martyr de la Résistance.
L’oubli, à Chartres, du passage d’Albert Lautman, non seulement dans les murs du lycée Marceau,
comme professeur de philosophie en 1936-1939, mais aussi dans la ville même, ville où il habita, pensa,
écrivit, où il eut et donna du bonheur, est chose bien étrange, et regrettable. Lacune d’autant plus à déplorer
qu’elle est en décalage, et même en contradiction, avec la reconnaissance intellectuelle et patriotique tôt
acquise et bien conservée, mais ailleurs, par ce philosophe résistant. Tout avait pourtant réussi à Albert
Lautman, comme penseur et comme soldat. Son seul malheur fut de mourir à trente-six ans, à la fois trop
jeune et déjà mûr, en pleine créativité, pour une patrie qu’il illustrait de son exemple, et dont des lois hon-
teuses l’avaient soi-disant exclu. Puisse notre mémoire lui rendre enfin justice.
Il est surprenant que la volonté mémorielle, déjà insuffisante à Chartres, se trouve, de surcroît, quand
elle existe, impliquée dans la molle dynamique de l’oubli, puisqu’une double erreur, et d’orthographe et de
prénom, sur notre monument aux morts, transporté boulevard de la Courtille, n’a pas peu contribué à enve-
lopper de silence une réalité pourtant si éloquente. Sous l’inscription « Paul Lautmann », comment recon-
naître Albert Lautman ? En épigraphie, les lapsus sont de forte conséquence : en confiant le souvenir à la
pierre gravée, on s’abandonne aussi à sa dure inertie. Le travail de l’historien est, décidément, de rectifica-
tion permanente.
Qui donc aura été Albert Lautman ? Par cette question, nous entendons demander qui il fut, pour
comprendre qui il est encore, et par quelles conduites il s’est acquis un droit imprescriptible à notre recon-
1Derniers mots du dernier billet qu’il put faire passer à son épouse, in Suzanne Lautman, Notice pour l’Annuaire des Anciens
Élèves de l’École Normale Supérieure, texte repris sous le titre Introduction à Le Problème du temps, t. 3 de Symétrie et dissy-
métrie en mathématiques et en physique, série Actualités scientifiques et industrielles, coll. Essais philosophiques publiés par
Jean Cavaillès, Paris, Hermann et Cie, 1946, 8 p., p. 8. 2« Refaire le Timée – Introduction à la philosophie mathématique d’Albert Lautman », in Revue d’Histoire des Sciences, 1987,
tome 40, n° 1 « Mathématique et philosophie : Jean Cavaillès et Albert Lautman », pp. 79-115, p. 113 ; en ligne sur le site Per-
sée. La philosophie de Lautman n’est, bien sûr, aucunement l’objet de cet article. Aux personnes qui en seraient curieuses, on
peut indiquer trois volumes ainsi que trois numéros de revues. Ouvrages : Albert Lautman, Essai sur l’unité des mathématiques
et divers écrits, O. Costa de Beauregard, J. Dieudonné et M. Loi, préf ; Paris, UGE, coll. 10-18, 1977, 320 p. ; Albert Lautman,
Les Mathématiques, les Idées et le Réel physique, Paris, Vrin, coll. Problèmes et controverses, 2004, 320 p. : c’est la réunion
des textes écrits entre 1933 et 1944. Une monographie : Emmanuel Barot, Lautman, Paris, Les Belles-Lettres, coll. Figures du
savoir, 2009, 244 p. Revues : « Mathématique et philosophie : Jean Cavaillès et Albert Lautman », N° spécial de la Revue d’His-
toire des Sciences, 1987, tome 40, n° 1, cit. supra ; « Cavaillès et Lautman, deux pionniers », par Gilles Gaston Granger, Profes-
seur au Collège de France, in Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2002/3, t. 127, pp. 293-301 ; « Albert
Lautman, philosophe des mathématiques », actes d’un colloque du centenaire d’Albert Lautman tenu à l’Université de Montréal
en 2008, n° spécial de Philosophiques, organe officiel de la Société de Philosophie du Québec, vol. 37, n° 1, printemps 2010,
271 p., Jean-Pierre Marquis dir. On peut également signaler un fort article du Dictionnaire des Philosophes, Paris, PUF, 1984 et
1993, t. 2, pp. 1688-1691, ainsi qu’un résumé commode de Mathieu Bélanger, « Introduction à Albert Lautman 1908-1944 », in
« Séminaire de logique », en ligne sur profmath.urqam.com.
« Je suis déjà revenu, je reviendrai. »
Albert Lautman1
-naissance continue3.
Albert Lautman naît à Paris, le 8 février 1908. L’histoire du père vaut d’être précisée, car elle éclaire
quelque peu celle du fils. Sami Albert Lautman (1870-1956), est un Juif de Roumanie autrichienne, né à
Braila — la ville de Panaït Istrati. Émigré à Paris, où il avait déjà deux frères établis, il y reprit des études
de médecine entamées à Vienne, obligé pour cela de passer le baccalauréat4. En 1897, il est docteur en mé-
decine. En 1904, le Dr Sami Lautman avait épousé Claire Lajeunesse, de onze ans sa cadette, parisienne
d’ancienne famille juive lorraine et avignonnaise5. Trois enfants leur étaient rapidement venus : d’abord
Esther (1906-1981), puis Albert, et enfin Jules6 (1909-1946). Notons qu’Esther, épouse en 1928 de Pierre
Krivine, devint la mère, entre autres enfants, du militant trotskyste bien connu Alain Krivine (né en 1941)
et de son frère jumeau le physicien Hubert Krivine, qui se trouvent donc être les neveux maternels d’Albert
Lautman. Sami Lautman, engagé volontaire dans la Légion étrangère, revint de la Première Guerre grave-
ment blessé aux yeux (énucléé de l’œil droit en 1916), et invalide à 90%7. En 1932, son comportement à la
guerre lui valut la Légion d’honneur. Pour Albert, une brillante scolarité à Nice, au lycée Masséna, où il
obtient un deuxième prix de thème latin au Concours général8, suivie d’une préparation au lycée Condor-
cet, à Paris, le conduisent à l’École Normale Supérieure, où il est admis en 1926, 17ème, avec deux années
d’avance, à dix-huit ans. Dans sa promotion9, et du même âge, Maurice Merleau-Ponty, également voué à
la philosophie, mais sur d’autres voies, et qui d’ailleurs le précédera au lycée Marceau en 1934-1935. Ils
passent ensemble l’agrégation en 1930, Lautman obtenant le 10ème rang. Dans la même liste d’agrégés, on
trouve le grand militant SFIO, et futur parlementaire d’après-guerre, Maurice Deixonne (1904-1987). En
3La contribution que l’on va lire a été plus que facilitée par les recherches de notre amie de l’Association des Anciens Élèves,
Marie-Thérèse Grangé : que sa rigueur documentaire et sa générosité personnelle soient saluées comme il convient. Je remercie
tout particulièrement M. Jacques Lautman, professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, fils aîné d’Albert Lautman, pour
l’accueil qu’il a fait à cette entreprise mémorielle, dans l’été 2019. Sans ses réponses fréquentes, fermes et précises, bien des
points capitaux n’eussent pu être abordés, surtout que les diverses notices consultables en ligne comportent et recopient une mul-
titude d’erreurs de détail ; on reconnaîtra mes dettes documentaires, ainsi que ses contributions épistolaires, à la cote JL 2019.
Qu’il soit assuré de toute ma gratitude. Enfin, qu’Éléonore Ray, ancienne élève du lycée, où son activité fut remarquée, très dé-
vouée aussi en 2016 lors de la commémoration Péguy, soit, avec toute la génération montante, comme la dédicataire de
ce petit travail, dont elle a suivi l’écriture. 4Dont l’oral lui avait laissé un mauvais souvenir (JL 2019). 5Mariés par Simon Debré (1854-1939) grand rabbin de Neuilly, père du Pr Robert Debré, grand-père de Michel Debré ainsi que
du mathématicien Laurent Schwartz (JL 2019). 6Les notices consacrées à Albert Lautman sont muettes sur son frère Jules. Voici le témoignage de son neveu, Jacques : « Mon
oncle Jules faisait partie du corps de l'expansion économique à l'étranger et était attaché commercial à Copenhague en 1939. Lui
et sa femme, Juive russe (sans enfant) ont passé une bonne partie de la guerre à Marseille. Jules a été le négociateur entre
l'Agence juive internationale et le gouvernement de Vichy pour un troc qui a marché jusqu'au début 1943 et qui permettait à des
Juifs de s'embarquer avec de vrais papiers. Je ne sais pas pourquoi il a voulu en avril 1944 passer en Espagne. Se sentait-il trop
menacé ? Voulait-il aller combattre ? Il a fait partie du groupe organisé par le réseau Françoise, qui a eu la malchance (la pre-
mière et la seule) de tomber dans un traquenard — à moins que l'explication par les pas dans la neige fraîche ne soit la bonne…
Il a été déporté à Neuengamme, où son bilinguisme allemand lui a permis d'être affecté à l'Administration du camp. Il n'a pas été
détecté juif (!) et est revenu. Il reprend son poste à Copenhague où il meurt de septicémie après une opération rhinopharyngolo-
gique. Il n'y avait pas de pénicilline, à Copenhague en février 1946. Sa sœur, Esther Krivine, alertée, en a envoyé de Paris. Le
paquet est arrivé trop tard. » JL 2019. 7« Durkheim, et il n’est pas le seul, a écrit en 1914 que les israélites de France se devaient d’être les plus français des Français.
De fait, et malgré l’affaire Dreyfus, ils furent très patriotes. Sami a mal vécu d’être classé adjudant brancardier, parce qu’étran-
ger. Or, mobilisés, les médecins sont officiers et donc obligatoirement français. À la différence de ses frères, il n’avait pas de-
mandé la nationalité française avant 1914, et elle lui est d’abord refusée. Il aimait dire qu’avant 1914 il avait visité nombre de
pays européens avec simplement des pièces d’or dans sa poche, mais n’était pas allé en Russie parce qu’il fallait un passeport et
demander un visa. Grand blessé en 1916, il est décoré de la médaille militaire par le général Pétain en personne et bénéficie
d’une promotion exceptionnelle au grade de médecin lieutenant aide-major. Il obtient finalement la nationalité française en
1920. » (JL 2019) 8Cf. Jean-François Sirinelli, Génération intellectuelle – Khâgneux et normaliens dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard,
1988, 721 p. ; p. 364. S’y ajoutent d’autres succès en version grecque et en histoire, discipline où Lautman devance d’une place
un lycéen parisien, Edgar Faure. J.-F. Sirinelli consacre deux passages biographiques très détaillés à Albert Lautman, l’un assez
général, pp. 364-365, l’autre plus focalisé sur les engagements et la Résistance, pp. 550-554. 9Qui compte aussi le critique Paul Bénichou (1908-2001).
P. 23 Un peu d’histoire et de mémoire
10En 1931, il faut un courage certain, eu égard au poids des traditions familiales, et à un Juif pour épouser une goy, et à une non-
Juive pour épouser un Juif. Et encore sont-ils bien loin de s’imaginer ce qui les attend dix ans plus tard. Sans basculer dans un
romantisme exagéré, on entrevoit déjà la solidité du couple Lautman, que la suite fera davantage que confirmer. Suzanne
Lautman, veuve à trente-huit ans, ne s’est jamais remariée. Sa belle-famille lui en a su gré, comme on imagine — pour l’époque.
(JL 2019). 11« Il a été membre, peu de temps, des Jeunesses Socialistes et est resté assez proche des socialistes », mais contrairement à ce
qu’écrivent certains historiens de la Résistance (Jean-Pierre Azéma, Alya Aglan), Lautman n’a jamais été communiste : « et
notre mère nous a appris son refus absolu d’admettre que la fin justifie les moyens. Cela dit, à Toulouse et dans la région, les
maquis FTP (donc contrôlés par les communistes) étaient majoritaires ; et Vernant qui n’était, à l’époque, pas membre du parti, a
eu l’habileté de faire travailler les membres venant de Combat, sensibilité anticommuniste, avec les amis de Jacques Duclos. À
Grenade, Albert Lautman partage le commandement de l’entraînement avec l’ingénieur Carovis, communiste qui sera président
de l’éphémère Comité départemental de Libération. » (JL 2019). J.-F. Sirinelli (op. cit.) donne des détails sur cet engagement
socialiste, qui date de la khâgne de Condorcet : en 1925, Albert Lautman appartient au Groupe d’Études Socialistes, où sont
organisées conférences et discussions (pp. 365-366) ; et après son entrée rue d’Ulm, en 1926, il est inscrit aux
Étudiants Socialistes (p. 364). 12J.-F. Sirinelli, pp. 339-340. Cette « Loi sur l’organisation générale de la Nation pour le temps de guerre » présentée à la
Chambre le 3 mars 1927 par le socialiste Paul-Boncour, prévoyait en son article IV, un 4° : « dans l’ordre intellectuel, une orien-
tation des ressources du pays dans le sens des intérêts de la défense nationale. » Ces mots ne passèrent pas : « Ce texte nous
semble abroger pour la première fois en temps de guerre toute indépendance intellectuelle et toute liberté d’opinion, supprimer le
simple droit de penser. » Comprenons aussi : d’avoir une pensée autre que politique. Parmi les signataires : Alain, Charles An-
dler, André Chamson, Jean Cocteau, Georges Duhamel, Paul Langevin, Pierre Mac Orlan, Jean Prévost, Romain Rolland,
Charles Vildrac ; et chez les normaliens encore à l’École, Raymond Aron, Pierre Bertaux, Georges Canguilhem, Jean Cavaillès,
Jean Hyppolite, Daniel Lagache, Albert Lautman, Henri Marrou, Jean-Paul Sartre. Des autorités morales, comme le
médecin et écrivain Duhamel parmi les aînés, de futurs grands noms de l’Université et de la littérature parmi les cadets, dont
trois tomberont pour la Résistance — Cavaillès d’abord, Prévost et Lautman ensuite, morts séparément le même 1er août 1944. 13Complexe affaire que celle de cette opposition à la Préparation Militaire Supérieure (loi du 1er avril 1923), rendue obligatoire
pour les normaliens de la rue d’Ulm qui, à la différence de ce qui se faisait avant 1914 cessaient — à la différence des
polytechniciens — d’être mobilisés comme sous-lieutenants pourvu qu’ils eussent accompli des stages d’été. Elle occupe tout le
chap. XIV de Génération intellectuelle (pp. 497-536). Les oppositions à cette PMS au sein de l’ École sont de divers ordres :
inquiétude de la direction qui vit d’un mauvais œil que les élèves de la rue d’Ulm fussent traités en inférieurs par rapport à ceux
de la rue Descartes (où était l’X), pacifisme « alinien » (influencé par Alain, très actif de sa plume, et dont des anciens élèves de
la khâgne d’Henri-IV renforcent les rangs littéraires de la rue d’Ulm), socialisme éthique (on veut pouvoir servir comme soldat
de 2nde classe, sans privilège de classe imposé, et au contact du peuple), et plus généralement, allergie normalienne à tout ce qui
contrevient au sentiment de jeune liberté qui est beaucoup la marque de cette École traditionnellement hors norme et frondeuse.
Le Populaire du 26 novembre 1928 publia une liste de quatre-vingt-trois signataires, dont Albert Lautman, Jean Beaufret, Paul
Bénichou, Robert Brasillach aussi (dont le destin fut bien différemment tragique) — mais pas Cavaillès, cette fois, et pour
cause : il est sous les drapeaux. Le ton de la pétition était très anti-officiers, notons-le : les soussignés, « appelés par leurs études
à devenir des éducateurs, […] se jugent impropres à l’exercice du commandement militaire, car ce qu’ils ont appris, c’est qu’ils
ne devraient, dans leur enseignement, fonder leur autorité que sur le conseil, et ne demander à leurs élèves qu’un assentiment
réfléchi. Or ils aperçoivent qu’un officier a le devoir de dresser les soldats à l’aveugle obéissance, etc. », op. cit., p. 500. 14Il s’agit d’une péripétie de la pétition contre la PMS, cf. J.-F. Sirinelli, op. cit., pp. 517-519. On y retrouve Alain lui-même, des
« alinistes », Raymond Aron, Georges Canguilhem ; des socialistes, dont Lautman, Kaan ; des « chartiéristes » (strate plus
pédagogiquement marquée des élèves d’Alain, à l’état civil Émile Chartier), dont Jean Prévost ; des communistes et sympathi-
sants : Jean Bruhat, Georges Friedmann ; et enfin Jean Cavaillès (qui fut élève-officier de réserve à Saint-Cyr juste avant, et qui
suit scrupuleusement sa formation militaire…). 15Les élèves de l’École normale d’instituteurs de Quimper protestaient contre leur direction, qui voulait rendre obligatoire la
PMS, en principe facultative. Le 4 juillet 1929, L’Humanité et Le Populaire publient une pétition de soutien signée de vingt-
quatre normaliens, dont Lautman, Simone Weil, Paul Bénichou, Jean Bruhat, Paul Nizan. Pas Cavaillès, pas Sartre (apolitique en
1931, Albert épouse, civilement, Suzanne Perreau-Détrie, étudiante en philosophie, devenue elle-même
agrégée en 1936 (et au même rang que son mari), ce après la naissance de leur premier fils Jacques, en
1934. Jacques Lautman, passant par les mêmes grades universitaires que son père, sera, lui, sociologue.
Paul Olivier, le puîné, optera pour le Droit et le barreau10. À l’École, Lautman, sans être un leader, va se
faire remarquer, comme beaucoup de ses camarades, par un double engagement, politique et scientifique.
Sur le plan politique, Albert Lautman avait été, dès avant Normale, clairement socialiste, et
assez militant11. On retrouve sa signature au bas de plusieurs pétitions qui marquèrent alors
l’histoire de l’École : contre la loi Paul-Boncour en 192712 ; contre la PMS en 192813 ; contre Émile Picard
en 192914 ; en faveur des élèves de l’École normale d’instituteurs de Quimper en 1929 (encore la PMS) —
ce qui ne fut pas sans lui valoir, avec d’autres, quelques tracas administratifs au sein de l’École15 ; enfin, en
P. 24 Un peu d’histoire et de mémoire
ce temps-là, davantage porté à l’agitation farceuse, et qui est en pleine agrégation). Le 11 juillet, conseil de discipline pour tous
les signataires. Ils écopent d’une réprimande, avec inscription au dossier. J.-F. Sirinelli (op. cit., pp. 527-531) démontre longue-
ment l’origine syndicaliste (CGTU et Fédération Unitaire de l’Enseignement) de cette pétition. 16Adressée au ministre de l’Instruction publique. Il s’agissait de défendre le droit d’un membre de l’enseignement à librement
s’exprimer en tant que citoyen. Félicien Challaye (1875-1967), normalien (1894, promotion de Charles Péguy, dont il fut
proche), major d’agrégation de philosophie (1897), dreyfusiste, était un pacifiste intégral et un anticolonialiste fervent. En mai
1930, dans deux meetings de Ligue des Droits de l’Homme, il s’en prit violemment à la situation faite par la France aux Indochi-
nois. D’où une campagne de presse à son encontre, et d’autres mouvements pour le soutenir. 17Mémoires — 50 ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983, 778 p. ; p. 42. 18« une sorte de Camp du Drap d’Or où la pompe de l’industrie humaine était remplacée par les magnificences intellectuelles et
la splendeur du paysage. », in J.-F. Sirinelli, op. cit., p. 542. 19Jacques Herbrand (1908-1931), entré « cacique » (1er) à Normale sciences en 1925 (à dix-sept ans), major d’agrégation de
mathématiques en 1929, docteur en 1930, et qui, malgré une mort des plus précoces dans un accident de montagne, à vingt-trois
ans, eut encore le temps d’attacher son nom à trois théorèmes, et d’entamer une correspondance avec Kurt Gödel. 20Âgé de vingt ans, il écrivait à Suzanne, sa future femme, qu’il venait de rencontrer : « Je ne sais rien de plus tragique que cette
aube d’avant le duel, lorsque Galois prit conscience qu’il n’avait plus le temps de donner ses démonstrations. », in Suzanne
Lautman, texte cité, p. 3. 21À Cavaillès, « cacique » 1923, divers traits sont empruntés, notamment sa bibliographie, par le personnage de Luc Jardie (Paul
Meurisse), dans le film de Jean-Pierre Melville, L’Armée des ombres (1969), adapté du roman de Joseph Kessel (1943). Il a été
beaucoup écrit sur ce grand homme, Compagnon de la Libération, célébré dans la philatélie en 1958, et dont la chapelle de la
Sorbonne abrite la dépouille. On se contentera de renvoyer ici au livre de sa sœur, Gabrielle Ferrières (1901-2001) : Jean Ca-
vaillès : Un philosophe dans la guerre, 1903-1944., Paris, Le Félin, coll. « Résistance - Liberté - Mémoire », mai 2003, 4e éd.
(1re éd. 1950 aux PUF, 2e éd. 1982 au Seuil), 248 p., préface de Gaston Bachelard, à laquelle s’en ajoutera une autre de Jacques
Bouveresse. Une Société des Amis de Jean Cavaillès est active depuis 1947. 22Cavaillès et Lautman sont nés, l’un juste avant, l’autre juste après cette loi de séparation des Églises et de l’État, qui convint
faveur de Félicien Challaye, en 193016. Aron, cosignataire de certaines pétitions, propose un témoignage et
une analyse qui nous rapprochent sans doute de ce qu’a pu, un certain temps, vivre et penser Lautman :
« pacifisme, horreur de la guerre, adhésion aux idées de gauche, universalisme par réaction au nationalisme
de nos aînés, hostilité aux possédants et aux puissants, vague socialisme (le parti radical devenait de moins
en moins présentable) ; et un intellectuel, de surcroît juif, se doit de sympathiser avec le malheur ou la di-
gnité des humbles. »17 Ajoutons-y cet « esprit de Locarno » qui, selon le jeune Cavaillès18, imprégnait les
Cours Universitaires de Davos (1928 à 1931), grands moments de rencontre intellectuelle franco-
allemande, où, nous le verrons, Albert Lautman fera dès 1928 la connaissance de sa future épouse. Pour
autant, Lautman, ainsi que nous le verrons plus loin, ne reculera pas devant ces obligations de formation
militaire contre lesquelles il signe.
Sur le plan scientifique, il s’était lié dès 1923 d’une forte et décisive amitié avec son camarade de
« maths élém » à Condorcet, l’étonnant mathématicien Jacques Herbrand19, et s’était ensuite intéressé de
très près aux travaux de ceux qui allaient constituer le groupe Bourbaki. Indiscutablement, la rencontre
d’Herbrand, espèce de nouvel Évariste Galois20, a été décisive pour l’orientation mathématicienne de sa
vocation de philosophe. Un détail qui ne trompe pas : Herbrand, scientifique, choisit d’être à l’École le
« coturne » du littéraire Lautman, dès l’intégration de celui-ci. Il faut compter aussi, bien sûr, avec la ren-
contre de Jean Cavaillès (1903-1944)21, surtout que leurs trajectoires seront étonnamment parallèles. Déjà
Cavaillès, agrégé en 1927, avait contribué à préparer, comme « caïman » (agrégé-répétiteur) la petite co-
horte d’agrégatifs de 1929-1930 — dont Lautman ; il n’est toutefois pas certain que Lautman ait eu alors
pleine connaissance de l’engagement de Cavaillès dans la philosophie des mathématiques. Mais arrêtons-
nous un instant sur cette conjonction encore en germe, assez abondamment commentée par les productions
scientifiques. À s’en tenir aux apparences, on ne verrait guère de points communs entre Cavaillès, provin-
cial, de vieille souche huguenote, élevé dans un calvinisme strict, fils et petit-fils d’officiers, et Lautman,
fils d’un médecin juif immigré et d’une Juive parisienne. Et pourtant, la réalité est strictement inverse : le
dreyfusisme des Cavaillès, l’engagement militaire de Sami Lautman, cette passion de l’étude qui est en
partage aux Juifs et aux Protestants, une inclination pour les sciences, commune aux milieux militaire et
médical, et enfin l’excellence de l’école laïque et républicaine d’alors, préparent tout naturellement la com-
plicité de ces deux hommes d’exception.22 Si bien que les recoupements abondent. L’histoire retient que
P. 25 Un peu d’histoire et de mémoire
Cavaillès et Lautman furent et resteront les deux noms dominants de cette avant-guerre, dans le champ as-
sez étroit de la philosophie française des mathématiques23. Allons dans le détail. Même génération, cama-
rades à l’École Normale Supérieure, et que juste séparaient cinq années d’âge, et trois promotions (1923 et
1926) une bonne distance d’aîné à cadet ; même maître rationaliste, l’« idéaliste critique » Léon Brun-
schvicg (la bipolarité Bergson-Brunschvicg structurait pour ainsi dire la vie philosophique française entre
les deux guerres), qui fut leur directeur de thèse — comme il fut celui aussi de leur ami commun Raymond
Aron (1905-1983), pour son Introduction à la philosophie de l’histoire (1938)24. Tout contribue à faire de
Cavaillès et Lautman plus que des proches : des amis véritables, et intellectuellement des alliés fidèles, en
dépit de certaines divergences philosophiques creusées par les trajectoires créatives de ces penseurs de haut
vol, et qui sont, de manière générale, la marque et la condition de toute activité authentique de l’esprit.
Autre preuve de fraternité : la conscience précoce, dès le milieu des année 30, que face à la menace hitlé-
rienne, le pacifisme de gauche est une impasse. Lautman et Cavaillès connaissent l’Allemagne, ont avec la
pensée et l’Université allemandes le rapport intime qu’exigent leurs travaux, et sont, il va sans dire, des
germanistes accomplis. Leur conscience politique et historique emporte la claire volonté d’un engagement
militaire au service de la paix menacée, et de la France. Sous l’uniforme d’abord en tant qu’officiers, et
dans la clandestinité ensuite. Enfin, pour l’un comme pour l’autre, à peu de temps de la Libération, la salve
d’un peloton allemand25. Mais risquons l’idée d’une autre convergence. La judéité de Lautman, qui n’a pas
conservé de caractère religieux (il est assimilé, intégrationniste, et épouse une non-Juive) mais dont il eut
fort à pâtir, comme le protestantisme discret de Cavaillès26, supposaient des dispositions, voire des prédis-
positions communes et à l’expérience de la persécution, et à l’intransigeance éthique, et à leurs suites de
combats et de sacrifices. D’un mot : à la résistance. L’arbre judéo-chrétien, y compris avec ses ramures
laïques27, était d’avance tout dressé contre la croix gammée et sa mystique néo-païenne, aussi ridicule que
cruelle. En ce sens, l’un et l’autre participent de la nombreuse descendance morale de Péguy, leur prédéces-
seur à la rue d’Ulm comme sous les balles allemandes, déjà passé par Chartres, ami des Juifs comme des
protestants, et qui avait donné l’exemple du refus définitif de toute compromission.
L’activité d’Albert Lautman n’a connu aucun ralentissement. Qu’on en juge. Dès avant l’agrégation,
juste après l’obtention de son diplôme d’études supérieures — dont l’actuel M1, qui en est l’héritier, ne
donne qu’une pâle idée —, dirigé par Léon Brunschvicg et consacré à La mathématique d’Hilbert, il part
plusieurs mois à Berlin, car c’est en Allemagne que se produisent les bouleversements décisifs en algèbre
et en physique quantique. Le mathématicien André Weil28 et Jean Cavaillès ont déjà fait le voyage outre-
Rhin, et Jacques Herbrand le fera bientôt. Le questionnement fondamental des théories scientifiques y
prend un relief nouveau avec le développement parallèle de la physique et des mathématiques. En 1930-
parfaitement à leurs communautés religieuses originelles. Enfants de 1905, au fond. 23« Il est heureux que nous soyons deux dans l’ingrat pays de la philosophie des sciences. », écrit Cavaillès à Lautman, lettre du
17 mai 1938, citée par Hourya Bénis-Sinaceur, in « Lettres inédites de Jean Cavaillès à Albert Lautman », Revue d’Histoire des
Sciences, 1987, vol. 40, n° 1, pp. 117-128 ; p. 121. 24Soutenue à la Sorbonne en mars 1938 ; Paris, Gallimard, 1938, 353 p. 25Lautman est fusillé le 1er août 1944 au camp de Souge (Gironde), là où Cavaillès avait passé en manœuvres l’été
1928, aspirant au 14ème régiment de tirailleurs sénégalais, et au moins une autre période ensuite. In absentia, un ultime rendez-
vous des camarades, en quelque sorte. 26Qui ne se réclamera plus ensuite que du seul Spinoza, mais assez tardivement, vers 1935. 27Notre laïcité républicaine porte bel et bien, qu’on le veuille ou non, la marque évangélique du « Rendez à César » (Mc, 12, 13-
17 ; Mt 22, 15-22 ; Lc 20, 20-26). 28André Weil (1906-1998), frère aîné de la philosophe Simone Weil, entré à Normale Sciences âgé de seize ans, cofondateur de
Bourbaki, professeur à Chicago et Princeton, auteur d’une œuvre considérable.
P. 26 Un peu d’histoire et de mémoire
A gauche, Raymond Aron né en 1905 et mort
en 1983.
A droite, Jean Cavaillès, né en 1903 et mort
en 1944.
-1931, il est sous les drapeaux, ce qui lui convient d’ailleurs fort peu29. Rendu à la vie civile, il se marie
immédiatement, en septembre 1931, avec Suzanne, rencontrée en 1928, on l’a vu, lors d’un congrès de rap-
prochement franco-allemand, le premier des quatre Cours Universitaires de Davos. Le couple part alors
deux ans pour le Japon, où Albert enseigne la littérature française et la philosophie à l’Institut des Langues
Occidentales de l’Université d’Osaka. En 1933-1934, il occupe une chaire de philosophie au lycée de Ve-
soul. Les deux années suivantes, 1934-1936, il bénéficie d’une bourse de la « Caisse Nationale des Re-
cherches »30. Bien entendu, il avance ses thèses de doctorat, et de 1936 à 1939, il occupe la chaire de philo-
sophie de notre lycée Marceau. La famille est alors établie à Chartres. Arrêtons-nous sur cette période, car
elle est véritablement cruciale. De vingt-huit à trente et un ans, c’est, pour l’époque, le tournant décisif
de la maturité. Chartres procure le calme provincial, à une heure de train de Paris. La vie d’Albert Lautman
au lycée y est celle d’un professeur respecté et écouté ; son service, augmenté de quelques cours à l’École
Normale, lui laisse encore assez de loisir pour boucler ses thèses de doctorat. Lisons les lignes que son
épouse Suzanne, elle-même professeur de philosophie au Lycée de Jeunes Filles de la ville31, consacre à
cette époque — il n’en peut être de plus autorisées. À Chartres, « il eut la vie de son désir, vie de travail
tendue, dense et pleine. Les coupures aimées en furent les visites de J. Cavaillès, de C. Chevalley32, des
Ehresmann33, des Lejeune34, des Gallois35, au long desquelles il était parlé axiomatique, topologie combina-
toire invariants intégraux, théorie des ensembles, ou bien encore aoriste second (il aimait la grammaire, qui
était elle aussi une systématisation intellectuelle) et critique de l’enseignement ; les soirées que Seguin, chi-
miste de l’École qui finissait son service à Chartres, venait passer avec nous, ou les séjours de S. et de J.
Dupuis, le seul de ses amis à ce moment-là qui ne fût pas de l’École. Il y eut aussi les allées fréquentes à
Paris pour des reprises de contact avec le séminaire Julia et ses mathématiciens, pour des séances à la bi-
bliothèque Henri-Poincaré, pour des leçons de philosophie mathématique aux jeunes agrégatifs de l’École,
dont il essayait d’éveiller la vocation, ou encore pour des représentations de La Guerre de Troie n’aura
29Selon le témoignage de Suzanne Lautman, ibidem, pp. 3-4. Il en sera davantage question infra. 30Suzanne Lautman, ibidem, p. 4. Aucun organisme n’a existé exactement sous ce nom. Très certainement s’agit-il de la Caisse
Nationale des Sciences, l’un des ancêtres du CNRS, qui fut créé, lui, par le décret-loi du 19 octobre 1939. Cf. l’édition, très tar-
dive, du « Rapport sur les travaux philosophiques entrepris par M. Lautman » (1935), d’Albert Lautman lui-même, in revue Phi-
losophiques, vol. cité, et la note 1. 31L’actuel Lycée Hélène-Boucher, donc. Suzanne Lautman fit une carrière complète d’enseignante. Née en 1906 à Besançon,
elle était la fille d’Eugène Perreau, physicien, puis doyen de la Faculté des Sciences. Eugène Perreau décéda des suites d’une
opération en 1916. Sa veuve, mère de Suzanne et d’une autre fille, se remaria en 1918 avec l’historien de la Révolution française
Albert Mathiez (1874-1932), alors en poste à Besançon. Albert Mathiez fut donc le beau-père de Suzanne. Après la mort de leur
mère, en 1927, Suzanne et sa sœur furent adoptées par leur oncle maternel, Paul Détrie, qui habitait Dourdan (cf. infra note 75).
Agrégée en 1936, elle prend immédiatement un poste : « Madame Lautman a succédé à la rentrée 1936 à Raymond Polin (futur
président de Paris-IV et membre de l’Académie des Sciences morales et politiques), en qualité de professeur de philosophie au
Lycée de Jeunes Filles de Chartres. En 1939-40 elle est temporairement professeur au Lycée Janson-de-Sailly replié à Dinard, où
elle est ravie d’avoir des élèves garçons moins dociles que les filles. Octobre 1940 : retour à Chartres. Fin 1941, l’Inspecteur
général Georges Davy veut la nommer à Aix, mais la directrice du lycée et le recteur refusent de lâcher la non-titulaire qui occu-
pait le poste. Antisémitisme probable. Finalement, elle est nommée à Toulouse où la directrice Paule Grillet, fille d’officier et
très gaulliste, l’accueille avec des marques de sympathie qui iront croissant. En 1953 Paule Grillet est directrice de Fénelon et y
fait muter notre mère qui était depuis cinq ans au Lycée Victor-Hugo. Deux ans plus tard, avec l’accord de l’Inspection générale,
une classe d’hypokhâgne lui est confiée. Retraite en 1971, la tabagie post 1968 dans les couloirs lui ayant été pénible. » JL 2019.
Une belle carrière de pédagogue. Elle décède en 1987. 32Claude Chevalley (1909-1984), mathématicien, l’un des fondateurs du groupe Bourbaki, fut également militant écologiste, en
compagnie d’Alexandre Grothendieck et Pierre Samuel (groupe Survivre et Vivre, 1970-1975). Il participa à la fondation de
l’Université Paris-VIII – Vincennes, où il créa le département de mathématiques. 33Charles Ehresmann, mathématicien (1905-1979), plus tard professeur à la Sorbonne, puis à l’Université Paris-VII – Diderot.
Chez lui, Lautman aura d’ailleurs une adresse, à Clermont-Ferrand, lors de son retour en France. 34Michel Lejeune (1907-2000), normalien en 1926, agrégé de grammaire en 1929, dont la présence est comme explicitée par la
mention qui est faite, ensuite, des aoristes seconds. Il soutint en 1939 sa thèse sur les adverbes grecs, et devint par la suite profes-
seur à la Sorbonne, ainsi que membre de l’Institut. Ce maître des études grecques a notamment donné une Phonétique historique
de la langue grecque (1947), toujours utilisée. Il était le frère du dessinateur Jean Effel (F. L. : François Lejeune, 1908-1982) et
d’Arlette Lejeune (1910-2006), alias Claire Descartes, secrétaire de Jean Cavaillès dans la Résistance, pédagogue et écrivain. 35Daniel Gallois, normalien de la promotion 1926, agrégé des lettres en 1930, résistant, et qui fut un pilier de la khâgne de Con-
dorcet, où il eut pour collègue Jean Beaufret, et parmi ses élèves, Jean-Luc Marion.
P. 27 Un peu d’histoire et de mémoire
pas lieu, d’Électre, de Boris Godounov, de Tristan et Yseult, car il pensait que l’amour, la poésie,
la contemplation d’œuvres d’art, les mathématiques, sont une même chose plus réelle que ce qu’on croit
être le réel. »36 Les Lautman habitent d’abord 3 rue du Faubourg Guillaume. Les abords en sont sans doute
moins calmes et pittoresques que jadis ; la circulation ininterrompue sur les boulevards Clémenceau et du
Maréchal Foch, la disparition surtout de la porte Guillaume en août 1944 — quinze jours après l’exécution
d’Albert Lautman — en ont changé le caractère. Toutefois, point n’est besoin d’un grand effort d’imagina-
tion pour se figurer ce que pouvait être la vie paisible du jeune ménage dans ce faubourg, d’où le trajet vers
le lycée passait par la porte Guillaume, la rue des Écuyers, le haut de la rue Saint-Pierre, la rue des Grenets,
puis la rue Saint-Michel. Le temps d’avant, avec ses garanties monumentales et tutélaires, à commencer
par les cathédrales. D’Amiens, Cavaillès écrit à Lautman : « "Votre" cathédrale ne peut se comparer à au-
cune autre elle est unique. Mais j’aurais aimé vous faire les honneurs de celle-ci. De t[ou]te façon j’espère
que n[ou]s n[ou]s reverrons avant mon départ pour Strasbourg, toujours aussi vague. »37 Après la destruc-
tion, par une bombe allemande en 1940, de cette maison du Faubourg Guillaume, Suzanne Lautman démé-
nage ensuite, mais seule — son mari étant, lui, mobilisé — pour le 64 rue d’Amilly, l’actuelle rue Gabriel-
Péri. Albert Lautman ne connaîtra jamais ce domicile. Outre la maison, la bombe aura détruit ce que la fa-
mille y avait laissé, avant que Suzanne Lautman ne partît à Dinard, en 1939, comme professeur au lycée
Janson-de-Sailly replié dans cette ville.
Et c’est professeur au Lycée Marceau qu’il obtient, en 1937, le grade de docteur ès lettres, à la Sor-
bonne, avec une thèse principale, publiée (version remaniée) sous le titre d’Essai sur les notions de
structure et d’existence en mathématiques. I. les schémas de structure ; II. Les schémas de genèse38, et
une thèse complémentaire, publiée elle sous le titre d’Essai sur l’unité des sciences mathématiques dans
leur développement actuel39. Mais ce ne sont pas là les premières publications de Lautman ; il avait déjà
donné des Considérations sur la logique mathématique (1934), et De la Réalité inhérente aux théories
mathématiques40. Viendront ensuite les Nouvelles recherches sur la structure dialectique des mathéma-
tiques (1939), tandis que Symétrie et dissymétrie en mathématiques et en physique : le problème du
temps attendra 194641. L’ensemble tient dans l’espace exigu de quelques années. Il n’empêche qu’Albert
Lautman laisse une œuvre fort dense, d’accès évidemment très difficile, mais dont on constate, aujourd’hui
encore, qu’elle constitue, dans son champ, un apport philosophique encore tout ouvert à l’exploration et au
commentaire. Léon Brunschvicg n’avait-il pas dit combien il regrettait de ne pas avoir une autre vie devant
lui, qui lui eût permis de suivre les développements de l’œuvre de son ancien thésard ?
Pour autant, ce travail de bénédictin n’est pas d’un reclus. Le philosophe Lautman présente
des aptitudes particulières à l’indignation active contre l’inacceptable. À suivre la plume de sa
veuve, on sent combien la confrontation avec le mal, quelle qu’en soit la forme, déclenche chez
lui une réaction immédiate de rejet. Ne jamais s’habituer au mal : telle est sa règle de vie. « Dans
le même temps, sans que faiblît jamais la possibilité de trouver toujours en lui-même un monde
de douceur et de bonne humeur pour ceux qu’il aimait, il opposait la colère aux événements par
36Suzanne Lautman, ibidem, pp. 4-5. 37Lettre du 17 mai 1938, citée supra. 38Paris, Hermann et Cie, 1938, Actualités scientifiques et industrielles, coll. Le progrès de l’esprit, exposés publiés sous la direc-
tion de Léon Brunschvicg, V et VI ; 162 p. ; 2 fasc. 39Paris, Hermann et Cie, 1937, Actualités scientifiques et industrielles, coll. Le progrès de l’esprit, exposés publiés sous la direc-
tion de Léon Brunschvicg, 58 p. 40Communication au Congrès Descartes de 1937 ; Paris, Hermann, 1937. 41Deux de ces livres (Nouvelles recherches, 31 p. et Symétrie et dissymétrie, 51 p.) ont été publiés chez Hermann et Cie, série
Actualités scientifiques et industrielles, ou fut créée, grâce à Cavaillès et Lautman, une collection Essais philosophiques publiés
par Jean Cavaillès, à laquelle collabora, on l’a dit, Raymond Aron, et qui abrita en tout et pour tout quatre volumes : Sartre,
Esquisse d’une théorie des émotions, 1939, et Cavaillès, Transfini et continu, 1947. Notons que deux furent posthumes, de
Lautman et de Cavaillès. Cf. H. Bénis-Sinaceur, « Lettres inédites de Jean Cavaillès à Albert Lautman », art. cit. Quant aux rela-
tions entre Sartre et Lautman, « elles sont, je crois bonnes mais légères. Cependant Sartre lui envoie un exemplaire dédicacé de
L’Être et le Néant. Notre mère disait qu’il l’avait parcouru mais ne l’avait pas vraiment lu. » JL 2019. On peut supposer qu’en
1943, Lautman, très mobilisé dans la Résistance, et encore soucieux de son œuvre à lui, n’avait guère le loisir de descendre dans
les arcanes du gros livre de Sartre (un kilo pile sur la balance, disait-on).
P. 28 Un peu d’histoire et de mémoire
lesquels s’affirmait à chaque fois davantage le mal ; prise du pouvoir par Hitler, que nous apprîmes de
notre bonne japonaise de qui nous dépendions pour la lecture du journal ; assassinat de Dollfuss, peu après
la naissance de Jacques ; assassinat du roi Alexandre et de Barthou au moment de notre installation à Pa-
ris ; militarisation de la Rhénanie, Anschluss… Mais après Munich et l’annexion des Sudètes, il ne trouva
plus suffisant de poursuivre son travail personnel à l’abri d’une colère de protection et de réprobation. Il
s’inscrivit aux cours de perfectionnement destiné aux officiers de réserve, pour, en ce qui le concernait, être
prêt. Nous apprîmes la dernière mauvaise nouvelle, le pacte germano-russe, à Vézelay que j’avais voulu lui
faire connaître ; mais je ne pus sur la terrasse lui faire lever les yeux sur l’horizon des vignes, tellement ce
jour-là, il eut le désespoir et la certitude de la guerre inévitable. »42 Le témoignage est précieux en ceci
qu’il permet de rencontrer, pour la réduire, une contradiction de surface. Comment ce même Albert
Lautman a-t-il pu être celui qui avait signé contre la PMS obligatoire un texte si défavorable à l’esprit mili-
taire, pour ensuite s’y consacrer avec sérieux (à la différence d’Aron et de Canguilhem), qui avait suivi le
peloton des élèves officiers de réserve, pour ensuite détester absolument la vie de caserne en 1930-1931, et
enfin devenir l’officier compétent, déterminé et intrépide, que nous allons voir à l’œuvre ?43 On peut envi-
sager plusieurs lignes d’explication, et qui s’entremêlent. D’abord, la tradition assez française de faire son
devoir après avoir tiré une salve de protestations. Ensuite, la complexité habituelle de l’évolution d’un
jeune esprit brillant : car si précocement construite qu’ait été la pensée d’Albert Lautman, normalien à dix-
huit ans, agrégé à vingt-deux, docteur à vingt-neuf, il n’y aurait guère de sens à vouloir à toute force figer
dans une conceptualisation a posteriori les évolutions de jugement (surtout politiques) propres à la pre-
mière jeunesse. Aussi, il y a ce que suggèrent les personnes qui le connurent le mieux, épouse et fils : ce
serait moins la chose militaire en elle-même qui, du temps du service à Metz, aurait soulevé tant de tris-
tesse et de dégoût, mais plutôt le temps perdu, la nullité de la formation reçue, avec son cortège d’actes inu-
tiles, de routines absurdes, de punitions aveugles ; c’est le manque de justesse et le manquement à la jus-
tice44. Et, nous dit aujourd’hui son fils Jacques : « Je suis convaincu que mon père a tenu à être officier
parce que "noblesse oblige" »45. Et puis un officier, s’il est prisonnier, se devra de s’évader, et de continuer
le combat. Derechef, noblesse oblige. Et encore, comme le suggère Jacques Lautman, un goût de l’aventure
et de l’action physique, le besoin d’avoir un destin complexe46, à quoi s’ajoute une détestation de l’enfer-
mement, corroborée par le témoignage de l’helléniste Louis Moulinier à l’Oflag IV D. Enfin, une
conscience politique bien plus aiguisée, par une sensibilité affective extrême sans doute, que celle de ses
42Suzanne Lautman, ibidem, p. 5. 43À la différence de Sartre et Aron, très influencés par Alain, et qui, plus ou moins délibérément, rompirent avec leurs nouvelles
obligations de normaliens. Ils le regrettèrent. Sartre, dans son hommage posthume à Merleau Ponty : « Vint le service militaire ;
je fus deuxième classe, il devint sous-lieutenant : encore deux chevaleries*. », puis infra, en note : « * Je ne sais s’il a regretté, en
1939, au contact de ceux que leurs chefs appellent curieusement des hommes, la condition de simple soldat. Mais quand je vis
mes officiers, ces incapables, je regrettai, moi, mon anarchisme d’avant-guerre : puisqu’il fallait se battre, nous avions eu le tort
de laisser le commandement aux mains de ces imbéciles vaniteux. », « Merleau-Ponty vivant », in Les Temps Modernes, n° spé-
cial Maurice Merleau Ponty, 184-185, 1961, repris in Les Mots et autres écrits autobiographiques, Paris, Gallimard, Pléiade,
2012, pp. 1051-1052. Aron, dans ses Mémoires (op. cit., pp. 41-43), revient avec lucidité sur sa période d’opposition à la forma-
tion d’officier, et se montre fort critique à l’égard d’Alain : « Juger la guerre à partir de l’ivresse du commandement paraît au-
jourd’hui déraisonnable ou même, pour dire toute ma pensée, bas. » (p. 42). Évoquant son sentiment d’inutilité comme sergent
dans la météorologie, puis son désir de servir dans les chars de la France Libre, et enfin son ralliement aux suggestions d’André
Labarthe (participer à la création d’une revue gaulliste, La France libre), il confie avec une sorte de tristesse : « Je voulais servir
dans un char, on m’avait mis aux écritures. J’accompagnerais les véritables combattants, je ne serais pas l’un d’eux. », op. cit., p.
169. Dans un paragraphe d’une grande franchise, il confesse aussi n’avoir pas été assuré d’avoir le destin d’un guerrier (ibidem).
Les intellectuels et les artistes, gros d’une œuvre à venir, doivent-ils protéger leur précieux cerveau pour créer, très à l’écart des
tourmentes historiques (et ce fut l’option soviétique), ou aller au front comme les autres, ou être les bons architectes de l’armée
secrète, ou de la France libre, et à quelle place ? Lautman, Cavaillès et Aron ont apporté des réponses différentes. Seul le troi-
sième a survécu. 44Suzanne Lautman, ibidem, pp. 3-4. Ajoutons-y, chez un jeune homme de vingt-deux ans, immédiatement après la fin heureuse
des soucis de l’agrégation, éprouvant le besoin de s’atteler sans délai à son œuvre, une révolte intime, bien compréhensible,
contre la séparation d’avec sa fiancée. 45JL 2019. Au surplus un élément affectif peut avoir été déterminant : l’affirmation et la compensation de ce qui avait été refusé à
son père, en 1914-1916. 46Partir deux ans au Japon à cette époque, épouser une non-Juive, se lancer dans l’aride et rare domaine de la philosophie des
mathématiques aussi.
P. 29 Un peu d’histoire et de mémoire
camarades normaliens à la même époque : ce rationaliste très construit a, d’autre part, une nature d’amou-
reux fidèle.
La tragédie collective bouscule les existences les mieux réglées — on le sait. Mais à deux doigts du
basculement de 1939, disons un mot de ce qui sépare essentiellement Lautman, comme Cavaillès, de tant
d’autres de leurs pairs académiques, sur le point tout particulier de l’engagement physique, dans un con-
texte de traque et de trahisons, avec la probabilité d’une mort épouvantable dans un oubli organisé : « Nuit
et brouillard », version nazie de la damnatio memoriae. Ils n’ont pas manqué, les philosophes du for inté-
rieur, qui sans prendre vraiment de risques sous l’Occupation, ont émergé, à peine le pays libéré, pour le
faire profiter de réflexions tranchantes, affutées à l’ombre de la prudence pratique. Lautman, dès sa pre-
mière jeunesse, dans une lettre à celle qui n’est pas encore sa femme, développait par avance un point de
vue contraire, d’unité volontariste : « Je crois que pour qui veut faire une œuvre, il existe des vies, des si-
tuations qui valent mieux que d’autres ; je crois que la volonté peut les amener à être la réalité, et qu’il ne
faut jamais se résigner à avoir moins que ce que l’on désire. »47 Le choix, pour lui, ne se posait pas dans les
mêmes termes. Non pas sauver sa vie pour préserver une œuvre à venir — piètre excuse, à ses yeux —
mais engager sa vie pour sauver l’œuvre avec elle : tout perdre, ou tout gagner. On sait la suite, et l’on peut
déplorer, outre la tragédie pour les proches, un déficit sec pour la pensée ; mais cette perte, sans être guéris-
sable, est compensée ailleurs, d’une part dans l’exemplarité morale et politique, d’autre part, et de façon
presque mystérieuse, dans l’espace même qui semble avoir été laissé vide, celui de la philosophie. Les
textes de Lautman, comme ceux de Cavaillès, ne peuvent pas ne pas bénéficier, par rétroaction, d’une in-
tention de lecture quelque peu différente, moins exclusivement technique, que s’il eût vécu une vie plus
ordinaire ; et si ardus soient-ils, ils nous apparaissent comme nimbés de cette humanité toute spéciale que
confèrent l’urgence de leur composition et le tragique de leur interruption. À cet égard, ils sont non seule-
ment donnés, mais laissés à lire de plus près encore. Curieux hasard, leur publication s’achèvera, posthu-
mément, sur ce titre : Le problème du temps.
Quand Lautman quitte Chartres — où vient de prendre ses fonctions un jeune préfet du nom de Jean
Moulin — pour ce qui n’est pas encore le front, ni même la « drôle de guerre », il sait qu’il ne reviendra
pas au lycée Marceau. En principe, il devrait occuper à la rentrée 1939 la chaire de philosophie en khâgne
au lycée Fénelon48. Et pourtant, il n’enseignera jamais plus dans un cadre officiel. Mais quoique l’essentiel
de son existence soit désormais d’un combattant, et se confonde avec la geste française des années noires, il
ne ménagera pas ses efforts pour sauver de l’œuvre à faire ce qui peut l’être encore, jusque dans les condi-
tions les plus inconfortables. L’existence ne sera plus vécue que sous la pression de l’urgence : tout sera
combat.
Mobilisé comme lieutenant de réserve dans l’artillerie, au 404ème RADCA49, après un hiver à
Bergues, il est promu capitaine le 1er mai 1940, et commande une batterie de DCA50. Lors d’une incursion
en Belgique et Hollande, sa batterie est chargée de la protection du QG de la 1ère Armée : Albert Lautman
et ses hommes de la 1021ème batterie abattent alors six avions ennemis, et probablement un septième51. Il
est alors pressenti pour la Légion d’honneur, mais l’armée allemande va décidément trop vite : « Il fut fait
prisonnier à Warhem, le 30 juin, à bout de munitions, coupé de la France, avec ses hommes auxquels il
47Lettre du 4 novembre 1930, in Suzanne Lautman, ibidem, p. 4 ; Suzanne commente : « il ne faut rien trouver de bien dans le
mal, disait-il, sans quoi l’on s’enlise. Il déclarait aussi s’opposer à ceux d’entre les hommes qui se donnent pour fin de surmonter
les difficultés par la domination de leurs réactions, par une humeur égale offerte aux circonstances, comme s’il n’y avait aucun
rapport entre l’intérieur et l’extérieur ». 48Ce que fera sa femme, bien des années plus tard. Quant à lui, il « n’y a jamais enseigné mais jusqu'à sa révocation, fin octobre
1941, lorsque après son évasion, il s’est fait démobiliser et renvoyer de son corps civil d’agrégé, il a reçu son traitement de
l’intendante de Fénelon. » JL 2019. 49Régiment d’Artillerie de Défense Contre Aéronefs, puis contre Avions (1923-1964). 50La DCA française en 1940 pâtit d’une absence totale de stratégie : chaîne de commandement imprécise, illisibilité de l’organi-
sation — toujours très mouvante — équipement insuffisant, majorité de servants réservistes sans expérience sur cibles mou-
vantes, absurdités techniques (les communications passaient non par les transmissions militaires, mais par les PTT…).
L’exemple même des désordres structurels de l’armée française. Tout y a dépendu du courage des hommes. 51JL 2019.
P. 30 Un peu d’histoire et de mémoire
avait voulu lier son sort. Il en fut aussitôt séparé et envoyé à l’Oflag IV D. »52 À la limite de la Saxe et de la
Silésie, à Hoyerswerda, 50 km au nord-est de Dresde, le camp est resté célèbre pour l’intense activité intel-
lectuelle et artistique dont il fut le théâtre, pour la notoriété de certains de ses prisonniers53, et pour
quelques évasions spectaculaires. Il y a, dans ce camp de 10.000 officiers, une Université libre, organisée
par Jean Guitton et le père Yves Congar ; Lautman s’y consacre beaucoup à l’action pédagogique et à la
réflexion, et y laisse une profonde empreinte54. Il prépare aussi son évasion — devoir d’officier. Après une
première tentative infructueuse, il parvient, le 14 octobre 1941, en compagnie de trente camarades, dont
Maurice Bayen55, à s’évader par un tunnel de quatre-vingts mètres, creusé sous les barbelés. Le 25 octobre,
il rejoint à Déols, dans l’Indre, le centre d’accueil des prisonniers isolés. Le bonheur de retrouver la France
est vite glacé par les réalités de l’Occupation et du vichysme. Voici ce qu’en écrit Suzanne : « Sa joie de la
liberté reconquise, d’abord intense, s’éteignit dès son arrivée quand il découvrit de quelle liberté il dispose-
rait en régime de Révolution nationale. De Statut des Juifs, sous l’autorité de Pétain, instrument parfait
pour les Allemands, dont il assurait le ravitaillement, la sécurité, et l’imposition de l’idéologie. Il lui parut
qu’il ne pouvait pas tolérer ce contre quoi il s’élevait intérieurement, et dont il souffrait atrocement. Pour
lui et pour les autres, il décida de lutter et ne retrouva le goût de vivre que, lorsqu’après un séjour à Aix,
52 Suzanne Lautman, ibidem, p. 6. 53 Parmi les écrivains : Julien Gracq et Patrice de La Tour du Pin. 54Écoutons Suzanne Lautman : « Il y fut intensément malheureux et se partagea entre une tristesse de refus — « Je veux, m’écri-
vait-il, refuser tout ce qui tendrait à diminuer l’acuité de la souffrance et de la séparation ; je me suis installé il y a un an dans
le deuil, et tout ce que je vivrai sans toi sera l’inexistant, quelle qu’en soit la durée » — et une volonté de ne pas sombrer dans
une vie torpide et le néant de l’attente. Il avait instauré des discussions philosophiques dès son arrivée, il donna ensuite des
cours, des conférences, fit beaucoup de physique et de sciences naturelles où il prétendait retrouver immanent tout le platonisme
rencontré en mathématiques, et dont il disait que la matière de l’univers était là encore sa géométrie ; enfin, il prépara ses éva-
sions. », ibidem, p. 6. Et Louis Moulinier, normalien 1923, « recteur » de l’Université libre de l’Oflag, évoqua, à l’annonce de la
mort de Lautman, alors que le camp n’était pas libéré encore, la mémoire du disparu en ces termes : « Les anciens du camp se le
rappellent tous ; surtout ils réentendent cette voix extraordinaire, d’un débit ultra-rapide, naturellement grave, mais qui se tendait
et se distendait parfois jusqu’à un suraigu où elle finissait par expirer, cette voix aussi tendue dans tous ses efforts que la pensée
même qu’elle exprimait. Et qui a oublié les foules qui couraient à ses cours et à ses conférences ? C’était une chose presque
inexplicable que ce concours de camarades autour d’un homme qui était tout le contraire d’un vulgarisateur et qui se contentait
d’exposer ses idées, telles quelles, toutes chaudes de son ardeur intérieure, toutes hautes, toutes hautaines même parfois, et pour
ainsi dire hiératiquement hautaines. La foule ne comprenait pas, mais elle venait fascinée par le sentiment d’une authentique
grandeur. Et justement selon lui, le maître n’avait pas d’autre rôle que de donner au disciple le sentiment d’une grandeur. »,
« Allocution prononcée à l’Oflag IV D », réimprimée à la suite du texte d’Albert Lautman, Le Problème du temps, op. cit., p.
47. Et plus loin : « Lorsqu’on tente d’analyser sa personnalité, on se trouve très vite dans l’impossibilité de la définir, car s’il
était rationnel autant qu’homme du monde, la sensibilité semblait souvent prédominer en lui, et finalement, Messieurs, de ce
philosophe, de cet amoureux, c’est le courage qui a été la faculté maîtresse. […] Seulement ces trois éléments, raison, sensibilité,
courage ne formaient vraiment qu’un en lui, et dans ses œuvres intellectuelles, il n’avait pas cette peur de la vérité trop forte ou
trop violente qu’ont les pusillanimes, et d’autre part, il avait la passion des idées, et cette inquiétude radicale qui est peut-être
l’essence même de la pensée. », ibidem, p. 48. Enfin : « Ardent patriote, il sentait la défaite et la captivité comme une morsure. Il
n’a jamais accepté. Jamais accepté d’être un vaincu, jamais accepté cet état honteux de prisonnier. Il refusait de toute la rigueur
de son âme de s’accommoder de cette situation. Il eût tenu pour une lâcheté de se distraire, d’aller par exemple au
théâtre. Toute distraction lui semblait la pire des misères. Il souffrait cruellement de l’absence de son foyer. Il estimait qu’ici
nous ne vivions pas, que nous étions dans une intolérable déchéance, dans un intolérable mensonge. Vivre, pour lui, c’était vivre
dans son cadre familier, dans les paysages de France qu’il aimait, dans son foyer auprès de sa femme et de ses enfants. Être ici,
c’était ne pas exister. C’était une violence faite à la vérité de son être. Il souffrit jusqu’à l’angoisse le jour où il fut mis à la ba-
raque I. D’être à part, d’être brisé de la communauté, d’être mis au ban de sa société naturelle, c’était pire qu’un fer rouge qui
eût marqué sa chair. Il y avait là pour lui une honte toute spéciale, et cruellement cuisante. Mais le pire était qu’à sa honte
s’ajoutât la crainte que certains Français n’acceptassent ou même ne se réjouissent qu’il fût là. Et ce lui était une intolérable dou-
leur. », ibidem, pp. 49-50. Comment comprendre cette allusion à la baraque I ? Voici la réponse : « La demande faite par les
autorités allemandes de réunir tous les officiers juifs pour une destination inconnue. Demande vigoureusement refusée par l’en-
semble des prisonniers, qui se solda uniquement par le regroupement de ces officiers dans une même baraque », témoignage de
Marc Vignolles, chef de bataillon honoraire, ancien de l’Oflag IV D, Commémoration de la libération des camps d’officiers pri-
sonniers – avril 1945, Journée des OFLAG, donné le 21 octobre 2006, Association Mémoire et Avenir, Institution Nationale des
Invalides. 55Maurice Bayen (1902-1974), normalien, physicien, dont l’œuvre administrative allait être considérable : directeur du Palais de
la Découverte, directeur de l’Enseignement Supérieur, recteur à Strasbourg.
P.31 Un peu d’histoire et de mémoire
auprès de Brunschvicg, il se fut intégré au groupe de résistance militaire du capitaine d’active Louis, avec
lequel il s’était évadé d’Allemagne, et qu’il avait retrouvé à Toulouse, où je m’étais fait nommer. Après le
départ de Louis pour l’Afrique, il passa dans les Corps Francs de la Libération. Il organisait en même
temps des passages en Espagne. C’était, en multipliant les activités, multiplier les risques. »56 Évadé de
l’Oflag et revenu dans ses foyers, à Toulouse, le capitaine Lautman n’est plus alors qu’un Juif révoqué de
son corps civil d’agrégé57. Les deux parents et les deux enfants vivent alors sur le seul traitement de la
mère, auquel s’ajoute le pécule de révocation du père58. Albert Lautman, alias Langeais, entre donc dans le
réseau Pat O’Leary, puis dans le réseau Françoise qui lui succède59. Au cours de l’année 1943, Lautman
passe, avec son grade, à l’État-major de l’Armée secrète de Haute-Garonne, comme chef du 3ème bureau
(Opérations) du secteur n° 1, Grenade. Remarqué par le chef de l’Armée secrète en Haute-Garonne, Jean-
Pierre Vernant60, alias Berthier. Début 1944, il est l’adjoint du chef de ce secteur, Albert Carovis (1908-
2002) et a comme missions l’implantation et l’organisation du maquis, l’instruction des hommes, la consti-
tution des unités. Et lorsqu’en mars 1944 Carovis, pourchassé, subit un accident de moto et reçoit une ra-
fale d’arme automatique, Lautman s’occupe de lui jusqu’au terme de sa convalescence, dans la clinique où
il est soigné en secret61. Le témoignage du germaniste Pierre Bertaux, en dit long sur le courage physique et
la ténacité morale de Lautman. Nous sommes devant la gare de Toulouse : « Au beau milieu de la place,
planté là, un homme tout seul. Je le reconnais : mon camarade de promotion Albert Lautman, qui était venu
jadis passer quelques semaines avec moi à Berlin… J’oblique vers lui, je lui dis à mi-voix, sans autre salu-
tation : "Espèce d’idiot, tu vas te faire repérer, à rester là comme ça." Et lui : "Et toi, tu crois que c’est ma-
lin, de te balader là comme ça ?" Finalement, nous faisons quelques pas jusqu’à l’ombre ; il me dit : "Je
sais bien que c’est risqué. Mais que faire ? On m’annonce l’arrivée par le train d’aviateurs anglais tombés
en France. Il faut les convoyer jusqu’en Espagne pour les rapatrier. Il n’y a personne, tu m’entends, per-
sonne pour aller les attendre. Alors il faut bien que ce soit moi qui m’y colle. Tu sais, on y passera tous
avant la fin." Puis il reprit sa faction au milieu de la place. »62
Au milieu de toutes ces tâches, il trouve, comme Cavaillès de son côté, le temps et l’énergie de
mettre au net, de sauver méthodiquement, quelques travaux en cours63. Sa femme en témoigne : « Aussi, se
sachant très vulnérable, il n’en était que plus anxieux d’avancer dans son travail philosophique, qui était ce
à quoi il tenait le plus. Dominant son impatience, sa colère, ses craintes, ou encore son tourment en nous
exposant à la catastrophe, ou son incertitude quelquefois, après l’injustice subie, devant certaine indiffé-
rence, sur le caractère contraignant de son devoir, il se ménageait des heures de concentration intellectuelle,
et tentait de renouer avec son œuvre d’avant-guerre. Il écrivit deux chapitres, d’un ouvrage dont il avait le
dessein dans la pensée, l’un sur la Symétrie et la Dissymétrie en mathématiques et en physique, l’autre sur
la Notion de temps. Il les mit aussitôt au net pour que ces deux chapitres fussent publiables, si les autres ne
devaient jamais être écrits. »64 Elle poursuit : « Ses joies d’alors, ce furent sur différents plans, avec la ré-
daction de ces deux chapitres, les premiers échecs de l’Allemagne à Stalingrad et à El-Alamein, le débar-
56Suzanne Lautman, ibidem, p. 7. 57Dans le dossier militaire d’Albert Lautman, on trouve un formulaire entièrement rempli de sa main, à Toulouse, le 12 juillet
1942, et qui énumère ses états de service. À l’item 10, « Profession exercée » : « Avant les hostilités : "Professeur agrégé de
philosophie au lycée Fénelon (Paris), docteur ès lettres" ; « Actuellement : "Sans profession" ». Cette dernière mention écrite
par-dessus une autre, effacée, refusée probablement par l’administration militaire de l’État français. Document communiqué par
Marie-Thérèse Grangé. 58« six mois de traitement, je crois, qu’il avait préféré (le choix était possible) à la retraite proportionnelle (avec moins de quinze
ans d’ancienneté, elle était mince) » JL 2019. 59Jacques Lautman penche pour l’hypothèse d’un « maillon faible » dans ce réseau, qui put être fatal à son père. 60On ne présente pas Jean-Pierre Vernant (1914-2007), anthropologue de la Grèce antique à la renommée internationale, Compa-
gnon de la Libération, professeur au Collège de France (1975-1984). 61Cf. maitron-en-ligne.univ-paris1.fr 62Pierre Bertaux (1907-1986) « Comment je suis devenu résistant », in Histoire de notre temps, Paris, Plon, cité par J.-F. Sirinel-
li, p. 552. 63Du reste, la communauté universitaire ne l’oublie pas : « En 1942 la Faculté des Lettres de Bordeaux a, sur proposition d’An-
dré Darbon, voté symboliquement pour Lautman comme successeur. Il était bien évident que ce vote serait sans suite, mais de
fait le poste a été gelé au moins un an, jusqu’à la cooptation de Jean Stoetzel. » JL 2019. 64Ibidem, pp. 6-7
P. 32 Un peu d’histoire et de mémoire
-quement de novembre 1942 qu’il apprit à Montpellier où il était allé voir Cavaillès incarcéré par Vichy65,
ses nouvelles amitiés avec le Dr Mazelier66, J.- P. Vernant, nées dans l’action menée en commun ; son ac-
cord de pensée et de position avec ses plus chers amis, Théron, retrouvé à Toulouse, J. Dupuis, J. Cavail-
lès, D. Gallois, joies suivies, hélas ! de l’angoisse de savoir les deux derniers aux mains de la Gestapo. »67
Et nous voici à l’épilogue, qui arrachant Lautman à la vie, va le hausser à sa dignité ultime. Nul n’est
mieux qualifié, pour en parler, que l’épouse qui l’a perdu : « Le 15 mai 1944, il fut arrêté à son tour68. Il
était à l’avant-veille de rejoindre définitivement le maquis dont il avait organisé la mise en place et l’entraî-
nement des unités, et où la mort au combat eût été moins cruelle. Il eut la poursuite à travers les rues, aux
cris d’"À l’assassin !", hurlés par les Allemands, l’arrestation par la faute d’un agent français qui s’était
porté spontanément au-devant de lui, et qui aida ses poursuivants à le maîtriser ; il eut les tortures, la déten-
tion, la déportation avortée ou simulée, et, pour finir, l’exécution le 1er août 1944. Elle fut précédée de
deux transports au camp de Souge, sur le terrain où se dressaient les poteaux auxquels six cents autres exé-
cutés avaient déjà été cloués, à quelques pas des cinq fosses qui attendaient leurs cinquante cadavres, mais
où manquait le peloton. Il put pendant ces trois jours d’agonie se rendre ce témoignage qu’il avait gardé sa
règle de combattre ce qu’il jugeait le mal, c’est-à-dire ce qui faisait obstacle à la liberté créatrice de chacun,
au règne de la justice, au respect de la personne, pour le bénéfice de son œuvre d’abord, puis pour celui de
tous ceux qui, de par le monde, enduraient la souffrance, l’inquiétude, risquaient la mort pour les mêmes
valeurs. Il dut même penser qu’il n’avait pas lutté en vain, pressentir la Libération prochaine, puisqu’il sut
le débarquement de Normandie, se passionna pour l’avance foudroyante des Russes de juin et juillet, et es-
pérer des lendemains meilleurs pour ses fils. Mais il dut aussi se rendre à l’évidence de la séparation à la-
quelle il n’avait pas voulu croire jusque-là. »69
Qu’en fut-il, en détail ? Entre le 15 mai, date de cette arrestation, et l’exécution du 1er août, deux
mois et demi. Jusqu’au 3 juillet, prison Saint-Michel à Toulouse. Et les interrogatoires, dont on imagine la
violence. Puis embarquement pour Dachau, dans le convoi qui restera célèbre sous le nom de « Train fan-
tôme », qui, de détour en attaque aérienne, n’atteindra l’Allemagne que deux mois plus tard. Après un
bombardement par l’aviation anglaise à Parcoul-Médillac, près d’Angoulême, le train repasse par Bor-
deaux. Certains prisonniers, dont Lautman, en sont extraits pour être cette fois enfermés dans la synagogue,
devenue centre de détention, en annexe du fort du Hâ. Ils y restent jusqu’à la fin du mois. Alors, dix noms
sont appelés70, dont le sien. D’abord acheminés au fort du Hâ, le groupe est ensuite conduit au camp de
65 De septembre à décembre 1942. Lautman fait ainsi passer à Cavaillès des livres qui lui permettront d’écrire, en prison, son
« testament philosophique », Sur la logique et la théorie de la science, posth., P.U.F. 1947, Ch. Ehresmann et G. Canguilhem,
édit. Il avait reçu à Toulouse la visite de son ami, retour de Londres. Jacques Lautman, qui avait alors neuf ans, « se souvient très
précisément de la toupie made in England que l'homme lui avait apporté. "Jean Cavaillès était un collègue de travail proche de
mon père. Ils parlaient philosophie des mathématiques ensemble, mais quand il nous a rendu visite en 1943 à Toulouse, il ren-
trait de Londres où il venait de rencontrer le Général de Gaulle." » (Nice-Matin, 28 mai 2009) 66 Roger Mazelier (1913-1997), qui participa à la Guerre d’Espagne, médecin du réseau Morhange, FTP-MOI, militant de la cul-
ture occitane, fut une grande figure morale et intellectuelle de sa région. Cf. le tout récent Médecin et résistant — Roger Ma-
zelier — ses combats pour la liberté, ouvrage collectif, Toulouse, Privat, mars 2019,223 p . 67Ibidem, p. 7. 68Et pas en allant porter des provisions à son frère incarcéré, comme on le lit souvent ; par prudence, il avait délégué cette mis-
sion à une collègue catholique de sa femme. « C'est l'interprétation inventée par le patron du restaurant "La Truffe du Quercy"
devant lequel il a été arrêté le 15 mai. Charles Véron est pour ma mère le responsable de l'arrestation, ou tout au moins le pois-
son pilote, ce qui me semble plus probable, et il aurait forgé cette histoire pour écarter les soupçons. Cette version a été
"authentifiée" par le recteur d’Académie à qui ma mère avait demandé d’avoir des informations sur la détention. » JL 2019. 69 Ibidem, pp. 7-8. Il est admis (JL 2019 supra, et site fusilles-souge.asso.fr) qu’Albert Lautman avait été dénoncé par le patron
du restaurant « La Truffe du Quercy ». On est au regret de dire que deux Français (le traître présumé, et l’agent qui, au moins par
erreur, prêta son concours aux agents de la SiPo-SD) scellèrent le destin du résistant. Suzanne Lautman donne ensuite quelques
lignes du billet que l’on trouvera plus loin, in fine. Après l’arrestation de leur père, les deux fils, Jacques et Paul Olivier, furent
recueillis par une famille de normaliens (père et mère), les Badiou, en raison du danger que leur eût fait courir une visite domici-
liaire de la SiPo-SD. Raymond Badiou (1905-1996), Ulm 1924, agrégé de mathématiques, résistant, devint maire SFIO de Tou-
louse, de 1944 à 1958, avant de quitter la SFIO et ses mandats, puis de contribuer à la fondation du PSU. Le philosophe Alain
Badiou, né en 1937, Ulm 1956, est l’un de ses enfants. 70En voici la liste : Joseph Uchsera (républicain espagnol, né en 1907), Meyer Rosner (étudiant parisien, juif, agent de liaison, né
en 1925), Noël Peyrevidal (ingénieur du service vicinal, militant SFIO, résistant de la première heure, né en 1894), Emilio Perin
P. 33 Un peu d’histoire et de mémoire
Souge, pour y être finalement exécuté avec d’autres compagnons d’infortune. Albert Lautman fait ainsi
partie d’un lot de fusillés connu plus tard sous l’appellation des « Dix du Train Fantôme ». Les conditions
irrégulières et l’improvisation de leur exécution par un peloton de la Feldgendarmerie en font une exécution
sommaire, dont les motifs, sans être connus avec certitude, pourraient avoir été liés aux suites de la téné-
breuse « affaire Grandclément »71. Jacques Lautman résume ainsi la fin, apportant d’autres éléments : « Le
29 juillet, quarante-sept malheureux sont appelés à partir d’une liste établie par le lieutenant SS Dohse72 du
SD IV de Bordeaux, qui n’avait pas qualité pour ordonner une exécution. Ils sont conduits au camp de
Souge à Martignac-sur-Jalle. Le chef du peloton requis pour l’exécution conteste l’ordre, et finalement l’of-
ficier chef du train fait exécuter la besogne par un peloton de sous-officiers, le 1er août 194473. La liste sera
trouvée à Bordeaux début septembre. Albert Lautman ainsi que d’autres74 […] ont droit à des obsèques so-
lennelles à Toulouse le 13 octobre 1944. Sa dépouille sera finalement, à l’été 1949, transférée à Dourdan
(Yvelines, alors Seine-et-Oise) et ensevelie avec les honneurs militaires. L’oncle de notre mère, Paul Dé-
trie, avait une maison à Dourdan75, où nos parents venaient souvent depuis Chartres, et Albert Lautman
avait dit en septembre 1939, qu’en cas de malheur, c’était là qu’il souhaitait être inhumé. »76 On a un té-
moignage sur son comportement, celui du député socialiste italien Francesco F. Nitti, évadé des îles Lipari,
et son c détenu : « Un jour, vers quatre heures, un des chefs de l’escorte, lut à haute voix une liste de dix
noms. Il y avait Lautmann (sic) parmi ces noms. On ordonna à nos camarades de préparer leurs bagages. Le
silence était absolu. Nous les vîmes partir, ils passèrent parmi nous en étreignant des dizaines de mains qui
se tendaient vers eux. Je vis Lautmann traverser la salle, se diriger vers la sortie d’un pas rapide et d’un air
calme et serein. (…) Amenés au fort du Hâ, nos camarades firent partie d’un groupe de 46 prisonniers de la
Gestapo fusillés au camp de Souge », et surtout : « Il me frappa par la dignité de son attitude et la profon-
deur s rieuse de ses réflexions. » 77
Après la Libération, les hommages furent immédiats : une rue à Toulouse, la salle de philosophie du
d’origine italienne, FFI, né en 1916), Litman Nadler (né en 1911, Juif roumain, dont la position dans la résistance est avérée,
mais encore imprécise), Albert Lautman, Marcel Jean-Louis (né en 1900, très investi dans les passages à destination de l’Es-
pagne), André Guillaumot (né en 1913, pupille de la nation, ingénieur agricole, socialiste, du réseau Galia, qui parvint à donner
de sa cellule des instructions à sa femme pour qu’elle fît disparaître de leur domicile des documents compromettants, sauvant
ainsi de nombreux camarades), José Figueras Alemada (né en 1911, républicain espagnol), Robert Borios (né en 1919, inspecteur
de police à Foix, lieutenant FFI). Cf. fusilles-souge.asso.fr Le camp de Souge, avec 256 fusillés recensés, fut le plus important
centre d’exécutions après le Mont Valérien. 71À suivre Dominique Lormier, L’affaire Grandclément, Bordeaux, Sud-Ouest, 1991, 157 p., la SiPo-SD aurait annoncé l’exé-
cution de cent otages, en représailles de l’élimination d’André Grandclément, le 27 juillet 1944, par des agents SOE du réseau
ACTOR. Dans tous les cas, on retrouve la main de F.-W. Dohse (cf. note suivante). 72Friedrich-Wilhelm Dohse, policier, sous-lieutenant dans la SS, fut malgré un grade modeste « l’homme fort des services de
répression allemands à Bordeaux » (Association du Souvenir des Fusillés de Souge, site fusillessouge.asso.fr). Supérieurement
intelligent, fin psychologue, manipulateur, parlant bien le français, il occasionna des dégâts considérables dans les maquis
d’Aquitaine qui se déchirèrent cruellement (Affaire Grandclément, par exemple). Il mourut à quatre-vingt-deux ans, à Kiel, en
1990, sans avoir manifesté le moindre regret. Il passa en jugement à Bordeaux, après la guerre. Reconverti dans le commerce des
vins, il est mort sans avoir vu publier ses souvenirs. 73J.-F. Sirinelli, op. cit., p. 553. 74Cinq au total : Robert Borios, André Guillaumot, Albert Lautman, Noël Peyrevidal, Litman Nadler. La cérémonie d’hommage
aux cinq résistants toulousains eut lieu place du Capitole, en présence d’une « foule considérable ». Les trois premiers furent
inhumés à Toulouse. 7514, Faubourg de Chartres. C’était d’ailleurs l’adresse de Suzanne Perreau-Détrie encore célibataire. 76JL 2019. 77In Chevaux 8 - Hommes 70, Chantal éditions, avril 1945 ; rééd. Chevaux 8 - Hommes 70 - Le train fantôme, 3 juillet 1944,
Perpignan, Mare Nostrum éditions, 2014, 108 p. J.-F. Sirinelli donne (op. cit., p. 553) un autre passage du même témoin : « Un
voile de mélancolie descendait souvent sur son visage. Il me sembla un jour plus triste que d’habitude. Je lui demandai :
- Seriez-vous souffrant ?
- Pas plus que les autres, me répondit-il. Je pense seulement que tout ceci ne se terminera pas bien pour beaucoup d’entre nous...
Mais Lautmann n’était pas de mon avis [F. F. Nitti a cherché à le rassurer] : il secoua la tête d’un air pensif et me regarda dans
les yeux. Il voulait peut-être me dire quelque chose mais il se tut et il s’éloigna. En d’autres occasions, aussi, je pus noter qu’il
pressentait quelque chose et qu’il s’y préparait. » 78Dans le centre historique de la ville. Ce fut la première rue rebaptisée à Toulouse d’un nom de résistant, ancienne rue de l’Uni-
versité et auparavant rue des Études. Les numéros 2 et 4 sont attribués à des entrées de l’Université de Toulouse-I – Capitole.
P. 34 Un peu d’histoire et de mémoire
lycée Marceau à Chartres79, des articles de presse80, des décorations, le plus souvent posthumes, qui font
une liste impressionnante. Campagne de 1940 : Croix de Guerre avec palmes et étoile d’argent ; citation à
l’ordre de la Division et citation à l’ordre de l’Armée. Occupation, 1941-1944 : chevalier de la Légion
d’honneur (posth.), médaille de la Résistance (posth.) ; British Medal Order (posth.) ; Medal of Freedom
(diplôme signé du général Eisenhower).
79 « Salle Lautman », mais qui ne fut pas reconduite lors du déménagement au nouveau site, au milieu des années 60. 80Par exemple dans L’Indépendant d’Eure-et-Loir, 16 novembre 1944, sans signature (article dont je dois la communication à
mon collègue Christophe Lezenven, professeur d’histoire et géographie) : « Nécrologie – M. Albert Lautmann (sic). Il y a
quelques semaines, un bref communiqué nous apprenait la mort de M. Albert Lautmann, professeur de philosophie au lycée
Marceau, fusillé par les Allemands en juillet dernier, dans le Midi de la France où il s’était réfugié. Tous ceux qui l’ont connu
ont ressenti vivement la perte cruelle que cette nouvelle leur apportait. Né à Paris en 1908, M. Lautmann fut un brillant élève de
l’École normale supérieure, dont il sortit licencié, puis agrégé de philosophie. Après avoir enseigné à l’étranger, aux lycées fran-
çais de Kioto (sic) et d’Osaka, au Japon, puis de Varsovie, il fut nommé professeur en 1935 où il demeura jusqu’à la date de sa
mobilisation. Il rejoignit le front comme lieutenant d’artillerie et fut fait prisonnier en juin 1940. Interné au camp d’officiers de
Nuremberg, il fit plusieurs tentatives d’évasion et réussit enfin à quitter les geôles nazies en 1942, déguisé en officier allemand,
grâce à sa parfaite connaissance de l’allemand qu’il parlait couramment, ainsi d’ailleurs que l’anglais et l’italien. Hélas ! les Al-
lemands devaient le reprendre et l’exécuter ! Tous ses anciens élèves regretteront l’excellent professeur que fut M. Lautmann. Il
était aimé et estimé de tous ceux qui l’ont approché, professeurs aussi bien qu’élèves. C’était un esprit universel et un grand pa-
triote. Qu’il me soit permis, au nom des anciens du lycée Marceau, d’adresser à Mme Lautmann l’expression de mes condo-
léances émues. » Passons sur les multiples erreurs de ce qui reste un bel et sincère hommage, et attardons-nous sur l’essentiel.
D’une part, seule la qualité de l’excellent professeur chartrain est indiquée : on l’a bien connu, et on l’aimait — signe que les
Lautman étaient intégrés, ne fût-ce que passagèrement, à la sensibilité locale. D’autre part, rien sur ses travaux, ni sur son docto-
rat, ni sur son activité de résistant, cause unique de sa mort. Et nous avons là comme une explication de l’oubli où il est tombé
ici : le temps qui passe estompe les souvenirs, les photos de classe restent dans l’ombre des cartons. Si l’on omet l’œuvre philo-
sophique et l’œuvre patriotique, que l’on ajoute une faute au patronyme, puis deux, et qu’enfin l’on ne transfère pas, de l’ancien
au nouveau lycée la salle Lautman avec son nom, tout est presque perdu.
N°163 - Chartres 1938 - Lycée Marceau - Classe de philosophie (1/4)
Photo de classe en compagnie d’Albert Lautman (assis, 4ème en partant de la gauche)
P. 35 Un peu d’histoire et de mémoire
Le destin d’Albert Lautman, outre qu’il étanche à la meilleure source notre besoin de beaux
exemples, illustre aussi une idée certaine de la France. C’est qu’elle est bien longue, la cohorte de ces
grands Français, célèbres ou pas, dont les noms ne sonnent point français, ou dont les parents — et parfois,
eux-mêmes — avaient conservé quelque musique de leur langue maternelle. Rien de plus français au fond
que cette espèce de légion étrangère civile, qui s’étend, continument, des emplois les plus humbles aux
chaires du Collège de France et aux fauteuils de l’Académie française. N’ayons garde d’oublier la judéité
d’Albert Lautman, même si ce n’est pas elle qui fut la cause directe de son martyre. Elle ajoute à son his-
toire de Français une touche qui eût comblé le Péguy de Notre Jeunesse. La réponse de Lautman à son ex-
clusion « raciale » ouvre un nouveau chapitre du patriotisme. À l’instar de son grand aîné Marc Bloch, on
n’imagine pas intellectuel plus investi dans son œuvre, ni homme plus dévoué à la libération de son pays.
Et il y avait là comme une vertu familiale. Sami, le père, avait donné ses yeux à sa patrie d’adoption, ainsi
que trois enfants, dont deux fils officiellement morts pour la France, l’un déporté, l’autre fusillé.
« Vivi docuerunt, mortui docent », dit de nos professeurs tombés pour la France ce monument aux
morts du lycée Marceau — formule que l’on pourrait ainsi traduire : Vivants, ils enseignèrent ; une fois
morts, ils restent un enseignement. Là, aucun lapsus à déplorer, tant la phrase semble gravée pour Albert
Lautman. Car c’est bien, en esprit, le mot de la fin, comme l’avaient été les mots de sa fin à lui — que tout
continue : « Déporté vers Compiègne, probablement. Désespéré recommencer long martyre. Pardonnez-
moi les souffrances que je vous cause. J’espère que tu ne me juges pas trop sévèrement… toute joie sur
terre m’est venue de toi et de mes fils ; pour vous revoir, je suis prêt à tout supporter, ou à tout risquer. Je
reviendrai. »81
Penseur, pédagogue82 et soldat, indissolublement, Albert Lautman aura vécu jusqu’au bout l’apho-
risme de Georg Cantor : « L’essence des objets de la mathématique est la liberté. »
Christophe Mandelkern
81Texte du dernier billet à Suzanne, 4 juillet 1944, cité in extenso par J.-F. Sirinelli, op. cit., p. 553. 82Cinq de ses élèves chartrains périrent dans le conflit. Deux au STO, de maladies pulmonaires (Guy Deperrois et Jacques Vi-
vien), un sous la bombe qui écrasa son logement, alors qu’il était interne à l’Hôtel-Dieu de Chartres (Daniel Lejars), et deux pour
leur engagement dans la Résistance : Jean Lacassagne, réfractaire au STO, à Buchenwald, et le centralien Jean Pinault (1922-
1944), du réseau Athos-Buckmaster de Chartres, puis chef de groupe FTP près de Saint-Brieuc, affreusement torturé avant d’être
pendu à L’Hermitage-Lorge, Côtes-du-Nord.
P. 36 Un peu d’histoire et de mémoire
Ces plaques sont situées à Toulouse ; cette rue
traverse le quartier Arnaud-Bernard et donne sur
l’entrée de l’Université Toulouse I — Capitole.
P. 37 Un peu d’histoire et de mémoire
Enfance & Adolescence (2016) par Alain Simon
Comment se passait la vie au lycée Marceau en 1954 ?
Peut-être le nom d’Alain Simon ne vous dit-il rien, si c’est le cas,
laissez moi vous présenter celui qui, lorsqu’il était étudiant, s’amusait à
faire le mur en passant par la fenêtre du gymnase pour y retrouver sa
douce Jocelyne.
Alain Simon étudia durant un an au lycée Marceau (promotion
1954 - 1955) en tant qu’interne. En 2016, celui-ci publia un livre Enfance
& Adolescence dans lequel il raconte (entre autres) ses années au lycée.
Nous apprenons ainsi à connaître le jeune Alain, ses occupations, ses
amours... Mais cette année scolaire, si elle ne fut pas très studieuse (selon
ses mots) ne manqua pourtant pas de lui « ouvrir l’esprit ». Celui qui
allait dans les clubs de Jazz, s’entraînait au football, est devenu à l’âge de
34 ans Directeur Général d’un Établissement Financier spécialisé dans le
financement de la construction de logements !
La présentation étant faite, je vous propose de revenir sur son roman autobiographique qui nous ren-
seigne sur le fonctionnement du Lycée à cette période. Pour vous en parler, quoi de mieux que de lire
quelques lignes de son ouvrage ! Celui-ci, nous a gentiment autorisé à publier quelques lignes.
Bonne lecture !
Extrait de l’ouvrage de Alain Simon :
Rencontre avec son ami Louis T.
J’avais un peu d’appréhension car je n’avais
jamais été interne. En même temps je n’avais pas
envie de m’éterniser sur la place. J’ai donc sorti du
coffre de la Simca la valise contenant mes affaires ;
j’ai embrassé mon père et j’ai franchi seul le portail
d’entrée du Lycée. Le concierge était sous le
porche, à droite, devant sa loge ; il m’a indiqué
comment faire pour aller au dortoir « des grands »
et visiter le lycée en attendant le dîner. Juste après
le porche, on se trouvait dans la vaste cour d’hon-
neur du lycée au fond de laquelle se trouvait un mo-
nument imposant édifié quelques années après la fin
de le première guerre mondiale à la mémoire des
anciens lycéens morts pour la France. Tout le rez de
chaussée de la cour d‘honneur comme le premier
étage, la dominant, était entouré de belles galeries
ornées de ferronneries longeant des salles de
classes. Adossé à ce premier ensemble de bâtiments
plutôt prestigieux et patriotique, s’étendait un deu-
xième ensemble plus austère composé au rez-de
chaussée, de nombreuses salles de classes et
d’études, des bureaux du Censeur et du Surveillant
Général, de deux cours de récréation extérieures,
(d’un gymnase, d’une infirmerie). Plus loin, séparé
des bâtiments principaux, un grand réfectoire, au-
quel on accédait en descendant un escalier en pierre
d’une dizaine de marches.
Les dortoirs étaient situés au premier et au
deuxième étage du deuxième ensemble de bâti-
ments. On y arrivait, en prenant un escalier en bois,
qu’on trouvait entre les salles de classes et d’études
du rez de chaussée. Les dortoirs étaient de très
grandes pièces rectangulaires comprenant sur leurs
deux longueurs, de nombreuses fenêtres donnant
d’un côté sur la cour d’honneur et de l’autre sur les
cours de récréation. En enfilade, sur chaque lon-
gueur, s’étendaient une quarantaine de lits et d’ar-
moires individuelles attenantes en bois clair. A
l‘extrémité du dortoir, il y avait la chambre du sur-
veillant puis de grands sanitaires. Le dortoir des
« petits » était au ler étage ; celui des « grands » au
2ème. Je me suis intégré dès le premier jour à la vie
du lycée en jouant au football dans la cour avec des
anciens qui arrivaient progressivement.
Comme je jouais très bien et marquais des buts. J’ai
eu immédiatement beaucoup de camarades chez les
grands et les petits. C’est très important les petits
internes de 6-5ème : ils se faufilent partout, savent
tout, deviennent des alliés sûrs si on parle avec eux
sans condescendance !
Mais surtout, j’ai très vite sympathisé avec
Louis T. [qui] était malgache. Il avait 3 ou 4 ans de
plus que moi. Nous étions dans la même classe de
Première classique. C‘était sa deuxième année
d’internat au Lycée Marceau. Il était connu de tous,
internes et externes, pour sa cordialité et ses excen-
tricités vestimentaires : costume sur mesure vert
pomme ou bleu électrique dont la veste serrée arri-
vait à peine à la taille et dont le pantalon étroit tom-
bait en accordéon sur des chaussures noires à talon-
nettes et bouts pointus ; pulls à col roulé accompa-
gné de bretelles multicolores ; chemise à col blanc
amovibles en celluloïd. Grosse parka l’hiver. Il utili-
sait une bonne partie de sa bourse d’étude pour
payer ses fournisseurs, artisans tailleurs et commer-
çants de vêtements du Boulevard Saint-Germain, en
se privant parfois de l’indispensable. Louis T.
n’avait pas de famille en France. Il allait de temps à
autres à Paris, dans un studio, qu’il louait avec des
compatriotes, rue Domat dans le 5ème près de Mau-
bert Mutualité.
Extrait de l’ouvrage de Alain Simon
Le bal du « Petit Salé » au Coudray et romance avec Jocelyne
Il était impossible que j’aille m’amuser à
Paris chaque fin de semaine car je n’avais pas
suffisamment d’argent. En même temps, je n’avais
pas très envie d’aller chez mon père qui ne me le
demandait d’ailleurs pas. Il arrivait donc régulière-
ment que je reste le samedi et le dimanche au Lycée
comme il était possible de le faire à l’époque. De
son côté, Louis T. y restait ou pas mais il y avait
toujours un petit groupe d’une vingtaine de garçons.
C‘était une ambiance insolite que cet internat
quasiment désert en fin de semaine. L’hiver sur-
tout ! « Les grands » de Première et de Terminale
pouvaient sortir le samedi et le dimanche après midi
mais ils devaient impérativement rentrer pour 20h.
Quant « aux petits », ils parlaient « en balade » avec
un pion. Ces jours là, il y avait entre « grands » et
« petits » une solidarité plus grande que d’habi-
tude !
Arrive un dimanche où il neige. Louis T. et
moi sommes restés au lycée. Nous décidons d’aller
au cinéma en tout début d’après midi avec un cama-
rade de première. Peu de monde. Cinq ou six rangs
derrière nous, trois ou quatre filles qui rient fort.
Après le film, nous les retrouvons au dehors. Elles
sont plutôt jolies ; l’une d’elles en particulier.
Echange de regards mais il neige toujours et elles
disparaissent brusquement. On se dit qu’on va aller
dans un des cafés du centre ville pour écouter de la
musique diffusée par les petits kiosques à jetons
qu’on y trouve. Il n’y a pas de jazz mais de la mu-
sique cubaine de Perez Prado qui nous plait aussi
beaucoup :«Mambo Jumbo» ; «Mambo n°8». Nous
aimons aussi Brassens. Il chante « Il suffit de passer
le Pont » ; «J’ai rendez-vous avec vous».
Mais Louis T. propose qu’on aille au bal «du
Petit Salé» qu’il a fréquenté l’année précédente. Ce
bal se tient tous. les dimanches après midi au Cou-
dray, petite commune toute proche de Chartres et du
Lycée. On est d’accord. On trouve un taxi et dix
minutes plus tard, on est sur place.
« Le Petit Salé » est une grange assez vaste, au mi-
lieu d’autres bâtiments de ferme. De l’extérieur, on
voit les lumières et on entend l’orchestre. On entre.
Ou paye l’entrée et on laisse nos manteaux au ves-
tiaire. La salle est bouclée. L’orchestre est sur une
grande estrade au dessus de la piste de danse. Il y a
des banquettes le long les murs et une buvette dans
un angle. Pas de chaises. Pas de tables.
L’orchestre comprend, un accordéon, une
trompette, un saxophone, une guitare, une batterie,
un piano. Les morceaux sont des valses, des paso-
dobles, des marches. des rumbas, des tangos, (les
slows, un semblant de jazz. Le trompettiste dirige
ce bon orchestre de danse. Il y a aussi un chanteur !
Je ne sais pas où sont passés Louis T. et mon
autre camarade. Je regagne le cercle qui entoure les
danseurs. Bientôt j’écarquille les yeux car vient de
passer devant moi, tournoyant aux bras d’un garçon,
la jolie fille entrevue un peu plus tôt à la sortie du
cinéma. Elle sourit. Je ne sais pas à qui mais elle
sourit. C’est impressionnant ce moment car son
sourire apparait et disparaît suivant que les tours de
valse l’amènent à se trouver face à moi ou de dos.
P. 38 Un peu d’histoire et de mémoire
Jocelyne avait 16 ans. Elle était ouvrière chez Philips. Elle mettait des filaments dans les ampoules.
Le premier dimanche où je l’ai revue nous avons beaucoup dansé au bal du « Petit Salé ». C’était une
bonne danseuse très légère. C‘est elle qui conduisait ! Tout ça, peu apprécié par les autres danseurs car je
n’étais pas «du coin» et de surcroît. « un étudiant » ! Mais... on s’en fichait bien elle et moi !
Le soir, en semaine Jocelyne sortait de l’usine à 18h et venait m’attendre en vélo contre les murs de
l’église Saint-Aignan à une centaine de mètres du lycée. Je quittais la salle d’étude où nous étions à cette
heure-là, en disant que j’allais aux toilettes. Je courais jusqu’au gymnase dont j’ouvrais une fenêtre pour
sauter dans le square Noël-Ballay donnant sur le Boulevard Chasles proche de l’église Saint-Aignan. Nous
nous embrassions pendant un quart d’heure et rentrions chacun de notre côté !
Quelques jours plus tard, je suis appelé dans le bureau du proviseur ! Il m’invite à m’asseoir en face
de lui. Il me demande de lui confirmer que toute ma famille habite Paris. Après que je lui ai donné cette
confirmation, il sort d’un tiroir de son bureau, une enveloppe blanche. « Toute votre famille habite Paris
Monsieur Simon et pourtant vous recevez du courrier de Chartres ! »
« Je ne comprends pas Monsieur le Proviseur ! »
« Et bien. moi je comprends Monsieur Simon et vous allez comprendre aussi très vite. Voici une lettre que
je vais vous lire qui vous est écrite par une certaine Jocelyne ....... » il appuie sur «une certaine Jocelyne»,
et sort la lettre de l’enveloppe.
Il la déplie précautionneusement et commence :
« My darling Alain... »
La suite de la lettre, qu‘il lit lentement en articulant, est que Jocelyne s’inquiète de ne pas m’avoir vu pen-
dant plusieurs jours. Pourquoi ? Est-ce que je ne peux plus faire le mur pour la retrouver près de l’église ?
Est-ce qu’il y a un problème au lycée pour faire le mur ?
Les deux photos de gauche représentent Alain Simon, l’une est d’époque, l’autre contemporaine.
Sur la photo de classe, on peut apercevoir Louis T. au dernier rang au milieu.
Si vous êtes intéressée par la suite de l’histoire, sachez que ce livre est auto-édité par Alain Simon.
Si vous voulez avoir plus d’information, voici son contact : [email protected]
Yanis Bekhti
P. 39 Un peu d’histoire et de mémoire
P. 40 Un peu d’histoire et de mémoire
Du Lycée d’État de Jeunes Filles au collège
Hélène-Boucher
L’association regroupe les anciens élèves du lycée Marceau et du Lycée d’État de Jeunes Filles. Si le
lycée Marceau perdure en tant que lycée, il n’en est pas de même pour le lycée de jeunes filles.1970 a son-
né le glas des lycées de filles. La mixité était devenue la norme. A Chartres les filles furent priées de re-
joindre les bâtiments du lycée Marceau situés en basse ville, en lieu et place de la caserne Nansouty.
Néanmoins les bâtiments, où furent scolarisées tant et tant de jeunes filles, seront toujours dédiés à
l’enseignement. Lors de notre précédent bulletin, un article était consacré aux travaux de restructuration qui
se sont échelonnés sur 36 mois. Le challenge a été relevé par l’ensemble des personnes impliquées dans
cette opération d’envergure. La preuve en est, qu’en ce mercredi 12 juin 2019, une cérémonie d’inaugura-
tion avait lieu. Ce bel établissement a été totalement restructuré. Les jeunes qui fréquentent ce collège
aujourd’hui, disposent d’un lieu propice aux apprentissages du XXIème siècle.
Vue de l’ancien lycée tel qu’il existe aujourd’hui
Vous reconnaissez la cour avec les bâtiments anciens où sont regroupés tous les cours. Le bâtiment,
au premier plan avec le toit végétalisé, accueille désormais la nouvelle cuisine, le self et l’internat mixte.
Mesurons le chemin parcourut en évoquant un siècle d’internat.
Les jeunes filles qui intégrèrent l’internat au début
du XXème siècle connurent ces locaux. Ces dortoirs
étaient situés dans l’aile centrale avec vue sur le boule-
vard Chasles pour une allée et la cour du lycée pour
l’autre allée et dans l’aile droite avec vue sur le square.
Chacun des quatre dortoirs est accompagné d’un lavabo,
d’un vestiaire et de toilettes largement aménagés.
Pour intégrer l’internat, un trousseau est exigé.
Tous les objets sont marqués au numéro attribué à
l’élève.
Internat du collège des jeunes filles.
Le trousseau se composait des objets suivants : 1 couverture de laine et une de coton, 3 paires de
draps, 6 serviettes de table, 18 serviettes de toilette, 6 chemises, 12 paires de bas de coton, 6 paires de bas
en laine (si l’élève en porte), 24 mouchoirs de poche, 6 camisoles ou chemises de nuit, 4 jupons blancs, 2
jupons pour l’hiver, 6 pantalons blancs unis, 6 tricots ou dessus de corset, 2 corsets, 2 robes pour la maison,
2 peignoirs (1 pour l’hiver, 1 pour l’été), 1 peignoir de bains, 6 bonnets de nuit ou filets, 2 foulards blancs,
2 paires de gants, 2 paires de chaussures pour la maison, 1 paire pour les sorties, 1 paire de pantoufles, 2
tabliers noirs en laine (reps), 1 ceinture de même étoffe cousue au tablier, 1 sac en toile grise, 1 costume de
gymnastique, 1 boîte à toilette ( renfermant brosses à tête, à peignes, à chaussure, à dents, à ongles, lime,
éponges, démêloir, peigne fin), 1 boîte à provisions (fermant à clef) , 1 parapluie,1 ombrelle, 1 caisse à cha-
peau, 1 descente de lit, 1 couvert, 1 petite cuillère, 1 couteau, 1 timbale en argent.
En quittant l’internat l’élève laisse 4 paires de draps et 6 serviettes pour le service de l’infirmerie.
L’uniforme est obligatoire pour toutes les pensionnaires ; fait d’après un modèle unique, il se compose
comme suit : Une robe de laine en couleur bleue. La robe doit être renouvelée tous les ans à l’époque de
la distribution des prix. Un manteau de drap noir en hiver ; une jaquette en été. Un chapeau de paille en été ;
une toque en hiver. Les jeunes filles en deuil portent un crêpe au bras.
Au fil des années, les locaux ont peu évolué. Par contre le nombre des internes s’est raréfié. C’est
dans les années 1995 que l’internat s’est transformé en chambre pour les collégiennes qui souhaitaient
l’intégrer ou qui y étaient contraintes. L’effectif ne dépassait pas une vingtaine, le plus souvent
une dizaine ! Dans le cadre de la restructuration des locaux du Collège Hélène Boucher, l’internat ainsi
que les cuisines ont été totalement reconstruits dans de nouveaux locaux. Pour répondre à l’afflux de
nombreuses lycéennes, un bâtiment avait été construit rue de Châteaudun que nous appelions le « bloc
scientifique ». Ci-dessous une photo prise dans la cour, il avait été construit à l’emplacement du parc. Ce
bâtiment a été abattu et un nouvel édifice le remplace. Si vous passez rue de Châteaudun; vous verrez cette
nouvelle construction (ci-dessous). A l’intérieur se trouve au rez de chaussée la cuisine et le self.
Le « Bloc Scientifique » vu côté cour. Le nouvel édifice vu côté rue de Châteaudun.
Actuellement les chambres peuvent accueillir deux élèves. A
l’intérieur, chaque élève dispose d’une armoire et d’un bureau. La
salle d’eau est, elle, équipée d’une double vasque et d’une douche.
Avant d’accéder aux chambres, un petit salon est mis à la disposition
des internes, lieu de réunion invitant à la convivialité.
Petit salon avant l’accès aux chambres Annie Martineau et Martine Phélippeaux
P. 41 Un peu d’histoire et de mémoire
P. 42 Un peu d’histoire et de mémoire
D’hier à aujourd’hui : Une école de luxe remplace
ce qui était l’ancien lycée Marceau !
Le lycée Marceau, situé au 12 rue Saint-Michel est fermé depuis de longues années. Un projet de cité
judiciaire avait été envisagé dans ces locaux, il a été abandonné. Un autre projet s’est construit et c’est une
école d’esthétique qui a pris possession des lieux. L’International Beauty and Cosmetics Business School
(IBCBS) premier campus international des métiers de la beauté de la cosmétique et du bien-être a ouvert
ses portes en septembre 2018.
L’IBCBS, qui a ouvert ses portes en septembre 2018, a la vocation de travailler
avec l’incubateur de Chartres pour préparer les élèves « aux emplois liés au
luxe » (propos de sa fondatrice Régine Ferrère).
Ce campus proposera aux étudiants ayant obtenu le BAC, un DUT, un Bache-
lor en partenariat avec la CCI de Chartres ainsi qu’un Master (en préparation).
Cette école remplacera donc ce qui était historiquement l’ancien lycée Marceau. Les bâtiments
avaient été construits en 1887 par Alfred Piébourg dans le pur style Troisième République. Pour rappel,
l’Association des Anciens Elèves avait été conviée à visiter ce bâtiment en compagnie de l’architecte Jean-
Marc Reymann (consultable dans le bulletin de 2016-2017).
A la fin des travaux, voici à quoi ressemble l’ancien lycée Marceau devenu IBCBS :
Avant la rénovation
Après la rénovation
Annie Martineau et Yanis Bekhti
P. 43
Nos élèves s’illustrent !
Récompenses départementales lors du CNRD
(Concours national de la résistance et de la déportation)
Tout est parti d’un hasard. Par hasard, un professeur d’histoire du lycée Marceau a parlé
d’un concours d’histoire, lors d’un cours, sans réelles intentions, ni d’espoir particuliers. Une
occasion, présentée, attrapée au vol par trois élèves de Première de Marceau. Et quelques mois plus
tard, à l’ancienne préfecture de Chartres, ces trois mêmes élèves, lauréats catégorie Lycée et
Groupes. Ces trois élèves, Karim Bekhti, Mathilde Goyeaud et Constance Binet. « Répressions et
déportations en France et en Europe, 1939-1945 » était le sujet de la session 2019 du Concours
National de la Résistance et de la Déportation, abrégé CNRD.
Comment répondre à un tel sujet, avec originalité et tact, tout en suscitant de l’émotion chez
le correcteur ? C’est en se posant cette question que nous nous sommes lancés, à l’aveugle, dans le
concours. Et c’est tous les trois que nous avons réussi à produire ce
que je suis fier d’appeler notre œuvre. Celle-ci ne paye pas de
mine, de l’extérieur. Une boîte noirâtre, un pavé en bois, recouvert à
demi par la mousse, la crasse et la terre. Quelques fils barbelés et
des taches marron, rappelant le sang séché complètent le tout.
Rien d’extraordinaire, en somme. Cet objet susciterait davantage le
dégoût que des sentiments forts. Mais la beauté intérieure est plus
importante.
Lorsqu’on l’ouvre, quelques notes de piano, graves, lentes,
se font entendre… Trois fois, un motif se répète, montant du grave
à l’aigu, de l’attente jusqu’à l’éclatement, comme une bombe,
comme une nuée d’avions, avant le strident de l’alarme, le siffle-
Les trois lauréats du concours : Constance Binet, Karim Bekhti et Mathilde Goyeaud
Boîte en cours de réalisation
P. 44 Nos élèves s’illustrent !
ment de l’air fendu par le métal. Puis, une voix de femme, grave, lâche le mot : Guerre.
Long, lancinant, qui réveille comme une douleur en nous, au fond, ravive nos peurs enfouies… La
musique qui l’accompagne est calme, répétitive, passant du grave à l’aigu, de l’aigu au grave, bombar-
dement de mots, de sens, de sentiments qui s’entrechoquent en même temps dans une brume chaotique.
Elle est comme l’attente de la guerre, lente, grave… On peut sentir l’explosion arriver, mais quand ?
Telles sont les choses que nous avons voulu faire ressentir, en parlant de deux résistants : un
Eurélien, instituteur, résistant malgré son jeune âge au début de la guerre, qui mourra peu avant sa
fin, et un Danois, policier, chargé de travailler pour les Allemands, pour éviter les débordements, qui
retrouvera sa famille, après la guerre. Tous deux ont été déportés, ont vécu la guerre, y ont participé.
Voilà l’histoire que nous avons voulu raconter, en chanson, dans cette boîte, et nous sommes
fiers d’avoir pu raconter cela, d’avoir eu l’occasion de créer, moi en composant la musique, en
cherchant à provoquer du sens avec du son ; Constance, en chantant, en tentant de nouveaux biais,
pour la rendre grave, dans le sens comme dans la hauteur ; et Mathilde, en écrivant les paroles,
belles, poétiques, puissantes. Notre travail n’aurait toutefois pas été possible sans Benoît Burg, qui
nous a prêté son matériel pour enregistrer notre chanson, et qui a pris de son temps pour la monter,
et sans M. Lezenven et M. Girault, tous deux professeurs d’histoire-géographie au lycée Marceau,
qui nous ont guidés dans la difficile tâche de répondre à un sujet sans en déborder.
Voici la seule partie du travail que je pourrais partager avec vous : les paroles, émouvantes, dures mais
réelles. Vous les retrouverez sur la page suivante.
Lors de la remise des diplômes en compagnie de M. Girault et Benoît Burg
Pour ceux qui voudraient écouter la musique, il suffit de demander :
P. 45 Nos élèves s’illustrent !
1er Couplet :
Guerre,
Qui nous vole
Des êtres chers.
Mais que l’on perd
Et qu’on espère
Même en enfer,
Revoir un jour
Revoir toujours
France
Doucement meurt
Sans espérance
Avec la peur
Et la terreur
Pour seule faim,
Et la tristesse
Pour seule ivresse
Mes frères,
Faut-il vraiment
Que l’on se terre
Bien tranquillement,
Face aux Nazis
Qui nous enchaî-
nent
Nos beaux pays
Et ceux qu’on aime.
Ami
Moi j’aimais tant
Mon Saint Aubin,
Mes champs de blé,
Ma cathédrale,
Mes écoliers,
J’ai décidé
De résister.
Refrain :
Tu étais champ de
Beauce,
Et Liberté,
Tu es champ de
bataille,
Zone occupée.
Tu étais
Copenhague,
Brumes du Nord,
Tu es un résistant
Face à la mort
Vous vous étiez
levés,
Face aux
Allemands,
Et vous avez payé
Le prix du sang
Vous êtes devenus
Comme des frères,
Grands hommes
inconnus,
Alf et Robert
2ème Couplet :
Guerre,
Qui nous vole
Des êtres chers.
Mais que l’on perd
Et qu’on espère
Même en enfer,
Revoir un jour
Revoir toujours
Mer
Petite Sirène
Reviendras-tu
Noircie de haine
Car des barbares
Violent ta beauté
T’ont peinte en noir
Et enchaînée.
Mes frères,
Ils peuvent bien
Marquer nos corps,
Comme ceux des
chiens
Levons le front,
Prenons les armes
Ils ne pourront
Marquer nos âmes
Ami
Moi j’aimais tant
Mon petit monde,
Le temps d’hiver,
Les filles blondes,
Les bocks de bière,
J’ai décidé
De résister.
Refrain :
Tu étais champ de
Beauce,
Et Liberté,
Tu es champ de
bataille,
Zone occupée.
Tu étais
Copenhague,
Brumes du Nord,
Tu es un résistant
Face à la mort
Vous vous étiez
levés,
Face aux
Allemands,
Et vous avez payé
Le prix du sang
Vous êtes devenus
Comme des frères,
Grands hommes
inconnus,
Alf et Robert
3ème Couplet :
Alf
Ta double vie
Sous l’uniforme
Et puis la nuit,
Un cœur énorme
Des ponts qui cra-
quent
Des sabotages
Pour le Danemark
Alf,
Tu t’es enfui,
La Gestapo
Voulait ta vie
Voulait ta peau
Mais tu voulais
Coûte que coûte
La liberté
Robert
Dans ton école,
Le savais-tu,
Le temps qu’on
vole,
Ne revient plus,
Au camp de mort
Même si l’on meurt
On rêve encore
Robert,
Vingt-trois
printemps,
Vingt-trois
seulement,
Loin de ta terre,
Ton insouciance
Est morte seule,
Morte pour la
France
Mauthausen
NDLR : C’est grâce à cette œuvre que les élèves ont pu se qualifier pour la prochaine étape du Concours
National de la Résistance et de la Déportation (CNRD). On ne peut que leur souhaiter de réussir et de rem-
porter le premier prix national ; rendez-vous courant Octobre pour connaître les résultats.
Karim Bekhti
P. 46 Nos élèves s’illustrent
Portraits d’élèves de Marceau !
Je suis Karim Bekhti,
actuellement en Terminale S,
au lycée Marceau. Je suis pré-
sident de la Maison Des Ly-
céens depuis le début de l’an-
née scolaire 2018-2019, une
association visant à améliorer
la vie des lycéens de Marceau.
A mon arrivée en secondes, m’investir dans la vie
lycéenne m’effrayait, mais sur insistance de ma
mère et de mon frère, Yanis Bekhti, ancien secré-
taire de la MDL – La Maison Des Lycéens –, je
décidai tout de même de tenter de le faire, en étant
rédacteur dans le Journal « La pause Marceau » du
lycée. Cela m’a finalement plu et j’ai décidé d’être
pour mon année de Première, à la fois rédacteur au
journal et vice-président à la MDL. Pour les jeunes
de mon âge, comme pour moi au début, cela peut
sembler rebutant, ennuyeux et simplement rajouter
une charge de travail inutile, mais je m’y suis
beaucoup amusé. La charge de travail dont j’avais
si peur n’était tout simplement pas réelle et l’ennui
complètement absent. Cela m’a appris le travail en
équipe, à prendre mes responsabilités et à gérer -
ce qui m’a surpris - les lettres incompréhensibles
de la banque. Finalement, je conseille à tous les
lycéens de s’investir dans la Vie Lycéenne, cela
permet d’enrichir son expérience lycéenne d’une
facette méconnue.
Karim Bekhti,
Cette année, et ce pour la première fois, nous avons décidé de mettre à l’honneur des anciens élèves
du Lycée Marceau (à l’exception de Karim Bekhti, élève de terminale). Nous avons ainsi demandé à des
anciens de tout âge de nous livrer un témoignage sur leur vie au lycée ainsi que leurs parcours. Écoutons ce
qu’ils ont à nous dire !
Après avoir obtenu mon
bac littéraire en juin 2017 à
Marceau et passé deux ans en
prépa AL au lycée Chateaubri-
and à Rennes, moi Anne Jéro-
me, je viens d'être admise en
juillet 2019 à l'Ecole des Char-
tes. Je m'apprête donc à passer
au moins quatre ans à Paris
pour préparer un diplôme d'archiviste paléographe,
au nom barbare je vous l'accorde, qui offre une
spécialisation sur la conservation du patrimoine,
principalement écrit et sur tout ce qui gravite autour
de ce sujet.
Le choix de la prépa AL, tout d'abord, s'est
expliqué par mon incapacité à choisir entre les dif-
férentes matières qui m'avaient toujours plues, la
littérature et l'histoire, et celles qui prenaient de plus
en plus d'importance pour moi, les langues anci-
ennes commencées au collège, et l'allemand qui me
tenait assez à coeur pour que je m'y consacre com-
plètement pendant trois mois de mon année de Se-
conde où j'ai participé au programme d'échange
« Brigitte Sauzay » et ai ainsi eu la chance de passer
le printemps 2015 à Berlin.
Le meilleur moyen pour repousser le choix
fatidique d'un domaine plutôt que d'un autre était de
partir en CPGE, filière AL. Je suis alors entrée en
hypokhâgne à Chateaubriand, lycée choisi pour plu-
sieurs raisons. Premièrement, Rennes n'est pas Pa-
ris. La ville tout comme l'exigence des établisse-
ments est moins angoissante, bien que ce ne soit là
que mon avis (de l'intérêt d'aller à un maximum de
portes ouvertes). Deuxièmement, la liaison en train
depuis Chartres est très simple, contrairement aux
villes de l'académie, dont, de plus, les prépas ne
sont pas aussi bien classées que la CPGE de Ren-
nes, qui pour ce qui est de la filière littéraire, talon-
ne les grandes CPGE parisiennes.
Là, j'ai eu la chance d'être acceptée à l'inter-
nat, où j'ai pu me concentrer sur le travail néces-
saire, tout en étant en permanence entourée par des
gens vivant la même expérience que moi dans un
climat de soutien mutuel à la fois rassurant et stimu-
lant. De plus, le lycée Chateaubriand a l'avantage de
proposer l'ensemble des concours de la filière AL
(voies Ulm, Chartes, Lyon et Saclay).
On en vient au choix de la khâgne Chartes,
décisif puisqu'il a déterminé l'école que je vais à
présent intégrer, bien que l'école soit loin d'avoir été
le principal élément de décision. En effet celle-ci
s'est portée beaucoup plus sur le programme de la
deuxième année de prépa que sur la perspective
d'entrer à l'Ecole des Chartes. Cela peut paraître
saugrenu mais les places aux concours pour les
grandes écoles littéraires sont tellement restreintes
que quasiment personne n'entre en hypokhâgne, et
même en khâgne en pensant réussir les concours. La
khâgne Chartes proposait les enseignements qui
correspondaient parfaitement à ce que j'aimais et
que j'avais envie de poursuivre : elle me permettait
de garder mes deux langues vivantes ainsi que le
grec, et l'accent était mis sur l'histoire, avec 10h par
semaine et quatre programmes permettant de balay-
er les périodes médiévale, moderne et contemporai-
ne.
Loin de moi l'idée de vous cacher que tout
cela représente une quantité de travail énorme, exi-
gée par le rythme de l'enseignement en classe prépa.
C'est souvent la première chose qui ressort quand
on évoque ce parcours, ce n'est pas un mythe. Je
pense qu'en deux ans j'ai complètement dégoûté ma
petite sœur de choisir ce cursus, qui n'en reste pour-
tant pas moins enrichissant et que je ne regrette pas
du tout. Ma professeure de grec en khâgne nous a
démontré que la prépa ne nous avait pas trauma-
tisés, dans le sens où l'on oublie facilement les péri-
odes hivernales très difficiles et que ce qui ressort à
la fin de l'année est incroyablement positif tout
compte fait.
Si vous avez des questions sur quelque aspect
que ce soit de mon parcours n'hésitez pas à me
contacter, je serai ravie d'y répondre !
L’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs.
« Les voyages forment
la jeunesse et nul n’est pro-
phète en son pays ! » Oui.
Peut-être. Mais ça ne veut pas
dire qu’il faille nécessaire-
ment s’expatrier pour cons-
truire la suite d’une vie com-
mencée dans une ville de pro-
vince.
Jean-Pierre Jérome est né à Chartres en
1971. Il a grandi dans l’agglomération chartraine,
passant du collège Marceau au lycée du même nom.
Et comme il n’y a pas que l’école dans la vie d’un
adolescent, il s’investit beaucoup au sein d’une as-
sociation dans laquelle il découvre la pratique
théâtrale.
Dans cette association, une vingtaine
d’adultes, de 20 à 60 ans, monte un spectacle
chaque année. Et c’est bien plus qu’une troupe de
théâtre. Une bande de copains qui, par delà les dif-
férences d’âge, prennent plaisir à être ensemble, à
partager des discussions, échanger des idées à tout
propos. Quel bonheur, à l’adolescence, d’évoluer
dans ce petit univers dans lequel ces adultes, qui
s’amusent comme des gosses, ne sont ni tes parents
ni tes profs !
Quand, en plus, on est de ceux qui ne sont pas
en conflit avec leurs parents, on n’est pas pressé de
quitter Chartres où, prétendument, « il ne se passe
jamais rien ! » et que « c’est la cambrousse, alors
qu’Orléans, Tours, Paris, ça, c’est des villes qui
bougent !!! »
Ajoutez à cela une orientation post-bac par
défaut et Jean-Pierre s’inscrit à l’ESGC, école de
commerce à … la CCI de Chartres.
Quatre ans plus tard, le hasard des rencontres
le conduit au CFPPA de Beaune pour une spéciali-
sation dans le commerce des vins. Et puis l’Amour
le ramène à Chartres, auprès de sa belle bretonne
qui a été embauchée à l’issue de son dernier stage à
l’école de commerce.
Il exerce le métier de caviste à Mainvilliers
pendant quatre ans avant d’admettre que, décidé-
ment, l’orientation par défaut, c’est un défaut.
Alors qu’il est en panne sur la case
« recherche d’emploi », le hasard pointe à nouveau
le bout de son nez à l’ANPE (ancêtre de Pôle Em-
ploi). Une association chartraine cherche un anima-
teur théâtral. Profil du poste : constituer, former et
mettre en scène des troupes de comédiens amateurs
P. 47 Nos élèves s’illustrent !
Anne JEROME
en milieu rural dans le secteur beauceron. En clair,
ce qu’il fait bénévolement deux soirs par semaine à
l’Amicale laïque devient son métier à temps plein.
Un loisir passionnant qui devient une profession
rémunérée. Ça vaut le coup de ne pas tourner
le dos au hasard, non ?!
Ce nouveau métier, pour lequel il s’est formé
« sur le tas », lui apporte beaucoup de satisfactions.
A commencer par les conditions de travail qui don-
nent beaucoup d’autonomie. Et puis une ambiance
assez détendue puisqu’il s’agit de travailler avec des
gens qui sont dans le cadre de leurs loisirs.
Outre la création de spectacles en artisan at-
tentif, le métier d’animateur théâtral amène aussi JP
Jérôme à écrire des pièces pour ses comédiens,
adultes ou enfants. Un plaisir insoupçonné que ce
travail d’écriture…
Enfin, c’est un métier qui demande beaucoup
de pédagogie, d’écoute et de bienveillance. Ce qui
fait qu’il a trouvé là un substitut à la carrière d’en-
seignant qu’il n’a envisagée que trop tard après son
activité commerciale.
Comme la vie n’est pas un long fleuve tran-
quille, l’association qui l’emploie ne parvient pas à
faire face à son élargissement. Elle est mise en li-
quidation judiciaire et JP Jérôme se retrouve au
chômage. Qu’à cela ne tienne, le métier est trop
beau pour en chercher un autre ! Avec quelques
amis, il se lance dans la création d’une nouvelle as-
sociation dont il sera l’unique salarié dans le même
domaine d’activité. Et c’est reparti pour une quin-
zaine d’années.
Le monde est petit, et Chartres n’est pas bien
grand. Et même si, paraît-il, on n’est pas prophète
en son pays, on y accumule quand même des rela-
tions, des connaissances. Ainsi, dans ses jeunes an-
nées, JP Jérôme a été élève de Jacky Bonnard à
l’école de musique de Lèves. Vingt-cinq ans plus
tard, le maître sollicite l’élève pour écrire et créer
un spectacle musico-théâtral. Nouvelle étape profes-
sionnelle qui en engendrera d’autres puisque, au-
jourd’hui, l’animateur théâtral est aussi professeur
de guitare.
Et ainsi va la vie, de hasard en tempête, de coups de
chance en coups de cœur, l’important n’étant pas le
but mais le chemin.
Je m'appelle Lucille Moreau et j'ai obtenu
mon baccalauréat ES, spécialité sciences politiques
en 2017. Étant un peu perdue dans mon orientation,
j'ai décidé de faire une classe préparatoire B/L et le
brillantissime algorithme d'APB m'a envoyé au ly-
cée Pothier, où j'ai fait une hypokhâgne et une
khâgne. J'ai abordé ma première année comme une
continuité de la ES, parce que j'y retrouvais les
mêmes matières (notamment les sciences sociales et
l'histoire) et, malgré des grandes difficultés en ma-
thématiques (un conseil aux futurs B/L : accrochez-
vous !), j'ai vraiment eu l'impression de faire des
progrès, tant du point de vue de ma manière de ré-
fléchir, que de celle d'argumenter. Je ne connais pas
une personne qui ait regretté d'avoir fait une classe
préparatoire et s'il en existe, je n'en fais définiti-
vement pas partie! La BL n'a pas été un long fleuve
tranquille, mais cela a été pour moi l'occasion d'ac-
quérir une plus vaste culture générale tout en ga-
gnant une nouvelle maturité, tout cela bien accom-
pagnée! Mais toutes les bonnes choses ont une fin,
et à la suite de ces deux années, j'ai eu la chance de
rentrer à l'IEP de Rennes en deuxième année, où je
commence donc ma scolarité. Je ne peux donc pas
encore vous parler de mon expérience à Rennes,
mais si vous avez la moindre question sur la B/L, je
reste à votre disposition (sur Facebook ou par mail).
Propos recueillis par Yanis Bekhti
P. 48 Nos élèves s’illustrent !
Lucille Moreau,
Nos hommages
P. 49 Nos hommages
Le 27 février 2019, Colette Lhopiteau, est
décédée à l’âge de 91 ans. En juin 2016, à l’occa-
sion de l’anniversaire du premier acte de Résistance
du Préfet Jean Moulin, nous l’avions rencontrée,
heureuse de raconter ses années lycée à Chartres,
marquées par la guerre et l’Occupation. La mé-
moire de ces années, Colette l’avait encore toute
vive et elle aimait ouvrir régulièrement ses albums
photos (cf. dernier bulletin). Colette Lhopiteau, pe-
tite fille du sénateur radical-socialiste Paul Bouvart,
fréquente le lycée de jeunes filles Hélène-Boucher
de 1937 à 1940, date à laquelle les Allemands occu-
pent en totalité l’établissement du Boulevard
Chasles. La directrice veille à la protection des
élèves et notamment des jeunes filles juives telles
Eva Hellmann, Catherine Lévi et la jeune Uhlmann.
En mai 1944, au lycée Marceau, Colette passe la
première partie de son Baccalauréat. L’année sui-
vante, pour la seconde partie, elle va… à la Sor-
bonne puisque la ville de Chartres fait alors partie
de l’Académie de Paris.
Colette avait épousé Jacques, Résistant avec
Maurice Clavel. Elle était très ouverte aux idées
nouvelles et se réjouissait de la mixité à l’école, du
vote des femmes, des bouleversements dans l’agri-
culture, de la métamorphose de la ville de Chartres.
Mme Balauge, professeur de mathématiques
au Lycée d’État de Jeunes Filles s’est éteinte le 24
juin 2019 à l’âge de 102 ans.
Nous, les anciennes élèves, avons gardé en
mémoire ce professeur de mathématiques qui nous
a marquées. Madame Balauge assurait ses cours en
blouse blanche ainsi les vêtements ne portaient pas
les traces de craie. Tout le cours était écrit au ta-
bleau et les figures de géométrie étaient également
réalisées par le professeur. C’est pourquoi elle se
déplaçait avec règle, équerre et compas.
Nous étions accueillies devant la salle de
classe avec le sourire et nous nous installions dans
le plus grand silence. C’était un professeur exigeant
et bienveillant. Elle savait nous encourager et cer-
taines prirent goût aux mathématiques. Son dyna-
misme donnait un tel rythme à l’heure de cours que
celle-ci passait très vite.
Son expérience d’enseignante, elle a su en
faire profiter les jeunes collègues qui débutaient
leur carrière. A la différence d’autres enseignants de
cette période que nous avons oubliés, Madame Ba-
lauge restera dans nos mémoires. Nous garderons
égalent le souvenir d’un professeur avec une forte
personnalité. C’est avec un grand respect que nous
la saluons et nous disons à ses deux filles combien
nous avons été heureuses de l’avoir eue comme pro-
fesseur.
Mme Balauge rejoint le Panthéon de ces
grands professeurs qui ont permis le rayonnement du Lycée d’État de Jeunes Filles.
Nous adressons également nos sincères con-
doléances à la famille de Jean-Pierre Allo, profes-
seur de philosophie au lycée Marceau où il a formé
tant et tant de générations d’élèves ouverts à la
sagesse de son enseignement.
Nous avons appris avec tristesse le décès
d’anciens élèves, fidèles membres actifs de notre
association, qui nous laissent les merveilleux souve-
nirs de leurs années-lycée :
- Joseph Bernardi, le Percheron, ancien de Marceau,
nous a quittés à l’âge de 94 ans.
- Monique Dane, née Leguen, est décédée à Chatou,
le 31 décembre 2018, dans sa 91ème année. Elle était
interne à Marceau sous l’Occupation allemande.
Lors d’une séance-témoignages organisée en 1994,
elle avait fait revivre l’atmosphère du lycée en 1940
-1944. Avec les autres témoins : Roger Joly, M. et
Mme Fourré, Bernard Havet, Alphonse Azaïs, elle
avait évoqué la cohabitation avec les militaires alle-
mands. Élève dans la langue de Goethe, elle et ses
condisciples les ignoraient superbement.
Ce carnet ne peut relater que les informations communiquées à l’association. Nous nous excusons pour les oublis qu’il pourrait y avoir.
M-F Soulier et Annie Martineau
Hommage à Marceau
Adresse de l’association : 2 Rue Pierre-Mendès-France, Chartres (28000) / email : [email protected]
Téléphone : 02 37 28 16 82 / Site Internet : www.chartresaelmarceau.com
Directeur de publication : Marie-Françoise Soulier / Mise en page : Yanis Bekhti
Exposition réalisée par la Ville de Chartres.
Commissaire de l’exposition : Jean-Francis Ressort.